sport, droit et santé

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Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 69–76 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Synthèse Sport, droit et santé Zied Hassen , Naïla Bali (Enseignants-chercheurs) Institut supérieur du sport et de l’éducation physique (Issep Ksar-Said), université de La Manouba, 2010 La Manouba–Tunis, Tunisie Disponible sur Internet le 29 avril 2008 Résumé Le développement accéléré du sport moderne s’accompagne de dérives bien connues, compétitions achar- nées, omniprésence de l’argent, dopage, qui font oublier que l’activité sportive est au bénéfice du bien-être et de la santé du plus grand nombre. Malgré la mise en place d’un arsenal juridique et de moyens importants, les États peinent à réguler le fonctionnement du sport. « Le culte volontaire et habituel de l’exercice musculaire intensif, appuyé par le désir de progrès et pouvant aller jusqu’au risque. » Pierre de Coubertin © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Le sport moderne a connu de nombreuses évolutions, tantôt mû par des volontés guerrières (reconstruire une armée d’hommes robustes avec la gymnastique militarisée après la défaite de 1870 de la France face à l’Allemagne, par exemple), tantôt arme de propagande (supériorité nazie aux Jeux Olympiques [JO]) de Berlin en 1936, ou boycotts successifs, en signe de protestation, des JO de Los Angeles ou de Moscou devenus théâtre des affrontements entre l’Est et l’Ouest. Pour être aussi qualifié d’opium du peuple par Jean-Marie Brohm 1 , le spectacle sportif serait utilisé pour amadouer les peuples, thèse que soutient Youssef Fates 2 , en référence à l’utilisation du sport par les politiques dans les pays du Tiers-Monde : « Le sport de haute compétition, pour quelques activités, est le seul terrain où les pays du Tiers Monde peuvent se mesurer, se battre et éventuellement arracher une illusoire victoire sur les pays développés ». Auteur correspondant. Adresse e-mail : hassen [email protected] (Z. Hassen). 1 Brohm, J.-M (1976). Sociologie politique du sport. Édition : Delarge. 2 Fates Y. Sport et Tiers-Monde, Presses Universitaires de France 1994. 1629-6583/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ddes.2008.03.005

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Page 1: Sport, droit et santé

Droit Déontologie & Soin 8 (2008) 69–76

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Synthèse

Sport, droit et santé

Zied Hassen ∗, Naïla Bali (Enseignants-chercheurs)Institut supérieur du sport et de l’éducation physique (Issep Ksar-Said),

université de La Manouba, 2010 La Manouba–Tunis, Tunisie

Disponible sur Internet le 29 avril 2008

Résumé

Le développement accéléré du sport moderne s’accompagne de dérives bien connues, compétitions achar-nées, omniprésence de l’argent, dopage, qui font oublier que l’activité sportive est au bénéfice du bien-êtreet de la santé du plus grand nombre. Malgré la mise en place d’un arsenal juridique et de moyens importants,les États peinent à réguler le fonctionnement du sport.

« Le culte volontaire et habituel de l’exercice musculaire intensif, appuyé par le désir de progrès etpouvant aller jusqu’au risque. »

Pierre de Coubertin

© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Le sport moderne a connu de nombreuses évolutions, tantôt mû par des volontés guerrières(reconstruire une armée d’hommes robustes avec la gymnastique militarisée après la défaite de1870 de la France face à l’Allemagne, par exemple), tantôt arme de propagande (supériorité nazieaux Jeux Olympiques [JO]) de Berlin en 1936, ou boycotts successifs, en signe de protestation,des JO de Los Angeles ou de Moscou devenus théâtre des affrontements entre l’Est et l’Ouest.Pour être aussi qualifié d’opium du peuple par Jean-Marie Brohm1, le spectacle sportif seraitutilisé pour amadouer les peuples, thèse que soutient Youssef Fates2, en référence à l’utilisationdu sport par les politiques dans les pays du Tiers-Monde :

« Le sport de haute compétition, pour quelques activités, est le seul terrain où les pays duTiers Monde peuvent se mesurer, se battre et éventuellement arracher une illusoire victoiresur les pays développés ».

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : hassen [email protected] (Z. Hassen).

