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Journées du RT6 (Protection sociale, Politiques sociales, Solidarité) « La légitimité des politiques sociales en question » 17-18 janvier 2008 Grenoble Maison des Sciences de l’Homme, Alpes L’EMPLOI DES SENIORS EN FRANCE : UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE DES ACTEURS Marie-Cécile Amauger Lattes Isabelle Desbarats Maîtres de conférences en Droit, Université Toulouse, Lirhe Le constat s’impose : l’État est en crise. A l’échelle internationale, sa souveraineté se heurte à l’autorité supérieure d’institutions internationales à vocation économique (OMC, OCDE, FMI, Banque européenne…) dont il ne peut ignorer les normes ou même les simples préconisations ; au niveau interne, son autorité vacille sous la pression des représentants de la société civile qui revendiquent une place toujours plus grande dans la détermination des changements à venir qu’il ne serait plus en mesure de mener seul. Cette crise de l’État rejaillit inévitablement sur la légitimité de son action qui ne se suffit plus à elle-même. Il en résulte un phénomène de contractualisation de la société toute entière, marqué par le recul de la loi au profit du contrat, ie de l’hétéronomie face à l’autonomie, de l’unilatéral face au bilatéral 1 . Une nouvelle forme de régulation apparaît qui investit toutes les sphères de la vie sociale, celle des relations de travail, avec le développement de la négociation collective et la consolidation du droit conventionnel, mais aussi et de façon plus inattendue 1 Phénomène magistralement décrit et analysé par A. Supiot, dans le cadre de l’Université de tous les savoirs, Mission 2000 (voir réf. Dans le Monde Initiatives). Cf. ég. R. Pellet, « Leçons de Droit social, Sirey, 2005, p 225 1

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Journées du RT6 (Protection sociale, Politiques sociales, Solidarité)

«   La légitimité des politiques sociales en question   »

17-18 janvier 2008

GrenobleMaison des Sciences de l’Homme, Alpes

L’EMPLOI DES SENIORS EN FRANCE : UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE DES ACTEURS

Marie-Cécile Amauger LattesIsabelle Desbarats

Maîtres de conférences en Droit, Université Toulouse, Lirhe

Le constat s’impose : l’État est en crise. A l’échelle internationale, sa souveraineté se heurte à l’autorité supérieure d’institutions internationales à vocation économique (OMC, OCDE, FMI, Banque européenne…) dont il ne peut ignorer les normes ou même les simples préconisations ; au niveau interne, son autorité vacille sous la pression des représentants de la société civile qui revendiquent une place toujours plus grande dans la détermination des changements à venir qu’il ne serait plus en mesure de mener seul. Cette crise de l’État rejaillit inévitablement sur la légitimité de son action qui ne se suffit plus à elle-même. Il en résulte un phénomène de contractualisation de la société toute entière, marqué par le recul de la loi au profit du contrat, ie de l’hétéronomie face à l’autonomie, de l’unilatéral face au bilatéral1. Une nouvelle forme de régulation apparaît qui investit toutes les sphères de la vie sociale, celle des relations de travail, avec le développement de la négociation collective et la consolidation du droit conventionnel, mais aussi et de façon plus inattendue « certains aspects de l’état civil proprement dit (le mariage et la filiation)2» et du droit pénal (transaction pénale). D’un autre côté, le processus d’élaboration des normes publiques se complexifie, particulièrement dans le domaine social. « On constate (ainsi) qu’à la claire répartition des rôles entre les acteurs a succédé une nouvelle configuration dominée par leur synergie, leur imbrication dans la coaction avec, pour conséquence, une réelle incertitude quant à la répartition des responsabilités des difficultés relativement au statut juridique des actes hybrides »3 . En effet, une large place est faite aux protagonistes sociaux,

1 Phénomène magistralement décrit et analysé par A. Supiot, dans le cadre de l’Université de tous les savoirs, Mission 2000 (voir réf. Dans le Monde Initiatives). Cf. ég. R. Pellet, « Leçons de Droit social, Sirey, 2005, p 2252 A. Supiot, préc.3 J. Le Goff, « Droit du travail et société ». 1/ Les relations individuelles de travail, 2001, PUR, p 36

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appelés par les pouvoirs publics à participer activement à la définition ainsi qu’à la mise en œuvre des règles qu’impose la réalisation des objectifs publics. C’est ainsi qu’en ce qui concerne le processus même d’élaboration de la loi, deux pratiques ont cours4. La première, très souvent utilisée, consiste à laisser aux partenaires sociaux l’initiative du contenu de la loi, le législateur n’intervenant qu’après coup. Ainsi, par exemple, la loi du 4 mai 2004 relative à la formation tout au long de la vie et au dialogue social a-t-elle repris l'essentiel des dispositions de l'ANI du 20 septembre 2003 sur la formation professionnelle et de la Position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et moyens d’un approfondissement de la négociation collective. L’autre choix consiste, pour le législateur, à fixer un objectif que les partenaires sociaux sont invités à concrétiser par la voie conventionnelle, le Parlement reprenant ensuite la main pour voter une seconde loi s’appuyant sur les acquis conventionnels. Telle est la démarche qui a été suivie pour l’instauration d’un droit à expression directe et collective des travailleurs (loi n° 82-689 du 4 août 1982 et loi n° 86-1 du 3 janvier 1986, codifiées aux articles L. 461-1 et s. c. trav.), pour abolir l'autorisation administrative préalable aux licenciements économiques (loi n° 86-1 du 3 juill. 1986, ANI du 20 oct. 1986 et loi du 30 déc. 1986), sans parler du processus de réduction du temps de travail (première loi du 30 juin 1998 ; seconde loi du 19 janvier 2000). Susceptibles d’être associés à l’élaboration de la loi, les partenaires sociaux peuvent l’être également à sa mise en œuvre. Cette délégation peut s’avérer plus ou moins poussée5, le législateur allant parfois jusqu’à admettre la possibilité de conclure des accords dits dérogatoires. Dans cette hypothèse, « les protagonistes sociaux sont admis à s’affranchir de la norme légale en lui substituant une norme conventionnelle distincte, dont le caractère plus ou moins favorable (par rapport à la loi) apparaît comme « indifférent » »6. Plus largement, le législateur laisse aux acteurs un champ d’action ouvert dont il espère qu’ils se saisiront sans perdre de vue les objectifs publics.

De façon générale, ces pratiques attestent de l’émergence de nouvelles modalités de l’action publique qui, incontestablement fragilisée dans le contexte actuel, doit s’appuyer sur d’autres formes de légitimité ; l’objectif est ainsi d’aboutir à « des décisions plus robustes avec une légitimité fondée sur les diverses parties prenantes »7. Sans doute peut-on alors concevoir une telle responsabilisation des partenaires sociaux comme un mécanisme d’appropriation sociale des politiques publiques, susceptible de garantir leur réceptivité par le corps social. Il n’en demeure pas moins que les rapports inédits ainsi établis entre la loi, l’action publique et la négociation collective soulèvent nombre de questions importantes. D’abord se posent naturellement celles concernant les manières dont peuvent et/ou doivent s’articuler démocratie sociale et démocratie politique8. Également et surtout, on ne saurait faire l’économie d’une « réflexion portant sur les vertus et limites du dialogue social comme instrument d’une action publique négociée »9. En effet, investis de la défense d’intérêts collectifs, les partenaires sociaux peuvent-ils réellement

