système de santé et décentralisation dans les pays...

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- 1 - Système de santé et décentralisation dans les pays en transition: le cas de la Fédération de Russie Thomas Kergall Istituto Superiore di Sanità Viale Regina Elena, 299 00161 Rome [email protected] Résumé L’examen de l’expérience de décentralisation engagée en Fédération de Russie depuis le début des années 90 et son implication sur le système de santé permet d’avoir une meilleure compréhension des enjeux auxquels sont confrontés les services de santé régionaux et locaux. On utilise un cadre d’analyse permettant de décrire les différents degrés de décentralisation et s’appuyant sur une typologie définie (déconcentration, délégation, dévolution). En se basant sur la théorie « principal-agent », on évalue l’amplitude des choix pour différentes fonctions transférées du centre vers la périphérie du système, selon l’approche « espace de décision ». Les grands axes de la décentralisation (articulés autour de l’octroi de nouvelles fonctions aux collectivités territoriales, du réaménagement des contrôles étatiques et des relations entre les collectivités locales, ainsi que du transfert de compétences par l’Etat fédéral) ont initié des changements importants dans le système sanitaire: les services de santé, jusque là gérés par les professionnels dans le cadre de la hiérarchie verticale du ministère de la santé propre au système de Semashko, sont maintenant dans le domaine de compétences des collectivités régionales ou locales. La responsabilité de la gestion des structures de santé a été transférée aux régions, aux communes et aux communautés rurales. Au travers d’exemples régionaux, l’expérience russe suggère que les relations entre les réformes de décentralisation et les systèmes de santé sont assez complexes puisque couvrant des aspects clé des arrangements institutionnels entre les principales fonctions du système de santé (financement, régulation et prestation des soins).Mais le manque de cadre juridique solide, de moyens et de tradition décentralisatrice font de ces réformes un processus inachevé. Mots-clé : Russie, décentralisation, système de santé, transition, espace de décision. Introduction Depuis maintenant près d’une dizaine d’années, plusieurs pays en transition ont associé la réforme de leur système de santé à une politique plus ou moins volontariste de décentralisation du secteur sanitaire 1 . En Fédération de Russie, la décentralisation de l’administration publique a coïncidé avec l’introduction de l’assurance-maladie dès 1992. Elle était perçue –comme ailleurs en Europe de l’est ou en Asie centrale - comme étant un moyen essentiel d’améliorer les performances du secteur et de promouvoir le développement social 2 . L’expérience du terrain montre cependant que les résultats sont plutôt mitigés. Dans certains cas, ces résultats ont conduit à une reprise en main et une recentralisation, qui ne se sont pas révélé es non plus être la réponse appropriée aux problèmes 3 . En effet, il semblerait que la question soit plutôt comment mieux adapter les politiques de décentralisation pour atteindre les objectifs assignés par la politique de santé. Dans ce contexte, il est important de comprendre la dynamique du processus de réforme du système de santé. Les raisons sous-jacentes aux processus de décentralisation peuvent être techniques, politiques ou financières. Du point de vue technique, la décentralisation est fréquemment avancée comme un moyen d’améliorer l’efficacité administrative et la prestation de services. Du point de vue politique, la décentralisation cherche à accroître la participation locale et à renforcer l’autonomie, redistribuer les compétences et réduire les tensions régionales ou ethniques. Du point de vue financier, elle est mise en 1 Pour un aperçu récent de ces réformes dans la région, voir la conférence organisée par la USAID, juillet 2002. 2 Banque mondiale, 1993. 3 Sur la création des 7 grandes régions russes, voir The Economist, 9 novembre 2000