1 Brohm, J.-M (1976). Sociologie politique du sport. Édition : Delarge.2 Fates Y. Sport et Tiers-Monde, Presses Universitaires de France 1994.

1629-6583/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.ddes.2008.03.005

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De nos jours, c’est dans la sphère économique que le sport semble le mieux s’exprimer; desathlètes achetés ou vendus à prix d’or des clubs cotés en bourse, un marché mondial de plusieursmilliards d’euros, profitant de plusieurs flous juridiques, et, ce, au détriment de la santé de ceux,qui servent d’ouvriers : les sportifs eux-mêmes.

1. Évolution et rôle du sport moderne

Depuis son apparition, le sport moderne a connu beaucoup de tendances comme peut en témoi-gner Francois Chobeaux3 « L’histoire des relations entre le sport et les secteurs économiques,sociaux et politiques est étonnante et laisserait penser qu’il est un facteur puissant de restau-ration des principes et des personnes au nom d’idéaux larges. . . et parfois opposés. Au servicede l’éducation des jeunes aristocrates anglais au xixe siècle, au service de la préparation de larevanche militaire dans la France des années 1900, au service de la preuve de la justesse deschoix de sociétés sous les régimes totalitaires du milieu du siècle, plus récemment au service del’individualisme consumériste des années 1980, il est aujourd’hui appelé à l’aide pour résoudreles problèmes d’insertion sociale des jeunes ». Or dans ses derniers rapports, l’Organisation mon-diale de la santé (OMS)4 a insisté sur le fait que 60 % des adultes ne pratiquent pas d’activitéssportives. En outre, l’OMS indique aussi que le facteur le plus important favorisant la morbiditéet les décès est la sédentarité, au même titre que la malnutrition et le tabagisme. Il indique égale-ment que la sédentarité est la cause principale, dans 60 % des cas, de décès précoces résultant demaladies non transmissibles.

En effet, l’an 2000 a connu 1,9 millions de décès, dont 15 à 20 % sont la conséquence demaladies cardiovasculaires, de diabète et certains types de cancer. Les risques de maladies car-diaques augmentent de l’ordre de 1,5 % chez les personnes qui ne pratiquent pas d’activitésphysiques. Près de 60 % des adultes ne pratiquent pas suffisamment d’activités physiques, leurpermettant de préserver leur santé. Alors que 30 minutes d’activités sportives journalières suffisentà entretenir la santé physique et morale pour tous les membres de la société.

1.1. Le sport comme vecteur de bien-être

La pratique d’activités physiques et sportives est bénéfique pour la santé, elle diminue lesrisques de décès précoce, d’être atteint de maladies cardiovasculaires, de cancer, de diabète, destress, voire même de dépression. Elle aide aussi à lutter contre les maladies résultant de fortespressions sanguines, ainsi que certaines dépendances et à contrôler plus facilement son poids.

Par ailleurs, de nombreuses études5 ont déjà démontré qu’introduire de l’activité physique dansles programmes scolaires et ménagers des périodes de récréation chez l’enfant permet d’augmenterla capacité d’apprentissage, de diminuer l’absentéisme à l’école et d’améliorer les possibilitésgénérales de l’élève. Les activités physiques proposées aux jeunes élèves permettent égalementd’améliorer certaines capacités physiques, mentales et intellectuelles.

3 Francois Chobeaux : animateur du réseau national « Jeunes en errance » et directeur des politiques sociales au centred’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA).

4 OMS. Rapport sur la santé dans le monde : réduire les risques et promouvoir une vie saine 2002.5 Nations unies. « Le sport au service du développement et de la paix : vers la réalisation des objectifs du millénaire pour

le développement ». Rapport de l’équipe inter institutions des Nations unies sur le sport au service du développement etde la paix 2003.

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À ce titre, dès 1956, Piaget a démontré que l’acte psychomoteur a des répercussions sur lesfonctionnalités mentales. Des études plus récentes, menées par Etner6, permettent d’affirmer quecertaines fonctionnalités développées par les activités physiques dépendent uniquement de cesdernières. La pratique ponctuelle d’activités physiques n’a pas d’impact notable, alors que lapratique régulière d’activités physiques a un impact positif sur les fonctionnalités mentales.

