schaffter sahli pour profil (mai 2009)

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TEXTE SARAH BURKHALTER Joanna Schaffter et Vincent Sahli sont desi- gner-graphistes. Par la lettre et la photogra- phie, sur affiches ou sous tasses, ils forgent de- puis 2005 l’identité graphique de toujours plus d’institutions en Suisse romande et à l’étran- ger. Rencontre dans leur studio à Genève, pi- vot actuel de leur parcours JU-NY-GE. On frappe à leur porte, juste à côté des noms gravés sur une simple plaquette de locataires. Déjà, leur signature est exempte de tout effet de style. Sans logo revendicateur pour s’époumoner, Joanna Schaff- ter et Vincent Sahli s’offrent à la discussion avec la force discrète d’in- dividus doués – et de jeunes professionnels qui s’enthousiasment pour leur métier. Appris par ici, à l’École des arts décoratifs de Genève, pour elle, à l’École des arts appliqués de la Chaux-de-Fonds, pour lui, ce métier s’est aiguisé au contact des exigences et des libertés new-yor- kaises en la matière. C’est auprès de Paula Scher, artiste américaine et graphic designer phénoménale, à qui l’on doit d’innombrables esthé- tiques depuis les années 70, que Joanna a développé un sens du gra- phisme “ habité ”, où la mise en forme adhère parfaitement au message à communiquer. En plus d’une quête d’excellence, élémentaire pour quiconque œuvre chez Pentagram, elle y a visiblement approfondi une disposition d’esprit en rhizome : à partir d’un caractère spécial, avec tel choix de couleur, il faut que puisse se tisser tout un réseau de significa- tions, chacune déployant et précisant la généalogie visuelle du client. « Cela nous paraît très important de trouver des solutions plus larges, plus généreuses, d’ouvrir le projet », commente Vincent. Amener les gens à comprendre un lieu ou à se projeter dans une exposition tient du réflexe pour celui qui a imaginé la signalétique du MoMA, dans ses locaux temporaires du Queens, de 2002 à 2004, au moment où il mon- tait aussi l’antenne américaine de Base Design. Il s’agit de guider les personnes – ou leur imaginaire – selon des tracés, qu’ils soient archi- tecturaux ou référentiels. C’est ce flair cartographique commun qui sous-tend en grande partie les “ systèmes identitaires ” et “ stratégies de design ” (dans le jargon, “ identity systems ” et “ design strategies ” ) du duo. Ainsi, la Haute école d’art et de design (HEAD-Genève) leur a confié toute sa personnalité graphique : elle est maintenant décli- née dans un paraphe stylisé sur papier à lettres et site web, dans ses curriculums distribués à l’internationale et ses publications. La plus récente, les actes du symposium AC | DC (Art Contemporain Design Contemporain, 2007), porte leur empreinte éclairée sur près de trois cents pages. Quant à leur prochaine collaboration livresque, à paraître en septembre, elle retracera quinze ans d’expositions à Forde, vibrant espace genevois dédié aux arts contemporains. Du livre à l’événement éphémère, quelle différence ? « Notre appro- che est identique : on fait du sur mesure. S’approprier le mandat peut prendre du temps, car on envisage la problématique dans son ensem- ble avant d’en circonscrire l’essence. Visuellement, on aime que ce soit “ droit au but ” ». Pour la concision et l’évacuation du décoratif, ils avouent s’inspirer du Bauhaus – et de son effort d’allier dans une même vision des disciplines contrastées. De fait, ils incluent volontiers des photographes à leurs projets, signant parfois la direction artistique de shootings photo. Une autre référence s’impose alors : le binôme Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, brouilleurs survoltés des fron- tières mode, arts plastiques et vidéo, pour Björk et Yves Saint Laurent notamment. « C’est un tour de prestidigitation permanent, il n’y a pas de style fixe, mais on sait de qui il s’agit par l’idée. » Créer le “ set ”, les images, les construire mentalement puis les traduire pour une foule de gens, « c’est passionnant », s’accordent-ils. Ainsi, une série d’affiches pour la Villa Bernasconi ( Série Noire et Performances en chambre), qui contraste d’ailleurs avec le fameux Mai au Parc de la maison, et en souligne la vocation pluridisciplinaire. En stratèges designers, ils évo- quent le facteur risque avec un plaisir certain et affirment répondre à la demande initiale avec un bonus d’inventivité. « On cherche à créer des organismes évolutifs, des systèmes exploitables, qui ne sont pas figés, et qui surtout ne s’épuisent pas tout de suite. » Schaffter Sahli, c’est donc un souffle vif qui déborde déjà le creuset romand de la discipline. Et dont on scrute avec délectation les prochaines inventions biblio-, photo-, scéno- et typographiques. FIN www.schafftersahli.com. MONTREUX JAZZ CAFÉ, EMBARQUEMENT IMMÉDIAT « On nous a approchés avec ce projet juste avant Noël – le café  devait ouvrir en juin. » Le premier Montreux Jazz Café perma- nent, sis à l’aéroport international de Genève, a été conçu pres- que intégralement grâce à Joanna Schaffter et Vincent Sahli, et en six mois. La direction marketing du festival montreusien a immédiatement adopté leur motif du point qui, illuminé, rap- pelle les scènes et enseignes de clubs à jazz criblés d’ampoules, et, coloré, s’amuse à décliner divers tons du Blue Note dans le service en porcelaine aux allures lointaines d’un 33-tours. Leur vision globale, permettant de rythmer l’endroit, de « lui donner  une identité forte », a séduit tous les partenaires. Si bien que le concept aéroportuaire du Café, après un an d’existence, est en train de s’exporter à Sydney et aux Etats-Unis. GRAPHI QUE 094 DESIGN 1 095

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Joanna Schaffter et Vincent Sahli sont desi-gner-graphistes. Par la lettre et la photogra-phie, sur affiches ou sous tasses, ils forgent de-puis 2005 l’identité graphique de toujours plus d’institutions en Suisse romande et à l’étran-ger. Rencontre dans leur studio à Genève, pi-vot actuel de leur parcours JU-NY-GE.

