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Printemps 2013 - N°6 L’Europe et le numérique Zéro pointé ou 2.0 ?

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Quels succès possèdent à leur actif les politiques numériques européenne et française ?

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Printemps 2013 - N°6

L’Europe et le numériqueZéro pointé ou 2.0 ?

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Edito

« Les ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques de la productivité » disait Robert Solow, prix Nobel d’économie, en 1987. Vingt-six ans plus tard, les ordinateurs sont vraiment partout, y compris dans les statistiques, à tel point d’ailleurs que tous les économistes recommandent la mise en œuvre énergique de politiques économiques axées sur le développement des nouvelles technologies et l’appropriation rapide des gains de productivité qu’elles génèrent. Avec le numérique, tout devient smart : d’abord les portables, puis la télévision, les réseaux d’énergie, la politique, les relations internationales… mais à un rythme inégal selon les secteurs de notre organisation économique, sociale et politique. Si l’on rencontre parfois l’expression d’e-administration dans des articles ou des rapports spécialisés, force est de constater que le numérique est loin d’avoir pulvérisé les statistiques de performance de l’action publique ! A l’heure où des pays comme la Finlande permettent à leurs citoyens de dialoguer avec des hauts responsables administratifs via une plateforme électronique unique ou d’y soumettre des propositions de lois, notre Legifrance, tout utile qu’il soit, fait plutôt pâle figure…

Tout devient smart. Y compris l’évasion fiscale, le vol de données personnelles ou le terrorisme. Le numérique est avant tout un outil, et comme tout outil, il peut servir des fins plus ou moins nobles et tomber en des mains plus ou moins bien intentionnées. Qui sait que le groupe « GAFA » (Google, Amazon, Facebook et Apple), fleuron de l’industrie numérique mondiale, est responsable en France de plusieurs milliards d’euros de pertes fiscales annuelles ? Qui se rend compte des véritables enjeux de la protection des données personnelles alors que si peu de citoyens ont déjà fait les frais de ce détournement à grande échelle ? Qui prend la mesure de la vulnérabilité des pays face aux cyberattaques ? A notre avis, pas assez de monde. C’est pourquoi nous avons voulu établir, à partir de ces idées souvent évoquées dans la presse mais jamais vraiment détaillées, un dossier cohérent sur les enjeux du numérique et les stratégies qu’ils appellent au niveau national et européen.

Nous ne perdons bien sûr pas de vue les événements marquants de ces derniers mois. Au menu de la rubrique actualité, une analyse des élections présidentielles en République tchèque, un questionnement sur le raz-de-marée industrialiste made in France, un point sur les relations franco-britanniques, une réflexion sur les mémoires européennes et une mise en perspective de la création du Green Climate Fund. Nous avons également le plaisir d’intégrer dans nos colonnes le compte-rendu d’un projet d’étudiants du Master Affaires européennes sur les problématiques de la coopération franco-allemande. Un entretien avec le Président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, avons-nous pensé, ne pourra que réjouir ceux qui ont assisté à ses cours rue Saint-Guillaume ou qui pensent le faire ; sans doute même confortera-t-il dans leur choix ceux qui s’engagent dans la voie des concours ! Pour boucler la boucle, une analyse des relations tendues entre Microsoft et la Commission européenne vous présentera avec brio les rapports de force entre un grand du numérique et le cerbère de la concurrence.

Signe des temps, nous mettrons cette revue en ligne sur notre site. Partagez-là avec vos amis ! Bonne lecture, et à la rentrée prochaine,

Benoît Carval et Capucine Capon, rédacteurs en chef

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DOSSIER : LE NUMERIQUE EN EUROPE. ZERO POINTE ou 2.0 ?

p 6 La stratégie numérique européenne Le pari européen : réussir la révolution numérique Joséphine de Bartillat

p 10 Protection des données L’Union européenne, chevalier blanc de la protection des données personnelles ? Charles Mosditchian

p 14 Le risque cyberterroriste Cyber-terrorisme et cyber-défense : comment repenser les stratégies ? Cristina Juverdeanu

p 17 La stratégie française pour le numérique (1) Le Rapport Collin & Colin sur la fiscalité numérique : nouvelle impulsion pour la politique numérique française ? Daniel Segoin

p 20 La stratégie française pour le numérique (2) L’administration numérique, quelles avancées en France ? Frédéric de Carmoy

p 24 La stratégie française pour le numérique (3) France : les chantiers numériques du gouvernement Christophe de Batz

p 28 Open DataL’Open data : entre espoirs et désillusions Brice Brandenburg

p 32 Campagnes électorales L'utilisation d'Internet dans les campagnes électorales : révolution d'envergure ou simple dynamisation du marketing politique ? Camille Hartmann

p 37 Internet et démocratie (1) La démocratie à l’ère d’internet : le numérique et la volonté du plus grand nombre Michaël Calais

p 40 Internet et démocratie (2) Internet : quel rôle pour les citoyens dans les relations internationales ? Miriam Tardell

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ACTUALITES

p 43 République tchèque L’Union européenne entre en catimini dans le château de Prague Valentin Burgaud

p 48 La France et le Royaume-Uni Rencontre avec Dominique Moïsi Charles Mosditchian

p 54 Politique industrielle Industrialisons-nous ! François Fournier

p 58 Economie verte The role of Green Economie and the role of new international environmental organisations Seung Pyo Hong

p 62 Mémoires européennes Face aux conflits passés, quel dialogue entre les mémoires nationales d’Europe ? Hélène Delsupehxe

LE COIN DU DROIT

p 64 Conseil d’Etat Rencontre avec Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’Etat François Fournier et Emilie Hermet

p 67 Droit de la concurrenceMicrosoft navigue en eaux troubles Alessandra Federico Pipitone

RUBRIQUE ETUDIANTE

p 71 France-Allemagne Vive l’amitié franco-allemande ! Vive l’Europe ? Bilan et perspectives de la coopération entre la France et l’Allemagne Projet AMAE

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La révolution numérique est en marche, mais l’UE et ses Etats membres sont déjà devancés par la rapidité fulgurante de sa progression. Pris par surprise, ils ne peuvent pourtant que constater le potentiel considérable du numérique sur leur croissance, et la nécessité d’embrasser cette révolution. Enclenchée un peu tardivement mais forte de ses ambitions, la « Stratégie du numérique pour l’Europe » lancée en 2010 par la Commission, vise à mieux exploiter les technologies de l’information et de la communication (TIC).

Pourquoi le numérique est- il primordial

pour l’avenir de l’UE ?

En une quinzaine d’années, la filière Internet a créé des centaines de milliers d’emplois en France. A l’échelle globale, une étude de McKinsey en 2011 chiffrait à 20% la part de la croissance économique réalisée par Internet dans les pays développés. Qui dit mieux en termes de croissance et de lutte contre le chômage ? Les TIC imprègnent en effet quasiment la totalité des aspects de la vie économique, d’où leur très fort impact sur l’ensemble du système de production, et in finesur la compétitivité et la croissance. La révolution numérique est certainement la première force de transformation de l’économie et de la société. De fait, le suivi rigoureux de sa progression est indispensable.

Pourtant, jusqu’à peu, l’économie numériquefaisait l’objet de timides considérations de la part des décideurs publics. Elle n’était que rarement évoquée. Ce facteur majeur de croissance n’était pas suffisamment pris au sérieux. Dans les années 2000, malgré les objectifs ambitieux alignés par l’UE, qui s’était

fixé à Lisbonne de devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique » du monde, la stratégie de Lisbonne fut un échec en raison du leadership trop faible de la Commission européenne, et du manque d’engagement politique des Etats membres. L’action n’a pas été pas à la hauteur des ambitions. Nullement surprenant que la crise financière de 2008 ait révélé des retards et certaines faiblesses structurelles de l’économie du numérique en Europe.

Mais avec la « Stratégie numérique pour l’Europe », lancée par la Commission européenne en 2010, le changement d’attitude est patent. Il n’est jamais trop tard pour réagir !

Qu’est-ce que la stratégie du numérique ?

La « Stratégie numérique pour l’Europe » constitue l’un des sept piliers du vaste programme « Europe 2020 », qui prévoit une « croissance intelligente, durable et inclusive » d’ici la fin 2020. Ce grand chantier du numérique vise à ce que l’UE tire pleinement parti de la révolution numérique. D’une

DOSSIER – L’EUROPE ET LE NUMERIQUE

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certaine façon, l’UE a enfin mesuré le potentiel économique des TIC sur sa croissance.

Grâce à la « Stratégie numérique », l’UE montre l’exemple (la France ferait bien d’en tirer des leçons) et alarme sur le fait que le numérique doit impérativement cesser d’être relégué en une politique de seconde classe. Au contraire, il doit être au cœur des mesures politiques et économiques. Aujourd’hui, il faut aller plus loin que le simple constat et l’énonciation de projets ambitieux. Il faut s’y

atteler ! S’il est un domaine qui évolue à une vitesse précipitée et qui tend à nous dépasser, c’est bien les TIC. Les pouvoirs publics ne peuvent continuer de prendre le risque de se voir devancés, voir aliénés par la progression des TIC, au risque d’une dérégulation et de la perte de contrôle du secteur. Le risque aussi, c’est que l’UE en oublie sa souveraineté dans ce domaine, et par un mécanisme tacite d'expropriation des données et des richesses individuelles, que la croissance numérique ne profite à la société, mais aux seuls acteurs de

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l’économie d’internet. Ceci serait contraire aux objectifs de croissance inclusive. Il faut non seulement veiller à un examen constant de l’effet des TIC sur l’économie, prévoir au maximum leur évolution - car personne ne peut prédire réellement quel sera l’état du numérique en 2020- mais aussi agir et investir.

Quels sont les objectifs de la stratégie

numérique, quels obstacles visent-ils à faire

tomber ?

Pour mieux exploiter le potentiel des TIC en vue d’engendrer des avantages économiques et sociaux durables, la Commission européenne a fixé 7 axes d’action. Pour quiconque méconnaitrait l’univers du numérique, ces axes sont riches d’enseignement car ils offrent un excellent panorama de l’état actuel de la situation, et des défis auxquels nous devons nous attaquer.

• Créer un marché unique numérique. En effet les marchés nationaux sont encore trop cloisonnés. La stratégie vise donc à inciter les Etats à ouvrir leurs frontières numériques

• Accroître l’interopérabilité des produits et service informatique, pour véritablement tendre vers un marché homogène et coopératif.

• Renforcer la sécurité d’internet et la

confiance des utilisateurs. L’UE a prit la mesure de deux problèmes grandissants: la hausse de la cybercriminalité, et le non-respect des droits fondamentaux liés à la protection de la vie privée. Pour y faire face, la Commission doit soutenir la coopération entre les acteurs publics, mais aussi entre les utilisateurs dont la défiance envers les réseaux ne cesse d’augmenter. Plus la confiance entre les utilisateurs sera grande, plus les frontières se décloisonneront et la régulation sera effective.

• Permettre un accès rapide, voire ultra

rapide à l’internet. Pour une croissance économique intégratrice, pour une société

solidaire, la première étape constitue l’accès démocratique et équitable du haut débit pour tous. Sur ce point le constat est évident et vieux, mais les moyens d’actions ne sont pas si simples à installer. Pour faciliter la mise en œuvre de cette mesure, l’UE doit surtout soutenir l’offre (et non pas uniquement la demande), en facilitant les investissements dans les nouveaux réseaux internet très concurrentiels.

• Augmenter les investissements dans la

recherche et l’innovation. Cela s’accorde avec l’idée évoquée plus haut que l’UE doit s’enquérir de ne pas se laisser devancer par l’économie du numérique, mais la contrôler et la prévenir. Pour cela, davantage d’investissements privés seraient nécessaires. La Commission ne peut prendre en charge et mener seule de front ce lourd programme. Or ces dernières années, les efforts de recherches et d’innovation ont été plus qu’insuffisants, en France par exemple.

• Favoriser la culture, les compétences et

l’intégration numériques. La stratégie prévoit de continuer l’effort pour remédier au manque de « culture numérique », et de qualification professionnelles dans le domaine des TIC. Car si 96% des Suédois ont déjà utilisé un ordinateur, seul 50% sont concernés en Roumanie. Or il ne s’agirait surtout pas de tomber dans le piège d’une Europe à deux vitesses.

• Utiliser les avantages des TIC pour la

société de l’Union européenne. L’exploitation du potentiel des nouvelles technologies peut contribuer au règlement de problèmes sociétaux, tels que le changement climatique ou le vieillissement de la population. Après Lisbonne, il y eu des occasions manquées de relever ces défis sociétaux.

Bilan, où en est-on aujourd’hui et que reste-

t-il à faire ?

Qu’en est-il de cette stratégie mise en place depuis maintenant plus de deux ans ? Quel

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bilan tirer, quelles sont les évolutions positives et les sujets de préoccupation ? Il y a d’une part des acquis majeurs. Désormais, le haut débit couvre pratiquement toute l’Europe. Près de 95% des européen disposent d’une connexion à haut débit sur ligne fixe. Autre point positif, bien que 15 millions d’européen se soient connectés pour la première fois à l’internet en 2011, ils sont 68% à avoir une activité en ligne régulière. Et le taux d’utilisation de l’internet dans les catégories sociales défavorisées a enfin dépassé 50%. Enfin, les particuliers et les entreprises sont rapidement passés au mobile. L’internet mobile a connu une croissance de 62%.

Toutefois, on peut se préoccuper des nombreux défis qui doivent encore être relevés. A titre d’exemple, trois sujets de préoccupation sont manifestes. Premièrement le commerce en ligne demeure une activité nationale. Seul un européen sur dix a déjà fait un achat sur un site basé dans un autre Etat membre. C’est le signe que le marché numérique européen est encore très cloisonné et peine à s’ouvrir. Autre problème, la moitié de la population active européenne n’a pas les compétences requises en matière de TIC pour pouvoir trouver un nouvel emploi. Seuls 43% de la population de l’UE ont des compétences moyennes ou supérieures en matière d’internet. Tant qu’un vrai changement ne s’impose pas, les bientôt 700 000 postes disponibles d’ici 2015 dans le secteur des TIC risquent d’être difficiles à pourvoir. Enfin, on peut déplorer que l’Europe continue de perdre du terrain face à ses concurrents sur le plan des investissements dans le domaine de la recherche. Et ce n’est certainement pas le nouveau budget serré de l’UE qui permettra d’atteindre les 6% de croissance annuelle nécessaires pour doubler les investissements publics d’ici 2020.

A ce stade de la stratégie, c’est un peu plus d’une trentaine des 101 actions prévues dans la stratégie numérique qui sont achevées. Un certain nombre sont déjà en retard. Il est donc impératif que la Commission européenne

accentue son rôle d’appui central, pour pallier au manque d’harmonisation judiciaire, assurer un travail sur une vision à très long terme, et inciter les acteurs publics à se faire confiance et à coopérer.

Joséphine de Bartillat

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Où en est réellement la protection des données à caractère personnel en Europe ? Cet article a pour objectif de présenter un panorama du nouveau régime proposé par la Commission ainsi que d’évaluer la pertinence de cette refonte du système qui, dès ses débuts, a suscité de vives tensions au sein même des institutions et a connu un accueil mitigé de la part des acteurs du secteur. En instaurant un droit à l’oubli et une obligation de consentement explicite, la principale hardiesse de la Commission aura été de placer le citoyen au cœur du processus de protection des données mais aussi de lui donner les moyens effectifs de contrôler le traitement de ses informations. Gare cependant à ne pas inhiber le développement du marché digital européen en imposant une charge trop lourde aux géants économiques du secteur.

La Direction générale de la Justice de la Commission européenne a publié il y a quelques jours une petite vidéo à destination des internautes. On y voit trois jeunes gens entrer leurs informations personnelles sur des sites d’achats en ligne ou des réseaux sociaux avec la plus grande insouciance avant de se retrouver à la seconde suivante dépouillés de leurs vêtements face à leur écran, sans même s’en rendre compte. Une phrase s’affiche alors en conclusion : « Sur internet, tu en montres plus que ce que tu penses. Prends le contrôle de tes données personnelles. » Le ton a beau sembler amical, le message est très clair, l’Union souhaite alerter ses citoyens et plus spécifiquement les plus jeunes d’entre eux, sur les dangers de partager impunément leurs informations sur internet. Si le problème n’est pas nouveau, l’année 2012 et à plus forte raison l’année 2013 ont vu le grand chantier qu’est la protection des données personnelles s’ouvrir dans l’UE. A coups de spots publicitaires, de brochures à destination des étudiants et jeunes actifs et même de bandes dessinées distribuées dans les établissements scolaires des Etats membres, la Commission s’est saisie de la question dans le but de rénover le régime existant, s’inscrivant ainsi

dans la continuité de la longue tradition de protection des citoyens et de défense de leurs droits en Europe.

Près de 20 ans après l’adoption de la précédente directive relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, le paysage de l’internet s’est profondément transformé. De nombreuses avancées technologiques ont

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bouleversé les équilibres du secteur. Ainsi l’accroissement phénoménal du volume des données à caractère personnel, qui sont chaque jour collectées et traitées à des fins commerciales ou répressives, a radicalement transformé les enjeux du marché du numérique. Le cas du cloud computing (nuage informatique) est l’exemple le plus frappant. Ce système innovant de stockage de données en ligne, moins coûteux et plus flexible, a généré une augmentation sans précédent du volume des données collectées par les sociétés de l’internet. L’émergence et le développement rapide des réseaux sociaux sont une autre illustration de l’innovation galopante qui façonne le secteur. Dans un tel contexte en perpétuelle évolution, la directive de 1995 n’a pas atteint son objectif de créer une véritable harmonisation. En effet de nombreux Etats membres continuent d’appliquer ses dispositions de manière hétérogène, diminuant de facto l’efficacité de la protection des citoyens.

Le chemin de croix de Viviane Reding

Considérant que cette situation a conduit à nuire au sacro-saint marché unique, l’Union a décidé d’agir en remplaçant le régime préexistant par un ensemble législatif cohérent et coordonné de deux textes : un règlement, qui aura pour fonction de remplacer la directive de 1995, et une nouvelle directive, qui se chargera du volet de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Il faut rendre à Viviane Reding ce qui lui appartient. La Commissaire à la Justice est la cheville ouvrière de cette refonte du système. En interne, elle a longtemps dû ferrailler au sein de sa propre institution pour défendre son projet. Contrainte de remanier sa proposition suite à de nombreuses opinions négatives, notamment sur la définition perçue comme trop large des données à caractère personnel, Viviane Reding aura tout de même réussi à

proposer un paquet législatif extrêmement ambitieux en termes de renforcement des droits des citoyens. Applaudie par la société civile et le Parlement européen réunis, la proposition finale de la Commission est constructive et souhaitable à bien des égards.

Le citoyen au cœur des préoccupations

Si elle a pour but initial d’instaurer une uniformisation du système, fondamentale dans l’optique d’achever un peu plus les objectifs du marché unique, la proposition de règlement de la Commission et sa version amendée en commission parlementaire introduit surtout deux innovations majeures au régime de protection des données. Le texte permet d’abord à l’utilisateur d’être le véritable propriétaire de ses données, en lui octroyant un droit de portabilité qui lui permet d’accéder à ses informations personnelles, stockées sur le serveur d’une société, et de les transférer vers la base de données d’un autre professionnel du secteur. De spectateur impotent, il devient ainsi décisionnaire sur les questions de transfert et de gestion de ses propres données. Par ce changement qui définit l’internaute comme centre de gravité de la réforme, la Commission se targue d’accroître la concurrence entre les différents prestataires, mettant en avant un objectif qu’elle a toujours considéré prioritaire. Mais le texte ne s’arrête pas là. Le rééquilibrage des forces dans la relation utilisateur-prestataire culmine dans la création pour le premier d’un « droit à l’oubli » qui lui permettrait de demander la suppression pure et simple des données conservées par le prestataire si aucun motif légitime ne justifie leur conservation. Ce droit à l’oubli numérique constitue une avancée prodigieuse pour les utilisateurs européens en ce qu’elle leur donne un droit de regard dont ils étaient jusqu’ici privés sur le traitement de leurs propres informations.

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Le second élément qui fait l’originalité du texte est aussi celui qui fait le plus débat. La Commission, dont la position sur ce point est suivie par le Parlement européen, entend renforcer le pouvoir de décision des utilisateurs en obligeant les entreprises à leur demander de façon explicite leur consentement quant à la collecte de leurs données personnelles. Cette obligation de consentement n’est désormais plus présumée mais devient impérative. Enfin la proposition fait peser sur les entreprises une contrainte de notification aux autorités nationales de protection des données, comme la CNIL (Commission nationale de l’Informatique et des Libertés) en France, en cas de violation de ces données. Chargées de veiller à la bonne application de la protection des données à l’échelon national, le poids de ces instances nationales est également renforcé grâce à un pouvoir de sanction accru qui leur permet d’infliger des amendes en cas de manquement des entreprises.

Le but de l’Union est bien visible : garantir une

meilleure information ainsi qu’une plus grande maîtrise des citoyens sur leurs données personnelles. L’Europe entend non seulement redonner la main aux utilisateurs mais elle met un point d’honneur à leur fournir une gamme d’outils solides qui leur permettent d’exercer véritablement leur volonté. La proposition de directive concernant le volet de la coopération policière et judiciaire en matière de protection des données n’est pas en reste, elle instaure elle aussi des avancées importantes. L’une de celles-ci est le renforcement des conditions de transfert de données vers un pays tiers. Deux conditions sont dégagées par la proposition : que le transfert en question soit strictement nécessaire et qu’il ne puisse se faire que vers des Etat tiers dont le niveau de protection des données aura préalablement été jugé comme adéquat par l’Union sur la base de l’existence ou non d’instruments juridiques contraignants dans ce pays tiers.

Un exemple à suivre ?

Une fois n’est pas coutume, le Parlement européen a apporté son soutien aux propositions de la Commission. Les deux rapporteurs chargés de retravailler les propositions de la Commission ont même été plus loin dans leur volonté de renforcement des pouvoirs des utilisateurs et dans leur souhait de clarté à l’égard de ces droits. Le député européen et rapporteur du projet de règlement, Jan Albrecht, a ainsi exprimé son souci que les dérogations aux règles édictées soient « strictement limitées à ce qui est nécessaire ». Les autorités nationales de protection des données ont elles aussi salué ces avancées, la CNIL française estimant que la proposition de la Commission et le rapport Albrecht « répondent, en grande partie, aux préoccupations exprimées par le groupe des CNIL européennes ».

Une grande partie des acteurs semble donc soutenir cette réforme et son audace à recentrer la question de la protection des données sur les citoyens de l’Union. Les vivas qui ont accueilli

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le texte cachent néanmoins des lacunes criantes dans la réforme qui soulèvent de nombreuses interrogations. Le grand bémol de cette réforme réside en effet dans le fait qu’elle laisse largement de côté les opérateurs économiques du secteur. Les Google, Microsoft et autres Facebook sont pour l’instant les grands perdants du système « tout-citoyen » que l’Union se félicite de mettre en place. Car si elle est adoptée, cette réforme renforcera certes les droits des citoyens, mais elle aura aussi un impact économique considérable sur le secteur. Or les enjeux sont colossaux pour les principaux acteurs du marché. Les bénéfices futurs liés au marché européen du stockage de données sont en effet estimés à 120 milliards d’euros à l’horizon 2020. Le lobbying intense des associations de professionnels témoigne de la vive opposition que suscite la réforme parmi les professionnels.

Guerre commerciale

Les critiques fusent sur le projet de l’Union et les esprits sont à couteaux tirés. La Business Software Alliance (ESB), un groupe d’intérêts qui représente entre autres Microsoft, Apple et Siemens, n’a pas hésité à affirmer que l’Union se trompait de voie en imposant des contraintes plus lourdes telles que l’obligation de notification ou le consentement explicite aux entreprises. Si la véritable raison d’une telle levée de bouclier est la manne financière liée aux revenus publicitaires considérables que prodiguent la collecte et l’exploitation des données personnelles à ces entreprises, leurs arguments ne sont pour autant pas dénués de pertinence. Une charge réglementaire trop lourde infligée aux prestataires pourrait avoir pour effet de brider l’innovation numérique et d’empêcher ainsi l’émergence d’un marché digital européen vecteur d’emplois et de croissance. Or selon une récente estimation, l’UE gagnerait 1 000 milliards de PIB en 2020 dans le contexte d’un marché unique opérationnel et pleinement performant. Au vu du poids économique du secteur, le peu de

considération apportée aux positions des professionnels du numérique peut s’avérer être une erreur stratégique.