L’éducation physique est un moyen particulièrement efficace dans l’apprentissage de nom-breuses habiletés considérées comme capitales dans la construction de l’apprentissage moderneet particulièrement pour le travail collectif, la collaboration et l’entraide, la résolution de problèmeset la confiance en soi. L’activité physique facilite également le développement de la personnalitéchez l’enfant, la confiance en soi, l’acceptation de l’autre et son intégration auprès du groupe.

Le sport tiendrait donc une place prépondérante dans les sociétés modernes, et ce, grâce à sacapacité à faire participer tous les acteurs sociaux. Il rassemble les gens dans la pratique d’activitésphysiques, encourage la mise en place de relations sociales et facilite la communication entreindividus et groupes. Il est aussi une source d’investissement pour les bénévoles et contribue ainsiau développement social.

L’évolution phénoménale qu’ont connu les sociétés modernes dans l’amélioration du niveaude vie de l’ensemble des catégories sociales ainsi que dans le domaine de la santé peuvent être destémoins de la valeur des activités culturelles, éducatives, physiques et sportives dans leur capacitéà assurer la continuité de cette évolution, et ce, auprès du plus grand nombre.

L’impact du sport et de l’activité physique sur le bien-être individuel et la santé publique estparfaitement mise en évidence, démontré et surtout explicité (base et recommandations) dansl’étude de Vuori et al.7 sur le sport comme vecteur de promotion de la santé.

En partant de ce constat, il est important de faire le lien entre la croissance économique,l’urbanisation et le besoin de développer les activités de loisirs et particulièrement, les activitéssportives. Leurs retombées au niveau de la santé, du bien-être familial et social sont importantes,de même que leur impact sur le niveau de la qualité de vie.

1.2. Le revers de la « médaille »

Le sport ne se limite pas aux notions de vertu et de nobles sentiments, car, comme ailleurs, il estdevenu un secteur d’activité, voire un secteur économique à part entière où les intérêts financiersprennent une place considérable.

En effet, selon des études commandées par le Conseil de l’Europe via le Comité pour ledéveloppement du sport (CDDS) et réalisées par plusieurs laboratoires de recherches européenspour la huitième Conférence des ministres européens responsables du sport (17–18 mai 1995),le rôle du sport dans la société s’articulerait autour de trois grands pôles. Une synthèse de cesrecherches, réalisée par une équipe de chercheurs (déjà citée)8, nous apprend que cette articulationtourne autour de la santé, de la socialisation et de l’économie. Il est donc tout à fait naturel devoir, dans le monde en général et en Tunisie, en particulier, les pouvoirs politiques orienter leursactions autour de ces axes.

6 Etner J, Jouvet PA. « Choix d’investissement dans un modèle à générations imbriquées avec incertitude et pollution ».GREQAM. 97a29, université Aix-Marseille III 1995.

7 Vuori I, Fentem P, Svoboda B, Patriksson G. Andreff W, Weber W. Comité pour le développement du sport, Strasbourg.Les éditions du Conseil de l’Europe 1995.

8 Ilkka Vuori ; Peter Fentem ; Bohumiln Svoboda ; Göran Patriksson ; Wladimir Andreff et Wolfgang Weber.

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Une des raisons qui ont favorisé certaines dérives du sport est l’argent dont l’influence s’estmanifestée de manière très progressive, à commencer par le spectacle sportif (dont on peutimaginer qu’il remonte aux jeux du cirque romain, voire aux jeux antiques qui, déjà, étaientune forme d’exploitation du spectacle). Son industrialisation qui, bien qu’elle ait commencé tar-divement, a connu une croissance fulgurante ces dernières années, ainsi que l’industrialisationdes sportifs qui aujourd’hui sont réduits à de simples produits.

