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Table des matières
Avant-propos 3
1 Membranes cellulaires et bicouches fluides 5
1.1 Généralités sur les membranes cellulaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8
1.2 Liposomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17
1.3 Physique des membranes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21
1.4 Travaux récents de cisaillement de vésicules . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35
2 Techniques expérimentales 41
2.1 Préparation des vésicules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .43
2.2 Expériences de micropipette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49
2.3 RICM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .66
2.4 Cisaillement alternatif de vésicules géantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . .82
3 Cisaillement de vésicules géantes 97
3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .99
3.2 Micro-rhéologie de vésicules géantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .99
3.3 Autres expériences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .115
3.4 Dynamique de migration des fluctuations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .121
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3.5 À la recherche d’artefacts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .122
3.6 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .125
4 Modification de membranes fluides 131
4.1 Interaction membrane lipidique - gliadine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .133
4.2 Associationα-cyclodextrine / PEG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .137
Conclusions et perspectives 153
A Fabrication des micropipettes 157
B Préparation de GUV chargées en gliadine 161
C Interaction entre une bicouche lipidique et un substrat 163
Références bibliographiques 171
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Avant-propos
Les membranes fluides sont des assemblages moléculaires constitués de lipides ou d’autres
molécules amphiphiles. Ces membranes sont dynamiques : d’une part, elles sont soumises à
l’agitation thermique qui les fait fluctuer ; d’autre part, elles interagissent physiquement avec
leur environnement et subissent une multitude de forces mécaniques de frottement, de cisaille-
ment, d’adhésion. . . La physique des membranes étudie expérimentalement et théoriquement le
comportement mécanique de ces membranes, et notamment de leurs fluctuations. Dans le milieu
vivant, les bicouches fluides constituent les parois des cellules, servant de support à un grand
nombre de protéines et autres molécules. Pour isoler la membrane de son environnement biolo-
gique, on utilise des modèles simples, les liposomes, qui sont donc des membranes artificielles.
L’organisation spatiale des molécules qui les constituent est la même que dans les membranes
cellulaires.
Les vésicules géantes appartiennent à la grande famille des liposomes. Ce sont des objets tri-
dimensionnels en forme de petits sacs fermés, et d’une taille de plusieurs microns de diamètre.
À l’échelle moléculaire, une vésicule géante est un objet déformable qui fluctue sous l’effet de
l’agitation thermique. À cette échelle, on peut l’assimiler à une membrane plane de dimensions
infinies. Mais par sa taille, qui est proche de celles des cellules, c’est un objet facilement ob-
servable au microscope. Il est donc naturel que la vésicule géante constitue un support de choix
pour étudier la relation qui existe entre la modification des propriétés d’une membrane lipidique
et les conditions de contraintes mécaniques auxquelles on la soumet.
Ce domaine d’étude a été fortement développé à partir des années 90 par des travaux portant
sur les phases lamellaires, systèmes de bicouches empilées. Très vite, les travaux ont porté
sur les vésicules elles-mêmes : des études expérimentales et théoriques récentes ont consisté à
soumettre des vésicules à un cisaillement continu en les plaçant dans un écoulement de fluide.
Ces études ont démontré l’existence d’une relation entre les caractéristiques de l’écoulement
3
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4 Avant-propos
et les distorsions de la membrane. Le but de notre travail est d’observer les modifications des
fluctuations alors que la vésicule est soumise à un écoulement alternatif, mais aussi de contrôler
la réponse de bicouches modifiées par l’inclusion de diverses molécules.
Notre exposé est organisé de la façon suivante : dans le chapitre 1, nous replaçons les mem-
branes dans leur contexte originel en présentant quelques aspects de la physico-chimie des
membranes cellulaires. Nous y présenterons aussi les bases de la physique des membranes qui
nous permettront d’analyser nos résultats expérimentaux. Le chapitre 2 décrit les techniques ex-
périmentales utilisées, et le chapitre 3 présente nos résultats. Enfin, le dernier chapitre présente
quelques expériences où les vésicules sont associées à d’autres molécules, de façon à modifier
les propriétés physiques des membranes.
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CHAPITRE 1
Membranes cellulaires et bicouches fluides
5
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6 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
Sommaire
1.1 Généralités sur les membranes cellulaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.1.1 Un peu d’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.1.2 Composition chimique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .10
1.1.3 Mouvements moléculaires et fluidité . . . . . . . . . . . . . . . . . .13
1.1.4 Dynamique des membranes cellulaires . . . . . . . . . . . . . . . . .14
1.2 Liposomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17
1.2.1 La famille des liposomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17
1.2.2 Les liposomes dans l’activité scientifique et industrielle . . . . . . . .18
1.3 Physique des membranes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21
1.3.1 Géométrie des surfaces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21
1.3.2 Modes de déformation d’une surface . . . . . . . . . . . . . . . . . .25
1.3.3 Membranes et fluctuations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .27
1.3.4 Morphologie de systèmes membranaires . . . . . . . . . . . . . . . .30
1.4 Travaux récents de cisaillement de vésicules . . . . . . . . . . . . . . . . .35
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Un tensioactif est une molécule amphiphile constituée d’une partie hydrophile et d’une partie
hydrophobe [1,2]. Les deux parties étant connectées de façon covalente, l’habituelle séparation
de phase macroscopique "eau-huile" ne peut pas avoir lieu ; cependant, les forces thermodyna-
miques responsables de la séparation de phase sont bien présentes, conduisant à la localisation
préférentielle de ces molécules aux interfaces eau-huile et eau-air, ou encore induisant des phé-
nomènes de ségrégation locale, les séparations de phase mésoscopiques [3]. Par exemple, des
tensioactifs placés dans un milieu aqueux s’auto-assemblent afin de minimiser le contact entre
la partie hydrophobe et l’eau. Il existe de nombreuses géométries d’assemblage possibles se-
lon la nature des molécules amphiphiles et surtout selon l’encombrement stérique relatif des
parties hydrophile et hydrophobe [4]. Nous nous intéressons aux situations où l’encombrement
des deux parties est comparable, ce qui amène à des structures auto-assemblées de géométrie
planaire. Ces structures à deux feuillets ou couches de tensioactifs sont donc des bicouches
auto-assemblées (cf figure 1.1).
(a) Coupe de vésicule unila-mellaire
(b) Coupe de micelle
(c) Bicouche de tensioactifs
Figure 1.1 –Vue en coupe de trois structures formées par les tensioactifs :a) structure en bicouchesphérique appeléevésiculeou liposomeunilamellaire, beaucoup plus grande qu’une micelle, encapsulantune solution aqueuse ; b) micelle sphérique dont l’intérieur est hydrophobe ; c) bicouche de tensioactifs, lastructure de base des biomembranes.
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8 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
À forte concentration, les bicouches s’empilent en phase lamellaire de tensioactifs, les smec-
tiques lyotropes [5]. Aux faibles concentrations, les bicouches peuvent former plusieurs struc-
tures fermées [6], topologiquement équivalentes à des sphères, des tores, des "bretzels". . . Les
structures du type sphérique, nommées vésicules ou liposomes, occupent une place particulière
parmi les systèmes possibles.
Dans le monde du vivant, les parois cellulaires sont des structures auto-assemblées en bi-
couches de tensioactifs naturels, les phospholipides, même si elles contiennent aussi beaucoup
d’autres molécules [7,8]. Nous avons choisi dans cette introduction de consacrer une place im-
portante aux parois cellulaires. En effet, nous verrons dans la section suivante que les efforts en
biologie pour comprendre la nature des parois cellulaires ont contribué de façon déterminante
à la vision moderne des membranes auto-assemblées. Par ailleurs, les questions posées par les
membranes cellulaires sont toujours une source d’inspiration et un moteur importants pour les
recherches en physique des bicouches fluides.
Enfin, les liposomes occupent aussi une place centrale dans de nombreuses formulations in-
dustrielles en cosmétique, en pharmacie, en chimie. . . Nous consacrerons la section 1.2 à la pré-
sentation des liposomes et de leurs applications. L’équilibre thermodynamique de ces systèmes,
biologiques ou industriels, est maintenant bien compris. Nous décrirons dans la section 1.3 les
éléments essentiels pour comprendre la physique des systèmes de bicouches auto-assemblées,
en particulier en ce qui concerne leur comportement fluctuant. L’intérêt pour les effets hydro-
dynamiques est plus récent, nous évoquerons dans la dernière section quelques contributions
expérimentales et théoriques.
1.1 Généralités sur les membranes cellulaires
Toutes les cellules vivantes ont une architecture compartimentée où chacun des organites
cellulaires est spécialisé dans une fonction bien précise comme l’illustre la figure 1.2. Tous ces
organites sont limités par une membrane lipido-protéique dont la forme peut être complexe.
Cette membrane est un objet hétérogène et dynamique qui se déforme, se restructure, et joue
une rôle primordial dans les échanges intermembranaires.
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1.1. GÉNÉRALITÉS SUR LES MEMBRANES CELLULAIRES 9
Membrane plasmique
Membrane nucléaire
Vésicule de sécrétion
Réticulum endoplasmiquerugueux
Noyau
Lysosome
Mitochondrie
Appareil de Golgi
Figure 1.2 –Schéma de cellule: le noyau contient l’information génétique de la cellule, l’appareil deGolgi modifie et distribue des protéines ou des lipides aux autres organites ou à d’autres membranes enles encapsulant dans des vésicules, les mitochondires produisent de l’ATP, le réticulum endoplasmique estassocié aux ribosomes dans la production de protéines...
