sciences au sud n°51 - le numéro complet ( pdf , 1477 ko)

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Le journal de l'IRD Éditorial n° 51 - septembre/octobre 2009 3,81 bimestriel « C’est l’homme qui, par son action sur l’environnement aménage une niche écologique favorable pour le développement de son pire ennemi », assène Frédéric Simard, chercheur à l’unité de recherche Caractérisation et Contrôle des Popu- lations de Vecteurs. Ce spécialiste d’Ano- pheles gambiae, le principal vecteur du paludisme, ne mâche pas ses mots. Après avoir étudié pendant plusieurs années sur l’ensemble du territoire camerounais les niches écologiques du moustique. Il apparaît que les principaux facteurs environnementaux favorisant sa prolifé- ration sont ceux associés à l’anthropisa- tion du milieu. Avec 40 % de la popula- tion mondiale vivant aujourd’hui dans une zone menacée par le paludisme, « mieux connaître la distribution géogra- phique des moustiques et identifier les contextes environnementaux qui favori- sent leur pullulation est une étape essen- tielle pour lutter efficacement contre la maladie », précise Frédéric Simard. I l était prévu que l’année 2009, et même au delà jusqu’à l’été 2010, serait celle des défis pour l’IRD : maîtriser les changements liés à l’installation du siège à Marseille, clarifier et renforcer la double fonction opérateur/agence, installer la nouvelle gouvernance sous l’autorité d’un président exécutif. Et tout cela alors que le paysage de la Recherche est en pleine mutation. Mais, pour nous, le changement est encore plus grand si l’on regarde au-delà de nos frontières. La Science a fait une entrée remarquée dans les accords internationaux comme l’illustre le partenariat stratégique entre l’Afrique et l’Union européenne. Dans le même temps, comme le démontre le Brésil, les relations Sud-Sud se renforcent. Il est vrai que bien des questions auxquelles la mondialisation est confrontée – climat, eau, migrations, santé, énergie, alimentation – interpellent la recherche. Elles nous sont, à l’IRD, pour la plupart familières. L’union européenne et la France où la recherche pour le développement est devenue une priorité politique, sont à l’avant-garde. Pour la première fois, le Commissaire européen chargé de la Recherche se rend en Afrique pour lancer un appel d’offres pour un montant de 63 millions d’euros et annoncer la mise en place d’un Eranet consacré à l’Afrique. La France lors du Cicid 1 a confirmé ses orientations et mis l’IRD et son agence au centre du dispositif. Aussi, notre Institut ne manque pas d’atouts pour affronter les défis évoqués plus haut. Mais le meilleur atout, ce sont nos partenaires lorsqu’ils prennent en main leur développement et que nous les y aidons. Après la grande réforme de 1998 qui a renforcé la crédibilité scientifique de notre maison, la décennie qui s’achève aura vu l’IRD devenir un acteur européen et international reconnu et indispensable. C’est son avenir ! Au terme de plus de huit ans à la Présidence de l’IRD et au moment de vous quitter, je sais que les Irdiens et leurs partenaires du Nord et du Sud auront toujours l’ambition à la hauteur de leurs missions. 1. Comité interministériel de la coopération internationale et du développement de Juin 2009. Vers un avenir international L’IRD demain C ela fait maintenant un an que le siège de l’IRD a rejoint Marseille. Avec cette implanta- tion s’amorce une nouvelle dynamique. À l’heure où le paysage académique évolue, notre établissement se reposi- tionne tant au plan national qu’inter- national pour mieux poursuivre son partenariat scientifique avec les pays du Sud avec une mission de dévelop- pement. Parmi les grands chantiers engagés, le processus de création d’Unités Mixtes de Recherche devra s’achever à l’hori- zon 2011. Cette activité partenariale est appelée à s’élargir vers le Sud avec les Unités Mixtes Internationales qui associeront universités du Nord et À l’occasion de la reconduction de son mandat de directeur général de l’IRD, Michel Laurent présente les grandes lignes de sa mission que viennent de lui confier les ministères de l’enseignement supérieur et de la recherche et des affaires étrangères et européennes. Par Jean-François Girard Président de l’IRD approche pour limiter la propagation de la maladie ? Pour Frédéric Simard, « l’étude des interactions entre para- mètres environnementaux et mous- tiques vecteurs du paludisme n’est qu’une étape dans la compréhension du fonctionnement des systèmes vec- toriels et de leur évolution ». Le cher- cheur ne compte pas en rester là, et souhaite travailler à construire un cadre global pour prédire l’évolution du risque. Il envisage d’intégrer non seule- ment les changements locaux induits par l’homme, mais aussi ceux plus indi- rects et globaux comme les modifica- tions climatiques, l’évolution démogra- phique ou le transport d’espèces allochtones. Un défi que le chercheur qualifie « d’énorme », mais pas d’insur- montable… Contact [email protected] Partenaires Ripiecsa : Face aux défis climatiques P. 5 Recherches Quand les espèces invasives s’invitent au Sud P. 7 à 9 © IRD/A.Debray Universités du Sud. Dans la logique d’une plus grande cohésion entre orga- nismes de recherche et universités, ce dispositif s’appuiera sur le panel de nouveaux outils que sont notamment les chaires organismes-universités, les grands programmes de recherche ou bien encore les plateformes techno- logiques. Plus que jamais, le Sud est un parte- naire indispensable dans l’approche des problématiques globales liées à la santé, au développement durable, au changement climatique ou encore aux migrations internationales. Le contrat d’objectifs 2010-2013 viendra au cours de l’été prochain finaliser nos orientations. D’ici là, l’élaboration d’un plan stratégique d’une part, et l’éva- luation de l’Institut par l’Agence natio- nale d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur d’autre part, permettront de poser les bases néces- saires à l’élaboration de ce nouveau contrat. Celui-ci s’appuiera sur la double fonc- tion, opérateur de recherche et agence de moyens. Ainsi l’IRD pourra-t-il entraî- ner ses autres partenaires de la recherche publique française, avec des partenaires privés, nationaux ou étran- gers, dans une dynamique favorable à la recherche pour le développement. Pour ce faire, l’IRD mobilisera ses propres ressources et mettra à disposi- tion ses compétences et de nouveaux instruments de partenariat. Le budget 2010 de l’établissement a d’ailleurs prévu de doter la fonction d’agence, signe de l’importance qu’accordent nos tutelles à cette orientation straté- gique de l’IRD. Une nouvelle gouvernance se prépare pour porter le projet IRD demain qui impliquera des évolutions des struc- tures internes actuelles au cours de l’année 2010. Ce nouveau chantier doit permettre à l’IRD de trouver une place privilégiée dans l’émergence d’une stratégie nationale de partenariat avec le Sud dans un paysage national qui se réor- ganise notamment avec la mise en place des Instituts thématiques multi- organismes et des Alliances. Dans ce numéro Paludisme : cartographier les risques Une équipe de l’IRD en partenariat avec l’Organisation de Coordination pour la lutte contre les Endémies en Afrique Centrale, l’Institut National de Cartographie et l’Université de Yaoundé propose une approche par niches écologiques pour mieux cerner les facteurs environnementaux favorables à la prolifération des moustiques responsables de la transmission de la maladie. Par ses actions de déforestation en zone équatoriale ou d’irrigation en zone sahélienne, l’homme créé un envi- ronnement favorable au développe- ment du moustique. Au stade larvaire, l’insecte a besoin de vastes étendues d’eau ensoleillées pour prospérer. Ces aménagements s’accompagnent d’une présence humaine importante, un facteur favorisant encore la prolifération de ces moustiques particulièrement friands de sang humain. « Nous lui four- nissons le gîte et le couvert, le corollaire étant que l’on ne trouvera pas ce mous- tique là ou il n’y a pas l’homme », explique Frédéric Simard, qui juge les réserves naturelles ou les zones à faible densité de population comme « des habitats de piètre qualité, voir totale- ment hostiles pour ces moustiques ». Alors qu’il n’existe pas de vaccin contre le paludisme et que les différentes molécules utilisées pour se protéger ou le traiter rencontrent de plus en plus de résistance de la part du parasite, faut-il voir dans ce type d’étude une nouvelle L’agent du paludisme est transmis par les moustiques femelles du genre anophèle. Visite, de Michel Laurent Directeur Général de L’IRD, dans les laboratoires et les serres de l’IRD-Montpellier. © IRD/M. Dukhan © IRD/JF.Silvain © IRD/M. Dukhan

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Page 1: Sciences au Sud n°51 - le numéro complet ( PDF , 1477 Ko)

Le journal de l'IRD

É d i t o r i a l

n° 51 - septembre/octobre 20093,81 €

bimestriel

« C’est l’homme qui, par sonaction sur l’environnementaménage une niche écologique

favorable pour le développement de sonpire ennemi », assène Frédéric Simard,chercheur à l’unité de rechercheCaractérisation et Contrôle des Popu-lations de Vecteurs. Ce spécialiste d’Ano-pheles gambiae, le principal vecteur dupaludisme, ne mâche pas ses mots.Après avoir étudié pendant plusieursannées sur l’ensemble du territoirecamerounais les niches écologiques dumoustique.Il apparaît que les principaux facteursenvironnementaux favorisant sa prolifé-ration sont ceux associés à l’anthropisa-tion du milieu. Avec 40 % de la popula-tion mondiale vivant aujourd’hui dansune zone menacée par le paludisme,« mieux connaître la distribution géogra-phique des moustiques et identifier lescontextes environnementaux qui favori-sent leur pullulation est une étape essen-tielle pour lutter efficacement contre lamaladie », précise Frédéric Simard.

I l était prévu que l’année 2009, etmême au delà jusqu’à l’été 2010,

serait celle des défis pour l’IRD :maîtriser les changements liés à l’installation du siège à Marseille,clarifier et renforcer la double fonctionopérateur/agence, installer la nouvellegouvernance sous l’autorité d’unprésident exécutif. Et tout cela alorsque le paysage de la Recherche est en pleine mutation.Mais, pour nous, le changement estencore plus grand si l’on regarde au-delà de nos frontières. La Science a fait une entrée remarquée dans les accords internationaux commel’illustre le partenariat stratégiqueentre l’Afrique et l’Union européenne.Dans le même temps, comme le démontre le Brésil, les relationsSud-Sud se renforcent. Il est vrai que bien des questions auxquelles la mondialisation est confrontée – climat, eau, migrations, santé,énergie, alimentation – interpellent la recherche. Elles nous sont, à l’IRD, pour la plupart familières. L’union européenne et la France où la recherche pour le développementest devenue une priorité politique, sont à l’avant-garde. Pour la premièrefois, le Commissaire européen chargéde la Recherche se rend en Afriquepour lancer un appel d’offres pour un montant de 63 millionsd’euros et annoncer la mise en placed’un Eranet consacré à l’Afrique. La France lors du Cicid1 a confirméses orientations et mis l’IRD

et son agence au centre du dispositif.Aussi, notre Institut ne manque pasd’atouts pour affronter les défisévoqués plus haut. Mais le meilleuratout, ce sont nos partenaireslorsqu’ils prennent en main leur développement et que nous les y aidons.Après la grande réforme de 1998 qui a renforcé la crédibilitéscientifique de notre maison, la décennie qui s’achève aura vu l’IRD

devenir un acteur européen et international reconnu etindispensable. C’est son avenir ! Au terme de plus de huit ans à la Présidence de l’IRD et au momentde vous quitter, je sais que les Irdienset leurs partenaires du Nord et du Sudauront toujours l’ambition à la hauteurde leurs missions. ●

1. Comité interministériel de la coopérationinternationale et du développement de Juin2009.

Vers un avenirinternational

L’IRD demain

C ela fait maintenant un an quele siège de l’IRD a rejointMarseille. Avec cette implanta-

tion s’amorce une nouvelle dynamique.À l’heure où le paysage académiqueévolue, notre établissement se reposi-tionne tant au plan national qu’inter-national pour mieux poursuivre sonpartenariat scientifique avec les pays

du Sud avec une mission de dévelop-pement.Parmi les grands chantiers engagés, leprocessus de création d’Unités Mixtesde Recherche devra s’achever à l’hori-zon 2011. Cette activité partenarialeest appelée à s’élargir vers le Sud avecles Unités Mixtes Internationales quiassocieront universités du Nord et

À l’occasion de la reconduction de son mandat de directeurgénéral de l’IRD, Michel Laurent présente les grandes lignesde sa mission que viennent de lui confier les ministères de l’enseignement supérieur et de la recherche et des affaires étrangères et européennes.

Par Jean-François

Girard Président de l’IRD

approche pour limiter la propagationde la maladie ? Pour Frédéric Simard,« l’étude des interactions entre para-mètres environnementaux et mous-tiques vecteurs du paludisme n’estqu’une étape dans la compréhensiondu fonctionnement des systèmes vec-toriels et de leur évolution ». Le cher-cheur ne compte pas en rester là, etsouhaite travailler à construire un cadreglobal pour prédire l’évolution durisque. Il envisage d’intégrer non seule-

ment les changements locaux induitspar l’homme, mais aussi ceux plus indi-rects et globaux comme les modifica-tions climatiques, l’évolution démogra-phique ou le transport d’espècesallochtones. Un défi que le chercheurqualifie « d’énorme », mais pas d’insur-montable… ●

[email protected]

PartenairesRipiecsa : Face aux défis climatiques

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RecherchesQuand les espèces invasives s’invitent au Sud

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Universités du Sud. Dans la logiqued’une plus grande cohésion entre orga-nismes de recherche et universités, cedispositif s’appuiera sur le panel denouveaux outils que sont notammentles chaires organismes-universités, lesgrands programmes de recherche oubien encore les plateformes techno-logiques. Plus que jamais, le Sud est un parte-naire indispensable dans l’approchedes problématiques globales liées à lasanté, au développement durable, auchangement climatique ou encore auxmigrations internationales. Le contratd’objectifs 2010-2013 viendra aucours de l’été prochain finaliser nosorientations. D’ici là, l’élaboration d’unplan stratégique d’une part, et l’éva-luation de l’Institut par l’Agence natio-nale d’évaluation de la recherche et del’enseignement supérieur d’autre part,permettront de poser les bases néces-saires à l’élaboration de ce nouveaucontrat.Celui-ci s’appuiera sur la double fonc-tion, opérateur de recherche et agencede moyens. Ainsi l’IRD pourra-t-il entraî-ner ses autres partenaires de larecherche publique française, avec despartenaires privés, nationaux ou étran-gers, dans une dynamique favorable àla recherche pour le développement.Pour ce faire, l’IRD mobilisera sespropres ressources et mettra à disposi-tion ses compétences et de nouveauxinstruments de partenariat. Le budget2010 de l’établissement a d’ailleursprévu de doter la fonction d’agence,signe de l’importance qu’accordent

nos tutelles à cette orientation straté-gique de l’IRD. Une nouvelle gouvernance se préparepour porter le projet IRD demain quiimpliquera des évolutions des struc-tures internes actuelles au cours del’année 2010.Ce nouveau chantier doit permettre àl’IRD de trouver une place privilégiéedans l’émergence d’une stratégienationale de partenariat avec le Suddans un paysage national qui se réor-ganise notamment avec la mise enplace des Instituts thématiques multi-organismes et des Alliances. ●

Dans ce numéro

Paludisme : cartographier les risques

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Une équipe de l’IRD en partenariat avec l’Organisationde Coordination pour la lutte contre les Endémies en Afrique Centrale, l’Institut National de Cartographieet l’Université de Yaoundé propose une approche par niches écologiques pour mieux cerner les facteursenvironnementaux favorables à la prolifération des moustiques responsables de la transmission de la maladie.

Par ses actions de déforestation en zoneéquatoriale ou d’irrigation en zonesahélienne, l’homme créé un envi-ronnement favorable au développe-ment du moustique. Au stade larvaire,l’insecte a besoin de vastes étenduesd’eau ensoleillées pour prospérer. Cesaménagements s’accompagnent d’uneprésence humaine importante, unfacteur favorisant encore la proliférationde ces moustiques particulièrementfriands de sang humain. « Nous lui four-nissons le gîte et le couvert, le corollaireétant que l’on ne trouvera pas ce mous-tique là ou il n’y a pas l’homme »,explique Frédéric Simard, qui juge lesréserves naturelles ou les zones à faibledensité de population comme « deshabitats de piètre qualité, voir totale-ment hostiles pour ces moustiques ».Alors qu’il n’existe pas de vaccin contrele paludisme et que les différentesmolécules utilisées pour se protéger oule traiter rencontrent de plus en plus derésistance de la part du parasite, faut-ilvoir dans ce type d’étude une nouvelle

L’agent du paludisme est transmis par les moustiques femelles du genreanophèle.

Visite, de Michel Laurent Directeur Général de L’IRD, dans les laboratoireset les serres de l’IRD-Montpellier.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

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deux sexes dans la capitale malgache.« En réalité, l’enquête biographique quenous avons utilisée montre que l’expé-rience effective est en moyenne de17 ans pour les femmes et de 21 anspour les hommes. L’écart entre les deuxsexes atteint même 12 années chez lesindividus âgés de 45 à 54 ans ». Cesrésultats plus précis ont été obtenus eninterrogeant les individus d’un échan-tillon représentatif sur leurs activitésannée après année, chronologique-ment. La méthode permet de reconsti-tuer fidèlement les trajectoires scolaireset professionnelles. « La différence d’ex-périence que nous avons mis en évi-dence, conjuguée à la moindre qualifi-cation des femmes, suffit à expliquerplus du tiers de la disparité des gainsentre sexes » affirme le chercheur. Enmoyenne, les femmes ont une duréepresque deux fois plus longue d’inacti-vité totale que les hommes, ce qui pour-rait être lié aux périodes de maternité. « Pour autant, note Christophe Nord-man, presque deux tiers de la disparitéde traitement en fonction du genre restesans explication apparente, et pourraitdonc relever de pratiques discrimina-toires ». Il reconnaît aussi que l’étude, ense focalisant sur les emplois en milieuurbain, ne rend que partiellementcompte de la situation réelle des reve-nus. Le salariat est en effet beaucoupplus répandu en ville que dans les cam-pagnes, où la structure de l’emploi estessentiellement constituée de travailleursindépendants et d’aides familiaux. Deplus, précise-t-il « une proportion trèsimportante de femmes, supérieure auxhommes, travaille dans le secteur infor-mel ou est employée sans rémunérationdans une micro-entreprise dirigée parleur conjoint. » Enfin, il rappelle que lestâches domestiques, qui sont massive-ment assurées par les femmes àMadagascar, ne sont pas prises encompte dans la plupart des enquêtes,parce qu’elles ne sont tout simplementpas reconnues comme étant du travaildans les nomenclatures internationales. Madagascar fait pourtant figure d’ex-ception vertueuse au regard de l’Afriquecontinentale, où la disparité de revenusliée au sexe peut avoisiner les 80 %. ●

1.UMR - Développement, institutions et ana-lyses de long terme (DIAL).2. Economic Development and CulturalChange, 57(4), 2009.

[email protected]@ird.fr

L a discrimination salariale, quifrappe les femmes à Mada-gascar, pourrait être suresti-

mée ; partiellement au moins. Cette sur-prenante révélation transparaît dansune récente étude, consacrée par deuxéconomistes de l’IRD1 à la place desfemmes sur le marché du travail mal-gache2. Leur approche novatrice révèleen effet qu’une partie de l’écart derémunération entre hommes etfemmes, qui s’établit à 40 % dans l’ag-glomération d’Antananarivo, se justifieau regard de leurs qualifications et expé-riences respectives réelles. « L’expé-rience professionnelle des femmes, quidétermine leur niveau de revenu, étaitsystématiquement surévaluée jusqu’àprésent », explique Christophe Nord-man, l’un des deux auteurs. L’étudemontre que les méthodes traditionnellesde mesure affichent peu de différenceentre hommes et femmes, puisque leurprésence potentielle sur le marché dutravail s’établit à environ 23 ans pour les

« Il faut cultiver les liens quiexistent depuis deux centsans entre le droit égyptien et

le droit français ! » plaide la juristeNathalie Bernard-Maugiron1. Dans unarticle paru récemment2, la chercheuseappelle à un renforcement de la coopé-ration avec l’Égypte, rappelant les rela-tions étroites qu’entretiennent les deuxpays en ce domaine depuis le début duXIXe siècle. À la fin de ce siècle, l’Étatégyptien avait même entrepris une poli-tique volontariste visant à rénover le sys-tème juridique en s’inspirant du droitfrançais. C’est ainsi qu’on fit appel à unspécialiste français pour rédiger les codesrégissant les litiges civils et commerciauxentre Égyptiens et étrangers. Le françaissera même adopté comme langue offi-cielle dans les tribunaux chargés de cetype d’affaires, jusqu’à leur disparitionen 1949. « L’influence française s’étendégalement au domaine judiciaire »,explique-t-elle. L’organisation des juridic-tions est en effet très semblable dans lesdeux pays et cette proximité affecte aussile mode de raisonnement juridique.Ainsi, les opinions isolées ou dissidentesne sont pas autorisées dans le systèmeégyptien, comme chez son homologuefrançais. « Au-delà du droit privé, l’in-fluence française touche aussi le droitpublic », assure-t-elle. L’Égypte s’est ainsidotée d’un droit administratif fortementinspiré par la tradition administrativefrançaise et par la jurisprudence duConseil d’État. Enfin, côté enseigne-

ment, les relations sont anciennes : dèsle XIXe siècle, des doctorants égyptiensviennent étudier en France et des profes-seurs français dispensent des cours enÉgypte ; en 1890 est fondée l’école fran-çaise de droit du Caire. Forme de résis-tance à la présence britannique, les rela-tions juridiques franco-égyptiennes sesont poursuivies durant l’occupation parles Anglais à partir de 1882, puis mainte-nues au-delà. Par son rayonnementrégional, le droit égyptien a mêmecontribué à diffuser cet aspect de la cul-ture française dans tout le Proche Orient. « Si les Britanniques n’ont pas réussi àimposer leur système juridique pendantleur mandat sur l’Égypte, le droit anglo-saxon exerce néanmoins à l’heure

actuelle une influence croissante sur cepays » constate Nathalie Bernard-Maugiron. Les États-Unis sont en effettrès actifs dans le secteur judiciaire – ilsapportent une aide financière impor-tante, et omniprésents dans le droit desaffaires. De plus, ils mènent une véri-table offensive pour conquérir le sys-tème universitaire, menaçant la filièrefrançaise d’enseignement du droit. « Il serait temps que la France réinves-tisse formellement le terrain juridiquede l’Égypte et du Proche Orient, etassume cet héritage historique ! »conclut la juriste. ●

1. IRD, UMR Développement et sociétés2. Qantara, Paris, Institut du Monde Arabe,2008.

[email protected]

Des chercheurs de l’IRD réexaminent l’écart de rémunération entre hommes et femmes à Madagascar.

