Candidature au contrat doctoral SMS 2013LabEx SMS

Projet de thèse de doctorat proposé par Salvatore Lo Piccolo

sous la direction de Michel BERTRAND

Rapports de force, stratégies familiales et parcours de reconnaissance sociale dans une ville de la Méditerranée :

Messine entre la Couronne espagnole et l'Ordre de Malte (XVIe-XVIIe siècles)

Domaine de recherche

En 1392, avec l'avènement des Martini en Sicile, la période de réorganisation institutionnelle et administrative correspond non seulement à une rapide redistribution des richesses et à un remaniement du territoire domanial, mais aussi à la construction d'un nouveau status de la noblesse en faveur des groupes émergents de Messine et de ceux qui avaient soutenu l'arrivée sur l'île des rois d'Aragon.C’est dans ce contexte historique qu’est née ce que E. Igor Mineo a défini comme une «noblesse d'État»: une aristocratie composée d’hommes à qui les souverains demandent de s'occuper de la gestion bureaucratique et financière du regnum, et de relier le pouvoir central au pouvoir périphérique.Ce changement de scénario politique correspond bientôt – comme le montrent les études de Daniela Santoro – à une modification de la dynamique familiale en réorganisation du patrimoine dans le sens agnatique et en un système de mariages qui tissent des liens de parenté visant à renforcer et sauvegarder la position sociale et économique obtenue.Pietro Corrao, en traçant le profil identitaire de ce groupe hégémonique naissant, parle d'un « nouveau visage de l'aristocratie », dont les traits distinctifs ne sont plus ceux qui étaient typiques de la noblesse titrée (fondée sur le droit d'aînesse, l'héritage génétique et donc l'honneur et l'exercice de l'art militaire), mais seulement sur le privilège et sur la disponibilité d'argent.Pendant le XVe siècle, ce sont ces dynamiques financières qui déterminent de véritables processus de mobilité sociale “ascendante” en faveur des membres de la bourgeoisie citadine (souvent d’origine commerciale), comme cela est clairement indiqué par Enrico Pispisa à propos du contexte de Messine. La tendance de ces parvenus à transformer leurs maisons en musées, riches en reliques,

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symboles du rang social atteint, donnera naissance en Sicile à des villes d’un type inhabituel, nettement aristocratique et autoréférentiel. C'est ainsi que commence l'histoire de la noblesse de Messine.Que va devenir cette structure sociale pendant les temps modernes ? Quelles stratégies seront mises en place pour tenter de résister à l'impact de la mobilité vers le haut qui, entre les XVI e et XVIIe

siècles, a traversé toute l'Europe méditerranéenne ? Que restera-t-il de son passé dans la mémoire collective de la postérité ? Quels rapports de force consentiront la consolidation (ou le déclassement) socio-économique ? Il est opportun de tenter de donner une réponse à ces questions, car il n'existe pas d'enquête complète, à ce jour, sur l'évolution de l'aristocratie de Messine à l'époque moderne. Il y a eu, plutôt, de nombreuses tentatives d'analyse des institutions municipales et des rapports économiques locaux : on pense, par exemple, aux essais de Elio Tavilla, Giovanni Muto et Domenico Ligresti.À la lumière des ces interrogations, les études sur les familles aristocratiques de Messine devraient être contextualisées, afin de reconstruire le réseau d'interactions entre les individus, le corps social, les structures politiques et administratives du royaume de Sicile et de la monarchie hispanique.

Objectifs

L'objectif de la recherche est de donner naissance à un débat historiographique sur le patriciat de Messine à l'époque moderne, en faisant – pour la première fois – une comparaison avec d'autres contextes « périphériques » de l’Espagne (Palerme, Catane, Naples), dont les groupes hégémoniques ont des caractéristiques très différentes.Les particularités de l'aristocratie de Messine sont sûrement dues à une raison fondamentale : la position géographique qui fait de la ville un carrefour important en ce qui concerne les interconnexions économico-sociales au sein de la Méditerranée. Par conséquent, un tel environnement offre de nombreuses possibilités de recherche qui vont des particularismes urbains aux relations internationales de grande envergure.

