récits initiatiques de jean-marie gustave le clezio ... · de récits, le clézio connaît un...

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Récits initiatiques de Jean-Marie Gustave LE CLEZIO : Mondo et autres histoires Par Chotika Techaniyom Mémoire d'études françaises Diplôme de Maîtrise Département de Français Ecole des Etudes Supérieures Université Silpakorn 2002 ISBN 974 - 653 - 277 - 4

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  • Rcits initiatiques de Jean-Marie Gustave LE CLEZIO : Mondo et autres histoires

    Par

    Chotika Techaniyom

    Mmoire d'tudes franaises

    Diplme de Matrise

    Dpartement de Franais

    Ecole des Etudes Suprieures

    Universit Silpakorn

    2002

    ISBN 974 - 653 - 277 - 4

  • 2545

    ISBN 974 - 653 - 277 4

  • L'Ecole des Etudes Suprieures de l'Universit Silpakorn a accept le

    mmoire : Rcits initiatiques de Jean-Marie Gustave LE CLEZIO : Mondo et

    autres histoires, propos par Mademoiselle Chotika Techaniyom dans le cadre

    des tudes franaises de matrise.

    ..

    (Dr. Chirawan Kongklai, matre assistant)

    Doyen de l'Ecole des Etudes Suprieures

    Date.mois..anne..

    Directrice du mmoire

    Dr. Judharat Bencharit, matre assistant

    Le jury

    .prsident

    (Oraphin Jatarupamaya, matre assistant)

    //.

    ...membre

    (Dr. Judharat Bencharit, matre assistant)

    //.

    ..membre

    (Dr. Suthavadee Nunbhakdi, matre assistant)

    //.

  • K41413002 : : - / / : - (Rcits initiatiques de Jean-Marie Gustave LE CLEZIO : Mondo et autres histoires) : . . . 97 . ISBN 974-653-277-4. - 8 3 2545 . ...

  • K 41413002 : Majeur : Etudes franaises

    Mots cls : Jean-Marie Gustave LE CLEZIO / Mondo et autres histoires / le rite dinitiation

    Chotika Techaniyom : Rcits initiatiques de Jean-Marie Gustave LE CLEZIO : Mondo et autres histoires. Directrice du mmoire : Dr.Judharat Bencharit, matre assistant. 97 pp. ISBN 974-653-

    277-4.

    Les huit rcits dans Mondo et autres histoires peuvent tre lus au moyen du schma

    initiatique dgag par Simone Vierne dans Rite, Roman, Initiation. Les protagonistes suivent les tapes

    du rite dinitiation; phase de la prparation, phase de la mort initiatique et phase de la renaissance, et se

    retrouvent la fin dans un tat suprieur. Chacune des phases de linitiation est caractrise par des

    motifs initiatiques de diffrents ordres. Leur prsence est tellement forte et incontournable quils

    permettent de retracer prcisment litinraire initiatique de chaque rcit.

    Dpartement de Franais Ecole des Etudes Suprieures, Universit Silpakorn Anne Universitaire 2002

    Signature de ltudiante...

    Signature de la directrice du mmoire.

  • REMERCIEMENTS

    Je veux dabord manifester ici ma reconnaissance la plus profonde

    Mme. Judharat Bencharit, ma directrice de mmoire, pour les conseils prcieux

    et la remarquable patience quelle ma accords tout au long de ce travail.

    Je remercie vivement Mme. Oraphin Jatarupamaya et Mme. Suthawadi

    Nunbhakdi pour leurs conseils et leur aide.

    Je voudrais galement tmoigner ma reconnaissance tous mes matres

    du lyce et tous les enseignants du dpartement de franais de luniversit

    Silpakorn pour la formation quils mont donne. Je remercie particulirement

    Mme.Amornrat Nikrodhananda et M. Bernard Wirth pour le soutien et leurs

    conseils inestimables.

    Je ne remercierai jamais assez Mme. Boonma Thaikao pour sa

    compassion, sa disponibilit et son soutien toujours chaleureux et efficace.

    Je remercie ensuite mes camarades et tous mes amis pour les

    encouragements et leur prsence trs motivante.

    Je tiens enfin exprimer toute ma gratitude et mon affection mes

    parents et lensemble de ma famille, pour leur soutien moral et financier qui

    ma permis de poursuivre et de mener bien cette recherche.

  • TABLE DES MATIRES

    Page

    Rsum en tha .

    Rsum en franais ..

    Remerciements .

    Introduction ......1

    Chapitre

    Chapitre 1 Les rites dinitiation dans Mondo et autres histoires

    1. Mondo et autres histoires .....4

    1.1 lauteur et sa cration littraire........4 1.1.1 les autres ouvrages de Le Clzio...5

    1.1.2 la littrature pour la jeunesse...10

    1.2 les personnages en qute.......16

    2. Linspiration des rites dinitiation....20

    2.1 la notion primitive.21

    2.2 la littrature et linitiation..29

    Chapitre 2 Les prparatifs initiatiques.......................32

    1. Les lments initiatiques...32 1.1 la figure du rite...33

    1.2 du monde profane au monde sacr.43

    2. la phase de la prparation.47

    2.1 la sparation...48

    2.2 la purification.54

    Chapitre 3 De la mort la renaissance..61

    1. La phase de la mort initiatique..62

    1.1 le rite dentre...62

  • Chapitre 3 (suite) page

    1.2 le voyage dans lau-del.. 66

    2. La phase de la renaissance... 81

    Conclusion 91

    Bibliographie 95

    Curriculum vitae ..97

  • 4

    CHAPITRE I

    Les rites dinitiation dans Mondo et autres histoires

    Treize ans aprs la parution de La Fivre (1965), son premier recueil

    de rcits, Le Clzio connat un grand succs grce son deuxime recueil

    intitul Mondo et autres histoires. Le public de cet ouvrage leclzien comprend

    non seulement les adultes amateurs de littrature contemporaine, mais aussi un

    grand nombre de jeunes lecteurs de dix ans ou plus. En fait, cet ouvrage, qui

    comprend huit rcits, sadresse tous ceux qui rvent dun ailleurs et ceux qui

    aiment le voyage et laventure. Car, dans ce recueil de trois cents dix pages,

    Le Clzio ne cesse pas de clbrer la beaut du monde.

    Pour lcriture de cet auteur, que nous considrons comme une vraie

    uvre dart, nous essayerons de montrer dans ce chapitre, la prsence du vcu

    de lauteur dans son texte et les critiques sur cet ouvrage portant sur les thmes

    initiatiques. Puis nous tenterons de cerner le concept dinitiation pour

    lappliquer lanalyse de Mondo et autres histoires.

    I Mondo et autres histoires

    1.1 Lauteur et sa cration littraire

    Aprs avoir publi Ha (1971), un essai sur la civilisation

    amrindienne, Le Clzio a acquis limpression quand il commence crire Mondo et

    3Boncenne ( Pierre ), >, Ecrire, Lire et en parler, mode demploi. Paris :

    Robert Laffont, 1985, p.80.

  • 5

    autres histoires. Les protagonistes des huit rcits rassembls dans ce recueil

    dcouvrent donc la beaut, la douceur et le merveilleux des lments au lieu de

    sen tenir lagression du monde moderne comme les personnages des

    ouvrages prcdents. Cette volution de lauteur qui est bien marque dans

    notre corpus contribue son succs. Cependant Le Clzio reste en qute de sa

    cration littraire et na de cesse den faire ressortir loriginalit.

    1.1.1 Les autres ouvrages de Le Clzio

    Trs jeune, Le Clzio a dcid dtre crivain. Ainsi, faisant rfrence

    son enfance, quand il avait huit ans, il raconte ceci :

    Ma mre me fournissait des tickets de rationnement, rests de la

    guerre; je rdigeais dessus de courtes histoires que jexpdiais mes

    cousines, lle Maurice. Les thmes de ces premiers balbutiements taient

    dj ceux de mes livres dadulte4.

    Ds la parution de son premier ouvrage, Le Procs-Verbal (1963),

    Le Clzio ne cesse de transcrire en prose le flot de sa pense pour garder son

    quilibre. Son travail de cration littraire, aussi bien dans la forme que dans le

    fond de chaque ouvrage, indique son volution et rvle la cohrence de son

    oeuvre.

    Refusant toujours la classification en genres littraires, Le Clzio

    exprime clairement quil prfre crer son uvre lextrieur des rgles o

    lon enferme limagination, > Il dit aussi que :

  • 6

    un grand essor. Elles simposent une unit daction, de temps et de lieu. Si ces

    rgles deviennent liberts, je les accepte avec bonheur6. >>

    Ds la parution de La Fivre (1965), son premier recueil compos de

    neuf histoires, Le Clzio annonce son refus du genre littraire : > (F.p.8). Cest pourquoi il explique plus tard que

    [] nous allons vers une littrature totale qui ne sera ni tout fait

    roman, ni tout fait pome ou essai. [] On sapercevra alors que ce qui

    compte, cest lensemble de la forme et du personnage, cest lhomme qui

    se traduit, qui sexprime8.

    Le Clzio continue illustrer ce point de vue dans Mondo et autres

    histoires. Le titre du recueil indique son indiffrence quant la distinction des

    genres littraires avec le choix du mot > pour caractriser les huit

    rcits. Il semble que ce terme qui signifie : et que Kipling, lauteur prfr de Le Clzio, utilise

    souvent la fin de ses ouvrages dans la formule : >, sapplique la fois aux diffrents rcits de ce recueil et leur

    conception littraire.

    Au dire de Le Clzio, ses rcits racontent tous une histoire unique. Il

    avoue Pierre Lhoste : > Cette

    6 Arts du 10 mars 1965, p.36. 7 Les rfrences aux ouvrages de Le Clzio sont indiques par les abrviations et les sigles suivants : La Fivre (F), Terra Amata (TA), Ha (H), Le Livre des fuites (LF), Le Procs-Verbal (LP), Mondo et autres histoires (MO), LInconnu sur la terre (IT) 8 Arts du 10 mars 1965, p.36. 9 Dictionnaire de la langue franaise Le Petit Robert. Paris, Le Robert, 1093. 10 Lhoste (Pierre), Conversation avec J.M.G. Le Clzio. Paris, Mercure de France, 1971, p.61.

  • 7

    seule et mme histoire est en fait celle de >.

    Dans Le Procs-Verbal, Le Dluge (1966), Terra Amata (1967),

    Le livre des fuites (1969), La Guerre (1970) et Les Gants (1973), Le Clzio

    donne la cause de cette nostalgie, qui rside dans labsence dunit entre les

    tres et les choses dans le monde. Alors, il tente de crer des liens en crivant

    les histoires dont les personnages principaux se trouvent en tat de conflit avec

    le monde et subissent diverses agressions :

    Il y avait la mchancet des hommes, la voracit des animaux, et

    lindiffrence des objets. Il y avait tous ces bruits, toutes ces lumires,

    toutes ces odeurs, comme autant de coups de poignard qui frappaient tout

    le temps dans la chair (TA.,p.28).

