salhi
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Modalits et distribution sociale de la
littrature dans la Kabylie traditionnelle
Par
Mohand Akli SALHI
Dpartement de langue et culture amazighes
Universit Mouloud Mammeri. Tizi-Ouzou
La question aborde dans cette tude est de savoir, dans un pr emier
temps, comment se ral isaient les formes reconnues comme ayant un statut
l ittraire et, dans un deuxime temps, comment se distribuaient
socialement ce type de parole. Il est question dtudier les modalits
concrtes de la performance li ttraire et danalyser la stratification sociale
de cette parole. Le premier point se fera par l tude du lexique de la
performance li ttraire et des dnominations des ensembles textuels. Le
second point, lui, touchera l analyse des rapports que peuvent entretenir
les textes et les ensembles textuels avec l idologie sociale. Lobjectif de
l analyse de ce second point est de fournir des lments de rponse quant
la stratification sociale de la parole l ittraire et de ce quon pourrait
appeler la lgitimit l i ttrai re.
Modalits des performances littraires
Le lexique des performances l i ttraires se distingue en deux catgories.
La distinction repose sur l troitesse et/ou la largesse de l univers auquel
i ls se rfrent. La premire catgorie regroupe tous les verbe s performatifs
qui ne sappliquent pas spcifiquement une performance li ttraire
particul ire. La deuxime catgorie, elle, contient les verbes servant
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dsigner une performance spcif ique. Les voici prsents et spars dans
ce tableau :
Lexique gnral Lexique spcifique
Ales ( ttales)
Awi ( ttawi)
Cnu (cennu)
ebbel (ttebbil)
Fee (ttfei)
Ini (qqar)
enni ( ttenni)
Sefru (sefray)
Wwet (kkat)
Cewweq (ttcewwiq)
Cekker (ttcekki)
Dekker ( ttdekki)
Dewwe (ttdewwi)
Medde (ttmedde)
Mjadal ( ttemjadal)
Mezber
(ttemezber)
Sbuer (sbuur)
Serqes (serqas)
Selleb (sellib),
Zuzzen ( ttzuzzun)
Les verbes de la premire colonne peuvent tre partags en trois sous -
catgories. La premire regroupe les verbes de la citation et du discours
rapport (ales et ini). La seconde a trait aux verbes de la composition
potique ( fee et sefru) . Quant la troisime, elle contient les verbes du
chant avec ou sans accompagnement musical ( cnu, ebbel , enni et wwet ).
Dnomination des ensembles textuels
a. Dnominations gnrales
Ltude de ces dnominations est intressante ral iser car elle
dbouchera ncessairement, pour le propos dvelopp ici, la mise en
lumire du systme gnrique de la l i ttrature traditionnelle. La perspective
smantico-tymologique adopte dans ce qui va suivre a l avantage de
renseigner sur les proprits intrinsquement l inguistiques permettant
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dassoire la place et le crdit accords dans la socit respectivement aux
genres et aux types l ittraires. A cette perspective smantico -tymologique
sera associe une description, aussi dtail le que possible, des
caractristiques qui font de chaque ensemble de textes un type plus au
moins autonome. La prsentation et l tude de ces ensembles textuels
seront l imites aux donnes du genre potique, car trs fourni en
dnominations. Le genre de la posie est le plus dominan t et le plus
lgitim socialement.
Les quatre premires dsignations qui seront exposes sont de nature
plus gnrale que les autres dans la mesure o el les se rfrent, non pas
un type particulier, mais un champ transcendant les types potiques, tout
au moins une bonne partie deux. Elles sont plus gnrales mais non moins
problmatiques.
Tafit
Emprunt la langue arabe, Tafit (pl. tifi in) est la forme kabylise de
fasa1 qui signifie loquence dans la langue dorigine. Ce terme nest
mentionn que dans les pomes anciens ; Mammeri2 et Rabia3 le
transcrivent avec cette morphologie. Il est galement donn comme titre
trois pomes dans Essai de grammaire kabyle de Hanoteau. Deux autres
termes drive de tafit : le verbe fee (composer de la posie) et le nom
concret afi (pote). On localise une variante morphologique de ce
dernier : l efi4. Une autre forme du pluriel de afi est donne dans une
pome prsent par Hanoteau dans son Posies populaires de la Kabyli e de
Jurjura . Il sagi t de la forme l faa5. Le pluriel kabyle et habituel est i fien .
