societe du spectacle

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Societe Du Spectacle por Guy Debord

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  • Guy Debord(1931-1994)

    (1967)

    La SocitduSpectacle

    Troisime dition, 1992

    Un document produit en version numrique par Yves Le Bail, bnvole,vreux, Normandie, France

    Courriel: [email protected] En coopration avec Bruno Mouchelet, traducteur, Du Mauvais Ct.Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"

    Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

  • Cette dition lectronique a t ralise par Yves Le Bail, vreux, Normandie,France, bnvole, partir de la 3e dition des ditions Gallimard (1992). En coopration avec Bruno Mouchelet, traducteur Du Mauvais Ct.(ditions Champ Libre, 1971)

    Guy Debord

    La Socit du Spectacle

    Les ditions Gallimard, Paris, 1992, 3e dition, collectionFolio, 224 pages, publication originale : Les ditions Buchet-Chastel, Paris, 1967.

    Une dition lectronique pour une fois relue, et par 5 fois corrige,respectant en particulier lintgralit des italiques prsents dans le texteoriginal par Bruno Mouchelet, Du Mauvais Ct, traducteur.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Arial, 14 points.Pour les citations : Arial 12 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 30 mars 2006 Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada.

  • Table des matires

    Avertissement pour la troisime dition franaise, 1992.

    I. la sparation acheveII. la marchandise comme spectacleIII. unit et division dans l'apparenceIV. le proltariat comme sujet et comme reprsentationV. temps et histoireVI. le temps spectaculaireVII. l'amnagement du territoireVIII. la ngation et la consommation dans la cultureIX. l'idologie matrialise

  • Guy Debord (1967)

    La Socit du Spectacle

    ditions Champ Libre, Paris, 1971. ditions Gallimard, Paris,1992, 3edition.

  • Avertissement pour la troisimedition franaise

    Retour la table des matires

    La Socit du Spectacle a t publie pour la premirefois en novembre 1967 Paris, chez Buchet-Chastel. Lestroubles de 1968 lont fait connatre. Le livre, auquel je naijamais chang un seul mot, a t rdit ds 1971 auxditions Champ Libre, qui ont pris le nom de Grard Lebovicien 1984, aprs lassassinat de lditeur. La srie desrimpressions y a t poursuivie rgulirement, jusquen1991. La prsente dition, elle aussi, est resterigoureusement identique celle de 1967. La mme rglecommandera dailleurs, tout naturellement, la rdition delensemble de mes livres chez Gallimard. Je ne suis pasquelquun qui se corrige.

    Une telle thorie critique na pas tre change ; aussilongtemps que nauront pas t dtruites les conditionsgnrales de la longue priode de lhistoire que cette thorieaura t la premire dfinir avec exactitude. Lacontinuation du dveloppement de la priode na fait quevrifier et illustrer la thorie du spectacle dont lexpos, iciritr, peut galement tre considr comme historiquedans une acceptation moins leve : il tmoigne de ce qua

  • t la position la plus extrme au moment des querelles de1968, et donc de ce quil tait dj possible de savoir en1968. Les pires dupes de cette poque ont pu apprendredepuis, par les dconvenues de toute leur existence, ce quesignifiaient la ngation de la vie qui est devenue visible ;la perte de la qualit lie la forme-marchandise, et la proltarisation du monde .

    Jai du reste ajout en leur temps dautres observationstouchant les plus remarquables nouveauts que le coursultrieur du mme processus devait faire apparatre. En1979, loccasion dune prface destine une nouvelletraduction italienne, jai trait des transformations effectivesdans la nature mme de la production industrielle, commedans les techniques de gouvernement, que commenait autoriser lemploi de la force spectaculaire. En 1988, lesCommentaires sur la socit du spectacle ont nettementtabli que la prcdente division mondiale des tchesspectaculaires , entre les rgnes rivaux du spectaculaireconcentr et du spectaculaire diffus , avait dsormaispris fin au profit de leur fusion dans la forme commune du spectaculaire intgr .

    Cette fusion peut tre sommairement rsume encorrigeant la thse 105 qui, touchant ce qui stait passavant 1967, distinguait encore les formes antrieures seloncertaines pratiques opposes. Le Grand Schisme du pouvoirde classe stant achev par la rconciliation, il faut dire quela pratique unifie du spectaculaire intgr, aujourdhui, a transform conomiquement le monde , en mme tempsquil a transform policirement la perception . (La policedans la circonstance est elle-mme tout fait nouvelle.)

    Cest seulement parce que cette fusion stait djproduite dans la ralit conomico-politique du mondeentier, que le monde pouvait enfin se proclamerofficiellement unifi. Cest aussi parce que la situation o enest universellement arriv le pouvoir spar est si grave que

  • ce monde avait besoin dtre unifi au plus tt ; de participercomme un seul bloc la mme organisation consensuelle dumarch mondial, falsifi et garanti spectaculairement. Et ilne sunifiera pas, finalement.

    La bureaucratie totalitaire, classe dominante desubstitution pour lconomie marchande , navait jamaisbeaucoup cru son destin. Elle se savait forme sous-dveloppe de classe dominante , et se voulait mieux. Lathse 58 avait de longue date tabli laxiome suivant : Laracine du spectacle est dans le terrain de lconomiedevenue abondante, et cest de l que viennent les fruits quitendent finalement dominer le march spectaculaire.

    Cest cette volont de modernisation et dunification duspectacle, lie tous les autres aspects de la simplificationde la socit, qui a conduit en 1989 la bureaucratie russe se convertir soudain, comme un seul homme, la prsenteidologie de la dmocratie : cest--dire la libert dictatorialedu March, tempre par la reconnaissance des Droits delhomme spectateur. Personne en Occident na pilogu unseul jour sur la signification et les consquences dun siextraordinaire vnement mdiatique. Le progrs de latechnique spectaculaire se prouve en ceci. Il ny a eu enregistrer que lapparence dune sorte de secoussegologique. On date le phnomne, et on lestime bien assezcompris, en se contentant de rpter un trs simple signal la chute-du-Mur-de-Berlin , aussi indiscutable que tous lesautres signaux dmocratiques.

    En 1991, les premiers effets de la modernisation ont paruavec la dissolution complte de la Russie. L sexprime, plusfranchement encore quen Occident, le rsultat dsastreuxde lvolution gnrale de lconomie. Le dsordre nen estque la consquence. Partout se posera la mme redoutablequestion, celle qui hante le monde depuis deux sicles :comment faire travailler les pauvres, l o lillusion a du,et o la force sest dfaite ?

  • La thse 111, reconnaissant les premiers symptmes dundclin russe dont nous venons de voir lexplosion finale, etenvisageant la disparition prochaine dune socit mondialequi, comme on peut dire maintenant, seffacera de lammoire de lordinateur, nonait ce jugement stratgiquedont il va devenir facile de sentir la justesse : Ladcomposition mondiale de lalliance de la mystificationbureaucratique est, en dernire analyse, le facteur le plusdfavorable pour le dveloppement actuel de la socitcapitaliste.

    Il faut lire ce livre en considrant quil a t sciemmentcrit dans lintention de nuire la socit spectaculaire. Ilna jamais rien dit doutrancier.

    30 juin 1992guy debord

  • I. la sparation acheve

    Retour la table des matires

    Et sans doute notre temps... prfre limage la chose, lacopie loriginal, la reprsentation la ralit, lapparence ltre... Ce qui est sacr pour lui, ce nest que lillusion, mais cequi est profane, cest la vrit. Mieux, le sacr grandit ses yeux mesure que dcrot la vrit et que lillusion crot, si bien quele comble de lillusion est aussi pour lui le comble du sacr.

    Feuerbach (Prface la deuxime ditionde LEssence du christianisme)

  • 1Toute la vie des socits dans lesquelles rgnent les

    conditions modernes de production sannonce comme uneimmense accumulation de spectacles. Tout ce qui taitdirectement vcu sest loign dans une reprsentation.

    2Les images qui se sont dtaches de chaque aspect de la

    vie fusionnent dans un cours commun, o lunit de cette viene peut plus tre rtablie. La ralit considrepartiellement se dploie dans sa propre unit gnrale entant que pseudo-monde part, objet de la seulecontemplation. La spcialisation des images du monde seretrouve, accomplie, dans le monde de limage autonomis,o le mensonger sest menti lui-mme. Le spectacle engnral, comme inversion concrte de la vie, est lemouvement autonome du non-vivant.

    3Le spectacle se prsente la fois comme la socit

    mme, comme une partie de la socit, et commeinstrument dunification. En tant que partie de la socit, ilest expressment le secteur qui concentre tout regard ettoute conscience. Du fait mme que ce secteur est spar, ilest le lieu du regard abus et de la fausse conscience ; etlunification quil accomplit nest rien dautre quun langageofficiel de la sparation gnralise.

    4Le spectacle nest pas un ensemble dimages, mais un

    rapport social entre des personnes, mdiatis par des

  • images.

  • 5Le spectacle ne peut tre compris comme labus dun

    monde de la vision, le produit des techniques de diffusionmassive des images. Il est bien plutt une Weltanschauungdevenue effective, matriellement traduite. Cest une visiondu monde qui sest objective.

    6Le spectacle, compris dans sa totalit, est la fois le

    rsultat et le projet du mode de production existant. Il nestpas un supplment au monde rel, sa dcoration surajoute.Il est le cur de lirralisme de la socit relle. Sous toutesses formes particulires, information ou propagande,publicit ou consommation directe de divertissements, lespectacle constitue le modle prsent de la vie socialementdominante. Il est laffirmation omniprsente du choix djfait dans la production, et sa consommation corollaire. Formeet contenu du spectacle sont identiquement la justificationtotale des conditions et des fins du systme existant. Lespectacle est aussi la prsence permanente de cettejustification, en tant quoccupation de la part principale dutemps vcu hors de la production moderne.

    7La sparation fait elle-mme partie de lunit du monde,

    de la praxis sociale globale qui sest scinde en ralit et enimage. La pratique sociale, devant laquelle se pose lespectacle autonome, est aussi la totalit relle qui contientle spectacle. Mais la scission dans cette totalit la mutile aupoint de faire apparatre le spectacle comme son but. Lelangage du spectacle est constitu par des signes de laproduction rgnante, qui sont en mme temps la finalitdernire de cette production.

