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M A R O C

Pour une Politiquede Développement Social Intégré

Mission d’appui du PNUDau Ministère du Développement Social de la Famille et de la Solidarité

Travail réalisé par le Dr Abdeljalil GREFFT-ALAMI

en collaboration avecLaârabi JAIDI et Driss BENALI

" Ensemble pour un développement humain "

Février 2005

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Emmanuel Dierckx de Casterlé Représentant Résident

PNUD Maroc

Abderrahim HAROUCHIMinistre du développement Social,

de la famille et de la Solidarité

P R E F A C E

Le royaume du Maroc s’est résolument engagé au cours des quelques dernières années dansun processus de renforcement et d’intégration de ses politiques sociales. La création, lors duremaniement ministériel de juin 2004, d’un nouveau Département regroupant les institutionsoeuvrant dans le développement social – un pôle social en somme – est une éloquenteillustration de cet engagement.Dés sa mise en place, le Ministère du développement social, de la famille et de la solidarité, enétroite concertation avec les autres départements et l’ensemble de ses partenaires sociaux, aprocédé à une réflexion stratégique.C’est dans ce contexte que le PNUD fut sollicité pour apporter un appui, tout d’abord àl’organisation, en juillet 2004, d’un séminaire réunissant tous les acteurs impliqués dans ledéveloppement social et ensuite, à la réalisation, en guise de suivi, d’un travail d’analyse et deréflexion confié à des experts nationaux.Le rapport que nous avons le privilège de préfacer aujourd’hui constitue l’un des résultatsd’une coopération à plus d’un égard exemplaire entre le Ministère du développement socialet le PNUD.Ce travail représente un effort remarquable d’inventaire et d’évaluation des politiquespubliques menées au Maroc dans le domaine du développement social et dans lavalorisation des ressources humaines du pays.Il apporte aussi une clarification conceptuelle qui permet d’enrichir, par une analysethéorique, les constats de l’analyse empirique.Enfin, il met en relief l’importance cruciale de la bonne gouvernance, de la coordination et del’inter-sectorialité dans la conduite des politiques publiques et des interventions publique etprivée en matière de développement social ainsi que celle du partenariat de la coresponsa-bilité sociale, et de la coopération dans le domaine du développement.

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S o m m a i r e

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

1. Rappel du contenu et des termes de référence de la mission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

2. La démarche et la méthode retenues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

CHAPITRE I

Contexte et clarification des concepts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

1. Le contexte politique économique et social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

2. Clarification conceptuelle du champ des politiques sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

3. Revue critique des définitions et des typologies de la pauvreté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

4. Nouveaux paradigmes en matière de développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

5. Conclusions de l’analyse préliminaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

CHAPITRE II

Etat des lieux et évluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

1. Délimitation du champ de l’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

2. Stratégie de développement économique et cycles de croissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

3. Evaluation des politiques publiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

4. Evaluation des programmes spécifiques

de lutte contre la pauvreté et l’exclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

5. Gouvernance actuelle du développement social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

6. Principaux constats de l’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .95

CHAPITRE III

La stratégie proposée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

1. Les bases théoriques et opérationnelles de la nouvelle stratégie nationale de développement social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

2. Le programme national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

3. Modalités de mise en œuvre de la stratégie et gouvernance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

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1. RAPPEL DU CONTENU DE LA MISSIONET DE SES TERMES DE RÉFÉRENCE

Un remaniement ministériel intervenu au mois dejuin 2004 s’est traduit, entre autres changements,par la création, au sein du gouvernement duMaroc, d’un nouveau département, le Ministère dudéveloppement social, de la famille et de lasolidarité. Ses missions consistent à :

• promouvoir la politique de développement socialet de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale

• répondre aux besoins des catégories sociales fra-giles ayant des besoins spécifiques en renforçantles programmes destinés à la famille, à l’enfance,aux personnes âgées et aux handicapés ;

• promouvoir la solidarité, la participation et lepartenariat.

Au mois d’août 2004, le PNUD a décidé d’appuyerl’action du Ministère en confiant aux experts, auteursdu présent document, la mission d’aider le nouveaudépartement à définir une politique intégrée et unestratégie de développement social à l’horizon 2010.Les termes de référence assignés à cette missioncomportaient globalement l’inventaire etl’évaluation des politiques, des programmes, desinstitutions, des acteurs et des coûts, actuellementimpliqués dans le champ du développement social.Pour parvenir, en fin de compte, à formuler et àproposer les grands axes d’une stratégie comportantune meilleure intégration de tous ces éléments. Leterme “grands axes” est utilisé à dessein sachant queles délais impartis à la mission sont extrêmementcourts (3 mois).

2. LA DÉMARCHE ET LA MÉTHODE RETENUES

Concevoir une politique sociale intégrée et unestratégie de développement social à moyen termene consiste heureusement pas à partir de zéro,mais à partir de ce qui existe ou plus précisémentdu bilan de ce qui existe.

L’ampleur de la mission a néanmoins nécessité latenue de plusieurs réunions préliminaires au siègedu Ministère. Ces réunions ont été consacrées àune réflexion approfondie sur le champ des

politiques sociales, sur les différents anglesd’analyse de ces politiques et sur la méthode detravail à adopter pour les besoins de l’étude. Al’issue de ces réunions, un consensus a permis depréciser :

• la base documentaire à réunir

• la liste des institutions et des acteurs gouverne-mentaux et non gouvernementaux à rencontrer

• les visites sur le terrain à programmer

• le plan et la consistance générale du document defin de mission à produire

• et, enfin, la répartition des tâches après qu’ellesaient été au préalable définies.

Ces réunions ont aussi permis aux experts de fairele constat suivant : une très grande ambiguïtérègne dans le domaine que l’on a l’habitude dequalifier par le terme de “social”. En effet, desvocables tels que politique sociale, développementsocial, secteurs sociaux, dépenses sociales,dépenses de solidarité, aide sociale, action sociale,protection sociale, sécurité sociale, etc. sont cou-ramment utilisés par les uns ou par les autres sansavoir le même sens pour tout le monde.

Constatant cette ambiguïté, les experts ont penséqu’elle était en partie à l’origine de la verticalitéexcessive des politiques et des programmes etprobablement la cause de leur non intégration.Pour dire les choses autrement, le morcellementdes différentes politiques sociales procède d’unevision morcelée des problèmes sociaux.

L’ambiguïté règne aussi dans les définitions et lesdifférentes typologies de la “pauvreté”, de la“vulnérabilité” et de la “précarité”, ou même dansdes termes aussi courants que les “inégalitéssociales” et l’”exclusion sociale”.

Dans ces conditions, tenter de proposer une politiquesociale intégrée et une stratégie de développementsocial n’aurait aucun sens si on ne se préoccupe pas dedéfinir, au préalable, le contenu des politiques socialeset,par rapport,à celles-ci,ce qu’est au juste le dévelop-pement social. Ce dernier constitue-t-il une politiquespécifique centrée sur les pauvres ? Ou bien seconfond-il avec toutes les formes d’intervention

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fondées sur le principe de solidarité et sur l’objectif decohésion sociale,pour finalement les englober toutes?

Dans le même ordre d’idées, vouloir proposer unestratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusionsociale implique de commencer par définir lapauvreté et l’exclusion. Le bon sens consisteraitalors à répondre à des questions telles que : quisont les pauvres, pourquoi sont-ils pauvres et oùsont les pauvres ? Qui sont les exclus, de quoi sont-ils exclus et où sont les exclus ? Autrement dit, unepolitique de réduction de la pauvreté et del’exclusion ne peut être efficace que si elle découled’une bonne connaissance et d’une meilleurecompréhension de ces problèmes sociaux. On peutdonc s’attendre à ce que des politiques fondées surune mécompréhension des causes de persistancede la pauvreté, ou sur une vision réductrice,puissent être remises en cause aujourd’hui à lalumière des concepts et des paradigmes récentsqui tendent à en donner une définition plusextensive et plus exhaustive.

Par exemple, on peut remédier à certains aspectsde la misère sans remédier à tous, c’est ce qui seproduit lorsqu’on réduit la mortalité infantile pardes campagnes de vaccination et de réhydratationorale alors que le revenu des pauvres resteinchangé ; ou encore lorsqu’on construit une écolequi ne sera pas fréquentée en raison des coûtsd’opportunité trop lourds pour y accéder.

L’objectif de réduction de la pauvreté et del’exclusion ne peut être atteint que par une stratégieintégrée dans le temps et dans l’espace ; car dans laplupart des cas, il faut agir en même temps sur lestrois fronts suivants : développement desopportunités, création de dispositifs d’insertionpolitique, économique et sociale, assurance d’unesécurité matérielle susceptible d’atténuer la vulnéra-bilité (aux aléas climatiques, aux catastrophesnaturelles,aux chocs économiques,à la maladie,etc.).

Faisant ce constat préliminaire, les experts ont estiméqu’il était nécessaire d’opérer une clarificationconceptuelle avant tout travail d’inventaire etd’évaluation des politiques poursuivies dans ledomaine social, car elle peut être utile au débatpublic et au processus même d’élaboration de ces

politiques. Cette clarification s’avère d’autant plusnécessaire que :

• d’une part les inégalités sociales ne se réduisentpas aux écarts de revenu entre les riches et lespauvres. La structure inégalitaire de la sociétémarocaine et son déficit d’équité obéissent àd’autres facteurs tels que des facteurs culturelsou d’appartenance à des réseaux, etc.

• d’autre part la politique et les programmes deprotection sociale non centrés sur les pauvressont aussi générateurs d’inégalités sociales lors-qu’ils laissent beaucoup trop de monde sur lebord du chemin.

C’est la raison pour laquelle le contexte et l’envi-ronnement politique, social, sociologique etculturel du pays dans lequel s’élaborent à unmoment donné les principes et les moyens despolitiques sociales, est déterminant pourcomprendre les logiques en présence. Tout autantque l’environnement international et la manière etle rythme adoptés par le pays pour s’insérer dans leprocessus de la mondialisation avec les contrainteséconomiques et sociales qui en découlent pour lui.

Ces réflexions ont permis aux experts d’adopter ladémarche intellectuelle et la méthode suivantes :

• examiner le contexte dans lequel les politiques,les programmes et les stratégies sont conçues

• procéder à une clarification des concepts et faireune revue critique des différentes typologies dela pauvreté et de l’exclusion

• analyser les nouveaux paradigmes en matière dedéveloppement et de gouvernance

• tirer les principales leçons de ces axes d’analyse

• faire l’état des lieux et l’évaluation des politiques etdes programmes en cours à la lumière de la clarifi-cation conceptuelle des nouveaux paradigmes etdes formes concrètes que revêt l’action publiqueau Maroc dans les domaines du développementsocial et de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion

• proposer, à l’issue de cette évaluation, les grandsaxes d’une politique intégrée et d’une stratégiede développement social à moyen terme.

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CHAPITRE I

Contexte et clarification des concepts

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1. LE CONTEXTE POLITIQUE,ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

Le Maroc est engagé, depuis quelques années,dans un processus de mutations rapides et detransformations profondes. Ce processus est d’unetelle ampleur qu’on peut qualifier le Marocaujourd’hui de pays de toutes les transitions :transition démocratique, transition économique,transition démographique, transition sociologiqueet culturelle.

1.1 SUR LE PLAN POLITIQUE ET INSTITUTIONNEL

L’évolution du pays vers la démocratie, l’Etat dedroit et la modernisation est un processus dontl’irréversibilité est garantie au plus haut niveau del’Etat et dont la cadence s’accélère depuis la fin desannées 90.

La transition démocratique est attestée par desréformes majeures visant à approfondir et àaccélérer le processus démocratique, à affirmer laprimauté du droit et la défense des droits del’homme en général, et particulièrement les droitsde la femme, de l’enfant et des catégories socialesfragiles (handicapés, personnes âgées, personnespauvres ou exclues). Parmi ces réformes, troisd’entre elles méritent d’être signalées pourl’importance qu’elles ont dans le cadre de cetteétude. Il s’agit :

• du code des libertés publiques et de l’harmoni-sation de la législation interne avec lesdispositions des instruments internationauxrelatifs aux droits de l’homme ratifiés par le Maroc

• du code du travail et de l’harmonisation deslégislations et des réglementations régissant lesrelations professionnelles et l’exercice deslibertés syndicales

• du code de la famille réformant la Moudawanadans le sens d’une égalisation des rapports degenre (homme-femme) et visant l’intégration dela femme dans la responsabilité politique etsociale et dans le processus de développement.

D’autres réformes ont concerné le secteur de lajustice et celui de l’administration publiquefondées globalement sur le souci d’équité et de

transparence, le souci de modernisation et d’effi-cacité, le respect des droits des citoyens, le souci deproximité et le nouveau concept d’autorité.

A cet égard, il faut noter quatre évolutionsmajeures qui caractérisent le pays :

- La remise en cause implicite et explicite du mono-pole gouvernemental dans la gestion des affairespubliques a favorisé l’émergence et le dynamismede la société civile dans un essor sans précédentdans le pays. La vitalité du tissu associatif, qu’il soitlocal, communautaire, régional et culturel, ou àcaractère général ou national, donne au Maroc unrôle d’avant-garde dans les pays de la région. Lespouvoirs publics ont accompagné ce phénomèneen multipliant les dispositifs réglementaires ainsique les conventions de partenariat, conventionsqui intègrent aussi le secteur privé en général etle monde de l’entreprise.

Ces dispositifs contractuels et conventionnelsentre l’Etat, le secteur privé et la société civile,impulsant de nouvelles formes de régulation, deresponsabilisation, de prise d’initiatives et dedécisions dans le processus de développementéconomique et dans le champ de la solidarité.

- La mise à niveau du processus de démocratielocale : la réforme de la charte communale parune nouvelle loi promulguée en octobre 2002vise à renforcer les compétences des collectivitéslocales et territoriales de manière à obtenir unedécentralisation mieux réussie que par le passé etune meilleure implication des élus locaux dans leprocessus de développement. Cette loi est venuerétablir aussi une gestion municipale unifiée pourles six plus grandes villes du pays.

- L’élargissement des compétences des serviceslocaux de l’administration centrale et les nou-velles règles de gestion budgétaire, vise unedéconcentration mieux réussie que par le passé etune véritable politique de proximité.

- Enfin la mise à niveau du champ politique estl’objectif visé par le projet de loi sur les partispolitiques. Cette mise à niveau a pour dessein declarifier le champ politique, sortir de l’émiet-tement actuel de la représentation nationale en

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favorisant l’émergence de pôles capables deconstituer un gouvernement homogène,apporter de la transparence aux règles defonctionnement et de financement des partistout en renforçant leur démocratie interne, etenfin d’immuniser le pays contre les tentativesd’exploiter la religion à des fins politiquesextrémistes.

Cette brève revue du contexte permet de constaterque le pays est doté d’atouts institutionnelsimportants pour améliorer la qualité du processus deformulation et de conduite des politiques publiqueset pour améliorer la qualité de la gouvernance.

Cependant, et en anticipant sur l’évaluation quisera développée au chapitre II, il est utile de noterdès maintenant une certaine dichotomie entre laqualité des institutions et des lois et la qualité despratiques, tant que demeurent importantes desrésistances et des inerties aux changements voulussur le plan politique. Cette dichotomie étantprobablement la cause des pertes d’efficacité despolitiques publiques.

1.2. SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE

La transition est marquée par l’ouverture del’économie nationale et son intégrationprogressive dans l’économie mondiale. Cettedynamique d’ouverture a été jalonnée par desétapes successives de libéralisation des échanges :accord OMC, accord d’association avec l’Unioneuropéenne, accord de libre échange avec lesEtats-Unis, la Turquie, et plus récemment avec laTunisie, la Jordanie et l’Egypte (et d’autres accordsen cours de négociation).

Cette phase d’intégration de l’économie dans lamondialisation des échanges a été préparée etrendue possible par des efforts importantsconsentis par le pays pour mener des réformeséconomiques et financières majeures afin desurmonter les contraintes et de lever les distorsionsqui inhibaient son potentiel de croissance. Cesefforts ont été constants au cours des deuxdernières décennies : les années 80 étant celles del’ajustement, de la stabilisation macroéconomiqueet des réformes structurelles, les années 90 étant

celles de la libéralisation et de la déréglementationde la plupart des secteurs de l’économie ainsi quecelles du rattrapage des déficits en matière d’infra-structures physiques et des déficits sociaux.

L’ensemble des prix ont été libérés à l’exceptiond’un petit nombre de denrées de premièrenécessité, faisant l’objet de subventions ou decompensations.

Le désengagement de l’Etat des secteurs concur-rentiels s’est traduit par des transferts importantsde capitaux au secteur privé national et étranger.

Des conditions favorables ont ainsi été aménagéespour faciliter la transition et le passage d’uneéconomie protégée à dominante étatique à uneéconomie libérale de marché ouverte surl’extérieur et en cours d’insertion progressive dansl’économie mondiale.

Le partage des responsabilités entre l’Etat et lesecteur privé évoqué au paragraphe précédentsous l’angle politique est aussi à l’œuvre dans lareconfiguration du rôle de l’Etat dans le domainede l’économie : à l’Etat incombent désormais lesrôles d’arbitrage, de réglementation et derégulation et la garantie de l’équité par la redistri-bution des revenus. Au secteur privé et au marchéen général incombent les rôles de la création derichesse et de la relance de l’activité économiquepar l’investissement, y compris dans lesinfrastructures et les secteurs sociaux.

Les incitations à l’investissement privé national etétranger sont très fortes et font l’objet d’unedynamique de réformes positives (malgréquelques points faibles persistants comme lacorruption et le manque de confiance dans lajustice des affaires économiques).

La dynamique macroéconomique est globalementbonne en dépit de la tendance récente à la reprisedu déficit budgétaire et en dépit du déficit de labalance commerciale. Mais elle ne s’accompagnepas, pour autant, d’un niveau de croissance suffisant.

La croissance réelle du PIB a été respectivement de4,1% au cours de la période 1986-1991, de 1,8% aucours de la période 1991-1999 et de 4% au cours dela période 1999-2003. Sur l’ensemble de ces deux

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décennies, la structure du PIB a peu varié : lesecteur primaire représente 16%, le secteursecondaire 35% et le secteur tertiaire 53%.

Le faible taux de croissance enregistré dans lesannées 90 s’explique en grande partie par la faibleperformance de l’agriculture qui a connu, au coursde cette période, une moyenne annualisée derégression de -0,3%. La croissance globale dépenddonc en grande partie de la croissance agricole. Savariabilité et sa volatilité sont en rapport avec desfluctuations spectaculaires de la productioncéréalière : 17 millions de quintaux en 1995 et 97millions de quintaux en 1996. En raison de lasévérité de la sécheresse (3 années sèches sur 4), lavaleur ajoutée du secteur agricole a été stagnantesur plus d’une décennie, ce qui explique l’aggra-vation de la pauvreté rurale enregistrée sur lamême période. L’agriculture n’est pas seule encause dans la faiblesse de la croissance, les années90 ayant aussi enregistré une perte de compéti-tivité du secteur manufacturier et une tendance auralentissement de l’activité économique.

L’économie marocaine, malgré les efforts consentiset les réformes accomplies, demeure trèsvulnérable aux chocs intérieurs (aléas climatiques),et aux chocs extérieurs (prix des hydrocarbures etfluctuations monétaires). Beaucoup reste à faireface aux défis qui attendent le pays.

1.3. SUR LE PLAN SOCIAL

En 20 ans, des progrès notables ont été accomplis,attestés par l’évolution positive de la plupart desindicateurs sociaux et socioéconomiques.

Mais les progrès enregistrés sont constammentmeilleurs en milieu urbain qu’en milieu rural où lesdéficits sociaux persistent s’accompagnant d’unerecrudescence de la pauvreté rurale observée dansla décennie 90. Pourtant depuis le milieu de cettedécennie, les dépenses publiques dans les secteurssociaux ont connu une forte progression, particu-lièrement dans le milieu rural et les provincesdéfavorisées. D’ambitieux programmes d’infra-structure à orientation rurale comme le PERG, lePAGER, le PNCRR sont venus compléter lesdépenses publiques sociales sectorielles et les

autres programmes de développement rural, cequi pose manifestement les problèmes de l’effi-cacité, du ciblage et de l’inertie des dépensespubliques en matière sociale. Pour ne prendrequ’un seul exemple et pour s’exprimerfranchement, les résultats de la politique de santéen milieu rural sont nettement décevants, les tauxde mortalité infantile et maternelle qui y prévalentétant indignes d’un pays du niveau de dévelop-pement du Maroc. On peut en dire autant de l’anal-phabétisme et des performances tant quanti-tatives que qualitatives de la politique d’éducation.Plus fondamentalement, malgré la reprise de lacroissance économique, le rythme de cettecroissance apparaît nettement insuffisant pourrésorber les déficits sociaux persistants, faire face àla montée en puissance des nouveaux besoinssociaux et surtout affronter l’augmentation de lapopulation active.

En effet, en ce début de millénaire, la questionsociale au Maroc revêt deux aspectsfondamentaux :

• la situation de plus en plus préoccupante del’emploi et la montée en puissance du chômagede masse ;

• la persistance, voire la recrudescence de lapauvreté et des inégalités sociales malgré lesefforts des pouvoirs publics pour les réduire, larépartition des revenus et des patrimoines ausein de la société marocaine demeurant trèsinégalitaire.

Le taux de chômage national estimé à 12% masquemal les réalités suivantes : le chômage urbain est de19,5% et dépasse les 30% pour les diplômés del’enseignement supérieur. Le taux de chômagerural estimé à 4,5% est à un niveau relativementbas en raison des critères retenus. Mais ce tauxcache mal une réalité qui est tout autre : surplus demain-d’œuvre, excédent de la force de travail etsous-emploi très importants. Cette réalité étant levéritable moteur de l’exode rural, les cycles desécheresse ne faisant que l’amplifier.

Du reste, des causes cumulatives ont été à l’œuvredans la montée des tensions sur le marché de

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l’emploi. L’application des programmes de stabili-sation et d’ajustement structurel, les faiblesperformances de la croissance et de l’investis-sement, la relative stagnation du PIB industriel etle cycle rapproché des années de sécheresse ontaggravé la détérioration de la situation sociale.

Face à ces besoins, les mesures et les programmesrelatifs à la politique de l’emploi ont donné desrésultats peu probants, tant il est vrai que laréduction du chômage passe obligatoirement parun taux de croissance économique plus élevé,supérieur à 5% et par des mesures actives plusfavorables à la création d’emplois.

Etant donné ces déterminants macroéconomiqueset macrosociaux ; l’incidence de la pauvreté sousses différentes formes reste élevée dans le paysainsi que les inégalités de revenu. Au cours de ladécennie 90, les 20% les plus aisés de la populationont amélioré leur part dans les dépenses totales de1,5 point, celle des 20% les plus défavorisés ayantrégressé de 1,7 point. Dans le milieu rural, unepersonne sur 4 est pauvre, alors qu’on ne comptequ’un pauvre sur 10 en ville. La campagneconcentre 67% de la pauvreté totale, bien que lapauvreté urbaine tend à augmenter rapidement, àun rythme supérieur à celui de l’exode rural, ce quidémontre l’impact social néfaste du chômage.

1.4. SUR LE PLAN DÉMOGRAPHIQUE

La transition démographique que connaît leMaroc va s’achever plus tôt que prévu. Le déclinprogressif de la fécondité se poursuit et levieillissement progressif de la population vaconsidérablement s’accélérer à partir de 2020,date à laquelle les nombreuses cohortes dubaby boom nées dans les années 60 vontfranchir le cap des 60 ans.

Pour résumer les choses, on peut dire que leMaroc connaîtra dans les deux décennies 2000-2020 une période d’aubaine démographique queles spécialistes qualifient d’”âge d’or” démogra-phique. Cet effet d’aubaine réside dans lescaractéristique suivantes : une diminution dupourcentage des moins de 15 ans, un élargis-sement considérable du pourcentage des 15-59

ans, c’est-à-dire des personnes d’âge actif et uneaugmentation encore modérée des plus de 60ans. Au cours de cette période, les charges quipèsent sur les actifs vont être transférées progres-sivement du bas vers le haut de la pyramide, ou,pour dire les choses en termes simples, lestransferts vers les enfants vont diminuer alors queceux en direction des personnes âgées vontaugmenter, le poids relatif des dépensesd’éducation ayant tendance à s’alléger en volumealors que celui des dépenses de retraite auratendance à s’alourdir. Cet alourdissementdeviendra considérable après 2025.

Que retenir au juste, pour les besoins de cetteétude, des évolutions démographiques ? Deux outrois choses :

- En l’absence d’une croissance économique forteet soutenue, le Maroc ne pourra pas exploiterl’effet d’aubaine et la fenêtre démographiquefavorable des deux premières décennies dumillénaire. En effet, l’augmentation considérablede la population active induira une très fortedemande d’emploi qu’il faudra bien satisfaire.C’est le défi majeur pour le pays au cours des 15prochaines années. Si la tendance de croissanceactuelle de l’économie se maintient, les tensionssur le marché du travail risquent de devenirintolérables et de peser lourdement sur le climatsocial et la cohésion sociale en reproduisant lapauvreté et en créant de nouvelles formes depauvreté.

Car il faut bien comprendre que la faiblesse de lacroissance économique est doublementresponsable de la persistance ou de l’extensionde la pauvreté : non seulement elle créedirectement de nouveaux pauvres, mais elle ôtesimultanément à la collectivité les moyensfinanciers pour lutter contre la pauvreté.

- Le Maroc, comme d’autres pays en dévelop-pement, risque de devenir “vieux” avant d’être“riche”alors que les pays industrialisés sontdevenus “riches” avant d’être “vieux”. Cela estd’autant plus préoccupant que les gainsd’espérance de vie ont été plus rapides dans lespays en développement. C’est dire les besoins

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énormes de financement de la protection socialeen direction des personnes âgées. Compte tenudu fait que le système national de retraites mis enœuvre ne couvre qu’une fraction des actifssalariés (en raison de la taille du secteur informelet donc de l’importance de l’élusion et del’évasion sociofiscale) et qu’il exclut, pour lemoment, la fraction la plus importante de lapopulation active, c’est-à-dire les travailleursindépendants (artisans, commerçants, exploitantsagricoles, professions libérales, etc.), il est à craindreque l’âge devienne demain un facteur supplé-mentaire et prédominant de pauvreté, les “workingpoors”devenant peu à peu des vieux pauvres.

- La transition démographique se manifeste aussidans l’espace comme l’évolution historique leprouve dans à peu près tous les pays ; en 2020,plus des deux tiers des Marocains seront citadins.Cumulé avec le déclin de la fécondité, les gainsrelativement rapides en matière d’espérance devie et le vieillissement progressif de la population,ce processus d’urbanisation accélérée induit unetransition épidémiologique qui alourdit la chargede morbidité. Le Maroc n’a pas encore maîtrisé sesmaladies de pays pauvre alors qu’il connaît uneaugmentation rapide des maladies dites des paysriches. Le système de santé doit améliorer nota-blement ses performances tant du point de vuede l’équité du financement de l’accès aux soinsque du point de vue de la qualité de l’offre desoins. La lenteur des réformes dans ce domainelaisse persister des inégalités criardes dans l’étatde santé des Marocains en fonction de leur statutsocioéconomique. Qu’en sera-t-il demain quandles nouveaux besoins de santé exigeront destechnologies et des moyens de plus en plus coû-teux ?

1.5. SUR LE PLAN SOCIOLOGIQUE ET CULTUREL

Des transformations en profondeur traversent lasociété marocaine. Ces transformations dont cer-taines sont positives et d’autres le sont moins, sontla rançon en quelque sorte de la modernité et de lamodernisation des mœurs. Elles affectent lesmodes de vie, les modes de consommation, lesstructures familiales. Elles revêtent parfois la forme

de mécanismes d’autorégulation sociale sous lapression des difficultés économiques que connais-sent les ménages. Ainsi en va-t-il du phénomène derecohabitation ou de décohabitation différée quel’on note chez nombre de jeunes : en cherchantauprès de leurs familles une protection contre lesconséquences matérielles et psychologiques desdifficultés d’embauche qu’ils rencontrent, ils fontjouer des solidarités privées qui complètent ou sesubstituent à un dispositif public qui leur est peufavorable. Ce faisant, ils limitent l’extension de lapauvreté, du moins de celle que l’on pourrait cal-culer par ménage, c’est-à-dire par cellule financiè-rement autonome. On pourrait en dire autant pourl’hébergement familial des parents âgés, des fillesdivorcées ou des parents sans ressources. Mais cessolidarités familiales et communautaires liées à latradition et aux valeurs socioculturelles propres aupays ont elles-mêmes leurs limites. On peut mêmedire que le délitement et l’épuisement de cesréseaux de solidarité traditionnels, la montée encharge des nouvelles formes de pauvreté et lapression accrue sur l’Etat qu’exerce une demandede protection sociale publique de plus en plus vive,ont un destin lié. Nous verrons au paragraphe 3comment l’épuisement de ces réseaux et les trans-formations des modes de vie génèrent l’exclusionsociale.

2. CLARIFICATION CONCEPTUELLEDU CHAMP DES POLITIQUES SOCIALES

2.1. LEVER L’AMBIGUÏTÉ QUI PÈSESUR LE TERME "SOCIAL"

Qu’est-ce que le social ? Si l’on pose une tellequestion au citoyen ordinaire, il ira probablementchercher la réponse dans les journaux qu’il litd’habitude en essayant de se remémorer ce qu’ilsmettent dans leur "rubrique sociale", ou bien dansla composition du gouvernement en essayant dese rappeler la liste des ministères dits "sociaux". Laréponse n’est pas si facile qu’il ne paraît et la plussimple serait encore la plus exhaustive : le socialenglobe tous les aspects des conditionsd’existence des individus.

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Ainsi entendue globalement, la politique sociale aun champ beaucoup plus vaste que celui habituel-lement retenu par les praticiens et les hommespolitiques. En toute rigueur et en toute logique,toute la politique économique d’un gouvernementpourrait figurer comme un élément de la politiquesociale : en effet, les efforts de relèvement de l’effi-cacité et de la croissance économique, de pleinemploi, de stabilité des prix, etc. n’ont de raisond’être ultime que d’améliorer les conditions de viede l’ensemble de la population. Il est toutefoisclassique de faire une distinction entre la politiqueéconomique stricto sensu, dont les effets sontglobaux, et la politique sociale qui se préoccupe,pour des individus ou des groupes d’individus, dela répartition des revenus entre ménages, de lanature des biens et des services disponibles, del’insertion de l’individu dans le systèmeéconomique, dans le système d’éducation, dans lesystème de santé, dans le système de protectionsociale et dans la société en général.

2.2. DÉLIMITER PLUS NETTEMENTLE DOMAINE DES POLITIQUES SOCIALES

En partant de cette définition extensive, on peutpréciser le contenu du social en distinguant 4domaines :

A. les relations professionnelles et l’emploi

B. la protection sociale

C. les politiques sociales sectorielles

D. les politiques sociales transversales

Les deux premiers domaines relèvent de laconception traditionnelle du social et mettent enexergue le rôle majeur du travail et de l’emploi dansl’organisation économique et sociale. Les deux autresélargissent le champ des politiques sociales aux autresaspects des conditions d’existence des individus sansréférence au travail ou à l’emploi.

A. Les relations professionnelles et l’emploi

Les relations professionnelles font l’objet de poli-tiques dont les instruments essentiels résidentdans la législation du travail, la réglementation, lapolitique contractuelle et les conventions collec-

tives : durée du travail, rémunération du travail,salaire minimum, contrats de travail, statuts, exerci-ce du droit syndical, contentieux du travail, etc. sontles éléments régis par ce domaine de la politiquesociale animé par le triptyque classique Etat et"partenaires sociaux" (syndicats de travailleurs etorganisations patronales). L’ensemble de ces dis-positions ont été récemment harmonisées dans leCode du travail dont les décrets d’application sonten cours d’adoption.

La politique de l’emploi porte sur la nature et levolume des emplois et puise ses moyens dans lapanoplie des instruments de la politique écono-mique.

Ces interventions, relations professionnelles etpolitique de l’emploi ont pour point de chute, entermes de comptabilité nationale, le revenu primai-re des ménages qu’ils tirent de leur contribution àl’activité de production.

Au Maroc, la conduite de cette politique estconfiée au Ministère de l’Emploi et de laFormation professionnelle, qui assure aussi latutelle administrative sur la CNSS et la mutualité,le Secrétariat d’Etat à la Famille, à l’Enfance et auxPersonnes handicapées, l’Entraide nationale,l’Agence de Développement social et la Directionde l’action sociale ayant été transférés au nou-veau Ministère.

B. Le domaine de la protection sociale

Appelé aussi domaine de la sécurité sociale, il peutêtre défini par la nature des risques contre lesquelson cherche à protéger les individus ; ces risquesdits "sociaux" font référence aux droits fondamen-taux : droit au travail, droit à la santé, droit à la sécu-rité matérielle.

Face aux événements prévus ou non (la vieillesse,par exemple, n’est pas un risque) qui compro-mettent ces besoins sociaux (maladie, accidents,accidents de travail, invalidité, décès, chargesfamiliales, vieillesse, chômage), la réponsecollective peut être celle de l’assurance sociale quiprotège ceux qui participent aux mécanismes definancement, ou celle de l’assistance qui, elle, excluttout lien, au niveau individuel, entre protection et

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financement préalable. Le financement del’assurance sociale se fait par des cotisationssociales obligatoires ; celui de l’assistance a recoursà l’impôt et au budget de l’Etat (bien que denombreux systèmes d’assurance sociale et desécurité sociale distribuent des prestations dites"non contributives" telles que la pension minimumpar exemple).

Quels que soient les mécanismes retenus, laprotection est réalisée par la distribution deprestations sociales aux bénéficiaires quiconduisent à la formation du revenu disponibledes ménages et donc à la correction du revenuprimaire. C’est pourquoi le domaine de laprotection sociale remplit une triple fonction :solidarité, assurance et redistribution des revenus.

Au Maroc, le domaine de l’assurance socialeconcerne les régimes obligatoires de sécuritésociale : CNSS, régime obligatoire des accidents dutravail, CMR et RCAR, AMO. Le domaine de l’assis-tance concerne les filets de sécurité : compensationet subventions alimentaires, Entraide nationale,Promotion nationale, cantines scolaires, program-me sécheresse, RAMED, etc.

Lorsque la protection de certains groupes ou decertaines catégories observe un caractèrevolontaire et facultatif, on n’utilise plus le termed’assurance sociale, mais celui de prévoyancesociale : c’est le cas des mutuelles ou des caissesd’entreprise dont le statut demeure cependantrégi par la loi. C’est aussi le cas des caisses deretraite complémentaire et de produits à mi-chemin entre l’assurance-vie et la prévoyancesociale comme Damane El Hirafi, Damane El Bahri,etc.

Les besoins de sécurité et de protection ne se limi-tent pas aux risques sociaux, c’est la raison pourlaquelle l’Etat dans son rôle régalien assume unefonction de protection contre la violence et lestroubles, assure la sécurité des personnes et desbiens, et intervient en cas de catastrophe naturelle,industrielle ou écologique (sécheresse, inonda-tions, séismes, incendies, etc.) en faisant jouer lasolidarité nationale en faveur des sinistrés.

C. Les politiques sectorielles

Elles visent les conditions d’existence desindividus indépendamment d’une activité profes-sionnelle et de la protection sociale à l’égard desrisques collectifs.

L’éducation, la formation professionnelle, la santé,le logement, l’équipement et l’aménagement duterritoire, les transports en commun, la jeunesse etles sports, la culture : toutes ces politiques consis-tent à fournir des services collectifs ou à agir sur laproduction de biens et de services marchands.

En fait, chacune de ces politiques sectoriellesapporte une contribution à la politique sociale et àla lutte contre la pauvreté même si ce n’est pas leurobjectif unique ou explicitement affiché.

La politique d’éducation, de formation et d’alphabé-tisation constitue à n’en pas douter le volet essentield’une action à long terme de développement socialet de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. C’est lemécanisme essentiel du processus que l’on appellecommunément l’"ascenseur social", lorsqu’unsystème éducatif efficace en termes de volume et dequalité permet aux individus d’acquérir les qualifi-cations nécessaires à une insertion sociale réussie(emploi et revenu).

La politique de santé représente un autre voletessentiel de lutte contre la pauvreté. Plus généra-lement, couplée avec l’éducation, elles constituentles deux politiques publiques majeures de redistri-bution. Les indicateurs de santé ruraux étant desstigmates évidents de la pauvreté autant que l’illet-trisme et l’analphabétisme, l’éducation et la santéconstituent donc deux axes prioritaires de luttecontre la pauvreté.

La politique de l’habitat contribue clairement audéveloppement social et à la prévention del’exclusion. Parce que la qualité de l’habitat ou salocalisation sont des indices de la situation socialede leurs occupants, la lutte contre l’habitatinsalubre, la résorption des bidonvilles, la réhabili-tation des quartiers, les programmes delogements sociaux combinant le financement del’offre et de la demande afin de faciliter lesprocédures de relogement, constituent des

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actions efficaces de réinsertion sociale et depréservation de la paix sociale. Couplées avecl’urbanisme et l’aménagement du territoire, cespolitiques visent le bien-être de la population(pauvres et non pauvres), contribuent à laproduction du lien social et à l’objectif du "bienvivre ensemble" dans un cadre de vie apaisant lestensions urbaines qui règnent entre les centresdes villes et leurs périphéries.

Les politiques de la jeunesse et des sports, des loisirset de la culture visent elles aussi l’épanouissementdes individus et la reproduction du lien social.

La pratique de subventions dans les transports encommun dans les villes ne vise pas spécifiquementles pauvres urbains mais ses objectifs sociaux etsociétaux sont assez évidents pour être adoptésdans la plupart des grandes villes du monde.

Enfin, sans être à proprement parler sectorielle, lapolitique économique elle-même a une finalitésociale malgré la persistance du dilemme classiqueentre "efficacité économique" et "équité sociale".Quant à la politique de l’emploi, le SMIG n’a-t-il pasen partie vocation à prévenir la pauvreté ouvrière ?Tout comme la réglementation visant à réduire lesformes précaires du travail ? Et la pension minimalede vieillesse n’a-t-elle pas pour objectif de réduirela pauvreté liée à l’âge ?

C’est dire comment se conjuguent toutes cespolitiques et tous leurs effets, même s’ils ne sontpas toujours spécifiquement recherchés, pourcontribuer à la politique sociale et à la lutte contrela pauvreté et l’exclusion ; c’est là que réside l’expli-cation de l’émergence d’un quatrième domainedes politiques sociales.

D. Les politiques sociales transversales

Elles traversent les trois domaines précédents. Enraison de leur aspect intersectoriel ou multisec-toriel, elles exigent une action concertée etcoordonnée, dans l’espace et le temps, entrepartenaires appartenant à chacun des troisdomaines précédents.

C’est typiquement le cas de la politique de lutte contrela pauvreté et l’exclusion qui, comme nous l’examine-rons au paragraphe suivant, nécessite forcément une

action multidomaines concertée. C’est aussi le cas dudéveloppement rural durable,de la politique de proxi-mité, de la réhabilitation sociale des quartiers, etc.

Au terme de cette démarche de clarification despolitiques sociales, on serait tenté de dire que ledéveloppement social englobe chacun des quatredomaines précités, mais l’usage qui en est retenupar les praticiens se limite au quatrième et concer-ne en général les interventions à caractère trans-versal. C’est cet usage qui sera retenu dans cedocument chaque fois que l’on emploiera par lasuite le terme de développement social.

Quant à la solidarité, elle ne constitue pas une poli-tique au sens propre du terme. La solidarité est unevaleur. Au même titre que l’équité et la justicesociale, souvent confondues entre elles, ces troisvaleurs fondent l’éthique collective d’une société.Ainsi une société est dite plus ou moins solidaireselon les degrés de justice sociale, d’équité et deprotection sociale qui y règnent. A titre d’exemple,les régimes d’assurance sociale sont fondés à la foissur une valeur (la solidarité) et sur une technique(l’assurance), mais la solidarité qu’ils peuventmettre en jeu peut être catégorielle, uniquementréservée à certains groupes sociaux, ou universelleet étendue à toute la population.

La solidarité est souvent confondue aussi avecl’altruisme, la compassion, la générosité qui sontd’autres valeurs morales. Ces dernières sont àl’œuvre dans les interventions de la société civileen direction des pauvres, des démunis, des exclus,des enfants abandonnés, des handicapés, desfemmes seules ou victimes de violence, etc. L’Etat,qu’il intervienne directement en faveur de cesgroupes fragiles et défavorisés, ou qu’il se contentede verser des subventions aux actions de la sociétécivile, fait lui aussi preuve de compassion,d’altruisme et de générosité sociale. La nuanceréside dans le fait que l’action civile est souventperçue comme de la bienfaisance et de l’huma-nitaire, alors que l’action publique est érigée ensolidarité et figure de ce fait comme uneattribution d’un secrétariat d’Etat ou d’undépartement ministériel. Il n’en demeure pasmoins que l’Etat, qui est l’émanation collective

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d’une communauté nationale, peut donnerl’exemple et l’émulation appropriée en matière decomportements solidaires de la société. Lesexemples les plus charismatiques et les plusemblématiques étant la Fondation Mohamed Vpour la solidarité, la Fondation Mohamed VI pourles œuvres sociales et la Fondation Mohamed VIpour la réinsertion des détenus.

On ne saurait clore ce paragraphe consacré à laclarification des concepts sociaux sans dire un motde ce que l’on entend en général par "actionsociale", "aide sociale", "travailleurs sociaux","ingénierie sociale".

Dans la pratique, on prend souvent les deux motsaction sociale et aide sociale l’un pour l’autre, caron a tendance à les confondre ou à les fusionner.Pourtant la différence théorique est assez claire :l’aide sociale, ayant un fondement légal (commel’Entraide nationale par exemple) est régie par destextes de loi qui en font un droit au bénéficeduquel on est admis suite à une procédure tendantà vérifier l’état de besoin allégué par le demandeur.Sa confusion théorique et juridique avec l’assistan-ce est donc légitime que l’Etat distribue directe-ment des prestations d’aide ou qu’il se contente deverser des subventions.

L’action sociale se compose d’actions non obligatoiresmenées par des organismes publics en direction degroupes spécifiques ou de larges fractions de lapopulation : par exemple, l’action sociale d’une caissede sécurité sociale peut être une prérogative de sonConseil d’administration, de même que des mutuellesou des comités d’entreprise peuvent déployer uneaction sociale à travers ce qu’ils appellent leurs"œuvres sociales".L’action sociale qualifie aussi lesinterventions des associations et de la société civiledans le domaine social ou culturel tout autant quecelles des collectivités locales.

Les travailleurs sociaux sont des personnes profes-sionnellement impliquées dans le domaine dudéveloppement social, de l’assistance, de l’aidesociale et de l’action sociale. Ils appartiennent soit àla fonction publique (administration des institu-tions sociales et collectivités locales), soit au secteurprivé au service des associations, fondations, etc.

Traduit du concept anglo-saxon engineering, l’in-génierie désigne l’étude de projets dont lesaspects doivent être soigneusement analysésavant de passer à la réalisation. Appliquée audomaine social, la définition la plus moderne del’ingénierie englobe l’ensemble des techniques etdes savoir-faire qui permettent le diagnostic, lamise en œuvre, la coordination et l’évaluation deprojets sociaux.

L’ingénierie sociale inclut :

• l’ingénierie de l’action sociale qui concerne la viesociale, l’animation et le travail social (ex.animation sociale des quartiers) ;

• l’ingénierie du développement social qui consisteà concevoir les mesures, prévoir leurs consé-quences, simuler leur mise en œuvre, tester desvariantes, prévoir les problèmes que posera leurapplication à court ou à long terme et étudier lesproblèmes de fonctionnement des institutionschargées de les appliquer.

La préparation des mesures comporte des aspectsjuridiques liés à l’environnement institutionnel. Elles’appuie sur les données statistiques disponibles,des enquêtes éventuelles pour les compléter, desprojections et des simulations, des prévisions àcourt ou long terme, avec ou sans mesures nou-velles, la conception d’instruments pour mesurerles effets des mesures envisagées ou program-mées. A défaut de ces approches méthodiques, onrisque de s’attaquer à des problèmes complexesavec des instruments inadéquats.

Les prévisions et les simulations peuvent revêtir unaspect général, macroscopique, dans le cadre d’unensemble de mesures. Elles peuvent à l’inverse selimiter à un groupe cible et à l’étude des effetsdirects d’une mesure catégorielle.

L’ingénierie sociale comporte fondamentalementune démarche d’évaluation : la prévision étant enquelque sorte une évaluation ex ante ou a prioridestinée à éclairer les choix et à préciser les effets(voulus, induits, différés).

L’évaluation lui est symétrique et a pour but d’as-surer une surveillance permanente de l’action,d’éviter les déviations, de constater les lacunes,

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de préconiser les ajustements éventuels de tra-jectoire.

Un projet bien construit doit l’être de manière àrendre l’évaluation efficace et peu coûteuse. Ladémarche évaluative concerne à la fois la conditionde réalisation, les modalités de gestion par les ser-vices administratifs et les autres acteurs du projetainsi que le degré de réalisation des objectifs.L’ingénierie sociale doit être développée à tous lesniveaux dans le cadre d’une formation appropriéeau service tant des acteurs sociaux locaux, des col-lectivités locales, des ONG que des acteurs admi-nistratifs locaux, intermédiaires et centraux. C’estl’une des recommandations essentielles formuléesdans le cadre de la nouvelle stratégie.

A l’issue de ces précisions, concernant le contextedu pays, ainsi que de la clarification des objectifsdes politiques sociales en général, on est mieuxarmé pour analyser et comprendre l’évolution dela politique sociale au Maroc à travers sesdifférentes étapes. Ces étapes étant elles-mêmesle reflet de l’évolution politique et culturelle et decelle des enjeux économiques et sociaux. Tant ilest vrai que si le choix des objectifs est largementpolitique, le choix des instruments est trèsfortement influencé par les traditions, la religion(zaqat, waqf et habous par exemple), les habitudescommunautaires de la population et sapsychologie, ainsi que par la structure socioéco-nomique du pays (part relative des ruraux et descitadins, rapport villes-campagnes, part relativedes salariés et des non salariés, structuressectorielles d’activité, etc.) qui déterminent lesdonnées concrètes des problèmes. Il en résulteque les réponses aux préoccupations "sociales"évoluent dans le temps et qu’elles sont asseznettement différentes d’un pays à l’autre quel quesoit le niveau de développement ou de revenu parailleurs. Concevoir une politique sociale intégréeet une stratégie de développement social pour leMaroc à l’horizon 2010 implique de bien garder àl’esprit les mécanismes et les causes qui animentles objectifs poursuivis, les effets escomptés et leseffets observés, des politiques sociales qui ont étémenées dans le pays jusqu’à présent.

3. REVUE CRITIQUE DES DÉFINITIONSET DES TYPOLOGIES DE LA PAUVRETÉ

Cette section du document est consacrée elle aussià un "toilettage conceptuel", mais cette fois-ci pourtenter de mettre de l’ordre dans la signification desdifférentes formes de pauvreté et d’exclusionsociale. Auparavant on fera un bref rappel quanti-tatif de la pauvreté au Maroc selon les définitionset les chiffres officiels.

3.1. DONNÉES RÉCENTESSUR LA PAUVRETÉ AU MAROC

Au Maroc, le niveau de la pauvreté (encore appelétaux de pauvreté) est mesuré au moyen de critèresbasés sur le revenu, ou plus précisément, enl’absence de méthodes fiables pour évaluer celui-ci, sur le niveau de consommation des ménages.

Selon les seuils de consommation retenus en 1999(3922 DH en ville et 3037 DH en milieu rural), letaux de pauvreté est estimé à 19% de la popula-tion. La pauvreté mesurée sur la base de ce critèreéconomique construit, censé refléter le niveau derevenu, obéit à une définition et une dimensionmonétaire de la pauvreté.

Cette pauvreté est dite relative : elle se compose deplusieurs sous-groupes allant d’une échelle de basen haut dont chaque barreau est défini selon unpanier de biens de consommation de base,pauvreté avec moins de 1 dollar par jour, pauvretéalimentaire et pauvreté absolue.

Plus précisément, le seuil de pauvreté relative est lasomme de deux composantes :

• La composante alimentaire est approchée par lecoût d’un panier de biens et services alimentairespermettant le minimum requis en calories (2400kilocalories par équivalent adulte), norme recom-mandée par la FAO et l’OMS.

• L’estimation de la composante non alimentaire estréalisée conformément à l’approche d’allocationdes dépenses non alimentaires recommandée parla Banque mondiale.Elle consiste à majorer la com-posante alimentaire par le coût des acquisitionsnon alimentaires réalisées par les ménages quiatteignent effectivement le minimum requis.

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Ainsi déterminé, le seuil de pauvreté relative en2001 est de 1701 DH par mois pour un ménagemoyen urbain (5,6 membres) et de 1735 DH parmois pour un ménage moyen rural (6,4 membres).En deçà de ce seuil, on est pauvre, au-delà on nel’est pas.

Au-delà de ce seuil, un ménage est dit vulnérablelorsque sa dépense totale est inférieure à 1,5 fois leseuil de pauvreté, soit 2552 DH par mois en milieuurbain et 2603 DH par mois en milieu rural.

On voit tout de suite les limites de cette approchestrictement monétaire puisqu’à quelques dirhamsprès on est pauvre ou vulnérable ou on ne l’est pas,d’où l’importance de la corrélation des indicateursde pauvreté et de vulnérabilité monétaire avec lesautres indicateurs socio-économiques, et notam-ment les indicateurs d’accès effectif aux infrastruc-tures de base et aux services sociaux (éducation etsanté).

Au cours des trente dernières années, le taux depauvreté relative a évolué de la façon suivante :42,4% en 1970-71, 21% en 1984-85, 13,1% 1990-91,19% en 1998-99. Le processus de régression de lapauvreté s’est donc nettement estompé dans lesannées 90 pour les raisons que l’on a déjà évo-quées plus haut, sécheresse et crise agricole, faiblecroissance de l’économie durant la décennie.

Cette pauvreté est essentiellement rurale : 1 ruralsur 4 est pauvre contre 1 urbain sur 10. Mais la pau-vreté urbaine croît à un rythme très rapide et repré-sente aujourd’hui un tiers de la pauvreté totale.

Des travaux récents (Haut Commissariat au Plan,Banque mondiale) ont permis de préciser la distri-bution spatiale et d’identifier les poches majeuresde pauvreté au niveau le plus fin possible, celui dela commune. Cette carte détaillée de la pauvreté auMaroc, corrélée avec des indicateurs socio-écono-miques et des indicateurs relatifs aux dépensespubliques, met en évidence une distribution trèsinégale du bien-être entre régions, provinces etcommunes et à l’intérieur de celles-ci.

Cet instrument, dont les données peuvent être enpermanence actualisées, constitue à n’en pas dou-ter un moyen puissant de ciblage pour les diffé-

rentes composantes de la politique de lutte contrela pauvreté (ce ciblage étant naturellement plusdifficile à effectuer dans les villes).

Ayant signalé ces progrès récents dans la connais-sance et la compréhension de la pauvreté, qui ont lemérite d’atténuer la pauvreté de l’information sur lapauvreté et son corollaire, l’indigence statistique,peut-on dire que l’on sait tout et que l’on comprendtout de la pauvreté au Maroc aujourd’hui ?

Loin s’en faut, d’autant qu’au-dessus de la tranchedes 19% de pauvres, 25% de la population sontconsidérés comme vulnérables, c’est-à-diredisposant de ressources à peine supérieures à 50%de celles dont disposent les pauvres. Ces pauvres etces vulnérables constituent près de la moitié de lasociété. Mais que sait-on au juste sur cet univers ?S’agit-il d’un monde vraiment clos ? Ou, aucontraire, y entre-t-on et en sort-on enpermanence ? La pauvreté et la vulnérabilité ont-elles une existence conceptuelle claire et peuvent-elles revendiquer un statut théorique à part ?

A côté des critères basés sur le revenu, la pauvretése caractérise par un certain nombre dedéterminants sociologiques et de privations nonmonétaires. Les pauvres sont-ils tous affligés de cesdésavantages, ou au contraire le degré de cumul deces désavantages par les uns ou les autresnécessite-t-il une connaissance plus fine ?

Si l’on fait abstraction de la pauvreté ruralestructurelle persistante, il n’y aurait pas plusieurstypes de pauvreté de nature différente, maisseulement des stades différents correspondant à lacontagion progressive, par la pauvreté, de tous lesdomaines de l’existence. Bien des ménagesvulnérables et même des ménages de la classemoyenne peuvent connaître des situations d’impé-cuniosité qui en font des pauvres transitoires. Oubien ils réussiront à échapper assez tôt à l’insuf-fisance de leurs ressources propres, ou bien ils neseront maintenus au-dessus d’un certain revenuminimum que grâce aux réseaux de solidaritétraditionnels ou familiaux, ou bien, si la solidaritéfinancière traditionnelle joue insuffisamment enleur faveur, ils sombreront petit à petit dans lapauvreté persistante, terme ultime de leur

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déchéance économique devenue désormaisd’échéance sociale. Il ne s’agit pas de famillesjugées initialement pauvres, mais de ménagesnormalement insérés dans la société qui setrouvent pris dans un processus d’exclusionprogressive. C’est dire que les chiffres récents et lesprogrès accomplis dans le recensement statistiquene renseignent pas suffisamment sur les différentesformes et sur les différents stades de la pauvreté.

En réalité, aucune mesure ni aucune approche n’estparfaite, mais toutes les mesures et toutes lesapproches sont perfectibles. Dans cette optique,les deux paragraphes suivants seront consacrés àune clarification conceptuelle de la pauvreté, de lavulnérabilité, de la précarité et des différentesformes d’inégalité sociale.

3.2. DÉFINITIONS CLASSIQUES DE LA PAUVRETÉ ET DE L’EXCLUSION SOCIALE

On sait depuis longtemps que quels que soient lesseuils économiques nationaux retenus par les pays(riches ou pauvres) pour définir la pauvreté, celle-cine se limite pas à sa dimension monétaire.

En effet, par convention, on a coutume de désignersous le terme de pauvreté persistante la situation despersonnes qui connaissent la misère de génération engénération. Ces personnes cumulent de nombreuxdésavantages :analphabétisme,absence de formationou de qualification professionnelle, logementindécent, mauvaise santé, irrégularité ou incertitudedes revenus monétaires, dépendance par rapport àl’assistance, etc. Par conséquent, rares sont les pauvrespersistants qui parviennent à échapper durablementà cette forme de pauvreté qui constitue la dimensionextrême des inégalités sociales. Au-delà de la simpleobservation du phénomène de cumul, c’est-à-dire dela concentration des désavantages sociaux surcertaines familles et certains groupes de la population,on a pu mettre en évidence des mécanismes parlesquels s’instaure l’interdépendance entre cesdésavantages, gage de leur reproduction, cetteinterdépendance jouant à l’intérieur d’une génération,mais aussi d’une génération à l’autre.

Ce modèle de pauvreté persistante, ainsi défini parses déterminants économiques et sociaux qui en

expliquent l’engrenage, correspond à la pauvretétraditionnelle et rurale telle qu’on l’observe auMaroc et qui concerne 67% des pauvres. Elle estqualifiée de traditionnelle parce qu’elle semblebien connue. Mais connaît-on tout d’elle ? Quellessont les caractéristiques et les itinéraires despersonnes qui restent enracinées dans cetenfermement social ? Et qui sont les individus quiparviennent durablement à y échapper, malgré lalourdeur des déterminants sociaux, autrementque par l’exode.

A l’opposé de cette forme persistante de pauvretése trouve ce qu’on peut appeler la pauvretéoccasionnelle : il s’agit de familles ou d’individusqu’un événement imprévu (maladie, accident,décès, perte d’emploi, etc.) plonge tout à coupdans une situation dramatique. En fait, la multipli-cation de situations de ce type, et à défaut desmoyens d’y remédier de façon satisfaisante, leurpermanence transforme la nature du problème etinterdit encore de parler à leur propos de pauvretésimplement occasionnelle. Elle traduit simplementl’état de vulnérabilité sociale de beaucoup deménages marocains.

Les personnes vulnérables vivent dans une situationsociale précaire. Mais qu’entend-on au juste par leterme de précarité ? On veut qualifier par là lamenace de pauvreté qui pèse sur beaucoup de nonpauvres. Ces catégories en situation précaire, bienplus nombreuses que les pauvres, et largementgénérées par l’extension du chômage, devraientamener à reconsidérer les politiques traditionnelles,tant dans leurs fondements théoriques qu’au niveaudes instruments d’action et au niveau des modes definancement.

En effet, si le point de départ du glissement vers lapauvreté ne diffère pas nécessairement d’uneforme de pauvreté à l’autre, c’est la durée d’unesituation de pauvreté qui devient inquiétante.Lorsque la pauvreté se prolonge, ce sont tous lesaspects de la vie qui sont progressivement atteintset tous les comportements qui risquent d’êtremodifiés de façon irréversible.

Autrement dit, quelle que soit la diversité des délaiset des formes que prend le passage du stade

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essentiellement monétaire de la pauvreté auxstades multidimensionnels, il y a bel et bien desfacteurs macroéconomiques et sociaux à l’origined’un phénomène progressif d’exclusion sociale. Cequi amène à définir ce qu’on entend généralementpar le terme d’exclusion sociale.

L’exclusion sociale est une forme d’inégalité socialequi, tout en étant liée au revenu ne s’identifie pas àlui. En outre, le terme "populations exclues" ne doitpas être considéré comme synonyme de pauvres.La différence, en deux mots, est la suivante : lespauvres n’ont pas accès à des biens et des servicesen raison de ressources matérielles inégales ou enraison de l’inexistence de ces biens et de cesservices dans leur environnement de vie immédiatou encore en raison des coûts d’usage de ces bienset de ces services. Alors que les exclus souffrentd’une participation inappropriée ou inégale à la viesociale ou de l’incapacité d’accéder à une place ausein de la société de consommation, souvent liéeau rôle social intégrateur de l’emploi ou du travail.Cette distinction est importante dans le sens oùelle déplace le centre d’attention du lien entrepauvreté et revenu vers le lien entre degré d’appar-tenance sociale et revenu. Ainsi existerait-il unepente sociale ascendante (l’ascenseur social) quiproduit l’intégration et l’insertion sociale et unepente descendante qui reflète les stades del’exclusion en présentant des durées et des degrésdifférents d’exposition aux conditions de privation.

La privation d’emploi est le stigmate le plusévident de l’exclusion sociale, l’accès au travailétant à l’inverse le mécanisme habituel del’inclusion et l’insertion sociale. Etant donné ladimension du chômage urbain, l’exclusion socialeest un phénomène essentiellement urbain.

L’exclusion sociale ne se limite pas à l’exclusion dumarché du travail ou à la difficulté d’accès à l’emploi.Le marché et la société se révèlent incapablesd’incorporer certains groupes sociaux qui cumulentsous une forme ou sous une autre les caractéris-tiques suivantes : lien faible ou inexistant avec lemarché du travail, faiblesse et incertitude du revenu,logement indécent ou insalubre, faible niveaud’alphabétisation, de scolarisation ou de formation

professionnelle, santé précaire, tendance au désoeu-vrement sociétal et à la violence par rupture du liensocial et par accumulation des frustrations.

