quel positionnement juridique adopter à l’égard des opérations … · 2018-12-21 · 1. la...
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Fiche projet
Décembre 2018
Quel positionnement juridique
adopter à l’égard des opérations
françaises en Syrie dans l’ère
post Daech et de l’opération
turque actuelle ?
Légalité régalienne dans la lutte contre le terrorisme
Contexte
Débuté en 2011, le conflit syrien connaît aujourd’hui un tournant. Après les avancées
successives des forces turques au Nord-Ouest de la Syrie et des kurdes au Nord-Est ainsi que la
reconquête des derniers bastions des forces démocratiques syriennes par les forces pro-
gouvernementales soutenues par les forces russes et la force iranienne Al-Qods, chaque acteur
souhaite consolider et renforcer sa position. L’affirmation croissante d’intérêts stratégiques
antinomiques par les forces en présence s’illustre également par l’accroissement des tensions au
Sud-Ouest de la Syrie ou Israël a bombardé l’aéroport militaire de Dabaa, suspecté d’abriter des
dépôts d’armes et de munitions du Hezbollah.
Le positionnement des acteurs varie en termes d’objectifs défendus sur le terrain mais aussi
dans leur relation au regard du droit international public. Si l’intervention de la Russie a été
sollicitée par le Président de la République arabe syrienne, ce n’est pas le cas de la Turquie qui
s’oppose aux forces kurdes, ni même de la coalition internationale.
Ainsi, la France intervenant depuis septembre 2015 sur le territoire syrien sur le fondement de la
légitime défense à la suite des attaques répétées de Daech sur son territoire, se trouve dans un
flou juridique. En effet, la perte de territoire de l’organisation terroriste au Proche-Orient remet en
question la pertinence de ce fondement pour la légalité et légitimité de l’action française.
Enjeux
Plan
Commentaires• L’ère post-Daech inscrit l’action de la
France en Syrie dans un flou
juridique. Pourtant, l’inscription de
son action dans le droit est
fondamentale pour préserver la
légitimité et la cohérence de son
action, présente et future, ainsi que
pour garantir le respect du droit
international, conventionnel et
coutumier.
Suite• aux attentats de 2015, les
Français attendaient de leur
gouvernement une réponse forte.
Pourtant, il faut bien dissocier légalité
et légitimité, puisqu’au cadre défini
de la légalité, on substitue un
argument politique influencé par un
certain populisme potentiellement
dangereux à même de violer le droit
international.
Territoire national •syrien instable
Éclatement de •l’autorité
Présence •terroriste
• Exactions commises sur la population civile
• Réfugiés et déplacés
• Responsabilité de protéger
Légitimité auprès •des Français
Respect du droit •constitutionnel
Souveraineté •nationale syrienne
Principes de non• -ingérence et de non-recours à la force
Engagements •internationaux
Respect du droit
international
Politique nationale
SécuritéHumanitaire
PROPOSITION 1 PROPOSITION 2
La légitime défense ▪
ou le consentement étatique
▪ L’autorisation de recourir à la force
PROPOSITION 3
▪ La responsabilité de protéger
PROPOSITION 4
La nécessaire ▪
réforme du droit de veto
1 2 3 4
1. La légitime défense ou le consentement étatique
Contexte
Dans le cadre de l’opération interalliée Inherent Resolve (OIR) luttant contre Daech, la France est intervenue enseptembre 2014 sur le territoire irakien suite à la demande express formulée par les autorités irakiennes. Cependant, enréponse aux attaques perpétrées sur le territoire français, François Hollande a décidé d’étendre la lutte en frappantdirectement le territoire syrien. Contrairement à l’Irak, la Syrie n’avait pas sollicité cette intervention française et laFrance a donc d’abord justifié les frappes opérées en septembre 2015 sur le fondement de la légitime défense collectiven soutien à l’Irak. Puis à partir de novembre 2015, elle se fonde sur la légitime défense individuelle et réussit à obtenirl’adoption de la résolution 2249 du Conseil de Sécurité des Nations Unies affirmant que Daech constitue une menace àla paix et à la sécurité internationales. Cependant, une telle résolution ne justifie pas en elle-même la légitime défenseet le recours à la force armée. En outre, face au déclin de Daech au Proche-Orient, il apparait que l’interventionfrançaise est de moins en moins fondée au regard du droit international.
Légalité de l’intervention militaire sur le territoire syrien
L’intervention militaire d’un Etat sur le territoire d’un autre Etat souverain est encadrée par le droit international etautorisée en cas de légitime défense ou lorsque l’intervention est sollicitée et consentie par l’Etat en question.
Démarche détaillée
Risques
• Absence d’agression armée de la part d’une entité étatique en tant que telle, ce qui empêche donc de remplir lescritères juridiques de la légitime défense.
• Remise en cause des principes de base du droit international par l’évolution de la légitime défense en véritablelégitime défense préventive (e.g. les Etats-Unis lors de leur intervention en Irak).
• Refus probable de voir les puissances internationales intervenir dans la suite du conflit.
• Utilisation du veto par certains membres permanents empêchant l’adoption d’une autorisation expresse a posteriori.
