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Revista de studii juridice a Universitatii din Montreal

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  • La Direction de la Revue de la Recherche Juridique - Droit Prospectif et la Facultde Droit dclinent toutes responsabilits la fois quant aux opinions mises par lesauteurs et quant aux informations les concernant (grade - titre - affectation) ; cesdernires sont toujours, sauf erreur matrielle, celles fournies par les auteurs eux-mmes.

    Le Code de la proprit intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5,2 et 3 a), d'une part, que les "copies ou reproductions strictement rserves l'usagepriv du copiste et non destines une utilisation collective" et, d'autre part, que lesanalyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, "toutereprsentation ou reproduction intgrale ou partielle, faite sans le consentement del'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite" (art. L. 122-4).

    Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit,constituerait donc une contrefaon sanctionne par les articles 335-2 et suivants duCode de la proprit intellectuelle.

    PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE PUAM 2009

  • REVUE DE LA RECHERCHE JURIDIQUE

    DROIT PROSPECTIF

    2008-5 N spcial

    Publie par la FACULT DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUEd'Aix-Marseille

    Abrviation de rfrence : R. R. J.

    N. XXII - 125 (33me anne - 125e numro)(5 Numros par an)

    PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE - PUAM

  • COMIT DE PATRONAGE

    M. Paul AMSELEK Professeur mrite de lUniversit de Paris IIM. Xavier BLANC-JOUVAN Professeur mrite de lUniversit de Paris IM. Pierre CATALA Professeur mrite de lUniversit de Paris IIM. Roland DRAGO Professeur mrite de lUniversit de Paris IIM. Maurice FLORY Professeur honoraire lUniversit Paul Czanne

    Aix-Marseille IIIM. Michel LESAGE Professeur mrite de lUniversit Paris I

    Directeur du Service de Recherches JuridiquesComparatives (C.N.R.S.)

    M. le Recteur Didier LINOTTE Professeur la Facult de Droit de NiceM. Franois TERR Professeur mrite de lUniversit Paris II

    *

    COMIT SCIENTIFIQUE

    J.-L. BERGEL J. MESTRED. BERRA J.-L. MESTREJ. BOURDON J.M. PONTIERJ.-Y. CHEROT E. PUTMANPh. DELEBECQUE A. SRIAUXC. LOUIT

    *

    QUIPE DE RDACTION

    J.-L. MESTRE J. MESTREJ.-Cl. RICCI

    *

    Directeur honoraire de la rdaction et de la publication : M. J.-M. ZAORSKIFondateurs : MM. G. WOLKOWITSCH et J.-M. ZAORSKI

    Secrtaire de Rdaction : Gilles REBULL

    *

    SERVICE COMMERCIAL : PRESSES UNIVERSITAIRES DAIX-MARSEILLE3, Avenue Robert Schuman - 13628 AIX-EN-PROVENCE Cedex 1

    Tl. : 04.42.17.24.21 - Fax : 04.42.17.24.33 - [email protected]

    ABONNEMENT : 5 numros par an - Tarif 2009Abonnement France : 165 Abonnement tranger : 200

    Numro France et tranger : 42

    Chque lordre de M. le Rgisseur des Presses Universitaires dAix-Marseille- CB-0000100606779 TRESOR PUBLIC - IBAN-FR7610071130000000100606779

    - BIC :BDFEFRPPXXX

  • CAHIERS DE MTHODOLOGIEJURIDIQUE

    - N 22 -

    LANALYSE CONOMIQUEDU DROIT.

    Autour dEjan Mackaay

    Ce numro a t ralis sous la responsabilitde M. le Professeur Jean-Louis BERGEL,

    Prsident de lAssociation Internationale de Mthodologie Juridique.

  • TABLE DES MATIRES

    - Avant-propos par Jean-Louis BERGEL et Jean-Yves CHROT.................... 2455

    I. UNE DIRECTION ?

    - Ejan MACKAAYRemarques introductives......................................................................... 2461

    - Christian ATIASSur E. Mackaay et St. Rousseau, Analyse conomique du droit,Paris, Dalloz, ditions Thmis, 2008 ........................................................ 2469

    - Emmanuel PUTMANLintrouvable contrat complet .................................................................. 2477

    - Frdric ROUVIRELanalyse conomique des vices du consentement :une nouvelle vision dune thorie classique ................................................ 2485

    II. DAUTRES PERSPECTIVES ?

    - Jean-Louis BERGELUne approche conomique de la proprit en droit priv ............................. 2501

    - Arnaud RAYNOUARDFaut-il avoir recours lanalyse conomique du droit (AED)pour assurer lefficacit conomique du droit ? ............................................ 2509

    - ric MILLARDLanalyse conomique du droit : un regard empiriste critique......................... 2523

    - Jean-Yves CHROTLe concept de droit hartien et lanalyse conomique du droit ....................... 2529

    - Marc DESCHAMPS et Frdric MARTYLanalyse conomique du droitest-elle une thorie scientifique du droit ?................................................... 2541

    - Marc DESCHAMPS et Frdric MARTYLes politiques de concurrence sont-elles rductibles la thorie conomiqueapplique ? Rflexions autour de laffaire Microsoft ..................................... 2571

  • 2450

    - Otto PFERSMANNQuentend-on exactement par lexpressionconcurrence des systmes juridiques ? ..................................................... 2595

    TABLES GNRALES DE LANNE 2008 .................................................. 2605

    TABLE ANALYTIQUE DES MATIRES..................................................... 2611

    TABLE ANALYTIQUE DES AUTEURS ....................................................... 2615

  • LISTEDES CAHIERS DE MTHODOLOGIE JURIDIQUE

    Volumes I et II R.R.J. 1986-4Les dfinitions dans la loi et les textes rglementaires et 1987-4

    Volumes III R.R.J. 1988-4Les standards dans les divers systmes juridiques

    Volumes IV R.R.J. 1989-4Les formulations dobjectifs dans les textes lgislatifs

    Volumes V R.R.J. 1990-4Regards sur la mthodologie juridique

    Volumes VI R.R.J. 1991-4Mthodes dintgration du droit communautaireau droit Franais

    Volumes VII R.R.J. 1992-4Modes de ralisation du droit

    Volumes VIII R.R.J. 1993-4Nature et rle de la jurisprudence dans les systmesjuridiques

    Volumes IX R.R.J. 1994-4Lvaluation lgislative

    Volumes X R.R.J. 1995-4Analogie et mthodologie juridique

    Volumes XI R.R.J. 1996-4Mthodologie de la recherche juridique

    Volumes XII R.R.J. 1997-4Lgislation par rfrence

    Volumes XIII R.R.J. 1998-4Les dfinitions dans la loi et les textes rglementaires

    Volumes XIV R.R.J. 1999-5Les dispositions transitoires

    Volume XV R.R.J. 2000-5Mthodologie juridictionnelleLa modlisation des actes de procdure et des dcisionsde justice

  • Volume XVI R.R.J. 2001-5Pouvoir rglementaire et dlgation de comptencenormative

    Volume XVII R.R.J. 2002-5Justice et qualit

    Volume XVIII R.R.J. 2003-5Les procdures durgence en matire judiciaireet administrative

    Volume XIX R.R.J. 2004-5Mthodes du Code Civil : prennit et volutivitLes secrets dun bicentenaire

    Volume XX R.R.J. 2005-5Rtrospective et perspectives de recherche enMthodologie Juridique. Les 20 ans de lAtelierde Mthodologie Juridique dAix-Marseille

    Volume XXI R.R.J. 2006-5Nouvelles mthodes daccs et diffusioninformatique du droit

    Volume XXII R.R.J. 2008-5Lanalyse conomique du droit. Autour dEjan Mackaay

  • AVANT-PROPOS

    Par

    Jean-Louis Bergel et Jean-Yves Chrot

    Que la lgislation1, le droit issu des dcisions des juges, voire lesconstitutions2 aient pu avoir pour objet et pour projet depuis linvention delconomie3 de construire une politique conomique fonde sur les rgles dumarch, le laisser faire et la libre concurrence, cest sans doute une des donnes de lascience du droit parmi les plus intressantes et les moins analyses par les juristesdepuis deux sicles.

    Que lanalyse conomique du droit vienne rveiller le dogmatisme juridiqueformaliste et permette par une dose de ralisme de faire voir que de nombreusesrgles de droit sont les manifestations dun modle conomique ou de principes quela thorie conomique est seule formaliser, quoi donc de plus intressant et de plusstimulant pour la recherche juridique ?

    Cependant lanalyse conomique du droit et ici on ne distinguera pas,malgr leurs divergences, entre diffrentes coles peut conduire plus ou moinsouvertement dune analyse purement descriptive de type raliste une nouvelledogmatique pouvant ventuellement devenir dans certaines de ses expressions unejustification du systme conomique sous-jacent.

    Cest un des enjeux des travaux publis dans cette nouvelle livraison descahiers de mthodologie juridique.

    Les tudes sont issues dans leur grande majorit de rapports prsents lorsdune table ronde organise le 6 juin 2008 par le Laboratoire de thorie du droit dela Facult de droit et de science politique dAix-Marseille4 autour dEjan Mackaay loccasion de la publication aux ditions Dalloz de son Analyse conomique dudroit5, un ouvrage attendu et co-crit avec Stphane Rousseau. Ejan Mackaay aouvert les travaux par des remarques introductives qui prcisent le projet desauteurs. Ce projet repris, rcrit et rexpos dans les remarques introductives taitloccasion ctait lobjet de la table ronde de lexamen des apports de lanalyseconomique du droit la science du droit.

    1 Karl Polanyi, The Great Transformation, New York, Rinehart, 1944 ; trad. franaise, La GrandeTransformation. Aux origines politiques et conomiques de notre temps, Gallimard, bibliothque dessciences humaines, 1983.2 Ch. A. Beard, An Economic Interpretation of the Constitution of the United States, New York, TheFree Press, 1913 ; traduction franaise, Une relecture conomique de la Constitution des tats-Unis,Economica, coll. droit public positif, 1988.3 Catherine Larrre, Linvention de lconomie au XVIIIe sicle, Puf, Lviathan, 1992.4 Sont venues sy ajouter deux tudes de Marc Deschamps et Frdric Marty qui taient prsents latable ronde mais qui ny avaient pas prsent de rapports et une tude crite dans un autre contextemais quOtto Pfersmann nous avait fait parvenir et qui ajoute de nouvelles perspectives aux travaux quitaient entrepris.5 Ejan Mackaay et Stphane Rousseau, Analyse conomique du droit, Dalloz, coll. mthodes du droit,2008, 728 pages. Voir le commentaire de Christian Atias dans la chronique Pistes pour la pensejuridique, RRJ 2008-2.