A ces facteurs d’exclusion, il faut ajouter ceux quiaffectent particulièrement certains groupes àrisque comme les enfants, les femmes et lespersonnes âgées ou en situation d’abandon oud’isolement, et les handicapés.

Tant que les réseaux traditionnels reposant sur desliens familiaux et communautaires fonctionnent,ou tant qu’il existe des possibilités d’insertion dansl’économie informelle, le risque d’exclusion estmoins grand, même lorsque l’Etat ne fournit pas lesprestations et les services adéquats. Mais lorsque,comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui, cesréseaux s’épuisent ou se délitent sous l’influencedes nouveaux modes de vie ou des nouvellesstructures familiales, la demande de protectionsociale publique augmente et la pression sur l’Etats’aggrave. Les interventions de la société civile,pour aussi légitimes, salutaires et admirablesqu’elles soient, ne pouvant être que complémen-taires des interventions publiques en réponse auxbesoins et aux attentes sociales.

Les situations qui viennent d’être décritesconstituent en quelque sorte les nouvelles formesde pauvreté à expression urbaine que connaît lepays. Leur multiplication à travers les différentesvilles du royaume semble indiquer que l’ascenseursocial est en panne et qu’il y a une certaineincapacité collective à créer et à maintenir un soclede classes moyennes suffisamment solide etsuffisamment large. Ce socle étant indispensablepour alimenter la demande intérieure en biens etservices divers, pour construire un système solidede protection sociale et pour assurer la cohésionsociale.

Or précisément, l’exclusion sociale est de plus enplus considérée dans tous les pays du monde(riches ou pauvres) comme une menace pour lacohésion sociale. Cette prise de conscience élève leniveau de sensibilisation des citoyens et favorisel’émergence du partenariat Etat-société civile-entreprises privées qui s’exprime dans le conceptde coresponsabilité sociale.

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Ne pas prendre en compte la dimension de l’exclu-sion dans l’étude de la pauvreté expose par consé-quent à pérenniser une dimension manquante dela politique sociale.

3.3. L’APPROCHE MODERNE DE LA PAUVRETÉ

Suite aux travaux de l’économiste indien ArmatayaSen (prix Nobel d’économie qui a développé lathéorie des "capacités"), à ceux de l’économisteaméricain Joseph Stiglitz (lui aussi prix Nobeld’économie qui a développé la théorie écono-mique des blocages du marché et du blocage dansles "trappes de pauvreté") et à ceux de RobertPutnam (qui a forgé le terme de "capital social") etaux concepts développés par le système desNations unies depuis une vingtaine d’années enmatière de développement humain, l’approchemoderne de la pauvreté en donne une définitionplus extensive.

La vision simplement multidimensionnelle a étéremplacée par la perspective des “capacités”. Lapauvreté est dès lors conçue comme un déficit decapacités qui empêche les personnes concernéesd’avoir accès à une égalité des "chances" (et nondes situations) ; appliquée à l’analyse de la pauvretéet de l’exclusion sociale, et des privations diversesqui leur sont souvent associées, cette perspectivedes capacités permet de mieux comprendre leurnature et leurs causes. Elle permet aussi de couplerle combat contre la pauvreté à l’action de l’Etatpour garantir les libertés civiques et publiques, lesdroits humains fondamentaux et l’émancipationpolitique inhérente au processus démocratique.D’une vision plus extensive de la pauvreté doitdécouler aussi une politique plus extensive de luttecontre la pauvreté élargie à la levée des obstaclessocio institutionnels qui entravent l’accès despauvres au bien-être et à une participation pleine etentière à l’économie et à la société.

Cette approche moderne de la pauvreté et partantde la politique de réduction de la pauvreté et desinégalités sociales est parfaitement en phase avecles nouveaux paradigmes et les nouveauxconcepts en matière de développement que lacommunauté internationale partage.

4. LES NOUVEAUX PARADIGMESEN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT

Un paradigme constitue une sorte de révolutiondans les modes de pensée. A un moment donné, ily a dans la communauté internationale ou dans lescommunautés scientifiques un paradigme quidomine et permet aux penseurs et aux décideursde travailler avec des méthodes communes etselon une conception relativement unifiée desrecherches à mener selon un protocole deréflexion précis. Le paradigme est donc un modèlequi permet à une communauté scientifique oupolitique de communiquer et d’apprécier la qualitédu travail de ses membres. Il y a révolutionscientifique ou conceptuelle lorsque l’on changede paradigme.

En matière de politique de développement, lechangement de paradigmes est à l’œuvre depuisenviron deux décennies.

4.1. LE PREMIER PARADIGME À CONSIDÉRER EST D’ORDRE GÉOPOLITIQUE

En 1989, la chute du mur de Berlin consacrait la find’un paradigme, celui de la guerre froide, quidivisait l’espace politique et économique en troismondes dont deux, l’Est et l’Ouest, étaient engagésdans une confrontation sans fin tandis qu’ilscherchaient chacun à attirer le Tiers monde en luiproposant un modèle de développement etd’accession à la modernité.

Un an après, en 1990, selon les chiffres de la Banquemondiale, 16% de la population de la planète, soit830 millions d’habitants sur 5,2 milliards, concentredans ses mains 75% du revenu mondial, soit 15.000milliards de dollars sur 20.000 milliards. Ce constatmajeur, jusque là masqué par la confrontationentre les deux blocs, qui pourtant en avaient faitleur terrain d’affrontement principal, doit êtrerapproché avec un second fait capital induit par lafin des blocs, à savoir que la planète est désormaisperçue comme un monde fini, un "villageplanétaire", dont tous les pays sont solidaires del’évolution et coresponsables de l’avenir.

Cette phase historique est à l’origine d’un nouveauparadigme qui nous fait voir l’avenir à travers un

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prisme où le monde apparaît en train des’acheminer de manière parfois chaotique maisquasiment irréversible vers une configurationunifiée ou apaisée combinant les structures del’économie de marché, celles de la démocratiereprésentative et des droits de l’homme et cellesde la responsabilité écologique partagée.

Ce paradigme qui est celui de la mondialisation parle “haut”est illustré par le schéma théorique du "vold’oies sauvages" (Akamaisu) dans lequel un paysen tire deux ou trois autres, qui à leur tour…, etc.Même s’il est contesté par des contre paradigmesconcurrents (altermondialisation, tentation d’unnouveau grand schisme Nord-Sud, choc des civili-sations), ce modèle régit désormais les 6 facteursde transformation du monde : facteurs politiquesinstitutionnels et sécuritaires, facteurs écono-miques, facteurs écologiques et environnemen-taux, facteurs démographiques, facteurs culturels,facteurs spécifiques liés à la coopération interna-tionale et à l’aide publique au développement(lutte contre la faim et la pauvreté dans le monde).Ce processus qui expérimente de nouveaux modesde régulation du monde comporte des possibilitéset des perspectives de progrès extraordinairesmais aussi des défis énormes pour les pays endéveloppement.

4.2. LE PARADIGMEDU DÉVELOPPEMENT HUMAIN DURABLE (*)

En parallèle avec l’évolution géopolitique décriteci-dessus et au cours de la même période un nou-veau concept de développement s’est inscrit enrupture par rapport aux oppositions parfois carica-turales des théories classiques du développement(capital physique versus capital humain). Fondé surune approche humaniste et holistique, il intègredes orientations, des objectifs, des politiques et desmesures visant l’épanouissement global et durablede l’être humain.

Les objectifs du développement humain durable,progressivement dégagés par un cycle de confé-

rences et de sommets organisés sous l’égide desNations unies (notamment le Sommet deCopenhague et le Sommet du Millénaire) sontdésormais centrés sur la mise en place d’un cadresociétal propice à l’accomplissement, à l’épanouis-sement et au développement individuel et collec-tif. La création d’opportunités favorisant le bien-être global et durable des individus en est le socle.

Ce qui suppose l’intégration de l’élément humainnon seulement comme moyen essentiel, mais aussicomme finalité ultime de toute politique de déve-loppement économique.

Ce qui suppose aussi une bonne gouvernance desaffaires publiques et une meilleure intégration desinitiatives de développement socio-économiqueopérées par les différents partenaires : Etat, collec-tivités locales, secteur privé, société civile.

Ces orientations et ces objectifs ont permis de for-muler, selon les contextes nationaux et régionauxcorrespondants, des stratégies de développementsocial, de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, depromotion de l’emploi et de satisfaction desbesoins essentiels des populations.

Le concept de développement humain durable estdevenu un élément-clé des politiques d’investis-sement dans le capital humain ; il est placé désormaisau cœur des politiques macroéconomiques elles-mêmes. La réduction de la pauvreté et des inégalitéset le renforcement du capital social étant désormaisconsidérés comme le véritable moteur du dévelop-pement et non plus seulement comme un accompa-gnement de la politique économique.

4.3. LE PARADIGMEDE LA BONNE GOUVERNANCE

Le concept de gouvernance a d’abord étédéveloppé au niveau des entreprises pour mieuxmaîtriser la coordination interne et le partenariatavec les acteurs de leur environnement. Il a étéétendu peu à peu aux institutions locales,nationales et internationales.

(*) Le vocable durable comporte implicitement l’équité intragénérationnelle mais aussi intergénérationnelle par la préservation de l’environne-ment et des ressources naturelles.

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Depuis, ce concept guide les différentes formes detransformation que revêt l’action publique. Partantde l’analyse des dysfonctionnements dus auxmodes de gestion traditionnels et des pouvoirscoercitifs exercés par des institutions ou des struc-tures administratives qui en ont le monopole, lagouvernance offre un cadre conceptuel pour défi-nir les changements nécessaires à une gestion plusefficace des politiques publiques.

Ces changements concernent les champs suivants :

- La remise en cause du monopole gouvernemen-tal dans la gestion des affaires publiques et la pré-conisation de nouvelles règles de responsabilisa-tion et de prise de décision et de nouvelles formesde régulation, ce qui implique autant la moderni-sation des structures gouvernementales que lepartage des responsabilités et des initiatives avecles autres acteurs et les autres institutions de l’or-ganisation sociale et politique.

- La coordination entre actions et acteurs multiplesaux objectifs et aux intérêts divers, voire contra-dictoires et conflictuels.

- Les différentes formes interactives de partenariatet de participation à la formulation des politiqueset des programmes gouvernementaux, ce quiintègre la démocratisation du fonctionnementétatique, la prise en compte de la mobilisationcivique et des initiatives locales et citoyennes.

- L’ensemble de ces processus étant désormais àl’œuvre dans ce qu’on appelle l’implication et laparticipation communautaire, l’implication et lepartenariat avec la société civile et le secteurprivé, la décentralisation, la déconcentration et lapolitique de proximité.

Ces nouvelles règles de gouvernance sont considé-rées comme cruciales aujourd’hui spécialementpour tout ce qui touche aux interventions intersec-torielles ou multisectorielles nécessitant à la foisune intégration horizontale et une intégration ver-ticale. C’est bien le cas des politiques de dévelop-pement social en général et de la politique de luttecontre la pauvreté en particulier. Toute évaluationdes politiques en cours doit être effectuée à leurlumière.

5. LES PRINCIPALES LEÇONS À RETENIR

Les conclusions qui doivent être tirées de cepremier chapitre consacré à l’analyse préliminairepeuvent être résumées dans les 3 points suivants :

5.1.Toute démarche d’évaluation des politiques, desstratégies et des programmes sociaux doitcommencer par le rétablissement d’un lien directentre les structures politique, économique et socialedu pays. A défaut, on risque de ne pas mettre enévidence les relations dynamiques qui sont à l’œuvreentre ces trois facteurs pour rendre compte du bilansocial du Maroc. Ce bilan qui, malgré des progrèsnotables et une accélération de la cadence desréformes et des efforts dans le domaine social, laissepersister un taux de pauvreté préoccupant et desinégalités sociales importantes, n’étant somme touteque le résultat des choix d’organisation économiqueet sociale,des politiques et des programmes en courset de leurs modalités de gouvernance.

Plus concrètement, la situation sociale du paysreflète le degré de cohérence et d’efficacité despolitiques publiques dans le domaine social, ainsique le degré de synergie du partenariat public-privé en la matière. Les constats sommaires decette situation sont :- un classement IDH du pays moins bon que ne levoudrait son classement selon le PIB par habitantdu fait des déficits sociaux persistants (notammentdes indicateurs de mortalité infantile et maternelleindignes du niveau de développement du pays) ;- le retard de développement du monde rural qui

est largement à l’origine du constat précédent ;– un nombre trop élevé de citoyens en situation depauvreté, de précarité et de vulnérabilité ;- les difficultés majeures d’inclusion des exclus et enparticulier de ceux qui le sont pour des raisons dediscrimination liées au sexe ou au statut socio-économique, c’est-à-dire les femmes et les jeunesissus de milieux défavorisés ;- les menaces que font peser les situationsd’exclusion et le développement incontrôlé desgrandes villes sur la cohésion sociale.Ces constats amènent à poser deux questionsfondamentales qui ont un intérêt évident pourl’élaboration d’une nouvelle stratégie :

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- En admettant que la formulation des politiques etdes programmes de développement social soitcohérente, c’est-à-dire basée sur une informationpertinente et sur une bonne compréhension desproblèmes et des besoins sociaux, quels sont lesfacteurs et les obstacles qui expliquent les limitesdes résultats obtenus jusqu’à présent ? On tenterade répondre à cette question dans le chapitreconsacré à l’évaluation en cherchant à identifierles facteurs qui entravent la macroefficience et lamicroefficience de ces politiques et de cesprogrammes.

- La carence du système d’information sociale surles situations de vulnérabilité, de précarité etd’exclusion dans les villes (et pas seulement dansle périurbain) n’est-elle pas à l’origine dedimensions manquantes de la politique dedéveloppement social ? Et ne prive-t-elle pas, dece fait, les pouvoirs publics de la capacité dedévelopper des politiques de prévention del’exclusion et donc de l’extension des nouvellesformes de pauvreté ? En réponse à cette questionmajeure et centrale sur le plan stratégique ou nepeut que recommander vivement la mise enplace de structures de recueil de l’information etde données sociales variées sur les ménagesconcernés par ces situations de vulnérabilité et deprécarité.

- La synthèse de ces deux questions apporte unéclairage intéressant en matière de stratégie. Ence sens que, sous réserve qu’elles soient correc-tement infléchies à la lumière des nouveauxconcepts et des nouveaux paradigmes, lespolitiques de réduction de la pauvreté en milieurural sont basées sur des données quantitatives etqualitatives correctes, et leur échelon territoriald’intervention est pertinent compte tenu desapports de la carte de pauvreté communale. Al’inverse, cette carte est de peu d’utilité pour lapauvreté et l’exclusion sociale en milieu urbaindans une perspective de ciblage desinterventions, et de toutes façons les donnéesconcernant les dimensions non monétaires (àl’exception de l’habitat insalubre) sont indispo-nibles ou nettement insuffisantes.

Il apparaît donc dès maintenant qu’il est nécessairede mener de front deux stratégies de dévelop-pement social : l’une spécifique du monde rural dontles composantes sont déjà globalement cohérentes,l’autre adaptée à la complexité et à la grande variétédes situations de pauvreté, de précarité etd’exclusion sociale dans les villes - cette dernièredevant combiner essentiellement les instruments dela politique de l’emploi et ceux de la politique del’habitat et de l’urbanisme et devant bénéficier d’uneinformation plus documentée sur la situation socialedes ménages urbains.

5.2. En outre, si le bilan social peut donner uneimage plus ou moins fidèle du <<stock>> actueldes problèmes sociaux non résolus, une démarchestratégique ne saurait éluder une approcheprospective visant à anticiper et à identifier lesnouveaux besoins sociaux qui ne manqueront pasde se manifester en raison des transformationsrapides qui affectent à la fois le pays et l’environ-nement international.

En effet, le paradigme de la mondialisation par le<<haut>> est fondé sur de formidablesperspectives d’essor économique par l’intensifi-cation des échanges et de progrès social par ladiffusion des connaissances. Mais le processus demondialisation des économies, dans sa phasetransitionnelle, est un jeu qui produit des gagnantset des perdants (dans tous les pays riches oupauvres). Au Maroc, il est à craindre que lesperdants soient connus d’avance : c’est-à-dire ceuxqui n’ont ni savoir ni savoir faire, mais aussi ceuxdont le savoir et le savoir faire sont menacésd’obsolescence. Les accords de libre échange et laconcurrence accrue des pays à bas salaires mais àhaut niveau de technologie font peser desmenaces réelles sur le secteur agricole (avec lerisque d’aggravation de la pauvreté rurale enl’absence de mesures compensatoires et enl’absence d’une réforme agraire et agroindus-trielle) et sur les secteurs économiques qui utilisentde la main-d’œuvre non qualifiée (textiles, BIP,secteur manufacturier).

Ces enjeux et ces défis n’interpellent passeulement la mise à niveau des entreprises pour

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plus de compétitivité et plus de productivité, ni lamise à niveau des structures administrativesjudiciaires et fiscales pour les rendre plusincitatives à l’investissement. Elles interpellentsurtout la mise à niveau des ressources humaines,c’est-à-dire des hommes et des femmes du pays.Cette stratégie de mise à niveau du capital humainet du capital social au moyen d’une politique dedéveloppement social intégrée doit comporterdeux volets :

- un volet de protection sociale destiné à atténuerles impacts sociaux négatifs des réformes transi-tionnelles liées à l’ouverture de l’économie. Ce quiconstitue une démarche classique d’accompa-gnement social des effets indésirables de lapolitique économique ou de défaillances dumarché. Ce qui permet de poser du même coupune question devenue cruciale aujourd’hui : cesfilets de sécurité (Promotion nationale, Entraidenationale, compensation etc.) qui laissent passertrop de gens à travers leurs mailles, n’est-il pastemps de les racommoder ou faut-il carrément leschanger et en inventer de nouveaux ? Cettequestion est d’autant plus cruciale aujourd’huique la mondialisation induit de fortes pressions à

la baisse du financement de la protection sociale

alors que dans le même temps elle crée de

nouveaux besoins sociaux.

- un volet plus global et à plus long terme de

développement humain durable fondé sur les

nouveaux paradigmes et placé au cœur de la

politique de développement économique en

étant à la fois son principal moteur et sa finalité.

5.3. Enfin, la mondialisation n’est pas seule en

cause dans le processus de transformation sociale

que connaît le pays. Les dynamiques sociologiques

qui sont à l’œuvre ainsi que l’évolution des mœurs,

des modes de vie, de la culture et des structures

familiales induisent de nouvelles attentes

exprimées par la population en direction de l’Etat.

Une analyse sociologique fine qui dépasse le cadre

de cette étude s’avère nécessaire pour permettre

aux pouvoirs publics de prendre en compte les

grandes tendances qui traversent la société

marocaine contemporaine afin de mieux guider

cette transformation sociale.

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CHAPITRE II

Etat des lieux et évaluation

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1. DÉLIMITATION DU CHAMP DE L’ÉVALUATION

En 2004, le Maroc consacre un peu plus de 50% deson budget public aux secteurs sociaux. Parrapport aux pays comparables, les dépensessociales consolidées représentent une part de plusen plus importante du PIB alors que les indicateurssociaux sont moins bons que dans ces pays.

De très nombreux programmes de développementsocial et de lutte contre la pauvreté sont menés pardes institutions gouvernementales et non gouver-nementales avec le soutien de la coopération inter-nationale. Pour autant, malgré l’ampleur de cespolitiques et de ces programmes, ainsi que descoûts et des énergies qu’ils mobilisent, leur impactsocial demeure modeste en particulier sur la réduc-tion de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

Ce constat global impose, à l’évidence, une évaluationde l’efficacité des politiques et des programmes ainsique celle des institutions qui les ont menés jusqu’àprésent. Cette évaluation nécessite théoriquement lamesure des effets des politiques sociales sectorielles etdes impacts des programmes spécifiques de luttecontre la pauvreté et l’exclusion.

Evaluer et quantifier impliquent l’existence etl’utilisation de bases de données ainsi que laconstruction d’une analyse théorique préalable duphénomène étudié ; or, comme nous avons pu leconstater au chapitre I, il n’existe pas de mesureunivoque de la pauvreté : à revenu égal, pluspauvre encore est celui qui est privé de ses droits,ou qui est empêché de participer d’une façonpleine et entière à la vie de sa communauté.

D’où la nécessité de recourir à l’emploi d’informationsau statut différent :des enquêtes sur les niveaux de viedes ménages, à l’utilisation d’indicateurs sociaux, àl’usage des agrégats économiques jusqu’à ladescription plus ‘’qualitative’’ des situations depauvreté ou d’inégalités sociales.

De très nombreux travaux d’évaluation ont déjàété effectués au Maroc : impact des dépensespubliques, du système éducatif, du système desanté, du retard de développement du monde ruralsur la pauvreté… Plus récemment, ‘’l’évaluationthématique en matière de capacités nationales à

promouvoir un environnement propice à la luttecontre la pauvreté et la génération de moyens desubsistance durables’’, réalisée par le PNUD en 2000a concerné les 7 programmes d’appui majeurs decet organisme au Maroc. Le BAJ a lui aussi faitl’objet d’une double évaluation par la Banquemondiale et par le Haut Commissariat au Plan(2004). Au plan institutionnel, l’Agence deDéveloppement social (ADS) a fait l’objet d’uneévaluation par un bureau d’études spécialisé (GRET2003), l’Entraide nationale, la Promotion nationaleet les autres filets de sécurité ont eux aussi faitl’objet de rapports d’évaluation. De plus en plus deprogrammes et de projets sont conçus dès ledépart avec leurs propres critères d’évaluation desobjectifs et résultats. Il n’est donc pas question, ici,de dupliquer ces évaluations ou d’entrer enredondance avec elles. On se contentera decapitaliser leurs constats les plus pertinents pourenrichir notre propre démarche d’évaluation.

Comme il est impossible d’évaluer dans le détail toutela panoplie des politiques, des interventions et desprogrammes, il a bien fallu circonscrire le champ decette évaluation en adoptant des priorités et enprivilégiant des angles d’analyse. A cette fin, on a tenucompte des clarifications conceptuelles développéesdans le chapitre I et des critères éthiques retenus pourdéfinir le développement social.

En toute logique, il nous faut procéder sur cettebase à une évaluation morale des objectifs despolitiques économiques et sociales menées jusqu’àprésent ainsi que des institutions qui ont géré cesprocessus. C’est pourquoi l’analyse doit aller au-delà des constats empiriques et des évaluationsquantitatives et s’étendre à des considérations quiont trait à l’éthique du développement.

Sous cet angle d’analyse, le premier constat qui,pour ainsi dire, ‘’saute aux yeux’’, est le suivant : leMaroc depuis son indépendance a réussi uneperformance " économique globale meilleure quesa performance sociale globale, d’où la persistanced’une société fortement duale, malgré les effortscontinus pour atténuer cette dualité (entre richeset pauvres, entre hommes et femmes, entreprovinces, régions, etc.). Un des premiers efforts

Etat des lieux et évaluation

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d’évaluation consisterait donc à comprendrepourquoi il y a, dans ce pays, une telle dualité deperformance entre la sphère économique et lasphère sociale. Cet effort nécessite une analysecomparative des politiques économiques et despolitiques sociales menées jusqu’à présent.

De notre point de vue, outre que cette démarched’évaluation constitue un aspect innovant, elle a lemérite de permettre une meilleure connaissancedes causes véritables des déficits sociaux. En effet,continuer à entretenir une méconnaissance de cescauses contribuerait à maintenir l’illusion que laréduction de la pauvreté dépend exclusivementd’un taux élevé de croissance économique oud’une simple amélioration des politiques sociales.En fait, la réduction de la pauvreté et des causesd’exclusion sociale dépendent impérativementd’une stratégie de développement socialfortement imbriquée en amont et en aval avec lagarantie des droits humains fondamentaux, lapolitique économique, le système productif, lapolitique de l’emploi et des politiques sectoriellesprenant mieux en compte les intérêts des groupessociaux qu’elles ont tendance à marginaliser (cespolitiques conçues pour les groupes ‘’normaux’’n’ont pas été en mesure d’atteindre les pauvres,d’où les ‘’rattrapages’’, les programmes spécifiquesd’assistance ou d’‘’accompagnement’’.).

Ce premier volet de l’évaluation sera doncconsacré aux leçons qu’il faut tirer de l’expériencedu pays en matière de développement. Ledeuxième volet sera consacré à l’évaluation despolitiques publiques et des programmesspécifiques de lutte contre la pauvreté ainsi qu’àcelle des institutions et des acteurs de dévelop-pement social. Le troisième volet sera consacré à lagouvernance actuelle des politiques et desprogrammes.

2. STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENTÉCONOMIQUE ET CYCLES DE CROISSANCE

Cette section du document tentera de mettre enévidence les liens qui unissent les évolutions de lapolitique économique et de la stratégie de dévelop-

pement national d’une part et les évolutions de lapauvreté et des inégalités sociales d’autre part, ainsique les liens entre les objectifs de la politiqueéconomique et ceux des politiques socialespoursuivies, et cela au cours de la longue périodequi va de l’indépendance du pays à nos jours.

Au cours de cette période, l’analyse rétrospectivedes tendances macroéconomiques permet demettre en évidence quatre principales phases decroissance qui ont marqué l’évolution del’économie nationale :

- une phase de croissance modérée allant de l’indé-pendance du pays jusqu’à 1972

- une phase de croissance élevée entre 1973 et1977

- une phase de stabilisation et d’ajustementsstructurels après 1977, où la croissance a étémoyenne entre 1978 et 1984, puis assez forteentre 1986 et 1990

- et enfin une phase de post-ajustement où lacroissance est retombée à un niveau bas pendanttoute la décennie 90 avant d’amorcer à nouveauun mouvement à la hausse à partir du début desannées 2000.

La première phase, qui s’étend de 1956 à 1972, afait l’objet de trois plans de développementéconomique et social. La stratégie de croissanceéconomique reposant essentiellement sur l’indus-trialisation par la substitution des importations, laprotection du marché intérieur et l’autosuffisancedans le secteur agricole. Si l’industrie bénéficiait degénéreuses incitations à l’investissement et si lesprix de certains produits agricoles étaient subven-tionnés par l’Etat, la politique économiquen’encourageait guère l’augmentation de la produc-tivité, ni la compétitivité sur le marché interna-tional et la substitution en amont était limitée.L’économie restait tributaire de l’importation desbiens intermédiaires.

Au cours de cette phase, la croissance du PIB a étélente (3,5% par an). Le pays a suivi une politiqueprudente et ses emprunts extérieurs sont restés relati-vement faibles. L’investissement a pu être financégrâce aux recettes provenant de l’exportation des

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phosphates et des produits agricoles. Les déficits duTrésor et du compte courant ont gardé des niveauxsoutenables.

La seconde phase qui a couvert la période du planquinquennal 1973-77 s’était donné trois objectifsprioritaires : (i) la mobilisation des capacitésproductives du pays en vue d’assurer un taux decroissance élevé, (ii) la création d’emplois et l’amélio-ration des conditions de vie de la population et (iii) unerépartition plus équitable des fruits de la croissance.Lahausse des prix des phosphates, principale ressourcenaturelle du pays, a décidé les pouvoirs publics àaccélérer la croissance de l’économie et à engager unambitieux programme d’investissement financé initia-lement par les recettes provenant de l’exportation desphosphates. Avec la fin du boom des phosphates en1975-76, les termes de l’échange se sont inversés. Leprogramme d’investissement a cependant étépoursuivi et, pour le financer, les pouvoirs publics ontdû recourir de plus en plus à l’emprunt extérieur et audéficit du secteur public.Cette période qui a enregistréune croissance annuelle moyenne de 7,3% du PIB s’estsoldée néanmoins par des déséquilibres interne etexterne trop élevés.

Confrontés à de sérieux problèmes de financespubliques et de balance des paiements, les pouvoirspublics ont opté, au début de la troisième phase, pourun programme de stabilisation transitoire (entre 1978et 1983). Malgré l’effort entrepris, l’amplification deschocs extérieurs (effet pétrole, baisse des prix desphosphates, hausse du dollar majorant le service de ladette) a conduit à une détérioration des équilibresinternes et externes. En 1982, le déficit budgétairereprésentait 12,6% du PIB, le déficit courant avaitatteint 12,7% du PIB. La dette extérieure à moyen etlong terme était passée de 19,6% du PIB en 1975 à85% en 1983.

De 1983 à 1995, le Maroc a dû mettre en œuvre unprogramme de stabilisation et d’ajustementstructurel. Le volet stabilisation comprenait unecompression des effectifs de la fonction publique etun blocage de leurs traitements, une réductionimportante du programme d’investissement public etune compression des subventions à la consommation,une augmentation des tarifs des entreprises

publiques, l’encadrement du crédit, une dévaluationdu Dirham. Le programme d’ajustement structurelportait surtout sur l’amélioration de la productivité etde la compétitivité ; il comprenait des mesures pour lalibéralisation des échanges, la promotion desexportations, des réformes dans divers secteurs del’économie.

Ces programmes ont permis un redressementsensible des déséquilibres majeurs, mais lesprogrès ont été lents et les mesures difficiles àsupporter par les populations les plus défavorisées.Au cours de l’ajustement, le pays n’a pu, danscertaines périodes, satisfaire aux critèresdraconiens du FMI en matière de déficits, mais il aobtenu des dérogations et les accords ont étérenégociés à diverses reprises. Toutefois, l’effort destabilisation est resté axé sur la forte compressiondes dépenses publiques. Parallèlement à cesmesures, l’accent a été mis sur la réforme de lapolitique industrielle et commerciale. Nonseulement le Dirham a été dévalué d’environ 18% ,mais encore les tarifs douaniers ont été abaissés, lataxe à l’exportation a été supprimée, les restrictionsà l’importation ont été levées. La réforme a étéétendue au secteur agricole où les subventions ontété réduites. Les déficits du budget et celui de labalance des paiements courants ont été ramenés àdes niveaux de 3% et 4% du PIB.

La phase de post-ajustement a été caractérisée par unrythme de réformes structurelles plus soutenu, uneintensification des privatisations et de la libéralisationdes échanges. Les résultats en matière de croissancetémoignent de l’effet des déséquilibres de l’économiemarocaine et révèlent certaines de ses faiblesses sous-jacentes. En dehors d’une période de croissancerapide (7,3% en moyenne entre 1973 et 1977),époqueoù le financement était facile, d’abord grâce à laflambée du prix des phosphates, puis grâce à desemprunts auprès des banques commerciales, lacroissance du PIB réel, reste modérée et conditionnéeen grande partie par les conditions climatiques. De1978 à 1984, la croissance réelle du PIB a été de 2,9%par an en moyenne, elle s’est accélérée, atteignant4,3% entre 1986 et 1990,puis elle est retombée à 1,8%par an dans la décennie 90.

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L’accélération et le ralentissement de la croissancesont dus en grande partie à la production dusecteur agricole ; bien qu’il ne produise que 17% duPIB, il est à l’origine des fortes fluctuations de lacroissance réelle pendant la période considérée.Avec une population en augmentation de 2% paran, le revenu réel par habitant a nettement stagnéau cours de la dernière période. La croissance desactivités non agricoles n’a pas été suffisante pourréduire le niveau de chômage. La croissance del’offre manufacturière est non seulement entravéepar la faiblesse de la demande interne, notammentd’origine rurale, mais aussi par le ralentissement dela demande externe provenant des principauxmarchés européens.

2.1. LIENS ENTRE LA CROISSANCE ET LA RÉDUCTIONDE LA PAUVRETÉ ET DES INÉGALITÉS SOCIALES

Au cours de la décennie soixante, les caractéris-tiques essentielles du développement social ontété les suivantes :

- Au niveau national, l’inégalité relative dans larépartition des dépenses s’est aggravée sans tou-tefois atteindre un niveau alarmant : la part desdépenses totales effectuées par les ménages les40% les plus pauvres est passée de 18% en 1959-60 à 12% en 1970-71.

- Le niveau de vie des ménages a connu une évolu-tion fort différente en milieu rural et en milieuurbain. En milieu rural, les ménages les 40% lesplus pauvres n’ont connu aucune augmentationde niveau de vie, et les ménages les 20% les pluspauvres ont connu une diminution de niveau devie. En milieu urbain par contre, le niveau de vie depratiquement toutes les catégories sociales s’estamélioré. Le processus de croissance du milieuurbain a permis ainsi d’élever le niveau de vie desménages les plus pauvres à la différence du milieurural.

- Le pourcentage des ménages pauvres est passéd’environ 49% en 1960 à 38% de la population en1977. En dépit de cette diminution, le nombre depersonnes pauvres a augmenté de 1,3 million,dont un million en milieu rural.

Durant la période 1960-71, la croissance agricoleétait relativement satisfaisante, puisque la valeur

ajoutée agricole a augmenté à un taux annuel de3,7% à prix constants. En dépit de ce résultat, lesbénéfices de la croissance n’ont pas atteint lescouches sociales les plus pauvres : seuls les salariésagricoles les mieux rémunérés et les exploitantsagricoles les moins pauvres ont pu bénéficier de lacroissance agricole.

En milieu urbain, l’évolution générale du niveau devie des ménages a été beaucoup plus satisfaisantecar l’ensemble de la population urbaine a pubénéficier de la croissance économique. Ce résultatsuggère que la croissance en milieu urbain a permisde réduire l’étendue de la pauvreté à la différence dece qui s’est passé en milieu rural.Mais le pourcentagede ménages très pauvres a néanmoins augmenté,cette évolution est à rapprocher des flux depersonnes qui émigraient chaque année des zonesrurales vers les zones urbaines.

Le quatrième plan de développement (1973-77)avait souligné l’augmentation substantielle desécarts de revenus qui séparaient les ruraux desurbains et les riches des pauvres. La stratégieretenue à l’époque avait mis l’accent sur desmesures générales de politique économique,comme la fiscalité la création d’emploi et lapoursuite de politiques sociales plus ambitieuses,tout en reconnaissant que la situation particulièrede certains groupes sociaux devait faire l’objet demesures plus spécifiques, comme la distribution desterres ou le développement de l’agriculture en sec.

Malgré une croissance forte, l’élévation du niveau devie des ménages les plus pauvres ne s’est pas réalisée.Le lien reliant la création des richesses à l’élévation duniveau de vie des ménages les plus pauvres n’a pas étéétabli. La participation des différentes catégoriessociales au processus de développement estdemeurée inégale.L’impact social de la forte augmen-tation des crédits budgétaires affectés à la réalisationdes différentes politiques sociales n’a pas été à lahauteur de l’effort financier. Si le niveau desindicateurs sociaux s’est amélioré, l’objectif deréduction de la pauvreté ne s’est pas concrétisé. Laraison fondamentale à la base d’une telle inefficacitéde la politique de lutte contre la pauvreté paraît êtrel’inadaptation des moyens de lutte contre la pauvreté.

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La période 1973-77 a été marquée par la continua-tion des tendances passées, de sorte que le pour-centage de ménages pauvres en milieu rural n’apas connu de diminution, alors que la forte crois-sance du secteur industriel aurait fait diminuer lenombre relatif de ménages pauvres en milieuurbain (28%). Durant cette période, le secteur agri-cole n’a pas en effet connu de croissance. La valeurajoutée agricole en 1978 était au même niveauqu’en 1971 (à prix constants) ce qui, compte tenude la croissance de la production agricole en irri-gué, indique que le niveau de vie des exploitantsagricoles en sec (bour) est resté constant ou a dimi-nué. Comme la majorité des ménages d’agricul-teurs en dessous du seuil de pauvreté se trouventen zones bour, la réduction de la pauvreté dans leszones irriguées n’a eu qu’un effet très faible sur lepourcentage total des ménages pauvres, de sorteque le nombre relatif de ménages pauvres attei-gnait 45% de la population rurale en 1977.

En milieu urbain, l’évolution du niveau de vie desménages a été fort différente. Durant la période1971-77, le taux de croissance de la productionindustrielle a connu une forte augmentationdont ont profité les ménages urbains, le revenude ces ménages a augmenté au taux voisin de 5%à prix constants. Le nombre de ménages pauvresen milieu urbain est tombé à 28% en 1977. Endépit de la diminution de ce pourcentage, lenombre total de pauvres aurait cependantaugmenté d’approximativement 1,3 million de1960 à 1977 dont 1 million en zone rurale.

Le progrès réalisé en matière de réduction de lapauvreté dans les années 80 est intervenu dans lapériode de mise en œuvre du programme destabilisation et d’ajustement structurel. Le redres-sement des équilibres interne et externe, laréduction de l’inflation et l’amélioration relativedes indicateurs de la dette n’ont pas été obtenusau prix d’une récession. La croissance du PIB (6,3%de 1983 à 1986 et 5,4% de 1987 à 1991) a contribuéà maintenir les niveaux des dépenses del’ensemble de la population. Alors que la consom-mation réelle par habitant avait baissé au débutdes années 80, elle a enregistré en moyenne unehausse de 4,5% au cours des années 1987-1991.

Cette croissance positive de la demande desménages a été accompagnée par un investis-sement accru (d’une moyenne de 20% du PIB entre1984 et 1987 à 23% entre 1989 et 1991).

La politique d’ajustement s’est déroulée en deuxphases. Au cours de la première phase (1983-86),l’accent a été mis sur la stabilisation de l’économiegrâce à des mesures de contraction fiscale etmonétaire et à une importante dévaluation destaux de change effectifs réels (23% entre 1982 et1986). Dans cette période, les conditions de vie dela population urbaine ont vraisemblablement étéaffectées par la contraction des dépensespubliques, celles des populations rurales ont étéadoucies par des conditions climatiquesfavorables. Au cours de la seconde phase (1987-91),tout en réduisant davantage les déséquilibresmacro-économiques, le rythme de l’ajustement aété intensifié par des réformes structurellesdestinées à améliorer les conditions de l’offre(libéralisation des prix, des échanges, moderni-sation de la fiscalité, privatisation, réforme dumarché financier, etc.). Dans la seconde moitié desannées 80, la vive expansion des exportations(11,5% par an en termes réels de 1987 à 1991) et lalégère relance des dépenses publiques ont été lesprincipaux facteurs d’ajustement et d’améliorationdes revenus des ménages.

Au cours de la première phase d’ajustement, en1982-1986, la double contrainte du remboursementde la dette extérieure et de la réduction des recettesgouvernementales suite à la contraction del’activité économique a conduit les pouvoirs publicsà assurer l’effort de l’ajustement par une réductiondes dépenses publiques. Celles-ci sont passées de34,4% à 22,2% du PIB ; en particulier, les dépensesd’équipement ont été réduites à moins de 4% duPIB. Au cours de la seconde moitié des années 80,les dépenses et les recettes ont recommencé às’accroître, atteignant respectivement 25,9% et22,9% du PIB en 1991. Les dépenses d’équipementont, elles aussi, augmenté à environ 7%.

L’impact sur les pauvres des changementsintervenus dans les dépenses publiques et lesrecettes fiscales est complexe.

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Premièrement, les pouvoirs publics se sont abste-nus de recourir à des licenciements dans la fonc-tion publique pour éviter de grossir le nombre dechômeurs. Mais l’austérité budgétaire, qui s’est réa-lisée par le gel des salaires nominaux et la réduc-tion des dépenses d‘équipement, a pu avoir desimpacts négatifs indirects sur la situation despauvres par le manque de ressources affectées àl’infrastructure de base (eau, électricité, etc.).

Deuxièmement, il est vraisemblable que les pauvresont été touchés par la réduction des subventions àla consommation, même si cette réduction reflèteprincipalement la baisse des prix mondiaux de cesbiens et l’élimination de certains articles de la listedes produits subventionnés sans grande influencedans le panier de consommation des pauvres.

Troisièmement, en dépit des efforts des pouvoirspublics de contenir les réductions nominales desdépenses sociales, le volume réel par habitant deces dépenses a diminué. Enfin, la tendance desrecettes fiscales a affecté les pauvres puisque l’aug-mentation des prélèvements et l’amélioration derecouvrement ont été induits essentiellement parle renforcement de l’imposition indirecte.

Les réformes structurelles du commerce et de l’in-dustrie, de l’agriculture et des finances ont joué unrôle dan la régulation du marché du travail et dansla détermination du niveau de revenu des agentséconomiques. Par conséquent, elles ont eu unimpact sur l’évolution de la diminution et du profilde la pauvreté. Ainsi de 1986 à 1991, le marché del’emploi dans le monde rural s’est accru de 1,77%par an, soit un taux légèrement au-dessus de l’aug-mentation moyenne de la population active, lechômage s’est donc maintenu aux environs de 5%.La situation en milieu urbain est différente : aucours de l’ensemble de la période d’ajustement(1982-1991), la croissance moyenne de l’emploiurbain (4,2%) a été moins moindre que celle de lapopulation active (5,3%). L’expansion des activitésd’exportation à forte intensité de main d’œuvre(textile, cuir) n’a pas totalement compensé la pertedes effectifs due à la compression des investisse-ments publics et au déclin du secteur de laconstruction. Elle n’est pas parvenue non plus à

absorber le flux de nouveaux arrivants sur le mar-ché du travail (jeunes et exode rural).

Le secteur informel a constitué un espace d’ab-sorption d’une partie de l’excèdent de maind’œuvre urbaine. Le chômage urbain a fluctué auxenvirons de 15-20%. L’incidence du chômageparmi les pauvres est importante tant en milieuurbain qu’au milieu rural. Elle est de 30% pour lespauvres en milieu urbain et de prés de 7% enmilieu rural, comparée à 20,6% et 5,6% respective-ment pour l’ensemble des les deux zones au coursde ces deux périodes d’ajustement. La politiquesalariale conduite par les pouvoirs publics a étéorientée de manière à ne pas aggraver la situationsociale des salariés à faible revenu, les réajuste-ments des salaires minimums dans le secteur privéet dans l’agriculture ont contribué à sauvegarderou même à améliorer le pouvoir d’achat de cescatégories de salariés. Mais la tendance au déve-loppement de la flexibilité du travail dans les sec-teurs modernes de l’économie et la précarité del’emploi dans les activités informelles ont faitqu’une partie importante des salariés n’ont pasbénéficié de l’effet positif de ces réajustements.D’autre part, les salaires moyens réels de la fonc-tion publique et des secteurs de l’industrie et desservices ont été laminés par l’écart défavorableentre la hausse des prix et les niveaux de réajuste-ment de ces salaires.

En somme, dans le cadre d’un environnement éco-nomique plus assaini, divers facteurs clés ontcontribués à l’allégement de la pauvreté. Ainsi, lesréformes du cadre incitatif ont encouragé la crois-sance des secteurs d’activité plus intensifs en maind’œuvre et plus orientés vers l’exportation : en faitl’allégement de la pauvreté a été réalisé par ledéveloppement d’emplois temporaires, non quali-fiés, rémunérés à des salaires réels bas, localisésplus particulièrement dans le secteur informel.

D’un autre côté, la pluviométrie favorable sur plu-sieurs années a contribué à accroître la productionagricole ainsi que les revenus ruraux, les ajuste-ments des salaires minimums ont garanti le pou-voir d’achat des ouvriers agricoles et les transfertsdes Marocains résidant à l’étranger ont contribué à

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maintenir des ménages ruraux au-dessus du seuilde la pauvreté. Enfin, dans le cadre de la réductiondu déficit budgétaire, la diminution des dépensessociales a été moins forte que celle des dépensespubliques globales, mais en termes réels par habi-tant elle a baissé de 2% par an.

Vus sous un angle rétrospectif, le rythme et la com-position de la croissance au Maroc ont conduit àune distribution relativement neutre des revenuset de la consommation avec des progressions simi-laires pour les secteurs ruraux et urbains. Si ce sché-ma s’était poursuivi depuis 1991, et tenant comptede la progression démographique (2% par an), desprojections ont établi qu’il fallait un taux de crois-sance du PIB de 6% à 7% par an (et de la consom-mation réelle par habitant de 2.5%) pour faire bais-ser l’indice numérique de la pauvreté de 7% par an,diminuer le nombre de pauvres de 5% par an, etréduire l’incidence de la pauvreté à 9,1% et lenombre de pauvres aux environs 2,6 millions.

La tendance de la croissance de l’économie maro-caine a été beaucoup moins favorable que le sug-gérait ce scénario optimiste. L’évolution du PIB aété de 1,8% par an entre 1991 et 1999 (la consom-mation réelle par habitant a régressé). Cette situa-tion, due en partie aux effets défavorables de lapluviométrie, n’a certainement pas permis deconsolider les progrès enregistrés dan la luttecontre la pauvreté entre 1982 et 1991. L’incidencede la pauvreté s’est élargie dans le milieu rurald’autant plus qu’environ 1,7 million de personnesétaient considérés en 1991 comme étant presquepauvres et vulnérables à la moindre détériorationdes condition économiques.

2.2. LEÇONS DE L’EXPÉRIENCE

La relation entre croissance et pauvreté au Marocest paradoxale. D’un côté, la forte croissance durevenu moyen entre 1971 et 1983 n’avait pasconduit à une réduction absolue de la pauvreté : lenombre d’individus en situation de la pauvreté estresté le même (soit 6,6 millions de personnes). Il estvrai que durant la même période la part représen-tée par les pauvres dans la population totale s’estréduite de près d’un quart pour atteindre 30%.Cette réduction relative n’a cependant pas été

aussi rapide que la croissance de la consommationmoyenne. D’un autre coté, le net ralentissement dela croissance entre 1984 et 1991 s’est accompagnéd’un déclin très sensible de l’incidence de la pau-vreté (13,1% en 1991) et du nombre des pauvres(3,3 millions).

L’observation de la configuration de la pauvreté auMaroc montre qu’aux alentours du seuil depauvreté, se trouve une grande concentration de lapopulation. Ainsi l’estimation des pauvres est trèssensible à la valeur du seuil de pauvreté. Une simpleaugmentation du seuil de 50% par exemple, aurapour conséquences de doubler l’indice numériquede la pauvreté. L’indice de la pauvreté est donc trèssensible à la croissance économique (sans qu’il y aitchangement dans la distribution des dépenses). Cetindicateur ainsi que d’autres rendent compte de lapersistance de la pauvreté. Un ‘’noyau dur’’ depauvreté résiste à ‘’l’effet croissance’’. L’écart entre legroupe de personnes en situation de pauvretéabsolue et la classe moyenne s’accentue.La part des20% des ménages les plus riches dans la consom-mation nationale représente un multiple importantde la part des 20% les plus pauvres.

La pauvreté a connu jusqu’au début des années 90une régression remarquable, mais elle reste fonda-mentalement dépendante des aléas climatiques.Ainsi la variabilité du PIB réelle a beaucoup aug-menté entre les années 1971-83 et les années1984-91 et le profil structurel de l’économie nes’est pas sensiblement modifié (la part de l’indus-trie de transformation se maintient autour de 18%).Les grands équilibres se sont redressés maisdemeurent toujours fragilisés par les fortes fluctua-tions de la croissance. L’imprévisibilité de cours del’économie marocaine et le mouvement instabledes variables économiques fondamentales negarantissent pas un processus irréversible deréduction de la pauvreté. La preuve en est la recru-descence de la pauvreté constatée en 1998-1999.

La relation entre croissance et inégalités socialesest encore plus intéressante à examiner.

De 1960 à 1998, les dépenses de consommationmoyennes par habitant en Dirhams constants sesont appréciées au rythme annuel moyen de 2%

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par an (1,9% dans les villes et 1,3% dans les cam-pagnes). Mais ce taux moyen cache une évolutioncontrastée selon les périodes considérées dans letableau ci-dessous.

Un rythme relativement élevé dans les années 60(4%) a été suivi par un rythme plus faible (1,1%) et denouveau par un rythme élevé de 1985 à 1991.Le tauxnégatif (- 1,9%) enregistré de 1991 à 1998 est l’élé-ment le plus frappant de cette longue évolution.

Les disparités de revenu sont aujourd’hui beaucoupplus larges qu’elles ne l’étaient au lendemain del’indépendance. L’essentiel du creusement de cesinégalités s’est fait dans les années 60. Ainsi la partdans les dépenses globales des 10% des personnesles plus aisées du pays, rapportées à celles des per-sonnes les moins aisées est passée de 8 en 1960 à29 en 1971 pour se stabiliser entre 11 et 12 depuis.

Les disparités se sont également creusées entremilieu urbain et rural tout au long de la périodeconsidérée.

Pour clore ce chapitre consacré aux effets de lacroissance économique sur la pauvreté, on peuttirer les leçons suivantes :

Globalement, la croissance a eu un effet positif surla réduction de la pauvreté, mais l’amplitude de ceteffort a été contrariée par :

- une augmentation très sensible de la population :la progression démographique a ‘’absorbé’’ unepart significative de la croissance des revenus ;

- une croissance économique irrégulière et peusoutenue sur la longue période : cette lenteur dela croissance s’explique par des facteurs, en partieexogènes (pluviométrie, demande externe, chocpétrolier…). Les sources des revenus sont trèssensibles à ces facteurs exogènes qui échappentau contrôle des décideurs.

- une croissance qui a été accompagnée de sérieuxdéséquilibres macroéconomiques, plus particuliè-rement dans les années 80. Les déficits internes etexternes ont perturbé le cours de la croissance etont conduit à un ralentissement de son rythme ;

- une faible mutation structurelle de l’économie :les secteurs productifs n’ont enregistré que demodestes performances ; les taux de croissancede l’agriculture ont été fluctuants et en nette bais-se ces dernières années ; la croissance du secteurmanufacturier ne compense pas suffisamment lesmédiocres performances de l’agriculture ;

- la croissance n’a pas été suffisamment intensiveen travail, la progression de l’emploi a toujoursété inférieure à celle de la valeur ajoutée de tousles secteurs d’activité ; la croissance n’était passeulement fortement dépendante des investis-

Urbain Rural Ensemble

Période 1960-71 5,2 2,4 4,0

Période 1971-85 0,4 0,9 1,1

Période 1985-91 5,0 4,1 5,1

Période 1991-98 - 2,5 - 2,0 - 1,9

Période 1961-98 1,9 1,3 2,0

* Source : Direction de la Statistique

Taux de variation moyen de la dépense annuelle moyennepar personne en DH constants (en % par an)*

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sements, l’allocation de ces investissements afavorisé les secteurs à coefficient de capital élevé.

Incontestablement, la réduction de la pauvretérequiert une croissance forte. La croissance écono-mique élargit les opportunités de participation despauvres aux bénéfices de l’accroissement desrichesses produites. Mais la croissance à elle seulene suffit pas à réduire la pauvreté. Le Maroc restetoujours confronté au double défi de la croissanceet de la redistribution.

La réduction de la pauvreté doit s’appuyer sur despolitiques économiques sectorielles en mesured’accélérer les mutations structurelles des activitéset zones où se localisent les pauvres.

Le développement rural ne peut se concevoir sansexpansion de l’agriculture, laquelle peut créer lesconditions d’une croissance largement répartie etcapable de faire reculer la pauvreté. Les pauvres enbénéficient directement s’ils sont agriculteurs et ilsbénéficient indirectement de la croissance de lademande de main-d’œuvre agricole et de produitsdu secteur non agricole rural.

Au Maroc, la relation est forte entre la croissance del’agriculture et celle du pouvoir d’achat agricole etdes salaires ruraux (indicateur du bien-être signifi-catif pour les pauvres des zones rurales). En outre,la croissance agricole favorise le reste de l’écono-mie et a des effets induits qui dépassent son rôledans le PIB.

L’insertion des pauvres et des exclus ne peut pas sefaire uniquement par des politiques sociales, etencore moins par des politiques sociales d’accom-pagnement (assistance) ; elle doit passer impérative-ment par leur inclusion dans l’économie pour leurpermettre de prendre en main leur destin.

Cette considération doit profondément influencerà l’avenir la politique économique nationale et lespolitiques économiques régionales.

2.3. LIENS ENTRE POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE SOCIALE

En quarante ans (de 1956 à 1995), les politiquessociales au Maroc n’ont pas bénéficié des mêmesefforts que ceux qui ont été consentis pour le déve-

loppement économique. En effet, si l’on reprend laséquence des 4 phases de développement, on peutmettre en exergue les constats suivants :

- Au cours de la première phase de développementdu pays (1956-1971), le Maroc, et il n’était pas leseul dans ce contexte historique, participait de lavision que la croissance économique était le seulmoteur du progrès social. Par conséquent, les pré-occupations sociales n’étaient pas la prioritéeffective du gouvernement ; ni les groupessociaux défavorisés, ni encore moins la promotionsocio-économique des femmes ne retenaient l’at-tention. Tout au plus le système de protectionsociale hérité du Protectorat a été maintenu etdéveloppé à la marge et des filets de sécurité ontété mis en place.

- Au cours de la deuxième phase (1973-1977), ladynamique d’expansion budgétaire a comportéune politique sociale ambitieuse puisqu’il s’agissaitde mobiliser les capacités productives du pays nonseulement dans le cadre de l’essor économique,mais aussi pour améliorer les conditions de vie dela population et pour répartir plus équitablementles fruits de la croissance. Certes, l’amélioration desconditions de vie de la population a été obtenue,mais pas pour tous, et pas pour toutes les régions.Les dépenses publiques et les programmes sociauxont constitué un ensemble disparate d’actionssectorielles ayant un lien plutôt lâche avec le cadremacroéconomique et grevé de surcroît d’un défautde ciblage. L’inflation conjoncturelle des dépensespubliques à caractère social a profité surtout auxclasses aisées et aux classes moyennes.

- Au cours de la troisième phase, les préoccu-pations sociales ont été focalisées autour de lanécessité d’atténuer les coûts sociaux duprogramme d’ajustement structurel, et d’unecertaine manière, le pays a réussi ce défi, en mêmetemps qu’il prenait conscience du retard dedéveloppement du monde rural et de l’ampleurdes inégalités sociales.

- Ce n’est qu’au cours de la quatrième phase, c’est-à-dire au début des années 90, qu’une politiquesociale volontariste et une planification à longterme de la politique sociale ont vu le jour. Cetteprise de conscience s’est matérialisée dans la

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stratégie de développement social du gouver-nement et dans la définition de programmes depriorités sociales. Cette stratégie s’articule autourdes orientations suivantes :élargissement de l’accèsdes populations défavorisées aux services sociauxde base, accroissement des opportunités d’emploipour ces populations, renforcement desprogrammes d’assistance et de protection sociale.

Le premier volet d’exécution de la stratégie dedéveloppement sociale a été le BAJ (achevé en2003). La stratégie de développement social a étéégalement concrétisée par trois vastesprogrammes pluriannuels sectoriels d’équipementrural : le PERG, le PAGER et le PNCRR. Cesprogrammes sont venus compléter les autresprogrammes de développement rural et les autresprogrammes spécifiques de lutte contre lapauvreté. Tous ces éléments feront l’objet d’uneévaluation dans le paragraphe réservé auxpolitiques spécifiques de lutte contre la pauvreté.

Le constat le plus global de cette évaluationrétrospective consiste dans une certainedéconnection entre les politiques macroécono-miques poursuivies et les politiques socialesactives qui les accompagnaient. En ce quiconcerne l’observation des dépenses publiquessur cette longue période, ce n’est pas tant leurvolume qui rend compte de l’insuffisante redistri-bution, mais plutôt leur faible efficacité et leurdéfaut de ciblage.

Enfin, la stratégie de développement économique,déconnectée de la dimension sociale et spatiale dudéveloppement, a généré des disparités impor-tantes entre milieu urbain et milieu rural, entrerégions et à l’intérieur des régions. Selon l’étude (lapremière de son genre au Maroc) commandée parla direction de l’aménagement du territoire en2003 sur la compétitivité territoriale, près de 40%de la richesse nationale sont concentrés sur 1% duterritoire, y compris les aires rurales ; et plus de 77%du territoire contribue seulement pour 10% de lavaleur ajoutée nationale. La zone du littoralconcentre 61% de la population urbaine, 80% deseffectifs permanents de l’industrie et 53% de lacapacité touristique totale.

Sur la base de la compétitivité globale, le premiergroupe est celui composé du Grand Casablanca,Rabat, Tanger, Fès, Marrakech, Meknès et Agadir. Ilproduit 48% du PIB sur une superficie de 2% duterritoire et compte 10 millions d’habitants dont90% d’urbains. Le deuxième groupe (pôles urbainsrelais) composé de Tétouan,Kenitra,Oujda,El Jadida,Safi, Khouribga et Settat produit 24% du PIB sur 7%du territoire avec 7 millions d’habitants dont 50%d’urbains.Le troisième groupe engendre 17% du PIBsur 14% du territoire avec 7 millions d’habitantsdont 30% sont des urbains. C’est le seul groupehétérogène avec Nador comme pôle urbaindynamique et des villes en crise comme Jerrada. Lequatrième groupe de Laayoune à Smara auxprovinces arides et montagneuses, est considéré parles experts auteurs de l’étude comme à faiblepotentiel de développement économique.

Dans cette répartition territoriale basée sur la com-pétitivité, l’exclusion des ruraux dans la création etla distribution de richesses est manifeste, sinoncaricaturale. A l’heure de la régionalisation institu-tionnelle et économique, la compétitivité territoria-le apparaît terriblement déficitaire ; et si le traite-ment de la pauvreté nécessite un lien étroit avec lapolitique économique nationale, ce type deconstat milite encore plus pour un réaménage-ment équilibré du territoire et pour un plus grandlien entre le développement social régional et lespolitiques économiques régionales.

En somme, les véritables causes des déficitssociaux accumulés peuvent être résumées de lafaçon suivante :

(i) Jusqu’au milieu des années 90, les politiquessociales menées au Maroc n’ont été la plupartdu temps que des politiques d’accompagne-ment de la politique économique et sans liensréels avec elle.

(ii) Le développement rural a été victime d’unevision ‘’techniciste’’ du développement. Leretard en équipements divers, qui fait depuisune dizaine d’années l’objet de programmesde rattrapage, est largement dû à une concep-tion rigide et centralisatrice des administra-tions et des entreprises publiques responsables

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des services de base. Des normes trop strictes,injustifiées dans le contexte rural, ont long-temps paralysé les investissements socio-éco-nomiques nécessaires, les coûts économiquespar personne étant jugés beaucoup plus élevésqu’en milieu urbain. Cette conception a long-temps enfermé le monde rural dans le cerclevicieux du sous-développement.

Ce n’est heureusement plus le cas depuis lemilieu des années 90 : les résultats positifs desgrands programmes d’équipement rural (PERG,PAGER, PNCRR) s’expliquent, outre une plusgrande volonté politique et de meilleurs mon-tages financiers, par une remise en cause de cesnormes arbitraires. Cette remise en cause a lar-gement contribué à faire baisser les coûtsd’équipement par foyer, et donc à augmenter laproportion de la population rurale pouvantêtre desservie par ces services de base dans lalimite du coût par foyer rural jugé supportablepar le pays.

