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Résidents européens et
développement du tourisme rural
dans les arrière-pays marocains
Cas des oasis du Draa Moyen
M. Berriane, N. Oussoulous, G. Michon
et M, Aderghal
LMI MediTer
1 - Les dichotomies tourisme balnéaire-tourisme culturel,
tourisme individuel-tourisme de masse, et tourisme itinérant-
tourisme sédentaire ont abouti à une opposition de fait entre
le littoral et l'arrière-pays.
2 - Pendant ce temps, les comportements et les attentes des
touristes changent sensiblement, alors que le rapport
production/consommation du secteur touristique est en
mutation
3 - La fièvre du tourisme rural coïncide avec un nouveau
contexte du développement rural au Maroc
Partout au Maroc (montagnes, plaines, désert, littoral) : la
diffusion de moyens d’hébergements alternatifs (maisons
d’hôtes)
Circuits mis en place par des initiatives
locales, même s’ils ne sont pas
toujours performants,
• mettent en réseau….
• mutualisent un potentiel et des
porteurs de projets……
• dessinent un territoire……
• fabriquent une image de la
destination (Internet) qui peut être à
la base d’un «territoire de projet»
émanant du bas, mais qui nécessite
plus de cohérence, un
accompagnement et une
structuration.
Construction progressive de territoires touristiques par le bas:
Rayon entre 50 et 100 km autour d’une ville, centre de redistribution de flux de visiteurs et de randonneurs : Essaouira, Chefchaouen, Ifrane, Agadir
Aucun rapport avec les limites communales ou provinciales
Limites résultat de la combinaison entre un potentiel certes, mais qui est reconnu en tant que tel par les touristes et les prestataires de services locaux
Entre la banlieue d’Ouarzazate au
Nord et Mhamid au Sud, les
implantations des structures
d’hébergement de ce type s’égrainent
le long du ruban des oasis, le plus
souvent sur des sites surplombant le
paysage oasien, comme les anciennes
kasbah qui étaient édifiées en dehors
des terrains agricoles; mais de plus en
plus en pleine oasis,
Relevés de terrain et entretiens avec
30 porteurs de projets sur 4 sites :
Environs d’
Ouarzazate
Skoura
Agdz
Zagora
Mhamid
Phénomène apparu au Maroc de façon tardive
(les années 1990) d’où sa faible prise en
compte par la recherche, du moins en milieu
rural,
Les études commencent à lui donner une
certaine visibilité en milieu urbain comme à
Marrakech, Essaouira ou Fès.
Principales questions:
1. Comprendre l’installation de ces immigrés
européens dans ces régions
2. Suivre leurs parcours, profils, expériences et
projets économiques et de vie
3. Les interactions de ces nouveaux résidents
avec les environnements socio-économiques et
environnementaux où ils décident de s’installer
4. Leur rôle dans la mise en tourisme des AP et
au-delà dans les dynamiques en cours dans ces
régions
Leur perception par les populations locales
5. Vérifier s’ils correspondent au modèle
« Lifestyle migrations » développé par la
recherche anglo-saxonne
La problématique tourisme/migration devient donc incontournable dans cette analyse
qui doit clarifier à quelle catégorie appartiennent ces nouveaux résidents venus
d’ailleurs à la recherche d’un autre ailleurs
La recherche anglo-saxonne a essayé de conceptualiser ces nouvelles situations entre
deux en proposant des catégories d’analyse à cheval sur le tourisme et la migration :
Lifestyle migrations (Benson and O’Reilly, 2009):
Motivations plurielles et complexes
Des personnes relativement aisées et de tous âges qui se déplacent à plein temps ou à temps
partiel vers des destinations où elles pensent trouver une qualité de vie meilleure,
Migration volontaire décrite comme un acte pour échapper à un piège « a getting out of the
trap » ou pour avoir un nouveau départ « making a fresh start » ou encore un nouveau
commencement « a new begininig »,
Un nouveau mode de vie recherché : une renégociation de l’équilibre travail/qualité de vie et
l’absence des contraintes antérieures : « être son propre employeur »
Recherche de lieux de vie supposés idylliques : Les espaces balnéaires et insulaires où on trouve
un style de vie méditerranéen (Costa del Sol); Le milieu rural qui permet un retour à la nature
et un style de vie simple comme (Espagne, Roumanie); Des espaces culturels et artistiques
offrant des possibilités de développement de communautés de bourgeois-bohèmes (BoBo) (Ile
grecque de Mykonos),
1) Du touriste au propriétaire d’une résidence secondaire :
« Plus vraiment un touriste, mais pas encore un résident »
La décision de l’acquisition d’un pied à terre intervient suite à un ou plusieurs
séjours touristiques:
« On venait en vacances avant l’installation donc on connait un peu le Maroc » -
(Français de 54 ans installé à Oulad Driss (Mhamid) depuis 2004)
« Par hasard, mais je n’ai pas choisi de construire un hôtel au départ, je venais
en vacances, j’aimais le désert et il se trouve qu’un jour on m’a dit qu’il y’a une
maison qui se vend à côté alors j’ai fait une petite maison pour moi et ça s’est
enchainé et puis j’ai acheté le village, c’était pas du tout un projet » (65 ans,
2007, environs d’Ouarzazate)
L’accessibilité:
La proximité géographique ou linguistique
La liberté de circulation et d’accès des Européens au Maroc (pas besoin de
visa)
La facilité d’acquisition d’une propriété par un étranger que permet le
système libéral du Maroc
La résidence ainsi acquise est destinée à revivre l’atmosphère hédoniste
des séjours de vacances
Les déplacements répétés de ces touristes propriétaires, se font
pendant les saisons les plus agréables, soit le printemps et l’hiver pour
notre région du Draa
2) Du touriste propriétaire d’une résidence secondaire au
résident permanent en règle ou « sans papiers »
Certains parmi ces touristes propriétaires décident de s’établir dans le pays
dans la durée tout en étant en règle avec la législation sur les étrangers :
Régulariser leur situation de résidents étrangers. Bénéficient d’un titre de
séjour, valable un an, renouvelable chaque année durant trois ans, puis
prorogeable à cinq, puis dix ans.
