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Réussir

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Photographie de première de couverture : © Goodshoot

Tous droits réservés

© Les Éditions de l'Atelier/Éditions Ouvrières, Paris, 2003

Imprimé en France Printed in France ISBN 2-7082-3690-3

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Michel Quoist

RÉUSSIR

Les Editions Ouvrières 12 avenue Soeur Rosalie

75013 Paris

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Chers Amis lecteurs,

Dans l'introduction des premières éditions de ce livre, inquiet devant l'évolution de l'homme et du monde, j'écrivais ces quelques lignes :

Par ses réalisations extraordinaires, le monde moderne est prodi- gieusement beau et grand. L'homme, fier de ses conquêtes et de sa puissance sur la matière et sur la vie, semble le dominer chaque jour davantage. Or, au fur et à mesure que par la science et la technique il maîtrise l'univers, l'homme perd la maîtrise de son univers intérieur. Il perce le mystère des mondes, celui des infiniment petits comme celui des infiniment grands, et se perd dans son propre mystère. Il veut diriger l'univers, et ne sait plus diriger sa propre personne. Il domes- tique la matière, mais alors qu'il devrait - libéré de sa tyrannie - vivre davantage de l'esprit, la matière perfectionnée se retourne contre lui, il en devient l'esclave et c'est l'esprit qui meurt.

L'homme, demain, visitera peut-être les planètes voisines. Mais quel sera le « contenu » de cet homme ?

Il faudrait que l'humanité entière entende le solennel et toujours actuel avertissement de Jésus-Christ : « À quoi sert à l'homme de gagner l'univers s'il vient à détériorer son âme ! »

Aujourd'hui, l'homme a perdu de sa superbe. Certes, il continue d'admirer les prodigieuses avancées de la science et de la technique, mais il est de plus en plus inquiet devant l'avenir de l'humanité. Et cela pour deux raisons.

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Premièrement, à cause même de ce pouvoir grandissant qu'il acquiert sur la matière et sur la vie. Il y a quelques années il en était fier et orgueilleusement relevait la tête. Désormais, il en a peur. Car demain, que fera-t-il de ce pouvoir ? Il sait, qu'il est capable dès aujourd'hui, de faire sauter le monde et de détruire l'humanité ; qu'il peut désormais programmer l'homme, et le manipuler avant même sa naissance. Mais qui lui dira, où, comment, jusqu'où se servir de ses prodigieux pouvoirs ?

Deuxièmement, cette puissance de la science et la technique que lui-même a voulu et fait grandir, semble lui échapper dans beau- coup de domaines. Il espérait grâce à elle, se libérer. Il s'aperçoit que non seulement il ne la maîtrise plus, mais qu'il en devient quel- quefois l'esclave. Apprenti-sorcier, les techniques et les machines qu'il a conçues et mises en route, s'emballent sous ses yeux. Elles le dépas- sent, concevant ou accomplissant sans lui et en quelques heures, des travaux qui exigeraient de lui des années de labeur. Elles excluent ainsi du travail des millions de ses frères, les laissant inactifs et humiliés sur

le bord de la route, démunis de moyens de vivre et de faire vivre leur famille.

L'homme alors, comme à chaque fois qu'il se sent en danger, rede- vient l'enfant fragile qu'il est encore, sachant à peine marcher seul, et cherchant confusément autour de lui une main qui puisse le soutenir et le guider. À sa demande, des hommes qu'on dit « experts » ou « sages », se réunissent en commissions, colloques, comités d'éthique... pour tenter de concevoir pour lui des plans, ou lui tracer des routes, et sur ces routes lui indiquer les limitations de vitesse, les tournants dangereux, les stops à respecter. Efforts insuffisants pour le rassurer, car ses angoisses sont plus profondes. Ayant remis en cause tous les « interdits » hérités de ses prédécesseurs, ayant bousculé tous les « tabous » qui, pensait-il, l'empêchaient de vivre, il se retrouve en face de lui-même, ayant perdu tous ses repères sans en avoir découvert de nouveaux. Se croyant libéré, il s'expérimente aliéné, dépendant de ses pulsions et de ses multiples drogues.