La compétition à tout prix est devenue la devise de tout apprenti sportif qui aujourd’hui, s’ilveut percer, doit démontrer des capacités au-delà de l’ordinaire. La concurrence est très rude dansce secteur et l’une des principales qualités qu’il faut posséder est la capacité de tout risquer pour yparvenir (ce qui nous rapproche de la définition première de Pierre de Coubertin sur le sport, citéeplus haut). Et ce phénomène est d’autant plus criant de vérité dans des pays comme la Tunisie oùle sport est devenu un moyen de pouvoir gagner l’« Eldorado » européen (pour des gens prêts àtraverser la Méditerranée à bord d’une barque, jouer avec sa santé n’est plus si risqué). Ceux, peuconfiants en leurs capacités, se sentent obligés d’avoir recours à des moyens qui souvent, en plusde ne pas obéir aux règles de la chevalerie ni même de l’éthique, vont jusqu’à être illégaux.

Le dopage, fléau de la moitié du siècle dernier, commence (bien que très timidement ou enfonction des intérêts) à être montré du doigt. Les accidents sont aussi des conséquences de cettevolonté d’aller toujours plus loin. C’est ainsi qu’on pourra citer la disparition d’un grand espoirde l’équipe nationale tunisienne décédé d’une fracture du myocarde lors d’un match officiel ouencore le plus grand pilote de F1 qu’ait connu le Brésil, Ayrton Senna, mort tragiquement lorsd’un Grand Prix, la championne francaise de descente, Régine Cavagnoud, décédée en 2001, lorsd’un entraînement après avoir percuté un entraîneur allemand sur une piste, Marc-Vivien Foé,décédé lors de la Coupe des Confédérations en 2003, comme un signe du destin, dans un stadequ’il avait maintes et maintes fois foulé lorsqu’il jouait à l’Olympique lyonnais. Ou encore celuide l’international hongrois du Benfica–Lisbonne, Miklos Feher, foudroyé par un arrêt cardiaque le25 janvier 2004, lors d’un match contre le Vitoria Guimaraes. Plus récemment, l’Espagnol Puertavictime d’un triple arrêt cardiaque à la suite d’un infarctus ou ce jeune footballeur équatorien,décédé en Équateur, Jairo Nazareno, 21 ans, qui avait senti une forte douleur dans la poitrine et àl’avant-bras au cours du match de son équipe, Chimborazo, comptant pour la troisième divisiondu championnat équatorien, avant d’être transporté à l’hôpital et d’y décéder. Ainsi que beaucoupd’autres qui, à défaut de perdre la vie, ont vu leur carrière se briser. La notion de sacrifice a perdu lesens que Monsieur-tout-le-monde peut percevoir, et se substitue pour certains le désir de paraître« à la hauteur », au péril de la santé (on peut voir Mohamed Ali se battre chaque jour contre samaladie, conséquence directe de sa glorieuse carrière et depuis 1945, environ 400 boxeurs ne sesont jamais relevés et beaucoup d’autres ont subi des séquelles irréversibles9), de la vie socialeet de sa propre identité.

En quête de victoires, voire de visibilité, l’athlète, souvent trop jeune pour comprendre la portéede ce qui se trame, se plie docilement, malgré les avertissements de médecins, à une préparationintensive et précoce. Dans une séance importante du 18 octobre 1983, l’Académie nationale demédecine estimait nécessaire de rappeler, après avoir établi une longue liste des dangers du judo,de la natation et de la gymnastique, que « aucune médaille ne vaut la santé d’un enfant ». Cetavertissement, comme les précédents, fut sans effet.

Le rôle du médecin du sport est d’optimiser la préparation des sportifs et d’empêcher les« dérapages » du dopage, en suivant le sportif et en lui proposant des solutions alternatives :

9 Caillat M. Le sport, la compétition, la violence. Alternatives Non Violentes (Hiver) 1998.

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organisation de l’entraînement et une hygiène de vie compatible avec la compétition (alimentation,psychologie). Le suivi médicosportif commence par ce que certains dénomment abusivement la« décision d’aptitude » et qui est, en réalité, un « examen de non contre-indication à la pratiquedu sport en compétition ». Le législateur ne demande pas au médecin de déterminer si le sujetexaminé est apte, mais de dire s’il n’y a pas (trop) de risques à pratiquer un sport.