Par ailleurs, les groupes d’intérêts économiques ne sont pas les seuls à souligner le déséquilibre entre les attentes des citoyens, telles qu’une sécurité accrue, et les objectifs des entreprises qui souhaitent maximiser les bénéfices liés à l’économie numérique. Les différentes mesures de la réforme ont aussi amené une opposition frontale avec les Etats-Unis. Soutenant ses champions nationaux du secteur, le ministère des affaires étrangères américain est radicalement opposé à la régulation européenne, brandissant même la menace d’une guerre commerciale si la réforme était adoptée en l’état. La sensibilité de la refonte du cadre européen de protection des données est exacerbée par le fait que les Etats-Unis mènent, de leur côté, une réflexion similaire sur la protection des données. De l’aveu du rapporteur Albrecht, l’UE veut « avoir son mot à dire sur les standards internationaux » de protection des données. Dans ce contexte de compétition entre leurs modèles de protection des données, l’Europe et les Etats-Unis peinent à trouver l’équilibre entre un niveau de protection ambitieux et une interopérabilité des systèmes régionaux entre eux.

L’Europe est à n’en pas douter à la croisée des chemins sur la question délicate de la protection des données. Il appartient désormais au Parlement et au Conseil de ne pas les vider de leur substance pour instituer une politique de protection effective, sans pour autant faire l’économie d’une approche concertée avec les partenaires économiques et institutionnels du secteur. Sur un sujet épineux où l’Union se veut le chevalier blanc, son principal défi sera finalement de ne pas céder à la tentation de faire cavalier seul.

Charles Mosditchian

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Cyber-terrorisme et cyber-défense :

Comment repenser les menaces et les

stratégies ?

L’espace virtuel a toutes les caractéristiques pour être la cible du terrorisme. Il est sans bornes et donc sans périmètre à protéger et à défendre. Au contraire, l’attaque peut, elle, n’être que ponctuelle et pourtant se révéler dévastatrice en propageant ses échos sur Internet et en généralisant ainsi le sentiment de vulnérabilité et de peur. Par ailleurs, une attaque informatique a le désavantage d’être presque impossible à prédire. Plus encore, les agresseurs sont dans la plupart des cas impossibles à identifier et leurs techniques se transforment en permanence, en gardant toujours un coup d’avance sur les systèmes de défense.

Le cyber terrorisme soulève un défi conceptuel. Il est un paradoxe. Il est le produit même de l’avancée informatique en faisant de cette dernière sa cible. Il vise les réseaux en se basant justement sur leur interconnexion et donc leur interdépendance. Comment combattre alors un phénomène qui peut contaminer le réseau par n’importe quelle faille?

Tout d’abord, on peut adopter plusieurs registres. Un passage en revue des principales attaques cyber terroristes s’avère peu utile. Pourtant, il semble nécessaire d’attirer l’attention sur la multitude des formes que ces attaques peuvent vêtir. La moins visible, sans pour autant avoir des effets moins importants, est le cyber-espionnage. Parmi les faits notables, il faut rappeler que l’ordinateur du

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Secrétaire général de l’OTAN lui-même a été piraté. Ensuite, Internet peut servir de vitrine aux crimes les plus crapuleux. Sur ce point, il suffit de mentionner les décapitations perpétrées en direct sur Internet par des groupes terroristes qui ont fait le tour du monde. Une troisième forme de cyber- terrorisme est celle qui s’attaque à l’intégrité des systèmes informatiques, notamment des institutions de l’Etat ou des entreprises, visant ainsi à perturber ou à interrompre leur fonctionnement. En 2007, une série d’attaques informatiques visant des institutions estoniennes a constitué le premier signal d’alarme. En plein débat public sur le déplacement des monuments à la mémoire de l’armée soviétique, les sites Internet du gouvernement, d’organismes publics mais aussi de banques et d’opérateurs de téléphonie mobile ont été attaqués et rendus indisponibles. Le procédé dit du « déni de service distribué » (Distributed denial of service) est basé sur l’idée simple de rendre le service inopérant à cause de la multitude des demandes. Des attaques intermittentes ont continué pendant plus d’un mois. Le 9 mai, 58 sites étaient indisponibles. Si parler de paralysie peut sembler exagéré, on peut sûrement dire que ces attaques ont empêché les services publics de fonctionner normalement. Mais au-delà de la démonstration faite de la vulnérabilité d’un Etat très connecté aux services informatiques, on se trouve également face à une marque de l’incapacité actuelle à identifier et punir les agresseurs. La technique utilisée par les hackers a été celle de « réseaux de machines zombies » (botnets) qui suppose la prise du contrôle d’ordinateurs de particuliers et leur utilisation pour mettre en place l’attaque.

Il est désormais évident que le problème a une envergure globale et qu’il doit par conséquent être traité de manière internationale. La plupart des organisations internationales se préoccupent du cyber-terrorisme. Parmi elles, l’OTAN et l’Union européenne, ont élaboré des stratégies qui se matérialisent lentement.

L’OTAN se soucie beaucoup de la sécurité de ses réseaux informatiques. Le centre technique de la capacité de réaction de l’OTAN aux incidents informatiques (Nato computer incident response capability – NCIRC) a pour but d’identifier et de traiter les incidents survenus dans ses propres réseaux. Ce sont les attaques informatiques d’Estonie qui vont donner une toute autre dimension au problème. A partir de ce point, l’OTAN va en effet traiter le cyber-terrorisme en termes de sécurité de ses Etats membres. En 2008, lors du sommet de Bucarest, ces derniers se sont mis d’accord sur l’importance d’une stratégie commune contre les actes de cyber-terrorisme et la même année, une autorité de contrôle de la cyber-défense a été créée. Un pas décisif a été franchi en 2010, lorsque l’OTAN a fait de la cyber-défense l’une de ses priorités stratégiques. Cette avancée se matérialise en 2011 à travers une politique de la cyber-défense qui vise deux niveaux. Tout d’abord, elle cherche à renforcer la sécurité des réseaux informatiques de l’OTAN en mettant en place une stratégie d’identification précoce des menaces ainsi que des moyens d’intervention rapide. Son autre dimension vise la coopération avec les Etats membres en leur proposant une assistance immédiate en cas d’attaque informatique. Sur ce point, plusieurs questions théoriques sont soulevées. Une attaque informatique est-elle un acte de guerre et en vertu de quel article l’OTAN doit-elle protéger ses membres contre ce type d’agression?

Pour sa part, l’Union européenne a d’importantes compétences en matière de sécurité des systèmes d’information. Cependant, elle s’est surtout limitée à adopter des principes généraux sur cette question. Une série de communications de la Commission, élaborées récemment, fixe les lignes directrices pour « la protection des infrastructures d’information critiques ». Des démarches plus concrètes, comme l’adoption de directives, ont été entreprises, mais seulement dans les secteurs de l’énergie et des transports.

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Toujours soucieuse des intérêts domestiques et des souverainetés nationales, l’Union européenne laisse l’application de ces mesures à la bonne volonté des Etats. En dépit du fait que l’UE a des compétences dans le domaine de la sécurité des systèmes d’information, la défense reste l’un des domaines par excellence nationaux. Ici encore, nous nous trouvons face à un problème de définition : la sécurité des réseaux est-elle un problème de gestion des systèmes d’information ou bien une atteinte portée à la défense nationale ?

Le fait d’avoir traité séparément les stratégies des deux instances internationales révélateur. En matière de cyber-défense, la coopération entre l’OTAN et l’UE peut être considérée comme insuffisante. Cette carence s’explique par la méfiance de l’UE à toucher au domaine intergouvernemental mais aussi par la complexité du problème. Il faut à ce point prendre en compte une difficulté supplémentaire qui provient du fait que les règles visant à sécuriser les systèmes informatiques sont bien souvent contrai-gnantes pour les utilisateurs. La frontière entre l’identification précoce des menaces et la limitation des libertés d’expression, de circulation ou encore la protection des données est bien fine. Les pays occidentaux ont une conception qui privilégie l’espace de liberté d’expression et qui s’oppose au contrôle ou à la limitation du contenu des informations qui circulent sur internet. Comment protéger sans contraindre ? Cette-ci aussi reste une des questions prioritaires.

La relative nouveauté de ces problèmes met à mal les conceptions traditionnelles sur la sécurité et la défense nationale. Conscientes que les solutions des problèmes globaux doivent être trouvées au niveau international, les organisations internationales ont inscrit le problème de la cyber-défense dans leurs agendas. Parmi elles, l’OTAN et l’Union européennes sont les plus actives à chercher des stratégies. Pourtant, celles-ci tardent à déboucher sur des effets concrets. Les raisons

sont multiples, principalement techniques, dues à la multitude et aux permanentes transformations de registre du cyber- terrorisme, à la difficulté d’identifier les agresseurs mais aussi à des conceptions distinctes sur la sécurité des réseaux et aux questions sensibles de souveraineté nationale. A tout cela, s’ajoutent des difficultés juridiques et conceptuelles de définition des nouveaux types de défense. Repenser les menaces et les stratégies de défense, n’est qu’un résultat du fait qu’on est en train de repenser le monde.

Cristina Juverdeanu

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Le développement de l’économie numérique est, à juste titre, perçu comme une source d’espoir au regard des perspectives de croissance morose au sein de l’Union européenne. Les instances européennes en ont fait un des socles de leur stratégie pour les années à venir et les gouvernements souhaitent accompagner et aider à l’expansion des entreprises œuvrant sur ce marché. Cependant, ces mêmes gouvernements sont également confrontés à d’importantes difficultés dès lors qu’il s’agit de récolter une part des bénéfices exponentiels générés par ces nouvelles activités. La législation fiscale, qu'elle soit d'inspiration nationale, européenne ou internationale reste adaptée à une économie physique et peine à s'appliquer efficacement aux activités numériques.

Face à ces difficultés, les pouvoirs publics se trouvent confrontés à un double impératif, promouvoir et favoriser le développement d’une industrie qui représente un important relais de croissance pour les années à venir tout s’assurant néanmoins que la richesse produite soit taxée au même niveau que les industries physiques.

Cette dernière exigence s’est renforcée au cours des derniers mois à mesure que la crise imposait de nouvelles contraintes budgétaires dans la plupart des pays européens. Dans ce contexte les stratégies d’évasions fiscales pratiquées à grande échelle par Amazon, Google ou encore Apple ont, légitimement, suscité de nombreuses critiques appelant à une modification du régime fiscal existant.

A ce premier écueil s’ajoute les imperfections de la construction européenne en matière fiscale qui, faute d'harmonisation, laisse subsister d'importantes variations concernant le taux applicable d'un pays à l'autre permettant ainsi à ses entreprises de pratiquer un véritable « forum shopping » (Il en va ainsi de l'Irlande pour l’impôt sur les sociétés ou du Luxembourg pour la TVA).

En adaptant leur localisation en fonction du moins-disant fiscal, ces entreprises bénéficient ainsi des bénéfices de l’ensemble du marché européen et de ses 500 millions de

consommateurs potentiels à moindre frais. Si une réforme européenne de l'impôt sur les sociétés reste pour l’instant très largement hypothétique (malgré de nombreuses propositions de la Commission), le régime de TVA devrait lui être adapté aux spécificités du numérique à l'horizon 2015 en permettant de taxer la consommation de service en ligne dans l'Etat du consommateur (et non du lieu d’implantation de l’entreprise comme c’est le cas aujourd’hui).

Face à ces difficultés, plusieurs solutions ont tour à tour été envisagées ces dernières années, sans pour autant aboutir à un consensus suffisant pour voir le jour. Souhaitant impulser une nouvelle dynamique sur les questions numériques le gouvernement a donc mandaté Messieurs Colin & Collin d’un rapport devant poser les bases d’une participation à l’effort fiscal mieux réparti entre les différents acteurs de cette filière sans pour autant nuire à la compétitivité des entreprises françaises du secteur.

Ce rapport mérité qu’on s’y attarde car ses rédacteurs y plaident résolument pour l’émergence d’un nouveau modèle.

Une nécessaire coopération internationale

De par la dimension transfrontière des activités

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liées au numérique, toute proposition de modification du régime existant ne saurait être pérenne sans se faire au prix d'un véritable consensus international.

C’est pourquoi les deux rapporteurs suggèrent que la France plaide au sein des instances compétentes (essentiellement OCDE et UE mais également G20) pour une adaptation de la notion « établissement stable » au numérique. Telle qu'elle est énoncée dans la doctrine de l'administration fiscale, la notion d'établissement stable (qui permet d'assujettir une entreprise à l’impôt) suppose l'existence d'une présence physique sur le territoire français.

L'imposition se trouve donc circonscrite à des exigences territoriales qui s'avèrent peu pertinentes pour appréhender des services dont la principale caractéristique est justement de ne pas se limiter à un territoire géographique.

Face à cette contradiction, les deux rapporteurs suggèrent de faire évoluer cette notion vers celle d'établissement stable virtuel. Serait considérée comme telle toute entreprise « qui fournit une prestation sur le territoire d’un Etat au moyen de données issues du suivi régulier et systématique des internautes sur le territoire de ce même Etat ».

Cette évolution vise, en outre, à intégrer le rôle central du consommateur dans la création de valeur de l'entreprise numérique.

La prise en compte de l'importance du

consommateur dans la création de valeur

Prenant acte de ce mouvement, les auteurs relèvent que le développement ces dernières années du Web 2.0 a placé le consommateur au centre du business model des entreprises du numérique. Celui-ci est ainsi devenu partie prenante des activités de l’entreprise, et joue un rôle décisif tant dans le développement des activités et des profits qu'elle génère. C’est le schéma d’économie contributive ou encore de production par les pairs théorisé par certains universitaires. Face à cette évolution il est

impératif de repenser la fiscalité afin que celle-ci ne s’impose plus uniquement aux seules activités de l’entreprise mais englobe également le rôle déterminant du consommateur dans la création de valeur.

Les auteurs font donc le constat que l’une des principales sources de profit pour ces entreprises provient des données recueillies sur les utilisateurs qu'elles réutilisent par la suite pour orienter ces derniers vers des sites correspondant à leurs goûts/centres d'intérêts. La collecte d'informations n'est donc pas neutre et représente un élément central de la stratégie des entreprises du numérique.

Une telle évolution aurait plusieurs avantages. Il serait ainsi permis de taxer des entreprises implantées dans des pays étrangers interagissant avec des consommateurs français(en attendant que les négociations sur la modification de la notion d’établissement stable n’aboutissent) mais également d'inciter à des pratiques plus respectueuses des libertés individuelles et de la protection des données personnelles, enfin une telle réforme serait également en phase avec le principe de neutralité de l’Internet (qui devrait très prochainement être consacré en droit français). Cette évolution permettrait donc d’intégrer à notre droit fiscal le fait que la simple interaction entre utilisateurs et entreprises génère de la valeur.

L’objectif de ce mécanisme n’est donc pas tant de créer une nouvelle taxe (et donc une nouvelle charge pour des entreprises dont le développement reste crucial pour les pouvoirs publics) que de rééquilibrer l’imposition existante et de la corréler à une exigence nécessaire afin de protéger les internautes d’entreprises trop intrusives. Ainsi avec ce mécanisme et sur le modèle du principe pollueur-payeur, les entreprises n'ayant recours qu'avec parcimonie aux données individuelles des particuliers ne seraient que faiblement taxées.

Vers une redéfinition des modes de

financement des industries culturelles.

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Les auteurs insistent enfin sur la nécessité de dissocier le lien existant entre fiscalité du numérique et financement de la création. La France a en effet pu financer et assurer la pérennité de son « exception culturelle » à travers de tels mécanismes en allouant le produit de certaines taxes parafiscales au soutien des industries culturelles (voir notamment le cas du financement du cinéma via la taxe sur les services de télévision). Cette évolution, qui reste à accomplir, devra nécessairement associer les professionnels des industries culturelles qui restent en grande majorité très réticents à l’idée d’un tel bouleversement comme peuvent le suggérer certaines prises de positions frileuses sur certaines thématiques connexes. Le numérique est donc porteur de bouleversements qui appellent à une refonte totale des régulations et autres mécanismes de redistribution s’appliquant aux industries physiques. C’est tout l’objet de la mission confiée à Pierre Lescure par le gouvernement, néanmoins et dans l’attente des conclusions de ses travaux, il est d’ores et déjà utile de relever que les positions du rapport Colin & Collin sont corroborées par les faits et une jurisprudence de plus en plus en restrictive quant à la légalité de tels mécanismes de redistribution, comme en atteste les positions de la CJUE ou du Conseil d’Etat concernant la copie privée.

Ce changement de paradigme est donc nécessaire pour s’adapter aux spécificités de cette économie numérique tout en faisant évoluer des mécanismes de financement culturel qui ont fait preuve de leur efficacité jusqu’à présent.

Le rapport sur la fiscalité du secteur numérique est donc bienvenu en ce qu'il ouvre la voie à une véritable révolution copernicienne face à l'approche du numérique actuelle. Un équilibre est en effet nécessaire à atteindre afin de s'assurer que les « majors du numérique » ne puissent bénéficier des possibilités offertes par le marché intérieur sans contrepartie fiscale (d'autant plus que la modernisation des réseaux qui contribue à élargir ce marché est souvent le fait de chantiers menés par les gouvernements ou la Commission).

Dans le même temps et c'est tout l'intérêt du rapport, il était nécessaire de trouver le juste équilibre entre perception de l’impôt, prise en compte des intérêts des professionnels et protection des données personnelles tout en adaptant la législation française aux spécificités de l'industrie numérique. Il est donc heureux de voir que ce rapport y parvient et incite le gouvernement à s'engager sur cette voie.

Daniel Segoin

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En quelques années, les technologies numériques ont révolutionné les administrations publiques. La France, à cet égard, ne fait pas figure de précurseur, le mérite revenant d’abord aux pays anglo-saxons et scandinaves, mais elle a su à son tour relever le pari de l’e-administration. Retour sur les avancées de ces 5 dernières années.

Ce n’est pas trop de dire que l’essor d’internet a bouleversé la nature des relations entre l’Etat et ses administrés. Les usagers exigent aujourd’hui plus de rapidité, d’efficacité et de transparence dans l’action de l’administration. En tant que citoyens, ils attendent aussi d’avoir accès aux informations qui les concernent eux et la société dans laquelle ils évoluent, et pourquoi pas, de participer directement à l’élaboration des politiques publiques. Les lois « CADA » et « CNIL » de 1978 ont franchi un premier pas, confirmé ensuite par la loi « DCRA » du 12 avril 2000. Mais la généralisation de l’accès à internet offre aujourd’hui des perspectives beaucoup plus grandes encore, et les pouvoirs publics n’ont pas tardé à saisir qu’il s’agissait là d’un formidable instrument de modernisation de l’action publique. Accomplir ses démarches administratives en

ligne ou depuis un mobile. L’image du Français bougon, exaspéré par les lenteurs et l’inertie de son administration, pourrait bien être dépassée. La modernisation et la refonte des portails numériques de l’administration ont abouti à l’émergence d’une poignée de sites internet aux interfaces ultramodernes, aux premiers rangs desquels figurent service-public.fr et mon.service-public.fr. Créé en 2000 et intégralement repensé en 2009, service-public.fr centralise toutes les données indispensables au citoyen pressé, comme un guide explicatif des démarches à accomplir en

cas de déménagement, de départ à la retraite ou de décès d’un proche, un annuaire exhaustif des organismes de l’administration ou encore plusieurs centaines de formulaires Cerfa téléchargeables. Mon.service-public.fr permet quant à lui de réaliser une foultitude de démarches ou de pré-démarches administratives en ligne, les plus populaires étant la déclaration de changement de coordonnées et les demandes d’inscription sur les listes électorales. Il s’agit pour l’essentiel de démarches assez simples, mais le succès est largement au rendez-vous puisque pas moins de 3,2 millions de Français avaient ouvert un compte utilisateur sur ce site au 1er janvier 2012. Selon le « groupe des experts du numérique », conduit par Franck Riester, et qui a publié deux rapports sur « l’amélioration de la relation numérique aux usagers » en 2011, environ 80% des démarches administratives devraient à ce jour être entièrement réalisables en ligne. Parallèlement, grâce au site impôts.gouv.fr, la déclaration et le paiement des impôts (IR, taxe d’habitation, taxe foncière) ont largement perdu de leur légendaire complexité, et près de 13 millions de Français ont déclaré leurs revenus sur internet en 2012. Mais le progrès ne s’arrête pas là, puisque le nouveau chantier est désormais la conquête de l’internet mobile, et 26 000 paiements d’impôts sur le revenu ont été réalisés grâce à l’application smartphone du service impôts.gouv.fr cette année. Pour

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cela, il suffit simplement de capturer avec son portable le flashcode désormais imprimé sur les avis d’impôts. La manipulation est élémentaire, tellement élémentaire qu’il est désormais envisagé de permettre à l’usager de se présenter devant l’administration avec les pièces de son dossier (avis d’imposition, factures etc.) numérisées sur son téléphone portable.

Accéder à toutes les ressources publiques en

Open Data

Un chantier important de la démocratie administrative est la mise sur un même pied d’égalité entre l’administration et l’administré, avec l’idée que ce-dernier bénéficie de droits

(qu’on lui réponde dans un certain délai, qu’on lui communique les informations qui le concernent, qu’on l’oriente s’il se perd dans les méandres de l’administration) et qu’il ne doit pas être broyé par l’administration en cas de litige avec celle-ci. La loi sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dite « DCRA », de 2000, a marqué un progrès important à cet égard, mais le numérique offre des perspectives encore plus grandes pour lutter contre l’excès de secret administratif, pallier l’inertie de l’Etat ou encore rendre plus accessible aux citoyens le droit du contentieux administratif. La partie « vos droits » du site service-public.fr explique ainsi en détail la procédure à suivre en cas de litige avec l’administration, et la page figure en

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tête des référencements Google. Enfin, la mission Etalab, mise sur pieds en février 2011, a inauguré le vaste chantier de la mise en ligne de l’ensemble des données publiques sur un portail unique : data.gouv.fr. Le site est aujourd’hui en parfait état de marche et référence à ce jour pas moins de 353 000 fichiers uniques, allant du détail des dépenses du budget à des tableaux recensant l’ensemble du parc immobilier de l’Etat. Encore largement méconnu, cet outil représente un progrès considérable en termes de transparence de l’action de l’Etat, et la France rattrape ainsi son retard par rapport aux Etats-Unis (où un sitedata.gov existe depuis 2009) et à la Grande Bretagne (data.gov.uk est ouvert depuis 2010). Quant aux documents les plus récents et dont le retentissement politique est le plus grand (rapports publics, discours politiques, textes normatifs tout juste discutés ou votés) ils sont également largement référencés sur le site vie-publique.fr. Le site vie-publique.fr, justement, est un autre instrument permettant de consacrer véritablement le droit d’accès des administrés à l’information : ses contenus à la fois très pédagogiques et très fouillés, expliquant en détail le fonctionnement des institutions françaises et la structure des finances publiques, tout en offrant une analyse sur les débats politiques du moment, en font d’ores et déjà un outil prisé des étudiants en droit et en sciences politiques.

Donner la parole aux citoyens dans le

processus d’élaboration des politiques

publiques

La révolution internet, on l’a vu, a renforcé l’exigence de certains droits, comme celui d’avoir accès aux documents publics ou de pouvoir effectuer ses démarches administratives en un temps réduit. Elle a aussi réveillé le doux rêve de la démocratie participative, soit le droit des administrés à participer directement s’ils le souhaitent aux processus décisionnels. Depuis la Charte de l’Environnement de 2005, tout citoyen s’est vu reconnaître le droit de participer à l’élaboration

des décisions ayant une incidence sur l’environnement. Mais il s’agit là d’une exception ; la grande majorité des décisions publiques sont traditionnellement prises entre responsables politiques et fonctionnaires, parfois avec l’aide d’experts ou de représentants du privé, mais rarement en concertation directe avec les citoyens (hors hypothèses de référendum). Pourtant, grâce à l’essor du numérique, les choses pourraient bien changer. La multiplication des consultations réalisées en ligne ces dernières années en atteste largement, même s’il est encore difficile de dire s’il s’agit la d’une évolution fondamentale, d’un simple effet de mode ou, pire encore, de pures stratégies marketing. Le fameux débat sur l’identité nationale, lancé en 2009 et relayé sur le site debatidentitenationale.fr avec des questions comme : « Pour vous, qu’est ce qu’être Français ? », n’en a certainement pas non plus amélioré l’image. Mais les citoyens, à défaut d’être placés au centre du processus d’élaboration des actes administratifs, y sont de plus en plus associés, notamment grâce à internet. La loi de simplification et d’amélioration du droit du 17 mai 2011 a en outre donné une assise textuelle à ces cyberconsultations, en disposant que : « Lorsqu'une autorité administrative est tenue de procéder à la consultation d'une commission consultative préalablement à l'édiction d'un acte réglementaire, à l'exclusion des mesures nominatives, elle peut décider d'organiser une consultation ouverte permettant de recueillir, sur un site internet, les observations des personnes concernées. » Même si certaines consultations institutionelles demeurent obligatoires, comme les consultations des AAI, les procédures d’avis conforme ou bien sûr tout ce qui touche aux libertés publiques et aux garanties constitutionnelles, il s’agit là d’un progrès notable dans ce domaine, propre à favoriser une meilleure qualité et surtout une meilleure acceptabilité de la norme.