1 Le trait suscrit indique que la voyelle est allonge.
2
3
4 Voir Hanoteau, idem, pp. et Djellaoui, idem, pp 134 et 142 entre autres.
5 Hanoteau Adolphe, Posies populaires de la Kabylie du Jurjura, Alger, 1867. Voir galement Djellaoui
Mhammad, Posie kabyle dantant : retranscription, commentaires et lecture critique de louvrage de
Hanoteau 1867, Ed. Zyriab, Alger, 2004, p.143 et 144.
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Ce terme est traduit en franais de plusieurs manires ; i l est donn comme
quivalent posie et / ou grande posie, loquence et chanson. On
remarque ici quon a traduit ce mot soit suiva nt son tymologie
loquence soit suivant le mode dexcution des pomes chanson ou
encore suivant l usage quon en fait dans l espace potique kabyle
(grande) posie . Cette dernire remarque est un fait trs intressant car
on localise, avec cette signification, un terme avec lequel les Kabyles
dsigneraient autrefois le genre de la posie, tout au moins celle qui est
reconnue et lgitime au plan social, do lune des traductions de
Mammeri (ou Rabia A VERIFIER) : grande posie. Le terme tafi t est
actuellement disparu du lusage, i l nest plus connu mme des personnes
trs ges6.
Asefru
Driv en s de la racine FR. Son premier sens se rfre la
notion de pome, mais i l dsigne, la une manire dune synecdoque, la
posie. Son plurie l est i sefra . Ce terme nest pas appliqu une catgorie
potique particulire, i l dsigne nimporte quel pome pourvu qui l soit
reu comme tel. Il peut tre long ou bref. On a voulu voir dans ce mot une
forme mtrique, cest--dire un neuvain de trois s trophes de trois vers
chacune o le premier r ime avec le deuxime et est isosyl labique avec le
troisime. Cette interprtation est, pour le moins, douteuse dans la mesure
o, comme indiqu plus haut, tous les pomes sont appels i sefra (sing.
Asefru). La distinction de ces derniers en izlan (sing.), taqsidt (t iqsidin ), aia
( i i ayen ) ou acewwiq ( i cewwiqen ), etc. se base sur des dmarcations plutt
l ies au contenu et au mode de performance potique. Asefru peut tre
chant avec accompagnement instrumenta l , dclam ou psalmodi. Il se
peut que des dmarcations formelles et mtriques soient pertinentes pour
distinguer les i sefra entre eux ; par contre, elles ne contribuent nullement,
notre sens, sparer, comme une catgorie part, les i sefra des autres
6 Pour une discussion plus toffe, le lecteur peut se rapporter Mohand Akli Salhi , "Notes prliminaires sur le
mot tafit", Les types potiques amazighes traditionnels, Ircam, 2009, pp. 123-126 . Voir galement "Le nom de
la posie en kabyle" dans Etudes de littrature kabyle, Enag, 2011, pp. du mme auteur.
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dnominations, plus spcifiques. De notre point de vue, le terme asefru
( i sefra ) fonctionne comme un hyperonyme englobant l ensemble des
manifestations particulires des pomes, comme izlan , t iqsidin , t i jr ir in ou
i jr iren .
Izli
Comme les deux derniers termes qui viennent dtre exposs, celui d iz l i
pose quelques problmes aussi dans son tymologie que dans sa
signification actuelle. Certaines voix laissent entendre que le sens de ce
terme aurait connu, selon les rgions, une spcialisation thmatique et / ou
formelle. Galand-Pernet crit propos de cette volution que "() l izl i
kabyle semble bien prendre un nouveau dpart en glissant formellement
vers l asefru et, thmatiquement, vers un lyrique plus universelle que
grivoise (mais qui reste sensuel lement rvolte) ()" 7. Il semble mme
quil est carrment sorti de l usage dans certaines rgions. Constat dj
formul par Tassadit Yacine. "Le nom mme, encore trs vivant en dautres
communauts berbrophones, connu en plusieurs points de la Kabylie i l y a
peine une gnration, tend disparatre devant l emploi devenu
envahissant de l asef ru , plus polyvalent", crit -elle dans les premires l ignes
de lunique ouvrage consacr ce sujet 8.