1.1.1 Un peu d’histoire . . .
Le concept de lamembrane cellulaireest né en 1855, et fut établi par Carl Nägeli, un bio-
logiste autrichien [9]. Nägeli proposait l’existence d’une enveloppe isolant l’intérieur de la cel-
lule du milieu extérieur. D’autres modèles ont été imaginés au cours des décennies suivantes,
de plus en plus élaborés, à partir d’observations de cellules et grâce au progrès des techniques
expérimentales. Gorter et Grendel, en 1925, montrèrent que la membrane était constituée d’une
bicouche lipidique. En 1930, Danielli ajouta au modèle précédent la présence de protéines mem-
branaires. À partir de 1972, quand apparurent des images de membranes prises au microscope
électronique qui n’étaient expliquées par aucun des modèles existants, Singer et Nicholson pro-
posèrent leur interprétation [10–12]. Ce modèle, reconnu universellement, est toujours utilisé
aujourd’hui. Il décrit la membrane comme une bicouche lipidique à laquelle sont associées des
protéines transmembranaires et des protéines périphériques (cf figure 1.3). De plus, les lipides et
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10 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
les protéines transmembranaires sont en perpétuel mouvement : la membrane est unestructure
fluide.
Feuillets
Protéine transmembranaire
Oligosaccharide
Protéine transmembranaire
Coeur hydrophobe
Glycoprotéine GlycolipideProtéine périphérique
Bicouche de phospholipides
Phospholipide
Cytosol
Extérieur
Chaines grasses
Tete hydrophilepolaireProtéine
périphérique
Figure 1.3 –Schéma en coupe d’une membrane cellulaire
Dans les paragraphes qui suivent, nous décrirons plus précisément la nature chimique de la
membrane, et ses caractéristiques mécaniques.
1.1.2 Composition chimique
Les deux espèces moléculaires principales présentes dans les membranes cellulaires sont les
lipides et les protéines. Le rôle principal des lipides est structurel, alors que celui des protéines
est le plus souvent fonctionnel [8].
Les lipides sont des molécules amphiphiles qui peuvent s’associer pour former une membrane
lipidique. Il existe plusieurs grandes classes de lipides membranaires : les diacylphosphoglycé-
rides (appelés communémentphospholipides), les glycolipides, les sphingolipides, et les stérols.
Certaines membranes ne possèdent qu’une sorte de lipide comme la membrane cytoplasmique
de la bactérieEsherichia coliqui n’est constituée que de phospholipides. Des exemples de
composition de membranes sont présentés dans le tableau 1.1.
La composition des chaînes hydrocarbonées a aussi son importance : le nombre d’insatura-
tions et la longueur de la chaîne sont des paramètres primordiaux intervenant dans la fonction
des lipides. Par exemple, dans certains tissus comme ceux du cerveau, on trouve des mem-
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1.1. GÉNÉRALITÉS SUR LES MEMBRANES CELLULAIRES 11
branes riches en lipides polyinsaturés [13], alors que dans la plupart des autres cellules, on
trouve en majorité des phospholipides saturés [13, 14]. En effet, sous l’effet d’une oxydation
les phospholipides insaturés changeraient de forme. Un trop grand nombre d’oxydations rédui-
rait la cohésion des molécules lipidiques ce qui conduirait à une déformation de l’ensemble
de la membrane, et éventuellement à sa destruction. Enfin, les feuillets interne et externe de la
membrane ne sont pas symétriques : leurs compositions sont souvent différentes, en raison de
la fonctionalisation de la membrane (cf tableau 1.2) [16,17].
Tableau 1.1 –Composition lipidique de différentes membranes
Myéline Erythrocyte Mitochondrie E. Coli Chloroplaste
Lipide/Protéine(en poids)
3 : 1 1 : 3 1 : 3 1 : 3 1 : 1
Glycolipide 35 1 80
donta
MGDGDGDGSQDG
412316
Phospholipide 32 56 95 100 12
dontb
PCPEPIPSPGDPG
1114
7
23202
11
48288
11
80
155
12
Sphingolipide 8 18
Cholestérol 25 25 5
aMGDG, DGDG : monogalactosyl, digalactosyl diacylglycérol ; SQDG : sulfolipide.bPC, PE, PI, PS, PG : phosphatidylcholine, éthalonamine, inositol, sérine, glycérol ; DPG : diphosphatidylgly-
cérol.N.B. : toutes les compositions sont données en % de la quantité totale de lipides.
Les lipides les plus abondants dans les cellules animales sont les phospholipides. Leur fomule
chimique générale est représentée sur la figure 1.4.
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12 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
(a) Phosphatidyléthanolamine
(b) Phosphatidylsérine
(c) Phosphatidylcholine
(d) Sphingomyéline
Figure 1.4 – Présentation de différents phospholipides; la partie hydrophile est représentée encaractères gras.
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1.1. GÉNÉRALITÉS SUR LES MEMBRANES CELLULAIRES 13
Tableau 1.2 –Composition lipidique de la membrane du globule rouge chez l’Homme
Nature du Répartition en %phospholipide feuillet interne feuillet externe
Phosphatidylcholine 76 24Phosphatidyléthanolamine 20 80Phosphatidylsérine ≈ 0 ≈100Sphingomyéline 82 18
La membrane de nombreuses cellules est aussi composée de cholestérol (cf figure 1.5). Le
cholestérol accroît la rigidité de la membrane en s’insérant entre les molécules lipidiques plus
longues. Il diminue ainsi la perméabilité de la bicouche aux molécules hydrophiles et réduit la
mobilité des molécules de la membrane [8,18].
chaine hydrocarbonéenon polaire
tete polaire
chainede cyclesstrérol
Figure 1.5 –Structure du cholestérol
1.1.3 Mouvements moléculaires et fluidité
La membrane cellulaire est un objet dynamique, qui peut se déformer, ouvrir et refermer des
pores, fusionner ou encore permettre le déplacement latéral de la plupart de ses composants.
Cette fluidité est importante pour le bon fonctionnement de la cellule ; elle est assurée par plu-
sieurs types de mouvements moléculaires :
• une diffusion latérale : les molécules se déplacent de façon aléatoire dans la monocouche.C’est le mode de diffusion qui requiert le moins d’énergie pour une molécule et donc,
c’est le plus courant. Le coefficient de diffusion latérale peut être étudié par différentes
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14 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
techniques expérimentales : la FRAP (Fluorescence Recovery After Photobleaching) ou
la spectroscopie R.M.N. permettent de mesurer la diffusion sur de longues distances à
l’aide de phospholipides marqués ; le coefficient de diffusion est de l’ordre de10−12 m2.s−1
[19]. D’autres techniques, basées sur la diffusion de neutrons, sont plutôt employées pour
mesurer la diffusion sur de courtes distances ;
• une diffusion rotationelle où, dans une monocouche, les molécules tournent sur elles-mêmes avec un coefficient de diffusion rotationelle de l’ordre de108 s−1 ;
• un passage des molécules d’une bicouche à l’autre (appelé aussiflip-flop). Il se fait à unefréquence de l’ordre de10−8s−1. Le mouvement de flip-flop est tellement rare qu’il peut
mettre plusieurs jours pour s’achever. En effet, il implique le passage de la tête hydrophile
d’une molécule de lipide à travers la zone centrale hydrophobe de la membrane, ce qui
paraîta priori impossible. En réalité, ce phénomène existe et permet de symétriser dans
une certaine mesure la distribution des lipides membranaires entre les deux feuillets de
la bicouche. De plus, dans les membranes naturelles, des protéines peuvent favoriser ce
mouvement.
• une flexion des chaînes grasses.
L’importance de ces mouvements moléculaires dépend directement de la forme de la molé-
cule tensioactive, c’est-à-dire de sa formule chimique et de sa configuration. La longueur de la
chaîne carbonée et le nombre d’insaturations qu’elle comporte jouent un rôle primordial. Par
exemple, les chaînes courtes interagissent peu entre elles et les doubles liaisons en configura-
tion cisont un encombrement stérique important. En règle générale, la fluidité d’une membrane
augmente avec la proportion d’acides gras insaturés, et une membrane composée de tels lipides
restera fluide même à des températures peu élevées.
En effet, en règle générale, un abaissement de température conduit à une réduction des mou-
vements moléculaires, et on peut assister à un changement de structure de la membrane qui
peut perdre sa fluidité et se transformer en une phase gel. Cette transition fait encore l’objet de
nombreuses études et nous présentons dans le tableau 1.3 les températures de transition entre la
phase gel et la phase liquide pour quelques phospholipides courants.
1.1.4 Dynamique des membranes cellulaires
La membrane cellulaire remplit un grand nombre de fonctions, parmi lesquelles l’échange
de substances entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule, et l’adhésion spécifique à des cellules
voisines. Son rôle est vital pour la cellule car un défaut dans la structure d’une membrane
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1.1. GÉNÉRALITÉS SUR LES MEMBRANES CELLULAIRES 15
Tableau 1.3 –Température de transitionTm de quelques phospholipides
Nom abrégé du lipide Tm [◦C]
C12 :0 (DPLC) -1.8di C14 :0 (DMPC) 24.5di C16 :0 (DPPC) 41.5C16 :0 - C18 :1 (POPC) 11C18 :0 - C18 :1 (SOPC) 6C18 :1 - C18 :0 9di C18 :1 (c9) (DOPC) -22di C18 :1 (c6) 1C18 :0 - C18 :2 -15di C18 :2 -53di C18 :3 -60
plasmique ou d’une membrane interne à la cellule pourrait entraîner un endommagement du
contenu de la cellule, ou une altération de son fonctionnement. Par nature, la membrane est
fluide et donc très déformable. Les propriétés mécaniques des membranes cellulaires dépendent
essentiellement de leur composition chimique, mais aussi de facteurs environnementaux comme
la température ou le pH du milieu. Il est donc souvent nécessaire d’isoler la cellule de son
environnementin vivoafin de déterminer l’influence de chacun de ces facteurs sur les propriétés
mécaniques des cellules.