4 Sur cette distinction, voir A. Supiot, Un faux dilemme : la loi ou le contrat ?, DS 2003, 59, sp 62 et s ; R. Pellet, préc 5 cf. A. Supiot, préc. p.636 G. Borenfreund et M-A Souriac, Les rapports de la loi et de la convention collective : une mise en perspective, DS 2003, p.807 J. Pelisse, « La légitimité limitée du dialogue social comme mode d’action publique. Analyses autour des 35 heures et de leur échec » », à paraître dans L. Duclos, G. Groux et O. Mérieux,(dir), « La politique et les relations professionnelles », LGDJ 2007. 8 G. Borenfreund et M-A Souriac, préc. 9 J. Pelisse, préc

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mettre en œuvre les politiques publics dans le respect des objectifs définis par les pouvoirs publics ? En cas de conflit d’intérêts, ne risquent-ils pas d’user des marges de manœuvre qui leurs sont conférées par la loi pour refaçonner les objectifs publics ou, à tout le moins, faire prévaloir les intérêts collectifs qu’ils défendent? Déjà abordée à l’occasion du processus négocié de réduction du temps de travail10, cette problématique peut l’être à propos de l’emploi des seniors. La raison en est qu’ici aussi, le législateur a prévu une étroite association des acteurs des différents niveaux à la réalisation des objectifs publics. Ainsi le premier a-t-il procédé au bénéfice des seconds à d’importantes délégations de pouvoir, qu’il s’agisse de l’élaboration de la norme comme de sa mise en œuvre. Il faut dire que l’exigence de légitimation par les corps intermédiaires de la société était ici particulièrement nécessaire eu égard à l’ampleur des bouleversements envisagés. Mais cette légitimation formelle, par association des protagonistes sociaux à l’élaboration de la règle, rejaillit-elle sur le fond ? Avec cinq ans de recul et à l’aube d’un nouveau rendez-vous important pour les retraites et l’emploi des seniors, quel jugement porter sur les choix faits par les négociateurs ? Ont-ils pris leur part de responsabilité dans la mise en œuvre des mesures requises pour un allongement des carrières professionnelles ? Leurs choix sont-ils en adéquation avec les objectifs poursuivis par les pouvoirs publics ? Comme on va le voir, la réponse est mitigée.

I/ La responsabilisation des acteurs sur l’ emploi des seniors

 Compte tenu des données démographiques, l’Europe, à l’horizon 2050, ne comptera plus que deux actifs pour un retraité et, particulièrement après 2010, tous les États membres seront confrontés à une accélération des dépenses publiques liées aux retraites mais aussi à l’augmentation, corrélative au vieillissement de la population, des dépenses de santé11. La situation de la France est particulièrement préoccupante. Le taux d’emploi des 55-64 ans y est plus bas qu’ailleurs: 37% en 2004, soit environ quatre points inférieur à la moyenne européenne12 et la moitié de celui de pays comme la Suède ou la Norvège. Le décrochage est spectaculaire pour les 60-64 ans : le taux d’emploi de cette tranche d’âge n’est que de 13%, ce qui constitue de loin le taux le plus faible des pays industrialisés13. Ce contexte national est l’héritage d’un consensus maintes fois décrit, sur la base duquel employeurs, salariés, partenaires sociaux et pouvoirs publics ont, depuis plus de trente ans, systématiquement favorisé les retraits anticipés d’activité des salariés et utilisé l’âge comme principale variable d’ajustement du marché du travail. Or, ce faible taux d’occupation des seniors est source de difficultés susceptibles de peser notamment sur la cohésion nationale. Dans ce contexte, experts, pouvoirs publics, partenaires sociaux s’accordent à souligner l’urgence d’une rupture de logique, d’autant que le faible taux d’occupation des 55–64 ans amplifie l’effet du vieillissement naturel de la population et compromet dangereusement l’équilibre des régimes de retraite. Mais la tâche est ardue : il s’agit d’opérer, selon les termes mêmes du précédent Ministre délégué à l’emploi, Gérard Larcher, "une véritable révolution culturelle". 10 J. Pelisse, préc11 Rapport de la Commission européenne du 13 février 2006, Projection économique à l’horizon 2050, Liaisons sociales 16/02/2006, Bref n°14567, p. 2.12 Eurostat, Enquête sur les forces de travail en 2004, Liaisons sociales 13 sept. 2005, 14458.13 P. Cahuc, Le difficile retour à l’emploi des seniors, Rapport COE, 2005, Document de travail n°69 ; A. D’Autume et autres, Les seniors et l’emploi en France, Rapport CAE, La Documentation française, 2005.

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Étant donné la profondeur du changement que représente l’allongement de la vie professionnelle dans notre société, il est illusoire de penser que l’action des seuls pouvoirs publics peut suffire : la mobilisation de tous les acteurs et, au premier chef les partenaires sociaux, est nécessaire pour vaincre les résistances fortes que trente années de consensus unanime ont forgées. Cette implication des organisations syndicales et patronales s’inscrit, de surcroît, dans le cadre de l’évolution plus générale déjà décrite en faveur du développement du dialogue social14 et marque la volonté des pouvoirs publics d’asseoir la légitimité de leur action sur les acteurs eux-mêmes. Elle se traduit par leur responsabilisation d’une part, dans la définition du dispositif en faveur de l’emploi des seniors, ie de son cadre (A), d’autre part, dans sa mise en œuvre (B).

A) L’implication des partenaires sociaux dans la définition des dispositifs en faveur de l’emploi des seniors

La loi n°2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a posé les fondations d’un dispositif juridique en faveur de l’emploi des seniors. Ainsi, pour donner une orientation nouvelle à notre droit et inciter les acteurs à modifier leurs habitudes, diverses mesures destinées à favoriser l’allongement de la période d’activité professionnelle des salariés ont été adoptées : par exemple, retraite progressive, cumul emploi/retraite, durcissement des conditions d’obtention d’une pension de retraite à taux plein, intensification du jeu des mécanismes de surcote et décote ou encore report de l’âge de la mise à la retraite d’office, en principe fixé à 65 ans.  Dans le même temps, pour renforcer le changement impulsé, les pouvoirs publics ont décidé d’associer les partenaires sociaux représentatifs au plan national et interprofessionnel à l’élaboration du cadre juridique en faveur du maintien dans l’emploi des seniors. Deux voies ont ainsi été combinées : celle de la négociation collective, entendue comme un processus de discussion entre partenaires sociaux en vue de la conclusion d’un accord collectif (1°) et celle de la concertation, forme de dialogue social tripartite dont l’objet consiste à discuter, en amont, d’une réforme économique ou sociale (2°).1° Le rôle de la négociation collectiveLa loi du 21 août 2003 prescrivait l’ouverture d’une négociation, « sur la définition et la prise en compte de la pénibilité » (art.12-I)15 ; elle en a par ailleurs suscité une autre sur l’emploi des seniors.La première de ces négociations devait être engagée dans les 3 ans de la publication de la loi. Le cycle laborieux des discussions a ainsi débuté le 11 février 2005 et devrait être achevé, c’est en tout cas le souhait exprimé par les différentes parties prenantes, avant le rendez-vous programmé de 2008 sur le bilan de la loi de 2003 et l’adoption de nouveaux ajustements16. Un ANI devrait

