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Nathalie SARRAUTE (1900-1999) Courte biographie Ne Ivanovo en Russie en 1900, Nathalie Sarraute (de son vrai nom Natacha Tcherniak) a pass ses premires annes, quelle raconte dans Enfance (1983), entre son pre et sa mre, la Russie, la Suisse et la France. Son pre, Elie Tcherniak a un doctorat en sciences et exerce comme chimiste, et sa mre, Pauline Chatounowski est crivain. La sparation de ses parents en 1902 et le dpart, pour la France, avec sa mre, lamneront naviguer entre ces deux pays. Malgr tout, elle fait ses tudes en France, au lyce Fnelon. Puis, elle sjourne Oxford de 1920 1921, et Berlin de 1921 1922. Elle pouse le 28 juillet 1925, un avocat, Raymond Sarraute. Licencie en droit, elle pouse le 28 juillet 1925, un avocat, Raymond Sarraute. Le couple a trois filles. Inscrite au Barreau de Paris comme stagiaire, elle plaide de petites affaires en correctionnelle. Son manque denthousiasme pour la profession davocat lamne peu peu sinvestir dans lactivit littraire. Son art et son uvre annonceront le Nouveau Roman qui verra le jour dans les annes cinquante. En effet, ds 1932, Nathalie Sarraute crit ses premiers textes, o elle aborde pour la premire fois lide dune crise du roman, ide partage par un certain nombre dcrivains dont loeuvre serait range sous ltiquette du Nouveau Roman. Elle poursuit des tudes danglais, dhistoire, de lettres, de sociologie et de droit, et finalement sinscrit au barreau, devenant avocate. Elle se signale trs tt comme lun des pionniers du Nouveau Roman, dont ses premires uvres exposent la mthode. En 1941, Nathalie Sarraute est radie doffice du barreau en raison des lois anti-juives. Contrainte de se cacher la campagne sous une fausse identit pendant lOccupation, elle rdige Portrait dun inconnu, souvent considr comme son premier chef-duvre et publi en 1946, un anti-roman qui se lit comme un roman policier , crit Jean-Paul Sartre dans la prface quil consacre cet ouvrage. Un an plus tard, elle commence la publication dune srie darticles, dont la somme, dite en 1956 sous le titre lEre du soupon, constitue le manifeste du Nouveau Roman. Puis elle confirme son emprise sur la littrature contemporaine avec Le Plantarium

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(1959), Les Fruits dor (1964, Prix International de Littrature), Vous les entendez ? (1972), ou encore LUsage de la parole (1980). A la fin des annes 60, Nathalie Sarraute entame une carrire de dramaturge. Ses pices, crites dabord pour la radio, seront magnifiquement portes la scne, notamment par Claude Rgy et Simone Benmussa, parmi lesquelles Le Silence (1967), Isma (1973), Enfance (1984), Pour un oui, pour un non (1986). Mais ce nest quen 1982 que le Grand Prix National des Lettres rcompense Nathalie Sarraute, lun des auteurs les plus originaux et les plus difficiles de notre temps, dont les ouvrages ont t traduits dans le monde entier, mme si ses expriences nont le plus souvent touch quun public restreint. Cest elle qui sest approche le plus de labstraction qui tait dj passe dans la peinture , estimait Claude Rgy. Nathalie Sarraute vivait en recluse de lcriture, continuant consacrer plusieurs heures par jour cette promenade dans ces rgions silencieuses et obscures o aucun mot ne sest encore introduit . Ses uvres compltes ont t dites dans la bibliothque de la Pliade (Gallimard) en 1997. Le directeur de ldition, Jean-Yves Tadi, la crditait dune postrit indissociable de son travail sur le langage. Je ne connais pas dcrivain disant mon matre, cest Nathalie Sarraute. Mais son influence est immense. On ne peut affronter le langage dans le roman sans que son nom elle vienne dabord . Le quotidien russe Segodnia a publi, quelques jours avant sa mort Paris le 19 octobre 1999, lune de ses rares interviews, dont voici quelques extraits: Je suis ne Ivanovo (centre de Russie), o mon pre, Ilia Tcherniak, travaillait comme ingnieur dans une fabrique de tissage et o il avait fait fortune , raconte la romancire. "Natalia Iliinitchna" est "la dernire des premires parisiennes russes", souligne le quotidien. "Notre vie de famille tait un chec, et ma mre ma emmene Paris, chez un homme quelle aimait. Javais dix ans", poursuit-elle dans un russe parfait et recherch. On ma souvent demand si jtais Russe ou Franaise. Comme crivain, je suis certainement Franaise. Mais jai toujours baigne dans le milieu et la culture russes. Cest mon pre, qui a galement migr en France, qui ma leve. Ma belle-mre tait Russe elle aussi, on parlait russe la maison . Trs attire par son pays natal, elle se dit pourtant fatigue de suivre tout ce qui se passe au jour le jour en Russie. "La littrature russe mapporte beaucoup plus". Influence, selon ses propres aveux, par les crivains russes du sicle dernier Fiodor Dostoevski et Nikola Gogol, Nathalie Sarraute se dit contente de la publication en russe de plusieurs de ses