Un grand nombre d’expériences visant à comprendre la déformabilité des membranes a été
inspiré par quelques phénomènes biologiques jusqu’alors incompris, comme le passage de leu-
kocytes à travers la paroi endothéliale ou la résistance des globules rouges au cisaillement du
flux sanguin. Dans le premier cas, l’un des travaux mené sur ce sujet a montré [20] que les
cellules endothéliales exposées au cisaillement voyaient leur rigidité augmentée. Ces résultats,
obtenus avec une micropipette, ont été confirmés par l’étude en A.F.M. de la topographie de
la surface de ces cellules placées dans un écoulement continu [21]. Plus récemment, les leuko-
cytes ont été étudiés du point de vue du changement de leurs propriétés d’adhésion, de défor-
mabilité et de résistance à l’écoulement [22]. Concernant l’étude des globules rouges, Evans a
étudié l’élasticité de leur membrane de façon théorique en analysant les différentes forces qu’ils
subissent (viscosité, cisaillement, tension), et expérimentalement en mesurant leur élasticité à
l’aide de la technique de la micropipette [23, 125]. Ces expériences ont d’ailleurs permis de
mettre au point et de développer cette technique que nous décrirons dans le chapitre 2.
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16 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
Les membranes artificielles comme les membranes supportées ou les liposomes ont aussi été
étudiés par des techniques variées comme l’AFM, les pinces optiques [30], ou la micropipette,
pour explorer certains aspects de leur mécanique (viscosité, élasticité,. . . ). Nous reviendrons
sur cet aspect dans la suite de ce chapitre.
Dans le cas de grandes déformations intervenant lors d’événements majeurs de la vie de la
cellule comme la croissance ou la division cellulaire, les propriétés mécaniques des cellules ne
sont pas seulement dues à la bicouche lipidique externe mais aussi au cytosquelette qui supporte
cette bicouche. Toutes les cellules eucaryotes1 ont un cytosquelette qui donne à la cellule sa
forme, sa capacité à se déplacer, et qui gère l’organisation interne de la cellule.
ou microfilaments ; structure de 5 à 9 nm de diamètre
cylindres creux de 25 nm de diamètre extérieur ; structure très rigide en tubuline (protéine)
c)
a) filaments d’actine:protéine d’actine polymérisée
filaments intermédiaires : structure faite
diamètre : 10 nmd’un assemblage de plusieurs protéinesb) microtubules :
Figure 1.6 –Différents types de filaments constituant le cytosquelette
Le cytosquelette est un ensemble de protéines assemblées en un réseau complexe de mi-
crotubules, de microfilaments et de filaments intermédiaires. La résistance de la cellule aux
contraintes mécaniques est essentiellement assurée par les filaments intermédiaires grâce à leur
grande déformabilité. Les microtubules jouent un rôle essentiel dans l’organisation spatiale des
1Les celluleseucaryotespossèdent un noyau délimité par une membrane. Les cellules ne possédant pas denoyau comme les bactéries, sont appeléesprocaryotes
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1.2. LIPOSOMES 17
organites de la cellule. Les filaments d’actine, quant à eux, génèrent des protrusions à la surface
de la cellule, provoquant un changement de forme ou un déplacement de la cellule.
Il est possible de modéliser l’architecture du cytosquelette. Le premier modèle, proposé par
Ingber en 1993 sous le nom detensegrity[31], a été suivi par d’autres modèles, chacun ayant
ses propres équations constitutives, permettant de prévoir suivant le cas la réponse du réseau à
une contrainte de torsion, de cisaillement, d’extension ou de compression [32–35].
1.2 Liposomes
Nous avons vu dans les paragraphes précédents que l’intérêt pour les membranes cellulaires a
motivé de nombreuses études des bicouches fluides. En fait, la membrane cellulaire demeure un
objet trop complexe pour être compris dans son intégralité. La plupart des recherches physiques
doivent être effectuées sur des parois reconstituées, des bicouches de phospholipides à un seul
constituant, ou avec un petit nombre de constituants. Ces objets, des bicouches auto-assemblées
refermées sur elles-mêmes, portent le nom de liposome ou de vésicule. Leur importance dé-
passe le cadre des modèles de membranes cellulaires ; ils sont non seulement les objets d’étude
dans plusieurs sciences fondamentales et appliquées, mais aussi les principaux constituants de
nombreuses formulations industrielles [36].
1.2.1 La famille des liposomes
Les liposomes sont des capsules dont la paroi est composée d’une ou plusieurs bicouches de
molécules tensioactives. Cette paroi est une membrane fermée, déformable, perméable à l’eau,
qui encapsule une solution aqueuse (cf. figure 1.1(a)). Les liposomes sont facilement produits
en laboratoire et présentent des différences importantes de taille et de structure selon leur com-
position chimique et selon la méthode de préparation utilisée. On les classe généralement en
quatre catégories :
• Vésicules multilamellaires (Multi Lamellar Vesicles ou MLV) :Ce sont les plus simples à obtenir. On les prépare en séchant sous vide une solution de lipides
de manière à évaporer le solvant, puis on hydrate le film résultant avec une solution aqueuse.
Au bout de quelques minutes, on obtient une suspension de vésicules multilamellaires d’une
taille comprise entre 100 nm et quelques microns. Les liposomes multilamellaires sont des
assemblages de lipides en multicouches fermées et séparées entre elles par une couche d’eau.
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18 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
Cependant, le volume encapsulé est très faible par rapport au volume de la vésicule.
• Petites vésicules unilamellaires (Small Unilamellar Vesicles ou SUV) :Un traitement physique des liposomes multilamellaires, par exemple aux ultrasons, conduit à
un réarrangement des molécules tensioactives et à la formation de vésicules unilamellaires de
taille homogène, de l’ordre de 25 nm de diamètre.
• Vésicules unilamellaires de grande taille (Large Unilamellar Vesicles ou L.U.V.) :La technique la plus courante pour obtenir ce type de vésicules est dite "par inversion de phase".
Les lipides sont solubilisés dans un solvant organique volatil comme l’éther ou le chloroforme.
On y ajoute une solution aqueuse de manière à obtenir deux phases : le solvant organique et
l’eau, les lipides se situant à l’interface des deux phases, et leur partie hydrophile étant dirigée
vers l’eau. Un traitement de ce mélange aux ultrasons et une évaporation lente et partielle du
solvant permet aux lipides de se réorganiser pour optimiser leurs interactions avec l’eau et le
solvant organique dont la quantité diminue. Le mélange a alors l’aspect d’un gel qui se liquéfie
au fur et à mesure de l’évaporation du solvant. Des vésicules unilamellaires se forment et leur
taille varie de 0.1 à 1 micron.
• Vésicules géantes unilamellaires (Giant Unilamellar Vesicles ou G.U.V.) :La taille de ces vésicules est comprise entre 5 et 100 microns de diamètre. Il existe principale-
ment deux méthodes pour les préparer : la formation spontanée, et l’électroformation [44–47].
La première est surtout utilisée lorsqu’on veut obtenir des vésicules très flasques, ou si la mo-
lécule amphiphile est insensible au champ électrique (polymère multibloc par exemple), ou
encore si le milieu est trop concentré en ions (solution salée par exemple). La seconde, en re-
vanche est plus rapide et fournit des vésicules unilamellaires en plus grande quantité. Ces deux
méthodes seront détaillées dans le chapitre 2.
1.2.2 Les liposomes dans l’activité scientifique et industrielle
Les liposomes sont des systèmes physico-chimiques du domaine colloïdal, leur taille étant
comprise entre quelques nanomètres et plusieurs dizaines de micromètres [?, 48]. Par consé-
quent, les forces d’agitation thermique jouent un grand rôle dans la diffusion et la dispersion de
ces objets, ainsi que dans la détermination de leur forme. C’est donc en physique et en physico-
chimie que l’on retrouve les études du comportement de bicouches fluides en solution. Cette dis-
cipline, la "physique des membranes", a contribué à écrire un très beau chapitre de la physique
statistique de ces trente dernières années [3]. Elle constitue encore un domaine de recherches
-
1.2. LIPOSOMES 19
très actif, particulièrement en ce qui concerne le comportement dynamique des membranes.
Ces recherches s’articulent autour de l’objet "membrane", caractérisé par certaines propriétés
élastiques, à partir desquelles il s’agit de prédire et de caractériser le comportement indivi-
duel et collectif des objets et structures formés par les bicouches auto-assemblées. Notons que
ces objets peuvent aussi être décorés par d’autres espèces tensioactives ou macromoléculaires.
Nous reviendrons plus en détail sur la description physique des membranes dans le paragraphe
suivant. Les questions posées sur les membranes en physique ont aussi trouvé un écho impor-
tant en mathématiques, où la géométrie différentielle ou la topologie d’objets bi-dimensionnels
possédant une élasticité de courbure constituent des domaines importants de recherche. Remar-
quons aussi que la nature colloïdale des vésicules en fait des systèmes modèles pour étudier
entre autres les problèmes physico-chimiques d’agrégation de particules, de sédimentation, de
mesure de forces électrostatiques ou de dispersion.
Sans trop revenir sur l’intérêt déjà évoqué des liposomes pour la biochimie et la biologie
de la membrane cellulaire, il est important de souligner que les études sur les protéines mem-
branaires se font en grande partie grâce à des liposomes, dans ce que l’on nomme "études de
reconstitution". Ainsi, les changements de conformation induits par des champs extérieurs tels
que le pH, la salinité, la lumière, etc. . . se font sur des liposomes ancrant ou incorporant diffé-
rentes molécules dans leurs membranes. Aussi, des études aussi diverses que la reconstitution
de l’histoire des cellules dans l’évolution des espèces [49], le développement de réacteurs de
photosynthèse artificiels [50], ou encore l’activité de pompes ioniques membranaires se font sur
des liposomes [51].
En chimie, les liposomes fournissent aussi un système qui permet d’effectuer des réactions
sur un tout petit espace, et ils sont étudiés en catalyse, pour la synthèse de particules colloïdales
ou encore pour des études de biominéralisation [52].
Les grands domaines d’application des liposomes sont la cosmétique et la pharmacologie. Du
point de vue industriel, le marché des produits cosmétiques, occupé à 10% par les liposomes,
représente un chiffre d’affaires de l’ordre de la dizaine de milliards d’euros. Mais ce sont les
marchés des médicaments qui sont en plus grande progression, avec par exemple un chiffre
d’affaires comparable à celui des cosmétiques dans le seul créneau du transport de substances
actives pour le largage dans les poumons. C’est d’ailleurs pour le transport de médicaments dans
l’organisme, un domaine de la pharmaceutique qui représentera d’ici 5 ans, selon les estima-
tions, 39% de toute cette activité "drug delivery", que les liposomes sont les plus utilisés [53].