14 Loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social ; Loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social ; Rapports de JD. Chertier, Pour une modernisation du dialogue social: rapport au Premier Ministre, La Documentation Française, 2006 ; et de R. Hadas-Lebel, Pour un dialogue social efficace et légitime : représentativité et financement des organisations professionnelles et syndicales, Rapport au premier ministre, mai 2006.Cf. MC. Amauger-Lattes et alii, Des lois Auroux aux lois Fillon. Évolutions topiques du droit du travail, in Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit, dir. J. Krynen et M. Hecquard-Théron, Les travaux de l’IFR, n°2, PU Sciences sociales de Toulouse, sp. p. 137 et s.15 F. Héas, Les négociations interprofessionnelles relatives à la pénibilité au travail, DS 2006, 834 ; La définition juridique de la pénibilité au travail, Travail et Emploi, 2005, n°104, 1916 La dernière rencontre des partenaires sociaux a eu lieu le 22 octobre dernier. Lors de cette réunion les organisations syndicales devaient se prononcer en détail sur le document remis par le Medef, lors de la séance du 26 septembre,

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donc intervenir dans les prochains mois décliné, conformément aux prévisions de la loi de 2003, par des négociations de branches.Outre la définition de la pénibilité, l’objectif de cette négociation est double. Il s’agit tout d’abord de réduire la pénibilité au travail par une amélioration des conditions de travail. Cette négociation s’inscrit "dans le prolongement de l’accord cadre interprofessionnel sur l’amélioration des conditions de travail du 17 mars 1975 modifié, de l’accord interprofessionnel du 13 septembre 2000 sur la santé au travail et la prévention des risques professionnels, de l’accord européen du 8 octobre 2004 sur le stress au travail17 et les dispositions conventionnelles de branches et d’entreprises adoptées en la matière»18. Mais il s’agit aussi de prévoir, au profit des salariés qui ont été exposés à des facteurs importants de pénibilité au travail, un traitement spécifique, notamment dans l’accès aux droits à la retraite, à titre de réparation du préjudice résultant de la réduction de leur espérance ou de leur qualité de vie19. Difficile, cette négociation tarde à aboutir et, si un consensus existe concernant la reconnaissance du droit à une cessation anticipée d’activité au profit de ces salariés, les négociations butent, principalement sur la question de la prise en charge de son financement et celle de la définition des critères de la pénibilité20.D’un autre côté, les partenaires sociaux sont parvenus, le 13 octobre 2005, à la conclusion d’un ANI relatif à l’emploi des seniors en vue de promouvoir leur maintien et leur retour à l’emploi. Finalement signé le 9 mars 2006 par trois des cinq confédérations de salariés (CFDT, CFTC, CFE-CGC), l’accord a été étendu par arrêté du 12 juillet 200621. Il s’agit d’un texte peu normatif que l’on pourrait qualifier d’orientation générale qui, pour l’essentiel, s’efforce d’aiguiller la négociation sectorielle –à laquelle il renvoie très largement- et de peser sur les décisions des entreprises. Deux catégories principales de mesures peuvent être identifiées : les plus nombreuses s’inscrivent dans la logique de maintien dans l’emploi des seniors, les autres visent à favoriser leur retour dans l’emploi. Deux apparaissent relativement innovantes : il s’agit de la création des entretiens professionnels de deuxième partie de carrière (art.5) et, mesure phare de l’accord, du CDD seniors (art.17).Outre ces négociations menées à la demande du législateur ou sous son impulsion, l’association des partenaires sociaux à l’élaboration d’un cadre favorable à l’objectif d’allongement des carrières des salariés s’est également manifestée par une concertation engagée, à leur demande, par les pouvoirs publics en vue d’un Plan national d’action pour l’emploi des seniors. 2° Le Plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors C’est à la demande des signataires de l’ANI de 200522 que, dès la fin de l’année 2005, le Gouvernement annonçait son intention de franchir une nouvelle étape dans le processus engagé par la réforme de 2003, en tenant compte des résultats de la négociation sur l’emploi des seniors. Cette démarche témoigne d’ailleurs du fait que si les pouvoirs publics appréhendent aujourd’hui le 17 A noter que lors de la réunion du 26 septembre 2007, les partenaires sociaux se sont mis d’accord pour ouvrir, parallèlement aux discussions sur la pénibilité, une négociation sur le stress au travail, dans le but de transposer l’accord européen du 8 octobre 2004.18 Avant projet d’accord du Medef du 21 juin 2005, "Amélioration des conditions de travail et réduction de la pénibilité", art. 2 al. 4.19 T. Barnay, Pénibilité du travail, santé et droits d’accès à la retraite, Retraite et société 10/2005, n°46, p. 170 ; Y. Struillou, Pénibilité et retraite, Rapport présenté au COR, 2003.20 cf. F. Héas, Les négociations interprofessionnelles relatives à la pénibilité au travail, Dr. soc. 2006, p. 834.21 JO 22 juillet, p.1100222 Articles 3 et 21 de l’ANI de 2005

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dialogue social comme un moyen nécessaire de légitimation de leur action, il arrive également que, de leur côté, les partenaires sociaux recherchent la validation de leur action par les pouvoirs publics. C’est la voie de la concertation qui a cette fois été choisie. Un Plan national d’action pour l’emploi des seniors a ainsi été élaboré au cours du premier trimestre 2006, dans lequel se trouvent définies trente et une actions, ordonnées autour de cinq objectifs, à savoir : faire évoluer les représentations socioculturelles ; favoriser le maintien dans l’emploi des seniors ; favoriser le retour à l’emploi des seniors ; aménager les fins de carrière ; assurer un suivi tripartite dans la durée. La plupart des actions du Plan correspondent aux préconisations de l’ANI de 2005, les pouvoirs publics s’engageant à apporter leur concours et à procéder, le cas échéant, aux modifications législatives et réglementaires nécessaires à leur mise en œuvre23. On peut penser que le consensus sur ces mesures leur confère une légitimité importante. Mais, comme le souligne J. Saglio, « ce qui fait la légitimité de règle, ce n’est pas tant que les acteurs l’avalisent formellement mais plutôt le fait qu’ils ont été entendus avant la promulgation de la règle et qu’ils aient pu confronter en amont leurs points de vue »24. Il en résulte que grâce au processus de concertation engagé, les dispositions du Plan annonçant des mesures que les partenaires sociaux n’ont pas envisagées dans l’ANI voient également leur légitimité renforcée. Ainsi en est-il de la programmation de la fin des accords dérogatoires à l’âge de la mise à la retraite d’office conclus en application de le loi de 2003 (Action 11). Ainsi, dans le sillage de la loi de 2003, on a assisté à une forte implication des partenaires sociaux dans la définition d’un cadre rompant avec les pratiques du passé et visant à favoriser l’emploi des seniors. Cette responsabilisation contribue à renforcer la légitimité de l’action publique dont les objectifs apparaissent ainsi partagés par l’ensemble des acteurs, politiques et sociaux. Cependant, elle ne se cantonne pas à l’élaboration de la norme et concerne également sa mise en œuvre.

B) L’implication des partenaires sociaux dans la mise en œuvre des dispositifs relatifs à l’emploi des seniors

La loi de 2003 a prévu une participation active des parties prenantes à la mise en œuvre des dispositifs en faveur de l’emploi des seniors. D’une part, de multiples obligations de négocier, au niveau des branches et des entreprises, sont posées. La plupart concernent les deux principaux vecteurs du maintien dans l’emploi des seniors, à savoir l’employabilité et l’amélioration des conditions de travail. Cependant, au niveau des branches, ces obligations ne sont, pour la plupart, toujours pas entrées en vigueur ; en effet, leur point de départ dépend du résultat de la négociation interprofessionnelle sur la pénibilité25. Pour les autres, il semble que les discussions démarrent à peine26.

