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Rem KOOLHAAS est un architecte, théoricien de l’architecture, et urbaniste néerlandais.
Avant de construire, Rem KOOLHAAS s'est distingué par une œuvre théorique originale, deve-
nue culte depuis. New York Délire (Delirious New York), publiée en 1970, reconstitue le développe-
ment et la construction de Manhattan comme une opération cohérente. KOOLHAAS déclare à pro-
pos de ce livre : « J'entendais construire en tant qu'écrivain un territoire où je puisse finalement tra-
vailler comme architecte ».
Il fonde en 1975 à Londres, l'Office for Metropolitan Architecture (OMA). L’objet de ce bureau
d’architectes est de définir de nouveaux types de relations théoriques entre l’architecture et la si-
tuation culturelle contemporaine. En 1990, une nouvelle structure voit le jour. Appelée AMO, son
champ de réflexion dépasse celui de l’architecture et s’oriente davantage vers le design, la re-
cherche, la mode, la technologie, le développement durable ou encore la politique. En 1995, son
livre S, M, L, XL résume le travail de l'OMA.
Rem KOOLHAAS passe aux yeux de certains pour un artiste important sachant exprimer dans
ses créations l’esprit de notre « hypermodernité ». Pour d’autres, il s’agit d’un idéologue qui peut
être classé parmi les adeptes de la philosophie postmoderne. Mais en réalité, il est probablement
les deux à la fois. Ses projets, ses constructions et ses écrits constituent ainsi un complément dans la
manière de comprendre le monde contemporain.
Si le style international est remis en question au profit du postmoderniste, l'architecture con-
cerne les habitants venus de tous horizons. Rem KOOLHAAS a écrit Junkspace afin que l'homme ana-
lyse ce que les villes modernes sont devenues. Il décrit leurs structures et donne des références et
des exemples sur l’évolution qu’elles ont connue. C’est en quelque sorte une critique de la société
de consommation qui est établie par l’auteur, qui dénonce ainsi la sur-consommation, l’absorption
massive d’informations... Toutes ces questions, ces constatations ont pour but d'amener le lecteur,
en le confrontant aux innovations de la ville, à réfléchir sur sa propre action, à repenser l’architec-
ture qu’il perçoit et l'espace urbain qu’il pratique. Même si dans Junkspace l’habitant est au centre
de sa réflexion, il n’est jamais évoqué par l’auteur directement.
Junk (traduction de l’anglais) : déchet, désordre
Rem KOOLHAAS, Junkspace (2001)
Editions Payot & Rivages, Paris, 2011
Coralie VERNAY
« Le Junskpace, c’est comme être condamné à un ja-
cuzzi perpétuel avec des millions d’amis… Règne flou du
brouillard, il fusionne le haut et le bas, le public et le privé,
le droit et la courbe, le bouffi et l’affamé, pour offrir un pat-
chwork interrompu et décousu permanent ».
Il n’existe pas de traduction littérale de Junkspace. Au
début, Rem KOOLHAAS l’assimile à la junkfood. Il applique
ce terme aux domaines de l’architecture et de l’urbanisme
tandis que la junkfood qualifie la « malbouffe ». Junkspace voudrait alors dire « espace en dé-
sordre ». Mais d’après KOOLHAAS, il s’agit de l’apothéose de la modernisation. En réalité, on peut
dire que le Junkspace n’est pas de l’architecture mais qu’il s’agit de ce qui est formé à partir de l’ar-
chitecture. C’est un démantèlement, une démolition des principes fondamentaux qui permettent
d’identifier une architecture, pour ensuite les réassembler sans forcément respecter des règles. Le
Junkspace est un espace très difficile à comprendre, il nous perd et nous rend incertain de l’endroit
où nous sommes et celui où nous allons. Alors qu'il est mis en place au vingtième siècle, le
Junkspace ne va connaitre son apothéose qu’au vingt-et-unième siècle. Mais aussitôt vu, aussitôt
oublié. L’agitation qui existe autour du Junkspace fait que nous ne pouvons pas mémoriser cette ar-
chitecture. Le Junkspace change alors d’allure avec le temps, en fonction de ce que les
« consommateurs » en font. Il se métamorphose et il devient un espace presque impossible à repré-
senter. Il ne peut être ni défini, ni nommé. Il remplace la hiérarchie par l’accumulation, et la compo-
sition par l’addition d’éléments.
« Le Junkspace semble être une aberra-
tion, mais il est l’essence, ce qui compte… le
produit de la rencontre de l’escalator et de la
climatisation, conçu dans un incubateur en pla-
coplâtre (tous trois absents des livres d’his-
toire). »
KOOLHAAS évoque trois éléments qui sont, pour lui, essentiel dans la conception d’une archi-
tecture moderne. Il s’agit des éléments qui permettent de réunir l’architecture afin de créer les
villes et les espaces dans lesquels nous vivons, des espaces spécifiques, qui répondent à l’essence
même de ce qu’est le Junkspace. En prenant pour exemple le placoplâtre, on peut penser que les
bâtiments n'auraient plus besoin de façades. Ils seraient sans fin. On pourrait ainsi associer des im-
meubles côte à côte sur des surfaces infinies. Cette qualité implique qu’un bâtiment ne serait jamais
vraiment terminé. Et c’est en cela que le Junkspace est considéré comme global. L’architecture est
alors perçue comme quelque chose qui n’est pas aboutie, alors que le Junkspace, lui, ne vieillit pas,
il se renouvelle sur lui-même. Il crée de nouveaux espaces en réutilisant les mêmes matériaux, les
mêmes procédés. On peut donc le considérer comme infini, intemporel, instable.
