photo sébastien micke - les arènes · 2019. 10. 31. · le moment, il était sincère.» a...
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Sur son bureau, un Mac, évidemment!
A 41 ans, Usa Brennan-Jobs voit désormais
le bon côté des choses : « Mon père m a
toujours empêchée de me reposer sur mes
lauriers. » A Brooklyn, le 22 octobre.
Photo Sébastien Micke
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USA BRENNAN-JOBSSANS AMOUR
Elle n’a jamais été une fille à papa, mais cela ne l’empêche pas de lui
consacrer un livre. Un pavé, même! Cinq cents pages dans lesquelles
Lisa Brennan-Jobs, première fille du créateur d’Apple, décédé en 2011,
dévoile une facette plus sombre du gourou de la high-tech. Quand Lisa
naît, en 1978, Steve Jobs n’est encore qu’un jeune entrepreneur rebelle,
plus soucieux de conquérir le monde que de langer un bébé. Lisa brosse le
portrait d’un père ambivalent, aussi négligent que tyrannique. Il lui aura fallu
dix ans pour écrire « Petite chose » (éd. Les Arènes, sortie le 6 novembre).
Thérapie réussie. Aujourd’hui, elle ouvre un nouveau chapitre de sa
y a dix-huit mois, elle est devenue maman d’un petit Thomas.vie
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RADIN, POSSESSIF,BLESSANT EN PAROLES,IL NE VOULAIT PAS DEUSA ET A CONTESTÉ SA PATERNITÉDEVANT UN JUGEDe notre correspondant à New York Olivier O’MahonyS ubitement, elle rentre sa têtedans les épaules. Une lueurde panique assombrit ses
yeux noirs. Lisa Brennan-
Jobs a 41 ans, mais, quand onlui demande si son père
aurait détesté le livre qu’elle
vient de publier, elle setransforme en petite fille
espiègle. «Oh! franchement, je crois que
oui», confesse-t-elle. Pas facile de tuer le
père quand celui-ci s’appelle Steve Jobs.
«Ce n’est pas ce que j’ai voulu faire,
rectifie Lisa, qui jure avoir écrit un bou
quin sur elle, pas sur lui. Menue, éner
gique, elle marche vite et se dit dotée d’un
«pouvoir magique» qui lui permet de
boire son thé brûlant. Rien à voir avec
une classique fille à papa américaine. Au
lieu de tendre une main froide et ferme,
elle fait la bise, « à la française ». Et quand
elle parle de son père, ce n’est vraiment
pas pour dire son admiration...Elle a toutes les raisons de lui en vou
loir. D’abord parce qu’il ne voulait pas
d’elle, jusqu’à nier sa paternité devant un
juge. Née dans une ferme de l’Oregon, le
17 mai 1978, d’une mère artiste hippie,
Chrisann, tour à tour serveuse et femme
de ménage sans ressources, Lisa confie
froidement qu’elle fut un « bébé stérilet ».Une des premières fois qu’elle voit son
père en chair et en os, elle ignore qu’il
pèse déjà plus de 200 millions de dollars
en Bourse grâce à Apple. Elle a 4 ans et
découvre, ébahie, sa demeure excentrique
avec ascenseur et grand orgue... « La mai
son est à chier, dit-il à sa mère. Je vais la
démolir. Je l’ai achetée uniquement pour
les arbres.» Elle se souvient aussi qu’il
roule en Porsche. «Tu me la donneras un
jour, quand tu n’en voudras plus?» lui
demandera-t-elle plus tard. «Hors de
question ! lui rétorque-t-il.Tu n’auras rien
de rien.» Elle est pétrifiée.
«A l'âge de 7 ans, j’avais déjà démé
nagé treize fois avec ma mère, calcule-
t-elle. Le plus souvent, il s’agissait de
chambres d’amis, de sous-locations tem
poraires.» Mais jamais très loin de ce père
milliardaire radin. Il faudra que SteveJobs connaisse une mauvaise passe pro
fessionnelle pour qu’il se rappelle qu’il a
une fille, auprès de laquelle il peut s’épan
cher sur ses peines de cœur. Après sa
démission dApple, dans les années 1980,
il lance une nouvelle boîte, NeXT, qui a
du mal à décoller. Toujours richissime et
adulé, il n’est pas très heureux en amour.Lisa est à la fois inquiète et flattée de
recueillir ses confidences. Quand il lui
propose de s’installer chez lui, «pour six
mois»,elle accepte. Ce sera l’occasion de
faire connaissance avec sa possessivité.Steve Jobs veut enfin qu’elle prenne son
patronyme. Elle transige et l’accolera à
En 1996,
pour la remise de diplômes du lycée
de Lisa (au centre), à Palo Alto.
