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LE TOUCHER EN CONSCIENCE DANS LE LIEN DE CONFIANCE
Mémoire de fin d’études
IFSI DES DIACONESSES DE REUILLY
Jennifer RICHARD
Directeur de mémoire : Rosaline BOURGUIGNON
Soutenu le 29 mai 2019
Note aux lecteurs :
« Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication en tout ou partie sans l’accord de son auteur. »
« Souvent, toucher, effleurer même, vaut mieux que parler. »
Éric ORSENNA, La révolte des accents (2007)
« […] comme on transforme sa main en la mettant dans une autre. »
Paul ÉLUARD, « Nuits partagées », La Vie immédiate (1932)
REMERCIEMENTS
Je tenais tout d’abord à remercier ma directrice de mémoire, Rosaline BOURGUIGNON,
pour sa bienveillance, son sourire et sa bonne humeur. Elle s’est toujours montrée présente et
a su m’accompagner tout au long de ce travail de recherche malgré mes doutes et mes
incertitudes.
Je remercie également Françoise JARDON, documentaliste de l’IFSI des Diaconesses, pour
ses conseils précieux et sa disponibilité.
Enfin, ce mémoire n’aurait pu voir le jour sans l’aimable participation de ces infirmières qui
ont accepté de donner de leur temps pour répondre à mes questions.
À l’issue de ces trois années de formation, je voulais aussi remercier l’ensemble des
formateurs de l’IFSI des Diaconesses et tous les professionnels rencontrés sur mes différents
lieux de stage. Grâce à eux, j’ai pu prendre confiance en moi et en mes capacités.
Enfin, mes pensées vont à mon conjoint et à mes deux petits garçons qui m’ont suivie dans
cette aventure, un peu malgré eux ainsi qu’à mes parents, à ma sœur et à mes amis qui m’ont
soutenue et encouragée tout au long de cette formation.
Et encore un dernier merci à la Vie et à toutes les belles rencontres qu’elle sait nous offrir.
INTRODUCTION ······························································································ 1
S’INTERROGER SUR UNE EXPERIENCE VECUE ·············································· 3
Description de la situation d’appel ··········································································· 3
Analyse et questionnement ····················································································· 4
QUE NOUS DIT LA THEORIE ? ········································································· 6
Face à la souffrance psychologique du patient… ························································· 6
Qu’est-ce que la souffrance ? ·············································································· 6
Les différentes composantes de la souffrance ·························································· 7
La souffrance de la personne malade ···································································· 7
…L’instauration d’une relation de confiance avec le patient est nécessaire ······················· 8
Qu’est-ce que la confiance ? ··············································································· 8
L’importance d’un lien de confiance dans la relation soignant-soigné ······················· 10
La relation d’aide au cœur du lien entre le patient et le soignant ····································· 12
…Et le toucher peut nous y aider. ·········································································· 13
La place du toucher dans nos relations interpersonnelles ········································ 14
Qu’entend-on par « toucher conscient » ? ···························································· 16
Ses applications en soins infirmiers ···································································· 18
EN PRATIQUE ······························································································· 22
Méthodologie de l’enquête ··················································································· 22
Les objectifs ·································································································· 22
L’outil d’enquête···························································································· 22
Lieux et population ciblée ············································································22
Les modalités de réalisation ·········································································23
Limites et biais ·························································································24
Présentation des résultats bruts ·············································································· 25
Question 1 ···································································································· 25
Question 2 ···································································································· 26
Question 3 ······························································································26
Question 4 ······························································································27
Question 5 ······························································································27
Question 6 ···································································································· 27
Question 7 ······························································································28
Question 8 ······························································································28
Question 9 ······························································································29
Analyse des résultats ·························································································· 29
« Bien comprendre ce que la personne vit » avant de la toucher ······································ 30
Que « ça réponde à un besoin » de sa part d’être touchée ······································· 32
Et puis « improviser comme ça, à l'intuition » ····················································34
CONCLUSION ································································································ 37
BIBLIOGRAPHIE ··························································································· 38
TABLE DES ANNEXES ··················································································· 41
Annexe I : Schéma de la souffrance globale ··························································42
Annexe II : Modèle conceptuel du toucher intentionnel (A. Connor) ····························43
Annexe III : Guide d’entretien ·········································································44
Annexe IV : Entretien IDE 1 ···········································································46
Annexe V : Entretien IDE 2 ············································································52
Annexe VI : Entretien IDE 3 ···········································································57
Annexe VII : Entretien IDE 4 ··········································································62
Annexe VIII : Entretien Socio-esthéticienne ··························································70
1
INTRODUCTION
L’homme est un être de relation. En relation avec son environnement, en relation avec ses
semblables. Il utilise ses cinq sens que sont la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher pour
façonner sa perception du monde et sa perception de lui-même par rapport au monde.
Seulement parmi tous ces sens, il n’y en a qu’un seul dont il ne pourra jamais se défaire : c’est
le toucher.
« La peau ne peut refuser un signe vibrotactile ou électrotactile : elle ne peut ni fermer les
yeux ou la bouche, ni se boucher les oreilles ou le nez. »1
Le toucher est au cœur de notre métier de soignant. « 85% des soins infirmiers nécessitent le
toucher pour être effectués. »2. Mais de quel toucher parle-t-on ?
Laver, désinfecter, panser… Le toucher technique, on l’apprend « facilement » puis on le
maîtrise. Pourtant, le toucher, c’est aussi un incroyable outil de mise en relation. Aujourd’hui
de nombreux écrits attestent de ses bienfaits dans les soins et dans la relation à l’autre. Mais
que met-on derrière cet acte ? Qu’est-ce qui différencie un simple toucher technique d’un
véritable toucher relationnel ?
Très tôt dans ma formation, lors de mes expériences de stage, j’ai été confrontée à un
questionnement sur le toucher, et plus particulièrement sur le toucher « juste ». Face à la
détresse des patients, et ne sachant trop quoi leur dire, je me permettais parfois une caresse.
Mais prise de doutes, je me demandais si mon geste était adapté, si je n’avais pas été trop
intrusive. Cette ambivalence entre mon statut de future soignante qui, par définition, touche
des corps, et ma propre personnalité, m’a amenée à discuter avec d’autres professionnels sur
ces difficultés relationnelles. Ils m’ont tous répondu que cela viendrait avec l’expérience et
qu’il existait des formations adaptées. Pourtant, j’ai l’intuition que tout n’est pas si simple.
Trop de fois, je me suis cachée derrière un toucher technique pour éviter d’être confrontée à la
souffrance des patients. J’ai l’impression que plus que le geste, simplement appris, c’est
l’intention qui y est mise qui lui donne tout son sens. La situation que j’ai vécue par la suite
me l’a joliment confirmé.
Ainsi, après une description et une analyse de cette situation, je me suis posée une question
qui m’a servi de départ pour orienter ma recherche. Puis, à travers la littérature existante, j’ai
tenté de répondre à cette interrogation en étudiant la place du toucher au sein de la relation 1 ANZIEU Didier. Le Moi-peau. Éditions Dunod. 1985. 304 pp. 2 DELALIEUX Pascale, JÉGOU Édith, MALAQUIN PAVAN Évelyne, NECTOUX Martine. « Soin, approche corporelle et toucher-massage », Soins gérontologie n° 27. Janvier/Février 2001. pp. 20-22.
2
soignant-soigné. Enfin, pour confronter la théorie à la pratique, j’ai mené plusieurs entretiens
auprès d’infirmiers travaillant en médecine oncologique et en service de soins palliatifs. De
l’analyse de leurs réponses et des hypothèses qui en ont émergé, j’en ai déduit une question de
recherche qui pourra faire l’objet d’une réflexion plus approfondie dans d’autres travaux.
3
S’INTERROGER SUR UNE EXPÉRIENCE VÉCUE
Description de la situation d’appel
Nous sommes le 3 avril 2018. J’effectue, depuis trois semaines maintenant, un stage en
hôpital de jour dans une structure réputée dans la prise en charge des cancers, et notamment
du cancer du sein. Dans ce service, les patients viennent recevoir leur traitement de
chimiothérapie pour quelques heures puis rentrent chez eux. Ils sont accueillis et installés
dans de grandes salles de soins. Ce jour-là, je travaille avec d’autres infirmières dans une salle
ouverte pouvant accueillir jusqu’à neuf patients. Je viens de prendre en soin une patiente âgée
de 45-50 ans. Elle est atteinte d’un cancer du sein métastasé. Je suis à ma troisième semaine
de stage et je commence à plutôt bien maîtriser la pose d’aiguille sur PAC3, l’infirmière qui
m’encadre ce jour-là me laisse réaliser le soin en autonomie. Pendant que je prépare le
matériel, j’interroge la patiente sur les éventuels effets que sa dernière cure a pu provoquer. Je
lui demande comment elle se sent. Elle soupire : « Fatiguée ! ». Je cherche alors à connaître
l’intensité de cette fatigue sur une échelle de 1 à 10, si elle a eu besoin de faire des siestes
dans la journée, combien de temps cette fatigue dure habituellement entre chaque cure. Je
sens qu’il ne s’agit pas seulement d’une fatigue liée au traitement. Il y a aussi une fatigue
morale. En l’occurrence, il s’avère que la pathologie de cette patiente progresse malgré les
traitements proposés. Je continue à la questionner, j’essaie de lui faire verbaliser sa souffrance
mais la patiente reste fermée, ne répondant que de façon concise.
Peut-être déstabilisée par la situation, et ne sachant quoi lui dire, je n’ai pas réussi à la
perfuser. J’ai donc appelé mon infirmière référente afin qu’elle puisse reprendre la « main ».
Elle a continué la discussion :
- Comment vous vous sentez depuis la dernière cure ?
- Fatiguée ! Je l’ai déjà dit à la jeune fille.
- Comment ça se passe au quotidien ? Vous arrivez à faire vos activités habituelles ?
- C’est difficile. Je dors beaucoup.
- Je comprends, oui.
Elle a laissé s’écouler quelques secondes de silence, puis elle a dit : « Et vous, comment vous
le vivez ? » Elle a posé sa main sur la sienne. Et la patiente s’est effondrée en larmes. Enfin,
elle pouvait lâcher tout ce qu’elle avait sur le cœur. Je pensais que son attitude témoignait
3 Port-a-Cath : petit boîtier placé sous la peau, généralement sous la clavicule, et relié à un cathéter placé dans une veine permettant l’injection de produits médicamenteux tout en préservant les veines au niveau des bras.
4
d’une volonté à ne pas s’exprimer. Pourtant, cette infirmière a réussi, par ce geste, à libérer la
parole.
« Vous savez, moi, la mort, je m’en fous…Je n’en ai plus rien à faire. C’est pour mes filles
surtout… » La mort, voilà le mot est dit. Cette patiente pense avant tout à ses filles, pourtant
déjà grandes. L’une est mère, l’autre étudiante sur Paris. C’est l’idée de les laisser seules qui
l’attristent le plus. Elle continuera ainsi à parler avec l’infirmière de leur relation et de la
façon dont ses filles perçoivent la situation.