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Affolés, des hommes tentent de réagir. Certains se croyant investis de mission, se battent pour arrêter la marche de l'histoire, voire tenter de la faire reculer afin de retrouver « les valeurs sûres dont on dit

qu'elles ont fait leurs preuves ». D'autres cherchent la chaleur et la sécurité de cocons protecteurs. D'autres enfin redécouvrent la vie dans laquelle ils baignent, et celle qui sourd en eux prête à jaillir s'ils appren- nent à la capter. Assoiffés, ils tentent de s'en désaltérer mais sans savoir d'où elle vient et où elle va.

Faut-il alors revenir en arrière ? Faut-il déprogrammer les projets ? Arrêter les expériences de la science et de la technique ? Sûrement pas. Nous n'avons pas le droit de freiner la fulgurante progression du monde, mais nous avons au contraire le devoir de mobiliser toute nos forces, pour nous investir dans cette prodigieuse marche en avant de l'humanité, afin de lui donner un sens. C'est la grandeur de l'homme de prendre en main la construction du monde, la merveilleuse mission que Dieu lui a confiée.

L'homme d'aujourd'hui en sera-t-il capable ? Au fur et à mesure que s'élargit les dimensions du chantier et que se développe la puis- sance d'intervention de l'homme, grandit sa responsabilité. Il faut qu'il se construise lui-même, plus fort et plus solide, pour pouvoir bâtir le monde de l'an deux mille. Il doit se restructurer lui-même et chercher

à conquérir le supplément d'« âme », que le philosophe Bergson récla- mait déjà pour lui il y a quelques dizaines d'années.

Chrétien, je crois de toutes mes forces, que Dieu a voulu l'homme grand et puissant. Il est appelé à le devenir bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Malgré ses peurs actuelles, ses reculs, ses angoisses, il cherche toujours confusément à se grandir, à « devenir dieu », et à construire avec ses frères « une tour qui atteigne le ciel (1 ) ». Il a raison. C'est là sa vocation. Mais seul il ne peut y parvenir. À chaque fois qu'il le tente, il échoue. L'histoire le lui enseigne. Aujourd'hui, devant son pouvoir grandissant et les prodigieuses perspectives d'action qui s'ouvrent à lui, devenu peut-être un peu plus humble, face aux

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incertitudes de l'avenir, pourra-t-il enfin entendre la voix de son Dieu qui lui murmure depuis l'éternité : j'ai de grandes ambitions pour toi. Oui, je te désire « à peine moins grand qu'un dieu » comme dit le psaume. Oui, je désire que tous ensemble vous construisiez un « paradis terrestre », mais « sans mon Fils vous ne pouvez rien faire ».

L'offre de Jésus Christ, envoyé sur terre par son Père, pour sauver l'homme et le monde demeure :

« Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu'ils l'aient en abondance »

« Je suis le chemin, la vérité, la vie... » « Je suis la résurrection et la vie, tout homme qui vit et croit en moi

ne mourra jamais... » « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, je ne vous la donne

pas comme la donne le monde... » Pour « réussir » l'homme et le monde moderne, non seulement il

faut redonner son âme à l'homme, non seulement il faut lui donner un supplément d'âme, mais il faut aussi et surtout lui redonner Jésus- Christ. Sinon, l'homme est en danger.

Nous reprenons maintenant le texte de présentation des premières éditions de ce livre. Il nous semble en effet important de noter les quelques précisions suivantes.

Dans cet ouvrage, nous partons de l'homme parce que c'est lui qui est premier et qui doit en définitive être atteint. Mais si nous pensons qu'il est folie de croire que les structures sont suffisantes pour trans- former les hommes, nous pensons que c'en est une autre de croire qu'il suffit de changer l'homme sans toucher aux structures. D'un même effort et du même amour les deux tâches doivent être entreprises.

Qu'on n'attende pas non plus d'être « formé » pour agir; l'homme ne se construit lui-même qu'en agissant, et seul l'amour pratique de ses frères peut l'enraciner dans l'amour du Christ. Humainement et surna- turellement, l'homme ne peut se « réussir » qu'en travaillant à réussir le Monde.

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Ce livre n'est pas un traité qui expose magistralement les règles de vie de l'homme et du chrétien, mais quelques réflexions autour de la construction humaine et chrétienne de l'homme et du Monde.