Depuis 1995, l’expérience a montré que laconception et la réalisation au niveau local d’unéquipement donné, avec des normes adaptées,se fait à un coût bien moindre que celui planifiéà partir de Rabat. Ceci est encore plus vraiquand la population locale participe à la miseen œuvre du projet. Dans plusieurs projets dedéveloppement local, la preuve a été apportéequ’il était possible aux populations, avec uneassistance technique minime, de réaliser deséquipements à moindre coût. C’est le cas aussibien de l’électrification rurale que de laconstruction d’écoles, de classes ou de dispen-saires plus adaptés au climat, à l’architecturelocale et de surcroît mieux localisés et davanta-ge intégrés au douar ou au village.

(iii) La gestion de la démographie n’a été prise encompte que tardivement vers la fin des années70. Le taux élevé de croissance démogra-phique, cumulé avec la vulnérabilité de l’agri-culture à l’aléa climatique et donc avec unexode rural intense, a exercé une très fortepression sur les villes en matière de scolari-sation, de santé, de logement et d’emploi.

La comparaison sur la longue période considéréeentre le taux moyen de croissance économique (3%à 3,5%) et le taux moyen de croissance démogra-phique (2%) montre le peu de marge de manœuvredont a disposé le pays. L’excédent en termes derevenus étant de surcroît très mal réparti. La gestionde la population sera donc la première politiquepublique évaluée, mais auparavant, ont ne peut pasne pas être frappé par le fait qu’au cours de ce demisiècle d’évaluation économique et sociale du pays,le Maroc a été un élève relativement fidèle desgrandes tendances qui ont traversé la communautéinternationale du développement.

En effet, en matière de doctrine du développe-ment: (i) Au cours des années 50 et 60, l’accent a étémis sur les infrastructures et l’accumulation ducapital physique ; (ii) au cours des années 70, l’ac-cent a été porté sur l’investissement dans le capitalhumain, notamment en matière d’éducation et desanté ; (iii) au cours des années 80, l’accent a été denouveau entièrement concentré sur l’importancede l’économie et de la création de richesse préa-lable à la redistribution ; (iv) et au cours des années90, l’accent a été mis sur les institutions, la primau-té du droit et la démocratie, comme corollaires fon-damentaux du progrès économique et social. Lepays a donc profondément subi et traversé lesgrandes mutations géopolitiques et les grandestendances des théories du développement enmême temps qu’il cherchait à régler ses conflitspolitiques et sociaux internes qui étaient large-ment influencés par les enjeux géopolitiquesexternes.

3. EVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES

3.1. POLITIQUE DE POPULATION ET DÉVELOPPEMENT

En cette année de recensement décennal, il n’estpas possible de faire l’impasse sur la politique depopulation et ses résultats en termes de dévelop-pement humain.

Le rapport élaboré en 2004 par le HautCommissariat au Plan et intitulé ‘’Population etdéveloppement au Maroc : dix ans après la

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Conférence internationale sur la population et ledéveloppement, Le Caire, 1994’’ met en évidenceles avancées et les insuffisances suivantes :

(i) Démographie : selon les projections démogra-phiques réalisées par le CERED, la population maro-caine serait de l’ordre de 30 millions de personnesen 2003 (chiffre confirmé par le recensement de2004 à 100.000 personnes près), dont 55% sont descitadins. Le taux d’accroissement annuel moyen estpassé de 2,8% entre 1960 et 1971 à 2,06% entre1982 et 1994, avant d’amorcer une décélérationtrès rapide : en 2003, ce taux serait de 1,5% selonles estimations du CERED et de 1,4% selon le recen-sement de 2004.

Nous étions 15 millions il y a trente trois ans. Entrois décennies, la population a doublé, mais lerythme d’accroissement s’est fait pour l’essentielentre les décennies 70 et 90. Les années 90 ont vule plus faible accroissement de la population detoute l’histoire contemporaine du royaume. Cephénomène est assez exceptionnel pour être souli-gné. Il est en rapport avec un déclin brutal de lafécondité conjugué à un taux de mortalité infantilequi reste relativement élevé. La chute de l’indicesynthétique de fécondité a été beaucoup plus rapi-de au Maroc que dans les pays d’Asie par exemple.

En 1980, une femme qui arrivait au terme de sapériode de fécondité avait eu en moyenne 6enfants nés vivants ; en 2000, une femme au mêmeâge, a eu en moyenne 2,5 enfants nés vivants. EnAsie, les femmes avaient 6 enfants dans les années50, mais elles ont mis cinquante ans pour tomber à2 aujourd’hui. Le Maroc n’a mis que 20 ans pourparvenir au même résultat.

La transition démographique se fait donc à unrythme beaucoup plus rapide que prévu. La géné-ration du baby-boom née entre 1965 et 1985 ali-mente les cohortes qui arrivent aujourd’hui sur lemarché du travail. Aujourd’hui, 62,2% de la popula-tion est âgée de 15-59 ans révolus (65,9% en milieuurbain et 57,2% en milieu rural). C’est une ‘’aubainedémographique’’ historique. L’arrivée en masse dejeunes formés pour produire de la richesse avecrelativement peu d’inactifs à charge (enfants etpersonnes âgées) ne peut être traduite en ‘’divi-dende démographique’’ que si la croissance écono-mique (à un niveau supérieur à 5%) arrive à créersuffisamment d’emplois pour produire cetterichesse. Si ce n’est pas le cas, nous vieillirons iné-luctablement à un rythme plus rapide que notrecapacité à créer de la richesse. En effet, la popula-tion âgée de 60 ans et plus, qui ne représentait que7,1% en 1994 et seulement un peu moins de 8% en

Evolution de la population du Maroc entre 1971 et 2004

1971

15 379 259

+ 5 millions + 6 millions + 3 millions

Source : données des 4 derniers recensements, Haut Commissariat au Plan.

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2003, va considérablement augmenter à partir de2015-2020, alors même que les jeunes actuels fontde moins en moins d’enfants et qu’ils rentrent deplus en plus tardivement sur le marché du travail.En 2040 le profil démographique du Maroc seracomparable à celui de la France actuellement.

Ces tendances lourdes couplées aux gains rapideset continus d’espérance de vie rendentredoutables les problèmes de financement desretraites au Maroc au cours des 15 prochainesannées et surtout au delà de cet horizon.

(ii) Education : le rapport fait état d’un taux net descolarisation des enfants de 6-11 ans de 92% en2002-2003 contre 68,6% en 1997-1998. Cetteamélioration remarquable a été plus substantielleen milieu rural, notamment pour les filles dont letaux de scolarisation est passé de 44,6% à 82,2%pour la même période.

En revanche, le taux d’analphabétisme, qui était de55% en 1994,est estimé à 45% en 2003.Ce fléau socialtouche essentiellement les ruraux et encore plus lesfemmes rurales. Il constitue un véritable handicappour le développement et pour l’intégration de lafemme au développement. La lenteur du rythme derégression de l’analphabétisme constitue un échecpatent de la politique sociale dans ce domaine.

(iii) Santé : le taux de mortalité infantile est passé de57°/°° pendant la période 1988-1992 à 37°/°°pendant la période 1992-1997. Le taux de maternitématernelle est passé de 332 décès pour 100.000naissances en 1985-1991 à 228 en 1992-1997. Cesdeux taux relatifs à la santé de la mère et de l’enfantont des valeurs beaucoup plus élevées en milieurural. Ils reflètent eux aussi des échecs indiscutablesde la politique nationale de santé, d’autant que lamortalité infantile semble s’aggraver.

(iv) Condition féminine : le Code de la famille estprésenté comme une avancée considérable enmatière de statut personnel. Cependant, ce pro-grès institutionnel ne peut occulter la réalité desdéficits égalitaires : ceux-ci sont reflétés à tous lesniveaux des indicateurs spécifiques au genre, quece soit en matière d’analphabétisme, de chômage,d’emploi, de niveau de salaire, de niveau de res-

ponsabilité sociale et politique (même si les élec-tions de 2002 ont amené un léger progrès dans cedomaine).

(v) Pauvreté : le taux de pauvreté a été estimé à 19%en 1998-1999.Depuis,ce taux a dû reculer en raison dela reprise de la croissance économique et surtout deson volet agricole. Il est estimé à 13,8% en 2003 par leHaut Commissariat au Plan. Ce taux est très sensibleaux critères de définition du seuil de pauvreté : unevariation de 50 DH par personne et par an en plus ouen moins peut entraîner une variation considérable dunombre de personnes jugées pauvres.

Il sera très important d’évaluer au cours desprochaines années l’évolution de ce taux, sousl’influence des programmes à orientation rurale(sécheresse, développement rural intégré, PAGER,PERG, PNCRR, lutte contre la pauvreté en milieurural), comme il sera important d’évaluerl’évolution du taux de vulnérabilité en fonction desperspectives de l’emploi et des progrès de laprotection sociale (AMO, RAMED, accidents dutravail, retraites…).

(vi) Emploi et chômage : selon ce rapport, lapopulation active (15 ans et plus) est estimée à 11millions de personnes en 2003, dont 27% defemmes. Elle se répartit en 5,9 millions en milieuurbain et 5 en milieu rural. Le nombre total deschômeurs est donc de l’ordre de 1,4 million depersonnes pour un taux de chômage estimé à 12%en 2003, dont 19,3% pour le chômage urbain etseulement 4,5% (mais c’est difficile à croire) pour lechômage rural. Le chômage urbain toucheessentiellement les jeunes et les jeunes diplômés.Nous reviendrons sur ce problème majeur.

Ce rapport du Haut Commissariat au Plan sur lapolitique de population constitue une sorte de cli-ché photographique d’un Maroc à la croisée deschemins. D’un côté le ralentissement de la crois-sance démographique signifie une baisse, à terme,de la pression des besoins sociaux ; cela serait uneexcellente nouvelle en soi s’il n’y avait pas tous lesretards sociaux à combler. D’un autre côté, la trans-formation de la structure par âge de la populationsignifie à très court terme des besoins immenses àsatisfaire en matière d’emplois pour des jeunes de

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plus en plus instruits et de plus en plus exigeants. Iln’y a pas de priorité plus grande aujourd’hui que l’in-clusion politique,économique,sociale et sociétale decette jeunesse sur laquelle repose l’avenir du pays.

3.2. LES POLITIQUES SOCIALES SECTORIELLES

Par politiques sociales sectorielles, on entendessentiellement l’éducation, la santé et le loge-ment. On les regroupées par commodité car leurévaluation dans le détail justifierait à elle seule plu-sieurs études ; on se souciera surtout de leurimpact ou de leur contribution sur la réduction dela pauvreté et des inégalités sociales. Or on sait quela vocation première de ces politiques n’est pas lalutte contre la pauvreté. Elles s’adressent globale-ment à l’ensemble des catégories qui composent lasociété. Pour autant, il importe de savoir quelle estla place que chacune d‘entre elles réserve auxpauvres ou si l’une ou l’autre d’entre elles adoptedes mesures de discrimination positive ou de cibla-ge en faveur des pauvres.

3.2.1. Politique d’éducation

Au Maroc, 97% des effectifs scolarisés fréquententl’école publique et plus des quatre cinquièmes desdépenses d’éducation proviennent du budget del’Etat. Elles ont toujours représenté au moins 20%du budget de l’Etat et autour de 6% du PIB. Bienque cette proportion soit supérieure à celleconstatée dans les pays similaires, le systèmeéducatif marocain obtient de moins bonnesperformances, notamment en matière d’éducationde base et d’alphabétisation.

Par ailleurs, la qualité de l’enseignement alongtemps souffert de supports pédagogiques etde programmes dépassés. La structure desdépenses selon le niveau d’enseignement a trèspeu varié dans le temps : 40% pour le premier cycledu fondamental, 22% pour le second cycle dufondamental, 21% pour le secondaire et 17% pourle supérieur. Les dépenses par élève au secondairesont 3 fois plus élevées que celles au premier cycledu fondamental, alors que ce ratio est égal à 1,4seulement dans les pays de l’OCDE.

Dans quelle mesure les dépenses publiquesd’éducation ont-elles été favorables aux pauvres

en termes d’accessibilité ? Bien que les ménagesles plus aisés reçoivent proportionnellement unepart plus élevée des dépenses publiquesd’éducation, il existe d’importantes différencesselon les niveaux d’éducation. Les deux cycles dufondamental bénéficient fortement aux pauvres,tandis que le secondaire et le supérieur bénéficientfortement aux plus aisés. Cependant, globalement,ces dépenses publiques sont à l’avantage despauvres car les caractéristiques des subventionsdans les deux cycles du fondamental compensentlargement celles du secondaire et du supérieur.

En fait, la pauvreté elle-même reste le plus grandobstacle à la scolarisation, que ce soit dans les villesou dans les campagnes. Bien que l’école publiquesoit gratuite, le coût des fournitures n’est pas négli-geable, le coût d’accessibilité physique non plus,sans compter les coûts socioculturels, surtout pourles filles en milieu rural. Ces divers coûts d’opportu-nité " justifient largement les mesures incitatives àla généralisation de l’enseignement préscolaire etscolaire contenues dans le plan 2000-2004.

De façon synthétique, on peut résumer les causesdu faible rendement du système éducatif de lamanière suivante : (i) une mauvaise appréhensionde la diversité géographique, culturelle et linguis-tique du Maroc ; (ii) un traitement uniforme et unenormalisation excessive tant de l’architecture del’école, du contenu pédagogique, que des horaireset congés ; (iii) une faible adaptation de l’école àson contexte local ; à titre d’exemple, des milliersde classes vides dans le monde rural sont la consé-quence de normes et de principes arrêtés à rabatsans concertation réelle avec les partenaireslocaux; (iv) un autre facteur du bas rendement dusystème éducatif est la mauvaise gestion de sesressources humaines ; la gestion centralisée descarrières des enseignants est un exemple édifiantdu malaise vécu par des milliers d’enseignants.

Tous ces éléments ont été pris en compte par laCOSEF et par la Charte de l’éducation, comme entémoignent les mesures de déconcentration, departenariat avec les acteurs locaux et de responsa-bilisation de ces acteurs (collectivités locales, asso-ciations villageoises, directeurs d’école). Le système

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éducatif marocain, qui fait l’objet d’une profonderéforme aujourd’hui, est appelé à augmenter defaçon significative ses performances quantitativeset qualitatives. La concrétisation des objectifs de laCharte nationale de l’éducation et de la formationest la condition sine qua non de la concrétisationde l’égalité des chances d’accès au savoir et ausavoir faire.

Les aspects relatifs à la lutte contre l’analpha-bétisme et à l’éducation non formelle seront traitésdans le cadre des programmes spécifiques de luttecontre la pauvreté ; ceux relatifs à l’inadéquationformation-emploi seront traités dans le cadre de lapolitique de l’emploi.

3.2.2. Politique de santé

La santé et le bien-être de la population, sansdépendre exclusivement des performances dusystème de santé, lui sont étroitement liés.

Le financement du système de santé au Maroc estglobalement insuffisant par rapport aux pays com-parables et ne dépasse pas 4,5 à 5% du PIB. Lamoyenne annuelle des dépenses de santé par habi-tant ne dépasse pas 550 DH. Le budget du Ministèrede la santé représente moins du tiers de la dépenseglobale et ne dépasse pas 1,2% du PIB et 5,3% dubudget de l’Etat (ou encore 172 DH par habitant).

La charge financière qui pèse directement sur lesménages est de 60%, le financement collectif de lasanté ne couvrant que 40% des dépenses (budgetpublic + assurance-maladie). L’entrée en vigueur del’assurance-maladie obligatoire, puis bientôt duRAMED et de l’assurance-maladie pour les non sala-riés, va renforcer le financement collectif et solidairede la santé, diminuer l’iniquité d’accès économiqueaux soins et injecter des ressources additionnellesdans le système. Est-ce à dire que les problèmes dusystème de santé en seront résolus pour autant ?Loin s’en faut, car de nombreux problèmes qui affec-tent le secteur sont d’ordre structurel et non pasfinancier. Bien plus, la médiocrité de certains résul-tats sanitaires (santé de la mère et de l’enfant) n’arien à voir avec des insuffisances de financement,mais beaucoup plus avec les performances du systè-me lui-même.

L’amélioration du système de financement collec-tif, politiquement et socialement justifiée, ne peutpas à elle seule garantir des prestations plus effi-caces si elle ne s’accompagne pas d’une harmoni-sation territoriale et d’une harmonisation de laqualité de l’offre de soins (publique et privée). Pourl’instant, en quoi les pauvres bénéficient-ils desdépenses publiques de santé ? Sachant qu’ils n’ontpas d’autre choix que cette catégorie de dépenses.

Le financement budgétaire, déjà insuffisant en soi,est consommé à 86% en coûts récurrents, ce quilaisse peu de manœuvre pour les dépenses d’équi-pement et d’investissement. En outre, les quatrecinquièmes des dépenses de fonctionnement sontalloués aux hôpitaux contre le cinquième seule-ment pour les soins de santé de base et les soinspréventifs en milieu rural.

Les questions relatives à l’accessibilité aux servicespublics de santé par les plus nécessiteux, aux coûtsque représentent pour eux les soins, à la répartitiondes subventions publiques dans ce domaine selonle niveau de dépenses des populations, ont étéexposées dans une étude de la Banque mondialebasée essentiellement sur les résultats de l’enquê-te sur les niveaux de vie de 1998-99 (Poverty upda-te, Draft, Banque mondiale, 2000). D’après cetteenquête :

• les populations pauvres sont totalement excluesde l’assurance médicale.

• L’accès aux soins de santé varie largement selonles niveaux de revenus : la plupart des pauvres uti-lisent les services publics tandis que les plus aisésoptent pour le privé

• La distance moyenne que doivent parcourir lesruraux pour se rendre à un centre public de santéest 21 km (31 km pour des soins privés), contre 5km pour les citadins (11 km pour le privé). Lamoitié environ des populations urbaines peuventse rendre à pied à un centre de soins, contre 14%seulement pour les populations rurales.

• En moyenne, la dépense annuelle en soins desanté est de 511 DH par ménage urbain contre189 DH par ménage rural. Bien que les soinssoient en principe gratuits pour les indigents ; les

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pauvres (premier quintile) consacrent 2,4% deleurs dépenses totales pour se soigner contre5,8% pour les moins nécessiteux (dernier quintile)

• En milieu rural, pour se soigner, les pauvres optentprincipalement pour les dispensaires (36%).Cependant, 21% d’entre eux consultent desmédecins privés, comparés à 15% pour leshôpitaux publics. Cela confirme, d’une certainemanière, que le système public de santé est encoreperçu par les populations nécessiteuses comme unsystème inefficient et de faible qualité.

• Les populations urbaines les plus riches (dernierquintile) bénéficient des hôpitaux publics septfois plus que les populations urbaines les plusnécessiteuses (premier quintile).

• En milieu rural, les centres de santé sont surtoututilisés par les ménages à bas et moyens revenusalors que dans les villes, les deux quintiles deménages aux revenus les plus élevés bénéficientcinq fois plus que le quintile le plus pauvre.

• En milieu urbain, de tous ceux qui accèdent auxdispensaires, 8,5% seulement sont pauvres (pre-mier quintile) contre 26% pour les plus riches(dernier quintile). Cependant, dans les cam-pagnes, l’utilisation des dispensaires est le faitessentiellement des pauvres qui en bénéficientcinq fois plus que les riches.

Les résultats de cette enquête ont de nouveaumontré que des ressources publiques limitéescombinées à un mauvais ciblage des programmesde santé publics et à une faible gestion des hôpi-taux de l’Etat n’ont permis ni de réduire de maniè-re significative les grandes disparités entre milieuxrural et urbain, ni de fournir des soins adéquats auxpauvres, particulièrement les femmes et les enfantsen milieu rural. Ces constats qui mettent en reliefles insuffisances des performances techniques dusystème de santé peuvent être étayés par les indi-cateurs suivants :

Mortalité infantile : le taux national de 37°/°° en pro-grès par rapport au taux de 132°/°° enregistré en1960 ne doit pas faire occulter les grosses insuffi-sances réelles : il est de 23,8°/°° en milieu urbain et de46,1°/°° en milieu rural. Ce taux de surmortalité

infantile rurale est encore aggravé par des disparitésrégionales assez incroyables : 46°/°° dans la régionde Meknès Tafilalet contre 105°/°° dans les régionsde Fès Boulmane et Taza, Al Hoceima Taounate (soitun taux proche de ce qu’il était il y a 50 ans).

Dans la mortalité des moins de 1 an, la moitié sur-vient dans la période néonatale, soit près de 14.000décès chaque année, ou encore près de 40 décès àla naissance par jour.

Mortalité maternelle : le taux national de 228 décèspour 100.000 naissances vivantes qui est déjà inad-missible en comparaison à celui des pays similaires,est de 125 en milieu urbain et de 307 en milieurural. Ces chiffres sont à rapprocher de ceux quiconcernent l’accouchement en milieu surveillé :75% en urbain contre 27% en rural. Ces résultatssanitaires consternants en matière de santé de lamère et de l’enfant interpellent la communauténationale ; ils mettent en cause l’efficacité et l’at-tractivité des services de santé publique. Ils n’ontrien à voir avec des problèmes financiers. Il s’agit del’efficacité technique et d’interventions de santé àfaible coût relatif : santé reproductive et santé del’enfant. Les indicateurs de mortalité ne rensei-gnent pas, du reste, sur la morbidité maternelle etinfantile responsable vraisemblablement de trèsnombreux handicaps physiques et mentaux. Lescoûts de prévention de ces handicaps sont sanscommune mesure avec les coûts de réparationqu’ils occasionnent pour les familles et la société.

Si l’on ajoute à ces considérations les problèmessimples et non encore résolus de carence nutri-tionnelle (fer, vitamine A, vitamine D, iode, sous-nutrition chronique), on peut douter de la capacitéactuelle du système national de santé à affronterles nouveaux défis relatifs à la transition épidémio-logique et aux politiques à mener face au cancer,aux maladies cardio-vasculaires et en général auxaffections à coût élevé.

3.2.3. Politique du logement

La politique de l‘habitat,de l’urbanisme et du logementne relève pas uniquement de préoccupations socialesou de mesures spécifiques destinées à favoriser l’accèsdes ménages les plus démunis au logement.

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Elle est déterminée par le contexte macroéco-nomique, le profil des politiques économiques(monétaire, budgétaire) et des politiques structu-relles et sectorielles (construction et BTP,équipement, infrastructures, aménagement duterritoire, politique de la ville, etc.). En effet, le tauxde croissance du PIB et des revenus individuelsdétermine à la fois le nombre de logements que lesménages sont en mesure d’acquérir personnel-lement et les ressources que l’Etat peut consacreraux dépenses publiques dans ce secteur. Quel quesoit le pays, le logement demeure l’investissementprioritaire des ménages et leur principal motifd’épargne. Au Maroc, l’Etat est intervenu principa-lement dans ce domaine par la réalisation delotissements et de logements, par des politiques desubventions à l’habitat et par des politiques delutte contre l’habitat insalubre. Concernant cedernier volet, il avait commencé par des mesuresqui se sont révélées brutales et intempestives. Lapolitique de résorption des bidonvilles avait étéinitiée par la destruction pure et simple d’uncertain nombre d’entre eux, alors que les mesuresde recasement et de relogement ne suivaient pas.Ces destructions avaient abouti à une réduction del’offre de logements et au délitement des lienssociaux qui se nouent même et surtout dans lesbidonvilles.

Le programme ‘’villes sans bidonvilles’’ 2004-2008concerne 67 villes du pays et 201.550 ménages,comportant restructuration, recasement etrelogement. Le programme des logements sociauxconcerne la réalisation de 100.000 logements paran (le déficit est estimé à plus de 800.000logements). L’Etat a reconfiguré son rôle, passantde la production directe à la stimulation de l’offreet de la demande de logement en impliquantfortement le secteur privé dans la réalisation etdans le financement. La politique de l’habitat et del’urbanisme a devant elle un immense chantier, ausens propre du terme, de correction et derattrapage d’un développement anarchique dutissu urbain, anarchie faite de prolifération desbidonvilles, de quartiers non réglementaires etinsalubres, de suroccupation des logementsexistants en centre ville et surtout dans les

médinas. Jusqu’à présent, La politique del’urbanisme a surtout été conçue dans l’atmo-sphère d’urgence qui suivait chaque crise urbaineviolente (1965, 1973, 1981, 1984, 1990). Il est tempsque la politique de la ville soit gérée dans la duréepour que les villes marocaines soient plusproductives et plus inclusives à la fois pour lespauvres et pour les classes moyennes menacées depaupérisation en raison des coûts de la vie enmilieu urbain (logement, transport, coûts desenfants, coûts des soins, coûts de l’eau, de l’élec-tricité, etc.).

Au terme de cette section consacrée aux politiquessociales sectorielles (éducation, santé, logement),on peut dire que ces politiques censées assurerl’insertion sociale active (à côté de la politique del’emploi) se sont révélées peu inclusives, peucohésives et politiquement peu responsables.

La stratégie de survie de la population, la soliditédes réseaux communautaires et familiaux desolidarité et la capacité de réponse et d’adaptationdu secteur informel ont suppléé les insuffisancesdes prestations publiques dans les trois secteursconsidérés et dans celui de l’emploi.

3.3. POLITIQUE DES RELATIONS PROFESSIONNELLESET DE L’EMPLOI

Dans un contexte d’ouverture de l’économie et deglobalisation des échanges, ce qui doit être évalué,c’est le climat des relations de travail, le degré derigidité ou de souplesse du marché du travail, lesmesures d’incitation à l’investissement et à lacréation d’emplois et les mesures actives de luttecontre le chômage.

Le chômage constitue le problème numéro 1 auMaroc. Il n’y a pas d’autre priorité plus urgente, caril est déjà source de pauvreté et de précaritésociale et il le sera de plus en plus demain, mais ilconstitue aussi la cause majeure d’exclusionsociale et donc la principale menace sur lacohésion sociale.

Ainsi, il est important d’évaluer, même si c’estnécessairement de façon très rapide, le climatsocial des relations de travail et l’efficacité desmesures actives pour l’emploi.

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L’adoption de la loi du 11 septembre 2003 formantCode du travail apporte une harmonisation àl’éparpillement des textes précédents. Elle apportesurtout de nombreuses innovations qui sontcensées contribuer à stimuler les investissementsgénérateurs d’emploi, offrir une plus grandevisibilité aux entreprises, améliorer leurgouvernance, consolider les droits fondamentauxau travail, mieux gérer la conflictualité sociale etmettre en harmonie la législation avec les mesuresinternationales du travail.

En fait, presque tout le droit du travail est unchamp de concurrence entre les règles légales,statutaires et conventionnelles. Le Code est venuappliquer un minimum légal tout en conservant leprincipe de l’application de la règle la plusfavorable, ceci en ce qui concerne le contrat detravail. Pour tempérer ce constat, il faut tenircompte du fait que les règles statutairesconcernent essentiellement la fonction publiqueet les établissements publics et que lesconventions collectives approuvées depuis l’indé-pendance du pays ne concernent que 5% de lamasse des salariés du secteur privé. Il y a toute uneculture et un savoir faire de négociation sociale quirestent à promouvoir entre les partenaires sociaux,branche par branche et fédération par fédération.

Le Code a fini aussi par trancher sur les questionsdélicates des modalités d’exercice du droit syndicalet de la barêmisation des indemnités de licencie-ment. Ces deux domaines avaient tendance àalourdir le climat social à l’intérieur de l’entreprise,à compromettre la paix sociale et à engorger les tri-bunaux avec les contentieux du travail. Les disposi-tions du Code, sont à cet égard, propices à uneflexibilité du travail et à la mobilité de l’emploi sansprécarisation excessive et sans paralysie de l’activi-té des entreprises. Les dispositions du Code sontvenues renforcer aussi la santé au travail et l’ins-pection du travail, en parallèle avec la loi instituantl’obligation en matière d’accidents du travail et demaladies professionnelles (adoptée à quelquesmois d’intervalle).

Ces avancées dans la gestion et la régulation desrelations professionnelles sont le fruit du dialogue

social entre l’Etat, les syndicats des travailleurs et lepatronat. Les négociations autour du SMIG, de ladurée du travail, des revendications salariales etdes modalités d’exercice des libertés syndicalescommencent à prendre une tournure plus apaiséemettant progressivement fin aux occupations desusines ou à leur fermeture.

Il y a une quinzaine d’années, il faut le rappeler, unecertaine conception anarcho-libertaire du syndica-lisme était parvenue à détruire des bassins entiersd’emplois industriels (comme à Fès au début desannées 90). Toutes ces évolutions sont positives,encore faut-il qu’elles soient consolidées par uneévolution des mentalités, une culture du partena-riat authentique et de responsabilité sociale parta-gée et par une professionnalisation du savoir faireen matière de négociation et de contractualisation.

En ce qui concerne la politique de l’emploi, il n’estpas possible d’évaluer ici toutes les mesures enfaveur de l’emploi, ne serait-ce qu’en raison de leurvariété et de leur nombre. Celles-ci sont :

- des mesures à caractère général comme l’amélio-ration de l’environnement de l’entreprise et duclimat des affaires, la levée de l’obstacle foncier àl’investissement, la création des centres régionauxd’investissement, l’incitation des grandes entre-prises à recruter, le soutien à la PME-PMI et la créa-tion d’une agence nationale chargée de cettemission ;

- des mesures actives en faveur de l’emploi : le cré-dit jeunes promoteurs, les pépinières d’entre-prises, l’appui à l’auto-emploi, les services deconseil et d’assistance aux jeunes promoteurs, lamise en place d’un observatoire de l’emploi etdes qualifications, la formation insertion desjeunes diplômés pour le programme action-emploi, la formation professionnelle qualifiante,la formation en cours d’emploi, la formation alter-née, la formation par apprentissage, la formationà accès régulé Bac + 2 à finalité professionnelle, ledispositif d’appui à la reconversion profession-nelle, la promotion du secteur privé de formationprofessionnelle, la création de centres sectorielsgérés conjointement avec les professionnels, larestructuration des programmes de formation

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selon l’approche par compétences, l’allègementdes charges sociales des entreprises qui recru-tent des jeunes diplômés ou des jeunes lauréatsde la formation professionnelle, la mise en placede l’Agence nationale de promotion de l’emploiet des compétences.

La plupart de ces mesures visent à renforcer l’em-ployabilité des jeunes et à corriger les méfaits del’inadéquation éducation-formation-emploi, cetteinadéquation étant un des autres échecs majeursdu système national d’éducation. Pourtant les lau-réats de la formation professionnelle sont eux aussinombreux à se retrouver au chômage. L’éducationet la formation ne sont pas seules en cause, il y aune certaine incapacité du tissu productif nationalà créer suffisamment d’emplois. Il y a aussi, il fautl’avouer, une caractéristique de l’investissementprivé qui est aujourd’hui beaucoup plus capitalis-tique que riche en emplois. Ce fait devrait interpel-ler les décideurs en matière de politique écono-mique chargés de guider les mutations sectoriellesnécessaires. A constater la profusion des mesuresactives pour l’emploi, on réalise qu’on est loin del’époque des bureaux de placement, des CIOPE oudu CNJA. Pourtant la profusion de ces mesures etde ces instruments ne doit pas faire illusion. Seulsles instruments très proches des entreprises etcogérés par elles ont une efficacité toute relative.La plupart des autres mesures et instruments ontconstitué des effets d’aubaine sans lendemainpour des employeurs et de jeunes entrepreneurspeu scrupuleux. Le seul instrument efficacedemeure l’investissement créateur d’emplois.

Quelle est la capacité de l’économie nationale àcréer des emplois ? A cette question il y a deuxtypes de réponses possibles. Une réponse prospec-tive analysant le rythme de création d’emploi aucours des dernières années et une réponse projec-tive analysant les scénarios de création d’emploisen fonction de ceux de la croissance économique.

Selon LAABOUDI et TAHRAOUI (Centre Marocain deconjoncture), au cours des 20 dernières années, lacapacité de création d’emplois par le système pro-ductif s’est établie à une moyenne de 206.00postes par an. Les emplois créés annuellement au

cours de cette période se sont répartis en 98.000postes pour les activités primaires, 67.000 pour lesactivités tertiaires et 29.000 pour les activitéssecondaires. Le reste, soit près de 23.000 emplois, aété pourvu par les administrations publiques etaccessoirement par les activités diverses dénom-mées dans les statistiques de l’emploi ‘’activitésmal désignées’’.

Le volume global de l’emploi et son évolutionpeuvent être appréhendés à travers les troisrecensements de 1971, 1982 et 1994 et à traversles enquêtes annuelles sur la population active. Ilressort de ces données couvrant les troisdernières décennies que le volume global del’emploi est passé de 3,7 millions de personnes en1971 à 9,6 millions en 2003, réalisant ainsi unaccroissement moyen de 3,1%. On notera que,parallèlement, l’activité économique a enregistréune croissance moyenne de 3,9% au cours de lamême période). Suivant les différentes phases decroissance de l’activité, l’évolution de l’emploiglobal a été relativement plus soutenue au coursde la décennie 70, avec une progression moyennede 3,4%, ainsi qu’au cours de la période 1994-2002 où l’emploi global s’est accru au taux moyende 3,9% par an. La phase de repli du rythme del’évolution de l’emploi a été celle de 1982-1994qui a coïncidé avec la mise en œuvre duprogramme d’ajustement structurel. Au cours decette phase, la progression de l’emploi n’a pasdépassé le taux moyen de 2,2%, tandis que lapopulation active progressait au rythme de 2,8%par an. La structure de l’emploi par sexe faitapparaître une progression de l’emploi fémininau cours de la dernière décennie de 19,2% en1994 à 25,9% en 2001. Cette évolution apratiquement concerné tous les secteursd’activité.

La répartition de l’emploi par groupes d’âgereflète le caractère dominant de la jeunesse dela population active occupée : 75% des actifsoccupés en 2001 ont moins de 45 ans. Cecaractère dominant de la jeunesse se retrouveaussi dans les statistiques du chômage. Lechômage atteint surtout les jeunes de plus enplus diplômés et de plus en plus qualifiés. Le

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chômage est aussi un phénomène essentiel-lement urbain (il touche 1 actif urbain sur 5).

Quant à la capacité de l’économie nationale àcréer de l’emploi au cours des dix prochainesannées, elle est appréhendée à travers des projec-tions comportant 3 scénarios.

Le scénario fort implique la création de 400.000emplois en moyenne annuelle et nécessite un tauxde croissance du PIB de 6,6% (chiffres à compareraux 207.000 emplois annuels créés en moyennejusqu’à présent et au trend historique de croissan-ce du PIB). Le scénario intermédiaire impliquant untaux de chômage de 10% nécessite la création de300.000 emplois par an pour un taux de croissancede 5,1%. Le scénario faible, avec maintien du tauxactuel de chômage, nécessite la création de250.000 emplois pour un taux de croissance de4,2%. Ces projections démontrent amplement lesbesoins de mutations structurelles de l’économienationale ainsi que les besoins en investissementriche en emplois.

Quelle que soit la validité de ces scénarios, la créa-tion d’emplois en nombre suffisant et la protectiondes emplois créés nécessiteront une croissanceéconomique forte et des mutations de l’économievers les secteurs industriels à forte productivité.Nous reviendrons sur ce sujet dans le chapitre III,car la résorption du chômage doit procéder d’unevision d’ensemble de la politique économique.

3.4. POLITIQUE DE PROTECTION SOCIALE

En dehors des filets de sécurité qui seront traitésdans le cadre de la lutte contre la pauvreté, le sys-tème national de protection sociale appelle lesévaluations suivantes :

(i) L’ensemble des dispositifs légaux ou statu-taires s’adresse exclusivement à une fraction dessalariés et à leur famille à charge : CNSS, CMR, RCAR,CNOPS, CIMR, AMO, accidents de travail et couvreenviron 30% de la population. Cette population estcomposée des agents civils et militaires de l’Etat,des agents des collectivités locales, des agents desétablissements publics et des employés du secteurprivé moderne et structuré. Ce système est doncparticulièrement élitiste et urbain. : les salariés de

l’agriculture bien que légalement assujettis aurégime de la CNSS, n’y adhérent pas en raison dufait qu’ils sont exclus des prestations familiales, lesseules qui les intéressent vraiment étant donnéleurs caractéristiques d’emploi (saisonniers, occa-sionnels, aides familiaux, etc.) L’ensemble des trans-ferts sociaux réalisés par ces dispositifs légaux oustatutaires repose sur les salaires faibles et moyens.

(ii) La politique des allocations familiales quidemeurent des prestations exclusivement moné-taires sans aucun lien avec les coûts de l’enfantmérite d’être revue de fond en comble. Cette poli-tique de complément de salaire qui était peut êtrejustifiée dans les années 50 et 60, s’est considéra-blement éloignée de ses objectifs initiaux (redistri-bution verticale et horizontale) pour donner lieu àdes stratégies opportunistes des pouvoirs publics,des syndicats et des employeurs.

Les pouvoirs publics en imposant un taux de coti-sation excessif aux employeurs (la cotisation estexclusivement patronale et est assise sur la massesalariale déplafonnée) ont dégagé pendant 50 ansdes excédents techniquement injustifiées qui ontcontribué à financer à bas prix le trésor.

Le syndicat longtemps majoritaire dans le secteurprivé a développé un sentiment de propriété surces réserves financières considérables et a obtenudes pouvoirs publics la latitude d’utiliser une partiede ces excédents dans une ‘’stratégie d’actionsociale’’ comportant la création de polycliniques,de centres de soins, de crèches, de logementssociaux, de centres de loisirs et de vacances, d’aidesanitaire familiale… dont les bénéficiaires finauxn’avaient souvent rien à voir avec le système.

Les employeurs, enfin, dans une stratégie de paixsociale dans les entreprises, ont plus ou moins cau-tionné cette politique (malgré les dénégationscontraires). Ils se sont surtout adaptés au systèmeen déclarant des revenus primaires insignifiants,selon les secteurs d’activité, les allocations fami-liales représentent parfois l’essentiel du revenu dis-ponible des ménages (à titre d’exemple, pendantprès de trente ans, il suffisait de déclarer un salariépayé à 80 DH par mois pour que celui-ci obtiennede la CNSS plus de 500 DH par mois s’il avait plus

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de 3 enfants à charge). Des secteurs entiers commeceux de l’agro-industrie, de la pêche, du BTP, du tex-tile, etc. ont développé ces stratégies opportunistessans que cela renseigne vraiment sur les salairesréellement versés aux salariés concernés (le SMIGétant fixé sur des bases horaires de travail).L’impact social le plus négatif de ces stratégiesopportunistes étant la modicité des salaires décla-rés servant de base de calcul pour les retraites. Lesréveils douloureux de ces catégories de salariésarrivés au soir de leur vie professionnelle ont étépartiellement atténués par l’instauration d’unepension minimale à partir du milieu des années 90.Curieusement le montant de celle-ci avoisinait leplafond des allocations familiales. Malgré le trans-fert des excédents de la branche famille à labranche retraites et malgré le transfert récent d’unpoint de cotisation des allocations familiales à labranche maladie (AMO), le taux résiduel de cotisa-tion : plus de 6 points de la masse salariale dépla-fonnée continue de poser un problème de philoso-phie de la politique de protection sociale dans uncontexte ou la taxation du travail affecte la compé-titivité internationale des entreprises marocaines.En effet, ou bien la politique de la branche familia-le de la protection sociale est étendue au finance-ment de la demande de logement social (y a-t-ilune politique familiale plus intelligente que cellequi consiste à aménager un accès à un logementdécent pour des populations laborieuses qui parti-cipent à la création de richesses ?) ou bien il faudraencore diminuer le taux de cotisation de la branchefamille pour affecter les ressources dégagées à despolitiques sociales plus efficaces (maladie, acci-dents, décès, invalidité, retraites).

(iii) La politique des retraites telle qu’elle a étémenée jusqu’à présent laisse planer un certainnombre d’inquiétudes. Le retard apporté au règle-ment de la question des régimes spécifiques dontl’extinction démographique était prévue de longuedate (ONCF, ODEP, RAM, OCP, ONE, régies, etc.) a révé-lé non seulement l’étendue de la dette implicitecontractée par ces régimes, qui impacte le budgetde l’Etat, mais aussi les menaces que cette incorpo-ration dans les régimes démographiquement plusviables (RCAR, CNSS) fait peser sur ces derniers.

De même, la dette explicite du budget de l’Etatvis-à-vis de la CMR qui a fait l’objet d’unapurement brutal dans la Loi de finances 2005(plus de 10 milliards de DH) n’est que le refletd’une gestion comptable peu rigoureuse. La vraiedette implicite liée aux engagements du régimenécessitera des ajustements paramétriquesdrastiques. En effet, avec un taux de rendementde 2,5% dans un secteur d’emploi protégé, ilsuffit d’une période de 40 ans de cotisation pourobtenir 100% du dernier salaire d’activité. Unrevenu de remplacement, dans un régime deretraite de base, peut-il raisonnablementatteindre 100% du revenu d’un actif. C’est vérita-blement la preuve d’une hérésie économique etsociale qui met en péril l’équilibre des financespubliques. D’autant que par le jeu des rémuné-rations statutaires et des indemnités complétantces rémunérations, par les promotions en fin decarrière, par le mélange de prestations contri-butives et non contributives par les distorsionsexistant entre les régimes des pensions civiles etmilitaires, les inégalités entre pensionnés de lafonction publique sont caricaturales : les petitestraitements et émoluments ayant la charge definancer des retraites de plusieurs dizaines demilliers de Dirhams mensuels. Il y a là uneimpossibilité quasi mathématique definancement qui demande des aménagementsappropriés.

Dans le secteur privé couvert par la CNSS pour lespensions de base et par la CIMR pour les pensionssupplémentaires, la problématique quoique légè-rement différente est de même nature.

Le régime de base couvert par la CNSS devrait êtredéplafonné relativement à l’entrée en cotisationset plafonné relativement à la sortie en pensions, cequi permettrait l’expression d’une finalité redistri-butive (et pas seulement contributive), en relevantle niveau de la pension minimale et enambitionnant un taux de remplacement moyen del’ordre de 50 à 60%. L’essentiel du complémentdevant être fourni par des cotisations à desrégimes fonctionnant par capitalisation collectiveet individuelle.

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Pour les deux régimes CMR et CNSS, pourquoi cettefolie des départs en retraite à 55 ans ? Elle est lamarque d’une confusion entre la politique derégulation du marché du travail et la politique desretraites proprement dite. La loi permettant à laCNSS de servir des pensions à partir de 55 ans pourpeu que la neutralité actuarielle soit garantie parles versements des cotisations restant à couvrirjusqu’à l’âge de 60 ans, ainsi que les dispositifs dedépart volontaire dans les établissements publicset la fonction publique, constituent des dispositifsimprudents de fabrication de la dette publique quine tiennent pas compte des gains rapides etininterrompus de gain d’espérance de vie (EVN) ;dictées par des considérations économiques etcomptables, ces mesures à court terme, vont fairereporter sur les jeunes générations futures lacharge de financement d’une dette implicite crééepar des engagements imprudents. Car il ne faut pasoublier qu’un fonctionnaire qui a acquis des droitsà la retraite est payé par l’Etat jusqu’à sa mort, demême qu’un cadre mis à la retraite à 55 ans (sous leprétexte fallacieux de créer un emploi pour unjeune, ou pour un cadre à salaire moins élevé) verrason revenu assuré jusqu’à sa mort, de plus en plustardive, par le travail des jeunes générations quiarrivent de plus en plus tardivement sur le marchédu travail et qui font de moins en moins d’enfantspour assurer leur propre retraite.

(iv) En matière de développement social au Marocaujourd’hui, il faut être d’autant plus attentif à cetteproblématique des retraites que le vieillissementde la population va considérablement s’accélérer àpartir des 10 ou 15 prochaines années. Or, l’ingé-nierie des systèmes de retraite couvre des horizonsqui vont au-delà. Un grand nombre des travailleursactifs marocains ont pour l’instant des revenusproches du seuil de pauvreté, beaucoup d’entreeux risquent de devenir demain de ‘’vieux pauvres’’et il ne faudra pas continuer à compter exclusi-vement sur les réseaux de solidarité familiaux etcommunautaires pour subvenir à leurs besoins (enmatière de revenus, de logement et surtout desanté).

La presque totalité des travailleurs indépendantsn’a pas de couverture en matière de retraite ; l’inci-

tation à l’auto-emploi, la création d’AGR, la vitalitédu secteur informel et sa capacité à générer desemplois dans le cadre de l’économie familiale ouaffective sont tous autant de facteurs qui génèrentde l’emploi indépendant.

Il faut que les pouvoirs publics aujourd’hui sepenchent de façon beaucoup plus énergique etvolontaire sur les mesures d’encouragement àl’épargne retraite des travailleurs indépendants(artisans, commerçants, petits entrepreneurs,exploitants agricoles, professions libérales, etc.).Même si ces mesures doivent revêtir un aspectcorporatiste, censé atténuer la ‘’myopie’’ sociale, etmême si elles doivent être d’essence purementcontractuelle et conventionnelle plutôt que légale(les gens ne sont pas toujours disposés à toutes lesformes de solidarité imposées par l’Etat), lespossibilités offertes aujourd’hui par les produitsd’assurance-vie et d’épargne retraite, de fondscommuns de placement, d’incitations fiscales àl’épargne longue sont très nombreuses et offrentdes ressources insoupçonnées.

De même que l’extension de la micro-finance dudomaine déjà prometteur du micro-crédit audomaine encore inexploré de la micro-assurancepeut se révéler un gisement extraordinaire definancement de la solidarité.

Le réaménagement du système national deretraites, fondé sur des régimes de base parrépartition mieux coordonnés entre eux etcensés fournir des revenus de remplacementfinançables par la collectivité (ne dépassant pas50 à 60% au maximum des revenus d’actifs),complété par des régimes complémentairesfonctionnant en capitalisation, et par des régimesspécifiques aux travailleurs indépendantsfonctionnant en capitalisation individuelle pureest une nécessité à la fois au plan social et au planéconomique. C’est en effet un des rares cas où leréalisme économique rejoint les préoccupationsd’équité et de justice sociale : l’épargne institu-tionnelle longue ainsi dégagée pouvant êtreinvestie dans les secteurs productifs générateursd’emploi et donc être source de pérennité definancement du système.

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(v) En matière d’indemnisation du chômage, leGouvernement a été bien inspiré de mettre enveilleuse le projet de loi sur l’indemnisation pourperte d’emploi. En effet, dans un contexte dechômage de masse, et compte tenu de la taille dusecteur informel, un traitement social passif duchômage dû à des licenciements économiques,outre ses aspects très restrictifs, entraînerait desdistorsions sur le marché du travail sans bénéficeréel et durable pour les victimes de ceslicenciements collectifs à caractère économique(qui restent d’ailleurs très difficiles à cerner defaçon précise). L’ampleur et la structure duchômage au Maroc militent pour un traitementessentiellement économique du phénomène.

4. EVALUATION DES PROGRAMMESSPÉCIFIQUES DE LUTTECONTRE LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION

Cette section du document a pour objet de passeren revue et d’analyser l’impact des principauxprogrammes nationaux de lutte contre lapauvreté et l’exclusion sociale mis en œuvre parLe Maroc. Les actions et interventions examinéesdonneront également lieu à une appréciation descapacités institutionnelles, des mesures etdécisions prises par le législateur, des ressourceset moyens mobilisés pour leur mise en œuvre, durôle de la société civile et de la coopérationinternationale. Cette évaluation concerne exclusi-vement les composantes de la stratégie dedéveloppement social mise en œuvre à partir dumilieu des années 90.

4.1. LE BAJ

La stratégie de développement social du gouver-nement a d’abord été concrétisée par le premierprogramme des priorités sociales appelé‘’Barnamaj Allawiyat Alijtimaya’’ ou BAJ. Le BAJ aciblé 14 provinces à forte dominante rurale, consi-dérées comme les plus démunies et dont la popu-lation vivant dans les campagnes représente 43%de la population rurale du pays. La réalisation de ceprogramme, composé de trois volets : éducation debase, santé de base et promotion nationale (avec

coordination et suivi des programmes), s’est étaléesur une période de 6 à 7 ans. Il s’est achevé en 2003.

Le volet éducation de base visait à améliorer l'accèsà l'éducation de base et les taux de rétentionscolaire notamment par:

i) la construction, la réhabilitation et l'équi-pement d'écoles dans les communautés deplus de 200 habitants qui n'ont pas d'écoleprimaire à proximité;

ii) le développement de techniques pédagogiquesnouvelles pour le préscolaire, l'enseignement àniveaux multiples, l'enseignement de connais-sances de base aux enfants âgés de 10 à 16 ansqui n'ont jamais fréquenté l'école;

iii) l'encouragement de la scolarisation des fillesdans les zones rurales par des campagnes desensibilisation, l'installation de latrines, de puits...

iv) la distribution de manuels et de fournitures sco-laires gratuits pour les enfants défavorisés, lesoutien au programme des cantines scolaires;

v) la promotion d'actions novatrices destinées àpromouvoir la vie scolaire et à intégrer l'école àla communauté.

Le volet santé de base visait à améliorer l'accès auxservices sociaux de soins de santé préventifs etcuratifs essentiels, notamment par:

i) la rénovation, la réhabilitation et la constructionde centres de santé, de dispensaires ruraux etd'hôpitaux locaux;

ii) la fourniture de matériel et d'équipementmédical et non médical (médicaments, vaccins,contraceptifs, ambulances, motocyclettes pourinfirmiers ambulants..) ;

iii) le renforcement du programme de maternitésans risque et des programmes prioritairesnationaux de santé publique.

Le volet promotion nationale, en appui aux deuxvolets, comprenait notamment :

i) le renforcement sélectif de travaux complémen-taires de nature à valoriser les interventions enmatière d'éducation et de santé de base ;

ii) la participation aux campagnes d'alphabéti-sation pour des chantiers importants et delongue durée.

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1996 2002 2003 2004

Taux d’électrification des villages 22% 55% 62% 70%

Nouveaux villages électrifiés 557 2400 3145 3780

Nouveaux foyers pouvant être électrifiés 70 000 121 000 161 000 216 000

Investissements du PERG (milliard DH) 1,04 1,1 1,7

La dimension genre n’est pas explicite dans le BAJ.Toutefois, elle apparaît clairement dans deux axesmajeurs : la scolarisation de la petite fille dans lemonde rural et la santé reproductive. C’est à l’aune deces deux variables qu’il faudrait apprécier l’impact duBAJ, d’après l’évaluation conduite par la Banquemondiale et le Haut Commissariat au Plan, il seconfirme que le BAJ a eu un impact positif sur les deuxindicateurs sus évoqués en ce sens que ceux-ci ontprogressé à un rythme supérieur à celui constaté dansles provinces non BAJ.Ceci serait particulièrement vraipour la scolarisation des petites filles. Ceci a été rendupossible par l’approche intégrée sur le terrain desdifférentes composantes du programme. Approchequi a valorisé les travaux de la Promotion nationaledont l’impact sur ces indicateurs a été nettementamélioré. Il s’agirait là de l’aspect le plus innovateur duBAJ, lequel a été approprié par la Promotion nationalequi l’a généralisé partout au Maroc. Cependant l’inté-gration des divers volets du programme n’a pas étéconcrétisée sur l’ensemble des provinces cibles.

4.2. LES PROGRAMMES SECTORIELSD'ÉQUIPEMENT RURAL

La stratégie de développement social est égale-ment concrétisée par trois vastes et ambitieux pro-grammes sectoriels d'équipement rural.

4.2.1 Le Programmed'électrification rurale globale (PERG).

Malgré les efforts déployés dans le domaine dès ledébut des années 70, le rythme très lent d'électrifi-cation (50 localités en moyenne par an), était sans

commune mesure avec les besoins du monde rural.A ce rythme, le taux d'électrification rurale (TER),défini comme le rapport du nombre de foyersruraux électrifiés au nombre total de foyers ruraux,aurait été d'à peine 15% en 2006. Le PERG vise l'élec-trification de 1,5 millions de foyers regroupant unepopulation de 11 millions d'habitants à l'horizon2010. Il projette d'atteindre, cette année là, 80% desfoyers ruraux, ce qui correspond pratiquement autotal des foyers électrifiables, alors que ce taux étaitde 10% en 1994.

En 1996, année du lancement du PERG, 557localités, correspondant à 70 000 foyers, ont étéélectrifiées. Le rythme des réalisations s’estaccéléré depuis pour s’établir à 1044 localités en1997 (113 905 foyers), 1650 en 1999 (154 000foyers) et 3145 en 2003 (161 000 foyers) (cf.tableau ). Près de 90% des localités sontélectrifiées par extension du réseau, les 10%restants, pour la plupart des petits centres,utilisent des groupes électrogènes où l'énergiesolaire. A ce rythme, les objectifs précisés ci-dessus devraient être atteints fin 2007, soit troisans avant l'échéance initiale. Par ailleurs, un plandirecteur est en cours d'élaboration pour l'électri-fication des zones périurbaines. Il doit préciser lespriorités et les conditions de réalisation duprogramme.

Les programmes précédents d'électrification ruralen'ont pas donné les résultats escomptés à cause desmodes de financement qui s'étaient avérés inopé-rants. Outre la complexité de la gestion du circuit de

TABLEAU 1.13 :Réalisations du programme d’électrification rurale

Source : calculs des auteurs sur la base du compte rendu du Conseil d’Administration de l’ONE " Le Matin du 29 janvier 2004 "

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financement et la multiplicité des intervenants, lamobilisation des ressources restait tributaire, soit dela capacité financière des communes rurales, elles-mêmes dépendantes des subventions de l'Etat, soitd'un "Fonds Spécial", lui-même conditionné par lacapacité de l'Office National de l'Electricité (ONE) àdégager des bénéfices.

Le montage financier actuel prévoit, en proportionde l'investissement global (en moyenne, un milliardde dirhams par an), une participation des collec-tivités locales pour 20%, un apport des abonnéspour 25% et une contribution de l'ONE pour 20%.Les 35% restants sont fournis par un prélèvementobligatoire de 2,25% du chiffre d'affaires de l'ONE,indépendamment de sa situation financière. Cetapport correspond en fait à une taxe de solidaritéavec le monde rural que paient déjà les abonnés auréseau. En outre, l'ONE, le seul maître d'œuvre duprogramme, a mis en place des mécanismes depréfinancement sur 5 à 7 ans pour les apports descollectivités locales et des usagers. Ceci a été rendupossible grâce à des emprunts concessionnels del'ONE auprès de donateurs internationaux. Lerésultat pratique de ce montage en est que lesaléas financiers sont quasiment éliminés.

L’impact du PERG sur l’instruction des filles et levécu des femmes dans le monde rural a pu êtreapprécié grâce à une récente étude commandéepar l’ONE qui a examiné d’autres impacts (cf.encadré).

• Les quatre cinquièmes des ménages électrifiéspar le réseau estiment que l’électrification apermis une amélioration des conditions descolarisation de leurs enfants. C’est la mêmeproportion de ménages qui perçoit une amélio-ration des résultats scolaires de leurs enfantssuite à l’électrification. Dans le cas de villagesdisposant d’une école, l’effet positif de l’électrifi-cation sur l’âge d’abandon des filles concernenotamment les catégories les plus pauvres(ouvriers, fermiers, petits agriculteurs à activitésdomestiques), pour lesquelles l’amélioration del’âge d’abandon scolaire des filles est enmoyenne d’environ 1,3 ans. Pour les catégoriesles plus riches (grands propriétaires terriens et demoyens et petits agriculteurs/éleveurs), cetteamélioration est en moyenne de 1,1 ans.

• Dans le cas de villages disposant d’une école,l’impact positif de l’électrification sur le taux descolarisation des filles est clair, mais il est plus

ENCADRÉ 1.1 :D’autres impacts de l’électrification rurale

L’étude a montré que l’électrification rurale entraîne des impacts plus ou moins prononcés sur les différents plans : écono-mique, social et environnemental. Ses effets sont mesurables à la fois au niveau individuel, local et global.

Sur le plan économique, l’électrification a globalement un impact sur le développement des activités artisanales nécessitantl’utilisation d’appareils électriques productifs. L’électrification a un impact significatif sur le développement du commerce.L’autre aspect économique est relatif aux dépenses énergétiques des ménages. La baisse des dépenses concerne notammentles classes les plus riches. Les classes moyennes et pauvres voient en revanche leurs dépenses augmenter en raison dubrusque saut de confort apporté par l’électricité. Au niveau global, les effets de l’électrification sur l’emploi sont incontesta-blement positifs

Cependant, c’est sur le plan social que l’électrification a eu les effets les plus importants

Au niveau individuel, elle a permis une amélioration importante du niveau de confort des ménages, à travers une diffusionimpressionnante des équipements de confort (réfrigérateur, téléphone portable…). L’électrification a incontestablementrenforcé le sentiment de sécurité dans les villages et a permis une meilleure convivialité sociale grâce à l’éclairage public.

L’étude a montré que les impacts de l’électrification rurale sont souvent conditionnés par d’autres facteurs importants dedéveloppement : existence d’infrastructures socio-culturelles, désenclavement et infrastructures routières, accès aux finan-cements…

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élevé pour les agriculteurs ‘’riches’’ et ‘’moyens’’,que pour les agriculteurs ‘’pauvres’’. Dans lesvillages ne disposant pas d’école, l’électrificationn’a pas d’impact significatif sur le taux de scolari-sation des filles. Ce qui amène à conclure quel’électrification ne peut avoir qu’un effet d’accélé-ration de l’impact d’autres facteurs indispen-sables, comme l’accès à l’infrastructure éducative.

• Pour ce qui concerne l’impact de l’électrification surle temps de travail des femmes, les avis desménages sont partagés. Le quart estime que celainduit un rallongement du temps de travail et lecinquième d’entre elles considère que c’est lecontraire. Ainsi, pour la collecte du bois, effectuéedans 80% des cas par les femmes, l’électrificationallège la peine des femmes pour les catégoriesriches et moyennes, mais, au contraire, alourditcette même peine pour les catégories pauvres.L’explication sociologique de ce phénomène est àrechercher au niveau de la difficulté des chefs deménages à réorganiser les temps de la vie familialelorsque les chefs de ménages sont pauvres etillettrés. En particulier, la difficulté à gérer le tempsdevant la télévision peut-être un facteur d’accrois-sement du temps de travail des femmes, le chef defamille passant plus de temps devant la télévision.Ce phénomène est observé dans tous les pays,développés ou en développement.

4.2.2 Le Programme national de construction de routes rurales (PNCRR).

L’étude préparatoire du PNCRR, conduite en 1994,avait établi qu’au Maroc :

• 80% du réseau des 38000 km de pistes ruralesconsistaient en pistes non entretenues et que30% étaient inutilisables pour des périodes supé-rieures à un mois ;

• le niveau d'enclavement des populations ruralesétait sévère : 22% des localités étaient inacces-sibles par véhicules en tout temps et étaient donctotalement enclavées, 35% souffraient d'unenclavement saisonnier et seules 43% avaient unaccès facile en toutes saisons.

C’est pour désenclaver les zones dont les accèssont inexistants ou en très mauvais état qu’a été

mis en place le PNCRR, en tant que premier pro-gramme prioritaire. Le PNCRR a prévu la réalisationen une dizaine d’années (1995 à 2005) de 11200km de routes rurales, dont 60% seront revêtues,pour un coût global de 5,8 milliards de dirhams. Sixmillions d'habitants sont directement concernéspar ce programme qui comporte la constructionde 6200 km et l'aménagement de 5000 km.