23 Par exemple, concernant le CDD senior, le Plan prévoit la transposition par décret, pris sur le fondement de l’article L.122-2 du code du travail, de la disposition conventionnelle correspondante. Décret n°2006-1070 du 28 août 200624J. Saglio, Les spécificités de la négociation collective dans le système français de relations professionnelles, in « Quelle démocratie sociale dans le monde du travail ? », dir. J. Barreau, PUR, p.3925 C’est le cas pour la pénibilité et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dont le point de départ dépend de la conclusion d’un ANI. 26 En matière d’employabilité, les obligations au niveau des branches sont récentes ; elles ont en effet été posées par l’ANI de 2005.

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D’autre part, de larges marges de manœuvres ont été concédées aux acteurs, autorisés à se saisir spontanément de la question de la cessation d’activité, aux niveaux de l’ entreprise et de la branche.

1) Au niveau de l’entreprise

La loi laisse aux acteurs de l’entreprise la possibilité de mettre en place des préretraites d’entreprise dites également « préretraites-maison ». On sait que, pendant plus de trente ans, le recours aux cessations anticipées d’activité - d’origine publique (ASFNE, préretraites progressives, CATS), conventionnelle (ARPE), ou privée - a été encouragé au nom d’une justification simple : mieux valait un préretraité qu’un chômeur27. De façon plus générale, cette solution a longtemps satisfait les acteurs auxquels elle fournissait un compromis. Mais le succès de "ces préretraites à la française" - qui ont pour effet la sortie de travailleurs âgés du marché du travail alors qu’ils n’ont pas encore le droit de liquider leur retraite - ne pouvait perdurer, compte tenu de leur coût à la fois humain et financier. Il fallait donc que les discours - mais également les règles – changent. C’est pourquoi on a opéré un repositionnement des dispositifs de cessation anticipée d’activité, qui, désormais, se trouvent pour l’essentiel liés à l’état de santé. Or il s’avère qu’en dépit de ce recentrage très net des dispositifs de cessation anticipée d’activité, le législateur a maintenu la possibilité de recourir aux préretraites d’entreprise. Il s’agit de dispositifs mis en place, le plus souvent, dans des groupes ou grandes entreprises, soit par engagement unilatéral de l’employeur soit par accord d'entreprise, au profit de salariés justifiant d’un certain âge –inférieur à l’âge légal de la retraite- et/ou d’une certaine ancienneté. Ce faisant, la loi autorise les acteurs de l’entreprise à définir leur propre politique sociale.

2) Au niveau des branches d’activité

Le législateur octroyé aux partenaires sociaux du secteur une liberté importante pour négocier sur le thème de l’âge de la mise à la retraite.Pour favoriser un allongement de la durée des carrières dans un contexte d’accroissement de la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein, on a assisté au resserrement des possibilités de rupture du contrat à raison de l’âge et, au premier chef, de la mise à la retraite. En effet, jusqu’en 2003 et en application de l'article L 122-14-13, alinéa 3 du code du travail, un employeur ne pouvait décider de la mise à la retraite d’un salarié qu’aux deux conditions suivantes. D’une part, le salarié devait avoir atteint l’âge de 60 ans ou bien un âge supérieur prévu par un texte conventionnel sous réserve que cet âge ne constitue pas une cause de cessation de plein droit du contrat28. D’autre part, le salarié devait remplir les conditions posées par le code de la sécurité sociale pour bénéficier d’une retraite à taux plein : durée d’assurance suffisante, ou âge de 65 ans. Désormais, les règles sont plus strictes. En effet, un employeur ne peut plus mettre un salarié à la retraite avant l’âge de 65 ans , âge à partir duquel la retraite est à taux plein, quelle que soit la durée d’assurance du futur pensionné. Quant à la sanction encourue en cas de violation de l’article L 122-14-13, il s’agit de la requalification en licenciement que la Cour de cassation vient, pour la première fois et en toute logique, de juger discriminatoire puisque fondé sur l’âge, donc nul29.

27 Zaidman et alii, in D. Taddéi (Dir), Pour des retraites choisies et progressives, La Documentation française, 2000, CAE.28 Auquel cas il s’agirait d’une clause couperet interdite.

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Incontestablement, cette décision de reculer à 65 ans l’âge de la mise à la retraite doit alors s’analyser comme l’une des mesures phares d’une loi a priori entièrement sous-tendue par la volonté de favoriser le maintien en activité des travailleurs vieillissants. Pour autant, dans le même temps et de façon a priori paradoxale, le législateur a octroyé aux partenaires sociaux d’importantes possibilités de dérogation au nouveau principe posé par l’art L 122-14-13 et donc permis, dans certains cas, une mise à la retraite avant l’âge de 65 ans. C’est ainsi que l’une des spécificités de la loi Fillon est d’avoir admis qu’une convention ou un accord collectif étendu – conclu avant le 1er janvier 2008 – puisse autoriser la mise à la retraite avant 65 ans30, sous réserve que le salarié remplisse les conditions requises pour toucher une pension vieillesse à taux plein et à condition encore que ce texte conventionnel prévoit des contreparties en termes d’emploi ou de formation professionnelle. De fait, cette possibilité de dérogation a connu un franc succès puisque cent vingt branches au moins se sont trouvées concernées.

Certes, il est vrai que certains se sont alors interrogés sur la pertinence d’un dispositif légal n’allant pas jusqu’au bout de sa logique. "Comment (en effet) reconnaître à des employeurs le droit de mettre à la retraite des salariés que la loi incite à poursuivre leur travail dans leur intérêt et dans celui de la collectivité ? (…) Puisque le législateur prévoit un mécanisme permettant aux salariés âgés de plus de 65 ans d’améliorer leur retraite en continuant de travailler, il est illogique d’autoriser les employeurs de les priver de cette possibilité en l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement" 31. Ainsi a-t-on fait-on valoir que cette possibilité de conclure des accords dérogatoires à l’âge légal de la mise à la retraite ne s’inscrivant pas dans une véritable logique de gestion des âges et de maintien en activité des salariés vieillissants.

Reste que, pour deux raisons différentes, cette prérogative reconnue aux partenaires sociaux pouvait à l’époque se comprendre. D’abord, elle s’expliquait vraisemblablement par le souci d’atténuer la brutalité d’une législation différant de 5 ans l’âge légal de la mise à la retraite. Ensuite et surtout, on peut penser que, dans un contexte de développement de l’autonomie collective encore renforcé par la loi de 2004, le législateur de 2003 souhaitait encourager les partenaires sociaux à innover en matière de gestion des carrières des seniors et donc entendait les responsabiliser sur ce thème. Il est ainsi probable – et compréhensible – que le législateur ait voulu autoriser les branches à procéder à une adaptation des nouveaux dispositifs à leurs situations particulières. Ce faisant, on se trouve finalement là en présence d’un nouveau recours au dialogue social comme mode d’action publique. En effet, plutôt que de prévoir une simple application des règles, le législateur de 2003 a ici autorisé les partenaires sociaux à en discuter la mise en œuvre, sous réserve d’être habités par le souci de permettre et/ou d’encourager le maintien dans l’emploi des travailleurs âgés : d’où l’exigence de contreparties en terme d’emploi ou de formation. Comme un auteur en a fait l’analyse à propos du processus de réduction du temps de travail – mais le propos peut trouver ici à s’appliquer – « le recours à la négociation, dans les lois Aubry, était censé garantir l’efficacité et la légitimation d’une action publique décidée d’en haut. Car, plutôt que d’appliquer simplement d’une nouvelle durée légale, il s’agissait d’en négocier 29 Cass. Soc, 21 décembre 2006, J.Duplat, Avis de l'avocat général, Mise à la retraite et discrimination, RJS 3/07 p.223; JCP, 2007, E, n°1241, note F. Duquesne ; B.Bossu, Mise à la retraite et discrimination fondée sur l'âge du salarié, JCP, 2007, S, n°1244; Dr. Soc 2007, 243, note P. Chaumette, RDT 2007, p 238, note I. Desbarats. 30 Donc, en principe entre 60 et 65 ans.31 J. Pélissier, Age et perte d’emploi, D. Soc 2003 1061.