Facteur clé de succès
• Atteinte d’un consensus international sur la validité d’une possible autorisation implicite de la part des autoritéssyriennes et/ou du Conseil de Sécurité via la Résolution 2249.
Légitime défense Consentement étatique
La▪ légitime défense, reconnue par l’article 51de la Charte des Nations Unies, suppose uneagression armée préalable commise par unEtat souverain à l’encontre d’un autre.Seules▪ les résolutions du Conseil de Sécuritéadoptées sous l’égide du Chapitre VIIpeuvent permettre un recours à la force.
▪ Le consentement doit être valide et doitémaner d’une autorité légitime.
La▪ France a invoqué la légitime défense.La▪ France a interprété la résolution 2249 du Conseil de Sécurité des Nations Unies affirmant queDaech constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales comme autorisant le recoursà tous les moyens (dont l’usage de la force) pour combattre le terrorisme.
Les▪ attentats perpétrés sur le sol français nesont pas des « agressions armées commisespar un Etat » et n’ouvrent donc pas la voie àla légitime défense au sens de l’article 51.La▪ Résolution 2249 n’a pas été adoptée sousl’égide du Chapitre VII et n’octroie pasd’autorisation explicite de recourir à la force.
▪ En l’absence de consentement ou desollicitation de la part du gouvernementlégitime syrien, la France ne peut fairereposer son intervention sur ce fondement.
▪ Obtention d’une autorisation expresse aposteriori par le Conseil de Sécurité de l’ONU.
▪ Démonstration par la France de la capacitéde nuisance de Daech due au manquementde l’administration syrienne, sans contrôleeffectif de la totalité du territoire, justifiant lerecours à la légitime défense préventive.
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Autorisation▪ a posteriori du gouvernementlégitime syrien.
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2. L’autorisation de recourir à la force
Contexte
Le 4 avril 2017, les autorités syriennes ont franchi « la ligne rouge » définie par l’administration Obama après avoir fait
usage d’armes chimiques sur la population du village de Khan Cheikhoun (en dépit du fait que les premières attaques
chimiques observées datent de 2012). Alors qu’en 2013 l’administration américaine s’était ravisée, les Etats-Unis et
leurs alliés français et britanniques ont décidé en avril 2018 de bombarder collectivement des sites militaires et centres
de recherche, soupçonnés d’héberger les programmes chimiques du régime syrien, à Damas et près de Homs.
Légalité du recours à la force
Pour recourir à la force armée sur le territoire souverain de la Syrie, les Etats peuvent se prévaloir de plusieurs motifs
encadrés par le droit international et notamment par la Charte des Nations Unies, dont celui reposant sur une
autorisation délivrée par le Conseil de Sécurité agissant dans le cadre du Chapitre VII.
Lorsqu’une menace contre la paix et la sécurité internationales est constatée par le Conseil de Sécurité des Nations
Unies et lorsque des mesures non militaires se sont révélées inadéquates, l’article 42 de la Charte des Nations Unies
permet au Conseil d’autoriser le recours à la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.
Démarche détaillée
Risque
Blocage• (veto russe utilisé à 12 reprises) du processus de règlement du conflit de manière multilatérale au sein des
instances onusiennes.
Facteur clé de succès
Association• de la Russie aux négociations en se fondant notamment sur la résolution 2254 visant à mettre fin au
conflit syrien.
AUTORISATION DU CSNU
Constatation• par le Conseil de Sécurité des Nations Unies de l’existence d’une « menace contre lapaix et la sécurité internationales », Art. 39 de la Charte des Nations UniesDécision• du Conseil de Sécurité des Nations Unies de l’adoption ou non de mesures non militaires,Art. 41 de la Charte des Nations UniesAutorisation• de recours à la force délivrée par le Conseil de Sécurité pour une opération demaintien/rétablissement de la paix, Art. 42 de la Charte des Nations Unies
Le• Président de la République, Emmanuel Macron, avait affirmé la pleine légitimité internationalede son intervention avec les Américains et Britanniques, sur le fondement de la résolution 2118.La• résolution 2118 adoptée en 2013 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies considèrel’emploi d’armes chimiques comme « une menace contre la paix et la sécurité internationales ».Par conséquent, le Conseil décide de contraindre la Syrie à éliminer « tous les équipements etmatières liés aux armes chimiques ». En cas de non-respect des obligations énoncées, le Conseil deSécurité avait annoncé qu’il imposera « des mesures en vertu du Chapitre VII ».
La▪ Résolution 2118 constatait l’existence d’une menace à la paix et la sécurité internationales maisn’autorisait pas le recours à la force. Une deuxième résolution, cette fois sous l’égide du ChapitreVII de la Charte, aurait été nécessaire pour intervenir et recourir à la force armée sur cefondement.
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▪ L’existence d’une menace à la paix et la sécurité internationales étant constatée, la France pourraitencourager l’adoption d’une nouvelle résolution par le Conseil de Sécurité autorisant l’interventionmilitaire et l’usage de la force sur le sol syrien.
