physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale

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1169-8330/$ - see front matter © 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Revue du Rhumatisme 79S (2012) A18-A21 Conférence d’actualité Physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale Fabrice Mac Way a, b , Myriam Lessard a, c , Marie-Hélène Lafage-Proust a a INSERM U1059, Université de Lyon, F-42023 ; CHU, F-42055, Saint-Etienne cedex 2, France b Néphrologie, Hôtel-Dieu de Québec, G1R 2J6 Québec, Canada c Néphrologie, Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, Ouest Montréal, H4J 1C5 Québec, Canada IN FO AR T ICLE Mots clés : Parathormone FGF23 Biopsie osseuse Turnover Ostéomalacie Hyperparathyroïdie secondaire R ÉS U M É La maladie rénale chronique (MRC) induit des troubles du métabolisme des minéraux conduisant à des lésions osseuses et des calcifications vasculaires qui grèvent son pronostic vital et fonctionnel. L’atteinte osseuse est caractérisée par des lésions histologiques regroupées sous le nom d’ostéodystrophie rénale (ODR) : altération du niveau du turnover qui peut être élevé (ostéite fibreuse, OF) ou effondré (ostéopathie adynamique OA), troubles de la minéralisation (ostéomalacie OM) et perte osseuse. L’hyperparathyroïdie secondaire liée à la rétention précoce de phosphate (qui induit une augmentation de la synthèse de FGF23 par l’os), de la diminution de la synthèse rénale de calcitriol et de l’hypocalcémie est associée à l’OF. L’acidose, l’inflammation chronique et des troubles de la nutrition auxquels se surajoutent les complications iatrogènes. © 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 1. Introduction L’insuffisance rénale chronique (IRC) entraine de façon précoce des troubles du métabolisme du phosphate et du calcium qui font le lit de l’hyperparathyroïdie secondaire (HPT II). De plus, l’IRC perturbe de nombreuses autres fonctions telles que la régulation du pH san- guin ou la nutrition et associe, à des degrés divers, des phénomènes inflammatoires qui, à leur tour, vont retentir de façon plus ou moins spécifique sur le squelette. Ainsi, les lésions osseuses rencontrées lors de l’IRC résultent de l’accumulation des toxines urémiques au sens large, à laquelle peut se surajouter une pathologie iatrogène. Leur physiopathologie déborde largement du simple cadre nosologique des troubles du métabolisme phosphocalcique dans lequel on l’a trop longtemps cantonnée. L’ostéodystrophie rénale (ODR) était le terme utilisé pour décrire les différents symptômes osseux et les anomalies biologiques du métabolisme phospho-calcique observées au cours de l’IRC. Cependant, en 2006, la conférence consensus KDIGO (Kidney Disease Improving Global Outcomes) a proposé d’utiliser le terme de Troubles Minéraux et Osseux de la Maladie Rénale Chronique (TMO- MRC) ou Chronic Kidney Disease-Mineral and Bone Disorder (CKD- MBD) pour les anglo-saxons) pour définir la maladie systémique de l’IRC touchant le métabolisme osseux et minéral [1]. Elle se caracté- rise par une ou plusieurs des manifestations suivantes : cliniques (calcifications vasculaires et calcinose tumorale, fractures, troubles de la croissance chez l’enfant), histologiques osseuses (ostéodystro- phie rénale proprement dite dont le diagnostic précis repose sur une biopsie osseuse) et biologiques (anomalies des concentrations de parathormone (PTH), calcium, phosphore et vitamine D circulants). Ce nouveau cadre se justifie car les mécanismes physiopathologiques de ces différents symptômes sont étroitement intriqués. Nous ne traiterons ici que des lésions osseuses de l’adulte à l’exclusion de celles survenant après une transplantation rénale. 2. Nosologie de l’ostéodystrophie rénale Elle est résumée dans le tableau 1. La classification TMV des lésions osseuses a été proposée par la conférence KDIGO. Elle prend en compte les trois types d’anomalies osseuses qui les caractérisent : T pour turnover, M pour minéralisation et V pour volume (ou masse). Le turnover peut être normal, élevé ou bas ; il est évalué par la mesure du taux de formation osseuse (ou BFR pour Bone Formation Rate). Un turnover osseux élevé est associé à des paramètres de résorption accrus. La minéralisation primaire, qui peut être normale ou diminuée, se mesure par la quantification du tissu ostéoïde (colla- gène non encore minéralisé), la vitesse de minéralisation et le délai de minéralisation (ou MLT pour Mineralisation Lag Time). La masse osseuse peut être normale, élevée ou basse ; elle est évaluée par le BV/TV (pour Bone Volume/Tissue Volume) pour le compartiment trabéculaire et l’épaisseur et la porosité pour les corticales. En combi- nant les deux premières anomalies on retrouve les lésions ancienne- ment décrites d’ostéite fibreuse, ostéomalacie, ostéopathie mixte urémique et ostéopathie adynamique, qui peuvent s’associer à des degrés divers à des variations de la masse osseuse. Actuellement, la prévalence des lésions osseuses à turnover osseux bas est supérieure à celle à turnover élevé. Ne pas utiliser, pour citation, la référence française de cet article, mais la référence anglaise de Joint Bone Spine. Adresse e-mail : [email protected] (Marie-Hélène Lafage-Proust)