On comprend aisément, en présence de tels enjeux, que de nombreuses recherches fondamen-
tales, appliquées et de développement, s’effectuent dans les laboratoires publics et privés. Sans
-
20 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
un souci d’exhaustivité, nous donnons dans la suite quelques exemples de produits déjà sur le
marché ou en développement, où les liposomes jouent un rôle clé.
Les premiers produits cosmétiques à base de liposomes ont été introduits par deux entreprises
françaises en 1987. L’avantage commun à tous ces produits est leur capacité d’encapsulation et
le transport de molécules actives. De plus, dans le cas des applications en cosmétique, le li-
posome lui-même présente des propriétés actives bénéfiques pour la peau, selon les fabricants.
On invoque par exemple la présence d’ions phosphore, la présence de certaines chaînes grasses
aussi présentes dans le complexe de la vitamine F, ou encore celle de protovitamines du groupe
B. En tout état de cause, les formulations à base de liposomes ont un spectre assez large. Utili-
sées comme des formulations de base remplaçant crèmes, gels et autres potions, elles peuvent
aussi contenir hydratants, antibiotiques, protéines recombinantes pour réparer les dégâts du so-
leil sur la peau. Produits anti-vieillissement, écrans solaires résistant au lavage, produits après-
rasage comptent aussi parmi les formulations à base de liposomes. Fermons ce paragraphe en
rappelant d’abord que beaucoup des mécanismes responsables de l’efficacité de ces formula-
tions sur la peau n’ont pas encore été élucidés, et que la prétendue efficacité est même contestée
dans un certain nombre de cas.
Depuis longtemps, les liposomes apparaissaient comme des transporteurs potentiels de médi-
caments. En effet, le transport dans l’organisme par ces petits sacs devrait permettre d’amener
des doses plus importantes aux tissus malades, tout en diminuant les effets toxiques associés
aux grandes doses. Ceci est particulièrement important pour les substances dites à fenêtre d’ac-
tivité réduite, pour lesquelles la limite de concentration toxique est très proche de la limite de
concentration de traitement. Mais c’était sans compter sur le système immunitaire qui détruit
ces transporteurs au niveau du foie et de la rate. En découvrant que des liposomes enrobés
par des polymères n’étaient plus reconnus par le système immunitaire, ALZA, une entreprise
américaine, a inventé le concept de liposome furtif, déjà commercialisé pour transporter un
médicament anti-cancer. Cet exemple constitue désormais un exemple classique de la fertilité
croisée de concepts venant de plusieurs domaines : la physico-chimie, la physique de la matière
molle et des polymères, la pharmacologie. Du point de vue des développements futurs, les li-
posomes furtifs pourraient à l’avenir devenir intelligents : en attachant des ligands spécifiques
à la surface extérieure du liposome, on espère pouvoir cibler le type de cellule ou de tissu où le
transporteur doit livrer sa charge . . .
Finissons cette présentation des liposomes en soulignant que nous n’avons pas évoqué toutes
les applications possibles de ces systèmes. De nombreux autres domaines d’activité, tels l’agri-
culture ou les industries alimentaires [54] utilisent aussi des formulations à base de liposomes
-
1.3. PHYSIQUE DES MEMBRANES 21
pour la solubilisation de substances ou le largage contrôlé. Et, peut-être comme mesure indica-
tive, faudrait-il rajouter qu’environ 1500 articles sont publiés par an sur les liposomes, et que
21782 brevets concernant les liposomes ont à ce jour été déposés aux Etats-Unis.
1.3 Physique des membranes
La bicouche fluide est un objet quasi bidimensionnel. En effet, lorsque l’on s’intéresse au
comportement des membranes de phospholipides, ou des systèmes composés de membranes
comme les vésicules, les tailles pertinentes pour les études de déformation, de résistance mé-
canique, de fluctuations ou d’adhésion sont très supérieures à l’épaisseur de la bicouche. La
membrane peut donc être caractérisée par un petit nombre de paramètres matériels, comme
les modules élastiques ou la perméabilité. Ces paramètres dépendent bien sûr des caractéris-
tiques des molécules : longueur et rigidité des queues hydrophobes, taille et nature chimique
des têtes hydrophiles... Mais ces détails ne sont pas pertinents aux grandes échelles. Les mem-
branes constituées de tensioactifs ou de phospholipides différents, mais possédant les mêmes
paramètres matériels, ont un comportement identique. C’est ce caractère universel que décrit la
physique des membranes.
Dans cette section, nous commencerons par présenter les outils mathématiques nécessaires
à la description de la géométrie des surfaces, puis nous introduirons les concepts physiques
décrivant les déformations possibles des membranes fluides. Nous passerons ensuite en revue
quelques résultats de la physique statistique des membranes, qui permettent de comprendre
le rôle de l’agitation thermique des solutions dans le comportement fluctuant des bicouches
fluides. Enfin, nous aborderons brièvement les questions relatives aux changements de forme
des vésicules. Rappelons que cette section ne prétend pas à l’exhaustivité ; un traitement plus
complet de ces questions peut être trouvé dans plusieurs ouvrages de référence [3,55,56].
1.3.1 Géométrie des surfaces
Une surface deR3 est décrite par un vecteurr, paramétré par deux variablesu et v commer=r(u,v) (cf figure 1.7) [57].
-
22 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
u=cste
n
v=cste
Figure 1.7 –Surface géométrique et courbes paramétriques
L’élément de longueur élémentairedl est donné par la première forme fondamentale :
dl2 =
(∂r
∂udu +
∂r
∂vdv
)2=
(∂r
∂u
)2du2 + 2
∂r
∂u
∂r
∂vdu dv +
(∂r
∂v
)2dv2
= Edu2 + 2Fdu dv + Gdv2 (1.1)
L’élémentF est nul pour toute description paramétrique orthogonale. L’élément de surface
élémentairedS est donné par :
dS =
∣∣∣∣∂r∂u ∧ ∂r∂v∣∣∣∣ du dv = √g du dv = √EG− F 2 du dv (1.2)
où g = EG− F 2 est la métrique, qui est toujours positive. La représentation de Monge, adap-tée aux surfaces presque plates, repère la surface par la hauteurh(x, y), paramétrée par les
coordonées cartésiennes du plan [x, y]. On a alors :
r ≡ (x, y, h(x, y)) ; ∂r∂u
=
(1, 0,
∂h
∂x
);
∂r
∂v=
(0, 1,
∂h
∂y
)et :
E = 1 +
(∂h
∂x
)2; F =
∂h
∂x
∂h
∂y; G = 1 +
(∂h
∂y
)2(1.3)
Notons que les courbes paramétriques ne sont pas orthogonales. Dans la représentation de
Monge, les éléments de longueur et de surface élémentaires s’écrivent à partir des expressions
-
1.3. PHYSIQUE DES MEMBRANES 23
1.1 et 1.3 :
dl2 =
[1 +
(∂h
∂x
)2]dx2 + 2
∂h
∂x
∂h
∂ydx dy +
[1 +
(∂h
∂y
)2]dy2
= dx2 + dy2 +
(∂h
∂xdx +
∂h
∂ydy
)2dS =
√g dx dy =
√1 +
(∂h
∂x
)2+
(∂h
∂y
)2dx dy (1.4)
La courbure d’une surface est une quantité locale, définie en chaque pointP . On choisit à cet
effet la normale à la surface au pointP ,
n =
∂r
∂u∧
∂r
∂v∣∣∣∣∣∂r∂u ∧ ∂r∂v∣∣∣∣∣
(1.5)
Puis on définit la courbure de la surface en étudiant les courbes résultant de l’intersection de
la surface et du plan passant par la normale. La forme de ces courbes dépend bien sûr de la
direction définie par l’intersection du plan normal et du plan tangent. En général on peut écrire :
~ρ = ρ n
où ρ est un scalaire dont le signe dépend du choix de l’orientation de la normale. Ce scalaire
s’écrit comme le rapport de la seconde forme fondamentale à la première forme fondamentale :
ρ =Ldu2 + 2Mdu dv + Ndv2
Edu2 + 2Fdu dv + Gdv2
où l’on voit explicitement que la courbure dépend de l’orientationdv
dudans le plan tangent. Les
coefficients de la seconde forme fondamentale s’écrivent :
L = n
(∂2r
∂u2
); M = n
∂2r
∂u∂v; N = n
(∂2r
∂v2
)
On peut montrer que la courbure a deux extrema lorsque l’on fait un tour complet autour de
la normale. Les valeurs de ces extrema sont les courbures principalesρ1 et ρ2. Elles obéissent
-
24 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
aux équations :
H =1
2(ρ1 + ρ2) ; K = ρ1ρ2
oùH etK sont respectivement la courbure moyenne et la courbure gaussienne. Elles dépendent
explicitement des coefficients des deux formes fondamentales :
H =EN + GL− 2FM
2(EG− F 2); K =
LN −M2
EG− F 2
Trois exemples simples permettent de comprendre ces concepts. Sur la surface d’une sphère,
la valeur de la courbure ne dépend pas de l’orientation. On a donc deux maxima dégénérés :ρ1 =
ρ2 = 1/R , oùR est le rayon de la sphère. Les courbures moyennes et gaussiennes s’écrivent
H = 1/R; K = 1/R2. Sur un cylindre, le minimum de la courbe est nul. On aρ1 = 1/R et ρ2= 0. La courbure moyenne est la moitié de celle d’une sphère avec le même rayonH = 1/2R,
et la courbure gaussienne nulle. Sur un point de selle symétrique, on aρ1 = −ρ2 = 1/R. Lacourbure moyenne est nulle, et la courbure gaussienne négative :K = −1/R2.