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livres. Les Sovitiques ont pour la premire fois pu apprcier luvre de Sarraute lors de la publication en 1968 de son roman Les Fruits dor (crit en 1964), par le mensuel Novy Mir, porte-voix du dgel littraire commenc quelques annes plus tt. "Aucun de mes enfants, pas mme ma fille ane (lcrivain journaliste Claude Sarraute) ne parle russe, cest comme a", regrette la vieille dame. "Attendez, mais pourquoi me posez-vous toutes ces questions? Cest pour un journal ? Non, non, coutez, je ne donne plus dinterview personne... Parlons plutt russe encore un peu...". Nathalie Sarraute, femme petite, cheveux raides, profil aigu, les yeux clairs et vifs, tmoignait dun temprament dexplorateur qui la rendait parfois difficilement accessible pour le grand public. Pointilleuse, exigeante, prcise jusqu lobsession, elle tmoignait dune volont de donner au verbe et la phrase une existence intrinsque, gale sinon suprieure aux personnages eux-mmes. Dans Ouvrez (1997), la vieille dame factieuse mettait en scne une comdie du langage, dans laquelle les mots, bons ou mchants, se substituent aux personnages. Ceux qui attendent leur tour, bloqus dans lantichambre de la conception, observent leurs semblables projets dans la ralit du discours. "Par moments, ce quils voient leur donnent envie dintervenir, ils ny tiennent plus, ils appellent... Ouvrez." Elle meurt Paris le 19 octobre 1999. Ses Tropismes, publis en 1939, dsignent ces mouvements indfinissables, qui glissent trs rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont lorigine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons prouver . Ce sont autant de propos mdiocres, sans sujet ni raison, qui rvlent le frmissement intime des tres, et affirment dj sa vision du roman. Sarraute ambitionne datteindre une matire anonyme comme le sang , veut rvler le non-dit, le non-avou , tout lunivers de la sous-conversation. Na-t-on pas dit delle quelle stait fixe pour objectif de peindre linvisible ? Elle excelle dtecter les innombrables petits crimes que provoquent sur nous les paroles dautrui. Ces paroles sont souvent anodines, leur force destructrice se cache sous la carapace des lieux communs, gentillesses dusage, politesses Nos apparences sans cesse dvoilent et masquent la fois ces petits drames. Le terme tropisme , emprunt au langage scientifique, dsigne lorientation des plantes en fonction de leur milieu. Chez Sarraute, qui a intitul sa