De point de vue tymologique, i l renvoie la notion de chan t.
Lexpression typiquement fminine kkremt ad newtemt izlan qui signifie
venons-en chanter en porte toujours les traces de ce sens. Nous avons
vu plus haut la relation du verbe wwet avec le chant et l accompagnement
musical.
Par ail leurs, i l est admet dans la l ittrature consacre ce terme que la
brivet de la forme constitue sa distinction principale. On retrouve ce
7 Littratures berbres. Des voix des lettres, PUF, Paris, 1998, p. 56.
8 Lizli ou lamour chant en kabyle, Edition de la MSH, Paris, 1988. Une version algrienne est assure par les
ditions XXXXX, Alger, 1989.
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trait caractristique dans beaucoup de variantes amazighes 9. Ce fait est
corrobor aussi bien par l util isation du mot izl i dans les textes
traditionnels qui sont, dans ceux que nous avons nous -mme inventoris,
tous de forme brve 10 que par dautres contextes smantiques o le terme
izl i est uti l is : mai d izli (ce nest pas peu = cest beaucoup) et d
izli (cest beaucoup) fonctionnant sur le mode ironique.
Izli signifierait-i l , dsormais ou selon certaines rgions, un pome
dexpression amoureuse ? Il nest pas exclu que ce terme ait connu une
spcialisation de son sens pour ne dsigner quun type de chant. Dautres
faits proches de celui -ci al imentent cette hypothse comme le gl issement
dans le sens des mots asefru et i sefra de celui pome, au singulier et/ou au
pluriel, vers celui de la posie.
On a galement voulu voir dans l izl i une forme potique : un sizain
gnralement de six heptasyllabes 11 quon oppose formellement l asefru ,
rduit tort sa forme de neuvain 12. La consultation du corpus dont nous
disposons actuellement rvle que l izl i , qui habituellement se ralise en
sizain, peut l tre galement en neuvain.
Consquemment tout cela, nous ne pensons pas que la polyvalence de
l asefru est la raison qui expliquerait la disparition du mot izl i car, dans les
faits, l asefru nest pas polyvalent mais de porte plus gnrique, ayant une
valeur dhyperonyme. La disparition du mot izl i dans certaines rgions est
rechercher dans les bouleversements sociologiques et politico -
9
10 Voir entre autres les textes (Rabia).
11 Dautres manifestations formelles existent. Il sagit essentiellement de la combinaison-alternance de
lheptasyllabe et du pentasyllabe dun ct et du sizain pentasyllabes de lautre. Les deux autres formes,
savoir la combinaison-alternance du quadrisyllabe et de lheptasyllabe ainsi de la combinaison-alternance de
lheptasyllabe et du quadrisyllabe, sont beaucoup plus marginale.
12 Cette terminologie (sizain, neuvain, pentasyllabe et heptasyllabe, etc.) est classique dans la recherche en
posie kabyle et est, notre sens, inadquate car ne refltant pas la ralit des faits. Nous ne la reproduisons ici
qu des fins dexplication. Pour plus de dtails, voir Salhi Mohand Akli, Contribution ltude typographique
et mtrique de la posie kabyle, thse de doctorat, Tizi-ouzou, 2007, pp.
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idologiques quavait connus la Kabylie partir de la colonisation. En
effet, les conditions anthropologiques permettant la prenn it de cette
pratique socio-potique ne sont plus assures, notamment partir des
annes trente et quarante avec le rformisme algrien qui ne voyait pas du
bon il certaines pratiques socio -l i ttraires, y compris les plus proches du
dogme musulman comme l adekker 13.
Par ai l leurs, la mise en relation de la forme (sizain) avec le thme
(expression amoureuse) pose problme. Comment expliquer, au regard de
cette relation, le fait que la plupart des productions gnomiques est produite
en sizains (ou en quatrain) ? Nous avons l un argument qui va dans le sens
de relativiser la dfinition thmatique de l izl i .
