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Géopolitique de l’énergie Tendances actuelles et approches critiques
Romain j. Garcier Laboratoire Environnement Ville Société – UMR5600 CNRS
La géopolitique, un terme polysémique Son usage médiatique est
abondant, et parfois indiscriminé (Bernard Guetta)
Il constitue une pratique académique un peu marginale: Le concept est marqué par son
usage dans l’Allemagne des années 30
La géopolitique est pratiquée dans les écoles de guerre (Chauprade)
Mais il existe aussi une gp « critique », plus géographique (Y. Lacoste)
Pourquoi ces considérations sont-elles importantes? Parce que la géopolitique est un savoir scientifique qui permet de décrire des situations complexes, pas une science hypothético-déductive. Chauprade: « La géopolitique se définit comme l'étude des relations politiques entre trois types de pouvoirs, les pouvoirs étatiques – États – les pouvoirs intra-étatiques – mouvements sécessionnistes, rébellions... – les pouvoirs transétatiques – réseaux criminels, terroristes, multinationales... C'est en mettant en évidence l'importance des critères de la géographie – physique, identitaire, des ressources – que la géopolitique, sans prétendre pour autant clore l'analyse des relations internationales, apporte un éclairage sur ces forces profondes de l'histoire » Lacoste: « Par géopolitique, au sens fondateur du terme, j’entends des rivalités de pouvoirs sur du territoire qu’il soit de grande ou de petite dimension, y compris au sein des agglomérations urbaines. Le territoire géographique est essentiel en géopolitique mais il ne s’agit pas seulement du territoire en tant que tel, avec son étendue, ses formes de relief et ses ressources, mais aussi des hommes et des femmes qui y vivent et des pouvoirs qu’ils acceptent et ceux qu’ils combattent, en raison de l’histoire qu’ils se racontent à tort et à raison, de leurs craintes et des représentations qu’ils se font d’un passé plus ou moins lointain et de l’avenir plus ou moins proche.»
Géopolitique appliquée Géopolitique critique
La géopolitique se pense par rapport à l’Etat
La pluralité des acteurs à prendre en compte est revendiquée
Le paradigme est « réaliste » : intérêts objectifs (geopolitical goals), idéologies. Les concepts sont souvent monolithiques, essentialisés (the « Russian mind », l’identité ethnique ou religieuse)
Le paradigme est « critique » : représentations collectives, alliances et asymétries de pouvoir sont au cœur des rivalités
Le cadre privilégié est le global, dans le cadre de la « grande géopolitique » (relations internationales)
La variation des niveaux scalaires et de leur articulation est au cœur de la démarche
La géographie fournit un cadre physique, une distribution des identités, et un inventaire des ressources
La géographie invite à superposer des ordres de réalité, structurés par des ensembles spatiaux
La visée de la géopolitique est prescriptive et performative : le « choc des civilisations » de S. Huntington
La visée de la géopolitique est critique : mettre en évidence des asymétries de pouvoir
Ces approches en arrivent donc à produire des analyses opposées d’une même situation! mais partagent un même intérêt pour les cartes
Cela ne nous simplifie pas la tâche pour faire une géopolitique de l’énergie
Comment faire sens du « géo »? Comment faire sens du « politique »? Comment faire sens de « l’énergie »?
Et les experts de la gp de l’énergie ne nous aident pas, parce qu’ils ne définissent pas leur usage du terme « géopolitique »… comme s’il allait de soi!
Trois propositions - Dresser une sorte de tableau géopolitique rapide de
l’énergie sans verser dans un sens ou dans l’autre - Mobiliser quelques auteurs utiles, qui ne sont pas
géopoliticiens, pour éclairer certains aspects des géopolitiques contemporaines de l’énergie: Mitchell, Barry et Hecht.
- Ouvrir à la discussion
UNE GÉOPOLITIQUE (PARMI D’AUTRES) DE L’ÉNERGIE
Les échanges énergétiques constituent 17% du commerce mondial en valeur (3000M/18000M$)
• 70% en valeur proviennent du pétrole
• Le charbon reste peu échangé sur les marchés mondiaux
L’irruption des gaz non conventionnels modifie complètement le marché des hydrocarbures
Entre 1950 et 2000, la consommation d’énergie globale
augmente fortement, mais la composition du mix reste relativement stable.
Trois facteurs font évoluer rapidement le paysage énergétique global depuis 2005: l’augmentation rapide de la consommation des pays non OCDE
(42% EnPrimaire en 2000, 58% en 2011) le rapide développement des hydrocarbures (gaz) non
conventionnels L’affirmation de la contrainte climatique et de la TrEn.