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Système de santé et décentralisation dans les pays en transition: le cas de la Fédération de Russie Thomas Kergall Istituto Superiore di Sanità Viale Regina Elena, 299 00161 Rome [email protected] Résumé L’examen de l’expérience de décentralisation engagée en Fédération de Russie depuis le début des années 90 et son implication sur le système de santé permet d’avoir une meilleure compréhension des enjeux auxquels sont confrontés les services de santé régionaux et locaux. On utilise un cadre d’analyse permettant de décrire les différents degrés de décentralisation et s’appuyant sur une typologie définie (déconcentration, délégation, dévolution). En se basant sur la théorie « principal-agent », on évalue l’amplitude des choix pour différentes fonctions transférées du centre vers la périphérie du système, selon l’approche « espace de décision ». Les grands axes de la décentralisation (articulés autour de l’octroi de nouvelles fonctions aux collectivités territoriales, du réaménagement des contrôles étatiques et des relations entre les collectivités locales, ainsi que du transfert de compétences par l’Etat fédéral) ont initié des changements importants dans le système sanitaire: les services de santé, jusque là gérés par les professionnels dans le cadre de la hiérarchie verticale du ministère de la santé propre au système de Semashko, sont maintenant dans le domaine de compétences des collectivités régionales ou locales. La responsabilité de la gestion des structures de santé a été transférée aux régions, aux communes et aux communautés rurales. Au travers d’exemples régionaux, l’expérience russe suggère que les relations entre les réformes de décentralisation et les systèmes de santé sont assez complexes puisque couvrant des aspects clé des arrangements institutionnels entre les principales fonctions du système de santé (financement, régulation et prestation des soins).Mais le manque de cadre juridique solide, de moyens et de tradition décentralisatrice font de ces réformes un processus inachevé. Mots-clé : Russie, décentralisation, système de santé, transition, espace de décision. Introduction Depuis maintenant près d’une dizaine d’années, plusieurs pays en transition ont associé la réforme de leur système de santé à une politique plus ou moins volontariste de décentralisation du secteur sanitaire1. En Fédération de Russie, la décentralisation de l’administration publique a coïncidé avec l’introduction de l’assurance-maladie dès 1992. Elle était perçue –comme ailleurs en Europe de l’est ou en Asie centrale - comme étant un moyen essentiel d’améliorer les performances du secteur et de promouvoir le développement social2. L’expérience du terrain montre cependant que les résultats sont plutôt mitigés. Dans certains cas, ces résultats ont conduit à une reprise en main et une recentralisation, qui ne se sont pas révélées non plus être la réponse appropriée aux problèmes3. En effet, il semblerait que la question soit plutôt comment mieux adapter les politiques de décentralisation pour atteindre les objectifs assignés par la politique de santé. Dans ce contexte, il est important de comprendre la dynamique du processus de réforme du système de santé. Les raisons sous-jacentes aux processus de décentralisation peuvent être techniques, politiques ou financières. Du point de vue technique, la décentralisation est fréquemment avancée comme un moyen d’améliorer l’efficacité administrative et la prestation de services. Du point de vue politique, la décentralisation cherche à accroître la participation locale et à renforcer l’autonomie, redistribuer les compétences et réduire les tensions régionales ou ethniques. Du point de vue financier, elle est mise en

1 Pour un aperçu récent de ces réformes dans la région, voir la conférence organisée par la USAID, juillet 2002. 2 Banque mondiale, 1993. 3 Sur la création des 7 grandes régions russes, voir The Economist, 9 novembre 2000