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les modalités, et par là d’en garantir et d’en légitimer son appropriation par les acteurs »…Vraisemblablement perçues par le législateur de 2003 comme un moyen d’adoucir le passage de 60 à 65 ans de l’âge légal de mise à la retraite, les possibilités de dérogation conventionnelles devaient donc se traduire par l’adoption de mesures participant d’une véritable logique de gestion des âges et de maintien en activité des salariés vieillissants.

Or, la responsabilisation des partenaires sociaux ainsi recherchée par les pouvoirs publics a-t-elle eu les effets escomptés ? Ou bien au contraire faut-il prendre acte une « légitimité limitée du dialogue social comme mode d’action publique »32 dans le champ de l’emploi des seniors ? Cette seconde option semble refléter la réalité.

II/ Les aléas du partage des responsabilités

Afin d’accroître la légitimité de leur action, dans un contexte de progrès de la démocratie sociale, les pouvoirs publics laissent de plus en plus d’espace à la négociation collective. On le voit, l’exemple de l’emploi des seniors est, de ce point de vue, particulièrement significatif, même si en la matière le contexte général ne suffit pas à expliquer le degré d’implication des partenaires sociaux voulu par le législateur. Il s’agit en effet d’opérer une véritable révolution culturelle ce qui suppose l’adhésion du plus grand nombre d’acteurs afin d’accroître la légitimité des bouleversements à venir. Mais ce renforcement de la légitimité formelle de l’action publique, par une étroite association des partenaires sociaux à l’élaboration et à la mise en œuvre des règles ne permet pas d’en garantir la légitimité substantielle. Dans certains cas, les stratégies des acteurs les conduisent à faire primer les intérêts collectifs qu’ils défendent sur les objectifs publics. La cohérence de l’action publique s’en trouve troublée voire totalement brisée. Ainsi, fruit d’un compromis entre les différentes parties prenantes - qui, plurielles, ne partagent pas toutes la même conception du rôle de la négociation collective -, les règles avalisées formellement par les partenaires sociaux dans le cadre des négociations sur l’emploi des seniors se révèlent parfois décevantes, voire même, carrément à rebours des objectifs publics. Il en résulte que, sur le fond, loin de conforter la légitimité de l’action publique, la responsabilisation des acteurs conduit à une perte de repère et de visibilité quant aux objectifs à atteindre. On comprend, dés lors, que le législateur reprenne l’initiative pour procéder au recadrage de mesures insuffisamment respectueuses de l’intérêt général.

A) Les modestes résultats des négociations sur le maintien et le retour à l’emploi

On l’a vu, la loi de 2003 a créé diverses obligations de négocier sur le maintien et le retour dans l’emploi des salariés vieillissants. Tous les niveaux sont mobilisés en vue de permettre l’allongement de la vie professionnelle des seniors : le niveau national et interprofessionnel, celui des branches ou encore celui des entreprises. S’il est sans doute prématuré de tirer des conclusions sur la façon dont les entreprises se saisissent de ce thème, les résultats des négociations aux niveaux plus centralisés se révèlent assez décevants. L’impression générale est celle d’un manque de détermination des acteurs, tant au niveau national et interprofessionnel qu’au niveau des branches.

32 J. Pelisse, article précité

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Nous l’avons vu, au niveau national et interprofessionnel, deux négociations sont concernées. Engagée au mois de février 2005, la négociation, pourtant cruciale33, sur la pénibilité –prévention de la pénibilité et prise en compte- n’a toujours pas abouti, retardant d’autant l’ouverture de négociations sur ce thème au niveau des branches. Les difficultés inhérentes à la négociation collective expliquent ces atermoiements alors pourtant que, dans un contexte global de durcissement de la réglementation, l’identification et la prise en compte de la pénibilité s’imposent comme une nécessité pressante.

Le cycle laborieux de la négociation sur la pénibilitéAu terme de 15 mois de négociation, les partenaires sociaux avaient décidé d’un report sine die de leurs discussions, en raison de l’impossibilité de parvenir à un accord global, certains points de désaccord apparaissant irréductibles.Patronat et syndicats ont finalement accepté une nouvelle rencontre le 3 avril 2007 , afin de reprendre la négociation à partir des données fournies par l’Igas, dans le cadre du soutien technique proposé par Gérard Larcher, ancien ministre délégué à l’emploi34. Lors de la réunion du 5 juin, la délégation patronale s’est déclarée prête à négocier un mécanisme de "cessation anticipée pour cause de pénibilité" (CATS pénibilité), qui, contrairement au dispositif CATS en vigueur, prendrait en compte tous les facteurs de pénibilité, notamment ceux liés à l’environnement ou à l’usage de produits toxiques, et serait financé pour partie par la collectivité et "peut-être" par les entreprises35. En ce qui concerne les critères de la pénibilité, définis au niveau interprofessionnel et ouvrant droit à ce dispositif, le Medef souhaiterait qu’ils restent "généraux", et soient ensuite précisés au niveau des branches professionnelles. Par ailleurs, l’organisation patronale souhaite une admission individuelle des personnes au régime, sur la base d’un avis rendu par une commission médicale. Les organisations syndicales préfèrent pour leur part un "mécanisme automatique". Les partenaires sociaux ont convenu d’une nouvelle rencontre le 19 juillet 2007 au cours de laquelle le Medef s’est engagé à soumettre un texte précisant les conditions de mise en place d’un dispositif de cessation anticipé d’activité pour travaux pénibles. Présenté le 26 septembre aux organisations syndicales de salariés, celles-ci ont fait part de leurs réactions détaillées le 22 octobre dernier.

33 Y. Struillou, Pénibilité et réforme des retraites : rendez-vous manqué ou premier pas ?, DS 2003, 95434 La relance de la négociation intervient suite à la proposition de G. Larcher de mettre en place un groupe d’experts à disposition des partenaires sociaux. L’Igas, chargée de ce soutien technique, a rencontré individuellement chaque organisation syndicale et patronale (début avril) en vue de recueillir leurs demandes d’informations. (Nombre de salariés âgés ne pouvant plus travailler du fait de la pénibilité au travail (CFDT) ; branches professionnelles les plus touchées et dispositifs mis en place dans d’autres pays européens (CFTC) ; définition de la pénibilité (FO)) Les informations et recherches demandées devraient leur être transmises avant le 5 juin. (LS Quotidien, 2007, 14846, p. 1).35 Les syndicats sollicitaient le financement des départs anticipés par les entreprises ; les représentants patronaux s’y refusent. Ces derniers proposaient d’inscrire la réparation dans le cadre d’un "financement individuel" : les rémunérations liées à la pénibilité (primes de nuit, de salissure etc.) seraient affectées sur un compte épargne-temps qui pourrait être utilisé par le salarié pour prétendre à une retraite anticipée. Le patronat insistait sur le fait que "tout ce qui augmente le coût du travail dans notre pays pèse sur l’emploi" (D. Gautier-Sauvagnac) et qu’il ne saurait être question dans ces conditions de créer de nouvelles charges pour les entreprises. Les syndicats avaient rejeté unanimement cette proposition (LS Quotidien 2007, n°14846 p. 2).