  • 2456 R.R.J. 2008-5 Cahiers de mthodologie juridique

    Ejan Mackaay met surtout laccent sur les apports descriptifs de lanalyseconomique tout en appelant au prolongement des hypothses examines au titre dela thorie conomique du droit par des recherches empiriques. Mais il laisse ouvertela question du passage de la description la prescription et plus gnralement de lapossibilit dune science normative. Selon lui, remarquablement, en faisant cetexercice pour lensemble des rgles du droit civil, on observe que la plupart dentreelles paraissent formules comme sil sagissait de minimiser les cots desinteractions humaines ou doptimiser les incitations lusage prudent des ressourcesrares ou linnovation []. Est-il permis de faire alors un pas de plus, et de faire unemploi normatif de cette analyse, pour se demander sur un point donn quelle formeaurait la rgle qui contribuerait le plus au bien tre ? La question est dbattue au seinde la communaut des juristes-conomistes ; dans les faits, le passage au normatifest rgulirement et souvent imperceptiblement effectu dans les ouvrages consacrs lanalyse conomique du droit. Dans le livre, nous avons cherch nous tenir des affirmations prudentes sur la question.

    Une telle ouverture suggre pour le moins que le passage du fait et dudescriptif au devoir tre est possible. Comme il nest logiquement pas possible,comme le rappelle dans son rapport ric Millard, de passer dun simple constat quetelle ou telle rgle produit de la richesse, de lefficacit, du bien tre du point de vueutilitariste, la dmonstration que cette rgle doit tre adopte, un tel passagesuppose donc dj prsente dans la majeure du raisonnement laffirmation dundogme et, ici, laffirmation que la science conomique constitue une sciencenormative. Le seul fait quEjan Mackaay envisage la possibilit ce passage du faitau devoir tre suggre quil a peut-tre franchi le pas et quil voit dans lanalyseconomique, non un simple apport la description (ventuellement critique) dusystme juridique, mais bien les bases dune nouvelle dogmatique6. La question estcapitale et nous sommes heureux de pouvoir complter ces observations par larponse quEjan Mackaay nous a fait parvenir aprs avoir pris connaissance de cesquelques lignes7.

    6 Sur la question de la possibilit dune science normative en conomie, on renvoie Claude Gamel quiprsente sous une forme historique les tentatives et les relatifs checs dune science conomiquenormative : La distinction fait/valeur en thorie conomique : trois temps fondamentaux dune histoiremouvemente, version rvise dun rapport prsent au colloque La dichtotomie fait/valeur enquestion. Points de vue croiss, Laboratoire de thorie du droit, 11-12 janvier 2008, paratre ; publisur le site internet du laboratoire : www.laboratoiretheoriedudroit.univ-cezanne.fr.7 Dans votre note introductive, vous soulignez en toute amiti la difficult de lambivalence desjugements normatifs qu'on tirerait de lanalyse conomique, en labsence de rfrence une thorienormative qui pourrait les fonder (Laurence Boy la relev galement, avec moins de bienveillance etmoins de nuance, dans un compte-rendu paru dans Droit et Socit, 2008, n 69-70,http://www.reds.msh-paris.fr/publications/revue/biblio/ds069070-b.htm#9).Jen conviens et vous avez bien senti lembarras dans lequel la question me plonge. Je ne me sens pasen mesure actuellement de clarifier cette question. Elle demandera une rflexion et un retournotamment aux dbats que Posner a mens avec Dworkin et dautres ce sujet, mais sans aboutir, il mesemble, une conclusion ferme. Dans la plus rcente dition de son trait (Economic Analysis of Law,Wolters-Kluwer, 2007, 7e d., pp. 10-15), Posner admet quil y a des questions auxquelles lanalyseconomique napporte pas de rponse en apparence satisfaisante. Lide de maximiser le bien-tre telque mesur par la volont de payer, que Posner avait propose dans les dbats et maintient dans la 7ed. de son trait, donne souvent des rsultats convaincants, mais laisse aussi des trous, comme dautresvariantes dutilitarisme. Sait-on cependant mieux expliciter lintuition du juriste par dautres voies ?Je suis frapp par la concidence frquente entre le raisonnement du juriste et celui propos parlconomiste, entre lintuition de justice et la particularisation de lide de maximiser le bien-tre,domaine par domaine. Souvent, il me semble que le fait de prciser les consquences prvisibles dunepolitique juridique suffit pour donner prise au jugement intuitif que veut porter le juriste sur celle-ci lAED comme impact calculus. Dans cet emploi, on vite le dbat sur un fondement normatif globalde lAED. ventuellement on sappuie sur une valeur locale assez gnralement admise dans un

  • 2457

    On ne peut sans doute pas dtacher la position dEjan Mackaay, mme encoreouverte la discussion, du but quil assigne lanalyse conomique de retrouver lamission traditionnelle de la doctrine juridique. Or, quest-ce que cette missiontraditionnelle dans les pays de droit civil sinon celle de restituer travers larecherche de sa cohrence, les fondements du droit et sa lgitimit politique, ce quifait, en tous cas, participer la doctrine lentreprise juridique elle-mme ? Le livrene peut donc certainement pas tre lu dans le prolongement de la sociologicaljurisprudence et du ralisme juridique pourtant souvent associs au succs de larception dans les facults de droit aux Etats-Unis de lanalyse conomique.Lhritage du ralisme juridique est formellement refus par Ejan Mackaay (voirAnalyse conomique du droit, n 2156). Ejan Mackaay justifie dailleurs en partielintrt de lanalyse conomique du droit en pays de droit civil par sa proximitavec les intuitions, les expriences et les solutions des civilistes. Elle permettrait dedexpliciter et de conforter leurs fondements moraux.

    Il faut donc attirer lattention sur ce qui dans luvre qui nous a runisapparatra comme lessentiel : la premire systmatisation du droit civil et du droitpriv des pays de droit civil du point de vue de lconomie du droit par un auteurfrancophone et civiliste. La ralisation est superbe et il appartient ainsi aux civilistesdapprcier ce que les concepts et les dmarches proposes par Ejan Mackaay etStphane Rousseau apportent leur doctrine ou leur conception de la science dudroit civil.

    Le dialogue sest nou et on lira dans ce cahier les rponses directes qui ontt faites Ejan Mackaay par Christian Atias, Emmanuel Putman et FrdricRouvire. Le dialogue sest nou aussi de faon plus indirecte dans la mesure o cesont aussi, avec celle dEjan Mackaay, dautres dmarches proches ou plus trangres la sienne qui ont t galement examines par ric Millard, Marc Deschamps etFrdric Marty, comme par Jean-Louis Bergel, Arnaud Raynouard, Jean-YvesChrot et Otto Pfersmann.

    Le lecteur ne pourra pas malheureusement avoir accs aux rponses qui ontt faites par Ejan Mackay. Elles nont pas pu tre retranscrites. Esprons donc quece sera un motif de reprendre avec lui, partir de ces textes ou dautres, le dialogueengag. Nous voudrions encore lui dire que son attention amicale aux observations,la profondeur de ses rponses et son empathie resteront profondment lies au trsbon souvenir de cette journe dtudes.

    domaine. Il me semble par ailleurs que lapport de lAED se situe plus dans des analyses spcifiquesdinstitutions que dans les grandes thories sur la nature du droit. Jon Elster fait une observationsemblable au sujet de la thorie du choix rationnel (Elster, Jon, Le dsintressement : Trait critique delhomme conomique, Tome 1 Paris, Seuil, 2009, p. 11).Je suis tent de vous proposer de laisser mon texte en ltat les lecteurs constateront que je nai pas derponse votre interrogation, qui me parat pourtant lgitime, et jugeront sur ce quils lisent dans lelivre. Certains verront plus loin que nous et pourront faire avancer le dbat sur la question.

  • I. UNE DIRECTION ?

  • REMARQUES INTRODUCTIVES

    Par

    Ejan MackaayProfesseur la Facult de droit de lUniversit de Montral1

    Permettez-moi, en commenant, de remercier vivement les organisateurs de laTable ronde, et en particulier le professeur Jean-Yves Chrot, davoir runi unensemble dintervenants de si haut niveau pour commenter le livre que jai crit avecStphane Rousseau et de me donner ainsi le plaisir de me retrouver de nouveau laFacult de droit dAix, o jai particip tant de rencontres stimulantes.La formule choisie me parat porteuse. Si le livre doit soulever un dbat, il vautmieux que cela se fasse partir de rflexions critiques duniversitaires franais qui lerelatent leur vcu qu partir dune prsentation forcment partisane par les auteurs.Dans les remarques introductives qui suivent, mon intention nest pas de vanter lesmrites du livre, mais seulement dexpliquer le contexte (I) et les contraintes (II)auxquels nous croyions faire face en le rdigeant.

    I. Le contexte

    En France, la rencontre entre le droit et lconomie nest certainement pasnouvelle. Les grands philosophes et crivains franais des sicles passs ont eulintuition danalyses qui sont retenues maintenant comme des gabarits de lanalyseconomique du droit. Rousseau na-t-il pas dj, dans son Discours sur loriginedes ingalits2, expos le dilemme de la chasse au cerf, dcrivant ce qui pour nousest le problme de laction collective3 ? Et Bastiat na-t-il pas insist sur la logiquede ce quon voit et de ce quon ne voit pas4 ? Les penseurs franais ont autantcontribu, il me semble, lavancement des ides en ces matires que, par exemple,ceux des lumires cossaises (Smith, Hume) ou lcole historique allemande etMarx.

    Mais ces clairs de gnie ne sont pas demble accessibles pour les espritsordinaires. Pour cela, il a fallu attendre que la science conomie ait dvelopp, aumilieu du XXe sicle, de nouveaux outils, comme la pense marginaliste, lasynthse no-classique et la thorie des jeux. la fin des annes 1950, alors que ledroit et lconomie avaient pris une nette autonomie lune par rapport lautre, unenouvelle tentative de rapprochement a t entreprise, aux tats-Unis cette fois5. Elle

    1 [email protected] ; http://www.cdaci.umontreal.ca/membres/e_mackaay_fr.html2 Rousseau, Jean Jacques, Discours sur les sciences et les arts Discours sur l'origine des ingalits,Paris, Flammarion (1755), 1971, p. 207.3 Lintrt de ce rcit comme jeu au sens de la thorie des jeux a t soulign dans Skyrms, Brian, TheStag Hunt and the Evolution of Social Structure, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.4 Bastiat, Frdric (dir.), Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, Paris, ditions Romillat, 1993.5 Lhistorique de ce rapprochement est prsent en plus de dtail dans Mackaay, Ejan, History ofLaw and Economics, dans : Encyclopedia of Law and Economics, Vol. I, Boudewijn Bouckaert etGerrit De Geest (dir.), Cheltenham, UK, Edward Elgar, 2000, pp. 65-117 (http://users.ugent.be/~gdegeest/0200book.pdf).

  • 2462 R.R.J. 2008-5 Cahiers de mthodologie juridique

    tait au dpart une initiative dconomistes cherchant exporter leurs conceptionsau-del de leur champ traditionnel. Au dbut des annes 1970, linitiative a gagnles facults de droit, aprs la premire publication dune synthse par le juristeRichard Posner6. Au cours de cette dcennie, elle a provoqu une vritable explosionde nouvelles ides dans la plupart des domaines du droit priv aux tats-Unis. Pourlancien doyen de la Facult de droit de lUniversit Yale Anthony Kronman,lanalyse conomique du droit est devenue le courant intellectuel le plus puissantqui ait touch le monde juridique amricain au XXe sicle7.