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Un avenir radieux pour l’administration

numérique ?

Les avantages de l’e-gouvernement ne se comptent plus. En plus d’améliorer le fonctionnement et la rapidité des services, le recours à des portails numériques diminue drastiquement les dépenses de l’Etat. Les consultations sur internet permettent quant à elles de consulter un public large et diversifié à des coûts extrêmement réduits, et offrent un gain de temps notable par rapport aux consultations traditionnelles, souvent alourdies par un excès de formalisme, puisqu’elles n’ont qu’à fixer une date de clôture de la page internet pour mettre un terme aux débats. Pour autant, la dématérialisation de l’administration n’est pas exemptes de critiques : un sondage sur le rapport qu’entretiennent les Français avec l’e-administration, réalisé en janvier 2012 par l'institut Harris Interactive, montre que si les avis sont unanimes sur les perspectives offertes par l’administration numérique, certaines craintes demeurent vivaces. Parmi

elles, les risques de déshumanisation du service public et les doutes quant à la confidentialité des données personnelles partagées sur les portails numériques de l’administration sont le plus fréquemment pointés du doigt. En outre, la dématérialisation des services de l’administration est vécue de manière très hétérogène : un quart des sondés la jugent excessive et un autre quart considère au contraire qu’elle n’est pas assez aboutie. Entre une retraitée d’une commune rurale qui n’a pas accès à internet depuis son domicile et un jeune parisien sur-connecté, il était certes prévisible que les avis divergeraient.

Frédéric de Carmoy

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Le 28 février dernier s’est tenu le séminaire gouvernemental du numérique en présence du Premier Ministre, qui a dévoilé la feuille de route numérique du Gouvernement. Cette feuille de route entend faire du numérique un levier de la transformation globale de la société et de réforme de l’action publique ; mais qu’en est-il au-delà des annonces ?

Le numérique en France

Comme l’a souligné le Premier Ministre lors du séminaire gouvernemental du 28 février 2013, le numérique représente en France un gisement de croissance et d’emplois pour aujourd’hui et pour demain. Pour donner un ordre de grandeur, la filière Internet représente d’ores et déjà 3,7% du PIB français, et elle contribuera à 5,5% du PIB français d’ici 2015, pour 450 000 emplois créés. Mais les défis numériques à relever par le gouvernement sont loin d’être négligeables : en plus de la fracture numérique, qui clive les régions en fonction de leur taux d’équipement informatique et d’accès au numérique, l’économie numérique française subit un décrochage, la France occupant le 20ème rang mondial des économies numériques (et perdant ainsi 5 places depuis 2009), la part de l’économie numérique dans le PIB étant relativement faible au regard de nos principaux partenaires commerciaux : même si l’économie numérique a contribué à 26% de la croissance de notre PIB sur la période 1980-2008, elle a contribué en comparaison à 32% de celle de l’Allemagne et 37% de celle des Etats-Unis. Face à ce retard de la France, le gouvernement, comme les gouvernements précédents, semble initier des stratégies numériques tous azimuts.

Vers un empilement ou une réelle

complémentarité des stratégies numériques

?

Pour l’heure, il n’y a pas une stratégie unique dédiée au numérique, mais bel et bien des

politiques publiques en faveur du numérique. Sujet transversal, le numérique concerne aussi bien le Ministre de l’Education Nationale, la Ministre de l’Economie Numérique que le Premier Ministre, qui ont chacun inclus le numérique dans leurs actions.

Le projet de loi sur la refondation de l’école, adopté le 19 mars à l’Assemblée en 1ère lecture, fait en effet la part belle au numérique : en même temps qu’est prévu la création du service public de l’enseignement du numérique (art. 10 du projet), le numérique en tant que discipline pourra être enseigné de l’école au lycée, en familiarisant les élèves dès leur plus jeune âge aux supports numériques (art.4, 26 et 35), de la même manière que les écoles supérieures du professorat, qui ouvriront leurs portes à la rentrée 2013, formeront les futurs enseignants à l’usage du numérique (art. 51).

Le Ministère de l’Economie Numérique, par l’intermédiaire de sa Ministre Fleur Pellerin, a multiplié les annonces, au demeurant ambitieuses, pour le numérique : couverture intégrale du territoire français en très haut débit et installation du Conseil National du Numérique (octobre 2012), lancement du programme Transition Numérique qui doit aider les TPE et PME françaises à passer au numérique (novembre 2012) et création de son association dédiée nommée ATN + (janvier 2013), regroupant les professionnels du secteur et qui, tels des missi dominici de la Ministre,

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conseillent les TPE-PME pour accélérer leur transition numérique.

La transition numérique ne concerne pas que les entreprises puisqu’elle est aussi mise en œuvre dans l’administration, sous le pilotage de Matignon. Installé par un décret du 30 octobre 2012 et rattaché au Premier Ministre, le Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique a ainsi pour mission de veiller au bon usage du numérique en simplifiant les relations entre usagers et l’administration. Ainsi, le premier « Comité Interministériel de la Modernisation de l’Action Publique » a, dans son orientation stratégique du 18 décembre 2012, recommandé à tous les ministères de publier d’ici mars leur propre feuille de route de transition numérique, en vue d’améliorer le service rendu à l’usager, mais également de moderniser les systèmes d’informations pour permettre une plus grande transparence des données publiques.

Que retenir du séminaire gouvernemental

du 28 février sur le numérique ?

C’est donc le 28 février que le Premier Ministre a – enfin – dévoilé la stratégie globale du gouvernement pour le numérique, stratégie qui s’ajoute cependant aux autres actions et mesures gouvernementales dans ce domaine. La feuille de route du Gouvernement assigne au numérique trois chantiers prioritaires : i) l’accès de la jeunesse au numérique, ii) le renforcement et le soutien de la compétitivité des entreprises françaises grâce au numérique, iii) la promotion et la diffusion des valeurs de la France au sein de la société et de l’économie numérique. Le dispositif envisagé se décline en 18 mesures, et un peu plus d’une centaine d’actions tous ministères confondus. Ces 18 mesures se décomposent en 5 mesures pour la jeunesse, 4 pour la compétitivité des entreprises, et 9 pour la promotion et la diffusion des valeurs françaises.

De ces 18 mesures annoncées, certaines étaient déjà connues, telles que le très haut débit pour tous d’ici dix ans, ou encore la création de

quinze quartiers numériques où seraient concentrés des start-up innovantes dans le domaine du numérique, à la manière de la Silicon Valley aux Etats-Unis, et en réponse au projet de Londres dans son projet London TechCity. Le droit à l’éducation numérique et la formation de 150 000 enseignants au numérique étaient également connus, et inclus dans le projet de loi sur la refondation de l’école. De plus, la poursuite de la politique de d’ouverture des données publiques (open data), dans le cadre de la transition numérique de l’administration, a été confirmée par l’orientation stratégique du CIMAP du 18 décembre.

D’autres mesures sont en revanche nouvelles. Ainsi peut-on souligner le lancement du projet France Université 2013, qui consiste en une mutualisation et mise en ligne, via le portail internet ESUP Portail, de cours magistraux dispensés dans les établissements d’enseignement supérieur en France – l’objectif à terme est que 20% des cours magistraux dispensés en France soient en ligne. Il en va de même pour le soutien apporté par l’Etat aux collectivités territoriales qui financeront les Espaces Publics Numériques, lieux d’accès à Internet entièrement gratuits, et qui mettent à la disposition des usagers des outils informatiques et des ateliers de machine outils pilotés par ordinateur – des fap lab.

D’autres mesures sont proposées, à l’instar de la refondation de la stratégie de l’Etat en matière numérique (qui inclut aussi bien la numérisation du patrimoine culturel ou la modernisation numérique de l’administration), ou encore le rétablissement de la souveraineté fiscale de la France - mesure qui s’inscrit dans le débat sur une possible fiscalité du net proposée par le rapport de la Commission Colin et Collin - mais leur contour devra être précisé.

La feuille de route numérique du

gouvernement est-elle réaliste, ambitieuse et

novatrice ?

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Malgré la rigueur budgétaire, le gouvernement ne fait pas d’économies sur le numérique : 10 millions d’euros sont prévus pour assurer le droit à l’éducation numérique, un fonds cogéré par la Caisse des Dépôts et le Commissariat Général à l’Investissement sera mis en place pour financer le projet France Universités Numériques. De plus, le programme Transition Numérique Plus bénéficiera d’un financement de 300 millions d’euros via des prêts bonifiés. Le programme de soutien aux quartiers numériques recevra quant à lui un financement de l’ordre de 150 millions d’euros, via une aide à la recherche (s’inscrivant dans le cadre du Programme d’Investissement d’Avenir initié en 2009, et qui prévoyait à l’origine 2,5 milliards d’euros consacrés au numérique), et

le plan très haut débit constituera un investissement public de 4,3 milliards d’euros.

Malgré toutes ces mesures, des critiques se sont élevées contre les lacunes de cette feuille de route, qui a délibérément écarté la neutralité du Net, sujet politiquement sensible, et le cloud computing, qui aurait nécessité que le gouvernement s’exprime sur le montant des aides publiques à accorder tant au cloud computing qu’au big data pour soutenir leur développement en France. La fiscalité du numérique, qui s’exprime par la proposition de rétablir la souveraineté fiscale de la France, est très floue car elle passe par un consensus européen concernant une éventuelle assiette commune de l’impôt sur les sociétés à visant les entreprises prestataires de services

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électroniques - ce qui n’est pas assuré. Le projet de former les enseignants au numérique ne s’attarde pas sur les modalités concrètes de leur formation numérique (formation au logiciel libre ou propriétaire?). De plus, il n’est pas précisé l’articulation concrète entre les quinze futurs quartiers numériques et les préexistants pôles (numériques) de compétitivité – les clusters à la française– pilotés en étroite collaboration avec les collectivités territoriales.

De la même manière, ce dispositif, s’il innove sur de nombreux points, s’inscrit dans une relative continuité avec le plan France Numérique 2020, présenté en 2011 par le Ministère de l’Industrie. Ainsi, le très haut débit pour tous d’ici dix ans était déjà envisagé par le plan France Numérique 2020, qui avait comme la feuille de route actuelle l’objectif de résorber la fracture numérique. De même, l’amélioration de la protection des données personnelles et de la vie privée figuraient déjà au programme de France Numérique 2020, alors que l’actuelle feuille de route entend renforcer la protection de la vie privée et les pouvoirs de la Commission Nationale Informatique et Libertés, via un projet de loi déposé courant 2014.

Les questions numériques à suivre

Quelle sera la future actualité dans le numérique ? Tout d’abord le devenir de la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI), qui continue ses activités malgré tout, comme en témoigne la publication de son rapport d’activité le 15 février dernier sur les moyens de lutte contre le téléchargement illicite et le streaming. La solution privilégiée pour l’heure est le remplacement de la sanction pénale par une sanction administrative contre l’internaute convaincu de téléchargement. Les expertises sur les quartiers numériques, commandées par la Ministre Fleur Pellerin, doivent être rendues dès juillet pour que les premiers quartiers numériques soient actifs dès janvier 2014. En vue d’accompagner la mission Très Haut

Débit, un projet de loi sur les télécommunications, soutenu par Fleur Pellerin, sera déposé vers septembre pour créer un établissement public qui pilotera le déploiement du très haut débit. Le projet de loi de finances 2014 pourrait inclure des dispositions relatives à la fiscalité du numérique selon l’arbitrage gouvernemental. Absents de la feuille de route du gouvernement, les thèmes du cloud computinget de la neutralité du net devraient rapidement revenir dans l’agenda du Premier Ministre: un projet de loi déposé courant 2014 concernera la neutralité du net tandis qu’un prochain séminaire gouvernemental sur le numérique, prévu en 2014, sera entièrement consacré au cloud computing. La revue APE vous tiendra au courant !

Christophe de Batz

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L’Open data consiste à rendre des informations accessibles et réutilisables librement. Cette démarche concerne particulièrement les administrations publiques qui détiennent un nombre important d’informations dans de nombreux domaines que ce soient les horaires de transport, les données géographiques des services publics en passant par les budgets de l’État ou des collectivités locales. Tour d’horizon des turpitudes des politiques en faveur de l’ouverture des données.

Une telle démarche s’inscrit dans une exigence de transparence publique, principe ancien qui a été énoncé dès la Déclaration des droits de 1789 prévoyant dans l’article 15 que « la société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration ». Cet exigence tend à se réaffirmer depuis les années 70 et donnera lieu à la loi CADA du 17 juillet 1978 qui reconnaît à toute personne le droit d’obtenir communication des documents détenus par une administration, quel que soient leur forme ou leur support.

Le développement des technologies de la communication et de l’information permet aujourd’hui aux administrations de libérer un très grand nombre d’informations accessibles par tous les citoyens. A l’étranger, l’acte I de l’Open data a débuté avec le lancement de l’ « Open Government Initiative » par Barack Obama dès le jour de son investiture en 2009. Il sera ensuite suivi par d’autres pays, notamment le Royaume Uni avec le programme « Opening up government » lancé en janvier 2010 par Gordon Brown.

La France initie une telle démarche avec la création d’une mission, Etalab, placée sous l’autorité du Premier ministre en février 2011

qui donnera naissance à la plateforme data.gouv.fr 11 mois plus tard. Si l’Etat participe à cette dynamique, les pionnières de l’ « Open data » en France furent cependant les collectivités locales, avec la ville de Rennes en 2010 ou encore le Conseil général de Saône-et-Loire, présidé alors par Arnaud Montebourg, qui s’illustra par l’accent donné à la transparence budgétaire, avec la publication des informations relatives aux dépenses, aux subventions, aux investissements,…. Aujourd’hui, on dénombre ainsi plus d’une quarantaine de projet Open data aujourd’hui en France, à tous les échelons territoriaux.

L’engouement résulte des nombreuses promesses que l’ « Open data » représente. Une plus grande proximité entre l’administration et les citoyens est l’une d’entre elles. Les données permettent la création d’applications améliorant la lisibilité des services proposés par les collectivités. Ces applications doivent faciliter la vie des citoyens au quotidien avec, par exemple, des interfaces permettant d’accéder en temps réel à l’ensemble des horaires des transports sur un territoire.

Les opportunités économiques ont été également mises en avant par des études. Si la Commission européenne évoque un montant

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de 40 milliards d’euros annuels d’impact direct - 140 milliards d’impact en intégrant les gains indirects - pour l'économie européenne, les chiffres semblent surestimés et les bénéfices économiques difficilement mesurables. Il est attendu de la libération des données une dynamique d’innovation, avec la création de services à haute valeur ajoutée à partir de données publiques brutes. Un exemple concret pourrait par exemple être l’utilisation des données en matière de criminalité pour développer des logiciels prédictifs à destination des services de la police.

A l’échelon local, les collectivités espèrent voir s’agréger autour des projets « Open data » des entreprises innovantes créant de l’emploi et participant de la dynamique du territoire. Le tissu économique existant est également en mesure de tirer profit de ces données. Par exemple, la publication de données socio démographiques peut permettre aux commerçants d’affiner leurs outils marketing. La réutilisation des données représenterait un vecteur de valorisation du territoire, en donnant une meilleure visibilité aux infrastructures existantes et au patrimoine local, et ainsi un levier pour le développement du tourisme.

Si les attentes à l’égard de l’ « Open data » sont grandes, les résultats jusqu’à présent ne sont pas à la hauteur. Un nombre non négligeable de données ont tout de même été publiées. Après plus d’une année d’existence, le portail data.gouv.fr recense déjà 350 000

jeux de données, mais la dynamique d’innovation qui devait suivre la publication des données n’est pas tangible. Les applications ou services créées déçoivent par leur faible valeur ajoutée. Les citoyens et le monde économique ne se sont pas emparés pour l’instant de l’ « Open data ».

Au titre des contraintes, le champ des données publiables est limité. La loi CADA interdit que les données sensibles (relevant de la défense nationale par exemple) et les données nominatives ou personnelles soient rendues public. Afin de rendre certaines de ces données publiables, le Conseil national du numérique préconisait en juin 2012 « l'anonymisation dès la collection et la conception des données ». Le 6 mars 2013, la CNIL s’est emparée du sujet en engageant une consultation afin d’établir les « incidences éventuelles » de l'ouverture des données publiques sur la protection des données personnelles.

Certaines entités publiques ne sont pas concernées par la loi de 1978. Les établissements culturels, de l’enseignement et de la recherche bénéficient eux d’un cadre dérogatoire protégeant la propriété intellectuelle des informations qu’ils produisent, et beaucoup d’entreprises publiques ne rentrent pas dans le champ de la loi CADA. Néanmoins, plusieurs d’entre elles ont lancé des projets « Open data », notamment la SNCF qui met l’accent sur l’innovation à travers une démarche participative avec les usagers de création de nouveaux services. Le cas des délégations de service, hors du champ de cette loi, est l’objet de difficulté. Les opérateurs sont réticents à publier gratuitement des données alors qu’ils pourraient les valoriser économiquement en les revendant (à travers des applications payantes par exemples). Ainsi, des collectivités envisagent d’introduire des clauses relatives à la propriété des données dans les futurs contrats avec les opérateurs.

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La question de rendre payantes les données a été soulevée. La possibilité pour des entreprises privées de proposer des services payants à partir de données mises gratuitement à disposition a été critiquée. Début 2011, la ville de Nantes réfléchissait ainsi à rendre ses données publiques payantes pour ceux qui en tireraient des revenus, avant d’abandonner ce projet. L’autre aspect est le coût de production ou de récupération des données pour les administrations. Le choix au niveau national se fonde sur le principe de gratuité, la réutilisation sous licence payante étant l’exception. Le prix ne peut couvrir que les seuls coûts de leur mise à disposition.

Du côté des administrations, un autre frein réside dans l’évolution culturelle qu’une telle démarche implique. La transparence n’est pas l’apanage d’un État centralisé héritier d’une tradition jacobine encore très ancrée. Les administrations jusqu’à présent ne se caractérisaient pas par une pro activité dans le domaine. A l’image de ce que la loi CADA dispose, elle consistait à une réponse au coup par coup à la suite de sollicitations. Henri Verdier, nouveau directeur d’Etalab, va plus loin dans le changement des mentalités, il estime que l’ « Open data » devait être intégré à l’élaboration de politiques publiques. Ainsi, selon lui, « les données précises et multimodales sur l’usage des transports, les temps de trajet » en Île-de-France pouvait permettre de mieux cibler les 35 milliards d’investissement prévus pour le Grand Paris.

L’ « Open data » s’inscrit selon ses partisans dans une démarche globale et ne peut se limiter à une simple « récupération » et mise en ligne des données. Les interfaces d’accès aux données doivent ainsi être tournées vers la réutilisation des données. Cela passe par la qualité et la richesse des données, avec par exemple la mise à disposition de données en

temps réel, mais également par les formats de publication choisis. N’existant pas de cohérence entre la multitude de projets « Open data » aux échelons locaux, les formats et l’organisation des fichiers de données changent d’une collectivité à l’autre. Le développeur est contraint d’effectuer un travail d’ « homogénéisation » préalable à toute réutilisation. Assurer l’interopérabilité, c’est-à-dire la compatibilité entre les différents formats, permettrait une exploitation automatisée, inévitable lorsque les volumes d’informations sont considérables. L’autre défi réside dans la création et l’animation d’un écosystème autour du programme. La mission Etalab a ainsi mis en place des concours – « dataconnexions » - récompensant les meilleures applications développées à partir de données publiques. Les collectivités ont également mises en place d’autres types d’événements tels que les « hackathon » qui réunissent des développeurs dans la perspective de créer en un temps limité des projets.

A la lumière des premières expériences, l’aspect qui requiert le plus grand effort pour arriver à une publication systématique des données est l’adaptation organisationnelle. La première version du site data.gouv.fr a été laborieuse. Elle a donné lieu à un recensement des données existantes qui a fait apparaître un système peu lisible et hétérogène (format, classement,…), les données elles-mêmes étant parfois de mauvaise qualité (données manquantes, obsolètes, faible fiabilité,…). La mission Etalab dont le rôle est de coordonner la démarche et d’apporter son appui aux services ne dispose pas des moyens suffisants pour réaliser un travail qui nécessiterait de repenser le fonctionnement des différents services et les méthodes de travail des agents en amont, dans l’ensemble de l’administration.

Si cette dernière dimension est l’une des contraintes majeures pour le développement de l’ « Open data », elle s’est transformée en une source de satisfaction pour certaines

collectivités. L’effort de recensement est l’occasion de réaliser un audit plus global des systèmes d’information et de son optimisation. La nécessité de mettre autour d’une même

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table l’ensemble des services participe à leur décloisonnement. A termes, c’est l’efficacité globale de l’organisation qui peut en ressortir améliorée. La mise en commun de données enrichies et complétées sur une même interface a été l’occasion de développer de nouveaux outils de pilotage à usage interne. Aujourd’hui certaines collectivités envisagent dès le lancement d’un projet « Open data » une partie « publique » et un plan à usage interne. Dans ce sens, Henri Verdier, a annoncé que la mission allait mettre l’accent sur le développement de la « culture de l’utilisation des données publiques par l’administration elle-même ».

Si l’ « Open data » a nourri des illusions, le mouvement est rattrapé par les réalités. Les déceptions, en matière d’impact économique particulièrement, n’entament pas les exigences croissantes en termes de transparence. Initié par Nicolas Sarkozy, le programme « Open

data » français perdure avec François Hollande. Jean-Marc Ayrault, lui-même initiateur dans sa ville de Nantes d’un des premiers projets de ce type en France, a déclaré vouloir « accélérer » l’ouverture des données publiques, en mettant l’accent sur la modernisation des services publics et le « soutien au dynamisme économique ». S’il a réaffirmé le principe de gratuité, il a estimé que celui-ci « n'empêche pas de concevoir des stratégies de monétisation de services à haute valeur ajoutée ou de création de plateformes ». Des recommandations devraient être transmises par la mission Etalab au Premier Ministre concernant les modèles économiques des redevances en matière de données publiques.

Brice Brandenburg

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L'utilisation d'Internet dans les campagnes

électorales : révolution d'envergure ou

simple dynamisation du marketing

politique ?

Depuis les années 2000, une nouvelle inconnue s'est imposée dans l'équation des élections politiques: l'impact d'Internet dans la stratégie de campagne. L’intégration des NTIC dans la communication des partis politiques est désormais inévitable en période électorale. S'agit-il d'un véritable bouleversement des pratiques communicationnelles ou bien avons-nous surestimé l'impact des nouvelles technologies sur la communication politique?

Internet est à l'origine une

révolution technologique d'ampleur

mondiale

Apparu aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XXème siècle, Internet se définit comme un ensemble standardisé de protocoles de transfert de données. Ce système est basé sur le partage généralisé de données à distance entre des utilisateurs interconnectés.

Internet a bouleversé notre rapport à l'information : on parle désormais de "viralité de l'information". Il rend accessible de manière instantanée des données très hétérogènes et ouvre un nouvel espace d'expression fondé sur l'interactivité. La sédimentation des contenus permet la comparaison et l'interaction. On assiste également à une désintermédiation et à une déréglementation de l'information. En effet, les contrôles s'opèrent difficilement sur les données échangées du fait de leur réplicabilité et de leur exportabilité infinie. Par ailleurs, les recommandations sociales (comme le phénomène des "liking") se développent et participent à la communautarisation des messages. Les propriétés cognitives d'Internet

ont ainsi fait de lui un outil de communication politique privilégié.

Une appropriation rapide mais inégale

d'Internet comme outil de communication

Que ce soit lors d'un mandat ou en période d'élections, les hommes politiques ont très vite compris l'importance stratégique de maîtriser Internet comme outil de communication

politique.

Cette prise de conscience est apparue plus tôt aux Etats-Unis qu'en France. Les politiciens

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américains sont des précurseurs en termes de marketing politique. Le développement de stratégies web a commencé dès le second mandat de Bill Clinton, avant de se propager dans le reste du monde à partir de 2007. Car c’est véritablement la mobilisation de milliers d'internautes autour de la première candidature de Barack Obama qui a révélé au monde entier le potentiel remarquable d'Internet comme outil de rassemblement et de communication.