En ce qui concerne le contexte urbain, on considère très intéressant d’analyser la mobilité sociale au sein de la noblesse de Messine, composée par des hommes qui proviennent d’horizons différents notamment ceux du négoce, du commerce maritime et du monde juridique. Toutefois, se mettre sur les traces de ces aristocrates signifie non seulement les suivre dans les mouvements liés à la gestion des affaires municipales et du commerce (même en dehors de la ville de Messine), mais aussi dans leurs relations de do ut des avec les souverains. Cela permettrait ainsi de mettre en évidence les rouages utilisés par la monarchie hispanique visant à fidéliser et utiliser ses élites afin d’essayer de garantir la cohésion d’un empire fragmenté par essence.

Il sera possible de cette façon de suivre ces gentilshommes au cœur même de leurs maisons pour définir les stratégies testamentaires, matrimoniales et professionnelles qu’ils mettent en place pour créer, renforcer, préserver et, dans certains cas, retrouver un statut qui est socialement reconnu comme « noble ».

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Une fois établie la cartographie des résidences et des lieux où ces familles avaient l’habitude de « vivre comme des nobles », il sera également intéressant d'analyser leurs interactions et le rapport de forces avec l’Ordre de Malte qui, à partir du XVIe siècle, deviendra la plus grande autorité en matière de noblesse et les sociétés urbaines de la Méditerranée y feront très souvent référence.À ce stade, l'objectif de la recherche sera de vérifier comment le lien de ces familles avec l'Ordre (favorisé, peut-être, par le fait que le Grand Prieuré se trouvait à Messine) non seulement a joué un rôle important pour l’affirmation de leur image publique – grâce à l'invention des « procès de noblesse et de légitimité » –, mais il a également renforcé leur projection internationale.

Le point d’arrivée de cette enquête sera la révolte des Malvizzi qui, entre 1674 et 1678, a vu la scission de Messine en deux factions : l’une pro-française (en faveur de Louis XIV) et l’autre pro-espagnole. Cette division – comme on veut le démontrer – plonge ses racines dans les conflits internes de l’Ordre de Malte, où militaient, en effet, certains des descendants des familles les plus illustres du patriciat. Pendant cette période Messine devient à tous les égards une ville portuaire supranationale.À cet égard, il faut de noter que l’historiographie sur l’insurrection qui explose à Messine n'est pas encore abondante et exhaustive ; elle manque, à ce jours, d’une analyse qui reconstruise l’identité et l’histoire (pre et post révolte) de ses protagonistes mettant en évidence leurs craintes, leurs valeurs culturelles et leurs motivations qui les poussa à prendre partie l’une ou pour l’autre faction. Cette révolte peut devenir ainsi un miroir intéressant de l'évolution socioculturelle d'un groupe de familles constamment à la recherche d'une affirmation politique et économique.

Méthodologie

La première étape de cette étude sera d’élaborer un échantillon représentatif de familles appartenant à la bourgeoisie pour procéder à une approche quantitative. À ce propos, il semble qu'un premier sondage élargi à l'ensemble du patriciat de Messine, pour une durée précise (par exemple, entre 1650 et 1680), permettrait d'offrir des approches, des stratégies et des alliances familiales plus articulées, et, de ce fait, rendrait également plus décisifs les liens établis avec les anciens lignages de la ville, l’Etats et l'Ordre de Malte. Après avoir identifié les personnalités et les parcours familiaux les plus représentatifs à étudier, on pourra – grâce à une sorte d'enquête rétrospective – essayer de reconstruire leur histoire « noble » remontant jusqu’au XVIe siècle.D'autre part, la tentative de reconstituer les trajectoires de la majorité des lignages de Messine non seulement est une innovation dans l'historiographie sur ce sujet, mais il peut devenir une occasion importante pour identifier les différentes constantes, ruptures et crises socio-politiques au sein d'un groupe hégémonique en constante transformation.

La source archivistique la plus importante pour conduire ce type d'analyse est certainement le fond de la Commenda della Magione serie Processi di nobiltà per l'Ordine di Malta (1543-1808). En fait, il abrite «les procès de noblesse et de légitimité» qui ont permis à beaucoup de jeunes siciliens

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de revêtir l'habit de chevalier de l’Ordre de Malte. Il s’agit de dossiers contenant les documents formels (tels que la demande d'admission, la lettre du Grand-Maître, l'interrogation des textes) et les probationes tam publicae tam privatae (notamment arbres généalogiques, actes de baptême et testaments), nécessaires pour établir la noblesse « claire », « authentique » et « ancienne » (qui remonte à deux cents an) du présenté et des quatre familles du côté paternel et maternel.