OBTENTION D’UNE AUTORISATION A POSTERIORI PAR LE CSNU
3. La responsabilité de protéger
Contexte
Le conflit syrien est une catastrophe humanitaire ayant provoqué près de 353.935 morts, ainsi que 11 millions de
déplacés et réfugiés. La Syrie n’est pas parvenue à garantir la sécurité de ses citoyens et à remplir son obligation de
protection des droits de l’homme.
La responsabilité de protéger en droit international
En 2005, la communauté internationale a adopté le principe de « responsabilité de protéger » qui engage les États à
protéger les populations contre le génocide, crimes de guerre, nettoyage ethnique ou crimes contre l’humanité. Cette
responsabilité incombe en premier lieu à l’Etat souverain, en second lieu à la communauté internationale tenue d’aider
les États à accomplir cette tâche.
Dans un dernier temps, lorsqu’un Etat ne peut pas ou ne veut pas s’acquitter de cette responsabilité, la communauté
internationale peut intervenir à sa place. Le recours à ce dernier « pilier », et donc le recours à la force sur le territoire
d’un Etat souverain, nécessite néanmoins l’autorisation du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Démarche détaillée
Risques
Possible• veto russe pour deux motifs :
Crainte(1) d’une intervention similaire à la gestion du conflit libyen, à savoir le détournement de l’objet initial de
protection des populations afin de renverser le régime en place;
Refus(2) de la Russie de voir le régime qu’elle soutient devoir répondre des exactions commises.
Incertitude• autour des modalités d’intervention (durée, mandat, transition).
Facteur clé de succès
Encadrement• strict du mandat de l’intervention en le limitant aux motifs humanitaires afin d’assurer la coopération de
la Russie en s’appuyant notamment sur les résolutions 2254 (encourageant les pourparlers afin de parvenir à une
résolution du conflit) et 2401 (exigeant l’arrêt des combats et soucieuse de l’acheminement de l’aide humanitaire).
La responsabilité de protéger comme fondement à l’intervention française
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ENTS Une▪ commission d’enquête établie en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
a constaté la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité tant par les forcesgouvernementales que les rebelles.Possible▪ exacerbation du conflit conduisant à des épurations ethniques dans le nord de la Syrie,notamment dans le cadre du conflit opposant les turcs et les kurdes.
▪ Constatation par le Conseil de Sécurité des Nations Unies de l’existence de « génocide, crimes deguerre, nettoyage ethnique ou crimes contre l’humanité » à l’encontre de la population syrienne.
▪ Autorisation par le Conseil de Sécurité des Nations Unies d’une intervention (opération demaintien de la paix).
4. La nécessaire refonte du droit de veto
Contexte
L’ère post-Daech s’inscrit dans une profonde incertitude stratégique qui remet en cause le principe même de futures
interventions dans la région. Bien plus, le conflit syrien a également mis au jour l’inadaptation et l’impuissance du droit
international face à des situations de massacres de masse dès lors qu’un Etat membre du Conseil de Sécurité des
Nations Unies est partie, directement ou indirectement, au conflit.
En sept années de conflit, la Russie a imposé son veto à 12 reprises et est généralement suivie par la Chine. Hors en
l’absence d’approbation d’une intervention par l’ensemble des Etats membres du Conseil de Sécurité, l’intervention de
la France ne peut être que juridiquement contestable.
La nécessaire refonte du droit de veto
Accordé aux membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le droit de veto leur permet de bloquer
l’adoption d’une résolution en paralysant de facto l’instance onusienne.
Depuis 2013, la France soutient l’idée d’encadrer le droit de veto en cas d’atrocités de masse constatées par le
Secrétaire Général des Nations Unies. Cette proposition a été soutenue par de nombreux États mais rencontre
l’opposition de la Russie.
Démarche détaillée
Risques
Opposition• de la Russie et de la Chine dans le cadre du conflit syrien
Remise• à plat du système onusien dans son ensemble (le droit de veto n’y est peut-être pas une priorité)
Application• non systématique et donc non garantie, y compris dans le cas syrien (reposant sur la volonté des États)
Facteurs clé de succès
Encadrement• clairement des conditions de restriction du droit de veto
Engagement• des Etats à la prise de responsabilité et au respect du droit international
Réforme du droit de veto au sein du Conseil de Sécurité des Nations unies
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Lors▪ d’atrocités de masse et sur proposition du Secrétaire Général ou du Haut-commissaire auxdroits de l’Homme ou de cinquante États membres des Nations Unies, les membres permanents duConseil de Sécurité s’engagent volontairement à ne pas user de leur veto, sauf si des intérêts vitauxnationaux sont en jeu.
▪ Démarche volontaire de la part des membres permanents
Accord unanime sur la définition «▪ d’atrocités de masse »Plaidoyer intensif auprès des différents membres du Conseil de Sécurité▪
Contacts
Morgane FOUQUET LAPAR, Rédacteur du pôle DSD +33 (0) 6 32 22 95 68
Charlotte VILLATTE, Rédacteur du pôle DSD +33 (0) 6 45 45 17 42
CONFIDENTIEL, Responsable du pôle DSD non communiqué
Nicolas SABBEN, Président du CESED +33 (0) 6 11 15 13 10
www.cesedco.wordpress.com
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