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Page 1: Physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale

1169-8330/$ - see front matter © 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Revue du Rhumatisme 79S (2012) A18-A21

Conférence d’actualité

Physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale✩

Fabrice Mac Way a, b, Myriam Lessard a, c, Marie-Hélène Lafage-Proust a

aINSERM U1059, Université de Lyon, F-42023 ; CHU, F-42055, Saint-Etienne cedex 2, France

bNéphrologie, Hôtel-Dieu de Québec, G1R 2J6 Québec, Canada

cNéphrologie, Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, Ouest Montréal, H4J 1C5 Québec, Canada

I N F O A R T I C L E

Mots clés :

Parathormone

FGF23

Biopsie osseuse

Turnover

Ostéomalacie

Hyperparathyroïdie secondaire

R É S U M É

La maladie rénale chronique (MRC) induit des troubles du métabolisme des minéraux conduisant à des

lésions osseuses et des calcifications vasculaires qui grèvent son pronostic vital et fonctionnel.L’atteinte osseuse est caractérisée par des lésions histologiques regroupées sous le nom

d’ostéodystrophie rénale (ODR) : altération du niveau du turnover qui peut être élevé (ostéite fibreuse,

OF) ou effondré (ostéopathie adynamique OA), troubles de la minéralisation (ostéomalacie OM) et perteosseuse. L’hyperparathyroïdie secondaire liée à la rétention précoce de phosphate (qui induit une

augmentation de la synthèse de FGF23 par l’os), de la diminution de la synthèse rénale de calcitriol etde l’hypocalcémie est associée à l’OF. L’acidose, l’inflammation chronique et des troubles de la nutritionauxquels se surajoutent les complications iatrogènes.

© 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction

L’insuffisance rénale chronique (IRC) entraine de façon précocedes troubles du métabolisme du phosphate et du calcium qui font lelit de l’hyperparathyroïdie secondaire (HPT II). De plus, l’IRC perturbede nombreuses autres fonctions telles que la régulation du pH san-guin ou la nutrition et associe, à des degrés divers, des phénomènesinflammatoires qui, à leur tour, vont retentir de façon plus ou moinsspécifique sur le squelette. Ainsi, les lésions osseuses rencontrées lorsde l’IRC résultent de l’accumulation des toxines urémiques au senslarge, à laquelle peut se surajouter une pathologie iatrogène. Leurphysiopathologie déborde largement du simple cadre nosologiquedes troubles du métabolisme phosphocalcique dans lequel on l’a troplongtemps cantonnée. L’ostéodystrophie rénale (ODR) était le termeutilisé pour décrire les différents symptômes osseux et les anomaliesbiologiques du métabolisme phospho-calcique observées au cours del’IRC. Cependant, en 2006, la conférence consensus KDIGO (KidneyDisease Improving Global Outcomes) a proposé d’utiliser le terme deTroubles Minéraux et Osseux de la Maladie Rénale Chronique (TMO-MRC) ou Chronic Kidney Disease-Mineral and Bone Disorder (CKD-MBD) pour les anglo-saxons) pour définir la maladie systémique del’IRC touchant le métabolisme osseux et minéral [1]. Elle se caracté-rise par une ou plusieurs des manifestations suivantes : cliniques(calcifications vasculaires et calcinose tumorale, fractures, troublesde la croissance chez l’enfant), histologiques osseuses (ostéodystro-