  • 8On ne peut opposer abstraitement le spectacle et

    lactivit sociale effective ; ce ddoublement est lui-mmeddoubl. Le spectacle qui inverse le rel est effectivementproduit. En mme temps la ralit vcue est matriellementenvahie par la contemplation du spectacle, et reprend enelle-mme lordre spectaculaire en lui donnant une adhsionpositive. La ralit objective est prsente des deux cts.Chaque notion ainsi fixe na pour fond que son passagedans loppos : la ralit surgit dans le spectacle, et lespectacle est rel. Cette alination rciproque est lessenceet le soutien de la socit existante.

    9Dans le monde rellement renvers, le vrai est un

    moment du faux.

    10Le concept de spectacle unifie et explique une grande

    diversit de phnomnes apparents. Leurs diversits etcontrastes sont les apparences de cette apparenceorganise socialement, qui doit tre elle-mme reconnuedans sa vrit gnrale. Considr selon ses propres termes,le spectacle est laffirmation de lapparence et laffirmationde toute vie humaine, cest--dire sociale, comme simpleapparence. Mais la critique qui atteint la vrit du spectaclele dcouvre comme la ngation visible de la vie ; comme unengation de la vie qui est devenue visible.

  • 11Pour dcrire le spectacle, sa formation, ses fonctions, et

    les forces qui tendent sa dissolution, il faut distinguerartificiellement des lments insparables. En analysant lespectacle, on parle dans une certaine mesure le langagemme du spectaculaire, en ceci que lon passe sur le terrainmthodologique de cette socit qui sexprime dans lespectacle. Mais le spectacle nest rien dautre que le sens dela pratique totale dune formation conomique-sociale, sonemploi du temps. Cest le moment historique qui nouscontient.

    12Le spectacle se prsente comme une norme positivit

    indiscutable et inaccessible. Il ne dit rien de plus que cequi apparat est bon, ce qui est bon apparat . Lattitudequil exige par principe est cette acceptation passive quil adj en fait obtenue par sa manire dapparatre sansrplique, par son monopole de lapparence.

    13Le caractre fondamentalement tautologique du spectacle

    dcoule du simple fait que ses moyens sont en mme tempsson but. Il est le soleil qui ne se couche jamais sur lempirede la passivit moderne. Il recouvre toute la surface dumonde et baigne indfiniment dans sa propre gloire.

  • 14La socit qui repose sur lindustrie moderne nest pas

    fortuitement ou superficiellement spectaculaire, elle estfondamentalement spectacliste. Dans le spectacle, image delconomie rgnante, le but nest rien, le dveloppement esttout. Le spectacle ne veut en venir rien dautre qu lui-mme.

    15En tant quindispensable parure des objets produits

    maintenant, en tant quexpos gnral de la rationalit dusystme, et en tant que secteur conomique avanc quifaonne directement une multitude croissante dimages-objets, le spectacle est la principale production de la socitactuelle.

    16Le spectacle se soumet les hommes vivants dans la

    mesure o lconomie les a totalement soumis. Il nest rienque lconomie se dveloppant pour elle-mme. Il est lereflet fidle de la production des choses, et lobjectivationinfidle des producteurs.

    17La premire phase de la domination de lconomie sur la

    vie sociale avait entran dans la dfinition de touteralisation humaine une vidente dgradation de ltre enavoir. La phase prsente de loccupation totale de la viesociale par les rsultats accumuls de lconomie conduit

  • un glissement gnralis de lavoir au paratre, dont tout avoir effectif doit tirer son prestige immdiat et safonction dernire. En mme temps toute ralit individuelleest devenue sociale, directement dpendante de lapuissance sociale, faonne par elle. En ceci seulementquelle nest pas, il lui est permis dapparatre.

    18L o le monde rel se change en simples images, les

    simples images deviennent des tres rels, et lesmotivations efficientes dun comportement hypnotique. Lespectacle, comme tendance faire voir par diffrentesmdiations spcialises le monde qui nest plus directementsaisissable, trouve normalement dans la vue le sens humainprivilgi qui fut dautres poques le toucher ; le sens leplus abstrait, et le plus mystifiable, correspond labstraction gnralise de la socit actuelle. Mais lespectacle nest pas identifiable au simple regard, mmecombin lcoute. Il est ce qui chappe lactivit deshommes, la reconsidration et la correction de leuruvre. Il est le contraire du dialogue. Partout o il y areprsentation indpendante, le spectacle se reconstitue.

    19Le spectacle est lhritier de toute la faiblesse du projet

    philosophique occidental qui fut une comprhension delactivit, domine par les catgories du voir ; aussi bien quilse fonde sur lincessant dploiement de la rationalittechnique prcise qui est issue de cette pense. Il ne ralisepas la philosophie, il philosophise la ralit. Cest la vieconcrte de tous qui sest dgrade en univers spculatif.

  • 20La philosophie, en tant que pouvoir de la pense spare,

    et pense du pouvoir spar, na jamais pu par elle-mmedpasser la thologie. Le spectacle est la reconstructionmatrielle de lillusion religieuse. La technique spectaculairena pas dissip les nuages religieux o les hommes avaientplac leurs propres pouvoirs dtachs deux : elle les aseulement relis une base terrestre. Ainsi cest la vie laplus terrestre qui devient opaque et irrespirable. Elle nerejette plus dans le ciel, mais elle hberge chez elle sarcusation absolue, son fallacieux paradis. Le spectacle estla ralisation technique de lexil des pouvoirs humains dansun au-del ; la scission acheve lintrieur de lhomme.

    21 mesure que la ncessit se trouve socialement rve, le

    rve devient ncessaire. Le spectacle est le mauvais rve dela socit moderne enchane, qui nexprime finalement queson dsir de dormir. Le spectacle est le gardien de cesommeil.

    22Le fait que la puissance pratique de la socit moderne

    sest dtache delle-mme, et sest difi un empireindpendant dans le spectacle, ne peut sexpliquer que parcet autre fait que cette pratique puissante continuait manquer de cohsion, et tait demeure en contradictionavec elle-mme.

  • 23Cest la plus vieille spcialisation sociale, la spcialisation

    du pouvoir, qui est la racine du spectacle. Le spectacle estainsi une activit spcialise qui parle pour lensemble desautres. Cest la reprsentation diplomatique de la socithirarchique devant elle-mme, o toute autre parole estbannie. Le plus moderne y est aussi le plus archaque.

    24Le spectacle est le discours ininterrompu que lordre

    prsent tient sur lui-mme, son monologue logieux. Cestlauto-portrait du pouvoir lpoque de sa gestion totalitairedes conditions dexistence. Lapparence ftichiste de pureobjectivit dans les relations spectaculaires cache leurcaractre de relation entre hommes et entre classes : uneseconde nature parat dominer notre environnement de seslois fatales. Mais le spectacle nest pas ce produit ncessairedu dveloppement technique regard comme undveloppement naturel. La socit du spectacle est aucontraire la forme qui choisit son propre contenu technique.Si le spectacle, pris sous laspect restreint des moyens decommunication de masse , qui sont sa manifestationsuperficielle la plus crasante, peut paratre envahir lasocit comme une simple instrumentation, celle-ci nest enfait rien de neutre, mais linstrumentation mme quiconvient son auto-mouvement total. Si les besoins sociauxde lpoque o se dveloppent de telles techniques nepeuvent trouver de satisfaction que par leur mdiation, siladministration de cette socit et tout contact entre leshommes ne peuvent plus sexercer que par lintermdiairede cette puissance de communication instantane, cestparce que cette communication est essentiellementunilatrale ; de sorte que sa concentration revient accumuler dans les mains de ladministration du systme

  • existant les moyens qui lui permettent de poursuivre cetteadministration dtermine. La scission gnralise duspectacle est insparable de ltat moderne, cest--dire dela forme gnrale de la scission dans la socit, produit de ladivision du travail social et organe de la domination declasse.

    25La sparation est lalpha et lomga du spectacle.

    Linstitutionnalisation de la division sociale du travail, laformation des classes avaient construit une premirecontemplation sacre, lordre mythique dont tout pouvoirsenveloppe ds lorigine. Le sacr a justifi lordonnancecosmique et ontologique qui correspondait aux intrts desmatres, il a expliqu et embelli ce que la socit ne pouvaitpas faire. Tout pouvoir spar a donc t spectaculaire, maisladhsion de tous une telle image immobile ne signifiaitque la reconnaissance commune dun prolongementimaginaire pour la pauvret de lactivit sociale relle,encore largement ressentie comme une condition unitaire.Le spectacle moderne exprime au contraire ce que la socitpeut faire, mais dans cette expression le permis sopposeabsolument au possible. Le spectacle est la conservation delinconscience dans le changement pratique des conditionsdexistence. Il est son propre produit, et cest lui-mme qui apos ses rgles : cest un pseudo-sacr. Il montre ce quilest : la puissance spare se dveloppant en elle-mme,dans la croissance de la productivit au moyen duraffinement incessant de la division du travail enparcellarisation des gestes, alors domins par le mouvementindpendant des machines ; et travaillant pour un marchtoujours plus tendu. Toute communaut et tout senscritique se sont dissous au long de ce mouvement, danslequel les forces qui ont pu grandir en se sparant ne se sontpas encore retrouves.

  • 26Avec la sparation gnralise du travailleur et de son

    produit, se perdent tout point de vue unitaire sur lactivitaccomplie, toute communication personnelle directe entreles producteurs. Suivant le progrs de laccumulation desproduits spars, et de la concentration du processusproductif, lunit et la communication deviennent lattributexclusif de la direction du systme. La russite du systmeconomique de la sparation est la proltarisation dumonde.

    27Par la russite mme de la production spare en tant que

    production du spar, lexprience fondamentale lie dansles socits primitives un travail principal est en train de sedplacer, au ple de dveloppement du systme, vers lenon-travail, linactivit. Mais cette inactivit nest en rienlibre de lactivit productrice : elle dpend delle, elle estsoumission inquite et admirative aux ncessits et auxrsultats de la production ; elle est elle-mme un produit desa rationalit. Il ne peut y avoir de libert hors de lactivit,et dans le cadre du spectacle toute activit est nie,exactement comme lactivit relle a t intgralementcapte pour ldification globale de ce rsultat. Ainsilactuelle libration du travail , laugmentation des loisirs,nest aucunement libration dans le travail, ni libration dunmonde faonn par ce travail. Rien de lactivit vole dans letravail ne peut se retrouver dans la soumission sonrsultat.