Dès la conception de ce programme, il était viteapparu, compte tenu du coût global, estimé à 750millions de dirhams (M DH) par an, que sa concréti-sation était pratiquement impossible avec lerecours exclusif au budget général de l'Etat qui, surla base d'emprunts à long terme auprès debailleurs de fonds, s'est engagé, durant tout leprogramme, à mobiliser un maximum de 170 M DHpar an, soit 23% seulement de l'investissement. Lesuccès enregistré par le "Fonds Spécial Routier"(FSR) dans sa contribution à la prise en charge desdépenses afférentes à la maintenance du réseauroutier, a donné lieu en 1995, année du lancementde ce programme, à la décision d'augmenter lesressources du FSR par l'institution d'une taxeadditionnelle de 4% sur le prix à la pompe ducarburant, ce qui correspond à un montant annuelde 480 M DH, soit l'équivalent d'un peu moins desdeux tiers du coût du programme. Les 100 M DHrestants doivent être apportés par les collectivitéslocales et par des associations d'usagers.

Ce montage financier a permis la réalisationeffective, de 1995 à septembre 2003, de 8702 km deroutes rurales,correspondant au désenclavement deplus de 4,5 millions d'habitants. A ce rythme, cinqfois plus élevé que la moyenne réalisée sur lapériode 1990-94, les objectifs du programmedevraient être atteints dans les délais prévus.

Un deuxième programme national des routesrurales sera entamé dès l’achèvement du premierprogramme, à l’horizon 2005. Il vise la réalisation de15.000 km de routes rurales en cinq ans. Ce quidevrait faire passer la proportion de la populationrurale bénéficiant du programme routier de 55% en2005 à 63% en 2008, puis à 75% en 2010. Cela sup-pose l’accélération du rythme de réalisation afin dele porter de 1200 km à 3000 km par an en 2006. Le

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financement additionnel requis par ce nouveaurythme proviendra d'emprunts remboursables parle FSR à partir de 2010. Cependant, ne disposant pasde statut de personne morale, le FSR ne pouvaitcontracter directement d'emprunts. Sa transforma-tion en entité morale a été votée par le Parlementlors du vote de la Loi de Finances 2004. C’est ainsiqu’est née la ‘’Caisse de financement routier’’ qui sesubstitue au FSR.

On sait que la construction des routes rurales a unimpact positif sur la scolarisation des filles, sur lasanté des femmes… ainsi que l’attestent les actesd’un séminaire consacré à l’évaluation de l’impactsocio-économique des routes rurales, tenu en1996, année du lancement du programme (cf.encadré).

La dimension genre était considérée de manièreimplicite dans le programme en ce sens qu’elle

était présente dans le plaidoyer et l’argumentaire.Cependant, elle n’a pas été considérée commecritère d’hiérarchisation des priorités. En d’autrestermes, les bénéfices attendus pour la femme nesemblent pas avoir été pris en considération dansles analyses coûts-avantages où on privilégiegénéralement les gains économiques. L’ampleurinattendue de l’impact explique que, parmi lesrecommandations du séminaire d’évaluation sus-cité, figure une proposition relative à la mise enplace d’indicateurs multicritères pouvant aider àidentifier et à évaluer les projets de pistes ruralesdans des zones où les avantages économiquessont difficiles à mesurer.

En effet, il est expliqué que ‘’les critèrestraditionnels pour allouer les fonds et évaluer lesprojets routiers peuvent passer à côté de facteurssociaux importants, en particulier lorsque les

ENCADRÉ 1.2 :Impact des routes rurales sur les femmes et les filles

En 1995, une évaluation rétrospective a examiné l’impact global des travaux d’amélioration et de revêtement de quatreroutes rurales réalisés au milieu des années 80 dans trois régions (Nord, Centre et Centre-Sud) du Maroc. Une comparaisonentre les zones désenclavées et des zones témoins a permis de mieux cerner l’impact imputable à l’amélioration des routes.L’étude a fait état de l’impact positif dans les domaines de : l’infrastructure et des services de transport; l’économie agricole ;les secteurs sociaux comme la santé et l’éducation ; et l’environnement. L’étude a fait aussi état d’un ‘’impact imprévu et trèspositif, au niveau des femmes et des jeunes filles’’ dont voici les principales constations :

• scolarisation : Le taux de scolarisation primaire des filles a très fortement augmenté, atteignant 54% en 1995, soit plus detrois fois le niveau de 1985. A titre de comparaison, le taux de scolarisation des filles dans l’enseignement primaire dansl’ensemble des zones rurales du Maroc est resté à peu près constant durant la période considérée.

• Santé : Dans les zones du projet, la fréquence des visites des femmes dans les établissements de santé a nettement pro-gressé : elle a plus que doublé dans les hôpitaux (2,4 en 1995, contre 1,1 en 1985) et elle a aussi augmenté dans les centresde soins de santé primaires (3,1 en 1995, contre 2,3 en 1985). La progression en pourcentage a été du même ordre pourles hommes, mais le nombre de leurs visites à l’hôpital a été sensiblement inférieur (0,8 par an en 1995) ; toutefois, il a étéà peu près identique pour les visites aux centres de soins de santé primaires.

• Cuisine et chauffage : l’un des progrès importants apportés aux femmes par l’aménagement des routes a été l’emploi degaz butane pour la cuisine et le chauffage, encouragé par la baisse importante du prix butane qui est passé, dans la régionde Chefchaouen, de 20 à 11 DH.

• Les opportunités de travail : les impacts sur les femmes ont varié selon les zones : dans la zone de Settat, suite à la mécani-sation des moissons, les femmes ne sont plus sollicitées à aider aux moissons. Dans la zone du Tensift, le bitumage desroutes a conduit à l’augmentation du nombre de coopératives laitières qui ont eu besoin de main d’œuvre. Les pro-grammes municipaux ont encouragé les femmes à aller travailler dans ces coopératives en échange d’une partie desrecettes de vente de lait.

• Approvisionnement en eau : le temps moyen d’accès aux installations de distribution d’eau a légèrement diminué dans lestrois zones desservies par les routes aménagées (de 16 minutes en 1985 à 13 minutes en 1995). Dans les zones témoinsen revanche, aucune amélioration n’a été enregistrée.

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niveaux de trafic sont faibles. Par exemple, le tauxde rentabilité économique d’une route que l’onenvisage d’améliorer peut ne pas paraîtreacceptable – mais la route en question dessert peutêtre une école qui serait fréquentée par beaucoupplus d’enfants si la route était améliorée. Le gouver-nement pourrait envisager d’allouer une petitepartie de son budget pour les pistes rurales (20% estun chiffre raisonnable) à des cas de ce type, en sebasant sur des indicateurs polyvalents ainsi que surla réalisation de certains objectifs sociaux plutôt quesur le taux de rentabilité économique’’. Sur cettequestion des critères des choix prioritaires, qui faitpartie des grandes préoccupations des élus de lanation lors de l’interpellation du gouvernement aucours des séances orales du Parlement, on peutpenser que des critères basés sur les taux d’accessi-bilité des femmes et filles aux services de base dansles poches de pauvreté, puissent être utilisés pourhiérarchiser les interventions et établir des priorités.

4.2.3. Le Programme d'approvisionnementgroupé en eau potable des populationsrurales (PAGER)

Les femmes sont responsables de l’approvisionne-ment de l’eau, de son stockage, de son utilisation etréutilisation ainsi que de son évacuation. Ce sontelles qui font la lessive, la vaisselle, la cuisine etentretiennent la maison. Elles sont donc, logique-ment, les principales bénéficiaires du Pager.

A la veille du lancement de ce programme, l’appro-visionnement en eau des foyers ruraux était assurédans 93% des cas par les femmes et les enfants. Lescommunes rurales, en majorité pauvres et malstructurées, n’ont jamais pu assurer et organiser unaccès convenable à l’eau potable. La dispersion,caractéristique majeure de l’habitat rural, par lesurcoût qu’elle engendre, a constitué une contraintesérieuse à la mise en place de réseaux de distri-bution d’eau. Aucun département n’assurait un vrairôle de tutelle sur le secteur de l’eau potable ruraleet l’Etat n’accordait qu’une aide insignifiante.

Avec un coût global estimé à 10 milliards dedirhams et une réalisation étalée sur 10 ans, lePAGER prévoyait, lors de son adoption en 1994,d'équiper 31 000 localités au bénéfice de 11

millions d'habitants. Il s'agissait donc, moyennantun effort d'investissement d'un milliard Dh par an,d'atteindre la quasi-généralisation de l'accès à l'eaupotable dans le monde rural à l'horizon 2005 alorsque ce taux était de 14% seulement en 1994.L'augmentation du taux d'accès à l'eau potable setraduit non seulement par l'amélioration de laqualité de l'eau qu'induit l'aménagement du pointd'eau mais, par sa disponibilité, même en périodede sécheresse, et par la réduction de la distanceentre le foyer et le point d'eau. Dans le montagefinancier du PAGER, l’Etat, les communes rurales etles bénéficiaires participent respectivement àhauteur de 80%, 15%, et 5% du coût.

Deux systèmes d’approvisionnement en eau ontété adoptés pour la mise en œuvre du PAGER :

• la réalisation par la Direction de l'Hydraulique(DH) des points d’eau aménagés au profit de26600 localités ;

• la réalisation par l’Office National de l’Eau Potable(ONEP) de piquages sur les adductions régionalesd’eau potable au profit de 4400 localités.

Les résultats remarquables atteints en 1995,première année de concrétisation des objectifs duPAGER, n'ont pu être poursuivis du fait dutarissement de ces sources exceptionnelles definancement. Conditionnant l'augmentation de sadotation budgétaire par le respect du plan definancement du PAGER (la plupart des communesne contribuaient pas comme prévu dans lemontage financier), l'Etat n'a contribué que pour100 MDH pour les trois années fiscales suivantes.Par conséquent, le taux d'accès à l'eau potable étaitde 38% fin 1999, soit un gain d'environ 2% par andepuis 1996.

A ce rythme, le PAGER, contrairement auxprogrammes d'électrification et de constructiondes routes rurales, n'aurait atteint ses objectifsinitiaux qu'à l'horizon 2024, soit avec deuxdécennies de retard sur ses prévisions. Lesconséquences en étaient la remise en cause nonseulement des synergies avec les deux autresprogrammes, mais les objectifs globaux de recul dela pauvreté dans les zones les plus dépourvues du

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monde rural. Conscient de ce risque, leGouvernement a, depuis 1999, porté sa dotation à250 millions DH par an et a autorisé le prélèvementde la surtaxe de solidarité nationale prélevée surles redevances d’eau. De même, dans le cadre desPlans anti-sécheresse 2000 et 2001, des fondsimportants ont été affectés aux zones souffrant dutarissement de leurs sources traditionnellesd'alimentation en eau potable (creusement depuits). Le résultat en est qu’aujourd’hui, le tauxd’accès a atteint 52% fin 2003 ainsi que l’indique letableau.

Le PAGER est bâti sur l'idée que la seule garantie dela durabilité des investissements consentis est queles populations bénéficiaires assurent elles-mêmesla gestion des équipements hydrauliques et la priseen charge des frais de fonctionnement, voire derenouvellement des systèmes de distribution d'eau.Cependant,au vu des premières expériences qui ontmontré que la pérennité des systèmes n’était pasgarantie, le PAGER adopta en 1997 une approchereposant sur la participation des bénéficiaires danstoutes les phases de sa mise en œuvre. D’où lacréation des équipes mobiles provinciales (EMP)dont les membres, essentiellement des techniciens,ont reçu des formations intensives sur l’approcheparticipative. Par ailleurs, la réalisation du projetd’AEP au profit du douar est tributaire de la créationd’une association d’usagers.

L’appréciation de l’impact du Pager sur la conditiondes femmes est facilitée par les résultats d’uneévaluation faite par la Direction de l’Hydraulique.C’est ainsi que le gain de temps enregistré sur lacorvée de l’eau a permis à la femme rurale des’occuper davantage des activités plus productiveset a incité les parents à envoyer leurs enfants à

l’école. Cet impact sur le gain de temps a étéressenti dans 69% des localités, surtout dans cellesdes provinces du sud : Ouarzazate (100%), Tata(90%). L’impact des projets Pager a été égalementressenti de manière positive sur la santé dans 65%des localités ; l’hygiène corporelle (dans 75% deslocalités); l’hygiène du milieu (71%) ; la scolarité(40%), ce qui est relativement faible par rapportaux attentes ; Le renforcement de la solidarité et dela cohésion sociale a été perçu dans la majorité deslocalités (69%), ce constat a été plus manifeste dansles provinces de Ouarzazate (100%), Tata (80%), ElJadida (79%).

Les impacts sur les femmes sont en fait plus impor-tants que ceux recueillis. S’ils n’ont pas été évoquésc’est plutôt par leur ignorance. C’est le cas en parti-culier des impacts du transport de l’eau sur la santé(scoliose, anémie, répercussion sur le fœtus et sur lelait en cas d’allaitement…).

Par ailleurs, l’approche participative est devenueune culture largement partagée et une réelledynamique associative a été imprimée au monderural. L’approche participative du Pager acontribué, dans les sites où l’approche a été bienappliquée, outre la résolution du problème del’eau potable, à :

i) une large prise de conscience chez la populationde la nécessité de participer au développementlocal et communautaire ;

ii) l’encouragement de la recherche d’autresprojets communautaires : l’AEP ayant servicomme porte d’entrée au développement ;

iii) une redynamisation et une recréation de l’espritde solidarité ancré chez les populations rurales àtravers la création des associations d’usagers.

TABLEAU 1.14 :Evolution du taux d’accès à l’eau potable en milieu rural (en %)

1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 *2007

14% 27% 30% 32% 37% 38% 40% 48% 50% 52% 90%

Source : Direction de l’Hydraulique ;* prévisions

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En effet, un des éléments de réussite du Pager estl’émergence et le développement du tissuassociatif en charge de l’eau potable. Lesassociations créées, malgré toutes les insuffisances,constituent actuellement un phénomène desociété dans ces zones, de par le dynamisme dontfont preuve plusieurs d’entre elles, lesquellesétendent leurs activités au-delà de l’eau potable ets’inscrivent déjà dans une optique de dévelop-pement local. Les femmes adhérentes auxassociations restent toutefois minoritaires. Dans lesprojets appuyés par la Jica, elles ne représententque 3% de l’ensemble des adhérents. De grandsefforts seront nécessaires pour les impliquerdavantage.

Il s’avère que les rares associations conduites parles femmes vivent, outre les problèmes propres auxassociations, d’autre plus spécifiques dont lemanque de stratégie pour sensibiliser les hommessur les potentialités des femmes rurales. Le handi-cap, au démarrage, est la formation dans la gestionet la promotion sociale, notamment la sensibilisa-tion des hommes voire des femmes, elles mêmes,sur leurs possibilités et leurs capacités à entre-prendre en matière de développement commu-nautaire. Ce manque de formation ne permet doncpas aux femmes leaders d’acquérir une stature etune image leur permettant d’agir librement. Lemanque de liberté dans l’action limite les initiativesnécessaires au développement local.

L’absence d’animatrices dans les EMP (équipesmobiles provinciales) n’a pas permis d’impliquerles femmes dans le processus de planification, deréalisation et de gestion des projets, ce qui risquede se répercuter négativement sur la réussite duprogramme et la durabilité des projets. En matièrede motivation, le taux des indemnités est considé-ré comme injuste car il ne récompense pas l’effortfourni par ces équipes.

Il apparaît clairement que l’impact du Pager sur lesfemmes aurait pu être autrement plus importants’il y avait davantage d’animatrices et, de façongénérale, suffisamment d’équipes d’animation. Cesinsuffisances se sont traduites par des difficultésd’une part, à appliquer comme il se doit l’approche

participative, d’autre part, à asseoir de manièreconvenable les associations de gestion des sys-tèmes d’AEP. C’est ce que révèle l’évaluation suscitée qui, lors de son examen des niveaux d’impli-cation de la population, a montré que :

• la réalisation des projets a généralement eu lieusans tenir compte de la participation de la popu-lation ;

• sur le plan associatif, beaucoup reste à faire pourles renforcer.

Par ailleurs, la perception de l’approche participati-ve par les populations est extrêmement positive.Mais ces dernières demandent une informationsuffisante, un temps nécessaire avant les prises dedécisions et la nécessité d’impliquer les femmes.D’où les recommandations de cette table ronderelatives, pour l’essentiel, à la durabilité des sys-tèmes d’AEP. Elles tournent autour de la nécessitéd’institutionnaliser les organes d’exécution duPager et de gestion des systèmes d’AEP ; de renfor-cer les équipes d’animation en moyens humains etde les doter des animatrices pour l’intégration de lafemme rurale dans la prise de décision ; de renfor-cer l’appui aux associations ; de préciser le rôle del’Etat quant à sa contribution aux grosses répara-tions et au renouvellement des ouvrages afin degarantir la pérennisation des systèmes.

Ce souci de pérenniser ces systèmes est à la basede la décision de confier à l’ONEP la gestion d’en-semble du Pager. En effet, le transfert à partir de2004 du volet Pager conduit par la Direction del’Hydraulique à l’ONEP est motivé par deux facteursessentiels et liés que qui sont :

i) la garantie de la qualité de l’eau. Pour les pointsd’eau aménagés, le contrôle est fait par leMinistère de la Santé, mais il n’y a pas un bonsuivi. L’ONEP, dont l’analyse régulière de la quali-té fait partie de son métier de base, en estaujourd’hui responsable;

ii) la durabilité, que la DH n’a pas les moyens d’as-surer. Confrontées aux grosses réparations, lesassociations ont du mal aussi à assurer cettedurabilité en ce sens qu’une très faible partd’entre elles constitue des provisions à cet effet.

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L’ONEP va, de facto, devenir responsable de la dura-bilité des systèmes d’AEP en milieu rural, au mêmetitre qu’il le fait pour les communautés urbaines.Quel sera alors le devenir des associations d’usa-gers? La réflexion est en cours, mais il est certainque la durabilité et la qualité ne peuvent être garan-ties qu’en contrepartie du paiement d’une redevan-ce alors que les populations rurales ont depuis tou-jours eu un accès quasi-gratuit à l’eau (sauf pour leslocalités qui n’ont d’autre choix que de la faire venirpar camions citernes, à un coût prohibitif ).

Sur cette question de la prédisposition à en payerle coût, une autre leçon tirée de cette évaluationest que ‘’les projets d’approvisionnement en eaupotable sont hautement rentables, bien que l’on aitgénéralement tendance à les considérer autre-ment. Les populations de la région sont les pre-mières à le percevoir en conférant une grandevaleur à l’eau et, surtout, en acceptant d’en payerun prix, généralement plus élevé qu’en ville’’. Parailleurs, l’acceptabilité de la redevance eau se pose-ra de moins en moins au fur et à mesure qu’il y aurades branchements individuels, pour lesquels lespopulations rurales ont une préférence manifeste.

Cependant, la ‘’marchandisation’’ d’une denréecomme l’eau pose des problèmes d’accessibilitépour les plus démunis. Il arrive que, pour les localitéspauvres, la part des 5% des bénéficiaires soit payéesous forme de travaux, ou que les foyers quin’arrivent pas à payer bénéficient de la solidaritévillageoise.C’est le cas, souvent rapporté, des veuveset divorcées à faibles revenus. Cependant, cela nerésout pas le problème d’une manière institu-tionnelle. Il doit probablement y avoir, dans lamultitude des systèmes de tarifications pratiquéspar les associations d’usagers, des tarifs préférentielsou exemptions pour ceux qui ne peuvent pas s’enacquitter. Il serait utile de pousser un peu plus loinl’investigation pour voir comment joue cettesolidarité, quel est son degré d’extension, quellessont les meilleures pratiques…

Sur la question du devenir des associationsd’usagers, il est fort probable qu’on cherchera à lesconsacrer en tant que partenaires des communesrurales en leur octroyant la capacité juridique quileur permette d’assurer une gestion légalementefficace et durable du service de l’eau potable.Compte tenu de la diversité des situations, il y auraplusieurs modèles et formules. Le plus important,de notre point de vue, est qu’il faut veiller qu’unniveau inévitable de normalisation évite d’entraverla dynamique associative ou l’esprit d’initiative, nine cantonne les associations à la seule gestion dessystèmes d’Adduction d’Eau Potable (AEP). Lanormalisation peut jouer dans un autre sens, celuide fixer des seuils minimaux de représentativitéféminine dans ces associations. D’où la nécessité,de nouveau rappelée, d’animatrices afin de releverle défi de l’intégration de la femme dans toutes lesphases des projets d’AEP.

4.3. LES EFFORTS DE GÉNÉRALISATION DES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DES EXPÉRIENCES PILOTES DE DÉVELOPPEMENT LOCAL

Même si l’on n’aborde dans cette analyse que l’im-pact de quelques programmes à caractère natio-nal, il faut souligner qu’une bonne partie desapproches adoptées par ces programmes sont lerésultat des enseignements tirés d’un grandnombre d’expériences pilotes (locales, régio-nales…) menées avec divers partenaires de lacoopération.

En effet, au cours de la dernière décennie, le Maroca mené avec ses partenaires de la coopérationd’innombrables actions de développement localqui, malgré la modestie de l’enveloppe financièred’une grande partie, ont fortement contribué àdégager des approches nouvelles en matière detraitement de l’exclusion, ainsi que des modèlesd'intervention susceptibles d'être étendus à travers

le pays(1). Ces démarches s'organisaient autour delignes d'action visant : i) la mise en place d'un

(1) Il s'agit, notamment, des programmes de lutte contre la pauvreté appuyés par : i) le PNUD en milieu rural (provinces d'Essaouira, deChefchaouen, de Chichaoua et d'El Haouz) et en milieu urbain et péri-urbain (Casablanca, Marrakech et Tanger) ; ii) l'UNICEF (Ouarzazate,Essaouira, Zagora, Al Haouz, Chefchaouen); iii) l'USAID (éducation de base de la petite fille en milieu rural dans les provinces d'Errachidia, d'AlHoceima, de Sidi Kacem et d'Essaouira); iv) l'UE (éducation de base et la santé de base en coordination avec le BAJ1)…

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espace permanent de dialogue et de concertation ;ii) l'élaboration et la validation de programmesd'action locaux, iii) la contractualisation departenariats techniques, institutionnels etfinanciers, iv) l'amélioration des capacités et descompétences des acteurs.

Les principaux enseignements tirés de cesprogrammes sont relatifs notamment :

i) à leur efficacité attestée par une bonne adéqua-tion des résultats aux objectifs de départ;

ii) au changement d'attitude envers la lutte contre lapauvreté, perçue aujourd'hui dans les régionsciblées comme une mise en synergie de parte-naires autour de projets mobilisateurs plutôtqu'en termes de constructions et d'infrastructuresnécessitant de grandes enveloppes financières ;

iii) à l'émergence de nouvelles attitudes desadministrations locales envers le dévelop-pement local : ouverture sur leur environ-nement, et élargissement de la marge demanoeuvre des délégations ministérielles vis-à-vis de Rabat et "travail en partenariat" devenu lecredo des autorités locales ;

iv) à leur efficience que fournissent de beauxexemples de ce qu'on peut obtenir avec peu demoyens ;

v) à leur capacité "d'activer" ou de rentabiliser desressources humaines et physiques mal ou insuf-fisamment employées ;

vi) à la mise en place à l'échelle locale d'espaces deconcertation, d'échange et d'écoute qui, malgréles difficultés de toutes sortes, ont contribué à laredéfinition de la nature des relations entre lesacteurs (ONG, administration, élus..) ;

vii) à la diversité des formules d'ancrage institu-tionnel.

Une appropriation relative de ces enseignements aeu lieu dans certains domaines tels :

• l'alimentation en eau potable ou le Pager aadopté l'approche participative testée dans cesprogrammes ;

• l'enseignement fondamental en milieu rural où leMinistère de l'Education Nationale essaie

d’étendre à l'ensemble des écoles rurales du paysdes principes et initiatives expérimentées dans lecadre de ces programmes (intégration d'activitéspratiques, adaptation des horaires et congés sco-laires...) ;

• l’entraide nationale dont l’extension de sonréseau de centres repose en premier lieu sur lepartenariat avec d’autres organismes.

En recourant aux ONG pour dispenser les coursd’alphabétisation, d’éducation non formelle, desensibilisation… ces nombreux projets, ont joué unrôle instrumental à l’appui de l’approche partenarialeavec la société civile. Aujourd'hui, il est largementadmis que la démonstration faite de l'efficacité dupartenariat, notamment son impact sur lesdynamiques locales engendrées, a été le principalapport de ces programmes. Les pouvoirs publics sepréoccupent de plus en plus d’associer lespopulations bénéficiaires et les collectivités locales àla réalisation d'actions préalablement définies enconsultation avec elles. Cependant, de l'avis de tousles intervenants, agences de coopération interna-tionale, administrations, associations de dévelop-pement local… l'impact de ces expériences pilotesaurait pu être bien plus grand sur la capacité duMaroc à concevoir, à mettre en oeuvre et, surtout, àgénéraliser ce genre d'approches si le processus dedéconcentration de l’administration marocaine étaitplus rapide. Par ailleurs, en l'absence d'une entitéchargée d'une telle mission, les départementsministériels impliqués dans ces actions ont encoredu mal, jusqu'à présent, à capitaliser sur cesexpériences en vue de leur extension.

Aujourd'hui, de plus en plus de responsables sontconscients du fait qu'une plus grande efficacité enmatière de lutte contre l’exclusion exige que lesprocessus de régionalisation et de déconcen-tration envisagés par l'administration publiquefassent rapidement des bonds qualitatifs. Fort desleçons tirées de ces expériences décentralisées, leGouvernement réalise de plus en plus aujourd'huiqu'en matière de lutte contre la pauvreté :

• l'une des tâches majeures est d’avoir unedémarche plus volontariste quant au décloison-nement de l'administration publique ;

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• les difficultés actuelles sont plus liées à lapersistance de pratiques centralisatrices et à desproblèmes de communication, qu'à de réellesinsuffisances juridiques;

• les difficultés dans la mise en oeuvre des actionsefficaces sont moins dues aux insuffisancesquantitatives et qualitatives des ressourceshumaines locales qu'à la faiblesse des capacitésd'innovation et d'adaptation institutionnelle auxnouvelles approches de lutte contre la pauvreté...

4.4. L'IMPLICATION DES MOUVEMENTS ASSOCIATIFSDANS LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

Pour être efficace l'action publique a besoin d'unepart, des ressources rassemblées par le mouve-ment associatif au sein de la société civile et d'autrepart, d'une coordination de l'ensemble du système.Sur ces deux points, les problèmes sont encoreimparfaitement réglés. En effet, le nouveau dyna-misme des associations semble être de plus en plusfréquemment sous dépendance de l'action et desdécisions publiques. Ensuite, pour réguler cetensemble très complexe, le mode institutionnelchoisi est celui de la coordination et du partenariatentre institutions. Après un réel engouement pource mode d'implémentation (de mise en place) desdispositifs, les réserves émises à l'encontre d'unetelle démarche sont de plus en plus fréquentes.

4.4.1 Une évolution favorable pour le secteur des ONG

Au Maroc, la vie associative classique a vul'émergence d'une nouvelle génération d'acteursnon- gouvernementaux capables de contribuer defaçon concrète à la démocratisation et au dévelop-pement durable. Une prise de consciencecroissante des impératifs de développement a vule jour au sein de la société civile au Maroc. Enfaisant le lien entre développement et démocrati-sation, celle-ci profite des opportunités accordéesaux ONG pour la participation aux questionssociales, économiques et politiques qui concernentune plus grande tranche de la population.

Le secteur des ONG présente aussi bien lesavantages que les inconvénients d'un mouvementjeune. Les nouvelles possibilités dans ce secteur

ont donné naissance à une profusion d'organi-sations au Maroc qui ne sont pas toutes capablesd'apporter une contribution positive à la sociétécivile par leur participation au processus de la prisede décision; cependant plusieurs d'entre ellesapportent des contributions utiles à la sociétécivile sans participer à la prise de décision enmatière de politiques publiques. Le renforcementd'ONG sélectionnées peut ainsi être un facteurpositif pour élargir cette ouverture politiqued'opportunité qui s'est offerte à la société civilepour déterminer les politiques publiques.

Le contexte juridique de la vie associative constitueun obstacle à l'émergence de véritables ONG quisoient efficaces, bien structurées et autonomes. Lanouvelle libéralisation et la réforme des textes ontpermis de consolider l'existence des associations. LesONG elles-mêmes accordent de plus en plusd'attention à leur statut juridique et se frottent auxlimites de la législation actuelle,plus particulièrementen ce qui concerne les ressources matérielles.

Malgré certaines réserves émises par quelquesONG, une tendance certaine a immergé parmi lesacteurs de la société civile en faveur d'une plusgrande collaboration avec les agences publiquesdu développement. L'Etat a réagi en accordant desrôles consultatifs à des ONG dans la prise dedécision en matière de politiques publiques. Desactions émanant de donateurs internationauxpour le soutien du secteur ONG rejoignent ainsi, àplusieurs niveaux, les progrès déjà en cours.

Trois considérations dans l'interaction actuelleentre les associations et leur environnementinstitutionnel favorisent les ONG en tant que forcespositives dans la réforme démocratique en cours:

- les attitudes des associations, des ONG, du gouver-nement,de partis politiques et des conseils consultatifssont en train de changer.Elles évoluent d'une tendanceimprégnée d'une méfiance mutuelle vers la recherched'un terrain commun et la reconnaissance d'unesynergie possible de coopération.

- une importance croissante est accordée auxréalisations concrètes plutôt qu'à l'élaboration destratégies ou prises de positions abstraites.

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- l'opinion publique devient de plus en plusintéressée aussi bien par la consolidation de lasociété civile que par les objectifs multiplespoursuivis par les ONG individuellement. Latradition du multipartisme au Maroc et latolérance de la diversité constituent lesfondements culturels pour une démocratiepluraliste et sont particulièrement favorables àune société civile dynamique.

Il y a une telle profusion d'organisations non gou-vernementales au Maroc que les donateurs ne peu-vent espérer de façon réaliste renforcer la capacitéinstitutionnelle de toutes ces organisations nimême d'un nombre important d'entre elles. Cecadre de partenariat est censé profiter pleinementdes opportunités qui existent et qui sont offertespar le gouvernement pour une plus grande partici-pation de la société civile dans les affairespubliques et le développement.

Des initiatives conjointes ont impliquél'Administration et les acteurs de la société civile envue de trouver des solutions aux problèmes de lapauvreté et aux besoins publics au niveau local. LesONG ont aidé l'administration à réduire lesdécalages de développement sur le plan local et àmobiliser la participation de la base. L'un desarguments forts de ces partenariats de dévelop-pement est celui de garantir la durabilité desinitiatives associatives de développement. Enfin, laparticipation des ONG et des groupements de baseau développement est de plus en plus favoriséepar les bailleurs de fonds internationaux.

Afin d'assurer le succès des partenariats de dévelop-pement impliquant les ONG,il serait très important deminimiser les contraintes de la participation de lasociété civile. Parmi celles-ci on peut citer :

i) le manque de confiance de la part du gouvernementà l'égard des O NG et de leur capacité et leur volontéde s'engager dans1e processus de développementd'une façon qui complète les contributions dusecteur public au lieu de les saper ;

ii) la faiblesse des capacités institutionnelles desONG, en particulier au niveau des groupesdéfavorisés ;

iii) un environnement lourd d'héritages politiqueset juridiques et des incertitudes qui empêchentla maturité institutionnelle des ONG. Afin deminimiser ces contraintes, le nouveau cadre dedéveloppement de partenariats cherche àinclure les domaines suivants de soutien à lasociété civile: un programme de renforcementinstitutionnel pour le développement descapacités des ONG marocaines, le soutien à unenvironnement propice à travers un dialoguepolitique avec le gouvernement, les acteurs de lasociété civile et les bailleurs de fonds.

Il existe, certes, des potentialités considérablespour la durabilité du cadre de partenariat dedéveloppement, cependant toutes les parties ontbesoin, comme catalyseur, d'une vision cohérenteet partagée du rôle que les ONG pourraient jouerdans le processus de réduction de la pauvreté et dudéveloppement démocratique et des relationsqu'elles pourraient entretenir avec l'Etat.

4.4.2 Les relations Etat/société civile :difficultés de la recherche d'une synergie

L'intervention du mouvement associatif dans lechamp social ne constitue pas une nouveauté.L'associationnisme en effet, a souvent pris lesdevants sur le pouvoir politique national ou localpour tenter d'apporter des réponses auxproblèmes posés par les handicaps, l'exclusion etplus généralement par les risques sociaux. Depuislongtemps, les individus ayant pris conscience del'existence d'une communauté de problèmes,d'une conjonction d'intérêts ou encore de valeurscommunes ont cherché à mettre en oeuvre desinstitutions exploitant les vertus de la coopération,prenant appui sur l'entraide mutuelle et essayantde capter la synergie de volontés individuellesassociées.

Selon les époques, ces initiatives ont étéencouragées, simplement tolérées parfois mêmeempêchées. Les institutions politiques et adminis-tratives nées aux lendemains de l’indépendancereflètent une inquiétude générale quant au jeu descorps intermédiaires entre l'individu et l'Etat C'estpourquoi, elles ont eu plutôt tendance, dans unpremier temps du moins, à museler ou à

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restreindre leurs actions. Ces corps intermédiairesétaient alors considérés soit comme les germes depuissances rivales potentiellement dangereusespour l'ordre établi, soit comme des facteurs detrouble dans le champ économique et social, soitenfin, comme des groupes de pression suscep-tibles de pervertir le sens de l'action de l'Etat.

La reconnaissance du mouvement associatif aurapris des années. Aujourd'hui encore, la relation dumouvement associatif avec les pouvoirs publicsreste l'objet de nombreux débats. Deux risquessont fréquemment évoqués : celui d'un appauvris-sement de la collectivité en raison d'unenfermement du mouvement associatif dans desfonctions instrumentales d'opérateurs et celuid'une démission des pouvoirs publics avec ladilution de leurs responsabilités dans la sociétécivile. Pourtant, l'expérience passée comme l'analysede la situation sociale actuelle semblent suggérer quele mouvement associatif demeure un gisementd'innovations qui peut apporter une contributionirremplaçable et complémentaire des missions quidoivent être assumées plus clairement par lespouvoirs publics.

Quelles que soient les associations, plusieurs traitsles caractérisent aujourd'hui : un nouvel essor etrenouveau, un sens du service public, un débutd'interassociativité. Néanmoins, leur action ne sedéveloppe pas sans rencontrer un certain nombred'obstacles.

Essor et renouveau des associations

Les origines des associations sociales sontmultiples. Aussi, le monde des associations est trèsdiversifié, et au moins deux groupes doivent êtredistingués: les associations qui sont totalementautonomes, et les associations qui dépendent enpartie financièrement de l'Etat. Depuis le débutdes années quatre-vingt, les associations dusecteur social ont connu un nouvel essor, unrenouveau par rapport aux décennies antérieures.

Aujourd'hui, les associations sont considéréescomme une ressource indispensable, dans le cadrede la lutte contre la pauvreté, surtout dans le cadrede la lutte contre la grande pauvreté.Ce sont souvent

les militants d'associations qui ont le contact auprèsdes populations les plus défavorisées. Cettereconnaissance a été facilitée par l'extension de lapauvreté et de l'impréparation des services adminis-tratifs et sociaux publics à répondre de façonsatisfaisante aux nouvelles situations désespérées.De ce fait, les associations ont été de plus en plusimpliquées dans les dispositifs, dans les expériencesqui ont été créées depuis plus de dix ans.

Les associations, nouvelles institutions du servicecollectif à la nation

L'implication croissante des associations dans lapolitique de lutte contre la pauvreté a créé unenouvelle situation, de nouvelles relations avec lespouvoirs publics et les bailleurs de fonds. Elles sontsollicitées, pour "leur connaissance du terrain",pour leur savoir faire et pour la flexibilité de leuraction. De ce fait, elles possèdent une nouvellelégitimité, le sentiment de participer à un servicepublic, collectif, d'agir pour la collectivité, dedépasser la simple légitimité par rapport auxmembres de l'association.

La question posée est alors de savoir quelle est leurnouvelle position par rapport à l'action publique elle-même. S'agit-il d'une substitution ou d'une complé-mentarité des missions et des actions ? Quelle estaussi leur position par rapport aux bailleurs de fondsinternationaux? Les situations sont variés maisreflètent, en général, l'état de la dépendance vis à visdes pouvoirs publics et des organismes interna-tionaux et des stratégies qu'elle implique.

Certaines associations possèdent une relation dedépendance forte à l'égard des pouvoirs publics oudes bailleurs de fonds internationaux, par l'inter-médiaire des contrôles et des financements. Ladépendance financière des associations estsouvent perçue par les associations comme unecondition de survie. Cette dépendance est aussimanifeste dans les critiques traditionnelles deslourdeurs administratives.

La relation de dépendance des associations vis àvis des pouvoirs publics ou des organismesinternationaux ne leur garantit pas la pérennité deleur action bien au contraire. Il faut naturellement

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distinguer ici les domaines d'intervention. Dans lessecteurs traditionnels de l'action sociale (charité), lalongue histoire de l'action sociale a stabilisé lesrelations entre pouvoirs publics et associations.Cependant, l'explosion des nouvelles réponsesdéstabilise ces relations et les rend de plus en plusinstables. On pourrait dire que l'instabilité desassociations et des institutions est à l'image decelle des politiques sociales :

En définitive, ou bien les associations sont perçuescomme des groupes d'opinion ou de pression detype syndical dont les pouvoirs publics ont ten-dance à se méfier, ou bien elles sont utiliséescomme des organisations parallèles des pouvoirspublics. Elles n'ont pas toujours le sentiment d'êtreconsidérées comme des acteurs sociaux à partentière. L'Etat instrumentalise les associations. Ils'agit là d'une opinion largement partagée par lesresponsables salariés ou bénévoles des associa-tions malgré l’amélioration récente et tangible desrelations Etat- associations.

4.4.3 Les relations entre les associations

Dans le secteur social, la critique de multiplicité desinstitutions n'épargne pas les associations: le pro-blème vient de la prolifération des associationsavec des spécificités. Cette multiplicité s'expliquepar les facteurs qui ont déjà été notés à plusieursreprises. La nouveauté vient d'un début d'inter-associativité non seulement au niveau nationalmais également à l'échelon local.

Une appréciation générale sur la capacité desassociations dans la lutte contre la pauvreté resteplutôt mitigée. La vie associative est caractériséepar une force et par deux points de fragilité. Lepoint fort est la progressive reconnaissance d'unelégitimité au monde associatif pour intervenir dansdes programmes et actions de la politique de luttecontre la pauvreté. Le premier point faible résidedans l'extrême méfiance dans laquelle sont tenuesla vie démocratique et la participation au sein dusecteur associatif. Enfin, le second point faible estl'absence d'autonomie financière. Cette situationpose un réel problème. Souvent, trop gestionnaireset trop dépendantes des collectivités publiques oudes bailleurs de fonds, les associations n'ont pas la

capacité de contester, n'exercent pas une pressionsuffisante - et restent trop faibles - en tant queporteur d'une parole.

Cette situation commence a être contestée par lemouvement associatif. Une action est entamée auMaroc pour asseoir le partenariat sur un système deconventions. L'idée est d'établir une charterassemblant les droits et les devoirs qui s'impose-raient aux pouvoirs publics comme aux associations.Cette charte a récemment fait l’objet de propositionsconcrètes de la part des associations.

Les associations doivent être reconnues dans leurrôle de lutte contre la pauvreté, comme mode demédiatisation entre les pauvres et la société,comme " moyen de réaliser un accompagnementpersonnalisé et/ou durable si nécessaire despersonnes et des groupes, dans leur " rôle d'expéri-mentation et d'innovation et finalement dans leurfonction d'expression des usagers des institutionset des services publics.

Sans doute le mouvement associatif a-t-il besoinque l'Etat respecte à son égard une certainedéontologie mais cette meilleure disposition seraitsans effet sans la mobilisation des citoyens au seindes associations.

Les défaillances de la coordination : D'une façongénérale, la coordination se trouve face à unecontradiction interne. Les politiques de lutte contrela pauvreté ont été développées sur la base d'unesédimentation de programmes, d'actions et deprestations. Or, l'architecture d'ensemble a atteintaujourd'hui un tel degré de complexité qu'on voitmal comment la coordination complétive et nonsubstitutive pour-rait la réduire. Les qualités de lacoordination sont nombreuses. En premier lieu, lacoordination d'institutions publiques ouassociatives permet d'accroître l'efficacité despolitiques en limitant les cloisonnements despolitiques, en organisant les relations institution-nelles. Elle permet également de profiter deséconomies d'échelle dans la gestion des politiquesen évitant les doubles emplois, elle réduit l'incer-titude, elle réduit également les "individualismes",enfin elle réduit les asymétries d'information. Ellepermet en outre, de réduire les comportements

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d'anti-sélection par une meilleure orientation desdemandes de prestations.

Fondement de la coordination : le partenariatLa réalité du terrain révèle très clairement lanécessité de l'approche partenariale de la coordi-nation. Une forte demande de partenariat a étéexprimée surtout de la part des associations àl'égard des collectivités territoriales, de l'adminis-tration de l'Etat ou des organismes de protectionsociale. Le succès d'un partenariat, le bon fonction-nement d'une coordination entre institutions nedépend pas seulement, dans le contexte actuel, derègles juridiques ou de coutumes fortementancrées dans le milieu des institutions sociales,mais également de la personnalité des dirigeants,de la qualité humaine des responsables. Il estévident que dans le cadre de la lutte contre lapauvreté, l'importance des négociations pourmettre en oeuvre des actions signifie que leursuccès ou échec dépend en grande partie de lapersonnalité même des dirigeants. Ceci estd'autant plus important que le cadre légaldemeure peu contraignant.

La pléthore des coordinations : La plupart desnouvelles institutions qui ont été créées dans lecadre de la mise en oeuvre de dispositifs de luttecontre la pauvreté sont des coordinations d'insti-tutions préexistantes. Paradoxalement, les politiquesglobales, créées sur la base des politiques parfonctions, n'ont pas supprimé la sédimentation. Ilexiste pratiquement autant de coordinations qu'ilexiste de fonctions: coordination autour de la santé,de l'éducation, de l'exclusion, etc. Cette ‘’mal-coordi-nation’’ provient de l'éclosion incessante denouvelles institutions sociales, sans réforme del'ensemble du système. Cette profusion de coordi-nations a de plus engendré un double problème decoordination entre les acteurs et entre les services ausein d'un même secteur.

- Absence d'un projet global : les difficultés ou leslimites que connaît le partenariat tant réclamé, laprolifération des dispositifs coordonnésproviennent en partie d'une absence de globalité:la coordination est difficile parce qu'on a du mal àélaborer une conception commune. Pour autant, il

est peut-être souhaitable de distinguer deuxniveaux, celui de la conception d'ensemble, et celuide la traduction institutionnelle de cette globalité.

- Maintien des cloisonnements : les cloisonnementssont différents selon les domaines d'interventionsociale. Ces cloisonnements ne sont pas nouveaux.Les interventions sociales sont peu ou pascoordonnées entre elles. De ce fait, ces politiquespermettent difficilement de rendre compte descumuls de handicaps sociaux.Peu ou pas articuléesentre elles, ces interventions engendrent desprestations qui s'accumulent, s'empilent ou sesuccèdent les unes aux autres. Cette situation estparticulièrement inefficace dans le cadre de lapolitique de la lutte contre la pauvreté.

La solution qui est prônée pour surmonter lesconséquences dommageables des cloison-nements entre fonctions de la politique de luttecontre la pauvreté est la coordination horizontalecomme mode local de régulation de fonctionsdifférentes.

Les perspectives en matière d'organisation : dansle cadre de l'amélioration de la lutte contre lagrande pauvreté, deux pistes principales d'actionpeuvent être retenues :

- L'harmonisation de l'action des pouvoirs publics :en premier lieu, il apparaît indispensable que lesdifférents niveaux d'administration cessent dedévelopper entre eux des oppositions ou mêmedes conflits dont les populations les plus pauvresfont souvent les frais. Il semble urgent de clarifierles responsabilités entre les acteurs pourdépasser les blocages institutionnels. Il est aussinécessaire de reconnaître que, dans un état dedroit, les pouvoirs des acteurs locaux ne sont passans limite et qu'ils doivent s'inscrire dans lerespect de la loi.

- La mise en valeur des ressources associatives :pour engager la lutte contre la pauvreté, l'expé-rience a montré qu'il était utile et mêmefréquemment nécessaire de mobiliser lesressources rassemblées par les associations.Toutefois, les associations souffrent de leurdépendance par rapport aux pouvoirs publics et

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des organismes internationaux surtout lorsquecela les maintient exclusivement dans unefonction instrumentale d'opérateurs et dans unesituation économique particulièrement précaire.L'espoir de rapports plus équilibrés entre lemouvement associatif et les pouvoirs publicsdécentralisés ou déconcentrés est sans doutel'une des variables-clés pour organiser une lutteefficace contre la grande pauvreté.

La clarification des choix politiques, l'articulationdes acteurs entre eux, leur mode d'organisationinterne, la volonté des militants et des profes-sionnels qui les animent sont des conditionsindispensables à la mise en place des politiquespubliques pour lutter contre la grande pauvretéPourtant, elles ne suffisent pas. Il faut égalementsavoir comment agir pour être efficace.

4.4.4. L'apport des organismes internationaux

Les pays étudiés éprouvent des difficultés àdégager les ressources publiques nécessaires pourtraduire dans les faits les objectifs des PPRP*. Face àla précarité des ressources publiques, plusieursprogrammes ont pu être initiées grâce àl'assistance internationale.

La contribution du PNUD à la mise en œuvre des plansd'action issus des grandes conférences des NationsUnies a conféré à cette organisme un rôle de catalyseur,propice à la mobilisation d'autres sources definancement ainsi qu’un rôle de facilitateur pour laréalisation des programmes de lutte contre la pauvreté.

Le Système des Nations Unies a joué un rôle moteuren matière de mobilisation des ressources et,pour cefaire, associe les donateurs potentiels en amont desactions entreprises. Dans l'ensemble, les donateursbilatéraux ont exprimé un grand intérêt,à l’égard desobjectifs et stratégies proposés dans lesprogrammes des systèmes des Nations unies (SNU).

A la lumière des défis de développement identifiésd'une part, et des priorités nationales retenues dansles Plans de développement économique et socialed'autre part, le Système des Nations Unies envisage aaxé sa coopération sur deux principaux domaines :

i) la contribution à l'amélioration des conditions devie des populations, en tenant compte des dis-parités géographiques et en intégrant la dimen-sion "genre", et

ii) la promotion de la gouvernance dans la pers-pective d'un développement humain durable,dont les objectifs et les stratégies de coopéra-tion proposés sont développés ci-après.

Le système des Nations unies appuie notammentles partenaires nationaux pour s'assurer de l'inté-gration des recommandations des conférencesmondiales dans ces politiques, stratégies etprogrammes, tant au niveau national que local, etpour veiller à la mise en œuvre des engagementspris lors de ces importantes manifestations. Lapoursuite des interventions des différentesagences du SNU en appui aux priorités nationalesen matière de population, de santé, d'éducation, dedéveloppement rural, d'environnement, de droitset de gouvernance, ainsi que la coordination de cesinterventions auprès des partenaires nationauxpar une approche intégrée.

4.4.5 Perceptions des mouvements de la société civile sur les Politiques de lutte contre la pauvreté

Au Maroc, les ONG reconnaissent que nombred'initiatives ont été déployées au Maroc ces dixdernières années. Les pouvoirs publics ont de plusen plus intégré le fait qu'une stratégie de réductionde la pauvreté n'est pas forcément celle qui estreléguée à un département ministériel précis maisplutôt celle qui de manière transversale est reflétéedans les différentes stratégies sectorielles.

C'est ainsi que différents programmes aussi bienen milieu rural (Plan d'action national de luttecontre la désertification, programme d'approvi-sionnement groupé en eau du milieu rural,) qu'enmilieu urbain (Programme de résorption del'habitat insalubre, programme Agenda 21)intègrent de fait cette stratégie plurielle dontl'objectif est la réduction des disparités et de lapauvreté au Maroc.

* Politiques publiques de réduction de la pauvreté

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Il importe de dire qu'une stratégie de réduction de lapauvreté tout comme celle du développementdurable ne peut forcement que s'inscrire dans lesprocessus de long terme. Le recul n'est pas suffisantpour apprécier, de manière objective, l'améliorationdes conditions de vie des communautés les plusdémunies et la réduction des disparités.

La société civile est de plus en plus sollicitée pour laparticipation effective à la formulation de certainsvolets des politiques de réduction de la pauvreté,pour preuve, la consultation de celle-ci lors de la miseen place du fonds pour le développement social, ouencore lors de l'élaboration du plan d'action nationalde lutte contre la désertification par exemple.

Par contre, l'implication de cette même sociétécivile dans la mise en oeuvre de ces politiques resteencore à construire. Des efforts substantiels sontfaits à travers l'identification des projets soumis parles associations et leurs financements par desentités telles que l'agence de développementsocial, mais le plus souvent , ces projets ont uneapproche sectorielle, ne s'inscrivent pas forcementdans des logiques d'intermédiation sociale demoyen et long terme.

Il n'est pas aisé de dire exactement sur quelscritères les organisations de la société civile sontchoisies, mais ceux-ci sont à priori basé sur lescapacités de plaidoyers de celles-ci , leur ancrage àl'échelle locale, ainsi que leur rayonnement entermes de mise en œuvre de projets.

Quelques associations ont été associées à plusieursreprises,à ces processus de formulation de politiquessectorielles ayant pour objectif la réduction de lapauvreté. Dans leur majorité, ces consultations ontété basées sur l'organisation de rencontres avec lesdifférents acteurs;et dans nombre de cas, le recours àdes outils de base tels que les méthodes de program-mation par objectif ont servi à structurer la démarchede consultation des acteurs pour dégager leséléments de la stratégie.

Les associations sont quelques fois appelées pourconsultation concernant des politiques stratégiques

tel que le plan de développement économique etsocial ou encore pour donner un avis sur certainsdossiers sectoriels tels que l'élaboration de la loi surle micro-crédit, de la stratégie nationale de la luttecontre le sida, de la stratégie de l'approche genre, dela stratégie de partenariat Etat/associations. Parailleurs, les partenaires académiques constituent unacteur clé à même de valider la construction despolitiques sur la base d'un processus d'investigationet d'analyse appropriés

4.5. LES PROGRAMMES DE MICRO-CRÉDIT

Par l’importance de son impact sur l’exclusion, par lerythme de sa progression et, surtout, par lesperspectives qu’elle offre, l’activité du micro-crédit(MC) au Maroc occupe,en tant qu’axe de lutte contrel’exclusion, une place de choix dans cette étude.

Pratiqué à une large échelle dans quelques paysd’Asie dès les années 80, l’activité du micro-crédit afait son apparition au Maroc dans la secondemoitié de la décennie 90. Les premiers pas dans cedomaine ont été faits par l’AMSED. Cependant, levéritable démarrage de l’activité du micro-créditdate de 1995 avec l’association Zakoura. Marquéepar le volontarisme de ses promoteurs, elle a pumobiliser les appuis locaux (banques, entreprisespubliques et privées, administrations…) etaccumuler une expérience qui l'a amenéenotamment à satisfaire des milliers de bénéfi-ciaires. Elle se concentre actuellement sur lesfemmes et le monde rural. A partir de 1997, unetrès forte impulsion a été donnée au secteur parl’entrée en lice de l'association Al Amana, fruit d'unprojet financé par l’USAID(2).

Globalement, fin 2003, le secteur du micro-créditdétenait un portefeuille de 300 000 clients actifsdont 70% de femmes. L’encours total de prêts étaitde 500 millions Dh. L’effectif global employé étaitde 1200 personnes dont (68 %) de sexe féminin.

Le secteur compte aujourd’hui une douzained’opérateurs. Cependant, à elles seules, Zakoura etAl Amana réalisent aujourd’hui près des quatrecinquièmes de l’activité. Si on y ajoute la Fondation

(2) Le démarrage a été assuré par une ONG américaine spécialisée : Volunteers In Technical Assistance

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Banque Populaire (FBP) et le FONDEP, respecti-vement troisième et quatrième en importance, onpeut dire que ces quatre entités assurent la quasi-totalité de l’activité (97%).

L’activité du secteur s’est accrue à un rythmeextrêmement rapide. A défaut de donnéesconsolidées pour l’ensemble des opérateurs, cellesrelatives à Al Amana attestent de la vigueur decette progression.

C’est ainsi qu’à fin 2003, Al Amana avait octroyéplus de 100.000 prêts actifs (30% du secteur) pourun encours de 248 millions Dh (25% du secteur). Lecumul des prêts déboursés, 460 000 prêts pour unmontant cumulé de 1,47 milliard Dh, donne uneidée du caractère " industriel " de l’activité du MC.

Les données de ce tableau attestent égalementde la part croissante prise par les femmes dans leMC : l’objectif initial de pas moins de 30% defemmes a vite été dépassé. En dehors de la FBPdont la proportion des femmes reste inférieure àla moitié, tous les autres opérateurs avaientprivilégié et ciblé les femmes. C’est particuliè-rement le cas de Zakoura dont les femmes

représentent la quasi-totalité des bénéficiaires.Dans toutes les autres associations de MC, la partdes femmes dépasse 80%.

L’impact du micro-crédit sur les bénéficiaires

L’appréciation de cet impact repose sur deuxétudes d’impact récemment conduites par AlAmana et Zakoura. L’un de leurs objectifs était decomprendre l’impact du programme sur l’émanci-

pation de la femme(3). Les principaux points tirésde ces études sont comme suit :

Pour Zakoura :

• 63% des clientes ont enregistré une augmen-tation de revenu durant les douze derniers moiscontre 39% pour les non clientes. Les clientes duprogramme semblent s’impliquer plus significati-vement dans la gestion du budget familial,potentiellement en raison de leur apportfinancier croissant et plus significatif.

• La participation au programme favorise aussi unediversification des activités, soit par les finance-ments qu’il permet, soit par l’émancipation(réseau) des femmes qui y participent.

Encours 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003

Nombre de clients actifs 1 495 8 335 20 310 37 195 61 260 78 114 101 565

Encours (millions Dh) 3 12 30 65 108 154 248

Encours moyen 2 098 1 439 1 480 1 751 1 765 1 979 2 440

Prêts déboursés

Cumuls historiques 1 880 11 985 44 820 104 795 197 850 313 760 460 788

dont Femmes 306 5 273 22 858 55 514 107 358 175 842 263 334

% femmes 16 44 51 53 54 56 57

Evolution des principaux indicateurs de l’activité MC d’Al Amana

Source : Al Amana

(3) Cf. " Etudes de l’impact du programme de Zakoura Micro-Crédit " : (Programme Micro-Start), par Fouzi Mourji ; décembre 2000 ; et "Evaluation de la contribution d’Al Amana au développement de cses clients micro-entrepreneurs ", Association Al Amana, février 2003.

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• Face aux aléas de la conjoncture, les clientes sem-blent moins vulnérables que les non clientes.

• Quelle que soit la zone géographique considérée,la proportion des clientes ayant accru leursdépenses d’éducation demeure supérieure de 10points en moyenne à celle des non clientes. Lesenfants en âge scolaire vont à l’école dans 84%des ménages des clientes (73% chez les nonclientes).

• A propos de l’émancipation, les clientes sont,proportionnellement, plus nombreuses à prendreseules, davantage de décisions.

Pour Al Amana :

• Lors des interviews, les clientes ont jugé positifl’impact du programme, aussi bien aux niveauxpersonnel, professionnel, familial, qu’au niveau dela vie sociale en général. Le terme " plus " revienttrès souvent dans leurs discours.

• Avant d’accéder au programme, beaucoup defemmes se sentaient dépendantes tant au niveaudécisionnel que financier. D’autres encore sesentaient " humiliées " et mises à l’écart du fait decette dépendance tant morale que financière. Ens’impliquant dans le programme, elles agissentd’une façon plus déterminée pour réaliser leursrêves.

• au niveau professionnel, grâce à une plus grandeconfiance en elles, les clientes semblent être plusà l’affût des opportunités et d’une rentabilitémeilleure de leur activité.

• aux niveaux personnel et familial, la plupart desfemmes interrogées se considèrent estimées,respectées, et aimées au sein de leur ménage.Elles ont plus confiance en elles grâce à leurréussite professionnelle et à leur contribution auxdépenses familiales. Beaucoup plus de décisionssont prises conjointement par le couple.

• L’étude d’impact sur l’autonomie de la femmedonne des résultats positifs. Cependant, selon lesauteurs de l’étude, ces résultats manquent definesse pour comprendre avec précision ce qui

détermine l’amélioration de la condition desfemmes grâce au MC.

Quel impact du micro-crédit sur les pauvres ?

La motivation première de la plupart despromoteurs des associations marocaines de MC estde lutter contre la pauvreté des personnes les plusdémunies des milieux urbain et rural, en priorité lesfemmes, qui ne bénéficient d'aucun programmed'aide, ni d'aucun accès aux sources definancement traditionnelles. Il s’agit d’aider lesbénéficiaires à créer ou développer un projet enrelation avec leur savoir-faire. Ces opérateursentendent également apporter des changementssignificatifs dans la qualité de vie de leurs clients encombattant l'analphabétisme et en développant et

enracinant le civisme et la responsabilité(4).

Qu’en est-il dans les faits ? Dans quelle mesure lesfemmes pauvres sont touchées par le MC ? Dansquelle mesure le secteur est présent dans lespoches de pauvreté ? La réponse à ces interro-gations appelle les observations suivantes :

1) le micro-crédit sert essentiellement en tant quefonds de roulement. A ce titre, et à l’instar desentreprises du secteur formel qui disposent delignes de financement de court terme auprès deleur banque, les bénéficiaires du micro-créditpeuvent avoir recours en permanence à ceservice. La logique du secteur est donc depérenniser les relations avec les clients et, bienévidemment, d’en gagner d’autres.

2) Les candidats au MC doivent avoir une activitéou un projet de progrès, une identité sociale. Cescaractéristiques ne correspondent pas souventà celles des plus démunies, lesquels n’ont pastoujours les compétences physiques etmentales requises.

3) De ce fait, le secteur ne vise pas particulièrementles poches de pauvreté. Cependant, sa stratégieest de développer une machine performantepour aller vers des espaces difficiles. A titre

(4) Zakoura dit explicitement que son action s'inscrit dans un esprit emprunt de cinq valeurs : solidarité, respect, égalité entre les femmes et leshommes, lutte contre la corruption, exigence de la qualité.

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d’exemple, Al Amana a commencé par lesgrandes villes, puis les villes moyennes, puis lerural fortement concentré.

4) Il n’ y a pas d’indications précises sur la sortie dela pauvreté. Des opérateurs de MC font montred’une grande réserve à ce sujet car ils n’ont pasune appréciation quantitative fine, du fait de ladifficulté d’isoler l’impact du micro-crédit.