phie rénale proprement dite dont le diagnostic précis repose sur unebiopsie osseuse) et biologiques (anomalies des concentrations deparathormone (PTH), calcium, phosphore et vitamine D circulants).Ce nouveau cadre se justifie car les mécanismes physiopathologiquesde ces différents symptômes sont étroitement intriqués. Nous ne

traiterons ici que des lésions osseuses de l’adulte à l’exclusion decelles survenant après une transplantation rénale.

2. Nosologie de l’ostéodystrophie rénale

Elle est résumée dans le tableau 1. La classification TMV deslésions osseuses a été proposée par la conférence KDIGO. Elle prenden compte les trois types d’anomalies osseuses qui les caractérisent :T pour turnover, M pour minéralisation et V pour volume (ou masse).

Le turnover peut être normal, élevé ou bas ; il est évalué par lamesure du taux de formation osseuse (ou BFR pour Bone FormationRate). Un turnover osseux élevé est associé à des paramètres derésorption accrus. La minéralisation primaire, qui peut être normaleou diminuée, se mesure par la quantification du tissu ostéoïde (colla-gène non encore minéralisé), la vitesse de minéralisation et le délai deminéralisation (ou MLT pour Mineralisation Lag Time). La masseosseuse peut être normale, élevée ou basse ; elle est évaluée par leBV/TV (pour Bone Volume/Tissue Volume) pour le compartimenttrabéculaire et l’épaisseur et la porosité pour les corticales. En combi-nant les deux premières anomalies on retrouve les lésions ancienne-ment décrites d’ostéite fibreuse, ostéomalacie, ostéopathie mixteurémique et ostéopathie adynamique, qui peuvent s’associer à des

degrés divers à des variations de la masse osseuse. Actuellement, laprévalence des lésions osseuses à turnover osseux bas est supérieureà celle à turnover élevé.

✩ Ne pas utiliser, pour citation, la référence française de cet article, mais la référence

anglaise de Joint Bone Spine.

Adresse e-mail : [email protected] (Marie-Hélène Lafage-Proust)

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Tableau 1 : Cadre nosologique des lésions osseuses de l’ostéodystrophie rénale (No : normal).

3. Physiopathologie des troubles du métabolisme minéral (figure 1)

3.1 Le FGF23, la Parathormone et la vitamine D : les trois hormones clés de l’ODR

La cinétique d’apparition et le poids des différents facteurs indui-sant ou aggravant l’ODR sont encore controversés.

Le FGF 23 (pour Fibroblast Growth Factor 23) est une hormonesynthétisée par les ostéoblastes et surtout par les ostéocytes. LeFGF23 est stimulé par l’augmentation de la phosphatémie, mais aussipar la vitamine D et probablement par la parathormone (PTH) [2]mais ceci est controversé [3]. Au cours de la MRC, à mesure que larétention en phosphate s’aggrave du fait de la diminution progressivedes capacités d’excrétion urinaire des néphrons restants, la phospha-témie va s’accroitre malgré l’augmentation de FGF23. La concen-tration sérique de FGF23 augmente à mesure que la filtrationglomérulaire diminue – ceci est dû à la fois à une augmentation desynthèse et à une rétention liée à l’insuffisance rénale – et elle corrèlepositivement avec la phosphatémie [4]. Les concentrations normalesde FGF23 sont de l’ordre de 50 RU/ml, aux stades précoces elles aug-mentent jusqu’à 500 RU/ml et sont > 10 000 RU/ml chez le dialysé.Une des hypothèses est que cette élévation du FGF23 sérique aug-mente l’excrétion urinaire de phosphate par les néphrons restants, cequi permettrait à la phosphatémie de rester normale au début de laMRC [5]. Le FGF23 aurait aussi une action inhibitrice sur la synthèsede PTH par les glandes parathyroïdes (boucle de rétro contrôlenégatif) [6]. Enfin, le FGF23 diminue les concentrations sériques decalcitriol en inhibant la 1-alpha hydroxylase qui le synthétise et enstimulant la 25-hydroxyvitamine D-24-hydroxylase qui l’inactive [7].