  • 28Le systme conomique fond sur lisolement est une

    production circulaire de lisolement. Lisolement fonde latechnique, et le processus technique isole en retour. Delautomobile la tlvision, tous les biens slectionns par lesystme spectaculaire sont aussi ses armes pour lerenforcement constant des conditions disolement des foules solitaires . Le spectacle retrouve toujours plusconcrtement ses propres prsuppositions.

    29Lorigine du spectacle est la perte de lunit du monde, et

    lexpansion gigantesque du spectacle moderne exprime latotalit de cette perte : labstraction de tout travailparticulier et labstraction gnrale de la productiondensemble se traduisent parfaitement dans le spectacle,dont le mode dtre concret est justement labstraction.Dans le spectacle, une partie du monde se reprsentedevant le monde, et lui est suprieure. Le spectacle nestque le langage commun de cette sparation. Ce qui relie lesspectateurs nest quun rapport irrversible au centre mmequi maintient leur isolement. Le spectacle runit le spar,mais il le runit en tant que spar.

    30Lalination du spectateur au profit de lobjet contempl

    (qui est le rsultat de sa propre activit inconsciente)sexprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus ilaccepte de se reconnatre dans les images dominantes dubesoin, moins il comprend sa propre existence et son propredsir. Lextriorit du spectacle par rapport lhommeagissant apparat en ce que ses propres gestes ne sont plus

  • lui, mais un autre qui les lui reprsente. Cest pourquoi lespectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle estpartout.

    31Le travailleur ne se produit pas lui-mme, il produit une

    puissance indpendante. Le succs de cette production, sonabondance, revient vers le producteur comme abondance dela dpossession. Tout le temps et lespace de son monde luideviennent trangers avec laccumulation de ses produitsalins. Le spectacle est la carte de ce nouveau monde,carte qui recouvre exactement son territoire. Les forcesmmes qui nous ont chapp se montrent nous dans touteleur puissance.

    32Le spectacle dans la socit correspond une fabrication

    concrte de lalination. Lexpansion conomique estprincipalement lexpansion de cette production industrielleprcise. Ce qui crot avec lconomie se mouvant pour elle-mme ne peut tre que lalination qui tait justement dansson noyau originel.

    33Lhomme spar de son produit, de plus en plus

    puissamment produit lui-mme tous les dtails de sonmonde, et ainsi se trouve de plus en plus spar de sonmonde. Dautant plus sa vie est maintenant son produit,dautant plus il est spar de sa vie.

    34Le spectacle est le capital un tel degr daccumulation

  • quil devient image.

  • II. la marchandisecomme spectacle

    Retour la table des matires

    Car ce nest que comme catgorie universelle de ltresocial total que la marchandise peut tre comprise dans sonessence authentique. Ce nest que dans ce contexte que larification surgie du rapport marchand acquiert une significationdcisive, tant pour lvolution objective de la socit que pourlattitude des hommes son gard, pour la soumission de leurconscience aux formes dans lesquelles cette rificationsexprime... Cette soumission saccrot encore du fait que plus larationalisation et la mcanisation du processus de travailaugmentent, plus lactivit du travailleur perd son caractredactivit pour devenir une attitude contemplative.

    Lukcs (Histoire et conscience de classe)

  • 35 ce mouvement essentiel du spectacle, qui consiste

    reprendre en lui tout ce qui existait dans lactivit humaine ltat fluide, pour le possder ltat coagul, en tant quechoses qui sont devenues la valeur exclusive par leurformulation en ngatif de la valeur vcue, nousreconnaissons notre vieille ennemie qui sait si bien paratreau premier coup dil quelque chose de trivial et secomprenant de soi-mme, alors quelle est au contraire sicomplexe et si pleine de subtilits mtaphysiques, lamarchandise.

    36Cest le principe du ftichisme de la marchandise, la

    domination de la socit par des choses suprasensiblesbien que sensibles , qui saccomplit absolument dans lespectacle, o le monde sensible se trouve remplac par uneslection dimages qui existe au-dessus de lui, et qui enmme temps sest fait reconnatre comme le sensible parexcellence.

    37Le monde la fois prsent et absent que le spectacle fait

    voir est le monde de la marchandise dominant tout ce quiest vcu. Et le monde de la marchandise est ainsi montrcomme il est, car son mouvement est identique lloignement des hommes entre eux et vis--vis de leurproduit global.

  • 38La perte de la qualit, si vidente tous les niveaux du

    langage spectaculaire, des objets quil loue et des conduitesquil rgle, ne fait que traduire les caractres fondamentauxde la production relle qui carte la ralit : la forme-marchandise est de part en part lgalit soi-mme, lacatgorie du quantitatif. Cest le quantitatif quelledveloppe, et elle ne peut se dvelopper quen lui.

    39Ce dveloppement qui exclut le qualitatif est lui-mme

    soumis, en tant que dveloppement, au passage qualitatif :le spectacle signifie quil a franchi le seuil de sa propreabondance ; ceci nest encore vrai localement que surquelques points, mais dj vrai lchelle universelle qui estla rfrence originelle de la marchandise, rfrence que sonmouvement pratique, rassemblant la Terre comme marchmondial, a vrifie.

    40Le dveloppement des forces productives a t lhistoire

    relle inconsciente qui a construit et modifi les conditionsdexistence des groupes humains en tant que conditions desurvie, et largissement de ces conditions : la baseconomique de toutes leurs entreprises. Le secteur de lamarchandise a t, lintrieur dune conomie naturelle, laconstitution dun surplus de la survie. La production desmarchandises, qui implique lchange de produits varisentre des producteurs indpendants, a pu rester longtempsartisanale, contenue dans une fonction conomiquemarginale o sa vrit quantitative est encore masque.

  • Cependant, l o elle a rencontr les conditions sociales dugrand commerce et de laccumulation des capitaux, elle asaisi la domination totale de lconomie. Lconomie toutentire est alors devenue ce que la marchandise staitmontre tre au cours de cette conqute : un processus dedveloppement quantitatif. Ce dploiement incessant de lapuissance conomique sous la forme de la marchandise, quia transfigur le travail humain en travail-marchandise, ensalariat, aboutit cumulativement une abondance danslaquelle la question premire de la survie est sans doutersolue, mais dune manire telle quelle doit se retrouvertoujours ; elle est chaque fois pose de nouveau un degrsuprieur. La croissance conomique libre les socits de lapression naturelle qui exigeait leur lutte immdiate pour lasurvie, mais alors cest de leur librateur quelles ne sontpas libres. Lindpendance de la marchandise sesttendue lensemble de lconomie sur laquelle elle rgne.Lconomie transforme le monde, mais le transformeseulement en monde de lconomie. La pseudo-nature danslaquelle le travail humain sest alin exige de poursuivre linfini son service, et ce service, ntant jug et absous quepar lui-mme, en fait obtient la totalit des efforts et desprojets socialement licites, comme ses serviteurs.Labondance des marchandises, cest--dire du rapportmarchand, ne peut tre plus que la survie augmente.

    41La domination de la marchandise sest dabord exerce

    dune manire occulte sur lconomie, qui elle-mme, entant que base matrielle de la vie sociale, restait inaperueet incomprise, comme le familier qui nest pas pour autantconnu. Dans une socit o la marchandise concrte resterare ou minoritaire, cest la domination apparente de largentqui se prsente comme lmissaire muni des pleins pouvoirsqui parle au nom dune puissance inconnue. Avec larvolution industrielle, la division manufacturire du travail

  • et la production massive pour le march mondial, lamarchandise apparat effectivement, comme une puissancequi vient rellement occuper la vie sociale. Cest alors que seconstitue lconomie politique, comme science dominante etcomme science de la domination.

    42Le spectacle est le moment o la marchandise est

    parvenue loccupation totale de la vie sociale. Nonseulement le rapport la marchandise est visible, mais onne voit plus que lui : le monde que lon voit est son monde.La production conomique moderne tend sa dictatureextensivement et intensivement. Dans les lieux les moinsindustrialiss, son rgne est dj prsent avec quelquesmarchandises-vedettes et en tant que dominationimprialiste par les zones qui sont en tte dans ledveloppement de la productivit. Dans ces zones avances,lespace social est envahi par une superposition continue decouches gologiques de marchandises. ce point de la deuxime rvolution industrielle , la consommationaline devient pour les masses un devoir supplmentaire la production aline. Cest tout le travail vendu dunesocit qui devient globalement la marchandise totale dontle cycle doit se poursuivre. Pour ce faire, il faut que cettemarchandise totale revienne fragmentairement lindividufragmentaire, absolument spar des forces productivesoprant comme un ensemble. Cest donc ici que la sciencespcialise de la domination doit se spcialiser son tour :elle smiette en sociologie, psychotechnique, cyberntique,smiologie, etc., veillant lautorgulation de tous lesniveaux du processus.

    43Alors que dans la phase primitive de laccumulation

  • capitaliste lconomie politique ne voit dans le proltaireque louvrier , qui doit recevoir le minimum indispensablepour la conservation de sa force de travail, sans jamais leconsidrer dans ses loisirs, dans son humanit , cetteposition des ides de la classe dominante se renverseaussitt que le degr dabondance atteint dans la productiondes marchandises exige un surplus de collaboration delouvrier. Cet ouvrier, soudain lav du mpris total qui lui estclairement signifi par toutes les modalits dorganisation etsurveillance de la production, se retrouve chaque jour endehors de celle-ci apparemment trait comme une grandepersonne, avec une politesse empresse, sous ledguisement du consommateur. Alors lhumanisme de lamarchandise prend en charge les loisirs et lhumanit dutravailleur, tout simplement parce que lconomie politiquepeut et doit maintenant dominer ces sphres en tantquconomie politique. Ainsi le reniement achev delhomme a pris en charge la totalit de lexistencehumaine.