Analyse et questionnement
En hôpital de jour, on voit les patients quelques heures, et à aucun moment on ne parle de
cette angoisse de mort. Tout tourne autour du traitement et de ses effets. Bien sûr les patients
ont la possibilité de faire appel à la psychologue mais cette démarche nécessite une véritable
prise de conscience de la part du patient l’amenant à accepter sa propre vulnérabilité. En
attendant, nous sommes, nous infirmiers, le réceptacle de ces angoisses et de cette tristesse.
Et lorsque les mots nous manquent, le toucher est le dernier lien qu’il nous reste pour
témoigner de notre compassion.
« Dans certaines situations, ′joindre le geste à la parole′ est une façon de montrer à l’autre
que l’on est proche de lui. D’ailleurs, lorsque l’émotion l’emporte, le geste peut même se
substituer à la parole. »4
Qu’aurions-nous pu dire à cette patiente ? Aucun mot n’aurait pu la rassurer. Et la rassurer de
quoi d’ailleurs ? Sa mort n’a pour elle jamais été aussi proche.
Jusqu’alors, toutes ces notions restaient pour moi de l’ordre du théorique. Grâce à cette
situation, j’ai vu, pour la première fois et de façon directe, l’effet du toucher sur la relation
soignant-soigné. Comment ce simple geste a-t-il permis la libération de la parole ?
Grâce à l’attitude de l’infirmière, et à son « contact », la patiente s’est sentie suffisamment
sécurisée pour s’exprimer. Alors qu’elle était dans une grande salle ouverte à la vue des autres
patients, c’est comme s’il s’était créé un espace « à part », une sorte de « bulle » permettant à
la patiente de s’abandonner.
Cette infirmière a su utiliser les mots justes et surtout avoir le geste adapté. Cela semblait si
facile et si naturel. Je me suis alors questionnée sur les raisons qui faisaient que certains
soignants avaient plus de facilité que d’autres à communiquer par le toucher. Le toucher est-il
4 BONNETON-TABARIÈS France et LAMBERT-LIBERT Anne. Le toucher dans la relation soignant-soigné. Éditions MedLine. 2013. p. 35
5
un sens inné ? Peut-on espérer l’acquérir et le développer au fil de nos expériences ? Mais
d’ailleurs l’expérience suffit-elle ?
Tout dans son attitude témoignait d’une réelle bienveillance, d’une volonté profonde à
transmettre à l’autre son soutien et sa force aussi. J’ai eu le sentiment que plus que le geste,
l’intention qu’on y mettait était essentiel.
La question de départ qui s’est alors posée à moi, est la suivante :
En quoi le « toucher conscient » du soignant peut-il influencer la relation de confiance
avec le patient dans un contexte de souffrance psychologique ?
6
QUE NOUS DIT LA THÉORIE ?
Face à la souffrance psychologique du patient…
Avant d’aborder la question du toucher, il est essentiel de comprendre le contexte dans lequel
ce toucher intervient. Le patient malade se trouve dans une situation de souffrance particulière
qu’il convient d’expliquer. Mais d’abord qu’entendons-nous par le terme de souffrance ?
Qu’est-ce que cela implique pour la personne ? Et plus spécifiquement pour le patient ?
Qu’est-ce que la souffrance ?
Un état de mal
Dans son ouvrage, Soins palliatifs, éthique et fin de vie. Une aide pour la réflexion et la
pratique à l’usage des soignants, Régis AUBRY, médecin chef du département douleur –
soins palliatifs au CHU de Besançon, et Marie-Claude DAYDÉ, infirmière libérale, opposent
la notion de douleur et la notion de souffrance. « La douleur est ce qui fait dire : ′J’ai mal.′ ;
la souffrance est ce qui fait dire : ′Je suis mal.′ »5 Ainsi, la souffrance est plus un état d’être
général, ou plutôt un état de mal global.
Une quête de sens
Cette souffrance s’associe souvent à une quête de sens. Ce « Pourquoi moi ? » qui ne trouve
pas toujours de réponse. À la souffrance physique ou psychologique s’ajoute donc une
dimension plus « existentielle, voire spirituelle, où se pose la question du sens de la vie ».6
Pour continuer d’exister
Cette souffrance pourrait également être une façon pour la personne de se sentir exister.
Ressentir sa souffrance physique au sens littéral du terme. Je souffre donc je vis. Je vis donc
je suis. C’est en tout cas la question que se posent Régis AUBRY et Marie-Claude DAYDÉ :
« Toute souffrance ne participe-t-elle pas, en dernier ressort, d’une souffrance originelle et
commune : le ′simple′ fait d’exister ? La souffrance n’est-elle pas le corollaire de la
conscience d’exister ? »7
C’est peut-être aussi une façon d’exprimer ce qui ne peut l’être. « Toute souffrance n’est-elle
pas en réalité un moyen de communication ou plus exactement, d’expression de
5 AUBRY Régis, DAYDÉ Marie-Claude. Soins palliatifs, éthique et fin de vie. Une aide pour la réflexion et la pratique à l’usage des soignants. Éditions Lamarre, 2017. p.91 6 Ibid., p.93 7 Ibid., p.96
7
l’incommunicabilité, moyen propre à l’homme doué d’intelligence et doué de cette capacité
de souffrir ? »8
Les différentes composantes de la souffrance
Ainsi, nous l’avons vu la souffrance est une notion complexe qui revêt différents aspects.
Chacun de ces aspects s’influençant mutuellement et modulant plus ou moins le ressenti
global de cette souffrance.
« Ainsi, la souffrance peut avoir un ancrage organique ; elle peut être morale, psychique.
[…] La souffrance est en générale globale ; elle comporte souvent d’autres dimensions :
sociale, morale, existentielle, spirituelle… »9
À travers le schéma10 présenté à l’Annexe I et tiré du même ouvrage, on perçoit les tenants et
les aboutissants de la souffrance et comment un événement de vie, quel qu’il soit, peut
influencer cet état.
La souffrance de la personne malade
La souffrance de la personne malade a ceci de spécifique qu’elle met en jeu toutes ces
composantes.
La souffrance physique
Bien sûr, dans la maladie, la souffrance physique est au premier plan et demeure une priorité
pour les équipes soignantes qui se doivent de la soulager au mieux. Cette souffrance est déjà
une première entaille à l’identité de la personne qui se sent plus vulnérable.
La souffrance psychologique
Le corps parle et parfois change d’apparence. La maladie et les traitements induisent souvent
des modifications corporelles. Le patient doit s’approprier ce nouveau corps. Ainsi, à cette
souffrance physique s’ajoute donc une souffrance plus psychologique. Un profond sentiment
d’impuissance le submerge. « Il sait que son rétablissement ne dépend pas seulement de lui
[…] »11 Cet état de dépendance est souvent difficile à accepter pour les patients. « En ce sens,
l’état du malade se rapproche de celui du petit enfant qui attend des autres […] les soins, la
nourriture, le savoir, l’ouverture au monde extérieur, etc. »12
8 Ibid., p.96 9 AUBRY Régis, DAYDÉ Marie-Claude., op. cit. p.96 10 Annexe I, p.42 11 BONNETON-TABARIÈS France et LAMBERT-LIBERT Anne. Le toucher dans la relation soignant-soigné. Éditions MedLine, 2013. p.50 12 Ibid. p.51
8
La souffrance sociale
Et cette souffrance s’accentue en milieu hospitalier où le patient n’a plus son environnement
familier pour le sécuriser. Il « se sent isolé dans un univers étrange, étranger, un monde aux
règles prédéfinies, où il ne peut évoluer librement. »13 Cette dimension sociale, rarement prise
en compte, tient pourtant une place essentielle dans cette souffrance.
La souffrance existentielle
Enfin, il ne faut pas oublier les aspects plus existentiels et spirituels de la souffrance que nous
avons pu évoquer précédemment. À cette question : « La souffrance de l’individu a-t-elle un
sens ? »14, on ne sait quoi répondre. C’est un long chemin que la personne aura à parcourir
seule ou accompagnée mais toujours avec l’espoir d’un mieux, même jusque dans les derniers
instants. La souffrance de la personne malade la plonge dans un état de vulnérabilité et
d’incertitude terrible. Elle n’a plus aucun repère. Elle regrette sa vie d’avant, souffre dans le
présent et ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Il ne reste alors plus que l’espoir.
« […] l’espoir est un moteur, une condition sine qua non pour vivre. […] Espérer, c’est ne
pas se résigner, c’est résister. Chercher un sens. »15
… L’instauration d’une relation de confiance avec le patient est nécessaire…
Son espoir, la personne malade le remet entièrement entre les mains soignantes. Elle doit
accepter d’accorder sa confiance à des inconnus. Pourtant, la confiance ne se donne pas si
facilement. Mais d’ailleurs qu’est-ce que la confiance ? Comment se construit-elle ? Et en
quoi la relation de confiance qui se crée entre le patient et le soignant est-elle différente ?
Qu’est-ce que la confiance ?
Une question de foi ?
Étymologiquement, le verbe « Se confier » vient du latin Cum qui signifie « Avec » et Fidere
qui signifie « Fier ». Dans son article « Qu’est-ce que la confiance ? » 16 , Michela
MARZANO, philosophe et chercheuse au CNRS, met en avant l’idée qu’avec la confiance,
« on peut se fier à quelqu’un ou à quelque chose » c’est-à-dire « qu’on remet quelque chose
de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui et en s’abandonnant ainsi à sa bienveillance et à sa
13 Ibid. p.49 14 AUBRY Régis, DAYDÉ Marie-Claude., loc. cit. 15 Ibid. p.101 16 MARZANO Michela. « Qu'est-ce que la confiance ? ». Études 2010/1, Tome 412 : pp. 53-63
9
bonne foi. » 17 Et c’est bien de foi qu’il s’agit puisque ces deux mots viennent de la même
racine. Seulement il ne s’agit pas seulement d’une foi « absolue et aveugle », pas plus qu’il ne
s’agit d’un « calcul [purement] rationnel ». Le mécanisme qui nous permet d’accorder notre
confiance est un jeu subtil de l’esprit. « […] il nous arrive de croire en [l’autre] sans savoir
exactement pourquoi ».
Un contrat tacite de respect mutuel
En même temps, la relation de confiance implique une certaine réciprocité, et exige d’autrui
une loyauté sans faille.
« D’un certain point de vue, les êtres humains aspirent tous à vivre dans un monde certain et
stable, dans un univers où la confiance et la bonne foi déterminent la conduite de ceux qui les
entourent : ils souhaitent pouvoir compter sur les autres, prévoir leurs comportements et
avoir des points de repère. »18 D’où l’intérêt qu’ils ont à se montrer honnêtes et dignes de
parole.