Un élément m’a frappé dans la lecture de Junkspace. Le grand absent est l’habitant, celui qui
vit dans le Junkspace. Lorsque KOOLHAAS veut mentionner l’habitant, il parle du
« consommateur ».
« Partout dans le Junkspace, il y a des installa-
tions pour s’asseoir, des rangées de chaises modu-
laires, même des canapés, comme si les expériences
que le Junkspace offre aux consommateurs étaient
nettement plus nécessaires, plus épuisantes que toute
autre sensation spatiale antérieure. »
Pourtant placé au cœur du récit de KOOLHAAS, ce dernier n’écrit jamais en prenant la place de
l’usager, de l’habitant, du constructeur de la ville qu’il décrit. Il évoque les espaces dans lesquels
l’habitant circule mais considère ces espaces comme des éléments à absorber, à consommer. En
quelque sorte, le Junkspace permettrait de nourrir les habitants et de satisfaire leurs besoins. La
ville se construirait donc elle-même sans se soucier des personnes qui l’occuperaient, tout en cor-
respondant aux attentes de ceux qui la pratiqueraient au quotidien. « Le Junkspace est tôt ou tard
relié aux fonctions corporelles ». La relation qu’entretient le corps, à la ville et à l’espace, est évo-
quée tout au long du livre sans que le corps ne soit jamais employé en tant qu’acteur. On ne le per-
çoit pas comme un élément essentiel du Junkspace, pourtant l’auteur le place au centre de sa ré-
flexion. Le corps subit le Junkspace sans pourvoir intervenir. Mais KOOLHAAS estime que le corps
profite du Junkspace pour se développer et acquérir ce qui lui est nécessaire.
Le Junkspace analyse la ville et questionne les éléments qui l’on construite. En s’inscrivant
dans une ville, dans un contexte, le Junkspace se construit avec ce qui l’entoure tout comme le
corps vit en fonction du contexte dans lequel il évolue. L’auteur fait beaucoup appel au vocabulaire
du corps et des sens. Et même si l’habitant n’est pas évoqué directement, il se retrouve au cœur du
sujet, car c’est son corps que l’auteur évoque. En nous invitant à vivre l’espace, nous devenons ac-
teur de la ville et nous acquérons la sensibilité nécessaire pour appréhender l’espace que l’on nous
donne à voir.
Le Junskspace est défini à la fois comme un désordre mais aussi comme un lieu de plaisir per-
manent. Dans les dernières lignes de cet essai, Rem KOOLHAAS se pose de multiples questions sur
l’avenir. Il s’interroge sur le devenir du Junkspace en fonction de l’évolution de la société actuelle.
On a l’impression qu’il s’agit de quelque chose d’infini, qui ne correspond pas à un seul genre mais à
une multitude d’éléments qui concerne l’ensemble de l’humanité. KOOLHAAS se pose sans cesse
des questions sur le monde qui nous entoure et dans lequel on vit. Pertinent, enrichissant et très
informatif, son point de vue ne peut cependant pas constituer une vision mondiale, globale et
unique. Il faudrait apporter à sa pensée un autre regard qui serait basé sur des processus de fabrica-
tion de la ville, où ce sont les habitants qui sont les créateurs de leur espace de vie.
Ce texte tente de définir ce qu’est réellement le Junkspace. La façon dont Rem KOOLHAAS
écrit Junkspace peut s’apparenter au Junkspace lui-même. Les mots utilisés par l’auteur sont
simples, mais la façon dont il compose ses phrases est plus subtile à cerner. Dès que l’on commence
la lecture de cet essai, il est difficile de s’arrêter. L’auteur ne fait pas de pauses dans le texte et lors-
que nous le finissons, nous sommes comme essoufflés, exténués. Nous sommes désorientés par le
flot d’informations que nous avons reçues. Et cela s’accélère à la fin avec la succession de questions
que l’auteur nous propose. Tout comme le Junkspace épuise les pratiquants de cet espace, l’auteur
épuise les lecteurs. Cela permet de vivre le Junkspace seulement en le lisant.
« L’humanité ne cesse de se soucier de l‘architecture. Et si l’espace com-
mençait à se tourner vers l’humanité ? Est-ce que le Junkspace va envahir
le corps ? Via les ondes de téléphones portables ? L’a-t-il déjà fait ? Par les
injections de Botox ? Le collagène ? Les implants de silicone ? La liposuc-
cion ? Les allongements de pénis ? La thérapie génique annonce-t-elle une
réorganisation totale selon les principes du Junkspace ? Chacun de nous est
-il un mini chantier ? L’humanité, la somme de 3 à 5 milliards d’upgrades
individuelles ? Y a-t-il un répertoire de reconfigurations qui facilitent l’intro-
duction d’une nouvelle espèce dans la Junksphère qu’elle a produite elle-
même ? Le cosmétique est le nouveau cosmique… »