Pour la réalisation de ce projet, on envisage des études monographiques, ainsi que des recherches historiques qui nécessitent la consultation de documents conservés dans les archives et les registres des paroisses de Messine.Afin de reconstruire les mouvements des familles choisies, aussi bien au niveau local qu'international, et d'analyser les rapports de force avec les institutions légitimantes à l’époque moderne, il sera indispensable une étude approfondie de la documentation des fonds suivants qui se trouvent aux Archives d'État de Palerme (ou ASPa) : Commissaria di Mezz'annata (1630-1822) ; Conservatoria del Real Patrimonio (1412-1813) ; Protonotaro del Regno (1349-1819) ; Real Cancelleria (1285-1819).

Pareillement, il sera intéressant, afin d'avoir une idée plus complète de la dimension européenne de la question, d'examiner plusieurs écrits conservés aux Archives "Historico Nacional" de Madrid, "General" de Simancas, "Histórico Nacional" (Seccion Nobleza) de Tolède et aux "Fonds de maisons nobles comme celui des Ducs de Medinaceli (Fundación Medinaceli)"; cette dernière, surtout, pourra se révéler une source importante pour mieux connaitre les trajectoires individuelles et les réseaux de relation des élites protagonistes pendant la révolte de Messine. Par ailleurs, la consultation des documents qui se trouvent à la "Bibliothèque Nationale de France" à Paris et aux "Archives du Ministère des Affaires Étrangères (La Courneuve)" pourrait enrichir le sujet de nouvelles et passionnantes perspectives de recherche.

Interdisciplinarité

Dans le cadre de cette étude il sera fondamental d’adopter une approche interdisciplinaire visant à démontrer que, dans un tel climat social et culturel, les procès de noblesse tracent des « parcours de reconnaissance sociale», et, comme ceux que Michel Foucault appelait « dispositifs », ils vont devenir un véritable corpus. Les procédures d’accès établis par les ordres religieux-chevaleresques sont chronologiquement antécédente à la formation des États-Nation et des sociétés du droit moderne, malgré le fait qu’elles seraient devenues rapidement une tradition en mesure de produire des affects matériels, juridiques et idéologiques. À ce propos, la relecture des études de Antonio Gramsci, conduit par Ernesto Laclau, permet d’ajouter à cette argumentation un élément relatif au concept « d’hégémonie », qui ici ne doit pas être entendu dans une perspective superficiellement actuelle, mais plutôt utilisé afin de mettre en lumière les stratégies culturelles de légitimation sociale visant à exercer une position en rapport avec le contingences historiques.Qu’est ce qui détermine, comme pour la révolte des Malvizzi, d’un ancien à un nouvel ordre politico-social ? À ce sujet, il est nécessaire d’analyser les modalités de représentation qui construisent et imposent des images et des histoires partagées, ayant pour objectif de définir tant les

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espaces entre les corps que les mémoires entre les générations. Démontrer dans le contexte de Messine que les rapports sociaux s’inscrivent en ordres symboliques, qui à leur tour, se traduisent en procédures et d’une loi immanent, mais toujours en mesure de déterminer une réalité complexe et contingente, est peut-être un des moments plus passionnantes de la recherche.Au cours de cette enquête, on portera une attention particulière aux processus de fondation dynastique et aux stratégies mises en œuvre par les lignages de Messine pour renforcer ou reconstruire une "mémoire familiale", fixant pour toujours leur image publique dans la "mémoire collective". Cette étape de l'analyse se partagera en deux étapes principales : la première concerne l'étude de la documentation existante dans les archives privées des familles examinées (notamment les "livres de famille"), la deuxième prévoit la lecture de monographies d'envergure internationale à caractère littéraire et anthropologique ; on pense, par exemple, au sujet des "écritures familiales" et des généalogies incroyables et donc la tendance qu’avait la noblesse européenne de transformer le propre vécu en matière d’art, en reconduisant les origines à une dimension intemporelle des traits mythiques.La représentation culturelle, les comportements individuels et les dispositifs utilisés par l'Ordre de Malte permettraient ainsi de définir les caractéristiques physiques et morales qui, à l’époque, servaient à dresser le portrait d'un "gentilhomme".

En conclusion, contribuer à revitaliser la thématique historiographique sur le patriciat de Messine, à travers des approches inédites et interdisciplinaires liées aux sciences sociales et humaines, serait certainement porteur de développements intéressants dans le domaine de l’histoire politique, sociale et culturelle des villes portuaires de la Méditerranée.

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