Retour sur les liens historiques entre l’Égypte et la France en matière juridique.

M a d a g a s c a r

Disparités salariales

Épilepsie dévastatriceEn Afrique, l’épilepsie à de lourdes conséquences pour lespersonnes qui en souffrent. Les traitements antiépileptiques,utilisés pour prévenir les crises dans les pays du Nord, nesont en effet pas disponibles ou accessibles pour les maladesafricains. Ils doivent donc endurer toutes les manifestationsspectaculaires et handicapantes de la maladie.De plus, cette affection est très stigmatisante et, dans cer-taines régions du continent, il existe une crainte irration-nelle de la contagion, en particulier par contact avec lasalive émise durant des crises. De ce fait, les malades nesont pas directement secourus lors des épisodes critiques.

Un héritage menacé

[email protected] Sextant

44, bd de DunkerqueCS 90009

13572 Marseille cedex 02Tél. : 33 (0)4 91 99 92 22Fax : 33 (0)4 91 99 92 28

Directeur de la publicationMichel Laurent

Directrice de la rédactionMarie-Noëlle Favier

Rédacteur en chefManuel Carrard([email protected])

Comité éditorialJacques Charmes, Bernard Dreyfus,Thomas Changeux, Yves Duval, Jean-François Girard, Günther Hahne, Daniel Lefort, Rémy Louat, Christian Marion, Jacques Merle, Jean-Baptiste MeyerGeorges de Noni, Stéphane Raud, Malika Remaoun, Pierre Soler

RédacteursFabienne Beurel-Doumenge([email protected])Olivier Blot ([email protected])

Ont participé à ce numéroJoseph Fumtim, Gaelle Courcoux,René Lechon, François Rebufat,Ouidir Benabderrahmane

Correspondants Mina Vilayleck (Nouméa)

Photos IRD – Indigo BaseDaina RechnerChristelle Mary

Photogravure, ImpressionIME, certifié ISO 14001, 25112 Baume-les-DamesISSN : 1297-2258Commission paritaire : 0909B05335Dépôt légal : octobre 2009

Journal réalisé sur papier recyclé.Tirage : 15 000 exemplaires

Le journal de l'IRD

Une étude épidémiologique fait le lien entre onchocercose et épilepsie.

B ien connue pour être respon-sable de cécité, l’onchocercoseprovoquerait aussi l’épilepsie.

Cette relation vient d’être mise évidencedans une étude épidémiologique menéepar des chercheurs de l’IRD1, sur la basede données collectées dans sept paysd’Afrique de l’Ouest, centrale et del’Est2. La maladie parasitaire, très répan-due en Afrique sub-saharienne, entraînedes lésions cutanées et oculaires invali-dantes. « On supposait depuis quelquetemps déjà qu’il y avait un lien entreonchocercose et épilepsie », explique leparasitologiste Michel Boussinesq, évo-quant le nombre apparemment impor-tant de malades épileptiques dans leszones d’endémie de la « cécité desrivières ». Pour établir clairement l’asso-ciation entre les deux pathologies, lesscientifiques ont relancé des enquêtes de

terrain, au Cameroun notamment, etont analysé toutes les études disponiblessur le sujet, soit l’équivalent de12 000 personnes examinées pour l’on-chocercose et près de 80 000 pour l’épi-lepsie. Cette approche a mis en évidenceun lien très net entre les deux maladies,retrouvé dans chacun des foyers pris iso-lément. « Cette relation peut être décritepar une seule et même fonction mathé-matique », explique Sébastien Pion, quia mené la méta-analyse. « Quand la pré-valence de l’onchocercose augmente de10 % dans une population donnée, cellede l’épilepsie croît de 0,4 % ». Dans cer-taines régions d’Afrique, l’onchocercosetouche 90 % de la population ; la fré-quence de l’épilepsie y est donc trèsélevée. De fait, sur les 50 millions depersonnes souffrant d’épilepsie dans le monde, 90 % habitent des pays

en développement, et notammentl’Afrique.Mais quel enchaînement physiopatholo-gique associe les deux maladies ?L’onchocercose entraînerait une coloni-sation du tissus cérébral par lesembryons du parasite – lors de fortesinfestations, ils sont présents dans lesang, les urines et le liquide céphalora-chidien. Ce phénomène provoqueraitune décharge électrique excessive etsoudaine des neurones, caractéristiquede l’épilepsie.Ce nouveau visage de la maladie, parti-culièrement cruel dans le contexte afri-cain (cf. encadré), « devrait inciter àaccentuer les efforts pour parvenir àl’élimination de l’onchocercose », plaideMichel Boussinesq. ●

1. Unité Mixte de Recherche VIH/SIDA etmaladies associées.2. Bénin, Burundi, Cameroun, Nigeria, Ou-ganda, République centrafricaine et Tanzanie.

[email protected]@ird.fr

Les accidents qui en découlent – chutes, noyades, brûluresgraves notamment –, expliquent l’importante surmortalitéqui les frappe. L’espérance de vie des personnes atteintesd’épilepsie en Afrique est fortement réduite. Le handicap et la frayeur suscités par l’épilepsie sont aussicauses d’exclusion sociale et de discrimination. Les enfantsatteints sont moins scolarisés que les autres, et devenusadultes, ils trouvent plus difficilement un conjoint et ontmoins d’enfants que la moyenne. ●

Vient de paraître sur ce sujet : Épilepsie et exclusion sociale - De

l’Europe à l’Afrique de l’Ouest, Sophie Aborio, éditions IRD et

Karthala, 2009.

L’onchocercose,cause d’épilepsieL’onchocercose,

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Séance d’examens parasitologiques chez les enfants d’un village

touché par la « cécité des rivières ».

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I maginons plus de 50 volcans surune surface grande comme la moi-tié de la France. Une telle concen-

tration existe pourtant bel et bien enÉquateur. L’« avenue des volcans », undes principaux axes de transport dupays, est surplombée par ces colosses,dressés à plus de 5 000 m d’altitude.Une configuration qui n’est pas sansposer problème. Et pour cause, elleconstitue une menace pour les quelque3 millions d’habitants de la vallée inter-andine, enserrée entre les deux cor-dillères qui prennent en écharpe le pays.« Depuis l’arrivée des espagnols au XVIe

siècle1, sept volcans sont entrés en acti-vité et ont causé d’importantes perteshumaines et de nombreux dom-mages », raconte Jean-Luc Le Pennec,volcanologue à l’IRD. Afin de déterminerle risque volcanique2 lié à ces titans, uneéquipe de chercheurs3 vient d’étudier la

fréquence, la puissance et le « style » deleurs éruptions passées. Selon ce derniercritère, la menace diffère : une éruptionexplosive, accompagnée de nuéesardentes, est beaucoup plus dangereusequ’une éruption effusive, c’est-à-dire àcoulées de lave. Au cours des dix dernières années, troisvolcans se sont réveillés : le Tungurahua,le Pichincha et le Reventador sont dèslors sous haute surveillance. Les volca-nologues contrôlent la nature de leursémissions afin de mieux comprendreleur fonctionnement. En effet, la com-position physico-chimique des émissionspeut évoluer au cours de l’éruption, quipeut durer des mois, voire des années :« celle du Tungurahua dure par exempledepuis maintenant dix ans », illustreJean-Luc Le Pennec. Sur cette base, leschercheurs proposent des scénariosd’éruption et établissent des cartes de

risque. Une aide à la décision essentielleen prévision de crises pour mettre enplace les mesures de prévention et d’in-tervention adéquates : « nous cher-chons désormais à savoir si l’éruptionest susceptible de connaître ou non àl’avenir des phases violentes qui exige-raient l’évacuation de milliers de per-sonnes », conclut le chercheur. ●

1.Un volcan est considéré comme actif lors-qu’il est entré en éruption au cours destemps historiques. En Amérique latine, lespremiers récits d’éruptions datent de la colo-nisation espagnole.2. Le risque est le produit de l’aléa – oumenace – par la vulnérabilité des popula-tions, des infrastructures, etc. 3.Ces travaux ont été réalisés par des cher-cheurs de l’IRD et de l’Institut deGéophysique de l’École PolytechniqueNationale (IG-EPN) à Quito.

[email protected]@[email protected]

« Les grandes villes ouest-africaines sont directementmenacées par la maladie

du sommeil, prévient l’entomologistePhilippe Solano1. L’épidémie qui arécemment affecté des milliers de per-sonnes à Kinshasa, et qui n’est tou-jours pas contrôlée, peut se reproduiredès demain à Abidjan ou Dakar »,affirme-t-il. La mise en garde peut sur-prendre, à l’heure où son équipe vientde démontrer que les mouches tsé-tsé,vecteur de la maladie du sommeil,sont plus rares et que leur aire de dis-tribution s’est considérablement res-treinte au cours des deux dernièresdécennies. Pour les chercheurs, cetapparent paradoxe s’explique simple-ment. « L’un des deux groupes dis-tincts de mouche tsé-tsé naturelle-ment présents en Afrique de l’Ouesttend effectivement à disparaître, maisl’autre pas, explique le géographeFabrice Courtin2. Ainsi, les glossinesdu groupe palpalis, qui sont les plusdangereuses car responsables de laforme humaine de la maladie, se sontredoutablement bien adaptées auxfortes densités humaines ». Issues desforêts et des mangroves, les glossinespalpalis parviennent même à être trèsnombreuses en zones urbaines.« Dans les aires de grande concentra-tion humaine, où elles peuvent rapide-ment propager la maladie, d’hôte enhôte, elles constituent un danger avéréd’épidémie », déplore Philippe Solano.Avec près de deux millions d’habitants,la capitale guinéenne Conakry, qui estentourée de foyers épidémiques éta-blis, semble particulièrement exposée.L’OMS estime a 300 000 les nouveauxcas de maladie du sommeil en Afriquede l’Ouest durant les années 2000.L’affection connaît une recrudescencedepuis les années 1970, en raison durelâchement des efforts de lutte et denouvelles interactions hôte-parasite-vecteur, alors qu’elle était considéréecomme résiduelle dix ans plus tôt. Il

Actu

alités

2. Centre international de recherche-développement sur l’élevage en zone sub-humide, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso. 3. Dirigées par les médecins coloniauxJamot, Muraz et Richet.

[email protected]@ird.fr

A f r i q u e d e l ’ O u e s t

La maladie du sommeilgagne les villes

Vers une meilleure gestiondes risques

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avait fallut des décennies de soins, enallant traiter les « sommeilleux » dansles villages avec des équipes médicalesmobiles3, pour contrôler l’épidémie quidévastait la région depuis les années1920… ●

1. UR Trypanosomoses de l’homme, de l’ani-mal et des plantes.

Une équipe de recherchevient de mettre en évidenceun gène responsable de l’adaptation du mil au climat.

D es zones sèches du Sahel– berceau de sa domestica-tion – aux zones tropicales

d’Afrique et d’Asie, le mil pousseaujourd’hui sous des climats bien diffé-rents. Une des clés de cette adap-tation ? Un gène de la perception de la lumièrechez la plante, dénommé PHYC. Uneétude vient de mettre en évidence uneassociation significative entre les varia-tions de ce dernier et celles de la duréede floraison d’une variété de mil àl’autre. Or, cette dernière propriété est étroite-ment liée au climat : une floraisonlongue est mieux adaptée aux milieuxplus humides, et inversement. D’où lerôle prépondérant de ce facteur géné-tique dans l’adaptation de la céréaleaux conditions climatiques. « Il a sansdoute été sélectionné lors de la domes-tication du mil, il y a 3 500 ans, ou lorsde sa diffusion en Afrique et hors ducontinent », raconte Yves Vigouroux,chercheur à l’IRD et co-auteur del’étude. Au fil des millénaires, l’hommea ainsi généré une grande diversité devariétés afin de choisir les caractèresagronomiques les plus appropriés.Mais cette découverte n’a été possibleque grâce à une méthode statistiqueinnovante. Celle-ci prend en comptel’histoire évolutive des populations deséchantillons étudiés, c’est-à-dire lesliens de parenté et les croisementseffectués depuis des milliers d’années.« Cette nouvelle approche permetd’isoler les gènes plus rapidement etbeaucoup plus finement », explique lescientifique. Jusqu’à présent, larecherche de tels facteurs génétiques

consis-tait à réa-liser descroisementset analyser lesd e s c e n d a n c e shybrides obtenues.Au final, l’analyseportait seulement surquelques générations d’in-dividus et ne permettait de délimiterque de gros blocs chromosomiques,contenant des centaines de gènes.« L’identification des gènes causatifsnécessitait ensuite de nombreusesannées de recherche supplémen-taires ».À la lumière de cette étude, les agri-culteurs pourront développer les varié-tés les plus appropriées pour faire faceà la grande variabilité climatique dansla région. Le mil, par ailleurs très résis-tant à l’aridité et bien adapté aux solspauvres, pourrait donc devenir uneplante des plus prisées pour luttercontre l’insécurité alimentaire. ●

1. Cette étude a été réalisée par des cher-cheurs de l’IRD et de l’Université AbdouMoumouni à Niamey au Niger.

[email protected]

Une équipe franco-équatorienne surveille de près les volcans actifs de la cordillère andine.

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

Éliminer les tsé-tsé des LoosC’est une première en Afrique de l’Ouest, le Programme guinéen de luttecontre la trypanosomose humaine envisage d’éliminer totalement lesmouches tsé-tsé des îles de Loos. L’archipel, situé à 5 km au large de la capi-tale Conakry, en est infesté : les chercheurs y capturent plus de 100 mouchespar piège et par jour ! Mais, à la différence de la région continentale avoisi-nante, les mouches tsé-tsé sur ces îles ne sont actuellement pas porteuses duparasite pathogène. En supprimant le vecteur de la maladie, les autorités sani-taires entendent empêcher qu’elle réapparaisse. Car ce risque existe bien, enraison de la forte concentration de glossines et des nombreux mouvementsde populations entre les îles et le continent où l’affection sévit. Des visiteursinfectés pourraient, en se faisant piquer, contaminer les mouches insulaires.La maladie du sommeil aurait alors tôt fait d’affecter sérieusement la santédes habitants et de compromettre les activités touristiques et d’élevage por-cin, importantes pour ces îles. Un autre argument plaide en faveur de cetteélimination : elle serait définitive. L’éloignement de l’archipel suffit en effet àisoler ses populations de mouches tsé-tsé de celles du continent, des étudesgénétiques l’ont établi. Les glossines continentales ne devraient donc pasinvestir les lieux après la destruction des mouches autochtones. ●

Le mil :aliment du futurau Sahel

Piégeage de mouches tsé-tsé dans les faubourgs d’une ville de Côte d’Ivoire.

Récolte de milau Niger.

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Explosion du volcan Tungurahua (Équateur).

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

4 È té 2009, la forêt guyanaiseest le théâtre d’un survol bienparticulier. Dans le cadre de la

mission satellitaire Biomass soutenuepar les agences spatiales1, équipesscientifiques2 et opérateurs du domaineaérospatial3 ont réunies leurs compé-

Survol expérimental en Guyane

tences pour mener une expérimenta-tion préparatoire. Biomass est destinéeà fournir une évaluation des densités debiomasse forestière. Cette quantifica-tion est nécessaire pour estimer le tauxde carbone piégé dans ces forêts ycompris dans les mangroves, notam-

R échauffement climatique,surpêche, les méduses profi-tent de ces dérèglements

pour pulluler épisodiquement danstoutes les mers du monde. Si ces proli-férations chroniques font fuir les tou-ristes, elles ont aussi des conséquencessur les écosystèmes marins. Trèsvoraces, les méduses dévorent leslarves des autres espèces, limitant ainsile développement de leurs prédateurset favorisant leur prolifération. Leurimpact économique reste préoccupant

puisqu’elles consomment aussi leslarves de divers espèces commercialiséscomme les moules ou les huîtres.Mieux comprendre ces phénomènes depullulation et leurs conséquences surles écosystèmes est un des thèmes derecherche1 de Marc Pagano, spécialistedu zooplancton à l’IRD et de DelphineThibault-Botha, biologiste associée auCentre d’Océanologie de Marseille. Siles expérimentations se déroulerontdans le sud de la France, la chercheuseprécise que « ce programme Gelamed

permettra de mieux appréhender lesphénomènes observés dans les pays duSud où ces pullulations ont un impactimportant sur les pêcheries artisanaleset les écosystèmes » ●

[email protected]@univmed.frUR Cyanobactéries desmilieux aquatiques tropi-caux peu profonds. Rôles etcontrôles.

« Quels végétaux et systèmesde production durablespour la biomasse dans

l’avenir ? ». Réunis dans le cadre del’atelier de réflexion prospective Vega 1,deux cents experts, dont dix de l’IRD,cherchent à répondre à cette questioncruciale. Financé par l’Agence natio-nale de la recherche, Vega vise donc àl’identification des plantes auxquellesune population humaine croissantefera appel pour se nourrir, se chauffer,se déplacer, se soigner, etc. Un état del’art des connaissances scientifiques,des usages, ainsi que l’estimation desbesoins futurs sont réalisés pourchaque biomasse végétale « utile »,avec dans l’idée que ces futures pro-ductions devront souscrire au tryptique« Économiquement viable, socialementéquitable, écologiquement tolérable ».Une synthèse de l’avancement desneuf premières étapes de cet atelier surles 12 prévues vient d’être livrée à l’is-sue de l’assemblée générale de juindernier. Avec plus de 50 organismesassociés à ce travail, et leurs champs de

compétences propres2, c’est une véri-table approche transdisciplinaire qui sedéploie ici. Les pistes dégagées ferontd’ailleurs l’objet d’appels d’offres à lafin de cet exercice prospectif en 2010.L’un des enjeux majeurs de demainrelève des choix énergétiques à faire.« Pour l’avenir immédiat, deux groupesde molécules retiennent notre atten-tion : les lipides et la lignocellulose,sources d’énergie sous forme d’huilepour le premier et d’éthanol pour lesecond », explique Claudine Campa3

l’une des contributrices à cet atelier.Dans cette perspective, l’utilisation desmicro-algues et de Jatropha curcas pourla production de biodiesel a fait l’objetd’une présentation particulière lors del’assemblée générale. De même pour lessous-produits végétaux (déchets agri-coles et ligneux), excellentes sources debioéthanol grâce à leur richesse en cel-lulose, l’un des composants de la ligno-cellulose qui forme la paroi des cellulesvégétales. Encore faut-il améliorer lestechniques d’extraction, opération ren-due difficile par la présence d’autrescomposés tels que la lignine et l’hémi-cellulose, et mieux connaître les voies debiosynthèse de ces différents composéspour optimiser la production de biocar-burant. De manière plus générale, lesréflexions de l’atelier ont permis desouligner que l’optimisation des pro-ductions nécessiterait des travaux enamélioration génétique. La prise en

compte des pratiques culturales et desconditions environnementales commela qualité des sols ou encore le climat,même pour les espèces végétales déjàexploitées4 sera également essentielledans l’avenir. ●

1. l’ARP-VegA est mené par 20 partenairessignataires publics ou privés dont l’Inra,l’Ademe, l’IFP (organisme public derecherche et de formation) le CNRS, le Ciradet Limagrain.2. biologie végétale ; biologie des micro-organismes ; biotechnologie ; biologie etphysico-chimie des structures végétales ;génie des procédés, qualité et utilisation desproduits ; systèmes de production ; scienceséconomiques et sociales.

3. UMR Diversité et adaptation des plantescultivées.4. Maïs, blé, riz, sorgho, orge, canne à sucre,Miscanthus, bambou, pomme de terre,manioc, betterave, luzerne, tabac, pois,féverole, lin, chanvre, colza, soja, tournesol,coton, arachide, ricin, palmier à huile,peuplier, eucalyptus, pin, saule, robinier,vigne, noyer, olivier, cacaoyer, hévéa, casua-rina.