Dans son article, également intitulé « Qu’est-ce que la confiance ? » mais paru dans le
magazine Sciences Humaines, Achille WEINBERG, sociologue et journaliste, reprend les
paroles du renard dans le Petit Prince de Saint-Exupéry, « lorsqu'il rencontre pour la
première fois le garçon à la tête blonde » : « Apprivoise-moi. » Ces mots résument bien
comment s’installe la confiance. Petit à petit. « La confiance ne se décrète pas ; elle se
construit. » Et cela demande du temps. « […] on doit d'abord rester à distance, s'observer,
puis peu à peu se rapprocher. Si chacun donne des gages de paix et montre qu'il n'est pas un
danger pour l'autre, alors, peu à peu, la confiance s'installe. »19
Cette distance dans les relations interpersonnelles, c’est Edward T. HALL, anthropologue
américain et spécialiste de l’interculturel, qui l’a développé à travers le concept de
« proxémie »20, qui représente l’ensemble des observations faites par l’auteur et des théories
qui en découlent sur l’usage que les hommes font de leur espace en tant que produit culturel
spécifique. Ainsi en fonction du degré de confiance que nous accordons à telle ou telle
personne, la distance entre elle et moi ne sera pas la même, et j’aurais plus de facilité à
17 Citation et suivantes, ibid. p.53-54 18 Ibid. p.54. 19 WEINBERG Achille. « Qu'est-ce que la confiance ? ». Sciences humaines 2015/6. n°271 : p. 22. [URL : https://www-cairn-info.frodon.univ-paris5.fr/magazine-sciences-humaines-2015-6-page-22.htm] – Consulté le 20/10/18 20 HALL Edward. T. La dimension cachée. Éditions Points Seuil. Coll. « Essais ». 1971. 134 pp.
10
accepter qu’une personne en qui j’ai une grande confiance pénètre dans la sphère de mon
intimité, ma « bulle ».
Pour que la confiance s’installe durablement, il nous faut des gages de loyauté. C’est une sorte
de contrat tacite dans le respect mutuel. Paul RICŒUR, philosophe français des années
cinquante, souligne d’ailleurs l’importance du contrat au sein de la société :
« […] sans la confiance, le monde n’est pas vivable et aucune humanité n’est possible. […]
Seule la confiance rend possible la coordination des intérêts individuels ; elle permet
d’éclairer le contrat social. Elle est à la fois la cause du contrat, et son produit – le contrat
initie la confiance autant qu’il est fondé sur elle. »21
Un socle pour se construire ou se reconstruire
Et alors que la défiance et la peur nous renferme sur le monde, la confiance nous ouvre vers
l’extérieur et devient une force, un appui pour grandir, nous construire ou nous reconstruire.
Cette confiance que l’on accorde aux autres nous renvoient toujours plus ou moins à celle
« qu’on a eue avec ses parents lorsqu’on était enfant »22. C’est ce que nous rappelle Michela
MARZANO, que « nous ne sommes jamais complètement indépendants des autres et
autosuffisants […]. La confiance des enfants est totale, indépendamment de la ′fiabilité′ des
adultes […] C’est pourquoi ce genre de relations permet bien de comprendre les mécanismes
de la confiance. Elle engendre des relations fortes où la dépendance et la fragilité se mêlent
toujours à la possibilité d’une transformation du moi et à la découverte d’un autre rapport au
monde. »23 Et c’est aussi grâce à la confiance de ses parents que l’enfant prendra confiance en
lui et en ses propres capacités à être, à faire et à vivre. Et ce sera le cas tout au long de sa vie
d’Homme avec ses parents comme avec ses semblables, car c’est aussi dans le regard de
l’autre que nous nous construisons.
L’importance d’un lien de confiance dans la relation soignant-soigné
Le besoin relationnel du patient
Nous l’avons vu précédemment, la personne malade retrouve cet état de vulnérabilité, de
fragilité et de dépendance qu’elle avait lorsqu’elle était enfant. Face à la perte de tous ses
repères, identitaires, environnementaux et sociaux, elle a besoin de se raccrocher à quelque
21 ASSAYAG Laure. Études Ricœuriennes. 2016. Vol 7, n° 2, p. 172 [URL: https://ricoeur.pitt.edu/ojs/index.php/ricoeur/article/viewFile/318/192] - Consulté le 01/01/19 22 MARZANO Michela., op. cit., p.59 23 Ibid., p.59-60
11
chose, à quelqu’un. Et c’est souvent, avec l’espoir d’une possible guérison, qu’elle se tourne
vers les soignants présents près d’elle.
« Pour guérir le patient doit accepter de se laisser aller et d’abandonner son corps aux mains
d’un autre. Du fait de cette dépendance, les ′contacts′ qu’il établit alors avec les autres
personnes sont vraiment différents de ce qu’il aurait en temps normal ou dans un contexte
différent. Il doit faire confiance […] »24
Le « pacte de soin »25
Cette relation qui s’installe entre le patient et le soignant est d’emblée inégale. Paul RICŒUR
insiste sur ce fait. « Tandis que le patient constate le resserrement ou la disparition totale de
ses capacités (le pouvoir dire, le pouvoir faire, le pouvoir se raconter, le pouvoir s’estimer
soi-même comme agent moral), le médecin est à la fois bien portant et expert en son
domaine. »26 Et même si la médecine actuelle tend à réduire cet écart en permettant au patient
de devenir acteur de sa santé grâce à l’éducation thérapeutique, ce sentiment d’impuissance
reste bel et bien présent dans l’esprit du patient. D’où l’importance d’une « réciprocité » dans
cette relation. « Le médecin n’est pas tout puissant face au malade diminué et obéissant. »27
Pourtant, nous l’avons vu, l’instauration d’une relation de confiance n’est pas si simple. Elle
demande du temps, mais face à la maladie, le temps est souvent crucial. Cette confiance
s’appuie donc sur l’intérêt qu’ont les deux parties à lutter contre un « ennemi commun » ; elle
est une composante essentielle de « l’alliance thérapeutique » qui s’installe. Il s’agit d’une
« ′promesse tacite′ partagée entre les deux protagonistes qui s’engagent à remplir fidèlement
leurs engagements respectifs. »28
Remettre le patient au cœur du soin
« L’approche de P. Ricœur a permis de revaloriser l’autonomie du patient, en fondant la
relation de soin sur une confiance réciproque. » 29 En ce sens, elle rejoint le courant
humaniste apparu aux États-Unis dans les années quarante et qui s’est développé dans le
monde entier tout au long des années cinquante. Ses fondements s’appuient sur une vision
positive de l’être humain. Dans le cadre d’une relation thérapeutique, la « psychologie
24 BONNETON-TABARIÈS France et LAMBERT-LIBERT Anne, op. cit, p.51 25 ASSAYAG Laure, op. cit., p.176 26 ASSAYAG Laure, loc. cit. 27 Ibid. p.177 28 Ibid. p.176 29 ASSAYAG Laure, op. cit., p.177
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humaniste insiste sur la prise en compte globale de l’individu et non sur les symptômes. »30
De là est née la notion de relation d’aide.
La relation d’aide au cœur du lien entre le patient et le soignant
Un mode de relation à l’autre
Alexandre MANOUKIAN, psychologue clinicien et formateur auprès de personnels soignants
en milieu hospitalier, définit la relation d’aide comme « un moyen d’aider le patient à vivre sa
maladie et ses conséquences sur la vie personnelle, familiale, sociale et éventuellement
professionnelle. »31 Il précise bien qu’elle se fonde sur une relation de confiance déjà établie.
La confiance dans la relation d’aide
L’auteur explique que ce climat de confiance n’est possible que selon trois critères :
- « L’acceptation positive inconditionnelle », c’est-à-dire le fait que le « soignant
accepte le patient tel qu’il est, sans jugement sur ce qu’il fait ou dit. »
- « L’authenticité » qui établit « la base d’une relation honnête, c’est-à-dire franche,
sans mensonge ni artifice » 32 ; Carl ROGERS, l’une des grandes figures de la
psychologie humaniste, parlait de « congruence » ou le fait « que mon attitude ou le
sentiment que j’éprouve, quels qu’ils soient, seraient en accord avec la conscience que
j’en ai. »33
- « L’empathie » enfin que l’auteur décrit comme « le résultat d’une relation
suffisamment proche entre deux personnes pour qu’elles ressentent, de l’intérieur, le
vécu de l’autre. »34
France BONNETON-TABARIÈS et Anne LAMBERT-LIBERT, dans Le toucher dans la
relation soignant-soigné, abordent également un autre concept dans la relation d’aide qui est
celui de « l’intention » qui permet au soignant « de […] rejoindre [le patient] dans sa réalité
(douloureuse ou indolore, sereine ou stressante, passagère ou durable, etc.) et de lui
manifester que vous êtes avec lui. »35. Il y a donc aussi l’idée d’une volonté, qu’elle soit ou
non consciente, qui nous pousse à aller vers l’autre pour lui témoigner notre soutien, ne serait-
ce que par la présence et l’écoute.
30 MANOUKIAN Alexandre avec la collaboration de MASSEBEUF Anne, La relation soignant-soigné, 4e éd. Éditions Lamarre. 2014. p.52 31 Ibid. p.53 32 Ibid. p.55 33 ROGERS Carl. Le développement de la personne. Éditions Dunod. 1998. p.39 34 MANOUKIAN Alexandre, loc. cit. 35 BONNETON-TABARIÈS France et LAMBERT-LIBERT Anne, op. cit, p.92-93
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Pour permettre au patient de retrouver en lui les ressources nécessaires
En reprenant les thèses de la psychologie humaniste, Alexandre MANOUKIAN met en avant
l’idée que : « Tout individu est en évolution. […] Or, s’il y a changement, c’est que l’individu
possède cette capacité en lui. Ce potentiel d’évolution est souvent nié. Et c’est ainsi que l’on
entend […] que le naturel revient au galop. […] Pour accepter de changer, un individu doit
d’abord faire la preuve qu’il est accepté tel qu’il est. »36 La relation d’aide permet cela, et
c’est ce qui induit le changement. Dans un premier temps, la relation d’aide permet
« l’obtention d’un soulagement émotionnel, par la parole et l’expérience de l’écoute […].
Dans un second temps le patient peut découvrir quelque chose de lui, de son histoire, il peut
comprendre ce qu’il lui arrive. » C’est alors qu’un changement intérieur, voire une
« réorientation de sa vie »37 peut s’amorcer.
Les aspects réglementaires dans la pratiques infirmières
En contact permanent avec les patients, il était tout naturel que la relation d’aide s’intègre
dans la pratique infirmière. Ainsi, plusieurs textes réglementaires38 y font référence :
- Le 17 juillet 1984, un décret d’actes l’introduit en tant que « relation d’aide
thérapeutique »
- Puis, un nouveau décret le 15 mars 1993 y associe la notion de « soutien
psychologique ».
- Enfin, le décret du 11 février 2002 maintient cette notion et l’intègre le 29 juillet 2004
dans la liste des actes infirmiers relevant du rôle propre et qui sont présents dans le
Code de la santé publique.
… Et le toucher peut nous y aider
La relation s’établit par différents moyens que sont le regard, la parole ou juste l’écoute, et
souvent le toucher. Comment s’intègre le toucher dans cette relation de confiance ? C’est ce
que nous allons voir dans cette dernière partie qui s’annonce.