Mais là où la morale et l’éthique sont largement mis à mal, c’est lorsque le risque est prévi-sible, car déjà enclenché. Un exemple, parmi d’autres permet de mesurer l’ampleur des dégâts.En novembre 1994, lors des championnats du monde de gymnastique, la championne francaiseÉlodie Lussac se blesse et malgré ses réticences, elle est contrainte par ses entraîneurs à conti-nuer. La formation nationale a besoin d’elle : elle « tiendra son rang avec courage » lit-on dansL’Équipe. Elle sera, en fait, sacrifiée. Quelques piqûres anti-inflammatoires et le calvaire de lagymnaste commence : une fracture de fatigue (vertèbres lombaires touchées), un plâtre pendantplusieurs semaines, un corset durant trois mois, puis une longue rééducation et un avenir hypo-théqué. Le corps de la jeune fille est meurtri par les cadences infernales et son moral est atteintpar l’attitude d’un encadrement irresponsable et la réaction de « copines–adversaires » – amiesen public, ennemies en coulisses – intérieurement soulagées de voir la concurrence s’affaiblir.Combien de jeunes sont ainsi sacrifiés pour obtenir des médailles ? Où sont les droits de l’enfant ?Quelle est la différence entre une usine en Chine qui exploite des enfants et des apprentis sorciersqui modèlent les corps d’enfants ?

La recherche est ainsi entièrement consacrée à l’efficacité du matériel et à l’optimisation descapacités, et ce, au détriment bien souvent de l’intégrité physique de ces athlètes qui servent biensouvent de cobayes. Grâce à l’ordinateur, les biomécaniciens dissèquent les mouvements du corpspour trouver le geste parfait ; des médecins, « faux-soigneurs et fossoyeurs »10, supposés préserverla santé des athlètes, préparent des recettes miracles indécelables au contrôle antidopage, despsychologues, sophrologues et psychiatres s’emploient à faire accepter la discipline et à éliminerla moindre faiblesse psychique11.

2. Cadre légal et structurel

2.1. Le modèle francais

Comme la plupart des pays d’Europe méridionale et orientale, la France a adopté un modèlede législation sportive interventionniste. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’État adélégué aux fédérations le pouvoir d’organiser et de promouvoir la pratique de leurs disciplines,dans le cadre des orientations définies dans les conventions d’objectifs et avec le soutien descadres techniques mis à disposition par le ministère. Il en a résulté une assez large autonomie desfédérations qui constituent le « mouvement sportif » et sont au cœur de l’organisation du sport enFrance. Elles gèrent et animent l’ensemble des activités sportives de leur discipline, que ce soitle sport amateur ou le sport professionnel, le sport de haut niveau ou le sport loisir. Les articlesL.131-8 et L. 131-14 du Code du sport distinguent les fédérations qui bénéficient de l’agrémentde l’État, de celles qui, en plus, ont recu délégation de ses pouvoirs.

Ainsi, le sport en France, repose sur 180 000 associations sportives qui ont délivré en 2005,15,8 millions de licences. Qu’il s’agisse de clubs, de comités départementaux, de ligues régio-nales, de Fédérations nationales, tous ces degrés de la vie sportive sont des associations constituées

10 de Mondenard JP. Dictionnaire du dopage (substances, procédés, conduites). Masson; 2004.11 M Caillat Le sport, la compétition, la violence. Alternatives Non Violentes (Hiver) 1998.

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conformément à la loi du 1er juillet 1901. Elles sont animées par plus de deux millions debénévoles. Les dirigeants, responsables de la vie sportive, sont des élus chargés d’appliquerun programme conforme aux vœux librement exprimés d’une majorité.

Afin de légitimer son interventionnisme, l’État francais a, dès l’apparition du sport moderne,établi le cadre législatif adéquat et a su le faire évoluer avec l’évolution du sport.

L’introduction du sport dans le cursus scolaire date en France du 14 mars 1850, à la suitede l’adoption de la Loi Falloux qui concernait, entre autres, l’éducation physique facultative enmilieu scolaire. Le 2 décembre 1854, le décret du ministre de l’Instruction publique, HippolyteFortoul, introduit la gymnastique facultative dans les lycées francais. L’éducation physique etsportive devient obligatoire le 27 janvier 1880 (Loi Georges).

