stratÉgies pour mieux communiquer les...

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STRATÉGIES POUR MIEUX COMMUNIQUER AVEC LES ENFANTS, LES COLLÈGUES ET LES PARENTS Christian Dumais, professeur de didactique du français, Université du Québec à Trois-Rivières, membre de l’Équipe de recherche en littératie et inclusion (ÉRLI) Emmanuelle Soucy, étudiante au doctorat en science de l’éducation, Université du Québec en Outaouais, étudiante ÉRLI Le service de garde occupe une place importante au sein des écoles québécoises. Il n’est pas exagéré d’affirmer que certains élèves passent autant sinon plus de temps avec les éducateurs que les enseignants pendant une journée. Les éducateurs ont donc une influence considérable sur les élèves et sont des modèles sur plusieurs plans, notamment en ce qui concerne la communication orale. Cette dernière est également sollicitée régulièrement lors d’échanges entre éducateurs (préparation d’activités, façon d’intervenir avec les enfants, etc.), avec les enseignants (discussions sur les comportements de certains élèves, consignes sur l’heure de départ d’un enfant, etc.) et avec les parents (accueil le matin, échange d’informations sur la situation d’un enfant, etc.). Étant donné la place importante qu’occupe la communication orale au quotidien, quelles stratégies sont à privilégier afin de favoriser une communication orale réussie? Cet article vous en propose six 1 . S’APPUYER SUR DES FAITS PLUTÔT QUE SUR DES IMPRESSIONS À différents moments, il s’avère essentiel de faire part aux parents et aux collègues d’informations concernant les enfants. Afin que cette information soit la plus juste et la plus objective possible, il est recommandé d’appuyer ses propos d’exemples concrets. En effet, dire à un parent « Julie dérange pendant le dîner » n’aura pas le même impact que « Lundi, mercredi et jeudi, j’ai dû intervenir auprès de Julie puisqu’elle joue avec sa nourriture plutôt que de la manger. Mercredi, elle a lancé sa nourriture sur le plancher ». Nommer le comportement, donner des exemples et indiquer des moments précis permet de renseigner adéquatement le parent ou le collègue en plus de rendre le propos beaucoup plus crédible. Les verbes « paraître » et « sembler » ainsi que les expressions « j’ai l’impression que… » et « on dirait que… » sont à éviter 2 . Il est préférable d’énoncer des faits observés ou entendus plutôt que des impressions afin d’avoir des exemples à présenter aux parents et aux collègues 3 . NOTER SES OBSERVATIONS Afin d’être en mesure de présenter facilement aux parents et aux collègues des observations et de ne pas les oublier, il peut être judicieux de noter des faits observés ou entendus (comportements d’un enfant par exemple). Ce peut être noté sur une simple liste de noms, dans un calepin qui se glisse facilement dans une poche ou encore dans un cahier qui permet de faire un suivi de chacun des enfants dont l’éducateur est responsable. La crédibilité de ce dernier sera beaucoup plus grande aux yeux des parents, des enseignants et des autres éducateurs si les propos émis s’appuient sur des observations notées et facilement accessibles 4 . Cela facilitera également la communication et évitera de généraliser des comportements. 22 GARDAVUE NOVEMBRE 2016 ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DE LA GARDE SCOLAIRE Il est préférable d’énoncer des faits observés ou entendus plutôt que des impressions afin d’avoir des exemples à présenter aux parents et aux collègues. Les mots « toujours » et « jamais », souvent utilisés à l’oral, amènent une certaine forme de généralisation. En effet, cela laisse sous-entendre que quelque chose ou un comportement est généralisé. DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL

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STRATÉGIES POUR MIEUX COMMUNIQUER AVEC LES ENFANTS, LES COLLÈGUES ET LES PARENTSChristian Dumais, professeur de didactique du français, Université du Québec à Trois-Rivières, membre de l’Équipe de recherche en littératie et inclusion (ÉRLI)Emmanuelle Soucy, étudiante au doctorat en science de l’éducation, Université du Québec en Outaouais, étudiante ÉRLI

Le service de garde occupe une place importante au sein des écoles québécoises. Il n’est pas exagéré d’affirmer que certains élèves passent autant sinon plus de temps avec les éducateurs que les enseignants pendant une journée. Les éducateurs ont donc une influence considérable sur les élèves et sont des modèles sur plusieurs plans, notamment en ce qui concerne la communication orale. Cette dernière est également sollicitée régulièrement lors d’échanges entre éducateurs (préparation d’activités, façon d’intervenir avec les enfants, etc.), avec les enseignants (discussions sur les comportements de certains élèves, consignes sur l’heure de départ d’un enfant, etc.) et avec les parents (accueil le matin, échange d’informations sur la situation d’un enfant, etc.).

