portrait de petre metu, l'ancien international roumain atteint de la maladie de charcot

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ATTEINT DE LA MALADIE DE CHARCOT, L’ANCIEN INTERNATIONAL ROUMAIN ET DEMI DE MÊLÉE MONTALBANAIS, PETRE MITU, SE BAT COMME UN LION POUR SA FEMME ET SES DEUX FILS. TOUJOURS DEBOUT ! Par Jérôme FREDON, jerome.fredon@midi olympique.fr Pour Petre Mitu, le bonheur, c’est simple comme un boire un verre de vin rouge, manger un bon confit de canard aux cèpes ou encore déguster une glace fraisecitron. Des actes ordinaires voire insignifiants pour le commun des mortels. Mais ô combien indispensables pour l’ancien demi de mêlée international roumain de Montauban, Tarbes ou encore Aurillac. Ces petits plaisirs si futiles en apparence lui rappellent combien il est important de savourer pleinement chaque instant de l’existence. Ils l’aident à se sentir plus vivant que jamais et lui donnent l’énergie de lutter contre la maladie. Le temps d’une promenade ensoleillée dans les rues de Sarlat où il s’est prêté avec amusement aux desiderata de notre photographe, Petre Mitu a retrouvé l’insouciance de son enfance. Sourire radieux illuminant son visage, il était comme un gosse de 37 ans devant sa glace. Surtout, cette escapade en famille dans le Périgord forme une parenthèse enchantée au beau milieu du cauchemar qu’il vit depuis le 13 mai 2014. Date où sa vie lui a échappé. Un neurologue indélicat lui a appris qu’il souffrait d’une sclérose latérale amyotrophique. Une maladie neurologique incurable. Huit patients sur dix atteints de cette maladie meurent dans les trois à cinq ans suivant le diagnostic. « Le médecin s’est montré très cruel dans la manière dont il m’a annoncé que je souffrais de cette maladie, confietil soudainement rattrapé par ses émotions enfouies, la voix toute chevrotante. Il m’a annoncé de but en blanc que j’allais mourir. Dans de telles circonstances, cela ne t’immunise pas de peser 110 ou 90 kg. J’ai pété les plombs. La tête dans les mains, je me suis effondré, en larmes. J’ai hurlé toute ma colère en même temps que mes pleurs. Je n’avais pas autant pleuré depuis mon enfance. J’étais tellement effondré que lors du trajet de retour je n’arrivais plus à parler. Plus aucun mot ne pouvait sortir. Je n’avais envie que d’une seule chose c’était de pleurer encore et encore. »

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29/6/2015 Detaille Article

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ATTEINT DE LA MALADIE DE CHARCOT, L’ANCIEN INTERNATIONALROUMAIN ET DEMI DE MÊLÉE MONTALBANAIS, PETRE MITU, SE BATCOMME UN LION POUR SA FEMME ET SES DEUX FILS.

TOUJOURS DEBOUT !Par Jérôme FREDON, [email protected] 

Pour Petre Mitu, le bonheur, c’est simple comme un boireun verre de vin rouge, manger un bon confit de canardaux cèpes ou encore déguster une glace fraisecitron.Des actes ordinaires voire insignifiants pour le commundes mortels. Mais ô combien indispensables pour l’anciendemi de mêlée international roumain de Montauban,Tarbes ou encore Aurillac. Ces petits plaisirs si futiles en apparence lui rappellent combien il estimportant de savourer pleinement chaque instant de l’existence. Ils l’aident à se sentir plus vivantque jamais et lui donnent l’énergie de lutter contre la maladie.

Le temps d’une promenade ensoleillée dans les rues de Sarlat où il s’est prêté avec amusementaux desiderata de notre photographe, Petre Mitu a retrouvé l’insouciance de son enfance. Sourireradieux illuminant son visage, il était comme un gosse de 37 ans devant sa glace. Surtout, cetteescapade en famille dans le Périgord forme une parenthèse enchantée au beau milieu ducauchemar qu’il vit depuis le 13 mai 2014. Date où sa vie lui a échappé. Un neurologue indélicatlui a appris qu’il souffrait d’une sclérose latérale amyotrophique. Une maladie neurologiqueincurable. Huit patients sur dix atteints de cette maladie meurent dans les trois à cinq ans suivantle diagnostic. 