36 MANOUKIAN Alexandre, op. cit., p.54 37 MANOUKIAN Alexandre, op. cit., p.55 38 Décret n°84-689 du 17 juillet 1984 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier / Décret n°93-345 du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier / Décret n°2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier / Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du Code de la santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code
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La place du toucher dans nos relations interpersonnelles
Le toucher comme premier lien d’amour entre une mère et son enfant
Premier sens à se développer chez le fœtus, il est donc le seul suffisamment mûr et achevé à la
naissance. Par le toucher une reconnaissance mutuelle se fait entre la mère et son enfant. La
mère le prend contre sa poitrine et l’enveloppe de ses bras. De son côté, le nouveau-né rampe
instinctivement vers le mamelon de sa mère dans lequel il s’enfouira avant de l’attraper à
pleine bouche. En grandissant, le toucher restera le premier rapport au monde avant que les
autres sens ne reprennent le dessus. Le livre d’Ashley MONTAGU, anthropologue et
humaniste anglais, qui s’intitule La peau et le toucher, un premier langage, décrit
parfaitement ce processus de développement chez l’enfant.
« […] pour s’épanouir l’enfant a besoin d’être touché, pris dans ses bras, caressé, cajolé ; il
a besoin qu’on lui parle, même s’il n’est pas nourri au sein. »39 Durant cette période, « la
qualité de la communication reçue par la peau est déterminante. » Car de là, « dépendent les
réponses émotionnelles et psychomotrices que l’enfant apprend », et qui feront partie
intégrante de sa personnalité « sur laquelle il établira par la suite beaucoup de réponses
secondaires apprises. »40
Donald WINNICOTT, pédopsychiatre et psychanalyste britannique, a résumé cette idée à
travers les concepts de « holding » qui représente la façon de « porter l’enfant physiquement
et psychiquement » et de « handling » qui représente la façon de « le manipuler […] et de le
materner ». Il met en avant l’importance d’une mère « suffisamment bonne » et d’un
environnement « suffisamment bon » qui, à travers leurs gestes et leurs attitudes, témoignent
d’une intention réellement bienveillante envers l’enfant.
« Sécurisé, enveloppé, le bébé peut passer peu à peu d’un état de dépendance absolue à un
état d’indépendance […]. »41
Ce lien entre la sensation de sécurité physique que constitue l’enveloppe corporelle - et donc
la façon dont on tient et maintient l’enfant-, et la sécurité psychique, a été théorisé par Didier
ANZIEU à travers le concept du « Moi-Peau ». Il le désigne par « une figuration dont le Moi
de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter
lui-même comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la
39 MONTAGU Ashley. La peau et le toucher, un premier langage. Éditions du Seuil. 1979. p.69 40 MONTAGU Ashley, op. cit., p.169 41 BONNETON-TABARIÈS France et LAMBERT-LIBERT, op. cit., p.32
15
surface du corps. »42 Ainsi, au fur et à mesure de ses expériences tactiles, l’enfant va se forger
sa propre identité. En même temps, il prendra conscience de son corps et de la place qu’il
occupe, ce qui impactera nécessairement ses relations aux autres. L’enveloppe corporelle à
travers la peau et le psychisme sont donc intimement liés.
Le toucher dans notre relation au monde
En grandissant, l’enfant découvrira son environnement grâce au toucher. D’abord de façon
non intentionnelle, il frôlera quelque chose, ce qui l’amènera à porter son regard vers l’objet.
Puis, ensuite de façon intentionnelle, il guidera sa main vers l’objet. « À voir les mouvements
exploratoires des mains de l’enfant, il est évident qu’elles jouent un rôle important dans la
découverte des formes et des contours du monde dans lequel il évolue. »43 La bouche est
également le centre d’expériences tactiles et gustatives très intéressantes pour le tout-petit.
C’est une zone particulièrement sensible qui lui permet d’appréhender aussi bien le goût que
l’odeur que la texture des objets.
Puis, au fur et à mesure de ces apprentissages, vont s’ajouter des règles éducatives et
culturelles qui vont immanquablement jouer sur la personnalité de l’individu et la façon dont
il appréhendera le toucher. Ashley MONTAGU, dans son ouvrage La peau et le toucher, un
premier langage, a soulevé la question des différences culturelles, car elle permet de
comprendre comment certains individus en fonction de leur appartenance culturelle et/ou de
leur éducation peuvent être plus ou moins réceptifs au toucher, pour ne pas dire plus ou moins
réticents. « Les différences sociales d’expériences sensorielles se traduisent sur le
développement de la personnalité, et dans une certaine mesure sur le ′tempérament′
national. »44
Néanmoins, il existe certaines similitudes comportementales entre les individus. C’est
notamment le cas dans notre rapport à l’autre en fonction de notre degré d’intimité. Quelle
que soit la culture à laquelle nous appartenons, la distance que nous mettrons entre nous et la
personne à qui on s’adresse ne sera pas la même en fonction de notre degré d’intimité. C’est
que nous avons pu voir précédemment avec la notion de « proxémie » développée par Edward
T. HALL. Ainsi ce dernier a pu dégager quatre distances principales qui résument l’ensemble
de nos relations à autrui :
42 ANZIEU Didier. Le Moi-peau. Éditions Dunod. 1985. 304 pp. 43 MONTAGU Ashley, op. cit., p.90 44 MONTAGU Ashley, op. cit., p.90
16
- La « distance publique » (entre 3,60 et 7,50 mètres) qui correspond à la distance que
l’on utilise lors des discours et conférences ;
- La « distance sociale » (entre 1,20 à 3,60 mètres) qui correspond à la distance des
réunions informelles, des rencontres professionnelles dans un bureau ;
- La « distance personnelle » (entre 45 cm et 1,2 m) qui correspond à la distance que
l’on a avec nos proches (famille, amis) ;
- La « distance intime » (moins de 45 cm) qui représente la distance du réconfort, des
relations sexuelles, mais aussi de l’agression physique rapprochée.
Ces distances varient bien évidemment d’une culture à l’autre, ce qui peut parfois provoquer
un certain malaise dans les relations entre les individus. Les relations peuvent également être
perturbées lorsque ces mêmes distances ne sont pas respectées. S’il existe trop de distance
entre les individus alors que la situation exigerait qu’il se rapproche la mise en lien ne pourra
pas se faire. À l’inverse, si une personne se permet d’être trop « tactile » avec une autre
empiétant ainsi sur son « espace vital », la personne ne se sentira pas en sécurité et cherchera
à fuir ; cette situation pouvant même aller jusqu’au conflit.
Dans la relation de soin, le toucher est inévitable. « […] vous pénétrez la ′bulle′ de l’autre et
ne pouvez pas rester enfermé dans votre propre ′bulle′. »45 Il faut donc réussir à trouver la
« juste distance » avec le patient, tout en restant en accord avec soi-même.
Qu’entend-on par « toucher conscient » ?
Une présence dans l’instant pour un toucher juste…
Rester en accord avec soi-même, c’est en effet primordial dans la relation à l’autre. Par le
toucher, nous véhiculons toutes les émotions qui nous traversent. Si le soignant ne prend pas
le temps d’être présent et disponible dans l’instant, si son esprit est ailleurs ou traversé par des
émotions négatives, le patient le ressentira.
Le terme de « toucher conscient » n’a pas été choisi au hasard. Ces deux mots revêtent un
véritable état d’esprit qu’il faut autant que possible conserver. Nous verrons qu’en réalité, ce
n’est pas si simple.
Le « toucher conscient » rejoint la notion de « Pleine Conscience ». L’appellation « Pleine
Conscience » a été introduit par Jon KABAT-ZINN, médecin américain, en 1979 qui a
développé un outil, la MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction), inspiré des techniques
45 BONNETON-TABARIÈS France et LAMBERT-LIBERT, op. cit., p.73
17
de méditation orientale mais débarrassé de leur dimension spirituelle. Christophe ANDRÉ,
médecin psychiatre français ayant repris les méthodes de méditation de pleine conscience
dans le cadre de sa pratique, définit la « pleine conscience » comme une « qualité de
conscience qui émerge lorsqu’on tourne intentionnellement son esprit vers le moment présent.
C’est l’attention portée à l’expérience vécue et éprouvée, sans filtre (on accepte ce qui vient),
sans jugement (on ne décide pas si c’est bien ou mal, désirable ou non), sans attente (on ne
cherche pas quelque chose de précis). »46 Être présent dans le moment présent. Avant le geste
il y a l’état d’esprit dans lequel on le pratique qui doit se situer dans une disponibilité totale à
l’instant présent pour permettre la relation et le geste adapté. Christian HIÉRONIMUS, qui
propose des formations au toucher, explique d’ailleurs dans son ouvrage, L’art du toucher.
Initiation à un toucher conscient et créatif, que c’est cette conscience qui permet d’être en
adéquation avec les besoins de la personne.
« [Car] un toucher juste, je devrais dire ajusté, n’est pas un toucher vide de substance,
aseptisé, bien sous tout rapport. Selon moi, être ajusté dans son approche, c’est être en phase
avec l’instant, c’est y répondre comme une évidence. »47
…Pourtant pas toujours facile à mettre en œuvre…
Intégrer ce type de toucher au cœur de la pratique infirmière semble une évidence ; pourtant,
c’est loin d’être si simple. Grâce à sa propre expérience et aux observations qu’elle a pu faire
auprès d’autres professionnels, Ann CONNOR, infirmière américaine, a développé une
théorie représentant l’intentionnalité du toucher comme un continuum influencé par de
nombreux facteurs qu’ils s’agissent de facteurs externes comme la charge de travail ou de
facteurs internes comme l’état émotionnel du patient ou du soignant. Elle a résumé sa théorie
sous la forme d’un schéma qui est présenté en Annexe II.48
…Mais qui permet au patient de s’abandonner en toute sécurité
Pourtant si l’on arrive à rejoindre le patient dans la réalité de son vécu par le toucher, on peut
réussir à créer un espace privilégié avec le patient pour lui permettre de se livrer plus
facilement sur ses difficultés. Dans l’article “A conceptual model of intentional comfort touch”
qu’elle a publié, Ann CONNOR reprend les idées de Patricia BENNER, théoricienne en
46 ANDRÉ Christophe. « La méditation de pleine conscience ». Cerveau et Psycho, n° 41, pp.18, septembre-octobre 2010 47 HIÉRONIMUS Christian. L’art du toucher. Initiation à un toucher conscient et créatif. Éditions Lanore. 2007. p.29 48 Annexe II, p.43
18
sciences infirmières. Elle précise que « le toucher est l'un des éléments essentiels à la création
d'un espace sûr et révélateur, où la confiance, le bien-être et la sécurité peuvent s’exprimer.
Elle définit cet espace révélateur comme ′l’espace social créé par la relation et l’interaction
humaines qui permet de se révéler et de remarquer′. […] si l’infirmière est trop pressée ou
trop orientée vers une tâche, elle ne remarquera pas l’expérience du patient et le patient ne se
sentira pas en sécurité pour s’exprimer. »49
Ses applications en soins infirmiers
De nombreux outils ont été développés pour faciliter la relation à l’autre dans les soins, et
notamment dans les soins infirmiers. Tous ces outils intègrent la dimension du toucher dans
leur utilisation. En voici trois exemples qui sont aujourd’hui présents au quotidien dans
certains services.