[email protected] [email protected]

En savoir plushttp://www.inra.fr/arpvega

ment dans le cadre du processus deréduction des émissions des gaz à effetde serre engagé au niveau mondial. Sicette évaluation est désormais connuepour les forêts tempérées, les méthodesde recueil et de traitement des donnéesdoivent être adaptées aux forêts tropi-

Renouvellement de l’accord de siège entre l’IRD et le Benin

L’IRD vient de signer un nouvel accordde siège avec le Gouvernement de laRépublique du Bénin. Au vu des résul-tats positifs de ces six années decoopération scientifique – essor de laproduction scientifique notammentdans les domaines de la santé et du cli-mat, copublications de chercheurs IRD

et béninois, création de master encotutelle internationale, coencadre-ment de thèses de doctorats – les deuxparties ont décidé de renouveler leuraccord pour une durée de six ans, etainsi de faciliter leur coopération enreconduisant des mesures d’exemptiondes droits de douane dont bénéficiel’IRD pour tout matériel importé auBénin mais également en créant desmesures d’exemption fiscale pourl’Institut sur l’achat de matériel ou deservice au Bénin. ●

Accord IRD-CIRAD-IFRAau KenyaLe ministère kenyan de l’Enseignementsupérieur, des Sciences et technologieset les trois instituts de recherche fran-çais au Kenya – l’IRD, le Cirad, et l’Ifra –ont signé le 23 juin une convention-cadre de partenariat. Elle permet dedoter les organismes de recherchefrançais et kenyans d’un cadre légalpour leurs actions conjointe (permis derecherche, accueil des jeunes scienti-fiques, exemptions des taxes sur leséquipements scientifiques…). Elle faci-lite ainsi la mise en place de pro-grammes de recherche communs, etnotamment la sélection d’étudiantskenyans destinés à poursuivre unethèse en France. Premier pas dans lamise en œuvre de cet accord, le kenyasera associé aux travaux d’UMMISCO,l’unité mixte internationale en bioma-thématiques composées de partenairesde l’Union européenne, du Maroc, duSénégal, du Cameroun et du Vietnam.Il pourrait ultérieurement en devenirmembre à part entière. ●

Signature d’un contrat entre l’IRD et l’AFD

L’Agence Française de Développementet l’Institut de Recherche pour leDéveloppement, ont signé, le lundi14 septembre 2009 au siège de l’IRD,une convention sur l’utilisation opéra-tionnelle des données satellitaires pourle suivi de la couverture forestière tropi-cale dans les pays d’Afrique centrale etsur le projet d’implantation d’une sta-tion de réception d’images satellitairesau Gabon. ●

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� Jean-FrançoisGirard etJean-MarieEhouzou,ministrebéninoisdesAffairesétrangères

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� MichelLaurent etJean MichelSeverino,DirecteurGénéral del’AFD.

Quelles plantes pour le futur ?Deux cents experts dans le cadre de l’atelier Vegase penchent sur les plantesqui répondront aux besoinsfuturs de l’humanité en biomasse végétalerenouvelable

Les méduses pullulent

cales, beaucoup plus denses. C’étaitl’objet de l’opération Tropisar, réaliséesur trois sites inventoriés au préalable etreprésentatifs de l’écosystème forestiertropical. Ces sites ont été survolés parun avion Falcon équipé d’un radar àgrande longueur d’onde (bande P)capable de pénétrer la canopée et de« voir » les troncs d’arbres et les grossesbranches. Les premiers résultats del’analyse des données sont attenduspour mars prochain. L’unité Espace et lecentre IRD de Cayenne ont été le sup-port de l’expérimentation. ●

1. Agence spatiale européenne, CentreNational d’Études Spatiales.2. Cesbio (Université Paul Sabatier Tou-louse 3 - CNRS - CNES - IRD), Ecofog (Cirad- CNRS - AgroParisTech - Inra - Université desAntilles et de la Guyane), US Espace (IRD).3. Onera (Office national d’études et derecherches aérospatiales).

[email protected]@ird.frIRD, US Espace

En savoir plushttp://www.esa.int

Miscanthus giganteus, encore appelée « herbe à éléphant ».

Acquisition Radar lors d’un survol du marais de Kaw (Guyane française). L'eau apparaît en sombre tandis quela biomasse végétale est claire.Acquisition Radar lors d’un survol du marais de Kaw (Guyane française). L'eau apparaît en sombre tandis quela biomasse végétale est claire.

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L’homme, le feu et la biodiversité

C omment l’interaction entrel’homme, le feu et la biodiver-sité va-t-elle évoluer dans le

cadre du changement climatique ?L’enjeu est d’importance tant les feuxsont liés aux savanes, écosystèmes lesplus répandus en Afrique, où viventmajoritairement les populations deszones rurales. « Comprendre la problé-matique du feu c’est appréhender ladynamique des savanes et en connaîtrela productivité, l’une des conditions dela survie de l’homme en Afrique del’Ouest », affirme de concert Souley-mane Konaté et AbdourahamaneKonaré, chercheurs ivoiriens1 qui pilo-tent un programme2 financé parRipiecsa. Leur approche s’articuleautour de trois grands axes.Le premier vise à étudier les effets duchangement climatique sur les régimesdes feux dont la fréquence et l’inten-sité pourrait être modifiées. « Nousavons pu mettre en exergue que lerégime de feu était modulé en bonnepartie par la variabilité climatique etque les indices El niño/Enso, liés à latempérature de surface de la mer,contrôleraient à 80 % l’intensité desfeux, explique Abdourahamane Konaré.En analysant, en juin et juillet, les phé-nomènes el niño nous pouvons nousfaire une idée de la qualité des feux àla saison des pluies. » Autre questionmais cette fois sans réponse à cetteheure : en quoi les émissions issues desfeux de brousse ont-ils une influencesur le climat ?Le deuxième grand volet de leurrecherche concerne la réponse de labiodiversité aux incendies. Ils ont ainsipu confirmer que les feux les plus tar-difs – en fin de saison sèche – sont lesplus néfastes. Mais leurs travaux vont

plus loin. « Nos premier résultats indi-quent, au niveau de la station deLamto, qu’une augmentation de l’in-tensité des feux ainsi qu’une variationde leur fréquence affecterait toutes lesclasses d’âges de végétaux et non paspréférentiellement les juvéniles commel’indique la littérature pour les régimesde feu actuels. » Au delà de la flore, lafaune a également été l’objet de toutesles attentions. En observant le compor-tement des insectes, en particulier lesvolants, fourmis ailées, criquets,papillons, mouches etc., ils ont évaluéles stratégies de migrations de ces der-niers vers des zones non brûlées. Cesderniers jouent à court terme le rôle derefuge et, à plus long terme, offre unvivier pour la recolonisation desespaces dévastés par les flammes. Surla base de ces éléments et d’autrescomme la connaissance des espècesanimales ou végétales les mieux adap-tées, l’un des objectifs serait de déve-lopper des stratégies de gestion desfeux pour la conservation de la biodi-versité des savanes dans un contextede changement climatique. Une pers-pective qui remet l’homme au cœur del’histoire. Leurs travaux intègrent d’ail-leurs dans un troisième volet l’analysedes modes d’utilisation des feux par lessociétés humaines et leur adaptationau changement climatique. ●

1. Université d’Abobo-Adjamé et Universitéde Cocody.2. Partenaire : UMR Bioemco.

[email protected]@yahoo.fr

À l’heure où sécheresses et pluies diluviennes s’abattent et se succèdent sur l’Afrique de l’Ouest, relever les défis liés aux changements climatiquess’impose. Le programme Ripiecsa, lancé voilà 2 ans, est l’une des réponses à cet enjeu. Il finance des projets de recherche interdisciplinaire, sur les interactions entre les sociétés les écosystèmes et le climat, dans cette région du monde. La volonté affirmée de promouvoir une coopérationSud-Sud et le leadership des projets confiés aux scientifiques africains fondent par ailleurs la singularité de ce programme. De fait, l’IRD ou d’autres partenaires du Nord (Cirad, Cnrs, universités, Météofrance etc.) n’interviennent qu’en appui.Les thèmes de ce programme – de l’élevage aux techniques agricoles en passant par les écosystèmes ou des approches plus fondamentales sur le climat,etc. – posent la question de l’adaptation aux changements globaux. Ripiecsa complète ainsi le programme AMMA1, plus centré sur les impacts.Au-delà des connaissances produites, il s’agit ici de former une expertise scientifique forte, en lien avec les décideurs et les populations locales. À la clé, l’objectif est bien d’offrir des pistes d’action et des outils d’aides à la décision pour le futur des pays concernés.La préparation du sommet sur le climat à Copenhague montre que l’Afrique n’a pas encore suffisamment les capacités pour peser dans les débats,même si une prise de conscience croissante tant chez ses scientifiques que chez ses politiques se dessine.

1. Analyses multidisciplinaires de la mousson africaine.

R I P I E C S A

Face aux défis climatiques

C ertains pays d’Afrique del’Ouest, tels le Burkina Faso oule Sénégal, s’engagent dans la

culture intensive de Jatropha Curcas L.Connue de longue date, cette planteaiguise désormais les appétits de part sacapacité à fournir une huile transfor-mable en biocarburant. « Mais commentcette plante répond-elle en terme deproduction en regard des différentessituations climatiques rencontrées dansnos régions ? », interroge IbrahimaDiédhiou, enseignant chercheur à l’uni-versité de Thiès au Sénégal. Pour yrépondre ce dernier pilote un projet derecherche financé par Ripiecsa, sur l’éva-luation de l’impact agricole et environne-mental, et l’intérêt économique pour lesménages et les communautés rurales decette plante dans un contexte de variabi-lité et de changement climatiques.L’une des questions phares autour del’usage à grande échelle de ce végétalrelève de sa capacité réelle à se suffire depeu d’eau tout en offrant un bon rende-ment. L’un des premiers enseignementsde ces travaux suggère que la phase dereproduction de la plante est très sen-

sible au manque d’eau. « Il apparaît quela production de Jatropha ne devientintéressante qu’à partir du moment où lapluviométrie est supérieure à 600 mm.En dessous, la plante perd ses feuilles dèsque l’on rentre en saison sèche, constatele chercheur. Ainsi si ces premières obser-vations se confirment, dans le cas duSénégal, sa culture intensive serait peuintéressante dans plus de la moitié dupays, en l’absence d’irrigation. »Un autre pan de cette recherche vise àétudier la diversité de Jatropha dans cetterégion du monde. « Nous observons unetendance à introduire des génotypesvenant d’ailleurs, sans avoir étudié ceuxqui existent localement pourtant mieuxadaptés », relève Ibrahima Diédhiou. Lespremières analyses montrent que lateneur en huile dans les amandes deJatropha de provenance locale, entre 32et 58,61, est compétitive vis-à-vis dumatériel végétal introduit. Ces travauxpourraient d’ailleurs déboucher sur unvaste programme de sélection. Les impacts de la culture de Jatropha surle sol requièrent également toute l’at-tention de l’équipe et de ses parte-

Quelles conditions pour Jatropha ?

naires1. Une campagne d’observationsle long de gradients climatiques vientd’être lancée pour comprendre la rela-tion entre le climat, la culture de cetteplante, les propriétés et les ressourceshydriques du sol. ●

1 UMR Eco&Sols.

[email protected]

F ace au manque d’eau, la capa-cité d’adaptation des produc-teurs sahéliens est essentielle.

Pour recueillir le précieux liquide ces der-niers creusent des trous d’une dizaine decentimètres de diamètre sur quinze deprofondeur, capables d’éviter le ruisselle-ment, et d’accueillir 2 ou 3 pieds d’unplant. Cette technique dite du Zaï (litté-ralement se lever tôt), comme celle descordons pierreux, ou encore des demi-lunes, sont mises au point de manièreempirique dans ces régions pourrépondre aux problèmes de la faible plu-viométrie. Caractériser ces techniques,développer de nouvelles approches dansun contexte de changements globauxsont les principaux enjeux du projetpiloté par Victor Hien et Ablassé Bilgo àl’Institut de l’Environnement et deRecherches Agricoles dans le cadre duprogramme Ripiecsa1.Plus largement, cette recherche vise àmieux appréhender la réponse des agro-écosystèmes aux changements clima-

tiques. « Cela nous a conduit à menerdes études socio-économiques sur toutesles zones sahéliennes ou soudano-sahé-liennes afin de voir, la manière dont lespopulations s’adaptent, les technologiesendogènes ou exogènes adoptées,explique Ablassé Bilgo. Ainsi nous appré-hendons les stratégies de productionagricole et étudions l’impact sur les pro-priétés des sols et notamment en matièred’émissions de gaz à effet de serre2. »Dans ce contexte, l’amélioration de lafertilité des sols par l’apport d’intrantsorganiques et la gestion des eaux de sur-face sont des alternatives de choix pourrépondre à la dégradation des écosys-tèmes dont les producteurs sontvictimes. « Nous testons, par exemple,de nouvelles approches de valorisationdes déchets urbains. La ville de Ouaga-dougou produit environ 350 000 tonnesde déchets par an. Nous essayons devoir si nous ne pouvons pas les utiliser

Au bénéfice des producteurs en agriculture. Concrètement, aprèsavoir fait le tri des déchets nous faisonsdes compostages avec des proportionsdifférentes de cette matière organiqueafin d’élaborer le meilleur mélange,indique Ablassé Bilgo. Déjà nous avonscommencé à tester cela sur le terrain. »L’usage dans les villages des résidusorganiques disponibles est égalementexploré. Copeaux de bois, coquesd’arachide, déjections animales sontainsi réunis pour produire des com-posts en vue d’optimiser les cultureslocales. ●

1. En partenariat avec l’Université deOuagadougou, l’Association Songkoadba deDonsin, la Direction de la Propreté de laMairie de Ouagadougou, l’Institut Séné-galais de Recherches Agricoles et l’Institut deRecherche pour le Développement.2. Avec l’UMR Eco&Sols.

[email protected]@faonet.bf

Ripiecsa en chiffres● 3.5 Millions d’euros financés par le

MAEE et 400 000 par l’IRD

● 23 projets de recherche avec 62 ins-titutions dans 14 pays d’Afrique

● 200 chercheurs et cadres du Sud ● 170 étudiants (thésards, masters,

ingénieurs) ● 23 chercheurs de l’IRD

[email protected]

� Le Jatropha est une euphorbiacéearbustive dontl'huile peut servirde carburant.

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� Compostage.

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L a place des femmes dans larecherche se pose avec uneparticulière acuité dans les

régions du monde où leurs droits fon-damentaux sont peu ou pas reconnus.Comment parviennent-elles malgrétout à relever le défi ? Commentrépondre à leurs besoins ? Autant dequestions au cœur de la formation1 inti-tulée “Research and management skillsfor women in agricultural and biologicalsciences”, financée par la FondationInternationale pour la Science (IFS) et laUnited Nations University Institute ofNatural Resources in Africa. Elle a réuni13 jeunes boursières de l’IFS originairesde divers pays d’Afrique subsaharienne

(Cameroun, Ghana, Madagascar, Nige-ria, Ouganda et Zambie) et 22 cher-cheuses de l’Université d’Egerton,Kenya. L’initiative est partie de cettedernière institution dont certainesenseignantes ont fait le constat du peude visibilité des femmes dans larecherche. D’un précédent atelier orga-nisé par l’Institute of Women andGender Studies à Nairobi, il était res-sorti que les femmes sont géné-ralement sous-représentées dans larecherche et dans les postes à respon-sabilités de la plupart des universitésafricaines.Plusieurs causes à cet état de fait desplus préjudiciables pour l’avancement

des sciences sur le continent africain etpour son développement : le manquede confiance en soi des femmes quigrève la compétitivité de leurs projetsau sein même de leur institution ; leurfaible maîtrise des techniques de ges-tion du temps et l’absence de véritablerecherche collaborative interdiscipli-naire.La formation avait pour principal objec-tif d’aider ces jeunes femmes à s’affir-mer en tant que chercheur et à conci-lier vie de famille et vie professionnelle,une gageure dans ces régions dumonde où les droits des femmesdemeurent bien inférieurs à ceux deshommes.Il s’agissait, en cinq jours, d’apporteraux participantes un complément deformation aux techniques de manage-ment d’équipe et de conduite de projet(gestion du temps, définition d’objec-tifs, etc.). Les trente cinq jeunes sta-giaires ont participé très activementaux différents séminaires proposés ;chaque session théorique était suivie

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

C ‘est en 2002 que s’est consti-tuée, autour de FlobertNjiokou, enseignant à l’uni-

versité de Yaoundé I, et de GustaveSimo, chercheur à l’Institut derecherches médicales et d’études desplantes médicinales de Yaoundé, laJeune équipe Trypanosomose. Ilsavaient tous deux participé aux cam-pagnes de lutte contre la trypanoso-mose humaine africaine et aux pro-grammes de recherche associés

(1996-2000) développés par le minis-tère camerounais de la Santé en parte-nariat avec le ministère français de laCoopération et l’IRD. La petite équipeformée autour de ce premier noyau aobtenu le label JEAI dans le cadre d’unpartenariat avec l’UMR Interactionshôtes-vecteurs-parasites dans lesinfections par des trypanosomatidae.Malgré une phase initiale de synchro-nisation entre les deux structures, unéquipement limité, des compétences à

amplifier en analyse de données, laJeune équipe présentait en 2007 unbilan très encourageant.Outre trois DEA soutenus, deux thèsesen cours, dont une financée surbourse IRD, deux publications et unetroisième sous presse, l’équipe étaitdevenue une référence dans sondomaine à travers un réseau de colla-borations régionales et internatio-nales. C’est renforcée de toutes cesnouvelles compétences et de deuxchercheurs seniors que, la mêmeannée, l’équipe désormais de 9 per-sonnes (dont 3 permanents), rebapti-sée TRYP-YDE (Trypanosomose deYaoundé) soumettait avec succès unprojet AIRES-Sud, (programme du Fondsde solidarité prioritaire) du Ministèredes affaires étrangères et européenneconfié à l’AIRD, dont l’objectif est préci-sément d’apporter un soutien adaptéà des équipes scientifiques stables etreconnues, désireuses de renforcerleurs capacités de recherche et detransfert ainsi que leur visibilité par

Form

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Les femmes dans la recherche en Afrique

Les thèmes scientifiques dela JEAI bolivienne– Télédétection et hydrologie :

évaluation de l’extension (spatialeet temporelle) des zones d’inon-dation et des surfaces affectéespar la déforestation.

– Hydro-géochimie : détermina-tion des variations saisonnières demercure et méthyl-mercure dansles différents compartimentsaquatiques.

– Écologie trophique des sys-tèmes aquatiques (microbialloop, écologies isotopiques,plancton, invertébrés, pois-sons) : Détermination et compa-raison du fonctionnement tro-phique de dix systèmesaquatiques permanents du bassinamazonien bolivien (lacs de plained’inondation) positionnés, parduplicats, sur un gradient dequantité de nutriments. ●

[email protected]

une aide à la diffusion, la valorisation,l’expertise ou la formation.Soutenue depuis 2006 dans le cadred’un partenariat très étroit avecl’équipe de Marc Pouilly (UR BOREA) surune tout autre thématique, la Jeuneéquipe bolivienne Écologie trophiqueet contamination des milieux aqua-tiques de l’Amazonie bolivienne, pilo-tée par le biologiste Danny RejasAlurralde, présentait à mi-parcours unpremier bilan prometteur.Bénéficiaire d’une bourse de laCoopération belge pour sa thèse (Prixde la coopération au développement2005), Danny Rejas est ensuite rentréen Bolivie et s’est vu, en 2009, confor-mément aux accords de coopérationavec l’université, proposer un poste dechercheur à l’Universidad mayor deSan Simon. Pour accompagner soninsertion professionnelle et assurerainsi un ancrage local à la Jeuneéquipe, il a en outre bénéficié d’unebourse d’insertion de l’IRD d’une durée

de deux ans et décroché une boursepour le fonctionnement de la Fon-dation international pour la science.En phase de structuration, l’équipe faitpreuve d’une grande maturité et d’undynamisme qui a amené ses membresà développer des collaborations avecdeux autres universités boliviennes etune américaine, et à participer à plu-sieurs conférences locales et régio-nales, dont une en tant que coorgani-sateurs.L’affectation de Marc Pouilly dansl’unité de limnologie de l’Universidadmayor de San Simon n’est sans doutepas étrangère à l’efficacité du transfertde compétences, de l’animation scien-tifique et de la coordination. Marquede cette attractivité, la JEAI accueilleplusieurs doctorants boursiers de l’IRD

ainsi que plusieurs étudiants du masteren sciences environnementales del’université, soutenu par l’IRD et danslequel la JEAI est très fortementimpliquée. ●

Retour sur l’atelier consacré aux techniques de management en recherche organisé à l’Universitéd’Egerton, au Kenya. Soutenue par la United NationsUniversity Institute of Natural Resources in Africa et la Fondation internationale pour la Science, la formation était co-encadrée par des chercheurs del’IRD, favorisant interactivité et opportunités de réseaux.

de discussions et complétée par desexercices pratiques. Chaque partici-pante a été invitée à présenter sarecherche sous forme de poster, puisde présentation orale. Pour la plupartd’entre elles, il s’agissait d’une pre-mière expérience qui leur a donnéconfiance en elles, suffisammentsemble-t-il pour leur permettre d’envi-sager leur avenir professionnel avecplus de sérénité en se projetant sur deséchéances concrètes, telles que descongrès scientifiques où elles pourrontprésenter leurs travaux.