    Il faut souligner que ds ses premiers ouvrages, les lments et la

    nature sauvage causent une agression permanente et un sentiment dinscurit

    et de peur chez les personnages : > (H.,p.19).

    En plus, la civilisation moderne aggrave la situation, et la ville, au lieu

    dtre un refuge pour les personnages, multiplie les agressions. Ils se sentent

    ainsi en danger et peroivent la froideur et la laideur de la ville moderne :

    Imbcile laideur des villes rpes tales sur le sol ! Solitude des rues

    de misre, des terrains vagues de misre ! Casemates ! Prisons des murs de

    brique rouge, des cours lpreuses, des cabanes de tle et de carton ! Grand

    tas dordures (LF., p.231).

    11 Dupont-Monod (Clara), J.M.G. Le Clzio, Page n 66 novembre 2000, pp. 8-9.

  • 8

    Limage de la ville qui semble anantir lhomme et le mouvement

    dsordonn et inutile des hommes et des objets crent une angoisse chez les

    personnages principaux. Ils tentent alors de fuir la ville, et puis apprennent

    voir et comprendre les lments naturels, moyen de parvenir un tat de

    calme intrieur. Ainsi, le personnage principal de Le Procs-Verbal, (LP., p.52).

    Le retour un monde de paix fait alors vivre l exprience de la

    communion avec lunivers chez les personnages. Cette image de la

    rconciliation entre lhomme et le monde naturel chez Le Clzio est prsente

    dans Mondo et autres histoires et LInconnu sur la terre, ses deux ouvrages

    parus en 1978.

    Dans ce recueil dhistoires et cet essai, Le Clzio explique les

    changements dans son parcours littraire. Il explique que dans les ouvrages

    prcdents, >. Les protagonistes de ce recueil

    restent donc inertes, mais satisfaits dtre devant des espaces ouverts comme la

    mer, le plateau, la montagne et le ciel.

    A loccasion de la parution ces deux ouvrages, Le Clzio donne un

    interview Pierre Boncenne, et dit que ces deux livres font tat dune seule et

    mme histoire : >

    12 Boncenne (Pierre). Op.cit., pp.81-82. 13 Ibid.p.82.

  • 9

    Ces deux livres non seulement tmoignent de la mme volution de

    lcriture de Le Clzio, mais ils se compltent et sclaircissent lun lautre.

    Leurs parutions au cours de la mme anne ne sont pas le fait du hasard. Car ils

    sont considrs comme . Cest--dire que lun

    parat sous une forme narrative, lautre sous une forme explicative. De plus,

    Marie Miguet-Ollagnier montre dans son tude que Mondo et autres histoires et

    LInconnu sur la terre correspondent >:

    Ds les premires lignes de LInconnu sur la terre, Le Clzio dclare sa

    volont de nous mettre en communion avec limmensit de lespace : > (IT. p.9). Les huit rcits de Mondo et autres histoires nous y

    conduisent de la mme faon.

    Plus explicitement, Le Clzio souligne le lien entre ces deux ouvrages

    la fin de LInconnu sur la terre :

    Je veux crire pour la beaut du regard, pour la puret du langage. Je

    veux crire pour essayer de rejoindre le vieil horizon, si net, pareil un fil,

    et le ciel clair au-dessus de la mer. Je veux crire pour tre prs des

    nuages blancs dans le ciel sombre, prs de la lumire serre du soleil, prs

    des cmes des montagnes, l o seuls vont les perviers. Je veux essayer

    dtre immdiatement l o il sagrandit et reoit sa joie. Je veux crire

    pour tre du ct des animaux et des enfants, du ct de ceux qui voient le

    monde tel quil est, qui connaissent toute sa beaut. [] Je veux crire

    pour une aventure libre, sans histoire, sans issue, une aventure de terre,

    14 Miguet-Ollangnier ( Marie ), Mythanalyses.Paris, Publi-Lux, 1992, p.26. 15 Ibid. p.22.

  • 10

    deau et dair, o il ny aurait jamais que les animaux, les plantes et les

    enfants. Je veux crire pour une vie nouvelle (IT.pp.386-388).

    Cet essai lucide lambigut de la signification du titre de recueil.

    Nom du protagoniste de la premire histoire, Mondo est choisi par lauteur

    pour tre le titre du recueil. Dans ce rcit, Mondo est un garon qui a

    lambition deffacer ou abolir (en latin mundo) la sparation entre lhomme et

    le monde ( en latin mundus ). Ce vu est exprim dans LInconnu sur la terre :

    > (IT.p.117). Nous voyons donc que Mondo, Lullaby,

    Daniel, Jon, Alia, Petite Croix et Gaspar ralisent lidal de lauteur : > (IT. pp.142-143). Car ils savent faire

    vivre le monde en eux. Le titre Mondo sapplique ainsi parfaitement

    lensemble de rcits de ce recueil.

    1.1.2 La littrature pour la jeunesse

    Lire Le Clzio, cest exprimenter la beaut et la douceur du

    monde naturel. Car nous pouvons accompagner les protagonistes jusqu

    enlever les espaces de ce monde-l travers la lecture. Tout particulirement

    en lisant Mondo et autres histoires, nous pouvons traverser le dsert avec

    Gaspar, nous baigner au crpuscule avec Mondo ou bien marcher auprs de Jon

    pour monter le mont Reydarbarmur. En plus, nous entendons le bruit de la mer

    et du vent aussi bien que le >.

    Ce sentiment de pouvoir vivre la mme aventure que des protagonistes

    pradolescents et adolescents est peut-tre lune des raisons qui a pouss Pierre

    Marchand, le fondateur du dpartement Jeunesse de Gallimard, proposer

    Le Clzio la publication de certains de ces rcits dans des ditions destines

    la jeunesse.

  • 11

    Lullaby est le premier rcit choisi pour tre publi dans la collection

    > en 1980. >.

    Puis, certains rcits dans Mondo et autres histoires et La Ronde et autre faits

    divers, le troisime recueil des rcits de Le Clzio paru en 1982, sont publis

    par groupes de deux dans la mme collection : Celui qui navait jamais vu la

    mer et La montagne du dieu vivant en 1982 , Villa Aurore et Orlamande en

    1985 et La grande vie et Peuple du ciel en 1990. Peuple du ciel est aussi

    publi sparment dans la collection > en 1991.

    Malgr ces parutions, Le Clzio ne modifie jamais ses rcits pour les

    adapter au public jeune comme Michel Tournier. Le Clzio pense que la

    littrature est comme la dernire aventure des enfants vivants dans le monde

    moderne. Les enfants doivent avoir la libert de choisir eux-mmes ce quils

    veulent lire pour tre horrifis, rebuts ou passionns quand ils se lanent dans

    la lecture. Il souhaite adresser ses textes aux enfants exactement tout comme

    aux adultes.

    Le Clzio reoit un vif succs chez les jeunes lecteurs. Les quatre

    rcits tirs de Mondo et autres histoires entrent enfin dans les programmes

    scolaires des coles en France. Cest loccasion dun dialogue entre les petits

    lecteurs et Le Clzio :

    Jai reu beaucoup de lettres. Jessaye de rpondre, pas toutes les

    lettres mais des classes [] Ctaient souvent des questions trs

    personnelles et intressantes, pas des questions artificielles [] ou bien

    des questions concernant le rapport entre lcrivain et la vie relle,

    cest--dire, les enfants vivent dans des villes souvent dans des situations

    difficiles. [] Au fond, les questions quils posent tendent prouver cela,

    16 L. Beckett (Sandra ), De grands romanciers ecrivent pour les enfants, Montral : Les Presses de lUniversit de Montral, 1997, p.293.

  • 12

    cest que la littrature doit tre aussi un moyen pour eux dentrer dans la

    vie, de comprendre la vie, de trouver leurs propres interrogations17.

    Le nom de Le Clzio figure, aujourdhui, parmi les auteurs

    contemporains pour la jeunesse, mme si ses ouvrages ne paraissent pas

    souvent dans les ditions pour enfants. Aprs la parution de certains textes de

    Mondo et autres histoires et La Ronde et autres faits divers que nous avons

    dj cits, Voyage au pays des arbres est publi en 1984 dans la collection

    > , puis dans la collection >.

    Ensuite, Balaabilou, un chapitre tir de Dsert, lun des romans les plus lus de

    Le Clzio, parat en 1985 dans > chez Gallimard.

    Sirandanes est enfin publi chez Seghers en 1990.

    Soulignant le talent de cration littraire de Le Clzio, Jacqueline

    Piatier affirme que Le Clzio cre ses ouvrages > , dont les enfants >. Si nous

    examinons comment les ouvrages de Le Clzio, surtout Mondo et autres

    histoires, mritent la qualification de littrature pour la jeunesse, nous devons

    formuler quelques rflexions gnrales.

    Tout dabord, les protagonistes sont toujours de jeunes personnages

    dans tous les rcits de Mondo et autres histoires. Le choix de lge des

    protagonistes de Le Clzio permet aux jeunes lecteurs de sidentifier avec eux.

    Ils peuvent partir en voyage avec les hros et les apprhender peut-tre mieux

    que les lecteurs adultes. Car ils ont un regard pur et savent crer des liens avec

    les choses, les animaux et les lments naturels comme les hros enfantins de

    notre corpus. Voici quelques exemples de cette capacit qui caractrisent les

    enfants.

    17 Ibid., p.294. 18 Piatier ( Jacqueline ), Le Clzio au pays des merveilles, Le Monde : n 9351 , 7 fvrier 1975, p.15.

  • 13

    Mondo a une relation privilgie avec un bloc de ciment, qui est

    sa place prfre : > (MO.,p.18). Daniel traite

    un poulpe en ami : > (MO., p.180).

    Tous les jours, Petite Croix attend larrive de ses amis : (MO., p.226).

    Le Clzio donne vie la lumire, au vent, aux nuages, aux animaux et

    aux choses autour des protagonistes. La description du spectacle qui constitue

    lentourage des protagonistes donne leur couleur aux huit rcits, surtout La

    Montagne du dieu vivant, Celui qui navait jamais vu la mer, Hazaran et

    Peuple du ciel, dont les protagonistes sont peu actifs. Cest pourquoi les rcits

    de ce recueil nennuient pas le jeune public. Jean Onimus souligne aussi que

    >

    Puis, nous voyons quelques caractristiques du conte dans Mondo et

    autres histoires. Il est clair que Le Clzio sadresse ses auditeurs avec le ton

    de conteur : > (MO., p.187). Dailleurs,

    des techniques frquentes dans les contes pour les enfants comme la rptition

    dune phrase ou dun refrain est bien prsente dans les huit rcits de ce recueil.