On frappe à leur porte, juste à côté des noms gravés sur une simple plaquette de locataires. Déjà, leur signature est exempte de tout effet de style. Sans logo revendicateur pour s’époumoner, Joanna Schaff-ter et Vincent Sahli s’offrent à la discussion avec la force discrète d’in-dividus doués – et de jeunes professionnels qui s’enthousiasment pour leur métier. Appris par ici, à l’École des arts décoratifs de Genève, pour elle, à l’École des arts appliqués de la Chaux-de-Fonds, pour lui, ce métier s’est aiguisé au contact des exigences et des libertés new-yor-kaises en la matière. C’est auprès de Paula Scher, artiste américaine et graphic designer phénoménale, à qui l’on doit d’innombrables esthé-tiques depuis les années 70, que Joanna a développé un sens du gra-phisme “ habité ”, où la mise en forme adhère parfaitement au message à communiquer. En plus d’une quête d’excellence, élémentaire pour quiconque œuvre chez Pentagram, elle y a visiblement approfondi une disposition d’esprit en rhizome : à partir d’un caractère spécial, avec tel choix de couleur, il faut que puisse se tisser tout un réseau de significa-tions, chacune déployant et précisant la généalogie visuelle du client. « Cela nous paraît très important de trouver des solutions plus larges, plus généreuses, d’ouvrir le projet », commente Vincent. Amener les gens à comprendre un lieu ou à se projeter dans une exposition tient du réflexe pour celui qui a imaginé la signalétique du MoMA, dans ses locaux temporaires du Queens, de 2002 à 2004, au moment où il mon-tait aussi l’antenne américaine de Base Design. Il s’agit de guider les personnes – ou leur imaginaire – selon des tracés, qu’ils soient archi-tecturaux ou référentiels. C’est ce flair cartographique commun qui sous-tend en grande partie les “ systèmes identitaires ” et “ stratégies de design ” (dans le jargon, “ identity systems ” et “ design strategies ” ) du duo. Ainsi, la Haute école d’art et de design (HEAD-Genève) leur a confié toute sa personnalité graphique : elle est maintenant décli-née dans un paraphe stylisé sur papier à lettres et site web, dans ses curriculums distribués à l’internationale et ses publications. La plus récente, les actes du symposium AC | DC (Art Contemporain Design Contemporain, 2007), porte leur empreinte éclairée sur près de trois cents pages. Quant à leur prochaine collaboration livresque, à paraître en septembre, elle retracera quinze ans d’expositions à Forde, vibrant espace genevois dédié aux arts contemporains.Du livre à l’événement éphémère, quelle différence ? « Notre appro-che est identique : on fait du sur mesure. S’approprier le mandat peut prendre du temps, car on envisage la problématique dans son ensem-ble avant d’en circonscrire l’essence. Visuellement, on aime que ce

soit “ droit au but ” ». Pour la concision et l’évacuation du décoratif, ils avouent s’inspirer du Bauhaus – et de son effort d’allier dans une même vision des disciplines contrastées. De fait, ils incluent volontiers des photographes à leurs projets, signant parfois la direction artistique de shootings photo. Une autre référence s’impose alors : le binôme Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, brouilleurs survoltés des fron-tières mode, arts plastiques et vidéo, pour Björk et Yves Saint Laurent notamment. « C’est un tour de prestidigitation permanent, il n’y a pas de style fixe, mais on sait de qui il s’agit par l’idée. » Créer le “ set ”, les images, les construire mentalement puis les traduire pour une foule de gens, « c’est passionnant », s’accordent-ils. Ainsi, une série d’affiches pour la Villa Bernasconi (Série Noire et Performances en chambre), qui contraste d’ailleurs avec le fameux Mai au Parc de la maison, et en souligne la vocation pluridisciplinaire. En stratèges designers, ils évo-quent le facteur risque avec un plaisir certain et affirment répondre à la demande initiale avec un bonus d’inventivité. « On cherche à créer des organismes évolutifs, des systèmes exploitables, qui ne sont pas figés, et qui surtout ne s’épuisent pas tout de suite. » Schaffter Sahli, c’est donc un souffle vif qui déborde déjà le creuset romand de la discipline. Et dont on scrute avec délectation les prochaines inventions biblio-, photo-, scéno- et typographiques. fin www.schafftersahli.com.

Montreux Jazz Café, eMBarqueMent iMMédiat

« On nous a approchés avec ce projet juste avant Noël – le café devait ouvrir en juin. » Le premier Montreux Jazz Café perma-nent, sis à l’aéroport international de Genève, a été conçu pres-que intégralement grâce à Joanna Schaffter et Vincent Sahli, et en six mois. La direction marketing du festival montreusien a immédiatement adopté leur motif du point qui, illuminé, rap-pelle les scènes et enseignes de clubs à jazz criblés d’ampoules, et, coloré, s’amuse à décliner divers tons du Blue Note dans le service en porcelaine aux allures lointaines d’un 33-tours. Leur vision globale, permettant de rythmer l’endroit, de « lui donner une identité forte », a séduit tous les partenaires. Si bien que le concept aéroportuaire du Café, après un an d’existence, est en train de s’exporter à Sydney et aux Etats-Unis.

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