    Dans la seconde moiti de la dcennie des annes 1970, lapproche sestpropage en dehors des tats-Unis, dabord vers des pays dexpression anglaise,comme la Grande-Bretagne, le Canada, lAustralie et la Nouvelle-Zlande, puis versles pays europens. Partout, elle a fait des vagues, mais nulle part na-t-elle euautant dinfluence quaux tats-Unis. En matire dacceptation de lanalyseconomique du droit, lexception nest pas anglo-saxonne, mais bienspcifiquement amricaine.

    En France, la premire tentative de prsentation de la nouvelle approche a tentreprise en 1977 par des conomistes, qui ont pris le nom des nouveauxconomistes, dans un collectif intitul lconomie retrouve8. Le greffe na pas pris,car assez rapidement la prsentation a t dnonce comme une manipulationpolitique9. Pour autant que je puisse en juger distance, les juristes lont ignor, enraison peut-tre du caractre polmique de lchange. Dautres livres publis par lesauteurs de lconomie retrouve10, dont le livre sur la proprit dHenri Lepage11 qui premire vue aurait d intresser les juristes, sont demeurs largement ignorsdeux.

    Ce qui a connu un certain cho chez les juristes sont les actes de deuxcolloques prcurseurs organiss ici mme Aix, en 1986, par des juristes, surlconomie du droit12 et un survol que jai publi la mme anne13, de mme quedeux articles publis par un juriste britannique qui sintresse au droit civil dans desrevues franaises prestigieuses14. Un exercice de droit compar franco-britanniquedans le domaine du contrat publi en 1987 fait voir que les juristes britanniques, seservant de lanalyse conomique du droit comme outil, arrivent souvent desconclusions semblables que les juristes franais se basant sur leurs intuitionsmorales15. Ces lments pars nont pas suffi cependant provoquer chez les juristes 6 Posner, Richard A., Economic Analysis of Law, Boston, Little, Brown and Cy, 1972, (1e d.).7 Kronman, Anthony T., The Lost Lawyer Failing Ideas of the Legal Profession, Cambridge, MA, TheBelknap Press of Harvard University Press, 1993, p. 166.8 Rosa, Jean-Jacques et Florin Aftalion (dir.), Lconomie retrouve Vieilles critiques et nouvellesmthodes, Paris, Economica, 1977.9 Andreff, Wladimir, Annie L. Cot et al. (dir.), Lconomie fiction Contre les nouveaux conomistes,Paris, Franois Maspero, 1982.10 Aftalion, Florin, Socialisme et conomie, Paris, Presses Universitaires de France, 1978 ; et deuxcomptes rendus trs perspicaces de la rvolution conceptuelle en cours aux tats-Unis : Lepage, Henri,Demain le capitalisme, Paris, Librairie gnrale franaise, 1978 ; Lepage, Henri, Demain lelibralisme, Paris, Librairie gnrale franaise, 1980.11 Lepage, Henri, Pourquoi la proprit, Paris, Hachette, 1985.12 Atias, Christian (dir), L'analyse conomique du droit (numro spcial), (1987) 2, Revue de larecherche prospective, pp. 409-785.13 Mackaay, Ejan, La rgle juridique observe par le prisme de lconomiste - une histoire stylise dumouvement danalyse conomique du droit, (1986) 1 Revue internationale de droit conomique, pp.43-88.14 Rudden, Bernard, Le juste et l'inefficace : pour un non-devoir de renseignements, (1985) 84,Revue trimestrielle de droit civil, pp. 91-103; Rudden, Bernard et Philippe Juilhard, Thorie de laviolation efficace, (1986) 38, Revue internationale de droit compar, pp. 1015-1041.15 Tallon, Denis et Donald Harris, Le contrat aujourdhui: Comparaisons franco-anglaises, Paris,Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1987.

  • Ejan MACKAAY 2463

    franais en gnral la curiosit ncessaire pour aller prendre connaissance de lanalyseconomique du droit. Peut-tre la position plutt positiviste qui dominait largementla doctrine juridique franaise y est pour quelque chose.

    Fallait-il un expos plus systmatique de lensemble du domaine ? Unpremier texte paru en 1991 et prsentant sommairement lanalyse conomique pourlensemble du droit priv ne semble pas avoir eu dcho parmi les juristes16. Peut-tre est-ce d au fait que lauteur est conomiste et, de surcrot, membre du groupedes nouveaux conomistes. Les renvois aux institutions juridiques dans le livreconcernent surtout le droit amricain, transpos en langue franaise. Dautres critsdconomistes ne semblent pas avoir davantage touch les juristes17. Rcemment, latrs fine biographie du fondateur de lapproche, le juge Richard Posner, par deuxjeunes conomistes franais, ne semble pas avoir suscit de lintrt chez lesjuristes18.

    Ce qui a eu davantage deffet, si on peut se fier aux citations dans lalittrature juridique, sont deux publications par des juristes : un court article publipar Oppetit en 199219 et la thse de Fabre-Magnan, publie la mme anne20. Cettedernire publication est remarquable en ce quelle ose, dans une thse de droit, faireappel au droit compar et lanalyse conomique du droit pour analyser desquestions de politique juridique touchant lobligation de renseignement en droitpriv, dans un climat que lon dit encore largement hostile ces deux approches.Mais leffet douverture sur la doctrine juridique demeure restreint car, dans destextes comme ceux de Farjat, champion du droit conomique, aucune place nestrserve lanalyse conomique du droit21, pas plus, dailleurs, que dans la plupartdes introductions au droit, qui, le plus souvent, y consacrent au mieux quelqueslignes sous la rubrique des sciences auxiliaires22.

    Dans lensemble, la rception de lanalyse conomique du droit en France at lente par comparaison aux pays voisins. ct de lexception amricaine, ilconvient de reconnatre une exception franaise.

    Il est heureux dobserver, depuis quelques annes, une multiplication decollectifs, darticles, de thses explorant la contribution possible de lanalyseconomique du droit lunivers juridique franais23. Pour faire avancer la

    16 Lemennicier, Bertrand, conomie du droit, Paris, ditions Cujas, 1991.17 Par exemple, Brousseau, ric, L'conomie des contrats Technologies de l'information etcoordination interentreprises, Paris, Presses Universitaires de France, 1993 ; Orlan, Andr (dir.),Analyse conomique des conventions, Paris, Presses Universitaires de France, 1994;18 Harnay, Sophie et Alain Marciano, Posner L'analyse conomique du droit, Paris, ditionsMichalon, 2003.19 Oppetit, Bruno, Droit et conomie, (1992) 37, Archives de philosophie du droit, pp. 17-26.20 Fabre-Magnan, Muriel, De l'obligation d'information dans les contrats Essai d'une thorie, Paris,Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1992.21 Farjat, Grard, Droit conomique, Paris, Presses universitaires de France, 1982, (2e d.) ; id., Droitpriv de l'conomie T. II : Thorie des obligations, Paris, Presses universitaires de France, 1996 ; et trsrcemment : id., Pour un droit conomique, Paris, Presses universitaires de France, 2004.22 Par exemple, Malaurie, Philippe, Introduction l'tude du droit Cours de droit civil, Paris, ditionsCujas, 1991, nen traite pas. Carbonnier, Jean, Droit civil Introduction, Paris, Presses universitaires deFrance, 1997, (25e d.) y consacre un paragraphe (par. 27, p. 65) affirmant que le courant viserait mesurer le cot conomique de lapplication (ou non application) dune rgle de droit ; Terr,Franois, Introduction gnrale au droit, Paris, Dalloz, 1996, (3e d.), par. 397, p. 355, rsume saposition en affirmant que ce courant original, fructueux, mieux encore indispensable, a pntr dansla pense juridique franaise, mais sans plus de dtails.23 Un chantillon des publications seulement : Muir Watt, Horatia, Law and Economics : quel apportpour le droit international priv ?, dans: tudes offertes Jacques Ghestin : Le contrat au dbut du XXIesicle, Gilles Goubeaux, Yves Guyon et Christophe Jamin (dir.), Paris, Librairie Gnrale de Droit etde Jurisprudence, 2001, pp. 685-702 ; Muir Watt, Horatia, Les forces de rsistance l'analyseconomique du droit dans le droit civil, dans : L'analyse conomique du droit dans les pays de droit

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    connaissance de lapproche parmi les juristes franais, il faudrait cependant quesoient runies plusieurs conditions. Chez les ans, il faut une ouverture lexploration dides venues dailleurs et, de faon concomitante, un encouragementfait aux jeunes, aux doctorants en particulier, de se lancer dans cette exploration.Mme Viney, dans une allocation prononce lors de la soire organise pour laprsentation des Mlanges runis en son honneur, le 2 juin 2008, Paris, a appelcette ouverture et cette exploration de ses vux.

    En outre, sagissant de lanalyse conomique du droit en particulier, pour queles plus jeunes puissent en entreprendre lexploration, il faut un outil de travail quileur permet de sy initier effectivement. Un court texte publi en 2002 par un juristebritannique et un juriste belge parat trop sommaire pour remplir cet office24. Lestextes dintroduction disponibles en anglais et dans dautres langues ne font pasdavantage laffaire en raison de lcart linguistique et de la diffrence des institutionsjuridiques qui y sont analyses par rapport au droit franais25. Voil esquisse laniche que nous esprons occuper avec notre ouvrage.

    II. Les contraintes

    Notre livre danalyse conomique du droit devrait, au premier chef, seprsenter comme conu par des juristes civilistes pour des juristes civilistes. Ildevrait porter sur des analyses dinstitutions qui forment le quotidien des juristesfrancophones et dans une forme laquelle ils sont habitus. Nous avons opt pour