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premire publication Tropismes, ce vocable renvoie des mouvements intrieurs presque insensibles dus des causes extrieures: phrases strotypes, conventions sociales. Sous la banalit apparente de ces conventions langagires, il existe en effet des rapports humains complexes, des sentiments intenses, voire violents (sensations denfermement, dangoisse, de panique). Sarraute les dcrit comme des mouvements instinctifs, dclenchs par la prsence dautrui ou leurs paroles. Tropismes, refus par Gallimard et par Grasset, ne sera reconnu par la critique quune quinzaine dannes aprs sa parution. Pour Nathalie Sarraute, les tropismes (ce que lon a aussi appel sousconversation) sont ces mouvements indfinissables qui glissent trs rapidement aux limites de la conscience; ils sont lorigine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons prouver et quil est possible de dfinir. Ils me paraissaient et me paraissent encore constituer la source secrte de notre existence. [...] Rien ne devait en distraire celle du lecteur : ni caractres des personnages, ni intrigue romanesque la faveur de laquelle, dordinaire, ces caractres se dveloppent, ni sentiments connus et nomms. ces mouvements qui existent chez tout le monde et peuvent tout moment se dployer chez nimporte qui, des personnages anonymes, peine visibles, devaient servir de simple support. ( Le langage dans lart du roman, 1970). Mais dans Lre du soupon (1956), elle va plus loin, et thorise ses ides : critiquant la tradition psychologique du roman, elle renonce aux facilits de lintrigue et des personnages, et prtend restituer le foisonnement innombrable de sensations, dimages, de sentiments, de souvenirs, dimpulsions, de petits actes larvs quaucun langage intrieur nexprime, qui se bousculent aux portes de la conscience [...] tandis que continue se drouler en nous, pareil au ruban qui schappe en crpitant de la fente dun tlscripteur, le flot ininterrompu des mots . Ce projet, qui nest pas sans rappeler les tentatives de Proust, de la romancire anglaise Virginia Woolf ou du Russe Dostoevski, est mis en uvre dans lensemble des productions romanesques de Nathalie Sarraute. Nathalie Sarraute ny revendique gure dinspirateurs franais. Elle analyse comment Kafka a hrit de Dostoevski plus que de Proust cet univers o ne reste quune immense stupeur vide, un ne-pas-comprendre dfinitif et total . Le soupon nat du moment o les uvres sont envahies par un je anonyme qui est tout et qui

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nest rien et qui nest le plus souvent quun reflet de lauteur lui-mme , discrditant le tout-puissant et trop transparent personnage balzacien. Balzac sert pareillement de bouc missaire Robbe-Grillet dans Pour un nouveau roman (ensemble dtudes crites entre 1956 et 1963) pour sa dnonciation du personnage romanesque, notion quil juge prime au mme titre que l histoire ou l engagement . Accordant Sartre et Camus le mrite de stre loigns, dans La Nause et Ltranger, des types humains du roman traditionnel, il leur reproche davoir nanmoins cd au besoin dexprimer une tragification de lunivers. Refusant de se poser en thoricien, Robbe-Grillet veut seulement dissiper quelques malentendus : le nouveau roman nest pas une thorie, mais une recherche ; il est laboutissement dune volution qui, rompant avec lordre balzacien ici encore mis contribution, saperoit partir de la description de la bataille de Waterloo par Stendhal ; loin de se dsintresser de lhomme, il ne sintresse qu lui et sa situation dans le monde ; alors quon le croit pris dobjectivit, il vise une subjectivit totale, ne propose pas de signification toute faite et ne reconnat pour lcrivain quun engagement : la littrature. Le Plantarium (1959) rvle, derrire le monde uni et serein dAlain, Gisle et tante Berthe, un malaise fait de fourmillements gnants, qui dnonce lapparence confortable et fallacieuse de la vie familiale. Les Fruits dor sont les ractions diverses, cruelles ou logieuses, que suscite le roman du mme nom, Les Fruits dor. Ici, nulle intrigue, nul personnage, mais de la sous conversation , des voix anonymes, du langage autonome, discontinu, hach, sec. Luvre de Nathalie Sarraute comprend encore des romans (Portrait dun inconnu en 1948, Martereau en 1953, Entre la vie et la mort en 1968, Vous les entendez en 1972, Disent les imbciles en 1976) et quelques pices radiophoniques, par la suite adaptes la scne (Le Silence en 1964, Isma en 1973, Cest beau en 1975, Elle est l en 1975). Un univers romanesque sous le sceau des tropismes et des sousconversations Nathalie Sarraute sinscrit dans la mouvance du Nouveau Roman avec toutes les remises en causes que cela implique.