Ce qui est plus certain, suivant l tat de la documentation sur la
question, est que izl i est un pome bref et chant. La forme (sa brivet) et
le mode de son excution (le chant) le dfinissent dune manire
prioritaire. Du point de vue de sa forme, i l soppose taqsidt .
Une premire conclusion de ce qui vient dtre dvelopp ci -dessus
conduit noncer que :
1. le terme tafit serait le terme quutil isaient les kabyles pour dsigner le
genre de la posie, ou, dans un cas plus relativisant, une partie de cette
dernire,
2. le mot asefru dsigne le pome quil soit chant, rcit ou dclam. Il ne
dsigne la posie tout entire que par une rela tion dinclusion, cest --dire
fonctionnant ici comme une synecdoque (de la partie pour le tout),
3. le mot izl i , de par sa forme, recouvre le pome (asefru) bref quon chante.
13
Il est intressant de savoir que dans les rgions o le mouvement rformiste sest bien implant, comme dans
la Petite Kabylie, plusieurs types potiques ont connu du recul voire mme de disparition comparativement
dautres rgions, la Grande Kabylie par exemple, investies plus fortement par dautres courants nationalistes.
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b. Dnominations spcifiques
Amjadel
Emprunt, ce terme est la kabyl isation du m ot arabe j idl qui signifie
polmique. Le mot kabyle est driv de la racine JDL en m marque de la
rciprocit. De la racine arabe est form galement le terme mujdala
signifiant conversation.
Le terme kabyle, amjadel , est dsormais trs rare ; i l servait autrefois
dsigner une pratique faite dchanges potiques, parfois polmiques,
entre deux potes. En franais, le terme de joute potique sert rendre
cette notion damjadel . Il semble quil y avait autrefois deux types
damjadel 14. La premire est, relle, entre deux potes, comme celle entre
Youcef Ou Kaci et Mammer Ahesnaw 15. La seconde, de cration dun seul
pote, fait opposer symboliquement celui -ci un lment de nature comme
la rivire (asif )16, la monte ( tasawent ), l hiver ( ccetwa , tagrest ) et la vie
(ddunit ). La plus connue est celle mettant en scne Mammer Ahesnaw
contre l hiver ( ccetwa ) 17.
Le type potique amjadal est, aussi bien dans sa cration que dans sa
performance, une pratique spcifiquement masculin. Ctait une pratique
trs apprcie jadis et constituait une sorte de test pour les potes,
professionnels, de mesurer leur degr de maitrise de leur art. D bu-wawal,
14
"amjadel iu $ef sin. Yella wanda ttemjadalen sin, yiwen ad d-yini, wayev ad as-yerr, ad ttemjadalen s
yisefra. Yella wanda ad ittemjadel yiwen netta d wayen ara d-issenteq am ddunit d ccetwa d wasif", dclarait
Ahmed Meziane. Il ajoutait que, durant sa jeunesse, il a entendu une joute potique mettant en scne le pote
avec la vie ; cette joute sintitulait : amjadel d ddunit tam$errit (littralement : joute avec la vie trompeuse). Il
est intressant ce propos de rappeler lpreuve face la rivire que doit subir aussi bien le hros que sa
poursuivante logresse (tteryel) dans le conte de Beljoud.
15 Joute potique rendue connue par Mammeri par son Pomes kabyles anciens, pp.126-132. Voir aussi une autre
joute entre Youcef ou Kaci et Mohand Ou Abdellah, dans Hanoteau Adolphe, Posies populaires de la Kabylie
du Jurjura, Alger, 1867. Voir galement Djellaoui Mhammad, Posie kabyle dantant : retranscription,
commentaires et lecture critique de louvrage de Hanoteau 1867, Ed. Zyriab, Alger, 2004, p. 160-167.
16 Des lments lis la personnification de la rivire (asif) sont notables dans certaine joutes, grivoises,
opposant un homme et une femme. Sagit-il l de vestiges de ce type damjadel ?
17 Idem, pp. 264-268.
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ma d gma-s yettemjadal 18, dit l expression. Il faut entendre par cette dernire
quun bon pote est celui qui se met couramment aux preuves des joutes
potiques avec ses pairs. Lquivalent fminin porte le nom d am ezber .