La moitié de nos enquêtes
Un nouveau résident européen
D’autres décident de s’installer dans le pays dans la durée, mais en
choisissant de ne pas se mettre en règle avec la législation sur les étrangers
Quittent le pays tous les trois mois en faisant de la mobilité un mode
d’existence.
« On y revient (en France) 3, 4 fois par an, en été en particulier, pendant les fêtes
là, janvier » ; « en principe je viens je reste trois mois et je repars, je repars un
moi, un mois et demi, ça dépend ».
Régime de simple touriste impose ces navettes lors de l’expiration de la durée
de 3 mois accordés à un touriste
Les 45.000 français immatriculés dans les registres consulaires sont à
augmentés d’environ 30.000 personnes qui relèvent de ce régime pendulaire
(Autorités consulaires françaises)
3) Du touriste résident au gestionnaire d’une maison d’hôte :
« des entrepreneurs autoproclamés »
Transformation du logement en petite entreprise d’hébergement
et/ou de restauration
Ce n’est pas un stade ultime du processus : certains arrivés avec l’idée de créer
une entreprise
30 enquêtés :
24 maisons d’hôtes, 1 hôtel, 1 restaurant, 4 maisons d’hôtes plus
restauration et du transport ou aire de camping-car
Pas de continuité professionnelle : enseignants, comptables,
commerciaux, ingénieurs ou architectes, voire un chercheur, une
femme au foyer et deux artistes
Tous propriétaires de leurs affaires ou associés et donc leurs propres
employés :
Le « nouveau commencement » et la qualité de vie recherchés passent par
le statut d’être son propre employé, même si au départ les compétences
professionnelles manquent.
Ne se considèrent ni touristes, ni immigrés
Autodéfinition parfois ambiguë : « étranger résident avec une carte de
séjour », « personne qui a une affaire au Maroc », « touriste
entrepreneur », « résident », « en transit, entre les deux ».
Mais le fait d’être étrangers installés au pays à des fins économiques, fait
d’eux à notre sens de véritables immigrés, bien que leur arrivée au Maroc
ne relève pas des logiques migratoires classiques
Souvent il n’y a pas de projet précis et la résidence
secondaire destinée à une utilisation privée se
transforme progressivement en structure
d’hébergement commercialisée.
« Ça s’est fait au fil du temps, (….), c’est qu’à l’origine
j’habitais moi et ma femme ici et nous invitions des amis
clients des hôtels à boire un thé, à manger un couscous à la
maison ; les Marocains vous savez l’hospitalité, et puis nos
amis nous ont dit mais pourquoi vous ne faites pas une
chambre ou deux on serait mieux chez vous qu’à l’hôtel. De ça
il y’a vingt ans et c’était très basique rien à voir avec le luxe
et le confort qu’on pouvait avoir ; donc on a fait une première
chambre pour nos clients amis, puis une deuxième, puis une
troisième, après on a acheté une autre petite maison, après
encore une autre petite maison plus loin et petit à petit le
projet s’est développé on a jamais imaginé moi et Zineb
d’avoir un projet comme ça au complet jamais, jamais parce
qu’on est des gens simples on n’a pas beaucoup de moyens. »
(Français de 67 ans marié à une marocaine, installé dès 1979)
Cas des premiers arrivés, processus peut durer très
longtemps (ex : années 1990, 2002, 2010)
Ceux arrivés récemment viennent avec un projet précis
Souvent l’étude de faisabilité ou de marketing fait
place à l’improvisation et au « feeling »
Désormais les séjours sont de 3 jours à une semaine; Séjours actifs :
activités mobiles et sédentaires
Emplois générés non négligeables : entre 2 et 10 employés avec des
pics de 55 et 90
Employés sont des jeunes d’origine locale et cas de retours de Marrakech
ou d’Ouarzazate
L’approvisionnement en produits de l’artisanat pour l’ameublement
et la décoration
L’approvisionnement en denrées alimentaires
Appel à des petites entreprises prestataires de services pour
l’organisation et l’accompagnement des randonneurs
Effort de réhabilitation de l’habitat rural en terre de la région,
patrimonialisation
Dissémination d’une image de la destination construite grâce aux
activités proposées, se fait à une large échelle, la commercialisation
fait largement appel à l’Internet :
Portails de réservation comme Booking.com ou Tripadvisor, Airbnb ;
Leurs propres pages web ou blogs
Agences internationales ou nationales.