    44Le spectacle est une guerre de lopium permanente pour

    faire accepter lidentification des biens aux marchandises ;et de la satisfaction la survie augmentant selon sespropres lois. Mais si la survie consommable est quelquechose qui doit augmenter toujours, cest parce quelle necesse de contenir la privation. Sil ny a aucun au-del de lasurvie augmente, aucun point o elle pourrait cesser sacroissance, cest parce quelle nest pas elle-mme au delde la privation, mais quelle est la privation devenue plusriche.

    45Avec lautomation, qui est la fois le secteur le plus

  • avanc de lindustrie moderne, et le modle o se rsumeparfaitement sa pratique, il faut que le monde de lamarchandise surmonte cette contradiction :linstrumentation technique qui supprime objectivement letravail doit en mme temps conserver le travail commemarchandise, et seul lieu de naissance de la marchandise.Pour que lautomation, ou toute autre forme moins extrmede laccroissement de la productivit du travail, ne diminuepas effectivement le temps de travail social ncessaire lchelle de la socit, il est ncessaire de crer de nouveauxemplois. Le secteur tertiaire, les services, sont limmensetirement des lignes dtapes de larme de la distribution etde lloge des marchandises actuelles ; mobilisation deforces suppltives qui rencontre opportunment, dans lafacticit mme des besoins relatifs de telles marchandises,la ncessit dune telle organisation de larrire-travail.

    46La valeur dchange na pu se former quen tant quagent

    de la valeur dusage, mais sa victoire par ses propres armesa cr les conditions de sa domination autonome. Mobilisanttout usage humain et saisissant le monopole de sasatisfaction, elle a fini par diriger lusage. Le processus delchange sest identifi tout usage possible, et la rduit sa merci. La valeur dchange est le condottiere de la valeurdusage, qui finit par mener la guerre pour son proprecompte.

    47Cette constante de lconomie capitaliste qui est la baisse

    tendancielle de la valeur dusage dveloppe une nouvelleforme de privation lintrieur de la survie augmente,laquelle nest pas davantage affranchie de lanciennepnurie puisquelle exige la participation de la grande

  • majorit des hommes, comme travailleurs salaris, lapoursuite infinie de son effort ; et que chacun sait quil luifaut sy soumettre ou mourir. Cest la ralit de ce chantage,le fait que lusage sous sa forme la plus pauvre (manger,habiter) nexiste plus quemprisonn dans la richesseillusoire de la survie augmente, qui est la base relle delacceptation de lillusion en gnral dans la consommationdes marchandises modernes. Le consommateur rel devientconsommateur dillusions. La marchandise est cette illusioneffectivement relle, et le spectacle sa manifestationgnrale.

  • 48La valeur dusage qui tait implicitement comprise dans la

    valeur dchange doit tre maintenant explicitementproclame, dans la ralit inverse du spectacle, justementparce que sa ralit effective est ronge par lconomiemarchande surdveloppe ; et quune pseudo-justificationdevient ncessaire la fausse vie.

    49Le spectacle est lautre face de largent : lquivalent

    gnral abstrait de toutes les marchandises. Mais si largenta domin la socit en tant que reprsentation delquivalence centrale, cest--dire du caractre changeabledes biens multiples dont lusage restait incomparable, lespectacle est son complment moderne dvelopp o latotalit du monde marchand apparat en bloc, comme unequivalence gnrale ce que lensemble de la socit peuttre et faire. Le spectacle est largent que lon regardeseulement, car en lui dj cest la totalit de lusage quisest change contre la totalit de la reprsentationabstraite. Le spectacle nest pas seulement le serviteur dupseudo-usage, il est dj en lui-mme le pseudo-usage de lavie.

    50Le rsultat concentr du travail social, au moment de

    labondance conomique, devient apparent et soumet touteralit lapparence, qui est maintenant son produit. Lecapital nest plus le centre invisible qui dirige le mode deproduction : son accumulation ltale jusqu la priphriesous forme dobjets sensibles. Toute ltendue de la socitest son portrait.

  • 51La victoire de lconomie autonome doit tre en mme

    temps sa perte. Les forces quelle a dchanes supprimentla ncessit conomique qui a t la base immuable dessocits anciennes. Quand elle la remplace par la ncessitdu dveloppement conomique infini, elle ne peut queremplacer la satisfaction des premiers besoins humainssommairement reconnus, par une fabrication ininterrompuede pseudo-besoins qui se ramnent au seul pseudo-besoindu maintien de son rgne. Mais lconomie autonome sespare jamais du besoin profond dans la mesure mme oelle sort de linconscient social qui dpendait delle sans lesavoir. Tout ce qui est conscient suse. Ce qui estinconscient reste inaltrable. Mais une fois dlivr, netombe-t-il pas en ruine son tour ? (Freud).

    52Au moment o la socit dcouvre quelle dpend de

    lconomie, lconomie, en fait, dpend delle. Cettepuissance souterraine, qui a grandi jusqu paratresouverainement, a aussi perdu sa puissance. L o tait lea conomique doit venir le je. Le sujet ne peut merger quede la socit, cest--dire de la lutte qui est en elle-mme.Son existence possible est suspendue aux rsultats de lalutte des classes qui se rvle comme le produit et leproducteur de la fondation conomique de lhistoire.

    53La conscience du dsir et le dsir de la conscience sont

    identiquement ce projet qui, sous sa forme ngative, veutlabolition des classes, cest--dire la possession directe destravailleurs sur tous les moments de leur activit. Soncontraire est la socit du spectacle, o la marchandise se

  • contemple elle-mme dans un monde quelle a cr.

  • III. unit et divisiondans lapparence

    Retour la table des matires

    Une nouvelle polmique anime se droule dans le pays, surle front de la philosophie, propos des concepts "un se divise endeux" et "deux fusionnent en un". Ce dbat est une lutte entreceux qui sont pour et ceux qui sont contre la dialectiquematrialiste, une lutte entre deux conceptions du monde : laconception proltarienne et la conception bourgeoise. Ceux quisoutiennent que "un se divise en deux" est la loi fondamentaledes choses se tiennent du ct de la dialectique matrialiste ;ceux qui soutiennent que la loi fondamentale des choses est que"deux fusionnent en un" sont contre la dialectique matrialiste.Les deux cts ont tir une nette ligne de dmarcation entre euxet leurs arguments sont diamtralement opposs. Cettepolmique reflte sur le plan idologique la lutte de classe aiguet complexe qui se droule en Chine et dans le monde.

    (Le Drapeau rouge de Pkin, 21 Septembre 1964.)

  • 54Le spectacle, comme la socit moderne, est la fois uni

    et divis. Comme elle, il difie son unit sur le dchirement.Mais la contradiction, quand elle merge dans le spectacle,est son tour contredite par un renversement de son sens ;de sorte que la division montre est unitaire, alors quelunit montre est divise.

    55Cest la lutte de pouvoirs qui se sont constitus pour la

    gestion du mme systme socio-conomique, qui se dploiecomme la contradiction officielle, appartenant en fait lunit relle ; ceci lchelle mondiale aussi bien qulintrieur de chaque nation.

    56Les fausses luttes spectaculaires des formes rivales du

    pouvoir spar sont en mme temps relles, en ce quellestraduisent le dveloppement ingal et conflictuel dusystme, les intrts relativement contradictoires desclasses ou des subdivisions de classes qui reconnaissent lesystme, et dfinissent leur propre participation dans sonpouvoir. De mme que le dveloppement de lconomie laplus avance est laffrontement de certaines priorits contredautres, la gestion totalitaire de lconomie par unebureaucratie dtat, et la condition des pays qui se sonttrouvs placs dans la sphre de la colonisation ou de lasemi-colonisation, sont dfinies par des particularitsconsidrables dans les modalits de la production et dupouvoir. Ces diverses oppositions peuvent se donner, dans lespectacle, selon les critres tout diffrents, comme desformes de socits absolument distinctes. Mais selon leur

  • ralit effective de secteurs particuliers, la vrit de leurparticularit rside dans le systme universel qui lescontient : dans le mouvement unique qui a fait de la planteson champ, le capitalisme.

    57La socit porteuse du spectacle ne domine pas

    seulement par son hgmonie conomique les rgions sous-dveloppes. Elle les domine en tant que socit duspectacle. L o la base matrielle est encore absente, lasocit moderne a dj envahi spectaculairement la surfacesociale de chaque continent. Elle dfinit le programme duneclasse dirigeante et prside sa constitution. De mmequelle prsente les pseudo-biens convoiter, de mme elleoffre aux rvolutionnaires locaux les faux modles dervolution. Le spectacle propre du pouvoir bureaucratiquequi dtient quelques-uns des pays industriels faitprcisment partie du spectacle total, comme sa pseudo-ngation gnrale, et son soutien. Si le spectacle, regarddans ses diverses localisations, montre lvidence desspcialisations totalitaires de la parole et de ladministrationsociales, celles-ci en viennent se fondre, au niveau dufonctionnement global du systme, en une division mondialedes tches spectaculaires.

    58La division des tches spectaculaires qui conserve la

    gnralit de lordre existant conserve principalement leple dominant de son dveloppement. La racine duspectacle est dans le terrain de lconomie devenueabondante, et cest de l que viennent les fruits qui tendentfinalement dominer le march spectaculaire, en dpit desbarrires protectionnistes idologico-policires de nimportequel spectacle local prtention autarcique.

  • 59Le mouvement de banalisation qui, sous les diversions

    chatoyantes du spectacle, domine mondialement la socitmoderne, la domine aussi sur chacun des points o laconsommation dveloppe des marchandises a multipli enapparence les rles et les objets choisir. Les survivances dela religion et de la famille laquelle reste la forme principalede lhritage du pouvoir de classe , et donc de la rpressionmorale quelles assurent, peuvent se combiner comme unemme chose avec laffirmation redondante de la jouissancede ce monde, ce monde ntant justement produit quen tantque pseudo-jouissance qui garde en elle la rpression. lacceptation bate de ce qui existe peut aussi se joindrecomme une mme chose la rvolte purement spectaculaire :ceci traduit ce simple fait que linsatisfaction elle-mme estdevenue une marchandise ds que labondance conomiquesest trouve capable dtendre sa production jusquautraitement dune telle matire premire.