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avant comme étant une façon d’améliorer les rapports coût/efficacité, en donnant au niveau local un plus grand contrôle des ressources et des revenus et en permettant une plus grande responsabilisation. Elle peut aussi être utilisée pour transférer la responsabilité financière d’un gouvernement central à faibles ressources vers les niveaux régionaux ou locaux. Dans le secteur de la santé, lorsque la décentralisation a été mise en place pour des raisons techniques, elle a été un élément essentiel des efforts engagés pour améliorer la performance du système. Dans de nombreux pays, la décentralisation, en parallèle avec la réforme du système de santé, est un processus qui dure depuis plusieurs années. Par contre, dans les pays où les raisons de la décentralisation ont été principalement politiques ou financières, le secteur de la santé aura eu à développer des stratégies d’adaptation pour assurer les soins et se rapprocher des objectifs de santé. Autrement dit, dans certains cas, les réformateurs peuvent délibérément choisir la décentralisation comme moyen de réforme, dans d’autres cas, c’est une obligation à intégrer. Aussi est-il difficile d’évaluer les résultats des expériences de décentralisation, et ce pour un certain nombre de raisons: tout d’abord, à travers un processus de décentralisation, c’est un large éventail d’objectifs que l’on peut chercher à atteindre, et tout un ensemble de fonctions peuvent être décentralisées. Les combinaisons propres à chaque pays sont multiples. Ensuite, comme beaucoup d’autres concepts dans le domaine du développement international, la décentralisation est un sujet ambigu, confus, avec des définitions parfois contradictoires. Cette ambiguïté ne permet pas d’établir facilement des comparaisons. Enfin, certains aspects du processus de décentralisation sont souvent complètement ignorés, en particulier le temps nécessaire entre la mise en place des systèmes décentralisés et les premiers signes d’amélioration. I. Une réforme ambitieuse mais un processus de décentralisation tronqué Au début des années 90, la décentralisation du système de santé russe vers les régions et l’introduction de l’assurance-maladie obligatoire représentait aux yeux des responsables politiques la meilleure solution pour répondre aux défis sanitaire et financier qu’impliquait le passage à une économie de marché. Au terme de négociations diffic iles au cours desquelles le pouvoir central a cherché à éviter la dislocation de la fédération russe, il a été décidé –entre autres- de confier l’organisation et le financement des soins de santé aux régions. Ainsi, chacun des 88 oblasts ou républiques a son propre fonds d’assurance maladie reposant à la fois sur les cotisations des entreprises (pour la population active), et sur les transferts budgétaires (pour les inactifs) (fig. 1). Le Fonds fédéral assure une équité régionale pour l’accès aux soins grâce à une redistribution des revenus (0,2% de la masse salariale). Pour la population inactive, les cotisations au fonds territorial sont versées par les budgets locaux et régionaux. Seules les prestations en nature sont prises en charge, les indemnités étant versées par le fonds d’assurance sociale. Les revenus ainsi récoltés sont distribués aux compagnies d’assurance maladie sur la base d’un paiement par capitation ajusté au risque. Ces compagnies d’assurance doivent conclure un contrat avec les établissements de leur choix pour les soins médicaux inclus dans le programme d’assurance maladie obligatoire et volontaire. Elles doivent aussi contrôler le volume et la qualité des soins médicaux offerts et défendre les droits des assurés.

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Figure 1 Le financement du système de santé en Fédération de Russie