    Dans Peuple du ciel, la phrase Quest-ce que le bleu? est rpte au long du

    rcit et le refrain comme Chevaux, chevaux, petits chevaux du bleu,

    19 Onimus ( Jean ). Pour lire Le Clzio , Paris, PUF,1994, p.110.

  • 14

    emmenez moi en volant, emmenez moi en volant, petits chevaux du bleu

    est rcit, les chevaux tant ensuite remplacs par les nuages, les abeilles, les

    serpents et les animaux.

    En lisant ce recueil, non seulement le jeune public prouve

    limpression dtre en train dcouter le conte de la bouche mme de lauteur,

    > daprs Germaine Bre20, mais il pntre aussi

    dans le monde de merveilles et de magie o les protagonistes le guident. Aux

    yeux de Le Clzio, > (IT.,p.45-46).

    Ainsi, nous trouvons que le merveilleux et la magie dans Mondo et

    autres histoires naissent du rel et du quotidien. Le bruit et les choses

    regardes deviennent insolites quand les protagonistes les contemplent. Cest

    pour cela que, dans Lullaby,

    la jeune fille sarrta dans les rochers pour couter la mer. Elle

    connaissait bien son bruit, leau qui clapote et se dchire, puis se runit en

    faisant exploser lair, elle aimait bien cela, mais aujourdhui, ctait

    comme ci elle lentendait pour la premire fois (MO.,p.86).

    Le Clzio prcise que dans la littrature pour la jeunesse, nous pouvons

    dcouvrir > Pourtant, il faut savoir regarder les choses autour

    de soi avec le regard pur des enfants afin de sentir ce merveilleux. En ce qui

    concerne lauteur, lui-mme, il conserve ce regard pour affaiblir sa nostalgie de

    lenfance.

    20 Bre ( Germaine ). Le Monde fabuleux de J.M.G. Le Clzio . Amsterdam : Rodopi, 1990, p.122. 21 L.Beckett ( Sandra ). Op.cit., p.298.

  • 15

    Mais, si nous approfondissons le projet de cration chez Le Clzio du

    rapport avec les ouvrages pour jeunes lectures, nous trouvons quil refuse

    constamment une classification des ouvrages. Il se demande mme sil existe

    une littrature pour la jeunesse. Il souligne que > si les

    enfants ne peuvent choisir et lire que des ouvrages littraires quon met

    sparment dans la bibliothque >.

    Ainsi, il crit : >. En tout cas, un crivain

    Pour le recueil Mondo et autres histoires, Le Clzio avoue que :

    ctait possible de le faire lire aux enfants et peut-tre que ctait

    difficile parce que cest un livre que jai crit comme une question

    philosophique, ce qui sappelle un koan23 , cest--dire une question qui

    doit troubler, qui doit vous interroger au plus profond de vous-mme.[]

    Je ne sais pas si les enfants ont la possibilit de sinterroger sur eux-

    mmes24.

    Mme si le public enfantin natteint pas ce but de la cration littraire

    pour ce recueil de Le Clzio, il arrive au moins connatre laventure des

    protagonistes, ce qui est une des caractristiques de la littrature pour la

    jeunesse et fait cho cette pense de Le Clzio : > .

    22 Ibid. p.299. 23 Un koan est un terme employ dans la tradition zen. Cest une courte phrase nigmatique ou paradoxale sur laquelle on mdite et dvoile la sagesse intrieure. 24 L.Beckett ( Sandra ). Op.cit., p.297. 25 Ibid. p.293.

  • 16

    1.2 Les personnages en qute

    En ce qui concerne notre corpus de travail, nous avons montr que

    lauteur imagine des personnages principaux qui ont la volont dtablir une

    harmonie avec le monde. Ces rcits reposent sur le schma actantiel comme

    nous allons lillustrer.

    Les huit rcits dans le recueil Mondo et autres histoires de Le Clzio

    racontent les voyages des huit jeunes protagonistes qui traversent lespace

    contemporain la recherche de lailleurs.

    Mondo, un garon sans famille, sans maison, vit en libert. Il se fait

    des amis : Giordan le pcheur, le Gitan, le Cosaque, le Vieux Dadi et un vieil

    homme qui lui apprend lire. Il rencontre Thi Chin, une femme habitant la

    > sur la colline, Mondo est reu chez elle. Il

    continue sa vie tranquillement jusquau jour o la police le conduit

    lassistance publique. Mondo prend alors la fuite et disparat.

    Quittant lcole qui lui donne limpression dtre dans une prison,

    Lullaby dcide de ne plus aller en classe. Tous les matins, elle part de chez elle

    pour passer ses journes au bord de la mer. L-bas, elle dcouvre une maison

    abandonne o elle se met pour contempler la mer et > (MO., p.111). A la fin du

    rcit, elle retourne lcole pour voir Monsieur Fillipi, un de ses professeurs

    qui aime beaucoup la mer.

    Dans La Montagne du dieu vivant, > guide

    Jon vers le haut du mont Reydarbarmur. Peu peu, il entre dans les veines et

    les plus secrtes ramifications jusque dans les profondeurs de la montagne. Jon

    poursuit sa route vers le centre du plateau et trouve un trange caillou en forme

    de montagne. Puis, il dcouvre trois minuscules trous reprsentant les trois

    cuvettes du plateau. Il se sent sans poids, dlivr du corps et devenu nuage.

    Enfin, il rencontre un >, qui devient son ami. Jon

  • 17

    passe la nuit l-bas. Au matin, son ami disparat, Jon rentre donc chez ses

    parents.

    A laube, Juba dans La Roue deau conduit des boeufs qui mettent en

    mouvement une roue eau. En regardant les boeufs, Juba a le vertige cause

    du soleil. Il se sent transport dans la ville de Yol et devient le roi. A la fin de

    la journe, la ville de Yol se transforme en ruines. Juba ramne alors ses boeufs

    au village.

    Celui qui navait jamais vu la mer est le rcit dun garon, Daniel, qui

    ralise son rve. Daniel naime pas participer aux conversations sauf quand on

    parle de la mer. Il prpare son voyage vers la mer et senfuit de son pensionnat

    en imprimant sa marque dans la mmoire de ses camarades. Aprs un long

    voyage en train, il arrive la mer et apprend petit petit une vie sauvage au

    rythme des mares.

    Dans Hazaran, Alia habite un bidonville. Elle aime couter les

    contes raconts par Martin, surtout celui de la Petite Trfle, qui se dplace

    dans le merveilleux pays d Hazaran. Alia rve de reproduire le destin de

    Trfle. Quand le gouvernement dcide de dtruire le bidonville, Martin conduit

    Alia et ses compagnons vers lautre rive du fleuve o > (MO., p.217).

    Une petite aveugle, Petite Croix dans Peuple du ciel, aime sasseoir

    sous le soleil >. Elle parle aux nuages, aux animaux et

    son ami qui est soldat. Elle rencontre le roi Saquasohuh tous les jours la

    mme heure. Celui-ci lui redonne la vision intrieure la fin du rcit.

    Les Bergers est lhistoire de Gaspar , un garon qui quitte la ville pour

    errer dans le dsert. Il rencontre un groupe de petits bergers et part mener le

    troupeau avec eux jusqu Genna, une valle. L-bas, ils vivent heureusement.

    Un jour, il se dispute avec un des bergers. Il senfuit et retrouve la ville.

    Sans entrer dans le dtail de chaque rcit, nous voyons dj certains

    traits communs qui font lunit de cet ouvrage de Le Clzio.

  • 18

    Dabord, tous les personnages principaux dans Mondo et autres

    histoires sont des enfants ou des adolescents. Mondo, >, est un jeune garon comme Juba et Gaspar. Aria et Petite

    Croix sont des petites filles orphelines, qui adorent lune couter des contes,

    lautre chanter des comptines. Lullaby, Jon et Daniel sont coliers.

    Ils vivent lextrieur du contexte familial. Mondo est un vrai nomade,

    > (MO., p.11). Pareil

    Mondo, Gaspar ne donne aucune information sur sa famille. Pour Lullaby, elle

    est loin de son pre qui travaille en Iran tandis que sa relation avec sa mre qui

    est malade cause dun accident est neutre. Jon et Juba , eux aussi, chappent

    la tutelle familiale. Daniel est abandonn par sa famille, qui la mis en pension.

    sa disparition, ses parents se consolent vite du fait de leur pauvret. Alia

    habite chez sa tante, mais nous ne trouvons pas de liens affectifs entre elles.

    La tante se contente de donner manger sa nice, comme cest le cas entre

    Petite Croix et le vieux Bahti dans Peuple du ciel.

    Menant une vie autonome, cest--dire hors des rgles tablies par les

    adultes, tous les hros tournent le dos au monde civilis. Lullaby et Daniel

    quittent leurs coles et partent pour la mer. Jon et Mondo sortent de leurs

    quartiers familiers et montent vers le haut de la montagne. Juba et Petite Croix

    continuent leur vie quotidienne hors de leurs villages. Alia a une vie lcart

    du monde civilis. Gaspar, >, est dans le

    dsert .

    Peu peu, les protagonistes avancent vers le monde naturel, bien que le

    monde rel, le monde civilis et celui des adultes, reprsent par la

    malveillance et lindolence des tres humains, apparaisse constamment tout au

    long du parcours de la qute. Il sagit des femmes et du Ciapacan qui naiment

    pas voir les enfants errer dans la rue, dun homme aux cheveux hirsutes et des

    gens lcole de Lullaby, des policiers, des professeurs et des surveillants qui

  • 19

    soccupent de la disparition de Daniel, des agents du gouvernement dans

    Hazaran, des enfants du village qui chassent les couleuvres dans Peuple du ciel

    et de lun des bergers, celui avec lequel Gaspar se querelle.

    Dans les huit rcits, nous trouvons une unit structurale qui domine

    notre corpus. Elle correspond au schma actantiel de A.-J.Greimas, qui

    comprenant six ples actantiels : le sujet, lobjet, le destinateur, le destinataire,

    ladjuvant et lopposant.

    le destin le hasard le protagoniste linstinct (destinataire) (destinateur)

    le protagoniste libert le salut

    (sujet) (objet)

    le monde naturel : le monde civilis, le monde des hommes la mer les rgles sociales le soleil lincommunication avec les adultes (adjuvant) (opposant)

    Ce schma indique le dsir des protagonistes. Cest une lutte contre

    langoisse, lagression et la violence. Selon la modalit vouloir, savoir,

    pouvoir, les protagonistes veulent sortir du monde tabli par les hommes

    civiliss, ( vouloir ). Ils partent donc la qute. Le destin, le hasard et linstinct

    les mnent aux rencontres relles ou imaginaires avec le monde naturel. Les

    protagonistes apprennent ainsi quil existe un autre monde o ils se sentent

    panouis, ( savoir ). Grce la mer et le soleil, ils ont la communion avec les

    lments ( pouvoir ), qui leur permettent enfin connatre le salut.