Le premier diplôme de la profession fut le certificat spécial d’enseignement de la gymnastique,institué le 25 novembre 1869. Il n’était toutefois pas obligatoire pour enseigner l’EPS qui étaitjusque là le fait de militaires ou de professeurs de gymnastique privés. Aujourd’hui, le DEUGSTAPS créé en 1975, est la filière classique pour préparer le certificat d’aptitude au professoratd’éducation physique et sportive (CAPEPS).

Dans une démarche tendant à améliorer l’accès des citoyens au droit, se traduisant parl’habilitation donnée au gouvernement, par le législateur, de codifier le droit du sport par voied’ordonnance (article 84 de la loi no 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit),la norme juridique régissant le sport est répartie entre trois supports fondamentaux :

• le Code de la santé publique (lutte contre le dopage et suivi médical du sportif) ;• le Code de l’éducation (enseignement des activités physiques et sportives [APS] contre rému-

nération, établissements d’activités physiques et sportives [EAPS]) et la loi no 84-610 du 16juillet 1984 modifiée, relative à l’organisation et à la promotion des APS ;

• de nombreux autres codes pour ce qui concerne la partie législative (construction et habitation,environnement, défense, tourisme, aviation civile...) ;

• de nombreux journaux officiels, pour les textes réglementaires, notamment, qui n’ont pas étécodifiés à ce jour.

Ces derniers ont été regroupés selon un plan global et cohérent, afin de former le Code du sport.L’ordonnance no 2006-596 du 23 mai 2006, porte publication de la partie législative du Code dusport qui est désormais le document de référence en matière de droit du sport.

Il ne faut pas oublier que cette évolution a été très difficile, jonché de scandales financiers, et ce,principalement dans le monde du football, que ce soit la relégation de l’Olympique de Marseilleen 1993 ou la poursuite de l’ex-président de la Fédération francaise de football (FFF) pour untrou plus que béant dans le bilan financier de la fédération, sans parler des tristement habituelscas de dopage lors du tour de France, cycliste lassant les plus aguerris des fans de la discipline.

2.2. La situation en Tunisie

Le sport ne paraissant pas faire partie des « bienfaits de la colonisation », la France n’ayant,semble-t-il, pas jugé nécessaire d’en faire profiter ses colonies, il fallut attendre l’indépendancede la Tunisie, puis le discours du Président Habib Bourguiba sur « le rôle du sport dans la bataillecontre le sous-développement » du 30 septembre 1960. Plus tard, dans une allocution prononcéeà l’Unesco en avril 1976, le ministre tunisien de la Jeunesse et des Sports soulignait les nouvellesorientations de la politique sportive tunisienne à différents niveaux : enseignement, formation des

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enseignants, sport et travail, sport féminin, animation en zone rurale. . . En placant l’année 2005comme l’année du sport et de l’éducation physique, afin de mettre en avant le sport, l’équité pourl’accès au sport et miser sur le haut niveau la santé et la lutte contre le dopage, le gouvernementtunisien souligne son ambition de se donner les moyens d’atteindre de meilleurs objectifs.

Si l’organisation du sport (tout comme le reste) est calquée sur le modèle de l’ancien colo-nisateur, un ministère très interventionniste déléguant aux fédérations (avec très peu, voire pasd’autonomie), l’arsenal législatif n’a pas réellement réussi à suivre le rythme de l’évolution dusport.

En effet, s’il existe des lois légiférant sur l’éducation physique et sportive, le droit à lapratique sportive pour tous, la création et la construction d’espaces pour la pratique spor-tive dans les nouveaux quartiers et au sein des entreprises, la participation de l’État et descollectivités publiques et privées dans l’apport d’un soutien matériel, technique et moral per-mettant le développement des activités physiques et sportives, le recrutement par les entreprisesde spécialistes pour l’encadrement sportif, l’encouragement des investissements dans le secteurdu sport ainsi que des allègements fiscaux et d’impôts dans le cadre des activités commercialesrelatives au domaine de l’animation sportive et sociale destinée aux jeunes, il n’en demeure pasmoins surprenant qu’il n’existe actuellement rien sur la santé, à l’exception du centre médico-sportif, qui ne s’occupe que de l’élite et intervient très peu sur le terrain (contrôle lors des grandesmanifestations sportives).

Il n’y a que des décrets règlementant l’activité des intervenants dans le domaine sportif :animateurs, moniteurs et entraîneurs.

