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Suites Portugaises Raphaël Arnaud Textes et photographies Suites Portugaises Suites Portugaises Raphaël Arnaud Textes et photographies

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Ces trois suites croquent le portrait d'un petit pays au parfum de mer et de soleil. La première d'entre elles raconte l'océan, autre territoire du Portugal, la pêche et les bains de mer, le crépuscule des navigateurs. La seconde évoque les campagnes, la simplicité du monde rural, les villages ensoleillés, les orangeraies et les champs d'oliviers. La troisième suite est urbaine, empreinte de la mélancolie et d'agitation, relate ces quartiers ou chaque errance ramène inévitablement au même endroit, dans les lacis de ruelles aux journées mornes et aux nuits agitées.

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Suites Portugaises

Raphaël ArnaudTextes et photographiesSuites

PortugaisesSuites

PortugaisesRaphaël Arnaud

Textes et photographies

Page 2: Suites Portugaises

Vous êtes libres de reproduire, distribuer et communiquer cette création au public. Selon les conditions suivantes :

* Paternité. Vous devez citer le nom de l’auteur original de la manière suivante : nom et prénom de l’auteur, titre et année de l’ouvrage dans

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* Pas d’utilisation commerciale. Vous n’avez pas le droit d’utiliser cette création à des fins commerciales.

*Pas de modification. Vous n’avez pas le droit de modifier, de transformer ou d’adapter cette création.

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A Ana et Natália

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Un.

Après une nuit orageuse où le bruit des vagues se mêlait au bruit des vents, l’astre du matin ramène la sérénité dans les airs et la paix sur les flots. La navigateur se rassure ; le ciel s’apaise et sourit à la terre : tel s’éclaircit enfin l’horizon de la Lusitanie. Luis de Camões, Les Lusiades, 1572.

Sur les rivages, l’écume se lie avec celui qui déchiffre l’horizon. Revenu honorer la mémoire d’une ancienne alliance célébrée par la brise à la veille d’un matin clair. Un serment de ses ancêtres pour tourner le dos à la poussière. Partis dérouler le parchemin du monde. Sur ce manuscrit naviguent leurs empreintes, caractères cursifs en marge des longitudes. Des quatrains de quart de garde racontent encore les caravelles caracolant vers des caps inconnus. Lui se rap-pelle un chant aux paroles délavées, un chapelet de gouttes de mémoire. Et les vagues engloutissent l’amertume d’une promesse désormais accomplie, trésor disséminé aux quatre vents, vers l’ouest, vers les flots, vers la courbure de la terre.

Au crépuscule, le reflux jette les rêves sur la grève. L’heure bleue croise contem-platifs et affairés. Quelques lignes sont inventoriées sur un coin de jetée, sur un bout de rocher. Le monologue change de protagoniste. Une première prise arrive juste après la des-cente des dernières lueurs, une flammèche vif-argent qui virevolte dans l’air fraîchissant. Déjà la paume tannée de la nuit couvre tout alentour. Un éclair froid de lune au-tomnale déchire la tenture de brume, révélant une aspérité minérale. Une deu-xième prise est prestement dégagée des dentelles d’écume. Intermittents au large, les feux de position des navires en transit égrainent l’horizon. L’herbe grise se courbe sous les morsures du ressac. Troisième prise. Le chœur des déferlantes in-cessantes s’accorde aux bavardages des bourrasques. De l’enchevêtrement pri-mitif des éléments n’émerge qu’une ligne claire, coupant le maelström nocturne.

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Deux.

Il ralentit l’allure pour doubler une charrette avec une lanterne rouge qui se baladait entre les limons , et, par la vitre ouverte, il se mit à écouter la terre d’Alentejo respirer, claire et opulente comme une grande poitrine endormie. Antonio Lobo Antunes, Connaissance de l’Enfer, 1980.

L’horizon fulmine de minces flammeroles qui griffent l’échine de la Serra, crèvent les lambeaux humides empesés d’encre grasse. Le jour court comme un souffle, sur les ronces nimbées de perles, sur les chardons d’or rouge, sur les parures barbelées et leur écrin de velours, soulevant le rideau de la nuit dans un brusque frisson. Au-dessous des collines un rameau gris craque, la plaine hérissée se couche en gémissant et du volet entrouvert s’infiltre la brûlure solaire. Les cris aigrelets et la rumeur des passereaux enfle et vole par-delà chemins et clôtures. Des perdreaux sirotent la rosée dans l’or-nière et sur l’indistinct se profile le fantôme d’un lièvre en fuite. Les arbres prennent des silhouettes d’insectes tordus griffonnés au charbon. Au croisement l’ombre du figuier bossu trace une indéchif-frable rose des vents. Un chêne-liège, plaies béantes, languit une nouvelle peau, les eucalyptus exha-lent un relent de camphre, et dans leurs files, les oliviers attendent le baptême du jour. Et du firma-ment fissuré roule le flot blême du matin, qui écrase la terre au parfum de brique et d’épices fanées. Deux pas après le parterre d’orangers le village s’étire en maisons de papier blotties dans la côte du château arabe. Près de la roue à eau, les hautes jambes de l’aqueduc se mêlent aux plumes des palmiers, balanciers de métronomes sans ressorts. Certains soirs clairs l’horloge arrêtée contemple la place indolente. D’un claquement de bec, mère cigogne rappelle à l’ordre la colonie piailleuse d’hirondelles. Un autre simulacre d’agitation règne à la terrasse d’habitués, où l’on dissèque les ex-ploits et misères du club de sport fétiche autour d’une liqueur de cerise. Les gamins improvisent leur match sur le parvis de l’église. Une petite vieille à escabeau passe un badigeon de chaux sur sa façade. A l’angle une piétaille de chiens sans maître croise une camionnette cahotante. La rue frémit, les murs de nacre s’empourprent, les amis se passent le bonsoir, le voisin grille des sardines, les élèves de la société philharmonique s’attardent sous les arcades, la fromagère discute sur le pas de sa porte. Un chat appelle du haut d’un toit, les oliviers millénaires palpitent, une cloche carillonne. Plus bas la route au sud s’ouvre sur la campagne, la respiration paisible du soir emplit les recoins, l’haleine douce caresse les persiennes de la dernière ferme et agite la mer de blés jusqu’à la frange pâle de l’horizon.