  • 20

    Ce schma de la modalit focalisant la qute des protagonistes dans

    Mondo et autres histoires rvle le voyage pendant lequel les protagonistes

    doivent saventurer en affrontant et en surmontant les prils considrs comme

    les preuves initiatiques avant datteindre le salut. Ce voyage peut donc tre

    qualifi comme un voyage initiatique qui reflte lattirance de Le Clzio lui-

    mme vers le monde de linitiation.

    2. Linspiration des rites dinitiation

    Ds lenfance, Le Clzio coute et lit des romans daventure. Pour lui,

    ce qui est intressant dans ces rcits, ce ne sont pas les aventures des hros,

    mais le passage qui les fait devenir des adultes. Ce passage correspond au rite

    de passage quest linitiation. Aprs la deuxime guerre mondiale, il part en

    Afrique vivre avec son pre. Il dcouvre ainsi la vie exotique et le monde

    primitif. Ce nest que vers la fin des annes soixante quil devient ethnologue

    et spcialiste de la civilisation amrindienne. Dabord, ce sont les codex et les

    chroniques concernant le monde des Indiens qui lont attir. Plus tard, il a

    loccasion de partir vivre chez les Indiens du Mexique et du Prou. Aprs avoir

    particip un rite initiatique, il devient membre dune tribu dIndiens. Il crit

    dans Ha : > (H.,p.8).

    La dcouverte de lme du peuple indien est dcisive dans la nouvelle

    orientation des ouvrages de Le Clzio. Ses expriences et sa connaissance sur

    linitiation sont prsentes dans ses ouvrages. Dans LExtase matrielle, il crit :

    > (EM.,p.179),

    phrase qui rfre la conception de linitiation primitive que nous tudierons

    dans notre corpus.

    Actuellement, ladjectif > tend tre utilis dans des

    sens diffrents, ce qui peut provoquer des confusions. Si nous nous reportons

    aux dfinitions des dictionnaires, nous trouvons pour le mot >

  • 21

    les deux sens suivants : > et

    > .

    Quand nous parlons de rites dinitiation ou de rituels initiatiques, cela

    rfre socialement et historiquement ladmission dun individu

    connaissance de choses caches ou sa participation des pratiques secrtes,

    marquant le commencement dune nouvelle vie. Afin de mieux saisir les

    notions d> et >, nous tenterons tout dabord

    dtudier les caractristiques principales des rites dinitiation que lon rencontre

    dans Mondo et autres histoires. Il ne sagit pas toutefois de faire une tude

    ethnologique exhaustive, notre ambition est juste de montrer ce que ces rites

    ont en commun.

    2.1 La notion primitive

    Depuis le sicle dernier, les donnes ethnologiques permettent de

    mieux saisir le droulement, lordonnancement et la symbolique des rituels

    initiatiques. Les travaux dArnold Van Gennep montrent que linitiation est par

    essence un >, cest--dire le fait de passer dun ge un

    autre ou dune occupation une autre. Dans les socits tribales, lenfant ne

    devient homme que progressivement. Il change au moins deux fois de statut :

    dabord lors de son appellation, puis au moment de linitiation tribale

    proprement dite, qui larrache la sphre infantile pour le faire entrer dans

    celle des adultes.

    Historien des religions et ethnologue, Mircea Eliade donne une

    dfinition pour le mot > : >. Ces rites, qui existent ds la prhistoire, sont

    observs jusqu notre poque, surtout dans les socits primitives. Car, dans

    26 Dictionnaire de la langue franaise Le Petit Robert. Paris, Petit Robert, 1176. 27 ELIADE (Mircea), Initiation, rites, socits secrtes. Paris, Gallimard, 1959, p.12

  • 22

    les temps reculs et dans ce type de socits, lobservation de ces pratiques est

    obligatoire pour tous les membres du groupe social.

    Daprs les recherches sur linitiation des sociologues, des

    anthropologues et des ethnologues, les rites initiatiques de toutes les

    civilisations sont fonds sur une initiation religieuse et une initiation magique.

    Lune est le passage du domaine profane au domaine sacr, lautre est

    lacquisition dun pouvoir surnaturel ou de secrets comme linitiation chez les

    medicine-men ou les sorciers. De plus, certains rites initiatiques sont destins

    un groupe social tandis que les autres sappliquent des individus. Malgr cette

    varit, Mircea Eliade peut classer les crmonies initiatiques en trois grandes

    catgories.

    Premirement, il y a les rites de pubert, linitiation tribale ou

    linitiation une classe dge, les termes utiliss par les ethnologues pour

    dfinir les crmonies de passage de lenfance ou de ladolescence lge

    adulte. Ces rituels sont obligatoires pour tous les membres de la communaut.

    Ces rites commencent par un acte de rupture ou bien une sparation du lieu

    familial pour faire quitter lunivers de lenfance aux nophytes. Puis, ils sont

    projets dans un monde inconnu. Il arrive souvent quils soient envoys dans

    la brousse. Dans ce contexte disolement, les nophytes ressentent la prsence

    des tres mythiques. La totalit des actes se droule dans la brutalit car les

    nophytes doivent faire lexprience de la mort. Ils perdent connaissance, ils

    subissent la circoncision et parfois ils sont mme enterrs. Ils oublient le pass,

    ce que lon obtient laide dune boisson nausabonde. Ils sont privs de

    nourriture et vivent dans le silence ou dans les tnbres comme les morts. Dans

    cette situation, les nophytes ont loccasion de pratiquer des exercices

    asctiques et de souvrir ainsi aux valeurs de lesprit. Ils doivent poursuivre

    leur parcours initiatique o ils font face diffrentes preuves comme le feu,

    lengloutissement par un monstre. Vers la fin de leurs parcours, ils

  • 23

    accomplissent la monte de larbre sacr qui est laxe cosmique ou bien la

    monte au ciel travers le monde du sacr. La totalit de ces actes leur

    permettent enfin une naissance dans ltat suprieur.

    Deuximement, il y a les rites dentre dans une socit secrte, dans

    un Bund ou dans une confrrie. Ces rites sont rservs un seul sexe qui est le

    sexe masculin dans la majorit des cas. Pourtant, dans le monde mditerranen

    ancien, les deux sexes ont indiffremment accs aux Mystres. Les rites

    initiatiques de cette catgorie ne sont pas obligatoires pour tous les membres de

    la socit. On peut les effectuer soit individuellement, soit collectivement. En

    ce qui concerne le processus initiatique, les nophytes sont confronts aux

    mme preuves et au mme processus initiatique que dans les rites de pubert.

    Troisimement, il y a les rites qui sont lis une vocation mystique.

    Lessentiel des rites initiatiques de cette catgorie rfre de lexprience

    personnelle. Car cest elle qui donne un pouvoir surnaturel aux nophytes.

    Cest ainsi linitiation des medecine-men ou des chamans. Ce type dinitiation

    a un haut niveau de spiritualit. Pour devenir chaman ou medecine-men, deux

    conditions sont prsupposes. Dans un cas, le nophyte a une vocation ou

    reoit lappel dtres surhumains. Dans lautre cas, il prend la dcision

    personnelle dune qute de pouvoirs religieux. Pendant la crmonie, le

    nophyte doit rester seul. Lors quil entre en transe et devient dtach

    totalement des passions et des besoins humains, il acquiert le pouvoir suprme.

    Parmi toutes ces catgories de rites initiatiques, Simone Vierne, qui a

    fait des recherches sur les thories de Mircea Eliade, souligne quil y a

    certaines caractristiques de linitiation qui forment >. Simone Vierne montre que la structure de tous les rites

    initiatiques se compose de trois sphres principales que le nophyte doit

    28 Ibid., p.26.

  • 24

    traverser chronologiquement. Elle dfinit ces traits en utilisant les termes de

    > , > et > .

    PREPARATION MORT INITIATIQUE RE-NAISSANCE

    Rites dentre

    Voyages dans lau-del

    1. La phase de la >

    Premire tape de litinraire initiatique, cette phase a pour but de

    prparer le nophyte entrer dans ltat de mort initiatique. Les lments de la

    > dans le classement de Simone Vierne comportent le lieu

    sacr, la purification et la sparation.

    Appel le lieu sacr, le terrain de linitiation ne joue un rle important

    que dans certains rites qui se passent dans un endroit particulier, par exemple

    une maison culturelle, un sanctuaire. Le lieu sacr peut tre un endroit o se

    trouvent des objets sacrs comme un dessin reprsentant les anctres

    mythiques. Dans ce cas, la dfinition de lespace sacr est >.

    Pour les rites qui ont lieu dans la brousse, on la reconnat comme lieu

    sacr dans la mesure o elle se trouve hors du monde profane, loin des endroits

    quotidiens. Donc, le nophyte devient spar du monde des hommes pendant

    quil participe la crmonie initiatique.

    Ainsi, la sparation dans les rites initiatiques est par essence le passage

    du nophyte de lunivers profane, surtout le monde maternel ou le monde du

    pass personnel, lunivers sacr. Cet acte le fait sortir du paysage familial, du

    domaine fminin et provoque

  • 25

    sagisse de lunivers maternel ou du pass personnel du myste30>>. Dans

    linitiation aux socits secrtes nord-amricaines, souligne Vierne : >.

    Le rite de sparation parat sous des formes plus ou moins brutales

    suivant les tribus. Chez les Kurnai, pendant la crmonie, les novices sassoient

    devant leurs mres et ce sont les hommes qui viennent les sparer. Les femmes

    de certaines tribus australiennes >.

    Quelle que soit la forme que la sparation prenne, son but reste toujours

    de faire mourir lenfance et faire accder les novices la participation au

    sacr aux nophytes. Mais pour latteindre, ils doivent dabord se purifier.

    La purification peut tre prsente par une baignade, une tonsure, une

    confession, des sacrifices, des jenes ou bien un dpouillement des mtaux ;

    qui symbolisent la libration spirituelle du nophyte pour un retour aux

    origines. Cest au moment de la purification quil y a parfois la rencontre avec

    la mer purificatrice ou avec le sang du porc, lautre agent purificateur.