La diminution de synthèse rénale de calcitriol liée à la MRC sur-vient du fait de la réduction de la masse néphronique, et ce, malgré

l’augmentation croissante de la PTH sérique qui, elle, active la 1-alpha

hydroxylase rénale. L’accroissement de la concentration intra-

cellulaire en phosphate diminue en réalité l’efficacité de la un-alpha

hydroxylase et aggrave ainsi le déficit en calcitriol [8]. Cette diminu-

tion de la calcitriolémie a trois conséquences : la diminution de

l’absorption digestive du phosphate (ce qui est bénéfique dans cecontexte) mais aussi celle du calcium (délétère) et la réduction (délé-

tère) des effets génomiques freinateurs du calcitriol sur la synthèse de

PTH par la glande parathyroïde. Cependant, le calcitriol circulant n’est

pas exclusivement d’origine rénale et l’IRC garde des capacités d’acti-

vation de la vitamine D non négligeables grâce à la un-alpha-hydroxy-

lase exprimée par d’autres tissus que le rein [9, 10].

L’hyperparathyroïdie secondaire résulte de facteurs multiples et

intriqués, comme illustré dans la figure 2 : la concentration cellulaire

en phosphate dans les glandes parathyroïdes contribue à augmenterla durée de vie des ARN messagers de la parathormone, la diminution

de la calcitriolémie lève l’inhibition de la transcription de PTH et

induit une hypocalcémie. Cette hypocalcémie relative due à la dimi-

nution de la réabsorption tubulaire rénale et de l’absorption intesti-

nale du calcium, stimule directement la synthèse des ARNm de la

PTH, ainsi que sa sécrétion, par stimulation des récepteurs sensiblesau calcium (CaSR) des cellules parathyroïdiennes. De plus, au sein des

glandes parathyroïdes, l’expression des récepteurs du calcium [11] de

la vitamine D [12] du FGF23 (FGFR1) et de son co-récepteur Klotho

[13] diminue progressivement, ce qui fait le lit de leur autonomisa-

tion. L’augmentation de la concentration sérique de PTH que l’on

observe au cours de la MRC est due dans un premier temps à une aug-mentation des capacités de synthèse et de sécrétion des cellules. Puis

on assiste à une hyperplasie de la glande liée à la fois à une hypertro-

phie des cellules et à une prolifération accrue, encore potentiellement

freinable par des mesures thérapeutiques. Enfin, des clones apparais-

sent (hyperplasie nodulaire) qui donnent naissance à de véritables

adénomes autonomisés avec hyperparathyroïdie réfractaire (ou ter-tiaire) caractérisée sur le plan biologique par une hypercalcémie et

une élévation majeure de la PTH sérique. De plus, l’augmentation de

la PTH sérique dans la MRC est également liée à l’accumulation de

nombreux fragments (dont un fragment C-Terminal 7-84 ayant peut-

être une activité biologique propre [14].

Turnover Minéralisation

MasseTurnover

osseuxMinéralisation

osseuse primaire

Tissu ostéoide

Masse osseuse

Ostéite fibreuse � ou �� No ou � � ou ��� No ou � ou �

Ostéopathie adynamique

� No 0 ou � No ou � ou �

Ostéomalacie No ou ou

Ostéopathie mixte ou ou No ou ou

Fig. 1. Physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale. _____I : inhibe, � : stimule. Lazone gris foncé représente le compartiment osseux. Les traits (------) représentent lesactions du FGF23. ¢ : cellule. PTH : parathormone, FGF23 : Fibroblast growthfactor 23 ; Le récepteur sensible au calcium (CaSR), le récepteur de la vitamine D(VDR) et le récepteur du FGF23 (FGFR1) voient leur expression par les cellules para-thyroïdiennes (¢) diminuer au cours de l’IRC. La dentin matrix protein 1 (DMP1) et lasclérostine (SOST) sont exprimées par les ostéocytes. Leurs interrelations avec leFGF23 sont encore incomplètement connues ( ?) et sont détaillées dans la figure 2.