    60En concentrant en elle limage dun rle possible, la

    vedette, la reprsentation spectaculaire de lhomme vivant,concentre donc cette banalit. La condition de vedette est laspcialisation du vcu apparent, lobjet de lidentification la vie apparente sans profondeur, qui doit compenserlmiettement des spcialisations productives effectivementvcues. Les vedettes existent pour figurer des types varisde styles de vie et de styles de comprhension de la socit,libres de sexercer globalement. Elles incarnent le rsultatinaccessible du travail social, en mimant des sous-produitsde ce travail qui sont magiquement transfrs au-dessus delui comme son but : le pouvoir et les vacances, la dcision etla consommation qui sont au commencement et la fin dunprocessus indiscut. L, cest le pouvoir gouvernemental quise personnalise en pseudo-vedette ; ici cest la vedette de la

  • consommation qui se fait plbisciter en tant que pseudo-pouvoir sur le vcu. Mais, de mme que ces activits de lavedette ne sont pas rellement globales, elles ne sont pasvaries.

    61Lagent du spectacle mis en scne comme vedette est le

    contraire de lindividu, lennemi de lindividu en lui-mmeaussi videmment que chez les autres. Passant dans lespectacle comme modle didentification, il a renonc toute qualit autonome pour sidentifier lui-mme la loignrale de lobissance au cours des choses. La vedette dela consommation, tout en tant extrieurement lareprsentation de diffrents types de personnalit, montrechacun de ces types ayant galement accs la totalit dela consommation, et y trouvant pareillement son bonheur. Lavedette de la dcision doit possder le stock complet de cequi a t admis comme qualits humaines. Ainsi entre ellesles divergences officielles sont annules par la ressemblanceofficielle, qui est la prsupposition de leur excellence en tout.Khrouchtchev tait devenu gnral pour dcider de labataille de Koursk, non sur le terrain, mais au vingtimeanniversaire, quand il se trouvait matre de ltat. Kennedytait rest orateur jusqu prononcer son loge sur sa propretombe, puisque Thodore Sorensen continuait ce momentde rdiger pour le successeur les discours dans ce style quiavait tant compt pour faire reconnatre la personnalit dudisparu. Les gens admirables en qui le systme sepersonnifie sont bien connus pour ntre pas ce quils sont ;ils sont devenus grands hommes en descendant au-dessousde la ralit de la moindre vie individuelle, et chacun le sait.

    62Le faux choix dans labondance spectaculaire, choix qui

  • rside dans la juxtaposition de spectacles concurrentiels etsolidaires comme dans la juxtaposition des rles(principalement signifis et ports par des objets) qui sont la fois exclusifs et imbriqus, se dveloppe en lutte dequalits fantomatiques destines passionner ladhsion la trivialit quantitative. Ainsi renaissent de faussesoppositions archaques, des rgionalismes ou des racismeschargs de transfigurer en supriorit ontologiquefantastique la vulgarit des places hirarchiques dans laconsommation. Ainsi se recompose linterminable srie desaffrontements drisoires mobilisant un intrt sous-ludique,du sport de comptition aux lections. L o sest installe laconsommation abondante, une opposition spectaculaireprincipale entre la jeunesse et les adultes vient en premierplan des rles fallacieux : car nulle part il nexiste dadulte,matre de sa vie, et la jeunesse, le changement de ce quiexiste, nest aucunement la proprit de ces hommes quisont maintenant jeunes, mais celle du systme conomique,le dynamisme du capitalisme. Ce sont des choses quirgnent et qui sont jeunes ; qui se chassent et se remplacentelles-mmes.

    63Cest lunit de la misre qui se cache sous les oppositions

    spectaculaires. Si des formes diverses de la mme alinationse combattent sous les masques du choix total, cest parcequelles sont toutes difies sur les contradictions rellesrefoules. Selon les ncessits du stade particulier de lamisre quil dment et maintient, le spectacle existe sousune forme concentre ou sous une forme diffuse. Dans lesdeux cas, il nest quune image dunification heureuseenvironne de dsolation et dpouvante, au centretranquille du malheur.

    64

  • Le spectaculaire concentr appartient essentiellement aucapitalisme bureaucratique, encore quil puisse tre importcomme technique du pouvoir tatique sur des conomiesmixtes plus arrires, ou dans certains moments de crise ducapitalisme avanc. La proprit bureaucratique en effet estelle-mme concentre en ce sens que le bureaucrateindividuel na de rapports avec la possession de lconomieglobale que par lintermdiaire de la communautbureaucratique, quen tant que membre de cettecommunaut. En outre la production des marchandises,moins dveloppe, se prsente aussi sous une formeconcentre : la marchandise que la bureaucratie dtient,cest le travail social total, et ce quelle revend la socit,cest sa survie en bloc. La dictature de lconomiebureaucratique ne peut laisser aux masses exploitesaucune marge notable de choix, puisquelle a d tout choisirpar elle-mme, et que tout autre choix extrieur, quilconcerne lalimentation ou la musique, est donc dj le choixde sa destruction complte. Elle doit saccompagner duneviolence permanente. Limage impose du bien, dans sonspectacle, recueille la totalit de ce qui existe officiellement,et se concentre normalement sur un seul homme, qui est legarant de sa cohsion totalitaire. cette vedette absolue,chacun doit sidentifier magiquement, ou disparatre. Car ilsagit du matre de sa non-consommation, et de limagehroque dun sens acceptable pour lexploitation absoluequest en fait laccumulation primitive acclre par laterreur. Si chaque Chinois doit apprendre Mao, et ainsi treMao, cest quil na rien dautre tre. L o domine lespectaculaire concentr domine aussi la police.

    65Le spectaculaire diffus accompagne labondance des

    marchandises, le dveloppement non perturb ducapitalisme moderne. Ici chaque marchandise prise part

  • est justifie au nom de la grandeur de la production de latotalit des objets, dont le spectacle est un catalogueapologtique. Des affirmations inconciliables se poussent surla scne du spectacle unifi de lconomie abondante ; demme que diffrentes marchandises-vedettes soutiennentsimultanment leurs projets contradictoires damnagementde la socit, o le spectacle des automobiles veut unecirculation parfaite qui dtruit les vieilles cits, tandis que lespectacle de la ville elle-mme a besoin des quartiers-muses. Donc la satisfaction, dj problmatique, qui estrpute appartenir la consommation de lensemble estimmdiatement falsifie en ceci que le consommateur relne peut directement toucher quune succession defragments de ce bonheur marchand, fragments do chaquefois la qualit prte lensemble est videmment absente.

    66Chaque marchandise dtermine lutte pour elle-mme, ne

    peut pas reconnatre les autres, prtend simposer partoutcomme si elle tait la seule. Le spectacle est alors le chantpique de cet affrontement, que la chute daucune Ilion nepourrait conclure. Le spectacle ne chante pas les hommes etleurs armes, mais les marchandises et leurs passions. Cestdans cette lutte aveugle que chaque marchandise, ensuivant sa passion, ralise en fait dans linconsciencequelque chose de plus lev : le devenir-monde de lamarchandise, qui est aussi bien le devenir-marchandise dumonde. Ainsi, par une ruse de la raison marchande, leparticulier de la marchandise suse en combattant, tandisque la forme-marchandise va vers sa ralisation absolue.

    67La satisfaction que la marchandise abondante ne peut

    plus donner dans lusage en vient tre recherche dans la

  • reconnaissance de sa valeur en tant que marchandise : cestlusage de la marchandise se suffisant lui-mme ; et pourle consommateur leffusion religieuse envers la libertsouveraine de la marchandise. Des vagues denthousiasmepour un produit donn, soutenu et relanc par tous lesmoyens dinformation, se propagent ainsi grande allure. Unstyle de vtements surgit dun film ; une revue lance desclubs, qui lancent des panoplies diverses. Le gadget exprimece fait que, dans le moment o la masse des marchandisesglisse vers laberration, laberrant lui-mme devient unemarchandise spciale. Dans les porte-cls publicitaires, parexemple, non plus achets mais dons supplmentaires quiaccompagnent des objets prestigieux vendus, ou quidcoulent par change de leur propre sphre, on peutreconnatre la manifestation dun abandon mystique latranscendance de la marchandise. Celui qui collectionne lesporte-cls qui viennent dtre fabriqus pour trecollectionns accumule les indulgences de la marchandise,un signe glorieux de sa prsence relle parmi ses fidles.Lhomme rifi affiche la preuve de son intimit avec lamarchandise. Comme dans les transports desconvulsionnaires ou miraculs du vieux ftichisme religieux,le ftichisme de la marchandise parvient des momentsdexcitation fervente. Le seul usage qui sexprime encore iciest lusage fondamental de la soumission.

    68Sans doute, le pseudo-besoin impos dans la

    consommation moderne ne peut tre oppos aucun besoinou dsir authentique qui ne soit lui-mme faonn par lasocit et son histoire. Mais la marchandise abondante est lcomme la rupture absolue dun dveloppement organiquedes besoins sociaux. Son accumulation mcanique libre unartificiel illimit, devant lequel le dsir vivant reste dsarm.La puissance cumulative dun artificiel indpendant entranepartout la falsification de la vie sociale.

  • 69Dans limage de lunification heureuse de la socit par la

    consommation, la division relle est seulement suspenduejusquau prochain non-accomplissement dans leconsommable. Chaque produit particulier qui doitreprsenter lespoir dun raccourci fulgurant pour accderenfin la terre promise de la consommation totale estprsent crmonieusement son tour comme la singularitdcisive. Mais comme dans le cas de la diffusion instantanedes modes de prnoms apparemment aristocratiques quivont se trouver ports par presque tous les individus dumme ge, lobjet dont on attend un pouvoir singulier na putre propos la dvotion des masses que parce quil avaitt tir un assez grand nombre dexemplaires pour treconsomm massivement. Le caractre prestigieux de ceproduit quelconque ne lui vient que davoir t plac unmoment au centre de la vie sociale, comme le mystrervl de la finalit de la production. Lobjet qui taitprestigieux dans le spectacle devient vulgaire linstant o ilentre chez ce consommateur, en mme temps que chez tousles autres. Il rvle trop tard sa pauvret essentielle, quiltient naturellement de la misre de sa production. Mais djcest un autre objet qui porte la justification du systme etlexigence dtre reconnu.