    civil, Bruno Deffains (dir.), Paris, Cujas, 2002, pp. 37-45 ; Muir Watt, Horatia, Analyse economique etperspective solidariste, dans : La nouvelle crise du contrat, Christophe Jamin et Denis Mazeaud (dir.),Paris, Dalloz, 2003, pp. 183-195 ; Josselin, Jean-Michel et Alain Marciano (dir.), Analyse conomiquedu droit, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2001 ; Deffains, Bruno (dir.), L'analyse conomique du droitdans les pays de droit civil, Paris, Cujas, 2002 ; Lvque, Franois et Yann Menire, conomie de laproprit intellectuelle, Paris, ditions La dcouverte, 2003 ; Simonnot, Philippe, L'invention de l'tat conomie du Droit, Paris, Les belles lettres, 2003 ; Simonnot, Philippe, Les personnes et les choses conomie du Droit / 2, Paris, Les belles lettres, 2004 ; Frison-Roche, Marie-Anne (dir.), Les rgulationsconomiques : lgitimit et efficacit, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2004 ; Frison-Roche,Marie-Anne et Alexandra Abello (dir.), Droit et conomie de la proprit intellectuelle, Paris, Librairiegnrale de droit et de jurisprudence, 2005 ; Canivet, Guy, Marie-Anne Frison-Roche et Michael Klein(dir.), Mesurer lefficacit conomique du droit, Paris, Librairie Gnrale de Droit et de Jurisprudence,2005 ; Frison-Roche, Marie-Anne (dir.), Les risques de la rgulation, Paris, Presses de Sciences Po etDalloz, 2005 ; Frison-Roche, Marie-Anne (dir.), Les engagements dans les systmes de rgulation,Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2006 ; Frison-Roche, Marie-Anne (dir.), Responsabilit etrgulations conomiques, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2007 ; Jamin, Christophe (dir.), Droitet conomie des contrats, Paris, Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 2008. Parmi les thses :Jaluzot, Batrice, La bonne foi dans les contrats tude comparative de droit franais, allemand etjaponais, Paris, Dalloz, 2001 ; Byksagis, Erdem, La notion de dfaut dans la responsabilit du fait desproduits Analyse conomique et comparative, Zurich, Schultess, 2005 ; Maitre, Grgory, Laresponsabilit civile l'preuve de l'analyse conomique du droit, Paris, Librairie gnrale de droit etde jurisprudence, 2005 ; Royer, Guillaume, L'analyse conomique et le droit criminel Une approchejuridique, Paris, ditions Manuscrit Universit, 2005 ; Frison-Roche, Marie-Anne et Marie-StphaniePayet, Droit de la concurrence, Paris, Dalloz, 2006 ; Jamin, Christophe,.conomie et droit, dans :Dictionnaire de la culture juridique, Denis Alland et Stphane Rials (dir.), Paris, Lamy-PUF, 2003,pp. 578-581.24 Ogus, Anthony I. et Michael Faure, conomie du droit : le cas franais, Paris, ditions PanthonAssas, 2002.25 titre dexemples : Posner, Richard A., Economic Analysis of Law, New York, Wolters Kluwer Law& Business, 2007, (7e d.) ; Cooter, Robert D. et Thomas Ulen, Law and Economics, New York,Pearson Addison Wesley, 2007, (5e d.) ; Friedman, David D., Laws Order What Economics Has toDo with Law and Why It Matters, Princeton, Princeton University Press, 2000 ; Schfer, Hans-Bernd etClaus Ott, Lehrbuch der konomischen Analyse des Zivilrechts, Berlin, Springer-Verlag, 2005, (4e d.) ;Schfer, Hans-Bernd et Claus Ott, Economic Analysis of Civil Law, Cheltenham, Edward ElgarPublishing, 2004.

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    des institutions du droit civil, principalement choisies dans les Codes civils franaiset qubcois, mais aussi, loccasion, dans ceux dautres pays, et du droit desaffaires, car lanalyse conomique du droit y a provoqu aux tats-Unis, au dire dunobservateur privilgi, une vritable rvolution26.

    Dans lordre de prsentation des concepts, nous avons adopt une factureclassique pour que les juristes francophones sy sentent demble laise. Le droitanalys est surtout, pour emprunter le terme employ dans un ouvrage rcent27, celuiqui est fourni par le souverain : les textes et les dcisions de justice et leur mise enordre par la doctrine, mais nous nous sommes galement arrts examiner lesinitiatives prives qui prfigurent les rgles du droit formel. Par cette prsentationclassique, nous esprons focaliser lattention des lecteurs sur les questions que poselanalyse conomique du droit au sujet des rgles et sur la perspective quellepropose pour leur comprhension. Ces questions et cette perspective ne sont pasclassiques.

    Dans lanalyse conomique du droit, les rgles sont apprhendes commeinfluenant les comportements de lacteur justiciable par la modification de leurscots et avantages. Devant cette modification, les acteurs peuvent, rationnellement,dcider dadapter leur comportement en consquence. Lanalyse cherche prvoircette adaptation et dterminer leffet net des adaptations entreprises par diffrentsacteurs et pose ventuellement la question de savoir sil correspond la volont delautorit publique qui a nonc la rgle. Remarquablement, en faisant cet exercicepour lensemble des rgles du droit civil, on observe que la plupart dentre ellesparaissent formules comme sil sagissait de minimiser les cots des interactionshumaines ou doptimiser les incitations lusage prudent des ressources rares ou linnovation, tout cela contribuant maximiser le bien-tre, au sens o lesconomistes emploient le terme.

    Est-il permis de faire alors un pas de plus, et de faire un emploi normatif decette analyse, pour se demander sur un point donn quelle forme aurait la rgle quicontribuerait le plus au bien-tre ? La question est dbattue au sein de lacommunaut des juristes-conomistes ; dans les faits, le passage au normatif estrgulirement et souvent imperceptiblement effectu dans les ouvrages consacrs lanalyse conomique du droit. Dans le livre, nous avons cherch nous tenir des affirmations prudentes sur la question. Dans la plupart des cas, il est dj fortutile au juriste de disposer dun outil lui permettant de reconnatre des rglesjuridiques dont les consquences seraient immdiatement catastrophiques, pouremprunter lexpression de David Friedman28.

    Le livre propose lanalyse des institutions essentielles du droit priv dans lesdroits franais et qubcois. Il ne vise pas un traitement exhaustif, mais doit toutde mme fournir un chantillon suffisamment diversifi et reprsentatif pour que lejuriste francophone puisse se faire une ide honnte sur le potentiel de cette approchepour son droit. Aux conomistes qui, daventure, en prendraient connaissance, ilpermet dacqurir une familiarit minimale avec le droit de leur pays. Cela leurvitera de faire leurs analyses sur des institutions amricaines, qui sont le quotidiende la littrature en langue anglaise dont ils sont familiers. Si cela pouvait faciliter

    26 Romano, Roberta, After the Revolution in Corporate Law, (2005) 55, Journal of Legal Education,pp. 342-359 (http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=824050).27 Milhaupt, Curtis J. et Katharina Pistor (dir.), Law & Capitalism : What Corporate Crises Reveal aboutLegal Systems and Economic Development around the World, Chicago, University of Chicago Press,2008, p. 3.28 Friedman 2000, p. 300 (All we need is some mechanism to eliminate legal rules whoseconsequences are immediately catastrophic.).

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    les communications entre juristes et conomistes francophones, nous en serionscombls.

    Au-del des institutions du droit civil, le livre fait aussi souvent rfrence des institutions dautres droits, y compris celles de la common law amricaine ouanglaise. Cest que lanalyse conomique du droit invite le juriste regarder lesinstitutions de son droit national de lextrieur, pour se demander quelle autreforme elles pourraient prendre ou comment les fonctions quelles remplissentpourraient ltre diffremment. Elle permet, en un sens, de penser limpensable.En cela, lanalyse conomique du droit a partie lie avec le droit compar. Les deuxapproches invitent une ouverture desprit dont nous tenons souligner lintrt,particulirement pour les doctorants, la gnration montante des juristes. Elle est demise dans le nouveau climat qui sinstalle en Europe mesure que progressent lesinitiatives, notamment dans les domaines du contrat et de la responsabilit, visant harmoniser les droits nationaux ou, du moins, en tudier les convergences. Si lanomenclature des institutions varie, ces tudes doivent forcment passer par leursfonctions29.

    premire vue, lanalyse conomique du droit, en proposant de juger lesrgles par leurs effets approche dite consquentialiste30 parat aux antipodes delapproche traditionnelle du juriste que lon dit fonde sur des principes moraux. lexprience, lcart nest pas si grand. Par exemple, le principe voulant quenmatire contractuelle, les dommages payer en cas dinexcution se limitent ce quitait prvisible au moment de la conclusion parat juste pour le dbiteur ;conomiquement, il se justifie tout autant, mais par la considration quelleentrane, entre les parties, une rpartition du fardeau des prcautions qui en minimiseprospectivement le poids global. Autre exemple : il parat moralement impratif desanctionner le dol ; conomiquement, cela est prudent car labsence de sanctionouvrirait la porte la gnralisation des actes opportunistes, ce qui, son tour,provoquerait des comportements dautoprotection gnraliss plus coteux que lasanction par le systme juridique dans les cas dabus.

    Plus que laspect normatif inhrent au raisonnement propos par lanalyseconomique du droit, ce qui doit retenir lattention ici et constitue, nos yeux, unecontribution importante est lapproche fonctionnelle aux institutions : les rglesjuridiques servent des finalits qui sont accessibles lesprit humain. En identifiantces fonctions et en dterminant comment les institutions particulires lesremplissent, on met en vidence lunit profonde du droit priv. Ici lanalyseconomique du droit rejoint la mission traditionnelle de la doctrine juridique.

    Au sein de lanalyse conomique du droit, on peut distinguer des diffrencesdapproche, que certains seraient tents dappeler des coles31. Les tenants de labehavioral law and economics32, par exemple, en sinspirant de travaux mens dansla psychologie cognitive, soutiennent que lesprit humain fonctionne souvent assez

    29 Parmi de nombreux articles pouvant illustrer ce propos, quon nous permette de nen citer quunseul : Chirico, Filomena, The Function of European Contract Law : An Economic Analysis, rapport,TILEC Discussion Paper No. 2008-025, 2008 (http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1185062).30 http://plato.stanford.edu/entries/consequentialism/ ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Consquentialisme31 Par exemple Kirat, Thierry, conomie du droit, Paris, La Dcouverte, 1999, rserve une large place ces considrations.32 Voir par exemple Jolls, Christine, Behavioral Law and Economics, dans : Behavioral Economics andIts Applications, Peter A. Diamond et Hannu Vartiainen (dir.), Princeton, Princeton University Press,2007, pp. 115-155 (http://ssrn.com/abstract=959177) ; Jolls, Christine et Cass R. Sunstein, Debiasingthrough Law, (2006) 35, Journal of Legal Studies, pp. 199-241 (http://www.law.yale.edu/documents/pdf/Debiasing_Through_Law.pdf) ; Sunstein, Cass R. (dir.), Behavioral Law and Economics,Cambridge, Cambridge University Press, 2000.

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    diffremment de la faon que postule le modle de la rationalit intgrale adoptimplicitement dans la plupart des analyses conomiques. Ils estiment que le droitdoit imposer des correctifs dans les circonstances o ces particularits risquent dejouer des tours au dcideur, par exemple le consommateur. Le dbat sur limportancede ces phnomnes se concentre sur deux aspects. Dabord, il faut mesurer par destudes de terrain leur incidence relle, vu que le dcideur, conscient de son proprehandicap, peut prendre des prcautions et ventuellement faire appel des tiers pourmodrer les contrecoups quil en subirait. Ces tudes peuvent rserver des surpriseset montrer que le problme est moins aigu que la thorie ne le laisse prvoir33. Silon devait constater une distorsion systmatique et importante sur des points prcis,la deuxime question est de dterminer quelle consquence cela produit pour lathorie conomique. Lvolution du dbat laisse voir que, plutt que de remettrefondamentalement en question le modle noclassique dominant, la communautscientifique cherche comment on peut ladapter pour incorporer ces considrations.Des dbats semblables se droulent propos de lapproche institutionnaliste et delapproche autrichienne en conomie. Ces adaptations nous semblent faire partie delvolution normale des thories scientifiques. Dans un texte introductif comme lentre, il ny avait pas lieu, nos yeux, den faire trop de cas. Cela pourraitobnubiler le propos plus important de lapport innovateur de lanalyse conomiquedu droit, toutes tendances confondues, au discours du juriste.