Trajectoires croisées de deux jeunes équipesDans des domaines très différents et sur deux continents,les JEAI « Étude pluridisciplinaire de la pérennisation et dela réémergence de la Trypanosomiase humaine africaineau Cameroun » et « Écologie trophique dans les milieuxaquatiques de l’Amazonie bolivienne » ont, chacune à leur manière, fait appel à ces outils de maturation et d’autonomisation préconisés dans l’évaluationprospective du programme JEAI.

Les thèmes scientifiques de la JEAI camerounaise– Étude pluridisciplinaire de la pérennisation et de la réémergence de la

Trypanosomiase Humaine Africaine (THA) au Cameroun. – Recherche du Trypanosome gambiense chez les animaux sauvages ou domes-

tiques (chien, porc, mouton, chèvre). – Étude des vecteurs (vecteur majeur Glossina palpalis) – Moyens de lutte contre la maladie du sommeil. ●[email protected]

Fortes de cette expérience, toutes ensont sorties résolues à œuvrer, en dépitde la pénurie de moyens et des pres-sions sociales, au développementdurable en Afrique et ainsi répondre àtrois des Objectifs du millénaire pour ledéveloppement… ●

1. Coordonnée par Jean-Marc Leblanc (IRD)et Nancy Mungai (Université d’Egerton).

[email protected]@ird.fr

Mélange des eaux blanches (rio Cotacajes) et des eaux claires (rio SantaElena) dans le piedmont andin bolivien.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

7

taux », révèle Fabien Leprieur. En

effet, des études ont montré qu’en

moyenne une espèce introduite sur

dix réussissait à s’établir, et que

seule une espèce établie sur dix était

susceptible de devenir envahissante.

C’est ce que l’on appelle « la règledes 10 % ». Mais surtout, on observe

que les populations exotiques vien-

nent à proliférer dans des milieux

aquatiques préalablement dégradés

ou perturbés par les activités

humaines – aménagement du lit des

cours d’eau, pollution, construction

de barrages. Ainsi, elles ne feraient

que prendre une place laissée libre

par les poissons autochtones, et leur

prolifération serait une conséquence

de la dégradation de l’environnement

et de la perte de biodiversité locale.

Cela signifie aussi, qu’en maintenant

l’intégrité physique des habitas

aquatiques, en restaurant la qualité

des eaux et la connectivité des

habitats, on peut limiter l’invasion

par des espèces exotiques enva-

hissantes. Néanmoins, « ilconvient derester pru-dent dans

La prolifération desespèces exotiques depoissons d’eau douce,est plus souvent la

conséquence du déclin de la biodi-versité, que sa cause », soutient

l’ichtyologue Fabien Leprieur1. L’in-

troduction par l’homme de poissons

dans les lacs et rivières est une pra-

tique fort ancienne, remontant au

Moyen-Âge, et qui a explosé à partir

du XXe siècle avec le développement

des transports et des échanges mon-

diaux. « Dans les espaces insulaires,les introductions ont un impact trèsmarqué sur la biodiversité »,

explique le chercheur. Ces milieux

possèdent généralement une faune

aquatique constituée d’espèces

endémiques dépourvues de préda-

teurs naturels. L’arrivée de poissons

exotiques bouscule les équilibres, et

les nouveaux venus ont tôt fait de

supplanter les autochtones. Les

exemples ne manquent pas : le Black

bass, introduit en Nouvelle-Calé-

donie, met en péril Galaxias neocale-donicus, une espèce endémique

aujourd’hui proche de l’extinction.

En Nouvelle-Zélande, l’espèce qui

menace la faune autochtone est la

truite ; à Madagascar, la

carpe commune et le tilapia.

« Mais c’est bien différentdans les milieux continen-

la mesure où les espèces exotiquesenvahissantes et les dégradationsenvironnementales pourraient conju-guer leurs effets sur la biodiversité »concède Fabien Leprieur.

L’enjeu actuel est de parvenir à

gérer efficacement la prolifération

des espèces exotiques et de mainte-

nir l’intégrité des habitats aqua-

tiques, particulièrement dans les

pays du Sud et dans les pays émer-

gents. Le développement de l’aqua-

culture, des aménagements fluviaux

et du commerce des poissons d’orne-

ment s’y accompagne en effet d’un

boom des espèces exotiques dans les

lacs et les cours d’eau. ●

1. IRD, UMR Biologie des organismes et éco-systèmes aquatiques.

[email protected]

[email protected]

Les espèces exotiques envahissantes correspondent à la deuxième cause d’érosionde la biodiversité à l’échelle mondiale selon l’Union internationale pour la

conservation de la nature. Si au Nord le sujet est désormais largement médiatisé,le Sud est également confronté à ce phénomène dont la mondialisation est l’un desaccélérateurs. Au delà de l’enjeu environnemental, les impacts au plan économiquecomme en matière de santé publique sont significatifs. Les questions posées sont

multiples et relèvent de nombreux champs disciplinaires. La compréhension des facteurs à l’origine du succès des espèces invasives constitue l’un des défis

auquel l’IRD apporte ses compétences. Les travaux de recherche entreprisdevraient fournir des outils d’identification rapides des espèces invasives et contribuer à la mise au point de méthodes de surveillance, de contrôle,

voire d’éradication de ces dernières, notamment dans les îles.

Rech

erches

Cause ou conséquence du déclin de la biodiversité

es moustiques, passagers

clandestins dans nos

avions de lignes ne sont

malheureusement pas les

seuls insectes à utiliser les moyens de

transports modernes pour envahir de

nouveaux territoires. Selon Jean-

François Silvain, Directeur de l’unité

de recherche Biodiversite et évolu-

tion des complexes plantes-insectes-

antagonistes il existe même « une cor-rélation entre l’accroissement deséchanges en provenance d’une régionet le nombre d’introduction d’insectesen provenance de cette région ». Si le

XXe siècle est marqué par des envahis-

seurs venus du continent américain –

le doryphore a envahi les campagnes

françaises dans les années 30 – l’Asie

prend le relais et dépasse aujourd’hui

l’Amérique du Nord comme source

d’introduction d’insectes en Europe.

Exemple emblématique, l’arrivée en

2006 dans le Sud-Ouest de la France

du frelon asiatique Vespa velutinaLepeletier. Prédateur de l’abeille

domestique et désormais établit dans

plus de vingt départements français, il

est probablement originaire de Chine

et plus précisément du Yunnan.

Mondialisation des échanges oblige, il

aurait profité d’un commerce de pote-

ries pour effectuer sa migration. Un

consortium de recherche associant le

MNHN, l’IRD, le CNRS et l’INRA s’efforce

d’identifier l’origine précise de cet

insecte et de comprendre les causes

de son succès écologique dans notre

pays.

Largement étudiées au Nord, les inva-

sions biologiques n’épargnent pas les

pays du Sud qui participent de plus en

plus au commerce international favori-

sant l’arrivé d’espèces exotiques. Si

l’installation du frelon asiatique est

une gêne pour un pays comme la

France, « certaines espèces invasivesrisquent d’avoir des effets catastro-phiques pour les pays du Sud »,

explique Jean-François Silvain.

Rhynchophorus ferrugineus, le cha-

rançon rouge des palmiers en fournit

un exemple d’actualité. Ce coléoptère

originaire d’Asie a envahi depuis le

milieu des années 1980 le Moyen-

Orient, puis à partir de 1992 l’Égypte,

l’Espagne et la plupart des rivages

méditerranéens des pays d’Europe,

ainsi que de la Turquie. Originairement

connu comme ravageur du cocotier

Cocos nucifera, le processus invasif

s’est accompagné d’un changement

d’hôte végétal, l’insecte devenant un

ravageur du palmier dattier ainsi que

de nombreux palmiers ornementaux.

Les larves se développant de manière

cryptique à l’intérieur du tronc du pal-

mier, l’invasion est difficile à détecter.

« Généralement, la présence du cha-rançon n’est identifiée que quand lestipe est déjà consommé de l’intérieuret l’arbre impossible à soigner » sou-

ligne Jean-François Silvain. Il incri-

mine le commerce de palmiers d’orne-

ment de favoriser la propagation de

l’insecte et rendre la traçabilité des

migrants difficile à établir. Que ce soit

en Égypte, où il est largement

implanté, ou au Moyen-Orient, l’arri-

vée de cet envahisseur n’impacte pas

que le commerce des plantes d’agré-

ment puisqu’il s’en prend au dattier,

une essence importante d’un point de

vue socio-économique. Décelé fin

2008 sur des palmiers ornementaux à

Tanger, au Maroc, Jean-François

Silvain estime que le charançon fait

courir un risque majeur aux palme-

raies du Maghreb.

Pour mieux évaluer les risques et

éventuellement trouver des parades à

ces envahisseurs, les chercheurs ten-

tent d’identifier le plus précisément

possible la population à l’origine de

l’invasion et son écosystème d’origine.

Des techniques utilisant des mar-

queurs moléculaires, ont permis de

montrer que la population de charan-

çons rouges présente en Arabie

Saoudite, en Égypte et sur la rive Nord

de la Méditerranée est génétiquement

différenciée des populations du

Moyen-Orient. « Les insectes qui ontcolonisé ces deux zones géographiquesne seraient probablement pas issus dela même population source », explique

Jean-François Silvain supposant plu-

sieurs évènements d’introduction de

l’insecte. D’autres données sont en

cours d’analyse, et les premiers résul-

tats indiquent que les différentes popu-

lations présentes en Égypte et sur les

rives Nord de la Méditerranée (de la

Turquie à l’Espagne) ne sont pas dis-

cernables entre elles, ce qui devrait

rendre difficile l’identification de la

source de chacune d’entre elles. ●

[email protected]

UR Biodiversité et évolution des com-plexes plantes-insectes ravageurs-antagonistes.

Quand les espèces invasivess’invitent au Sud

Les insectes profitent de la mondialisation

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Adulte du charançon rouge des palmiers Rhynchophorus ferrugineus, Égypte.

Le lac de retenue de Yaté, en Nouvelle Calédonie, où 19 spécimens de black-bass furent introduits en 1960.Aujourd’hui répandus dans toute l’île, ces poissons sont probablement responsables de la disparition d’une espèce endémique, le Galaxias neocaledonicus.

Black-bass.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

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etite mouche blanche

venue de la zone tropi-

cale, Bemicia tabaci a

récemment envahit tout

le Bassin méditerranéen. Cet

insecte encore appelé aleurode, est

un piqueur-suceur comme d’autres

ravageurs de l’ordre des hémi-

ptères tels que cochenilles, puce-

rons, psylles, punaises etc. Cette

espèce vorace est polyphage mais

apprécie particulièrement les

tomates. Outre les dégâts causés

directement aux cultures, l’aleu-

rode est vecteur de phytovirus très

virulents pour les cultures légu-

mières et ornementales sur tous les

continents. Ainsi son introduction

et son acclimatation ont favorisé

l’apparition, puis la dissémination

rapide de graves viroses sur les

cultures légumières. La tomate,

culture à forte valeur ajoutée, est la

plus fortement touchée, en particu-

lier par le Tomato Yellow Leaf CurlVirus qui peut entrainer la perte

totale de récolte. Face à ce fléau,

un partenariat s’est développé

entre des chercheurs1 du Centre de

biologie et de gestion des popula-

tions de Montpellier et une Jeune

équipe tunisienne (Bemigest) asso-

ciée à l’IRD pour s’attaquer à la

« Gestion du problème Bemisia

Rec

her

ches

es invasions biologiques

d’espèces dites non indi-

gènes, ou exogènes, sont

désormais considérées

comme une des plus grandes menaces

pour la santé publique, écologique et

économique de la planète. Comme

souvent en biologie, la forme et la

taille des organismes les plus grands

donc les plus visibles conditionnent

les modes de pensée et les actions qui

en découlent. Les plus petits envahis-

seurs, que sont les microbes, les virus

et autres micro-organismes, occupent

pourtant une place essentielle, sinon

majeure, à l’heure d’envisager ces

processus.

Ainsi, certaines espèces invasives

véhiculent de nombreux agents res-

ponsables de maladies. Répertorié en

1953-54 en Afrique continentale, le

virus responsable du Chikungunya

s’est répandu en 2005-2006 à l’Île de

la Réunion en se servant du vecteur

Aedes albopictus lui-même d’origine

extérieure à cette île. Parfois, des

oganismes vivants intentionnellement

importées pour l’agriculture, l’horti-

culture ou l’élevage de nouveaux

animaux de compagnie, ont pu

s’échapper vers des espaces naturels

déversant aussi des agents infectieux,

dont ils étaient les réservoirs, vers

des populations démunies de toute

résistance. L’histoire des introduc-

tions d’espèces en Amérique du Nord

regorge ainsi d’exemples démontrant

l’importance des parasites et autres

pathogènes invasifs dans la régu-

lation des faunes endémiques. La

colonisation de ce continent par les

Européens aura eu le même effet

sur l’extermination de populations

natives par les maladies qu’ils véhi-

culaient !

La mondialisation a engendré une

explosion des transports transconti-

nentaux, et cette mobilité accrue est

aussi vraie pour les animaux, les

plantes, et les nombreux passagers

clandestins dont ils peuvent être les

hôtes habituels. L’écologie des

maladies infectieuses se préoccupe

aujourd’hui de comprendre les consé-

quences des échanges planétaires de

biens et de personnes dans la ren-

es « ennemis » sont nom-

breux, sur terre comme

sur mer, végétal ou ani-

mal. En Nouvelle-Calé-

donie, ils se nomment cerfs rusa ou

cochons sauvages, tortues de Floride

ou encore merles des Moluques.

Mais les plantes ne sont pas en

reste, avec plus de 2 002 espèces de

plantes introduites sur cette île d’où

la mise en place d’une action sur les

espèces végétales exotiques enva-

hissantes, au laboratoire de bota-

nique et d’écologie végétale appli-

quées de l’IRD Nouméa. « Avec 76 %d’espèces végétales endémiques,

rappelle Vanessa Hequet, en charge

de ce projet, la Nouvelle-Calédonieabrite une flore exceptionnelle,aujourd’hui menacée par le dévelop-pement de nombreuses espèces exo-tiques envahissantes. »C’est le cas de l’agave, qui « fait par-tie de nos jours du paysage calédo-nien », alors qu’elle fut en réalité

introduite en 1866 comme plante à

fibres par Pancher, lors de l’exposi-

tion inter-coloniale de Melbourne.

Cette espèce, présente dans tous les

milieux dégradés sur terrains non

miniers, bloque la régénération

naturelle des autres plantes en for-

mant des tapis denses impéné-

trables. Elle colonise les terrains

ouverts et rocailleux de manière

agressive.

Autre exemple, le lantana, qui aurait

été importé d’Australie à Wagap

comme plante ornementale, puis

acclimaté à la mission de Saint-

Louis vers 1868. Cet arbuste épi-

neux peut atteindre une dizaine de

mètres de hauteur et reste malheu-

reusement apprécié pour ses fleurs

aux couleurs flamboyantes et

variées, allant du rouge au jaune.

« Et pourtant, avertit Vanessa

Hequet, le lantana est particulière-ment envahissant dans les cultures

Les îles, ces écosystèmes fragiles’outremer français avec

ses centaines d’îles

héberge une biodiversité

de première valeur mon-

diale. Mais ces milieux insulaires

présentent également une fragilité

écologique considérablement accrue

par rapport aux écosystèmes conti-

nentaux. Structures écologiques

incomplètes, comme par exemple,

l’absence de prédateurs pour cer-

taines espèces, tailles des popula-

tions et aires de distributions

réduites et faible connectivité biolo-

gique avec les écosystèmes voisins

en font des espaces particulièrement

vulnérables aux invasions biolo-

giques de toutes sortes.

Sciemment ou involontairement

introduites sur ces îles, de nom-

breuses espèces étrangères ont fait

souche et prospéré à l’excès, entraî-

nant de profonds bouleversements au

sein des écosystèmes et des popula-

tions d’origine peu « armés » face à

ces envahisseurs. « Prédation sur lesespèces indigènes, dégradation ducouvert végétal, érosion des sols,compétition pour l’espace et les res-sources, transmission de parasites etd’agents pathogènes, ou encore

modifications des interactions bio-tiques, sont quelques-uns des effetsles plus délétères occasionnés parces espèces invasives », explique

Eric Vidal, spécialiste en biologie de

la conservation à Institut Méditer-

ranéen d’Écologie et de Paléo-

écologie. Sur les quatre derniers

siècles, les extinctions d’espèces ont

été soixante fois plus fréquentes au

sein des espaces d’outremer qu’en

métropole, et près de 1 000 taxons

terrestres présents sur les îles fran-

çaises d’outremer sont répertoriés

par la liste mondiale des espèces

menacées de l’UICN1. Pour Eric Vidal,

« la responsabilité de la France estnon seulement évidente mais incon-tournable, ses îles concentrant unepart importante des espèces les plussérieusement menacées d’extinc-tion ». Ainsi, plus d’une quarantaine

d’espèces d’oiseaux, souvent endé-

miques, présentes sur les îles fran-

çaises d’outremer sont actuellement

considérées comme menacées d’ex-

tinction à court terme du fait de

l’impact exercé par des vertébrés

introduits.

« La situation qui prévaut enPolynésie française où les taux d’en-

Histoire de nouvelles rencontres !

Haro sur les tomates

Un enjeu pourla biodiversitécalédonienne

contre de populations hôtes invasives

avec des agents pathogènes rési-

dents, ou d’agents pathogènes inva-

sifs avec des faunes ou des flores

endémiques.

Les invasions d’espèces sont aujour-

d’hui des phénomènes mondiaux,

mais elles apparaissent plus fré-

quemment dans les îles et les pénin-

sules conformément à deux théories

écologiques aujourd’hui anciennes.

La première théorie, dite insulaire,

décrite dans les années 60 par

MacArthur et Wilson indique, entre

autres, que de nombreuses niches

écologiques sont vacantes dans les

îles et les péninsules, et qu’une inva-

sion biologique, si elle réussit, pourra

bénéficier de cette absence. La

seconde, due à Elton au cours de la

décade précédente, précise que les

biomes riches en espèces sont moins

permissifs aux invasions biologiques ;

c’est peut être pour cette raison que

nous observons moins de succès

d’invasions dans les zones inter-

tropicales, mais cependant ce sont

aussi des régions pour lesquelles

nous possédons moins de données.

Comme dans l’exemple du Chikun-

gunya à la Réunion, assisterons-nous,

à l’avenir, à plus d’épidémies émer-

gentes dans les îles ? La théorie éco-

logique prédit que oui ! ●

[email protected]

UMR Génétique et Évolution desMaladies Infectieuses

démisme atteignent des records estdes plus alarmantes », souligne Eric

Vidal, pour qui « les situations d’ur-gence liées aux espèces invasives foi-sonnent ». Il en appelle à « intensifierles actions de recherche et d’exper-tise pour diagnostiquer ces situationsà risque, comprendre les méca-nismes écologiques et démogra-phiques en jeux et hiérarchiser lespriorités d’intervention ». Ces inter-

Quand les espèces invas

Quand Felis silvestris catus, notrechat domestique retourne à l’étatsauvage, il change non seulementde nom pour s’appeler le chat« haret », mais devient un préda-teur dévastateur pour nombre d’es-pèces indigènes. Une synthèsemondiale à laquelle a participé l’IMEP

dresse un bilan complet des consé-quences de son introduction sur lesrisques d’extinction d’espèces indi-gènes des îles de la planète. Notre

cher matou impacte plus de150 espèces de vertébrés insulaires,considérées comme sévèrementmenacées d’extinction globale. Surles 400 dernières années, le chatharet serait impliqué dans l’ex-tinction définitive d’au moins32 espèces de vertébrés insulairesendémiques, majoritairement desoiseaux, notamment des passe-reaux et des pétrels des îles duPacifique. ●

Espèce invasive : le chat !

ventions passent notamment par le

développement de programmes dits

de « biosécurité » pour détecter et

prévenir les invasions, ainsi que par

des opérations de restauration écolo-

gique et d’élimination ou de contrôle

des populations invasives. Elles sont

couplées à des actions complémen-

taires de conservation des espèces

menacées et associées à un suivi des

réactions de l’écosystème et des

populations cibles. « L’établissementde partenariats avec les acteurslocaux de l’environnement est indis-pensable pour garantir que lesrecherches débouchent sur desactions locales de préservation de labiodiversité », souligne Eric Vidal. Le

chercheur insiste encore sur la

récente création du GOPS2, dont l’IRD

est un des partenaires, qui devrait

efficacement contribuer au dévelop-

pement des recherches consacrées

aux espèces invasives dans les îles

françaises du Pacifique Sud. ●

1. Liste rouge des espèces menacées, éditéepar l’Union Internationale pour la Conser-vation de la Nature2. Grand Observatoire de l’environnementet de la biodiversité terrestre et marine duPacifique Sud

[email protected] Institut Méditerranéen d’Écolo-gie et de Paléoécologie

en cultures légumières ». Sans

remettre en cause fondamentale-

ment l’utilisation des insecticides,

il s’agit de limiter l’impact de rava-

geur-vecteur sur la production de

tomates dans un contexte de viabi-

lité économique et de durabilité des

pratiques agricoles, conformément

aux exigences nouvelles de qualité

et de respect de l’environnement.