Quant au statut professionnel des sportifs, il est en cours d’élaboration. Les sportifs sont classésen deux catégories « amateurs » et « non amateurs ». Il y a, en Tunisie, 117 49712 licenciés du sportcivil : soit près de 1 % de la population tunisienne qui adhère à une fédération sportive, alors queprès de 60 % de la population tunisienne a moins de 30 ans. Dans ces conditions, le fait qu’à peine20 % des licenciés soient des femmes devient anecdotique. Ces licenciés sont répartis dans 654associations affiliées à 35 fédérations. Presque la moitié des associations est affiliée à la seulefédération de football. Les dirigeants des grands clubs sont élus (après validation de la candidatureauprès du ministère) et chargés d’appliquer un programme conforme aux vœux du ministère.

Le sport semble donc être devenu, en Tunisie, depuis quelques années déjà, comme dans laplupart des pays émergents ou du Tiers-Monde, une affaire d’État. Cette volonté politique setraduit par l’octroi de moyens considérables, financier ou humain, pour le développement dusport. Même si l’objectif premier demeure la visibilité des résultats qui se traduit bien souventpar les résultats sportifs sur la scène internationale (jeux, compétitions internationales. . .), il n’endemeure pas moins vrai que d’autres aspects, telles l’utilisation de ce dernier à des fins sociales,son développement pour contribuer au bien-être (santé) et tout simplement sa démocratisation,peuvent aussi constituer des objectifs.

3. Conclusion

Bien que le gouvernement tunisien ait tenté d’organiser les aspects du sport dans un cadrelégislatif renforcé, à l’image de la France, en s’appuyant principalement sur des décrets, il n’endemeure pas moins vrai que le retard est devenu de plus en plus handicapant. En effet, le statutdes fédérations (le tiers du bureau étant nommé par le ministère), le statut des clubs et surtout leur

12 Statistiques issues du ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Éducation Physique, 2007.

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passage au statut professionnel se font attendre depuis de nombreuses années laissant place à unstatut de « non amateur » qui, bien que légal, ne permet pas aux sportifs de bénéficier d’un statutclair et avantageux. L’absence de textes légiférant sur la nécessité d’être détenteur d’un diplômed’État (ou du moins reconnu), afin de travailler comme intervenant dans le domaine du sport, àl’exception des professeurs d’éducation physique, dont le statut est règlementé, est un manque.Beaucoup de points noirs laissent penser qu’il existe un vide juridique autour du sport.

Ces dernières années les organismes publics en France ont dû revoir leur approche et légitimerleur fonctionnement en adoptant une approche plus professionnelle, plus managériale de leurprérogative publique. La loi sur la décentralisation mise en place en France au début des années1980, a permis de renforcer le rôle des collectivités locales en matière de gestion du sport. Ainsi,les projets de création d’infrastructures, de mise en place de politique et de gestion du sport ontdû répondre à des besoins concrets, ce qui a eu pour principale incidence la mise en place demoyens modernes de gestion, de management, afin de maximiser les retombées positives pour lasanté publique. Les conséquences de ce fonctionnement sont que la France est parvenue à éleverà plus de 50 % le taux de la population pratiquant une activité physique ou sportive.

Malheureusement, pour la Tunisie, la politique suivie a bien permis de mieux diffuser le sport,c’est-à-dire faire en sorte que la plupart des catégories sociales puissent y avoir accès (plus de95 % des élèves bénéficient de séances d’éducation physique au sein des collèges13), mais sansque cette gestion ne parvienne à le démocratiser au niveau associatif et fédéral.

Ainsi donc, dans ces conditions (chômage, précarité et rêve de gagner l’Europe à n’importequel prix), comment la Tunisie pourrait-elle parvenir à réguler le fonctionnement du sport et sesdérives, veiller au bien-être et à l’intégrité physique et morale des sportifs, si la France, avecson arsenal juridique et les moyens mis en place peine à y parvenir. La sensibilisation et lacommunication sont les solutions aujourd’hui misent en place, mais cela suffira t-il ? Et pendantcombien de temps ?

13 Statistiques issues du ministère de la Jeunesse, des sports et de l’Éducation physique, 2005.