Le Toucher-Massage®
Le concept de Toucher-Massage® a été inventé dans les années 1980 par Joël SAVATOFSKI,
masseur-kinésithérapeute. Son objectif était de sensibiliser le personnel soignant à
l’accompagnement et au bien-être des patients. Joël SAVATOFSKI définit cette méthode
comme « une intention bienveillante qui prend forme grâce au toucher et à l’enchaînement
des gestes sur tout ou une partie du corps, qui permet de détendre, relaxer, remettre en forme,
rassurer, communiquer ou simplement procurer du bien-être, agréable à recevoir et, qui plus
est à pratiquer. »50 L’avantage de cette technique, c’est qu’elle peut s’intégrer parfaitement à
la pratique des soignants sans leur demander nécessairement plus de disponibilité ni plus de
temps. De plus en plus de structures hospitalières forment leur personnel paramédical à cette
technique. De même, les nouvelles générations d’infirmiers reçoivent dans le cadre de leur
cursus de formation un enseignement sur l’utilisation du Toucher-Massage®.
Les effets sur le patient sont visibles tant sur le plan physique que psychique.51 Le Toucher-
Massage® « procure détente et réconfort au patient ». Il se réalise « par des gestes
49 CONNOR Ann, HOWETT Maeve. “A conceptual model of intentional comfort touch”. Journal of Holistic Nursing. 2009. 2: p.129. [URL : https://api-istex-fr.frodon.univ-paris5.fr/document/15253C537CCCCE3E02E15DD3185C095B51B84EDC/fulltext/pdf?auth=ip,fede&sid=ebsco,istex-view] - Consulté le 01/11/18 50 SAVATOFSKI Joël, Le Toucher-massage, vol. 1, Éditions Lamarre, 2013, p.21 51 FERRON Sophie, Le toucher-massage®, une approche qui donne du « sens » au toucher, août 2014, pp.1-2. [URL : https://vigipallia.parlons-fin-de-vie.fr/18/page/5192.html] - Consulté le 18/02/19
19
appropriés, simples et naturels, englobants et réalisés en douceur. »52 Par ces gestes simples,
« il vous aide à redonner confiance, énergie et force aux patients »53.
L’Humanitude®
L’Humanitude® est un concept développé en 1980 aux États-Unis porté par Freddy
KLOPFENSTEIN, écrivain d’origine suisse, puis repris par Albert JACQUARD, biologiste,
généticien et essayiste français. Ce concept avait pour but de désigner « les cadeaux que les
hommes se sont faits les uns aux autres depuis qu’ils ont conscience d’être, et qu’ils peuvent
se faire encore en un enrichissement sans limites. » Un « trésor de compréhensions,
d’émotions et surtout d’exigences, qui n’a d’existence que grâce à nous et sera perdu si nous
disparaissons. »54 Grâce à Yve GINESTE et Rosette MARESCOTTI, tous deux professeurs
d’éducation physique et sportive jusqu’en 1979, elle devient en 1995 une philosophie de
soins. Elle « s’intéresse aux liens qui permettent aux humains de se rencontrer quel que soit
leur état, leur statut. »55 Elle repose sur « trois piliers relationnels » que sont le regard, la
parole et le toucher, et sur un pilier dit « identitaire », la « verticalité » qui représente l’idée
que toute personne a le droit quel que soit son état et son statut à rester debout aussi
longtemps que cela lui est possible. Derrière cette notion de « verticalité » se cache aussi la
notion de dignité.
- Dans les techniques d’Humanitude, le regard est central avant même le toucher. Il doit
durer suffisamment longtemps pour permettre à la personne de prendre contact. Il faut
également rester bien en face de la personne et suffisamment proche d’elle.
- La parole, elle, est toujours présente en fond. Elle permet une prise de contact à
distance. Elle ne doit pas être trop forte, et si la personne a du mal à entendre, on se
rapproche d’elle tout simplement.
- Le toucher « lors de la mise en Humanitude » est empreint d’une intention de
tendresse et d’affection.
Cette philosophie a notamment été développée pour aider le personnel soignant dans la prise
en soins des personnes âgées démentes. L’incompréhension de la maladie et du vécu
émotionnel de ces personnes amenaient parfois à des maltraitances involontaires.
52 Ibid., p.1 53 BONNETON-TABARIÈS France et LAMBERT-LIBERT, op. cit., p.107 54 GINESTE Yves, PELLISSIER Jérôme. Humanitude. Comprendre la vieillesse, prendre soins des hommes vieux. Éditions Armand Collin. 2007. p.309 55 [URL : http://www.humanitude.fr] - Consulté le 18/02/19
20
L’haptonomie
L’haptonomie est une théorie qui a vu le jour dans la deuxième moitié du XXe siècle.
« Durant les évènements dramatiques de la seconde guerre mondiale, [Frans VELDMAN,
fondateur de cette théorie] a pu constater l'importance majeure de l'affectivité dans les
rapports humains. »56 L’haptonomie se définit comme « science de l’Affectivité, science de
l’être humain dans ses rapports au monde de vie et au monde d’interaction humaine »57. Il
s’agit de rendre possible les conditions d’une « présence véritablement humaine, c’est-à-dire
consciente, ouverte, franche et authentique ». Étymologiquement, le terme vient du mot
hapsis qui signifie en grec classique « ′le sentiment, le tact et la sensation′, au sens de sentir,
ressentir, émouvoir et de ′toucher′ intérieurement, d’affecter »58. C’est donc deux notions qui
se rencontrent, à la fois le toucher physique qui permet dans l’intention qui y est mise d’entrer
en contact avec la personne, de créer un lien affectif.
On connaît l’haptonomie dans un contexte pré- et post-natal qui permet l’instauration d’une
relation avec son enfant avant même la naissance. Cependant, l’haptonomie a également toute
sa place auprès des personnes âgées ou en fin de vie. Auprès des personnes âgées,
l’haptonomie leur permet « d’affronter de nouveaux défis » en leur révélant « des capacités
insoupçonnées d’amélioration de leur état, [grâce à] des offres conséquentes et répétées de
confirmation affective »59. Concernant la personne en fin de vie, l’haptonomie lui permet de
rester au contact de ses proches. Dans ce cas, la confirmation affective lui permet de ne pas se
sentir seule. « […] La présence des soignants l’aide à traverser les différentes étapes de la fin
et à mourir en paix. »60
Nous l’avons vu, face à la maladie, la souffrance du patient est multiple. S’il est essentiel de
soulager la souffrance physique, la souffrance psychologique ne doit pas être oubliée. Pour
cela, le patient a besoin d’établir une relation de confiance avec le soignant. L’ensemble des
écrits étudiés attestent des bienfaits du toucher dans la relation soignant-soigné. C’est en tout
cas ce que semblent nous affirmer les différentes théories développées sur le sujet, de même
que la diversité des techniques de soins intégrant le toucher. Mais qu’en est-il sur le terrain ?
56 [URL : https://www.haptonomie.org/fr/] 57 DÉCANT-PAOLI Dominique, L’Haptonomie. Coll. « Que sais-je ? ». Éditions PUF. 2018. p.111 58 DÉCANT-PAOLI Dominique, op. cit., p.18 59 DÉCANT-PAOLI Dominique, op. cit., p.107 60 DÉCANT-PAOLI Dominique, op. cit., p.107
21
C’est ce que nous verrons dans notre prochaine partie. Je mènerai une enquête auprès de
plusieurs infirmiers afin de comprendre en quoi le « toucher conscient » du soignant
influence la relation de confiance avec le patient dans un contexte de souffrance
psychologique.
22
EN PRATIQUE
Méthodologie de l’enquête
Les objectifs
L’objectif principal de ma recherche était de comprendre en quoi le toucher pouvait influencer
la relation de confiance avec le patient, et ce dans un contexte de souffrance psychologique.
La première étape de mon enquête consistait à décrire plus précisément ce contexte, si
particulier, induit par la maladie, en m’intéressant à la perception que les soignants ont de la
souffrance psychologique de leurs patients. Dans un second temps, il s’agissait de
comprendre, dans ce contexte, comment se crée la relation de confiance avec le patient et
quels sont les moyens pour permettre ce lien. Enfin, la dernière phase, mais la plus importante
de ce travail, avait pour but de voir comment le toucher s’inscrit dans cette relation. Comment
les soignants l’appréhendent-ils, l’utilisent-ils et que perçoivent-ils de ses effets dans leur
relation avec le patient ?
L’outil d’enquête
Dans le cadre de cette étude, j’ai décidé de réaliser des entretiens semi-dirigés. Le choix de
cet outil reposait essentiellement sur le fait que les informations que je cherchais à collecter
restaient de l’ordre du subjectif et dépendaient indubitablement de la personne interrogée, pas
seulement de son statut de soignant mais aussi de son parcours de vie propre. Afin de préparer
ces entretiens, j’ai élaboré un guide afin que les réponses restent en lien avec le sujet abordé
au regard des objectifs établis en amont. Ce guide se trouve en fin d’ouvrage en Annexe III à
la page 44.
Lieux et population ciblée
Si le sujet peut concerner de nombreux métiers dans le domaine du soin, les entretiens ont été
menés auprès d’infirmières, au nombre de quatre, deux travaillant dans un service d’oncologie
et deux travaillant dans une unité de soins palliatifs. J’ai également trouvé intéressant
d’interroger une socio-esthéticienne intervenant au sein de différentes structures, afin d’élargir
mes horizons sur ce sujet. Cet entretien ne rentre pas dans le cadre de ma recherche. Vous
trouverez la retranscription de tous ces entretiens en annexes (Annexes IV à VIII).
Le choix d’interroger des infirmières exerçant en oncologie médicale et en médecine de soins
palliatifs tient au fait que dans ce type de services, le relationnel avec le patient est primordial.
Les soins relationnels par le toucher s’y sont développés, probablement plus qu’ailleurs, les
23
patients étant suivis souvent sur de longues périodes. Il était important pour moi de cibler ce
type de service pour appréhender au mieux la relation particulière qui se noue avec le patient
lors de soins nécessitant l’usage du toucher relationnel. J’ai souhaité interroger, à chaque fois,
deux infirmières appartenant au même service pour me permettre de faire la part entre ce qui
tenait de l’organisation du service et ce qui tenait du parcours personnel de chacun.
Pour chaque entretien, j’ai contacté des infirmières qui m’ont redirigée vers les cadres du
service. Je me suis, ensuite, rendue directement sur place afin de les rencontrer et d’organiser
les entretiens en fonction du planning des infirmières et de l’activité du service.
Lors de la présentation de mes résultats, ces infirmières seront nommées respectivement
« IDE ONCO 1 et 2 » pour « Infirmière Diplômée D’État en Oncologie » et « IDE SP 1 et 2 »
pour « Infirmière Diplômée D’État en Soins Palliatifs ».