Concrètement, les recherches2 sont

centrées sur la dynamique spatio-

temporelle des interactions Bemisia-

biodéfenseurs, la structuration

génétique (cette espèce possède

une grande diversité génétique) et

la biodémographie des populations

de Bemisia et des auxiliaires de

lutte, l’épidémiologie du couple

Bemisia-Tomato Yellow Leaf CurlVirus et enfin sur l’élaboration et

l’optimisation des stratégies de

protection biologique intégrée. ●

1. Génétique des populations, dynamiquedes populations, épidémiologie.2. Financées par un projet ANR intituléBemisiarisk (2007-2009) et un financementÉtat-Région intitulé Climbiorisk (2008-2010)

ContactOlivier Bonato, UMR Centre de biolo-gie et de gestion des populations,

[email protected]

L'aleurode est une petite moucheblanche de quelques millimètres de long.

Todiramphus Gambieri en dangercritique d’extinction sur la listerouge de l’UICN. Il ne survit plusqu’à Niau ayant disparu desGambier. Ses effectifs s’élèvent à120 individus.

Agave.

Les biomes riches en espèces apparaissent moinspermissifs aux invasions biologiques par d’autresespèces, mais aussi à celles d’agents pathogènes.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

l’heure où la déforesta-

tion menace l’équilibre

global, des arbres peu-

vent se montrer extrê-

mement envahissants ! « Plusieursespèces ligneuses, endémiques ouallochtones, arrivent à coloniser lespâturages de façon incontrôlée »,

explique Séraphine Grellier, éco-

hydrologiste1. Le phénomène est lié

au sylvopastoralisme, un mode

ancestral d’exploitation du milieu qui

tend à se répandre depuis une ving-

taine d’années. Cette pratique, asso-

ciant des arbres à un pâturage, pré-

sente bien des avantages lorsqu’elle

est choisie et contrôlée. Elle permet

d’accroître la productivité et la bio-

diversité, de maintenir le patrimoine

« sol », et de restreindre l’usage

d’engrais ; éléments favorables au

développement durable. « Mais laprésence d’arbres dans le pâturage

peut ne pas être volontaire, et dansce cas, le moindre déséquilibre dansla gestion agropastorale peut se tra-duire par la prolifération d’une ouplusieurs espèces de ligneux ». Les

zones où la pression pastorale s’in-

tensifie – quand le nombre de bêtes

à l’hectare augmente par réduction

de la surface disponible – et où la

gestion des terres devient difficile,

sont particulièrement exposées. Ce

sont bien souvent les populations les

plus pauvres qui voient ainsi leurs

ressources compromises. Citant

l’exemple de la région sud-africaine

du Kwazulu-Natal, Jean-Louis

Janeau, pédologue1, explique com-

ment l’invasion par l’acacia modifie

la ressource en sol, herbe et eau et

met donc en péril la principale acti-

vité des Zoulous, à savoir l’élevage.

« Là où quarante ans auparavant onne voyait qu’herbe, les pâturages

Des arbres très envahissants

doivent être maintenus, car « lesgraines sont viables plus de dix ans», souligne Vanessa Hequet, qui rap-

pelle que le miconia a ainsi couvert «60 % de la surface de Tahiti ».

Une synthèse actualisée des espèces

végétales introduites en Nouvelle-

Calédonie ayant pour base la mise à

jour du catalogue des plantes intro-

duites de MacKee est en cours, ainsi

que la cartographie de ces espèces,

selon un maillage de 5 km pour les

sites côtiers fréquentés et acces-

sibles, de 10 km pour les sites de

l’intérieur de la chaîne. Un long tra-

vail de fourmi, car la reconnaissance

des espèces de plantes envahis-

santes et l’estimation de leur cou-

verture d’infestation exigent d’avoir

un œil exercé et sûr. Il est ainsi

important que ce soit « le même

observateur » qui se charge d’esti-

mer la densité d’infestation d’une

zone, pour éviter trop de variabilité

inter-opérateurs. Ces travaux visent

également à constituer à terme un

service opérationnel de veille et de

lutte permanente, pour détecter le

plus tôt possible tout nouveau cas

d’invasion biologique. Un groupe de

lutte contre les espèces exotiques

envahissantes a d’ores-et-déjà été

créé pour mettre en place une cam-

pagne de sensibilisation à cette thé-

matique. ●

[email protected]

[email protected]

et les pâturages sur sols riches, où ilréduit la valeur agricole des terres ».

En Australie, les services environne-

mentaux en sont venus à tester une

quarantaine d’agents biologiques

pour contrer ce fléau végétal, parmi

lesquels des hémyptères (famille des

cigalles, cochenilles et punaises).

Face à ces pestes invasives, les

mesures de restauration des milieux

s’affinent. La préservation d’une

forêt en Province Sud, menacée par

le miconia, a été entreprise récem-

ment par des actions médiatisées de

désinfestation par coupe ou empoi-

sonnement des plants. Cependant,

ces efforts de surveillance et de lutte

Rech

erches

ne souche asiatique de

trypanosome a été re-

trouvée dans des rats

collectés au Niger dans

des villages pourtant isolés.

Comment est-elle arrivée là ? Le rat

noir, Rattus rattus, originaire d’Asie,

s’est propagé à travers le monde

avec l’Homme, suivant ses migra-

tions, probablement transporté par

ses navires et ses camions. Bien que

le rongeur ait atteint tous les conti-

nents à l’exception des pôles, l’his-

toire de cette colonisation – en par-

ticulier l’invasion de l’Afrique –

reste mal connue.

Pourtant, le rat noir est susceptible

de voyager avec des hôtes peu dési-

rables puisqu’il est le réservoir de

nombreux pathogènes humains

comme les agents de la peste, des

différents typhus, de la leptospirose,

etc. Dans le cadre de travaux de

prospection sur la diversité des

faunes de rongeurs au Niger, des

Le rat, la pirogue et le trypanosome

sont aujourd’hui transformés ensavane de plus en plus arborée »,

déplore-t-il.

L’enjeu des recherches sur le sylvo-

pastoralisme est de trouver des solu-

tions de gestion de l’environnement

permettant de préserver cette res-

9

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D/G

. Dob

igny

vasives s’invitent au SudInsectes ravageurs en Équateur

mportées d’Amérique

centrale et du Pérou il y a

30 ans, les teignes de la

pomme de terre ont colo-

nisé tout l’Équateur en seulement

quelques années. Ces petits papillons

gris, dont les larves se nourrissent de

la chair de leur hôte jusqu’à le trans-

former en amas de poussière, sévis-

sent tout au long de l’année. En effet,

les pommes de terre, au 5e rang des

productions vivrières du pays, sont

cultivées en permanence du fait de la

faible saisonnalité. Transformés en

une mosaïque de champs de tuber-

cules à différents stades de matura-

tion, les paysages agraires de la

sierra constituent ainsi un terrain

particulièrement propice à la prolifé-

ration des ravageurs.

Aujourd’hui, trois espèces coexistent.

Et d’autres risquent d’envahir à leur

tour l’Équateur. Mais comment expli-

quer cette invasion biologique ?

Situés entre 2 200 et 3 700 m d’alti-

tude, les champs équatoriens offrent

une multiplicité d’habitats et de

microclimats. « La faible compétitionentre les espèces permet à celles déjàprésentes de proliférer, mais aussi àd’autres invasifs de s’implanter surces territoires », explique Olivier

Dangles, chercheur à l’IRD et co-

auteur de l’étude1. De fait, l’équipe de

chercheurs2 vient de montrer que

chacune des trois espèces de teignes

possède une tolérance spécifique au

froid et se répartit ainsi le long des

flancs montagneux en fonction de l’al-

titude. « Avec le relief pentu, le fortgradient de températures augmentela ségrégation spatiale des espèces lelong de l’axe vertical », renchérit

l’écologue. Chacune occupe alors un

espace qui lui est propre.

Étroitement lié à la température, le

risque d’invasion évoluera probable-

ment avec les rapides changements

climatiques annoncés dans les

Andes. Dans ce contexte, le pro-

gramme international Innovaciónpara el Manejo Integrado de Plagas3,

mené par l’IRD, permettra de prévoir

la répartition géographique des

teignes, pour une meilleure gestion

de la menace liée à ces ravageurs.

À plus court terme, l’intense com-

merce de la pomme de terre dans la

région nord andine, en constante

augmentation, favorise le développe-

ment des envahisseurs. « En l’ab-sence de réelles mesures préven-tives, comme c’est le cas enÉquateur, ces échanges commer-ciaux constituent une source poten-tielle de nouvelles espèces de rava-geurs », s’inquiète le chercheur. ●

1. Dangles et al. (2008) Ecological Appli-cations.2. Ces travaux ont été réalisés par des cher-cheurs de l’IRD et de la Pontificia Uni-versidad Católica del Ecuador (PUCE).3. Ce programme, coordonné par l’IRD encollaboration avec des partenaires équato-riens, péruviens et boliviens, sera mis enplace à l’automne 2009.

[email protected]

source, en tenant compte des

besoins et des traditions des popula-

tions concernées. Les pratiques cul-

turales, comme l’écobuage – les feux

de brousses –, et la pression du

bétail semblent en effet jouer un rôle

prépondérant dans le processus qui

conduit à l’invasion des pâturages

par les ligneux. « Mais nous connais-sons encore peu les conséquencesdu sylvopastoralisme sur l’écologieet l’hydrologie des pâturages »,

constate nos scientifiques. Les

arbres, qui ont un accès à l’eau par-

ticulier grâce à leurs racines pro-

fondes, pourraient ainsi modifier les

bilans hydriques à l’échelle du bas-

sin versant. Ils ont aussi un impact

sur les propriétés du sol, en l’enri-

chissant en azote et en limitant l’éro-

sion hydrique. Le rôle précis des

arbres qui font partie de cet écosys-

tème à l’équilibre précaire, reste à

élucider. ●

1. IRD, Unité Sols, usages des terres, dégra-dation, réhabilitation et UMR 7618Biogéochimie et écologie des milieux conti-nentaux.

[email protected]

[email protected]

chercheurs du Centre de Biologie et

de Gestion des Populations (CBGP)

ont piégé des rats noirs dans des vil-

lages du sud-ouest du pays, le long

du fleuve Niger où cette espèce

n’avait jamais été repérée. Compte

tenu du fait que le rat noir est stric-

tement commensal (inféodé aux ins-

tallations humaines) dans ces

régions et que ces villages sont mal

desservis par les routes, les scienti-

fiques soupçonnent que le trafic

piroguier joue un rôle important

dans la dissémination de ces

R. rattus. Venue en renfort, une

équipe du CHU de Créteil* a analysé

les organes de ces rats et mis en

évidence la présence de trypano-

somes – agents pathogènes respon-

sables entre autres de la maladie du

sommeil – chez deux tiers des ani-

maux étudiés. L’identification spéci-

fique de ces protozoaires restant

très délicate, des analyses phylogé-

nétiques plus poussées ont montré

que les rats noirs du sud Niger sont

porteurs de Trypanosoma lewisi,une souche connue pour être

typique des Rattus asiatiques. Plus

inquiétant, les séquences ADN des

souches nigériennes étaient iden-

tiques à celles des trypanosomes

isolés chez un patient sénégalais

décédé en 2008 suite à une infection

par T. lewisi. Autrement dit, ces

données, en cours de publication,

démontrent l’importation et la dissé-

mination en Afrique de l’Ouest de

trypanosomes exotiques et patho-

gènes pour l’homme via l’invasion

des rats noirs, elle-même stricte-

ment associée aux activités

humaines. Poussé par ces premiers

résultats, les chercheurs du CBGP et

plusieurs de leurs collaborateurs

ont décidé d’étendre leurs prospec-

tions à une gamme plus large de

pathogènes humains circulant

potentiellement sur les rongeurs

africains comme sur le rat noir. ●

* CHU Créteil, Faculté de Médecine,Laboratoire de Parasitologie-Mycologie.

[email protected]

UMR Centre de Biologie et de Gestiondes Populations.

Dissection d’un rat noir sur le terrain.

Femmes Zouloues ramassant du bois dans des pâturages.

Larve deT. Solanivora.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

10

paux pays producteurs de cette

importante plante vivrière en

Afrique de l’ouest, Océanie, Asie,

Caraïbes et Amérique. Financé par

la fondation Bill et Melinda Gates, il

est réalisé en collaboration.

L’efficacité de différentes techniques

de cryoconservation est en cours de

comparaison au Centre IRD de

Montpellier pour la congélation de

bourgeons prélevés sur des plants

d’ignames maintenus en culture invitro. À l’état congelé, les processus

biologiques sont arrêtés, ce qui per-

met de conserver le matériel végétal

sans altération pour des périodes

théoriquement infinies. Une fois la

technique optimisée, elle sera trans-

férée à l’Institut international d’agri-

culture tropicale où, avant son appli-

cation à grande échelle, elle sera

testée sur une gamme de variétés

représentative de la diversité géné-

tique présente dans la collection.

Cette recherche sera prolongée dans

le cadre du projet Arcad (Agropolis

resource center for crop conserva-

tion, adaptation and diversity). ●

1. organisme dont la mission est de garan-tir la conservation et la disponibilité de ladiversité des cultures pour la sécurité ali-mentaire mondiale2. sur financement de la fondation Bill etMelinda Gates3. palmier à huile, cocotier, palmier dat-tier, manioc, igname, canne à sucre,hévéa, agrumes, cotonnier

[email protected]

Comment conserver l’igname à long

terme ? « Dans l’azote liquide à– 196° C, répond Florent Engelmann

chercheur à l’unité Diversité etadaptation des plantes cultivées.L’igname est une espèce à reproduc-tion asexuée, d’où l’impossibilité decompter sur des banques de graines.La cryoconservation est aujourd’huila seule option sûre et économique ».

Cette technologie est au cœur d’un

programme de recherche mené par

l’IRD, en collaboration avec l’Institut

international d’agriculture tropicale

(Nigéria) qui est responsable de la

collection mondiale des ressources

génétiques d’ignames, à la demande

du Global Crop Diversity Trust

(Italie)1-2. Ayant développé des tech-

niques de congélation pour de nom-

breuses espèces tropicales3 depuis

plus de 20 ans, l’IRD est aujourd’hui

l’un des leaders mondiaux dans ce

domaine. Le projet de cryoconserva-

tion de l’igname intéresse les princi-

Entre sauvage et cultivé,les ignames

La réputation de Madagascar en

matière de biodiversité n’est plus à

faire. À l’image de celle des caféiers,

des baobabs ou des palmiers, la

richesse taxonomique des ignames

sauvages malgaches se révèle excep-

tionnelle, avec environ 10 % des

espèces du genre Dioscorea qui en

compte plus de 400. « Or, les diffé-rentes populations, arrivées tardive-ment sur l’île avec le riz, le taro etl’igname cultivée Dioscorea alata,n’ont pas domestiqué les espèceslocales d’ignames, rapporte SergeTostain, chercheur à l’IRD. Pourtantcelles-ci sont toutes comestibles etadaptées à la variété des niches écolo-giques de la grande Ile ». L’une des

explications vient sans doute du fait

que non seulement leur cueillette n’est

pas considérée comme une activité

noble, mais leur mise en culture elle-

même fait l’objet de tabous. En effet, si

l’exploitation des produits forestiers

non-ligneux est une activité saison-

nière ancestrale à Madagascar pen-

dant les périodes de soudure ou de

disette, ce sont principalement les

paysans pauvres qui collectent les

ignames sauvages. Les enquêtes

ethnobotaniques pratiquées de 2006 à

2009 dans le cadre du programme

« Oviala1 » (littéralement tubercule

trouvé en forêt) ont permis de recen-

ser ces pratiques et d’inventorier les

espèces présentes dans le sud-ouest

malgache. L’inventaire a révélé une

vingtaine d’espèces endémiques, la

plupart endémiques. Certaines sont

encore mal décrites voire inconnues et

leurs aires de répartition approxima-

tives. Madagascar s’est séparé du

continent africain voilà des millions

d’années et malgré la proximité de la

côte ouest, cet éloignement suffit à

produire une divergence – appelée

spéciation – entre les espèces. À l’in-

térieur de l’île, ce même processus est

à l’œuvre lorsque des individus de

forêt se retrouvent séparés par des

zones de savane, l’isolement géogra-

phique entraîne une isolation géné-

tique. Les chercheurs ont fait appel à

des marqueurs nucléaires et cytoplas-

miques afin de démêler les parentés

entre les ignames locales. Les résul-

tats, obtenus au centre IRD de

Montpellier en collaboration avec le

Centre National de Recherche Appli-

quée au Développement Rural de

Madagascar, montrent une structure

génétique comportant plusieurs

groupes d’espèces, ce qui indique sans

doute qu’à la séparation d’avec

l’Afrique, plusieurs espèces se sont

retrouvées piégées sur l’île. Des ambi-

guïtés de détermination dues aux

noms vernaculaires ont pu être levées.

Par exemple les ignames appelées

Oviala dans le sud sont en fait deux

espèces différentes Dioscorea macibaet D. alatipes. Au contraire, des

Rec

her

ches

Environ 300 millions de personnes dépendent de la culture de l’igname pour leur alimentation ou leurs revenus. Quelles adaptabilités au changement

climatique, quels moyens de conservation de cette plante à tubercules dont Madagascar recèle une grande richesse de variétés ?

Des ignames dans l’azote Diversité des ignamesmalgaches

Plasticité ou sexualité ?Après chaque récolte d’igname, les

paysans conservent des fragments

de tubercules à replanter dans leurs

champs. Cette technique agricole

n’est cependant possible qu’en rai-

son de la propriété de l’igname à se

reproduire par voie asexuée. Seul

hic, la reproduction sexuée – bras-

sage des patrimoines génétiques –

est considérée comme un des

moteurs de l’adaptation des orga-

nismes vivants. Comment ce type de

plante pourra-t-il alors s’adapter à

des changements importants comme

ceux liés au climat ? En prenant

comme modèle l’igname pour

répondre à cette question, Nora

Scarcelli a tout d’abord démontré

que la reproduction sexuée n’est pas

complètement absente chez cette

plante. Ainsi, les agriculteurs béni-

nois introduisent-ils de temps en

temps dans leurs champs des

ignames sauvages qui sont, elles,

issues de graines. Le recours à la

simulation informatique devrait per-

mettre d’en savoir plus. Cette

approche offre la possibilité de

quantifier l’impact de la reproduc-

tion sexuée sur la diversité et les

capacités adaptatives des ignames.

À la clef, de précieuses informations

sur la proportion entre ignames sau-

vages et cultivées à utiliser pour

obtenir les meilleures chances

d’adaptation, ou encore sur le

rythme optimal de renouvellement

du stock génétique.

Si les observations empiriques pay-

sannes suggèrent une « transforma-

tion » des ignames sauvages en

ignames cultivées une fois dans

leurs champs, faut-il encore le

démontrer scientifiquement… « il

Parmi les espèces sauvages, ce sontsurtout les tubercules de l’espèceD. maciba qui sont collectés puis ven-dus sur les grands marchés hebdoma-daires à la fin de la saison des pluies.Cette activité entraîne aujourd’huiune surexploitation de ces végétaux.L’accroissement démographique etle développement du commerce desproduits forestiers non-ligneuxpèsent sur la ressource : la questionde leur conservation et de la gestion

Tubercules de survie

durable des populations d’ignamescommence à se poser. Certaines pra-tiques, comme le déterrage destubercules avant la fructification dela plante menacent la survie decertaines espèces. La culture d’es-pèces domestiquées, la conservationin situ en fôret et en lisière de fôretainsi que des essais de domestica-tion pourraient diminuer la fortepression anthropique sur les espècessauvages. ●

ignames nommées différemment à

l’est et au nord se révèlent génétique-

ment semblables. Cet imbroglio phylo-

génétique s’éclaircira lorsque l’étude

sera étendue à l’ensemble du pays et à

l’aide de nouveaux marqueurs géné-

tiques en cours de caractérisation. Les

chercheurs sont également très inté-

ressés par la comparaison du proces-

sus de spéciation des ignames avec

celui des caféiers à Madagascar et des

palmiers d’Amazonie. En effet, si ces

groupes végétaux ont en commun de

comporter de très nombreuses

espèces en un même lieu, les méca-

nismes qui en sont responsables

peuvent différer. « Signe de synergieentre scientifiques, ONG, décideurspublics et bailleurs de fonds, leGroupe d’étude et de valorisation designames de Madagascar vient d’êtrecréé lors du colloque2 organisé àToliara » se félicite Serge Tostain. ●

1. En partenariat avec l’Université deToliara2. Colloque « Les ignames malgaches, valo-risation et conservation » (Toliara, Mada-gascar ; 29-31 juillet 2009). Organiséconjointement par l’Université de Toliara,l’Université d’Antananarivo, le projet CropWild Relatives/FOFIFA, et l’IRD avec l’appuifinancier de l’IRD, de l’AUF et duCWR/GEF/FOFIFA ;http://www.mpl.ird.fr/ignames-madagascar/

[email protected]

nous reste à retracer le processusqui conduit de l’une à l’autre et l’onpourra alors parler de plasticitémorphologique », explique Nora

Scarcelli. Pour l’heure, le constat

révèle que les plants sauvages et

cultivés présentent des caractéris-

tiques morphologiques différentes.

« Les tubercules sauvages sont

ramifiés tandis qu’ils sont uniques

chez les ignames en champ ou

encore que la couronne de racines

épineuses protectrice n’existe plus

sur les ignames cultivées. »

En somme, tester si ces tubercules

sauvages sont réellement cultivables

et mesurer en quelles proportions les

deux mécanismes – sexualité et plas-

ticité – participent à l’adaptabilité

des ignames cultivées constituent

des enjeux forts de cette recherche.