MECANISME

SOURCE

Employeurs Individus/Population

COMPAGNIES D’ASSURANCE PRIVEE

FONDS FEDERAL

ASSURANCE MALADIE

OBLIGATOIRE

DEBOURS

REGIONS

BUDGETS REGIONAL & MUNICIPAL

BUDGET FEDERAL

Primes Paiements cash ou en nature Impôts Impôts

UTILISATION

INSTITUTIONS ET PRESTATAIRES

FEDERAUX

PRESTATAIRES PRIVES PRESTATAIRES PUBLICS LOCAUX ET REGIONAUX

FONDS TERRITORIAUX Contributions officielles ou non

officielles

Contrats d’assurance privée

Panier de base

Soins supplémentaires

COMPAGNIES D’ASSURANCE MALADIE Services Services

MUNICIPALITES

Poste budgétaire

Paiements aux assurances

Factures, contrats

MINISTERE DES FINANCES

MINISTERE DE LA SANTE

AUTRES MINISTERES

ADMINISTRATION PRESIDENTIELLE

AUTRES ADMIN. FEDERALES

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Le programme d’assurance maladie obligatoire est élaboré par le ministère de la santé de la fédération et correspond aux prestations minimales de soins gratuits offerts à la population. Tous les autres soins de santé sont à la charge du patient, qui peut souscrire à une assurance maladie volontaire à titre individuel ou par le biais de son entreprise. Les dépenses de santé budgétaires, qu’elles soient de niveau fédéral ou régional (local), servent à financer les investissements coûteux, la recherche et la formation du personnel médical. Elles sont censées aussi prendre en charge les programmes de santé publique (comme la tuberculose) et le suivi médical de la mère et de l’enfant. Par contre, les ressources accumulées au sein du système d’assurance maladie servent exclusivement à financer les soins appartenant au programme d’assurance maladie obligatoire. Depuis la création du fonds d’assurance maladie, on a observé une réduction du poids des dépenses de santé budgétaires régionales et fédérales (1% l’an). De plus, l’assurance maladie doit faire face à des problèmes de recouvrement du coté des entreprises (arriérés courants) comme des régions (près de la moitié ne satisfont pas à leur obligation de transfert). Ainsi, seul les 2/3 des 34000 centres de soins médicaux sont affiliés au régime d’assurance maladie obligatoire, les autres étant toujours financés par les budgets publics et par celles des entreprises qui ont conservé leurs propres hôpitaux et cliniques. Graphique 1 Part des dépenses de santé dans les dépenses budgétaires totales (%)

0

5

10

15

20

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999

Budget fédéral

Budget régionaux

Source : Fonds fédéral d’assurance maladie Au lieu de constituer une source de financement en sus de la source budgétaire publique, les cotisations patronales d’assurance maladie s’y substituent partiellement, les autorités locales procédant à une diminution des dépenses de santé financées par les budgets publics régionaux et locaux. Graphique 2 Structure du financement du système de santé publique (%)

0

20

40

60

80

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999

Budget fédéral

Budgets régionaux

Cotisations patronales

Source : Fonds fédéral d’assurance maladie

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II. Cadre d’analyse On s’attache à examiner ici la décentralisation administrative de la politique de santé, de la gestion du système de santé, du financement des soins et de leur prestation. Les définitions les plus courantes de la décentralisation administrative distinguent différentes variantes allant progressivement d’un centre maintenant un fort contrôle avec peu de pouvoir et de responsabilités pour les niveaux périphériques vers un contrôle décroissant du centre et un renforcement des responsabilités locales. Cette représentation peut aussi être imaginée en termes de degrés dans l’espace de décision, où la décentralisation est évaluée en termes de l’éventail des choix à la disposition des responsables locaux, un éventail plus large étant synonyme d’un degré de décentralisation plus élevé.

A. Définitions

La décentralisation a en effet un aspect spatia l dans le sens où l’autorité et la responsabilité sont transférées à des organisations situées à des endroits physiques différents, du niveau central au niveau local. Elle a aussi un aspect institutionnel puisque les transferts impliquent l’élargissement des rôles et fonctions d’une agence centrale à de multiples agences (monopole vers pluralisme). En s’appuyant sur la typologie définie par Rondinelli4, la déconcentration est une forme limitée de décentralisation qui comprend le transfert de responsabilités et de ressources des agences centrales du gouvernement vers leurs services régionaux et locaux ; la délégation transfère des responsabilités et des ressources à une agence autonome ; et la dévolution transfère des responsabilités à des unités gouvernementales locales autonomes. La décentralisation n’est donc pas une proposition du style tout ou rien. Les systèmes administratifs peuvent combiner des éléments décentralisés et d’autres centralisés, souvent de manière complexe. La dose appropriée de contrôle central et de gestion locale dépend des facteurs politique, technique et institutionnel. Il est évident qu’il n’est pas facile de classifier en typologies claires des expériences diverses et réelles.

B. Domaines de compétence En général, on peut analyser la décentralisation par fonctions ou domaines de compétence. Si on y associe les différents types de décentralisation, alors on peut construire une matrice qui permet de faciliter la compréhension du processus de réforme. Le tableau 3 présente un ensemble de fonctions types et permet de présenter la situation en Fédération de Russie .