    70Limposture de la satisfaction doit se dnoncer elle-mme

    en se remplaant, en suivant le changement des produits etcelui des conditions gnrales de la production. Ce qui aaffirm avec la plus parfaite impudence sa propre excellencedfinitive change pourtant, dans le spectacle diffus maisaussi dans le spectacle concentr, et cest le systme seulqui doit continuer : Staline comme la marchandise dmodesont dnoncs par ceux-l mmes qui les ont imposs.Chaque nouveau mensonge de la publicit est aussi laveu

  • de son mensonge prcdent. Chaque croulement dunefigure du pouvoir totalitaire rvle la communaut illusoirequi lapprouvait unanimement, et qui ntait quunagglomrat de solitudes sans illusions.

    71Ce que le spectacle donne comme perptuel est fond sur

    le changement, et doit changer avec sa base. Le spectacleest absolument dogmatique et en mme temps ne peutaboutir rellement aucun dogme solide. Rien ne sarrtepour lui ; cest ltat qui lui est naturel et toutefois le pluscontraire son inclination.

    72Lunit irrelle que proclame le spectacle est le masque

    de la division de classe sur laquelle repose lunit relle dumode de production capitaliste. Ce qui oblige les producteurs participer ldification du monde est aussi ce qui les encarte. Ce qui met en relation les hommes affranchis deleurs limitations locales et nationales est aussi ce qui lesloigne. Ce qui oblige lapprofondissement du rationnel estaussi ce qui nourrit lirrationnel de lexploitation hirarchiqueet de la rpression. Ce qui fait le pouvoir abstrait de lasocit fait sa non-libert concrte.

  • IV. le proltariat comme sujetet comme reprsentation

    Retour la table des matires

    Le droit gal de tous aux biens et aux jouissances de cemonde, la destruction de toute autorit, la ngation de tout freinmoral, voil, si lon descend au fond des choses, la raison dtrede linsurrection du 18 mars et la charte de la redoutableassociation qui lui a fourni une arme.

    (Enqute parlementaire sur linsurrection du 18 mars.)

  • 73Le mouvement rel qui supprime les conditions existantes

    gouverne la socit partir de la victoire de la bourgeoisiedans lconomie, et visiblement depuis la traductionpolitique de cette victoire. Le dveloppement des forcesproductives a fait clater les anciens rapports de production,et tout ordre statique tombe en poussire. Tout ce qui taitabsolu devient historique.

    74Cest en tant jets dans lhistoire, en devant participer au

    travail et aux luttes qui la constituent, que les hommes sevoient contraints denvisager leurs relations dune maniredsabuse. Cette histoire na pas dobjet distinct de cequelle ralise sur elle-mme, quoique la dernire visionmtaphysique inconsciente de lpoque historique puisseregarder la progression productive travers laquellelhistoire sest dploye comme lobjet mme de lhistoire.Le sujet de lhistoire ne peut tre que le vivant se produisantlui-mme, devenant matre et possesseur de son monde quiest lhistoire, et existant comme conscience de son jeu.

    75Comme un mme courant se dveloppent les luttes de

    classes de la longue poque rvolutionnaire inaugure parlascension de la bourgeoisie et la pense de lhistoire, ladialectique, la pense qui ne sarrte plus la recherche dusens de ltant, mais slve la connaissance de ladissolution de tout ce qui est ; et dans le mouvement dissouttoute sparation.

  • 76Hegel navait plus interprter le monde, mais la

    transformation du monde. En interprtant seulement latransformation, Hegel nest que lachvement philosophiquede la philosophie. Il veut comprendre un monde qui se faitlui-mme. Cette pense historique nest encore que laconscience qui arrive toujours trop tard, et qui nonce lajustification post festum. Ainsi, elle na dpass la sparationque dans la pense. Le paradoxe qui consiste suspendre lesens de toute ralit son achvement historique, et rvler en mme temps ce sens en se constituant soi-mmeen achvement de lhistoire, dcoule de ce simple fait que lepenseur des rvolutions bourgeoises des XVIIe et XVIIIesicles na cherch dans sa philosophie que la rconciliationavec leur rsultat. Mme comme philosophie de larvolution bourgeoise, elle nexprime pas tout le processusde cette rvolution, mais seulement sa dernire conclusion.En ce sens, elle est une philosophie non de la rvolution,mais de la restauration. (Karl Korsch, Thses sur Hegel etla rvolution). Hegel a fait, pour la dernire fois, le travail duphilosophe, la glorification de ce qui existe ; mais dj cequi existait pour lui ne pouvait tre que la totalit dumouvement historique. La position extrieure de la pensetant en fait maintenue, elle ne pouvait tre masque quepar son identification un projet pralable de lEsprit, hrosabsolu qui a fait ce quil a voulu et voulu ce quil a fait etdont laccomplissement concide avec le prsent. Ainsi, laphilosophie qui meurt dans la pense de lhistoire ne peutplus glorifier son monde quen le reniant, car pour prendre laparole il lui faut dj supposer finie cette histoire totale oelle a tout ramen ; et close la session du seul tribunal opeut tre rendue la sentence de la vrit.

  • 77Quand le proltariat manifeste par sa propre existence en

    actes que cette pense de lhistoire ne sest pas oublie, ledmenti de la conclusion est aussi bien la confirmation de lamthode.

    78La pense de lhistoire ne peut tre sauve quen

    devenant pense pratique ; et la pratique du proltariatcomme classe rvolutionnaire ne peut tre moins que laconscience historique oprant sur la totalit de son monde.Tous les courants thoriques du mouvement ouvrierrvolutionnaire sont issus dun affrontement critique avec lapense hglienne, chez Marx comme chez Stirner etBakounine.

    79Le caractre insparable de la thorie de Marx et de la

    mthode hglienne est lui-mme insparable du caractrervolutionnaire de cette thorie, cest--dire de sa vrit.Cest en ceci que cette premire relation a t gnralementignore ou mal comprise, ou encore dnonce comme lefaible de ce qui devenait fallacieusement une doctrinemarxiste. Bernstein, dans Socialisme thorique et Social-dmocratie pratique, rvle parfaitement cette liaison de lamthode dialectique et de la prise de parti historique, endplorant les prvisions peu scientifiques du Manifeste de1847 sur limminence de la rvolution proltarienne enAllemagne : Cette auto-suggestion historique, tellementerrone que le premier visionnaire politique venu ne pourraitgure trouver mieux, serait incomprhensible chez un Marx,

  • qui cette poque avait dj srieusement tudilconomie, si on ne devait pas voir en elle le produit dunreste de la dialectique antithtique hglienne, dont Marx,pas plus quEngels, na jamais su compltement se dfaire.En ces temps deffervescence gnrale, cela lui a tdautant plus fatal.

    80Le renversement que Marx effectue pour un sauvetage

    par transfert de la pense des rvolutions bourgeoises neconsiste pas trivialement remplacer par le dveloppementmatrialiste des forces productives le parcours de lEsprithglien allant sa propre rencontre dans le temps, sonobjectivation tant identique son alination, et sesblessures historiques ne laissant pas de cicatrices. Lhistoiredevenue relle na plus de fin. Marx a ruin la positionspare de Hegel devant ce qui advient ; et la contemplationdun agent suprme extrieur, quel quil soit. La thorie naplus connatre que ce quelle fait. Cest au contraire lacontemplation du mouvement de lconomie, dans la pensedominante de la socit actuelle, qui est lhritage nonrenvers de la part non dialectique dans la tentativehglienne dun systme circulaire : cest une approbationqui a perdu la dimension du concept, et qui na plus besoindun hglianisme pour se justifier, car le mouvement quilsagit de louer nest plus quun secteur sans pense dumonde, dont le dveloppement mcanique domineeffectivement le tout. Le projet de Marx est celui dunehistoire consciente. Le quantitatif qui survient dans ledveloppement aveugle des forces productives simplementconomiques doit se changer en appropriation historiquequalitative. La critique de lconomie politique est le premieracte de cette fin de la prhistoire : De tous les instrumentsde production, le plus grand pouvoir productif, cest la classervolutionnaire elle-mme.

  • 81Ce qui rattache troitement la thorie de Marx la pense

    scientifique, cest la comprhension rationnelle des forcesqui sexercent rellement dans la socit. Mais elle estfondamentalement un au-del de la pense scientifique, ocelle-ci nest conserve quen tant dpasse : il sagit dunecomprhension de la lutte, et nullement de la loi. Nous neconnaissons quune seule science : la science de lhistoire ,dit LIdologie allemande.

    82Lpoque bourgeoise, qui veut fonder scientifiquement

    lhistoire, nglige le fait que cette science disponible a bienplutt d tre elle-mme fonde historiquement aveclconomie. Inversement, lhistoire ne dpend radicalementde cette connaissance quen tant que cette histoire restehistoire conomique. Combien la part de lhistoire danslconomie mme le processus global qui modifie sespropres donnes scientifiques de base a pu tre dailleursnglige par le point de vue de lobservation scientifique,cest ce que montre la vanit des calculs socialistes quicroyaient avoir tabli la priodicit exacte des crises ; etdepuis que lintervention constante de ltat est parvenue compenser leffet des tendances la crise, le mme genrede raisonnement voit dans cet quilibre une harmonieconomique dfinitive. Le projet de surmonter lconomie, leprojet de la prise de possession de lhistoire, sil doitconnatre et ramener lui la science de la socit, nepeut tre lui-mme scientifique. Dans ce dernier mouvementqui croit dominer lhistoire prsente par une connaissancescientifique, le point de vue rvolutionnaire est restbourgeois.