    La forme du livre tait galement soumise des contraintes. Les lecteurstant des juristes, nous avons vit lusage de formules mathmatiques et rduit auminimum lusage de graphiques, les deux tant monnaie courante dans la littratureconomique et, par ricochet, dans une bonne partie de la littrature de lanalyseconomique du droit en langue anglaise. Nous avons suivi les pratiques franaisesen traduisant toutes les citations reproduites dans le texte, tout en fournissant letexte original dans la note. Pour lappareil des notes, nous avons suivi la pratiquenord-amricaine de documenter nos affirmations de manire dtaille et avec desrfrences compltes. Il faut esprer que les lecteurs et notamment les doctorants cherchant remonter aux sources trouveront ainsi leur travail facilit. Pour ceux qui,sans se rendre aussi loin, voudraient nanmoins tendre leurs lectures au-del dulivre, nous fournissons la fin de chaque chapitre des conseils de lecture.

    Conclusion

    Ces remarques introductives nont cherch qu prsenter notre livre dans lecontexte plus large de lanalyse conomique du droit et de laccueil que le mondejuridique franais a rserv celle-ci jusqu maintenant. Lanalyse conomique dudroit, dans sa mouture actuelle, est une cration amricaine et sa rception a t laplus enthousiaste, et de loin, aux tats-Unis : lexception amricaine. Cela na pasempch cependant une rception remarque et un dbat public vigoureux dans bonnombre de pays europens. Pour en tmoigner, rappelons que le texte dintroduction lapproche en allemand en est sa quatrime dition. Et lintrt pour lapprochecontinue daugmenter.

    La rception de lanalyse conomique du droit en France a pris du retard parrapport ces dveloppements : lexception franaise. Depuis quelques annes, il y a

    33 Voir titre dexmple Wright, Joshua D., Behavioral Law and Economics, Paternalism, andConsumer Contracts: An Empirical Perspective, (2007) 2, NYU Journal of Law & Liberty, pp. 470-511(http://ssrn.com/abstract_id=1015899) ; Arlen, Jennifer H. et Eric L. Talley, Experimental Law andEconomics, paratre dans : Experimental Law and Economics, Jennifer Arlen et Eric Talley (dir.),Cheltenham, UK, Edward Elgar Publishing, 2008 (http://en.scientificcommons.org/jennifer_arlen).

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    cependant des signes encourageants dun changement important. Mais le mondejuridique franais parat en gnral encore loin daccepter lanalyse conomique dudroit ou mme den avoir pris connaissance. Le livre vise faciliter aux juristesfranais cette prise de connaissance. Il se prsente en franais, dans une formerelativement classique et porte sur un chantillon assez large et reprsentatif du droitcivil, dans lespoir que lattention du lecteur puisse alors tre retenue principalementpar la contribution propre de lanalyse conomique du droit. Lapproche noussemble avoir autant dire aux juristes civilistes qu ceux des pays de common law.Elle invite une ouverture desprit que nous croyons essentielle pour la vigueur dela tradition civiliste.

  • SUR E. MACKAAY ET ST. ROUSSEAU,ANALYSE CONOMIQUE DU DROIT,PARIS, DALLOZ, DITIONS THMIS, 2008

    Par

    Christian AtiasBoulton Senior Fellow McGill University

    1. Des questions Avant mme de laisser la discussion sinstaurer surlapport de lanalyse conomique du droit, sur les rponses quelle propose, il estpeut-tre possible de sinterroger sur les questions quelle se pose et quelle pose.Pour la rflexion thorique, cette tape pralable est indispensable. Il importe desavoir de quoi il est question et ce qui est en question.

    Lanalyse conomique du droit travaille sur le droit, mais sur quel droit, surquelle conception du droit, sur quelle partie du droit ?

    2. Des objectifs dclars Lanalyse conomique du droit superbementprsente, explicite et mise en uvre par les Professeurs Ejan Mackaay et StphaneRousseau, veut tre une mthode qui emprunte des concepts de lconomie pourmieux comprendre le droit et en saisir lunit profonde1, en atteignant lesconceptions doctrinales de manire systmatique et transparente2. Lobjectif est demettre au jour, [] une rationalit sous-jacente des rgles juridiques et lesprincipaux effets prvisibles de leurs changements3, afin de pouvoir porter sur ellesun jugement clair4. Le propos est encore rvler des fondements du droit5.

    Cest le droit dit positif qui est la cible.

    3. Questions sur la mthode Le projet pose de multiples questions. Dansune premire srie, surgit celle de la mthode. Elle nest videmment ni neutre, niindiffrente ; elle ne peut tre adopte sans rflexion ; elle doit tre pense partir delobjet, en loccurrence de lobjet droit. La dmarche, cest--dire la manire dontnous suivons les choses de prs (meqodos), dcide par avance de ce que nousdcouvrons dans les choses en fait de vrit. La mthode nest pas une picedquipement de la science parmi dautres, cest sa teneur fondamentale, partir delaquelle se dtermine avant toutes choses ce qui peut devenir objet et comment celale devient6.

    Une deuxime srie de questions porte sur lobjectif de comprendre ledroit. Elles sont particulirement dlicates. Comprendre pourrait signifier ici 1 E. Mackaay et St. Rousseau, Analyse conomique du droit, Paris, Dalloz, Editions Thmis, 2008,p. XXI, n. 667, p. 179 ; cest nous qui soulignons.2 E. Mackaay et St. Rousseau, op.cit., n. 667, p. 179.3 E. Mackaay et St. Rousseau, op.cit., n. 2121, p. 591.4 E. Mackaay et St. Rousseau, ibidem.5 E. Mackaay et St. Rousseau, op.cit., n. 2121, p. 591.6 M. Heidegger, Quest-ce quune chose ?, 1935, Tbingen, Max Niemeyer Verlag, 1962, Paris,Gallimard, 1971, traduction J. Reboul et J. Taminiaux, Collection Tel n 139, p. 112.- J.-L. Bergel,Mthodologie juridique, Paris, P.U.F., 2001, collection Thmis, p. 21.

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    expliquer ou justifier, voire dceler les raisons, mais aussi apprcier, juger. dire levrai, la dissociation de ces oprations intellectuelles fait question en elle-mme. Etles difficults ont trait indissociablement lobjet. Le droit dont il est questionpourrait tre lensemble des lois qui se font au Parlement, moyennant une procdureinstitue, mais aussi moyennant lintervention de divers pouvoirs et groupes depression. Ce pourrait tre aussi celui qui est mis en uvre et inform, institu par lejuge dans chaque espce et dans lexercice de son pouvoir prtorien. Ce pourrait treencore le droit tel quil devrait tre ; et la question nest pas claire, car le droit quidevrait tre peut tre celui qui est juste ou celui qui est cohrent ou celui qui estefficace et remplit les objectifs quil sest donn.

    Lanalyse conomique du droit se proccupe manifestement du droit tel quildevrait tre conu et mis en uvre pour parvenir certains rsultats ou, plutt, pouren viter dautres.

    4. Questions sur des postulats Une deuxime srie de questions porteraitsur lunit du droit, sur la transparence recherche, sur les fondements du droit expliciter.

    Cette unit peut tre souhaite ; lobjectif de cohrence est alors rejoint. Ellepeut tre constate ; des critres devraient alors tre tablis avant toute observation.Elle peut enfin tre postule. Lanalyse conomique du droit apparat souventcomme lanalyse de dcisions supposes faire le droit et le contenir.

    La transparence est prsente comme une exigence dobjectivit, sinon descientificit. Elle lest sous couvert dun prsuppos de rationalit qui, lui aussi, faitquestion7 ; il ne peut tre envisag globalement et dans labsolu, sans prendre partisur le rle des pouvoirs et de leurs dcisions dans la formation du droit.

    Quant aux fondements, ils sont encore plus problmatiques. Ces points dedpart ne peuvent tre retenus sans tre puissamment et profondment penss. Enfait, lhistoricit est toujours refoule dans la question du point de dpart, pour quecelle-ci sinstaure et prenne son sens8.

    bien des gards, cest lefficacit qui semble servir de fondement au droitqutudie lanalyse conomique du droit. Sa prtention assigner au droit larecherche dobjectifs prfrables9 a t fortement critique au nom notamment de laproccupation de la libert : lhomme nest pas rductible la seule efficacit10.

    5. Une thorie gnrale et neutre ou les origines philosophiques delanalyse conomique du droit La nature de lanalyse conomique du droit faitquestion en elle-mme. Discours sur le droit, elle aspire se parer des atours duralisme, dun ralisme exemplaire et ingal. Elle traite dune effectivit fonde surlexprience conomique et sur les apports de la science conomique.

    Le risque est dintroduire, sous couvert dune autre rationalit, un vernislogique11. La thorie conomique du droit pourrait tre dope12. Elle peut donctre prouve sur le terrain de cette rationalit renouvele. Sa neutralit mriterflexion. Elle est douteuse parce que les positions philosophiques et thoriques sur

    7 Voir notamment S. Goyard-Fabre, Critique de la raison juridique, Paris, P.U.F., Collection ThmisPhilosophie, 2003, et notamment, p. 19 sur linfluence du modle des mathmatiques.8 M. Meyer, Questionnement et historicit, Paris, P.U.F., 2000, collection Linterrogation philosophique,p. 38.- Voir aussi, p. 7 et s.9 B. Oppetit, Droit et modernit, Paris, P.U.F., 1998, collection Doctrine juridique, p. 181.10 B. Oppetit, ibidem.11 R. Boudon, Lart de se persuader des ides douteuses, fragiles ou fausses, Paris, Fayard, 1990,pp. 23, 29, 49.12 R. Boudon, op.cit., pp. 129, 161, 165.

  • Christian ATIAS 2471

    lesquelles elle repose ouvertement ne sont videmment pas neutres. Lanalyseconomique du droit ne pourrait tre, sans danger, une thorie ou une philosophiedu droit qui signore.

    I. Lanalyse conomique du droit, une mthode normative ?

    6. Lgistique Par ses objectifs dclars, lanalyse conomique du droitparat relever davantage de la lgistique ou de la juristique que la thorie gnrale dudroit. Elle propose des solutions pour amliorer la faon de poser les rgles, entenant mieux compte de leur incidence conomique suppose prvisible. Ellesubstitue une analyse raisonne aux intuitions assez fragiles de la tradition juridique.De tous temps, certaines rgles ont t critiques, dautres ont t juges prfrablesen considration des effets qui leur taient prts sans autre vrification ; lexemplede la prohibition des pactes sur succession, fonde sur la crainte de favoriser levotum mortis est connu. Lattitude et la proccupation ne sont donc pasnouvelles ; ce qui change, cest la faon dy rpondre.

    Lanalyse conomique du droit ne se contente pas de telles hypothses. Cestlapport principal des instruments de la science conomique que de permettre de lesprouver. Pour y parvenir, un parti est pris sur la rgle de droit et sur sonlaboration. Lanalyse conomique du droit peut ainsi prtendre au titre de thorie delune ou de lautre.