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Malgré les différends, tous les participants soulignent la nécessité d’aboutir avant la négociation sur les retraites de 2008.

La seconde négociation visée s’est, pour sa part, achevée par la conclusion de l’ANI du 13 octobre 2005. On notera que seules trois confédérations l’ont finalement signé, le 9 mars 2006, soit près de cinq mois après sa conclusion. Pourtant, peu innovant, le texte - souligne à juste titre F. Favennec-Héry - « joue davantage le rôle de catalyseur de dispositifs existants en matière de politique de l’emploi et de formation professionnelle que d’initiateur de nouvelles mesures »36. Bien plus, peu contraignants, la plupart des articles constituent de « simples appels au changement » adressés aux branches et aux entreprises, dont la portée plus « littéraire » que juridique, témoigne, selon Ch. Willmann, du « peu de consensus qu’étonnamment, le thème du vieillissement actif fédère » 37.Le Titre II de l’accord, titre central consacré à la sécurisation des parcours professionnels, est de ce point de vue particulièrement marquant. Si l’on excepte l’entretien approfondi de deuxième partie de carrière, on constate que le texte ne crée pas d’instruments spécifiques pour favoriser l’employabilité des seniors ou l’amélioration des conditions de travail. La plupart des articles constituent de simples exhortations à la mise en place d’une véritable gestion anticipative des emplois et des compétences (art. 4), à l’amélioration et l’aménagement des conditions de travail (art. 6) ou à la mobilisation, au profit des plus de 45 an,s de certains outils du droit de la formation professionnelle –DIF, bilan de compétences, VAE, période de professionnalisation- définis par les ANI du 20 septembre et du 5 décembre 2003 relatifs à l’accès des salariés à la formation tout au long de la vie (art.7 et s.). Le constat est identique pour tous les autres titres.Peu nombreuses, les innovations de l’accord sont de surcroît de portée limitée. Résultat d’un compromis âprement discuté, le CDD seniors lui-même s’est avéré n’être qu’une création mineure en raison d’un encadrement juridique excessivement rigoureux, déconnecté des besoins des entreprises et aspirations des salariés concernés.

Ainsi donc les avatars de la négociation collective au niveau national et interprofessionnel, blocages et réserves, jettent le trouble sur la légitimité substantielle de l’action publique à laquelle les partenaires sociaux n’apportent qu’un soutien tiède. Bien qu’il soit encore trop tôt pour tirer des enseignements de la manière dont les branches se saisissent du thème du maintien dans l’emploi des seniors – les obligations de négocier d’origine légale ou conventionnelle (ANI 2005) n’étant toujours pas entrées en vigueur -, on ne peut que constater le manque d’empressement des acteurs à s’emparer de ces questions.Les stipulations conventionnelles concernant l’emploi des seniors revêtent donc, le plus souvent, une dimension purement déclaratoire. Quant à celles relatives à la rupture du contrat des travailleurs vieillissants, prévues par accord de branche et/ou d’entreprise, elles apparaissent même, dans certains cas, contraires aux objectifs publics.

B) Des accords de rupture à rebours des objectifs publics

36 F. Favennec-Héry, L’accord national interprofessionnel relatif à l’emploi des seniors : un premier pas, JCP S 2005, 1329 ; ég. Ch. Willmann, Promouvoir le « vieillissement actif » : les modestes propositions des partenaires sociaux, Dr. soc. 2006, 11437 Ch. Willmann, op. cit.

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Si les partenaires sociaux ont fait preuve d’une grande activité normative comme en atteste le nombre d’accords de branches et/ou d’entreprise, tous ne semblent pas, cependant, s’être inscrits dans la logique préconisée par le législateur. L’observation vaut, en premier lieu, pour les accords de cessation anticipée d’activité conclus au niveau des entreprises (1). Elle vaut aussi pour les accords de branche négociés en matière de rupture (2). Face à de tels accords décalés par rapport aux objectifs publics, un repositionnement légal s’imposait.

1) Les préretraites d’entreprise

Comme on le sait, le temps des préretraites entendues comme mode de gestion ordinaire des effectifs est désormais révolu. Aujourd’hui en effet, la logique de partage du travail dans laquelle s’inscrivaient ces dispositifs n’est plus de mise. Bien au contraire, l’objectif est de retarder le départ des salariés de l’entreprise, ce qui se traduit par la remise en cause de la plupart des mécanismes antérieurs et, au premier chef, de ceux que les pouvoirs publics avaient eux-mêmes instaurés. Plus précisément, les dispositifs publics de préretraites, jusque là justifiés par le souci de favoriser l’emploi des jeunes sont aujourd’hui en cours d’extinction, au profit de mécanismes centrés sur les critères étroitement imbriqués de l’état de santé et de la pénibilité. L’évolution est cependant moins nette en ce qui concerne les dispositifs conventionnels.

Certes, il est vrai qu’au niveau interprofessionnel, les partenaires sociaux semblent désireux de s’inscrire dans cette logique nouvelle, comme en témoigne le recentrage des dispositifs de préretraite sur les critères de santé et de pénibilité. Ainsi, après avoir été prorogé à plusieurs reprises, le dispositif ARPE, financé par l’UNEDIC, et qui bénéficiait aux salariés de moins de 60 ans pouvant justifier d’au moins 160 trimestres de cotisations au titre de l’assurance-vieillesse, n’est plus en vigueur depuis le 1er janvier 2003. Par ailleurs, - et comme on l’a dit précédemment - la négociation sur la pénibilité devrait déboucher, au niveau national et interprofessionnel, sur la création d’un nouveau dispositif de cessation anticipé d’activité au profit des salariés exposés, au cours de leur carrière, à des conditions de travail pénibles.De la même façon, on peut observer qu’en ce qui concerne l’évolution des dispositions relatives aux modalités de cessation d’activité des seniors adoptées par les partenaires sociaux au niveau des branches professionnelles, certains dispositifs sont conçus, au niveau sectoriel, en fonction de la pénibilité inhérente à certains types d’emplois : tel est, par exemple, le cas du congé de fin d’activité des conducteurs routiers, étendu aux salariés des entreprises de transport de fonds et de valeurs et aux conducteurs des entreprises de transport routier de voyageurs38.

Perceptible aux niveaux interprofessionnel et de certaines branches, le repositionnement des dispositifs de cessation anticipée d’activité sur l’état de santé est, en revanche, beaucoup moins sensible au niveau de l’entreprise. En effet, comme on l’a dit précédemment, survivent, dans certaines entreprises, des dispositifs de « préretraite- maison » totalement déconnectés de l’état de santé du salarié. Par ailleurs, force est de constater qu’en cas de restructurations, la mise en place d’un dispositif de préretraite est une réponse quasi systématique et visiblement très consensuelle, au problème d’ajustement des effectifs. Le départ des plus anciens fait encore partie de la culture partagée.39

38 Y. Struillou, Pénibilité et retraite, préc.

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Dans ces conditions, on comprend que, face à ces dispositifs d’entreprise à rebours des objectifs publics de recentrage sur le critère de pénibilité40, le législateur ait décidé d’alourdir le coût des préretraites d’entreprise, pratiques qui persistent donc en dépit de la contribution à laquelle elles sont soumises depuis la loi du 21 août 2003. L’actuelle taxation de 24,15% - un taux correspondant à la somme de l’ensemble des cotisations de retraite et de retraite complémentaire - semblant insuffisamment dissuasive, le taux de cette contribution devrait ainsi passer à 50% (projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008)41. 2) Les accords de branche, dérogatoires à l’âge de la mise à la retraite

Comme on l’a dit précédemment, la loi du 21 août 2003 avait prévu qu’une convention ou un accord collectif étendu, conclu avant le 1ier janvier 2008, pourrait autoriser la mise à la retraite avant 65 ans - sans que cet âge ne puisse être inférieur à celui prévu par l’article L.351-1 du code de la sécurité sociale, soit 60 ans42 - sous deux réserves : le salarié devait remplir les conditions requises pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein et la norme conventionnelle fixer des contreparties en termes d’emploi ou de formation professionnelle43. Comme on l’a également dit, cette possibilité de dérogation conventionnelle s’expliquait certainement par le souci du législateur de ne pas appliquer telle quelle une norme légale difficilement acceptable socialement et donc par sa volonté corrélative d’en confier les modalités de mise en œuvre aux partenaires sociaux, ainsi associés aux choix publics.