Modalités de réalisation
Pour des questions de facilité et de disponibilité des personnes interviewées, les entretiens se
sont déroulés sur leur lieu de travail. Pendant 15 à 30 minutes, j’ai interrogé ces personnes sur
leur utilisation du toucher, sur les éventuelles formations auxquelles elles avaient pu
participer, et enfin sur leurs perceptions des effets de ce toucher dans la relation soignant-
soigné. Pour compléter cet entretien, j’ai étudié leur parcours personnel et professionnel en
lien avec leurs représentations du toucher afin de mieux comprendre leurs choix. Ces
entretiens ont été enregistrés à l’aide d’une application mobile, avec leur accord, afin de
faciliter la retranscription. J’ai rappelé bien évidemment, en début de séance, les clauses de
confidentialité et d’anonymat liées à ce projet, et j’ai obtenu leur accord concernant la
retranscription intégrale de leurs propos.
Mon premier entretien a eu lieu, de nuit, dans une unité de soins palliatifs auprès d’une
infirmière, âgée de 35 ans et diplômée depuis 12 ans (IDE SP 1). Le temps qui nous était
imparti, de nuit, nous a permis de bien développer le sujet. L’entretien a duré 20 minutes.
Mon deuxième entretien s’est déroulé, le matin, en hôpital de jour en oncologie médicale avec
une infirmière âgée de 37 ans et diplômée depuis 11 ans (IDE ONCO 1). Même si l’infirmière
s’est rendue disponible pour participer à l’entretien, elle devait garder un œil sur ses patients.
L’entretien a duré 15 minutes.
Le troisième entretien s’est passé dans le même hôpital, sur la terrasse extérieure, vers
14 heures, heure de la pause déjeuner de l’infirmière interrogée, âgée également de 35 ans et
diplômée depuis 13 ans (IDE ONCO 2). La présence de nuisance sonore a probablement pu
24
jouer sur le déroulement de l’entretien qui n’a duré que 10 minutes, mais qui reste néanmoins
très complet au vu des questions abordées.
Enfin, pour le dernier entretien, je suis revenue dans l’unité de soins palliatifs où s’était
déroulé le premier entretien, mais cette fois-ci de jour. J’y ai interrogé une infirmière âgée de
60 ans et qui était diplômée depuis 31 ans (IDE SP 2). Passionnée par son métier, elle m’a
raconté tout le cheminement qui l’a amené à travailler en soins palliatifs. Son expérience m’a
permis d’aborder le sujet du toucher d’une autre façon. L’entretien a duré 30 minutes.
Limites et biais
L’un des premiers biais constatés concerne la sélection de l’échantillon, et notamment l’âge
des personnes interrogées. Sur les quatre infirmières que j’ai interviewées, trois avaient
approximativement le même âge – deux avaient 35 ans, et une autre 37 ans. Elles avaient
aussi toutes une dizaine d’années d’expérience. Seule, la dernière personne interrogée était
beaucoup plus âgée avec plus de 40 ans d’expérience au total. Afin de porter un regard
objectif sur le sujet, il aurait probablement fallu interroger, une personne en oncologie avec
autant d’années d’expérience. Mais, cela aurait sûrement été difficile à trouver en milieu
hospitalier. De plus, il ne s’agit que de femmes. Il aurait aussi été intéressant d’analyser le
rapport au toucher chez les infirmiers hommes, même s’ils ne représentent pas la majorité de
la population infirmière.
La seconde difficulté réside dans la rédaction des questions du guide d’entretien. Une
question de mon guide d’entretien a laissé les interlocuteurs, plus que circonspects et il m’a
fallu la repréciser. Il s’agissait de la question « Selon vous, qu’est-ce qui est indispensable
pour que le toucher relationnel soit bénéfique au patient ? À quoi êtes-vous vigilant ? » J’ai
donc précisé que je parlais là des facteurs extérieurs et de l’environnement, et non pas de la
technique objet de la question précédente.
Concernant, maintenant, le déroulement des entretiens, ma volonté d’établir avec la personne
interrogée un climat d’échanges spontanés, m’a fait dévier dans la formulation de certaines de
mes questions. Si le sens profond n’a pas été changé, les infirmières ont, elles, pu les
interpréter, chacune, de façon différente. Cela a été notamment le cas pour une question. Dans
mon guide d’entretien, elle était formulée ainsi : « Dans quelle mesure, le toucher influence-t-
il votre relation avec le patient ? » Mais lors des entretiens, c’est devenu : « Qu’est-ce que
vous percevez de l’effet de ce toucher dans votre relation avec le patient. » Certaines
infirmières se sont en fait plus focalisées sur l’effet de ce toucher pour le patient, et non, dans
25
la relation avec le patient. Dans certain cas, j’ai pu réorienter la réponse. Dans d’autres c’est
en retranscrivant l’entretien que je me suis aperçue de l’écart.
Enfin, pour finir sur cette partie traitant des limites et des biais de la méthode, je parlerai de la
durée des entretiens, assez disparates. Cette durée dépend à la fois de la personnalité de
chacune des infirmières interrogées, certaines plus à même de se livrer ou non, mais aussi,
évidemment des expériences vécues qu’elles souhaitent ou non relater. Ceci peut interférer
dans l’analyse car certaines aborderont des thématiques auxquelles d’autres n’auront pas
pensé. Ceci tient du choix de l’outil qui veut qu’on laisse parler la personne librement.
Présentation des résultats bruts
Après avoir retranscrit l’intégralité des entretiens, j’ai élaboré une grille de dépouillement qui
reprenait chaque question, j’ai extrait de chaque réponse l’essentiel sous forme de verbatim.
J’ai ensuite procédé au classement des données recueillies afin de vous en présenter la
synthèse ci-dessous.
Question 1 : « Comment se manifeste la souffrance psychologique des patients ? »
À la première question « Comment se manifeste la souffrance psychologique des patients ? »,
dont l’objectif était de comprendre ce que les soignants percevaient de la souffrance
psychologique de leurs patients, trois infirmières sur quatre (IDE SP 1, IDE ONCO 1 et IDE
SP 2) m’ont évoqué les « pleurs » comme signes extérieurs évidents. La totalité d’entre elles a
parlé « de colère » et « d’agressivité » comme signes masqués de souffrance psychologique
mais qui doit aussi être pris en considération. L’IDE SP 2 a même parlé de l’agressivité des
patients envers leur famille et non pas seulement envers les soignants, comme on l’imagine
souvent. L’IDE SP 1 et l’IDE ONCO 2 m’ont, toutes les deux, parlé des patients qui sont
« dans de multiples demandes » mais chez qui derrière on perçoit un « mal-être sous-jacent ».
Deux infirmières sur quatre (IDE ONCO 2 et IDE SP 2) ont mentionné la présence d’attitudes
particulières : « le regard fixe, figé », « les bras croisés », « l’air tendu » (IDE ONCO 2), un
« visage vide » (IDE SP 2). Enfin, seule, l’IDE SP 2 a évoqué la présence de symptômes
physiques et comportementaux spécifiques comme la « prostration », une « anorexie », des
« troubles du sommeil », ainsi que la possibilité chez certains patients de manifestations en
lien avec la présence de « mécanismes de défense » notamment certaines formes de déni. Par
exemple, lorsque le patient dit : « Tout va bien. », « Je gère. », « Quand j’irai mieux… »
Dans le premier entretien que j’ai réalisé, j’ai souhaité faire un lien entre la première et la
deuxième question, mais je ne l’ai pas fait lors des autres entretiens. À l’IDE SP 1, j’ai donc
26
demandé : « Est-ce que justement [les patients] arrivent facilement à se confier ? » Elle m’a
répondu qu’il ne fallait pas faire de généralisation, que tout dépendait du « moment » et de la
« personne ». C’est la « rencontre de deux personnalités ». Parfois les patients préfèrent se
confier au médecin ou à l'infirmière, ou à l’aide-soignant, et parfois même aux bénévoles.
Question 2 : « Quels sont les moyens que vous utilisez pour favoriser un climat de
confiance ? »
À la deuxième question « Quels sont les moyens que vous utilisez pour favoriser un climat de
confiance ? », dont l’objectif était de comprendre comment s’instaure la relation de confiance
entre le soignant et son patient, les infirmières travaillant en soins palliatifs (IDE SP 1 et IDE
SP 2) m’ont évoqué plein de petits moyens qu’elles avaient pour aider la personne à
s’apaiser : « l’humour », « la musique », « les chansons », « l’aromathérapie », et bien
évidemment « les massages ». L’IDE SP 2 regroupe tous ces petits outils sous le terme de
« légèreté » en disant qu’elle offre au patient un « havre de paix ». L’IDE SP 1 mentionne
également la « médication » en dernier recours. L’IDE ONCO 1 parle elle aussi de ce
« reflexe » à toucher le patient. L’IDE ONCO 2 fait allusion à la « relation d’aide selon Carl
Roger » comme outil clinique pour aider la personne à dépasser son angoisse. Enfin, à cette
question apparaît une notion importante qui reviendra à plusieurs reprises chez toutes les
infirmières. C’est la notion d’intuition quant à l’utilisation du toucher. L’IDE ONCO 1 en
parle ainsi : « C'est, quand tu le sens, bah tu fais. C'est un peu intuitif, en fait. » L’IDE SP 2 y
ajoute l’idée d’expérience : « Mais du coup, tu vois, des fois, c’est de l'intuition, c'est
empirique. »
Question 3 : « En tant que personne, comment appréhendez-vous le toucher ? »
À la troisième question « En tant que personne, comment appréhendez-vous le toucher ? »
dont l’objectif était de définir la place du toucher dans le vécu de l’individu, seule l’IDE SP 1
a précisé que dans sa vie privée, elle n’aimait pas être touchée. Pour toutes les autres
infirmières (IDE ONCO 1, IDE ONCO 2 et IDE SP 2), le toucher est quelque chose de
« simple », « évident », « naturel ». L’IDE ONCO 1 a indiqué que c’était quelque chose
qu’elle appréciait pour elle-même. L’IDE SP 2 dit qu’elle embrasse et accolade facilement
sans se poser de questions.
27
Question 4 : « Quelle importance accordez-vous au toucher dans votre pratique
professionnelle ? »
À la quatrième question « Quelle importance accordez-vous au toucher dans votre pratique
professionnelle ? » dont l’objectif était la place du toucher dans la pratique professionnelle de
l’individu, trois infirmières (IDE ONCO 1, IDE ONCO 2 et IDE SP2) ont admis que c’était
pour elles primordial. L’IDE ONCO 2 et IDE SP 2 l’ont justifié par le fait que c’était une
façon de rester en « contact » avec la personne pour lui « montrer qu’elle n’est pas seule »,
surtout en fin de vie lorsque les patients ne sont presque plus touchés. L’IDE SP 2 dit que
nous sommes le « dernier lien avec le monde extérieur. » L’IDE SP 1 a souligné le fait qu’on
ne pouvait pas toucher tout le monde, qu’il ne fallait pas faire de généralité et qu’il fallait
s’adapter aux besoins et envie de la personne. L’IDE ONCO 1 aussi s’est exprimée sur cette
question en précisant qu’on ne pouvait pas projeter nos propres besoins sur l’autre.