    A la fin de la phase de la prparation, le nophyte est prt pntrer

    dans le monde de la mort initiatique, la phase la plus importante des rites. Car

    les concepts dinitiation et de mort sont troitement lis. Ds lpoque

    ancienne, le rapprochement est conscient dans le grecque entre ces deux

    termes, comme latteste le jeu de mots populaires associant initiation

    (telesthai = tre initi) et mort (teleutn = mourir). Linitiation permet une

    mort, un effacement complet de lexistence prcdente pour projeter le

    nophyte dans dautres rles de la vie sociale mais aussi dans lunivers du

    sacr.

    30 Ibid., p.17. 31 Ibid., p.18. 32 Ibid., p.18. Citant d ELIADE (Mircea), Initiation, rites, socits secrtes, p.36.

  • 26

    2. La phase de la >

    ce stade des rites initiatiques, le nophyte entre dans le domaine

    de la mort symbolique, avec par exemple lentre dans le ventre de lanimal, la

    perte de conscience. Ce quil doit faire, ce sont des preuves initiatiques et des

    voyages dans lau-del qui lui apprendront lendurance et le prpareront

    affronter les difficults de la vie relle. Donc, durant la priode de la mort

    initiatique, le nophyte recevra une partie de lenseignement qui lintgrera

    une nouvelle communaut ou fera de lui un autre homme.

    La phase de la mort initiatique comprend les rites dentre et le voyage

    dans lau-del. Les rites dentre peuvent prendre la forme dun rapt, dune

    perte de connaissance par labsorption de boissons tranges, de chants et de

    jenes ou de symplgades, cest--dire des rites o lentre est rendue

    impossible par des incantations magiques. Par exemple, chez les Kwakiutl, une

    socit australienne de danse, le nophyte entre en transe lorsquil entend les

    instruments sacrs.

    En ce qui concerne le voyage dans lau-del, Vierne rpartit les formes

    des voyages initiatiques en trois types : les rituels initiatiques de mise mort, le

    retour ltat embryonnaire (regressus ad uterum) et la descente aux enfers ou

    la monte au ciel. Ces trois types de mort initiatique peuvent coexister

    dans le mme rite. En plus, il y a des rites qui rvlent une double valeur.

    Daprs Vierne, lengloutissement dans la Terre-Mre, qui est un regressus ad

    uterum, symbolise aussi, dans certaines cultures, une descente aux enfers.

    Les rituels de mise mort saccomplissent par des preuves comme

    des jenes, des veilles et mme un silence impos aux nophytes, troitement

    lies lide que le voyage dans la mort est une destruction totale de ltat

    antrieur et quun tre vivant peut revenir de lautre monde condition de

    sabstenir de la nourriture des morts. Par ailleurs, des tortures et des mutilations

    caractre sexuel comme la circoncision et la subcision, surtout dans

  • 27

    linitiation de pubert, ont pour but de porter le nophyte un tat prnatal

    asexu.

    Le second type de voyage initiatique, le regressus ad uterum ou retour

    un stade antrieur la vie, existe dans presque toutes les cultures. Cest un

    motif constant dans la littrature du monde entier mme de nos jours. Ltat

    embryonnaire est prsent sous diverses formes. Dans le rituel de

    lupanyama en Inde, le prcepteur mtamorphose le nophyte en embryon et

    le garde dans son ventre quelques jours. Chez les aborignes, laire de danse de

    forme triangulaire reprsente symboliquement lutrus de la mre. Dans

    certains cultes comme ceux des chamans ou des Bella Bella, lentre dans une

    caverne, une grotte ou une tombe quivaut au retour ltat ftal alors que

    lentre dans le ventre de lanimal donne aussi une image du regressus

    ad uterum. Dans le rituel Kunappi, les nophytes entrent dans le ventre du

    serpent qui est un symbole fminin. Les animaux paraissant dans cette phase de

    linitiation sont souvent le dragon, la baleine, le poisson ou mme les monstres

    marins.

    Le dernier type de voyage dans lau-del est le voyage aux enfers ou au

    ciel. Le voyage dans cet aspect se fait dans trois directions. Horizontalement, le

    nophyte part pour lle de lanctre mythique comme les Iles des Bienheureux.

    Vers le haut, le nophyte fait un voyage vers le ciel o sunissent les tres

    Divins. Le voyage vers le bas, ou descensus ad inferos, comporte des dangers

    tels que la confrontation avec la nuit ou lentre dans le labyrinthe, qui donnent

    limpression du risque de ne plus pouvoir en sortir.

    Soulignant encore que le principe de linitiation est de mourir pour

    renatre, le nophyte qui russit la mort initiatique, parvient alors au stade de la

    renaissance.

  • 28

    3. La phase de la >

    A la fin de laventure dans lau-del, le nophyte fait lobjet d une

    nouvelle naissance qui prend diverses formes, selon le parcours dans la mort

    initiatique. Celui qui devait entrer dans le ventre dun monstre en ressort la

    fin du rite dans des conditions parfois brutales ou mme tragiques. Celui qui

    subit des preuves telles quune mise mort ou diverses formes de voyage,

    connat une sortie heureuse comme le reveil, ltat denfance ou un nouveau

    nom. Chez les chamans, la renaissance est exprime par >. Dans les Mystres de la Grande Mre Phrygienne, les

    nouveaux initis sont nourris de lait comme des bbs (tat denfance).

    Lanalogie structurale illustre par Simone Vierne rend compte assez

    prcisment de lensemble des rites initiatiques. Elle suggre galement des

    rapprochements avec les thories de Gilbert Durand. Dans Les structures

    anthropologiques de limaginaire, Gilbert Durand distingue deux structures

    antagonistes: lune hroque et lautre mystique. La premire concerne

    limagination, qui est donne par des images de lumire. Elle est

    schizomorphe: elle spare, elle tranche, elle oppose. La deuxime runit les

    images dans le rgime de la nuit, qui fusionne et engloutit. Elle comprend le

    retour la mer et lintimit qui reprsente une invitation sunir avec les

    choses. De plus, Gilbert Durand montre quil y a mme une troisime

    attitude, une sorte de synthse des contraires dans laquelle la dialectique

    cyclique cherche atteindre le point o les contraires sunissent. Ainsi, nous

    obtenons la distinction de trois tats pour le parcours initiatique : le rgime

    avant la mort initiatique, le rgime de la mort initiatique et enfin le rgime de

    la nouvelle naissance.

    Le rgime avant la mort initiatique peut tre considr comme un

    rgime diurne car il concide en effet avec la priode des preuves ( les

    33 Ibid., p.47.

  • 29

    tonsures , les purifications) et de la sparation davec monde profane. Le

    rgime de la mort initiatique se droule dans le rgime de nuit. Les images

    dobscurit sont prdominantes, et le nophyte est englouti, par exemple dans

    une grotte ou dans les entrailles dun monstre. La phase du regressus ad uterum

    est alors accomplie. Enfin, le rgime de la nouvelle naissance est un rgime

    mystique car le nophyte retrouve une vie nouvelle34.

    Malgr les diffrences dans les types dinitiation, dans les

    comportements initiatiques de chaque socit primitive et biensr dans les

    thories sur linitiation, nous pouvons conclure que linitiation est toujours

    un processus qui mne ltre au commencement dune vie nouvelle, qui sera

    dsormais diffrente de celle quil a mene depuis sa naissance naturelle et

    profane.

    2.2 La littrature et linitiation

    De nos jours, la vie des hommes modernes, surtout ceux qui vivent une

    existence dsacralise, sest carte des pratiques des rituels initiatiques.

    Pourtant, Mircea Eliade insiste sur le fait que la majorit des scnarios

    initiatiques > Car

    linitiation est en fait > Dans ses

    recherches, Mircea Eliade tablit que lhomme continue prouver

    lexprience initiatique en passant par des preuves relles comme les crises

    spirituelles, la solitude et le dsespoir que >. Cela

    veut dire quaprs avoir pass le moment difficile qui quivaut la mort

    34 DURAND (Gilbert), Les structures anthropologiques de limaginaire, Paris : Bordas, 2e d. 1984, pp.40-66. 35 ELIADE (Mircea), op.cit., p.266. 36 VIERNE (Simone),op.cit., p.92. 37 ELIADE (Mircea), op.cit., p.270.

  • 30

    initiatique, lhomme arrive commencer sa nouvelle vie, autrement dit il

    devient >.

    Linitiation subsiste tout particulirement dans les crations artistiques.

    Nous trouvons en effet un symbolisme initiatique dans certaines oeuvres dart.

    Il existe ainsi des ouvrages littraires qui y rvlent consciemment ou

    inconsciemment en faisant suivre litinraire initiatique des primitifs aux hros

    ou en crant explicitement lillusion et lambiance de linitiation dans le rcit.

    Par exemple, dans la qute du Graal , Perceval, Lancelot et Galaad passent par

    diffrentes preuves pour aboutir finalement la conqute du calice magique,

    qui est le symbole dune connaissance nouvelle et dun accs des hommes au

    monde des dieux, rservs une me pure. Llu, Galaad, vit une union sacre

    avec lEtre Divin, exactement comme dans les initiations primitives.

    Consuelo de Georges Sand raconte lhistoire dune hrone dote dun

    pouvoir musical incantatoire, qui vit deux initiations grce deux descentes

    aux Enfers. La premire est due au pre du personnage, lautre se fait dans un

    contexte maonnique, que lauteur connat bien.

    Un autre exemple douvrages littraires qui reprsentent le symbolisme

    initiatique, cest Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier.

    Renversant compltement le mythe de Defoe, lauteur cre un personnage

    qui abandonne entirement les habitudes de lhomme civilis pour suivre

    celles des primitifs sans prouver aucune nostalgie de la civilisation. Le

    hros de Michel Tournier passe par de nombreuses preuves avant de vivre une

    vie en harmonie avec la nature.

    Non seulement les preuves initiatiques, tortures, jenes, purifications

    de tous ordres, apparaissent souvent dans la littrature comme motifs littraires,

    les qutes dans lau-del et les mtamorphoses du protagoniste tant mme de

    vritables thmes littraires, mais encore certains livres savrent bien le miroir

    de linitiation. La lecture devient alors un moyen pour lhomme moderne de

  • 31

    exceptionnelles, saventurer dans lautre monde 38>> qui sont des besoins

    profonds de tout tre humain. Ainsi, dit - Simone Vierne : >.

    A notre poque, les thmes initiatiques existent encore dans les uvres

    littraires comme dans Mondo et autres histoires. Partant du schma initiatique

    tel que la mis en lumire Simone Vierne, nous allons voir, en nous attachant

    aux lments initiatiques des rcits du recueil, dans quelle mesure il peut

    sappliquer notre corpus.