Si la surface est décrite par la représentation de Monge, le calcul explicite de la normale et
des différentes courbures donne :
n ≡(−∂h
∂x,−∂h
∂y, 1
)g−1/2 oùg est la métrique définie par l’expression 1.2
L =∂2h
∂x2g−1/2 ; M =
∂2h
∂x∂yg−1/2 ; N =
∂2h
∂y2g−1/2
H =1
2
[(1 +
(∂h
∂x
)2)∂2h
∂x2− 2 ∂h
∂x
∂h
∂y
∂2h
∂x∂y+
(1 +
(∂h
∂x
)2)∂2h
∂y2
]g−3/2
K =
[∂2h
∂x2∂2h
∂y2−(
∂2h
∂x∂y
)2]g−2
Ces résultats se simplifient lorsque la surface est faiblement courbée, proche d’une configu-
ration plane car
(∂h
∂x
)� 1;
(∂h
∂y
)� 1 :
H =1
2
(∂2h
∂x2+
∂2h
∂y2
); K =
∂2h
∂x2∂2h
∂y2−(
∂2h
∂x∂y
)2
-
1.3. PHYSIQUE DES MEMBRANES 25
Le théorème de Gauss-Bonnet est un résultat mathématique d’une certaine importance pour
la description physique des membranes, comme nous le verrons plus loin [55]. Il montre que
l’intégrale sur la surface de courbure gaussienne est une constante topologique :∫K dS =
∫ρ1ρ2 dS = 4 π (1− genus)
Le genus peut être décrit grossièrement comme le nombre de trous ou d’"anses" dans une
surface. Ainsi, le genus d’une sphère est nul, celui d’un tore vaut 1, celui d’une forme en bretzel
vaut 2, etc. . .
1.3.2 Modes de déformation d’une surface
Au repos, la forme d’une membrane de phospholipides dépend de sa composition. Si les
deux feuillets sont symétriques, la membrane est plate. Si la composition de chaque feuillet est
différente, la membrane a une forme spontanée non plane, décrite par la courbure spontanée
ρ0(r). Lorsque que la membrane est soumise à des forces extérieures, elle peut se déformer.
Une déformation arbitraire peut se décomposer selon trois modes de déformation, montrés sur
la figure 1.8 [58]. L’extension pure ou la compression pure impliquent une modification de la
valeur de l’aire par phospholipide. La courbure est un mode de déformation sans modification
de l’aire par molécule. Enfin, le réarrangement de matière conserve aussi l’aire, mais implique
des cisaillements bidimensionnels dans le matériau. Pour un feuillet élastique, telle une mem-
brane de caoutchouc, cette déformation implique un certain coût énergétique. Pour les mem-
branes fluides, cette déformation n’implique pas, à l’équilibre, une modification de l’énergie de
la membrane car les molécules se déplacent librement dans le plan de la membrane. Les modes
de déformation de courbure impliquent aussi un certain coût énergétique. Dans la limite élas-
tique où les contraintes sont proportionnelles aux déformations, la densité d’énergie associée est
quadratique avec le taux de déformation. Pour la déformation de courbure, elle s’écrit [41,59] :
ec =1
2kc(ρ1 + ρ2 − 2ρ0)2 + kgρ1ρ2 (1.6)
où kc et kg sont deux constantes élastiques associées aux modes de déformation de courbure.
La constantekc est la rigidité ou module de courbure, et la constantekg est la constante de
rigidité gaussienne. Notons que l’énergie est quadratique dans les déformations par rapport
à la forme au repos où l’on aρ1 + ρ2 = 2ρ0. Notons aussi, comme conséquence directe du
-
26 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
extension
réarrangement de la matière
courbure
Figure 1.8 –Types de déformation des membranes
théorème de Gauss-Bonnet, que la contribution gaussienne à l’énergie totale d’une membrane
reste constante, pendant des déformations qui ne changent pas son caractère topologique. Les
constanteskc et kg ont les dimensions d’une énergie et sont de l’ordre de10−19J [13], soit
aussi de l’ordre de quelqueskBT , l’énergie d’agitation thermique dans une solution. Il existe
plusieurs modèles qui permettent de prédire approximativement les valeurs dekc et dekg. Par
exemple, pour une membrane d’épaisseurd, constitué d’un matériau de module d’YoungY et
d’un coefficient de Poisson�, on a [115] :
kc =Y d3
12(1− �2); kg =
Y d3
12(1 + �)
D’autres modèles existent, mais en pratique on caractérise les bicouches fluides par les va-
leurs des modules mesurés. Certaines de ses valeurs sont présentées dans le tableau 2.3. Nous
verrons plus loin les méthodes permettant de mesurer la rigidité de courbure.
Pour la déformation d’extension, on écrit dans la limite élastique,
eext =1
2Ke
(A− A0
A0
)2(1.7)
où A0 est l’aire de la membrane au repos. La constanteKe est la compressibilité de la mem-
-
1.3. PHYSIQUE DES MEMBRANES 27
Tableau 1.4 –Mesures des modules d’élasticité et de courbure [13]
Nature du phospholipide Ke (mN/m) kc (10−19J)
diC13 :0 239± 15 0.56± 0.07diC14 :0 234± 23 0.56± 0.06C18 :0/1 235± 15 0.9± 0.06
diC18 :1 (c9) 265± 18 0.85± 0.1diC18 :1 (t9) 229± 12 1.03± 0.11
diC20 :4 250± 10 0.44± 0.05
brane. Elle peut être mesurée par les variations de tension de surfaceσ de la membrane :
σ = σ0 + Ke
(A− A0
A0
)
1.3.3 Membranes et fluctuations
L’agitation thermique de la solution provoque des déformations constantes dans la forme
des membranes. Elles s’écartent donc de leur forme optimale par des modes de déformation
activés thermiquement : on parle alors de fluctuations de la membrane. La compressibilité de la
membrane impliquant des énergies bien plus importantes que les déformations de courbure, ce
sont celles-ci qui sont excitées préférentiellement. Pour une bicouche symétrique, la forme au
repos est plane etρ0 = 0. Dans ce cas, l’énergie d’une membrane d’aireA, attaché à un cadre
d’aireA0 s’écrit dans la limite des faibles déformations et en représentation de Monge,
F =kc2
∫ (∂2h
∂x2+
∂2h
∂y2
)2dx dy +
σ
2
∫ [(∂h
∂x
)2+
(∂h
∂y
)2]dx dy
oùσ est un multiplicateur de Lagrange qui assure la conservation de l’aire de la membrane. Ce
multiplicateur de Lagrange est le paramètre conjugué à l’aire du système. Il s’agit donc de la
tension de surface de la membrane car il mesure l’énergie nécessaire à une variation de l’aire
du cadre. En introduisant la représentation de Fourier des modes de déformation :
hq =
∫∫ei(qxx+qyy)h(x, y)dx dy
-
28 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
l’énergie devient :
Fq =kc2
∫∫dqx dqy(2π)2
(kcq4 + σq2) hq h−q
Chaque mode de vecteur d’ondeq est donc indépendant, et la densité de probabilitéP({hq})associée à l’ensemble des valeurs {hq} s’écrit :
P({hq}) ' exp(− Fq
kBT
)
L’écart quadratique moyen de la distribution est la transformée de Fourier de la fonction de
corrélation des hauteurs, aussi nommée facteur de structure :
< hqh−q > = A0kBT
kcq4 + σq2
Notons aussi que la différence entre l’aire réelle de la membrane et l’aire projetée sur le plan
s’écrit comme l’intégrale du facteur de structure :
A− A0A0
=1
2
∫ qmaxqmin
q dq
2π
kBT
kcq4 + σq2
(1.8)
=kBT
8πkcln
kcq2max + σ
kcq2min + σ
(1.9)
=kBT
8πkcln
σmax + σ
σmin + σ(1.10)
On introduit les vecteurs d’onde de coupure,qmin et qmax associés respectivement aux plus
grandes et aux plus petites déformations possibles. La plus grande déformation est de l’ordre
de la taille du systèmeqmin ' π2/A0, alors que la plus petite est de l’ordre de l’épaisseur de lamembraneqmax ' π2/d2. La relation 1.10 est connue sous le nom de relation d’Helfrich. Dansles conditions pratiques d’utilisation de la relation d’Helfrich, on aσmin � σ � σmax et l’onécrit 1.10 comme :
A− A0A0
=kBT
8πkcln
σmaxσ
(1.11)
C’est une relation constitutive reliant la fraction de surface consommée par les modes de dé-
-
1.3. PHYSIQUE DES MEMBRANES 29
formation de courbure et la tension de la membrane. Nous verrons au chapitre 2 comment cette
relation peut être exploitée pour mesurer la rigidité de courbure. Dans cette thèse, nous mesu-
rerons souvent la relation entre la tension et l’excès de surface pour des vésicules. Il convient
donc d’étudier la quantité d’aire consommée par des fluctuations autour d’une forme sphérique.
La forme de la vésicule est développée en harmoniques sphériques :
r(θ, φ) = R0
(1 +
∑l,m
ulmYlm(θ, φ)
)
avecYlm les harmoniques sphériques etulm l’amplitude de chaque mode. La somme se fait sur
les deux indicesl et m. Le model = 0 est une constante, déjà incluse dans la définition du
rayon. Dans les conditions expérimentales habituelles, le volume reste constant :V = 4/3πR30.
Le model = 1 correspond à une simple translation de la sphère. L’énergie de courbure dans
cette représentation se met sous la forme :
F =1
2
∞∑l=2
(l − 2)(l − 1)[kcl(l + 1) + σR
20
]où l’on garde les termes quadratiques enulm. L’écart quadratique moyen des amplitudes est,
d’après l’équipartition de l’énergie :
〈|ulm|2〉 =kBT
(l − 2)(l − 1) [kcl(l + 1) + σR20]
À l’ordre quadratique, la valeur de la surface s’écrit :
A = 4π R20
(1 +
1
8π
∞∑l=2
l∑m=−l
|ulm|2 (l + 2)(l − 1)
)
et l’excès de surface relatif a une forme similaire à l’expression d’Helfrich pour le cas d’un
plan :
A − 4π R204π R20
=kBT
8π
lmax∑l=2
2l + 1
kcl(l + 1) + σR20' kBT
8πkcln
kcl
2max
R20+ σ
6kc
R20+ σ
-
30 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
La description en harmoniques sphériques est importante pour l’analyse d’images directes
de vésicules très fluctuantes, où l’on peut mesurer le poids relatif des amplitudesulm [61, 62].