À terme, les résultats auront des

implications sur la définition de stra-

tégies de conservation et d’utilisation

de la diversité de ces végétaux1. ●

1. atelier international sur l’agrobiodiver-sité des ignames qui sera co-organisé parl’IRD et le Cirad en novembre 2009 àMontpellier.

[email protected]

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Bourgeons d'ignames encapsulés aprèscryoconservation dans l'azote liquide.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

Sciences au Sud : Quels sont les principaux enjeux en matière de valorisation des technologies et des savoir-faire en Afrique ?

Paulin Edou Edou : L’un des défisactuels que doit relever l’Afrique est defaire face à la pauvreté en mettant enplace des politiques susceptibles d’assu-rer la croissance économique nécessaireà son développement. L’OAPI et ses Étatsmembres prennent de plus en plusconscience de l’intérêt que repré-sentent l’invention et l’innovation tech-nologique dans un tel processus. La valorisation d’une technologie apour objectif principal de produire desinnovations rentables. C’est un aspectincontournable dans l’évaluation d’uneinvention puisqu’elle permet d’estimerle potentiel de revenu de cette inven-tion dans un marché concurrentiel.C’est un processus complexe quirequiert des connaissances profession-nelles spécialisées. Il faut réaliser desétudes prospectives de marché desti-nées à valider et à analyser les forces etfaiblesses de l’invention ainsi qu’à com-parer l’innovation qui en découle avecles tendances du marché et del’environnement. Ces études devrontégalement identifier les acteurs du mar-ché, la structure et le niveau de prix del’innovation.La valorisation est donc un moyen quipermet de connaître, à terme, quellessont les technologies qui présentent unintérêt économique pour le développe-ment d’un pays. Elle conduit à une prisede décision en matière d’investissementsur une technologie et offre plus géné-ralement, si les conditions sont réunies,un cadre institutionnel propre à encou-rager l’investissement, y compris étran-ger. En d’autres termes, la valorisationd’une technologie transforme celle-cien un produit commercialisable et dontla complexité requiert des compétencestechniques spécialisées. Sa commerciali-sation, phase finale du processus, estdéterminante pour tout succès.

SAS : Qu’attendez-vous d’uneaction de coopération en matière detransfert de technologies avec l’IRD ?

PEE : La récente signature de l’accordde coopération entre nos deux institu-

11

tions va ouvrir de belles perspectivesdans un certain nombre de domainesd’intérêt commun. L’IRD, comme l’OAPI,ont pour ambition à travers cet accordde créer ensemble des conditions favo-rables pour soutenir des projets devalorisation des résultats de recherchedans leur espace respectif, en vue de la création de petites et moyennesentreprises innovantes. Pour cela,l’échange d’expériences en matière dematuration et d’accompagnement des porteurs de projets innovants seraun des points fort, en plus dumécanisme d’accompagnement pourla mise en place d’incubateurs d’entre-prises dans les universités et les centresde R&D dans les États membres del’OAPI.Nous attendons également de cetaccord, un échange d’informationsscientifiques et techniques et d’offrestechnologiques basées sur les porte-feuilles de brevets qui peuvent intéres-ser nos ressortissants respectifs en utili-sant les réseaux de chacune des deuxparties. La prochaine participation del’IRD à la 6e édition du Salon Africain del’Invention et de l’Innovation technolo-gique, prévue à Bamako (Mali), enoctobre 2009, constituera sans nuldoute le début de cette coopérationque je souhaite fructueuse pour lesdeux parties.

SAS : Plus largement, qu’attendez-vous d’un partenariat avec le Nord ?

PEE : La coopération avec le nord estune donnée essentielle pour une orga-nisation comme la nôtre. Elle est sourced’enrichissement, d’expérience et d’as-sistance. Mais la coopération nord-suddoit être comprise dans son sens noble,c’est-à-dire comme un processusd’accompagnement de nos États versle modèle de développement universel,celui-là même qui a fait des nationsoccidentales des pays dits indus-trialisés.Nous pensons fermement que le nordpeut beaucoup apporter à nos pays :son expérience et son savoir-faire,notamment dans la promotion et lavalorisation des résultats de recherche.Dans cette coopération pour le déve-loppement qui trouve ses fondements

Entretien avec Paulin Edou Edou, directeur général de l’Organisation Africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) à l’occasion d’un accord de coopération avec l’IRD.

En 2008, l’IRD et la fondation Drugs forNeglected Diseases (DNDI) avaientconclu un accord de collaboration pouridentifier et développer de nouveauxmédicaments contre la leishmanioseviscérale, parasitose mortelle en l’ab-sence de traitement.À l’origine, des molécules – les quino-léines – isolées d’une plante bolivienne(premier brevet en 1991) ont montréune activité antileishmanienne signifi-cative, puis en 2001 des équipes del’IRD, du CNRS et de l’université de Paris11 ont synthétisé une centaine de déri-vés de cette famille chimique, parmilesquels plusieurs se montrèrent plusactifs que les molécules d’origine natu-relle (2e brevet en 2001). Des essaisbiologiques, notamment in vivo, ontpermis de sélectionner trois molécules,résultats concrétisés par deux autresbrevets en 2008. Après analyse compa-

Valo

risation

rative des performances des molécules,le consortium1 « Quinoléines » mis enplace par le DNDI sera en mesure de pro-poser la molécule-candidate au profilpharmacologique adéquat pour deve-nir à l’horizon 2011 un nouveau médi-cament destiné à une utilisation enmilieu tropical. ●

1. Ce consortium comprend, aux côtés duCNRS et de l’IRD, des partenaires spécialisésen pharmacologie (Advinus, Bangalore, Inde),en tests antiparasitaires (Indian Institute ofChemical Biology, Lucknow, Inde), en éva-luation biologique (London School ofHygiene and Tropical Medicine) et en préfor-mulation préclinique (Drugabilis, AlphaChimica, France).

ContactUS Connaissance des ressources végé-tales tropicales et de leurs usages,[email protected]

dans notre histoire commune, l’onpeut compter sur la détermination et lesérieux de notre institution dans lamise en œuvre de tout projet visant lerenforcement des capacités de l’OAPI.

SAS : En quoi et comment la propriété intellectuelle peut-elleservir au mieux les intérêts de l’Afrique ?

PEE : La propriété intellectuelle n’est niune affaire du nord, ni une affaire dusud, même si les règles qui la gouver-nent aujourd’hui ont essentiellementété élaborées par les pays occidentaux. La propriété intellectuelle, qui est lereflet des créations de l’intelligencehumaine, est constituée d’un ensembled’actifs les plus précieux dans les tran-sactions commerciales dans le monde.Les plus connus de ces actifs sont lamarque et le brevet d’invention. Lamarque est un outil précieux permet-tant de déterminer l’origine des pro-duits et des technologies en renforçantla responsabilité de l’entreprise vis-à-visdu consommateur. Quant au brevetd’invention, il incite à la création denouvelles techniques qui aboutiront àde nouveaux produits et à l’ouverturede nouveaux débouchés. Il contribueégalement à créer un environnementpropice à une bonne application indus-trielle des inventions et des nouvellestechniques, et un cadre juridique visantà encourager l’investissement. Le sys-tème des brevets offre une certainesécurité nécessaire dans le cadre destransactions liées au transfert destechniques.Dès lors, gérer la propriété intellec-tuelle, pour l’OAPI, c’est d’abord assu-rer sa protection. Une protection effi-cace de la propriété intellectuellerassure les créateurs et investisseurs etoffre à nos États de réelles opportuni-tés d’affaires. C’est un levier du déve-loppement économique et de créationde richesse pour un pays. Les Étatsafricains doivent donc se l’approprieren l’intégrant dans leur politique dedéveloppement.Mais la protection, source d’émulationdes créateurs et garant de l’investisse-ment privé étranger, n’est pas une finen soi. Si l’on se contentait simplementde protéger la propriété intellectuellesans l’exploiter, la société n’évolueraitguère ; le progrès technique, le déve-loppement technologique, la promo-tion de l’invention et de l’innovationque vise tout système de propriétéindustrielle seraient relégués au secondplan. C’est pourquoi, la protection nedoit être considérée que comme unepremière étape dont la seconde vise laconversion de l’idée protégée en actifcommercial. Pour l’OAPI, gérer la propriété intellec-tuelle c’est aussi et surtout chercherles moyens pour assurer son exploi-tation en faveur du développementéconomique et social de ses Étatsmembres. ●

En savoir pluswww.oapi.wipo.net

En étudiant les systèmes de protectiondes bactéries contre l’oxygène et lesradicaux libres, la Plateforme de biochi-mie structurale et métabolique del’UMR_D1801 développe des antimicro-biens, anti-inflammatoires ou antipara-sitaires originaux. Spécialisée sur lescomposés aromatiques, leur extractionindustrielle et leurs applications, elledispose d’une forte expérience desmécanismes biologiques de transfor-mation et de dégradation. Plusieurstravaux ont ainsi mis en évidence desenzymes bactériennes originales etstables, ainsi que des outils de biocon-versions à partir de cellules entières oud’enzymes recombinantes. « Un parte-nariat fort avec l’industrie cosmétique

Déjà 4 brevets sur les quinoléines

et pharmaceutique, trèsdemandeuses de “chimiepropre”, a été établi », pré-cise Jean Lorquin respon-sable de la plateforme. Desenzymes pour produire descomposés naturels dont lepouvoir antioxydant est trèsimportant, comme l’hydro-xytyrosol de l’huile d’olive,ont été caractérisés, oud’autres encore fournissantdes antimicrobiens nou-veaux. Ces derniers asso-cient des acides cinna-miques avec des acidesaminés hydroxylés (brevet2008). « Grâce à son exper-tise dans l’identification despolyphénols et à une collec-tion de microorganismes

ISO9001 de plus de mille souches origi-nales, le PBSM répond aux probléma-tiques de l’UMR_D180, tout en fournis-sant à l’industrie un savoir-faire enbiotechnologie des polyphénols », pré-cise Jean Lorquin. Par des échangesavec des laboratoires étudiant l’archi-tecture et la fonction des macromolé-cules ou ceux du domaine de la santécette plateforme devrait rapidements’ouvrir à d’autres unités de l’IRD et par-tenaires régionaux.

1. IRD/Universités de Provence et de laMéditerranée, campus de Luminy à Marseille

Contact [email protected]

I n t e r v i e w

« La propriété intellectuellen’est ni une affaire du nord ni une affaire du sud »

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Les technosde l’IRDVers de nouveaux antimicrobiens

Parasite de Leishmanie.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

12

A f r i q u e d e l ’ o u e s t

Pluie exceptionnelle, inondations dévastatrices…

Plan

ète

IRD

L’observatoiremexicain de la mer

mobilise

P ari gagnant pour le premierséminaire franco-mexicain surl’Observatoire Cousteau de la

mer et des zones côtières. « La commu-nauté scientifique était bien présente,explique l’océanographe RenaudFichez1, et les acteurs politiques se sontemparés du projet. » L’enjeu de cetteréunion, qui a eu lieu en juin dernier à LaPaz en Basse-Californie, était double. « Ils’agissait à la fois de déterminer, avecl’aide des spécialistes, les indicateurs quiseraient suivis par l’observatoire, et deconvaincre les partenaires institutionnelsde l’intérêt de ce type de structure »,précise le chercheur, qui est le coordon-nateur scientifique de la coopérationfrançaise. L’initiative, qui s’inscrit dans lespréoccupations de gestion et de préser-vation de l’environnement marin et litto-

ral, est entièrement nouvelle pour cepays où il n’existe aucun observatoireéquivalent. Les scientifiques mexicainssouhaitent donc s’appuyer sur la colla-boration franco-mexicaine pour bénéfi-cier de l’expérience française en cedomaine. Un comité de pilotage, réunis-sant des spécialistes et des institutionsdes deux pays, a œuvré en amont duséminaire pour définir les thématiquesqui structureront le travail de l’observa-toire. Lors de la rencontre de La Paz, lamise en œuvre de chacun de ces thèmesde recherche a été confiée à un binômed’organismes scientifiques franco-mexi-cains. « Le projet est désormais engagédans une dynamique soutenue, estimeRenaud Fichez. Dans l’année à venir, lesstructures, les équipes et les réseauxdevraient prendre forme. » Premier élé-ment concret de ce projet, l’antenne del’observatoire en Basse-Californie, situéeà La Paz et appelée à couvrir l’airePacifique, a été inaugurée en marge duséminaire. Une seconde manifestation,qui se déroulera l’été prochain à Méridadans la presqu’île du Yucatan, fera lepoint sur l’avancement du projet à unan. Dès novembre 2009, une secondeantenne, dédiée à la côte Atlantique ysera également inaugurée. ●

1. UR Caractérisation et modélisation deséchanges dans des lagons soumis auxinfluences terrigènes et anthropiques.

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« Une pluie pareille, ça n’arriveque tous les mille ans aumême endroit, voire tous les

dix mille ans, mais cela fait partie des aléasclimatiques de cette région ! », affirmel’hydrométéorologue Thierry Lebel1,coresponsable du programme internatio-nal de recherche sur la mousson afri-caine2, en évoquant le déluge qui s’estabattu sur la capitale du Burkina Faso le1er septembre dernier. Quelques heuresd’intempéries avaient suffi à provoquerd’importantes inondations. À l’arrivée :7 personnes ont perdu la vie, 150 000sont sans-abris et des équipementspublics, des stocks de marchandises, desbiens meubles et de nombreuses archivesont été détruits. « Cette pluie était d’uneviolence exceptionnelle, elle était deuxfois plus abondante en cumul journalier

que les plus grosses précipitations enre-gistrées jusqu’ici. Mais, rappelle-t-il, uneinondation c’est le croisement entre unévénement pluvieux intense et des condi-tions locales de ruissellement ». La ville,avec ses aménagements qui contribuentà imperméabiliser les sols et sa forteconcentration de population qui repré-sente autant de sinistrés potentiels, estparticulièrement exposée à de tels aléas.Le même épisode, s’il avait eu lieu enbrousse – comme il ne peut manquer des’en produire ponctuellement selon lechercheur –, n’aurait pas eu le mêmeimpact humain et économique. « Dessinistres similaires frappent régulièrementla région. La ville d’Agadez au Niger aégalement été dévastée par les eaux cetteannée, et de très fortes inondations onttouché le nord du Togo et du Ghana en

Accord entre l’IRD et Danone-Bonafont L’IRD et la société mexicaine DANONE-BONAFONT ont signé, le 8 juillet dernier, unaccord de collaboration. L’entreprise s’engage à financer deux thèses de doc-torat mexicaines, menées dans le cadre du programme Joint EnvironmentalStudy of Terminos Lagoon (JEST), et encadrées par l’IRD. JEST est dédié à l’étudedes écosystèmes côtiers tropicaux de la région Caraïbes-Amérique Centrale.Ces milieux sont actuellement confrontés à des modifications environnemen-tales majeures, notamment liées aux activités humaines. ●

Contacts : [email protected][email protected]

Le retour de l‘eau dans les oasis marocaines !

« Dans le Tafilalet, pour la pre-mière fois depuis 40 ans, lebarrage Hassan Adakhil

déborde... et cela depuis le mois d’oc-tobre 2008 », indique Thierry Ruf, cher-cheur à l’IRD1, qui partage l’enthou-siasme des agriculteurs de cette régiondu Maroc qu’il suit depuis des annéesdans le cadre d’un programme derecherches sur les systèmes agraires irri-gués2. Il est ainsi témoin d’un phéno-mène pluviométrique rare : trois annéesconsécutives arrosées dans le versant suddu Haut Atlas se traduisent par un dou-blement des épisodes de crue, 9 à10 occurrences au lieu de 4 ou 5 dans lesannées 2000-2006. « Le retour des eauxse confirme partout. La région autrefoisasséchée reçoit plusieurs fois par an des

eaux de crue dont l’écoulement dureaussi plus longtemps. Le désert redevientvert après chaque épisode pluvieux »,enchaîne le chercheur. Cette bonne nou-velle intervient dans un contexte oùchaque goutte d’eau se gagne dure-ment. Dans ces régions arides ou semi-arides où les écoulements de surfacesont très limités et surtout irréguliers,l’homme a déployé des trésors d’ingé-niosité. La technique ancestrale deskhettaras3 est encore utilisée de nosjours au Maroc dans les oasis de Jorf etde Tinghir où les agriculteurs rénoventleur khettara avec ferveur. Ces galeriessouterraines de captage sont creuséesdepuis des siècles de main d’hommepour alimenter des oasis dans le désert.Leur travail de fourmi, exécuté parfois àplus de 15 mètres de profondeur avecdes outils rudimentaires, permet d’inter-cepter l’eau de nappes phréatiques quiaffleurent sur les versants de reliefs. Lesapports directs par les pluies mais sur-tout indirects par les pertes d’eau lorsdes crues des oueds ont amené uneremontée de la nappe de 15 mètres endeux ans. Jean Margat (BRGM), associé au

travail de recherche actuel mené par l’IRD

et l’Institut des régions chaudes (Mont-pellier) avec l’université de Marrakech,s’en étonne car il avait étudié les res-sources en eau souterraines au débutdes années 1950 et constaté une ten-dance à la surexploitation de la nappe duTafilalet. « Non seulement l’eau plusabondante va permettre de très bonnesrécoltes sur les zones irriguées mais lescultures sous pluie ont réussi là où pen-dant des années, il n’y avait pas un brind’herbe », se réjouit Thierry Ruf qui n’hé-site pas à parler de « changement clima-tique à l’envers » ou plus exactement demanifestation discordante du change-ment climatique. ●

1. UR Dynamiques socio-environnementaleset gouvernance des ressources.2. Projet Ilgeot - Innovations locales dans lagestion de l’eau des oasis du Tafilalet (Maroc)et projet Archives de l’irrigation enMéditerranée (FSP sciences sociales auMaghreb).3. Voir Sciences au Sud n°40.

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2007. Ce genre d’événement très violentest une caractéristique intrinsèque du sys-tème climatique de la région, où la pluieest provoquée par des systèmes convec-tifs localement intenses mais très variablesdans l’espace et dans le temps »,explique-t-il. Enfin, coupant court auxspéculations sur le rôle du changementglobal dans cette catastrophe, le scienti-fique assure « qu’il est hasardeux de fairedes déductions sur l’évolution du fonc-tionnement climatique à partir dequelques événements isolés ». ●

1. IRD UR012, Laboratoire d’étude des trans-ferts en hydrologie et environnement.2. AMMA-CATCH.

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Trois années humidesdans les oasissahariennes, cela nes'était pas vu depuis desdécennies… Bonnesrécoltes en perspectivespour les oasis du Maroc.

Inondations dans le quartier de Dapoya, à Ouagadougou.

Un des laboratoires d’analysechimique impliqués dansl’Observatoire Cousteau de la meret des zones côtières.

Le lac de retenue du barrage Hassan Addakhil a dépassé sa côte maximale depuis octobre 2008. Il se déverse de façon permanente dans la vallée du Ziz (Maroc).

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et son terroir font l’objet d’une grandeingénierie humaine, essentiellementmasculine. Pour que cet arbuste endé-mique devienne un arbre et produise enabondance, il est taillé, régénéré,façonné par les hommes depuis dessiècles selon des techniques arboricoleshéritées de leur père. « En naturalisantl’arbre, en le représentant plus sauvagequ’il ne l’est en réalité, les promoteursde l’huile d’argan ont évacué le rôle deshommes, évinçant du même coup ladimension familiale de cette produc-tion ». Car si les hommes apportent lesterres, domestiquent l’arganier, lesfemmes se transmettent de mère enfille les outils – le moulin en pierre – etle savoir faire pour la fabrication.« Traditionnellement, c’est une produc-tion quasi conjugale, dans laquelle lesépouses torréfient et pressent les aman-dons cueillis sur les arbres de leur mari.Et l’huile est réservée à l’usage familialou amical, en dehors de toute filièremarchande », précise le chercheur. Pour valoriser et exporter l’huile d’ar-gan, ses promoteurs n’ont pas seule-ment travesti son image. Ils ont aussi

L ‘huile d’argan du Maroc,coqueluche des produits deterroir du Sud, est le fruit

d’une véritable construction d’image.Dans une récente publication scienti-fique2, des chercheurs3 montrent com-ment les développeurs marocains etinternationaux ont œuvré à en simpli-fier la représentation pour conquérir lemarché mondial4. « L’huile est présen-tée commercialement comme un pro-duit traditionnel, fabriqué par lesfemmes et issu d’un arbre sauvage,explique le jeune ethnologue RomainSimenel. Ce tableau pittoresque a étébâti durant les deux dernières décen-nies, pour coller à des valeurs chèresaux consommateurs occidentaux. Maisil occulte totalement certains aspectsdes relations entre la société locale, sonterroir et le produit lui-même ». Eneffet, si l’huile résulte bien d’une cou-tume berbère ancestrale, son élabora-tion mobilise la société rurale touteentière, bien au-delà des seulesfemmes. Ainsi, en amont de la récoltedes amandes de l’arganier, tâche effec-tivement dévolue aux femmes, l’arbre

Pour exporter l’huile d’argan, ses promoteurs proposentune image de la filière bien éloignée de sa réalité. Des travaux présentés lors d’un récent colloque1.

créé un nouveau produit, adopté desprocessus industriels, mécanisé la fabri-cation et développé une filière coopéra-tive essentiellement féminine. Ainsi,pour satisfaire aux exigences du lucratifmarché des cosmétiques, une huile plus« pure », plus aseptisée, a été élaborée,en supprimant l’étape de la torréfactiondes amandons, propre à la fabricationde l’huile alimentaire. Les petitesmeules familiales, pourtant mises enscène pour la promotion, ont été aban-données au profit de presses méca-niques modernes. Enfin et surtout, lechoix a été fait de structurer la filièreautour de coopératives employantexclusivement des femmes marginales,veuves ou divorcées. Ce nouveau visagede l’huile d’argan marocaine, distinctede la production familiale, est bien éloi-gné de la tradition et de la culture dontelle se revendique. ●

1. Colloque international « Localiser les pro-duits », 9, 10 et 11 juin 2009, Unesco, Paris.2. « L’argan : l’huile qui cache la forêtdomestique. De la valorisation du produit àla naturalisation de l’écosystème » dans larevue Autrepart n° 50, 2009, les Presses deSciences-Po et IRD Editions.3. Geneviève Michon (IRD, UR199), RomainSimenel, Laurent Auclair et Bruno Romagny(IRD, LPED), Yildiz Thomas (CNRS, CEFE),Marion Guyon (Master 2, Université deProvence).4. Des travaux menés en partenariat avecl’UCAM (Université Cadi Ayyad à Marrakech)et l’ENFI (École nationale forestière d’ingé-nieurs à Rabat).