    38 ELIADE (Mircea), op.cit., p.267. 39 VIERNE (Simone),op.cit., p.275.

  • 32

    CHAPITRE 2

    Les prparatifs de l'initiation

    Quand on tudie Mondo et autres histoires40 en tant que rcits

    initiatiques, il est parfois malais disoler les lments essentiels qui constituent

    le cadre de linitiation. C'est pourquoi nous chercherons mettre en vidence

    les acteurs du rite et de lespace dans les huit rcits, qui ont un rle dans

    l'initiation. Ces lments mettent en condition les personnages principaux et

    suscitent chez eux la qute initiatique.

    Dans ce chapitre, nous analyserons aussi les actes des protagonistes qui

    relvent de la phase prparatoire de linitiation par les nophytes. Cette analyse

    montrera le degr de la prparation des huit protagonistes leur voyage dans le

    domaine de la mort pour parvenir une nouvelle naissance.

    1. Les lments de l'initiation

    Dans les rcits en gnral, les personnages s'avrent un lment

    essentiel : ils agissent, et leurs actions jalonnent le droulement du rcit. Dans

    notre corpus aussi, les personnages jouent un rle primordial. Leurs actions et

    l'espace o ils voluent, autre lment fondamental des rcits d'initiation, nous

    permettent de dgager les traits constitutifs de l'initiation. Pour suivre le

    parcours initiatique des protagonistes travers les huit rcits, il nous semble

    important de prciser ces deux lments qui dessinent et configurent limage de

    linitiation dans ce recueil.

    40 Les rfrences aux rcits dans Mondo et autres histoires sont indiques les abrviations suivants : Mondo (Md), Lullaby (Lu), La montagne du dieu vivant (Mt), La roue deau (Rou), Celui qui navait

    jamais vu la mer (Cv), Hazaran (Ha), Peuple du ciel (Pc), Les bergers (Be)

  • 33

    1.1 Les figures du rite

    Dans les rites dinitiation, le myste est celui qui est lu pour subir

    linitiation41. Le fait quil participe au rite initiatique est comme une preuve,

    un passage important dans sa vie qui lui permettra de vivre dans une condition

    suprieure. Il est donc la personne la plus importante du rite.

    Pour atteindre la fin heureuse, le myste est accompagn et guid par un

    ou des initiateurs dans certaines crmonies initiatiques afin de rester sur la

    bonne voie pendant qu'il est dans le domaine initiatique. Il peut s'agir d'un

    homme, d'une femme ge ou d'un initi de rang suprieur42. Le rle du guide

    dans l'initiation est de diriger lensemble de linitiation et de transmettre > quil a acquis dans >. Vierne montre quavec ce tuteur, > Avant de prsenter limage des

    diffrents guides apparaissant dans notre corpus, nous analyserons les

    caractristiques des protagonistes en tant que mystes du rite initiatique.

    - Les mystes

    Dans Mondo et autres histoires, les huit protagonistes se prsentent

    comme des nophytes prts entrer dans le monde initiatique. Tout dabord, ils

    sont diffrents des enfants de leur ge et des adultes. Mondo> (Md.,p.12).

    Lullaby sennuie de ses camarades. Avec eux, elle narrive pas

    imaginer lherbe verte, les fleurs, les oiseaux et les rivires .Car

  • 34

    a personne qui sache parler de ces choses-l. Les filles sont btes pleurer!

    Les garons sont niais! Ils naiment que leurs motos et leurs blousons!>>

    (Lu., p.91).

    Cest la mme chose chez Daniel, qui trouve que ses camarades sont

    superficiels ; quand ils parlent de la mer, ils ne parlent que > (Cv., p.168). Jon na

    pas peur de Reydarbarmur comme les gens de son village. Juba, non plus, na

    pas peur dYol, lancienne ville, alors que > (Rou., p.156). Alia devient nophyte aprs avoir

    t choisie par Martin. Le premier jour quAlia apporte du pain Martin, il lui

    donne un nouveau nom, Lune, qui relve ici au nophyte qui va mourir pour

    renatre comme dans le cycle de la lune. Dans Peuple du ciel, Petite Croix est

    diffrente des autres enfants, car elle est aveugle. Et Gaspar, mme si nous ne

    connaissons pas sa vie antrieure, est diffrent des gens du monde civilis dans

    lequel il a vcu.

    D'autre part, Mondo, Lullaby, Daniel et Gaspar reprsentent lesprit de

    rvolte ; ils refusent le monde des adultes et la socit moderne et dcident den

    sortir. Ils sont capables d'abandonner toutes les facilits que le monde civilis

    peut leur offrir pour tenter des aventures dans le monde inconnu. Cette audace

    qui consiste se rvolter contre les rgles tablies par les adultes et raliser

    leur rve et dassouvir leur desir ; vivre au bord de la mer pour Daniel ou se

    promener dans le monde inconnu pour Mondo, Lullaby et Gaspar, est l'une des

    qualits ncessaires du myste. Car elle indique que, malgr les difficults et les

    obstacles rencontrs dans le parcours initiatique, le courage du myste le

    poussera aller jusquau bout.

    Ensuite, les protagonistes nont pas de lien dattachement avec leur

    famille. Dans Mondo et Les Bergers, la famille des personnages principaux est

    absente, cependant que, dans les autres rcits de ce recueil elle n'est qu'un dtail

    et n'a aucun rle sur l'action des protagonistes. Ainsi, Jon habite chez ses

  • 35

    parents. Il a un frre qui sait jouer de la flte. Pourtant, sa famille ne soccupe

    pas de lui. On le laisse passer la journe dehors tout seul.

    Juba est pareil Jon. Il vit avec sa famille qui semble pauvre si l'on

    considre l'apparence de la maison o il habite. C'est une ,

    qui comporte une seule pice o tout le monde dort : > (Rou.,p.149). Cest le seul dtail sur la

    famille de Juba que nous trouvons dans La Roue deau.

    Pour Daniel, la maison de ses parents est si loin du lyce quil ne peut

    pas y rentrer aprs les cours. Donc, il doit rester au pensionnat. Comme il

    habite loin de ses parents et ses frres, ils nont aucune influence sur sa vie. On

    comprend que sa famille est pauvre : > (Cv., p.168) et ses parents nont

    ainsi pas les moyens de le retrouver aprs sa disparition.

    Faute dune prsence familiale, les protagonistes doivent prendre soin

    deux-mme pour vivre et survivre. Le fait d'tre seuls dans la vie s'avre un

    acquis utile lors de leur entre dans le monde initiatique. Car ils ont eu souvent

    rester seuls et faire face la solitude. L'absence de famille prpare ainsi les

    protagonistes faire le voyage dans le monde inconnu.

    Enfin, ces protagonistes ont le don de voir le monde qui les entoure.

    Cela leur permet d'accder un ailleurs et les fait entrer dans le monde

    initiatique. En regardant le ciel, Mondo est attir par la > d'un feu sur la colline. Cela lui donne envie de monter vers le haut

    de la colline, qui reprsente en fait le point de dpart de son itinraire

    initiatique. Pour Lullaby, cest son regard vers l'extrieur qui laide dcider

    de partir vers le monde initiatique ;

    [] elle carta un peu les lames des stores pour regarder dehors. Il y avait beaucoup de soleil, et en se penchant un peu, elle put voir un

  • 36

    morceau de ciel bleu. En bas, sur le trottoir, trois ou quatre pigeons

    sautillaient, leurs plumes bouriffes par le vent . Au-dessus des toits, des

    voitures arrtes, la mer tait bleu sombre, et il y avait un voilier blanc qui

    avanait difficilement. Lullaby regarda tout cela, et elle se sentit soulage davoir dcid de ne plus aller lcole (Lu., p.81).

    Avec ce regard dirig vers le ciel et la mer, Lullaby se sent libre du

    monde civilis. Elle prend ensuite le chemin qui mne la mer, lespace de son

    initiation.

    Dans La Montagne du dieu vivant, Jon voit Reydarbarmur tous les

    jours car > (Mt.,

    p.123). Mais cest la lumire du 21 juin qu'il remarque particulirement, qui lui

    donne l'envie de pntrer dans ce monde inconnu.

    Pour Juba, il regarde non seulement tout ce qui lentoure, mais aussi

    > (M.D., p.153). Et cela lui ouvre la porte du pays des

    esprits. Dans Celui qui navait jamais vu la mer, Daniel rserve son regard au

    monde qu'il imagine en lisant les histoires de Sindbad. Alia aime, comme tous

    les autres personnages principaux, regarder autour delle. Elle remarque, ds

    son arrive la Digue, Martin, un homme g, que l'on prsente comme un

    voyageur attach la lumire : il a le >. Alia trouve quil est diffrent des autres habitants. Le regard

    dAlia l'amne ainsi connatre le guide qui la fera entrer dans le monde

    initiatique. Pour Petite Croix, son tat de handicape ne lempche pas de

    regarder le monde autour delle. Elle le dcouvre par le toucher, loue, lodorat

    et par la description que lui fait le soldat.

    Le pouvoir-voir est l'un des traits dterminants des mystes, avec

    lesprit ouvert, capables de voir, de sentir, de toucher et d'entendre le monde

    qui les entoure. En plus, ce sont des personnages des grands espaces et de la

    lumire. Non seulement ils vivent au contact des grands espaces, ce qui leur

  • 37

    permet de rver et de se sentir libre, mais aussi ils savent les contempler.

    Grce ce pouvoir-voir, tous les protagonistes sont en harmonie avec le

    monde, la nature ou lunivers pour leur initiation.

    Nanmoins, il apparat qu'au dbut de leur voyage, certains d'entre eux

    ne soient pas totalement en confiance et ne soient pas dans un tat de srnit.

    Ainsi, lorsqu'il est sur le chemin initiatique, Mondo > ( Md., p.40 ) Gaspar, lui,

    > (Be., p.251). Le regard apparat ici comme un lien entre le monde

    profane et le monde sacr. Pourtant, ils finissent par russir quitter leur vie

    dans le monde profane, pour devenir compltement prsents dans le domaine

    de la mort symbolique, o ils attachent leur regard au monde prsent autour

    d'eux. C'est--dire qu' ils ne considrent plus que le monde initiatique prsent

    dans le rcit.

    Mme si les protagonistes ont les qualits appropries pour tre

    considrs comme mystes, ils courent le risque d'chouer lors des preuves

    initiatiques quils affronteront dans le domaine de la mort. C'est pourquoi il

    existe dans certains rcits pour les aider des personnages secondaires qui jouent

    le rle de tuteurs ou guides.

    - Les initiateurs : les guides

    Dans Hazaran, La Montagne du dieu vivant, Les Bergers, Mondo et

    Lullaby, nous trouvons plusieurs personnages qui ont le rle dinitiateurs ou de

    guides des mystes.