Réflexions groupées par chapitres, dont certains ont un lien entre eux, d'autres, pas. N'ayant eu nullement pour but de présenter un corps complet, qu'on ne nous dise pas : il manque tel membre. Il en est de même à l'intérieur des chapitres où chaque sujet n'est pas traité ex professo, mais où quelques aspects seulement sont retenus, laissant d'autres délibérément dans l'ombre.

Pour plus de clarté, nous avons cependant réuni ces réflexions en quatre grandes parties : L'homme - L'homme et sa vie - L'homme et les autres - L'homme et sa vie dans le Christ. Mais il ne faut pas voir dans ces divisions des barrières strictes. En fait, chaque chapitre doit tenir

compte de tous les autres ; pour le signifier, nous avons volontaire- ment multiplié les renvois. Surtout, il n'est évidemment pas dans notre intention de reléguer les relations de l'homme et du Christ dans un secteur particulier de la vie. Puissions-nous au contraire avoir réussi à montrer que les efforts de l'homme pour se construire, construire sa vie et construire le monde, ne doivent être qu'un seul et même effort dans le Christ pour réussir le Royaume du Père.

Pourquoi avoir choisi tels thèmes de réflexions plutôt que d'autres, et à l'intérieur de ces thèmes tel aspect ? - Pour répondre aujourd'hui à des besoins concrets. Nous ne sommes pas écrivain en chambre, nous essayons d'être à l'écoute de la vie, persuadé que c'est Dieu qui, à travers les sollicitations des hommes, nous invite. Ce groupe qui

demande un éclaircissement sur tel problème, cet homme qui solli- cite des conseils pour comprendre et vivre tel aspect de sa vie, ces lecteurs de revues... tous demandaient une réponse, il fallait répondre aujourd'hui, il faudra demain d'autres réponses : pour d'autres ques- tions, et d'autres hommes pour y répondre.

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Nous avons voulu être concis, direct et adapté. Écrire avec des mots de tous les jours, sous une forme accessible au monde d'aujourd'hui, des vérités éternelles.

Si nous avons adopté le tutoiement, ce n'est pas par manque de déférence envers le lecteur, mais avec l'espoir que celui-ci se substitue à nous et se dise à lui-même - comme nous nous le sommes dit à

nous-même - les réflexions proposées. Les hommes, hélas, n'ont plus le temps aujourd'hui de lire de longs

traités, mais quel est celui qui ne peut trouver les minutes nécessaires pour réfléchir sur quelques lignes ? Car nous souhaitons qu'il s'agisse de réflexion, et de réflexion qui entraîne un examen de conscience et un engagement.

Puissions-nous permettre à quelques-uns de recueillir le fruit de cette halte bienfaisante, nous les aurons aidés à se réussir et à réussir le Monde.

Michel Quoist

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L'Homme

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I. L'homme debout

- Psychologiquement, peu d'hommes sont normalement « construits ».

Peu d'hommes ont ordonné et mis en place les différents étages de leur être.

Peu d'hommes sont parfaitement équilibrés, ou bien on ne les a pas aidés à se construire (éducation), ou bien ils ne se sont jamais construits eux-mêmes (efforts de l'adolescent et de l'homme adulte),

ou bien ils se sont détériorés, les autres les ont détériorés, les choses, les structures, la vie...

Peu d'hommes méritent le nom d'homme.

- L'homme bien construit est à trois étages (1) : au troisième, le spirituel, au deuxième, le sensible, au premier, le physique. Les trois « étages » se tiennent, communiquent, réagissent l'un

sur l'autre, mais leur hiérarchie doit être respectée ; le physique est

(1 ) Si nous parlons « d'étage » en l'homme, c'est bien pour distinguer la valeur respective des éléments qui le composent ; mais nous n'oublions pas que l'homme est un et qu'il engage son être tout entier dans chacun de ses actes (cf. « L'Homme atomisé ou l'homme unifié et personnalisé », p. 22).

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en bas, c'est le moins noble - le spirituel est en haut, c'est le plus beau. Si l'ordre des valeurs n'est pas conservé, la construction est mauvaise, l'homme est abîmé.

- Certains hommes marchent sur la tête. Ce n'est pas viable, l'homme n'est pas fait pour cela.