L'appropriation d'Internet par les politiques a été plus diffuse en France. En effet, il a fallu attendre la campagne du Traité instituant une Constitution pour l'Europe (2005) pour constater l'émergence d'un cyber-militantisme. Les élections présidentielles de 2007 puis de 2012 ont également conforté l'importance croissante des NTIC – nouvelles technologies de l’information et de la communication – dans les stratégies de campagne des candidats. Le site "Desirsdavenir.org" lancé par Ségolène Royal en 2007 figure alors parmi les premiers sites politiques d'envergure.

Peu à peu, la présence des candidats sur le web est devenue un enjeu électoral majeur pour l'ensemble des partis politiques. A l'heure du numérique, il n'est plus concevable de centrer la campagne d'un homme politique sur l'usage des médias traditionnels que sont la presse, la radio et la télévision. Il est devenu nécessaire de combiner ces modes d'expression avec une « web politique » adaptée. On assiste ainsi à une professionnalisation de la gestion de l’e-réputation et de la campagne en ligne avec le développement de cabinets de conseil spécialisés en communication.

Cependant, l'ampleur de la stratégie web varie selon les partis en fonction des moyens financiers et humains à leur disposition, et de la sensibilité de leur électorat traditionnel aux NTIC : la puissance du vecteur « Internet » ne doit pas être surestimée. En effet, l'homme politique en campagne doit prendre en considération les personnes n'ayant pas accès à Internet ou celles peu enclines à l'utiliser. Selon une étude du Cevipof réalisée lors des

élections présidentielles 2012, Internet est encore loin de détrôner la télévision – 40% des sondés désignaient en effet la télévision comme première source d’information politique.

Internet, la panacée d'une nouvelle

révolution communicationnelle

Internet a profondément transformé les modalités de la communication partisane. Il est devenu un outil de campagne supplémentaire au service de l'homme politique, avec ses avantages et ses faiblesses.

Une communication ciblant un public large et à moindre coût

Internet permet à l'homme politique de diffuser son programme et de promouvoir son image avec rapidité et facilité. Grâce à l'interconnexion des cybernautes, les messages politiques peuvent atteindre un grand nombre de destinataires à travers des supports variés (tribunes, clip-vidéo, photos, tweets, podcasts, pétitions en ligne), tout cela à un faible coût. Les crédits de campagne peuvent ainsi être redéployés vers d'autres dépenses. Internet peut également faciliter la levée de fonds- mais cet usage est très réglementé en France.

Un espace de débats démocratiques

participatifs

Vecteur d'idées politiques, Internet s'impose aussi comme un nouveau lieu de débat démocratique. Les forums, réseaux sociaux et blogs forment un espace d'expression illimité pour les cybernautes. De spectateurs, les citoyens deviennent des acteurs à part entière de la campagne politique. Interactivité et réactivité sont les principes-clé qui guident leur intervention. Les programmes politiques sont ainsi discutés voire négociés collectivement. Par exemple, les candidates à la mairie de Paris en 2014, Anne Hidalgo et Rachida Dati, proposent aux Parisiens de réagir à leurs propositions sur leurs sites respectifs. Cette nouvelle forme de

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participation citoyenne séduit particulièrement les nouvelles générations.

Un réseau de militants décentralisé avec une

forte capacité de projection

Internet permet le développement rapide et massif de relais d'informations sur tout le territoire. L'un des grands apports des NTIC est leur capacité de faire travailler à distance un grand nombre de personnes autour d'un projet commun. Emerge alors une machine de campagne géographiquement éparpillée qui puise sa puissance de sa structure décentralisée.

Le rôle des cyber-militants est d'expliciter les prises de position du parti et de convaincre de potentiels « influenceurs » d'opinion. Les militants peuvent être appelés à se regrouper en cellules de veille informationnelle et de riposte sur les réseaux sociaux. Ils peuvent également analyser les tendances politiques de l'opinion sur les forums. Ce suivi de l'actualité permet au candidat d'adapter ses messages communicationnels à l'agenda politique et aux réactions de l'opinion. Internet joue ainsi un rôle de « laboratoire d'idées » et d'expérimentation de propositions.

La décentralisation de l'autorité au sein du cyber réseau ne conduit pas à une absence de liens hiérarchiques entre le candidat et son équipe officielle d'une part, et les cyber-militants d'autre part. Au contraire, les publications des militants doivent rester conformes à la lignée officielle du parti. Les comportements déviants sont soumis à une stricte vigilance et peuvent faire l'objet de rappels à l'ordre. Il n'y a donc pas de perte de contrôle du message politique mais plutôt un relâchement de l'autorité hiérarchique propice à une reformulation des idées. En effet, le contenu du message est souvent simplifié pour répondre aux contraintes techniques relatives au format, comme la limite de 140 caractères pour les tweets ou la limite de durée pour les clips-vidéo. Cette simplification est aussi induite par la préférence des internautes pour

les messages courts et synthétiques. Plus percutants, les messages écrits véhiculés par les cyber-militants se prêtent mieux à une lecture croisée et se plient à l'impératif de rapidité des flux informationnels. En maîtrisant l'usage du cyberspace, la communication partisane s'adapte donc à l'accélération du temps politique.

Les dérives possibles : peoplisation et hyper-

communication en période électorale

La recherche du « buzz » pendant la campagne électorale peut conduire l'homme politique à "peopliser" sa communication. A cet égard, Internet facilite la diffusion de photographies et la pratique du storytelling. D'autre part, la pluralité des formes d'expression sur le net favorise l'hyper-communication des hommes politiques. Un des risques majeurs de cette surexposition de l'homme politique est le déclin du débat d'idées. En voulant coûte-que-coûte s'imposer sur le web, l'intervention de l'homme politique perd une partie de son impact symbolique et de sa pertinence. Communiquer en politique signifie porter un message, et non pas faire seulement acte de présence sur la scène médiatique. Internet n'incite pas les communicants à mettre en œuvre une "communication de la rareté".

L’enjeu: une gestion active et responsable

de la e-réputation

Une seconde réserve de l'utilisation d'Internet à des fins électorales concerne la traçabilité permanente des informations. Internet est désormais un lieu de mémoire qui conserve les traces des campagnes successives. La Bibliothèque nationale de France s’efforce de conserver des fragments de la mémoire collective en archivant notamment le web électoral. Cette conservation des fragments de la vie publique offre l'opportunité aux partis d'inscrire leurs actions dans la durée, de s’appuyer sur cette mémoire pour établir leurs bilans, et de consolider leur identité numérique.

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Cependant la mémoire numérique collective n'est pas dénuée de risques pour l'homme politique. Ainsi, Warren Buffet affirme qu' "il faut vingt ans pour construire une bonne réputation, mais seulement cinq minutes pour la détruire." La mémoire numérique peut jouer en faveur du candidat ou bien participer à son discrédit. A l'inverse de la vision de court terme des échéances électorales, la gestion de la e-réputation s'exerce dans la durée. La traçabilité des données en ligne incite donc les hommes politiques à se responsabiliser et à veiller à la sincérité de leurs engagements.

Le revers de la révolution

communicationnelle: une révolution

juridique

L'instrumentalisation d'Internet dans les campagnes électorales soulève des problèmes de droit. Les bases du cadre juridique ont été posées par la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 10 juin 2004, qui différencie les "services de communication au public en ligne" - la transmission, sur demande individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance privée - des "services audiovisuels en ligne" (communication d'œuvres audiovisuelles autres que la retransmission de la télévision et de la

radio). L’article L. 49 du Code électoral interdit pour sa part, à partir de la veille du scrutin, la diffusion par voie électronique de messages électoraux.

Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont toutefois interprété ces dispositions avec souplesse. Ils ont par exemple jugé que le maintien d’éléments de propagande électorale sur un site internet le jour du scrutin, n’était pas assimilable à la distribution de documents de propagande. D'autre part, l’utilisation du site internet d’une collectivité publique pour les besoins de la campagne d’un candidat est prohibée par l’article L. 52-8 du Code électoral. Une infraction à cette règle peut conduire au rejet du compte de campagne du candidat voire à l'inéligibilité pour un an.

L'encadrement de l'expression sur les

forums

Les forums politiques ont donné naissance à de nombreux contentieux mettant en cause la responsabilité personnelle des participants du fait des messages postés. La modération des espaces interactifs est envisagée différemment selon la culture politique propre au parti. Pour certains, le risque peut et doit être assumé par le parti. D’autres préfèrent contrôler voire

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proscrire l’interactivité directe pour des raisons de sécurité et d’image. Il convient de noter que la plupart des forums laissent la possibilité aux contributeurs d’utiliser des pseudonymes plutôt que de s’identifier sous leur nom patronymique. Cette option permet à chacun de s’exprimer sans crainte d’identification et prémunit le citoyen contre tout risque dans l’expression de ses opinions.

L'emailing et la protection des données

Deux conceptions différentes s'affrontent au regard de l'utilisation des listes de contacts. D'un côté, la possibilité de s’adresser aux personnes par courriel (l'e-mailing) s’apparente à l’exercice même de la liberté d’expression et de communication. D'un autre côté, les techniques de prospection par e-mail peuvent être jugées particulièrement intrusives. Cette atteinte justifierait le fait que la personne sollicitée ait par avance consenti à être contactée dans un cadre de prospection politique.

La maîtrise du financement

La levée de fonds par Internet est également strictement encadrée. Seuls les dons des personnes physiques à hauteur de 4600€ et les contributions des partis politiques peuvent contribuer au financement de la campagne des candidats sous réserve du respect du plafond de dépense électorale. En vertu de l’article L. 52-12 du Code électoral, chaque candidat est tenu d’établir un compte de campagne qui retrace très précisément l’origine des recettes

et la nature des dépenses engagées pendant l’année qui précède le mois de l’élection. Dès lors que le site d’un candidat est utilisé à des fins de campagne électorale, l’ensemble des dépenses liées à cet outil (frais d’hébergement, de maintenance ou de mise à jour) doivent donc apparaître dans le compte de campagne. Le « bénévolat d’entreprise » est interdit pour la gestion des sites internet. En ce qui concerne le travail bénévole des militants, la jurisprudence n’est pas encore totalement fixée. Certes, le Conseil constitutionnel a jugé que les dépenses relatives à l’extension du site internet d’un candidat n’ont pas à être comptabilisées lorsqu’elles ont été réalisées par des bénévoles. Mais cette décision ne tranche pas la question plus large de l’utilisation de bénévoles pour des tâches plus importantes de conception ou d’administration quotidienne d’un site.

En définitive, les élections donnent une place de plus en plus significative à Internet dans la communication politique. Les NTIC permettent le redéploiement des débats de société des partis vers les communautés virtuelles d'internautes. Internet contribue ainsi à l'émergence d'un cyber-militantisme complémentaire du militantisme traditionnel.

Camille Hartmann

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La démocratie à l’ère d’internet : le

numérique et la volonté du plus grand

nombre

Renvoyé à l’Assemblée Nationale après modification par le Sénat le 28 février 2013, le projet de loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution (telle que révisé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008) est sur le point d’apporter un changement considérable au fonctionnement des institutions de la Ve République. Il introduit à la faveur de la révolution du numérique, un mécanisme de démocratie directe dans la procédure législative, dans l’esprit de l’article 6 de la Déclaration de 1789, selon lequel « la loi est l’expression de la volonté générale ».

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Tous les citoyens ont droit de concourir, personnellement ou par leurs représentants, à sa formation», comme le précise/ selon le, conformément à l’article 3 de la Constitution de 1958 qui affirme que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum».

Selon l’article 11 de la Constitution révisée sur le référendum d’initiative populaire : « Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa [sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions] peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an. » Un dispositif qui n’est pas pour plaire aux opposants à la démocratie directe.

Le principal argument des tenants de la démocratie représentative est qu’une démocratie à l’athénienne n’est possible que dans des petits Etats, républicains, homogènes dans leurs population, et d’une très forte unité. (voir Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748). On conçoit que le fait de réunir simultanément l’ensemble des citoyens de la communauté politique est matériellement plus aisé pour un canton suisse que pour un grand pays comme la Russie. Mais si l’assemblée publique se dématérialise, si l’ecclesia devient un espace virtuel accessible à tous depuis internet, alors les enjeux de l’organisation d’un référendum changent : il s’agit de s’assurer que tous les citoyens puissent y accéder à l’heure ou la rupture numérique est une réalité, il s’agit de garantir la sécurité du scrutin contre les fraudes et la piraterie, il s’agit de préserver le caractère secret du vote (Constitution, art. 3). Interrogé à ce sujet, Jean-François de

Montgolfier, chef du service juridique du Conseil Constitutionnel, rappelle que « le principe de sincérité du scrutin conditionnait la constitutionnalité du référendum » (Décision n°2000-428 DC, 4 mai 2000, Loi organisant une consultation de la population de Mayotte), et que « Le système de vote sur internet, utilisé pour l’élection des députés de l’étranger, pose de graves problèmes de secret et de sécurité du vote ». Et Jean-François de Montgolfier d’ajouter : « en pratique, il faudrait doter chaque citoyen d’une carte d’identité électronique. L’Etat sait déjà le faire quand il s‘agit de collecter les impôts, mais de là à utiliser ces techniques pour le suffrage…». Pourtant le projet de loi organique n °3072 est pour l’instant catégorique : son article 4 dispose que « Les électeurs apportent leur soutien à l’initiative par voie électronique. »

Au-delà de ces questions techniques, les trois problèmes de fond concernant le référendum d’initiative populaire peuvent être résolus. Tout d’abord, son potentiel de dérive démagogique peut être astreint par le contrôle de constitutionnalité a priori des propositions de lois soumises au référendum (insertiond’un « Chapitre VI bis, De l’examen d’une initiative référendaire » dans l’ordonnance organique du 7 novembre 1958 relative au Conseil). Ensuite, la très forte abstention aux scrutins, découlant du désintérêt latent des citoyens pour les affaires publiques pourrait être diminuée justement par la facilité du vote sur internet. Prenons l’exemple de l’Estonie, où, depuis son instauration en 2005, le vote sur internet est passé de 2 % à plus de 24 % du total ? En 2011, et le taux de participation des estoniens aux élections européennes est passée de 27 % en 2004 à 43 % en 2009. Enfin, le caractère conflictuel et clivant de l’opposition

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sur une question fermée en oui/non pourrait être dépassé par une innovation constitutionnelle, le référendum à choix multiples, permettant de soumettre aux voix, non pas un seul projet dans une logique d’approbation ou de rejet, mais plusieurs alternatives dans une logique de délibération législative ?

En réalité, la Suisse est déjà parvenue à faire sortir le référendum de l’impasse « oui-non-abstention » -un terrain prédisposé à la « politique négative » (P. Rosanvallon) comme aux dérives plébiscitaires- en complexifiant la procédure d’initiative populaire en matière constitutionnelle. L’article 139 de la Constitution Suisse dispose que « toute initiative présentée sous la forme d'un projet rédigé est soumise au vote du peuple et des cantons. L'Assemblée fédérale en recommande l'acceptation ou le rejet. Dans ce dernier cas, elle peut lui opposer un contre-projet. Le peuple et les cantons votent simultanément sur l'initiative et sur le contre-projet. Le corps électoral peut approuver les deux projets à la fois. Il peut indiquer quel projet l'emporte au cas où les deux seraient acceptés ; si l'un des projets obtient la majorité des votants et l'autre la majorité des cantons, aucun des deux n'entre en vigueur », ce que l’article 121 de l’arrêté fédéral du 18 décembre 1998 est venu préciser : « Lorsque l’Assemblée fédérale élabore un contre-projet, trois questions sont soumises aux électeurs sur le même bulletin de vote. Chaque électeur peut déclarer sans réserve: 1 S’il préfère l’initiative populaire au régime en vigueur; 2 S’il préfère le contre-projet au régime en vigueur; 3 Lequel des deux textes devrait entrer en vigueur au cas où le peuple et les cantons préféreraient les deux textes au régime en vigueur. La majorité absolue est déterminée séparément pour chacune des questions. Les questions sans réponse ne sont pas prises en considération. »

Ainsi, pourquoi ne pas réviser la constitution ou amender ladite loi organique de telle manière à ce qu’une autre « initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs » puisse émettre une contre-proposition de loi, a priori contrôlée par le Conseil Constitutionnel ? De cette façon, pour une réforme donnée, le peuple pourrait élire les meilleures propositions législatives formulées par le Parlement, ou choisir de conserver l’état du droit en vigueur si celui-ci était satisfaisant. J-J. Rousseau écrit, dans Du Contrat Social(1762), « La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé ». Or, c’est en comparant deux propositions de lois tendant au même but, l’intérêt général, que les citoyens seraient plus à même d’en juger.

Michaël Calais

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Dans un monde où les réseaux transnationaux deviennent de plus en plus importants, la politique étrangère n’est plus le privilège de l’État-nation. Quelles sont les conséquences quand les citoyens d’un pays jouent à la révolution dans un autre ?

Le 4 juillet 2012, deux Suédois ont largué huit cents ours en peluche d’un avion au-dessus de la Biélorussie. Comme cette action de l’agence de publicité Studio Total avait pour but de protester contre les violations des droits de l’homme dans ce pays, les nounours portaient tous ce message (en biélorusse):«Nous soutenons la lutte biélorusse pour la liberté d'expression».

Des ours en peluche ont déjà été utilisés plusieurs fois dans des actions similaires en Biélorussie. Tomas Mazetti, patron de l’agence de publicité et un de responsables de l’action l’explique par critiquer la diplomatie traditionnelle menée par le Ministre des Affaires étrangères et se dit inspiré par le Printemps arabe. Carl Bildt (Ministre des Affaires étrangères suédois, NDLR) suggère que l’on peut avoir une conversation sensible avec Loukachenko (président biélorusse, NDLR), lui expliquer que nous ne sommes pas contents avec la situation. Mais ce type de diplomatie appartient au passé. Nous voulons faire quelque chose de différent : rejoindre la révolution Twitter, où tout le monde peut contribuer. »

Quel bilan de cette action ?

Les conséquences positives et négatives sont difficiles à estimer. Suite à l’action, l’accréditions de l’ambassadeur suédois n’ont pas été renouvelés, ce qui a déclenché une crise diplomatique entre la Suède et la Biélorussie et la Suède a signalé que le nouveau ambassadeur biélorusse n’était pas le bienvenu en Suède. Aujourd’hui, l’ambassade

de Suède à Minsk reste fermée, sans représentation diplomatique. Robert Hårdh de l’ONG des droits de l’homme Civil Rights Defenders a condamné l’action comme irresponsable et susceptible d’isoler l’opposition biélorusse. En addition, des sources anonymes dans la Ministère des Affaires étrangères suédois sont convaincues que l’action de Studio Total constitue plutôt un pave de l’ours pour le mouvement démocratique, comme les conséquences ont été des frontières élevées et une répression accrue. De surcroît, l’action a eu des conséquences pour les individus biélorusses. Deux généraux ont été limogés, accusés de pas avoir assez protégé l’espace aérienne du pays. Un garde-frontière a été condamné à deux ans de prison. Un étudiant qui avait publié des photos de l’action sur son blog ainsi qu’un homme qui avait loué un appartement à Studio Total ont été détenus. Pourtant, des experts suédois sur la Biélorussie doutent que l’action des nounours était la raison de la détérioration des relations bilatérales. Martin Uggla évoque le fait que la Suède a été un des moteurs dans la politique commune européenne qui récemment a prononcé davantage de soutien au mouvement démocratique biélorusse et escalé ses sanctions vers le régime. D’ailleurs, déclarations de Bildt comme « Loukachenko est un scélérat » n’aurait pas non plus amélioré les relations entre les deux pays. Uggla interprète l’expulsion de l’ambassadeur suédois Stefan Eriksson comme un moyen pour Loukachenko de punir la Suède pour son attitude proactif dans la politique commune européenne sur la Biélorussie et en

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même temps de se débarrasser d’une des personnes clés dans sa réalisation. Pour certains, toute publicité est pour le bon. Studio Total et Martin Uggla pensent que l’action a fait beaucoup pour améliorer la visibilité de la lutte pour la démocratie en Biélorussie. Tomas Mazetti remarque que pendant les mois après l’action, le nombre de postes Google sur la Biélorussie était deux fois plus que l’année dernière entière.

Quel espoir pour les citoyens d’agir dans les

relations internationales ?

Selon Ulf Bjereld, professeur de sciences politique à l’université de Göteborg, « l’action des nounours » est un exemple du fait que l’État ne monopolise plus les relations extérieures d’un pays. Le développement de nouvelles technologies de communication rend archaïque le principe de la souveraineté territoriale et les réseaux transnationaux deviennent de plus en plus importants. Ces réseaux transnationaux, d’Al-Qaida à Médecins contre les armes nucléaires, n’ont pas de base territoriale et mobilise sur les questions correspondant à l’intérêt de ses membres. Comme toute question politique est influencée par le fait global, Bjereld ne voit pas de raison pourquoi la politique étrangère d’un pays devrait être formulée uniquement par le Ministre des affaires étrangères. Les Ministères des Affaires étrangères préfèrent

souvent de travailler discrètement, dit la « diplomatie silencieuse ».

À cause de cela, on peut imaginer que des citoyens sont parfois conduits à penser que les diplomates ne font assez pour les droits de l’homme par exemple et d’un sentiment de responsabilité morale veulent s’en occuper eux-mêmes. Maintenant, les gens s’engagent en ligne, via Facebook, Twitter, et des autres réseaux sociaux. Dans la plupart des cas, ce « clicktivisme » s’arrête ici. Peut-être pour le mieux ? De toute façon, les diplomates à la Ministère des affaires étrangères sont des professionnels, choisi pour représenter leur pays. Dans le cas de l’action des nounours, l’ambassade suédoise à être accusé pour complicité. Si un Suédois provoque les autorités d’un autre pays, même si il n’a aucun mandate de les représenter, ça peut entraîner des conséquences pour tous les autres Suédois.

Certes, les réseaux sociaux donnent l’impression que le monde entier est à portée de l’opinion publique, mais sans être informé, il reste très difficile de contribuer substantiellement à la société civile à l’étranger.

Miriam Tardell

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Depuis le 8 mars, le Château de Prague a un nouveau locataire. Miloš Zeman a remporté, les 25 et 26 janvier derniers, les élections présidentielles, et y a donc signé un bail de cinq ans. Si la place forte a été la demeure des rois de Bohême, de deux empereurs romains-germaniques et de tous les présidents tchèques depuis 1918, Miloš Zeman est le premier de tous les résidents du Château à avoir été choisi par suffrage universel direct.

L’élection de Zeman n’est pas une surprise : grand favori dès le début de la campagne, le candidat social-démocrate a surtout réussi à se maintenir haut dans les sondages, et à négocier une fin de campagne suffisamment agressive pour se défaire de son opposant surprise Karel Schwarzenberg. Pro-européen, rompu à l’exercice de la politique, Zeman n’incarne pourtant pas exactement le choix de l’avenir, ni celui de la rupture. Pour une grande partie de la jeunesse tchèque, cette grande première n’a pas tenu toutes ses promesses. La campagne présidentielle a été l’occasion d’une confrontation des Tchèques avec leur passé davantage qu’une renaissance de leur démocratie. Le changement majeur que devait être cette nouveauté constitutionnelle aura été l’occasion de visiter les fantômes de l’histoire et de constater la stagnation de la politique tchèque. Le Château ne se débarrassera pas de sitôt de ses démons.

La lente ascension de Miloš Zeman vers le

château de Prague

Miloš Zeman est un mastodonte de la politique tchèque. Dans les arcanes du pouvoir depuis 1989, il a participé au Forum civique (Ob�anské fórum) où il a côtoyé les dissidents les plus actifs, dont le futur président Václav Havel. Il est élu dans la première assemblée libre, puis prend la tête du parti social-démocrate (�SSD) en 1992, un an avant la

scission avec la Slovaquie. Après cela, Zeman continue son parcours dans la politique tchèque. Il prend la présidence de l’assemblée en 1996, puis devient premier ministre de 1998 à 2002, sous la présidence de Havel.

Zeman, un tableau de parfait représentant de la politique tchèque - jusque dans ses zones d’ombres. Brièvement membre du parti communiste entre 1968 et 1970, Zeman s’y était investi pour écrire sa thèse de fin d’études en économie à l’époque où l’intelligentsiatchèque était contrôlée par le parti. Il en sera exclu à cause de ses critiques à l’égard du régime, et le futur politicien ne se défera jamais plus du franc-parler qui a forgé sa réputation. Plus tard, ses quatre années à la tête du gouvernement sont marquées par un bilan très positif au niveau économique. Ralentissement de l’inflation, réduction du déficit : la République tchèque est en pleine croissance, profitant de la prospérité générale des années 1990 . Pour autant, et de manière beaucoup moins glorieuse, la gestion de ce gouvernement minoritaire, soutenu par un parti d’opposition, semble peu orthodoxe. Transparency International enregistre une chute de la République tchèque au tableau mondial de la corruption. Tour à tour membre du parti social-démocrate (�SSD), puis cavalier seul, Zeman a atteint une sorte de maturité politique, et l’assurance de cinq années passées au sommet des institutions.