4 Rondinelli, 1981.

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Tableau 3. Types de décentralisation et sphères de compétence dans la gestion du système de santé en Fédération de Russie . , Fonctions Types de décentralisation administrative Déconcentration Délégation Dévolution Planification de la décentralisation Formulation de la politique sanitaire Formulation des programmes spécifiques

X X

Financement Sources de revenus Budgétisation, allocation des revenus Gestion des dépenses et comptabilité Audit financier

X X X X

Ressources humaines Gestion du personnel Salaires et allocations Formation

X X

X

Prestation de soins et mise en place des programmes Définition des paniers de soins Mise au point des prestations Réglementations, normes Contrôle des prestataires de soins Participation des usagers Gestion des polices d’assurance Sous-traitance

X X X

X X X

Opération et maintenance Médicaments, commandes Véhicules et équipement Infrastructure et bâtiments

X X X

Management de l’information Mise au point des systèmes d’information Collecte des données et analyse Dissémination de l’information

X X X

C. Espace de décision

La méthodologie utilisée pour l’évaluation de ces cas est basée sur l’approche principal-agent5. Dans ce contexte, le gouvernement central, représenté par le ministère de la santé, est l’acteur qui fixe les objectifs de la politique de santé et le cadre des programmes d’action. Par le moyen des différents modes de décentralisation présentés dans le paragraphe précédent, le principal (le gouvernement central) transfère l’autorité et les ressources aux agents locaux –les régions ou les municipalités, les services déconcentrés ou les institutions autonomes– afin qu’ils mettent en place les moyens d’atteindre les objectifs définis.

5 Ray & Tirole, 1986.

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Il est entendu que les autorités fédérales et locales ont des objectifs qui peuvent être au moins partiellement différents. Les agents locaux ont souvent des préférences distinctes quant aux combinaisons d’activités et de dépenses à entreprendre et doivent rendre compte à un ensemble d’acteurs différent de celui du niveau principal. Les autorités locales sont donc incitées à ne pas respecter les mandats établis par le niveau central. De plus, parce qu’elles disposent d’une meilleure information sur leurs propres activités que le principal, elles peuvent se permettrent d’ignorer certaines obligations définies par le niveau central et poursuivrent leurs propres objectifs. Le coût pour surmonter cette asymétrie est relativement élevé pour le principal de sorte que le gouvernement central cherche à atteindre ses objectifs au moyen d’incitations et de sanctions qui guideront le comportement des agents locaux sans pour autant perdre en efficacité et innovation (contrôle, rapports, inspections, contrats, subventions, etc…).

Le processus de décentralisation peut alors être compris comme un moyen d’élargir de manière

sélective ce que Bossert appelle « l’espace de décision »6 ou éventail des choix que les autorités locales possèdent pour un certain nombre de sphères de compétence. Cet espace de décision est défini par la législation et établit « les règles du jeu ». Cependant, l’espace de décision réel (ou informel) peut aussi être défini par la non-application de ces règles par les niveaux périphériques. Le tableau 4 illustre cette approche dans le cas russe. Il ne s’agit pas de quantifier formellement l’espace de décision, mais plutôt d’offrir une qualification de l’éventail des choix (restreint, modéré, large) pour chacune des fonctions du système de santé.

6 Bossert, 1997.

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Tableau 4. Domaine de compétences et éventail des choix pour la Fédération de Russie . Domaine de compétence (indicateur) Eventail des choix Restreint Modéré Large Financement et dépenses Sources de revenus (transferts en % du total des dépenses de santé locales) Budgétisation, allocation des dépenses (% des dépenses locales définies) Revenus tirés des honoraires (éventail des prix que les autorités locales peuvent fixer) et contrats (nombre de modèles disponibles)

Panier de soins gratuits minimum garanti

Faible participation fédérale Allocation des dépenses limitée par la séparation budget/assurance-maladie

Financement régional Liberté totale pour les autres soins

Organisation des soins Autonomie hospitalière (choix du degré d’autonomie) Contrats d’assurance (choix de la définition des polices d’assurance) Mécanismes de paiement (choix des méthodes de paiement des prestataires) Programmes verticaux (spécification des normes des programmes locaux) Contrats avec prestataires privés (nombre de modèles disponibles)