Tu marches sur la tête lorsque le physique - ton corps - prend le dessus et commande. C'est la sensualité sous toutes ses formes. Ce

peut être aussi la maladie qui écrase au lieu d'être dominée et offerte.

- Si ton corps décide, ordonne, et si tu obéis, le poids de celui-ci écrasera tout le reste en toi. Ta sensibilité s'émoussera, ton esprit étouffera et s'anémiera.

- Le corps, chez toi, n'a pas pris complètement et définitivement les rênes du pouvoir ? Peut-être, mais si tu t'observes loyalement, tu te surprendras plus d'une fois à marcher sur la tête :

cette gourmandise à laquelle tu ne peux résister, cette sucrerie, ce verre de vin,

cette mollesse du corps qui le matin refuse de se lever, ou debout écarte l'effort,

cette sensation recherchée et goûtée sans autre but que de te satisfaire,

ce plaisir sexuel désiré pour lui-même. Allons, debout, sois un homme !

- Certaines personnes avancent en rampant ; chez elles, c'est le sensible qui commande.

Ta sensibilité est maîtresse chez toi quand une affection devient une passion et, échappant au contrôle de la raison, te fait « perdre la tête ».

Si la sensibilité domine, elle aussi paralyse l'esprit, elle l'entraîne à sa remorque, il ne peut plus juger sainement, agir librement.

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- Tu n'es pas devenu irrémédiablement esclave de ta sensibi- lité ! Peut-être, mais chez toi, ne gouverne-t-elle pas trop souvent ?

Tu juges que cette personne a raison, parce que tu l'aimes sensi- blement, que cette autre a tort parce que tu ne « peux pas la voir ».

Tu travailles avec l'un de tes professeurs parce qu'il est sympa- thique, tu ne fais rien avec l'autre parce que tu ne « peux pas le sentir ».

Tu te dévoues, tu te donnes beaucoup plus pour celui-ci que pour celui-là, parce que tu l'aimes sensiblement : avec Untel, volon- tiers tu travailles en équipe parce que pour lui tu « irais au bout du monde », mais avec son ami tu ne pourrais collaborer.

Tu as le cafard, tu n'es plus capable de rien, car un reproche t'a blessé,

un sourire ironique t'a peiné, une main s'est refusée. Tu n'as plus le courage de lutter parce qu'on ne remarque pas

tes efforts, parce que tu n'as pas de « consolation » (pour ta sensi- bilité affamée).

Tu pries aujourd'hui parce que tu es « en forme », et tu es en forme parce que tu as reçu une lettre agréable, parce que ton ami a eu pour toi un geste délicat, parce que tu as été ému par le spec- tacle d'une grande souffrance...

Mais demain tu ne pourras plus prier parce que tu seras « dégonflé », et tu seras dégonflé parce que tu n'auras pas constaté de résultats sensibles à tes efforts, parce que quelqu'un n'aura pas cru à ta bonne volonté ou ton ami t'aura trompé ou lâché...

Tu n'es plus debout, tu rampes, esclave !

- L'homme debout, c'est celui dont l'esprit, entièrement libre, commande à la sensibilité et au corps. Il ne méprise ni l'un ni l'autre, car tous deux sont beaux et utiles puisque créés par Dieu, mais il les maîtrise et les dirige. C'est lui le chef, eux sont les serviteurs.

- Tu as le droit de lancer en avant ta sensibilité ou la vigueur de ton corps (1) ; ils sont une force, mais tu dois l'orienter ; ils sont tes montures, tu peux les enfourcher, mais garde bien les guides ; ils

(1 ) Cf. « Ne pas « refouler » mais « sublimer », p. 26.

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sont ta voiture, tu peux te faire conduire, mais tiens bien le volant. Si tes coursiers s'emballent, si tu perds le contrôle de ton véhicule, tu connaîtras l'accident.

- Certains hommes « planent ». Ils n'ont pas « les pieds sur terre ». Tu planes lorsque tu prends tes rêves pour la réalité, lorsque tu

passes ton temps à concevoir des plans, que jamais tu ne réalises, lorsque tu ne t'adaptes pas aux personnes et aux choses, lorsque

tu ne t'acceptes pas, tu n'acceptes pas les autres, le milieu où tu vis, la place que tu occupes, les événements qui t'atteignent...