« Le médecin s’est montré très cruel dans la manière dont il m’a annoncé que je souffrais de cettemaladie, confietil soudainement rattrapé par ses émotions enfouies, la voix toute chevrotante. Ilm’a annoncé de but en blanc que j’allais mourir. Dans de telles circonstances, cela ne t’immunisepas de peser 110 ou 90 kg. J’ai pété les plombs. La tête dans les mains, je me suis effondré, enlarmes. J’ai hurlé toute ma colère en même temps que mes pleurs. Je n’avais pas autant pleurédepuis mon enfance. J’étais tellement effondré que lors du trajet de retour je n’arrivais plus àparler. Plus aucun mot ne pouvait sortir. Je n’avais envie que d’une seule chose c’était de pleurerencore et encore. » 

29/6/2015 Detaille Article

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Connue sous le nom de maladie de Charcot, cette pathologie est un trouble dégénératif desneurones contrôlant les activités musculaires volontaires telles que le langage, la déglutition, larespiration et la marche. Elle conduit à une atrophie des muscles allant jusqu’à la paralysie desmembres, l’incapacité de parler, de se nourrir et respirer sans assistance. 

Cette maladie touche normalement 4 à 8 personnes sur 100 000. Mais elle a déjà tué Tinus Lineeet affecte profondément Joost Van der Westhuizen. Deux membres du groupe des Springboksdans les années 1990. L’ancien demi de mêlée n’est plus que l’ombre de l’incroyable chef demeute de l’équipe sudafricaine qui avait terrassé les All Blacks au cours de la finale du Mondial1995. En fauteuil roulant, il a perdu toute autonomie et a besoin d’une paille pour boire. Peutils’agir d’une simple coïncidence alors que certains membres de cette génération dorée ontreconnu prendre des pilules avant leurs matchs ? 

UNE CARRIÈRE JALONNÉE DE 10 KO 

La question du dopage se pose forcément. Mais Petre Mitu l’écarte d’un revers de main. « C’estexactement la première question que m’a posée le docteur à Limoges. À ma connaissance non.Les seules piqûres que l’on m’a administrées, c’était pour le vaccin contre la grippe. J’ai pris descompléments alimentaires pour récupérer plus vite. Mais rien d’interdit. Contrairement à d’autres,je n’ai jamais accepté de prendre des cachets donnés par le médecin du club pour prendre ouperdre du poids. Je ne fumais et ne buvais pas. Je ne sortais jamais en boîte après les matchs.J’ai toujours eu une hygiène de vie irréprochable. » 

Et avec la sélection roumaine ? « Quand j’étais en équipe junior, le docteur nous a donnés une oudeux fois des comprimés pour le foie afin de récupérer plus vite. S’il nous avait réellement donnéun produit nocif, je ne serai pas le seul aujourd’hui à avoir contracté cette maladie. » 

Mitu se pose néanmoins la question d’un lien entre les commotions subies au cours de sa carrièreet la maladie. « Des KO, j’ai dû en faire près de 10 tout au long de ma carrière, confessetil. Àl’époque, on ne prenait aucune précaution. Il n’y avait pas de protocole pour les commotions.Quand tu prenais un coup, tu rentrais à nouveau. Il m’est arrivé à la fin d’un match de demander àmes partenaires où je me trouvais et qui avait gagné car je ne me souvenais plus de rien. Le KO leplus impressionnant que j’ai fait ? C’était pour un tournoi en France avec la Roumanie. Sur leterrain, je courais partout mais sans savoir pourquoi. Après le match, je suis tombé dans lespommes dans la douche. À ce jour, les spécialistes n’ont établi aucun lien entre les coupsaccumulés à la tête et la maladie. En revanche, des études ont démontré qu’en cas de KO, lesneurones pouvaient être touchés voire endommagés. » 

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Mitu n’est plus ce demi de mêlée orgueilleux, ce roquet prêt à mordre les mollets de sesadversaires à la moindre occasion. Il marche au ralenti, peine à se servir de ses mains. Tenir uneconversation lui coûte en concentration et en énergie. Au fur et à mesure de cet entretien, sadiction va en déclinant. Il a du mal à retrouver ses mots. 