Or il s’avère que la façon dont les partenaires sociaux ont usé de cette liberté a rapidement suscité une appréciation mitigée au motif qu’ils ne semblent pas avoir été toujours préoccupés par l’emploi des seniors. Allant plus loin et suscitant de plus vives critiques encore, certaines branches - tirant parti de l’ambiguïté des textes - ont même conclu des accords collectifs autorisant la mise à la retraite des salariés ayant effectué une longue carrière avant l‘âge de 60 ans. Ces accords ont ensuite été étendus44 alors qu’une lecture des textes plus orthodoxe était concevable, amplifiant le succès d’un dispositif sous-estimé par les experts (a). Afin d’endiguer le phénomène et de mettre fin à une situation décalée par rapport aux objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, le Gouvernement a donc été amené à reprendre la main, prenant acte des limites du dialogue social comme mode d’action publique (b).

a) En ce qui concerne l’analyse des conventions et accords étendus autorisant - par dérogation à l’art L 122-14-13 - la mise à la retraite avant 65 ans, on ne saurait nier, en premier lieu, que nombre d’entre eux ont prévus des droits 39 Sans doute, est-il difficile d’opérer un comptage statistique de ces préretraites d’entreprise. Comme cela a été observé lors de la discussion au Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, « le Gouvernement ne dispose pas d'informations statistiques sur les préretraites d'entreprise qui ne font pas appel aux financements publics. Elles sont toutefois largement développées » (www.senat.fr/rap/l05-073-4/l05-073-49.html). Elles représenteraient plus du tiers des départs anticipés dans les établissements de plus de 500 salariés, (OCDE, « Vieillissement et politiques de l’emploi. France », 2005).40 Si l’on excepte le dispositif de dispense de recherche d’emploi, qui reste en effet une exception difficilement compréhensible dans la mesure où elle s’analyse comme une cessation d‘activité sur simple critère d’âge. 41 Liaisons Sociales, Quotidien 2007, n°25242 Par renvoi à l’article R.351-2 c. sécu. soc.43 Art. L.122-14-13 al.3 c . trav.44 M-C. Amauger-Lattes et I. Desbarats, La mise à la retraite avant 65 ans : regard critique sur quelques pratiques conventionnelles, JCP S 2006, n° 1326.

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accrus au bénéfice des salariés ainsi mis à la retraite. Il faut dire que fixer un âge de mise à la retraite inférieur à 65 ans emporte des conséquences négatives pour le salarié ainsi privé de la possibilité de poursuivre sa carrière professionnelle et d’améliorer ses droits en matière de retraite, notamment en bénéficiant de la surcote45. Voilà pourquoi, sans doute, certaines branches se sont efforcées d’atténuer la rigueur d’une telle mesure en renforçant, avec plus ou moins d’intensité, les droits des individus46. Ainsi peut-on, notamment faire entrer dans cette catégorie de textes, les accords ayant accordé un droit d’opposition au salarié ; on peut estimer que, ce faisant, de tels accords ont en fait restituer au salarié un peu de la liberté de choix qui devrait logiquement lui être laissée de rester en activité jusqu’à 65 ans, voire au-delà.Ainsi, de nombreux accords dérogatoires à l’âge légal de la mise à la retraite se sont donc montrés soucieux des intérêts individuels des salariés. En revanche, force est de constater, que sur un plan collectif, la plupart d’entre eux ne se sont pas inscrits dans une logique de gestion des âges, alors même pourtant que les possibilités de dérogations conventionnelles étaient en principe subordonnées à des contreparties en terme d’emploi ou de formation professionnelle (article L.122-14-13 al.3). Il s’agissait pour le législateur- tout en essayant de freiner autant que possible les cessations d’activités liées à l’âge – de favoriser l’emploi des salariés situés dans les tranches d’âge supérieures et de permettre et/ou d’encourager leur maintien dans l’emploi, spécifiquement par des actions de formation47. Certes, certains accords se sont inscrits dans cette logique en faisant expressément des travailleurs vieillissants, parfois à partir de 45 ans, les destinataires des contreparties mises en place. On peut également faire entrer dans cette catégorie d’accords ceux affirmant, dans leurs préambules, la nécessité de mettre en œuvre une gestion prévisionnelle de l’emploi intégrant la problématique des seniors, ou bien encore ceux précisant les différentes étapes possibles d’une évolution des carrières professionnelles des seniors : instauration d’entretiens avec bilan des acquis professionnels, élaboration d’un projet de formation. On peut encore évoquer ici les accords abordant les questions des conditions de travail, de la pénibilité et/ou de l’inaptitude au travail ainsi que celle de la démotivation souvent consécutive au vieillissement de l’individu.

Il n’en demeure pas moins que, loin de refléter une telle logique de gestion des âges, d’autres accords ont, au contraire, choisi de continuer à s’inscrire dans une logique de partage de l’emploi, c’est-à-dire « un renvoi à une solidarité intergénérationnelle fondée sur une logique de retrait du marché du travail pour laisser la place aux jeunes »48. Tel est notamment le cas des accords ayant fait des jeunes les destinataires des mesures d’emploi ou de formation prévues au titre des contreparties imposées par la loi. Lorsqu’on observe, de surcroît, que - non seulement les contreparties en terme d’emploi se révèlent très variables au niveau du taux de remplacement49 mais que les modalités de contrôle du respect des engagements patronaux ne sont 45 L’argument vaut d’autant plus en contexte d’augmentation du taux de la surcote.46 En ce sens, voir notre article précité, La mise à la retraite avant 65 ans : regard critique sur quelques pratiques conventionnelles47 On peut remarquer que, dans une optique de maintien dans l’emploi des seniors, une autre question est fondamentale, qui est celle des conditions de travail. On peut regretter que des contreparties sur ce thème ne soient pas une condition de validité des dérogations au même titre que l’emploi et la formation. Quelques accords, néanmoins, contiennent des stipulations en ce sens (ainsi, Avenant du 15 janvier 2004, Commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire). 48 Selon les termes de F. Meyer, « Synthèse de l’analyse des 30 accords professionnels mettant en œuvre la dérogation prévue à l’art 16 de la loi du 21 août 2003 »,(http://www.dialogue-social.fr/print.php3?id_article=101)