5) D’après certains opérateurs, le slogan :‘’le micro-crédit s’adresse aux plus pauvres’’ est un nonsens. Le secteur ne travaille pas avec les plusdémunis.

6) Le profil socio-démographique de la femmebénéficiaire du micro-crédit ne correspond pasà celui de la femme pauvre. Dans l’enquêted’impact de Zakoura, les veuves et divorcéesenquêtées représentaient 17% de l’ensemblecontre plus du quart de la population fémininepauvre. Par ailleurs, la proportion de bénéfi-ciaires de MC femmes sachant lire et écrire étaitde 34% alors, qu’à titre d’illustration, ce tauxchez les femmes chefs de ménage était de 24%en milieu urbain et de 3% en milieu rural.

7) Pour pouvoir apprécier de manière plus finel’impact du micro-crédit sur les femmespauvres, il faudrait pouvoir établir, parmi lesclientes actives du secteur, celles qui n’ontcommencé à exercer pour la première fois uneactivité génératrice de revenus que parcequ’elles ont eu accès au micro-crédit. Or, lesdonnées des études d’impact ne permettentpas d’en estimer l’importance. Même s’ils’avère qu’il s’agit d’une proportion importantede femmes, il faudrait se garder d’en déduirequ’il semble plutôt que les prêts sont accordésessentiellement aux femmes qui avaient déjàune telle activité.

8) L’analyse comparative des différents acteurs dumicro crédit au Maroc (montants moyens des

prêts, populations visées, zones d’implantation)fait ressortir l’existence de trois segments dansl’offre :

• un segment supérieur occupé par laFondation Banque Populaire (FBP) pour lesmicro-entreprises structurées : petits métiersde réparation et d’entretien…

• Un segment moyen occupé par Al Amana.

• Un segment inférieur occupé par la FondationZakoura et les autres opérateurs. Il s’agirait làpour l’essentiel d’une population féminines’adonnant à des activités de subsistance etnon des micro-entreprises que la FBP et AlAmana ciblent en premier lieu.

Comme la dominante des activités des femmes estcelle relative aux activités génératrices de revenus,on peut globalement déduire de ce qui précèdeque seule une partie du MC est susceptible d’at-teindre les femmes les plus vulnérables. Il s’agitessentiellement du segment inférieur dont la partdes prêts représente plus de la moitié du total desprêts. Même si le secteur n’a pas de politique spéci-fique pour s’adresser aux plus pauvres, sa fonctionprincipale est d’éviter que les femmes vulnérablesne tombent dans la pauvreté lors de ces chocs

adverses(5). C’est là le principal enseignement à tirede cette discussion de l’impact du MC sur la situa-tion des femmes attesté par le fait que :

• plus du tiers des femmes bénéficiaires de MC sontchefs de ménages, soit le double de leur part dansla population totale du pays ;

• 70% des bénéficiaires de MC sont des femmesalors que ces dernières ne représentent que 12%des Unités de Production Informelle (UPI) recen-

sées en 1999/2000(6). Ce contraste est encore plussaisissant quand on sait que la proportion deménages ayant au moins une unité informelle estdeux fois plus élevée chez les ménages dirigés parun homme (24% en milieu urbain et 12% en

(5) La Fondation Zakoura vise à aider les femmes pauvres mais ne s’adresse pas aux plus pauvres parmi les personnes défavorisées. Le revenumaximum de la population ciblée est fixé à 1500 DH par mois et par ménage composé de 5 personnes, soit un montant inférieur au seuil depauvreté.(6) Cette proportion est très variable selon les activités : commerce et réparation (5%), Industrie et Artisanat (37%)…. Cf. " Enquête nationale surle secteur informel non agricole 1999/2000 " Rapport des premiers résultats ; Direction de la Statistique

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milieu rural) que dans ceux dirigés par une femme

(12% en milieu urbain et 6% en milieu rural)(7).

Il faut garder à l’esprit que, compte tenu de laconcentration des dépenses autour du seuil depauvreté (cf. chapitre 1), une augmentation minimede quelques centaines de dirhams de revenus paran pour un ménage se traduit, statistiquement, parune baisse substantielle (en centaines de milliersde personnes) de la population pauvre vivant audessous de ce seuil. De ce fait, il est certain quel’existence du secteur du micro-crédit aura unimpact sur les taux de prévalence de la pauvreté etde la vulnérabilité des femmes lors des prochainesenquêtes de consommation. Celle de 1998/99 nepouvait, du fait du démarrage du secteur, prendreen considération le micro-crédit en tant que fac-teur contribuant à l’augmentation des revenus, àl’instar, par exemple, des analyses sur l’impact destransferts. Il ne semble pas non plus que l’enquêtede consommation de 2002 ait intégré cette dimen-sion dans sa démarche.

Les perspectives du secteur du micro-crédit

• Avec près de 400 000 clients actifs, le secteur dumicro-crédit dans son ensemble sert environ 20 %de la population cible des villes. Il est quasimentabsent du monde rural.

• La population potentielle du secteur du MC estestimée à 3 millions. Compte tenu d’un coefficientde pénétration de 25 à 30% du micro-crédit ausein de cette population (ce qui est déjà très fort),le secteur devrait servir, raisonnablement, un mil-lion de personnes. La part des femmes sembleavoir atteint un palier qu’il est difficile de dépasser.

• Al Amana projette d’avoir 240.000 clients actifs fin2007. Zakoura cible 300.000 clients à moyenterme. Compte tenu des tendances passées, ces

objectifs ne semblent pas être hors de portée(8).

• La mobilisation des ressources financières pourl’expansion du crédit ne semble pas poser de pro-blème du fait des taux exceptionnels de rembour-sement des prêts.

• Le cadre réglementaire permet de financeraujourd’hui le logement. La LF 2004 a introduitdes modifications sur la loi organisant le MC. Elleautorise le crédit au logement, à l’équipement… Iln’est pas exclu que, dans l’avenir, il permette auxassociations de micro-crédit de mobiliserl’épargne auprès du public. Au Maroc, la micro-finance est actuellement confinée au fonds deroulement alors que la tendance générale est derépondre à tous les besoins à caractère financier :prêts pour l’investissement, logement,assurance… En Inde, la micro-assurance a prisune grande envergure. En Afrique du Sud, la plusgrande réussite du micro-crédit est celle dulogement. Au Maroc, des études en coursindiquent que le potentiel du logement serait

supérieur à celui de l’activité productrice(9). Parailleurs, l’USAID vient de signer récemment uneconvention de garantie à ces prêts au logementavec Al Amana et Zakoura pour respectivement 5millions et 2 millions de $.

• Un plus grand déploiement consistant àcompléter rapidement la couverture territorialedes régions urbaines, à investir rapidement lemonde rural concentré (agglomérations ou zonesde plus de 10.000 habitants), à s’adresser au

monde rural à faible concentration humaine(10);

• Le facteur limitant de cette très forte expansiondu secteur est celui relatif à la compétence orga-nisationnelle du secteur pour pouvoir répondreaux besoins (prêts plus importants, individualisés)

• Le principal défi des associations de MC est celuide pérenniser leur activité, par l'autonomisationde leur action par rapport aux bailleurs de fonds.

(7) Cette proportion est très variable selon les activités : commerce et réparation (5%), Industrie et Artisanat (37%)…. Cf. " Enquête nationale surle secteur informel non agricole 1999/2000 " Rapport des premiers résultats ; Direction de la Statistique(8) Pour Al Amana, le rythme projeté fin 2003 à fin 2004 est de 27% par an contre un rythme de 40% par an de fin 2000 à fin 2003(9) L’étude menée par Deloitte & Touche en 1999 a estimé à 720.000 le nombre des ménages qui auraient besoin de services de micro-finance-ment pour le logement. Dans ce nombre, 195.000 ménages sont dans les bidonvilles et 300.000 dans les médinas(10) Al Amana projette de passer, au cours de l’année 2004, de 125 antennes servies à 200 antennes. Un tiers environ de ces 75 antennes nou-velles seront crées dans des zones rurales ; cf. " L’Economiste " du 24 février 2004.

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Pour arriver aux objectifs (un million clients actifs)il faudra, selon le SG de la FBP, mettre un systèmede refinancement adéquat en créant notammentun fonds de garantie. Il faudra également réviserles contraintes de rentabilité prévues par la loi.Celle ci impose aux associations un délai de 5 anspour assurer la pérennité de leur activité(autonomie financière et fonctionnelle), " cettecontrainte constitue un véritable danger car ellepousse ces structures à s’éloigner du champsocio-économique dans lequel elles se position-naient pour éradiquer la pauvreté et à devenir dessociétés de financement à part entière(11)".

4.6. LES PROGRAMMES D’ALPHABÉTISATIONET D’ÉDUCATION NON FORMELLE

4.6.1. Le programme d’alphabétisationdes adultes

Au Maroc, la lutte contre l’analphabétisme desadultes a, pendant longtemps, figuré parmi lesgrands absents de la politique socio-culturelle duMaroc. Passée l’euphorie de l’après indépendancemarquée par les grandes campagnes nationalesd’alphabétisation des adultes de 1956 et 1957(12),l’action de l’Etat en la matière a été insignifiante

pendant plus de quatre décennies. Ce n’est qu’à lafin des années 90 que le Gouvernement d’alter-nance avait inscrit cet axe parmi ses priorités.L’intérêt grandissant porté depuis par le Maroc àcet axe s’est traduit par :

• la création, en 1997, d’une Direction de la LutteContre l’Analphabétisme au sein du Ministère del’Emploi et des Affaires Sociales et d’une Directionde l'Education Non Formelle au sein du Ministère

de l'Education Nationale(13) ; puis, en novembre2002, du Secrétariat d’Etat auprès du Ministère del’Education Nationale et de la Jeunesse Chargé del’Alphabétisation et de l’Education Non Formelleau sein du Gouvernement.

• La progression du budget public pour l’alphabéti-sation des adultes (négligeable au début desannées 90) qui était passé à 10 millions Dh en1997, à 34 millions en 1999, puis à près de 100millions en 2003, montant auquel il faut ajouterune dotation spéciale de 50 millions Dh accordéepar la primature ;

• La progression rapide du nombre des participantsaux programmes d’alphabétisation à partir de1998, ainsi qu’une seconde accélération en 2002 ;

1995-96 1996-97 1997-98 1998-99 1999-00 2000-01 2001-02 2003-04

Effectif (milliers) 107 111 119 181 234 301 390 720*

Tx déperdition 70% en moyenne 20% en moyenne

Tx réussite 7% 80%

Rendement (%) 2% en moyenne 64%

Personnes alphabétisées 2500 par an 116 000 150 000 193 000 250 000 461000

% femmes non disponible 55% en moyenne 70% 80% 80%

Personnes ayant suivi des cours d’alphabétisation

Source : Données reconstituées et estimées avec l’appui de la Direction de la lutte contre l’analphabétismechiffres des inscrits en début de période, alors que les effectifs relatifs aux années précédentes sont ceux des inscrits enregistrés à la veilledu test

((11) " L’Economiste " du 20 février 2004 ; p. 5(12) Ces campagnes avaient touché respectivement un et deux millions de personnes(13) Ce n’est qu’en 1980, qu’un service d’alphabétisation des adultes a été crée au sein du Département chargé des Affaires Sociales, érigé endivision en 1991

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• La progression du taux de participation des femmesaux programmes d’alphabétisation. Il a été de 55%en moyenne durant la période 1995-2000,alors queles femmes analphabètes représentaient les troisquarts de l’ensemble de la population analphabèteau Maroc. Ce n’est qu’en 2001 que ce taux s’estélevé à 70% pour se stabiliser à 80% durant les deuxdernières années. En milieu rural, ce taux a atteint88% en 2002 contre 50% en moyenne durant lesannées précédentes.

Ainsi que l’indiquent les données du tableau,l’année 98 constitue un réel tournant nonseulement dans la volonté politique et les moyensdéployés, mais aussi dans la conception et dans lamise en œuvre des programmes d’alphabétisation.Avant cette date, les campagnes nationalesd’alphabétisation touchaient annuellementenviron 100 000 bénéficiaires. Elles se caractéri-saient par un taux de déperdition de 70% et un

rendement ne dépassant guère les 2% (14).L’évaluation de ces actions a révélé ce qui suit :

• Sur le plan pédagogique, les alphabétiseursrestaient prisonniers d’une pédagogie desenfants, non adaptée aux adultes, d’où un rejet dela situation d’apprentissage.

• Sur le plan organisationnel, le rythme d’alphabéti-sation restait fortement lié au rythme scolaire,sans tenir compte des spécificités du milieu,notamment rural, de la disponibilité des bénéfi-ciaires et de leurs occupations. La participation del’ensemble des opérateurs demeurait inefficace,aussi bien sur le plan de l’organisation et de lacoordination que sur le plan de la motivation etde la sensibilisation des bénéficiaires.

Le changement spectaculaire du taux de rende-ment qui a atteint 64% (80% * 80%) à partir de1998 s’explique :

• d’une part, par une nouvelle approche basée sur

une politique partenariale avec les ONG(15), les-

quelles se trouvent fortement impliquées en tantqu’opérateurs sur le terrain ;

• d’autre part, par une remise en cause desméthodes pédagogiques utilisées jusque là, favo-risée par le coup de pouce donné par le FNUAPpour l’élaboration de manuels centrés sur la santéreproductive. Ce qui explique la forte progressiondu taux de participation des femmes à ce pro-gramme.

Encouragé par ce mouvement, le Gouvernement a,dans le cadre de la Charte Nationale d’Education etde Formation adoptée en 2000, fixé commeobjectifs la réduction du taux global d’analpha-bétisme des populations âgées de 10 ans et plus àmoins de 20% à l’horizon 2010 et l’éradicationquasi totale de ce phénomène à l’horizon 2015(ainsi que la réduction du taux d’analphabétismede la population active à moins de 10% à l’horizon2010). Aussi, le Plan 2000-2004, avait prévu uneffectif de 600 000 bénéficiaires en 2004.Cependant, une nouvelle accélération a étédonnée en 2002 par le Souverain marocain qui afixé un objectif d’un million de bénéficiaires dès fin2003.

Pour atteindre ces nouveaux objectifs, il a étéprocédé à une redynamisation des programmesd’alphabétisation, avec la mise en place d’unenouvelle stratégie dont les axes d’intervention ontété progressivement affinés. Cette stratégies’articule autour des points suivants :

• la mobilisation des opérateurs (entreprises,société civile, opérateurs publics) par l’adoptiond’une approche partenariale ;

• une réforme pédagogique par la mise en place deprogrammes fonctionnels adaptés auxpopulations cibles et la formation des formateurs;

• des actions d’accompagnement : organisation decampagnes de sensibilisation et promotiond’activités génératrices de revenus .

(14) Selon une évaluation faite en 1994 qui a montré que le taux de réussite ne dépassait pas 7% des candidats qui passaient l’examen. Commele taux de déperdition était de 70% (sur 100 personnes inscrites en début d’année, 30 seulement passaient le test), on en déduit le taux de ren-dement égal à 2% (7% * 30%).(15) Les premières conventions avec les ONG furent signées en décembre 1998, à l’occasion du lancement du programme des ‘’cent mains’’

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La concrétisation de l’objectif d’un million debénéficiaires s’est traduite par le lancement de lacampagne nationale d’alphabétisation ‘’MassiratEnnour’’ qui a permis d’inscrire 720 000 bénéfi-ciaires répartis selon quatre programmes distinctsconduits par :

i) la société civile : il s’agit d’un vaste programme desoutien financier, logistique et technique lancépar le Ministère depuis décembre 1998, au profitdes ONG oeuvrant dans le domaine d’alphabéti-sation. Les actions sont réalisées sur la base deconventions de partenariat comportant unprogramme d’intervention ;

ii) le Ministère de l’Education Nationale : ceprogramme général est destiné à l’ensemble despopulations analphabètes âgées de 15 à 45 ans,celles qui n’ont pas de statut socioprofessionnelbien défini ;

iii) des opérateurs publics (Ministères etEtablissements Publics) au profit de leurs

personnels ou des populations analphabètes

bénéficiant de leurs services (16);

iv) les entreprises du secteur privé.

La pratique a vite montré que le programme d’alpha-bétisation est beaucoup plus attractif pour lesfemmes. Ces dernières seraient plus assidues et plus

réceptives que les hommes(17). Les raisons invoquéessont,d’une part,la rupture pédagogique de 1998 qui acapitalisé sur les préoccupations des femmes (santéreproductive…), d’autre part, une plus grandedisponibilité en temps et une bonne adéquation entretemps libre et horaires des cours, généralementl’après-midi ; alors que la plupart des hommes n’ontcomme tranche horaire libre que celle séparant les

prières d’Al Moghreb et d’Al Ichaâ. En milieu rural (18),la principale difficulté est l’éloignement.

Les objectifs de l’alphabétisation ne sont pasdéclinés selon le milieu, la catégorie socio-profes-sionnelle ou le genre. La participation des femmesest encouragée du fait de leur handicap de départ,

Nombre de bénéficiaires Taux de réalisationObjectif initial Inscrits des objectifs (en %)

Programmes 2003 2004 2003 2004 2003 2004

Programme général 70 000 570 000 62 000 413 000 89 72

Associations 198 000 269 000 217 000 222 000 110 82

Opérateurs publics 137 000 146 000 105 000 93 000 77 57

Entreprises 10 000 15000 6000 2000 60 13

Total 400 000 1 000 000 390 000 720 000 98 72

Objectifs et bénéficiaires pour les années 2002-03 et 2003-04

Source : MEN : Direction de l’Alphabétisation

(16) Jeunesse et Sports (maisons de jeunes et foyers féminins) ; Entraide Nationale (centres sociaux) ; Agriculture (Centres de vulgarisation agri-cole et Offices de mise en valeur); Pêches Maritimes (Centres de formation maritime) ; Justice (établissements pénitentiaires) ; CollectivitésLocales ; Forces Armées Royales (places d'armes et foyers féminins des oeuvres sociales) ; Artisanat …(17) Mais il n’a pas été possible d’avoir des chiffres pour étayer ces assertions, compte tenu de l’inexistence d’une véritable base de données, encours de constitution (cf.).(18) Il n’a pas été possible d’avoir des précisions sur la répartition des bénéficiaires entre milieux, mais il semble que, jusqu’à présent, l’essentieldes efforts s’est porté sur les villes.

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mais sans fixation d’objectifs explicites. Celas’explique probablement par le fait que les taux departicipation des femmes ont vite dépassé toutesles espérances. Ces dernières représententaujourd’hui les quatre cinquièmes des bénéfi-ciaires alors qu’elles constituent un peu plus desdeux tiers des analphabètes au Maroc. Il s’agit là, sila tendance se confirme, et compte tenu aussi durattrapage en cours des filles en matière de scolari-sation, de l’amorce de la fin de la détérioration duniveau d’illettrisme de la femme rapporté à celuide l’homme. Détérioration mesurée par le ratio dutaux d’analphabétisme des femmes sur celui deshommes, ainsi que l’indique le tableau suivant :

Ratios des taux d’analphabétisme des femmes rapporté à celui des hommes

Urbain Rural Ensemble

1960 1,46 1,15 1,23

1994 1,96 1,46 1,63

2004* 2,10 1,6 1,80

Source : Recensements de la population

* Estimations des auteurs

Ramener le taux d’analphabétisme de son niveauactuel de 43% (estimation des auteurs pour 2004) à20% à l’horizon 2010 signifie une baisse de ce tauxd’environ 4% par an pour les six années à venir. Ceteffort doit être apprécié par rapport au rythme debaisse de 1% par an enregistré au Maroc durant lesquarante dernières années. Par ailleurs, si onapplique cette hypothèse optimiste de 4% par ande manière uniforme pour les femmes commepour les hommes, pour les campagnes commepour les villes, on se rend compte que l’objectifmoyen de 20% d’analphabètes recouvre en fait, àl’horizon 2010, des taux d’analphabétisme de 33%pour les femmes (56% pour les femmes rurales et14% pour les femmes urbaines, cf. tableau). Ainsi,pour les femmes dans le monde rural, en dépit d’un

recul annuel de l’analphabétisme dix fois plusimportant que celui qui a prévalu depuis l’indé-pendance, plus de la moitié d’entre elles serontencore illettrées à cette échéance.

Il existe, selon la Direction de l’alphabétisation, desdifférences importantes des performances entre lesprogrammes. Celui du MEN a les rendements les plusfaibles car les animateurs étaient insuffisammentpréparés à de nouvelles approches pédagogiques etpeu stimulés financièrement. La situation devraitnormalement changer du fait de l’amélioration desindemnités qui sont passées d’un forfait annuel de1500 à 4000 Dh (à raison de 20 Dh l’heure pour les 200heures prévues).L’expérience a cependant montré quele principal défi pour ces instituteurs est de pouvoir sedépartir de l’attitude passive du fonctionnairetraditionnel, condition nécessaire pour se " remotiver "et s’engager d’une manière plus active. Cetengagement " militant " est important en ce sens qu’ilfaut parfois se déployer en dehors de l’école car c’estcette dernière qui va vers les bénéficiaires. C’est direl’ampleur du travail de sensibilisation, de formation etde suivi de ces instituteurs car la campagne d’" MassiratEnnour " repose avant tout sur le programme généralauquel on a confié l’alphabétisation additionnelle d’undemi million d’adultes (cf. tableau).

L’état d’impréparation des alphabétiseurs du program-me général est certainement élevé du fait du passagebrusque d’un objectif de 70 000 à 570 000 bénéfi-ciaires. Une autre stratégie aurait peut être consisté às’appuyer davantage sur le programme avec les asso-ciations en renforçant les capacités de ces dernières eten faisant émerger de grandes ONG professionnellesspécialisées dans le domaine, pouvant jouer le rôle deprestataire de services. Une analyse coûts-bénéficesaurait probablement plaidé pour cette option(19).Aussi, il est important de renforcer le système d’évalua-tion et de suivre attentivement les rendements desprogrammes. La comparaison de leurs efficiences ser-vira certainement à infléchir les choix dans un sens oudans un autre.

(19) En moyenne sur les quatre dernières années, le coût annuel de l’alphabétisation d’un bénéficiaire est de 250 Dh. Il est de 210 Dh pour leProgramme Général et de 260 Dh pour le programme avec les associations du fait que celles ci assurent un complément de formation. Mais ilne s’agit là que de bénéficiaires inscrits. Une étude coûts-bénéfices considère d’autres paramètres, notamment, les personnes considéréescomme alphabétisées, les effectifs moyens des classes (entre 20 et 30 en milieu urbain et autour de 15 en milieu rural)...

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Il est largement admis qu’une plus grande dynami-sation de la demande passe par une meilleureadéquation entre les attentes et les besoins d’une partet les contenus pédagogiques s’autre part. Il s’agitd’aller vers les gens pour voir ce que l’alphabétisationpeut leur apporter. Globalement, c’est dans l’amélio-ration des outils pédagogiques que les attentes desresponsables du programme sont les plus fortes. Desefforts sont à faire pour : i) la formation des animateurs;ii) la production des manuels et supports pédago-giques, ainsi que leur impression ; iii) l’encouragementet l’incitation des bénéficiaires auxquels il faudraitaccorder plus d’importance : initiation professionnellepour améliorer leur métier et compétences, fournitured’un petit équipement aux plus méritants, accompa-gnement des cours d’alphabétisation par desrudiments de comptabilité ; offre de prix et derécompenses de mérite…. Des ONG ont déjàexpérimenté ces mesures d’incitation au sud du Maroc.Il s’agit de s’en inspirer pour généraliser la démarche.

Plusieurs partenaires ont été impliqués, à desdegrés divers, dans l’amélioration des outilspédagogiques. A titre d’exemple, la coopérationfrançaise a appuyé le suivi et la formation ; laBanque M ondia le appuie un projet quiv ise : i ) l’amélioration des manuels existants etl’élaboration de nouveaux manuels adaptés auxdifférents groupes cibles ; ii) la formation desformateurs d’animateurs ; iii) le renforcement dela gestion du système en mettant l’accent surl’approche participative et de proximité ; iv) lelancement de cinq études servant à la concréti-sation des objectifs précédents(20). Ce que denouveaux partenaires de la coopération peuventapporter, c’est l’amélioration de la qualité etl’accélération du rythme du programme.

Les programmes d’alphabétisation sont financésen quasi- totalité par le budget de l’Etat. Celuialloué au programme est à présent six à sept foisplus élevé qu’il ne l’était en 1997, ainsi quel’indique le tableau suivant :

A l’occasion du lancement de la campagne " MassiratEnnour ", la Primature a pris en charge une grandecampagne de sensibilisation (d’un coût de 3 millionsDh),en plus d’une dotation hors budget de 50 millionsDh au titre de l’exercice 2004. On ne sait pas si ceteffort exceptionnel de la Primature va être reconduitpour les exercices suivants car il conditionne l’atteintedes objectifs fixés. La question est d’une grandeimportance car la dotation budgétaire ordinaire autitre de l’année 2004 a même été réduite à 88 millionsDh contre 98 millions Dh en 2003. Pour pallier cemanque, le département de l’alphabétisation essaiede mobiliser des ressources auprès des grandsopérateurs économiques. C’est ainsi que la Régie desTabacs et l’ONEP ont financé l’impression de manuels;de même que le groupe Banques Populaires prend encharge des clients de son réseau (entre 10 000 et15000 bénéficiaires)

La circulaire du Premier Ministre Etat –Associationsdonne un droit de regard sur l’utilisation dessubventions publiques accordées associations. Dece fait, il semble que rien n’empêche de prendre encharge une partie des frais de fonctionnement desONG. Avant, des grilles étaient utilisées. Ellesprévoyaient la prise en charge par le programmede coordinateurs locaux, d’auditeurs selon lenombre de bénéficiaires. Ce système, dont la miseen œuvre n’est pas facile, a été remplacé, à partir de2004, par un package forfaitaire de 250 Dh parbénéficiaire, ce qui donnera assurément plus desouplesse aux ONG et créera plus d’émulation.

Budget public (d’investissement) du programme d’alphabétisation des adultes

Année 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004

Enveloppe budgétaire (millions Dh) 13 19 48 53 73 92,6 98 88,2

Source : MEN. Direction de l’Alphabétisation

(20) Il s’agit de : i) l’analyse des besoins en matière de manuels d’alphabétisation ; ii) la formation des formateurs à l’alphabétisation ; iii) la for-mation d’animateurs à la réforme pédagogique ; iv) la gestion de la déconcentration ; v) la formation à la gestion de projets d’alphabétisation

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Le principe du paiement forfaitaire par personne estintéressant à plusieurs égards car il montre qu’il s’agitbien d’une prestation de services. Il met fin, à l’occa-sion, aux supposés tabous que l’Etat confie des mis-sions d’intérêt public à des ONG. Il inaugure le pro-cessus par lequel l’Etat peut confier à autrui, et àmoindre coût, des missions qui lui étaient quasi-exclusivement dévolues ; ce qui lui permet de fixerdes objectifs multiples, de cibler des poches de pau-vreté et de solliciter des ONG et même des orga-nismes privés. Le coût par bénéficiaire pourra êtrefacilement modulé selon la densité de la zone…

Les difficultés de mise en œuvre du programme sontégalement dues à la lourdeur des procédures adminis-tratives et budgétaires. Les retards fréquents dans lepaiement des indemnités sont un puissant facteur dedémotivation des animateurs.Le retard accusé dans lanomination des directeurs des académies régionalesde l’Education Nationale a fait que les responsablesqui assuraient l’intérimaire, mal préparés à assurercette mission d’alphabétisation des adultes, n’ont paspu ou voulu signer les conventions avec lesassociations, lesquelles étaient signées à Rabat. Il en arésulté un vide de sept mois au cours de l’année 2003où le programme des associations a pratiquementcessé (certaines associations ont continué à travaillercomme elles pouvaient). Cependant, la transition d’unsystème centralisé à un système déconcentré, bienqu’il ait engendré ce vide momentané, constitue unimportant pas en avant dans l’efficacité et l’adaptationdu programme aux réalités locales même si ces

certaines difficultés ne sont pas encore aplanies(21).

Par ailleurs,l’impact de tout programme d’alphabétisationse mesure par la création d’un environnement lettrénécessaire pour prolonger les effets et en assurer ladurabilité. A ce sujet, plusieurs initiatives ont été prisescomme la publication de brochures (la dernière en dateétant celle relative à la vulgarisation des droits de la femmerésultant de la nouvelle loi sur la famille).L’expérience de lapublication régulière d’un journal pour nouveauxalphabétisés par la fondation Zakoura est intéressante ence sens qu’il est facile de capitaliser dessus pour enaméliorer le contenu et assurer une plus large diffusion.

Le profil des bénéficiaires n’est pas bien connu. Il lesera avec beaucoup plus de précision dans les moisà venir avec la mise en place d’une base de données,grâce à l’institution du " passeport à la lumière ". Cedernier est une initiative du Secrétariat d’Etat entréeen application en février 2004. Chaque inscrit reçoitun passeport numéroté qui l’accompagne duranttoute la phase d’alphabétisation-apprentissage. Ilpermet d’identifier la personne, de connaîtrequelques caractéristiques (âge, localité, profession..).Il permet l’inscription sur ce passeport des résultatsdes évaluations au test d’aptitude. Il permetégalement, du fait de l’identification par la CIN, dejuger des doubles inscriptions de candidats ou desinscriptions répétées. Ce passeport peut s’avérer unbon outil de gestion, de contrôle et de suivi. Parailleurs, sa possession peut être un objet de fiertéauprès des personnes en ce sens qu’il leur confèreun nouveau statut. Des mesures d’incitation àl’alphabétisation pourraient accorder à sesdétenteurs certains avantages ou récompenses(priorité pour certains services, bourses, pèlerinagespour les plus méritants…).

Comme signalé plus haut, les objectifs annoncésn’ont pas été déclinés par sexe et/ou par milieu. Il estcertain cependant que l’effort à la marge vaaugmenter du fait non seulement de la dispersiondes populations cibles, mais aussi du fait que plus dela moitié des femmes ne semblent pas disposées àsortir de leur situation d’illettrée ainsi que l’indiquentles données du tableau suivant. Il est intéressant desouligner, au passage, que cette prédisposition estbien plus forte chez les femmes chefs de ménage.

4.6.2. Le Programme National de l’Education Non Formelle (ENF)

L’ENF est un programme national initié par leMinistère de l’Education Nationale en mai 1997. Ilest organisé en dehors du cadre scolairetraditionnel. Il vise les enfants âgés de 9 à 15 ansnon scolarisés ou déscolarisés en vue de lesinsérer dans l’enseignement formel ou dans letissu productif à travers une formation profes-

(21) Il s’agit de difficultés non totalement aplanies résultant de l’interprétation des prérogatives de la circulaire du Premier Ministre relative auxrelations entre l’Etat et les associations

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sionnelle. Sachant que la non scolarisation est unphénomène plutôt rural et féminin et la déscolari-sation est un phénomène plutôt urbain etmasculin, ce programme accorde une attentionparticulière aux enfants du milieu rural et dupériurbain, avec priorité aux filles. Il est fondé surle partenariat entre d’une part, le ministère encharge de l’ENF et, d’autre part, les ONG, les CL, lesautres départements ministériels, lesentreprises… Les cours sont assurés par desanimateurs recrutés par les ONG parmi leslicenciés chômeurs. Ils sont dispensés dans deslocaux fournis par les associations ou dans desécoles publiques. L’encadrement et le suivi sontconfiés conjointement aux ONG et au ministère.

On estime que le programme de l’ENF a bénéficié,depuis son lancement, à seulement 128 000enfants dont les deux tiers sont des filles et dont40% sont des ruraux (cf. tableau) ;

En outre, près de 35 000, dont 60% de filles sont enactivité dans différents secteurs (artisanat,agriculture, travail domestique, services…). Ceuxinsérés dans l’enseignement formel représentent17% de l’ensemble des bénéficiaires. De mêmeque près de 24 000 ont été insérés dans la vieactive. On considère que le reste a reçu une

certaine préparation à la vie active (22). Ces chiffressont à mettre en perspective avec les 1,5 millionsd’enfants non scolarisés ou déscolarisés, encoresous l’obligation scolaire.

Le programme d’ENF n’établit pas de manièreexplicite d’objectifs ou de seuils pour les filles,mais demande de respecter une proportion dedeux tiers. Il ne fixe pas non plus d’objectifsselon le milieu (urbain – rural) ou les catégoriesde bénéficiaires. Il faut signaler que, sur les 800animateurs en exercice en 2002/03 (de niveaubac + 4 et recrutés par les ONG), 63% sont desexe féminin.

Le constat général de l’évolution décrite dans letableau ci-dessus est celui d’une stagnation, sinond’un recul des inscrits. La stagnation a concernéaussi les ressources publiques allouées. Depuis sonlancement, le budget annuel moyen de l’Etataccordé au programme d’ENF a été de 17 millionsDh, dont la quasi-totalité (96%) a consisté en sub-ventions versées aux ONG.

Il est difficile, du fait de la faiblesse du systèmed’information du programme d’ENF, d’avoir deschiffres fiables sur le rendement du système. Onestime que le taux de déperdition était de 43%(23).Cela s’explique aisément du fait que la Direction

Bénéficiaires de l’ENF en partenariat avec les associationsbénéficiaires du programme

Total des inscrits Nouveaux inscrits Total filles inscrites % des filles

1997-98 34550 34550 21993 64%

1998-99 35855 16642 24998 70%

1999-00 34859 20062 24207 69%

2000-01 29676 15976 19016 64%

2001-02 29136 13212 18890 65%

2002-03 27442 N.D. 17755 65%

Source : Programme de l’Education Non Formelle- Rapport général ; Secrétariat d’Etat auprès du MEN chargé de l’Alphabétisation et del’Education Non Formelle; Juin 2002 (sauf pour 2002-03)

(22) Le programme d’ENF a bénéficié également à des enfants en situation précaire (1136 dans les centres de sauvegarde de l’enfance dont 27%de filles; et 1200 enfants de la rue dont 19% de filles).

(23) Une évaluation partielle pour l’année 2000-01 a fait ressortir que le tiers des bénéficiaires inscrits ne terminent pas l’année scolaire (18% s’ab-sentent et 14% abandonnent). Les raisons sont liées principalement aux conditions économiques, à la dislocation des familles et à la migration.

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de l’ENF n’avait pas de programme éducatif et queles deux tiers des animateurs n’ont jamais eu deformation initiale. A ce sujet, il faut soulignerqu’aucune dotation budgétaire n’était réservéepour la formation pendant les premières annéesdu programme; les seules initiatives dans ce sensétaient le fait d’associations par leurs moyenspropres. Ce n’est qu’en 2000 qu’avec l’appui decertains partenaires de la coopération (Unicef,Belgique…) un véritable travail d’amélioration desapproches didactiques a commencé à être mis enœuvre pour certaines catégories de bénéficiaires.Le rythme de production de manuels pourd’autres catégories est jugé encore très lent. Ainsi,contrairement au programme d’alphabétisation,celui de l’ENF ne fournit toujours pas de manuelsaux bénéficiaires.

Il faut signaler, parmi les nombreux partenariats envigueur avec les associations (42) et lesdépartements gouvernementaux (5), ceux conclusavec des partenaires étrangers. Il s’agit,notamment, de " l’association des MaisonsFamiliales Rurales " pour les enfants non scolarisésdu monde rural ; de l’association " InitiativeEducation " et le Ministère américain du travailpour les petites filles bonnes ; la région de l’Héraultpour l’élargissement des programmes d’ENF etd’alphabétisation dans la région Souss Massa Drâa;" l’école de la deuxième chance" de Marseille pourla formation par alternance et l’insertion desentreprises.

En vue de l’élargissement de la base des bénéfi-ciaires du programme de l’ENF, et particulièrementles enfants âgés de 9 à 11 ans (du fait de lapossibilité d’insertion directe de cette catégorie àl’école), le MEN a instauré depuis janvier 2002 uneautre formule d’exécution du programme en ayantrecours aux ressources humaines et matériellesdisponibles du ministère. Cependant, l’organi-sation des études tient compte des spécificités del’ENF (flexibilité, adaptabilité…). Les 13000 bénéfi-

ciaires de la première année de ce programme sontde sexe féminin (47%) et de milieu rural (86%). Anoter que l’effectif des enfants non scolarisés etdéscolarisés âgés de 9 à 11 ans s’élevait à 350 000en 2000/2001

Les responsables du programme sont conscientsdu fait que l’ENF connaît un essoufflement quirisque, à terme, de le fragiliser. Ce programmesouffre d’une faiblesse de lisibilité et de visibilité,due notamment à la confusion et aux conflits deperception entre l’ENF et l’alphabétisation, auxinsuffisances pédagogiques, et aux contraintes etdifficultés qui handicapent sa mise en œuvre.

La conclusion principale tirée d’une enquêted’évaluation du programme, commandée par laDirection de l’ENF et appuyée par la BanqueMondiale, est que le programme d’ENF " a besoind’une intervention urgente pour l’asseoir sur desbases solides en termes stratégiques et lestructurer à tous les niveaux, que ce soit au niveaude l’organisation, de la gestion opérationnelle oude la gestion pédagogique. L’atteinte des objectifsqui lui sont assignés ne pourra pas se faire sans une

injection de moyens conséquents. " (24).

Pour être en conformité avec les objectifs de lacharte de l’éducation qui prévoit la scolarisation,sous une forme ou une autre, de tous les enfantsâgés de 6 à 15 ans, il s’agira de garantir l’accueiléducatif de 200 000 enfants par an pour atteindreles objectifs en 2010. Les perspectives de l’ENFpour la période 2005-2007 sont l’éducation d’envi-ron 500 000 enfants de 9 à 15 ans non scolarisés oudéscolarisés, selon le calendrier figurant dans letableau ci-dessous.

Il va sans dire que, pour atteindre ces objectifs, ilfaut des ressources beaucoup plus importantesque celles accordées jusqu’à présent par le budgetde l’Etat. Cependant, cet effort budgétaire annueladditionnel est à la portée du Maroc (cf. ). Ilreprésente une fraction minime du budget des

(24) Cf. " Etude d’évaluation des Ecoles Non Formelles au Maroc " par Abdelhak Moutawakkil, Direction de l’Ecole Non Formelle, juin 2003.

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2005 2006 2007

Enfants non scolarisés (9-15 ans) 630 000 406 000 323 000

Nouveaux bénéficiaires (9-15 ans) 152 000 162 000 192 000

Budget total nécessaire (millions Dh) 68,5 118 162

Dont

Augmentation du nombre de bénéficiaires (subventions aux ONG) 58,5 107,4 151,6

Mise en place de curricula adaptés à toutes les catégories d’enfants 2,2 2,2 2,6

Amélioration des compétences des intervenants 7,7 7,9 7,4

augmentations de salaires du MEN. Ledépartement en charge de l’ENF ne désespère paspour autant. Il sait que, en termes de priorités,après celle donnée à la scolarisation des enfantsde 6 ans, c’est l’ENF qui devait normalementsuivre. Il se prépare à mener une large campagnede sensibilisation pour que se manifeste unevolonté politique à l’instar de ce qui a été fait pourl’alphabétisation des adultes. En même temps, ilpoursuit ses efforts de recherche de ressources àtravers de nouveaux partenariats et de nouveauxprojets de coopération.

La Direction de l’ENF sait également que le plaidoyer nepeut se contenter de vanter l’utilité de sa mission, maisqu’il doit surtout convaincre les décideurs à différentsniveaux de la pertinence de la démarche et de l’efficien-ce du système.A ce propos,la journée d’étude consacréerécemment aux perspectives de renouvellement de lastratégie de l’ENF, en partant des nouvelles donnes(25) ,est sortie avec des propositions d’ordre organisationnel,pédagogique,axées,notamment,sur :

• un concept novateur de l’ENF qui va vers l’enfant ;

• le renforcement de l’autonomisation des struc-tures régionales ;

• la promotion d’une approche partenariale plusperformante ;

• un professionnalisme accru des ONG

• l’appui des expériences réussies par les déléguésdu MENJ.

Les plus importants défis, en plus de ceux desmoyens et des approches didactiques, sont ceux de :

• l’identification des bénéficiaires, de leur

visibilité(26), compliquée par l’éparpillement de lapopulation cible qui rend difficile d’avoir desclasses avec un nombre suffisant d’élèves ;

• la capacité de les attirer et de les retenir. S’agissantd’enfants qui ont, pour une bonne partie, rejetél’école formelle, il est reconnu que les associationsréussissent mieux à les mobiliser et à lesintéresser que les instituteurs de l’école

formelle(27). L’engagement " militant " de cesderniers ne dépend pas que des incitationsfinancières, récemment fixées à 20 Dh l’heure,mais, de l’avis des praticiens, du degré demotivation des directeurs d’école, au demeuranttrès variable selon les établissements, ainsi que duleadership local et régional en la matière…

Perspectives de l’ENF pour la période 2005 - 2007

Source : Direction de l’ENF

((25) Ces nouvelles donnes sont :i) la circulaire du Premier Ministre régissant le partenariat entre l’Etat et la société civile ; ii) la circulaire stipulantl’obligation d’insertion de tous les enfants âgés de 8 ans à l’école formelle ; iii) la promulgation de lois pour rendre l’enseignement obligatoirede 6 à 15 ans ; iv) l’adoption de mesures consacrant les droits de l’enfant et le protégeant contre la non scolarisation ou la déscolarisation… Cf.Résultats de la journée d’étude sur l’ENF, Rapport de synthèse, Secrétariat d’Etat chargé de l’alphabétisation et de l’Education Non Formelle,février 2004.

((26) Il est fait état, à ce propos, de " problèmes énormes de statistiques "

(27) Diverses expériences conduites avec des partenaires de la coopération ont donné de très bons résultats (cf.).

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• la capacité d’atteindre plus de 100 000 bénéfi-ciaires par an ; ce qui ne peut se réaliser que sur labase de la diversification des populations cibleset, par conséquent, des curricula spécifiques, d’untravail de terrain, d’une politique de proximité…

On estime que 17% des bénéficiaires de l’ENF ontintégré l’école formelle (avec un taux de réussitede 68% à l’examen d’insertion), ce qui estconsidéré comme un bon résultat. Cependant,pour ces enfants insérés dans le circuit formel, lesrésultats de leurs performances (années 1999-00et 2000-01) montrent que 30% des bénéficiairesadmis n’ont pas regagné leur classe ; et que prèsde la moitié quitte l’école après une année descolarité. Ce qui pose une question plus large quiest de la pédagogie de l’école formelle.

Il s’agit là d’un problème fondamental au Maroc,celui l’inefficience de son système éducatif, due àdes facteurs d’ordre essentiellement pédagogiqueque le pays, pour des raisons multiples(idéologique, conception dogmatique del’école…), a du mal à voir en face et ne reconnaîtdonc pas à sa juste mesure. Il s’agit notamment dela langue véhicule d’apprentissage dans les petitesclasses (arabe dialectal, arabe classique, autresdialectes ou langues) (cf. encadré), de l’uniformité

de l’approche didactique et des curricula face à ladiversité des situations d’apprentissage; de lafaiblesse de la volonté de mener d’une manièrerésolue la formation des enseignants; de lafaiblesse de la recherche - évaluation en éducation.

Jusqu’à présent, la pédagogie reste le parentpauvre des nombreuses mesures de réformesprises dans le domaine de l’éducation, particu-lièrement pour les aspects relatifs au rapport del’enseignant à l’élève, à l’animation, au raison-nement, au développement de l’esprit decuriosité, du goût de la lecture, de la capacitéanalytique… Dans les systèmes d’évaluationdes enseignants, les méthodes en vigueur sontnon seulement très faibles, mais intègrent trèspeu ces critères pour juger du rendement, d’unenseignant ou d’un établissement. On ne serend pas suffisamment compte que lephénomène de la déscolarisation est du, enbonne partie, à la déficience pédagogique del’école formelle, ainsi qu’en témoigne lesrésultats d’une étude de la Direction de l’ENF (cf.encadré suivant) qui visait, notamment, àdéterminer les facteurs de la déscolarisation, età apprécier les perceptions des enfants pourune école alternative.

(28) E. Azoui et M. Gherfane : ‘’D’une catégorisation à une typologie des enfants en situation de non scolarisation et de déscolarisation’’ ; rapportde synthèse ; MEN - UNESCO ; novembre 1998. Cette enquête a été menée auprès de 638 enfants (moitié déscolarisés et moitié non scolarisés) desites à forte population défavorisée dans le péri-urbain et le rural, et de 100 acteurs pédagogiques et socio-éducatifs locaux.

ENCADRÉ :Les contraintes à la scolarisation

Dans la perception par les enfants enquêtés des contraintes à la scolarisation, les contraintes majeures sont celles liées à l’éco-le. L’école est mise à l’indexe pour plus de 36% des contraintes citées, suivie des contraintes liées aux contextes familial etlocal pour respectivement 30 et 21%, et pour les contraintes liées à la personne propre de l’enfant pour 12%.

Plus que les conditions institutionnelles et matérielles de l’école, le volet pédagogique constitue le bloc le plus important descontraintes en rapport avec :

• le comportement et les attitudes des enseignants envers les élèves (attitude autoritaire basée sur l’hostilité et la répri-mande) ;

• le contenu pédagogique des programmes ;

• les méthodes d’évaluation ;

• les comportements du personnel de l’école.

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4.7. LE PROGRAMME SOCIAL DE PROXIMITÉ

Le Programme Social de Proximité 2004-2005 com-prend un ensemble de projets de développementsocial mis en oeuvre par le Ministère duDéveloppement social, de la Famille et de laSolidarité, le Secrétariat d’Etat à la Famille, àl’Enfance et aux Personnes handicapées, l'Agencede Développement Social et l'Entraide Nationale.

Il a pour objectifs :

- d'améliorer le bien-être des citoyens en facilitantleur accès aux infrastructures et aux servicessociaux de base ;

- de contribuer au développement socio-écono-mique des zones défavorisées par le renforce-ment du capital humain (alphabétisation, éduca-tion non formelle, formation) et la création d'acti-vités génératrices de revenus ;

- de favoriser l’insertion des personnes en situationdifficile ;

- de promouvoir l’inclusion des jeunes.

Ces projets couvrent l'ensemble du territoirenational et sont réalisés avec la participation deprès de 2 000 associations et coopératives, selon

une démarche participative, partenariale et deproximité.

Partenaires

- associations locales et coopératives

- ONG nationales

- agences de coopération bilatérale et multilatérale

- départements ministériels

- collectivités territoriales

- établissements publics

- entreprises privées

Ce programme reflète un effort majeur de l’Etat enfaveur du soutien des initiatives locales et des ini-tiatives de la société civile. Il reflète aussi l’adhésionde l’Etat aux actions locales de développementpilotées par les communautés et par les associa-tions. Il reflète, enfin, son engagement concret dansles modalités opérationnelles nouvelles du déve-loppement social à, à savoir : l’implication commu-nautaire, le partenariat et la coresponsabilité civile.Les 321 millions de Dirhams de subvention de l’Etat,qui ne représentent qu’une fraction du coût totaldes projets soutenus, donnent une idée de l’effort

ENCADRÉ :Les contraintes à la scolarisation

Cependant, la majorité des enfants affirment que leur avenir est à l’école avec un pourcentage de 37% pour la réponse " ter-miner ma scolarisation " ; mais pas n’importe quelle scolarisation puisque 30% recherchent une école associant apprentissa-ge et formation (17% seulement se voient en situation de travail et 13% en formation professionnelle). Leur perception del’école alternative semble combiner les apprentissages fondamentaux (lire et compter) aux activités d’éveil, sportives et cul-turelles, à en croire que ces enfants ont enduré les horaires surchargés, des tâches scolaires trop complexes et des rythmesde vie inadaptés.

L’école souhaitée est une école différente car la solution ne saurait être la reprise d’une école identique. L’exigence de for-mation professionnelle traduit, déjà, une conception nouvelle de l’école qui devrait être, semble-t-il, plus pertinente en opé-rant un recentrage sur les apprentissages fondamentaux, plus pragmatique en articulant apprentissages fondamentaux etformation professionnelle, plus éducative en intégrant plus d’activités socio-éducatives.

Les acteurs pédagogiques et socio-éducatifs locaux ont une perception différente des contraintes à la scolarisation en cesens qu’ils considèrent les contraintes liées à l’enfant comme facteur premier. Cet écart de perception constitue aujourd’huiun obstacle à la situation des non et déscolarisés.

Les enfants non et déscolarisés ont tendance à former un groupe plutôt homogène, par la similitude de leur profil sociocul-turel, caractérisé par un cumul de déficits en termes de pouvoir économique familial, de capital culturel hérité et de cadrefamilial éducatif.

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collectif et solidaire des communautés, des associa-tions, des entreprises et de la coopération.

Cependant, la ventilation de ce programme faitapparaître une concentration excessive des crédits

de subvention dans les régions du Souss et du

Haouz. Ce qui prouve la vitalité de l’implication

communautaire et du tissu associatif dans ces deux

zones. Ce qui prouve aussi en même temps la

Répartition des projets par région

Région Ministère Secrétariat EN ADS Total Coûtd’Etat

Oued Ed-Dahab-Lagouira 1 0 0 9 10 4.375.153

Laayoune-Boujdour Sakia Elhamra 5 5 6 50 66 10.016.847

Guelmim-Smara 7 11 9 57 84 14.701.227

Sous-Massa-Draa 10 8 18 195 231 38.636.131

Gharb-Chrarda-Béni Hssen 7 1 11 99 118 14.542.183

Chaouia-Ourdigha 5 4 7 22 38 5.031.585

Marrakech-Tensift-El Haouz 10 11 22 142 185 20.175.998

Oriental 14 13 5 121 153 20.624.669

Grand Casablanca 21 52 9 3 85 13.820.445

Rabat-Salé-Zemmour-Zaërs 39 41 8 23 111 21.549.150

Doukkala-Abda 12 3 2 13 30 6.097.800

Tadla-Azilal 6 2 15 92 115 13.364.462

Meknès-Tafilalet 15 11 28 95 149 27.278.117

Fès-Boulemane 7 7 4 33 51 6.208.230

Al Hoceima–Taza-Taounate 17 2 31 70 120 14.091.939

Tanger-Tétouan 7 15 27 20 69 12.640.887

TOTAL 183 186 202 1044 1615* 248.493.143

* Ne sont pas incluses dans ce tableau les subventions de l’Entraide nationale aux associations de bienfaisance.

Nombre de projets Budget

- Ministère du Développement social,de la Famille et de la Solidarité 183 44 MDH

- Secrétariat d’Etat à la Famille,à l’Enfance et aux Personnes handicapées 186 19 MDH

- Agence de Développement social 1044 137 MDH

- Entraide nationale 402 121 MDH

Total 1815 321 MDH*

* Cette enveloppe budgétaire ne représente que la part de l’Etat dans le financement total de ces projets.

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nécessité de stimuler la vitalité communautaire etassociative dans les autres régions et provinces dupays. Le ministère du développement social a bienanalysé ces constats et a entrepris plusieursdémarches dans les directions suivantes :

(i) clarification relationnelle avec le tissu associatifet les ONG de la société civile : plusieursréunions ont été tenues avec les représentantsdes associations. Leurs doléances regroupéesdans un document commun, sous forme decharte avec les pouvoirs publics, ont été prisesen compte. Les dysfonctionnements induits parla circulaire du Premier ministre concernent lesmodalités de subvention des associations et dessolutions sont en cours. Le Le ministère du déve-loppement social a pris l’initiative de constituer

une banque de données sur les associations etd’uniformiser les procédures de ses différentesstructures en termes d’éligibilité des projets, desuivi, d’audit et d’évaluation ;

(ii) constitution d’une banque de projets et d’unportefeuille de programmes ; cette démarchevise à la fois la cohérence thématique et l’effi-cacité supérieure des actions groupées, et à lafois la correction des inégalités territorialesen fonction de la densité et de la concentra-tion des projets et des programmes déjà encours ;

(iii) mise en place d’une ingénierie programma-tique en vue de concevoir des démarches des-cendantes dans lesquelles peuvent s’inscrire les

Domaine Ministère SE ADS EN Total

Infrastructures sociales de base 39 682 73 794

Insertion de la jeunesse 13 13

Protection de l’enfance 8 21 12 41

Promotion de la condition de la femme 8 35 43

Promotion de la famille 1 65 66

Insertion des personnes handicapées 3 65 68

Promotion de l’emploi et aideà l’insertion professionnelle 6 38 116 160

Auto-développement et activitésgénératrices de revenu 57 201 258

Renforcement des capacités des acteursdu développement social 15 33 48

Amélioration de la qualité de vie 20 87 107

Assistance sociale 3 3

Projets intégrés 10 3 1 14

Centres de bienfaisance 200 200

TOTAL 183 186 1044* 402 1815

Répartition des projets par domaine d’intervention

* 400 projets concernent la réfection et l’équipement de salles de classe ainsi que la formation dans 400 communes rurales, en partenariatavec le Ministère de l’Education nationale.

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initiatives locales de développement social. Etceci dans le but de ne pas cantonner le ministè-re du développement social et les institutionsqui en dépendent dans une attitude purementréactive aux initiatives ascendantes.

4.8. LES FILETS DE SÉCURITÉ

Par commodité, on inclut dans cette rubriquel’Agence de Développement social (ADS), l’Entraidenationale (EN), la Promotion nationale (PN) et laCaisse de Compensation dans sa composante desoutien aux denrées de première nécessité. On en aexclu les cantines scolaires et les distributions dedenrées sèches par l’Education nationale.

4.8.1. L’Agence de Développement social

L’ADS a été instituée en 1999 en tant qu’instrumentétatique devant jouer un rôle important, sinonprépondérant, dans la lutte contre la pauvreté et lavulnérabilité par l’appui, sous forme de dons, à desprojets de développement durable selon unedémarche participative, partenariale et deproximité. Pour pouvoir mettre en pratique cettedémarche, le législateur l’a instituée en tant qu’éta-blissement public avec des caractéristiquesspécifiques (contrôle a posteriori de ses dépenses,composition tripartite du Conseil d’Administrationqui, outre des représentants de l’administration,comprend ceux des ONG et du secteur privé).

Appuyée par la Banque mondiale sur la base del’expérience de cet organisme sur les fonds sociauxsimilaires dans plusieurs pays, l’ADS, dont l’activitéeffective n’a démarré qu’en avril 2001, avait, dès ledépart, volontairement opté pour une stratégieconsistant à consacrer les deux premiers exercices2001-2002 à :

• asseoir la structure organisationnelle de l’Agenceen identifiant l’architecture d’ensemble àatteindre en année de croisière avec ses différentsdépartements et coordinations régionales et lesresponsabilités et les prérogatives qui leur sontdévolues ;

• élaborer le manuel de procédures : le documentdevant expliciter les règles et procédures desdifférents aspects organisationnels et adminis-

tratifs de l’Agence, y compris les critères d’éligi-bilité, les domaines susceptibles de recevoir unfinancement… ;

• tester, à partir d’un nombre limité de projetspilotes, différentes modalités d’application etapproches.

L’ADS a mis à profit également ces premièresannées pour organiser :

i) douze rencontres régionales pour informer surses objectifs, approches et procédures.Rencontres auxquelles participèrent desreprésentants de centaines d’associations (732),de collectivités locales (689), les servicesextérieurs de l’Etat (307), les médias (91), lescoopératives (37);

ii) cinq tables rondes avec des partenaires deparrainage oeuvrant dans les domaines de lafemme, de l’enfance, du micro-crédit ; tablesrondes qui ont servi à dégager les grandeslignes d’une future coopération ;

iii) 24 ateliers de formation (de 2 à 3 jours) à traversle pays qui ont bénéficié à 640 associations.Douze de ces ateliers comprenaient un module‘’initiation à l’approche genre’’.

Ce vaste travail préparatif a facilité la tâche à l’ADSqui n’a pas trouvé de difficultés à trouver lademande requise de projets, tant en quantitéqu’en qualité :

• Quand le coup de départ a été réellement donnéen 2003, l’Agence a pu approuver près de 400projets.

• Sur les 1353 projets reçus en 2004, 1260 ont étéretenues pour examen, soit un taux de rejet demoins de 7%. 1044 projets ont été finalement sou-tenus à la fin de l’année.

La situation du financement des projetsapprouvés par l’ADS (à la date du 1 décembre2004 figure dans le tableau du Programme socialde proximité.

L’approche genre, au même titre que l’approcheparticipative et la prise en considération de ladimension environnementale, fait partie des

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démarches transversales devant être déployéesdurant tout le cycle de vie du projet. Cette transver-salité a conduit l’ADS à l’élaboration d’indicateursgenre essayant de voir dans quelle mesure le projetproposé contribue :

• à la réduction tant de la charge de travail desfemmes que des inégalités concernant la partici-pation aux décisions au sein des comités ouassociations villageois ou, tout simplement, à laprise de décision pour la demande du projetprésenté et son éventuelle implication dans samise en oeuvre;

• à favoriser l’accès des femmes aux ressources etleur contrôle (terre, capital, information…).

Parmi les critères spécifiques d’éligibilité relatifsau genre, le manuel des procédures de l’ADSétablit, d’une manière assez systématique, ladistinction hommes –femmes (nombre debénéficiaires, emplois créés…). Par ailleurs, àtitre d’exemple, les projets dans le domaine derenforcement des capacités susceptibles derecevoir un appui financier, portent principa-lement sur la formation des associationsféminines oeuvrant pour les femmes margina-lisées… On relève également, parmi cescritères que :

• les formateurs devraient tenir compte de la situa-tion particulière des femmes et les encourager àbénéficier des formations ;

• les cours d’alphabétisation doivent contenir desmodules ayant trait à la situation sociale desfemmes et mettant l’accent sur l’apprentissagedes métiers porteurs ;

• les partenaires relais, les formateurs(trices) et lesconsultants (es) doivent maîtriser l’approchegenre’’

Dans quelle mesure cette démarche a été réelle-ment mise en œuvre dans l’action de l’Agence ?Plus concrètement, comment est-elle pratiquée surle terrain ? Dans quelle mesure les demandes deprojets répondent réellement aux indicateurs ?Dans quelle mesure le comité d’éligibilité intègre lacomposante genre ?

Le traitement des réponses relatives au genredans les demandes de financement des projetsaurait pu dégager, à titre d’exemple, laproportion de femmes bénéficiaires, l’impact duprojet ou les changements induits quant à laparticipation des femmes dans la prise dedécision, dans l’autonomie financière… Cetraitement ne semble pas avoir été fait jusqu’àprésent. Sa réalisation et la diffusion de sesrésultats constitueraient un exemple précieuxpour d’autres organismes. C’est d’ailleurs sur ceterrain que l’ADS est attendue car elle estappelée à jouer le rôle de pionnier dans l’insti-tution et la diffusion de nombre de normes etde pratiques innovantes pour l’ensemble desintervenants.

Il semble que l’important dans l’action del’Agence n’est pas tant la prise en compte de laquestion du genre (dans les projets qu’ellesoutient) dont la philosophie est clairementexprimée dans son manuel de procédures, quela concrétisation de cette approche. Laquelleconcrétisation passe par sa systématisationgrâce, notamment, à la mise en place d’outilsd’analyse de genre devant être mis à ladisposition de ses agents (siège et coordi-nations régionales) et des partenairesassociatifs ou institutionnels.