Zones de prod/zones de conso sont distinctes => Enjeu de la sécurisation énergétique et du contrôle des flux
La sécurisation énergétique…
… créatrice de tensions
Les détroits, points critiques
La géopolitique des tubes
Sur cette base, comment analyser la situation?
B. Giblin : « l’énergie est un facteur géopolitique » du point de vue des ressources, et du point de vue des technologies.
Elle est utilisée dans les rapports de force. Exemple: Russie/Ukraine; Daech/pétrole; baisse actuelle du pétrole; 1973 : choc pétrolier.
Elle participe à l’intégration/désintégration politique des territoires
TROIS APPROCHES CRITIQUES
Timothy Mitchell La thèse: « les contours et les transformations des
régimes politiques dits "démocratiques" ont été largement déterminés par les propriétés géophysiques des principales énergies carbonées, le charbon d'abord, puis le pétrole. »
Le pétrole a servi de base à la fondation du système monétaire de l’après-guerre et à la structuration d’un nouvel objet, l’économie, qui sape les revendications démocratiques. La dépendance au pétrole est donc organisée.
Les USA soutiennent des états avec lesquels ils partagent fort peu… Voyons par exemple comment Mitchell analyse la crise du pétrole de 1973
Dès 1970, le terme de « crise de l’énergie » apparaît aux USA. Mitchell montre que cette campagne est un mécanisme performatif, mobilisé par le lobby pétrolier pour faire monter les prix. Les compagnies pétrolières rachètent les compagnies gazières pour éviter la concurrence.
Le 16 octobre 1973, l’OPEP décide d’une augmentation de 70% des taxes à la production de pétrole (pour compenser le manque à gagner lié).
Le 17 octobre 1973, six pays pétroliers arabes (PAS l’OPEP) annoncent une baisse mensuelle de 5% de leur production jusqu’à résolution du conflit israélo palestinien. Puis embargo envers les USA.
Les deux choses ne sont pas liées: le but n’EST pas de faire monter les prix du pétrole, mais 1° de compenser les manques à gagner pour les Etats et 2° de faire pression sur USA et Israël.
Mais explosion des prix du pétrole… Jeu de l’offre et de la demande?
A l’époque, il n’existe aucun mécanisme d’information sur les prix (publication d’un prix ou indice global) auquel les compagnies avaient toujours résisté (l’IPE de Londres date de 1980 et le cours du Brent est coté depuis … 1988). Aucun chiffre global de production non plus…
L’augmentation des prix est donc purement instrumentale. Elle sert plusieurs buts: Augmenter les profits des entreprises américaines Savonner la planche du Japon et de l’Europe, beaucoup plus dépendantes… Relancer l’exploration pétrolière aux USA (notamment en Alaska) Créer de nouveaux marchés pour l’exportations d’armes au Moyen-Orient
(jusque-là clients des Européens) Combattre les prétentions environnementalistes
= « La » crise de l’énergie est en réalité quelque chose de composite, de construit, pas l’expression du jeu de l’offre et de la demande.
Andrew Barry BTC : entre 2003 et 2006, le plus grand projet de
construction du monde (1760km). Il répond à des considérations « géopolitiques » (éviter l’Iran et la Russie)
Dans la pratique, comme objet matériel, il sert de support à de nouvelles pratiques de « gouvernance » et de « transparence » – et donc, à une production massive d’information.
Cette information, contre-intuitivement, donne naissance à de nouvelles controverses : l’information ne permet pas la création d’accords sur les choses.
Gabrielle Hecht GH analyse la place de l’uranium africain
dans le développement global du nucléaire Elle montre que l’uranium est un construit
« technopolitique » - par exemple, « l’uranium du Niger » pour Saddam Hussein
Cette construction technopolitique de l’uranium comme objet nucléaire, ou non, a des incidences majeures sur: la forme des contrats, la nature des safeguards, la sûreté des travailleurs dans les mines.
Quels enseignements pour les géopolitiques de l’énergie?
1) Il est impossible d’analyser la portée (géo)politique des énergies en se fondant uniquement sur leur technologie, leur localisation ou les caractéristiques des marchés – isolément de la signification des énergies et de leur insertion dans des rapports de pouvoir diffus et complexes.
2) Les enjeux géopolitiques ne sont pas constants à travers les niveaux scalaires. Quel niveau est le plus important au pdv analytique?
3) Il est nécessaire de prendre au sérieux la manière dont le énergies sont « socialement construites ».
Trois questions ouvertes Mitchell: si les énergies orientent le fonctionnement
politique, quelles sont les conséquences politiques des ENR? Barry: si l’information sur les choses (et l’énergie)
ne suffit pas à produire des accords, quel rôle donner à la connaissance dans la transition? Hecht: comment faire exister d’autres voix sur la
place des énergies dans le monde?