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pas toujours clairement identifiées50 - on comprend pourquoi certains se sont interrogés sur l’opportunité de ce dispositif au succès important et ont souligné qu’en définitive, « le législateur n’est pas allé jusqu’au bout de sa logique, laissant à la négociation le pouvoir de défaire ce que la loi a fait »51. L’argument porte d’autant plus que l’on note l’apparition de normes conventionnelles conclues en application du 3ième alinéa de l’article  L.122-14-13 et qui se caractérisent par le fait de permettre - moyennant diverses contreparties - la mise à la retraite, avant l’âge de 60 ans, de certains salariés, au prétexte que ceux-ci disposent des annuités requises pour bénéficier d’une pension à taux plein et de l’autorisation légale de la liquider avant 60 ans ; sont concernés, dans les conditions fixées par les nouveaux articles D.351-1 à D.351-1-5du code de la sécurité sociale, les salariés ayant commencé à travailler très jeunes et ayant effectué une très longue carrière (art. L.351-1-1 c. sécu. soc.) ainsi que les salariés lourdement handicapés (art. L.351-1-3 c. sécu. soc.)52. On comprend également pourquoi le Gouvernement - pour contrecarrer un mouvement conventionnel susceptible de vider de sa substance la réforme des retraites - a décidé de revenir sur ces possibilités de dérogations conventionnelles au principe de la mise à la retraite à 65 ans.

b) Face au décalage – au regard des objectifs poursuivis par la loi de 2003 – de certaines dispositions conventionnelles concernant la rupture du contrat des travailleurs vieillissants, les Pouvoirs publics ont procédé à un double recadrage du dispositif.C’est ainsi qu’il a décidé de supprimer la possibilité de dérogation conventionnelle à l’âge légal de la mise à la retraite, décision mise en œuvre par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Ainsi, la signature de ce type d’accords est-elle désormais interdite et ce, à compter de l’entrée en vigueur du nouveau texte, soit du 23 décembre 2006. Quant aux accords déjà conclus et étendus avant la publication de la loi, ils cesseront de produire effet au plus tard le 31 décembre 2009. A noter que, par anticipation, le Ministre du travail s’est opposé à l’extension des dispositions d’accords collectifs, récemment conclus, dérogeant à l’âge légal de la mise à la retraite. Aux termes des arrêtés concernés, les stipulations en cause sont en effet "contraires à l’objectif d’intérêt général d’emploi des seniors tel qu’énoncé, notamment, dans le plan d’action concerté pour l’emploi des seniors présenté par le Premier ministre le 6 juin 2006"53. Par ailleurs, la même loi prévoit que les accords autorisant la mise avant même le soixantième anniversaire du salarié cesseront de produire effet au plus tard le 31 décembre 2007. De surcroît, dés l’entrée en vigueur de la loi, les indemnités

49 Comme le relève Mr F. Meyer, (préc), « certains accords prévoient un remplacement de 1 pour 1 mais la plupart sont dans des taux de remplacement de 1 à 2 ou de 1 à 3. Ceci pose la question de savoir qui apprécie si les contreparties sont d’un niveau suffisant. Dans la mesure où les accords doivent tous passer par la procédure d’extension, c’est normalement au ministère de faire cette évaluation. L’analyse des accords montre qu’il n’a pas été particulièrement exigent sur ce point ». 50 selon les cas, information du salarié du nom de la personne censée le remplacer (…), et/ou information des institutions représentatives du personnel (…) ou bien encore transcription , par l’employeur, des noms des personnes remplacée et remplaçante sur le registre du personnel (…)51 Selon les termes de A. Bouziges, « Vieillir en entreprise », p 151, in « La protection sociale face au vieillissement », Journée d’étude Poitiers, LGDJ, 2004.52 Pour une critique juridique de ces pratiques conventionnelles, voir notre article préc. 53 Liaisons sociales 7 nov. 2006, Bref n°14741. Il s’agit plus précisément de l’arrêté paru au JO du 29/10, concernant la nouvelle CCN des organisations professionnelles de l’habitat social ; l’arrêté paru au JO du 4/11 concernant l’avenant 35 du 15 fév. 2006 à la CCN des industries nautiques ; l’arrêté paru au JO du 4/11 concernant l’avenant du 2 décembre 2005 à la CCN du commerce des articles de sports et de loisirs.

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versées au salarié dans ce cadre sont assujetties à la contribution spécifique sur les avantages servis dans le cadre des préretraites maison, soit 24,15%. Le message est ferme : ces ruptures sont des formes de cessation anticipée d’activité qui n’ont plus leur place et dont l’utilisation doit être découragée.

En conclusion de cette étude juridique consacrée au rôle imparti et joué par les parties prenantes intéressées par la question de l’emploi des seniors en France, il semble bien que l’on soit encore loin d’une responsabilité réellement partagée des acteurs. L’intérêt de ce thème – dont la dimension publique est indéniable – est, plus particulièrement, de mettre en lumière les problèmes contemporains suscités par la façon dont la loi doit être conçue dans le contexte socioéconomique actuel. A ce propos, on sait que, pour garantir la légitimité de la norme publique et sa réelle appropriation par les individus, les pouvoirs publics sont conduits à s’appuyer, en matière sociale, sur les partenaires sociaux. Or cette étude illustre le fait que « si le contrat ou la convention (doivent être en principe) subordonnés aux objectifs supérieurs que lui impose le législateur »54, la réalité ne s’inscrit pas dans un schéma aussi simple. On a vu en effet que, loin de toujours refléter un souci de remobilisation des seniors, certaines dispositions conventionnelles ont au contraire admis - voire facilité - leur éviction précoce de l’entreprise, ce qui a contraint le législateur à corriger de telles orientations. Dans ces conditions, s’appuyer sur les partenaires sociaux paraît constituer, pour les pouvoirs publics, un pari nécessaire mais risqué. En effet, l’implication des parties prenantes dans l’élaboration et/ou la mise en œuvre de la loi paraît de nature à brouiller les objectifs que les pouvoirs publics sont censés poursuivre. Dés lors, comment, tout à la fois, renforcer la légitimité de l’action publique et satisfaire les revendications d’autonomie normative émises par les partenaires sociaux ?Si l’on admet qu’une substitution des partenaires sociaux au législateur n’est guère concevable pour cette raison déjà qu’ils ne sont pas en charge du même type d’intérêt (collectif pour les uns, général pour l’autre), c’est sans doute vers un partage de compétences qu’il faudrait s’orienter. En effet, celui-ci pourrait avoir pour premier avantage de rendre moins aiguë la question du renforcement de la légitimité de l’action publique dans la mesure où celle-ci - recentrée sur des questions relevant de l’intérêt général – devrait sans contestation aucune émaner de la représentation nationale. Le second intérêt serait de reconnaître un domaine de compétence aux partenaires sociaux, sur le modèle du principe de « subsidiarité horizontale » consacré en droit communautaire, le législateur ou le pouvoir réglementaire ne devant intervenir que de façon seconde. Ce faisant, le risque de voir la convention défaire ce que la loi a fait – et inversement – serait évité puisque chacune ne devrait intervenir que dans son domaine de compétence. Dans le même temps, l’autonomie normative de la première serait reconnue et celle de la seconde préservée. Reste que cette solution se heurte à deux difficultés majeures. En premier lieu, celle relative aux bornes d’un tel partage de compétences –partage in abstracto ou au cas par cas ? -. En second lieu, celle des conditions requises pour l’exercice d’une telle autonomie normative par les partenaires sociaux et l’on retrouve ici la question lancinante de leur représentativité …, sachant que le périmètre des compétences octroyées aux partenaires sociaux est intimement lié à celle-ci. 54 R. Pellet, ouvrage préc, p 225

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