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Corruption et réforme constitutionnelle,

trop peu pour attirer l’intérêt des électeurs

Les mauvaises habitudes ne devaient pas se perdre si vite après la fin du gouvernement Zeman. Au printemps dernier et pour la énième fois, l’élite politique tchèque se confondait dans les scandales de corruption et de clientélisme. Les journalistes du quotidien Dnes ont publié des écoutes téléphoniques démontrant les relations entre l’ancien maire de Prague, Pavel Bém, (du parti civique démocrate de centre droit de l’ex-président Klaus, ODS) et le très sulfureux homme d’affaire Roman Janoušek. On y découvre un réseau étroit de connivences et de dépendances entre l’administration, les milieux politique et industriel praguois, qui pose une chape de plomb sur la politique tchèque à coups de malversations, d’attributions frauduleuses de marchés publics et de chantages politiques. Les médias jettent un modeste coup de pied dans la fourmilière, et cela secoue jusqu’à plusieurs membres ODS du gouvernement, y compris le Premier ministre Petr Ne�as. Et la valse des ministres s’engage. Frappant tous les partis de la coalition gouvernementale, de nouveaux scandales émergent et salissent les hommes politiques et leurs collaborateurs,

faisant vaciller les partis politiques. Le feuilleton ne semble pas avoir de fin. Et le scénario est incroyablement répétitif : entre juillet et octobre 2012, neuf ministres sont forcés de démissionner. Le gouvernement vacille, tant et si bien que la démission annoncée de 10 députés du parti des Affaires publiques (V�ci ve�ejné) peut faire tomber le gouvernement. Quelques uns d’entre eux s’accrochent à leur poste, et le gouvernement de Petr Ne�as s’en sort in extremis. Au même moment, les élections régionales se profilent, un tiers des sièges du Sénat seront renouvelés à cette occasion. Sans surprise, la gauche s’impose, mais le camouflet électoral ne vient pas. Seulement 37% des Tchèques se rendent aux urnes, prouvant leur profond désintérêt de la politique. Cette indifférence générale peut très bien être la conséquence du non renouvellement de la scène politique tchèque. À l’issue du premier tour, les deux finalistes appartiennent à une classe politique de la vieille génération (68 ans pour Zeman, 75 pour Schwarzenberg) et ne constituent ni l’un ni l’autre une solution sérieuse aux yeux des électeurs, comme le constate Lukáš Macek (politologue tchèque, directeur du campus de Sciences Po à Dijon).

C’est dans ce contexte qu’intervient la réforme constitutionnelle pour l’élection du Président tchèque au suffrage universel direct. Ironiquement, c’est le président Václav Klaus, en fin de second mandat, qui s’oppose en premier à ce projet de réforme. En cause, l’identité du système constitutionnel tchèque, où le rôle du Président n’est que secondaire par rapport à celui du Premier ministre. Ce statut bâtard concentre les critiques : la légitimité extraordinaire dont bénéficierait le Président ne se traduirait pas par une réévaluation de son importance au niveau institutionnel. Jusqu’ici, le Président tchèque doit surtout compter sur son charisme et son réseau pour peser plus ou moins lourdement sur la vie politique. Ça a été le cas à l’automne 2009, lorsque Klaus s’est payé le culot de ne pas signer le Traité de Lisbonne, s’attirant les

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foudres de ses homologues européens. Dernière fantaisie en date, le président Klaus se saisit de la traditionnelle amnistie du 31 décembre pour vider les prisons tchèques. Il annonce à cette occasion la libération de 7 000 détenus, profitant surtout à ceux condamnés à des peines légères mais aussi aux prisonniers de longue date, y compris ceux ayant écopé d’une peine allant jusqu’à 10 ans d’incarcération. C’est la plus grande amnistie depuis celle de Václav Havel en 1990 (20 000 prisonniers libérés, et de nombreuses critiques essuyées). Václav Klaus prouve une fois encore que la personnalité du Président lui permet de faire parler de lui, mais donne aussi un argument aux partisans de l’immobilisme institutionnel en parallèle à l’introduction du suffrage universel. La décision de Klaus est d’autant plus absurde que la loi qui consacre l’élection présidentielle au suffrage universel direct dépouille aussi le Président de la prérogative de la grâce présidentielle. Marqués par l’étrangeté des décisions de leur Président, les Tchèques peuvent hésiter à donner à son successeur les clés du régime. La loi, entrée en vigueur le 1er octobre 2012, exige que chaque candidat soit soutenu par au moins 20 députés et 10 sénateurs, et qu’il recueille la signature de 50 000 citoyens pour pouvoir inscrire son nom sur la liste des candidats.

Le premier round d’observation

En dépit donc d’une réforme en demi-teinte, la présidentielle était une occasion de raviver l’intérêt des citoyens pour la politique, mais aussi de porter sur la place publique les sujets de fond. Avec une participation proche de 60% aux deux tours, les Tchèques retrouvent en effet le chemin des urnes. La sortie au grand public de certaines personnalités politiques, l’incarnation de la scène politique nationale et le rythme médiatique emballé de la campagne ont globalement réussi à la démocratie tchèque. A ce titre, il faut concéder à Vladimir Franz le prix de la candidature la plus fantaisiste. Ce compositeur sans parti, tatoué sur tout le corps,

a permis d’attirer le regard des journalistes du monde entier sur cette élection qui souffrait jusqu’alors d’une couverture minimaliste en dehors des frontières du plus central des Etats européens. Toujours bien placé dans les sondages d’opinion, celui que les médias surnommaient « Avatar » entendait surprendre les observateur qui s’attendaient à tout de la part des électeurs du pays de Kafka, et ce malgré l’éviction de l’autre candidat sensationnel, le sénateur Japonais naturalisé tchèque Tomio Okamura, sanctionné pour n’avoir pas cumulé 50 000 signatures valides. Pour autant, à mesure que le calendrier les rapprochait du premier tour, les Tchèques ne se sont pas laissé prendre à la fantaisie Franz, et « Avatar » a échoué au premier tour. Au contraire, les deux candidats choisis au premier tour – Miloš Zeman et Karel Schwarzenberg – sont réputés « sérieux ». Le scénario ne manque néanmoins pas de piment, puisqu’un des grands favoris, l’ex-premier ministre et technocrate Jan Fisher, échoue au pied du mur. Le vent souffle dans les voiles du ministre des affaires étrangères Karel Schwarzenberg, vétéran de 75 ans qui séduit les jeunes et s’attire le soutien de nombreux artistes, grâce à son nouveau parti TOP 09 (Tradice Odpov�dnost Prosperita – tradition, respon-sabilité, prospérité). Il finit au coude à coude avec Zeman à l’issue du premier tour (23,40% contre 24,22% pour Zeman).

Les déboires de la campagne au second tour

Dès lors, la machine est lancée : Zeman profite de sa position pour casser l’élan de son dauphin. Dès lors, celui qui cumule neuf prénoms (Karl Johannes Nepomuk Josef Norbert Friedrich Antonius Wratislaw Mena zu Schwarzenberg) et qui se fait appeler « Son Altesse Sérénissime le prince Karl VII zu Schwarzenberg » va devoir défendre sa légitimité à occuper le poste de Président d’un pays dont il n’est pas originaire – il est né à Prague, mais descend de la noblesse autrichienne -, pays qu’il a quitté avec ses parents lors de l’arrivée des communistes au

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pouvoir, et dont il parle la langue avec un très fort accent. Zeman sort de sa manche tous les tours en réserve pour montrer qu’il est le candidat qui colle le mieux à l’identité tchèque. Et très vite, la dernière semaine de campagne sera l’occasion pour Zeman d’atteindre une sorte de « point Godwin » à la tchèque. La veille du débat télévisé des deux candidats, le Prince aurait critiqué les décrets Beneš comme étant contraires aux droits de l’homme, ce que Zeman ressert le lendemain. Schwarzenberg maintient sa version : d’après lui, les décrets sont contestables selon les critères d’aujourd’hui. En 1946, Edvard Beneš, qui avait tenu le poste de Président de la Tchécoslovaquie de 1935 à 1948 (en exil à Londres et à la tête d’un gouvernement provisoire de 1938 à 1945) publie une série de décrets expropriant les habitants allemands des Sudètes, les incitant par là à quitter les frontières de la Tchécoslovaquie libérée de l’emprise du Reich. Coup double pour Zeman donc, bien aidé par le Président sortant Klaus pour l’occasion, qui se fait le chantre de l’identité tchèque, tout en secouant les restes de germanophobie des Tchèques, et l’épouvantail était tout trouvé pour l’occasion.

Il s’impose finalement avec 54,8% des suffrages.

Un drapeau bleu étoilé au-dessus du château

de Prague

La presse internationale s’émeut surtout, au lendemain du premier tour d’un changement d’importance : quel que soit le Président élu, il sera pro-européen, donc en rupture avec Václav Klaus. Ce dernier a échangé foudres et coups bas avec Bruxelles et ses partenaires européens tout au long de ses mandats. L’eurosceptique avait même invité Dmitri Medvedev, alors Président russe, à plaisanter lourdement sur les difficultés de l’euro entre deux mots de soutien au parti du Président russe Russie Unie, en pleine campagne législative houleuse, dont les fraudes avaient été dénoncées par plusieurs des pays de l’UE. La rupture avec cette politique de défiance soulage presque tout le monde, à l’intérieur et en dehors des frontières tchèques. Zeman et Schwarzenberg s’entendent sur ce sujet. Tant et si bien que le thème ne permettra pas à l’un des deux candidats de faire la différence et disparaît des radars dans le débat de l’entre-

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deux tours. Mais à défaut de lendemains qui chantent, le retour à la normale des relations entre l’Union européenne et la République tchèque est déjà une belle garantie pour les partenaires européens. Pourtant, Zeman parvient à redonner un frisson d’inquiétude à ses voisins en déclenchant une vague de germanophobie en évoquant les décrets Beneš. Le quotidien autrichien Die Presse dénonce une victoire populiste quand Sme, un quotidien slovaque, l’accuse tout simplement de s’être fait élire par les nationalistes et xénophobes des Sudètes. Les méthodes utilisées par Zeman ne sont pas pour rassurer Berlin ou Vienne, mais comme le résume le quotidien danois Jyllands-Posten, « mieux vaut Zeman que Klaus ».

Au cours de son investiture et à l’occasion de son premier discours officiel, Zeman a promis de mettre de l’ordre dans les affaires tchèques vis-à-vis de Bruxelles, et notamment de signer le Mécanisme européen de stabilité. Et comme gage de sa bonne volonté, il a décidé de faire flotter un drapeau bleu étoilé au-dessus du château de Prague, aux côtés de la bannière de Bohême-Moravie.

Valentin Burgaud

Une histoire du XXe siècle partagée entre les impérialismes

Lorsque Tomáš Masaryk proclame l’indépendance de la Tchécoslovaquie en 1918 et fonde une république parlementaire, le pays se débarrasse du joug de l’empire austro-hongrois. S’ensuivent alors les années fastes de la politique tchécoslovaque. Cet âge d’or est de courte durée puisqu’Hitler poursuit ses visées pangermanistes et annexe les Sudètes en 1938, la bande occidentale de la Bohême à forte densité allemande. Puis en 1948, deux ans après l’expropriation et le renvoi des Allemands des Sudètes, les communistes prennent le pouvoir. Contrairement au reste des pays d’Europe centrale, ceux-ci s’installent en République tchèque par les urnes ! Un troisième impérialisme en moins de 50 ans verrouille alors l’horizon praguois, et celui-ci jusqu’en 1989. Lorsque les Tchèques secouent leurs clés sur les places de Prague et acclament Václav Havel, la société civile reparaît et reprend ses droits au cours de la révolution la plus pacifiste d’Europe centrale et orientale.

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Rencontre avec Dominique Moïsi

Dominique Moïsi est politologue et spécialiste de géopolitique. Conseiller spécial de l�IFRI dont il a

été l�un des fondateurs, il a longtemps été titulaire de la chaire de géopolitique européenne au Collège

d'Europe de Natolin. Il enseigne aujourd�hui au King�s College de Londres. L�occasion pour la Revue

de l�interroger sur la relation tumultueuse entre la Grande-Bretagne et l�Union européenne.

Charles Mosditchian : Dominique Moïsi bonjour, vous portez donc un intérêt tout particulier aux relations des Etats membres de l�Union entre eux. Où en est aujourd�hui la relation compliquée qu�entretient la Grande-Bretagne avec l�Union européenne ?

Dominique Moïsi : Ces relations sont aujourd�hui très mauvaises. Il y a une réelle volonté de Londres de prendre ses distances avec l�Union européenne en exerçant une forme de chantage, récemment matérialisé par le souhait exprimé par David Cameron d�un référendum en 2017 sur la présence ou non de la Grande-Bretagne dans l�Union. En brandissant la menace de la vox populi britannique, le gouvernement entend faire pression sur Bruxelles et accéder à un certain nombre de ses demandes. Néanmoins, les questions que pose David Cameron sont souvent légitimes. Elles portent sur le manque de légitimité démocratique des mécanismes européens qui peuvent avoir pour effet de mettre danger les principes même de la démocratie. Mais il y bien entendu une dimension de politique politicienne dans cette démarche : en adoptant une telle posture, le gouvernement Cameron cherche en réalité à séduire la frange la plus conservatrice et eurosceptique de son parti.

C.M. Margaret Thatcher refusait que ses ministres et les officiels anglais passent trop de temps à Bruxelles. Elle disait vouloir éviter qu�ils s�imprègnent de l�européanisme ambiant

de la ville. Quel a été le poids de l�histoire britannique et des gouvernements successifs sur ces relations difficiles ?

D.M. Il y a toujours eu une défiance de la part des Britanniques vis-à-vis de l�Union. Pour comprendre la position de David Cameron, il faut la resituer dans un contexte historique. Lorsque les Pères fondateurs de l�Europe ont pensé ce qu�elle allait être, ils n�ont pas envisagé un seul instant que la Grande-Bretagne ne fasse pas partie de ce projet. Mais, dès le début, Londres a émis d�importantes réserves sur ledit projet, avec l�idée qu�entre le continent et le grand large, la Grande-Bretagne choisirait toujours le grand large, comme aimait à le dire Churchill. La Grande-Bretagne, en tant que seul pays réellement victorieux en Europe au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale (avec la Russie), a toujours eu le sentiment qu�elle avait moins besoin de cette construction européenne que les autres pays européens. Au fond, ce sont les pays qui ont été soit clairement vaincus comme l�Allemagne, soit pas totalement vainqueurs comme la France qui vont s�engager dans la construction européenne au sortir de la guerre.

C.M Quel a été l�impact de la politique nationale britannique et de la montée du populisme eurosceptique en Grande-Bretagne incarné par United Kingdom Independence Party (UKIP) dans la crispation récente des relations avec Bruxelles ?

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Revue APE | 49 D.M. Les électeurs de ces partis D.M. Les D

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D.M. Les électeurs de ces partis eurosceptiques sont de plus en plus nombreux en effet et il faut bien voir que l�évolution de l�Union européenne semble aujourd�hui donner raison aux eurosceptiques britanniques du passé sur un point. Il y a quelques années les Anglais avaient eu un vif débat sur l�idée de rejoindre l�euro ou non. Pendant un certain temps, la réussite de la monnaie unique a semblé donner tort aux Conservateurs britanniques opposés son adoption. Depuis la crise de l�euro cependant, les Anglais se disent qu�ils ont eu raison de rester en dehors de la zone euro. Mais si la Grande-Bretagne s�estime heureuse en hors de l�euro, est-il bien raisonnable de l�imaginer en-dehors de l�Union ? Je n�en suis pas convaincu mais c�est là tout le débat.

C.M. Quel rôle les médias britanniques ont-ils joué dans ce désamour entre le Royaume-Uni et l�Union ? Existe-t-il un « Murdoch factor », comme le prétend l�universitaire Peter Ludlow, qui a contribué cristalliser l�hostilité des Britanniques vis-à-vis de l�Union européenne ?

D.M. Quand on parle des médias britannique ont peut trouver le pire, la presse dite « people », comme le meilleur, il est donc difficile de parler de la presse britannique dans son ensemble. Mais il est vrai qu�une partie des journaux, notamment détenus par Rupert Murdoch a joué un grand rôle et, du point de vue de l�Europe, un rôle négatif en maniant le euro-bashing, le French-bashing et le Brussels-bashing à outrance. Mais le fond de la polémique est identitaire. En réalité, la spécificité britannique est le produit de l�histoire et de la géographie. Sur le plan historique, il faut souligner le fait que l�Angleterre est le grand vainqueur européen de la Deuxième Guerre mondiale. Ensuite, il faut bien voir que l�insularité de la Grande-Bretagne implique un rapport à l�Europe fondamentalement différent de celui que l�on peut trouver sur le continent.

C.M. Dans votre ouvrage, La Géopolitique de l�émotion, vous soutenez que le sentiment de

peur et le manque de confiance en soi du vieux continent façonne largement les relations entre les Etats européens et les grands pôles émergents. Cette idée s�applique-t-elle aux relations entre la Grande-Bretagne et l�UE ?

D.M. J�enseigne depuis cette année au King�s College de Londres, je suis donc amené à me rendre souvent en Angleterre. Je suis frappé par le fait que, sur un plan objectif, les conditions de l�économie britannique ne sont pas meilleures que celles de l�économie française. Beaucoup vivent dans une très grande misère, les revenus sont extrêmement faibles, la protection sociale n�est pas aussi forte qu�elle peut l�être en France. Pourtant, l�état d�esprit, le mood comme le désignent les Anglais, est très différent de part et d�autre de la Manche. Londres est la ville la plus multiculturelle qui existe et l�énergie extrême qui s�en dégage contraste avec la morosité grincheuse d�une capitale comme Paris. Il y a plusieurs raisons à cela.

La première est institutionnelle et tient à la monarchie constitutionnelle britannique. La supériorité du système anglais, sur ce plan, réside dans la distinction entre le symbole du pouvoir, incarné par la reine, et la réalité du pouvoir, incarné par le Premier Ministre. Les Anglais apprécient leur famille royale, et semblent même en être fiers depuis quelques temps. Dans le cas français, le Président de la République est tout à la fois le symbole et la réalité du pouvoir. Lorsqu�il ne donne pas satisfaction c�est donc la République qui s�en trouve affaiblie dans son essence.

Si ce premier point est frappant, il faut ensuite rappeler que la Grande Bretagne a une forme de confiance en elle � que certains trouveraient excessive � liée à son histoire. Au fond, le pays n�a jamais été envahi avec succès depuis Guillaume le Conquérant, ce qui lui donne un sentiment de supériorité et de puissance. Ici encore la comparaison avec la France est criante. Il faut se souvenir que Paris a tout de même été occupé à trois reprises en deux siècles.

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Ces deux réalités historiques complètement différentes instituent donc une différence psychologique très nette des deux côtés de la Manche, faisant ainsi de l�Angleterre une nation beaucoup plus confiante et par là même beaucoup moins européenne. En effet, la légitimité de la construction européenne est une légitimité additionnelle qui a souvent eu une valeur compensatoire. On peut citer l�exemple des Italiens qui étaient les plus légitimistes en matière européenne parce qu�ils étaient les plus critiques de leur propre système domestique, sachant bien que la Nation italienne avait échoué dans la création d�un Etat italien. Le cas de allemand est différent : profondément traumatisées par la face obscure de son histoire, la RFA puis l�Allemagne ont eu pour réaction de s�abriter derrière l�Europe. Enfin, la France a vu dans le projet européen la poursuite de ses ambitions nationales à travers d�autres moyens. Contrairement à ces trois Etats, la Grande-Bretagne, a pensé qu�elle pourrait y arriver seule, ce qui est une grave illusion puisque cette posture relève de l�émotion nationale britannique et non de la réalité.

C.M. Y a-t-il pour vous une rupture entre Londres et le reste du Royaume-Uni ? Si oui en quoi joue-t-elle dans la perception du Royaume-Uni vis-à-vis de l�Europe.

D.M. Les Britanniques, conscients de la réussite exceptionnelle de Londres, se disent qu�ils n�ont pas besoin de l�Europe. Mais la fracture entre la capitale britannique et le reste du pays est édifiante. Il suffit de quitter Londres pour voir qu�il y a un divorce aujourd�hui plus grand entre ces deux mondes en Angleterre qu�en France dans le passé. Le pays compte certes des villes dynamiques comme Manchester ou Birmingham ainsi que de plus petites villes culturellement éveillées telle que Bristol mais entre la ville-monde qu�est Londres et la réalité du reste du territoire, le fossé est plus large encore qu�il l�est aujourd�hui entre Paris, Lyon et Marseille. On parlait hier de Paris et du désert

français, il faut bien voir que l�expression s�applique davantage à la Grande-Bretagne aujourd�hui qu�à la France ; non pas parce que le reste de la Grande-Bretagne s�est endormi mais parce que Londres s�est transformée. Elle est devenue la capitale de la mondialisation, la capitale des super riches. Qu�ils soient Russes, d�Asie centrale, de Chine, ou du Moyen-Orient, de nouveaux tycoons ont fait de Londres leur lieu de villégiature privilégié et leur assurance-vie en achetant des propriétés gigantesques à des prix exorbitants. Mais il ne faut pas s�y méprendre, cette île de « super riches » qu�est devenue Londres n�est pas aujourd�hui révélatrice de ce qu�est réellement la Grande-Bretagne. Cela signifie donc que l�Angleterre ne peut pas sans l�Europe. Par ailleurs, l�alliance d�hier entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne semble avoir perdu en pertinence puisque le grand frère américain s�éloigne globalement de l�Europe pour s�imposer comme un pivot de la zone Pacifique face au monde asiatique émergent. Quand ils regardent vers l�Europe, les Etats-Unis regardent d�abord vers Berlin puis vers l�Union européenne. L�accord de commerce transatlantique récemment passé entre l�UE et les Etats-Unis témoigne parfaitement du rôle déclinant du Royaume-Uni dans la relation privilégiée qu�il entretenait avec les Américains. La Grande Bretagne, contrairement à ce qu�elle pense ne fait pas le poids sans l�Europe, elle ne sera pas prise au sérieux sans l�UE.

C.M. Pour quelles raisons l�Europe n�a-t-elle pas intérêt à voir la Grande-Bretagne quitter l�Union ?

D.M. L�Union européenne a besoin de la Grande-Bretagne. Elle a besoin de son passé démocratique puisque la Grande-Bretagne est, au fond, la mère des démocraties. Si elle peut elle aussi être la scène de scandales politiques, il faut bien voir qu�il y a en Angleterre une vraie culture de l�Etat de droit. Le Parlement anglais est le c�ur de l�histoire démocratique du pays et l�Europe a besoin de ce passé

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chargé d�histoire autant qu�elle a besoin du présent britannique empreint du multiculturalisme le plus approfondi qui puisse exister. Ces éléments font de la Grande-Bretagne un pont entre le passé et le futur. Enfin, L�Europe ne peut pas envisager d�identité européenne de défense sans la Grande-Bretagne.

C.M. Le sujet de la défense m�amène justement à vous interroger sur les domaines dans lesquels le Royaume-Uni peut être un élément moteur au sein de l�Union aujourd�hui ?

D.M. La Grande-Bretagne est le seul pays, avec le nôtre, qui se considère encore comme un acteur sur le plan stratégique. Or, si l�Europe prétend encore demain être un modèle dans le monde, elle doit être perçue comme l�un de ces acteurs. Pour y parvenir elle a impérativement besoin de s�étoffer sur les sujets de sécurité et de défense. A cet égard, les Anglais sont des partenaires essentiels. La Grande-Bretagne a aussi un rôle prépondérant à jouer sur les questions d�ordre culturel ainsi qu�en matière d�éducation. Ce n�est pas un accident si, après les universités américaines, les établissements supérieurs britanniques sont les meilleurs au monde. L�importance de la langue est lui aussi centrale. Il est en effet fondamental d�avoir un grand pays de langue anglaise au c�ur de l�Union européenne car, sans l�anglais, l�Europe risque de se marginaliser davantage ; bien que de tels propos soient difficiles à entendre par les tenants d�une vision européenne gaulliste plus traditionnelle.

C.M. En février dernier vous écriviez que « la Grande-Bretagne est un partenaire exigeant, entêté, soupçonneux, bref insupportable sur les questions de principe. C�est précisément pour cela que l�Union a besoin d�elle ». N�est-ce pas un peu paradoxal ?