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Trois.

Voici que surgit, du côté de l’orient, la lumière blonde d’un or lunaire. Son sillage sur le large fleuve déploie des serpents sur la mer . Fernando Pessoa, Le Livre de l’Intranquilité, 1913-1913.

Le fleuve s’absente parfois, esprit échappé, monte de la ville basse vers la cathédrale, arpente les ruelles sombres et les escaliers usés. Les quartiers dans la brume sont un puzzle aux pièces mal embouties, rafistolées ou recolo-rées, abandonnées, disjointes. Un interstice forme une place triangulaire, avec sa pension de famille près de la pâtisserie, le dos baroque d’une église, la rec-titude de l’édifice de la banque saint esprit. Les esplanades plus grandes ont leurs clochers et leurs statues équestres, leurs foules et leurs embouteillages. Un vendeur de billets de loterie harangue à la station de métro du marché municipal, des employés fument près d’une entrée de service. Une devanture brille de breloques pieuses. La rue luisante plonge vers les eaux sans reflets. Entre les mailles du rideau de crachin se découpe l’arche aux losanges sombres et de l’autre côté les longues barques se balancent avec l’esprit du fleuve.

Une tranchée d’asphalte chemine dans la péninsule, errant à travers le pur-gatoire urbain. Des papillons aux ailes de papier gras volettent en bord de route, anges gardiens des intérimaires des travaux publics et des vendeurs de voitures d’occasion. Une baraque à néon rose embaume d’huile rance son coin de terre grise. Des étendards humides jalonnent des petits royaumes aux balcons en-combrés de chaises en plastique, d’antennes paraboliques, de cages à perruches siamoises accrochées aux fenêtres à barreaux, d’où parfois s’élève une voix so-litaire. Entre deux blocs, des métisses bariolés, ouvriers, ménagères et progéni-tures échevelées suivent des chemins incongrus. A l’extrémité de la perspective encombrée d’immondices publicitaires, les lignes haute tension convergent sur une tache laiteuse d’estuaire. La perpétuelle heure de pointe enserre un amas de véhicules agglutinés. Miracle d’un ultime échangeur, une route s’extirpe du chaos et s’élance suspendue à une lyre d’acier. Aux pieds des colonnes graciles l’ombre fluide des mille cordes vibre de lumière, et la vision soudaine de l’an-cienne cité coupe le miroir de blancheur d’une immense estafilade rayonnante.

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Index

Couverture : Barque «rabelo» sur le fleuve Douro, Porto.

Page 4 : Le littoral depuis la forteresse de Beliche, Algarve.

Page 6 : Salema, village cotier en Algarve ; page 7 : Plage de Costa Nova.

Page 8 : Cap de Saint-Vincent, Algarve ; page 9 : Poissons métalliques.

Page 10 : Filet décoratif à Matosinhos ; page 11 : Plage de Costa Nova.

Page 12 : Station balnéaire de Costa Nova ; page 13 : Le Tage à Lisbonne.

Page 14 : Matosinhos ; page 15: Esplanade de la Tour de Belém.

Page 16 : Les toits de Serpa, Alentejo.

Page 18 : Olivier en Alentejo ; page 19 : Eglise d’Arraiolos, Alentejo.

Page 20 : Ruelles à Mértola, Alentejo ; page 21 : Un chêne-liège solitaire.

Page 22 : Olivier millénaire près de l’Aqueduc, Serpa ; page 23 : Les toits à Serpa.

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Page 24 : La forêt de Buçaco ; page 25 : Parc du Palais National de Buçaco.

Page 26 : Façade à Serpa ; page 27 : Mértola, cité pentue.

Page 28 : Le Lac d’Alqueva depuis Monsaraz ; page 29: Les ruelles pavées de Mértola.

Page 30 : La ville basse de Porto et le fleuve Douro.

Page 32: Les Rua do Arsenal, Lisbonne ; page 33 : Marché de Bolhão, Porto.

Page 34: Gare de São Bento, Porto ; panneaux indicateurs Coimbra ; page 35 : Porto.

Page 36 : Le Bairro Alto à Lisbonne ; page 37 : Abords de la Praça do Giraldo, Évora.

Page 38 : Quartier d’Alfama à Lisbonne ; page 39 : Portrait mural de Fernando Pessoa.

Page 40 : Gare fluviale de Lisbonne ; page 41: Le Tage au Terreiro do Paço, Lisbonne.

Page 42 : Index.

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