Question 5 : « Dans quelles situations de soin êtes-vous amené à utiliser ce toucher
relationnel ? »
À la cinquième question « Dans quelles situations de soin êtes-vous amenée à utiliser ce
toucher relationnel ? » dont l’objectif était de caractériser le contexte de soin qui amène à
l’utilisation du toucher relationnel, trois infirmières sur quatre (IDE SP 1, IDE ONCO 1 et
IDE ONCO 2) m’ont dit utiliser le toucher lorsque le patient était anxieux ou angoissé. Qu’il
s’agisse soit d’une angoisse liée aux traitements et à ses conséquences comme c’est le cas en
chimiothérapie ou associée à la nécessité de pratiquer un geste invasif (pose d’aiguille de
Huber, pose d’une voie veineuse périphérique), soit d’un stress lié à l’attente de résultats, soit
d’une angoisse plus profonde liée à la fin de vie. Et justement, les infirmières travaillant en
unité de soins palliatifs (IDE SP 1 et IDE SP 2) ont insisté sur l’importance, selon elle, de ce
toucher pour les « patients dans le coma », « dans les derniers instants de vie » pour « leur
montrer qu’on est là ». L’IDE SP 1 utilise également le toucher pour apaiser la douleur des
patients.
Question 6 : « Quels sont les gestes ou les techniques que vous employez dans ce
toucher ? »
À la sixième question « Quels sont les gestes ou les techniques que vous employez dans ce
toucher ? » dont l’objectif était d’identifier les différentes pratiques du toucher, trois
infirmières sur quatre (IDE SP 1, IDE ONCO 1 et IDE ONCO 2) ont parlé de mains
simplement posées, de « pressions légères », de « caresses ». L’IDE SP 2 a précisé qu’il
28
s’agissait de « gestes simples ». L’IDE SP 1 a évoqué la notion de spontanéité qu’on pourrait
rapprocher de celle d’intuition. L’IDE SP 2 nous parle aussi de la notion de plaisir (« C’est
très ludique. », « Tu fais de la création avec tes mains. ») tout en restant « attentif à son bien-
être » à soi (« Bien s'installer dans son ergonomie »). À cette question aussi, l’IDE ONCO 2
aborde déjà l’effet que ce toucher apporte à la relation avec le patient en précisant qu’il
« facilite le lien de confiance » et qu’il peut aider le patient à s’exprimer s’il n’y arrive pas.
Question 7 : « Selon vous, qu’est-ce qui est indispensable pour que le toucher relationnel
soit bénéfique au patient ? À quoi êtes-vous vigilant ? »
Pour la septième question « Selon vous, qu’est-ce qui est indispensable pour que le toucher
relationnel soit bénéfique au patient ? À quoi êtes-vous vigilant ? » dont l’objectif était
d’identifier les facteurs favorisant un toucher relationnel bienfaisant, il m’a fallu repréciser
aux infirmières qu’il s’agissait bien des facteurs externes et non plus de la technique à
proprement parler. Pour cette question, toutes les infirmières ont évoqué, à leur façon, la
nécessité de s’adapter aux besoins et à l’envie du patient. L’IDE ONCO 2 pense qu’avant de
toucher, il faut « comprendre ce que vit la personne ». L’IDE ONCO 1 et l’IDE SP 2 ont
abordé la notion de disponibilité. Quel que soit le temps qu’on a, il faut s’y consacrer
pleinement. « C'est être vraiment dans l'instant présent avec la personne. » (IDE SP 2) Enfin,
l’IDE SP 2 a parlé de l’importance des mots et du ton de la voix. Avant même le toucher, tous
ces petits riens participent au climat de détente du patient. Comme nous disions
précédemment l’installation, elle aussi est importante. L’IDE SP 1 précise qu’il faut faire en
sorte que les conditions pour le patient soient optimales donc être attentif à la chaleur des
mains par exemple.
Question 8 : « Qu’est-ce que vous percevez de l’effet de ce toucher dans votre relation avec
le patient ? »
À la huitième question « Qu’est-ce que vous percevez de l’effet de ce toucher dans votre
relation avec le patient ? » dont l’objectif était de comprendre l’influence du toucher dans la
relation soignant-soigné, trois infirmières (IDE SP 1, IDE ONCO 1 et IDE ONCO 2) sur
quatre disent que le toucher permet l’instauration d’un lien de confiance par la « proximité »
qu’il induit. Ça permet la création d’un « climat plus intime » où la personne peut se laisser
aller. L’IDE ONCO 2 nous donne quelques pistes sur ce qui se passerait intérieurement chez
le patient, et qui permettrait d’expliquer que cette relation puisse se créer si facilement. Elle
parle de l’importance du vécu émotionnel dans le souvenir de la personne. Les objets ou
29
personnes en lien avec notre vécu émotionnel, on ne les oublie pas. Enfin, toujours en lien
avec cette question, les infirmières ont également traité de l’effet de ce toucher sur le patient
lui-même. L’IDE SP 1 nous dit qu’avec le toucher il n’y a « plus besoin de dialogue », que les
patients se sentent apaisés, certains peuvent se mettre à parler. L’IDE ONCO 1 nous dit que
ça facilite la réassurance ; on montre au patient qu’on est là. Enfin, l’IDE SP 2 va jusqu’à
nous dire que, quelques fois, les bolus d’antalgique et d’anxiolytique ne sont même plus
nécessaires.
Question 9 : « Avez-vous suivi une formation sur le toucher relationnel ? »
À la neuvième et dernière question « Avez-vous suivi une formation sur le toucher
relationnel ? » dont l’objectif était de connaître l’intérêt du toucher dans la pratique réelle,
toutes les infirmières m’ont répondu par l’affirmative. L’IDE SP 1 et l’IDE SP 2 ont suivi des
formations sur le toucher-massage. L’IDE ONCO 1 a fait une formation à titre personnel en
shiatsu. Là, il ne s’agit plus de toucher relationnel mais d’un toucher dit « énergétique » mais
qui peut aussi permettre de soulager le patient et ainsi d’instaurer une relation de confiance
comme celle d’un patient avec son thérapeute. Enfin, l’IDE ONCO 2 a suivi un cursus plus
théorique avec un Master en Sciences cliniques en Soins Infirmiers dont une partie était
consacrée aux Sciences humaines et sociales et intégrait les concepts en lien avec la gestion
des émotions et la relation d’aide. Le toucher relationnel en faisait partie.
La suite de la question consistait à savoir ce que cette formation leur avait apporté en pratique.
Pour toutes, les formations suivies ont permis une véritable prise de conscience tant sur les
« situations », « l’impact sur la personne » et les « bénéfices attendus » (IDE ONCO 2). De
plus, le fait d’être soit même touché dans ce type de formation nous fait voir « l’effet » de
certains gestes sur le patient, ça nous permet aussi de « diminuer l’appréhension de toucher
un corps qui n'est pas le sien » (IDE SP 2). L’IDE SP 1 dont la formation était plus
spécifiquement orientée sur les patients Alzheimer en a retenu l’importance de ne pas être
trop intrusif, ni brusque, nos gestes pouvant être perçus comme agressifs. Il faut savoir
s’adapter à l’envie du patient.
Analyse des résultats
Des entretiens que j’ai menés, plusieurs points intéressants émergent. Le premier point, c’est
que le toucher n’intervient pas en priorité dans la relation. Il s’agit d’abord de bien
comprendre la personne dans ce qu’elle vit. Ensuite, le toucher n’est pas le seul moyen qui
existe pour créer un lien de confiance avec le patient ; il en existe beaucoup d’autres. Il faut
30
savoir s’adapter aux besoins du patient. Enfin, le toucher relationnel tient de l’intuition. Ce
n’est pas un acte réfléchi. Ce toucher dit « conscient » serait donc en fait plutôt
« inconscient ». C’est d’ailleurs, de façon plus générale, cette spontanéité qui semble faciliter
l’instauration de ce lien de confiance entre le soignant et le soigné.
« Bien comprendre ce que la personne vit » avant de la toucher
Identifier comment se manifeste la souffrance
Dans le cadre de référence, je me suis attachée à donner une définition de la souffrance et à en
expliquer les différentes composantes. Mais comment s’exprime cette souffrance chez le
patient ? Cette question, je ne l’ai pas abordée. Pourtant, elle est primordiale car de là dépend
la prise en compte de cette souffrance et la mise en œuvre des moyens pour aider le patient à
la traverser.
Lors des entretiens, les infirmières m’ont presque toutes parlé des pleurs et de la colère ou de
l’agressivité. Ce sont les démonstrations les plus évidentes. Même si être en colère peut
sembler paradoxale, chacun sait qu’elle cache souvent autre chose. La colère fait d’ailleurs
partie des cinq étapes du deuil selon Elisabeth Kübler-Ross61, psychiatre américaine des
années soixante.
Après d’autres types d’expressions plus subtils peuvent être constatés. Le patient peut être
dans de « multiples demandes », toujours insatisfait ou, au contraire ne jamais se plaindre et
rester prostré dans sa chambre. Parfois c’est sous la forme de maux physiques que cette
souffrance s’exprime. On constate que c’est l’IDE SP 2 qui évoque ces petits maux physiques
plus subtils et pour lesquels, il est souvent difficile de savoir s’ils tiennent de la maladie elle-
même ou de ses répercussions psychologiques. Or, l’IDE SP 2, âgée de 60 ans, a derrière elle
43 ans d’expérience en milieu hospitalier. L’expérience nous aide-t-elle à repérer ses
signaux ?
Sur son site Internet, l’HAS (Haute Autorité de Santé) a publié en mai 2014 des
recommandations visant à mieux prendre en compte la souffrance psychique des personnes
âgées. Même si nous ne nous intéressons pas spécifiquement à la personne âgée, les
recommandations présentes dans ce manuel peuvent être élargies à toute personne en état de
souffrance psychologique, quelle qu’elle soit. L’HAS propose notamment une partie traitant
du « Repérage précoce des signes de souffrance psychique ». Et à ce sujet, ils disent que le
61 KÜBLER-ROSS Elisabeth, Les Derniers Instants de la vie, trad. Cosette Jubert, Labor et Fides, 1975
31
mal-être est souvent implicite. Le patient ne va pas spontanément s’exprimer sur ses peines.
S’agissant des personnes âgées, « il est estimé que deux tiers des plaintes liées à la dépression
ont une expression somatique, véritable masque d’un état dépressif. »62 Ce document met en
avant l’importance qu’il y a à « Observer avec la personne et le cas échéant le(s) aidant(s),
les évolutions de son attitude. » 63
Parmi les différents signes pouvant alerter le soignant sur la souffrance psychologique de la
personne, on retrouve des attitudes dites inquiétantes :
- « Dans son rapport à elle-même », la « perte d’appétit » qui avait été évoquée sous le
terme d’« anorexie » ;
- « Dans son rapport aux autres », l’« apathie » qui avait été évoquée sous le terme de
« prostration », l’« irritabilité » et l’« agressivité »
Il existe encore de nombreux signes auxquels le soignant se doit d’être attentif et qui sont
présent dans ce document.