  • 83Les courants utopiques du socialisme, quoique fonds

    eux-mmes historiquement dans la critique de lorganisationsociale existante, peuvent tre justement qualifisdutopiques dans la mesure o ils refusent lhistoire cest--dire la lutte relle en cours, aussi bien que le mouvement dutemps au del de la perfection immuable de leur image desocit heureuse , mais non parce quils refuseraient lascience. Les penseurs utopistes sont au contraireentirement domins par la pense scientifique, telle quellestait impose dans les sicles prcdents. Ils recherchentle parachvement de ce systme rationnel gnral : ils ne seconsidrent aucunement comme des prophtes dsarms,car ils croient au pouvoir social de la dmonstrationscientifique et mme, dans le cas du saint-simonisme, laprise du pouvoir par la science. Comment, dit Sombart, voudraient-ils arracher par des luttes ce qui doit treprouv ? Cependant la conception scientifique desutopistes ne stend pas cette connaissance que desgroupes sociaux ont des intrts dans une situationexistante, des forces pour la maintenir, et aussi bien desformes de fausse conscience correspondantes de tellespositions. Elle reste donc trs en de de la ralit historiquedu dveloppement de la science mme, qui sest trouv engrande partie orient par la demande sociale issue de telsfacteurs, qui slectionne non seulement ce qui peut treadmis, mais aussi ce qui peut tre recherch. Les socialistesutopiques, rests prisonniers du mode dexposition de lavrit scientifique, conoivent cette vrit selon sa pureimage abstraite, telle que lavait vue simposer un stade trsantrieur de la socit. Comme le remarquait Sorel, cest surle modle de lastronomie que les utopistes pensentdcouvrir et dmontrer les lois de la socit. Lharmonievise par eux, hostile lhistoire, dcoule dun essaidapplication la socit de la science la moins dpendantede lhistoire. Elle tente de se faire reconnatre avec la mme

  • innocence exprimentale que le newtonisme, et la destineheureuse constamment postule joue dans leur sciencesociale un rle analogue ce lui qui revient linertie dans lamcanique rationnelle (Matriaux pour une thorie duproltariat).

    84Le ct dterministe-scientifique dans la pense de Marx

    fut justement la brche par laquelle pntra le processusd idologisation , lui vivant, et dautant plus danslhritage thorique laiss au mouvement ouvrier. La venuedu sujet de lhistoire est encore repousse plus tard, etcest la science historique par excellence, lconomie, quitend de plus en plus largement garantir la ncessit de sapropre ngation future. Mais par l est repousse hors duchamp de la vision thorique la pratique rvolutionnaire quiest la seule vrit de cette ngation. Ainsi il importedtudier patiemment le dveloppement conomique, etden admettre encore, avec une tranquillit hglienne, ladouleur, ce qui, dans son rsultat, reste cimetire desbonnes intentions . On dcouvre que maintenant, selon lascience des rvolutions, la conscience arrive toujours troptt, et devra tre enseigne. Lhistoire nous a donn tort, nous et tous ceux qui pensaient comme nous. Elle amontr clairement que ltat du dveloppement conomiquesur le continent tait alors bien loin encore dtre mr... ,dira Engels en 1895. Toute sa vie, Marx a maintenu le pointde vue unitaire de sa thorie, mais lexpos de sa thoriesest port sur le terrain de la pense dominante en seprcisant sous forme de critiques de disciplines particulires,principalement la critique de la science fondamentale de lasocit bourgeoise, lconomie politique. Cest cettemutilation, ultrieurement accepte comme dfinitive, qui aconstitu le marxisme .

  • 85Le dfaut dans la thorie de Marx est naturellement le

    dfaut de la lutte rvolutionnaire du proltariat de sonpoque. La classe ouvrire na pas dcrt la rvolution enpermanence dans lAllemagne de 1848 ; la Commune a tvaincue dans lisolement. La thorie rvolutionnaire ne peutdonc pas encore atteindre sa propre existence totale. En trerduit la dfendre et la prciser dans la sparation dutravail savant, au British Museum, impliquait une perte dansla thorie mme. Ce sont prcisment les justificationsscientifiques tires sur lavenir du dveloppement de laclasse ouvrire, et la pratique organisationnelle combine ces justifications, qui deviendront des obstacles laconscience proltarienne dans un stade plus avanc.

    86Toute linsuffisance thorique dans la dfense scientifique

    de la rvolution proltarienne peut tre ramene, pour lecontenu aussi bien que pour la forme de lexpos, uneidentification du proltariat la bourgeoisie du point de vuede la saisie rvolutionnaire du pouvoir.

    87La tendance fonder une dmonstration de la lgalit

    scientifique du pouvoir proltarien en faisant tatdexprimentations rptes du pass obscurcit, ds leManifeste, la pense historique de Marx, en lui faisantsoutenir une image linaire du dveloppement des modesde production, entran par des luttes de classes quifiniraient chaque fois par une transformationrvolutionnaire de la socit tout entire ou par ladestruction commune des classes en lutte . Mais dans la

  • ralit observable de lhistoire, de mme que le mode deproduction asiatique , comme Marx le constatait ailleurs, aconserv son immobilit en dpit de tous les affrontementsde classes, de mme les jacqueries de serfs nont jamaisvaincu les barons, ni les rvoltes desclaves de lAntiquit leshommes libres. Le schma linaire perd de vue dabord cefait que la bourgeoisie est la seule classe rvolutionnaire quiait jamais vaincu ; en mme temps quelle est la seule pourqui le dveloppement de lconomie a t cause etconsquence de sa mainmise sur la socit. La mmesimplification a conduit Marx ngliger le rle conomiquede ltat dans la gestion dune socit de classes. Si labourgeoisie ascendante a paru affranchir lconomie deltat, cest seulement dans la mesure o ltat ancien seconfondait avec linstrument dune oppression de classedans une conomie statique. La bourgeoisie a dvelopp sapuissance conomique autonome dans la priode mdivaledaffaiblissement de ltat, dans le moment defragmentation fodale de pouvoirs quilibrs. Mais ltatmoderne qui, par le mercantilisme, a commenc appuyerle dveloppement de la bourgeoisie, et qui finalement estdevenu son tat lheure du laisser faire, laisser passer ,va se rvler ultrieurement dot dune puissance centraledans la gestion calcule du processus conomique. Marxavait pu cependant dcrire, dans le bonapartisme, cettebauche de la bureaucratie tatique moderne, fusion ducapital et de ltat, constitution dun pouvoir national ducapital sur le travail, dune force publique organise pourlasservissement social , o la bourgeoisie renonce toutevie historique qui ne soit sa rduction lhistoireconomique des choses, et veut bien tre condamne aumme nant politique que les autres classes . Ici sont djposes les bases sociopolitiques du spectacle moderne, quingativement dfinit le proltariat comme seul prtendant la vie historique.

  • 88Les deux seules classes qui correspondent effectivement

    la thorie de Marx, les deux classes pures vers lesquellesmne toute lanalyse dans Le Capital, la bourgeoisie et leproltariat, sont galement les deux seules classesrvolutionnaires de lhistoire, mais des conditionsdiffrentes : la rvolution bourgeoise est faite ; la rvolutionproltarienne est un projet, n sur la base de la prcdentervolution, mais en diffrant qualitativement. En ngligeantloriginalit du rle historique de la bourgeoisie, on masqueloriginalit concrte de ce projet proltarien qui ne peut rienatteindre sinon en portant ses propres couleurs et enconnaissant limmensit de ses tches . La bourgeoisieest venue au pouvoir parce quelle est la classe delconomie en dveloppement. Le proltariat ne peut trelui-mme le pouvoir quen devenant la classe de laconscience. Le mrissement des forces productives ne peutgarantir un tel pouvoir, mme par le dtour de ladpossession accrue quil entrane. La saisie jacobine deltat ne peut tre son instrument. Aucune idologie ne peutlui servir dguiser des buts partiels en buts gnraux, car ilne peut conserver aucune ralit partielle qui soiteffectivement lui.

    89Si Marx, dans une priode dtermine de sa participation

    la lutte du proltariat, a trop attendu de la prvisionscientifique, au point de crer la base intellectuelle desillusions de lconomisme, on sait quil ny a pas succombpersonnellement. Dans une lettre bien connue du 7dcembre 1867, accompagnant un article o lui-mmecritique Le Capital, article quEngels devait faire passer dansla presse comme sil manait dun adversaire, Marx a exposclairement la limite de sa propre science : ... La tendance

  • subjective de lauteur (que lui imposaient peut-tre saposition politique et son pass), cest--dire la manire dontil se reprsente lui-mme et dont il prsente aux autres lersultat ultime du mouvement actuel, du processus socialactuel, na aucun rapport avec son analyse relle. AinsiMarx, en dnonant lui-mme les conclusionstendancieuses de son analyse objective, et par lironie du peut-tre relatif aux choix extra-scientifiques qui seseraient imposs lui, montre en mme temps la clmthodologique de la fusion des deux aspects.

    90Cest dans la lutte historique elle-mme quil faut raliser

    la fusion de la connaissance et de laction, de telle sorte quechacun de ces termes place dans lautre la garantie de savrit. La constitution de la classe proltarienne en sujet,cest lorganisation des luttes rvolutionnaires etlorganisation de la socit dans le moment rvolutionnaire :cest l que doivent exister les conditions pratiques de laconscience, dans lesquelles la thorie de la praxis seconfirme en devenant thorie pratique. Cependant, cettequestion centrale de lorganisation a t la moins envisagepar la thorie rvolutionnaire lpoque o se fondait lemouvement ouvrier, cest--dire quand cette thoriepossdait encore le caractre unitaire venu de la pense delhistoire (et quelle stait justement donn pour tche dedvelopper jusqu une pratique historique unitaire). Cestau contraire le lieu de linconsquence pour cette thorie,admettant la reprise de mthodes dapplication tatiques ethirarchiques empruntes la rvolution bourgeoise. Lesformes dorganisation du mouvement ouvrier dveloppessur ce renoncement de la thorie ont en retour tendu interdire le maintien dune thorie unitaire, la dissolvant endiverses connaissances spcialises et parcellaires. Cettealination idologique de la thorie ne peut plus alorsreconnatre la vrification pratique de la pense historique

  • unitaire quelle a trahie, quand une telle vrification surgitdans la lutte spontane des ouvriers ; elle peut seulementconcourir en rprimer la manifestation et la mmoire.Cependant, ces formes historiques apparues dans la luttesont justement le milieu pratique qui manquait la thoriepour quelle soit vraie. Elles sont une exigence de la thorie,mais qui navait pas t formule thoriquement. Le sovietntait pas une dcouverte de la thorie. Et dj, la plushaute vrit thorique de lAssociation Internationale desTravailleurs tait sa propre existence en pratique.