Adekker
Ce terme est un emprunt la langue arabe ; i l est la kabylisation de mot
connotation fortement religieuse dikr . Ce dernier recouvre le sens de
rappel. Ladekker kabyle signifie le type de posie dinspiration religieuse et
mystique. Ce type est scind, sur une base sexuelle, en deux catgories.
Ladekker masculin est diffrent de l adekker fminin. La premire catgorie
est volontairement moral iste et didactique ; sa performance, en cas de
veil le funbre, se ral ise durant la nuit, aussi bien pour tenir compagnie
aux parents du dfunt(e) (ad wansen imawlan n lmeyyet ) que pour rappeler aux
gens prsents leurs devoirs religieux. On y insiste surtout sur les vices qui
font oublier l individu le droit chemin (abrid n Rebbi d Nnbi =
littralement : la voie du Dieu et du Prophte), sur l absolue ncessit de
se rendre compte que la vie terrestre est phmre (ad d-smektin ddunit d
l fani) et quil faut, en consquence, travail ler pour l au -del ; ad awin awin ,
dit l expression, l i ttralement i ls prendront du viatique avec eux pour l au -
del. A cela, sajoute que la performance des taqsidt (pl . t iqsidin ), comme
celles, entre autres, dAbraham, de Josef et de Mose est une pratique
masculine. Par contre, l adekker fminin est plus sentimental dans
l expression de la douleur et sert plus comme une catharsis ( d ime i mai d
asmekti19). Le temps de sa performance est f ix au matin avant la leve du
corps.
Acewwiq
18
Littralement : il est pote sil affronte son frre [dans une joute]
19 Littralement : cest des larmes et non des rappels. Cest une expression masculine pour qualifier,
ngativement, ladekker fminin.
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De la racine CWQ vhiculant l ide de chanter un rythme (trs) lent et
tr iste, cette dnomination dsigne aussi bien le pome chant que l a ir qui
lui sert de support. Son pluriel est i cewwiqen . Un autre mot de la mme
racine, acewweq , dsigne l action de chanter un pome mlancolique. On
localise galement, dans certaines rgions, le mot tt ecwiq ayant la mme
signification que le prcdent 20.
De point de vue typiquement gnrique, acewwiq dsigne un type de
pomes chants par les femmes exprimant leur douleur (mariage rat,
veuvage, pas de progniture mle, etc.) et leur situation de marginalises au
sein de la famille. La performance de ce type se fait en dehors de toute
prsence masculine et avec une voix mlancolique envel oppe dans un
rythme trs lent 21.
Aia
Terme archaque dsignant un type potique fminin exprimant le
sentiment amoureux, parfois ce dernier est renforc par une touche
grivoise. Le mot aia drive de la racine H. Son pluriel est i i ayen . Sa
caractristique principale, en plus de sa thmatique, est la voix exaltante et
porteuse qui le chante avec un rythme plus au moins relch. La mme
exaltation et vigueur est notable dans le sens de l expression asai n erur
[Traduction, voir Dallet] .
Les personnes informatrices 22, toutes actuellement trs ges et dont
certaines sont dcdes, que nous avons pu interroger sur la pratique de
l aia se rejettent la paternit de ce terme. Ne pas avouer ce type potique
comme faisant partie de son propre rpertoire, par le refus mme de
20
La proximit de la racine CWQ avec la racine JWQ autorise-t-elle un rapprochement smantique entre elles ?
Dautant plus que lvolution du terme acewwiq fait de lui la partie du prlude dans la chanson mdiatise (
partir des annes 30 et 40 et que cette partie est excute dans pas mal de cas laide de la flte, tajewwaqt.
21 Pour un chantillon de textes, voir Mohand Akli Salhi, Posie fminine traditionnelle de kabylie, Enag, Alger,
2011. et Mehenna Mahfoufi, Chants de femmes en Kabylie. Ftes et rites au village, Ibis Press, Paris, pp.
22 Neuf personnes au total, quatre hommes dont deux actuellement dcdes et cinq femmes. Ces personnes sont
originaires dAkbou, de Tazmalt, Tagemmount Azouz (At Douala), At Ziki, Taourirt Moussa Ouammar (At
Douala), Iouadhiene, Ihesnaouene.
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reconnaitre la paternit de sa dnomination, cest dire toute la rprobation
sociale qu il rencontre et toute la censure dont i l faisait (fait encore) objet.