« Je dois beaucoup me reposer car la maladie me pompe beaucoup d’énergie. J’ai besoin tous lesjours de faire des siestes de deux heures au minimum pour recharger la batterie. Pourtant je faismes nuits : de 23 heures jusqu’à 8 heures du matin. Je mange aussi deux fois plus qu’il ne faut.Seulement, je n’ai pas pris le moindre kilo. Dans mon cas, je ne dois surtout pas perdre du poids.Plus je m’affaiblis, plus la maladie progresse. » 

LE MONDE DU RUGBY FAIT CORPS 

Pour endiguer la progression de cette cochonnerie, Mitu suit un traitement à base de cellulessouches. Cette thérapie s’accompagne de la prise quotidienne de toutes sortes de complémentsalimentaires. 21 pastilles le matin auxquelles viennent s’ajouter 19 comprimés absorbés le soir.L’ancien cornac de Montauban fait également beaucoup d’acupuncture. Il fait une demiheure demarche tous les jours afin de maintenir ses jambes en activité. 

« Aujourd’hui, j’ai encore de la chance, affirmetil. Je suis encore autonome. Je conduis toujourset surtout, je me lave tout seul. Ce qui me fout le plus les boules, c’est de ne plus pouvoir faire dusport avec mes enfants. Je ne peux plus les suivre. Personnellement, je ne me vois pas devenirhandicapé. Le jour où cela se produit, je ne pourrai pas revenir en arrière. C’est extrêmementdouloureux de vivre en permanence avec cette épée de Damoclès audessus de la tête. Quand jepense où j’étais il y a cinq ans et où je suis maintenant, c’est dur. » 

Pris de sanglots dans la voix, Mitu termine péniblement sa phrase. Silence pesant. Il a besoin d’ungrand verre d’eau pour recouvrer ses esprits. Son passé de sportif de haut niveau reprend alors ledessus. Mitu a gardé cette incroyable rage de vaincre et cette vaillance à toute épreuve quil’animaient sur les terrains. Pour son ultime combat, il s’accroche à cette vie comme jadis auxchevilles de ses adversaires. « Aujourd’hui, j’ai arrêté de me poser la question. « Pourquoi moi ? Àcause de quoi cette maladie s’est déclenchée ? » L’énergie qu’il me reste, je veux la mettre dansma fondation pour mieux dépister et lutter contre cette maladie. » 

Ses anciens frères d’armes ne l’ont pas oublié. Le monde du rugby fait corps à ses côtés pourl’aider à garder jusqu’au bout sa dignité d’homme. Le président de la Fédération roumaine, HariDumitras et son prédécesseur, Alin Petrache ont organisé avec l’aide de Mathias Rolland etGrégory Arganese une vente aux enchères de maillots. Les différentes générationsd’internationaux roumains ont organisé une collecte de fonds pour participer au financement de sa

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thérapie. Très onéreuse. Les Chênes classics ont décidé de rechausser les crampons face à leurshomologues français en septembre prochain à Sapiac. Cette rencontre pour la bonne cause auralieu en lever de rideau d’un match amical de Montauban. « Tous ces témoignages d’affectionanonymes me touchent beaucoup. Des gens que je n’ai même parfois jamais rencontrés, ont prisl’initiative de m’aider. Ça me fait un bien fou de savoir tous ces gens à mes côtés. Ça me donne laforce de lutter encore plus. On dit toujours que ce genre de malheur n’arrive qu’aux autres. Quoiqu’il se passe dans la vie, il faut toujours garder le moral. C’est un autre combat que je livre quecelui sur un pré de rugby. C’est le match d’une vie. D’une famille entière. Je me dois de me battrepour ma femme Nicoleta et mes deux fils Lukas et Pierre (en larmes). » Jusqu’à son derniersouffle, Mitu ne marchera jamais seul.