La mission d’appui à l’Agence deDéveloppement social confiée au cabinetd’études (GRET ) en 2003 a abouti à desrecommandations suffisamment explicites pourne pas être reproduites ici. On rappelleraseulement la nécessité de simplifier lesprocédures ainsi que celle de l’évolution du rôlede l’Agence vers l’ingénierie de la program-mation sociale.

4.8.2. Le Programme de l’Entraide Nationale(EN)

L’Entraide Nationale (EN) est le premier filet desécurité créé par le Maroc juste après l’indépen-dance pour dispenser l’aide et l’assistance auxpopulations nécessiteuses, mais son budget estmodeste (% du PIB ?). C’est la principale institu-tion publique axée sur les femmes et filles

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pauvres. Son action, consistant essentiellementen formation de base, alphabétisation, foyers,maternelle… est aujourd’hui déployée à travers1900 Centres comprenant les principaux typessuivants :

• Centres d’Education et de formation : alphabéti-sation, éducation sanitaire, apprentissage (coupe,couture, broderie, coiffure…). Ces centres, dontplus des trois quarts sont en milieu urbain, sontdestinés quasi-exclusivement à la femme et auxjeunes filles non scolarisées ou ayant quittéprématurément l’école.

• Centres de formation par apprentissage(plomberie, menuiserie, électricité…) : ils ciblentprincipalement les jeunes garçons déscolarisés,mais ils accueillent de plus en plus de jeunes fillesdans les filières telles que la coiffure et les artsménagers.

• Associations musulmanes de bienfaisance : ilsconstituent des abris pour enfants en âge descolarisation et pour orphelins (garçons essentiel-lement). Elles sont subventionnées et encadréespar l’EN.

• Jardins d’enfants qui accueillent les enfants demoins de 6 ans issus de familles pauvres.

Du fait de la nature des prestations offertes et de lalocalisation de ses centres, le ciblage de l’EN enversles populations défavorisées est implicite. Le cibla-ge selon le sexe des bénéficiaires était égalementquasi-implicite du fait que les filles étaient tradi-tionnellement orientées vers la broderie, couture…Mais, ainsi que le montrent les chiffres du tableausuivant, les filles sont de plus en plus présentesdans les autres centres. L’intérêt grandissant à ladimension genre dans l’action de l’EN est encoura-gé, notamment, par la très forte demande des fillespour certaines formations dont le taux d’insertionest de 100%. Il s’agit des filières de coupe, couture,coiffure et arts ménagers, assurées aussi bien dansles Centres d’Education et de formation que dansles Centres de formation par apprentissage. Cetintérêt se traduit aussi par la construction, grâce àl’appui d’une ONG espagnole, d’un grand centred’écoute et de formation à Tanger destiné exclusi-vement aux femmes. Un second centre similaire estprévu à Tétouan.

1999 2000 2001 2002 2003 2004 Centres

Centres d’éducation et de formation 28956 35798 37869 40106 66000 76000 898

Centres de formation par apprentissage 963 1167 2167 2293 4620 5940 51

Alphabétisation 15600 18263 23972 29257 40000 50000 -

Programme de luttecontre la malnutrition 3000 -

Jardins d’enfants 4397 2669 4550 4869 7000 9000 300

Centres des handicapés 540 540 655 655 840 1120 8

Associations des paralytiqueset des aveugles 4101 4101 4101 4101 4101 5000 147

Centres d’initiation professionnelle 1352 1061 1278 801 1960 2260 75

Associations de bienfaisance 29304 33500 35000 37500 60000 70000 420

Total 85213 97117 109592 119583 186521 222320 1899

Source : Données communiquées aux consultants par l’EN

Bénéficiaires des prestations de l’EN

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Ce n’est que récemment, à la faveur du chantier deréforme en cours, que le nombre de bénéficiairesdes diverses activités de l’EN, longtemps plafonnéautour de 80 000 personnes, connaît un accroisse-ment important puisqu’il a atteint le chiffre de186000 en 2003. Les prévisions pour 2004 sont de222000, mais cela ne représente que 4% de lapopulation pauvre au Maroc

En effet, après une longue période de stagnation,l’EN a commencé à mettre en œuvre, à partir de2001, un plan d’action visant(29): i) l’extension deson réseau d’institutions sociales ; ii) la générali-sation et l’adaptation des services de l’EN auxspécificités régionales ; iii) la modernisation desméthodes de gestion ainsi que la souplesse organi-sationnelle ; iv) la décentralisation et la déconcen-tration ; v) le renforcement du partenariat.

C’est dans ce cadre que l’EN a entamé en 2002,avec l’appui de la coopération française, laréalisation d’un programme pilote ‘’najma’’ dansquatre provinces (Azilal, Chefchaouen, Al Haouz,Safi) dont la finalité est, grâce à la redynamisationdes structures opérationnelles de l’EN, d’aider au

passage d’un organisme d’assistance en uneinstitution de développement social au niveaulocal. Cette approche a pour objectif d’agir sur tousles programmes de lutte contre la pauvreté locauxmenés tant par des institutions publiques que pardes ONG en vue d’une meilleure cohérence etcomplémentarité ; ainsi que pour insuffler unesynergie entre les différentes actions locales. C’estainsi qu’un comité local, animé par l’EN etcomprenant tous les intervenants sur le terrain,élabore, à partir des résultats des

recherches–actions, un projet de territoire(30). Cedernier devrait permettre d’intégrer l’approchegenre, mais cette préoccupation n’apparaît pas demanière explicite dans la démarche. Aussi, commel’une des principales orientations stratégiques del’EN est la généralisation de la démarche duprogramme ‘’nejma’’, il serait fortement utile degreffer au projet de territoire cette dimension.

Ce qui intéresse aujourd’hui au premier chef l’ENest la multiplication des centres. D’où sa prévision,dans le cadre de l’extension de son réseau d’insti-tutions sociales, de l’ouverture d’une centaine de

(29) Pendant longtemps, l’EN a été perçue comme une institution archaïque, fermée sur elle même, n’arrivant pas à se départir d’une imageréductrice associée au rôle qu’elle a joué dans la distribution des dons alimentaires américains au lendemain de l’Indépendance. L’EN a continuéà bénéficier de ces dons qui ont pris fin en 1992.(30) L’élaboration du projet de territoire repose sur une démarche recherche-action dont l’objet est : i) de mieux connaître les populations cibles(aspirations, besoins); ii) d’élaborer des pistes d’intervention.

Urbain / péri-urbain Rural Total

Total Pourcentage Total Pourcentage Total Pourcentage Totalde filles de filles de filles

Centres d’éducationet de formation 38313 98% 11388 97% 50202 98% 49200

Centres de Formationpar apprentissage 3325 12% - - 3325 12% 400

Associations musulmanesde bienfaisance 22000 11% 19000 14% 41000 13% 5330

Total 63638 63% 30388 45% 94527 58% 54800

Source : Données communiquées aux consultants par l’EN

Part des bénéficiaires de sexe féminin dans les principaux centres de l’EN (2003)

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centres par an. L’EN estime que c’est un chiffreminimum pour faire un véritable travail de proximitéet intégrer les vagues successives d’enfants déscola-risées ou non scolarisés. Il s’agit, outre les centrestraditionnels, de la création de deux foyersd’étudiantes (FE) par province pour permettre auxfilles issues de familles pauvres de poursuivre leursétudes.On estime que 15.000 filles vont bénéficier deces FE, dont la moitié en milieu rural.

L’EN estime à près de 400 millions DH l’enveloppebudgétaire globale nécessaire à la réalisation deson plan d’action, répartie comme suit :

L’EN compte atteindre ses objectifs grâce à l’appro-fondissement de sa démarche partenariale (plus de250 conventions de partenariat à caractère tantnational que local),principalement avec les CL,aidéeen cela par les walis et gouverneurs qui s’avèrentêtre les principaux appuis de son action sur le ter-rain. L’évolution du nombre de bénéficiaires, ainsique le nombre de conventions de partenariatsignées avec les opérateurs publics et les ONG attes-tent que l’EN, pour ceux qui l’ont connu auparavant,

vit une véritable mutation. Ces résultats doivent êtrecapitalisés et renforcés par des actions en interne etpar l’octroi de moyens financiers adéquats.

L’EN sait fort bien qu’elle ne pourra pas comptersur son seul budget, lequel stagne depuis plusieurs

années. Il est aujourd’hui de 250 millions Dh(31)

dont l’essentiel (65%) est alloué aux salaires des 5450 agents dont plus des deux tiers perçoivent unerémunération nette de 1 350 DH par mois, c'est-à-dire moins que le Smig. Cette situation, source defrustrations et de démotivation durant de longuesannées, a récemment connu une nette amélio-ration grâce à la mise en place d’un nouveau statutdu personnel qui permet, notamment, debénéficier des allocations familiales, de souscrire àune mutuelle, ainsi que de pouvoir recruter descadres. Ce nouveau statut constituait, pour lesresponsables de l’EN, un préalable à toute actiondurable de (re) motivation du personnel.

Les efforts de mise à niveau de l’EN se sontégalement traduits, à budget quasi-constant, parune meilleure efficience mesurée par une augmen-

(31) Dont 75% en provenance du budget général de l’Etat, et 25% de taxes

Source : Données communiquées aux consultants par l’EN

(1) : nombre moyen de centres par province x 54 délégations de l’EN (provinces)

(2) : ce coût concerne uniquement l’équipement car l’EN procède par location de locaux dans le milieu urbain ou elle les obtient dans lecadre de partenariats avec les collectivités locales ; idem pour les CFP

(3) : le coût des CEF et CFP dans le milieu rural est plus élevé car il intègre le coût de construction du fait que les opportunités de locationsont faibles. Les terrains de construction sont généralement donnés par les collectivités rurales dans le cadre du partenariat

(4) : ce coût comprend la construction et l’équipement des foyers pour jeunes filles

Financement nécessaire à la réalisation du Plan d’action de l’EN (milliers DH)

Type Périurbain Rural Total

d’institution Nbre) Coût Coût Nbre Coût Coût budgetInstit. (1) unitaire global Inst. (1) unitaire global

Formation Formation de 20 "formateurs de formateurs " en genre 200

CEF 108 (2) 180 18720 216 300 (3) 64800 83520

CFP 54 280 15120 54 280 15120 30240

FE 54 3000 (4) 162000 54 2200 118800 280800

Total 216 - 195840 324 - 198720 394560

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tation des bénéficiaires et des centres (cf. tableau)concomitante à une baisse des agents employés(6700 en 1994, 5600 en 2001). Ceci s’est traduit parune baisse sensible du coût par bénéficiaire, établiaujourd’hui à 2200 Dh par an. Il semble difficile, auxyeux des responsables, d’aller au-delà dans l’opti-misation des dépenses si on veut garder le niveauactuel de prestations. Cependant, il y a lieu de noterqu’il existe encore des disparités dans l’utilisationdes capacités avec un faible taux dans le cas desCentres socio-éducatifs, comparés avec les autrescentres.

L’EN est certainement l’organisme public dont laproportion de femmes employées est la plusélevée au Maroc. C’est probablement aussi le seulétablissement qui a réservé la responsabilité de lagestion de ses centres sociaux exclusivement à desfemmes (monitrices et directrices). Pour les postesde haut niveau, si le tiers des chefs de service est desexe féminin, on ne trouve cependant que 6femmes parmi les 54 délégués provinciaux.

4.8.3. Le programmede la Promotion Nationale (PN)

Le programme de la PN est le plus ancien (instituéen 1961), le plus important et, de l’avis de tous lesobservateurs, l’un des mieux ciblés des pro-grammes sociaux au Maroc. Il a pour objet d’injec-ter un minimum de revenus dans les communau-tés rurales pauvres. Sa mission première est donc lefinancement de travaux d’utilité publique axés surles sous-employés ou sans emploi du milieu rural. Ils’agit, notamment, de travaux de mise en valeur(petite hydraulique, reboisement, aménagementdes sols) ; d’infrastructure (ouverture et aménage-ment de pistes...).

Du fait de la pénibilité de ces travaux, les femmesétaient ‘’naturellement’’ exclues. Ce n’est qu’à partirde la fin des années 70 que ces dernières ontcommencé à bénéficier de la PN lorsqu’il futdemandé à cet organisme d’aider les collectivitéslocales qui n’avaient pas de moyens de recruter dupersonnel, de mettre à leur disposition des agentsoccasionnels pour des postes, dans le cas desfemmes, de petits emplois de bureaux, femmes deménage, aide-soignantes…

Ceci a donné lieu au ‘’programme d’opportunitésoccasionnelles’’ dans le cadre duquel la PN compteaujourd’hui près de 7200 employés quasi-perma-nents dont 63% sont de sexe féminin. Il faut y ajou-ter les 19 000 emplois créés dans les provincessahariennes (dont la moitié pour les femmes) dansle cadre d’un programme spécifique confié à la PN.

Un volet important de l’activité de la PN durant ces6 à 7 dernières années a eu lieu dans le cadre duBAJ où la BM, grâce à un prêt au gouvernementmarocain, a rendu possible la réalisation par la PNd’équipements complémentaires (routes, puitsd’eau, latrines, murs de clôture…) pour les écoles etles dispensaires construits dans le cadre du BAJ. Levolet du programme BAJ confié à la PN a eu unimpact " considérable " non seulement sur lesbénéficiaires de ce programme, mais, aux dires deses responsables, sur la PN même. En ce sens quecet organisme a amélioré ses méthodes de travailet ses approches en matière de ciblage et a gagnéen rigueur de gestion, laquelle rigueur a été géné-ralisée à l’ensemble des provinces.

En moyenne annuelle sur la période 2001-2003, laPN a offert environ 7 millions de journées de travailpar an, l’équivalent de la création de 30 000emplois (dont 4500 pour les femmes), les troisquarts en milieu rural. Dans les faits, le nombre debénéficiaires de la PN est bien plus important dufait que l’emploi est offert pour une courte périodevariable selon le projet, la saison, la localisation et,surtout, la demande d’emplois. En effet, cettepériode peut varier, dans le cadre de ce qu’onappelle le roulement, qui permet de répartir unvolume donné de journées de travail entre lespersonnes à la recherche d’un emploi, entre sixmois et deux semaines. Ce dernier cas estrencontré en période de forte sécheresse quand lesopportunités d’emploi agricole se font rares. Dufait de ce roulement, de la durée variable deschantiers et d’approches didactiques adaptées, lagreffe de certaines activités comme l’alphabéti-sation n’a pas pris. La formation se fait seulementsur le tas pour des projets importants.

En moyenne annuelle sur la période 2001-2003, lebudget de la PN a été de 560 millions DH, auquel il

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faut ajouter une dotation annuelle de 160 millionsDh pour le programme des provinces du sud. Lebudget de la PN, qui provient exclusivement del’Etat, est calculé et servi, depuis 2003, sur la base de5,05% de la partie des 30% de la TVA destinés auxcollectivités locales. En d’autres termes, le budgetfutur de la PN, fixé à un minimum de 1,5% desrecettes de la TVA, évoluera au rythme de cet impôt.Quel que soit le soubassement de cette décision, il ya lieu de noter qu’elle est favorable à la PN du faitque les montants de la collecte TVA ont progresséces dernières années à un rythme supérieur à celuidu budget alloué à la PN ; elle la libère des contin-gences des arbitrages budgétaires même si, ilengendre momentanément des difficultés : lecomplément versé pour arriver au seuil de 560millions DH engendre des retards et des compli-cations. Cette décision constitue probablement leprélude à un montage financier virtuellement‘’débudgétisé’’ similaire à celui en vigueur pour lesgrands programmes nationaux d’équipement rural.

L’efficacité de la PN est attestée par le nombre relati-vement réduit de son personnel, 400 agents dont unecentaine de cadres. D’où le faible poids des frais degestion, soit moins de 6% des coûts d’investissement,une proportion nettement inférieure aux coûtsmoyens de l’administration publique. L’efficacité de laPN résulte également de la simplicité de sa missionainsi que de la présentation de son budget en uneseule ligne ; ce qui confère une grande souplesse degestion. La PN a ainsi appliqué la globalisation descrédits des décennies avant que cette mesure deréforme ne soit instituée pour l’ensemble de l’admi-nistration. Pour gagner en efficience, la PN pensequ’elle devrait se focaliser sur sa mission première oùelle a acquis une expertise et un savoir faire reconnuset appréciés. Cela suppose un désengagement del’urbain et du périurbain que d’autres organismespeuvent faire aussi bien.

4.8.4. Le programmedes subventions alimentaires

La Caisse de compensation, qui est l’organismepublic chargé de la péréquation des prix et de lagestion du système de subventions à la consom-mation, existe depuis 1941.

A partir du début des années 70, l’Etat va en fairel’instrument privilégié de la politique de soutien desprix des produits agricoles, puis de plus en plusl’instrument de subventions à la consommation desdenrées de base (farine de blé tendre, sucre, huile, gazbutane). Ces subventions ont engendré des coûtsexcessifs pour le budget de l’Etat, alors même qu’ellesétaient mal ciblées et qu’elles profiteraient surtout auxménages aisés et aux intermédiaires (industriels,minotiers, stockeurs et spéculateurs, etc.). Lespremières tentatives de décompensation et de libéra-lisation des prix se sont heurtées aux ‘’émeutes de lafaim’’ entre 1981 et 1984 dans différentes villes dupays. Ce qui traduisait l’extrême sensibilité despopulations pauvres au prix des denrées de premièrenécessité. Depuis, cette question de la décompen-sation a été traitée avec la plus grande prudence.

La libéralisation réussie de la filière des oléagineuxqui a abouti à la décompensation de l’huile detable sans hausse des prix est un exemple deprocessus gagnant-gagnant (win-win) entre l’Etat,les industriels et les consommateurs. La libérali-sation en cours de la filière sucrière sans hausse desprix et sans pénurie est elle aussi un processus quisemble maîtrisable à terme. Par contre ladécompensation de la farine demeure un projet àhaut risque politique et semble beaucoup plusdifficile à conduire que celui qui a concerné l’huile.Pourtant, la levée de cette distorsion à laproduction agricole et de cette subventionirréaliste aux ménages urbains et aux intermé-diaires de la filière céréalière est incontournable. Laquestion est de savoir comment protéger au mieuxles ménages les plus pauvres qui seraient victimesde la décompensation progressive.

4.8.5. Les programmes en faveur des groupes à risque

Le Ministère du Développement social, de laFamille et de la Solidarité a fait l’effort de recenserles populations à risque afin d’améliorer lesréformes à leurs besoins spécifiques.

Populations cibles

• Enfants et jeunes orphelins ou nécessiteux scola-risés : garçons et filles âgées de 6 ans et plus qui

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poursuivent une scolarité ou une formation pro-fessionnelle.

• Enfants et jeunes nécessiteux déscolarisés ou autravail : garçons et filles âgées de 6 à 15 ans ne fré-quentant pas l’école ou se trouvant dans unesituation de travail illégal.

• Enfants abandonnés : enfants de moins de 6 ansde parents connus ou inconnus trouvés dans larue, abandonnés à l’hôpital ou confiés aux centresd’accueil.

• Enfants et jeunes sans domicile fixe : garçons etfilles entre 6 et 18 ans ayant des démêlés avec lajustice.

• Adultes sans domicile fixe : personnes âgées de 18ans et plus errant dans la rue.

• Mendiants par nécessité : adultes pratiquant lamendicité pour survivre.

• Personnes handicapées mentales sans ressources:enfants et adultes souffrant de handicaps men-taux légers ou profonds nécessitant une prise encharge médicale et sociale.

• Personnes handicapées moteurs sans ressources :enfants et adultes nécessitant une éducation spé-ciale ou une formation adaptée à leur situationqui puissent assurer leur insertion socioécono-mique, auxquels il faut ajouter les personnes nonvoyantes sans ressources, et les personnessourdes et muettes sans ressources.

• Personnes âgées sans ressources : personnes deplus de 60 ans sans familles ou rejetées par leursfamilles, issues d’un milieu très pauvre

• Familles situation de précarité : famille ne pouvantplus payer leurs loyers en attente de trouver unautre logement après récupération de celui qu’ilsoccupaient par les propriétaires.

(i) Problématique générale

Il s’agit de catégories de population vivant dansune situation de précarité qui nécessitent uneintervention urgente de l’Etat et de la société civile,à travers des structures d’accueil et desprogrammes appropriés, afin d’assurer leur priseen charge ou leur réinsertion socio économique

selon les cas. La mise en œuvre du programme delutte contre la précarité extrême permettrad’améliorer les conditions de vie de cespopulations et d’éviter les dérives qui peuventrésulter de la marginalisation et de l’exclusionqu’elles vivent.

(ii) Problématique par catégorie

• Enfants et jeunes orphelins ou nécessiteux scola-risés : existence de plus de structures d’accueilpour les filles que pour les garçons ; nécessité derenforcement quantitatif (gestion, encadrementet fonctionnement) des structures existantes,absence de couverture sociale et médicale.

• Enfants et jeunes nécessiteux déscolarisés ou autravail : situation de pauvreté ou de dislocation desfamilles ; risque de dérive ; exploitation par les tierset non respect du code du travail, rémunérationdérisoire, particulièrement en ce qui concerne lespetites bonnes, absence de couverture sociale etmédicale, déscolarisation. Cette catégorienécessite des programmes spécifiques et n’a pasbesoin de se retrouver dans une structured’accueil.

• Enfants abandonnés : manque d’affection familia-le, insuffisance des centres d’accueil, d’encadre-ment spécialisé et de suivi et social, irrégularité dela Kafala, nombre d’enfants abandonnés en crois-sance continue, insuffisance des programmes desensibilisation et d’information sur les moyens deplanification familiale pour les jeunes issus desfamilles très pauvres, non reconnaissance de l’en-fant par le père, rejet par la famille de l’enfantconçu hors mariage.

• Enfants et jeunes sans domicile fixe : rejet familial,exploitation par des réseaux (drogue, prostitutionou vol), insuffisance des centres d’accueil et dupersonnel spécialisé ; indifférence de l’entourage ;déscolarisation ; nombre en croissance continue.

• Enfants et jeunes délinquants : pauvreté ; déscola-risation ; problèmes psychologiques ; nécessité dela mise à niveau des structures d’accueil exis-tantes ; difficultés de la réinsertion familiale.

• Adultes sans domicile fixe : pauvreté ; exploitationdes enfants et des handicapés dans la majoritédes cas ; influence négative sur l’environnement ;

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analphabétisme et manque de savoir faire ; inexis-tence des structures d’accueil adaptées.

• Personnes handicapées mentales sans ressources:rejet familial ; insuffisance des centres et dupersonnel d’encadrement spécialisés ; exploi-tation de certains d’entre eux dans la mendicité ;spécificité des moyens de leur insertion socioéco-nomique.

• Personnes âgées sans ressources : rejet par lafamille (de plus en plus fréquent) ; indifférence del’entourage ; manque de couverture sociale etmédicale ; sans abri ; insuffisance de centres pou-vant répondre à leurs besoins.

• Femmes en situation de précarité : analphabétis-me ; pauvreté extrême ; exploitation par l’entou-rage ; insuffisance des centres d’écoute et d’orien-tation ; chômage ; insuffisance de la sensibilisa-tion.

• Familles objet d’expulsion judiciaire : risque d’er-rance ; instabilité des enfants et déscolarisation ;manque de moyens ; inexistence de structuresd’accueil adaptées.

• Ex détenus sans ressources : rejet familial et social;risque de récidive ; difficulté de trouver un travail;inexistence de structures d’accueil adaptées.

Le ministère du développement social, dont on arepris ici les constats, a fait un effort remarquablede recensement des différents groupes sociaux àrisque, ainsi que des réponses déjà apportées àleurs problèmes spécifiques. Il en a tiré les conclu-sions suivantes :

• les besoins de ces catégories fragiles dépassentles réponses qui leur sont déjà apportées par leprogramme social de proximité et par les presta-tions de l’Entraide nationale ainsi que par leSecrétariat d’Etat à la Famille, à l’Enfance et auxPersonnes handicapées ;

• les besoins dépassent aussi les capacités deréponse des associations, des familles, des initia-tives faites de compassion, d’altruisme et de soli-darité ;

• ces besoins nécessitent des réponses plus effi-caces de l’Etat dans cinq directions principales :

(i) des interventions d’assistance dans des struc-tures appropriées, notamment par l’extensionde maisons de bienfaisance (actuellement aunombre de 435), dont l’Entraide nationale estchargée de la mise à niveau, par la création decentres d’accueil et d’orientation polyvalents ;

(ii) par l’extension des programmes d’insertionsocio-professionnelle conduits par leSecrétariat d’Etat chargé de la Famille, del’Enfance et des Personnes handicapées ;

(iii) par le développement de la législation et dela réglementation en faveur des personneshandicapées ;

(iv) par une action indispensable de prévention del’invalidité et du handicap (prévention des acci-dents liés à la maternité et à la morbidité néona-tale, prévention des accidents de la route, du tra-vail, de l’environnement domestique, etc.) ;

(v) par l’inclusion des mendiants par nécessitédans les programmes de lutte contre la pau-vreté et l’exclusion sociale (alphabétisation, -éducation non formelle, apprentissage, activi-tés génératrices de revenus, microcrédit, etc.)

5-GOUVERNANCE ACTUELLEDU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

Les programmes pilotes de développement socialmenés en partenariat avec les communautés, lesONG et la coopération sont caractérisés par unexcellent ancrage local, une bonne implication despopulations bénéficiaires et un partenariat efficacepublic-privé. On peut en dire autant des pro-grammes de formation agricole, de développe-ment rural intégré, de tourisme rural, d’artisanatrural, de villages de pêche côtière, et d’une façongénérale, des programmes d’activités génératricesde revenus initiés par les communautés, les ONGou les coopératives qui ne demandent aucun sou-tien financier de l’Etat.

Alors pourquoi est-il si difficile de généraliser lesexpériences de ces ‘’success stories’’ ? Plus globale-ment, l’ensemble de ces programmes et des inter-ventions publiques mobilise des coûts considé-rables, des institutions nombreuses, des acteurspublics et privés, des soutiens financiers consé-

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quents de la coopération internationale. Alorspourquoi tous ces efforts, toutes ces dépenses ettoutes ces énergies ne sont-ils pas suffisammentefficaces ? Et pourquoi la pauvreté ne recule pasvraiment ? Et pourquoi la société marocainedemeure-t-elle aussi inégalitaire en terme de capa-cités, de chances, d’opportunités, de revenus, depatrimoine, de genre et de disparités territoriales ?

Une réponse de nature historique a déjà été for-mulée au début de ce chapitre par l’ensemble despolitiques sociales menées jusqu’en 1995. Ces poli-tiques, comme on a pu le constater, se sont révéléespeu inclusives, peu cohésives et ont eu finalementpeu de comptes à rendre.

Malgré cela, pourquoi depuis une dizaine d’années,alors que l’environnement politique est plus favo-rable et que les programmes de développementsocial sont plus cohérents et plus soutenus susci-tant ainsi l’adhésion de la société civile et de lacoopération internationale, la pauvreté et l’exclu-sion sociale ne régressent pas plus rapidement ?

Les politiques sectorielles majeures (éducation,santé, logement) ont fait l’objet de réformessubstantielles même s’il faut regretter la lenteur deces réformes. La politique de l’emploi et lapolitique économique font l’objet de toutes lesattentions des pouvoirs publics. La dimensionterritoriale du développement est à l’ordre du jourdu gouvernement et des agences spécialisées. Endépit de tous ces efforts, les retards sociauxpersistants ne sont pas résorbés au rythme quiconviendrait afin de pouvoir affronter lesnouveaux défis sociaux qui se profilent rapidementà l’horizon. Les disparités de genre et les disparitésentre régions sont toujours aussi profondes.

La réponse à apporter à toutes ces questions tient enun seul mot : la gouvernance. Le rapport du PNUD surle développement humain au Maroc de 2003 intitulé‘’Gouvernance et accélération du développementhumain’’ est, à cet égard, un document absolumentremarquable. Il met le doigt sur les causes réelles quientravent la dynamique du développement social auMaroc.En effet, il ne s’agit ni de changer de politiques,ni de changer de programmes, ni de changerd’instruments et encore moins de textes de loi ou de

dispositions institutionnelles. Car la finalité de cespolitiques, de ces programmes, de ces instruments etde ces textes de loi est globalement bonne. Il ne s’agitpas non plus d’insuffisances de financement, même siles besoins sont immenses par rapport aux ressourcesmobilisables.

Il s’agit de constater avec lucidité que la cause majeured’inefficacité des politiques sociales réside dans leurdispersion institutionnelle, leur morcellement, leurverticalité excessive et leur cloisonnement, rendantleur intégration et leur coordination le plus souventproblématique. Il s’agit de constater aussi quebeaucoup de projets et de programmes de dévelop-pement social ne sont ni intégrés ni coordonnés entreeux et qu’un certain nombre d’entre eux ne sont nidurables ni pérennes. Cette situation est en grandepartie responsable de déperditions d’énergie et debonnes volontés,de gaspillages,de redondances et dedouble emploi. Ces deux constats rendent compte dela faible efficience des interventions au macro niveau(au niveau du gouvernement) et au micro niveau (auniveau du terrain).

Le troisième constat lucide consiste à affirmer qu’ilexiste bien au Maroc un conflit authentique entrecroissance économique et redistribution ; pouratténuer ce conflit, il faut replacer la stratégie dedéveloppement social au cœur de la politiqueéconomique afin de définir ex ante les modalitésde redistribution de la croissance et non plusdéfinir ex post la stratégie d’accompagnementsocial des laissés pour compte de la croissance, etcela quel que soit le niveau de la croissance.

Le dernier constat qu’il faut dresser aussi en toutelucidité et toute sérénité, c’est celui d’une certainedichotomie entre la qualité institutionnelle et laqualité du discours concernant la démocratie et laprimauté du droit et la ‘’qualité’’ des comporte-ments de l’administration vis-à-vis des citoyensqu’elle est censée servir.

L’administration marocaine, dans tous ces constats,apparaît en première ligne. C’est pourquoi on nereprendra pas dans le détail l’excellent travail réali-sé dans le rapport de PNUD (cité plus haut) concer-nant l’environnement institutionnel, la décentrali-sation et la déconcentration, mais on sera en

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revanche plus critique sur le rôle et les performan-ce de l’administration en matière de développe-ment social.

Ainsi, par gouvernance on entendra surtout lacapacité du gouvernement, et de l’administrationqui en dépend, de pratiquer l’inclusivité et laconsolidation de la cohésion sociale en impliquantles individus et les citoyens dans les décisions quiconcernent leurs conditions d’existence. Ce qui apour corollaire l’obligation de ceux qui gouvernentet qui administrent de rendre des comptes surleurs actions et leurs décisions. Ce qui a aussi pourcorollaire le respect, par ceux qui gouvernent etceux qui administrent, des droits de l’homme etdes libertés fondamentales.

Garantir des droits et des libertés, c’est d’abordgarantir des capacités, des opportunités, des choixqui peuvent s’exprimer dans la liberté politique, laliberté économique de travailler, d’épargner,d’investir et de disposer de ses biens. Pargouvernance, on visera donc essentiellement lacapacité du secteur de l’administration publique àdévelopper une action transparente, responsable etefficace, au profit des citoyens quels que soient leursconditions sociales ou leurs niveaux de revenu.

Dans le passé, l’administration marocaine s’est peusouciée des pauvres alors même qu’elle était le seulacteur du développement. Elle a prouvé sonefficacité dans la réalisation de grands travauxd’infrastructures, mais elle s’est révélée totalementinadaptée aux missions du développement socialqui nécessitent une capacité d’écoute, de dialogue,de proximité, de délégation de responsabilités etd’initiatives. L’administration publique au Maroc alongtemps été une bureaucratie prescriptive etdonneuse d’ordres. Longtemps aussi, l’Etat s’estidentifié à son administration qu’il a chargée dedistribuer des situations de rentes politiques,économiques et sociales.

L’Etat commence peu à peu à s’identifier à sa popu-lation dont il n’est, somme toute, que l’émanation.Mais l’administration continue à confondre sespropres intérêts avec ceux de la population et de secomporter en fonction de ceux-ci et de la percep-tion des intérêts de l’Etat et de l’image qu’elle s’en

fait. Le processus démocratique est par conséquentlui-même tributaire d’une administration qui doitjouer le jeu et changer de mentalité.

A cet égard, des changements positifs sont en cours,l’administration a appris à écouter et à accepter den’être qu’un acteur parmi d’autres dans le processusde développement. Ces changements ont été déjàsuffisamment soulignés dans le chapitre I pour nepas être repris ici. Mais ces changements apparentsdans le discours, dans les mentalités et les compor-tements demeurent superficiels et ne compensentpas des réticences et des inerties profondes auchangement. L’administration publique marocainedemeure une citadelle bureaucratique, centralisée etcentralisatrice.

En effet, il existe un paradoxe évident entre unepolitique dont le cadre général s’articule autourd’une nouvelle conception et une reconfigurationde rôle de l’Etat : Etat stratège, Etat régulateur, Etatincitateur, Etat garant de l’équité et de la cohésionsociale, Etat privatiseur, Etat externalisateur etpartenaire de l’entreprise et de la société civile ; etune forteresse administrative centrale qui ne veutrien lâcher de ses prérogatives.

Ainsi, des thèmes comme ceux de la modernisationdu secteur public, la mise à niveau de l’adminis-tration, la déconcentration et la bonnegouvernance de la gestion de proximité sonnentcreux lorsqu’on les confronte avec la praxis desgrandes administrations centrales tous les joursque Dieu fait. La redéfinition des missions de l’Etattelle qu’elle est judicieusement précisée dans destextes de loi d’une exceptionnelle qualité,notamment en ce qui concerne la gestionterritoriale, est totalement contredite par unepratique administrative contraire qui fait valoirquelques délégations de pouvoir aux régions, auxagences spécialisées mais qui n’entend rien céderde ses prérogatives vis-à-vis de ses structuresterritoriales.

Quant à la modernisation du secteur public qui veutpromouvoir une administration ‘’amaigrie’’,managériale et citoyenne, elle porte sur 3 thèmes : lacompression des effectifs, l’introduction demécanismes managériaux de la fonction publique et

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l’amélioration des rapports administratifs-usagers,ainsi que l’humanisation des comportementsadministratifs. A ce projet de réforme, on peutopposer les constats empiriques suivants : lesdysfonctionnements du management public sontcaractérisés par une gestion financière inefficace,uneabsence de culture des performances et des résultatset une gestion inadaptée des ressources humaines.

Les nouvelles règles de gestion budgétaire axéessur les contrats-programmes et l’allocation desressources en fonction d’objectifs avec contrôlefinancier a posteriori ne doivent pas faire illusion.La déconcentration des effectifs et des moyens del’administration centrale vers les niveaux où lescitoyens ont le plus besoin de ces services doit êtreimposée à l’administration.

Cette démarche doit lever les incertitudes quipèsent encore sur le niveau de la déconcentrationet qui sont liées à l’incohérence des délégationspréfectorales, provinciales, régionales, etc. qui nesont pas les mêmes pour toutes les adminis-trations. La déconcentration administrative estvraiment le problème majeur qui handicape leschances de réussite de la bonne gouvernancelocale et de la politique de proximité.

Ce long développement sur la nécessité d’unedéconcentration effective humaine et budgétaire,décisionnelle et responsable, a été jugé utile, carc’est la condition indispensable à une décentrali-sation réussie. Par décentralisation, on veut bienentendu souligner le rôle fondamental des éluslocaux dans le développement social. Sans lescollectivités locales, on ne peut rien faire enmatière de développement social, que ce soit àl’échelle d’une petite commune rurale ou àl’échelle de la gestion des grandes villes. Ladécentralisation ne pose plus de problèmesinstitutionnels, quelle que soit la collectivitéterritoriale concernée : communes, provinces, villes,régions. Les deux problèmes résiduels sont : (i) ladéconcentration des administrations publiquessans laquelle la décentralisation resterainopérante ; (ii) les problèmes de financement descollectivités locales. Concernant ce dernier point :le projet de loi sur la réforme de la fiscalité locale,

bien qu’il vise l’amélioration des ressourcespropres à travers une simplification des taxes etune meilleure performance de recouvrement neréglera pas par lui-même les problèmes cruciauxdes collectivités locales défavorisées.

Un effort supplémentaire de solidarité et depéréquation doit être recherché pour une allocationplus équitable des produits de la TVA et pour un rôleaccru de compensation par le FEC. Ce dernier pointest fondamental car, d’une part, un certain nombrede découpages territoriaux (communaux,provinciaux, régionaux) ont été basés plus sur descritères électoraux que sur des critères de viabilitééconomique, et d’autre part, les gens sont pauvresparce qu’ils vivent dans des territoires pauvres,notamment en milieu rural.Si l’on veut développer etmultiplier les programmes de développement localpilotés par les communautés, encore faut-il êtrecapable d’être solidaire vis-à-vis de cescommunautés et de leurs chances réelles dedéveloppement économique durable.

Cet argument interpelle la dimension territorialedu développement et la nécessaire mise enharmonie du développement économiquerégional et intrarégional avec le développementsocial des habitants de ces différentes régions. Cequi implique une certaine équité et même unediscrimination positive dans les projets d’aména-gement du territoire, d’implantation d’activitésindustrielles, de renforcement des vocationsagricoles, pastorales, touristiques etc., ce quiimplique surtout un transfert de ressources à lahauteur des prérogatives transférées aux collec-tivités locales.

Dans le passé, le processus de démocratie locale aété quelque peu discrédité parce que l’interven-tionnisme de l’administration a coopté des élusnivelés par le bas. Depuis la réforme électorale de2002 et les dernières élections, plus transparentesque les précédentes, les choses se sont améliorées.Il faut faire le pari qu’elles iront de mieux en mieuxet que les pouvoirs publics garantiront à l’avenirdes élections de plus en plus transparentes etlutteront de façon plus efficace contre la vénalité etl’utilisation de l’argent pour acheter des suffrages.

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Il faut faire aussi le pari d’aider les édiles et les éluspar des formations managériales appropriées etleur permettre de recruter les nombreusescompétences nécessaires à la gestion collective,surtout dans les villes.

L’amélioration récente du statut des personnelsdes collectivités territoriales est un début qu’il fautconcrétiser par des efforts de modernisationsupplémentaires. On ne soulignera jamais assezl’intérêt de ces mesures, car la fonction publiqueterritoriale est destinée à devenir un des plusgrands employeurs du pays, de même que lestravaux d’utilité collective et l’économie sociale(coopératives et autres groupements d’intérêtmutuel) sont des gisement d’emplois dontl’importance est aujourd’hui insoupçonnée.

La réussite de la démocratie locale constitue levéritable test de la maturation et de l’approfondis-sement du processus démocratique. La décisionrécente de créer un bulletin officiel spécifique quirendra publics les actes et décisions des collec-tivités territoriales est un pas important vers latransparence ; la garantie d’élections transparentesest un gage plus pérenne de la capacité descitoyens à demander des comptes aux institutionsqu’ils ont désignées pour les servir. Il en est demême pour le gouvernement et l’administrationqu’il a en charge, qui doivent rendre des comptesaux échéances prévues par la loi.

Ainsi décentralisation, déconcentration,démocratie, reddition des comptes sont autant deconditions institutionnelles nécessaires à unemeilleure efficacité des politiques de dévelop-pement social en général et au développement deproximité en particulier.

Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que latendance jacobine, hypercentralisatrice de l’admi-nistration ne nécessite pas seulement untraitement de déconcentration, mais aussi etsurtout un traitement de décloisonnement entresecteurs de l’administration. En effet, le risque dene pas traiter les deux aspects en même tempsconsiste à pérenniser sur les niveaux déconcentrésla verticalité excessive des politiques et desprogrammes. La mise en cohérence horizontale

des politiques et des programmes et leur synchro-nisation doit commencer au macro niveau, c’est-à-dire au niveau du gouvernement, comme elle doitêtre relayée au niveau intermédiaire (régional ouprovincial selon les politiques et les programmes)et au niveau le plus décentralisé (communes ougroupes de communes).

L’intégration, la coordination, la mise en musique eten harmonie des actions concertées multido-maines de lutte contre la pauvreté et l’exclusiondoivent être opérées sur une base territorialeprécise et dans un horizon de temps et de duréeconcordantes, l’effet de ces interventions multido-maines groupées dans l’espace et dans le tempsétant supérieur à la somme de chacune desinterventions isolées.

6. PRINCIPAUX CONSTATS DE L’ÉVALUATION

Le Maroc est aujourd’hui un vaste chantier deréformes politiques, économiques et sociales. Lasociété marocaine est traversée en profondeur pardes mutations sociologiques, culturelles, sociétalesde grande ampleur. Le pays consent des efforts trèsimportant aux domaines sociaux, ou il accuse desretards et des déficits dont on a essayé de cernerles causes et dont les conséquences représententdes menaces pour la cohésion sociale.

Les événements du 16 mai 2003 ne constituent passeulement une poussé de fièvre en rapport avec lesturbulences géopolitiques actuelles, mais aussi unemanifestation paroxystique du "mal être" et de la"mal vie" d'une partie de la jeunesse marocaine. Cemal être et cette mal vie s'expriment aussi dans lestentatives désespérées d'émigration clandestine(phénomène des "harragas"). Cette pathologiesociale révèle une crise civique dont l'origine estune crise sociale longtemps négligée.

L'action sociale de l'Etat doit impérativementdevenir plus lisible et plus visible et donner dessignaux d'espoir à la jeunesse ; cette jeunesse quiconstitue l'essentiel de la population et sur laquellerepose l'avenir du pays est un formidable potentiel.La stratégie nouvelle de développement social doitêtre résolument axée sur l’incorporation politique,

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économique, sociale, culturelle et sociétale de cettejeunesse. Le pays possède les atouts politiquespour réussir ce pari sur l'avenir. La jeunessemarocaine possède des atouts éducatifs etculturels de plus en plus solides, elle est en bonnesanté physique, elle est généreuse et avide deconnaissance et de savoir faire ; elle est curieuse detout et ouverte à la modernité, elle demandesimplement à être guidée et a soif de sens. Surtout,elle ne veut pas vivre les conditions de pauvreté etd'exclusion de ses parents.

Cette jeunesse a une "âme" et vibre au moindresuccès des athlètes nationaux, de l'équipe nationa-le de football et aux accents du patrimoine folklo-rique et culturel. Même expatriée, elle garde desattaches profondes avec le pays, le "derb", le"douar", etc. Elle veut emprunter l’ascenseur socialpar le travail, le revenu, l'accès à la société deconsommation et reproduire le modèle familial etsocial marocain.

La stratégie future de développement social doitrépondre à ces aspirations : créer de l'emploi, durevenu, des chances de promotion sociale par lesarts, la culture, le sport, la politique, la fabrication dulien social et le renforcement du sentimentd'appartenance à une communauté nationaleriche de ses traditions et ouverte à la modernité.

Les enjeux sont énormes car il ne faut pas laissercette jeunesse en proie au prosélytismeobscurantiste et rétrograde qui exploite sa "malvie" pour tenter de l’enrôler dans des attitudes decrispation identitaire et religieuse extrémiste etnihiliste. Ces menaces sur la cohésion sociale nesont pas l'apanage du Maroc ou des pays de larégion MENA, elles s'expriment aussi dans les paysles plus riches jusqu'au point de justifier la créationdes ministères de la cohésion sociale (France etQuébec). En effet, le conflit entre développement,puissance économique et redistribution sociale est

réactivé un peu partout dans le monde. Ce conflit apu conjoncturellement être occulté par les ‘’trenteglorieuses’’ où la croissance économique a créédans les pays riches un salariat nombreux qui aréussi, par les arbitrages démocratiques, à imposerun partage des fruits de la croissance. Il revientaujourd’hui sur le devant de la scène, avec laglobalisation des échanges, les nouvelles formesde partage du travail à l’échelle mondiale, lesdélocalisations, le chômage de masse qui créentdes crises économiques engendrant des crisessociales qui débouchent sur des crises civiques(populisme, montée des extrémismes,xénophobie).

Ce conflit entre croissance et redistribution estlargement responsable des déficits sociaux auMaroc; il impose (dans tous les pays riches oupauvres) une interrogation sur la finalité del’économie et sur l’éthique du développement.Cette considération nous permet de renouer avecle fil de l’argumentation en faveur d’une nouvelleconceptualisation de la stratégie de dévelop-pement social, celle-ci qui va faire l’objet derecommandations précises dans le chapitre III, doitêtre définie au confluent de trois éthiques : uneéthique politique, une éthique économique et uneéthique sociale. Les aménagements institutionnelsnécessaires à une nouvelle gouvernance plusefficace sont directement liés à ces préoccupationséthiques. C’est pourquoi la stratégie proposéecomporte la remise en cause de la politiquemacroéconomique, l’adoption de réformeséconomiques structurelles et sectoriellesfavorables à la lutte contre la pauvreté etl’exclusion et favorables à la création d’emploi et àl’inclusion sociale active, ainsi que l’intégration despolitiques sociales sectorielles et des politiquesspécifiques de développement social à la politiqueéconomique nationale et régionale.

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CHAPITRE III

La stratégie proposée

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1. LES BASES THÉORIQUES ET OPÉRATIONNELLES DE LA NOUVELLE STRATÉGIE NATIONALE DE DÉVELOPPEMENT SOCIAL

Au cours des deux premiers chapitres de cedocument on a procédé a l’analyse du contexte dupays, et des nouveaux concepts et paradigmes quianiment les politiques de développement, on aprocédé aussi à l’inventaire des réalisationsremarquables du pays en matière sociale, desdéficits sociaux persistant, de leurs cause et deleurs conséquences. On a tenté d’évaluer lespolitiques publiques, les outils, les instruments etles acteurs. La finalité globale de ces analyses et deces évaluations était de tenter d’identifier lesdysfonctionnements et les entraves qui s’opposentà une meilleure efficacité des politiques, desprogrammes et des projets de développementsocial. Elle réside aussi dans l’identification dessuccess stories telles que l’impact du micro-créditpar exemple, ou par le expériences de dévelop-pement local géré par les communautés (régionsdu Souss et du Haouz notamment), aussi que descauses qui empêchent la généralisation desexpériences réussies. Plus fondamentalement,l’ensemble de l’argumentation développée dansles deux premiers chapitres a mis en exerguel’éthique du développement et de la gouvernance.

Ainsi la nouvelle stratégie nationale de dévelop-pement social, dont les experts se proposent deformuler les grands axes, est donc nécessairementmultidimensionnelle, multi sectorielle, et multipartenariale. Par multidimensionnelle on entend ladimension politique, la dimension macroéco-nomique, les dimensions territoriales, lesdimensions transversales particulières à lajeunesse, aux groupes sociaux à risque. Par multisectorielle on entend la nécessaire intégration et lamise en cohérence verticale, horizontale, ettemporelle des différentes politiques socialessectorielles et spécifiques. Par multi partenariale onentend la coresponsabilité sociale partagée entrel’Etat, les collectivités territoriales, les associations,les ONG de la société civile, le secteur privé et lacommunauté internationale du développement.

L’ensemble : multidimensionalité, multisectorialité et multi partenariat devantconstituer une stratégie de développementsocial globale, cohérente, de proximité etparticipative, garantissant l’inclusion socialeactive, la cohésion sociale et la reddition descomptes.

1.1. LA DIMENSION POLITIQUE DE LA STRATÉGIE

La pauvreté, comme nous avons pu le définir auchapitre I, réside essentiellement dans une priva-tion de capacités élémentaires, de chances, dechoix et d’opportunités, plutôt que dans unesimple faiblesse des revenus comme la perçoitsociologiquement le bon sens populaire. Cette pré-cision conceptuelle ne vise en aucune manière ànier l’évidence : un revenu faible constitue bienune des causes essentielles de la pauvreté. Pourautant, la réduction de la pauvreté par les revenusne saurait servir de motivation dernière aux poli-tiques publiques.

Beaucoup de personnes au Maroc ont défendu etdéfendent encore la priorité des ‘’droits écono-miques’’ liés aux besoins sociaux et matérielsessentiels et relèguent les droits politiques etdémocratiques au social rang. Cette position dog-matique traduit des questions simples : faut-ilaccorder la priorité à la lutte contre la pauvreté etla misère ou garantir les libertés politiques etciviques d’une utilité discutable pour les gensconcernés et qui ne constituent pas, du reste,leurs revendications fondamentales compte tenude leur situation matérielle et de leur problèmesquotidiens ? Est-il fondé d’aborder cette questionsous la forme d’une alternative entre économie etpolitique ? Faut-il rester à cette dichotomie sim-pliste qui réduit presqu’à à néant la valeur deslibertés politiques et des droits civiques enarguant du prétexte de l’urgence des besoins éco-nomiques et sociaux ?

La nouvelle stratégie proposée consiste àreformuler cette question sur un autre terrain :Elle part du principe simple qu’il faut prendre enconsidération le réseau d’interdépendances quiassocie les libertés politiques et civiques à ladéfinition des besoins économiques et sociaux et

La stratégie proposée

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donc à leur satisfaction. Ces interconnections nesont pas seulement d’ordre instrumental. Ellessont aussi d’ordre structurel. L’importance de laliberté politique comme constituant descapacités et des choix élémentaires estincontestable. Il est légitime pour les êtreshumains, qui sont des créatures sociales, desouhaiter voir reconnues leur libre participationaux activités sociales et politiques ainsi que leurcapacité à faire rendre des comptes auxinstitutions qui sont sensées les servir.

En outre, la formation de nos valeurs collectives,dans un cadre critique et non doctrinaire, exigeun processus de communication ouverte et delibre débat, qui ne saurait exister sansreconnaissance des libertés politiques et desdroits civiques. Les libertés politiques jouent unrôle instrumental parce qu’elles constituent desaiguillons susceptibles d’agir sur le gouver-nement, les institutions, les individus ou groupesd’individus, les réseaux, responsables de ladéfinition des orientations sont ainsi incités àécouter les revendications et les aspirations deleurs administrés. La démocratie, au delà de salégitimité intrinsèque, joue donc un rôle deprotection des groupes sociaux les plus faibles etdispose ainsi d’une fonction constructive dansl’inclusion sociale et la cohésion sociale, en mêmetemps qu’elle permet la transparence et laresponsabilité de l’action publique.

Mettre fin à la pauvreté humaine, lutter contre lesinégalités sociales, prévenir l’exclusion sociale,nécessitent un Etat volontaire qui a compris lesenjeux du développement social et qui crée lesconditions politiques nécessaire à une stratégieplus efficace plus inclusive et plus cohésive dedéveloppement social. Par dessus tout, cettestratégie nécessite un espace démocratique danslequel les individus puissent exprimer leursrevendications, agir collectivement, et lutter pourune distribution plus équitable du pouvoirpolitique. C’est seulement ainsi que les ressourcesappropriées seront investies dans les priorités dudéveloppement humain durable et que l’accèsaux moyens de production et d’émancipationindividuelle sera plus équitable. C’est ainsi que la

politique macroéconomique pourra d’avantageêtre axée sur les pauvres et les marginaux et queles marchés leur donneront de plus largesopportunités d’améliorer leurs conditions de vieet de se prendre en charge.

Le Maroc, comme nous l’avons souligné auChapitre I, possède des atouts politiques etinstitutionnels favorables pour susciter l’élan etl’environnement adéquat à cette nouvellestratégie. Pour autant, l’Etat peut aller encore plusloin et prendre des mesures dans plusieurssecteurs clefs pour donner une place aux pauvressur l’échiquier politique, soutenir une mobili-sation du capital social et susciter despartenariats à l’échelle de l’ensemble de la sociétéen faveur des pauvres, des exclus et des groupessociaux à risque.

Ces mesures consisteraient à :

(i) promouvoir l’inclusion politique de tous etréconcilier les jeunes avec la politique ;

(ii) encourager toutes les formes de partenariatpublic/privé : Etat société/civile, Etat /entre-prises privées ;

(iii) faciliter l’initiative et la planification ascendantesans renoncer pour autant à l’initiative et à laprogrammation descendante.

(iv) garantir la transparence de l’action publique, laresponsabilisation des institution, lutte contre lacorruption et la criminalisation de la politique.

(v) protéger la liberté d’opinion et la liberté de lapresse.

(vi) garantir une justice équitable pour tous et lesrecours des citoyens vis-à-vis des administra-tions censées les servir.

(vii) garantir la liberté d’association et lui aménagerun cadre juridique, financier, et fiscal adéquat

(viii) revitaliser l’éducation civique,

(ix) garantir l’égalité de tous devant la loi et veillerà l’application effective de la loi.

(x) rapprocher l’administration au plus près descitoyens et de leurs élus locaux

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1.2. LA DIMENSION MACROÉCONOMIQUE DE LA STRATÉGIE

On a pu mettre en évidence, dans la section précé-dente, que l’éthique du développement socialdépendait au premier chef d’une éthique politique.Cette section du document a pour objet dedémontrer qu’elle est aussi tributaire d’uneéthique économique et plus généralement de lafinalité du développement économique lui-même.

Dans le cadre de la nouvelle stratégie proposée,quelle devrait être une politique macroéco-nomique favorable à la réduction de la pauvreté etdes inégalités sociales, à la prévention del’exécution sociale et au renforcement de lacohésion sociale ? Pourquoi un cadre macroéco-nomique approprié en relation étroite avec lesobjectifs d’inclusion, d’insertion sociale active et decohésion sociale est-il nécessaire ? Quelle pourraitêtre une bonne politique macroéconomique dupoint de vue de la réduction de la pauvreté ?

1.2.1. Une politique de croissance économiquefavorable aux pauvres et à la réductiondes inégalités sociales devrait respecterles critères suivants :

(i) Une croissance économique équilibrée etrégulière : pour cela il est nécessaire de consolider latendance à l’assainissement des grands équilibresmacroéconomiques et en particulier maîtriser latendance récente à la reprise du déficit budgétaire(masqué par les recettes des privatisations) et latendance au déficit de la balance des paiements(masquée par les transferts des RME et les recettestouristiques). Il est nécessaire aussi de maîtriser lesfluctuations de la croissance de l’économienationale qui reste très volatile et très sensible àl’aléa climatique intérieur et aux aléas extérieurs(prix des hydrocarbures, fluctuations monétaires,évolution de la demande extérieure). Il estnécessaire enfin d’accélérer les mutations structu-relles de la croissance afin de créer les conditionsd’un sentier durable de cette croissance ;

(ii) une croissance plus forte ayant comme objectifun taux de croissance moyen compatible avec lesbesoins de création d’emplois et d’insertion socialeactive. Ayant comme moyens de financement des

politiques d’épargne et d’investissementcompatibles avec les niveaux requis de mobili-sation des ressources ayant un environnementinstitutionnel favorable à l’intervention, l’initiativeet la participation de l’ensemble des acteurséconomiques et sociaux ;

(iii) une croissance génératrice d’emplois : c’estvéritablement la question prioritaire qui interpelleaujourd’hui le gouvernement et la société auMaroc. En effet, la qualité et le niveau actuels de lacroissance ne sont pas susceptibles de créer lechangement du rythme d’expansion et de créationd’emplois qui puisse garantir une adéquation del’offre à la demande d’emplois. Cette problé-matique centrale, sociétale, qui conditionne l’inclu-sivité et la cohésivité de la collectivité nationalenécessite à la fois une politique volontariste delong terme et une allocation sectorielle optimaledes investissements ;

(iv) une croissance plus diffuse prenant en comptela dimension du développement social et de sescomplémentarités, posant les fondements d’unestratégie de réduction des disparités régionales etutilisant l’aménagement du territoire comme outild’équité, de cohérence et de vision globale dudéveloppement économique et social.

1.2.2. Une politique économique efficientedevrait respecter les critères suivants :

(i) la maîtrise des échanges extérieurs en optimi-sant l’intégration de l’économie nationale dans leréseau des échanges mondiaux et dans le cadredes accords de libre-échange conclus avec les payset les ensembles régionaux partenaires, en contrô-lant et en atténuant aussi les chocs de l’ouvertureextérieure. Ce qui suppose deux séries de mesures: la première concerne la mise à niveau des entre-prises et des ressources humaines, de l’environne-ment administratif, juridique et fiscal. La deuxièmeconcerne la protection sociale de groupes sociauxfragilisés par l’ouverture de l’économie et des tran-sitions qu’elle implique. En effet, la question de ladistribution des avantages et des coûts du change-ment pose elle aussi un défi significatif à la sociétémarocaine. La future cohésion sociale risque d’êtredifficile ou pratiquement impossible à atteindre si

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les sacrifices et les coûts de transition exigés parune économie de plus en plus ouverte et de plusen plus flexible sont perçus comme reposant sur lapartie, pauvre et la plus faible de la population plu-tôt que sur la société dans son ensemble.

(ii) la maîtrise de la politique des prix suppose unebonne appréciation du rôle des prix dans la poli-tique sociale et une bonne appréciation des princi-paux marchés des produits consommés par lespauvres. Elle suppose, en tout état de cause, uneissue aux effets pervers des subventions, des prix,notamment dans le domaine agroalimentaire.

(iii) une meilleure politique fiscale de l’Etat quifavorise les objectifs généraux du développementsocial en améliorant la distribution des revenus eten réaménageant la charge sociale fiscale imposéesur les dépenses des pauvres.

(iv) une meilleure politique des dépensespubliques : les dépenses publiques ont uneimportance déterminante sur le niveau de vie desménages pauvres. Il faut donc donner la priorité auxcatégories de dépenses qui influencent la consom-mation des groupes sociaux pauvres. Il fautaméliorer l’utilisation effective par les pauvres desservices fournis par l’Etat. Il faut continuerl’extension des services publics et leur renforcementdans les régions pauvres. Soutien au revenu,éducation, santé, logement sont des politiquespubliques qui constituent des instruments puissantsde redistribution, encore faut-il les développer là oùles gens ont le plus besoin de ces interventionspubliques, c’est-à-dire dans les communes, lesquartiers, les provinces et les régions pauvres.

(v) une meilleure politique du crédit : à la fois pouraméliorer les conditions de financement de l’éco-nomie et aménager de meilleures conditions d’ac-cès au crédit, et pour élargir les opportunités et lesinstitutions de micro et de méso financement, lebut étant de couvrir toute la palette des besoins definancement : micro crédit pour les activités géné-ratrices de revenus et les fonds de roulement,micro et méso crédit pour l’auto-emploi et l’accèsau logement, jusqu’au crédit pour la micro, la peti-te et la moyenne entreprise. Sans oublier les possi-bilités, insoupçonnées à l’heure actuelle, des autres

possibilités de la micro-finance, c’est-à-dire essen-tiellement la micro assurance.

1.2.3. La dimension sectorielle d’une croissancepro-pauvres

(i) La nécessaire réforme de la politique agricole etdu développement rural en assurant une meilleurerépartition des ressources dans le secteur agricole(foncier, eau, mécanisation, mise en valeur,recherche agronomique, crédit, etc.) en levant lescontraintes qui pèsent sur le développement del’agriculture et qui pérennisent la médiocrité de laproductivité agricole. En intégrant le fait qu’uneproduction agricole excédentaire assure nonseulement la sécurité alimentaire, mais qu’elleconstitue aussi une condition sine qua non dudéveloppement industriel. En désenclavant lemonde rural et en rattrapant son retard d’équi-pement. En créant des activités en amont, en avalet à côté de l'agriculture.