Tu planes lorsque, par peur du réel, manque de générosité, ou satisfaction orgueilleuse, tu te laisses emporter par la rêverie.

- Rêver ta vie n'est pas la vivre. Tu as le droit de t'accrocher à un bout de rêve pour te porter en

avant, mais jamais pour t'éloigner du réel.

- Pour bien te construire et demeurer debout, il faut te rappeler souvent les différents étages de l'homme et leur hiérarchie, puis t'observer loyalement en face de telle personne, de tel acte, de telle attitude... Qu'est-ce qui t'a poussé à décider ceci, à agir ou réagir comme cela ? Si ce n'est pas toi qui as commandé, le constater est déjà une victoire de ton esprit. Il n'est plus victime aveugle, il se libère et reprend son rôle de direction dans ta vie.

- Par ses propres moyens, l'homme ne peut rester debout son corps est trop lourd, sa sensibilité trop entreprenante. Il a besoin d'une force qui l'attire par en haut, le soutienne et le transfigure par l'intérieur.

Si tu t'ouvres à Dieu, tu seras fort de sa force et ta sensibilité et ton corps seront entre tes mains, puisque tes mains seront entre les siennes.

- Si tu n'accueilles pas Dieu, tu te mutiles, tu es un homme inachevé, un homme tronqué, décapité, car l'homme complet, dans la pensée éternelle du Père, c'est l'homme debout ayant rencontré Jésus-Christ et par lui devenu fils de Dieu, homme divinisé.

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II. Les deux dimensions de l'homme

» TOUT DIEU ET TOUTE L'HUMANITÉ.

- L'homme total, c'est « l'homme debout », ayant épousé tout Dieu pour être, jusqu'au plus intime de lui-même, transformé en Lui : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » (1). C'est la dimension verticale de l'homme, vers Dieu.

L'homme total, c'est l'homme ayant épousé tous les hommes ses frères, de tous les temps et de tous les lieux, pour ne faire qu'un avec eux. C'est la dimension horizontale de l'homme, vers les autres.

Celui qui n'a pas atteint ces deux dimensions est un homme inachevé, tronqué, mutilé.

- Les hommes ne sont pas des individus juxtaposés, ils sont des personnes liées les unes aux autres.

Tu es membre de l'Humanité et tout homme est un peu de toi- même puisqu'il est de l'Humanité.

Tu ne te connaîtras pleinement que lorsque tu connaîtras tous les hommes.

(1) Saint Paul.

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Tu auras atteint ta taille adulte lorsque tu te seras uni par la

connaissance et l 'amour à tous les hommes, membres du corps Humanité dont tu es toi-même l'un des membres.

- L'enfant devient adolescent en prenant conscience de lui-

même ; l'adolescent devient adulte en prenant conscience de toute l'Humanité.

- Prends conscience de toi, tu reconnaîtras tes limites, et si tu

reconnais tes limites, tu te disposeras à accueillir les autres pour te

compléter et t'enrichir.

- Aucun homme ne peut vivre seul sans s'appauvrir lui-même.

- Toute la psychologie dynamique moderne nous dit, tou t

l'Évangile nous enseigne qu'il y a deux grandes forces opposées qui sollicitent l 'homme :

une force d'expansion et de relation qu'on appelle « amour » et

qui pousse à la sortie de soi pour bâtir les communautés, depuis le

foyer jusqu'à l'humanité,

une force de régression et d'isolement qu'on appelle « égoïsme »

et qui pousse au repli de soi dans la fallacieuse et éternelle illusion d'une réussite individuelle (1).

- Quelles que soient tes richesses intérieures personnelles, si tu

t'isoles, tu n'atteindras pas ta pleine maturité. Et si tu veux t'enrichir des autres, il faut t'unir à eux, c'est-à-dire les aimer.

Plus tu aimeras les autres, plus tu seras adulte !

- Si tu dis :

chacun pour soi, moi d'abord (mes études, ma famille, mon avenir, mon bien-

être... etc.), je ne m'occupe pas des autres,

(1) Sur ce thème et sur ceux de l'amour et du mariage, nous avons largement profité du livre excellent En marche vers l'amour du docteur Goust, Les Éditions de l'Atelier/Éditions Ouvrières, 1958.