Il semblerait toutefois que l quivalent masculin de aia est aquli (n
yimeksawen ).
Am ezber
De la racine synchronique ZBR, probablement toffe par la premire
radicale au cours de son volution. Dans de ce type potique typiquement
fminin, reprsentant une joute entre les brus et les belles mres, la voix y
est volontairement relche, rythme et provocatrice en l espace dune fte.
Hautement codifi, amezber est un moment de relchement social tolr
mais circonscrit aussi bien dans l espace que dans le temps.
Tibu$arin
Tout comme ab$ur, asbu$er at aba$ur , ce terme est archaque et sorti de
l usage dans plusieurs rgion. Sa connaissance est, dans les rgions o il est
encore ralis, gnralement approximative, notamment chez les
gnrations les plus jeunes.
La pratique de t ibu$arin dans sa constitution bi-vocale a disparu tout
comme les conditions sociales qui lui faisaient place 23 ; i l ne reste delle
que la partie mono-vocale faite de louanges : acekker qui, semble-t-i l ,
sautonomise en un type part. Mme cette dernire nest ralise que
sporadiquement et nest assure que par la gnration de viei l les femmes.
Base sur l change potique entre deux potesses (excutrices)
reprsentant respectivement la famille du mari et la famille de la marie,
la pratique de t ibu$arin tait trs codifie 24. Elle consistait, en joute
potique, louer les mrites et les qual its des membres de chaque famille
(le future mari et la future marie, leurs parents et les tous les membres de
23
Voir Boualem Rabia, Awal, n4, pp.
24 Pour une lecture de la valeur sociale de cette pratique, voir Dehbia Abrous, Etudes et Documents Berbres, n
9, 199 ???, pp..
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leurs clans respectifs) tout en les opposant l un contre l autre. Les
potesses (ou les excutrices) prenaient tout de mme des prcautions
langagires importantes pour ne pas impliquer les membres des deux
familles dans leur confrontation potiquement symbolique.
Acekker
Le mot est dorigine arabe, sa racine est CKR qui vhic ule le sens
remercier dans la langue dorigine. Le sens louanger semble tre
spcifiquement kabyle. Il semble galement que le verbe cekker a supplant
celui de sbu$er , proprement de souche amazighe.
Ce mot dsigne un type potique fminin mono-vocal ; de ce fait i l est
diffrent de tibu$arin qui lui est bi -vocal. Les autres voix, fminines, dans
acekker , nont font que rpter les noncs dj chants par la voix
principale, cel le de la potesse (ou de l excutrice). En plus du mariage,
l acekker est galement ral is dans deux autres circonstances : la naissance
de lenfant garon et lors de sa circoncision. Ces rpertoires et ces
performances sont appels dans certaines rgions asbu$er , aba$ur ou ab$ur .
Il nest pas inutile de prciser, propos de cette question dvolution de
ces types t ibu$arin , acekker et tuqqna n l$eenni , quautre fois i ls dsignaient
trois moments distincts du rituel global du mariage.
Le premier type, t ibu$arin , se ralisait sur le seuil de la porte,
concrtement ferme, de la maison de la marie quand les parents du
nouveau mari et leurs accompagnateurs ( iqef faf en ) al laient chercher la
marie. Une fois sur le seuil de la porte, une joute potique est entame
par les excutrices dment mandates respectivement p ar les familles des
nouveaux maris. La porte ne souvre quau terme dun combat
potique, fait de louanges aux parties reprsentes et dattaques codifies
et symboliques entre les deux excutrices,
Le second type, acekker , se droule aussi bien dans la maison de la marie
avant quon vienne la ramener sa maison conjugale ou dans cette dernire
une fois le cortge arrive destination finale.
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Le troisime, tuqqna n l enni , se fait la maison de la marie avant son
dpart dans sa maison conjugale. Il dsigne, en fait, plus spcifiquement la
pose du henni sur les mains, les pieds et, parfois, sur dautres parties du
corps comme entre autres le visage. Ce moment est une occasion de plus
pour chanter des louanges l adresse de la marie et de sa famille. La
mme circonstance et pratique semble exister galement, dans certaines
rgions, du ct du mari. Cette pratique socio -rituelle du henni avec
performance potique runissant les deux jeunes maris ensemble dans la
maison conjugale, ou degr moindre dans la maison de la fiance, semble
tre un effet dvolution. A ce moment -l les deux rpertoires sont
mlangs.