Salons internationaux.
Esquisse par le bas d’une image virtuelle de la destination, sa promotion
par une connexion directement au système monde sans relais ni
intermédiaire.
Enjeux de la valorisation du patrimoine : conservation et
valorisation ne font pas toujours bon ménage
Rénovation qui s’accompagne souvent de l’introduction de
matériaux modernes,
Le cachet local se limite à la forme de l’édifice et au revêtement
qui donnent l’illusion d’une construction en pisé.
La décoration intérieure fait plus appel au « design » avec
intégration parfois d’éléments de patrimoines ruraux totalement
étrangers à la région et au pays
Le patrimoine parfois réduit à un cliché et vidé de son sens
premier
Sentiment de dépossession vis à vis de l’appropriation d’un
héritage local par des étrangers
Ni construction collective, ni médiation par des institutions
(coutumières ou nationales)
Les fuites d’argent L’essentiel, des transactions par internet et en dehors du Maroc,
une partie non négligeable des entrées n’est donc pas imposable
Peu d’initiatives quant à une gestion respectueuse de
l’environnement (durabilité)Maisons d’hôtes édifiées en pleine palmeraie sur des espaces
jusqu’ici réservés exclusivement aux cultures
Parfois méconnaissance totale de l’environnement naturel dans le
choix des sites d’implantations
Européens installés dans les villes se dissolvent
parmi les touristes car fréquentant les mêmes lieux
que ces derniers,
Les Européens des oasis sont bien visibles lorsqu’ils
sortent de leurs maisons d’hôtes.
En même temps étant très isolés et dispersés dans
le milieu oasien, ils sont socialement invisibles.
Leurs relations à la société locale sont
extrêmement réduites, voire dans certains cas
inexistantes.
Limitées à ceux avec qui ils sont en rapport sur le
plan professionnel : « associés », artisans, ouvriers,
employés et personnel domestique.
« On fréquente très très très peu de monde ici, très très peu, on a quelques relations avec les
autres maisons d’hôte, un peu avec nos artisans, … qui viennent de temps en temps et avec qui
on a de bonnes relations, un peu les officiels, le pacha, mais globalement notre lien social c’est
nos clients »
Isolement volontaire serait lié aux différences culturelles et linguistiques,
Explications traduisant parfois une perception de l’autre et de soi-même fortement hiérarchisée justifiée par le
faible niveau d’instruction des populations locales et leur non maîtrise de la langue de l’étranger.
« A Tamdakht il y’a plus personne qui parle français, ici c’est très beldi, on ne peut pas trop communiquer, ici c’est labass,
labass, ça va, ça va, mais tu ne peux pas aller plus loin.. » ; « Ici les gens sont comme ça ou quoi, ils sont gentils on a de
bonnes relations mais on n’a pas les mêmes centres d’intérêt. Tu lui parle de la dernière exposition au Beaubourg ou à
Paris…, ce n’est pas une critique, c’est comme ça » ; « Tu sais, les gens dans le village, ils ne sont jamais allé à l’école, ils ne
sont pas cultivés, c’est difficile de communiquer mais je suis sûr qu’ailleurs c’est différent à El Jadida, à Mohammedia les
gens sont beaucoup plus instruits, plus ouverts mais là c’est vraiment petit »
Un fort besoin de justification de la présence au Maroc :
Apport de nouveaux revenus
Offre d’emplois
Qualification du personnel en le formant sur le tas.
Implication dans quelques associations de développement de proximité.
Sauvegarde du patrimoine architectural est aussi une justification de leur présence.
Dans cet argumentaire de la justification, les bons rapports avec les Marocains et l’ouverture sur leur culture
différente et enrichissante utilisés comme arguments de quête de légitimité.