Autour d’elle sa mère Chrisann, son père,
Steve, et ses grands-parents maternels (à dr).
celui de sa mère, mais en seconde posi
tion : ça donne « Brennan-Jobs ». Elle a
déj à son petit caractère, ce qui ne plaît pas
à papa. «Il me reprochait en permanence
d’être égoïste, de ne pas jouer le jeu de la
famille. » Parfois, il lui pose des questions
intimes du genre : « Est-ce que tu te mas
turbes? Tu devrais... » Mais elle insistepour dire que ça n’a rien de glauque : son
père est un «chantre de la sexualité posi
tive version années 1970». Reste que,
pour cette ado, la présence paternelle est
vite étouffante.Il y a des choses que le génie ne sup
porte pas. Et même des gens... Comme
Sarah, 14 ans, la cousine de Lisa, qu’il fait
pleurer au restaurant. La gamine a com
mis deux crimes. Elle commande un ham
burger. Impardonnable aux yeux de Jobs,
végétarien. Et il trouve sa voix insuppor
table. «Tu devrais faire quelque chose
pour corriger ça, lâche-t-il, ulcéré. Bon
sang, ressaisis-toi ! » Lisa est mortifiée.
Heureusement, elle a de bonnes notes à
l’école et, surtout, une bande d'amisfidèles qui ne la regardent pas comme une
« fille de ». A17 ans, elle a son premier vrai
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petit ami. Josh. Steve le rencontre, lui
demande ce qu’il veut faire plus tard... etrépond à sa place : «Tu deviendras un
branleur.» Tête du pauvre garçon. Lisa
raconte la scène à sa mère, qui décrypte :
«Ma chérie, avant que tu naisses, mesparents ont posé la même question à ton
père, qui leur a dit : “Je veux devenir un
branleur.’’ Il voulait simplement mettre
Josh à l’aise ! » C’était pourtant simple...
Lassée, Lisa finit par prendre la
tangente. Elle se réinstalle à mi-temps
chez sa mère, puis décide de postuler à
Harvard, une université située sur la côte
est, très loin du berceau familial. Fureur
du père. Commence alors une nouvelle
phase de froid polaire. Elle l’appelle, lui
envoie des e-mails ;il fait le mort. Nouveau
rejet. «C’était dur, très dur», dit Lisa.
Retour à la case départ ? Pis : un jour, elle
«TON PREMIER ORDINATEUR,TU L’AS APPELÉ USA EN HOMMAGE
A TA FILLE? »»LUI DEMANDE BONO
apprend qu’il refuse de payer les droits de
scolarité de sa dernière année. «J'étais à
deux doigts de l’exclusion, raconte-t-elle.Impossible d’obtenir une de ces bourses
attribuées en fonction des ressources
parentales. Heureusement, j’ai été aidée
par... des voisins. Kevin et Dorothy, desamis qui habitent à trois maisons de mon
père.» Ce sont des avocats, eux aussiélevés par des parents très riches et com
pliqués. Ils disent à Steve Jobs : « Ce n’est
pas bien, ce que tu fais avec Lisa. On va
payer à ta place. » Ce qui le rend une nou
velle fois furieux. « Non, leur rétorque-t-il.
Elle doit être traitée à la dure ! » Il finira
par les rembourser...
Au fil des ans, la brouille s’apaise.
Lisa, alors âgée de 27 ans, est reçue avec
papa chez Bono, dans sa magnifique
propriété d'Eze, sur la Côte dAzur.