Le développement du monde rural ne peut pas seconcevoir sans une expansion de l’agriculture, quiconstitue la ressource essentielle de ses habitants,mais il ne peut pas se limiter à elle seule.

(ii) La nécessaire réforme de la politique industriel-le : le PIB industriel ne représente que 17 à 18% del’économie nationale. Il faudrait le porter au moinsà un niveau de 25% pour éviter les méfaits de ladésinstrualisation au profit des services et lesméfaits d’une croissance pauvre en emplois.

Selon le ministre de l’industrie et du commerce et leministre de l’économie et des finances, 2005 seral’année de la mise en place d’une politiqueindustrielle qui basera l’essentiel de la croissanceéconomique sur les secteurs choisis pour leurcapacité à y contribuer. Cette politique industriellesera à la fois globale et diversifiée. Globale, parcequ’elle touchera l’ensemble des secteurs industriels,avec comme objectif l’argumentation de la valeurajoutée de ces secteurs dans le PIB. Diversifiée parcequ’elle s’efforcera de mettre en place des stratégiespar branches ou secteurs : ceux du textile, desindustries électriques et électroniques, descomposants automobiles, de l’agroalimentaire, de lachimie et para chimie, etc. Cette politique seradéterminée en fonction, d’une part de la demande

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intérieure, mais surtout des risques et des défisgénérés par la compétition internationale.

Cette politique, pour être efficace, devra êtreaccompagnée d’un traitement favorable des PME-PMI, d’un encouragement à la création de microentreprises et du renforcement des servicesd’appui aux activités industrielles (veille techno-logique, transferts de technologie, intelligenceéconomique, etc.).

1.2.4. Une politique de l’emploi plus efficace

La réforme du marché du travail enclenchée par leCode du travail doit être complétée par la levée desobstacles à la création d’emplois et l’atténuationde la précarité de l’emploi. Elle doit surtout êtreaccompagnée par l’encouragement des investisse-ments riches en emploi (la plupart des investisse-ments actuels ayant un contenu pauvre enemplois). Elle appelle une meilleure efficacité desmesures et des dispositifs actuels d’incitation à lacréation d’emplois : formation professionnelle,reconversion professionnelle, employabilité, inter-médiation, encouragement à la création d’emploispour les jeunes.

1.2.5. Le soutien et la légitimation de l’écono-mie non conventionnelle.

Beaucoup d’actions et d’interventions en faveurdes pauvres consistent à créer des activités géné-ratrices de revenu, à les rendre possibles en ayantrecours à l’alphabétisation fonctionnelle, à la for-mation professionnelle et à l’apprentissage, à leurassurer un financement par le micro crédit et àessayer de faciliter l’accès à la commercialisationdes produits de ces activités. La plupart de cesinterventions sociales ont pour résultat une inser-tion plus ou moins réussie par le biais de ce quel’on a coutume d’appeler l’économie informelle.Ces formes d’activité et d’insertion étant appeléesà se développer, il est temps de développer enconséquence une réflexion sur la relation entrel’économie formelle et l’économie informelle.

Une des tendances réductionnistes de la relationentre la sphère économique et la sphère sociale estde focaliser la réflexion sur le champ des formesd’activités et d’insertion sociales dominantes ou se

présentant comme telles (entreprises modernes,secteur structuré, salariat, emplois publics, etc.). Ontolère mal le pluralisme des formes d’activité éco-nomique et leur hybridation, ou du moins on ne lesperçoit que comme de simples secteurs d’insertionmarginale ou d’insertion de subsistance. Un effortconceptuel doit être fait pour approfondir laconnaissance des différents modes économiquesd’insertion et pour mieux identifier les différentesformes d’initiatives locales et les modes relationnelsqui se nouent entre les divers acteurs de l’économieformelle et de l’économie informelle. La frontièreentre l’économie de subsistance, l’économie affecti-ve, l’économie marchande locale, l’économie infor-melle et l’économie de dons est poreuse.

Cependant, ce qui fait cruellement défaut à cesactivités dites informelles, porteuses de formesprimaires et souvent efficaces de solidarité, c’estune sorte de légitimité, alors que l’économiemoderne bénéficie d’une hégémonie culturellequi, non seulement étouffe d’autres approches,mais conduit précisément à la destruction desformes de solidarités traditionnelles. C’est donc unsaut conceptuel plus fondamental qui estnécessaire, un élargissement du paradigme. Il s’agitde réintégrer l’économie dans la société, c’est-à-dire de ne plus réfléchir sur le développementéconomique indépendamment du lien social, de lavie sur un territoire, du développement humain.Alors, faut-il institutionnaliser l’économie informelledans le but de la légitimer ? Cette approcherisquerait, compte tenu de l’hétérogénéité desactivités et des statuts en présence, de fairepercevoir le secteur informel comme un réceptacled’activités pour exclus, ce qui le condamnerait àdevenir un ‘’ghetto occupationnel’’. Or, il ne peut yavoir de frontières étanches entre l’économiemoderne et les autres formes d’activité, l’essentielétant précisément d’assurer un ‘’continuum’’ entreces formes d’économies dans le cadre d’unedynamique territoriale de citoyenneté. Plutôtqu’une institutionnalisation ‘’dichotomique’’, il vautmieux procéder à des soutiens spécifiques auxdifférentes activités (formation professionnelle,apprentissage, éducation non formelle, subventionsrelatives à tel ou tel service d’utilité collective, etc.).

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En réalité, les formes de soutien sont diverses. Ils’agit, en premier lieu, de l’intégration de ces activi-tés dans une dynamique de développement terri-torial reliant toutes les actions de développement àl’intérieur d’un même territoire, de façon à consti-tuer des réseaux solidaires qui permettent une uti-lisation optimale des ressources existantes. End’autres termes, parier sur une dynamique de soli-darité installée dans la durée, qui va dégager deséconomies d’échelle, qui va mettre en place desoutils communs de commercialisation, etc. Il s’agitensuite de mettre en place une nouvelle ingénie-rie, c’est-à-dire des dispositifs d’assistance tech-nique aux projets et de formation des acteurs, maisqui soient très souples en intervenant de manièrecontinue et largement en amont de la créationd’activités ((AGR), pour aider à la maturation du ter-reau local. Deux facteurs clés apparaissent essen-tiels à la mise en place d’une telle ingénierie : l’exis-tence d’acteurs jouant le rôle de catalyseurs et unenouvelle philosophie de l’action publique. Il s’agitenfin d’assurer la pérennité de ces initiatives parl’existence de financements permanents en encou-rageant ‘’les structures intermédiaires’’ qui ont pourrôle de mobiliser les ressources marchandes,publiques et bénévoles au service d’une démarchede développement local plurielle et solidaire.

1.3. LA DIMENSION TERRITORIALE MULTISECTORIELLE ET MULTIPARTENARIALE DE LA STRATÉGIE

Pour que la nouvelle stratégie nationale de déve-loppement sociale soit le reflet d’une politiquesociale intégrée, globale, cohérente, de proximitéet participative, il faut qu’elle implique l’ensembledes acteurs agissant de concert les uns avec lesautres. Il faut qu’elle implique des interventionssimultanées et coordonnées sur tous les leviers dudéveloppement social. Il faut que ces interventionss’inscrivent dans la durée car la plupart du tempsles efforts seront longs à produire leurs effets,même si un certain nombre de situations peuventréclamer des mesures d’urgence.

Il faut surtout que cette stratégie s’adresse à despersonnes qui vivent au quotidien dans un espacedéterminé et dans un environnement limité. Cet

espace et cet environnement ne recoupent pasnécessairement les découpages politico-adminis-tratifs.

Nous avons déjà eu l’occasion de souligner (auxchapitres I et II) que le Maroc encourage positi-vement la décentralisation. Cette politique quiconsolide les compétences propres, lescompétences transférées et les compétencestransférables à l’ensemble des collectivités territo-riales (communes rurales et urbaines, villes,provinces, régions) est une démarche irréversible.Elle pâtit néanmoins d’un rythme de déconcen-tration administratif beaucoup plus lent etbeaucoup moins soutenu qui handicape leschances d’émancipation de ces collectivités territo-riales. Quoiqu’il en soit, ce mouvement irréversibleva accentuer l’ancrage et l’enracinement spatialdes activités économiques, sociales et culturelles.Les politiques sociales et les programmes dedéveloppement social qui sont les vecteurs de lasolidarité, ne peuvent pas échapper à cephénomène.

La problématique de l’environnement territorial de lastratégie nationale de développement social soulève,toutefois, deux questions majeures : la premièreconcerne la complexification des découpages, deschevauchements de prérogatives, des processus dedécision et des procédures. La deuxième concerne lanécessaire articulation des niveaux spatiaux desactions de développement social.

En fait, la stratégie proposée se décline à tous lesniveaux. Le niveau national impose un cadreréglementaire et législatif, d’élaboration despolitiques et des programmes à caractère nationalet général. Le niveau régional impose unecorrélation très étroite entre le développementéconomique régional et le développement socialrégional : il doit définir les orientations essentiel-lement organisationnelles pour gérer lesprocédures et les budgets (la région constituant unEtat en miniature et un mini gouvernement local).Le niveau intermédiaire, provincial et préfectoral,constitue un relais et un maillon indispensablepour la mise en cohérence des services des collec-tivités locales avec les services déconcentrés des

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administrations centrales. Ce niveau doitharmoniser et coordonner, dans l’esprit de lanouvelle stratégie, la relation immédiate etrégulière des acteurs publics et privés du dévelop-pement social avec les bénéficiaires des politiqueset des programmes au niveau le plus prochepossible (douar, village, commune rurale ouurbaine, quartier, etc.). Il est important, en effet, decapitaliser les expériences type BAJ ou celles quiont concerné d’autres provinces, notamment lesprogrammes du PNUD (MOR/96/002, MOR/97/001,MOR/96/005, MOR/97/006), MOR/97/003,MOR/97/005, MOR/97/006) qui ont, à un égard ou àun autre, un ancrage provincial.

Ne serait-ce que pour éviter d’idéaliser outre mesurel’échelon communal ou infra-communal et des microprojets éclatés initiés au plan local. Nous reviendronssur cet aspect, mais d’ores et déjà, ces interrogationsrelatives à l’ancrage territorial de la stratégie nationa-le de développement social révèlent un certainnombre d’enjeux qu’il convient de clarifier.

Si le principe d’appliquer à l’action de solidaritéinstitutionnelle un découpage territorial qui prenden compte ‘’l’espace vécu’’ des populations estindiscutable, la question de la détermination del’espace pertinent pour l’action reste posée. Eneffet, l’espace territorial est construit par lesacteurs, sa géométrie est variable, elle fluctue enfonction des lieux, du temps et aussi de la dyna-mique sociale. C’est pourquoi l’espace politico-administratif doit, en quelque sorte, s’adapter auxréalités concrètes afin de pouvoir gérer souple-ment les situations.

Les lieux d’intervention du développement socialdoivent, d’une certaine manière, pouvoir tenircompte des représentations des acteurs (homogé-néité ethnique et culturelle, solidarités tradition-nelles, vocations agricoles et artisanales domi-nantes, etc.). L’adaptation nécessaire des instancesde décision à la variété des situations exige enmême temps de préciser les prérogatives des diffé-rents niveaux spatiaux. Pour autant, la cohérencedes choix et des priorités doit laisser la plus largeplace possible à l’initiative de proximité et au déve-loppement local piloté par la communauté. Ceci

dit, cet engouement pour la demande des acteurslocaux du développement social, pour la légitimitédes bénéficiaires à définir eux-mêmes les prioritésd’actions et d’interventions à mettre en œuvre, netrouve aujourd’hui aucun contradicteur. Nousl’avons nous-mêmes justifiée en tant que partisansd’une stratégie de développement social qui faitdroit à la liberté d’exprimer des choix, à la partici-pation et à l’implication communautaire des per-sonnes censées en être les destinataires finaux. Laplupart des responsables politiques, les acteurs dela société civile, les agences de coopération et lesprincipaux bailleurs de fonds,ayant pris acte deslimites de l’administration et des appareils d’Etat,militent tous aujourd’hui pour une transformationde l’action publique en ce sens. Pourtant, la prise deconscience des défaillances et des dysfonctionne-ments des stratégies descendantes ne doit pas ser-vir de prétexte à leur abandon pur et simple et àleur substitution totale par des initiatives et desprojets ascendants.

En fait, il faut parvenir, dans le cadre de la nouvellestratégie, à un bon dosage des deux démarchesascendante et descendante. Mieux encore, lesexperts proposent de privilégier l’action parprogrammes plutôt que l’action par simple soutiende projets. Certes, des politiques et desprogrammes conçus au niveau national ne sontplus censés s’appliquer de façon uniforme et rigideen tous lieux. Ils doivent dorénavant composer avecles particularités physiques, économiques, sociales,institutionnelles et culturelles des espaces où ilssont développés.Cependant, ils ne peuvent pas nonplus être éclatés en une kyrielle de micro-programmes et de micro-projets correspondant àautant de micro territoires locaux. Le niveauintermédiaire (une ville, un ensemble decommunes, une province) s’impose, à l’évidence, delui-même. Car c’est souvent à ce niveau qu’on peutobtenir la meilleure cohérence possible entre lesorientations programmatiques nationales et lesparticularités locales. Dans un contexte de contrac-tualisation des politiques (contrats-programmes,nouvelles règles de gestion budgétaire), les expertsproposent une démarche similaire dans le champdu développement social, liant l’Etat aux villes, aux

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régions, aux provinces, aux communes ou à desregroupements de communes, aux acteurs de lasociété civile et aux acteurs de la coopération. Ensomme, il s’agirait de mettre en œuvre descontrats-programmes de développement socialavec les collectivités territoriales concernées selonl’ampleur des politiques et des programmes. Ce quisuppose une clarification des responsabilités etdes prérogatives entre les différents niveauxterritoriaux et entre les régions et les différentesagences spécialisées. En effet, la gestiondécentralisée, à elle seule, n’est pas source deresponsabilité partagée si elle n’entre pas dans unprocessus de contractualisation et de réalisationd’objectifs définis en concertation avec lesadministrations centrales. Ainsi, la clarification desmécanismes de décision, de mise à disposition desbudgets et des responsabilités entre l’adminis-tration centrale, les services déconcentrés desministères et les collectivités territoriales estnécessaire pour que le lien entre autonomie etresponsabilité soit établi.

Pour la mise en œuvre de la nouvelle stratégie dedéveloppement social, l’Etat doit se rapprocher duterrain, les services déconcentrés de l’adminis-tration doivent impérativement être mis enmesure de développer une véritable gestion deproximité. Dans l’organisation de sa présence surle terrain, l’Etat a désormais pour interlocuteursdes collectivités locales décentralisées quiattendent beaucoup de lui. Dans le domaine trèssensible des politiques sociales sectorielles et desprogrammes de développement social, où lesbesoins ne cessent de croître et de changer denature et où l’imbrication des compétences estparticulièrement complexe, les collectivitéslocales, les acteurs sociaux et les associationsattendent des signaux forts de l’Etat.

Ces attentes s’expriment principalement sur deuxplans : que l’Etat sache mieux organiser ses servicesdéconcentrés dans le sens d’une interaction etd’une coordination des politiques intersectoriellesdéfinies au plan national, et d’autre part que l’Etatapprenne à ses services à adapter leurs interven-tions au besoins spécifiques du territoire sur lequelils agissent :

La nouvelle stratégie nationale proposée varésolument dans ce sens : l’Etat doit à la fois fixer lecadre général de la politique de développementsocial et pratiquer une politique de proximité. Lesraisons majeures qui justifient la politique deproximité sont : la capacité des services du gouver-nements et des institutions de prendre lesdécisions adaptées aux situations spécifiques et àl’environnement dans lequel elles se trouvent,d’adapter les politiques publiques aux contexteslocaux ou aux attentes différentes des bénéfi-ciaires, de permettre à ceux qui sont plus près duterrain de prendre eux-mêmes les initiatives, demotiver les agents en leur accordant une certainemarge de manœuvre au lieu de les enfermer dansun carcan de règles et de procédures rigides.

Sur un autre plan, ni l’Etat, ni les institutions, ni lesautres personnes politiques, ne peuvent répondreseules à l’immense besoin de développementsolidaire de la société marocaine. Sans un réseaudense, vivant et vigilant d’associations, d’initiativeslocales d’insertion et d’inclusion, les fracturestraversant la société ne peuvent que se creuserdavantage. Sans une fonction sociale desentreprises, qui va au-delà de leur rôle deproducteurs de richesses, pour participer à l’effortgénéral de développement social (notamment parla formation professionnelle, la création d’emploisdiversifiés, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion,l’insertion socio-professionnelle des handicapés),les ressources vives de la société ne peuvent pasêtre correctement mobilisées.

Les actions et les initiatives dont l’Etat estresponsable ne sont acceptées comme telles que sielles expriment un intérêt général qui necorresponde pas seulement à l’idée que lesdécideurs politiques et administratifs s’en font,mais qui soit le produit d’une élaborationconcertée et d’une mise en œuvre partenarialeavec l’ensemble des acteurs économiques etsociaux concernés. Le nouvel environnementéconomique et social du pays confère plusd’autonomie aux acteurs privés dans la gestion deleurs décisions. Il est donc normal que les organi-sations qui subissent les conséquences desmesures politiques, législatives et réglementaires

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soient entendues et expriment leurs opinions surles mesures de politiques publiques. La nouvellestratégie nationale de développement socialproposée prône la création et le maintien d’unclimat de confiance mutuelle en tant que préalableindispensable à une concertation efficace entre lesdifférents acteurs de la vie économique et sociale.Cette confiance prendra tout son sens, si l’on veilleà l’inscrire dans une culture de coresponsabilité. Lagestion des décisions publiques et privées ne peutêtre améliorée qu’en motivant, valorisant etresponsabilisant les acteurs économiques etsociaux. L’évaluation des engagements mutuelsn’en sera que plus aisée.

Pour que les relations entre l’Etat et la société nesoient plus de simple tutelle, pour que l’intérêtgénéral puisse être effectif et garanti, l’essentieldépend en définitive de la richesse du tissu social,de la vitalité des médiations sociales, du dynamis-me des acteurs sociaux. La nouvelle stratégie, for-mulée à l’intention des pouvoirs publics, préconiseque ces derniers veillent en permanence à entrete-nir la vitalité et la richesse de ce capital social. Eneffet, l’efficacité de l’action publique n’est possibleque si l’Etat a en face de lui des acteurs (partis poli-tiques, syndicats, organismes professionnels, asso-ciations) suffisamment présents, à la fois pour êtreles représentants légitimes d’intérêts catégorielsou particuliers, et pour concourir à l’expression del’intérêt général. La qualité des médiations socialesest déterminante pour l’élaboration et la mise enœuvre de politiques publiques efficaces. Elle nel’est pas moins pour prévenir les conflits qu’ellespeuvent faire naître ou, à tout le moins, pour lesrégler autrement que dans l’incompréhension etl’affrontement.

C’est pourquoi la nouvelle stratégie implique lerenforcement de la démarche participative, cettedémarche incluant implication communautaire,partenariat et participation, est un facteur clé declarté, de transparence et de responsabilité. Elle estfondamentalement inclusive, cohésive, et favorisela reddition des comptes parce qu’elle précise lesdroits et obligations de chacun des acteurs. Cettedémarche participative pourra, bien entendu,prendre les formes différentes et variées selon la

nature des champs d’interventions, des institutionset des acteurs qui l’animent. Mais dans tous les cas,elle doit reposer sur une identification précise desacteurs et structures concernés, de leurs attribu-tions respectives, et de la nature des engagementsde chacune des parties. Dans tous les cas, elle doitreposer sur le principe de négociation, et des rap-ports de concertation et de dialogue entre l’Etat etles autres composantes de la société. La démarcheparticipative, dans le cadre de la nouvelle stratégie,devra préciser les règles du jeu concernant lechamp des responsabilités, les objectifs à atteindreet les modes d’évaluation des actions entreprises.Ce n’est qu’ainsi qu’elle parviendra à garantirl’équilibre des engagements réciproques.

En ce qui concerne la responsabilité plus spéci-fique du gouvernement dans la nouvelle stratégie,ce dernier, à l’aube de ce millénaire, affronte un défiparticulier qui est celui de la modernisation de l’ad-ministration et de la rationalisation de la gestionpublique. Pour répondre à ce défi, le gouverne-ment, au-delà des efforts qu’il déploie actuelle-ment, doit repenser les modalités d’interventionpublique et revoir l’efficacité des institutions quiont en charge les politiques publiques. Comptetenu des ressources énormes déjà affectées auxsecteurs sociaux, il doit redoubler d’efforts pourmieux utiliser les fonds publics et accomplir davan-tage avec le même niveau de ressources, ou avecmoins de ressources si celles-ci s’avèrent de plus enplus difficiles à mobiliser. Car il ne faut pas oublier,que quel que soit le gouvernement qui a la charge,à un moment ou un autre, de conduire la politiqueéconomique et sociale du pays, il sera toujoursconfronté à la conciliation entre deux logiques :celle de l’affectation efficace des ressources à l’éco-nomie, à la productivité, à la croissance et la pro-duction de richesses, qui impose de rechercher enpermanence l’allègement des contraintes et descharges. Et celle de l’Etat garant de la solidariténationale et de la cohésion sociale qui ne peut êtreassumée pleinement qu’en prélevant sur les pro-ducteurs de richesses. Il n’y a pas d’antagonismefatal et rédhibitoire entre ces deux logiques.Cependant, la qualité des arbitrages et de résolu-tion des conflits apparents entre ces deux logiques

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doit refléter les caractéristiques propres à notresituation, notre culture, nos valeurs et nos choixdémocratiques. C’est bien là que réside aujourd’huila problématique universelle à laquelle sontconfrontés tous les pays, quels que soient leursniveau de développement ou de richesses. Cetteproblématique centrale rend, pour tous les déci-deurs publics, extrêmement difficile de réaliser lesobjectifs d’expansion de la prospérité et les objec-tifs d’inclusion et de cohésion sociale.

Le gouvernement du Maroc,comme ses homologuesdes pays comparables ou des pays plus nantis, doitgérer les défis inhérents à un contexte particulier, uncontexte où l’on attend beaucoup,sinon tout de l’Etat: la maîtrise des équilibres macro-économiques, lamise à niveau compétitive du tissu productif, desréglementations incitatrices,une ouverture contrôlée,un Etat ‘’amaigri’’ peu cher mais pourtant efficace, etde l’autre côté un Etat garant de l’équité et de lasolidarité nationale, des citoyens exigeants quisouhaitent que leur besoins essentiels soient satisfaitsrapidement,au fur et à mesure de la montée de l’indi-vidualisme et du délitement et de l’épuisement desréseaux de solidarité traditionnels familiaux etcommunautaires.

Les défis sont tels qu’ils obligent à mobiliser toutesles ressources disponibles et potentielles, maissurtout à arbitrer l’allocation de ces ressources dansle but de trouver un bon équilibre entre l’efficacitééconomique et la cohésion sociale. Les difficultés demobilisation des ressources en faveur de l’effort dedéveloppement social doivent inciter le gouver-nement à réduire les gaspillages, les doublesemplois et les redondances, à accroître la macroefficience et la micro efficience de l’action publique.Il doit faire mieux non seulement en gérant mieuxses ressources, mais aussi et surtout en agissantdifféremment. L’ampleur et la lourdeur desréglementations affectent les structures et, dumême coup, la productivité des institutionschargées des interventions sociales. Une institution,ou une administration, fortement centralisée etrigide, qui privilégie les procédures au détriment del’initiative et de l’action, dresse implicitement desobstacles face à ses performances. Le rendement etl’efficacité du gouvernement dépendent aussi du

niveau de coordination et d’intégration existantentre ses différents départements et entre ceux-ci etles autres institutions publiques.

La nouvelle stratégie propose des moyens d’yparvenir de façon appropriée à la logique desparties en présence, notamment en développantdes relations horizontales et synchrones entredépartements partageant des intérêts communsou impliqués et imbriqués dans des objectifscommuns de développement social exigeant uneétroite collaboration et coordination.

L’ensemble de l’argumentation développée dansce paragraphe n’avait d’autre but que dedémontrer que la nouvelle stratégie nationale dedéveloppement social devra forcement êtredéployée sur une base territoriale, en faisant facede façon frontale, multisectorielle et multipartenariale aux problèmes de la pauvreté desinégalités sociales et de l’exclusion sociale.

1.4. LES DIMENSIONS TRANSVERSALES DE LA STRATÉGIE

Le terme transversal utilisé ici est peut-êtrequelque peu inapproprié, car tout le dévelop-pement social en lui-même constitue unepolitique sociale transversale (comme nousl’avons précisé au chapitre I). En fait, les experts,auteurs du présent document, ont intitulé cettesection ‘’Dimensions transversales de la stratégie’’par commodité pour pouvoir traiter des aspectsparticuliers de la stratégie relatifs à la jeunesse, augenre et aux groupes sociaux fragiles (femmes etenfants en situation difficile, personnes âgées,handicapés…), la lutte contre la pauvreté etl’exclusion sociale faisant l’objet d’un dévelop-pement spécifique.

1.4.1. La dimension relative à la jeunesse

Par jeunesse, on entend ici des jeunes âgés de 15 à34 ans : 15 ans, c’est l’âge légal du travail, 18 ans,c’est déjà au Maroc l’âge légal de droit de vote et34 ans en raison de l’âge de plus en plus tardif aumariage, et à l’entrée dans la vie active (beaucoupde jeunes diplômés chômeurs ont franchi le capdes 30 ans), et en raison des traditions patriarcalesqui caractérisent la civilisation arabo-musulmane

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et méditerranéenne. Ces jeunes âgés de 15 à 34 ansreprésentent un pourcentage très important de lapopulation qui ne va pas cesser de croître jusqu’en2015 environ. Au-delà de cette date, cette aubainedémographique va décliner progressivement et nese reproduira pas de sitôt. C’est donc un potentielformidable pour l’avenir du pays qu’il s’agit de fairefructifier et qu’il s’agit de ne pas dilapider (dansl’émigration, dans l’exclusion, dans les crisesciviques, etc.).

Bien entendu, une stratégie nationale d’inclusionde la jeunesse ne peut pas incomber au Ministèredu Développement social ni au Secrétariat d’Etat àla jeunesse ni à l’Etat seul. Elle concerne l’ensemblede la société : les familles au premiers chef, maisaussi la société civile, les collectivités locales, lesentreprises publiques et privées. Elle incombe aussià la responsabilité de l’Etat, mais à tout l’Etat et àtoutes ses structures : éducation, formation, emploi,économie et finances, habitat, urbanisme,agriculture, tourisme, artisanat, jeunesse, sports,loisirs, culture, affaires religieuses, etc.

La nouvelle stratégie nationale de développementsocial met l’inclusion de la jeunesse au tout premierrang des priorités sociales du pays, car parmi lespauvres et les exclus, il y a beaucoup de jeunes d’unepart, et d’autre part ne pas inclure les jeunes, aumoyen de l’ensemble des politiques d’insertionsociale active,c’est se résigner à alimenter la machinede l’exclusion. Si, comme le dit l’adage bien connu,l’inclusion progresse, l’exclusion galope.

(i) Cette stratégie commence par l’appui et le sou-tien scolaire, la rétention scolaire, la prévention dela déperdition scolaire. Car l’échec scolaire veutdire l’échec professionnel, l’échec social et l’écheccivique.

(ii) Pour les jeunes déjà déscolarisés, la stratégiedoit se poursuivre par le renforcement desprogrammes d’éducation non formelle et l’alpha-bétisation des jeunes adultes, le renforcement de laformation professionnelle et par apprentissage,l’insertion par l’emploi non qualifié, par l’autoemploi, par le micro crédit, par les activités généra-trices de revenus, par l’accès aux activités socio-éducatives et culturelles et sportives. En effet, des

activités artistiques et sportives de haut niveaupeuvent constituer des moyens de promotionsociale réussie pour de très nombreux jeunes dontl’école et les structures éducatives en généraln’exploitent pas tous les talents.

La stratégie d’inclusion de ces jeunes menacésd’exclusion sociale doit mobiliser toutes lesénergies : clubs de sport, académies de formationsportive, pépinières et recherche de talents, conser-vatoires, maisons de la culture, maisons de lajeunesse, maisons de citoyens, théâtres et ateliersde formation aux différents arts, entreprisespubliques et privées et tous les sponsors quipeuvent servir de soutien ou de mécénat en appuiaux jeunes talents. La stratégie d’inclusion de lajeunesse doit en particulier réhabiliter le sportscolaire et universitaire et revitaliser lescompétitions sportives interscolaires et interuni-versitaires. Elle doit s’efforcer de multiplier lesinstallations sportives, culturelles et de loisirs etharmoniser leur distribution sur les quartiers et lesterritoires où habitent ces jeunes. Ces dispositifsd’inclusion et d’insertion sociale et sociétale par lesarts, la culture et le sport ne sont pas bien entenduréservés à cette catégorie de jeunes ayant eu desdifficultés scolaires, ils doivent être rendusaisément accessibles à la totalité des jeunes.Seulement, il faut bien comprendre que cesdispositifs (qui doivent être multipliés dans un paysqui a produit des Aouita, El Guerrouj, ou Nawal ElMoutauakil) représentent des secondes chances etdes moyens puissants de prendre l’ascenseur socialgrâce à ses propres capacités naturelles que l’écolen’a pas su ou n’a pas pu développer. Ces argumentsplaident pour la mise en place d’une véritableéconomie du sport procurant des rémunérationsprofessionnelles incitatives à tous les jeunes talentsqui sont actuellement en friche ou en jachère.

Les objectifs de cette stratégie d’inclusion socialeactive de la jeunesse ne résident par seulementdans l’insertion réussie par l’emploi, la mise envaleur des différents dons et talents des jeunes, lerevenu, ils visent plus globalement le renforcementde la cohésion faciale et du sentiment d’appar-tenance à une communauté solidaire et soucieusede l’avenir de ses enfants. Les jeunes n’ont pas

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seulement besoin de travail et de revenu, ilsdemandent du sens et ils veulent accéder à lamodernité et à la société de consommation sansrenier pour autant les valeurs collectives danslesquelles ils ont été éduqués.

(iii) Le problème majeur, central, et crucial que doitaffronter la nouvelle stratégie d’inclusion de lajeunesse reste et restera encore pendant plusieursannées, l’emploi des jeunes et notamment l’emploides diplômés et des jeunes lauréats de la formationprofessionnelle. Dans un pays qui affiche un taux dechômage urbain de 20%, qui compte prés de 1,5million de chômeurs (officiellement, 1.296.000 maisles statistiques concernant le chômage rural sontdifficiles à croire) et qui compte plus de 30% de tauxde chômage parmi les jeunes diplômés, il faut toutfaire pour augmenter l’emploi des jeunes qui arriventsur le marché du travail de plus en plus instruits, deplus en plus formés et de plus en plus diplômés.Cettecrise sociale majeure risque de dégénérer en crisecivique si les performances de l’économie et de lapolitique de l’emploi ne sont pas singulièrementaméliorées. En effet, en l’absence de telles amélio-rations (un taux de croissance économique moyensupérieur à 5%, des investissements plus riches enemplois, des mutations économiques sectoriellesplus motrices et plus créatrices d’emplois et desmesures actives par l’emploi plus efficaces), les chosesne peuvent qu’empirer.

Les termes de l’équation sont simples : au cours desdix prochaines années, les nouveaux arrivants sur lemarché du travail vont évoluer à un rythme annuelmoyen de 400.000 par an (surtout si l’on tientcompte du taux de féminisation accru de l’activité),ils vont débouler dans un système économique etun tissu productif qui ne s’est révélé capable (aucours des dix dernières années) de créer qu’un peuplus de 200.000 emplois par an en moyenne. Il fautajouter à cette équation les risques accrus dedestruction d’emploi liés à l’ouverture del’économie et aux enjeux de compétitivité et deconcurrence internationale et les risques accrus deprécarisation du travail (beaucoup d’emplois crééssont au SMIG ou sous le SMIG en raison de l’aspectintermittent, saisonnier ou à temps partiel querevêtent les nouvelles formes de travail).

Alors ? Que préconise la stratégie d’inclusion desjeunes par l’emploi dans de telles conditionsdégradées du marché du travail ? La premièreproposition est aussi la plus fondamentale : face àl’ampleur de ce problème, des menaces qu’il faitpeser sur la cohésion sociale et la fracture qu’iloccasionne entre les différents modes identitairesd’appartenance sociale, il ne faut plus tout attendrede politiques publiques économiques et sociales‘’intelligentes’’ de l’Etat, mais essayer de créer et demettre en œuvre une véritable ‘’intelligencesociale’’ collective qui puisse prendre à bras lecorps ce problème qui menace toutes les familles(que leurs enfants aient accès à l’emploi ou non).

Certes ni l’investissement ni l’emploi ne peuvent sedécréter, c’est le climat de confiance psycho-logique d’une part et les incitations positivesd’autre part, qui en fin de compte décident lesacteurs privés nationaux et étrangers à investir, àentreprendre et donc à créer des emplois. Certes,aussi, le premier objectif des entreprises n’est pasl’emploi, mais le profit et la défense de leur positionsur le marché. La concurrence accrue les pousse àrationaliser au maximum leur activité pour réduireleurs prix, ce qui les conduit le plus souvent, nonpas à recruter mais à licencier. Car quelles quesoient les incitations gouvernementales aurecrutement et à la création d’emplois, uneentreprise ne prend la décision de recruter que parrapport à un besoin de production économique oud’organisation évidents. Celle qui répond favora-blement aux incitations de baisse des chargessociales par exemple n’est pas forcément uneentreprise plus ‘’citoyenne’’ que les autres : sadécision de recruter, dans ce cadre, des jeunesdiplômés chômeurs ou des jeunes lauréats de laformation professionnelle, si elle ne correspondpas explicitement à ses besoins économiquementrationnels, est sûrement dictée par un effetd’aubaine qu’elle compte rééditer aussitôt que lesdélais prévus par la mesure sont échus. Au passage,on signalera qu’aucun effort d’évaluation de cetype de mesures incitatives à l’emploi n’a encoreété réalisé à ce jour, au passage on signalera aussique par rapport à l’équation tétanisante du marchédu travail (citée ci-dessus), le bilan d’activité

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présente par l’ANAPEC pour l’année 2003 fait étatdes chiffres suivants : 49 138 chercheurs d’emploisinscrits, dont 43% de femmes et dont 26% dediplômés et 31,7% de techniciens diplômés de laformation professionnelle ; 25.497 offres d’emploisformulées par les entreprises (3471 entreprises) ; 17085 personnes ont été insérées dont 71% sontâgés de moins de 30 ans (pour un âge moyen de 27ans) et dont 51% sont des femmes. Dans cesinsertions, seulement 59% ont bénéficié decontrats de travail de droit commun, le reste abénéficié de contrats d’insertion. A l’évidence, cebilan est bien maigre compte tenu des moyensdéployés ; ni les offres d’emploi ni les chercheursd’emploi ne se bousculent au portillon desdifférents guichets de l’ANAPEC. La crise deconfiance qui a ébranlé cette institution, aulendemain de sa création, y est certainement pourquelque chose et représente un des stigmates lesplus apparents des dysfonctionnements de lagouvernance des institutions publiques.

Ainsi cette première proposition fondamentale faitreposer la bataille pour l’emploi sur toutes les com-posantes de la société : grandes entreprisespubliques et privées et leurs pépinières et leursessaimages à travers la sous-traitance, entreprisesprivées ‘’citoyennes’’ ou non, associations de lasociété civile et leurs initiatives d’activités généra-trices de revenu et de micro crédit, secteur de l’éco-nomie informelle et ses capacités énormes d’incor-poration sociale active des jeunes travailleurs nonqualifiés, emplois d’utilité collective, emplois crééspar l’économie sociale et les coopératives, emploiscréés et à créer par l’extension considérable du rôledes collectivités locales à l’avenir, etc.

Pour autant, la deuxième proposition de la straté-gie d’inclusion de la jeunesse par l’emploi nedédouane pas l’Etat de ses responsabilités enmatière de politique macroéconomique et de poli-tique de l’emploi. Cette deuxième propositionconcernant la stratégie politique d’inclusion de lajeunesse, par l’emploi et le revenu, comporte desrecommandations qui sont en phase avec ladimension macroéconomique de la stratégie dedéveloppement social décrite à la section 1.2. de cechapitre. Ces recommandations sont les suivantes :

a) Un effort de plus en plus soutenu en faveur dujeune capital humain : ce qui inclut l’améliorationdes performances de l’éducation nationale, la cor-rection des déséquilibres et des inadéquations dela formation à l’emploi en décentralisant auxniveaux régional et provincial tous les dispositifsde formation professionnelle et de renforcementde l’employabilité, l’intégration des jeunes femmessur le marché de l’emploi en assurant de façonconcrète l’effectivité de l’égalité des chances et desrémunérations à compétence égale.

b) Un effort soutenu pour assurer une croissanceplus forte, plus régulière, plus riche en emplois etaffranchie de la contrainte climatique. Cet effort,qui devrait aboutir à une croissance supérieure à5%, ne doit pas seulement être d’ordre quantitatifmais aussi qualitatif et canaliser les investissementsvers les secteurs appropriés.

c) Une vision d’ensemble de la politiqueéconomique ayant un lien très étroit avec l’objectifde résorption du chômage de masse : malgré laprofusion des mesures et des outils incitatifs àl’emploi, l’efficacité globale de ces mesures et deces outils reste modeste. Le phénomène duchômage ne peut être vaincu par une conjugaisonde mesures isolées ; les efforts pour le vaincredoivent être déployés de façon cohérente. Cettecohérence doit réunir le domaine législatif, institu-tionnel, procédural, financier, économique et social.

L’élargissement des opportunités d’emploisnécessite une mobilisation de l’épargne à des finsd’investissement productif d’emplois. Mais ellenécessite aussi, parallèlement, un environnementserein et sécurisant pour l’entreprise, qui offre desgaranties juridiques, des procédures simplifiées,une fiscalité lisible et stable dans ses constituantset donc peu sensible aux sollicitations conjonc-turelle des lois de finances annuelles et un climatsocial apaisé entre partenaires sociaux.

d) La stratégie d’inclusion de la jeunesse concerneaussi le champ politique. L’abaissement de l’âgelégal de droit de vote à 18 ans est une excellenteinitiative en soi, pourtant les jeunes ne se sont pasprécipités vers les urnes. La raison en est uneprofonde dépolitisation de la jeunesse marocaine

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et l’extrême méfiance qu’elle entretient avec lesstructures partisanes. A l’exception d’une minoritéqui succombe au prosélytisme politique utilisantl’islam comme référent fondamental et d’uneproportion plus importante de jeunes quiprivilégient les valeurs de l’islam dans l’organi-sation de la vie sociale, la grande majorité desjeunes Marocains ne manifestent aucun intérêtpour la sphère politique. Cette situation estd’autant plus préoccupante que les deuxgénérations précédentes de jeunes étaientextrêmement politisés. A l’évidence, il ne faut paspasser d’un abus à l’autre. Il est nécessaire deréconcilier, aujourd’hui, les jeunes avec la politique.Cette mission incombe, en premier lieu, aux partispolitiques dont l’un des rôles fondamentauxd’intermédiation sociale consiste à encadrer et àmobiliser la jeunesse du pays dans des projets desociété. Le projet de loi sur les partis politiquespeut être en mesure de mettre fin à cet autre typede fracture sociale (entre les générations).L’inclusion politique de la jeunesse est un devoircivique pour les structures qui constituentl’échiquier politique. A défaut de cette inclusion, lepays peut se retrouver en panne de renouvel-lement de son personnel politique et de sa classepolitique. L’un des objectifs fondamentaux de lanouvelle stratégie nationale de développementsocial est clairement de nature politique. Enrendant plus formelle, plus lisible et plus visiblel’action sociale publique de l’Etat, on peut réussir àmettre à l’abri une très grande partie de la jeunessedes pratiques prosélytiques intégristes extrêmistesqui prospèrent sur le terrain des déficits sociaux.

e) Pour une inclusion sociale plus efficace de la jeu-nesse, il faut développer un meilleur système d’in-formation sociale sur ses problèmes spécifiques. Lecentre d’orientation de l’information de la jeunesseen cours de création, les maisons de jeunes, les mai-sons du citoyen, les enquêtes sociologiques, peu-vent participer au recueil de l’information socialeutile à la programmation des actions en réponseaux problèmes que vivent les jeunes.

De même, le partage de la maîtrise d’ouvrage entreles associations de quartiers, le ministère de l’habitatet de l’urbanisme, le secrétariat d’Etat à la jeunesse, le

ministère du développement social, le ministère de laculture, le ‘’futur’’ haut commissariat aux sports, leministère des transports, et bien entendu au premierchef les collectivités locales concernées, apparaîtaujourd’hui indispensable pour dessiner les contoursd’un environnement de vie plus favorable àl’inclusion des jeunes. Cette problématique n’est passeulement urbaine, elle interpelle aussi les respon-sables du développement rural, de l’agriculture et del’aménagement du territoire ainsi que les agencesspécialisées chargées du développement du Nord etdu Sud du pays.

En effet, les jeunes ont des problèmes d’accès àl’emploi, aux infrastructures sportives et socio-éducatives, aux loisirs, etc. Mais ils ont aussi desproblèmes de transport, de logement en coursd’études et après les études, de fondation decouples stables pour reproduire le modèle familialet sociétal. D’après les enquêtes récentes réaliséessur ces sujets, l’une des premières causes du reportde plus en plus tardif de l’âge au premier mariage(27-28 ans pour les femmes et plus de 30 ans pourles hommes) est la crise du logement et ensuiteviennent la crise de l’emploi et l’insuffisance durevenu, les transformations des mœurs, lapréférence d’union avec un conjoint disposant luiaussi d’un emploi ou d’un salaire, etc., l’impact de laMoudawana arrivant en dernière position, surtoutpour les jeunes femmes enquêtées. Ces problèmessociaux affectant les jeunes et à peine effleurés parl’une ou l’autre de ces enquêtes doivent attirerl’attention des responsables du développementsocial. Ces problèmes n’affectent pas que les jeunespauvres. En milieu urbain, ils concernent déjà lesjeunes issus des classes moyennes.

Les chiffres suivants doivent faire réfléchir lesresponsables : à Casablanca, le salaire moyen d’uncadre Bac + 4 n’excède pas 5.000 DH à 6.000 DHnets d’impôts et de charges sociales. Ce niveau derémunération est à confronter avec le niveau duloyer d’un appartement auquel peut aspirer cecadre moyen et qui dépasse assez souvent sonsalaire. Alors que peut-il rester pour le transport, lanourriture, le mode vestimentaire et de consom-mation auquel il aspire, l’entretien d’une épouse,les coûts d’un enfant ? Bien sûr, il y a toujours, pour

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lui, la possibilité d’épouser une jeune femme cadreayant elle aussi un emploi ou un salaire, et c’est cequi se passe aujourd’hui le plus souvent dans laréalité et pas seulement dans les sondages. Maistrès vite, la nécessité de faire face aux traites d’unevoiture, aux coûts d’une employée de maison, àl’absence ou à la cherté des crèches, aux facturesd’eau et d’électricité, du téléphone portable, del’abonnement Internet… rend ces ressourcescumulées insuffisantes ; ou bien l’une ou l’autre desdeux familles d’origine arrive à subventionner tantbien que mal ce jeune couple de la classemoyenne, ou bien au contraire, ce jeune couple a lacharge supplémentaire de subvenir aux besoins deparents impécunieux. Ces situations vécues par lesjeunes de la classe moyenne sont moins exception-nelles qu’on ne l’imagine. Elles sont responsablesdes décohabitations différées avec les parents, oudes recohabitations forcées soit par nécessitématérielle, soit comme résultat de divorces de plusen plus fréquents. C’est dire la nécessité dedévelopper une information et une vision plusexhaustive des problèmes que vivent les jeunes etd’intégrer dans la programmation du dévelop-pement social la participation de ressourceshumaines variées : associations de jeunes,échantillons variés de jeunes selon le niveausocioéconomique ou la catégorie socioprofes-sionnelle, psychologues, sociologues, anthropo-logues, etc.

1.4.2. La dimension sociale relative au genre

Le Code de la famille est, en soi, un progrèsremarquable ; la modification du mode de scrutinélectoral et l’instauration de quotas féminins dansla représentation politique aussi. Ces deuxavancées, pour positives qu’elles soient, nesuffisent pas à améliorer significativement laposition des femmes dans la société et leur pleineparticipation au processus de développement.

La nouvelle stratégie nationale de développementsocial propose une approche genre systématiqueen matière d’éducation, d’emploi, de revenu,d’inclusion politique, économique et socialeégalitaires. Les jeunes femmes, en effet, sontexposées à un double risque d’exclusion, d’abord

en tant que femmes, ensuite en tant que jeunes.Les jeunes femmes sont aussi exposées à unemorbidité et à des causes de mortalité spécifiquesau sexe. Les femmes dans leur ensemble, jeunes etmoins jeunes, sont exposées à des discriminationsnombreuses malgré les textes et les dispositionsinstitutionnelles censées les protéger et leurgarantir une égalité de traitement devant la loi. Endehors des risques sanitaires spécifiques, ellespâtissent d’un taux d’analphabétismeextrêmement élevé qui est le reflet actuel depolitiques sociales menées dans le passé et qui, enmatière de genre, n’ont été ni inclusives, nicohésives, ni politiquement responsables. Enconséquence, la nouvelle stratégie formule lesrecommandations suivantes :

i. Intensification des programmes d’alphabéti-sation fonctionnelle, d’éducation non formelle,d’apprentissage, de formation professionnelle,d’activités génératrices de revenus et demicrocrédit pour les femmes.

ii. Amélioration des conditions d’accès aux postesde responsabilité dans la fonction publique, dansles fonctions politiques, dans l’entreprise et, d’unefaçon générale, recherche d’une égalisation dessituations en matière de responsabilité sociale,économique, familiale et juridique. En somme, ils’agit d’augmenter singulièrement l’indice departicipation des femmes (IPF).

iii. Amélioration de la santé reproductive en dimi-nuant de façon drastique les taux inadmissibles demortalité et de morbidité maternelles.

iv. Vigilance dans l’application des dispositions dunouveau Code de la famille en assurant un suivirégulier des décisions des tribunaux en la matière.

v. Vigilance accrue en matière d’IST-SIDA : certes lesIST et l’infection par le VIH ne sont pas l’apanage desfemmes ; elles constituent des menaces pour la santédes adolescents et des jeunes en général. C’estpourquoi cette section aurait pu aussi bien êtretraitée dans la partie relative à la jeunesse. Mais lesfemmes constituent une proportion de plus en plusimportante des cas déclarés d’IST et de SIDA. Les ISTclassiques (hors SIDA) sont souvent l’expression

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symptomatique silencieuse chez les femmes(gonococcies, trichomonases, chlamydiase, herpès,etc.), d’où probablement une énorme proportion desous-déclaration chez les femmes victimes d’IST. Lasurexposition des femmes aux risques d’IST-SIDA estliée à trois facteurs : le mode culturel dominantattribuant une relative liberté sexuelle à l’homme.L’expansion de la prostitution - sous la pression desdifficultés économiques et du délitement desmœurs. Le cosmopolitisme sexuel lié à la globali-sation et au développement du tourisme (ce dernierfacteur affecte aussi les enfants et les adolescentstous sexes confondus).

La vigilance accrue est justifiée par les chiffresconcernant le VIH-SIDA publiés dernièrement par leministère de la santé. Selon ces chiffres, le SIDAtouche de plus en plus les femmes et les femmes deplus en plus en jeunes.Sur les 1557 cas répertoriés etavérés en 2004 (en progression de 20% par rapportà 2003), 600 cas sont des femmes, soit 38% du total.Ce sont les plus jeunes d’entre elles qui sont le plustouchées : 35% sont âgées de 15 à 27 ans, 45% de 30à 39 ans et 18,5% ont 40 ans et plus. La majorité deces femmes atteintes du VIH sont urbaines et sontmariées, ces dernières représentant 33% contre 19%pour les célibataires et 30% pour les divorcées (cesdeux derniers chiffres soulignent le rôle manifestede la prostitution).

Sur les 1557 personnes malades du SIDA, tous sexesconfondus, 65% des cas appartiennent à la tranched’âge comprise entre 15 et 39 ans,ce qui correspond àla tendance mondiale ; mais dans 75% des cas, latransmission s’est faite par voie hétérosexuelle, ce quicorrespond à la tendance africaine. Des incertitudesdemeurent quant au taux réel de prévalence du VIH-SIDA au Maroc (nombre de séropositifs) ; on l’estimeen général à un peu moins de 1% de la population.C’est une raison de plus d’augmenter la vigilance et derenforcer la coopération des organismes à impliquerdans cette vigilance (ALCS, Croissant rouge, OMS,ONU-SIDA, UNICEF et ministère de la santé). Letraitement par trithérapie est gratuit au Maroc et il esten cours de décentralisation. Encore faut-il luttercontre les attitudes stigmatisantes et les pratiquesdiscriminatoires vis-à-vis des femmes et des jeunesatteints de SIDA,surtout en matière d’accès à l’emploi.

1.4.3. La dimension relative aux groupes à risque

La stratégie qu’il faut déployer en direction de cesgroupes sociaux fragiles a déjà été traitée engrande partie dans le chapitre précédent. On secontentera ici d’insister sur les volets suivants : laprévention, la réglementation et la législation.

(i) La prévention : la prévention des handicaps etdes causes d’invalidité de toute nature estsocialement beaucoup moins coûteuse etbeaucoup plus rentable qu’une simple politiquesociale de réparation. Ce constat, de bon sens,interpelle la politique de santé, la politique desécurité au travail, la politique de sécurité routière,etc. Les morbidités maternelle et néonatale, étantdonnées les conditions dans lesquelles se déroulele suivi médical de la grossesse et de l’accou-chement, générent un nombre très important dehandicaps, évitables par nature. Autant on ne peutrien contre les conséquences de la loteriegénétique qui produit des handicapés que lasociété est bien obligée de prendre en charge.Autant on doit exiger beaucoup plus de résultatsde la politique de santé, de la santé et de la sécuritésur les lieux de travail, de la sécurité routière. Lesrésultats de l’enquête nationale sur le handicap,lancée en 2004 par le Secrétariat d’Etat chargé despersonnes handicapées seront vraisemblablementtrès éclairants, à cet égard, s’ils parviennent àchiffrer les handicaps et les invalidités par causes.

Les départements concernés (ministère du dévelop-pement social, santé, emploi et travail, transports,intérieur, sûreté nationale et gendarmerie) devraientmettre en place une structure de concertation et decoordination permanente dédiée au suivi desmesures de prévention du handicap et de l’invalidité,ainsi qu’à l’évaluation périodique des résultats de cesmesures.

(ii) La réglementation et la législation

· En ce qui concerne les handicapés, il n’y a rien àinventer. Il n’y a qu’à s’inspirer des nombreusesmesures existantes dans les pays développés ; enmatière d’accessibilité et d’aménagementsurbains, en matière de transports, en matière demedia (pour les mal voyants ou les mal

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entendants), en matière d’insertion scolaire etsocioprofessionnelle (quotas dans la fonctionpublique et les entreprises privées), en matière denormes d’appareillage, de centres d’héber-gement, etc. Certes, beaucoup d’actions ont déjàété accomplies ou projetées au niveau duSecrétariat d’Etat ; mais on ne fera jamais assezdans ce domaine d’une part, et il faudra sanscesse communiquer, sensibiliser les citoyens,élever leur conscience civique vis-à-vis de cesproblèmes d’autre part.

· En ce qui concerne la protection de l’enfance et de lacondition féminine, la législation marocaine est déjàtrès avancée dans ces deux domaines. En outre, leSecrétariat d’Etat a en chantier un projet de Code del’enfant destiné à rassembler et à compléterl’ensemble des dispositions juridiques existantes,comme il compte lancer en 2005 un SAMU social àCasablanca.De très nombreuses associations, ligues,observatoires, centres d’information et dedocumentation constituent un système de veilleactive. Pour autant, des pathologies sociales graves,sans être spécifiques au pays, comme l’exploitationdes enfants au travail ou dans un but de mendicité,les abus sexuels sur les femmes et les enfants et laviolence à l’égard des femmes (le plus souvent dansle cadre de couples mariés) nécessitent desdispositions juridiques et réglementaires plusappropriées. La nouvelle stratégie recommande desdispositions réglementaires et juridiques adaptées àla lutte contre ces fléaux sociaux : ces recomman-dations vont de l’exigence d’une efficacité accruedes services de l’inspection du travail à l’obligationde déclarer les gens de maison (bonnes, travailleursdomestiques, aides familiaux, etc.) à la CNSS, jusqu’àdes mesures juridiques plus dissuasives en ce quiconcerne les contrevenants à la législation du travailet les auteurs de violences sur les enfants et sur lesfemmes.

· En ce qui concerne les personnes âgées, lalégislation doit faire appel essentiellement àl’extension de la protection sociale par lessystèmes de retraite et d’assurance-maladie, afinqu’au crépuscule de leurs jours les travailleurspauvres ne soient privés ni de gîte, ni de couvert,ni de soins, et que la société solidaire leur évite

une trajectoire de clochardisation ou de SDF.L’Etat marocain est déjà confronté à cetteproblématique que d’autres pays un peu plus‘’vieux’’ ont expérimentée avant lui. La solutionne peut pas résider que dans la protection del’Etat, la consolidation des valeurs familiales etcommunautaires est aussi en jeu. Il appartientaux pouvoirs publics de ne pas laisser se déliterces valeurs éthiques et sociales qui sont lamarque profonde de notre société.

1.4.4. La dimension relative à la protection sociale

Au chapitre I on a défini la protection socialecomme un domaine fondamental parmi les troisprincipaux domaines classiques des politiquessociales. Au chapitre II on l’a évaluée au même titreque les politiques publiques qui n’ont pas decaractère transversal. Alors, pourquoi lui attribuer,ici, une dimension transversale dans la stratégie ?A cette question, les experts apportent unedouble réponse :

- d’une part, une grande partie des recommanda-tions stratégiques ont été formulées en mêmetemps que l’évaluation ; car dans ce domaine, plusque dans d’autres, l’évaluation comporte en elle-même les réponses qui en découlent ;

- d’autre part, par ce parti pris, les experts ont ledessein d’établir un lien étroit entre la stratégiede développement social et les mesures deprotection sociale.

Quelle en est au juste la raison ? La raison estsimple : il faut absolument, dans l’esprit de lanouvelle stratégie, passer d’une logique deréparation des déficits sociaux à une logique deprévention de la pauvreté et de l’exclusion. Cettedémarche n’est possible que si l’on décided’incorporer à la stratégie de développement socialles outils et les instruments de la protection sociale.On a, auparavant, abondamment évoqué ladispersion institutionnelle et les cloisonnementsqui handicapent et entravent l’efficacité despolitiques et des programmes de développementsocial. Or le cloisonnement que l’on est en traind’évoquer est de taille. Comment serait-il possible

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d’enrayer la machine de l’exclusion sans desdispositifs de prévention et de protection adaptés ?On ne veut pas entendre par là que les pouvoirspublics n’ont pas une politique de protectionsociale, on veut simplement entendre que cettepolitique n’est peut-être pas adaptée aux besoinsdu développement social du pays ; on veut aussientendre qu’une stratégie nationale ambitieusede développement social implique un pôle socialpolitiquement fort, doté d’une vision prospectiveet d’une démarche globale cohérente. L’Etat est legarant ultime de la cohésion sociale ; il doit doncse donner les moyens de remplir ce rôle en sedotant d’une organisation et des outils d’expertiseet d’évaluation qui lui soient appropriés.L’approche synthétique du champ social estrendue d’autant plus nécessaire que ce champ estfractionné entre plusieurs ministères ousecrétariats d’Etat et diverses institutions chargéesde piloter des dispositifs spécifiques, transversauxou simplement catégoriels. Il est donc urgent dedéfinir une approche globale et cohérente de laprotection sociale en l’appuyant sur les objectifsde développement social et en l’articulant sur unnombre très limité de ministères aux prérogativesclaires et fortement coordonnés entre eux. Sansplaider pour un grand ministère des affairessociales réunissant plusieurs secrétariats d’Etat oupar un ministère encore plus grand dédié à lacohésion sociale (encore que !), la préoccupationdes experts, qui par définition sont entièrementlibres par rapport aux calculs politiques quiprésident à la configuration des organigrammesdes gouvernements, est entièrement motivée parun souci d’efficience de la stratégie nationale dedéveloppement social ; d’autant que notresystème de protection sociale est le résultat de‘’compromis institutionnalisés’’ qui n’ont plus rienà voir avec les besoins sociaux de la sociétémarocaine contemporaine. Ce système est en effetle produit de briques empilées les unes à côté desautres, de strates successives faites de mutualitécorporatiste, d’assurances sociales au profit detravailleurs occupés dans des secteurs protégés et defilets sociaux de sécurité au profit des pauvres nonenrôlables dans ces systèmes. Depuis, la sociétémarocaine a profondément évolué, des pans entiers

de la population active non salariée ne bénéficientd’aucune protection légale. Le salariat n’étant pasencore devenu le mode prédominant d’activité,dansnotre pays, ce gap de protection sociale pose unproblème en soi ; surtout que de très nombreusesinitiatives de développement social de l’Etat et de lasociété civile appuyées par la coopération interna-tionale contribuent, en fin de compte, à générer del’emploi non salarié. La sécurité matérielle de cesformes d’emploi et la protection des capacités degain des chefs de ménages concernés (hommes oufemmes), leur capacité à résister aux chocsclimatiques, économiques et sociaux, interpelle déjàle système de protection sociale et l’interpellera deplus en plus à l’avenir. C’est donc tout le systèmenational de protection sociale qui doit être mis àniveau : à la fois pour développer l’ingénierie de laprotection sociale en direction des groupes sociauxnon couverts et pour redéfinir le mandat initial defilets de sécurité qui laissent passer beaucoup degens à travers leurs mailles.

A propos de ce dernier point, les gens quinécessitent l’intervention des filets de sécuritésont la plupart du temps des gens qui méritentd’être aidés par des interventions variées corres-pondant à la multiplicité de leurs difficultésquotidiennes. Ce simple constat plaide pour unregroupement des informations socialesconcernant ces personnes et pour un regroupementdes instruments censés leur venir en aide.Le gouver-nement doit prendre en compte cette idée simple :les gens pauvres et dans le besoin requièrent desaides et des interventions multiples et coordonnées.Il n’est pas bon que les informations qui servent desupport à ces interventions et que les instrumentschargés de ces interventions continuent à êtredispersés. Une simple intégration et une simplecoordination des informations sociales et desinstruments d’intervention sociale ne sont peut-êtrepas la bonne solution. Il faut peut-être envisager unregroupement institutionnel de l’information àcaractère social et de la construction des réponses àcette information. Par exemple, un dispositif commele RAMED peut être utilement complété par desdispositifs de micro-assurance, ce qui soulageraitd’autant le fardeau des dépenses publiques.