« La culture c’est pas du tout la même oui, ici c’est plutôt imprégné du côté oriental en plus de la religion ; (…) et c’est
enrichissant de voir comment les gens vivent ici, comment ils voient les choses, on voit pas ça chez nous, ça apporte une
autre vision, il y’a des trucs que j’apprécie, des trucs non » ; « (…) Une certaine philosophie de la vie qui est finalement
assez intéressante qui nous calme nous qui sommes d’Europe et on ne prend pas le temps de vivre et tout ça, donc il y’a de
bonnes leçons de vie quand même ici, je vois que des gens qui n’ont pas trop d’argent, ils se débrouillent, il y’a une grosse
solidarité familiale villageoise qui n’existe plus chez nous, ça c’est quand même des choses que je trouve importante » ;
Isolement aussi vis-à-vis des autres migrants entrepreneurs
menant les mêmes activités
Beaucoup plus des relations de bon voisinage, l’individualisme
prime sur le plan professionnel allant même jusqu’à une
certaine concurrence
De ce fait l’absence de tout travail en réseau pour le montage
de circuits intégrés empêche l’émergence d’une destination
touristique cohérente
Les étrangers de sexe féminin vivant en couple mixte avec un
conjoint marocain (8 enquêtés) font exception : elles font
preuve d’une grande ouverture sur la région et la famille des
beaux-parents. Le Maroc et la destination sud sont dans ce cas
magnifiés de façon assez subjective, mais l’insertion peut
parfois être très poussée
En termes de vie relationnelle une double constatation :
Vis-à-vis de la population locale il y a coprésence, mais pas
nécessairement interaction ;
Vis-à-vis des autres migrants, il y a relation de bon voisinage,
mais pas formation d’une communauté.
Nouvelle phase d’arrivées et d’installations de migrants européens depuis l’indépendance
Les nouveaux arrivants sans réel statut, relèvent pour la plupart du modèle du Lifestyle migrant, sauf que la
majorité d’entre eux sont des entrepreneurs créateurs de maisons d’hôtes. N’est-ce pas une migration tout
court ?
Leurs mobilités entre le Maroc et le pays d’origine entrent dans un registre particulier : ils préfèrent
rester des non-résidents qui maintiennent des migrations pendulaires avec leur pays d’origine
Ces nouveaux migrants jouent un rôle central dans les processus de mise en tourisme des arrière-pays au
Maroc :
Production d’un parc « hôtelier » alternatif, construction de l’image de la destination, génération de
ressources nouvelles.
Les relations avec les populations locales :
Avec les locaux : Plutôt une coprésence ou une cohabitation juxtaposée, sans nécessairement interactions.
Avec les étrangers : On reste dans le registre des relations de bon voisinage, sans formation d’une
communauté soudée et homogène.
Les relations avec les deux populations : à la fois réduites, individualisées et utilitaires, sans ébauche de
ce que l’on pourrait appeler un cosmopolitisme.
Reste à :
Mettre en perspective avec ce qui a été analysé dans d’autres recherches sur les migrations
Etudier plus en détail la manière dont ils sont perçus par les populations locales et les pouvoirs publics, ce
qui viendrait en contrepoint des études menées en Europe sur les migrants maghrébins.
Mettre en parallèle l’interdiction de circulation sud-nord, et la totale liberté de circuler nord-sud
Le modèle balnéaire continue à être privilégié, mais la réalité de la demande et de
l’offre : les destinations touristiques des arrière-pays émergent de plus en plus et
les populations de ces arrière-pays développent de nouveaux rapports à leurs
territoires….
Au niveau de la demande
Changement de comportement de la clientèle (Tourisme post-fordiste)
Le rôle des TIC qui autonomisent le touriste par rapport aux TO
Les TO internationaux qui essaient de récupérer aussi ce créneau
Au niveau de la destination
Ces types d’hébergements nouveaux développés aussi par les Marocains
Mobilisation du mouvement associatif au niveau local
La politique de co-développement (ONG internationales)
L’inscription du tourisme de niche dans les politiques étatiques
Les concepts de développement local (Plan vert), de développement territorial, de
développement mettant en avant les spécificités locales
La nécessité de renouveler le produit menacé par le vieillissement : culture et
patrimoine comme complément
Au niveau régional
Mutations relevées ailleurs dans les pays voisins autour de la Méditerranée
Modèle de fonctionnement du système touristique
Phase 1 : arrivée de « l’élite »
Phase 2 : « l’élite » attire la masse
Phase 3 : « l’élite » va ailleurs et elle est remplacée par la
masse
Quel scénario pour le processus qui semble
s’enclencher dans les arrière-pays ?
Nous sommes dans la phase 1
Et probablement on va bientôt aborder la phase 2
Quel devenir pour les arrière-pays si la phase 3 s’installe ???