    A. Une thorie de la rgle de droit

    7. La dfinition dominante du droit Pour lanalyse conomique dudroit, ce dernier est dans les rgles. La dfinition la plus ordinaire densemble dergles de comportement, assorties de contrainte, parat lui convenir parfaitement.Certains thoriciens de lanalyse conomique du droit sen sont proccups et ontmen la discussion sur ce terrain. Toutefois, le dbat sur ce point semble souventlargement fauss pour deux raisons. Dune part, men au nom et du haut delanalyse conomique du droit, il doit sachever sur ladhsion une thorie du droitqui ne soppose pas son essor ; la thorie est en quelque sorte dos au mur.Dautre part, les tenants de lanalyse conomique du droit semblent assezgnralement tenir la question pour dimportance tout fait secondaire ; leursanalyses et propositions doivent passer et passeront.

    Au rsultat, une aporie cruciale semble nglige. Lanalyse conomique dudroit est laise dans une conception interventionniste ou paternaliste. Elle proposela formulation de rgles destines produire tel ou tel rsultat conomique parhypothse voulu et recherch ; elle offre donc au lgislateur les moyens daugmenterson action, voire sa matrise sur lconomie. Contrairement une impressionrpandue, ses rapports avec le libralisme sont moins clairs. Si le droit est un ordresocial spontan, le rsultat des rgles dlibres peut se constater pour dplorerquelles le perturbent, et notamment quelles diminuent la qualit de linformationfournie. Ds lors que le droit franais en particulier na jamais t vraiment inspirpar le libralisme en dpit de ce quont voulu faire croire les tenants delinterventionnisme dtat , la question poser lanalyse conomique du droit,comme aux autres thories juridiques, cest celle de la transition : il faut inventer lesvoies par lesquelles ltat pourrait intervenir dans une conomie rglemente pourlui rapprendre la libert.

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    8. De la gnralit des rgles de comportement Il nest certainement paspossible de tenir pour une vidence que le droit serait dans les rgles, dans desrgles de comportement en particulier.

    Lanalyse conomique du droit doit faire la part de la prudencearistotlicienne dans la formation du droit. Sil se situe quelque part sur le cheminqui se parcourt sans cesse dans les deux sens entre le gnral et le singulier, lesconclusions tires sur les effets des rgles doivent tre relativises. Le droit nest pasce qui peut se dcrire dans labstrait ; l seulement, il est question decomportements combattre ou favoriser. Sur ce chemin incertain, favoriserladoption de la solution la moins injuste nest pas ncessairement une questiondefficacit.

    9. De leffectivit des modles de comportement Plus prcisment,lanalyse conomique du droit parat vouloir raisonner sur des comportements etractions rels l o lindividualisme mthodologique nous a appris raisonner plusmodestement sur des hypothses imaginaires. Il sagit de reconstruire, partir desmouvements sociaux, les attitudes individuelles qui peuvent les expliquer. Ce quimanque, dans les affirmations conomiques sur le droit et ses effets, cest une petiteexpression pleine de sens faut-il dire de bon sens ? : tout se passe commesi.

    Elle viterait toute confusion entre le droit et un programme dactionpolitique. Elle viterait aussi de prendre les notions de droit pour des instruments,des concepts opratoires. Elle invite surtout se demander si leffet conomiqueou social de la rgle dpend directement de son contenu. Quand dire cest faire estune thorie du langage, non du droit ; il a trop souvent tendance, comme lespolitiques conomiques, faire linverse de ce quil dit. La rgle ne fait que cequelle fait entendre, en fonction de la faon dont elle sinsre dans un corps global,de la faon dont elle est comprise, mise en uvre et accepte.

    B. Une thorie de llaboration des rgles

    10. De la lgislation la rgulation Les fonctions de la lgislation sontfort complexes et bien incertaines. Il ne peut admis comme un postulat indiscutablequelle ait pour mission de rguler les comportements en fonction notamment deleurs effets conomiques.

    Le doute est dautant plus permis que lefficacit de cette rgulation ne sevrifie gure. Les phnomnes sociaux peuvent tre le rsultat des actions deshommes ; ils ne sont jamais lexcution de leurs desseins13 ; cest ce quedmontrent des sicles dhistoire du droit. Les effets des rgles sont parfaitementimprvisibles parce quils se conjuguent avec les traditions juridiques et sociales,avec ceux dautres rgles, avec les particularits des situations individuelles, avec lesidologies dominantes ou souterraines

    Lexemple historique du normativisme kelsnien doit tre conserv enmmoire. Pour faire tenir la pyramide des normes, il faut la serrer entre deuxhypothses poses pour demeurer invrifiables, la norme hypothtique fondamentaleet une effectivit globale et vague.

    11. La rationalisation des choix lgislatifs Les partis que prend lelgislateur peuvent assurment tre rflchis, prpars par des tudes notammentconomiques rigoureuses et srieuses. Cette faon doprer est videmment 13 Ad. Ferguson, An Essay on the History of Civil Society, Londres, 1767, p. 187.

  • Christian ATIAS 2473

    prfrable ; chacun dplore quelle ne soit pas toujours suivie. Cest une chose quede ne pas lgifrer laveugle ou pour rpondre des revendications pressantes, des fins lectorales notamment ; cen une toute autre que de confondre ltude dessituations rgir avec les rsultats venir de la lgislation.

    Lun des apports majeurs de lanalyse conomique du droit serait assurmentde parvenir contribuer lamlioration du travail lgislatif. Deux voies ont tempruntes et devront ltre. En premier lieu, ltude des influences et actions quisexercent sur les pouvoirs normatifs, lgislatifs et prtoriens, est de premireimportance. Il ne faut pas esprer, ni mme peut-tre souhaiter les empcher. Il fauten tenir compte. Il faut faire avec, lorsquil sagit de rendre les choix lgislatifsplus rationnels et plus efficaces. En second lieu, dans la ralisation de cet objectif, ilimporte de faire preuve dune grande modestie ; ce serait un immense progrs queden apprendre les bienfaits au lgislateur lui-mme. Ses objectifs seraient beaucoupplus souvent atteints sils ne supposaient pas des hommes diffrents, des hommesnouveaux, un monde diffrent, un monde nouveau. Aristote nous a maintes foisrappel que nous vivons dans un monde sublunaire.

    12. Leffacement de lirrationnel Le langage, la pense, le discours, leraisonnement juridiques sont volontiers caractriss par leur rigueur, par leur clart.Il fut mme un temps o des scientifiques enviaient ces caractristiques. Le droitserait porteur de certitudes, de scurit. Cest ce que demandent le citoyen, lejusticiable, le profane au juriste.

    Lanalyse conomique du droit pourrait bien reprendre ces mythes soncompte, au moins par dfaut. Elle semble proposer une amlioration des rgles dedroit pour les rendre plus efficaces, plus sures, comme si elles pouvaient acqurir cesqualits. Lirrationnel a toujours eu sa place dans le langage, la pense, le discours,le raisonnement juridiques. Il ne pourrait trs probablement pas en tre limin. Ledroit est assis sur des symboles et sur des lgendes. Lhistoire des grands principes,des notions les plus solennellement consacres en atteste.

    La dcision de faciliter le divorce peut bien faire lobjet dune analyseconomique ; ses consquences peuvent tre tudies. Rien ne peut empcher quellenaffecte limage, hautement symbolique, du mariage.

    II. Lanalyse conomique du droit, une thorie du droit ?

    13. Lanalyse conomique de quel droit ? La question laquellelanalyse conomique du droit est inexorablement et constamment reconduite estbien celle de savoir de quel droit elle entend faire lanalyse. Elle peut travailler surun droit rationnel ou prtendant ltre et cohrent ou prtendant ltre ,fabriqu par un lgislateur. Il faut souhaiter quil soit inform sur les consquencesconomiques et sociales de ses initiatives. Elle peut aussi tenter danalyser un droitqui se compose tous les jours lincessante rencontre de multiples rgles dlibresqui entrent en concurrence, dautres rgles formes spontanment, des circonstancesconcrtes, des besoins, des intrts, des cultures et des idologies, et de pratiquescommunes. Lexamen de ses effets prend alors un tour beaucoup plus thorique etcontemplatif ; lespoir damliorer ce droit l risque fort dtre vain. Ses effetsventuellement pervers ou nfastes ne peuvent tre corrigs directement.

    Ouvrir cette alternative, cest poser la question des postulats idologiques delanalyse conomique du droit. Il lui appartient de dmontrer quelle peut ne pas trepositiviste, quelle peut tre la thorie de droits conus autrement. Hritire de laphilosophie des Lumires et de son positivisme, elle ne pourrait prtendre ni unesorte duniversalit, ni une quelconque neutralit.

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    A. Un guide pour la mise en uvre de la rgle

    14. Infrence, induction, incidence Comme la cohrence du droit, larationalit juridique est toute relative. Elle est faite de complexits, de compromis,daccommodements. Lobjectif de montrer la logique14 du droit est donc du plusgrand intrt. Il suppose toutefois de sentendre sur la logique15 dont il est question.Ce nest pas la logique ordinaire ; elle est propre au droit et tolre bien descontradictions, bien des approximations.

    Les infrences juridiques sont ordinairement bien fragiles. Elles se fondentdavantage sur des habitudes et des traditions que sur la logique mme. Lesinductions juridiques sont assez souvent plus hypothtiques encore que celles desautres domaines.

    Lanalyse conomique du droit doit tenir compte de ces caractristiquesauxquelles elle ne renonce nullement, bien au contraire. Elle compose ses tudes delincidence des rgles, et ses propositions de clarification et de vrification, sur labase dune reconstruction elle-mme hypothtique, celle de lindividualismemthodologique. Le ralisme prn est donc bien particulier.

    15. Bonne et mauvaise foi, dtournement et opportunisme La rfrence la bonne foi a t emprunte par le droit franais un droit romain abtardi par lesromanistes du Moyen-Age. Il ne faut donc pas attendre delle une grande prcision ;elle est ncessairement quivoque. Elle est encombre de mille cas-types, deprjugs changeants, didologies multiples et aussi de ractions personnelles.

    Lanalyse conomique du droit propose de lui substituer la notiondopportunisme. Elle parat plus rationnelle parce quelle est moins ancienne, moinssur-dtermine, moins moralement marque. Le progrs nest pas assur. Laprsomption de mauvaise foi que les juges attachent volontiers toute intentionspculative ne disparatrait certainement pas sils raisonnaient sur lopportunisme duspculateur. Les anciens sillons tracs sur le champ de la bonne foi se prolongeraientsans doute sans grande variation.

    B. Une reconstruction des raisons de la rgle

    16. Concept ou mythe fondateur ? Lintention du lgislateur est unmythe ; nul nen doute. Elle na pas dexistence relle, parce que ladoption desdispositions lgales fait lobjet de dcisions collectives ; nul ne peut savoir quellefut lintention de la majorit des votants. Le jeu des amendements interditgalement de sen tenir lintention des rdacteurs de lavant-projet et du projet.Elle est dtermine de faon variable en fonction des mises en uvre successivesde la disposition, des variations idologiques

    Ce mythe est fondateur. Il na de sens que parce quil montre que la loinappartient pas ses auteurs. Lintention du lgislateur est la rfrence qui guide larflexion sur ce que pourrait tre la bonne rgle, la recherche de la raison de droit.Lanalyse conomique du droit ne peut rduire son examen la dcision lgislativeou prtorienne ; cest un phnomne beaucoup plus complexe quelle doit prendrepour objet.