Fig. 2. Réseau moléculaire impliqué dans la régulation du phosphate et de la minéra-lisation osseuse. Régulation physiologique :……….> : ❶, 1re boucle de régulation : la PTH stimule la synthèse de calcitriol qui inhibecelle de la PTH.____ : ❷, 2e boucle de régulation : La PTH stimule l’expression du FGF23 qui inhibecelle de la PTH

: ❸, 3e boucle de régulation : Le FGF23 inhibe la synthèse de calcitriol qui stimulele FGF23.-----> : ❹, 4e boucle de régulation : La PTH stimule DMP-1 qui inhibe FGF23 quiinhibe la PTH._____> :❺, 5e boucle de régulation : l’hyperphosphatémie stimule la PTH et le FGF23qui augmentent l’excrétion urinaire du phosphate.MEPE et DMP1, protéines de la famille des SIBLINGS exprimées par les ostéocytes,peuvent être clivées en peptides ASARM qui peuvent augmenter l’excrétion urinairedu phosphate et jouer un rôle direct sur la minéralisation osseuse.Dysrégulation dans l’Insuffisance rénale chronique (IRC) avancée : l’excrétion urinairedu phosphate disparaît. La synthèse de PTH et de FGF23 augmente alors que celle dela 1,25 (OH)2 vitamine D diminue. L’expression de la DMP1 ostéocytaire augmente,l’implication de MEPE et des peptides ASARM est inconnue.

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3.2 DMP1 et SOST, exprimés par les ostéocytes seraient impliqués dans l’ODR (figure 3)

La synthèse de FGF23 est freinée localement par une protéineostéocytaire appelée DMP-1 (pour Dentin matrix protein 1) par lebiais du récepteur FGFR1 [15]. Les souris déficientes en DMP-1 ontdes concentrations sériques de FGF23 très élevées et sont ostéomala-ciques du fait d’une profonde hypophosphatémie. L’expression de

DMP1 est stimulée par la PTH. Chez l’insuffisant rénal présentant uneHPTII, l’inhibition du FGF23 par la DMP1 disparaît, et DMP1 est forte-ment surexprimée (figure 2) en même temps que celle du FGF23[16]. La DMP1 fait partie d’une famille de glycoprotéines appeléeSIBLINGS pour Small Integrin-Binding Ligand Interacting Glycopro-teins, toutes rassemblées sur le site 4q22 du chromosome 4, nommé

le « bone cluster » qui inclut, entre autres, l’ostéopontine, la sialopro-téine osseuse (BSP), et la matrix extracellular phosphoglycoprotein(MEPE). Certaines de ces protéines jouent un rôle dans la minéralisa-tion osseuse à travers des actions directes sur la matrice et indirectepar le biais de leur clivage qui induit le relargage dans la circulationgénérale et fragments (ASARM) dont l’effet est d’augmenter l’excré-tion urinaire du phosphate.

Par ailleurs, il a été montré récemment que l’ostéocyte joue unrôle majeur dans la régulation de l’activité ostéoclastique en modu-lant le ratio RANKL/OPG par le biais de la voie WNT/beta-caténine[17]. La sclérostine (SOST), dont l’expression est essentiellementostéocytaire, bloque la voie Wnt et par ce biais, inhibe aussi la for-

mation osseuse. De plus, SOST serait un facteur par l’intermédiaireduquel la PTH contrôle l’expression ostéocytaire de FGF23 [18]. Dansun modèle murin d’IRC progressive, Sabbagh et coll. [19] ont montréque l’expression ostéocytaire de SOST augmente dans un premiertemps, puis diminue dans les stades tardifs de la maladie rénale. Defaçon intéressante, dans ce modèle, l’augmentation des marqueurs derésorption associée à la surexpression de SOST précédent l’élévation

de la PTH suggérant que l’hyper-remodelage observé précocement nerelevait pas des effets de la PTH. Chez des patients IRC avant dialyse,la sclérostine corrèle négativement avec la filtration glomérulaire et,de façon paradoxale, positivement avec la densité minérale osseuse

lombaire et fémorale [20]. Chez des patients dialysés, les concentra-tions sériques de sclérostine et de PTH corrèlent négativement. Lasclérostine prédit le turnover osseux et la masse osseuse [21].