D.M. Au fond, c�est l�idée que les élites britanniques sont à certains égards encore plus arrogantes que les élites françaises. Si le système des élites en France est basé sur la méritocratie et l�idée que leur ascendance résulte de ce qu�elles ont fait, il y a parfois dans la tradition britannique l�idée que les élites sont prééminentes compte tenu de ce qu�elle sont. Par ailleurs, il y a une excellente tradition britannique en matière de diplomatie et en matière d�intelligence (renseignement). Malgré les excellentes relations entre militaires lors des opérations communes dans les Balkans, en Libye, ces deux éléments culturels font des Anglais des partenaires exigeants et difficiles. C�est précisément pour cela que L�Union européenne a besoin de la Grande-Bretagne. En effet, l�Europe est aujourd�hui profondément menacée par la montée des populismes. Les récentes affaires qui ont secoué la vie politique française en constituent l�avertissement le plus tragique. Du fait de son histoire démocratique, la présence de la Grande-Bretagne dans l�Union européenne a quelque chose de rassurant à cet égard. L�Allemagne est, en raison de son passé douloureux, plus vaccinée que d�autres face à la montée des populismes destructifs. Je crois que les deux expériences différentes de l�Allemagne et de la Grande-Bretagne, l�une fruit des échecs et l�autre conséquence de la réussite, sont aujourd�hui indispensables à l�UE.

C.M. Le Royaume-Uni est en situation d�opt-out dans l�Union européenne sur de nombreux sujets. Ces dérogations qui lui sont accordées constituent-elles la bonne approche ?

D.M. Je suis tenté de vous répondre aujourd�hui : beggars can�t be choosers (Faute de grives on mange des merles NDLR). Cette politique d�opt-out n�est pas la bonne. Elle a favorisé tous les égoïsmes et a encouragé la Grande-Bretagne à adopter une attitude de « pick and choose » où elle entre en négociations uniquement lorsqu�elle souhaite accéder à des demandes spécifiques. Cette

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attitude va à l�encontre de l�essence-même du projet européen. Malheureusement, ce n�est pas au moment où l�Europe est la plus faible qu�elle peut remettre en question cette approche.

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������������������ � « Habemus papam » ! Voici ce que des milliers d�ouvriers travaillant dans le secteur industriel ont dû

crier lorsque François Hollande a nommé Arnaud Montebourg comme ministre du redressement

productif, avant bien sûr d�entonner gaiement l�Internationale. Après quarante ans de déclin, la

France a t-elle enfin trouvé la voie d�une politique industrielle, ou n�est-ce que la voix politique de

l�industrie qui s�éclaircit après avoir été aphone pendant si longtemps ?

Depuis mai 2012, le nouveau « pape » du redressement productif, au gouvernement, court de sites industriels en sites industriels avec l�espoir, certes un peu fou, de convaincre les industriels de rester dans notre pays� malgré une fiscalité peu attractive, un positionnement milieu de gamme peu porteur, des difficultés à embaucher et à licencier, des pays au sein de l�espace Schengen beaucoup plus attractifs, au moins sur le plan de la compétitivité-coût, et quelques accrochages virils avec des patrons récalcitrants. Et puis, avouons-le, la perspective de voir notre beau pays envahi par des fumées noirâtres, aussi synonymes de renouveau industriel soient-elles, n�est pas réjouissante, particulièrement dans un contexte de responsabilisation écologique.

Alors comment concilier ces impératifs ? Comment rénover sans détruire ? Comment industrialiser sans (trop) polluer ? Tels sont les défis lancés à la politique industrielle actuelle. Le constat dramatique de la désindustrialisation, fruit de choix politiques passés, appelle les décideurs politiques à une action volontariste en faveur de ce secteur. La comparaison avec l�Allemagne, pays voisin et pourtant si loin et si envié, permet de mieux comprendre les facteurs économiques de la réussite industrielle. Fort de ces éléments, des économistes parmi les plus renommés appellent la France à adopter une véritable politique industrielle qui ne peut se concevoir en dehors du cadre européen.

La désindustrialisation de la France est un phénomène ancien qui a de multiples causes

Sur un sujet aussi complexe, comprendre les causes du phénomène c�est déjà réindustrialiser ! Henri Lamotte (ah ce bon vieil Henri que tous les énarques-wannabe connaissent bien) distingue quatre causes à la désindustrialisation.

Une externalisation croissante de la consommation de service : en clair, ce qui était auparavant assumé par les entreprises industrielles elles-mêmes est désormais le plus souvent externalisé. Il en résulte une forte augmentation de la consommation de services par l�industrie. Selon la Direction générale du Trésor, ce phénomène serait à l�origine du quart des suppressions d�emploi dans le secteur industriel entre 1980 et 2007. Pourtant, c�est un facteur irréversible puisque la structure des entreprises en est modifiée. La politique industrielle ne justifie pas d�aller à contre-courant des évolutions économiques spontanées.

Des gains de productivité plus forts : en clair, nos ouvriers et industriels sont sacrément efficaces ! Par conséquent, le prix des biens manufacturés diminue relativement aux autres biens. La politique industrielle doit-t-elle passer par un retour au marteau là où des machines suffisent ? Doit-on forcer nos usines à fonctionner moins vite, moins bien ? Evidemment, il n�en est pas question. Ce facteur n�est donc pas modifiable non plus.

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Une évolution de la structure de la demande des ménages au profit des services : en clair, plus les ménages ont de l�argent, moins ils le dépensent en biens industriels. C�est ce mécanisme qui provoque une forte hausse des services au détriment du secteur secondaire. Puisqu�appauvrir l�ensemble de la population sous prétexte de lui redonner une industrie ne paraît pas vraiment être une bonne solution, ce mouvement n�est pas réversible. La politique industrielle, si tant est qu�elle existe, ne doit donc pas se trouver là non plus.

Une spécialisation internationale plus importante et des pertes de parts de marché : en clair, l�ouverture de l�économie française la conduit à se spécialiser dans des secteurs où elle a un avantage comparatif. Autant dire que ce n�est pas nécessairement l�industrie qui bénéficie de ce mécanisme. Et puis, voilà enfin l�argument que tout le monde attend : la France n�est pas attractive (aux dires de certains du moins) ! C�est le seul facteur qui mérite le débat : faut-il protéger nos industries de la concurrence internationale ? La question de la politique industrielle croise rapidement, on le voit, celle du protectionnisme, qu�il soit défensif ou offensif.

Nous reviendrons sur cette question, mais pour le moment, en attendant d�avoir la réponse (que nous n�aurons naturellement pas) à ce bel enjeu qui provoque un élan patriotique sans précédent, tous partis confondus, l�industrie française est régulièrement comparée à celle de l�Allemagne. A croire que nous avons là un véritable complexe d�infériorité. Alors examinons cela.

Petite psychanalyse de la relation France-

Allemagne

Freud, paix à son âme, aurait certainement trouvé les raisons de ce complexe d�infériorité évident dans la relation au père, en l�occurrence les pères de nos nations. 1er septembre 1870, que de traces laissées par la défaite de Sedan ! La politique industrielle, c�est un peu la revanche de Napoléon III sur Bismarck, sauf que cette revanche peine à venir. Aujourd�hui, ce sombre passé est derrière nous. Nous sommes embarqués dans la même galère et luttons au quotidien pour sauver ce qu�il en reste.

Régulièrement, l�Allemagne est présentée comme le modèle industriel à suivre, alors que

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la France et le Royaume-Uni passent pour les mauvais élèves de l�Europe en la matière.

D�abord, le Mittelstand, ce dont nous rêvons jour et nuit en France. Ce qui hante le quotidien des énarques de cabinet. Le tissu des PME ! Tout le monde, en France, milite pour le développer. Pourtant, jusqu�ici, c�est un échec cuisant. Les PME allemandes se portent à merveille, les carnets de commande sont pleins, c�est une véritable orgie à la gloire de ces entreprises, allant de 1 à 500 salariés. Selon les chiffres de la Banque régionale de Sarre, quand la France compte une PME, l�Allemagne en compte deux. La messe est dite, circulez ! C�est douloureux, mais comme dans toute bonne psychanalyse, la vérité est souvent assez douloureuse. Du Prozac pour Marianne ?

Attendez, il y a pire ! L�industrie automobile. Rien que d�écrire ces mots, j�ai des sanglots au bout des doigts. Pour faire vite, l�industrie automobile allemande se caractérise par un poids plus important, une spécialisation plus intense et des performances supérieures à celles enregistrées dans ce secteur en France. Au total, l�Allemagne produisait en 2007 5,7 millions de véhicules, contre 2,5 millions en France. La récente crise financière et économique a encore accentué ce décalage : tandis que la production allemande dépasse celle de l�avant-crise, l�industrie automobile française s�essouffle. La modération salariale en vigueur en Allemagne est souvent citée pour expliquer ce phénomène. Alors devrons-nous choisir entre la précarité et le chômage ?

En réalité, les vraies raisons de la supériorité allemande sont ailleurs. Elles tiennent vraisemblablement, pour l�essentiel, à des choix stratégiques différents, à des positionnements de gamme différents, ainsi qu�à une compétitivité hors coût remarquable. En outre, selon un rapport du Conseil d�analyse économique, c�est « le recours massif par les industriels allemands à l�externalisation de segments de production à forte intensité de main d��uvre dans des pays à

bas coûts salariaux » qui est la source principale de la surperformance des entreprises allemandes par rapport à leurs concurrentes françaises.

Enfin, le comportement des constructeurs automobiles à l�égard des sous-traitants n�est pas vraiment un modèle de moralité� Pour s�en persuader, il suffit de considérer l�attitude de Volkswagen à l�égard du sous-traitant Seine-et-marnais Prevent Glass (un total abus de position dominante, voire un abus de faiblesse, si l�on considère les prix de vente qui lui sont imposés).

Courage, fuyons donc en Pologne ou ailleurs ! Ce pays où il fait bon produire� Serait-ce là l�horizon de notre politique industrielle ?

Un seul mot d�ordre : protégez-vous, sortez-

couvert !

Nous y voilà, enfin. Le protectionnisme ! Ce seul mot fait frémir d�émotion tous les nostalgiques d�un Etat fort et hurler d�indignation les libéraux de notre pays. À noter en passant que ce clivage n�existe que chez nous, dans la vieille Europe - les Etats-Unis ont une politique protectionniste depuis longtemps, notamment dans le secteur automobile, et la Chine protège aussi ses entreprises, c�est bien connu. Comme le disait si justement Renaud, « On choisit ses copains, on choisit pas sa famille »� Européens nous sommes, européens nous resterons. Mais cela n�empêche pas de devenir protectionnistes pour autant.

La politique industrielle peut d�abord prendre une forme horizontale : corriger les imperfections du marché. Par exemple, on sait que les entreprises sont plutôt réticentes à investir en recherche et développement. La France, à l�instar d�un grand nombre de pays, a donc développé le crédit impôt recherche qui a pour objet de réduire les coûts d�un investissement dans ce secteur. Aujourd�hui, l�OCDE considère qu�en France, nous avons

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l�environnement pour la recherche le plus favorable au monde. Ce dispositif est donc une véritable réussite. La politique industrielle horizontale prend le dessus sur une politique dirigiste. Ce nouveau paradigme est consacré au niveau de l�Union européenne par le contrôle des aides d�Etat par la Commission, qui empêche toute politique sectorielle menée par un Etat dirigiste.

La politique industrielle peut toutefois aussi être verticale avec par exemple l�aide aux entreprises en difficulté, l�aide aux grands projets industriels, le soutien aux champions nationaux et/ou européens. C�est la logique qui a présidé à la création du Fonds stratégique d�investissement en 2008 ou de la Banque publique d�investissement actuelle. Trois justifications économiques viennent au soutien de cette politique : pallier les défaillances des marchés financiers (horizon temporel trop court, aversion au risque trop élevée), maintenir le capital humain, physique, et technologique sur le territoire (éviter donc le « courage, fuyons en Pologne »), limiter les effets externes négatifs engendrés par le chômage sur un bassin d�emploi (éviter qu�une entreprise clé d�un secteur géographique ne fasse faillite).

Ces politiques sont efficaces mais elles devront naturellement à l�avenir être menées au niveau européen, à l�image du secteur de l�aéronautique. Airbus est le grand champion européen et la preuve vivante que la politique industrielle a un avenir ! En outre, elles doivent être strictement encadrées puisqu�elles souffrent de limites importantes. Ainsi, le caractère optimal de ces politiques suppose la capacité de l�Etat stratège à choisir avec discernement le bon secteur considéré comme stratégique pour l�avenir, et au sein de ces secteurs, le bon champion ! Enfin, et tout naturellement, il faut que les bénéfices de cette politique l�emportent largement sur le coût lié à son financement.

En conclusion, on le voit, s�il est de bon ton de crier « Vive l�industrie ! », mettre en �uvre une véritable politique industrielle doit aller au-delà des slogans. Le protectionnisme est un mot. La chose elle, si elle est possible et tout à fait souhaitable, est plus complexe. La vraie issue, la seule issue, celle du protectionnisme européen, Arnaud Montebourg, tout pape qu�il est, ne pourra l�adopter tout seul.

François Fournier

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The Fukushima Daiichi plant nuclear accident on March 11, 2011 portrayed one of the most vivid images caused by a natural disaster. The local nuclear incident of Fukushima caused by the Tsunami alerted the entire international community about the global risk of nuclear energy, and the potential threats that the nuclear energy bears against international security. In a way, the Fukushima incident stimulated international discussions about the future of nuclear power, with the question on the role of international law to ensure nuclear energy to be a safe and reliable source of energy in the 21th century.

There are several international legal regimes set forth for the peaceful use of nuclear technology. The Non-Proliferation Treaty (NPT) signed in 1968, for instance, provides the legal framework for an interpretation of the international community�s attitude towards the use of nuclear power, where the NPT agrees on « the right to peacefully use nuclear technology. » However, the withdrawal of North Korea in 2003 from the NPT in pursuit of its nuclear weapons program raised polemics across the international community about the safety of nuclear power due to its dual-use capability, potentially both civilian and military. Indeed, until its withdrawal, North Korea has played against the international community that it was developing its nuclear program for peaceful use, notably for its energy sustainability, where the United Nations Security Council (UNSC) continuously imposed sanctions. In this perspective, the recent notion of « green economy » is raised as an attractive alternative to nuclear power where a greener economy implies a radical growth in renewable energy. Furthermore, a greener economy is expected to address to the problem of greenhouse gas (GHG) emissions, and to strike the problem of climate change which was at the core of the

Fukushima accident. The frequent climate-change related natural disasters such as the tsunami and earthquake are currently hotly debated topics in international law in the forms of climate refugees, estimated at 50 million by 2010. With regards to this, the notion of green economy is expected to be implemented with the support of not only existing international organisations such as the United Nations Environment Programme (UNEP) founded in 1972, and the United Nation Framework Convention on Climate Change (UNFCCC) founded in 1992 but also of new organisations such as the Green Climate Fund (GCF) in 2010. Accordingly, the notion of green economy will be dealt in detail in the first part of the article whereas the role of the new organisations such as the GCF will be explored in the second part.

Green economy as opposed to the Brown

economy

In international law perspective, the notion of green economy can be considered as a normative assertion of the UNEP same way as the notion of « Free trade » can be perceived as a normative assertion of the World Trade Organisation (WTO, 1994). As free trade is

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seen as a normative approach to international trade and international economics where anti-globalists have in many occasions protested the norm of free trade notably in Seattle against the WTO meeting in 1999, green economy can also be interpreted as a normative approach to sustainable development and the future of our planet. In fact, green economy is regarded as a principle of the sustainable development of the United Nations (UN), where the UNEP Green Economy report, Towards a Green Economy:

Pathways to Sustainable Development and

Poverty Eradication, 2011, portrays each and every components of green economy. By definition, green economy consists of �low-carbon, resource-efficient and socially inclusive green future� following the statement of UNEP�s 2011 report. Indeed, by saying so, green economy is presented as the antithesis to the brown economy, where the economy is centered around the use of fossil fuels that contains high carbon emission in the expense of the ecosystem (the cost being deforestation or desertification for instance). However, green economy does not content itself with simply

opposing to the brown economy. Verily, it proclaims that it is a whole new economic model where it purports a new vision of sustainable development via rational resource allocation, and social inclusion in promoting an industry and an economy based on greener technologies. It calls for a transition towards a greener use of resources that requires specific favourable conditions in regulations, policies, subsidies, and a handful of domestic measures whereas in international measures, it calls for a legal framework for its implementation.

However, one may raise a skeptical question against green economy: how to justify all these? What are the evidences? The UNEP Green economy report unravels several myths around green economy to gain support for it. First, it disentangles the myth in thinking that there is an inescapable trade-off between environmental sustainability and economic progress. Substantial evidence now indicates that green economy should be considered as a motor for growth, not as a barrier to growth and job creation. Second, it demonstrates that a

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green economy is not a luxury only wealthy countries can afford. Contrary to this, with the technological transfer in green technology from the developed world, green economy may as well be an integrative drive for economic convergence between the developing and the developed world. This normative notion of green economy is still in its developing stage, and further institutional and financial supports are required to put this notion into practice like how the Millennium Development Goals (MDG) received institutional and financial supports from the World Bank, the International Monetary Fund (IMF), and the African Development Bank to cancel some $40 to $55 billion in debt in 2005. With regards to this, the institutional and financial support of the international community towards the development of green economy is a nascent concept, and calls for a new form of international environmental organisations.

New form of international environmental

organisations

New forms of international environmental organisations have emerged to strike the ever-accelerating process of climate change, and to implement green economy as a new motor to bring growth in the world economy which was critically hampered by the 2008 financial crisis. In this regard, the Cancun COP initiated the Green Climate Fund (GCF) within the framework of the UNFCCC as a mechanism to transfer money from the developed to the developing world, as a sort of a « Marshall plan » or a « New deal » of environment. The origin of the GCF can be traced back to the Copenhagen Accord, where during the 15th

Conference Of the parties (COP-15) in 2009, the parties mentioned the edification of the « Copenhagen Green Climate Fund. » The ambition of the GCF was that it would work as an acting body for the development of green economy in the developing world with the financial contribution from the developed world. According to the recent transitional committee report, it is reported that « The

Green Climate Fund will support projects, programmes, policies and other activities in developing country Parties using thematic funding windows. » More specifically, it has an objective to secure financial resources equivalent to $100 billion a year by 2020, whereas at the current stage, a Fast Start Funding of the GCF, by the offers of the Republic of Korea, Germany and Denmark, was agreed, encompassing $30 billion for the period of 2010-2012. In the latest development parties at COP 18 in Doha endorsed the consensus decision of the GCF Board to select Songdo, Incheon, Republic of Korea as the host of the GCF.

In its organic form, the backbone of the GCF is its Board which is composed of 12 representatives. The equal composition of developing and developed countries demonstrates the GCF�s intention of an enhanced representation of the Global South in the debates on green economy. Furthermore, representation from developing country Parties will include representatives of relevant United Nations regional groupings and representatives from small island developing states (SIDS) and least developed countries (LDCs). It is undeniable that voices of SIDS and LDCs will be better heard in a smaller forum of 24 members than in universal settings. Furthermore, the decisions of the Board are to be taken by consensus, which would reinforce the cooperative mechanism between the Global South and the Global North. However, despite the equal representation of North-South Fund governance, the GCF has to address the problem of the balance of power between developed and developing states, where developed states have potential room for maneuver to exercise pressures according to its geopolitical ends. Furthermore, the GCF has to secure significant donor resources, while potential donor governments should be focusing on accountability for expenditures and the Fund�s capacity to generate private resources.

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On the issue of observers participation, members agreed that decision-making should remain with states although the observers will be invited to participate as active ones: two civil society representatives, one from each developing and developed countries, and two private sector representatives, one each from developing and developed countries. Despite the highly expected role from the private sector as representatives in the Board as well, it is clear that the GCF wishes its decision making mechanism to be strictly intergovernmental, thus limiting the exterior influences from private or civil society representatives. Yet, the strict dissociation between state and civil societyactors at the GCF Board level should be compensated in national coordinating bodies. The dynamics and the drive should be created from governments including civil society and other stakeholders in national coordinating bodies that will shape applications for funding and supervise the distribution of Fund resources at country and project level, ensuring a broad sense of ownership and promoting a focus on the most vulnerable populations. Ideally, the GCF should build on the lessons of new form of international environmental organisation by adopting a multi-stakeholder governance structure, including civil society and other private stakeholders as full partners in achieving the Fund�s objectives.

The notion of green economy is on its way to develop as a normative approach to sustainable growth to counter the climate change, and its quest has just begun. Considering it took about 50 years for the General Agreement on Tariffs and Trade (GATT, 1947) with its notion of « free trade » to develop as the WTO in 1994 with the Marrakech Agreement, one can estimate that the notion of green economy too should wait its time to be fully edified in international law within a legal framework. However, taking into consideration the UNEP�s 2011 report on « Green Economy »

which contains alerts vis-à-vis climate change, the international community is expected to act more hastily than the time it took for the GATT to establish the WTO. With the advent of the GCF and the its financing commitment, one may even expect the establishment of a « World Environment Organisation ». The former is not entirely militant given that the GCF offers great potentials to develop green economy: with a projected financial ambition at $100 billion per annum by 2020, it surpasses the World Bank Group�s commitment in loans, grants, equity investments and guarantees to the developing countries (totaled at $52,6 billion in fiscal 2012). The 2011 UNEP report openly spells out that the GCF is the motor for sustainable and inclusive growth in the future, striking the adverse effects of climate change. Moreover, considering the equal representation between the develop and developing countries in its institutional design at the Board, the success of GCF could be an indicator of new international environmental organisations in the 21th century with equal representation between the global North and South. In this way, the $30 billion Fast Start Funding of the GCF in 2010-2012 in the midst of harsh global financial crisis already suggest promising dynamics from the global North. However, it is perhaps too early to be over-optimistic about the GCF since it is undeniable that its full-fledged finance mechanism is future-oriented with its goal set at $100 billion by 2020, while the international community cannot guarantee the future financial contributions of the global North and from the private-public partnership. Yet, considering that the GCF has just lifted its first foot with the designation of Songdo, Incheon, Republic of Korea as the host of the GCF, we should watch its development with patience.

Seung Pyo Hong

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L�Europe est un continent morcelé, dont les innombrables affrontements ont connu leur apogée au

siècle passé, alors que la Première Guerre mondiale entrainait 20 millions de morts, et la Seconde

Guerre mondiale entre 40 et 50 millions de victimes, dont environ 20 millions de Soviétiques, 9

millions d�Allemands, 6 millions de Polonais et près d�1,5 millions de Yougoslaves, 600 000 Français,

455 000 Italiens, etc. Le spectre de cette désolation a plané sur la construction européenne, puisque

c�est dans le but d�empêcher toute nouvelle guerre européenne après ce conflit à l�intensité inégalée

que Jean Monnet établit la CECA. Certains, tels Jacques Delors, soulignent le choix des pères

fondateurs pour le pardon, mais ce pardon doit-il être assimilé à l�oubli des horreurs passées ?

Aujourd�hui, la paix apparaît comme une valeur fondamentale de l�Union européenne. Dès son article 3, le Traité sur l�Union européenne énonce : « L�Union a pour but de

promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être

de ses peuples ». Cependant, les beaux objectifs de paix sur le papier peuvent-ils répondre en pratique aux ressentiments qui naissent des conflits passés ? Ces affrontements, parfois millénaires, se transforment en de véritables labyrinthes où il n�y a plus de victime d�une part et de bourreau d�autre part, car la victime devient bourreau et le bourreau devient victime à tour de rôle. Aussi, les mémoires sont-elles uniquement nationales ? Underground, film réalisé par le Serbe Emir Kusturica et ayant obtenu la Palme d�or du festival de Cannes en 1995, est un cas emblématique car il suggère que les racines des guerres des années 1990 sont à trouver dans le nihilisme moral qui prévalait sous le communisme en Yougoslavie. Des guerres entre des nations désormais distinctes � Serbes, Bosniaques, Slovènes, Croates et Macédoniens � trouvent donc leur racine dans des facteurs internes. Les pistes sont d�autant plus brouillées qu�interviennent souvent des acteurs qui ne sont pas à proprement parler européens, ou sinon des acteurs européens mais extérieurs

à la zone de conflit. Pour revenir aux Balkans, mais dans les années précédant la Première Guerre mondiale, au temps où cette zone était communément qualifiée de « poudrière », il semble évident que s�affrontaient avant tout des Russes, des Français et des Anglais d�une part, contre des Allemands, des Austro-Hongrois et des Turcs d�autre part. L�ouverture de l�Union européenne à l�Est accroit encore le nombre de mémoires à manier. Réapparaît l�ombre du massacre de Jedwabne perpétré en 1941 contre 1.600 Juifs, sans que l�on sache déterminer si c�est le fait des Allemands, des Polonais ou des Soviétiques. De même que le massacre d�Allemands par l�armée tchécoslovaque à Postolorprty le 6 juin 1945. Et Katyn, où environ 15.000 officiers polonais ont été massacrés par les Soviétiques sur le compte des Allemands ? Bref, les exemples de conflits ne manquent pas, et le nombre de mémoires européennes en est d�autant plus élevé. Pour saisir l�ampleur de la question des mémoires, il faut donc admettre leur pluralisme, car à chaque vécu, à chaque perception, correspond une mémoire singulière.