    14 E. Mackaay et St. Rousseau, op.cit., n. 22, pp. 6-7.15 M.-L. Mathieu-Izorche, Le raisonnement juridique, Paris, P.U.F., 2001, collection Thmis, p. 1.

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    17. Ratio legis et ratio juris ? Lanalyse conomique du droit ne peutfaire lconomie de la rflexion sur la distance incommensurable qui spare la ratiolegis de la ratio juris.

    Elle semble parfois la mconnatre. Cest le cas, par exemple, lorsquil estsuppos que la rgle de rpartition du trsor entre linventeur et le propritaire dufonds o il a t dcouvert sexplique par la volont dintresser aussi bienlinventeur que le propritaire la mise en circulation16. La raison de droit est pluscomplexe ; elle tient notamment la rserve lgislative face au hasard, la chancequi ne porte gure le jugement intuitif de justice. La mme observation vaut pourle rgime juridique du doute sur lauthenticit dun tableau ; il est bien douteux quela proccupation de ne pas dcourager la prise de risques par les experts etventuellement mme linvestissement dans lacquisition du talent dexpert17 soitla raison de droit des solutions consacres.

    18. Raisons et effets du droit supposer mme quune disposition lgaleait t adopte pour tenter de provoquer de tels effets, pour produire de tels rsultats,ils ne se produiront que bien rarement. La rfrence la raison du droit tient comptede ces interactions multiples et complexes, de ces allers et retours constants de largle la singularit de lespce ; cest pourquoi, elle rsiste lanalyse conomique.

    Dcourager linexcution du contrat18 peut tre un objectif du lgislateur ;ce ne peut gure tre une raison de droit. La Cour de cassation qui tient touteinexcution du contrat pour une attitude contraire au droit19 sgare dans une visionmoralisatrice et disciplinaire. Dans bien des cas, linexcution du contrat estlgitime et licite ; son rgime juridique nest pas constitu seulement de sanctions.

    19. Lanalyse conomique de la pathologie du droit. Des erreurs dans ledroit Lanalyse conomique du droit apporte la rflexion sur le droit, sur saformation, sur sa mise en uvre, des informations de grand intrt. Elle aincontestablement sa place aux cts de lhistoire du droit, de la sociologiejuridique, de la philosophie et de la thorie du droit.

    Elle le complte utilement, en rvlant des aspects mconnus du phnomnejuridique. En particulier, elle pourrait contribuer llaboration dune thorie delerreur dans le droit20. Il nest pas rare que le lgislateur ou les juges sgarent.Cette ralit est tenue pour une anomalie exceptionnelle et ngligeable ; cest unpostulat aussi coteux que dangereux. De trop nombreuses erreurs affectent limagedu droit, sa signification symbolique ; son acceptation sociale est en cause.

    Lanalyse conomique de la pathologie du droit, des erreurs de raisonnement,des explications de leur survenance, de leurs consquences et des remdessusceptibles de les viter ou den diminuer le nombre, serait dune utilit certaine. Ilfaut esprer quelle se dveloppera rapidement.

    16 E. Mackaay et St. Rousseau, op.cit., n. 904, pp. 244-245.17 E. Mackaay et St. Rousseau, op.cit., n. 1492, p. 411.18 E. Mackaay et St. Rousseau, op.cit., n. 1337, pp. 373-374.19 Cass. com., 30 juin 1992, Bull. civ. IV, n. 258.20 E. Mackaay et St. Rousseau, op.cit., n. 1248 et s., pp. 349-350 : Observations sur lerreurjudicaire.

  • LINTROUVABLE CONTRAT COMPLET

    Par

    Emmanuel PutmanCentre Pierre Kayser,

    Professeur lUniversit Paul Czanne, Aix-Marseille III

    1. Comment lordre juridique peut-il accorder une complte force obligatoire un contrat dont le contenu obligationnel (cf. P. Ancel, Force obligatoire etcontenu obligationnel, RTDciv. 1999, 1 et s.) prsente des lacunes, savreimparfait ou pour mieux dire incomplet, en ce sens quil nenvisage pas toutes lessolutions permettant de faire face toutes les ventualits daccidents de parcourssusceptibles de priver les contractants du rsultat dsir ? Cest noncer sous laforme dun paradoxe la question de ce que les conomistes appellent le contratparfait ou plus exactement le contrat complet (complete contract), tout en posantcomme hypothse linvitable imperfection, ou pour le dire plus prcisment,linvitable incompltude du contrat (E. Mackaay et S. Rousseau, Analyseconomique du droit, 2e d. Dalloz 2008, n 1347 et s., p. 376 et s., spc.n 1348, p. 377 et les rfrences cites).

    I. Le contrat complet comme vue de lesprit

    2. En effet, le contrat complet nexiste pas en ralit : cest une vue delesprit (Mackaay et Rousseau, op. cit. n 1349 p. 377). Non seulement le contratne saurait dtailler de manire absolument complte tous les accidents de parcoursimprvisibles (hardship ou force majeure) qui pourraient laffecter, mais lescontractants font le choix de lincompltude rationnelle (rational incompleteness :Mackaay et Rousseau, n 1351, p. 378 et les rfrences cites), cest--dire prfrentne pas essayer dintgrer dans le contenu du contrat toutes les ventualitsprvisibles, parce que les cots dun tel effort nen valent pas la peine et que ceteffort pourrait mme conduire des rsultats contre-productifs. Le succs despourparlers pourrait tre compromis si lon sinquitait lavance daccidents deparcours trs improbables (cots de formulation). Certaines stipulationscontractuelles pourraient savrer dfectueuses si lon prtendait toute forceprconstituer des remdes ad hoc pour des accidents de parcours qui narriverontpeut-tre pas tels quon les avait imagins (cots dinadaptation : cf. Mackaay etRousseau, n 1350, p. 377).

    Bref, la spcification complte du contrat ne vaut jamais son cot en regarddes ennuis ainsi vits (Mackaay et Rousseau, n 1351, p. 377).

    3. Cela nempche pas le contrat de tendre vers la compltude mais il peut laviser de plusieurs manires selon lide que les rdacteurs se font dun contratcomplet. La compltude pourra tre recherche en extension, cest--dire enenvisageant minutieusement des sries de situations avec les effets de droit que lesparties entendent y attacher (liste des circonstances de hardship ou de force majeure),

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    ou en comprhension cest--dire en visant un ensemble de situations et deffets dedroit au moyen dune formule gnrale, ou encore selon une mthode combinatoireassociant clause gnrale (au sens du prsent contrat, la force majeure est entenduecomme) et clause numrative. La diversit des techniques contractuelles drive dela diversit des cultures juridiques, tournes, les unes plutt vers une techniquecasuistique, les autres plutt vers une technique systmatique (v. J.-M. Mousseronet alii, Technique contractuelle, F. Lefebvre, 2e d., n 368). Dans tous les cas lacompltude recherche est lie la reprsentation quon se fait dun contrat complethypothtique.

    II. Le contrat complet comme mthode

    4. Si lon passe de la construction du contrat par les parties linterprtationdu contrat et lapprciation des conduites des cocontractants par le juge loccasion dun litige, on constate que nombreux sont aujourdhui les conomistesqui incitent le juge rendre sa dcision, non pas tellement selon un principe deralit, en valuant les comportements des parties lors des accidents de parcours parrfrence au contenu de leur contrat tel quil est, mais bien, plutt, en contemplationdune conomie hypothtique du contrat . Les juges sont invits mesurer le contratplus ou moins incomplet, laune de lquilibre contractuel auquel les partiesseraient parvenues si elles avaient explicit toutes leurs attentes dans les termes lesplus dtaills.

    5. Cette analyse parat reposer la fois sur une prsomption et sur unpostulat. Les parties sont prsumes avoir construit leur contrat selon une certaineide quelles se faisaient du contrat complet et il est postul que la seule missionlgitime du juge consiste se prononcer sur la foi, non pas dune conceptionprtablie du contrat complet, suspecte dtre plus ou moins arbitraire, mais dunereconstitution, aussi fidle ou du moins aussi plausible que possible, des moyenspar lesquels les parties entendaient parvenir aux avantages quelles espraient tirer ducontrat. Le juge devrait sefforcer dapprocher au plus prs dune formulation desattentes des parties que celles-ci ne dsavoueraient pas.

    III. Le contrat complet comme conomie

    6. Il est improbable que les conomistes adeptes de cette mthode du contratcomplet hypothtique reconnaissent quelle est commande par un postulat. Aucontraire, ils expliquent que les accidents de parcours du contrat reprsentent un cotglobal quil faut essayer de minimiser. Lapproximation, aussi fine que possible,des gains escompts par les parties, simposerait alors comme la meilleure mthodede minimisation du cot des accidents de parcours (Mackaay et Rousseau, n 1349-1350, p. 377, citant D. Wittman, Economic foundations of law and organization,Cambridge University Press 2006, spc. p. 194 et s.).

    7. La raison donne pour considrer cette mthode comme la meilleure, est lecaractre essentiellement subjectif des valeurs que veulent se procurer les parties aucontrat. En dautres termes, il serait excessivement difficile, voire illusoire,dapprcier tel contrat particulier au regard des qualits objectives que lon attendraitdun contrat parfait. Par exemple, la lsion ne saurait tre fonction dun juste prixcens traduire objectivement la valeur retire du contrat, puisque les paramtres delaccord rsultent de valorisations subjectives. En tout cas, la lsion ne pourrait,

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    sans contresens, tre fonde sur un cart objectif de valeurs. Le concept est une vuede lesprit (Mackaay et Rousseau, n 393-394, p. 110, critiquant lart. 1406 C. civ.Du Qubec ; rappr. Mackaay et Rousseau, n 1295, p. 362-363, insistant sur lecaractre essentiellement subjectif des valeurs).

    8. Lanalyse conomique semble ainsi se dfier dune certaine vue de lesprit,celle de la justesse objective des termes de lchange , tandis quelle se fie une autrevue de lesprit, celle du contrat complet hypothtique conforme lquilibresubjectif des termes de lchange tel que les parties sont censes lavoir projet. Vuede lesprit pour vue de lesprit, pourquoi lune serait-elle suprieure lautre ? Laraison habituellement avance est, vrai dire, une accusation. Un droit des contratsqui sinspirerait dune conception idelle du contrat parfait afin dimposer destermes qui correspondent son ide du contrat parfait et non pas ce que les parties,elles-mmes, estiment tre bon pour elles (B. Lemennicier, conomie du droit,Cujas 1991, p. 73) serait entach de mauvais idalisme. Ce serait un droitpaternaliste (Mackaay et Rousseau, n 1426-1441, p. 397-400).

    9. Au contraire, certains juristes ne trouvent nullement contradictoiredaffirmer, tout la fois, que la dtermination de ce qui est juste dpend, non de lavolont des parties, mais [] de la nature de la convention que les parties ontentendu passer et quil importe, non dappliquer des comportements humainsdes catgories lgales plus ou moins prtablies, mais [de] discerner parlobservation de ces comportements [], quelle opration conomique lescocontractants ont souhait raliser dun commun accord (A. Sriaux, Droit desobligations, PUF, coll. Droit fondamental, 2e d. 1998, n 26, p. 92). Ce qui, eneffet, est en jeu, cest le choix philosophique entre plusieurs conceptions possiblesde la justice contractuelle .