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je ne me « mêle » pas des affaires des autres (ce qui veut dire :

j'ignore ceux de mon école, de mon travail, de mon quartier...), et si tu persévères dans cette attitude, tu ne te réaliseras jamais

et resteras gravement inachevé.

- Tu dois faire la chaîne. D'abord avec ceux dont tu peux saisir

la main. Tes proches : ta famille, ceux de ta maison, de ton quartier, de ton école, de ton travail, de tes loisirs. Si tu n'es pas en commu-

nion avec eux, l'humanité entière serait-elle réunie que tu demeu-

rerais un isolé. Or un isolé est humainement un raté, dans le plan du

Père, un fils prodigue qui, en l'éloignant, se condamne lui-même.

- Pour rencontrer les autres, il faut les voir : ouvre les yeux

Pour pouvoir accueillir les autres, il faut avoir de la place chez soi : fais le vide en toi !

Pour pouvoir s'unir aux autres, il faut se laisser et sortir de chez soi : oublie-toi et donne-toi !

- Aux hommes éloignés, dans le temps et l'espace, tu ne peux

t'unir que spirituellement : tu dois les atteindre par la connais-

sance, tu dois les « porter dans ton coeur » par l'amour. Sois en quête

de leur existence, leurs problèmes, leurs souffrances, leurs joies...,

par le journal, la radio, le cinéma, la télévision, les lectures, les confé-

rences, les voyages.. . Agrandis progressivement ton regard et ta

conscience d 'homme jusqu'aux limites du Monde.

- On mesure la g r a n d e u r d 'un h o m m e à sa pu i s sance de communion.

- Dieu est communauté de personnes : Il t'a créé à Son image,

c'est-à-dire non pas individu isolé, séparé, mais personne invitée à la communauté, avec Lui et toute l'Humanité.

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- Le salut de l'homme est un salut personnel et collectif. Dieu a fait alliance avec un « peuple », Il a fondé une « Église ».

- L'Humanité dans la pensée de Dieu est une : famille de fils ayant le même Père. C'est le péché qui a « dispersé les enfants des hommes sur la surface de la terre (1) ». Chaque homme doit refaire en lui l'unité originelle de l'humanité. Il reste inachevé tant qu'un seul de ses frères demeure exclu et que loyalement il ne peut s'appeler « frère universel ».

- Certains pensent : Dieu est inutile, il suffit de s'unir à tous les hommes dans une immense fraternité. Or peut-il y avoir des frères s'il n'y a pas de père, et qui peut être le Père commun sinon le Créa- teur de toute vie ?

Si tu veux être frère de tous les hommes, il faut que tu acceptes d'être fils, de vivre et de recevoir la vie de Dieu - et plus tu seras fils, plus tu seras frère.

- Certains pensent : il suffit de s'unir à Dieu sans s'occuper des hommes. Or si tu veux être fils du Père, il faut que tu acceptes d'être frère de tous les autres fils. Dès que tu refuses un frère, tu refuses le Père, tu te détruis, tu n'es plus l'homme que désire le Père.

- Si tu veux vivre, tu dois aimer tes frères :

“ « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la

mort (2). ”

(1) Genèse, XI, 8. (2) Première épitre de saint Jean, III, 14.

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Plus tu aimeras les hommes, en longueur et en profondeur, plus tu « passeras à la vie » ; plus tu t'éloigneras et te sépareras d'eux, plus tu te détruiras et passeras « de la vie à la mort ».

- S'ouvrir à Dieu et s'ouvrir aux hommes, Rencontrer Dieu et rencontrer les hommes, Communier à Dieu et communier aux hommes, ne sont pas des démarches qui s'excluent, mais au contraire se

complètent et s'authentifient l'une l'autre. Depuis l'Incarnation et la Rédemption, le Christ a fait de l'Huma-

nité son grand Corps mystique : en communiant au Seigneur tu communies à toute l'Humanité, car tu ne peux recevoir la Tête sans recevoir les membres ; en t'unissant aux hommes tu rencontres le Seigneur, car tu ne

peux accueillir les membres sans accueillir la Tête.