Le dictionnaire Larousse définit la mémoire comme « l�ensemble des faits passés qui

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restent dans le souvenir des hommes, d�un

groupe ». Dans la pratique, faire appel aux différentes mémoires revient à défier le récit officiel d�une Histoire unilatérale. La mémoire devient ainsi un instrument de tolérance du vécu de l�autre, comme le souligne André Burguière pour l�Encyclopedia Universalis : « Par un véritable retournement

épistémologique, la mémoire, dont la science

historique s'était méfiée longtemps à cause de

son instabilité, devient alors le refuge de

l'innocence et de l'authenticité, le tabernacle

d'un passé préservé des réécritures

opportunistes des historiens soumis au pouvoir

en place ». La mémoire est ainsi un objet malléable, elle ne peut se réduire à un simple rappel des faits historiques, car elle réécrit le passé de manière rétrospective et souvent avec une visée téléologique. L�enjeu d�un dialogue des mémoires nationales au sein de l�Europe devient donc de ne pas tomber dans le discours d�une marche inéluctable du progrès, d�une victoire évidente des forces du bien sur les forces du mal ; mais d�admettre que ces deux forces ont été étroitement liées tout au long de l�histoire européenne. Un exemple, simple et évocateur : le bombardement de Dresde par les Alliés, le 13 février 1945, fait 135.000 morts en quatorze heures. De cet exemple découle par ailleurs que le sentiment de culpabilité à l�égard du passé ne doit pas occulter sa complexité et ses intrications.

Comment établir un compromis entre les

mémoires parfois adverses d�Europe, qui

permettrait d�apaiser et de reconnaître les

douleurs passées sans toutefois gommer

l�histoire de l�Europe elle-même ?

Cette introduction a cherché à montrer que les mémoires nationales d�Europe forment un véritable labyrinthe où l�on s�égare dans mille dédales, et dont seul un fil d�Ariane digne de ce nom pourrait donner une issue et une cohérence. Cet article se structure en s�appuyant sur des concepts philosophiques. Afin d�éviter le piège d�une mémoire officielle qui gommerait ce qu�a véritablement été

l�Europe, c'est-à-dire un espace de déchirements à l�intensité paroxysmique, il est impératif de prendre en considération la pluralité des mémoires nationales d�Europe, et reconnaître et intégrer ces mémoires à travers plusieurs degrés de dialogues.

Les pièges d�une mémoire qui gommerait ce

qu�a été l�Europe

Ces pièges sont éminemment dangereux, car en ne se souvenant plus des erreurs passées, les Européens risquent de les reproduire. De même, oublier ces erreurs, c�est oublier le fondement du système de valeurs sur lequel repose désormais l�Union européenne. Valérie Rosoux distingue ainsi trois dérives récurrentes du dialogue des mémoires européennes : l�aseptisation, l�homogénéisation et la fixation d�un passé pourtant complexe et mouvant.

L�élaboration d�une mémoire européenne unique comporte comme risque de stériliser des récits nationaux qui s�excluraient entre eux. Par un courrier du 7 mai 1975, le président Valéry Giscard d�Estaing proposait aux membres du Conseil européen de ne plus commémorer l�armistice du 8 mai 1945 afin de « tourner ensemble nos pensées vers ce qui

nous rapproche et ce qui peut nous unir ». Cette décision fut bien évidemment un échec retentissant, car elle éclipsait l�expérience vécue pour se tourner vers l�avenir. Le résistant autrichien Jean Améry, torturé par la Gestapo et déporté à Auschwitz, rappelle que « le fait que cela se soit passé ne peut pas être

pris à la légère » et que « rien n�est cicatrisé,

et la plaie qui était peut-être sur le point de

guérir se rouvre et suppure ». De même, en 1998, Jacques Chirac avait rendu hommage à « l�histoire commune des nations

combattantes » alors qu�il commémorait l�anniversaire du 11 novembre. Cet hommage au « souvenir partagé » relevait pourtant d�une perception tronquée de l�Histoire, puisque les deux camps avaient mené la guerre avec des visées différentes, les uns par renoncement de soi pour leur patrie et les autres au service d�impérialismes dominateurs.

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Le deuxième piège est l�imposition d�une unique lecture de l�histoire passée, qui négligerait l�intégration d�expériences différentes. L�élaboration d�un récit consensuel gommerait les aspérités nationales, dans le but d�éviter le cloisonnement de mémoires adverses. Le danger est ici de limiter chaque fait historique à une représentation unique, qui nierait la diversité des expériences traversées. Comme le rappelle à juste titre Lionel Jospin : « Si la mémoire joue un rôle important dans la

formation des identités nationales, j�aimerais

suggérer aussi qu�elle n�est pas

nécessairement homogène. [�] C�est

certainement en reconnaissant le caractère

composite de l�identité que l�on peut éviter les

repliements identitaires frileux et crispés, voire

les nationalismes ».

L�écrivain belge Simon Leys décrit avec poésie : « Les fragments de vérité que nous

pourchassons sont comme des papillons : en

les fixant, nous les tuons ». La mise en scène d�un passé qui prendrait la forme de vérités officielles, de descriptions statufiées, politiquement correctes et dépourvues de toute épaisseur sociale est d�autant plus dangereuse qu�elle est désormais confrontée au cadre

mouvant de l�élargissement, qui vient reconfigurer et remodeler les mémoires établies par l�apport de nouvelles perceptions. En effet, la fin des dictatures communistes en Europe centrale et orientale a d�autant plus d�impact qu�elle lève la censure que ces régimes avaient imposée sur les mémoires antérieures à leur arrivée au pouvoir. De manière générale, le danger de la mémoire officielle est de devenir hégémonique, car la narration nationale officielle laisse peu de place au vécu personnel. Dès lors, la fixation des mémoires empêcherait la création d�un lien social entre les citoyens aux perceptions et subjectivités multiples. Le sociologue Maurice Halbwachs, alors qu�il introduit la notion de mémoire collective dans son livre éponyme paru de manière posthume, introduit une différentiation entre la mémoire historique et la mémoire collective, et met involontairement en cause les lectures figées du passé. Si la mémoire historique est une lecture figée du passé, car composée du récit officiel, de l�histoire apprise, la mémoire collective est vivante, car elle est composée de l�interaction des expériences vécues individuellement. Par ailleurs, cette mémoire collective contient une

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charge émotionnelle, qui contrebalance les représentations statufiées du passé.

Prendre en considération la pluralité des

mémoires

Ainsi, l�aseptisation, l�homogénéisation et la fixation du passé commun gommeraient l�histoire qui compose désormais l�Europe. A ces trois dangers répond la prise en considération du pluralisme des vécus et des perceptions, qui permettrait la mise en valeur de la complexité et de la mouvance des conflits passés. Tzvetan Todorov insiste : « Si la

construction européenne impliquait que se

constitue une mémoire identique, donc

commune à tous les peuples européens, alors

cette construction serait vouée à l�échec ». Pour reprendre la distinction établie par Jean-Jacques Rousseau entre « volonté de tous » et « volonté générale », les mémoires européennes doivent pouvoir s�intégrer dans le cadre d�une mémoire générale, permettant l�ouverture des mémoires nationales les unes aux autres, sans non plus tomber dans l�excès inverse, qui serait la course à la victimisation.

Le philosophe Jean-Jacques Rousseau différenciait la « volonté de tous », qui serait la somme de chaque volonté particulière pour atteindre l�unanimité, de la « volonté

générale », qui prendrait en compte les différences tout en n�excluant pas (« Otez des

volontés particulières les plus et les moins qui

s�entre-détruisent, reste pour somme des

différences la volonté générale »). Cette distinction, selon Tzvetan Todorov, est tout à fait applicable au dialogue des mémoires. Une « mémoire de tous » est irréalisable et peu désirable car elle implique que toutes les mémoires soient identiques. La mémoire s�ancre toujours dans un contexte particulier, qui est celui du vécu et de la perception, eux-mêmes déterminés par l�appartenance à une communauté. C�est pourquoi une « mémoire

générale » serait préférable puisqu�elle prendrait en considération les perspectives nationales et régionales. Pour reprendre

l�expression de Rousseau, en ôtant aux mémoires particulières « les plus et les moins

qui s�entre-détruisent », il demeure une somme de récits différents et donc complémentaires qui forment la mémoire générale.

Dans le cadre de cette « mémoire générale », l�important n�est donc pas la création d�une mémoire officielle unique, mais que chaque mémoire soit prise en considération au sein d�un vaste panthéon paneuropéen. De cette exigence découle l�impératif d�ouvrir les mémoires nationales les unes aux autres, afin qu�elles puissent se compléter par leurs différences. L�ouverture des mémoires nationales prendrait deux aspects liés : le premier, connaître l�histoire factuelle des autres, et le deuxième, confronter les vécus et les ressentis concernant ces faits historiques. Les programmes scolaires sont un support privilégié, qu�il convient toutefois de maîtriser. Ainsi, en Bosnie-Herzégovine, les passages des manuels scolaires concernant la guerre de 1992-1995 et au sujet desquels existent des controverses et des désaccords sont simplement estampillés du message : « l�information présentée sur cette page peut

être offensante ou trompeuse, son contenu est

actuellement à l�étude », dont la portée est évidemment restreinte.

A l�inverse, reconnaître les différentes mémoires ne doit pas revenir à créditer un groupe de davantage de prérogatives dans le présent, simplement parce qu�il a été victime d�injustices par le passé. Le danger d�une course à la victimisation est apparu très récemment, et de manière équivoque, alors que les Grecs réclamaient aux Allemands le montant de 81 milliards d�euros pour dettes de guerre. Les argumentations des deux parties révèlent leur volonté d�apparaître comme la nation ayant reçu la plus grande offense par le passé afin d�être la plus favorisée dans le présent. D�une part, les Allemands argumentent qu�ils ont déjà à plusieurs reprises remboursé une partie de leur dette, que les Grecs ont touché 700 millions de dollars lors

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du plan Marshall, que ce sont eux qui ont le plus souffert du régime nazi et que ce sont eux qui soutiennent avec peine l�économie grecque dont ils ne sont pas responsables de la dévastation. D�autre part, les Grecs rappellent les horreurs imposées par les occupants nazis, obligeant le pays à participer à l�effort de guerre allemand et faisant 300.000 morts uniquement de faim. Daniel Cohn-Bendit résume parfaitement cette dichotomie, où chacun se présente comme une victime et se prévaut de son passé afin d�obtenir des prérogatives dans le présent, et que l�utilisation du mot « péché » résume tout à fait : « Les

Allemands, qui se disent vertueux, estiment que

les Grecs ont péché et qu'ils doivent payer. Or,

ceux qui ont le plus péché, ce sont tout de

même les Allemands, dont la dette a pourtant

été effacée parce que les Américains y voyaient

un intérêt stratégique. Pourquoi ne pas

considérer que sauver la Grèce est stratégique,

au lieu de mettre ce pays à genoux ? ». La prise en considération de la mémoire peut donc être biaisée par une utilisation politique, qui en réalité invoque une mémoire nationale propre pour la confronter avec une mémoire nationale adverse, détournant ainsi le dialogue tout en jouant du pluralisme. C�est pourquoi il importe de reconnaître les mémoires des autres à travers plusieurs degrés de dialogue, formels et substantiels.

Reconnaître les mémoires des autres à

travers plusieurs degrés de dialogue

Dans la pratique, comment mettre en place une mémoire générale qui ouvrirait véritablement chaque mémoire aux autres mémoires nationales d�Europe dans une démarche de dialogue ? A cette fin, le renouvellement de la notion d�altérité au sein de la quête identitaire européenne se révèle primordial. Cette altérité correspondrait à une imbrication du soi dans l�autre, d�un lien substantiel qui intègrerait les mémoires plutôt que de les faire simplement cohabiter, ou pire, se confronter. La reconnaissance d�un lien historique ayant entraîné des blessures réciproques au sein de

groupes identitaires distincts mais proches, nécessite deux degrés de dialogue, que Jean-Marc Ferry distingue sous la structure d�un niveau formel et d�un niveau substantiel.

Le premier degré de reconnaissance réciproque des mémoires est une acceptation formelle, concernant le droit. Cette reconnaissance formelle se retrouve dans les traités de paix. Ainsi, les accords de Dayton, signés en 1995 pour mettre fin à la guerre de Bosnie-Herzégovine, déclarent : « The Republic of

Bosnia and Herzegovina, the Republic of

Croatia and the Federal Republic of

Yugoslavia (the "Parties"), Recognizing the

need for a comprehensive settlement to bring

an end to the tragic conflict in the region,

Desiring to contribute toward that end and to

promote an enduring peace and stability, [�]

Article VII : Recognizing that the observance

of human rights and the protection of refugees

and displaced persons are of vital importance

in achieving a lasting peace, the Parties agree

to and shall comply fully with the provisions

concerning human rights ». Cependant, ce degré formel ne revient qu�à reconnaître l�affrontement d�ennemis héréditaires et a un niveau de liaison (« bindingness ») faible. A l�inverse, le degré substantiel de la reconnaissance réciproque des mémoires met l�emphase sur le déchirement de peuples frères.

En effet, pour obtenir une véritable effectivité, Jean-Marc Ferry préconise une éthique reconstructive qui formerait un lien substantiel entre les mémoires nationales : « La

reconnaissance réciproque entre les peuples

est inséparable d�une reconnaissance des

violences réciproques ; et cette reconnaissance

implique elle-même un retour sur soi

autocritique, c'est-à-dire quelque chose comme

le déploiement d�une éthique de la

responsabilité tournée vers le passé ». Ce retour sur soi autocritique s�exprime par exemple à travers les demandes publiques de pardon. La dernière en date revient au Premier ministre norvégien Jens Stoltenberg qui, au

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nom de son pays, a demandé pardon aux Juifs pour les déportations dont la Norvège a été complice durant la Seconde Guerre mondiale. Lors de la Journée internationale à la mémoire des victimes de l�Holocauste, le 27 janvier 2012, il a affirmé : «Sans retirer aux nazis leur

responsabilité, il est temps de reconnaître que

des policiers et d'autres Norvégiens ont

participé aux arrestations et déportations de

Juifs. [�] Aujourd'hui, je trouve juste

d'exprimer nos profondes excuses pour le fait

que cela ait pu se produire sur le territoire

norvégien. [�] Les meurtres ont

indéniablement été commis par les nazis, mais

ce sont des Norvégiens qui procédaient aux

arrestations. Ce sont des Norvégiens qui

conduisaient les camions. Et cela s'est produit

en Norvège ».

La reconnaissance réciproque nécessite l�interaction de la reconnaissance de l�autre, et par extension le degré formel de dialogue, à la reconnaissance de soi dans l�autre, c'est-à-dire le degré substantiel de dialogue. Cette reconnaissance réciproque a ainsi comme conséquence logique une communion des mémoires nationales. La reconnaissance substantielle forme également le préalable nécessaire à la reconnaissance commune des actes juridiques organisant le rapport des mémoires nationales d�Europe. En reconnaissant les violences infligées réciproquement, l�acte de contrition publique est un symbole éloquent de la disposition de chaque mémoire à dialoguer avec les autres mémoires. Comme le souligne Lionel Jospin, « la responsabilité de l�homme politique » est « la lucidité face à la mémoire, le courage face

au présent ».

Ce dialogue entre les mémoires nationales des peuples d�Europe est d�autant plus significatif que chaque mémoire compose une identité propre, et donc que le dialogue des mémoires nationales détermine la cohésion des identités européennes. Cette intégration des mémoires nationales au sein d�un vaste panthéon paneuropéen, en n�admettant aucune

domination d�une mémoire sur les autres, est le fondement de la création d�une identité collective prompte au pardon. L�Union européenne doit savoir veiller sur la mémoire du « pardon et de la promesse » face à l�irréversibilité des conflits passés et à l�imprévisibilité de l�avenir, selon la formule consacrée par Hannah Arendt dans Condition

de l�homme moderne : « La rédemption

possible de la situation d�irréversibilité � dans

laquelle on ne peut défaire ce que l�on a fait,

alors que l�on ne savait pas, qu�on ne pouvait

pas savoir ce que l�on faisait � c�est la faculté

de pardonner. Contre l�imprévisibilité, contre

la chaotique incertitude de l�avenir, le remède

se trouve dans la faculté de faire et de tenir des

promesses. Ces deux facultés vont de pair :

celle du pardon sert à supprimer les actes du

passé, dont les « fautes » sont suspendues

comme l�épée de Damoclès au-dessus de

chaque génération nouvelle ; l�autre, qui

consiste à se lier par des promesses, sert à

disposer, dans cet océan d�incertitude qui est

l�avenir par définition, des îlots de sécurité

sans lesquels aucune continuité, sans même

parler de durée, ne serait possible dans la

relation des hommes entre eux ».

Hélène Delsupexhe

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Pour son nouveau numéro du semestre de printemps 2013, la Revue affaires publiques et européennes a rencontré Bernard STIRN, Président de la section du contentieux du Conseil d’Etat et professeur de droit public européen et de droits fondamentaux à Sciences Po Paris. Ce rendez-vous a notamment été l’occasion de faire partager à nos lecteurs le parcours, la vision de la fonction publique et de l’évolution du droit public d’une personnalité incontournable de Sciences Po qui enseigne avec une fidélité exemplaire à l’Institut de la rue Saint Guillaume depuis 1976. L’équipe de la Revue le remercie chaleureusement de lui avoir accordé cet entretien.

La Revue : Pouvez-vous nous décrire

brièvement votre parcours ? Quelles

fonctions avez-vous exercées au sein du

Conseil d’Etat au cours de votre carrière ?

B. Stirn : Après avoir étudié dans la section service public à Sciences Po en trois ans et effectué ma scolarité à l’ENA, je suis arrivé au Conseil d’Etat en 1976. Je n’ai pas hésité. Pour moi, c’était sans aucun doute le Conseil d’Etat que je désirais choisir à la sortie de l’ENA, pour ce qu’il représente dans l’Etat. J’y ai fait ma carrière pour n’en sortir que de 1983 à 1984 et diriger le cabinet de Monsieur Roger-Gérard Schwartzenberg, Secrétaire d’Etat à l’Education nationale à cette époque.

Au cours de ma carrière au Conseil d’Etat, j’ai occupé les différentes fonctions de cette institution. Celle qui m’a sans doute le plus marqué est celle de commissaire du gouvernement, maintenant appelé rapporteur public. C’est une fonction d’une grande richesse intellectuelle.

En parallèle à mes fonctions au Conseil d’Etat, j’enseigne à Sciences Po depuis septembre 1976, école au sein de laquelle j’ai été constamment heureux , comme étudiant et comme enseignant, et dont j’ai pu mesurer les fructueuses évolutions. Je préside par ailleurs

depuis 2001 le Conseil d’administration de l’Opéra national de Paris.

La Revue : Que veut dire passer l’ENA

aujourd’hui ? Servir l’Etat a-t-il la même

signification que lorsque vous étiez étudiant

?

B. S. : Le rôle de l’Etat dans la société n’est plus tout à fait le même. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Etat était un absolu sur lequel reposait la société.

L’Etat aujourd’hui est plus relatif : il doit agir en relation avec les collectivités territoriales, l’Union Européenne, les entreprises. Cependant le fait qu’il y ait une approche moins absolue de l’Etat de nos jours ne veut pas dire qu’on n’a plus besoin d’Etat, ni qu’il y a moins d’Etat. Ses fonctions régaliennes se sont renforcées, on observe une demande grandissante de sécurité et de justice. De même, l’Etat joue un rôle essentiel dans la construction européenne qui se fait par lui.

Servir l’Etat, c’est exercer des fonctions régaliennes et d’intérêt général. Cela n’a pas changé aujourd’hui. C’est aussi travailler avec les autres Etats de l’Union Européenne, union

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qui se construit par eux et avec eux. L’Etat est différent, mais la vocation reste la même.

La Revue : Quelles sont les évolutions du

rôle du magistrat administratif et du droit

public ? De quelle manière un juge national

est-il en contact avec son homologue

européen (CJUE et CEDH) ?

B. S. : Le droit public aujourd’hui a beaucoup évolué depuis que j’étais sur les bancs de Sciences Po en 1971 et que s’est produit un évènement majeur le 16 juillet de cette année, avec la décision du Conseil constitutionnel intégrant les droits fondamentaux proclamés par le Préambule au contrôle de constitutionnalité . Avec les jurisprudences dites des « Semoules » en 1968 et l’arrêt Cohn Bendit en 1978, le dialogue des juges n’était pas encore prêt à être pratiqué en Europe, malgré les appels de Bruno Genevois.

Le deuxième temps de l’évolution du droit public vers un rapprochement avec les juridictions européennes est marqué par l’intervention de la CEDH dans notre droit après la ratification de celle-ci par la France en 1974, puis l’ouverture du recours individuel pour nos citoyens en 1981.

Depuis, le dialogue des juges a été instauré, avec les deux cours européennes, de Luxembourg et de Strasbourg, comme avec les autres cours suprêmes nationales. Une cellule de droit comparé a également été créée en 2008 au Conseil d’Etat. Comme le droit américain qui n’est pas parti de grand-chose à son origine et qui a pris une ampleur immense, le droit européen est en train de devenir un système juridique original.

Les nouvelles technologies ont bien sûr facilité cette évolution : les juges disposent par exemple d’un système intranet qui leur permet

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de dialoguer avec les juges des autres Cours suprêmes européennes, de se poser des questions sur les jurisprudences au quotidien.

Enfin, des associations ont été créées réunissant les juges des cours suprêmes européennes, comme ACA Europe (Association des Conseils d’Etat). Régulièrement le Conseil d’Etat reçoit des délégations étrangères et rend également visite aux autres cours européennes. Nos échanges avec les britanniques sont particulièrement fructueux, ces derniers ayant un système de droit très ancien et différent du nôtre.

La Revue : Avec le développement des

échanges entre les juges des Cours suprêmes

européennes, peut-on aussi penser à un

décloisonnement des carrières des fonctions

publiques européennes ?

B. S.: Bien qu’il existe des possibilités de circuler pour les fonctionnaires dans un autre Etat membre de l’Union Européenne, il n’est

encore pas possible pour eux d’exercer des fonctions de souveraineté dans un autre Etat. Par exemple, un de nos collègues a récemment accompli un court séjour au Consiglio di Stato en Italie mais il ne pouvait pas y siéger pour prendre des décisions, mission régalienne de la justice. C’est une limite sans doute dépassée qui évoluera dans l’avenir.

La Revue : Pour finir, quel conseil

donneriez-vous aux étudiants préparant

l’ENA cette année ?

B. S.: Ayez confiance !

Je les encourage dans cette voie. En plus de bénéficier d’une importante capacité d’évolution, les métiers de l’administration sont des emplois passionnants, qui permettent de travailler utilement pour la collectivité et d’être en permanence confronté aux enjeux d’un monde en mutation.

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Microsoft navigue en eaux troubles

Chose promise, chose due. Et si la promesse a été faite à la Commission, on ne rigole pas.

Microsoft l'a bien compris, mais le non-respect des engagements pris en 2009 lui a coûté 561 millions d'euros. Au moins, il a la maigre consolation de pouvoir entrer dans l'histoire comme la première entreprise condamnée par la Commission pour le non-respect d'engagements. L'éditeur américain de logiciels a activement participé au soutien du budget européen pendant les 10 dernières années: au total près de 2,198 milliards d’euros d’amende versés à l’Union Européenne pour pratiques restrictives en matière de concurrence.

Mais la Commission persévère et adresse, en janvier 2009, une communication des griefs à Microsoft, ce qui ouvre une nouvelle procédure aboutissant à la prise de nouveaux engagements. En 2012, lorsque le non-respect des engagements a été documenté, la Commission a ouvert une enquête et transmis, le 24 octobre dernier, soit deux jours avant la sortie de Windows 8, une communication des griefs à Microsoft.

Mais que lui était-il reproché ? Que se cache-t-il derrière notre écran ?