Etablissements fédéraux Système d’assurance maladie défini par la Douma Définis par le MFdS

Proposés par MFdS et autorités régionales

Etablissements municipaux Avantages en nature Possibles

Accès Conditions d’accès aux soins (identification des populations prioritaires)

Définis par la loi

Ressources humaines Salaires (fixation des niveaux de salaire) Contrats (recrutement extérieur) Fonctionnaires (nomination et révocation)

Salaires décidés par autorité régionale Peu ou pas de vacations Administrés par la région

MFdS = Ministère Fédéral de la Santé

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III. Un processus inachevé Un certain nombre de questions sont apparues lors de la mise en place des réformes de décentralisation dans la santé:

Défaut d’harmonisation entre autorité et responsabilité. Ce problème peut s’illustrer sous différentes formes, par exemple, à l’intérieur du secteur de la santé ou bien entre décentralisation fiscale et administrative. Ainsi, lorsque la responsabilité de la gestion des personnels de santé a été déléguée à l’administration sanitaire régionale ou municipale, le ministère fédéral a gardé un droit de regard sur le recrutement, le licenciement et la gestion du personnel. On l’a vu, le processus de décentralisation horizontale en Russie a conduit à la création de deux systèmes de financement (budget fédéral et assurance maladie). Cependant, l’établissement de l’assurance maladie n’a pas été suivi du passage des règlements nécessaires qui auraient permis une bonne coordination entre ces institutions. De plus, la multiplication des montages financiers par les régions a abouti à un développement coûteux et inefficace de modèles différents et à une utilisation irrationnelle des ressources. Ensuite, la législation régionale en matière de santé a tendance à se développer de manière inconsidérée. Certaines lois traitent de questions qui sont ignorées par la législation fédérale, d’autres au contraire ne font que la répéter, voire la contredire, et ce, parfois avec l’aval des autorités fédérales. Enfin, les mécanismes de fédéralisme fiscal ne sont pas toujours efficaces. Ainsi, le niveau des ressources du niveau fédéral de l’assurance maladie destiné à la péréquation entre les régions est limité par le faible niveau de contribution salariale (seulement 0,2%). Le reste doit être assuré par le budget fédéral de l’Etat, suivant une méthodologie différente de celle employée par l’assurance maladie, ce qui ajoute à la confusion.

Tensions et conflits d’objectifs. Ils peuvent se manifester, par exemple, par un changement des programmes et priorités. Dans certains cas, la dévolution peut amener les autorités locales à répondre aux préférences à court terme pour les programmes curatifs plutôt que les actions préventives ou les soins primaires. Alors que l’objectif de satisfaction des préférences locales est atteint, du point de vue du système de santé national, le résultat est une allocation sous optimale des ressources. Dans certains cas, la santé peut être un secteur moins prioritaire pour le gouvernement local que les investissements dans d’autres secteurs. Ainsi, la constitution russe de 1993 stipule que les différents niveaux de responsabilité dans le secteur de la santé doivent coordonner leurs actions7. La loi sur la protection de la santé des citoyens de la Fédération de Russie, adoptée un mois après celle sur l’Assurance maladie, définit les principes de base du système de santé mais contient un certain nombre de contradictions. Aussi, c’est pour les corriger que les autorités fédérales et régionales ont signé divers accords afin d’améliorer leur coordination : des accords bilatéraux portant sur la répartition des tâches dans le domaine de la surveillance sanitaire et la prévention (plus d’un tiers de ces accords stipulent que le responsable régional de la santé est nommé ou révoqué par le ministère fédéral, mais avec l’accord des autorités régionales) ou des accords trilatéraux avec l’assurance maladie portant sur la prestation des soins et permettant la réallocation de ressources du budget fédéral aux régions, en échange d’une coordination des nominations aux postes de responsable régional de la santé ou responsable régional de l’assurance maladie avec le pouvoir fédéral. Il s’agit en fait d’un retour de l’influence du ministère fédéral sur les régions après une période où les autorités régionales étaient seules à nommer les responsables de la santé. 7 Doklad o gosudarstvennoy politike v oblasti ochrany zdorovja grazdan i sostojanie zdorovja naselenija RF v 1993 g. Moskva, 1994.p.182