    Martin est prsent comme le guide dAlia et les habitants de la Digue

    dans Hazaran. Il a un comportement asctique : il observe un jene rituel, ne

    touche pas dargent, dort sur une natte, par terre et ne possde rien :

  • 38

    rien dautre quune natte pour dormir par terre et une cruche deau sur une

    caisse >> (Ha., p.195). Il mne donc une vie asctique foncirement diffrente

    de celle des autres habitants.

    En plus, il incarne la rsistance la socit de consommation en

    refusant de toucher de largent. Il rpare >

    (Ha., p.194). Pour le remercier, les gens lui apportent de la nourriture. Cest par

    cette aide, il vit modestement la Digue.

    Dans La Montagne du dieu vivant, le guide est reprsent par le

    personnage de l'enfant. Il est dieu et prophte la fois. Au dbut, il a

    l'apparence de Dieu rpandant son illumination sacre : il est > et > (Mt.,p.136). Cet enfant est visionnaire par sa soudainet et la

    parole quil adresse Jon :

    Quand il (Jon) ouvrit les yeux nouveau, il vit tout de suite lenfant au visage clair qui tait debout sur la dalle de lave, devant le rservoir

    deau.[]. Jon! dit lenfant. Sa voix tait douce et fragile, mais son

    visage clair souriait (Mt., p.136).

    Par ailleurs, il sait que les parents de Jon ne sont pas inquiets au sujet

    de la disparition de fils, quand Jon lui dit que ses parents lattendent la

    maison. > (Mt., p.142).

    Cet enfant est une sorte de rescap du pass car son histoire, quil a

    raconte Jon, remonte des temps trs anciens :

    Il y a longtemps, trs longtemps, beaucoup dhommes sont arrivs,

    ils ont install leurs maisons sur les rivages, dans les valles, et les

    maisons sont devenues des villages, et les villages sont devenus des villes.

  • 39

    Mme les oiseaux ont fui. Mme les poissons avaient peur. Alors moi

    aussi jai quitt les rivages, les valles, et je suis venu sur cette montagne,

    et les autres viendront aprs moi (Md., p.138).

    Avec sa connaissance minente de lpoque primitive ainsi que son

    apparence et ses gestes, qui le rendent mystrieux, cet enfant accompagne et

    guide Jon la faon dun initiateur. Il marche devant Jon pour le guider dans

    l'ascension. Quand linitiation est accomplie, nous les trouvons allongs cte

    cte comme sil ny avait plus de diffrence de statut.

    Dans Les Bergers, les bergers reprsentent limage du guide. Pour eux,

    il sagit avant tout du contrle dun territoire naturel. Ils vivent en harmonie

    avec leur environnement. Ils savent sadapter vivre dans les conditions

    extrmes comme le dsert. Ils sont nomades et connaissent le chemin quils

    doivent prendre avec leur troupeau danimaux. Dans le dsert, les guides de

    Gaspar se confondent de mimtisme, avec les minraux sur lesquels ils vivent :

    normalement >, mais, quand ils sont en plein soleil, > (Be., p.257). Quand ils sapprochent de Genna, leur apparence

    est encore changeante : > (Be., p.260).

    Les bergers sont la fois les guides que Gaspar doit suivre pas pas et

    les initiateurs qui dispensent dun savoir. Ainsi, Gaspar marche, au dbut du

    rcit, derrire Abel qui est comme le chef dinitiation : > (Be., p.257). Les phrases indiquant la marche derrire le

    guide sont rptes pendant quAbel prsente Genna Gaspar.

    Khaf, une petite fille dans le groupe des bergers, joue aussi le rle du

    guide de Gaspar. Mme si elle est rserve et silencieuse, elle manifeste une

  • 40

    grande gentillesse dans ses gestes. Quand Gaspar a soif, elle > (Be., p.257).

    Dans Mondo, cest Thi Chin qui joue le rle de guide auprs de

    Mondo. Elle soccupe de lui ds quils font connaissance. Elle vit seule dans un

    quartier abandonn sur la colline. Elle est prsente comme un prophte, elle

    sait que Mondo doit arriver chez elle, donc elle laisse la porte ouverte :

    Tu as bien fait dentrer, dit simplement Thi Chin. Tu vois, javais laiss la porte ouverte pour toi.

    Alors vous saviez que jallais venir? dit Mondo. Cette ide le rassurait.

    Thi Chin faisait oui de la tte [] (Md., p.47).

    Thi Chin ne parle pas autant que les autres guides du recueil :

    > (Md., p.48). Mais elle

    soccupe de Mondo comme sil tait son enfant. Elle lui prpare ses repas, lui

    raconte des histoires afin quil sendorme.

    Pour Dadi, il fait des reprsentations dans la rue avec le Cosaque et le

    Gitan. Les sobriquets de ces deux hommes sont donns par les gens, qui en fait

    ignorent leurs vrais noms :

    Le Gitan ntait pas gitan, mais on lappelait comme cela cause de son teint basan, de ses cheveux trs noirs et de son profil daigle ; mais il

    devait sans doute son surnom au fait quil habitait dans une vieille

    Hotchkiss noire gare sur lespanade et quil gagnait sa vie en faisant des

    tours de prestidigitation. Le Cosaque, lui, ctait un homme trange, de

    type mongol, qui tait toujours coiff dun gros bonnet de fourrure qui lui

    donnait lair dun ours. [] dans la journe il tait compltement ivre

    (Md., p.25-26).

  • 41

    Cette description nous apprend quils sont en marge de la socit ; ils

    vivent dans une voiture et sont considrs comme des trangers. Pourtant, ce

    sont des hommes qui font tat de la violence et des guerres dans le monde :

    > (Md., p.29). Mme si Mondo rencontre

    souvent le Cosaque et le Gitan et discute souvent avec eux, ils n'ont pas le rle

    de guides pour Mondo, car ils le considrent comme leur ami :

    Le Cosaque buvait la bire et sexclamait trs fort :

    Cest ton fils Gitan?

    Non, cest mon ami Mondo.

    Alors, ta sant, mon ami Mondo! (Md., p.28).

    Dadi est un homme qui sait raconter des histoires comme le vieil

    homme indien qui apprend les lettres Mondo. Tous les deux rvent dailleurs,

    dun monde o les gens vivent dans le bonheur et la paix. En regardant la mer,

    le vieil homme > (Md., p.63).

    Pour le vieil homme, il est prsent comme un prophte. Mondo veut

    lui demander de lui apprendre lire et crire, mais ce vieil homme >. Il > (Md., p.60) quand Mondo lui pose la question.

    Ces personnages possdent la connaissance, les expriences et le rve

    quils transmettent Mondo. Nous tudierons cet enseignement avec les

    diffrentes phases initiatiques de Mondo.

    Dans Lullaby, Monsieur Filippi et le garon lunettes jouent le rle de

    guides du protagoniste. En ce qui concerne Monsieur Filippi, professeur de

    physique, il est physiquement absent du voyage initiatique de Lullaby.

    Pourtant, cest sa voix qui laccompagne :

  • 42

    Cest trs bien, trs bien, mademoiselle, disait la voix de M. Filippi

    dans son oreille.

    La physique est une science de la nature, ne loubliez jamais. Continuez

    comme cela, vous tes sur la bonne voie (Lu., p.49).

    En ce qui concerne le garon lunettes, il connat bien les endroits au

    bord de la mer comme sil y avait dj fait plusieurs tapes initiatiques : pour

    montrer la voie initiatique Lullaby, il la laisse entrer et affronter seule le

    surnaturel du monde de lau-del.

    Les personnages de guides des novices dans Mondo et autres histoires,

    se ressemblent par un certain nombre de traits communs. Ils sont tous avares de

    mots et prfrent guider les protagonistes par leurs gestes. De plus, ces

    personnages sintressent la nature autour deux. Ils savent regarder les

    choses et rver, qualits perdues chez les adultes forms par la socit

    moderne. Lautre trait commun ces guides est quils ont les yeux brillants.

    Martin a les yeux qui > (Ha, p.194). Khaf a les yeux noirs > (Be., p.255). Les yeux

    bleus de Monsieur Filippi >. En fait, les yeux

    brillants des guides refltent la connaissance quils possdent. Lauteur

    souligne ce point en disant que Martin > (Ha.,

    p.195). Nous analysons le rle de ces guides et la connaissance qu'ils

    transmettent aux mystes en examinant les phases initiatiques.

  • 43

    1.2 Du monde profane au monde sacr

    Au nombre des composantes majeures du rcit, lespace est, dans

    Mondo et autres histoires, dcrit si minutieusement que nous avons

    l'impression de contempler de vritables tableaux. Les dtails spaciaux

    indiquent que les lieux apparaissant dans chaque rcit sont bien plus quun

    simple dcor. Ils possdent bien au contraire un rle dynamique et des

    significations qui permettent de mieux apprhender linitiation.

    Dans les rcits, le contraste entre l'espace urbain et lespace naturel est

    constant, comme s'il s'agissait des deux ples permettant de rpondre au besoin

    profond des hommes. En tant qu'tre social, l'homme ne peut en effet vivre

    dans lisolement de la nature, mais c'est la nature qui constitue lespace de

    repos susceptible de les apaiser et de leur redonner des forces. En mme, ces

    deux mondes l'oppos l'un de l'autre apparaissent aussi comme des lieux

    hostiles :

    Ils (les gens) sont partis comme des insectes caparaonns sur leur route, au milieu du dsert, et on nentend plus leurs bruits. Ou bien ils

    roulent dans les camionnettes en coutant la musique qui sort des postes de

    radio, qui chuinte et crisse comme les insectes. Ils vont droit sur la route

    noire, travers les champs desschs et les lacs des mirages, sans regarder

    autour deux (Pc., p.223).

    Lespace naturel est souvent dlaiss et oubli par les habitants des

    socits modernes, qui ressemblent > (Pc.,

    p.223), des (Lu., p.112). Ils mnent une vie de "morts-

    vivants" dans le monde profane qui rvent de libert en raison d'une situation

    dshumanise et du carcan du monde civilis et pour qui le monde naturel est

    un lieu mystique de refuge et de paix.

    Le monde naturel apparat dans ce recueil sous la forme dun espace

    ouvert. Dans son travail sur lespace littraire, Michel Issacharoff crit :

  • 44

    lobscurit, dedans, contrainte45.>> Suivant cette dfinition de lespace, nous

    voyons que les protagonistes, qui aiment lespace du dehors, connaissent aussi

    bien l'espace ouvert que l'espace clos. Pour lespace ouvert, il sagit de la mer,

    de la montagne et du dsert.

    La mer est prsente dans tous les rcits par son tendue illimite ou par

    sa voix. Dans Lullaby, la mer est dcrite comme > (Lu.,

    p.106). Elle incarne limage de leau > (Cv., p.174).