Une concurrence par mérite: faire du

chiffre, mais pas trop- l'abus de position

dominante

Le marché intérieur garantit aux entreprises une absolue liberté de circulation et prestation de services, la possibilité de rentrer dans n'importe quel marché, l’indépendance de l'activité entrepreneuriale vis-à-vis des pouvoirs publics. Tout cela favorise sans doute la croissance et le développement des activités des entreprises dans l'espace européen. Cependant, ces mêmes entreprises sont également soumises à de nombreuses contraintes. Grandir, prospérer, faire du profit. Mais pas trop. Car à côté de la liberté de circulation et de prestations de services le marché intérieur repose également sur la liberté de concurrence, une concurrence qui doit être par mérite.

Une entreprise telle que Microsoft se trouve dans une situation qu'on appelle « position dominante », qui est déterminée par la Cour de Justice à travers un faisceau d'indices, dont le plus important, surtout en l'espèce, est la part de marché détenue par l'entreprise. L'entreprise en position dominante détient « le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur la marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs ».

Bien évidemment, ce n'est pas la position dominante en soi qui sera sanctionnée, mais une entreprise se trouvant dans une position dominante risque très facilement d'être accusée d'« abuser » d'une telle position. L'article 102 TFUE prévoit, en effet, qu' « est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ».

En 2009 la Commission accuse Microsoft d'abuser de sa position dominante à travers son système de vente liée de Windows et du moteur de recherche Internet Explorer. La Commission Européenne avait déjà fait un premier pas en condamnant cette même entreprise pour avoir lié son lecteur multimédia

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Windows Media Player à son système d'exploitation Windows.

En effet, suite à ce système de vente liée, 90 % des ordinateurs dans le monde étaient équipés d'Internet Explorer, conférant à ce dernier un avantage considérable, dont les autres navigateurs web ne pouvaient pas profiter. En plus, ce système inciterait les fournisseurs de contenu et les développeurs à concevoir des sites web ou des logiciels essentiellement pour Internet Explorer. Sur le long terme, ce système risquerait de compromettre l'innovation en matière de fournitures, avec un impact sur les consommateurs.

Une prise d'engagement à la légère

L'objectif du droit de la concurrence n'est pas simplement celui de sanctionner l'entreprise abusant de sa position dominante. Le dialogue est parfois le meilleur moyen pour parvenir à la cessation de l'infraction, surtout étant donné la longueur de la procédure devant la Commission et en cas de recours devant la Cour de Justice. C'est pour cette raison que

l'article 9 du règlement 1/2003 prévoit la possibilité pour les entreprises, faisant l'objet de la procédure, de proposer des engagements de nature à faire cesser l'infraction. Ces engagements doivent être acceptés par la Commission qui les rend obligatoires par voie de décision.

C'est ainsi, qu'à la suite de la communication des griefs en 2009, Microsoft s'engage pour une durée de 5 ans (jusqu'en 2014) à proposer aux utilisateurs européens de Windows 7, un écran multi choix (Ballot Screen), leur permettant de sélectionner d’autres navigateurs qu'Internet Explorer.

Les consommateurs pouvaient ainsi sélectionner le navigateur de leur choix: Internet Explorer de Microsoft ou l'un de ses concurrents (Chrome de Google, Mozilla de Firefox...). D’après ces engagements, les fabricants d’ordinateurs auraient aussi la possibilité d’installer des navigateurs concurrents, de configurer ceux-ci comme navigateur par défaut et de désactiver Internet Explorer.

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Cet écran a été proposé dès mars 2010 aux utilisateurs européens de Windows dont le navigateur par défaut était Internet Explorer. Pendant sa période d’application, l’écran multichoix a connu un grand succès auprès des utilisateurs: jusqu’en novembre 2010, 84 millions de navigateurs auraient été téléchargés à partir de cet écran.

Bien évidemment, ce type d'engagement est contraignant et en cas de non-respect, la Commission peut infliger une amende qui ne peut excéder 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par cette société au cours de son exercice social précédent.

En juillet 2012, la Commission détecte le non-respect des engagements et ouvre une enquête aboutissant à la découverte que Microsoft n’a pas intégré l’écran multichoix au Service Pack 1 de Windows 7 entre mai 2011 et juillet 2012. De ce fait, 15 millions d’utilisateurs de Windows auraient été privés du Ballot Screen durant cette période.

Microsoft a reconnu les faits et a indiqué que cette défaillance résultait d’une erreur technique. « Nous avons fourni à la Commission une évaluation complète et sincère de la situation, et nous avons pris des mesures pour renforcer notre développement de logiciels et d’autres processus pour aider à

éviter cette erreur – ou quelque chose de semblable – à l’avenir », a ajouté la firme.

La Commission a pris en compte la collaboration de Microsoft dans le montant de l'amende qui ne représente que 1% du chiffre d’affaires réalisé par l'entreprise en 2012. Etant sont chiffre d'affaires d'environ 56 milliards d’euros, l'amende aurait pu atteindre les 5,6 milliards d’euros.

Le commissaire Almunia reconnu la « naïveté » de la Commission qui s'est fiée aux seuls rapports de Micosoft pour attester du respect des engagements. « Généralement, un tiers se charge de cette vérification. Nous sommes en train de revoir nos procédures sur ce point et pour aussi vérifier par nous-mêmes si les obligations sont suivies », a-t-il ajouté.

Les regards se tournent maintenant vers Google, qui est en procédure devant la Commission Européenne pour abus de position dominante, et qui pourrait, comme Microsoft, choisir la procédure de l’engagement. Affaire à suivre...

Alessandra Federico Pipitone

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Rubrique étudiante

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�����������������������������"Le couple franco-allemand a célébré son cinquantième anniversaire" - tel était le mot d'ordre à la une des principaux quotidiens le 22 janvier dernier. En effet, cela fait déjà 50 ans que les partenaires attenants au Rhin ont signé le fameux "traité de l'Elysée" qui a scellé en droit leur réconciliation. C'est à l'occasion de cet anniversaire riche en symboles que notre groupe de cinq étudiants du Master Affaires Européennes a décidé de se mobiliser afin d'étendre les débats à toute l'année et de sensibiliser un public aussi large que possible aux principales problématiques de la coopération franco-allemande.

Alors que l'année universitaire s'ouvrait simultanément à un discours du Président de la République proclamant en allemand "Vive l'amitié franco-allemande", nous avons été interloqués que la référence à Helmut Kohl soit tronquée de sa partie la plus importante, à savoir "Vive l'amitié franco-allemande, vive l'Europe!". Constatant que cette deuxième partie n'allait pas de soi dans la sphère politique contemporaine, nous avons décidé de reprendre la formule initiale de Kohl comme fil directeur de notre projet en la tournant sous forme de question. Quelle place pour un tel partenariat privilégié dans une Europe à 27, avec de nouveaux enjeux et tourmentée par une crise persistante?

Nous ne saurions avoir la prétention d'apporter toutes les réponses aux questions qui se posent. Toutefois à force d'entretiens avec des spécialistes de la question, et au fil de rencontres avec un public très divers nous pensons pouvoir parler de quelques aspects de la question qui nous tiennent à cœur, et qui ont trait aux questions les plus actuelles.1

1 Le lecteur plus curieux pourra trouver sur notre site internet une sélection de dossiers à des fins

Ainsi nous avons décidé de vous présenter ce que nous avons appris en plusieurs mois sur trois thèmes principaux: tout d'abord l'évolution du partenariat franco-allemand depuis l'élection de François Hollande, ensuite la résurgence de la délicate question de la coopération militaire, et enfin un questionnement sur l'existence d'une vision franco-allemande quant à une Europe post-crise. Par ailleurs nous vous proposons dans une partie distincte les résultats du sondage que nous avons mené au sein du Master affaires européennes. Il révèle des surprises au sein d'un public jeune, multinational et pas forcément sur la même longueur d'onde que l'opinion publique en général.

En mai 2012, la France changeait de président et était face à l’alternance. La campagne présidentielle avait déjà opposé frontalement l’Allemagne et la France. D’un côté, François Hollande dénonçait une politique d’austérité menée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel et annonçait qu’il renégocierait, dans

d'approfondissement. http://franceallemagn6.wix.com/50ans

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l’éventualité de son élection, le Pacte de stabilité pour y intégrer un volet de croissance. De l’autre, Merkel avait affiché son soutien à Sarkozy pendant la campagne et des rumeurs d’un pacte entre les gouvernements conservateurs européens de ne pas recevoir Hollande émergeaient. Bien avant la formation du couple Merkollande, la question était donc d’ores et déjà la possibilité d’une rupture dans le couple franco-allemand.

Pourtant, cette rupture ne s’est pas produite puisque dès le lendemain de l’élection présidentielle et le soir de son investiture, Hollande se rendait à Berlin prouvant que l’Allemagne reste un partenaire essentiel pour la France. Les deux chefs d’Etat ont tenu, à la conférence de presse, un discours similaire faisant état de divergences surmontables et de points d’accords sur la croissance. Le Sommet européen de juin 2012 va pourtant faire l’expérience d’une méthode différente applicable à la coopération franco-allemande et s’imposera comme un des tournants majeurs de la relation entre Hollande et Merkel. Le soutien de la France à l’Italie et l’Espagne avait donné l’impression d’une Allemagne isolée dans le paysage politique européen. Pour la première fois, il est apparu que la relation franco-allemande qui était le point central de la politique européenne de Sarkozy s’ouvre plus aux autres partenaires de l’Union européenne. De nouvelles alliances Nord-Sud émergent, la Pologne est elle aussi devenue un allié incontournable selon les questions et l’Allemagne se tourne vers le Royaume-Uni qui inquiète avec la menace d’un « Brexit » en essayant de le réinsérer en tant que membre à part entière de cette Union européenne et particulièrement sur les questions du budget européen.

Le bon fonctionnement du couple franco-allemand semble à plusieurs égards nécessaire et chacun a sa propre interprétation de l’état de santé de cette coopération franco-allemande. Deux tendances contradictoires se dessinent : tandis que certains considèrent que les

relations entre la France et l’Allemagne se sont apaisées et sont plus constructives, d’autres jugent durement le couple franco-allemand qui manquerait de directions claires notamment d’un projet pour l’Europe. Les interviews effectuées par le projet associatif permettent de rendre compte de ces deux tendances.

Les critiques sont sans appel et les tensions sont une évidence pour la plupart des acteurs franco-allemands interrogés. Arnaud Lechevalier, chercheur au centre Marc Bloch à Berlin, définit la relation franco-allemande comme tendue. Une stratégie claire à moyen terme ainsi que l’absence d’un projet pour l’Europe manqueraient et ces tensions pourraient s’expliquer par un déséquilibre croissant entre l’Allemagne et la France. Dr Norbert Wagner, directeur de la Fondation Konrad Adenauer à Paris, explique ces tensions par le fait que chacun doive aujourd’hui travailler avec des personnalités de sensibilités politiques différentes et que les philosophies économiques de la France et de l’Allemagne s’éloignent plus encore qu’au temps du couple précédent. Il souligne de la même façon l’absence d’un projet européen commun.

Les partisans de la thèse de l’apaisement, peu nombreux, font état de meilleures relations interpersonnelles sans nier les divergences qui sont incontestables. Cependant celles-ci auraient pour résultat des compromis à la taille de l’UE. Selon Mario Monti, interrogé à la conférence avec Marion Goulard à Sciences Po, plus personne ne serait aujourd’hui capable de parler de l’Allemagne et de la France comme d’un directoire. Le couple franco-allemand est une condition indispensable au bon fonctionnement de l’UE même si pas suffisante, de moins en moins. De plus, le témoignage de Pierre-Yves Le Borgn’, député des français de l’étranger qui a suivi Hollande dans ses déplacements en Europe se situe aussi dans cette tendance. Ce dernier considère que l’élection de Hollande a détendu le contexte même des relations franco-allemandes. La

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relation entre Hollande et Merkel serait aujourd’hui basée sur la confiance et la franchise des échanges permettant de traiter les sujets les plus difficiles. L’ouverture de Hollande à d’autres pays européens aurait selon lui permis de dénouer les conflits et notamment le Pacte de Stabilité et de Croissance. Sur d’autres questions, les oppositions se retrouvent avec la même évidence.

La coopération militaire – un terrain

inconnu

Le 22 Janvier 2013 au moment de la célébration de l’amitié franco-allemande, nous vous avons demandé, à vous, les étudiants de Sciences Po : « Si je pense à l’amitié franco-allemande, je pense à… ». Vous avez pensé à Merkozy, à Strasbourg, à vos expériences personnelles en échange et à d’autres encore ! Mais personne n’a pensé à la brigade franco-allemande, à la machine Transall produite par un consortium franco-allemand dans les années cinquante ou à l’échange du personnel militaire entre les deux pays, alors que nous parlons de la coopération militaire la plus développée en Europe et qui a été déjà fondée par le traité de l’Élysée. La section « défense » du traité acte toute une série de nouvelles visions pour l’avenir de la coopération militaire.

La coopération militaire a produit des structures particulières entre les deux pays : à tous les échelons de la formation militaire, de jeunes soldats de dix-huit ans comme des élève-officiers ont la chance de passer un certain temps dans le pays partenaire. À la fin de la formation, la connaissance de la structure voisine est telle que les officiers d’échange qui ont exercé une fonction opérationnelle au sein des services du pays d’accueil sont désormais en mesure de représenter le pays voisin à Bruxelles en portant l’uniforme national.

Qu’on soit favorable à la coopération militaire renforcée ou non, une chose est claire: un tel dessein ne reflète pas la réalité du couple franco-allemand à l’heure actuelle, et il n’est

pas certain que cela corresponde à un futur proche non plus.

Côté allemand, l’attaché militaire Dr. Klaus Jürgen Haffner attribue pour sa part à l’amitié militaire un avenir prometteur, alors que côté français, Madame Anne-Marie Le Gloannec (CERI, Sciences Po), considère plus faisable le partenariat avec les Anglais qu’avec les Allemands. Madame Le Gloannec a par ailleurs directement rappelé que la perspective d’une Europe de la défense reste très éloignée. En effet malgré la présente coopération militaire institutionnalisée, les différences d’approche entre la France et l’Allemagne se sont manifestées par le passé et continuent à se faire jour, que ce soit à l’occasion du conflit lybien ou malien. Le Gloannec explique les différences de vue entre l’Allemagne et la France par des cultures géostratégiques profondément différentes, dont l’explication réside dans l’histoire. Par ailleurs, elle a également rappelé que les structures institutionnelle et constitutionnelle donnent au président français beaucoup de liberté pour envoyer les troupes à l’étranger, alors que la chancelière a beaucoup plus d’obstacles à franchir. La diplomatie allemande est alors critiquée pour la frilosité qu’elle a manifestée à s’engager militairement et de manière systématique. Le partenaire allemand apparaît alors réticent diront les uns, prudent diront les autres.

Quand Adenauer et De Gaulle ont posé les fondements de la coopération militaire un partenariat très dense n’était certainement pas à l’ordre du jour. Mais comment pourrions-nous imaginer une coopération véritable après deux refus allemands concernant les opérations en Libye et au Mali ? C’est à notre génération de réveiller et de moderniser “l’esprit” de la coopération militaire pour le futur.

Visions franco-allemandes pour une Europe

post-crise?

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Après le vote au Parlement français du Pacte de croissance, le couple franco-allemand est confronté à de nouveaux défis majeurs : d’un côté, poursuivre la réforme de l’Union économique et monétaire avec de multiples enjeux comme la nomination du président de l’Eurogroupe, la réalisation de l’union bancaire, la définition du rôle de la Banque Centrale européenne dans une Union européenne en crise et les négociations du budget européen et de l’autre, l’éventualité d’une réforme de l’Union politique.

En effet, dans la crise économique et financière que traverse actuellement l’Europe, la question de la finalité politique de l’Union européenne a été évoquée et discutée par les responsables politiques allemands et français. Pour sortir de la crise, la France et l’Allemagne ont réinventé la formule de « l’Union politique ». A Berlin, on insiste sur « plus d’Europe », se traduisant par plus d’intégration politique. Mais concrètement, les interprètes allemands et français divergent dans la traduction de ces formules, ayant différentes connotations et différents calendriers de réalisation. Pour les Allemands, l’Union politique se traduit par une Europe plus intégrée, c’est-à-dire disposant de nouvelles compétences en matière de politiques fiscale et économique. Pour les Français, l’Union politique représente la fin d’une trajectoire d’intégration, après la conclusion de l’union fiscale et de l’union sociale. Aussi, le calendrier politique pour initier ce débat varie de Berlin à Paris : tandis que le débat sur l’union politique fait l’actualité en Allemagne, Paris souhaite initier le débat après les élections européennes en 2014 pour que l’enjeu de cette consultation électorale européenne soit l’avenir de l’Union.

Toutefois, cette discussion sur l’avenir de l’Union européenne ne paraît pas être une affaire exclusive franco-allemande bien que la majorité des initiatives aient la signature franco-allemande. Effectivement, le président Hollande a constaté que « l’Europe ne se décide pas à deux » et cela vaut dans une Union à vingt-sept d’autant plus pour la conception de son avenir. Ainsi, le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido

Westerwelle, a convoqué un groupe sur l’avenir de l’Union incluant les ministres des Affaires étrangères de onze États européens. Ce groupe de réflexion a présenté un document qui inscrit sur l’agenda européen des réformes institutionnelles et politiques visant à établir une réelle Union politique et une Europe des citoyens. Au niveau européen, une réflexion sur l’avenir de l’Union a été initiée par le Président de la Commission européenne, Barroso, plaidant pour une « Fédération d’États-nations ». Aussi le Parlement européen sous la présidence active de Martin Schulz s’est exprimé en faveur d’une Europe plus politique.

« Plus d’Europe », « une Europe fédérale », « une fédération d’États-nations » ou « union politique », ces expressions constituent ainsi le nouvel imaginaire d’intégration européenne. Reste à savoir ce qu’on entend précisément par ces expressions équivoques. Dans cette optique nous organiserons une conférence intitulée « L’union politique - une priorité pour l’Europe ? Différences de concepts et de visions entre France, Allemagne et ses partenaires européens », le 3 avril 2013. Ce ne sont pas les idées, les initiatives et les images qui manquent pour réinventer l’intégration européenne, notamment dans le cadre de la commémoration du 50ème

anniversaire de la coopération franco-allemande qui constitue un pilier fondamental de l’Union européenne. Néanmoins, il dépend de la volonté politique de les traduire en réalité - la France et l’Allemagne ayant une responsabilité particulière pour le succès du projet d’une Europe plus intégrée. Une vision commune franco-allemande pour l’union politique est d’autant plus importante au vu des distances que prend le Royaume-Uni avec une Europe plus fédérale et une union politique. L’Europe est une maison dont il ne faut jamais arrêter la construction, a déclaré le chef de la diplomatie allemande. Toutefois, sans une initiative franco-allemande, cette maison européenne ne sera rien de plus qu’un chantier.

France, Germany, the EU and YOU

Survey : The Franco-German Friendship and its influence in the EU

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Discussions about the Franco-German Friendship are often clouded by the fact that only French and Germans are participating in the debate. For this reason our “projet associatif” decided to ask international students from the Master “European Affairs” to share their opinions on the Franco-German Friendship and its influence on the EU. The survey has received an overwhelming response with 83 students answering our questions.

In the following paragraphs, we would like to give you an overview of the responses and bust some myths surrounding the perception of the Franco-German couple.

Myth 1: The Franco-German Friendship is only relevant to French and German citizens

Reality: While it is true that most media coverage on the 50th anniversary of the Franco-German Friendship Treaty was published in French and German press, the Friendship is known well beyond its borders. An overwhelming majority of responses collected came from French and German students, however, we were also able to collect comments from students from countries such as Thailand, Japan, Estonia, China, Spain and Luxembourg.

Those surveyed all share a general interest in the topic, with 86 % stating they have moderate or considerable interest. A similar number feel somewhat or well informed about the Franco-German Friendship Treaty and its 50th anniversary. This high level of information might be due to the fact that only students of European Affairs were asked. We would like to point out that for this reason, our survey is also not representative of the population as a whole, but rather focusing on a key group of people interested in the EU.

Myth 2: Together, France and Germany secure peace and prosperity in Europe

Reality: The Franco-German Friendship is generally seen in a very positive light, with an overwhelming 98 % stating that it is a positive example of cooperation between two powerful states. 91 % of respondents think that a war between France and Germany is now unthinkable. All respondents thus recognize the influence on peacekeeping within the European realm. Furthermore, 90 % of the respondents indicated that France and Germany have an important impact on the EU’s Common Foreign and Security Policy.

Myth 3: The Franco-German Friendship is in a crisis today

Reality: European papers are filled with coverage on how German Chancellor Merkel and French President Hollande have diverging opinions on various European topics, particularly concerning the topic of austerity. Therefore, a fact that is hardly surprising, almost 40 % of those asked consider the friendship being is in a crisis today. The economic crisis, which seems to be ubiquitous in the EU today, is thus not sparing the Franco-German Friendship. It is also telling that nobody chose the current Political leaders, sometimes referred to as “Merkollande”, as an emblematic couple of the Franco-German Friendship, with respondents citing either Francois Mitterand/Helmut Kohl or Charles De Gaulle/Konrad Adenauer as the most symbolic example instead. This question is of particular interest since the majority of the students surveyed think that the Franco-German cooperation depends strongly or somewhat on the respective leaders and 93 % of those questioned answered that changes in national governments were important for EU politics.

Nonetheless, more than 2/3 of the students questioned believe that relations between the two countries will further intensify in the upcoming years. While students said that today, the cooperation was most visible in areas such as EU politics, Culture and Economics & Finance (see image 1.0), they

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think that while the influence on EU politics will grow even stronger, the couple will also gain influence in the field of Security & Defense and Environmental Protection (see Image 1.1).

Image 1.1: In your opinion, in which policy

areas will the Franco-German cooperation

become more important until 2020?

Myth 4: The influence of France and Germany on the EU is too big and therefore bad

Reality: “France & Germany: We are not celebrating”, “France to clash with Germany over Eurozone bailout”, “France & Germany: Reluctant dance partners”: These are only some of the headlines on France, Germany and its influence on the EU. In general, the influence of France and Germany is therefore perceived rather negatively. Surprisingly, an overwhelming number of students who answered our questions argued that this influence was a positive rather than a negative one.

Furthermore, 2/3 of the survey subjects are of the opinion that the negotiations between France and Germany do not undermine the decision-making in the EU and disagree that the Franco-German bilateralism is no longer legitimate in an Union of 27 member states.

However, once the question suggested the possibility that the Franco-German cooperation had a considerable effect on European decision-making, the yes and no answers to the question if smaller states should cooperate

more to face that influence were almost equally split.

When it comes to similar partnerships, students came up with a number of examples, for instance the “Weimarer Dreieck” (France-Germany-Poland), the cooperation between France and Britain, the Baltic states, the cooperation between new EU member states, the Benelux, the Post-Soviet-States, the Latin Alliance and the close cooperation between Scandinavian countries.

Image 2.0 : In your opinion, how important is the impact of Franco-German cooperation on the EU? To conclude, students studying European Affairs seem generally interested and well informed about the Franco-German Friendship. The Friendship is generally seen in a positive light and even “indispensable for maintaining the stability and prosperity of the EU”, but also criticized for its overwhelming power. There is a sentiment that the partnership is in a crisis today, but will overcome this challenge – or, as a respondent put it - “May the Franco-German duo finally rise up to the huge challenges we face these days! Currently, faintheartedness and the avoidance of any sort of risk are what both countries are dominated by. Hopefully these will soon be replaced by a common Franco-German vision for the future of our continent! ”

Pauline Bertaux, Andreas Huber,

Katharina Plavec, Franziska Schaefer,

Antonia van Delden

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LA REVUE ET VOUS

L’EQUIPE DE LA REVUE

Le bureau de l’association « Revue APE »

Benoît Carval (président), Capucine Capon (trésorière), Emilie Hermet (secrétaire), Sonia Hossein-Pour (responsable communication).

Les rédacteurs de la Revue

Charles Mosditchian, Christophe de Batz, Frédéric de Carmoy, Joséphine de Bartillat, Cristina Juverdeanu, Miriam Tardell, Valentin Burgaud, Brice Brandenburg, François Fournier, Camille Hartmann.

Les contributeurs pour ce numéro

Michaël Calais, Daniel Segoin, Hélène Delsupehxe, Alessandra Federico Pipitone

Couverture : Lily Matras

PHOTOS

Cblog.culture.fr ; www.123rf.com; gym-neu.dyndns.org ; capture d’écran du site www.vie-publique.fr; www.123opendata.com; www.enfance-lecture.com; www.libertic.wordpress.com, E. Hermet (Conseil d’Etat) ; www.tresor.economie.gouv.fr; Charles Mosditchian, Sophie Pornschlegel.

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