Étant donné la place importante qu’occupe la communication orale au quotidien, quelles stratégies sont à privilégier afin de favoriser une communication orale réussie? Cet article vous en propose six1.

S’APPUYER SUR DES FAITS PLUTÔT QUE SUR DES IMPRESSIONS

À différents moments, il s’avère essentiel de faire part aux parents et aux collègues d’informations concernant les enfants. Afin que cette information soit la plus juste et la plus objective possible, il est recommandé d’appuyer ses propos

d’exemples concrets. En effet, dire à un parent « Julie dérange pendant le dîner » n’aura pas le même impact que « Lundi, mercredi et jeudi, j’ai dû intervenir auprès de Julie puisqu’elle joue avec sa nourriture plutôt que de la manger. Mercredi, elle a lancé sa nourriture sur le plancher ». Nommer le comportement, donner des exemples et indiquer des moments précis permet de renseigner adéquatement le parent ou le collègue en plus de rendre le propos beaucoup plus crédible. Les verbes « paraître » et « sembler » ainsi que les expressions « j’ai l’impression que… » et « on dirait que… » sont à éviter2. Il est préférable d’énoncer des faits observés ou entendus plutôt que des impressions afin d’avoir des exemples à présenter aux parents et aux collègues3.

NOTER SES OBSERVATIONSAfin d’être en mesure de présenter facilement aux parents et aux collègues des observations et de ne pas les oublier, il peut être judicieux de noter des faits observés ou entendus (comportements d’un enfant par exemple). Ce peut être noté sur une simple liste de noms, dans un calepin qui se glisse facilement dans une poche ou encore dans un cahier qui permet de faire un suivi de chacun des enfants dont l’éducateur est responsable. La crédibilité de ce dernier sera beaucoup plus grande aux yeux des parents, des enseignants et des autres éducateurs si les propos émis s’appuient sur des observations notées et facilement accessibles4. Cela facilitera également la communication et évitera de généraliser des comportements.

22GARDAVUE NOVEMBRE 2016 ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DE LA GARDE SCOLAIRE

Il est préférable d’énoncer des faits observés ou entendus plutôt que des impressions afin d’avoir des exemples à présenter aux parents et aux collègues.

Les mots « toujours » et « jamais », souvent utilisés à l’oral, amènent une certaine forme de généralisation. En effet, cela laisse sous-entendre que quelque chose ou un comportement est généralisé.

DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL

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DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL

23ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DE LA GARDE SCOLAIRE GARDAVUE NOVEMBRE 2016

ÉVITER LES GÉNÉRALISATIONSLes mots « toujours » et « jamais », souvent utilisés à l’oral, amènent une certaine forme de généralisation. En effet, cela laisse sous-entendre que quelque chose ou un comportement est généralisé. Par exemple : « Votre enfant dérange toujours lors de la collation. » et « Vous ne ramassez jamais vos déchets sur la table! ». Il serait surprenant qu’un enfant soit en tout temps en train de déranger ou que les enfants n’aient en aucune occasion ramassé leurs déchets sur la table depuis le début de l’année. L’utilisation de ces deux mots amène la personne à qui ils sont adressés à vouloir se défendre ou se justifier, ce qui peut nuire à la communication . Il vaut donc mieux éviter d’utiliser les mots « toujours » et « jamais ».

FAVORISER L’UTILISATION DU « JE »Utiliser les pronoms « tu » (« Tu ne m’as pas dit que ton élève arriverait en retard. ») et « vous » (« Vous avez oublié de signer l’agenda. ») peut nuire à la communication. Le « tu » et le « vous » sont vus par certaines personnes comme une forme d’accusation « qui place rapidement l’autre sur la défensive et, selon les tempéraments, en position plus ou moins puissante de contre-attaque6 », ce qui peut occasionner des conflits ou certaines tensions. Il est donc recommandé d’éviter ces deux pronoms. Il est préférable d’utiliser le « je ». Par exemple : « Je n’ai pas été informé que cet élève arriverait en retard. » et « J’ai observé que l’agenda n’a pas été signé. » Cela rend les gens plus réceptifs et évite une certaine forme d’accusation ainsi que la confrontation.