Ainsi, il apparaît que l’ostéocyte joue un rôle central dans les déré-gulations observées au cours de l’ODR, toutefois les rôles respectifsdes protéines qu’il exprime et leur hiérarchie sont encore inconnues.

4. Physiopathologie des lésions osseuses de l’ODR

Le tissu osseux est la cible des désordres du métabolisme duphosphate et du calcium observés au cours de la MRC.

4.1 Turnover osseux

L’hyperparathyroïdie secondaire active la formation ostéoblas-tique et la résorption ostéoclastique et conduit ainsi à une accéléra-tion du turnover osseux qui s’associe dans les formes sévère à unefibrose médullaire conduisant à l’ostéite fibreuse. L’accroissement dela quantité de minéraux circulants qui en résulte contribuera, àremonter la calcémie, voire à induire une hypercalcémie, mais aussià favoriser la précipitation extra squelettique de calcium et de phos-phate, incluant les calcifications vasculaires dont l’éclosion dépendpar ailleurs de nombreux autres facteurs [22]. De plus, la maladieosseuse urémique induit une diminution de l’expression des récep-teurs de la PTH [23] qui, associée à d’autres causes, va entrainer unerésistance osseuse à la PTH. En d’autres termes, des concentrationssériques de PTH devront être supérieures à la normale pour espérerinduire un niveau de remodelage osseux normal.

Par ailleurs, en l’absence d’HPT floride, et pour des PTH basses,normales (ie < 65pg/ml) ou un peu élevées, le remodelage osseux del’urémique a tendance à être plutôt bas, voire effondré ce qui carac-térise l’ostéopathie adynamique. L’intoxication aluminique, décriteen 1989, n’est plus en cause en Europe. Parmi les facteurs de risquesd’OA, on retrouve l’âge, le diabète, la dialyse péritonéale et la sup-pression excessive de la sécretion de PTH par les sels de calcium et/oul’utilisation des dérivés 1-alpha-hydroxylés de la vitamine D. Cepen-dant, l’OA a été décrite chez des patients en prédialyse qui n’avaientreçu aucun traitement préventif, témoignant du caractère intrin-sèque de l’OA lié à la MRC. Le turnover osseux bas de l’OA a proba-blement plusieurs origines : le déficit en BMP7 (Bone Morphogeneticprotein 7) sécrété par le rein [24], la résistance osseuse à la PTH(cf. supra) et l’augmentation de l’expression d’inhibiteurs de lavoie wnt tels que SOST [19], Dikkopf1 ou sFRP4 (secreted Frizzledrelated protein -4, 19) et l’accumulation de fragments de PTH poten-tiellement inhibiteurs du remodelage. Dans des conditions de tur-nover osseux bas et de balance calcique positive (entrées > sorties),l’excès de calcium (d’origine alimentaire ou thérapeutique – calciumper os ou calcium du dialysat –) ne peut plus être « tamponné » parle squelette, ce qui aura pour conséquence une hypercalcémie et uneaugmentation des calcifications vasculaires [25].

Ainsi, le remodelage osseux joue une rôle majeur dans les compli-cations extra squelettiques des TMO-MRC, notamment si la balancecalcique est anormale, en particulier chez le dialysé [25, 26].