    IV. Le contrat complet comme justice

    10. Il est salutaire de critiquer le droit en vigueur lorsquil vise uniquement imposer une conception idelle du contrat parfait. Par exemple, lart. L. 313-10 duCode de la consommation franais prive deffet le cautionnement manifestementdisproportionn par rapport aux biens et revenus de la caution personne physique, moins que le patrimoine de la caution, au moment o celle-ci est appele, ne luipermette pas de payer. Ce systme du tout ou rien a t contest parce quil contraintle juge priver deffet le cautionnement disproportionn, au lieu de lui permettre deramener le cautionnement des proportions raisonnables (S. Pidelivre, Droit dela consommation, Economica 2008, n398).

    11. Cest toute la diffrence entre lanalyse conomique du contrat proposepar MM. Mackaay et Rousseau (op. prcit, n 393-394, p. 110, propos de ladfinition de la lsion), et lanalyse dun juriste demeurant fidle une conceptionphilosophique classique de la justice. MM. Mackaay et Rousseau ne croient toutsimplement pas quil soit possible de mesurer la disproportion dune obligation parle constat dun cart objectif entre deux valeurs. Au contraire, la philosophie de lajustice la plus classique, celle dAristote, croit vritablement possible dajuster lescommutations volontaires de valeurs entre les patrimoines des contractants selonlgalit arithmtique synonyme de justice commutative (Aristote, thique Nicomaque, V, 2). La disproportion manifeste du cautionnement par rapport auxbiens et revenus de la caution est, cet gard, contraire un quilibre contractuel

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    abstrait, qui imposerait, selon la formule de Saint Thomas dAquin, dgaler objet objet en tablissant lgalit selon une moyenne arithmtique (Sommethologique, IIa-IIae, q. 61, art. 2).

    12. Ce nest donc pas parce quil suppose mesurable la disproportionmanifeste du cautionnement que lart. L. 313-10 C. consom. parat dfectueux :cest parce quil refuse daller plus loin quune forme abstraite de dtermination dujuste (A. Sriaux, Droit naturel, PUF, coll. Que sais-je, 1993, p. 29). Le dfautde ce texte est de ne pas permettre au juge de moduler le remde la disproportion,de ne pas lui laisser la possibilit de rendre une justice concrte selon les choseshumaines, contingentes et variables (A. Sriaux, op. cit., p. 30). linverse, lart.L. 132-1 al. 5 C. consom., sil dduit le caractre abusif dune clause, dans uncontrat de consommation, du dsquilibre significatif des obligations au dtrimentdu consommateur, prcise que le juge doit se prononcer en se rfrant auxcirconstances qui entourent la conclusion du contrat (comp. Mackaay et Rousseau,n 393, p. 110 qui estiment que lapprciation de la lsion devrait toujours reposersur les circonstances qui ont conduit laccord).

    13. Cela nous ramne la question des meilleurs remdes aux accidents deparcours, ou de la meilleure minimisation de leur cot global, ou pour le direautrement, de la meilleure justice contractuelle. Le contrat est avant tout unajustement entre des valorisations subjectives. Donc, sil nest pas en tat de remplirson office, sil ne permet pas du tout aux parties dobtenir ce quelles dsirent(Mackaay et Rousseau, n 1295, p. 362), il lui manque un lment objectivementessentiel pour les besoins dune bonne justice contractuelle. Aussi le contrat qui nelocalise ni nindique les caractristiques de limmeuble vendu nest-il pas valable(Cass. 3e civ., 17 juillet 1997, Bull. civ. III, n 172 ; Defrnois 1997, p. 1346, obs.Ph. Delebecque).

    14. Les parties cherchent tirer du contrat un gain net en prenant desprcautions dont le cot est infrieur celui des ennuis quelles permettent dviter(Mackaay et Rousseau, n 1327, p. 371). Lune des manires dy parvenir est decirconscrire volontairement le champ contractuel en excluant la prise en compte decertains accidents de parcours. Sen tenir ce bornage contractuel devraitnormalement assurer une justice contractuelle suffisante. Cest pourquoi le jugefranais naccde pas la demande du locataire juif orthodoxe qui, pour respecterstrictement les prescriptions du shabat, voudrait que limmeuble quip dundigicode soit dot dune serrure mcanique, alors que le contrat ne prvoit paslobligation du bailleur dadapter limmeuble aux convictions religieuses dulocataire (Cass. 3e civ., 18 dc. 2002, RTDciv. 2003, p. 290, obs. J. Mestre et B.Fages ; p. 382, obs. J.-P. Margunaud ; p. 575, obs. R. Libchaber ; RDC 2004,p. 231, obs. J. Rochfeld ; p. 348, obs. G. Lardeux ; RJPF 2003-4/13 note E.Garaud).

    15. Encore faut-il sanctionner lopportunisme dune partie qui auraitunilatralement exclu certaines prestations du champ contractuel sans en avertirlautre (comp., Mackaay et Rousseau, n 1355 et s., p. 379 et s.). Manque cetgard la bonne foi lassureur qui, dans un contrat dassurance-vie multi-supports,refuse unilatralement dexcuter des instructions sur certains supports sans avoir aupralable avis le souscripteur quil avait modifi la liste des supports ligibles,

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    comme le contrat lui en laissait la facult (Cass. 2e civ., 8 nov. 2007, JCP G, 2008,II, 10034 note L. Grynbaum).

    16. Si, somme toute, le rle du droit des contrats et de la justicecontractuelle est, selon le test de Wittman (Economic foundations of law andorganization, 2006, p. 194, prcit), de minimiser la fois le cot de laformulation du contrat par les parties et le juge et le cot des comportementsinefficaces des contractants (v. Mackaay et Rousseau, n 1333 et s., p. 373 et s.),cela ninterdit nullement une analyse substantialiste des obligations contractuelles .Quoi quen disent certains conomistes, une telle analyse nest pas fatalementdtache des ralits, paternaliste ou asservie une conception idelle du contratparfait (cf. supra n 8). Ce sont les parties elles-mmes qui, en construisant lecontrat en vue de lopration conomique quelles dsirent raliser, crent descontenus obligationnels et des natures juridiques quelles ne sauraient ensuitevider de leur substance sans violer la loi quelles se sont donnes. Par exemple lecommissionnaire de transport ne peut sabriter derrire la clause limitative deresponsabilit quil a stipule sil a perdu les marchandises transportes sans mmeconnatre les circonstances de leur disparition et sans tre du tout capable de leslocaliser. On peut, comme le fait notre jurisprudence, justifier la mise lcart de laclause limitative parce que, dans ces circonstances, cette clause revient priver lecontrat de son obligation essentielle (Cass. Com., 5 juin 2007, JCP G, 2007, II,10145 note D. Houtcieff) ou considrer que le commissionnaire de transport qui,dans le cas despce, prtend au bnfice de la clause, fait perdre au contrat sacohrence et se contredit lui-mme au dtriment de lautre partie (comp. D.Houtcieff, note prcite, et D. Mazeaud, obs. sous Cass. Com., 9 mars 2005, RDC2005, p. 1015).

    V. Le contrat complet comme enjeu de pouvoir

    17. Il sen faut de beaucoup que le juge se fie la seule volontdiscrtionnaire des parties lorsquil formule le contrat complet hypothtique limage duquel il apprcie le contrat plus ou moins complet qui fait lobjet dulitige. Il sen faut de beaucoup que le pouvoir modulateur du juge (comp. F. Lafay,La modulation du droit par le juge. tude de droit priv et sciences criminelles,th. Lyon III, 2004, dir. O. Moreteau, et J. Fischer, Le pouvoir modrateur du jugeen droit civil franais, PUAM 2004, prf. Ph. Le Tourneau), cantonne la rgulationd contrat la stricte interprtation de celui-ci, dautant plus littrale que le contratlitigieux serait plus complet (rappr. Mackaay et Rousseau, n 1353, p. 378). Celadit les juges sont quelquefois les premiers surpris de linterventionnisme ou dupaternalisme que certaines analyses doctrinales leur prtent, alors quils ne sont pasles derniers prner le respect du contrat. Une rfrence substantialiste nannoncepas forcment lintention du juge de prendre le pouvoir dans la sphre contractuelle,bien au contraire. Ainsi le cessionnaire dactions qui les cdants ont consenti uneclause de garantie du passif visant expressment les redressements fiscaux, peut-ilfaire jouer la clause alors mme que, dirigeant et principal actionnaire, lecessionnaire savait trs bien quil y avait un gros risque de redressement. Le juge,affirme cette occasion la Cour de cassation, peut certes sanctionner lusage dloyaldune prrogative contractuelle, mais il ne peut pas porter atteinte la substancemme des droits et obligations lgalement convenus entre les parties (Cass. Com.,10 juill. 2007, D 2007, p. 2839, note Ph. Stoffel-Munck, p. 2844, note P.-Y.Gautier ; JCP G, 2007, II, 10154, note D. Houtcieff).

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    18. Ce qui est alors perturbant pour les parties, ce sont les phnomnes assezfrquents de distorsion du message du juge . Un message substantialiste faisantcraindre un accs de paternalisme peut se solder par un rsultat strictement conforme la lettre du contrat. Au contraire un message rendant un hommage appuy lavolont contractuelle peut se solder par une instrumentalisation de celle-ci, linstarde cette sentence arbitrale relative un important contrat dassurance dun satellite,qui dclare fermement que le principe defficacit du contrat est lalpha etlomega de la lex mercatoria et que rien ne commande dinterprter le contrat enfaveur de lassur, pour juger finalement que lassur doit bel et bien tre couvert aunom de lefficacit du contrat (sentence CCI n 11426, JDI 4/2006, p. 1443).

    19. Il sensuit une stratgie de rduction des cots de distorsion quiressemble beaucoup une lutte de pouvoir entre les parties et le juge. Les rdacteursde contrats essayent de faire en sorte que lcart entre la formulation du contrat parles parties et la lecture quen fera le juge cote le moins cher possible auxcocontractants. Autant dire que les parties sefforcent de rduire le pouvoir du juge etde renforcer leur propre matrise sur les termes du contrat (v. sur lensemble de cettequestion la thse, trs rvlatrice, de M. Lamoureux, Lamnagement des pouvoirsdu juge par les contractants. Recherche sur un possible imperium des contractants,2 vol. PUAM 2006, prf. J. Mestre). Une illustration bien connue de stratgie derduction des cots de distorsion est la clause dite dintgralit, par laquelle lesparties excluent tout autre contenu obligationnel que celui dun documentcontractuel de rfrence, tanche toute considration extrinsque et cens contenirlintgralit de leur accord. La question est de savoir si le juge se tiendra pour li parcette prsomption de compltude du contrat , au moins dans le cas dune clauseexcluant nettement son intervention. La jurisprudence amricaine semble pluttfavorable cette thse