LA RÉTROACTION SANDWICHQue ce soit auprès des enfants, des parents ou de collègues, les éducateurs doivent à un moment ou à un autre faire part d’éléments problématiques (par exemple, faire part à un enfant d’un comportement inadéquat dans la cour de récréation). Lorsque c’est auprès d’un parent ou d’un collègue, cela peut être très délicat. Si le message est mal reçu, cela peut briser le lien avec la personne et engendrer un conflit. Pour éviter une situation désagréable, il est recommandé d’utiliser la rétroaction sandwich lorsqu’on souhaite faire part

à quelqu’un d’informations délicates, problématiques ou à améliorer. La rétroaction sandwich consiste à relever d’abord un élément positif et authentique en lien avec la situation, puis à faire part de ce qui est problématique et, finalement, à proposer des pistes de solution7. Cette façon de faire permet à la personne de constater qu’il n’y a pas que du négatif et ouvre la porte à une discussion plus harmonieuse étant donné la proposition de pistes de solution. Voici un exemple de rétroaction sandwich : « Samia, j’ai observé que tu portais ton pantalon de neige comme le règlement le demande. Je te félicite! J’ai cependant remarqué que tu ne portais pas ta tuque ce midi alors qu’il faisait très froid. C’est la troisième fois cette semaine. C’est arrivé mardi matin, mercredi midi et ce midi. Je te propose de mettre ta tuque dans tes poches de manteau plutôt que dans ton casier pour éviter de l’oublier de nouveau. »

CHOISIR LE BON MOMENT POUR COMMUNIQUERFinalement, malgré une utilisation adéquate des différentes stratégies expliquées précédemment, il est possible qu’une communication ne soit pas réussie ou qu’elle soit difficile si elle a lieu à un mauvais moment. En effet, aborder un enseignant à propos d’un problème concernant le partage d’un local lorsqu’il retourne en classe avec ses élèves après le dîner n’est probablement pas le meilleur moment pour discuter. Lors de l’accueil des enfants le matin, ce n’est pas le moment idéal pour tenter d’informer le parent d’un important problème avec son enfant si le parent est pressé d’aller travailler. Il serait plutôt recommandé de prendre rendez-vous avec le parent afin d’avoir le temps nécessaire pour discuter avec lui. Pour ce qui est de l’enseignant à qui il faut parler, il serait également préférable de tenter de trouver un moment où les élèves ne sont pas présents pour échanger avec lui.

L'IMPORTANCE DE LA COMMUNICATION ORALELa communication orale est omniprésente dans le métier d’éducateur. Il s’avère donc essentiel de s’y intéresser et de mettre en pratique certaines stratégies pour faciliter sa réussite. Il ne faut surtout pas oublier que le service de garde est un partenaire important dans l’école et un allié à la réussite éducative des élèves. Une meilleure communication entre les membres du personnel scolaire ainsi qu’avec les parents et les enfants favorise un climat de travail plus agréable et permet d’éviter les situations conflictuelles.

1 Nous tenons à remercier la direction et le personnel du service de garde de l’école Les-Enfants-du-Monde de la Commission scolaire de Montréal qui ont accepté de valider ces six stratégies.2 BERTHIAUME, Denise. L’observation de l’enfant en milieu éducatif, 2e édition, Montréal, Chenelière Éducation, 2016, 258 p.3 POISSON, M.-C. et SARRASIN, L. À la maternelle… voir grand! Montréal, Chenelière McGraw-Hill, 2000, 302 p.4 ST-VINCENT, L.-A. « Le pouvoir de l’enseignant messager », Vie pédagogique, 146, 2008, p. 78-83.5 DE VITO, Joseph A. Les fondements de la communication humaine. Boucherville, Gaëtan Morin éditeur, 1993, 428 p.6 TREMBLAY, Michèle B. La communication chez les enseignants. Savoir-être et savoir-faire pédagogiques. Montréal, Guérin Universitaire, 2003, p. 71.7 DUMAIS, Christian. « L’évaluation de l’oral par les pairs : pour une inclusion réussie de tous les élèves », Vie pédagogique, 158, 2011, 59-60.