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Dans Martereau (1953), lambigut est galement maintenue en ce que les vnements raconts ou les situations dcrites semblent bien, chaque instant, relatifs soit quil de remmore ou imagine. Les modes dorganisation du monologue intrieur confirment lide selon laquelle le ralisme doeuvre est le produit dune convention dcriture. Avec Les Fruits dor (1963) Nathalie Sarraute crit le roman dun roman dont le titre masque le signifi au point de nen livrer quune seule phrase et attentive cette seule fiction au deuxime degr quest la fortune de sa lecture. Si lon ne peut savoir de quoi lon parle, reste la faon dont il en est parle. Le roman se prend lui mme pour sujet, la fiction y met en cause la narration et vice versa. Enfance (1983) est considr comme une autobiographie, le dialogue est laboutissement des mouvements intrieurs , et lune des originalits du rcit dans ce roman rside justement dans le ddoublement de la narratrice : dune part, lauteur qui raconte sa vie, dautre part, un double critique qui linterpelle et interrompt rgulirement le fil de la narration pour mettre lauteur en garde contre les schmas prtablis et la falsification quils constituent pour lautobiographie. En 1956, N. Sarraute fait publier LEre du soupon. Dans cet essai, N. Sarraute dveloppe ses thories travers un certain nombre darticles, elle prcise dans la prface que lintrt de ce texte vient du fait que certains de ses articles parus en 1950, ont marqu le moment partir duquel une nouvelle manire de concevoir le roman devait enfin simposer 1. Ces articles ont donc constitu, toujours selon lauteur : [...] certaines bases essentielles de ce quon nomme aujourdhui le Nouveau Roman.2. Les nouveaux romanciers avaient des revendications communes comme le changement ncessaire des formes en autre chose que lintrigue et les personnages. ce sujet la romancire franaise se prononce dans son essai intitul LEre du soupon:On commence maintenant comprendre quil ne faut pas confondre sous la mme tiquette la vieille analyse des sentiments, cette tape ncessaire, mais dpasse, avec la mise en mouvement de forces psychiques inconnues et toujours dcouvrir dont aucun roman moderne ne peut se passer 3.

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Nathalie Sarraute, Lre du soupcon, Essais sur le roman, Paris, Gallimard, 1956, p.11. Ibidem, p. 12. 3 Ibidem, p. 10-11.

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Cest ainsi que Nathalie Sarraute dans ses textes met en scne des personnages vivant des situations de crise; celles-ci gnrent des mouvements intrieurs appartenant lordre des sensations et appels des tropismes . Les titres de Nathalie Sarraute ne dsignent pas des tres anims mais plutt des objets; ce choix est loin dtre gratuit et a une valeur de symbole, quand on sait la place que tiennent les objets dans lunivers sarrautien. Cependant, N. Sarraute tient prciser que ce qui lintresse vritablement : [...] ce nest pas lobjet mais les mouvements intrieurs quil dclenche. Les objets ne sont que des catalyseurs 4. Dans Portrait dun inconnu (1948), les personnages sont des porteurs de tropismes que le lecteur dcouvre lors de leurs affrontements. Le roman rapporte la vie dun couple form par un vieil homme et sa fille; ces deux tres voluent parmi les bassesses et la mdiocrit dont est empreint le quotidien, sous le regard scrutateur dun narrateur. La conciliation du temps de lexprience vcue par le narrateur est celui de sa narration la premier personne est solutionne par lemploi dun prsent absolu : leur narrateur rapporte son exprience mesure quil en prend conscience ; cest le cas du Portrait dun inconnu. Cette solution suggre la prsence dun auteur derrire la perspective du personnage, et fait entorse au ralisme, ne convient gure cependant un narrateur-crivain, qui dvoile le monde dans lacte concret dcriture qui exclut tout autre activit. Dans Le Plantarium (1959), un jeune couple soppose la belle-mre et les tropismes, encore une fois, trouvent un terrain propice leurs dveloppements. Nous observons un jeune mnage : Alain et Gisle Guimier, victimes de leur attirance pour les biens matriels, seuls gages selon eux de la russite sociale. Les diffrentes tapes de lintrigue mettent jour les courants contradictoires qui les habitent; ainsi, les personnages, mais aussi laction, se dsintgrent, noffrant aucune prise lobservation du lecteur. Le titre a impressionn bien des critiques ; on lui doit des pages sur les solitudes stellaires des populations sarrautiennes ou sur le rle solaire de Germaine Lemaire, lexamen du point de vue permet dexpliquer quil y a une multiplicit de personnages se relayant tour tour. Ainsi, premirement, une femme seule contemple son appartement ; cest elle de dvoiler le monde. Puis, son neveu4