    91Les premiers succs de la lutte de lInternationale la

    menaient saffranchir des influences confuses delidologie dominante qui subsistaient en elle. Mais la dfaiteet la rpression quelle rencontra bientt firent passer aupremier plan un conflit entre deux conceptions de larvolution proltarienne, qui toutes deux contiennent unedimension autoritaire par laquelle lauto-mancipationconsciente de la classe est abandonne. En effet, la querelledevenue irrconciliable entre les marxistes et lesbakouninistes tait double, portant la fois sur le pouvoirdans la socit rvolutionnaire et sur lorganisation prsentedu mouvement, et en passant de lun lautre de cesaspects, les positions des adversaires se renversent.Bakounine combattait lillusion dune abolition des classespar lusage autoritaire du pouvoir tatique, prvoyant lareconstitution dune classe dominante bureaucratique et ladictature des plus savants, ou de ceux qui seront rputstels. Marx, qui croyait quun mrissement insparable descontradictions conomiques et de lducation dmocratiquedes ouvriers rduirait le rle dun tat proltarien unesimple phase de lgalisation de nouveaux rapports sociauxsimposant objectivement, dnonait chez Bakounine et sespartisans lautoritarisme dune lite conspirative qui staitdlibrment place au-dessus de lInternationale, et formait

  • le dessein extravagant dimposer la socit la dictatureirresponsable des plus rvolutionnaires, ou de ceux qui seseront eux-mmes dsigns comme tels. Bakounineeffectivement recrutait ses partisans sur une telleperspective : Pilotes invisibles au milieu de la temptepopulaire, nous devons la diriger, non par un pouvoirostensible, mais par la dictature collective de tous les allis.Dictature sans charpe, sans titre, sans droit officiel, etdautant plus puissante quelle naura aucune desapparences du pouvoir. Ainsi se sont opposes deuxidologies de la rvolution ouvrire contenant chacune unecritique partiellement vraie, mais perdant lunit de lapense de lhistoire, et sinstituant elles-mmes en autoritsidologiques. Des organisations puissantes, comme la social-dmocratie allemande et la Fdration Anarchiste Ibrique,ont fidlement servi lune ou lautre de ces idologies ; etpartout le rsultat a t grandement diffrent de ce qui taitvoulu.

    92Le fait de regarder le but de la rvolution proltarienne

    comme immdiatement prsent constitue la fois lagrandeur et la faiblesse de la lutte anarchiste relle (cardans ses variantes individualistes, les prtentions delanarchisme restent drisoires). De la pense historique desluttes de classes modernes, lanarchisme collectiviste retientuniquement la conclusion, et son exigence absolue de cetteconclusion se traduit galement dans son mpris dlibr dela mthode. Ainsi sa critique de la lutte politique est resteabstraite, tandis que son choix de la lutte conomique nestlui-mme affirm quen fonction de lillusion dune solutiondfinitive arrache dun seul coup sur ce terrain, au jour dela grve gnrale ou de linsurrection. Les anarchistes ont raliser un idal. Lanarchisme est la ngation encoreidologique de ltat et des classes, cest--dire desconditions sociales mmes de lidologie spare. Cest

  • lidologie de la pure libert qui galise tout et qui cartetoute ide du mal historique. Ce point de vue de la fusion detoutes les exigences partielles a donn lanarchisme lemrite de reprsenter le refus des conditions existantes pourlensemble de la vie, et non autour dune spcialisationcritique privilgie ; mais cette fusion tant considre danslabsolu, selon le caprice individuel, avant sa ralisationeffective, a condamn aussi lanarchisme une incohrencetrop aisment constatable. Lanarchisme na qu redire, etremettre en jeu dans chaque lutte sa mme simpleconclusion totale, parce que cette premire conclusion taitds lorigine identifie laboutissement intgral dumouvement. Bakounine pouvait donc crire en 1873, enquittant la Fdration Jurassienne : Dans les neuf derniresannes on a dvelopp au sein de lInternationale plusdides quil nen faudrait pour sauver le monde, si les idesseules pouvaient le sauver, et je dfie qui que ce soit deninventer une nouvelle. Le temps nest plus aux ides, il estaux faits et aux actes. Sans doute, cette conceptionconserve de la pense historique du proltariat cettecertitude que les ides doivent devenir pratiques, mais ellequitte le terrain historique en supposant que les formesadquates de ce passage la pratique sont dj trouves etne varieront plus.

    93Les anarchistes, qui se distinguent explicitement de

    lensemble du mouvement ouvrier par leur convictionidologique, vont reproduire entre eux cette sparation descomptences, en fournissant un terrain favorable ladomination informelle, sur toute organisation anarchiste, despropagandistes et dfenseurs de leur propre idologie,spcialistes dautant plus mdiocres en rgle gnrale queleur activit intellectuelle se propose principalement larptition de quelques vrits dfinitives. Le respectidologique de lunanimit dans la dcision a favoris pluttlautorit incontrle, dans lorganisation mme, de

  • spcialistes de la libert ; et lanarchisme rvolutionnaireattend du peuple libr le mme genre dunanimit, obtenuepar les mmes moyens. Par ailleurs, le refus de considrerlopposition des conditions entre une minorit groupe dansla lutte actuelle et la socit des individus libres, a nourriune permanente sparation des anarchistes dans le momentde la dcision commune, comme le montre lexemple duneinfinit dinsurrections anarchistes en Espagne, limites etcrases sur un plan local.

  • 94Lillusion entretenue plus ou moins explicitement dans

    lanarchisme authentique est limminence permanente dunervolution qui devra donner raison lidologie, et au modedorganisation pratique driv de lidologie, ensaccomplissant instantanment. Lanarchisme a rellementconduit, en 1936, une rvolution sociale et lbauche, la plusavance qui fut jamais, dun pouvoir proltarien. Dans cettecirconstance encore il faut noter, dune part, que le signaldune insurrection gnrale avait t impos par lepronunciamiento de larme. Dautre part, dans la mesure ocette rvolution navait pas t acheve dans les premiersjours, du fait de lexistence dun pouvoir franquiste dans lamoiti du pays, appuy fortement par ltranger alors que lereste du mouvement proltarien international tait djvaincu, et du fait de la survivance de forces bourgeoises oudautres partis ouvriers tatistes dans le camp de laRpublique, le mouvement anarchiste organis sest montrincapable dtendre les demi-victoires de la rvolution, etmme seulement de les dfendre. Ses chefs reconnus sontdevenus ministres, et otages de ltat bourgeois quidtruisait la rvolution pour perdre la guerre civile.

    95Le marxisme orthodoxe de la IIe Internationale est

    lidologie scientifique de la rvolution socialiste, quiidentifie toute sa vrit au processus objectif danslconomie, et au progrs dune reconnaissance de cettencessit dans la classe ouvrire duque par lorganisation.Cette idologie retrouve la confiance en la dmonstrationpdagogique qui avait caractris le socialisme utopique,mais assortie dune rfrence contemplative au cours delhistoire : cependant, une telle attitude a autant perdu ladimension hglienne dune histoire totale quelle a perdu

  • limage immobile de la totalit prsente dans la critiqueutopiste (au plus haut degr, chez Fourier). Cest dune telleattitude scientifique, qui ne pouvait faire moins que derelancer en symtrie des choix thiques, que procdent lesfadaises dHilferding quand il prcise que reconnatre lancessit du socialisme ne donne pas dindication surlattitude pratique adopter. Car cest une chose dereconnatre une ncessit, et cen est une autre de se mettreau service de cette ncessit (Capital financier). Ceux quiont mconnu que la pense unitaire de lhistoire, pour Marxet pour le proltariat rvolutionnaire, ntait rien de distinctdune attitude pratique adopter, devaient trenormalement victimes de la pratique quils avaientsimultanment adopte.

    96Lidologie de lorganisation social-dmocrate la mettait

    au pouvoir des professeurs qui duquaient la classeouvrire, et la forme dorganisation adopte tait la formeadquate cet apprentissage passif. La participation dessocialistes de la IIe Internationale aux luttes politiques etconomiques tait certes concrte, mais profondment noncritique. Elle tait mene, au nom de lillusionrvolutionnaire, selon une pratique manifestementrformiste. Ainsi lidologie rvolutionnaire devait tre brisepar le succs mme de ceux qui la portaient. La sparationdes dputs et des journalistes dans le mouvemententranait vers le mode de vie bourgeois ceux qui djtaient recruts parmi les intellectuels bourgeois. Labureaucratie syndicale constituait en courtiers de la force detravail, vendre comme marchandise son juste prix, ceuxmmes qui taient recruts partir des luttes des ouvriersindustriels, et extraits deux. Pour que leur activit tousgardt quelque chose de rvolutionnaire, il et fallu que lecapitalisme se trouvt opportunment incapable desupporter conomiquement ce rformisme quil tolraitpolitiquement dans leur agitation lgaliste. Cest une telle

  • incompatibilit que leur science garantissait ; et quelhistoire dmentait tout instant.

  • 97Cette contradiction dont Bernstein, parce quil tait le

    social-dmocrate le plus loign de lidologie politique et leplus franchement ralli la mthodologie de la sciencebourgeoise, eut lhonntet de vouloir montrer la ralit etle mouvement rformiste des ouvriers anglais, en se passantdidologie rvolutionnaire, lavait montr aussi ne devaitpourtant tre dmontre sans rplique que par ledveloppement historique lui-mme. Bernstein, quoiqueplein dillusions par ailleurs, avait ni quune crise de laproduction capitaliste vnt miraculeusement forcer la mainaux socialistes qui ne voulaient hriter de la rvolution quepar un tel sacre lgitime. Le moment de profondbouleversement social qui surgit avec la Premire Guerremondiale, encore quil ft fertile en prise de conscience,dmontra deux fois que la hirarchie social-dmocratenavait pas duqu rvolutionnairement, navait nullementrendu thoriciens, les ouvriers allemands : dabord quand lagrande majorit du parti se rallia la guerre imprialiste,ensuite quand, dans la dfaite, elle crasa lesrvolutionnaires spartakistes. Lex-ouvrier Ebert cro