Azuzzen
Nom daction verbale, tout comme ses autres quivalents : ahuzzu (HZ),
ashullu (HL), adewwe (DW) ou sa variante asdewwe (DW), ce terme est
issu de la racine ZN mais form partir du verbe driv en s . La forme
verbale primaire semble tre perdue. Il dsigne le type de chant fminin
dendormissement du bb. La voix, gnralement maternelle, y est trs
douce, voire mme parfois chuchotante et de teneur protectrice et
implorante.
Quoique l objet primordial de ce type potique est dendormir le
bb tout en lui souhaitant quil grandisse en bonne sant et loin du
mauvais il, i l arrive tout de mme que la maman, ou toute autre personne
mais trs proche du bb comme la grande sur, la grand -mre ou la tante
paternelle ou maternelle, profite de cet instant, si la prsence masculine ne
vient pas gner la ralisation, pour virer, une fois le bb endormi, vers le
chant de l acewwiq . Serait- i l une manire pour la femme dendormir
galement ses propres chagrins et douleurs ?
Aserqes
-
Dorigine arabe, le mot aserqes est plus rpondu que ses quivalents
de souche kabyle : t tuha , acteddu et asoel l eb 25. I l drive de la racine RQS qui
signifie danser . Le verbe la forme drive serqes recouvre le sens de
faire danser, comme soel l eb , qui est une forme drive de oel l eb ou j el l eb de
la racine JLB.
Tout comme ces derniers, i l dsigne le type potique chant par la
femme quand elle fait jouer son enfant de bas ge. La voix oprante dans
ce type est joyeuse, vive et comble ; el le souhaite l enfant amus sant,
clairvoyance et vigueur.
Le systme gnrique et la lgitimit sociale
Il sagira, dun ct, dans ce qui sui t, de voir de plus prs comment se
distribue cette masse langagire reconnue comme tant de statut diffrent du
langage quotidien, aussi bien par sa l i ttrarit que par le dcoupage de cette
masse par le biais des dnominations spcifiques et, de l autre, de relever le
type de relation quentretient chaque genre et chaque type avec la socit et
son idologie.
Trois critres nous semblent pertinents dans la hirarchisation et la
lgitimit l i ttraire. Ils sont relatifs au sexe, la voix et au contenu des
textes.
Le panorama propos plus haut des dnominations des ensembles
textuels, appuy par des considrations smantico -tymologiques et des
descriptions gnriques, permet de relever la catgorisation socio -
lexicographique des types l i ttraires ma is galement et notamment de noter
la division sexuelle de ces types l i ttraires. Ce fait est dautant plus
important quil est marqueur des relations quentretiennent chaque genre et
chaque type avec l idologie oprante dans la socit traditionnelle. Ce tte
25
De lensemble de nos propres enqutes, cest ce terme qui ressort comme le plus compris de tout le monde.
Cette remarque est confirme par la rcurrence de ce terme dans les travaux effectus par les tudiants dans le
cadre de leurs travaux de collecte de la littrature orale ou de mmoire de fin dtude de langue et culture
amazighes de luniversit Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou.
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division sexuelle, et la logique qui lui est sous -jacente, nous renseigne sur
les conceptions sociales des pratiques l i ttraires. Il nous semble qu il nest
pas faux de soutenir, au regard de cette division mais galement au regard
des valeurs accordes ces pratiques, aussi bien masculine que fminine,
que deux conceptions contradictoires, en apparence, mais complmentaires
dans les faits, sont oprantes dans li ttrature kabyle traditionnelle. Dun
ct, la l i ttrature est considre comme un discours social, un discours
sur soi et sur le monde et, de l autre, comme un jeu de relchement social.
La voix nonant cette l i ttrature est catgorise en fonction de sa nature
et du sexe de l nonciateur.