M. Saporta et N. Sarraute, Portrait dune inconnue. Conversation biographique , dans LArc, n 95, Lajas, 1984, p. 23.

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participe un petit drame de salon, et le point de vue passe de lui aux autres acteurs, etc. La prface du Portrait dun inconnu - une potique immanente La prface est un discours qui peut modifier la perception que le lecteur a du texte, et cest pourquoi certains auteurs ne la considrent pas indispensable. Portrait dun inconnu de Nathalie Sarraute possde une prface. Il est possible de parler de double prface : la premire ayant t crite par la romancire, la seconde tant signe par Jean-Paul Sartre. Ce que sappelle la premire prface peut tre considre comme un avertissement; il semble en effet que Nathalie Sarraute ait souhait attirer lattention du lecteur sur quelques points particuliers, et elle explique le but recherch par le narrateur-auteur . Lnonc produit ne possde aucunement les marques caractristiques du discours prfaciel car Nathalie Sarraute nemploie pas le pronom personnel je qui : [...] se rfre lacte de discours individuel o il est prononc, et il en dsigne le locuteur. (...) Le langage est ainsi organis quil permet chaque locuteur de sapproprier la langue entire en se dsignant comme je 5. Lutilisation ds la premire ligne de ce pronom dmonstratif masculin cache un certain dsir de conserver un semblant danonymat : Ce que cherche tout dabord, celui qui raconte cette histoire [] . 6 La prsence dautres pronoms masculins, il sagit des pronoms personnels de la troisime personne du singulier le (fascinent), il (examine, a limpression, se soumet, se laisse aveugler), lui (fait lcher prise) dsignent tous ce narrateurauteur. La forme dite de 3e personne comporte bien une indication dnonc sur quelquun ou quelque chose, mais non rapport une personne spcifique. La 3 e personne nest pas une personne , cest mme la forme verbale qui a pour fonction dexprimer la non-personne 7.

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E. Benveniste, Problmes de linguistique gnrale, vol. 1, Gallimard, 1966, pp. 261- 262. Nathalie Sarraute, Portrait dun inconnu, p. 14. 7 E. Benveniste, op. cit., p. 228.