Néanmoins, pour les mesures d’excès de surface par la méthode d’aspiration par micropipette,
on peut se contenter d’utiliser la relation 1.11.
1.3.4 Morphologie de systèmes membranaires
On trouve une grande variété de formes et de topologies possibles dans les systèmes membra-
naires. Un chapitre sur les membranes cellulaires dans un ouvrage de biologie, ou l’observation
d’un film de phospholipides qui gonfle dans une solution, révèlent rapidement la grande va-
riété de formes, d’assemblages, d’organisation cristallines et de types d’interactions présents
dans une solution de membranes. Pour les grandes concentrations de phospholipides, les mem-
branes s’organisent. Elles forment des phases cristal liquide : empilements lamellaires, phases
cubiques bicontinues, empilements hexagonaux de cylindres. . . Ce sont en général des phases
stables ; les variations de température et de concentration permettent d’établir les lignes de tran-
sition de phase. Aux concentrations plus faibles, les membranes forment des objets isolés, le
plus typique étant la vésicule, variété topologique identique à la sphère, mais qui peut prendre
des formes assez éloignées de la forme sphérique. D’autres objets fermés peuvent aussi être
observés : tores, bretzels, et bien d’autres. Souvent aussi, plusieurs objets séparés par une dis-
tance plus ou moins importante sont connectés entre eux par de minces "fils", des cylindres de
membranes établissant un passage par exemple entre deux vésicules. En outre, de nombreux
paramètres extérieurs peuvent être responsables d’une modification de la forme des vésicules :
• des modifications de température, de pression, des phénomènes d’adhésion, ou la réponseà une contrainte mécanique ;
• la présence d’un champ électrique ;• une réaction chimique entre les lipides membranaires et une substance active peut induire
une destabilisation locale de la membrane, et éventuellement des modifications dans ses
propriétés mécaniques ; souvent, il y a formation de différents domaines plus ou moins
étendus dans lesquels l’organisation de la bicouche est totalement changée. Ceci est cou-
rant dans de nombreux phénomènes biologiques comme les réactions enzymatiques, l’en-
docytose, ou encore lors de la réunion de couples ligant-récepteur à la surface d’une mem-
brane cellulaire ;
• enfin, la modification locale de la composition chimique de la membrane, et donc, de sacourbure, induit des changements spectaculaires de forme. Par exemple, la microinjection
-
1.3. PHYSIQUE DES MEMBRANES 31
d’ions lanthanides ou de macromolécules entraîne le passage d’une forme sphérique à
une forme discocyte [63], ou la transformation d’une vésicule en un chapelet de petites
vésicules reliées entre elles, transformation dite depearling illustrée sur la figure 1.9.
Figure 1.9 –Images de vésicules multilamellaires de SOPC en forme de perles: instants après le dé-but du processus depearling : a) 0s, b) 70s, c)150s, d) état d’équilibre après 900s (barre=20microns)[66,69]
La dernière décennie a assisté au développement des premiers travaux théoriques cherchant
à classer et à expliquer les formes observables et les facteurs gouvernant les transitions entre les
différentes formes. Tous les modèles impliquent d’une façon ou d’une autre l’énergie de cour-
bure d’Helfrich (équation 1.6). Le modèle le plus simple concerne les formes observées pour
des membranes parfaitement symétriques. L’énergie d’Helfrich est minimisée sous la contrainte
de la conservation de la surface et du volume de la membrane. Le seul paramètre de contrôle
est alors le rapportv entre le volume imposéV et le volume sphérique qui occuperait la surface
disponible4/3πR3. En pratique, le nombre de phospholipides dans la bicouche ne varie pas au
cours d’une expérience, et le volume est fixé par les conditions d’équilibre osmotique entre l’in-
térieur et l’extérieur de la vésicule. On observe alors une série de formes illustrées sur la figure
1.10. Pourv = 1, la forme optimale est sphérique. En imposant des volumes relatifsv de plus
en plus petits, on passe de formes prolates aux formes oblates, puis à des formes réentrantes
dites stomatocytes. En pratique, les fréquences d’échange entre les deux monocouches sont très
petites, et une vésicule peut garder une asymétrie induite par le processus de formation.
Plusieurs modèles permettent alors de rendre compte de cette asymétrie. Dans le modèle de la
courbure spontanée, on analyse l’énergie d’Helfrich avecρ0 6= 0, sous les mêmes contraintes deconservation d’aire et de volume. On a ici un deuxième paramètre de contrôle qui est le rapport
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32 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
Figure 1.10 –Formes possibles des membranes pourc0=0 et pour différentes valeurs dev ; v1 et v2correspondent respectivement à la transition prolate-oblate et oblate-discocyte [64]
de la courbure spontanée à la courbure qu’aurait une sphère d’aire4πR20 : c0 = 2ρ0/R0. Les
figures 1.11 et 1.12 illustrent les formes prédites pour différentes courbures réduites en fonction
du volume relatifv. On voit par exemple apparaître, des formes en poire qui n’étaient pas dans
le diagramme àc0=0 (cf. figure 1.10).
Figure 1.11 –Formes possibles des membranes pourc0=2.4 et pour différentes valeurs dev ; lestransitions v1 et v2 correspondent respectivement à une transition discontinue et continue [64]
Figure 1.12 –Formes possibles des membranes pourc0=3 et pour différentes valeurs dev ; la formecorrespondant àv=0.584 est asymétrique [64]
La courbure spontanée ne capture pas tous les phénomènes induits par une asymétrie des
deux feuillets de la bicouche. En particulier, lors d’un changement de forme, chacune des mo-
-
1.3. PHYSIQUE DES MEMBRANES 33
nocouches peut être amenée à adopter une aire par molécule légèrement différente de l’aire par
molécule inscrite pendant la fabrication de la vésicule. Le modèle d’élasticité des différences
d’aires ou ADE prend en compte cet effet en rajoutant un terme à l’énergie d’Helfrich de la
forme [?, 64,68] :
FADE =k̄
8A0d2(∆A−∆A0)2 (1.12)
où k̄ est la constante de compressibilité élastique de chaque monocouche etd l’épaisseur de
la monocouche. La valeur de la différence de surface∆A0 est reliée à la courbure moyenne
totale∆A = 4d∫
HdA. Les deux paramètres de contrôle de ce modèle sont donc le rapport
α = k̄/kc et la différence d’aires à l’équilibre∆A0. La valeur deα est souvent choisie proche de
l’unité. En effet, pour deux feuillets élastiques, on peut montrer que le rapport est fixé àα=3/π.
Les diagrammes de phase pour ce modèle sont tracés dans l’espace [v,∆A0]. Une attention
spéciale a été portée aux régions du diagramme qui décrivent la formation de petites vésicules
à partir de la vésicule mère, ou "budding". Ce modèle a aussi été utilisé pour étudier les formes
d’équilibre des vésicules de genus non nul. Nous montrons par exemple dans les figures 1.14(b)
et 1.15 les formes d’équilibre de tores et de bretzels.
Figure 1.13 –Tube multilamellaire cylindrique de myéline : images d’un enroulement en doublehélice; a)début de l’enroulement, b)au bout de 20mn, c)au bout de 30mn, d)au bout de 40 mn(barre=40µm) [69]
Les descriptions précédentes supposent une distribution homogène des phospholipides dans
la vésicule. Dans de nombreux cas, on peut avoir à faire à des inhomogénéités : mélanges de
phospholipides, régions avec des phospholipides agrégés (radeaux), inclusions membranaires,
polymères greffés, etc. . . Ces effets peuvent conduire à des effets surprenants : lepearling, déjà
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34 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
(a) Diagramme de phase où la différence d’aire∆Aest représenté en fonction du volume réduitv
(b) Formes de bretzel : genus=2 ; les lettresse réfèrent aux zones du diagramme de phase1.14(a)
Figure 1.14 –Formes de genus=2 [65]
présenté sur la figure 1.9, ou encore l’enroulement de tubes de myéline lors de l’addition de
polymères substitués avec des groupes hydrophobes (cf figure 1.13).
Figure 1.15 –Tores : genus=1 [65]
-
1.4. TRAVAUX RÉCENTS DE CISAILLEMENT DE VÉSICULES 35
1.4 Travaux récents de cisaillement de vésicules
Les effets des écoulements hydrodynamiques sur les vésicules ont fait l’objet de plusieurs
travaux, d’abord inspirés par les problèmes qui se posent en physiologie, dans le contexte de
la circulation des globules rouges dans le système sanguin. On cherchait à comprendre les dif-
férentes formes de globules rouges observées et leurs relations avec la chute de pression dans
les vaisseaux capillaires, dont le diamètre est souvent plus petit ou du même ordre de grandeur
que la taille du globule. Les premières réflexions sur le couplage membrane-écoulement ont
surtout été dirigées vers les descriptions des différents modes de relaxation des objets membra-
naires [70, 71]. Il s’agissait ici de comprendre l’effet de l’hydrodynamique sur les corrélations
temporelles des fluctuations des membranes. De nombreux travaux ont été menés dans les sys-
tèmes de membranes organisées, mais aussi dans les systèmes de vésicules, où l’on montre par
exemple que pour des membranes imperméables, avec les conditions de non-glissement entre le
fluide et la paroi, les modesulm décrivant la forme de la vésicule, relaxent exponentiellement :
〈ulm(t)ulm(0)〉 = |ulm(0)|2 exp(− t
τlm
)avec :
τlm =ηR30kc
Z(l)
l(l + 1) +σR20kc
où : Z(l) =(2l + 1)(2l2 + 2l − 1l(l + 1)(l + 2)(l − 1)
Dans ces équations, on voit apparaître le temps caractéristique des fluctuations de membranes :
τkc = ηR30/kc. Pour des vésicules de 20µm de rayon dans l’eau, aveckc=22kBT , on aτkc '0.1s.