Le tableau suivant prsente les types potiques scinds suivant le critre
sexuel les critres du contenu et de la nature de la voix sont galement
pris en considration - de sorte ce que sa lecture verticale, notamment
dans ses trois dernires colonnes, donne une ide sur leur hirarchisation
qui sous-tend la lgitimit quon leur accorde socialement. Ce type de
lecture nous montre comment, suivant la hirarchisation sociale des types
potiques, on passe du srieux la frivolit, de la voix col lective (sociale)
la voix individuelle et de la fonct ion de cohsion sociale la fonction
cathartique, tout en passant par une tape transitoire o la posie,
entendue en termes de jeu de relchement rglement par la socit.
Cette rcapitulation nous indique qu la l i ttrature considre
comme discours social correspond la voix masculine avec son lot de posie
reconnue et lgitime aussi bien dans la langue par la varit des
dnominations des agents potiques : amusnaw , afi , amedda , avebbal et
afea que par l idologie sociale qui lui accorde des espace sociaux
ouverts comme le march hebdomadaire et inter -vil lages voire mme
intertribal, ssuq , l assemble du vi l lage, tajme t , et bien dautres espaces. Par
ail leurs, cette catgorie de posie na pas, l exception de celle des bergers
( imeksawen ) ou de celle ri tualise comme ladekker et l azenzi n l enni , de
restriction spatio-temporelle particulire.
-
Tout en contraire, les pratiques l i ttraires typiquement fminines ne
sont pas reconnues socialement. Parce quelles abordent l expression de
l individu dans sa singularit et dans sa nudit subjective, parce quel les
sont considres potentiellement comme une source de remise en question
de lordre social (comme attenter l honneur, nnif , droger au principe du
respect mutuel, amseti dans l aia , porter atteinte la viri l i t, t irrugza , dans
l acewwiq , nuire au respect des grandes personnes, l eqder , dans amezber,
etc.) et parce quel les sont nonces par une voix exaltante (aia ), plaintive
(acewwiq), provocatrice (am ezber) ou amusante (aserqes), ces pratiques sont
circonscrites dans des espaces et temps particuliers et l imits ; leurs
performances en dehors de ces cadres spatio -temporels ne sont pas
concevables y compris chez les femmes elles -mmes. De point de vue de
l idologie sociales, ces pratiques sont tenues en suspicion. Elles nont
gure les faveurs de la lgitimit sociale ; les femmes qui en composent
et / ou en excutent ne sont mme pas reconnues comme instance de
cration par une dnomination l inguistique 26, comme cest le cas pour les
hommes.
En somme, les pratiques potiques fminines dont la fonction est
essentiellement cathartique sont tenues loin de la lgitimation sociale. Les
voix de ces pratiques sont circonscrites et stigmatises. Tout l oppos de
ces pratiques, celles des hommes assurant socialement des fonctions lies
la cohsion sociale, la mmoire et l identit, ddification,
l information et l enseignement sont reconnues et ont les faveurs de la
lgitimation sociale.
26
-
Posie tolre
mais
rglemente
Tafit
Tiqsidin
Amjadal
Tibu$arin
Acekker
Azenzi n
lenni
Amezber
-
Cette constatation, importante i l faut le dire, nous renvoie de
nouveau au nom de la posie en kabyle. Nous avons mis l hypothse plus
haut27, quand nous avons prsent le mot tafit , que ce dernier servirait
dsigner jadis la notion de posie ou, tout en tant plus prudent, une partie
de ce genre, cest--dire la partie la plus reconnue et lgitime socialement.
Au regard que ce que nous avons dvelopp propos de la lgitimit
accorde socialement aux pratiques potiques masculines assurant la
prennit sociale (cohsion, identit, mmoire, etc.), la socit na besoin,
en fait, de nommer que la pratique leve et quelle considre comme
lgitime. Lacte mme de dnommer prend cet effet une valeur de
lgitimation. Le fait de ne pas dsigner par un terme spcifique la femme
cratrice ou excutrice de la posie participe dj inscrire sa production
potique en dehors de la sphre de la lgitimit sociale.
27
Voir aussi Salhi Mohand Akli, "Notes prliminaires sur tafit", Les types potiques amazighs traditionnels,
Ircam, Rabat, 2009, pp. 123-126 et Salhi Mohand Akli, "Le nom de la posie en kabyle", Etudes de littratures
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