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L e séquençage du caféierouvre la voie à la découvertede gènes majeurs en matière

de résistance aux maladies ou d’adap-tation aux contraintes environnemen-tales, ou encore en termes de qualitédu produit. Dans le cadre d’une initia-tive internationale, l’IRD1, le Cirad2 et leGénoscope/CEA se sont associés pourcontribuer à cette entreprise d’enver-gure. Coffea canephora, plus connusous l’appellation de café Robusta estl’espèce retenue par le projet français.Ce dernier bénéficie d’un importantsoutien financier de l’Agence Nationale

L’IRD est l’un des acteurs scientifiques de la contribution française au séquençage du génome du caféier soutenue par l’Agence Nationale de la Recherche.

Vers le décryptage du café

de la Recherche (ANR) et intègrera lesrésultats du séquençage partiel déjàinitié par un consortium impliquantégalement l’IRD. À terme, les donnéesgénérées seront accessibles aux scienti-fiques de tous pays. Trois arguments scientifiques ont jouépour orienter le choix vers C. cane-phora en tant que candidat au séquen-çage. Cette espèce est l’un des ancêtresdu café Arabica ; son génome est detaille moyenne ; elle possède deux jeuxde chromosomes – comme la plupartdes plantes et animaux – contrairementà l’espèce C. arabica qui a une struc-

« Les sérums antivenimeuxsont quasi introuvables denos jours en Afrique »,

déplore l’herpétologiste Jean-PhilippeChippaux1. Le continent africainconnaît pourtant plus d’un million demorsures de serpents chaque année et25 000 décès associés aux envenima-tions. « L’OMS s’est heureusement saisidu problème », explique-t-il. Il étaittemps, car le nombre d’anti-veninsvendus en Afrique n’a cessé de régres-ser, passant, au Cameroun parexemple, de 10 000 ampoules par andans les années 1970, à quelques cen-taines aujourd’hui, alors que le nombred’envenimations traitées à augmenté.Et encore, « la plupart des sérums anti-venimeux disponibles sont fabriqués enAsie, avec des venins asiatiques, etdonc peu efficaces contre les venins

des serpents africains », constate-t-il.Pour relancer et rationaliser l’usage del’immunothérapie antivenimeuse, l’Or-ganisation mondiale de la santé amobilisé tous les spécialistes, et diffuseà partir de septembre des recomman-dations précises en la matière. L’enjeuest de taille, des milliers de vies peuventêtre sauvées.

Les deux visages de l’huile d’argan

Quelle AOC pour l’huile d’argan ? La menace d’une concurrence internationale sur l’huile d’argan – l’Espagne etIsraël importeraient des arganiers pour se constituer un capital de produc-tion –, incite le Maroc a protéger cette ressource spécifique à son territoire. Ence sens, les autorités travaillent à la mise en place d’une traçabilité du produitet une AOC (appellationd’origine contrôlée) vientd’être créée. Mais la sim-plification de l’image del’huile, qui gomme les par-ticularités propres àchaque terroir, a abouti àla définition d’une zone deproduction gigantesque,de 820 000 hectares. Parcomparaison, l’AOC duChampagne, qui passepour vaste, a une superfi-cie de 33 000 hectares ! Àl’intérieur de cette aired’échelle nationale, consi-dérée comme un terroirunique et homogène, existe une multitude de régions, avec des sols, des arga-niers, des composants forestiers, des cultures et des savoir-faire techniques trèsvariés. En niant cette diversité, l’homogénéisation de l’huile d’argan lui ôte deson caractère typique et pourrait à terme lasser les consommateurs. ●

Une récente manifestation à la Société de biologie, coordonnée par un chercheur de l’IRD, a notamment permis de faire le point sur les anti-venins de serpent.

Les anti-venins à l’honneur

Ces premières recommandations– d’autres concernant les protocoles desoins, la formation des personnels desanté et l’information du publicdevraient suivre – portent sur la qualitédes sérums antivenimeux à produire.Leur efficacité à protéger contre lesenvenimations est une priorité, et pourcela, les experts conseillent de les éla-

borer à partir de venins africains, spéci-fiques au danger local. Car, expliqueJean-Philippe Chippaux, « les sérumsindiens que l’on trouve actuellementsur le marché africain, nécessitent desdoses quatre à huit fois supérieures auxsérums adaptés ». Leur coût initial estcertes moins élevé, mais la multiplica-tion des ampoules employées disquali-fie leur accessibilité et accroît d’autantle risque de réactions indésirables. Lesrecommandations de qualité visent latolérance aux sérums antivenimeux.L’organisation internationale préconisede les purifier selon les techniques lesplus modernes, pour éviter les effetssecondaires allergiques fréquentesavec les anciennes générations d’anti-venins. Une meilleure stabilité des pro-duits est également souhaitée. Eneffet, pour être utiles, les sérums anti-venimeux doivent être distribués etconservés dans les centres de soin lesplus reculés du continent, où la chaînedu froid est difficile à garantir. Enfin,l’OMS conseille d’adapter le prix dessérums aux moyens modestes despopulations rurales concernées.

ture plus complexe, très fréquente chezles plantes cultivées. De plus, pour faci-liter davantage le travail des cher-cheurs, le plant de caféier qui subira lesanalyses est un matériel végétal produitpar l’IRD et dont les deux jeux de chro-mosomes sont identiques alors que lescaféiers naturels possèdent deux jeuxdifférents. À terme, les connaissances acquises surla séquence génomique et sur la fonc-tion potentielle des gènes, alliées à lacréation variétale, permettront d’orien-ter les systèmes de culture actuels versune caféiculture « durable ». Cet

À terme, cette initiative de l’OMS vise àrompre le cercle vicieux, lié au coûtélevé des sérums, qui a progressive-ment détourné tous les acteurs decette solution thérapeutique. Ainsi,face à la faible solvabilité du marchéafricain, les laboratoires pharmaceu-tiques hésitent à investir dans le condi-tionnement et les autorisations de misesur le marché (AMM) de leurs produits.Les importateurs, les grossistes et lespharmaciens ne veulent pas prendre lerisque financier de stocker ces médica-ments chers et peu vendus. Le person-nel de santé, peu formé à leur usage,est réticent à prescrire et à administrerles anti-venins. Quant aux victimes demorsures, rebutées par le prix du traite-ment, elles se tournent vers la méde-cine traditionnelle qui est plus apte àréconforter qu’à sauver. ●

1. IRD, Unité Santé de la mère et de l’enfanten milieu tropical : épidémiologie génétiqueet périnatale.

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Femme réparant son moulin à extraction d’huile d’argan avec de la pate à pain.

Le Mamba vertest un serpentarboricoleextrêmementrapide, au veninfortementneurotoxique. De nombreux cas

d’envenimationsmortels sont

connus, il existepourtant un sérum

antivenimeux.

Coffea canephora (Robusta) en fruits.

aspect est particulièrement pertinentau regard de l’importance économiqueet sociale de la production de café dansde nombreux pays du Sud. C’est lapremière ressource agricole au monde(en chiffre d’affaires) et se réalise prin-cipalement dans le cadre de petitesexploitations familiales (70 % de laproduction). Elle représente ainsi unesource de revenus vitale pour l’écono-mie de nombreux pays tropicauxd’Amérique Latine, d’Asie et d’Afriqueoù elle génère plus de 120 millionsd’emplois. ●

1. UMR Développement et Amélioration desPlantes.2. UMR Résistance des Plantes auxBioagresseurs, UMR Diversité et Adaptationdes Plantes Cultivées.

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Contested Waterscapes in the Mekong RegionHydropower, livelihoods and governance.Éditeurs scientifiques François Molle, Tira Foran, Mira Kakonen. Editions Earthscan,£75.00

Cet ouvrage a été réalisé dans le cadre du réseau lié auprogramme M-POWER (Mekong Program on Water,Environment and Resilience). Les auteurs examinent com-ment les projets d’investissement à grande échelle sontproposés, justifiés et mis en œuvre dans le bassin duMékong. Ce bassin s’étend de la Chine au Sud-Vietnam enpassant par la Thaïlande, le Laos et le Cambodge. Les eauxdu Mékong sont de plus en plus disputées. Les gouverne-ments, les compagnies privées, et les banques sont à l’ori-gine de nouveaux aménagements du territoire. Ces amé-nagements produisent un certain nombre de bénéficesmais génèrent également des coûts et des risques pourdes millions de gens dont la vie dépend des zones hu-mides, des plaines d’inondations, et des ressources aqua-tiques, en particulier les pêcheries des rivières et des lacs.Le livre met en relief l’émergence de nouveaux acteurs, dedébats portant sur les droits et les compromis, et sur lesconséquences sociales et environnementales de la mise en valeur des ressources en eau.Comment ces projets sont-ils le plus souvent contestés et comment certains régimes degouvernance influencent-ils les prises de décision ? Le livre montre comment divers in-térêts et idéologies, souvent antagonistes, rivalisent dans leur quête de légitimité. Il dé-montre enfin comment la distribution et l’exercice du pouvoir de décision, du pouvoirpolitique et du pouvoir discursif influencent les modes d’artificialisation du paysage etla distribution finale des bénéfices, des coûts et du risque.

Développer le genre en démographie de la naissance à l’âge adulteDe Claudine Sauvain-Dugerdil et Marie,Paule Thiriat, Collections du CEPED, 25 €

Le sexe est une variable fondamentale de l’analyse démographique,mais le « genre » une clef pour comprendre les comportements dé-mographiques, qui n’a été intégrée que relativement récemmentdans les études de population.L’objectif de cet ouvrage est de mettre en évidence la diversité et lesparadoxes des systèmes de genre et leurs interrelations avec lesquestions de population, et de rappeler la richesse des outils dontdispose la démographie pour intégrer l’approche genre. Deuxgrandes options guident l’organisation de l’ouvrage : un éclairagetransculturel pour comprendre la diversité individuelle, et son ancra-ge dans des valeurs collectives, et une perspective de parcours devie pour analyser la construction des destins et masculins et identi-fier les moments clefs à cet égard. Dans ce volume, nous considé-rons les étapes de la naissance à l’âge adulte. Comment le fait de naître garçon ou fille af-fecte son destin et comment on devient femme ou homme ? Quelles sont les conditions quiinfluencent les parcours selon le genre ? Quelles sont les racines des inégalités ?

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Past Climate Variability in South America and Surrounding RegionsFrom the Last Glacial Maximum to the HoloceneSeries: Developments in Paleoenvironmental Research, Vol. 14Françoise Vimeux, Florence Sylvestre, Myriam Khodri – Springer, 105,45 €

Cet ouvrage est un recueil de 16 chapitres rédigés par une soixantaine d’experts du cli-mat sud-américain et de son fonctionnement depuis le dernier

maximum glaciaire, il y a 21 000 ans, jusqu’à aujourd’hui.L’objectif est de présenter l’état de nos connaissances etdes résultats originaux mettant en relief la complexité dusystème de mousson sud-américaine. Pour tenter de donnerun panorama exhaustif des études menées, sont regroupésdes travaux basés à la fois sur l’étude d’archives climatiques(carottes de glace, sédiments lacustres, cernes d’arbres, …)et sur la modélisation climatique présente et passée. Tout aulong du recueil, un effort particulier est réalisé pour expliquerles interactions climatiques d’une région à l’autre de ce conti-nent qui s’étend depuis l’équateur jusqu’aux latitudespresque polaires et qui est donc soumis à un grand nombrede « climats » différents. Un des enjeux de telles recherchesest de décortiquer les mécanismes climatiques sur ce conti-nent afin de mieux évaluer leurs modifications dans un climatà venir différent et les impacts qui en découleront.

Eaux, pauvreté et crises socialesEditions IRD. CD-ROM, 20 €

Au Nord comme au Sud, l’accès à l’eau,que celle-ci soit à usage domestique ouagricole, devient de plus en plus difficilepour les populations pauvres, alors queles différents types d’exclusion se combi-nent pour accentuer les inégalités. Pourcomparer les processus actuellement encours sur les cinq continents et tenterd’inverser ces tendances, l’IRD a organiséen 2005 des rencontres à l’universitéd’Agadir avec l’appui du CRDI et de la FordFondation. Les chercheurs, décideurs et responsablesd’ONG réunis à cette occasion proposentdans le présent CD un cadre d’action et in-vitent les pouvoirs publics à renouveler lespolitiques publiques et répondre aux re-vendications locales.

Les peintures sur vases de Nagada I-Nagada IINouvelle approche sémiologique del’iconographie prédynastiqueGwenola Graff, Leuven university Press

Longtemps, la civilisation pharaonique aparu sortir toute constituée des sables égyp-tiens. Les fastes des pharaons occultaient lesdiscrets vestiges antérieurs. Néanmoins, de-puis quelques décennies, des travaux ontété entrepris pour y remédier. La préhistoireégyptienne se dessine peu à peu. La plus im-portante de ces cultures est celle de Nagadaqui couvre le IVe millénaire. Elle offre uneproduction artistique de très grande qualité.Ce sont les peintures sur vases qui font l’ob-jet du présent ouvrage. Elles concernent lapériode qui s’étend de 3900 à 3300 av. J.-C.L’étude présentée ici est la premièreapproche synthétique de ces artefacts. Elleregroupe en un catalogue illustré plus de

650 objets dont beaucoup d’inédits. Ces vases monochromes, haut d’une vingtainede centimètres, ont été retrouvés principalement dans des tombes.Contrairement aux travaux antérieurs, qui essayaient de cerner le sens de ces pein-tures par une approche descriptive et narrative, l’angle d’étude choisi ici est sémio-logique. Il ne s’agit pas de comprendre d’emblée ce que veulent dire les peintures,mais d’abord comment est construite l’image. De cette étude globale pourra émer-ger le sens. Chaque signe a été enregistré, décrit et daté. L’étape suivante concerne l’agencement des signes. Là, des règles très strictes sontapparues, d’association ou d’exclusion de signes. On découvre que l’image naga-dienne comporte une syntaxe. Tous ces signes, contraints par des règles de compo-sition, forment des scènes, de chasse, de navigation, relatant des rites liés au renou-vellement de la vie.En définitive, les peintures sur vases du IVe millénaire égyptien ne cherchent pas à re-later le mode de vie des Nagadiens, ne sont pas un reflet exact de leur environne-ment ou de leur mode d’organisation sociale dans un contexte où on sait par ailleursqu’elle est de plus en plus hiérarchisée. Mais elles témoignent d’une préoccupationnon contingente, celle d’assurer un devenir au défunt après sa mort.

L’Hindouïsme mauricien dans lamondialisation.Suzanne Chazan et Pavitranand Ramhota.Co-édition IRD-Karthala- Mahatma GandhiInstitute 35 €

L’ouvrage portesur la religionhindoue et sonétroite relationavec les transfor-mations socialeséconomiques en-registrées à l’îleMaurice dans lecontexte de lamondia l i sat iondes marchés. Larestructurationde l’économie su-crière et l’ouverture aux marchés régio-naux et mondiaux des secteurs écono-miques importants du textile, del’off-shore et des technologies high-techont entrainé des bouleversements quel’on retrouve sous des formes symbo-liques dans les cultes populaires.Simultanément, la religion savante s’estdéveloppée grâce à la venue à Maurice despécialistes de la religion hindoue, par ladiffusion de livres sacrés etc.L’originalité de l’ouvrage réside dans sadouble approche anthropologique et his-torique. Et si la problématique du rapportdu religieux à l’économique et au poli-tique n’est pas nouvelle actuellement, ellel’était en 1991 quand les auteurs ontcommencé leurs observations.Ils ont ainsi mis en évidence certaines descontradictions politiques contemporaines– dont l’explication supposait un retourau passé lointain du peuplement mauri-cien – et des formations sociales et éco-nomiques institutionnalisées au cours del’histoire des deux formes de colonisa-tions, française et anglaise, qui se sontsuccédées.

Renouvellement du Comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’IRD

– Ali Benmakhlouf a été nommé président du Comitéconsultatif de déontologie et d’éthique de l’IRD (CCDE).Professeur de philosophie à l’université de Nice-SophiaAntipolis et membre du Comité consultatif nationald’éthique et de l’Institut international de philosophie, ilsuccède à Dominique Lecourt.

Deux autres personnalité extérieures à l’Institut font leur entrée au CCDE à l’oc-casion du renouvellement de cette instance :– Manuela Carneiro da Cunha, anthropologue et conseillère auprès del’UNESCO,– Ahmadou Lamine Ndiaye, docteur vétérinaire, recteur honoraire de l’uni-versité Gaston-Berger de Saint-Louis au Sénégal.– Marie-Danielle Demelas, professeur des universités et représentante del’IRD en Bolivie, a été quant à elle nommée au CCDE au titre de membre du per-sonnel de l’Institut

Nominations

À la découverte des villages de métier au VietnamDix itinéraires autour de Hà NôiDe Sylvie Fanchette et Nicholas Stedman, Éditions IRD, 38 €

Les villages des alentours de Hà Nôi révèlent un riche patrimoine culturel, techniqueet architectural. Plus de 500 villages de métier spécialisés dans la fabrication d’objetsd’art et de culte, de produits agro-alimentaires, industriels, textiles ou de vanneriessont accessibles à moins d’une heure de la capitale. Ce patrimoine a été préservé,

malgré les dures périodes de l’histoire vietnamienne, etconstitue la base culturelle matérielle et immatérielle de lasociété villageoise du delta du fleuve Rouge.Un tourisme culturel pris en charge par les artisans eux-mêmes et par les institutions locales tente actuellement demettre en valeur ce patrimoine et de proposer de nouveauxdébouchés pour les productions artisanales. Cependant,jusqu’à présent, peu de touristes s’aventurent dans ces vil-lages, dont certains sont perdus dans un dédale de routesau milieu des rizières. Leur histoire et leurs savoir-faire sontpeu connus du public. Mal signalés sur les routes, ces vil-lages abritent pourtant l’essentiel du patrimoine architectu-ral, technique et religieux du haut delta.Ce livre, fruit de plusieurs années de recherches par des

spécialistes du Vietnam, offre à découvrir dix itinéraires inédits, agrémentés d’his-toires de vie, de légendes, de descriptions des techniques artisanales, de prome-nades fléchées et de cartes d’accès pour visiter une quarantaine de villages autourde Hà Nôi. Il est l’occasion de rencontrer ces artisans anonymes, aux savoir-faire tra-ditionnels, dont les œuvres s’exposent dans les nombreuses boutiques du quartierdes 36 rues à Hà Nôi et dans les capitales occidentales.

Anthropologie de l’aide humanitaire et du développement Laetitia Atlani-Duault et Laurent Vidal, Armand Colin

« Lorsque les aventuriers de l’Arche de Zoé veulent agir pour le bon-heur des autres, c’est l’aide humanitaire dans son ensemble qui estmise en accusation. Au-delà du déchaînement médiatique, se jouelà pour l’anthropologie la figure bien connue de la rencontre avecl’autre qu’il s’agit d’aider ». Dans ce contexte troublé, ce livre vientà point nommé pour exposer ce que peut être, aujourd’hui, une an-thropologie de l’aide humanitaire et du développement, entre enga-gement et distance critique. Plaçant au centre de ses préoccupationsles hommes et les femmes en action qui font, au quotidien, leurs so-ciétés, leurs cultures et leur développement, cette anthropologie del’aide humanitaire et du développement relève le défi de mettre cesmondes – souvent divergents et conflictuels – en relations, afin deleur donner un sens et une forme sur lesquels il est possible d’agir.