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Les réformes décentralisatrices ont certes permis de changer la situation de certaines régions : les occasions de gains illicites ont été réduites pour les fonctionnaires car le volume des ressources qu’ils contrôlent a diminué. Les responsables de l’administration de la santé ne peuvent donner d’instructions directes aux fonds territoriaux sur la manière de dépenser les ressources accumulées. Il existe en fait une certaine concurrence entre les administrations régionales de la santé et le s fonds d’assurance maladie pour disposer des ressources budgétaires. Les premières tendent à s’opposer aux réformes car elles perdent les prérogatives traditionnelles qu’elles exerçaient dans le cadre des structures étatiques ; ensuite, comme on l’a vu plus haut, la transition vers le système d’assurance maladie n’a pas entraîné un accroissement des flux financiers vers le secteur de la santé ; enfin, l’ensemble manque de cadre juridique et des procédures qui permettraient une allocation rationnelle de l’ensemble des moyens financiers. A noter aussi que les fonds d’assurance sont accusés d’avoir des dépenses de fonctionnement trop élevées au regard des investissement faits dans les centres médicaux (environ 4% des cotisations).

Manque de personnel qualifié. C’est une question classique dans les processus de décentralisation. Dans de nombreux pays, les services déconcentrés du ministère de la santé sont généralement faibles à la fois du point de vue technique et du point de vue administratif. De plus, parce que le rôle du niveau central change –il s’oriente vers un soutien des services décentralisés, les capacités de surveillance et de régulation du niveau central sont souvent peu nombreuses. Dans certains cas, les autorités locales peuvent ne pas avoir la possibilité d’encourager l’implication de la société civile . De plus, les couches de la société les plus défavorisées sont en général les moins bien préparées à profiter au mieux des possibilités qu’offre la décentralisation. Lorsque celle -ci transfère les dépenses et l’autorité pour collecter les recettes, un manque de qualification et de formation des cadres administratifs peut conduire à une mauvaise gestion des ressources et à leur gaspillage, parfois même à la corruption. Mais cette situation n’est souvent que l’identification au niveau local de problèmes qui existaient auparavant au niveau central. Le ministère fédéral de la santé soviétique puis russe a toujours été connu pour être l’un des plus corrompus du gouvernement8.

Tensions entre les mouvements d’intégration verticale et horizontale. La loi de 1993 mettant en place le système d’assurance maladie obligatoire, deux ans après la décentralisation vertical du système de santé, l’a complété par un processus horizontal. Si les services de santé locaux consistent principalement en une collection de programmes verticaux financés par le ministère central, la marge de manoeuvre des responsables locaux sera étroite et la décentralisation se limitera de fait à une déconcentration. La mise en place de la décentralisation sous la forme de la délégation et/ou la dévolution afin d’arriver à un système de santé local intégré doit permettre de contrebalancer les effets de ces chaînes de contrôle vertical. Or, la loi de 1993 envisageait la création de nouvelles institutions (les fonds territoriaux d’assurance maladie), mais sans donner une définition claire des modes d’interaction avec les organismes existants (autorités sanitaires régionales ou locales).Ainsi, les régions étaient sensées déléguer certaines fonctions de gestion aux fonds d’assurance, mais continuent de s’y opposer. Autre exemple, le service de surveillance sanitaire-épidémiologique (Gossanepidnadzor) a été rattaché au ministère fédéral en 1998 et reste sous gestion verticale, financé par le budget fédéral. Enfin, l’établissement de comités sanitaires locaux pour conduire les tâches de planification, de gestion et de contrôle financier est une réponse classique à cette question. Cependant, l’expérience montre que les résultats sont mitigés.