4.2 Les troubles de la minéralisation

La minéralisation osseuse primaire est caractérisée par le dépôtd’hydroxy-apatite de calcium le long des fibres de collagène. Il s’agitd’un processus dépendant de la quantité de calcium et de phosphatedisponible mais aussi de l’activité des ostéoblastes par le biais d’unnombre croissant de molécules (phosphatase alcaline, ectonucleotidepyrophosphatase phosphodiesterase 1 -NPP1/PC-1/Enpp1 –, phos-phatase orphan 1-PHOSPHO1 –, symports de phosphate sodium-dépendants (Pit1/2), cell-associated ankylosis protein (ANK). Desdonnées récentes démontrent que les ostéocytes y jouent aussi unrôle majeur à travers l’expression des SIBLINGS et de SOST [27]. Ceprocessus est encore mal expliqué. Dans l’ODR, l’ostéomalacie pureest la lésion la plus rarement rencontrée. Il y a 20 ans, l’intoxicationpar l’aluminium en était la cause essentielle ; elle a maintenant dis-

Fig. 3. A-D: Biopsies osseuses de crête iliaque. A-C : Immunohistochimie de DMP1.A : Surexpression de DMP1 par les ostéocytes chez un patient dialysé présentant unehyperparathyroïdie secondaire. B : Contrôle négatif par remplacement de l’Ac pri-maire anti DMP1 par une IgG non spécifique. C : Ostéoporose chez un patient noninsuffisant rénal, immunomarquage de DMP1 très discret. Têtes de flèches : ostéo-blastes, (……….) limite inférieure d’une large bordure ostéoïde, témoignant del’hyper-remodelage. D : Images de biopsies osseuses de patients IRC dialysés présen-tant une perte osseuse trabéculaire et corticale (Coupes microtomographiques obte-nues par radiation synchrotron, ESRF, Grenoble). Noter l’amincissement des corticaleset leur porosité accrue.

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paru, sauf dans les pays ou on continue à utiliser les sels d’aluminiumcomme chélateurs du phosphate ou à ne pas purifier de l’aluminiumles bains de dialyse. L’hypovitaminose D par manque d’apport ali-mentaire de vitamine D native ou par anhélie est fréquente, mais elleest de plus en plus systématiquement compensée par des apports decholécalciférol. L’acidose métabolique altère directement la minérali-sation et sa correction la normalise [28]. L’hypophosphatémie estrare. Elle survient parfois dans des situations cliniques de dénutritionet d’inflammation chronique. Enfin, il est possible que l’excès de ferou de strontium soit potentiellement responsable d’ostéomalacie.Compte tenu des données récentes concernant la minéralisationosseuse et du rôle des SIBLINGS, il est probable qu’une meilleureconnaissance de la physiopathologie des troubles de la minéralisa-tion verra le jour.

4.3 La perte osseuse

La perte osseuse est liée aux troubles du remodelage en rapportl’augmentation de la PTH circulante qui induit un excès de résorptionpar rapport à la formation. La masse osseuse trabéculaire peut – êtrealors augmentée ou basse, alors que les corticales sont le siège s’uneaccentuation de la porosité et d’un amincissement responsables deleur fragilité [29] (figure 3). En l’absence d’HPT II, il est possible quela diminution de la formation osseuse liée à la surexpression de SOSTsoit à mettre en cause. D’autre part, l’hypogonadisme, souvent pré-coce au cours de la MRC chez les femmes et les hommes, vient sesurajouter comme facteur favorisant. De plus, l’état d’inflammationchronique (avec TNF-alpha et IL-6 circulants élevés) entretenu par lestroubles de la nutrition et associés aux modifications de concentra-tions sériques des adipokines pouvant influencer la masse osseusecomme la leptine, la résistine ou l’adiponectine sont autant de fac-teurs pouvant moduler la masse osseuse chez l’urémique [30]. Leurimpact réel n’est pas encore connu. Enfin, les antécédents de trans-plantation rénale étant souvent retrouvés comme facteur risque dediminution de la DMO ou de fractures, il est donc vraisemblable quela corticothérapie et les traitements immunosuppresseurs en généraljouent un rôle important dans la perte osseuse.

5. Conclusion

L’ODR est caractérisée par la combinaison de troubles du remode-lage osseux, de la minéralisation et d’une perte osseuse qui résultentd’anomalies du métabolisme phospho-calcique. On commence àpeine à comprendre les relations physiopathologiques complexesexistant entre ces différents modes d’expression clinique desdésordres métaboliques de l’IRC qui mettent en jeu le pronostic fonc-tionnel et vital des patients urémiques

Déclaration d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

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