India’s Unfree Workforce. Of Bondage Old and Newédité par Jan Breman, Isabelle Guérin, Aseem Prakash, Oxford University Press, 34,3 €

Alors que l’Inde poursuit sa conversion à l’économie de mar-ché, le recours à une main d’œuvre asservie s’est considérable-ment aggravé. Les mirages de la croissance économique mas-quent une pauvreté et une vulnérabilité grandissante destravailleurs. Cet ouvrage analyse la construction historique, so-ciale, économique, technique et politique de la servitude pourdette, tout en mettant en évidence la continuité entre pra-tiques anciennes et contemporaines. Basé sur une perspectiveinterdisciplinaire, l’ouvrage se divise en trois parties : la servitu-de agricole dans une perspective historique, des formescontemporaines de la servitude et enfin les enjeux politiquesde la servitude pour dette. Alors que l’État accorde une priori-té à l’accumulation du capital, il a abandonné toute responsa-bilité en matière de protection des travailleurs qui se situent aubas de la pyramide économique sociale.

Carnet de routeCréer et animer un club scientifiqueÀ télécharger surwww.latitudesciences.ird.fr ou à com-mander en écrivant à [email protected]

Un nouvel outil de formation est désor-mais à votre disposition : le Carnet deroute… des clubs scientifiques !Modulable, efficace et particulièrementstimulant, le club scientifique s’avère undispositif d’initiation aux sciences et auxtechniques bien adapté aux jeunes, toutcomme aux passionnés seniors.Son objectif ? Adopter une démarchescientifique pour explorer collectivementun sujet de son choix.Son atout ? Un parrainage fort par un oudes experts : chercheurs, ingénieurs, mé-decins, techniciens, etc.

Comment constituer un club et réunir desfinancements ? Dans quelles activités selancer ? Avec quels outils ? Quelle forme choisirpour présenter publiquement son projet ?Le Carnet de route tome 3 apporte ré-ponses et conseils pratiques à toute per-sonne désireuse de piloter un club.Avec un zeste de curiosité, une bonnedose de sciences saupoudrée de créativité,découvrez mille et un projets de clubs àmijoter en équipe.

Migrants des SudsCollections Objectifs Suds, Edition IRD, Pulm ; 42 €

Les migrations internationales constituent un véritabledéfi pour le monde contemporain. Bien que le constatne soit pas nouveau, la croissance des flux dans lecontexte actuel géopolitique, économique et environne-mental appelle de nouveaux regards. Face à la diversifica-tion des destinations, des foyers de départ ou encore desprofils des migrants, l’ouvrage privilégie la parole de« l’acteur migrant » et accorde une large place à ses stra-tégies et ses trajectoires. Selon une perspective pluridisci-plinaire, et à partir d’exemples africains, sud-américains ouasiatiques, l’ouvrage met en valeur la construction de nou-veaux territoires de mobilité et montre la diversité des tra-jectoires migratoires depuis le pays du Sud vers ceux duNord mais aussi, et de plus en plus, entre pays du Sud.

Discovering the Kenyan CoastShared influences and commom heritageDe Herman Kiriama, Marie-Pierre Ballarin, Jimbi Katana and Patrick Abungu NationalMuséums of kenya, IRD

La côte kenyane est située au carrefour des réseauxcommerciaux de l’océan indien, où dif-férentes cultures venues du Sud del’Arabie, du golfe persique et de l’inté-rieur de l’Afrique se sont croisées depuisplus d’un millier d’année. On ne peut ladissocier de son passé mêlant sociétémarchande, villages de pêcheurs et portsmodernes. Cette côte est aujourd’hui lerésultat de toutes ces rencontres, qui luiont donné cette identité bien singulière.Chaque élément du livre vise à montrer lacomplexité des relations économiques etsociales entre l’intérieur de l’africain, les in-termédiaires swahili et les acteurs du com-merce maritime.

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donienne

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

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A mborella trichopoda livrepeu à peu ses mystères.Depuis la première publica-

tion en 1997 qui faisait du genreAmborella le représentant de l’ancêtrede toutes les Angiospermes (végétauxà fleurs/graine protégée par un fruit),les scientifiques scrutent cette plantesur toutes les coutures. Parmi la florede Nouvelle-Calédonie déjà très parti-culière par son taux d’endémisme deprès de 80 %, avec cinq Famillesn’existant que sur l’archipel, Amborellatrichopoda est exceptionnelle. Sonancêtre serait apparu voilà au moins130 millions d’années et à ce titre ellereprésente la lignée la plus archaïquedes plantes vivant actuellement. Unedonnée confirmée par de nombreusesanalyses moléculaires. Son apparence est pourtant anodine,un arbuste de taille modeste assezcommun dans les forêts de moyennealtitude. Il faut des investigations pluspoussées pour voir les caractéristiquesqui en font une espèce unique. Sesvaisseaux conducteurs de sève sontimparfaits, plus proche de ceux desFougères (plantes à graines nues) quedes Angiospermes. Son fruit est diffé-rent de celui des autres protoAngio-

spermes avec des caractères encoreplus primitifs. L’analyse de l’ADN de sesmitochondries a montré que 28 gènesd’A. trichopoda proviennent d’autresangiospermes voire de plantes nonangiospermes comme des mousses. Cephénomène de transfert de gènes hori-zontal entre espèces non apparentées– différent donc du transfert entregénérations d’une même espèce – estconnu chez les bactéries ou entre hôteset parasites mais Amborella aurait untaux de transfert plus élevé qu’aucunautre organisme possédant un noyaucellulaire ! Cette énigme vivante est au cœurd’une grande opération de prospec-tion organisée par l’IRD en Nouvelle-Calédonie. L’objectif est d’en analyserla diversité. Des études préliminairesfaites à l’aide de marqueurs molé-culaires semblent indiquer que cettediversité est relativement faible sansqu’il soit possible de conclure encore.La collecte des échantillons représen-tatifs des populations d’Amborellatrichopoda continue afin d’être la plusexhaustive possible avec un recueild’informations telles que les carac-téristiques des habitats naturels, lesdonnées bio-climatiques, etc. À terme,

ces échantillons seront le supportd’analyses visant à la réalisation d’unecarte génétique de cette espècevégétale.Espérons que l’effervescence scienti-fique dont fait l’objet Amborella serabénéfique pour sa conservation in situet le financement d’études plus pous-sées. Au-delà de cette espèce emblé-matique, les chercheurs souhaitentattirer l’attention sur la nécessité deprotéger la remarquable biodiversité dela Nouvelle-Calédonie… ●

[email protected] [email protected]

P o r t r a i t d e M a r t i n e P e e t e r sD i r e c t r i c e d e r e c h e r c h e à l ’ u n i t é V I H / s i d a e t m a l a d i e s a s s o c i é e s

Remonter aux ancêtres du VIH…H uit mille personnes meurent

chaque jour du sida et on nesait toujours pas comment le

virus a franchi la « barrière des espèces »,pour passer du singe à l’homme… Il ya peut-être très longtemps qu’il est« sorti de la forêt ». En tout cas, cettequestion taraude quotidiennementMartine Peeters, chercheure à l’IRD àMontpellier, qui codirige l’un descentres les plus en pointe au mondesur le sida. Mais comment cette femmediscrète s’est-elle affrontée à cetteénigme qui inquiète la planète ?Un peu par hasard, comme souventdans les découvertes importantes, toutest parti d’une coïncidence. En 1988,diplômée en microbiologie à Anvers, enBelgique, Martine Peeters décide departir pour l’Afrique : « Mon laboratoireétait dirigé par Peter Piot qui allait deve-nir directeur d’Onusida. Des annéesplus tard, précise Martine Peeters, c’estlui qui a fait connaître au monde que leVIH (virus de l’immunodéficiencehumaine) existait aussi en Afrique etnon pas seulement en Occident où lespremiers cas étaient apparus.» Le projetafricain de Martine Peeters aboutit : ellepart pour le Gabon. Au milieu desannées 80, des chercheurs avaient éta-bli que certains petits singes d’Afriqueétaient infectés par des virus proches deceux responsables du SIDA. En 1988,avec Eric Delaporte, à l’époque cher-cheur INSERM, ils iront plus loin dans leurpremière recherche commune. Pendantleur séjour au Centre international derecherches médicales de Franceville, ilsvont mettre en évidence pour la pre-mière fois que les chimpanzés, de

grands singes donc, sont eux aussiinfectés par un virus très proche du VIH-1, responsable de la pandémiehumaine. Ce premier chimpanzé positifest un animal domestiqué et infectédans la nature.

Le mystère de la souche OIls lancent à partir du début des années2000, des études au Cameroun sur lesgrands singes de la forêt tropicale. Leschercheurs enquêtent grâce à uneméthode originale, non invasive, c’est-à-dire sans prise de sang, mais cettefois à partir de l’analyse des excré-ments. Il a fallu plusieurs années avantque ces techniques ne soient opéra-tionnelles et pour pouvoir commencerà étudier à grande échelle ces animauxdans leur environnement naturel. Sousleur responsabilité, des équipes vontainsi parcourir la forêt camerounaisepour ramasser des crottes de chim-panzé et de gorilles afin d’y rechercherla présence d’anticorps spécifiques dusida. Suite à ces découvertes, le chim-panzé est aujourd’hui reconnu commele principal réservoir animal du sida,avec le gorille. Toutes ces avancées obtiennent unereconnaissance du milieu scientifiquegrâce à une publication des travaux deMartine Peeters dans la revue Nature,en mai 2006. Il est désormais admisque le VIH-1 trouve son origine dans latransmission inter-espèce du SIV cpz (lenom donné à ce « Virus immunosup-presseur simien ») du chimpanzé PanTroglodytes qui vit au sud duCameroun. Plus précisément, il s’agit duréservoir des souches M et N du VIH-1.

Amborella trichopoda, seule espèce de sa famille et représentante de la plus vieille lignée de plantes à fleurs encore vivante sur Terre.

teurs originaires du grand continentqui œuvrent à ses côtés. Elle peut aussicompter, bien sûr, sur Eric Delaporte,co-directeur du programme et parailleurs Professeur des universités etpraticien hospitalier à l’hôpital Gui deChauliac : « Nous formons tous lesdeux une équipe avec chacun sesatouts, explique celui-ci. On arrive ainsià une vision complémentaire del’homme, du virus et de son environne-ment. » Sur place, elle dispose de bonsrelais : « Une primatologue de notreéquipe, Cécile Néel, poursuit actuelle-ment le travail au Cameroun, expliqueMartine Peeters. Dix jours par mois, ellepart “pister” les populations sauvagesde grands singes. » Malgré tout, denombreuses questions demeurent dansle quotidien de Martine Peeters : « Ilfaut anticiper un peu, constate-t-elle,

regarder ce qui se passe dans le réser-voir animal, pour deviner ce qu’iladviendra chez l’homme. » MartinePeeters, dispose pour cela de plusieursatouts. « Une grande ouverture d’es-prit, déjà, constate Guido Van derGroen, du département de Micro-biologie à l’Institut de Médecine tropi-cale d’Anvers, dont elle fut l’étudianteen thèse. C’est une femme remar-quable, dit-il, un bourreau de travail,faisant partie d’un extraordinaireréseau de scientifiques internationauxet en contact avec de nombreux col-lègues en Afrique. Elle fait preuve sur-tout d’esprit d’innovation dans larecherche et veut “terrasser” lesancêtres du HIV. » ●

[email protected]

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Cependant, le réservoir du troisièmegroupe de VIH-1 infectant l’homme, legroupe O, demeurait alors non identi-fié. Le mystère du réservoir de lasouche O a été éclairci quelques moisaprès la découverte de celui dessouches M et N. Avec la mêmeméthode originale de prélèvement desexcréments, la même équipe a trouvétrois échantillons contaminés apparte-nant à des gorilles. « Ce qui nous a sur-pris, c’est que le SIV du gorille appar-tient à la même famille que celui duchimpanzé, explique Martine Peeters.Le chimpanzé a dû transmettre sonvirus au gorille. Les deux espèces par-tagent les mêmes zones, mangent lesmêmes fruits et feuilles. Pourtant lesprimatologues n’ont jamais observé debagarre entre ces deux espèces.»Aujourd’hui, son équipe tente demieux comprendre la transmission devirus du singe à l’homme. La cher-cheuse travaille toujours sur les singesinfectés (il existe une trentaine d’es-pèces contaminées par un SIV). Elle vou-drait savoir pourquoi certains virussimiens ne s’adaptent pas à l’homme.Parallèlement, elle poursuit l’élabora-tion de tests pour détecter tous les SIV,pas seulement ceux à l’origine des VIH-1

et 2. Y aura-t-il un jour VIH-3 ?

Bourreau de travailDepuis 1994, Martine Peeters codirigel’unité VIH/sida et maladies associées,(IRD et Université de Montpellier, quis’est d’abord appelé « programmeSida »). Bien qu’ancrée à Montpellier,elle reste toujours proche de l’Afriqueet du « terrain », grâce à ses collabora-

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Une plante ancestrale calédonienne

� � Amborella trichopoda estun arbuste dioïque, c’est à dire

dont les fleurs mâles et les fleursfemelles sont portées par des pieds

différents. Ici pied mâle en fleurs.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 51 - septembre/octobre 2009

Tribune

Ces solutions sont adaptées pourconstruire de petites unités de traite-ment et rendent ainsi possible l’accès àl’eau potable dans des régions où l’ins-tallation de grosses structures commechez nous n’est pas envisageable. Le Bengladesh est un bon exemple carl’arsenic présent dans les eaux peutatteindre des concentrations 200 foisplus fortes que celles établies par lanorme de l’OMS et causer de nom-breuses maladies. Les technologies clas-siques ne donnent pas toujours de bonsrésultats et des filtres utilisant des nano-particules capables d’oxyder l’arsenic 3permettent de faire baisser la concen-tration en deçà des seuils de l’OMS. Sipour le Bengladesh, l’arsenic provientdes sédiments venant de l’Himalaya, ceproblème concerne aussi toutes lesrégions comportant d’anciennes minesd’or qui relâchent ce produit. Lesdébouchés sont donc très importants.

SAS : Les pays du Sud vont-ilsparticiper à cet essor des nanos ?

J-Y. B : Actuellement, seule la Chine ade véritables programmes de recherche

et développement dans ce domaine.Elle s’intéresse aux impacts environne-mentaux et sanitaires des nanos, ainsiqu’à des applications médicales. L’Indeest très peu engagée dans cesrecherches, et les pays de l’Amériquelatine, à part le Mexique, ont encorepeu d’activités de recherche et déve-loppements. Comme le souligne lesdocuments du Project on EmergingNanotechnology2, les sommes dépen-sées par les pays du Nord restent néan-moins considérables comparées à cellesengagées par les pays du Sud.

SAS : Quelles sont les risquesconcernant la production ou lacommercialisation denanotechnologies dans les pays duSud ?

J-Y. B : Il est probable que la produc-tion de nanoproduits s’exporte dansdes pays à moindre coût de maind’œuvre. Il faudra alors que ces pro-duits arrivent à se normaliser avec desprotocoles standardisés pour évaluerleur toxicité potentielle soient élaborés.Aujourd’hui, on en est loin, et sans

norme, il sera difficile de produire etcommercialiser des nanoproduits. Éta-blir ces normes à l’échelle mondiale serévèle cependant très complexe et vacertainement prendre du temps.Actuellement, deux pistes méthodolo-giques sont explorées pour évaluer lesimpacts des nanoparticules sur l’envi-ronnement. La première consiste àconstruire des mésocosmes pour repro-duire un environnement naturel etexpérimenter avec. La deuxième reposesur la modélisation à partir d’essais in-vivo pour faire des prédictions sur ladangerosité. Ces démarches demandentdes chercheurs formés ainsi que degros outils dont ne disposent pas la

plupart des pays du Sud qui dépendentdonc des pays riches pour cesrecherches. Si chez nous, ces travauxsur les risques environnementaux ousanitaires restent déjà largement sousreprésentés dans les grands pro-grammes de recherche, il est peu pro-bable que les pays du Sud investissentbeaucoup dans ces domaines. Ces pré-occupations sont avant tout des pro-blématiques de pays riches. ●

1. UMR Cerege2. www.nanotechproject.org

[email protected]

Sciences au Sud : Les débouchéesdes nanotechnologies ciblent-ellesuniquement les besoins des paysriches ou peuvent-elles pluslargement intéresser les pays du Sud ?

Jean-Yves Bottero : Les problèmesspécifiques des pays en développementouvrent des perspectives d’applicationsdes nanotechnologies dans quatregrands domaines : la valorisation desmatières premières, l’amélioration lestechniques agronomiques, la luttecontre les maladies et évidement ledéveloppement d’installations de trai-tement des eaux adaptées à ces pays.Pour ne prendre que cette dernièreapplication, elle représente un enjeumajeur pour de nombreux pays du Suddont les territoires ne sont pas équipésd’infrastructures de distribution et detraitement des eaux. Trois types detechnologies sont aujourd’hui exploi-tables : des membranes nanostructu-rées pour filtrer, des nanoparticulesréactives pour oxyder les polluants(titane, oxyde de fer…) et des filtresabsorbants les éléments indésirables.

Militantisme palestinien :un changement de répertoire d’action ?

I n t e r v i e w d e J e a n - Y v e s B o t t e r o

Des nanos pour le SudLes nanotechnologies sont-elles la chasse gardée de quelques pays du Nord ou vont-elles descendre vers le Sud et gagner l’espace scientifique et industriel des pays en développement ? Jean-Yves Bottero, directeur du Centre Européen de Recherche et d’Enseignement des Géosciences de l’Environnement1

fait le point sur ce domaine de recherche encore réservé aux pays riches mais dont certaines applications intéressent tout particulièrement les pays du Sud.

L e militantisme politique pales-tinien a principalement utilisédeux répertoires d’actions :

l’activisme armé et surtout la mobilisa-tion de masse qui combinait manifesta-tions, grèves, boycott etc. Cependant,la professionnalisation actuelle du mili-tantisme s’accompagne d’une nouvelleorientation vers l’expertise publique etle plaidoyer. Deux directions principalesapparaissent, dans un pays particulière-ment dépendant de l’aide étrangère.Les agendas des organisations interna-tionales et des bailleurs de fonds sontdiscutés, et les interventions proposentcontre-expertises ou argumentairesjuridiques appuyés sur les droits del’Homme. D’autre part, la technocratie,ou l’accession « d’experts » à despostes de pouvoir, est encouragée,comme un moyen d’obtention d’uneplus grande légitimité internationaleface à la disqualification des politiqueset des discours nationalistes. Loca-lement, la référence technocrateacquiert également un certain créditlorsqu’elle insiste sur l’intégrité des diri-geants et les services à la population.Ce registre est désormais utilisé par tousles courants politiques palestiniens, avecune importance variable toutefois. Les

ONG et les associations de plaidoyer, sou-vent composées d’anciens militants dela gauche arabe, sont en première ligne.Elles cherchent à documenter les viola-tions des droits de l’Homme commisespar l’armée israélienne, l’extension descolonies etc. et à porter ces faits auprèsdes juridictions internationales, ou plusrécemment des juridictions nationalesétrangères. Les ONG participent aussi auxactions de développement financées parles bailleurs de fond internationaux.Mais les décalages entre les derniersmots d’ordre des politiques de dévelop-pement et les attentes de la populationles desservent. Prises en porte à faux, lesONG sont de plus en plus perçues locale-ment comme des élites externes se posi-tionnant sur un marché international del’aide. De plus, leur recrutement se spé-cialise car leur action nécessite des com-pétences spécifiques, ce qui accentueencore la distance.Plus récemment, les autres courants poli-tiques palestiniens se sont engagés dansune voie quelque peu similaire, où laréférence à l’expertise technique plutôtqu’à la politique prend de l’importance.Ainsi le Fatah promeut-il désormais offi-ciellement l’instauration d’un gouverne-ment de technocrates qui aurait le

double avantage de susciter l’approba-tion internationale et peut-être de limiterles différends avec le Hamas. Enfin, lemouvement islamiste lui-même valoriseune efficacité gestionnaire, tout particu-lièrement sensible dans les municipalitésoù il a gagné les élections en 2005, etqui fut un élément déterminant dans le

vote des Palestiniens en sa faveur lorsdes élections législatives de 2006.Toutefois dans ces deux derniers mouve-ments, le « virage technocrate », certesmoins évident au Hamas qu’au Fatah, nemarginalise pas un militantisme plus tra-ditionnel basé sur des mobilisations clas-siques de militants. S’agit-il d’une forme de « dépolitisa-tion » ? Il y a insistance certes sur lesprocessus et les moyens techniques. Lesrevendications se font plus techniques,plus sectorielles, d’où par exemple leréinvestissement des syndicats profes-sionnels. Mais implicitement ou explici-tement, les enjeux restent politiques etconcernent bien l’organisation et ledevenir de la société palestinienne.L’utilisation de ce répertoire d’actionn’est pas spécifique aux Palestiniens et

renvoie à une évolution internationaledu militantisme vers la professionnali-sation. Mais pour ces derniers, ellerelève aussi d’une adaptation et de larecherche de nouveaux moyens d’actionaprès l’échec des répertoires antérieurs,qui – avec l’aggravation de la situationdans les Territoires Palestiniens – leuravait rendue difficile toute projectionpolitique positive à moyen terme. Si cesnouvelles formes d’actions ouvrent uneautre scène politique, plus internatio-nale, il n’est pas sûr pourtant qu’ellessuffisent pour créer un nouvel horizonpolitique palestinien, au-delà d’amélio-rations marginales et ponctuelles. ●

ContactPénélope LarzilièreUR Savoirs et développement

Étudiantesdevant El Arroubcollège prèsd’Hebron.

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Membrane faite à partir de nanoparticules d’oxy-hydroxide d’aluminiumpour filtrer l’eau.

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