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2. LE PROGRAMME NATIONAL DE LUTTECONTRE LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION

La démarche stratégique adoptée par les experts aréservé un traitement particulier à ce volet. En fait,un grand nombre d’aspects relatifs à la lutte contrela pauvreté, les inégalités sociales, l’exclusionsociale et la précarité ont déjà été abordés lors duparagraphe précédent. Ce choix de traiter lastratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusiondans une section à part est dicté par plusieursraisons, dont la plupart sont d’ordre opérationnel.En effet, dans ce domaine précis, la stratégieproposée par les experts est fortementdichotomique ; elle se décline en deuxcomposantes très distinctes : une stratégiespécifique en milieu rural et une stratégiespécifique en milieu urbain.

Pourquoi cette dichotomie ? On pourrait dire qu’el-le s’impose d’elle-même en raison de tous les argu-ments que l’on a développés au cours des deuxchapitres précédents ; mais ce serait une réponsetrop simple, pour ne pas dire simpliste. Sans faire dedistinguo intempestif entre les citoyens ruraux eturbains de ce pays (on a suffisamment insisté surles droits fondamentaux, les libertés civiques etpolitiques, le préalable démocratique), il est cepen-dant clair que les deux problématiques sont trèsdifférentes et très inégales. Au préalable, du reste, ilest peut-être utile de faire une précision d’ordresémantique et conceptuel : en milieu rural, il s’agitsurtout de lutter contre la pauvreté ; en milieuurbain, il s’agit de lutter aussi contre la pauvreté,mais surtout contre l’exclusion. On retrouve ici l’in-térêt de la clarification conceptuelle à laquelle on aprocédé dans le premier chapitre de ce document.

D’un autre côté, les progrès apportés par la cartecommunale de la pauvreté sont trop considérablespour ne pas être exploités sur le plan opérationnel.En effet, ce travail remarquable accompli en com-mun par la Banque mondiale et le HautCommissariat au Plan offre désormais une base deprogrammation inespérée jusque là. Les donnéesrelatives à la pauvreté et à la vulnérabilité écono-mique désagrégées au niveau le plus fin possibleprocurent des possibilités de ciblage local extrê-

mement intéressantes. En conséquence, on va par-tir de cet acquis pour jeter les bases de la stratégiede réduction de la pauvreté en milieu rural.

2.1. LA COMPOSANTE RURALE DU PROGRAMME

Encore une fois, nous insisterons sur le fait que lesoutils et les instruments d’intervention ne doiventpas être remis en cause. Ce qui importe, ce n’est pastant le nombre et la variété de ces instruments,mais leur finalité. Or, cette finalité, comme nousl’avons déjà affirmé, est globalement bonne. Il n’y adonc pas lieu de proposer des outils et des instru-ments nouveaux ou de contribuer à leur inutileprolifération. Ce qui importe vraiment, c’est la miseen cohérence spatiale et temporelle des interven-tions de développement social en milieu rural surla base territoriale la mieux ciblée possible. Leministère du développement social a pu constater,lors de l’élaboration de son programme social deproximité, que les initiatives, les interventions etmême les actions de soutien financier de l’Etat fontparfois l’objet de concentration excessive sur cer-taines communes ou provinces. Ce phénomène nereflète pas vraiment un excès de ciblage, il reflètetout simplement deux choses : une vitalité particu-lière des associations communautaires et des ONGdans certaines zones et une stratégie d’opportuni-té de ces associations et ONG en réponse à uneoffre d’assistance déployée par l’Etat. Pour tempé-rer ce phénomène, l’Etat doit développer des stra-tégies descendantes d’une part et cibler ces straté-gies descendantes sur les communes, les douars etles villages les plus pauvres d’autre part.

2.1.1. Bases programmatiqueset opérationnelles en milieu rural

Quelle stratégie déployer pour le développementsocial en milieu rural ? Depuis que le Maroc indé-pendant existe en tant qu’Etat souverain, cettequestion est récurrente. On a pu cerner les causesdu retard de développement du monde rural dansle chapitre II, mais ce qui importe aujourd’hui, c’estde formuler des propositions concrètes fondéessur des bases programmatiques et opération-nelles. Dans cette démarche, on ne reviendra passur les aspects généraux qui doivent toujours être

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gardés en ligne de mire : à savoir, l’expansion del’agriculture, l’implantation d’activités en rapportavec les vocations territoriales dominantes (pasto-rales, forestières, montagnardes, côtières, touris-tiques, artisanales, désertiques), l’implantationd’activités manufacturières décentralisées, l’har-monisation des efforts nationaux en matièred’aménagement du territoire et surtout l’équipe-ment en infrastructures sociales et socio-écono-miques de base. Nous avons suffisamment plaidépour cette orientation stratégique pour ne pasavoir à rappeler l’importance du lien entre déve-loppement économique régional et développe-ment social et l’importance de l’effort de solidariténationale en faveur des régions pauvres défavori-sées et sous-équipées.

Ces précisions étant faites, les propositions straté-giques concrètes des experts peuvent être formu-lées de la façon suivante :

(i) utiliser les données de la carte communale de lapauvreté pour prioriser les interventions ; désor-mais les communes qui ont une incidence élevéeou très élevée de pauvreté sont très bien connuesen milieu rural (ce qui n’est pas le cas du milieuurbain à l’exception de la ville de Fès, comme lesouligne le rapport de la Banque mondiale sur lapauvreté au Maroc, 2004). Les données vont pou-voir être actualisées à la lumière de la dernièreenquête sur le niveau de vie des ménages et dudernier recensement (2004). Ces données doiventêtre confrontées à d’autres indicateurs : sanitaires,sociaux, socio-économiques, infrastructures,dépenses publiques. La superposition des cartescommunales combinant toutes ces données, ou àdéfaut la superposition des cartes synchrones deprojets de réalisation d’infrastructures rurales. Tousces éléments complétés par la concertation avecles associations communautaires (douars, villages,communes ou groupes de communes rurales),avec les responsables provinciaux et avec les ONGet la coopération internationale, devraient consti-tuer d’excellentes bases de programmation et deciblage des interventions. Le package des interven-tions tiendra compte des déficits constatés, maisdans tous les cas, il devra respecter le principe d’ac-tions multi domaines groupées.

Cette base programmative et opérationnelle àl’échelon communal ou infra communal estextrêmement féconde. Il faut cependant garder àl’esprit que le niveau provincial devra rester crucialpour la synergie des informations et desinterventions (notamment en raison du niveau dedéconcentration réaliste des services de l’Etat). Ilfaudra aussi ne pas pénaliser toutes les initiativeset toutes les bonnes volontés qui ne manquerontpas de se manifester dans des communes jugéesnon prioritaires en termes de données statistiques.En effet, le souci de rationaliser la programmationdescendante et le ciblage des interventionspubliques ne devra en aucun cas dissuader oudécourager les initiatives locales qui pourraients’estomper si elles sentaient qu’elles ne sont plussoutenues par les pouvoirs publics.

(ii) capitaliser les enseignements tirés desexpériences pilotes de développement local et des‘’success stories’’. Une section du chapitre II relatif àl’évaluation a déjà mis l’accent sur cette nécessité.Untravail récent a mis en évidence le fait que desactions groupées et synchrones (alphabétisation,accès à l’eau, accès à l’électricité, accès à la route)avaient un impact significatif sur le taux de"pauvreté. Ce travail du haut Commissariat au Planinsiste sur l’accès ‘’effectif’’à ces infrastructures et cesservices (et non pas seulement sur les réalisations).Les initiatives de développement local piloté par lacommunauté se sont aussi avéré d’un excellentrendement dont se sont inspirés les grandsprogrammes nationaux d’équipement rural (PERG,PAGER, PNCRR). En, dehors de l’ancrage local,territorial et institutionnel excellent de l’ensemble deces programmes que les experts proposent deconsolider dans la nouvelle stratégie, ce qui estréellement nouveau, c’est la possibilité accrue deciblage au niveau le plus fin possible en milieu rural.

En somme, les problèmes de pauvreté rurale sontassez homogènes et assez bien connus etdocumentés. Ce qui manquait jusqu’à présent, c’estune meilleure connaissance de l’hétérogénéité dela distribution spatiale de cette pauvreté ruraleentre provinces, entre régions, bien sûr, mais surtoutà l’intérieur des provinces et des régions, entrecommunes d’une même province et à l’intérieur

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développement rural intégré et durable et dévelop-pement économique des zones rurales. Autrementdit, le niveau le plus pertinent pour un dévelop-pement humain durable dans le monde ruraldépend de la nature et de l’ampleur desprogrammes. Il dépend aussi de l’intégrationcohérente entre développement économiqueterritorial et développement social territorial.

Autant le niveau communal ou infra communal peutservir de base de programmation et de soutien deprojets locaux pour corriger des déficits sociaux ousocio-économiques clairement identifiés, autant ledéveloppement rural ne peut pas être assuré par lasimple juxtaposition de micro programmes et de microprojets locaux. C’est pourquoi les niveaux provincial etrégional doivent garder tout leur intérêt. C’estpourquoi aussi la nature de certaines interventionspourra concerner les populations locales et lespouvoirs publics à transcender les découpagespolitico-administratifs.Car si la pauvreté rurale observela plupart du temps un caractère relativementhomogène par ses déterminants macro économiqueset macro sociaux, les particularités géophysiques etgéoéconomiques des territoires sur lesquels vivent lespauvres observent, quant à elles, une diversité et unehétérogénéité considérables. ; d’où la nécessitéd’intégrer la stratégie de développement social dumilieu rural à la stratégie du développement rural et àla stratégie de développement régional. L’action duministère du développement social ne peut pas êtredécouplée de l’action du ministère de l’agriculture, duministère de l’équipement, du ministère de l’aména-gement du territoire, du ministère du tourisme et del’artisanat,du ministère de l’intérieur et des collectivitéslocales, du département chargé de l’eau, dudépartement chargé de l’environnement et de lapréservation des ressources naturelles, des agencesrégionales spécialisées,etc.

Des vocations dominantes caractérisent assez souventces territoires : périmètres irrigués, zones en bourfavorable et zones en bour défavorable, zonespastorales,zones steppiques,zones désertiques et semidésertiques, zones côtières tournées vers la pêche,zones montagneuses et forestières,zones oasiennes etfrontalières, etc. Tout ceci pour dire qu’un certain typed’agriculture ou d’élevage est possible ici et non

des communes rurales elles-mêmes. Le fait que lesproblèmes de pauvreté rurale observent uncaractère assez homogène et qu’ils ne s’accom-pagnent pas toujours d’exclusion sociale (lapauvreté à la campagne fait, en quelque sorte,partie du paysage), le fait aussi que l’on a accumulédepuis une vingtaine d’années une meilleureconnaissance des causes de la pauvreté rurale ; lefait enfin qu’on connaisse de mieux en mieux lespoches où elle se concentre : tous ces élémentsrendent les réponses plus faciles à concevoir et àprogrammer. Les problèmes résiduels concernentles coûts et l’intégration spatio-temporelle desinterventions. La possibilité offerte au Maroc,aujourd’hui, d’aborder de façon frontale, sur unebase territoriale de plus en plus précise et de plusen plus pertinente, la pauvreté rurale constitue unprogrès extraordinaire par rapport aux pratiques dupassé. Le contenu programmatique a un éventaildéjà suffisamment large (généralisation de l’ensei-gnement préscolaire et scolaire, alphabétisation,éducation non formelle, apprentissage, formationprofessionnelle, extension des services et desprestations de santé, activités génératrices derevenu, micro crédit, infrastructures de base,viabilité économique des territoires où vivent lespauvres, etc.). C’est l’échelon territorial de plus enplus pertinent, communal et infra communal, quiouvre des perspectives d’action d’une plus grandeproximité et d’une plus grande efficacité.

(iii) ne pas céder à la tentation d’idéaliser outremesure cette approche ; en effet, dans bien des cas,l’approche statistique sèche, malgré tous lesrecoupements que l’on pourra faire et tous les avisque l’on pourra recueillir auprès des bénéficiaires,de leurs élus ou des ONG, peut se révélerinappropriée. En effet, si l’identification de pochesparticulières de pauvreté à un échelon communalou infra communal justifie le déclenchement deprogrammes prioritaires de développement localde proximité pilotés par les communautésconcernées, avec tous les avantages liés à l’impli-cation, la participation, l’appropriation desprogrammes et des ressources. Cette démarche, enelle-même, ne garantit pas le lien qu’il estnécessaire d’établir entre développement social,

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ailleurs ; qu’ailleurs, un autre type d’agriculture peutêtre judicieusement développé ; qu’ailleurs encore, siaucun type d’agriculture ne convient, c’est le tourismeet l’artisanat qui doivent prendre le relais et qu’enfin,compte tenu des ressources halieutiques et pélagiquesdes côtes du Maroc, la pêche et l’industrie de transfor-mation qui va avec peuvent être encore considéra-blement développées. Il est donc possible d’identifierdes ‘’petites régions rurales’’ qui ont des vocationsdominantes, qui ont une harmonie ethnique,linguistique, sociologique, anthropologique et un‘’espace vécu commun’’. Le dialogue et la concertationavec les collectivités locales provinciales et régionales,avec les gouverneurs et walis de régions, et avec lesagences spécialisées, devraient permettre uneprogrammation synergique économique et sociale quis’inscrive dans la durée et qui garantisse la viabilitééconomique pérenne des espaces ainsi identifiés.C’estpourquoi l’approche ‘’poverty mapping’’ qui constitueen elle-même un progrès considérable,parce qu’elle vapermettre à la nouvelle stratégie de se décliner auniveau le plus fin possible, ne doit pas faire occulter,pour autant, les expériences capitalisées par le BAJ etles programmes du PNUD au niveau provincial ; si l’onretient le principe que cette approche de ‘’povertymapping’’fournit des données sur les conditions de vie,la pauvreté, la marginalité et la vulnérabilitééconomique dans les communes les plus défavorisées,et que ces données et résultats sont incontesta-blement utiles pour le gouvernement, les associationscommunautaires, les autorités locales, la société civileet les acteurs de la coopération, il n’en reste pas moinsqu’un meilleur ciblage ne garantit pas, par lui-même,une cohérence d’ensemble de la stratégie de dévelop-pement social en milieu rural.Du reste,quel est au justele risque d’un excès de ciblage ? La concentration et ladéperdition de ressources rares au profit decommunes plus favorisées que d’autres ? C’est un fait !Mais ce fait restera toujours un risque concret en raisondes stratégies opportunistes des acteurs locaux et despressions politiques qui, dans tous les pays du monde,s’expriment en faveur du ‘’terroir’’ d’origine deshommes politiques, des parlementaires, etc. Ce risqueest en quelque sorte la rançon politique de ladémocratie : les gens votent pour les individus censésdéfendre âprement leurs intérêts locaux.

Il appartient bien sûr au gouvernement et à lasociété civile de faire les arbitrages qui s’imposent,à la faveur d’une meilleure connaissance desdisparités territoriales et des disparités de distri-bution spatiale de la pauvreté, de la vulnérabilité etde la marginalité sociale. En ce sens, la démarchede ‘’poverty mapping’’ apporte une bonne réponseà ces problèmes. Mais cette réponse ne saurait êtrela seule ; en outre, elle n’est pas exclusive des autresdémarches possibles, notamment la démarcherécemment adoptée par le ministère du dévelop-pement social de conclure des contrats-programmes de développement social provincial.En effet, si l’information rendue disponible parl’approche ‘’poverty mapping’’ est transmise auxresponsables provinciaux (élus et autorités), rienn’interdit à ces derniers, en concertation avec legouvernement, les communes et la société civile,de prioriser les interventions sur les communes lesplus pauvres. Bien plus, si un groupe de provinces àl’intérieur d’une région, observe les caractéris-tiques d’une petite région rurale décrites ci-dessus,rien n’interdit de conclure un contrat-programmeavec ce groupe de provinces.

De toutes façons, l’échelon régional resterafortement sollicité dans toutes ces démarchesparce qu’il lui incombera toujours le rôle d’assurerl’intégration entre développement économique etdéveloppement social régional.

2.2. LA COMPOSANTE URBAINE DU PROGRAMME

Autant la pauvreté et la vulnérabilité économiquerurales sont des phénomènes dont les causessont de mieux en mieux connues et dont lespoches sexo-spatiales de distribution sont de plusen plus précises, autant la pauvreté, la vulnéra-bilité et l’exclusion urbaine nécessitent encoreune meilleure analyse des dynamiques à l’œuvreet une meilleure information sociale sur lessituations de précarité, de pauvreté et d’exclusionqu’expérimentent quotidiennement les ménagesurbains en difficulté. Ce nécessaire dévelop-pement de l’information à caractère social dansles villes du pays est absolument crucial si l’onveut être en mesure de formuler des réponsesstratégiques appropriées.

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sociale en milieu urbain, proposée comme initiativeprioritaire, ne doit pas être source de paralysie etempêcher les pouvoirs publics de déployer unestratégie immédiate ; surtout que les coûts, l’oppor-tunité politique et les risques de stigmatisationinhérents à toute démarche d’information sociale deplus en plus complète et de plus en plus poussée surles ménages peuvent se révéler prohibitifs.

Le ministère du développement social a bienintégré cette problématique, en prenant l’initiativede développer le réseau de ‘’Maisons du Citoyens’’ ;ces institutions sociales fondamentales (qui ne sontpas réservées au milieu urbain), permettrontsûrement à la faveur des services d’accueil, deconseil et d’orientation, de développer desinformations concrètes sur les difficultésquotidiennes qu’expérimentent les ménagesurbains. Ces informations viendront compléter defaçon utile et pragmatique les autres sources d’infor-mation en provenance des communes urbaines, desservices de l’administration, des départementssectoriels,des services économiques,etc.On ne peutdonc que conforter cette initiative intelligente etpleine de bon sens qui a intégré la dimensiontransversale du développement social ainsi que sadimension de proximité. Ces maisons du citoyenvont pouvoir améliorer les conditions et le cadre devie des ménages urbains, contribuer puissamment àretisser le lien social et à lutter contre l’exclusionurbaine et ses conséquences. En un mot, elles vontpouvoir accomplir de façon ‘’holistique’’ etpolyvalente ce que ne pouvaient pas faire lesstructures sociales actuelles spécialisées (maisonsde jeunes, centres culturels, foyers féminins, centresd’apprentissage et de formation, etc.).

2.2.1. Bases programmatiqueset opérationnelles de la stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusionen milieu urbain

Cette composante de la stratégie nationale dedéveloppement social proposée par les expertsest d’une importance cruciale. En effet, le‘’marasme social’’ que vit le Maroc aujourd’hui estparadoxalement plus urbain que rural. Dans lamesure où les dynamiques de pauvreté, de

La première recommandation stratégique desexperts consiste précisément dans la mise en placerapide de moyens et de structures de recueil del’information sociale en milieu urbain,car la pauvreté,la vulnérabilité, la précarité et l’exclusion y sontbeaucoup plus diffuses, beaucoup plus complexes etbeaucoup plus difficiles à cerner et à cibler sur le plangéographique. Le Maroc, dont une grande partie dela population est encore rurale, a très ‘’mal’’ à sescampagnes en raison de deux facteurs majeurs: leretard de développement socio-économique dumonde rural et la médiocre productivité agricole ;mais il aussi très ‘’mal’’ à ses villes et risque d’avoirencore plus mal demain en raison du rythmed’expansion rapide de l’urbanisation et en raison dedeux facteurs majeurs : un environnement urbainpeu productif et des villes peu inclusives.

Il faut donc cesser de concevoir la pauvreté etl’exclusion urbaine comme une simple conséquencede l’exode rural ou comme un simple transfert de lapauvreté rurale dans les villes. Des dynamiquesspécifiques sont depuis longtemps à l’œuvre et dontles plus importantes sont le chômage de masse etl’exclusion de l’habitat décent. Dans l’étude sur lacompétitivité territoriale (commanditée par ladirection de l’aménagement du territoire et citéeplus haut), apparaît l’image d’un Maroc rural très à latraîne et contribuant peu à la création de la valeurajoutée nationale ; or, si au plan quantitatif, et auniveau macro, cette réalité est indiscutable, au plande la répartition de la richesse urbaine et dudifférentiel ‘’d’opulence’’ entre les diverses catégoriesde ménages urbains, cette réalité est trompeuse ;d’autant que face à l’opulence apparente et auxsignes parfois ostentatoires de la société de consom-mation urbaine, la pauvreté, la vulnérabilité et laprécarité génèrent l’exclusion de certains groupessociaux de cette société de consommation et doncdes frustrations sociales, civiques et politiques quireprésentent de graves menaces sur la cohésionsociale et la stabilité politique du pays.

C’est pourquoi il est urgent d’agir et de développerune stratégie nationale d’inclusion en milieu urbain. Acet égard, les experts tiennent à dissiper à l’avance cequi pourrait constituer un malentendu.La nécessité dedévelopper un système approprié d’information

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vulnérabilité, de précarité et d’exclusion socialeurbaines représentent de lourdes menaces sur lacohésion sociale et comportent des enjeuxpolitiques particuliers, cette composante de lastratégie ne saurait, à l’évidence, concerner que leseul ministère du développement social. Elle doitêtre fortement structurée au confluent deplusieurs politiques : politique de l’habitat et del’urbanisme, politique de l’emploi, politique de laville, politique de la jeunesse, des sports, de laculture, etc.

Commençons par examiner le rôle spécifique duministère du développement social dans cettecomposante. En dehors des interventions dédiéesaux groupes sociaux fragiles que nous avons déjàtraitées, et en dehors du programme de luttecontre la mendicité urbaine déjà mise en œuvrepar le ministère du développement social et dontles deux volets n’appellent pas de commentaireparticulier, quels peuvent être les grands axes et lesprincipes de ciblage des interventions du ministèreen milieu urbain ? Et par quoi commencer ?

• Il faut commencer par capitaliser des expériencestelles que celles du programme de lutte contre lapauvreté urbaine et périurbaine mené en coopé-ration avec le PNUD, notamment en généralisantla démarche de ce programme : renforcement descapacités des acteurs impliqués, renforcementdes processus consultatifs et participatifs, renfor-cement du partenariat et des engagements quiont fait l’objet de chartes consensuelles.

• Il faut passer à l’application du programme nationalqui a déjà fait l’objet d’une conception stratégiquepar les services du ministère du développementsocial. La thématique des interventions est déjà,assez complète : soutien scolaire et prévention dela déscolarisation, accessibilité aux services sociauxde base et aux infrastructures, apprentissage,formation professionnelle, activités génératrices derevenu, aide à la création de micro entreprises,micro crédit, etc. Cette thématique vient d’êtrecomplétée récemment par les services que vontoffrir les ‘’maisons du citoyen’’. En effet, là où ellesseront implantées, ces nouvelles structuresd’action sociale polyvalente vont constituer de

véritables PC opérationnels du développementsocial. En concevant les maisons du citoyen, leministère a fait preuve d’une démarche pertinenteen matière d’ingénierie de l’action sociale. Lapertinence de cette démarche réside dans lapolyvalence des prestations et des services offerts ;elle réside aussi dans l’espace convivial ainsi crééqui va contribuer à renouer et à retisser le liensocial ;elle réside enfin dans la possibilité qu’aurontces structures de recueillir en permanence l’infor-mation sociale utile. Les médiations sociales n’enseront que plus facilitées.

• En termes de ciblage géographique en milieuurbain, malgré les difficultés soulevées par laBanque mondiale, les priorités spatiales découlentassez nettement du mode d’habitat et des sitesrésidentiels qui concentrent la majorité descitadins pauvres et vulnérables . En effet, danstoutes les villes du monde, la qualité de l’habitat etsa localisation sont des indices de la situationsociale de leurs habitants. Mais dans les villesmarocaines, les réalités concrètes concernantl’habitat non réglementaire, précaire, insalubre etpopulaire, sont suffisamment documentées pourpouvoir servir de base à un ciblage prioritaire desinterventions de développement social, de luttecontre la pauvreté, la vulnérabilité, la précarité etl’exclusion sociale. En effet, les données fourniespar le ministère de l’habitat et de l’urbanisme surles caractéristiques actuelles de l’habitat précaire,insalubre, non réglementaire et populaire enmilieu urbain mettent en relief les constatssuivants :

(i) L’habitat précaire : ces zones urbaines d’habitatprécaire non décent ou insalubre comprennent 2catégories : les quartiers non réglementaire et lesbidonvilles. Les quartiers non réglementaires sontau nombre de 706 dont 455 dans les grandesvilles et 251 dans les villes petites et moyennes. Ilsabritent une population de 2.700.000 individusavec une taille moyenne des ménages de 5,2 pourles premiers et de 6,4 pour les seconds. Ils sont pardéfinition construits sans autorisation, sur desterrains morcelés sans plan d’ensemble et sansréalisation préalable des réseaux de viabilisation.Ils sont donc dépourvus presque complètement

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situation difficile,notamment des étudiants pauvres,des personnes âgées, des retraités pauvres, desartisans, des petits commerçants…

(iv) Les anciennes médinas des centres-villes : ellessont désertées par leurs habitants initiaux. Cetteforme d’habitat traditionnel urbain au Maroc,autrefois riche d’une vie sociale organisée et civiliséecroule sous des problèmes nombreux et complexes:suroccupation des logements par plusieursménages, squats, menaces permanentes d’effon-drement des habitations, insalubrité, danger declochardisation et de disparition d’un patrimoinearchitectural traditionnel très spécifique au Maroc.La médina de la ville de Fès, joyau de la civilisationurbaine du Maroc, est la plus menacée.

Le cas spécifique de Fès a été souligné dans lerapport de la Banque mondiale sur la pauvreté auMaroc (2004), non seulement en ce qui concerne lamédina, mais plus généralement en ce quiconcerne les différences énormes de concentrationde la pauvreté entre les communes urbaines de laville ; différences qui justifient largement unciblage géographique des actions de lutte contrela pauvreté urbaine.

Certes, il existe des poches de pauvreté, de vulné-rabilité et des îlots d’insalubrité en plein centre ville(la ville de Casablanca est typique à cet égard :quartiers Derb Ghallef, El Fida-nouvelle médina,Bachko, etc.), mais l’essentiel de la pauvreté et dessituations de vulnérabilité sociale se trouventconcentrées dans les zones d’habitat urbain quel’on vient de décrire. Vivre dans ces lieux signifieavoir un accès très limité aux services sociaux debase, avoir un accès très difficile au centre ville etaux lieux de travail, et surtout souffrir de discrimi-nations diverses liées à la représentation socialenégative que le reste de la population citadine a deces quartiers ‘’mal famés’’, perçus comme sourced’insécurité.

Le Ministère du développement social, de la familleet de la solidarité ne s’y est pas trompé. Disposantdes données fournies par le département del’habitat, il a déjà érigé ces zones en sites d’actionsprioritaires pour sa stratégie de développementsocial en milieu urbain. Sans négliger, pour autant,

d’infrastructures de base et d’infrastructuressociales. 450.000 ménages vivent dans cesquartiers non réglementaires dans des conditionsde salubrité que l’on peut imaginer.

Les bidonvilles sont au nombre de 933 et abritentune population de 1.300.000 personnes, soit230.000 ménages. Constitués d’abris et d’habita-tions sommaires réalisés avec des matériaux derécupération, sur des terrains complètementdépourvus d’infrastructures quelle qu’en soit lanature. Il en existe quatre types distincts qui néces-sitent des actions de résorption différenciées :

- les très grands bidonvilles, au nombre de 9, soitune population moyenne par bidonville de plusde 10.000 habitants ;

- les grands bidonvilles, au nombre de 37, soit unepopulation comprise entre 5.000 et 10.000 habi-tants par unité ;

- les bidonvilles moyens, au nombre de 157, soitune population par bidonville comprise entre2.500 et 5.000 habitants ;

- les petits bidonvilles, au nombre de 730disséminés dans le tissu urbain et non à lapériphérie comme les 3 catégories précédentes.Le nombre des ménages qui y vivent varie dequelques unités à quelques dizaines, et lapopulation ne dépasse pas dans la majorité descas les 500 à 1.000 personnes.

(ii) Les quartiers périurbains : situés aux abordsextérieurs des villes, ces quartiers sont des zonesd’habitat généralement régulier ; bien intégrésdans l’armature urbaine, on y trouve habituel-lement une infrastructure de base plus ou moinsdéveloppée, parfois vétuste ou dégradée, particu-lièrement les voies d’accès et de circulationintérieure. Les aménagements urbains et lesespaces sociaux et récréatifs sont plus ou moinsdéveloppés.

(iii) Les quartiers urbains dits ‘’populaires’’ : ce sontdes zones d’habitation bien ancrées dans l’armatureet la vie sociale et économique de la ville. Lesquartiers populaires sont d’une grande densitédémographique avec des poches de pauvreté et devulnérabilité où résident des populations en

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les poches de pauvreté et de vulnérabilitédisséminées dans les autres communes, les autresquartiers et les autres arrondissements urbains.

Par ailleurs, le ministère du développement social aconclu un accord de partenariat avec le ministèrede l’habitat pour le partage de la maîtrised’ouvrage dans les opérations de restructuration,de recasement, de relogement et dans les normesdes logements sociaux. Ce partenariat judicieuxpermettra ainsi de compléter la logique deréparation des déficits sociaux par une logique deprévention, planifiant, dans toutes ces opérations,les infrastructures sociales, les services socio-éducatifs les espaces collectifs, culturels, sportifs et,d’une façon générale, tous les éléments quiaméliorent les conditions de vie des citoyens et quicontribuent à produire le lien social, l’inclusion et lacohésion sociale.

En termes de ciblage thématique ou d’inter-ventions prioritaires, le chômage urbain ayant étéclairement identifiée comme la grande cause de lapauvreté, de la vulnérabilité et de l’exclusion sociale(à côté de l’exclusion du logement décent quicomporte de façon implicite l’exclusion des servicesscolaires de qualité, des services de santé et desinfrastructures collectives), les efforts devront êtreconcentrés sur tous les moyens qui permettentl’inclusion sociale par l’emploi (alphabétisation,formation professionnelle, activités génératrices derevenu, micro crédit, etc.). L’exclusion de l’emploi etdu logement décent ne sont pas seuls en cause,certaines formes de travail précaire, discontinues etfaiblement rémunérées faisant peser l’incertitudesur le revenu, sont elles aussi des facteurs majeursde pauvreté, de vulnérabilité économique etd’exclusion sociale. La multiplication de ces formesde travail en milieu urbain, que ce soit dans lesecteur formel ou informel, accroît la précarité desconditions de vie de nombreux ménages urbains etamoindrit considérablement leurs capacités derésistance aux chocs économiques et sociaux(maladie, accidents, perte de la capacité de gain etdonc de revenu, etc.). Certes, la solution de cesproblèmes passe par la lutte contre le travailprécaire et par l’extension de la protection sociale.En attendant, la composante urbaine du

programme national de lutte contre la pauvreté etl’exclusion doit multiplier toutes les formes demédiation sociale pour éviter que la déchéanceéconomique transitoire ou durable ne setransforme en déchéance sociale (déscolarisation,dislocation des familles, expulsion du logement,mendicité, etc.). De telles formes de médiationsociale peuvent être très utilement développées auniveau du réseau de Maisons du citoyen.

Le rôle spécifique du ministère du développementsocial ayant été précisé, la stratégie de lutte contrela pauvreté et l’exclusion urbaines ayant desenjeux clairement politiques et sécuritaires ne peutêtre forcément que l’affaire de tous. Globalement,les villes marocaines doivent être à l’avenir plusproductives, plus inclusives et leur gestion doit per-mettre la reddition des comptes.

L’objectif de ‘’villes plus productives’’ consiste avanttout à mettre fin au paradoxe suivant : les villesmarocaines abritent de plus en plus de pauvres etd’exclus alors que ce sont les lieux de création de laprospérité et de la richesse du pays. Donc, encomplément de la stratégie de lutte contre lapauvreté, une stratégie de politique économique dela ville doit permettre l’intégration et l’engagementdes pauvres eux-mêmes dans le changement deleurs conditions de vie. Le manque de mécanismesde coordination, de vision globale et de stratégiecollective à l’échelle d’une ville empêchent souventla croissance économique urbaine de donner lieu àune répartition plus équitable et à une haussesignificative des revenus. On retrouve ici ladimension territoriale et régionale du dévelop-pement. Dans la mesure où les villes sont des chefs-lieux de régions, elles doivent mettre en place desmécanismes de promotion du développementéconomique métropolitain dans le cadre de laformulation d’une stratégie collective.

La stratégie collective d’une ville est censée réunir lepublic et le privé de manière à favoriser la créationd’emplois, la hausse des revenus et l’amélioration dela qualité de la vie citadine par la coopération detous les acteurs : économiques, institutionnels,politiques et civils. Deux éléments-clés peuvent êtreapportés par une telle stratégie :

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logement et la sécurisation foncière sont unecontribution majeure à leurs conditions de travail.

Plus généralement, la prospérité économique d’uneville et les conditions de vie et de santé de seshabitants ont un destin lié, ce qui implique que sonenvironnement soit préservé : assainissement,traitement des déchets, recyclage, qualité de l’eau etde l’air, aménagements d’espaces verts et d’espacespublics conviviaux, etc. Enfin, la condition essentielled’une telle stratégie économique de la ville reste unebonne gouvernance de la ville.

L’objectif de ‘’villes plus inclusives’’est le corollaire dupremier ; parce que pour lutter contre la pauvreté etl’exclusion urbaine, il faut augmenter la productionde richesses. Mais jusqu’à présent, la croissanceéconomique des villes n’a empêché ni l’extension dela pauvreté ni l’aggravation de l’exclusion sociale.Force est donc de constater qu’à l’heure actuelle, lesstratégies d’inclusion s’attaquent à un systèmegénéral d’organisation urbaine fondé sur l’inégalité.Face à ce constat, l’enjeu est-il l’éradication de lapauvreté urbaine, ou plus fondamentalement, lareconstruction de rapports sociaux et la possibilitéd’accès du plus grand nombre aux droits et au débatsur les décisions ? Partant du principe (largementargumenté plus haut) que c’est la question des droitsqui est fondamentale, alors l’objectif de ‘’villesinclusives’’ remet en cause le privilège de ceux qui enjouissent aux dépens des pauvres et des exclus.En cesens, cet objectif peut être requalifié de projetpolitique d’inclusion urbaine. Ce projet politique estporteur d’un changement social à négocier entretoutes les parties prenantes qui constituent lacommunauté urbaine.Cela passe encore une fois parune bonne gouvernance institutionnelle de la ville.Cela passe aussi par le combat contre tous lesmécanismes d’exclusion. L’exclusion sociale étant unfait global est d’abord à combattre sur le plan desstructures et des valeurs sociales. Des démarcheséducatives et de sensibilisation doivent êtredéveloppées en direction de l’ensemble des acteursurbains pour faire largement comprendre les causeset les conséquences de l’exclusion et la nécessitéd’un changement social. Ensuite, les systèmeséconomiques urbains sont générateurs d’exclusiondu fait de la flexibilité et de la précarité du travail, du

(i) Investir dans des secteurs fondamentaux quientraîneront la productivité et l’innovation, parexemple : l’éducation et la formation profes-sionnelle, les infrastructures urbaines et lestransports en commun, la veille technologique etl’intelligence économique, l’accès à des formes definancements diversifiés, capital-risque, micro-crédit, accès aux services, etc.

(ii) Promouvoir des zones et des secteursindustriels qui accéléreront par leur dynamisme lerythme de l’innovation et de la croissance,favoriser l’implantation des PME-PMI à côté degrands groupes industriels qui sont les vecteursdes transferts de technologie. Développer les NTICet, d’une manière générale, promouvoir lesinvestissements et l’emploi dans des secteurs àforte valeur ajoutée. La coopération au sein d’uneville chef-lieu de région est la clé d’un dévelop-pement harmonieux pour tous, autour de troisensembles de politiques publiques. Le premierconsiste à lier les atouts économiques qui existentaux différents niveaux de la ville-centre et de larégion dans son ensemble. Il s’agit en effet de fairerayonner les éléments d’urbanités dans lesbanlieues et les quartiers périphériques etd’améliorer la fluidité des déplacements entre lesdeux. Le second concerne la réhabilitation descentres-villes surpeuplés (médinas) et l’amélio-ration des quartiers centraux historiques désertéspar les entreprises et les commerces à l’aide demarketing urbain adéquat. Le troisième vise àorganiser l’articulation entre résidence et emploi,par les divers services facilitant les déplacements,les crèches, les garderies et tous les moyensfavorisant un bon fonctionnement du marché dutravail urbain et l’accès à l’emploi des femmes, etdes populations peu qualifiées et à faible revenu,vivant dans le centre-ville ou à la périphérie.

En ce qui concerne les pauvres et les exclus urbains,le principal enjeu de la stratégie économique de laville est de convertir l’économie informelle envéritables sources de revenus durables. Cela passepar la réhabilitation des quartiers et l’aména-gement d’un habitat décent car pour les famillespauvres, la maison est aussi souvent le lieu detravail ; donc l’amélioration des conditions de

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sous-développement du capital humain, de laspéculation foncière et immobilière, de discrimi-nations diverses vis-à-vis des femmes et descatégories socio-économiques vulnérables. Il fautdonc renforcer les contre-tendances inclusives etremettre le respect des droits et des libertés au coeurdes politiques urbaines ; ce qui implique lacoopération et le partenariat entre des couchessociales et professionnelles différentes et entre tousles acteurs économiques, politiques, institutionnelset civils qui constituent la société urbaine, les troisenjeux fondamentaux d’inclusion sociale, decohésion sociale et de reddition des comptes devanttoujours être gardés en ligne de mire.A défaut,ce quiguette la société urbaine marocaine, c’est l’extensionde la pauvreté et de l’exclusion et la menace depaupérisation des classes moyennes citadines. Cesrisques pour la cohésion sociale et pour la stabilitépolitique du pays constituent des enjeux tropimportants pour retarder encore le changementsocial nécessaire.

A l’issue de ces propositions concernant lanouvelle stratégie nationale intégrée de dévelop-pement social, les experts entrevoient l’actionspécifique du ministère du développement socialautour des quatre axes suivants :

• Une stratégie de réponse aux projets et auxprogrammes ascendants qui est déjà incarnéedans le programme social de proximité.

• Une stratégie d’ingénierie et de conception deprogrammes descendants fondée sur les basesthéoriques et opérationnelles suggérées ; lesinstitutions dépendant du ministère (Secrétariatd’Etat, Entraide nationale, Agence de dévelop-pement social) et le réseau de maisons du citoyensont appelés à y jouer un rôle considérable, enbénéficiant, bien entendu, de tous les contrats departenariat conclus ou à conclure, sur une baseterritoriale, avec les collectivités locales, lesdépartements sectoriels, le secteur privé, lasociété civile et la coopération internationale.

• Une stratégie de lutte contre la pauvreté etl’exclusion sociale, avec ses deux composantes

rurale et urbaine, conçue pour aborder de façonfrontale et sur une base territoriale précise, tousles déterminants de la pauvreté et de l’exclusion.

• Une stratégie développée en faveur des groupessociaux à risque ayant des besoins spécifiques(femmes, enfants, personnes âgées, handicapés).

A la faveur de ces quatre axes d’intervention, leministère du développement social se trouve, enquelque sorte, dépositaire de la politique socialede proximité du gouvernement et de la politiquede contractualisation du développement socialpiloté par les communautés territoriales(communes, provinces, régions, villes…).

3. MODALITÉS DE MISE EN ŒUVRE DE LA STRATÉGIE ET GOUVERNANCE

Cette section constitue la partie finale du document.Dans tout ce qui l’a précédée, la démarche desexperts s’est efforcée de préciser les principes, lesfondements et le contenu de ce qui pourrait êtreretenu comme une nouvelle stratégie nationaleintégrée de développement social. En même temps,ces principes,ces fondements et ce contenu compor-taient implicitement de nouvelles modalités de miseen œuvre et de nouvelles modalités de gouvernance.Pour cette raison, bien que les enjeux relatifs à lagouvernance demeurent cruciaux, cette partie dudocument sera volontairement relativement courte,en ce sens qu’elle se limitera à faire un rappelsynthétique des règles de bonne pratique, desnouvelles règles qui doivent guider l’action publiqueet des nouvelles modalités de gouvernancenécessaires au succès de la stratégie proposée.

3.1. MODALITÉS DE MISE EN ŒUVRE

Les modalités de mise en œuvre proposées sontcensées traduire concrètement, dans les faits et parl’action, non seulement le contenu de la stratégie,mais aussi les principes et les nouvelles règles surlesquelles elle est fondée.

Avant de formuler les modalités d’exécution, ilconvient de rappeler très brièvement ces prin-cipes et ces règles. Les experts en proposent lasynthèse suivante : la coresponsabilité sociale, le

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d’examiner les modalités de mise en œuvreimpliquées par la synthèse des principes et desrègles effectuée ci-dessus.

3.1.1. La coresponsabilité sociale implique :

(i) Le partenariat public-privé : La synergie desacteurs appartenant à chacun des deux domainesdoit être en permanence recherchée et renforcée,non seulement en développant les formulesactuelles de contractualisation et de convention-nement, mais aussi en explorant de nouvellesformules de partenariat. En effet, la complexité desproblèmes de développement social et desbesoins en ressources matérielles et humaines sonttels que le partenariat est incontournable. Il doitlier l’Etat et son administration, les institutionspubliques, les collectivités territoriales, lesassociations de bénéficiaires, les ONG de la sociétécivile, les entreprises publiques et privées.L’ampleur des besoins est telle que l’ensemble desressources nationales publiques et privées n’ysuffirait pas ; d’où un partenariat tout aussiincontournable avec la coopération et lacommunauté internationale du développement etla nécessité d’explorer sans cesse de nouvellesformules de partenariat et d’appui aux capacitésnationales.

(ii) La participation et l’implication communautaire :l’inclusion sociale suppose la participation pleine etentière et l’implication des communautés dans laprise en mains de leur propre destinée. Le dévelop-pement local piloté par la communauté, dans lamesure où il permet une appropriation par lespopulations bénéficiaires des décisions et desressources, garantit un bon ancrage institutionnel, lapérennité du processus de développement et lapossibilité d’envisager des stratégies de désenga-gement. En ce sens, il se différencie des simplesinterventions d’assistance. Le développement localne peut prendre toute sa mesure que s’il est couplé àune politique effective de proximité.

(iii) Le couplage projets ‘’ascendants’’ projets etprogrammes ‘’descendants’’ : la nouvelle stratégienationale comporte une dimension proactive quidoit venir judicieusement compléter l’attituderéactive actuelle des institutions qui composent le

renforcement du capital social, la transparence,l’efficacité et la responsabilité de l’action publique.

- La coresponsabilité sociale, entendue dans le sensoù le développement social est devenu l’affairede tous. Il est bien entendu aussi l’affaire de l’Etat,mais aussi et surtout de toutes les politiqueséconomiques et sociale menées par l’Etat.

- Le capital social, entendu dans le sens où lesorganisations et les institutions politiques etprivées, les relations qu’elles entretiennent, lescomportements, les traditions et les valeurs quiles sous-tendent constituent un capitalimmatériel puissant qui doit compléter de plus enplus le capital physique, financier, environne-mental et humain du pays.

- La transparence, l’efficacité et la responsabilité del’action physique entendues dans le sens del’intégration et la coordination des politiquespubliques et dans celui de la reddition descomptes.

Dans ces conditions, et étant donné la natureinterdépendante et holistique du développementsocial, la mise en œuvre de la nouvelle stratégiesuppose, au préalable, deux engagements clairs despouvoirs publics. Ces engagements concernent lapolitique économique sous la responsabilité directedu gouvernement. Le premier engagement doitparticiper de la prise de conscience que lespolitiques macroéconomique, commerciale etfinancière ont un impact majeur sur l’emploi, larépartition du revenu et la consommation. Il fautpar conséquent prendre la résolution ferme d’axerla croissance économique sur la réduction de lapauvreté et des inégalités sociales, en donnant lapriorité à l’expansion des perspectives d’emploi et àl’augmentation des revenus et des actifs productifsdes pauvres. Cet engagement équivaut à établir enpermanence un lien fort entre la politiqueéconomique et la politique sociale. Le deuxièmeengagement, qui doit constituer un signal toutaussi ferme du gouvernement, concerne l’accrois-sement de l’efficacité et de la coordination despolitiques sociales sectorielles et en particulierl’accroissement de leur impact sur les pauvres. Cespréalables étant rappelés, il convient maintenant

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pôle social du gouvernement. Ces dernièresdevront désormais définir de grandes orientationsprogrammatiques dans lesquelles pourronts’inscrire des demandes de soutien financier desprojets ascendants. Dans la démarche‘’descendante’’ la logique voudrait que l’on optepour des programmes plutôt que pour de simplesprojets isolés afin de traduire concrètement dansles faits de principe des actions multi domainesconcertées qui est le propre des interventionstransversales de développement social.

3.1.2. Le renforcement du capital socialimplique :

(i) des actions de sensibilisation-communication :L’objectif de cohésion sociale ne peut pleinementêtre réalisé qu’autour de valeurs partagées. Au pre-mier rang de ces valeurs figure la solidarité dont ilfaudra sans cesse assurer la promotion. C’est ceque fait de façon remarquable la fondationMohamed V pour la solidarité ; c’est aussi l’une desmissions du ministère du développement social. Acôté de la solidarité, ce sont les valeurs citoyennesdont il faut assurer la promotion par l’éducationcivique ; l’éducation civique doit être réintroduiteet son enseignement revitalisé à l’école. Elle doitfaire aussi l’objet d’efforts permanents de sensibili-sation - communication en direction des adultes.

L’inclusion sociale, la cohésion sociale, et d’unemanière générale, le développement socialharmonieux ne dépendent pas seulement de lagarantie des droits et des libertés, de la création decapacités, d’opportunités et de chances, mais ausside la solidité du lien social et de la qualité desrelations sociales. Tout ce qui contribue à créer dusens, à tisser permanence le lien social, à organiserdes médiations par la résolution pacifique desdifférents conflits sociaux, a au moins autantd’importance, si non plus, que les interventions àcaractère matériel.

(ii) des actions de formation et de renforcementdes capacités : l’ensemble des acteurs et desinstitutions qui constituent le capital socialdoivent être soutenus et consolidés à tous lesniveaux, en particulier dans deux aspects priori-taires : la formation et le renforcement des

capacités institutionnelles. La formation auxprincipes, aux techniques et à l’ingénierie del’action sociale et de développement social. Cesactions devront concerner tous les acteurs : cadresdes administrations sociales concernées, cadresdes collectivités locales, associations communau-taires et associations de quartiers, ONG de lasociété civile. Une formation plus spécifique devraêtre développée en direction des travailleurssociaux (assistants et assistantes sociales,personnels des crèches, acteurs de terrain,éducateurs, psychologiques, etc.). Le renforcementinstitutionnel comporte deux composantes : l’uneau profit des collectivités locales qui entre dans lecadre de l’accomplissement du processus dedécentralisation, l’autre au profit du tissu associatif(associations communautaires et ONG de lasociété civile). Cette deuxième composantecomporte la clarification des relations Etat-ONG aumoyen, éventuellement, d’une charte consen-suelle, la clarification du cadre juridique, financieret fiscal des associations, l’assouplissement desprocédures d’octroi des autorisations et d’octroide la qualité d’utilité publique, le renforcementdes capacités financières des associations.

Les actions de formation et d’amélioration descapacités des acteurs et des institutions quiconstituent le capital social ne pourraient prendretoute leur mesure que si, parallèlement, lespouvoirs publics assurent une large diffusion desinformations sociales utiles : données quantitativeset qualitatives sur la pauvreté et la vulnérabilitééconomique, indicateurs sociaux et socioécono-miques aux niveaux les plus désagrégés possibles,prévisions des dépenses publiques sectoriellesrelatives aux différents échelons territoriaux, etc.

3.1.3. La transparence, l’efficacité et la respon-sabilité de l’action publique impliquent :

(i) L’intégration et la coordination des politiques etprogrammes publics :

On a déjà soulevé cette problématique centrale quiconditionne l’efficacité des politiques publiques,lorsque l’on a suggéré les deux engagementspréalables nécessaires au succès de la nouvellestratégie nationale de développement social, à

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la déconcentration des services de l’administrationcentrale, d’une part et celle qui a trait à l’enverguredes programmes et des interventions d’autre part.

En réalité chaque niveau (central, intermédiaire etlocal) comporte sa propre pertinence intrinsèqueselon l’ampleur et les enjeux des politiques et desprogrammes déployés et les objectifs poursuivis.Pour autant, le niveau intermédiaire retient notreattention dans la mesure où il s’avère d’uneimportance stratégique dans la dimensionterritoriale du développement social. Il s’agit deconcevoir et de penser ce niveau en termes decirconscription territoriale de l’action sociale et dedéploiement de la stratégie nationale de dévelop-pement social. Il s’agira aussi à l’avenir de concevoiret de penser ce niveau en termes de pertinence desdécoupages territoriaux en fonction de leur viabilitééconomique.

Pour l’instant, et dans un souci de pragmatisme,l’échelon provincial et préfectoral nous semble êtrele niveau idoine pour relayer l’harmonisationcentrale à travers des divisions ou des comitésprovinciaux ou préfectoraux du développementsocial. Le principe de réalisme milite aussi en faveurd’une masse critique de moyens administratifsdélégués en termes humains, financiers etdécisionnels susceptibles de venir en appui et ensoutien logistique des programmes et des initiativesà l’échelon communal ou infra communal. Cettemasse critique ne saurait être raisonnablementréunie qu’au niveau provincial ou préfectoral. C’estpourquoi, sans remettre en cause la pertinence dudéveloppement local initié et piloté par lacommunauté et l’excellent ancrage institutionnelqui le caractérise, il apparaît nécessaire aujourd’huide reformuler en termes stratégiques la dimensionterritoriale du développement social la plus apte àgarantir des modalités d’interventions publiquesplus efficaces.

Nous reviendrons, dans la conclusion, sur cet aspectqui à nos yeux représente l’une des contributions lesplus utiles de cette étude à l’amélioration de cetteefficacité. Ces précisions concernant le niveauintermédiaire rejoignent le souci de mise encohérence verticale des moyens humains, financiers

savoir : garantir un lien étroit et permanent entre lapolitique de développement social d’une part, etgarantir l’intégration et la coordination despolitiques sociales sectorielles et leur impact surles pauvres, d’autre part. On ne retiendra ici que ledeuxième volet en étendant le souci d’intégrationet de coordination aux programmes spécifiques dedéveloppement social et de lutte contre lapauvreté et l’exclusion. Des modalités de mise enœuvre des politiques et des programmes publicsplus efficaces supposent leur mise en cohérencesur 3 plans, horizontal, vertical et temporel. Pourgarantir cette mise en cohérence, de nouveauxmécanismes et arrangements institutionnels sontnécessaires.

L’harmonisation horizontale, étant donné ladimension fondamentalement transversale detoute stratégie de développement social doit êtreassurée à trois niveaux : au niveau central (celui dugouvernement) au niveau intermédiaire (celui de larégion, de la province ou préfecture, ou encore dela ville) et au niveau local (celui de la commune,d’un groupe de communes, d’un quartier ou d’unarrondissement). Au niveau du gouvernement, laréactivation d’un comité interministériel présidépar le Premier ministre et dont le ministre dudéveloppement social assurerait le secrétariatpermanent s’avère indispensable, car tout ledéveloppement social n’est qu’affaire d’intersecto-rialité et de multisectorialité. Comme toutestratégie nationale de développement social nepeut être que le reflet d’une politique socialeintégrée, les experts insistent sur cette recomman-dation cruciale d’un comité interministérielpermanent qui, peut être dans ce domaine plusqu’ailleurs, trouve très largement sa justification àtravers toute l’argumentation développée danscette étude. Cette mise en cohérence horizontaleau macro niveau doit naturellement être relayée auniveau intermédiaire et au micro niveau. On renoueici avec la question du niveau territorial le pluspertinent pour le déploiement de la stratégie dedéveloppement social. Comme nous avons déjà eul’occasion de le souligner, cette question entretientdes rapports étroits avec deux questions d’uneautre nature : celle du niveau le plus pertinent pour

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et décisionnels des ministères sectoriels, et pour ledire en termes simples, l’ardente nécessite d’unedéconcentration effective et opérationnelle. Enfin, lesouci crucial de la synchronisation des interventions,indispensable en vertu même de la sommation deleurs effets respectifs, pourrait être satisfait dans lecadre de leur programmation territoriale concertéeet non plus simplement dans le cadre de leur planifi-cation nationale.

(ii) La construction d’un système d’analyse etd’information sociales plus performant : lesobjectifs d’inclusion sociale, de cohésion sociale etde reddition des comptes ne peuvent pas êtreatteints par le seul traitement réparateur du ‘’stock’’des déficits sociaux et de la réduction dessituations actuelles de pauvreté, d’inégalités etd’exclusion. Ces objectifs nécessitent en quelquesorte un saut qualitatif en matière de conceptuali-sation des politiques sociales. C’est pourquoi lanouvelle stratégie comporte une dimensionprospective, dont la traduction dans les faits et parl’action, doit permettre de passer d’une politiquede réparation des déficits sociaux à une politiquede prévention et d’anticipation des nouveauxrisques sociaux. En particulier, les dynamiques, lesfacteurs et les trajectoires spécifiques de pauvreté,de vulnérabilité économique et d’exclusion enmilieu urbain nécessitent un système d’analyse etd’information sociales plus détaillé et plus fin pourpouvoir construire les réponses adaptées auxbesoins actuels et futurs. D’un autre côté les outilset les instruments de la protection sociale doiventêtre mis à profit pour renforcer la capacité desgroupes sociaux vulnérables, ce qui milite pour laconstitution d’un pôle social fort doté des moyensadéquats ; ce qui milite aussi pour le réexamen dumandat initial des différents filets de sécurité,compte tenu des transformations qui affectent lasociété et de la complexité accrue des besoinssociaux. Analyse sociale, information à caractèresocial, vont de pair avec l’ingénierie de laprotection sociale et avec l’évaluation de l’impactdes politiques sociales, notamment les politiquesde soutien à la consommation, la promotionnationale, l’Entraide nationale et l’Agence dedéveloppement social.

Pour l’instant, le pôle social actuel a sous sa respon-sabilité directe deux de ces instruments institution-nels : l’Entraide nationale et l’Agence de développe-ment social. Il lui appartient donc de renforcer leurscapacités et leurs aptitudes à développer l’analyse etl’information sociales, à maîtriser les différents volets(programmation et évaluation) de l’ingénierie socia-le, et de façon plus globale, à apporter des réponsesplus complètes aux besoins ainsi inventoriés.

Il en va de même pour les outils nouvellementdéployés comme les ‘’Maisons du Citoyen’’. En matiè-re d’analyse sociale et d’informations sociales utiles, ildoit régner aussi désormais le même souci de coor-dination et d’intégration des données que celui quel’on a fait prévaloir pour la coordination et l’intégra-tion des politiques entre les départements sectoriels.La communauté internationale du développementet la coopération,notamment le système des Nationsunies et la Banque mondiale, peuvent contribuer defaçon encore plus efficace à renforcer les capacitésnationales en matière de systèmes d’information,d’ingénierie, d’évaluation, de mise en place d’indica-teurs de suivi et de réalisation des intervention, etc.

3.2. LA GOUVERNANCE

3.2.1. La décentralisation et la déconcentration

Les pouvoirs publics, dans le cadre de la nouvellestratégie nationale de développement social intégré,doivent adopter des modalités d’intervention plusefficaces et mieux adaptées aux réalités concrètesdes territoires où elles s’exercent. Mais, comme nousen avons fait le constat, dans le couple décentralisa-tion–déconcentration, il y en a un qui va plus vite quel’autre. Ce rythme asynchrone compromet la crédibi-lité et la maturation du processus de démocratielocale ainsi que l’effectivité de la politique de proxi-mité,d’où encore une fois,dans les modalités de miseen œuvre et de gouvernance de la stratégie, l’insis-tance des experts à plaider pour une déconcentra-tion plus rapide et mieux harmonisée des services,des moyens et des responsabilités de l’administra-tion centrale sur le territoire du royaume. Cettecondition est d’autant plus fondamentale qu’il appa-raît clairement, à l’issue des analyses développéesdans cette étude, que l’ensemble des problèmes de

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3.2.2. La gouvernance

globale de la stratégie

Au-delà des règles de bonne gestion et de bonne

pratique, qui doivent s’appliquer à l’ensemble des

institutions et des acteurs publics ou privés du

développement social, le cadre général de

gouvernance doit garantir :

(i) les libertés publiques et civiques et les droits

humains fondamentaux ;

(ii) l’égalité de tous devant la loi, y compris l’admi-

nistration publique à l’instar des citoyens ;

(iii) l’égalité de tous les citoyens, quel que soit leur

niveau de revenu ou leur condition socioéco-

nomique, dans l’accès aux institutions et aux

services publics ;

(iv) la transparence, la rationalisation et le souci

d’efficacité des services publics ;

(v) l’amélioration des capacités des citoyens à tenir

pour responsables les institutions censées les

servir ;

(vi) l’élargissement du rôle des collectivités locales

et le renforcement de leurs capacités afin qu’elles

soient en mesure de piloter le développement

social territorial ;

(vii) la déconcentration effective de l’adminis-

tration nécessaire à une politique effective de

proximité et à une décentralisation réussies.

L’ensemble de ces garanties étant elles-mêmes

inhérentes à l’approfondissement du processus de

démocratie.

coordination et d’intégration des politiques et desprogrammes peuvent être résolus dans le cadred’une démarche de contractualisation territoriale dudéveloppement social.

Cette démarche a le mérite de prendre en comptetous les dysfonctionnements et tous les facteurs quientravent l’efficacité des actions de développementsocial tels qu’on a pu les évaluer (émiettement desprojets et des programmes, doubles emplois etredondances, dispersion institutionnelle et défaut decoordination, stratégies d’acteurs multiples, plurielleset parfois concurrentielles, concentration excessivedes interventions sur certains sites et défaut de ciblagesur d’autres, etc.).

Au moment où l’on achève ce rapport, le ministère dudéveloppement social a déjà adopté une démarchesimilaire qu’il a désignée sous le terme ‘’Le contrat-programme social’’. Cette politique de contractuali-sation devra être déclinée le plus souvent au niveauprovincial ou préfectoral ; elle pourra l’être aussi auniveau d’une ville ou d’une région selon la nature etl’envergure des domaines sur lesquels porte lacontractualisation. Sa mise en œuvre suppose troisconditions nécessaires à son succès : (i) l’améliorationdes ressources des collectivités locales et l’effort depéréquation entre les plus riches et les plus pauvresd’entre elles ; (ii) l’accélération et l’harmonisationterritoriale du processus de déconcentration ;(iii) l’engagement ferme des différents départementssectoriels dans le processus de contractualisationterritoriale. Cette démarche représente une bonnefaçon de concilier les règles de bonne gestion despolitiques et programmes publics, de bonne gestiondes affaires locales, de bonne gestion de la ville, etc.Elle permet aussi d’atteindre plus facilement lesobjectifs d’inclusion sociale, de cohésion sociale et dereddition des comptes.

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