Déjeuner somptueux. Le chanteur de U2
se révèle un hôte exquis. Il demande à
Steve Jobs : «Au fait, ton premier ordina
teur, tu l’as appelé Lisa... C’est en
hommage à ta fille ?» Il a posé la question
qui fâche. « Ouaip ! » bafouille Jobs après
un long silence. Lisa se redresse sur sa
chaise. «C’est la première fois qu’il le
reconnaît, lance-t-elle à Bono... Merci ! »
Comme si, commente-t-elle aujourd’hui
avec un brin d’amertume, «les genscélèbres avaient besoin d’autres célébri
tés pour révéler leurs secrets ».
Ou peut-être Steve Jobs sait-il déjà
que le temps lui est compté. Il souffre ducancer du pancréas qui l’emportera six
ans plus tard, à l’âge de 56 ans. Il aura
juste le temps, avant de mourir, de dire àLisa ce qu’elle a toujours voulu entendre :
«Je suis désolé, absolument désolé,
admet-il, maigrissime, sur son ht de mort.
Je me suis très mal comporté envers toi,
je te suis redevable. » Sous le coup, elle
reste sans voix. Aujourd’hui, ehe s’inter
roge encore : «S’il avait survécu, il aurait
peut-être retiré ses excuses. Je me suis
posé la question. Mais je suis sûre que, sur
le moment, il était sincère.»
A présent, elle jure lui avoir par
donné. « Oui, mon père s’est comportécomme un “jerk’’ [que l’on peut traduire
par crétin ou salaud, c’est selon], surtout
dans ma jeunesse, quand ma mère étaitdans le besoin et que je n’avais pas assez
à manger. Mais au fond, je n’ai pas eu
une enfance malheureuse. La sienne,
d’enfant adopté, a été plus compliquée.
Quand il était heureux, il était capable
de se moquer de lui-même et de ses pen
chants maniaques. Je l’ai souvent
entendu dire : "Dans deux ans, je suis clo
chard.” Avec moi, il a fait énormément
d’efforts. Mais il n’était pas doué pour les
sentiments, ne parlait pas beaucoup etne savait pas comment s’y prendre avec
une gamine. Il m’a fait découvrir le
cinéma, Hitchcock, “Harold et Maude’.’
Quand il m’a eue, il n’avait que 23 ans et
la tête ailleurs. J’étais là, je représentaisphysiquement tout ce qui lui faisait
honte, cette époque où il a refusé de me
reconnaître. C’était dur pour lui. Mamère me disait toujours qu’il m’aimait
mais ne savait pas comment me le dire. »
Après la mort de Steve Jobs, Lisadécouvre qu’il lui a laissé quelques mil
lions de dollars en héritage, autant qu’à
son demi-frère et à ses deux demi-sœurs.
«C’était très généreux de sa part, je ne
m’y attendais pas », assure-t-elle. Sauf quela fortune léguée par le fondateur dApple
s’élève aujourd’hui à... 21 milliards de
dollars. Ce pactole a atterri chez Laurene,
sa veuve, l’héritière légale et la gardienne
de sa mémoire, qui n’a pas aimé le livre
de sa belle-fille et l’a fait savoir publique
ment. « Nous ne passerons probablement
pas les fêtes de Noël ensemble », euphé-
mise aujourd’hui Lisa. A la disparition de
Laurene, ses milliards seront transmis à
ses trois enfants. Pas à Lisa. Qui ne s’en
formalise pas. Elle a longtemps vécu dans
un petit trois-pièces de Brooklyn, joli
ment décoré mais sans prétention. On luidemande si elle a les moyens de ne pas
travailler... Elle se raidit. «Franchement,vous n’imaginez pas que je vais vous
répondre ! » Puis se détend: «Bon, je
manque peut-être d’imagination, maisvoyager en classe économique me va très
bien. Les jets privés, ça secoue, ça pollueet c’est petit: quand vous êtes accompa
gné de personnes que vous n’aimez pas,
impossible de s’échapper. Le fait est queje ne peux pas m’acheter tout ce que je
veux ... Un pénis, par exemple... Mais
non, je rigole.» Lisa, qui a étudié la litté
rature et se pique d’être écrivaine, n’a pas
peur de dérouter. Un peu comme son
père... Et quand elle réfléchit une dernière fois à ce
qu’il aurait pu penser de
son livre, elle lâche : «J’espère quand même qu’il
aurait pu dire : “Je recon
nais bien ma fille ...”» SP’Oolivieromahony
«Petite chose», de Lisa
Brennan-Jobs, éd. Les Arènes.