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Les personnages sarrautiens voluent dans un univers o la diffrenciation sexuelle nest pas de mise : les tropismes sattaquent tous, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, cest une monde asexue Lauteur avait reconnu que : ces sentiments ltat naissant, qui ne portent aucun nom, et qui forment la trame invisible de nos rapports avec autrui et de chacun de nos instants. 8 Nathalie Sarraute refuse dadopter un comportement trop tranch. Cet avertissement de lauteur est suivi dune prface crite par Jean-Paul Sartre, qui se prsente comme un texte thorique sur le Nouveau Roman. Une prface est en ralit une postface car le temps de sa production est postrieur celui de lcriture du texte sur lequel elle sexprime; de plus, nombreux sont les lecteurs qui liront la prface aprs avoir lu le roman. Jean-Paul Sartre emploie le je ds les premires lignes de la prface, puis conclut en ces termes : Pour moi je pense [...] 9. Il donne son avis et il reste conscient du caractre rducteur de toute prface. Son discours est trs affirmatif, mme sil reste prudent dans ses propos en prcisant : Ces quelques remarques visent seulement guider le lecteur dans ce livre difficile et excellent; elles ne cherchent pas en puiser le contenu10. Malgr tout, le ton reste dogmatique : Le meilleur de Nathalie Sarraute, cest son style trbuchant, ttonnant, si honnte, si plein de repentir11. Lcrivain qui accepte de prfacer un livre parle avec un lan qui le porte vers ce texte particulier est perceptible dans ces paroles . Jean-Paul Sartre, crivain connu et admir, prsente le Portrait dun inconnu comme : un anti-roman qui se lit comme un roman policier12; il rendra aussi hommage lauteur pour tre la seule avoir fait un livre autour dun sujet tel que linauthenticit13. La prface se dfinit galement par rapport un contexte littraire et social spcifique; Jean-Paul Sartre estime que des romans tels que celui de Nathalie Sarraute prouvent que les auteurs rflchissent sur leur art.

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Nathalie Sarraute, Portrait dun inconnu, p. 7. Ibidem, p. 15. 10 Ibidem, p. 14-15. 11 Ibidem, p. 14-15. 12 Ibidem, p. 9-10. 13 Ibidem, p. 12.

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Enfance: rsum et commentaires Nathalie Sarraute, qui affirme : toutes les autobiographies sont fausses , a consenti malgr tout crire la sienne. Mais cest une autobiographie paradoxale. Le livre se prsente, en effet, comme un dialogue de lauteur avec elle-mme, mi-chemin entre la maeutique socratique (lart daccoucher les esprits) et la psychanalyse freudienne. De la sorte, ce dialogue intrieur permet dalterner narration et rflexion, et dtablir une distance critique entre le moi et le moi-mme. Trois instances sont donc mises en jeu : le je narr, le je narrant, et le je critique, qui dit tu au je narrant. Ce je critique tente daboutir sinon la vrit, du moins lauthenticit du souvenir, poussant parfois le je narrant dans ses derniers retranchements : Alors, tu vas vraiment faire a ? voquer tes souvenirs denfance ... Comme ces mots te gnent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent [...] cest peut-tre que tes forces dclinent... Oh, je ten prie... Parfois, il tente plutt de faire merger la conscience des images jusqualors enfouies, presque refoules, mal vcues : crois-tu vraiment ? , allons, fais un effort , ou encore cest bien, continue . Et petit petit apparaissent les annes denfance de Nathalie Sarraute. Le rcit voque les premires annes de la petite Nathalie, ballotte entre la France et la Russie, sa mre dun ct, son pre de lautre. Maman vit avec Kolia, papa avec Vra. Vra est bte , cest loncle qui la dit, et elle favorise sa propre fille, Lili, sarrangeant toutefois pour ne pas jouer le rle disgracieux de la martre . Avec son papa, Tachok, comme il lappelle, Nathalie est peut-tre malheureuse, mais pas vraiment. Avec sa maman, ni plus ni moins. La cellule familiale clate favorise la formation dun complexe, sans traumatisme cependant. Les promenades au Luxembourg, les dbuts lcole, dictes, rcitations et rdactions rvlent une enfant comme une autre, plutt panouie. Mais comment restituer les impressions dantan ? Car il me semble que a palpite faiblement... hors des mots... comme toujours . Grande est la tentation, souvent, de placer un petit morceau de prfabriqu dans le souvenir, de donner dans lemphase romanesque, ou de dgager, rtrospectivement, les prmisses dune vocation. Il faut rsister. Lauteur dsire au contraire, par un style discontinu, retrouver les sensations indcises dautrefois.

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