- Si tu acceptes que diminue l'amour égoïste de toi pour que grandisse ton amour de Dieu et ton amour des hommes, alors seule- ment tu acceptes de devenir un homme.

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III. L'homme atomisé ou l'homme unifié et personnalisé

- L'arbre vit en absorbant des éléments minéraux, il les fait siens suivant son plan de nature et les fait accéder à un état supérieur : la vie végétative.

L'animal vit en utilisant des éléments minéraux, puis en inté- grant la vie végétative. Il coordonne les énergies inférieures suivant le plan directeur qui est en lui, les élevant à un niveau supérieur : la vie animale.

L'homme vit en utilisant les propriétés de la vie végétative et animale, mais il les subordonne et les transforme, par la raison et la liberté, en vie humaine.

Si tu veux être un homme, il te faut dominer et ordonner tes instincts et tes sensations, par l'esprit.

- Choisis entre l'humanisation par la primauté de l'esprit et de la conscience, ou l'animalisation par la primauté de l'instinct.

Dans tout péché il y a une défaite de l'esprit au profit du moi inférieur; l'ordre est rompu, l'homme est un peu moins homme.

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- Ton géranium et ton chien sont tout faits. Ils ont immédiate- ment atteint leur perfection limitée de plante et d'animal. Ta gran- deur est de te construire toi-même. Tu es inachevé, tu dois participer directement à ta propre création.

- Que deviendrait la roue de ta mobylette si ses rayons n'étaient plus réunis par le moyeu ?

Il n'y aurait plus de roue. Que deviendrait l'atome si les électrons étaient « libérés » de leur

noyau central ? Il n'y aurait plus d'atome. Que deviendrait l'homme si toutes ses puissances physiques et

spirituelles n'étaient pas harmonieusement réunies dans les bras du « je » ?

Il n'y aurait plus d'homme.

- L'homme atomisé c'est celui dont la sensualité est exaspérée ; l'émotivité, la sensibilité, l'imagination affolées ; toutes ses puis- sances indisciplinées agissant sans contrôle, cherchant leur pâture chacune pour soi, hors des lois de l'esprit et de l'idéal. C'est à propre- ment parler l'éclatement et la dispersion de ce qui fait l'être profond de l'homme. Il n'y a plus d'homme.

Devenir homme, c'est re-cueillir toutes ses forces, les ré-ordonner en fonction de leur valeur respective, les soumettre à l'esprit.

- Si tu veux te construire sainement il ne suffit pas de hiérar- chiser les divers éléments qui te composent (1), mais il faut aussi les unifier, par le sommet, en les rattachant à un même «je ».

- Il est facile de tenir les rênes d'un cheval vieux et fatigué. Il est difficile de tenir celles d'un cheval jeune et nerveux. Il est plus difficile encore de maîtriser et conduire un attelage de

six pur-sang

(1 ) Cf. « L'Homme debout », p. 13.

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L'humanité et le monde sont-ils menacés ? Beaucoup d'hommes et de femmes le craignent. Profondément

désemparés, ne sachant plus où trouver les repères et les

forces intérieures pour donner du sens à leur vie, ils

s'affolent et prennent peur. Sauront-ils maîtriser et orienter

ce monde qui, sous leurs yeux semble leur échapper ?

Quelle humanité sont-ils en train de développer ? Quel avenir offriront-ils à leurs enfants ? Michel Quoist

conscient du danger s'emploie à travers ses textes à nous

faire réfléchir. Par petits chapitres, avec des images et

des mots simples, il nous montre l'essentiel : comment

devenir un homme unifié, épanoui, capable de participer

à cette merveilleuse mission que Dieu lui a confiée, la

construction du monde d'aujourd'hui et de demain.

Réussir est un ouvrage qui a été traduit en plus de vingt-

quatre langues.

MICHEL QUOIST (1921-1997) est l'un des auteurs de spiritualité les plus connus en France et dans le monde. Ordonné prêtre en 1947, il entreprend des études ; sa thèse : La ville et l'homme, reçoit le prix Jansen en 1954 à la Sorbonne. Prêtre du diocèse du Havre, aumônier d'action catholique, en lien avec les grandes initiatives religieuses d'après-guerre, il publie en 1954 Prières qui sera traduit en plus de trente langues.

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sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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