La description des effets hydrodynamiques dans des champs d’écoulement est plus lourde à
mettre en œuvre. Des travaux théoriques sont souvent soutenus par des résolutions numériques
des équations gouvernant le mouvement du fluide et de la membrane [77]. C’est justement le
couplage entre la déformation de la membrane et le champ de vitesse du fluide qui n’est pas
facile à traiter. En effet, une fois que les couplages écoulement-membrane ont été définis –
perméabilité, écoulement. . . –, il faut calculer à la fois le champ de vitesse à bas nombre de
Reynolds dans le régime de Stokes, avec des conditions aux bords sur une surface de forme
arbitraire, puis déterminer cette forme avec les conditions d’équilibre entre les forces élastiques
et les forces visqueuses dérivant du champ de vitesse. Numériquement, il a été possible de
traiter un certain nombre de situations. Pour une membrane se déplaçant dans un écoulement
uniforme, les vésicules peuvent adopter des formes très éloignées de la sphère [72] (cf. figure
1.16).
-
36 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
Figure 1.16 –Formes obtenues lorsqu’une vésicule est poussée avec une force uniforme dans unenvironnement visqueux; a) vue verticale, la force est dans le plan de la figure ; b) vue frontale, laforce pousse vers le bas de la figure [72]
Une vésicule placée dans un écoulement de cisaillement est également déformée (cf. figure
1.17). Cette déformation dépend des propriétés mécaniques de la bicouche lipidique, de la taille
de la vésicule, et de la viscosité du milieu environnant. Là encore, théorie et expériences sont
en accord [76,78,79]. Pour des taux de cisaillement faibles, la vésicule s’oriente en formant un
angle maximal de 45◦ avec les lignes de courant, et elle se déforme. Le paramètre qui permet
d’évaluer cette déformation est obtenu en assimilant la vésicule à une ellipse et en mesurant la
longueur de ses axes. Ce paramètre est une fonction deγ̇ et de l’excès de surface de la mem-
brane. Ainsi, pour pouvoir se déformer et atteindre une forme allongée, la vésicule consomme
une partie des fluctuations de sa membrane et donc devient plus tendue.
Il a aussi été montré que la vésicule subit une force d’ascension qui peut la décoller du sub-
strat sur lequel elle reposait. Cela avait été observé dès 1836 par Poiseuille, qui avait remarqué
la tendance qu’ont les globules rouges à s’éloigner d’une paroi. Plus récemment, d’autres tra-
vaux portant sur les globules rouges ont eu pour but d’améliorer les conditions expérimentales et
la précision des résultats. Expérimentalement et théoriquement, il a été montré qu’une vésicule
non adhérente se décolle partiellement de son substrat et que l’axe de la vésicule forme un angle
avec la paroi [73–75]. Une expérience typique issue des résultats de A.Viallat est reportée sur la
figure 1.18. Sur cette série d’images, la vésicule est photographiée de côté et la direction qu’elle
prend est symbolisée par un trait blanc. L’orientation devient indépendante du taux de cisaille-
ment (̇γ) quand ce dernier atteint une valeur critique (de l’ordre de quelquess−1), qui dépend
du volume réduit de la vésicule. La vitesse de décollement dépend de plusieurs paramètres :
le taux de cisaillement, le rayon initial de la vésicule et sa distance à la paroi. Son expression,
obtenue théoriquement, est de la formevlift = Uγ̇R30/h
2 où U dépend du volume réduit de la
vésicule. Pour les faibles valeurs deγ̇, la vésicule connaît deux mouvements simultanés : une
translation le long du substrat et une rotation autour de la zone de contact avec le substrat. Ces
-
1.4. TRAVAUX RÉCENTS DE CISAILLEMENT DE VÉSICULES 37
Figure 1.17 –Vésicules dans un cisaillement; le taux de cisaillement augmente des figures a) à i)de γ̇=0 s−1 à γ̇=15 s−1 [78]
deux mouvements se font avec une vitesse indépendante du volume réduit, mais directement
proportionnelle à̇γ.
Enfin, un cas plus complexe, mais très étudié dans le contexte de l’adhésion cellulaire est
celui où il existe une force d’adhésion entre la vésicule et le substrat [81]. Par des expériences en
fluorescence, il est possible de montrer par exemple, que les lipides de la membrane se déplacent
latéralement [82]. De plus, la vitesse de déplacement des lipides est proportionnelle à la vitesse
de l’écoulement : elle est donc maximale au sommet de la vésicule. Plusieurs études se sont
Figure 1.18 –Vesicule vue de côté pour a)̇γ = 0 s−1, b) γ̇ = 0.4s−1, c) γ̇ = 0.9s−1, d) γ̇ = 1.1s−1,e) γ̇ = 2.5s−1 [73]
-
38 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
intéressées à la relation entre la force agissant sur la vésicule et la vitesse d’écoulement [83,84].
Expérimentalement, on observe souvent le comportement d’accrochage puis de roulement de
leukocytes ou de billes colloïdales fonctionnalisées dans des chambres d’écoulement dont la
paroi est couverte de molécules adhésives. Il s’agit de prévoir les fréquences des événements
adhésifs sous écoulement.
Dans le domaine des phases organisées, des problématiques similaires ont été abordées, de
façon à comprendre par exemple, les changements de symétrie cristalline induits par le cisaille-
ment, ou encore le comportement rhéologique des suspensions. En particulier, certains travaux
de Roux [85–88] ont porté sur le cisaillement de phases lamellaires. Les phases lamellaires
ont à la fois une organisation cristalline et des caractéristiques proches de celles des liquides
comme la viscosité. Il a été démontré qu’elles sont stabilisées par des répulsions électrosta-
tiques et par des forces d’ondulation. Soumettre un tel système à un cisaillement perturbe son
organisation spatiale et peut provoquer des transformations radicales de sa structure. Les expé-
riences réalisées ont montré que pour une valeur limite du taux de cisaillement, caractéristique
de la composition du système, les bicouches se cassent, se courbent, et des vésicules multila-
mellaires apparaissent. Des diagrammes de phase ont pu être établis selon la composition du
système et le taux de cisaillement appliqué et en fonction de la température. Les structures qui
peuvent être formées sont des oignons de petite ou de grande taille, et dans un état plus ou moins
ordonné. De plus, on a pu observer par diffusion de neutrons que les bicouches de la phase la-
mellaire (Lα) s’orientent selon la direction du cisaillement. Des travaux plus récents ont montré
que cette orientation est différente selon le taux de cisaillement (γ̇) imposé : à faiblėγ, les la-
melles sont parallèles au flux, à unγ̇ fort, l’orientation est perpendiculaire, et àγ̇ intermédiaire,
l’orientation est biaxiale [89–91]. L’équipe d’Escalante a suivi la transformation de phasesLαen vésicules multilamellaires par la mesure de la viscosité du système en fonction duγ̇ appli-
qué. Ils ont pu identifier trois étapes lors de cette transformation, dont la durée d’existence varie
avec la nature des constituants du système.
Enfin, une étude particulièrement pertinente pour nos travaux est celle publiée par Yamamoto
et Tanaka, qui concerne le comportement d’une phase lyotrope très diluée, sous cisaillement
[92]. Dans cette étude, une phase lamellaire de tensioactifs, diluée à 1.8%, est placée dans une
rhéomètre Couette, et initialement orientée de façon à ce que les lamelles soient parallèles aux
parois de la cellule. L’échantillon est illuminé en lumière blanche, et observé en réflexion : un
pic de Bragg est détecté, qui prouve la présence de la phase lamellaire et permet de calculer la
distance moyenned entre les lamelles. Les auteurs montrent que ce pic de Bragg évolue avec
le taux de cisaillement, imposé par la rotation d’un des cylindre de la cellule Couette. Dans
-
1.4. TRAVAUX RÉCENTS DE CISAILLEMENT DE VÉSICULES 39
la gamme de taux de cisaillements étudiée,γ̇[1..15s−1], il apparait clairement que la distance
d diminue avecγ̇. Ce comportement est interprété comme la signature d’une diminution des
fluctuations des lamelles.
-
40 CHAPITRE 1. MEMBRANES CELLULAIRES ET BICOUCHES FLUIDES
-
CHAPITRE 2
Techniques expérimentales
41
-
42 CHAPITRE 2. TECHNIQUES EXPÉRIMENTALES
Sommaire
2.1 Préparation des vésicules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .43
2.1.1 Méthodes de fabrication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .43
2.1.2 Mécanisme de formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .46
2.1.3 Transfert des vésicules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .47
2.2 Expériences de micropipette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49
2.2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49
2.2.2 Principe de l’expérience de succion . . . . . . . . . . . . . . . . . .50
2.2.3 Calcul des grandeurs caractéristiques de la membrane . . . . . . . . .52
2.2.4 Notre montage expérimental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .57
2.3 RICM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
2.3.1 Principe et montage expérimental . . . . . . . . . . . . . . . . . . .66
2.3.2 Détermination du profil de la vésicule. . . . . . . . . . . . . . . . . .74
2.3.3 Spectre de fluctuations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .76
2.3.4 Caractérisation du premier anneau de Newton . . . . . . . . . . . . .77
2.4 Cisaillement alternatif de vésicules géantes . . . . . . . . . . . . . . . . .82
2.4.1 Le dispositif expérimental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .82
2.4.2 Étalonnage du dispositif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .84
2.4.3 Modifications induites par la présence d’une sphère dans l’écoulement89
-
2.1. PRÉPARATION DES VÉSICULES 43
Dans ce deuxième chapitre, nous présentons les différentes techniques expérimentales que
nous avons utilisées pour mesurer l’influence d’un cisaillement alternatif sur des vésicules
géantes. Ces vésicules sont facilement observables et manipulables sous un microscope optique.