Dimension politique: Tout processus de décentralisation est avant tout politique. Certains

groupes d’intérêt recherchent le statut quo de peur de perdre le pouvoir, l’influence ou les ressources que leurs procure leur position et s’opposent à la décentralisation administrative ou fiscale. Même s’il 8 Entretien avec Klaus Thielmann, ancien ministre de la santé de la République Démocratique Allemande et responsable du projet Tacis Health Care Management in Russia, Edrus 9702 (2001).

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on peut trouver de solides arguments techniques en faveur de la décentralisation du secteur de la santé, s’il n’est pas donné suffisamment d’importance aux aspects politiques des réformes, les changements opérés risquent de ne pas conduire aux améliorations d’efficacité, d’efficience et d’équité escomptées. Cette dynamique politique est d’autant plus importante que la décentralisation n’est pas un processus qui se fait du jour au lendemain. Et c’est parce qu’il s’étale dans le temps que le processus de réforme doit montrer des signes de succès, sinon il perd de son intérêt et peut conduire à des retours en arrière. En 2000, le nouveau président russe décidait ainsi de créer 7 grandes régions administratives dotées de super-préfets dont le rôle n’est pas clair pour ce qui concerne le secteur de la santé. Quoiqu’il en soit, la durée du processus de décentralisation met en évidence l’importance de la participation des acteurs des réformes, d’une communication appropriée et d’une volonté politique à long terme. Or, l’impression générale qui ressort est qu’il existe une certaine inadéquation entre les principes énoncés et la réalité : malgré une certaine responsabilisation des acteurs locaux, ceux-ci continuent de se tourner vers Moscou pour obtenir une réponse à leurs problèmes, même dans les régions les plus autonomnes.9 IV. Conclus ion: une décentralisation à quelles fins ? Les observations précédentes suggèrent que ni les avocats ni les détracteurs de la décentralisation en Russie n’ont tout à fait raison. Dans le cas étudié, la décentralisation en tant que telle n’a conduit ni à une amélioration sensible du système de santé, ni à un désastre. Par contre, on peut se demander si la réforme du système de santé russe avait besoin de tels changements dans l’organisation des soins. En particulier l’instauration d’une assurance maladie obligatoire dans un pays en transition en parallèle à la décentralisation a probablement rendu la réforme inutilement complexe, d'autant plus que si la logique même de l'assurance maladie convient aux soins curatifs, elle est difficile à mettre en oeuvre lorsqu'il s'agit de mener une politique de santé publique. Or, c'est justement cet élément qui fait toujours défaut aujourd'hui. Outre ce paradoxe, il existe des conditions minimales pour établir un système d'assurance obligatoire. Il paraît étonnant de mettre en place une assurance maladie obligatoire qui nécessite une garantie forte de l'État au moment même où l'on observe en réalité une quasi-absence de l’Etat, tout au moins dans les premières années de la réforme. On peut alors se demander si d'une part cette contradiction ne posera pas à le problème de la multiplication des systèmes de santé en Fédération de Russie et d'autre part si d'un point de vue logique et technique, il n'aurait pas été plus facile de passer d'un système intégré à un système national de santé. La décentralisation aura eu un impact certain. Mais la tendance à abolir les mécanismes traditionnels avant que les nouveaux ne soient bien établis aura conduit à rendre plus difficile le passage à l’assurance maladie obligatoire. Aujourd’hui, à part certaines expériences régionales, il n’existe pas véritablement de stratégie de la part du ministère fédéral pour achever le processus de décentralisation malgré un besoin réel de consolider les réformes.

9 Ainsi, la République de Tchouvachie, allié au Tatarstan autonome, se veut néanmoins un modèle vis -à-vis de Moscou.

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Annexe 1 Dépenses de l’assurance maladie, par région, en rouble par habitant (2001).

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Annexe 2

Carte de la Russie occidentale avec l’Oblast de Iaroslav et la République de Tchouvachie

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