    La couleur changeante de la mer selon la lumire sduit les

    protagonistes. Alia demande au soldat de lemmener la mer, car le vieux

    Bahti lui a dit que la mer est > (Be., 228). Le bleu de la mer est soulign et rpt

    trs souvent dans ce recueil. Parfois, il est associ la couleur du ciel : > (Lu.,p.97), > (Lu.,p.92),

    >.

    (Lu.,p.106),

    (Cv., p.172), > (Pc., p.220).

    Cette couleur bleue de la mer signifie > daprs Gilbert Durand, cest pourquoi elle

    reprsente comme un refuge pour Mondo, Lullaby et Daniel qui vont la

    contempler. Le bleu apaise le tumulte que les protagonistes doivent affronter

    dans la socit.

    Mme dans le dsert, la mer nest pas absente : > (Be., p.248). Ainsi, les protagonistes ne sont jamais loin de la mer.

    45 ISSACHAROFF (Michel), Lespace et la nouvelle. Paris : Jos Corti, 1975, p.78. 46 DURAND (Gilbert), op.cit, p.165.

  • 45

    La description de la mer est accompagne dans certains rcits par celle

    des rochers qui impliquent des espaces escarps. Le chemin des contrebandiers

    que Lullaby suit, > ( Lu., pp.85-86 ). Elle doit

    grimper et escalader les rochers pour aller jusqu la pointe du cap. Dans Celui

    qui navait jamais vu la mer, Daniel habite dans une grotte creuse dans le cap

    noir au bout de la baie d'o il peut regarder la mer tout le temps.

    Comparables aux rochers dont l'ascension est difficile, les collines et la

    montagne apparaissent dans Mondo et La Montagne du dieu vivant comme les

    lieux les plus importants du rcit. La belle colline qui se trouve > (Md.,p.42), que Mondo escalade,

    possde un chemin qui mne son sommet. Il est sinueux et se transforme en

    escalier qui zigzague travers elle.

    Dans La Montagne du dieu vivant, Reydarbarmur est remarquable par

    sa hauteur. Il est comme > (Mt., p.124). Reydarbarmur se situe en

    marge du monde des tres vivants. Il est > ( Mt., p.123 ). Pour y monter, le

    protagoniste doit escalader les blocs dont chacun forme > (Mt., p.128). Nous retrouvons ici aussi les notions de chemin

    escarp et de monte difficile.

    Les chemins menant vers le haut des rochers de Lullaby, et vers les

    sommets de la colline de Mondo et du mont Reydarbarmur de Jon sont des

    mtaphores d'une ascension de lme. Cest dire quils permettent aux dfunts

    daccder lau-del. Car les chelles ou les escaliers servent aux dfunts pour

    monter au ciel47. Nous pouvons ainsi considrer que les protagonistes agissent

    47 ELIADE (Mircea). Images et symboles. Paris, Gallimard, 1952, p. 63.

  • 46

    comme des morts. Ils sont les morts qui meurent du monde profane par la mort

    symbolique du rite initiatique. La montagne symbolise donc lascension et

    louverture au monde initiatique, le passage une nouvelle vie.

    Symbole de la pauvret et de la scheresse, le dsert est lespace le plus

    important dans Les Bergers. Son tendue illimite connote laspiration

    profonde de ltre humain toujours en qute de linfini : > (Be., p.248).

    Malgr la scheresse, le dsert a aussi des richesses caches, qui lui confrent

    lquilibre du monde naturel. Ainsi, Gaspar et les bergers retrouvent la

    fracheur Genna. Cet espace vert enchante les bergers : >

    (Be.,p.265).

    Genna est reprsent comme un paradis terrestre pour les enfants par sa

    fcondit. Cest un pays de cocagne o sunissent les quatre lments : la terre

    par le sol, leau par le lac, le vent par lair et le feu par le soleil. On a limage

    d'une exubrance exprime par le vert du monde vgtale :

    lespace dherbes hautes ondulait dans le vent, et les arbres se

    balanaient, beaucoup darbres lancs, aux troncs noirs et aux larges

    frondaisons vertes ; des amandiers, des peupliers, des lauriers gants ; il y

    avait aussi de hauts palmiers dont les feuilles bougeaient (Be., p.265).

    Pour vivre Genna, les enfants construisent au bord du lac une maison

    dont un ct est laiss ouvert pour entrer. Cette maison qui est lespace clos

    contribue faire du dsert un espace sacr, car elle apparat comme un centre

    de couvergence o les enfants doivent se ressourcer chaque retour de chasse

    ou daventure. Cela sapparente ce que dit Eliade propos de lespace sacr,

  • 47

    qui est

  • 48

    phase prparatoire est >.

    La phase de la prparation consiste, le plus souvent, sparer le myste

    de sa mre et de son milieu familial, labandonner dans la brousse ou dans

    une zone spcifique et sacre et enfin le purifier. Nous commenons notre

    tude par lanalyse de la sparation initiatique.

    2.1 La sparation

    Comme le monde fminin, cest--dire la prsence maternelle, est

    presque absente des rcits, les protagonistes ne ressentant aucune attache de cet

    ordre, la sparation dans sa dimension pathtique entre le myste et le monde

    fminin est secondaire dans notre tude. Pourtant, la sparation que connaissent

    les protagonistes est celle o ils se trouvent spars de leur vie antrieure ou

    du monde ordinaire. En mme temps, cette sparation symbolise la sortie du

    monde profane pour entrer dans le monde inconnu qui est en fait le domaine

    sacr de linitiation.

    Dans Mondo, Lullaby et Celui qui navait jamais vu la mer, la

    sparation des protagonistes avec le monde o ils ont vcu, est fait avec

    dtermination. Car ils ont limpression que ce monde est dsagrable.

    Pour Mondo, il vit au dbut du rcit dans le monde civilis, o il y a

    >. Il travaille avec les

    marachers quand il y a le march. Il rencontre les gens de la ville qui sont

    sympathiques comme Rosa la marchande de fruits qui lui donne des pommes et

    des bananes, Ida la boulangre qui lui donne rgulirement un morceau de pain,

    Giordan, le pcheur, qui partage avec lui son sandwich, la jeune fille qui

    laccompagne prendre lascenseur et lhomme au cerf-volant qui lui enseigne

    lart de tirer le cerf-volant.

    49 Vierne (Simone). Op.cit., p.13.

  • 49

    Peu peu, il trouve la plupart des gens de la ville antipathiques.

    Enfants ou adultes, ils ne savent pas partager, ils ne savent pas non plus

    regarder les choses et les tres autour deux. Le petit-fils du rempailleur ne sait

    pas partager les jouets. Il se garde pour lui seul le jouet que Mondo lui prte. La

    foule, elle, se hte. Les gens marchent vite > (Md.,p.37), sans faire attention

    Mondo. Leur manque de bont leur donne des dimensions qui rlvent du

    fantastique :

    Les gens autour de lui devenaient hauts comme des arbres, avec des

    visages lointains, comme les balcons des immeubles. Mondo se faufilait

    parmi tous les gants, qui faisaient des enjambes considrables. Il vitait

    des femmes hautes comme des tours dglise, vtues dimmenses robes

    pois, et des hommes larges comme des falaises, vtus de complets bleus et

    de chemises blanches (Md., p.38).

    Rejetant cette socit inhumaine, Mondo sexclut de ce monde profane

    pour franchir les collines. Elles sont couvertes de la lumire irradie par le

    soleil, qui symbolise la connaissance recherche par les candidats linitiation :

    > (Md., p.39). Lambiance sacre

    de cette colline est accentue par le chemin qui > (Md., 42). Cet espace isol est emblmatique du chemin de

    lascension du myste.

    Pour Lullaby, la ville, surtout lcole, parat comme une prison. Elle

    lavoue son pre : > (M.D.,p.91). La ville dcrite dans ce rcit ressemble celle dans

    Mondo. C'est un monde o les hommes se soumettent aux rgles quils ont

    tablies. Quand les gens voient que Lullaby ne va pas lcole comme les

  • 50

    enfants de son ge, ils > (Lu.,

    p.85) pour la rprimander. De plus, ces hommes sont toujours presss comme

    sils vivaient dans un monde de concurrence :

    Ils roulaient vite dans leurs autos, le long de lavenue, dans la

    direction du centre de la ville. Les vlomoteurs faisaient la course avec des

    bruits de roulements billes. Dans les autos neuves aux vitres fermes, les

    gens avaient lair press (Lu., p.85).

    Limage de ces gens enferms dans leurs voitures illustre la perte de

    contact avec les lments. Les hommes deviennent individualistes, gostes,

    froids et indiffrents. Le fait que Lullaby ne peut plus rester dans ce monde

    presque carcral tout seul voudrait dire qu'elle est vraiment en prison. Elle le

    quitte sans hsitation : > (Lu., p.85). Cette

    dmarche reprsente la sparation davec le monde de sa vie profane. Car elle

    arrte de suivre le quotidien de sa vie.

    Le monde vers lequel Lullaby avance correspond au lieu initiatique

    chez les primitifs qui, selon Simone Vierne, doit tre > : en effet > (Lu., p.86-87). Donc, elle

    sort du monde profane et entre dans le domaine sacr.

    Etant pensionnaire, Daniel dans Celui qui navait jamais vu la mer est

    dj coup du lieu familial. En plus, son caractre inactif le spare des gens de

    lcole. Il aime rester > (Cv., p.167). Car il

    nest pas satisfait > (Cv., p.167). Comme

    50 VIERNE (Simone), op.cit., p.14.

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    Daniel na pas damis lcole >, il quitte le monde civilis sans tristesse. La sparation s'effectue

    sur le mode de la fuite: il choisit ainsi de la faire dans la nuit, qui est ici le

    symbole de la mort de la vie profane : > (Cv., p.169).

    Dans Les Bergers, nous voyons que lapparence du protagoniste au

    dbut du rcit indique quil fait partie des gens de la ville : > (Be., p.251). Sans rien savoir de son pass,

    nous comprenons que Gaspar quitte la ville o il vivait cause de ses

    vtements. Son apparition dans le dsert, o il est un tre seul dans lespace

    infini, donne limage dun isolement complet. Il est ainsi spar du monde

    profane et se dirige vers le monde sacr, qui est lespace inconnu, infini et isol

    o habitent ses guides initiatiques que sont les bergers.

    Dans La Montagne du dieu vivant, Jon mne une vie denfant

    ordinaire. Il va lecole. Il sait sduire les filles en leur adressant la parole avec

    la guimbarde comme les autres garons. Il na jamais approch Reydarbarmur

    de mme les gens de son village. Jon nest pas insatisfait de sa vie et le monde

    autour de lui, comme le sont Daniel et Lullaby. Pourtant, il part faire son

    voyage initiatique comme eux, attir qu'il est par la lumire du soleil brillant au

    plus lors de l'anne. Cest le 21 juin, jour du so