Leur mode de préparation est décrit dans la section 2.1. Ces vésicules sont souvent manipulées
à l’aide d’une micropipette sous le champ du microscope. Cette technique permet de mesurer la
relation qui existe entre la tension d’une membrane et l’excès de surface consommé par les fluc-
tuations. Nous décrivons le montage et analysons en détail dans la section 2.2 les formules que
nous utiliserons pour évaluer le module de courbure des vésicules. Les résultats que nous avons
obtenus à l’aide de la micropipette ont été confirmés et complétés à l’aide de l’observation en
microscopie par contraste interférentiel en réflexion (R.I.C.M.). Cette technique, décrite dans la
section 2.3, permet de connaître l’état de tension d’une membrane au voisinage immédiat d’un
substrat. Enfin, nous terminerons ce chapitre par la description de notre appareillage de cisaille-
ment alternatif. Ce montage original permet de créer un gradient de cisaillement autour de la
vésicule étudiée sans la déplacer. Nous décrirons la configuration expérimentale et analyserons
les mouvements du fluide dans un tel système.
2.1 Préparation des vésicules
2.1.1 Méthodes de fabrication
Différentes techniques permettent de former des vésicules géantes. Dans les paragraphes sui-
vants, nous décrivons deux d’entre elles. La première, dited’électroformation, est une technique
mise au point empiriquement à la fin des années 1980, et utilisée dans de nombreux travaux por-
tant sur des GUV. La publication d’Angelova [47] a clarifié les conditions optimales de mise en
œuvre de cette technique. La seconde, ditede formation spontanée, présente d’autres avantages.
Méthode d’électroformation.
Cette méthode est la plus efficace pour préparer des vésicules géantes unilamellaires en
quelques heures. Le lipide est solubilisé dans du chloroforme à une concentration de 0,2 mg/ml.
Environ 50 microlitres de cette solution sont déposés sur une lame de verre de 10cm2 envi-
ron, dont une face est recouverte d’ITO (Indium Titane Oxide). Le dépôt est fait à l’aide d’une
seringue sur la face conductrice de la lame. Après une dizaine d’heures de séchage dans une
enceinte sous vide, le solvant est totalement évaporé. La lame de verre est alors recouverte par
-
44 CHAPITRE 2. TECHNIQUES EXPÉRIMENTALES
une seconde lame, elle aussi conductrice, les deux faces conductrices étant scellées en vis-à-vis
avec une cire inerte (Vitrex, Danemark), de manière à former une cellule fermée d’environ 1mm
d’épaisseur. Cette cellule est enfin remplie avec une solution de sucrose1 concentrée à 0.1M,
rendue étanche, et branchée à un générateur de tension. Le protocole que nous avons utilisé
consiste à imposer une tension alternative d’une amplitude de 5 V et d’une fréquence de 10 Hz
(cf. figure 2.1)
d’ITO
joint étanche film sec de phospholipides
tension alterative5V,10Hz
lames recouvertes
Figure 2.1 –Préparation des vésicules
La pousse des vésicules selon cette méthode se déroule en plusieurs étapes (cf. figure 2.2).
Tout d’abord, le film de phospholipides vibre dans la direction du champ électrique et se gonfle
(cf. figures 2.2a et b). Puis, de petites vésicules multi et unilamellaires apparaissent à la surface
du film. Elles continuent à augmenter de taille, et les vésicules unilamellaires qui atteignent
10 à 20 microns de diamètre ont tendance à être facilement déstabilisées par les mouvements
du fluide environnant : elles fusionnent pour former de plus grosses vésicules, ou au contraire,
se détruisent, et leur membrane se redépose sur la couche inférieure de vésicules (cf. figure
2.2c). Enfin, environ 30 minutes après le début de la pousse, la plupart des vésicules unila-
mellaires sont formées, et elles augmentent de taille régulièrement (cf. figure 2.2d). Les plus
grosses peuvent atteindre une centaine de microns de diamètre (cf. figure 2.3). La population de
vésicules obtenue est très polydisperse en taille.
1Le sucroseest plus couramment appelésaccharose.
-
2.1. PRÉPARATION DES VÉSICULES 45
d)
a) b)
c)
Figure 2.2 –Formation des vésicules géantes unilamellaires
Figure 2.3 –Vésicules au bout d’une heure de formation : image sous microscope en mode trans-mission ; objectif x40
Formation spontanée de vésicules géantes.
Cette technique consiste à hydrater un film de phospholipides, et à attendre quelques jours, de
façon à ce que les molécules s’auto-organisent. Nous avons testé cette méthode sur deux types
de substrats différents :
• Pousse entre deux lames de verre :la cellule de pousse est similaire dans sa géométrie àcelle utilisée pour l’électroformation, mais on utilise de simples lames de verre non métal-
lisées.
• Pousse sur une pastille de téflon :on dépose environ 30µl d’une solution de phospholipideconcentrée à 1mg/5ml dans du chloroforme sur une pastille de téflon d’environ 1cm de
diamètre. Pour un bon étalement de la solution, le téflon a été préalablement rayé avec du
papier de verre de manière à former des sillons assez profonds et ainsi rendre la surface
-
46 CHAPITRE 2. TECHNIQUES EXPÉRIMENTALES
suffisamment rugueuse. Le film de phospholipide déposé sur cette surface est séché pen-
dant environ vingt-quatre heures sous vide. La pastille est alors déposée dans un flacon
ouvert sous une atmosphère saturée en vapeur d’eau. On laisse la vapeur d’eau hydrater le
film lipidique pendant vingt-quatre heures, puis on recouvre la pastille sur quelques milli-
mètres avec une solution de sucrose. Le tout est laissé au repos à environ 37◦C. Au bout
de quelques jours, on observe une sorte de petit nuage blanc, constitué de vésicules, dans
la solution à proximité de la surface de téflon. Ce petit nuage est prélevé et peut être utilisé,
une fois transféré dans une solution de glucose. Dans le cas de la pousse entre lames de
verre comme dans celui de la pousse sur téflon, on obtient un mélange très inhomogène de
vésicules unilamellaires, multilamellaires et d’agrégats de phospholipides. On peut trouver
aussi des vésicules non sphériques. D’une manière générale, les vésicules obtenues ainsi
sont beaucoup plus molles que celles obtenues par électroformation.
Choix de la méthode de formation
Quelques expériences menées sur des vésicules unilamellaires obtenues par formation spon-
tanée sur du téflon ont révélé que leurs propriétés mécaniques étaient très proches de celles
des vésicules électroformées. De plus, très peu de vésicules unilamellaires de grande taille sont
obtenues par cette méthode. Nous avons donc choisi de n’utiliser que la méthode d’électrofor-
mation pour fabriquer nos vésicules géantes.
2.1.2 Mécanisme de formation
Bien que ce phénomène ne soit pas encore complètement expliqué, l’effet d’un champ élec-
trique sur des cellules vivantes a été observé depuis longtemps [37, 38]. Selon les caractéris-
tiques du champ électrique appliqué, les érythrocytes peuvent s’allonger, fusionner, changer
de forme ou réaliser une combinaison de ces phénomènes. Le mécanisme de la formation de
vésicules géantes unilamellaires en présence d’un champ électrique oscillant n’est pas encore
très bien connu. Plusieurs explications ont cependant été suggérées, parmi lesquelles une inter-
action électrostatique directe entre l’électrode et la bicouche, des réactions électrochimiques,
l’injection dans la membrane de charges venues des électrodes. . .
Sens et Isambert proposent une explication basée sur la déstabilisation du film lipidique due à
une accumulation de charges de part et d’autre de la bicouche [93]. Le champ appliqué induirait
une tension sur la bicouche suffisamment forte pour engendrer des fluctuations qui gonflent le
-
2.1. PRÉPARATION DES VÉSICULES 47
film et le courbent. Ce processus serait une première étape dans la formation des vésicules.
Plusieurs paramètres jouent un rôle important dans la formation des vésicules lipidiques uni- ou
multilamellaires, comme les propriétés électriques des lipides, leur encombrement stérique, la
longueur de chaîne, ou encore l’asymétrie de la membrane et la pression osmotique du milieu.
Molina a proposé un modèle basé sur la géométrie et sur la thermodynamique des systèmes
dispersés [94, 95]. Ce modèle décrit l’énergie nécessaire à la formation du liposome comme la
somme de l’énergie mécanique de la surface, de l’énergie de courbure, et de l’énergie liée à
la variation de l’excès de potentiel chimique. Ce dernier terme provient de la modification de
la tension de surface de l’eau par la présence de phospholipides. Molina définit une relation
entre la variation du potentiel chimique, la surface occupée par la tête du tensioactif, le rayon
de la vésicule, et l’épaisseur de sa membrane. Les calculs obtenus semblent en accord avec les
données expérimentales pour plusieurs phospholipides. De plus, il montre que les fusions de
vésicules sont thermodynamiquement favorables car elles permettent la formation de vésicules
de plus grande taille qui sont plus stables.
2.1.3 Transfert des vésicules
Les vésicules sont préparées par électroformation selon la méthode décrite au paragraphe
2.1.1 dans une solution de sucrose de concentration 0.1mol/l, soit 4% en concentration mas-
sique. Une fois que les vésicules ont atteint la taille d’environ 40µm de diamètre, le champ
électrique est stoppé. La cellule étanche d’électroformation sert alors de réserve de vésicules,
dont la durée de vie à température ambiante est d’environ une journée. Il est bien sûr possible
d’observer les vésicules dans la cellule de formation (cf. figure 2.3), mais il est nécessaire en-
suite de les transférer dans une autre cellule dite d’observation, décrite ci-après, afin de les
disperser et les manipuler. Pour une campagne de mesures on prélève quelques microlitres de
cette solution mère que l’on dépose dans la cellule d’observation, qui contient déjà environ 3
ml d’une solution de glucose. La solution de glucose est iso-osmotique à la solution mère de
sucrose : la concentration molaire en sucrose est de 0.113 mol/l, équivalant à une concentration
massique de 2%. Les tableaux ci-après donnent à titre d’information les paramètres de densité
et d’osmolarité des solutions de glucose et de sucrose pour diverses concentrations.
L’ef