Faire preuve d’empathie et d’écoute
Mais un simple document suffit-il ? C’est une chose de connaître sur le bout des doigts la liste
des signes de souffrance psychique mais c’en est une autre de faire le lien dans la pratique
avec ce que l’on sait. D’ailleurs, l’HAS le dit, ces manifestations représentent un « faisceau
d’indices » auxquels on peut, lorsqu’ils sont pris de façon isolée, ne pas faire attention. Il
semble que certaines qualités d’observation, d’écoute et d’empathie soient requises.
L’IDE SP 1 estime « [qu’] il y a une part aussi de ressentis », qu’il faut « avoir suffisamment
d'empathie pour ressentir que l'autre ne va pas bien. » Pour elle, on a un peu l’impression que
c’est de l’ordre de l’instinctif. Le ressenti fait appel au sens. La raison et la logique n’entrent
pas en ligne de compte. En revanche, l’IDE ONCO 2 parle, elle, « des habiletés de techniques
relationnelles et en communication pour repérer les signaux, que ce soit dans la
communication verbale ou non verbale. » On a l’idée d’un fond plus théorique qui s’intègre à
la pratique. D’ailleurs, elle le dit : « Après c'est avec l'expérience et avec la formation qu'on le
voit. » Ce n’est plus de l’ordre de l’innée mais de l’acquis. C’est en tout cas probablement un
peu de tout ça : des facilités relationnelles, des facilités à ressentir les émotions de l’autre, que
l’on a développé grâce à nos expériences et à nos formations. 62 HAS, Prise en compte de la souffrance psychique de la personne âgée : prévention, repérage et accompagnement, « Le repérage précoce des signes de souffrance psychique » mis en ligne le 2 mai 2014, p.28 [URL : https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2018-03/anesm-agees-souffrance_physique_chap_2.pdf] Consulté le 25/04/2019 63 HAS, op. cit, p.29
32
Et en effet de nombreux soignants se forment aux techniques relationnelles. La relation d’aide
est l’une de ces techniques enseignées auprès des professionnels, mais aussi auprès des futurs
professionnels.
Pour identifier les émotions associées à cette souffrance
L’IDE ONCO 2 souligne également l’importance de bien comprendre les émotions associées
à cette souffrance. Les deux infirmières travaillant en oncologie ont par exemple précisé
qu’on ne devait pas toucher une personne en colère, qu’il fallait que la personne dépasse cette
colère, au risque de voir la réaction se majorer. Ce qui s’explique par le fait que la personne se
sente menacée par la violation de son espace vital. Dans cette situation extrême, on comprend
mieux pourquoi il est nécessaire de bien identifier l’état émotionnel du patient « ce qu'[il] dit
et comment [il] le dit quand [il] le vit ». (IDE ONCO 2)
Que « ça réponde à un besoin » de sa part d’être touchée
Pour cela, il est nécessaire d’établir un lien de confiance. J’ai donc demandé aux infirmières
quels étaient les moyens qu’elles utilisaient pour instaurer un climat de confiance avec le
patient. On voit à travers leurs différentes réponses qu’il existe de nombreux outils pour créer
une relation de confiance avec le patient. Il s’agit de s’adapter à chacun, de « trouver un
canal, un sujet qui va me permettre de créer un fil conducteur » (IDE SP 1).
Le toucher parmi de nombreux autres outils
On constate que le toucher n’est pas la réponse qui leur vient spontanément au départ. L’IDE
SP 1 n’en parle même pas. Elle évoque plus le dialogue, l’humour, la musique ou
l’aromathérapie. L’IDE SP 2 aussi utilise la musique, les paroles, les chansons et l’humour
(« faire le clown »). Puis, se rappelant le sujet, elle évoque les massages (« Et puis bien sûr,
les massages puisque c'est le sujet. »). D’ailleurs l’IDE ONCO 2 dit bien que l’on ne peut pas
toucher sans avoir au préalable identifier le problème de la personne. Il faut aussi respecter le
fait que certains patients ne sont pas réceptifs au toucher. L’IDE SP 1 qui elle-même dans sa
vie privée n’apprécie pas spécialement qu’on la touche est très sensible à cela. Les autres
infirmières notamment l’IDE ONCO 1 et l’IDE SP 2 sont attentives à cela. Il ne s’agit pas de
projeter sur l’autre nos propres besoins (« Même si c’est agréable pour nous, on ne peut pas
projeter sur l'autre. » IDE ONCO 1). L’IDE SP 2 parle de façon plus générale de
l’importance de respecter les envies et les besoins du patient (« Il faut éviter le dogmatisme, là
aussi. ′Ça c'est bien pour le patient et ça, ça n'est pas bien.′ »). Après en fonction de
33
l’évolution du patient dans l’acceptation de sa maladie, en fonction du moment et aussi en
fonction de ses besoins, deux options s’ouvrent à lui : soit se confronter à ses peurs, à ses
angoisses et tenter de les surmonter, soit oublier pour un temps la maladie et profiter de
l’instant présent.
Aider le patient à surmonter ses angoisses
Nous l’avons vu plus précédemment64, la relation d’aide est l’un des outils qui peut être utilisé
pour accompagner le patient dans ses difficultés à accepter la maladie. J’en avais déjà donné
une définition dans mon cadre de référence. Et cela a également été abordé par l’IDE ONCO
2 qui avait elle-même été formée à cette technique dans le cadre de son Master Sciences
clinique en soins infirmiers. Cette technique demande de la part de soignant ces mêmes
capacités d’écoute et d’empathie, sans jugement et en restant soi-même authentique et sincère.
On retrouve ici nos trois critères : « acceptation positive inconditionnelle », « congruence »,
« empathie ». L’IDE ONCO 2 considère que c’est la « base de notre rôle » en tant que
soignant.
Ou simplement lui offrir un « havre de paix » avec « légèreté »
L’IDE SP 2 préfère apporter plus de « légèreté » aux patients. Cette « légèreté » passe par
« la musique, les paroles, des chansons, faire le clown un peu ». Dans le cadre des soins
palliatifs, les patients sont très entourés. On se soucie aussi bien de leur souffrance physique
que de leur souffrance morale. Ils sont souvent sollicités par les médecins qui passent tous les
jours, par le psychologue qui propose régulièrement ses services. Ils ont déjà, comme ça, des
temps qui leur sont dédiés pour parler s’ils en ressentent le besoin. Pour l’IDE SP 2, son rôle
est de faire en sorte que, même pour un instant, le patient puisse penser à autre chose qu’à sa
maladie, qu’à sa fin. L’IDE SP 1 évoque les mêmes méthodes que l’IDE SP 2 même si elle
n’emploie pas le terme de « légèreté ».
On perçoit déjà une différence dans la prise en soins entre les services d’oncologie et de soins
palliatifs. Cette différence de rôle s’explique probablement par le fait que les oncologues sont
encore dans une perspective curative et d’espoir de rémission voire de guérison. Et ils ont
aussi beaucoup plus de patients à s’occuper. Ainsi, l’infirmière a aussi comme rôle
d’accompagner le patient dans sa maladie, de reformuler ce qui n’aurait pas pu être compris.
64 p.12
34
En soins palliatifs, chaque acteur a ce rôle d’accompagnant et peut prendre le temps avec le
patient. Le médecin s’intéresse bien évidemment aux traitements mais il s’intéresse aussi au
patient dans sa globalité.
Et puis « improviser comme ça, à l'intuition »
Faire confiance à son intuition
La relation soignant-soigné, ça se fait simplement. On peut l’observer, on peut l’analyser,
mais ça tient avant tout de la « rencontre entre deux personnalités » (IDE SP 1). Il en est de
même concernant le toucher, toutes les infirmières interrogées sur le sujet ont évoqué l’idée
que ce toucher relationnel était intuitif.
- IDE SP 1 : « On ne contrôle pas forcément à ce moment-là. À titre personnel, ça se
fait un peu de façon spontanée. Je ne cherche pas forcément à me dire : « Je prends la
main, je fais ci, ça. » Ça se fait tout seul. »
- IDE ONCO 1 : « C'est, quand tu le sens, bah tu fais. C'est un peu intuitif, en fait. »
- IDE ONCO 2 : « Et pour moi, ça se fait de façon très naturelle. »
- IDE SP 2 : « Oh c’est… c'est simple. C'est direct. Enfin, je ne me pose aucune
question. »
Mais qu’appelle-t-on l’intuition ? N’est-ce pas un terme utilisé à défaut de pouvoir expliquer
un phénomène qui serait de l’ordre de l’inexplicable ? Selon le Centre National de Ressources
Textuelles et Lexicales (CNRTL), l’intuition se définit comme l’« Action de deviner,
pressentir, sentir, comprendre, connaître quelqu'un ou quelque chose d'emblée, sans
parcourir les étapes de l'analyse, du raisonnement ou de la réflexion. »65
Si le toucher est naturel, spontané, intuitif et s’il ne fait pas appel à notre raison, c’est qu’il
échappe plus ou moins à notre conscience. On pourrait peut-être aller jusqu’à dire qu’il s’agit
en fait d’un toucher inconscient. Alors que ma question de départ était : en quoi le « toucher
conscient » influence-t-il la relation de confiance avec le patient dans un contexte de
souffrance psychologique ? ; et après avoir défini ce que j’entendais par « toucher conscient »,
j’en viens à parler d’un « toucher inconscient ». Mais il ne s’agit pas de la même conscience.
Le « toucher inconscient » dont je parle, parce qu’il implique un engagement émotionnel est
régi par notre système limbique, centre de nos émotions. Ce système est lui-même relié au
système nerveux autonome, responsable des processus physiologiques indépendant de notre
65 [URL : http://www.cnrtl.fr/definition/intuition] Consulté le 26/04/2019
35
volonté. On comprend mieux ici cette idée d’intuition. Selon Jean DECETY, professeur au
département de psychologie et de psychiatrie de l’Université de Chicago, la « plupart des
processus de traitement de l’information liés à la communication émotionnelle sont non
conscients et largement automatiques. » 66
Avoir envie et être disponible
Le toucher associé aux autres sens est générateur de perceptions, d’émotions. Notre
disposition, notre état d’esprit au moment d’utiliser ce toucher, mais plus généralement dans
notre relation à l’autre sera primordiale dans l’instauration d’un climat de confiance. Parmi
toutes les infirmières interrogées, trois m’ont parlé de la nécessité d’avoir envie de toucher le
patient. Pour l’IDE ONCO 2, c’est aussi cela l’authenticité dont il faut faire preuve avec le
patient. Si l’on n’a pas envie de toucher le patient, il va le ressentir. C’est aussi ce que revêt le
toucher dit « conscient ». Je suis avec la personne, je suis bien avec cette personne, j’ai envie
d’être avec cette personne, j’ai envie de l’aider.
La disposition d’esprit c’est aussi être disponible. L’IDE ONCO 1 et l’IDE SP 2 sont
particulièrement attentives à cette question, car évidemment « avoir à s’interrompre,
répondre à une sonnette, éteindre une pompe » (IDE ONCO 1) ne facilite pas la création d’un
espace suffisamment intime pour permettre le lien de confiance. L’IDE SP 2 va même plus
loin en expliquant implicitement que ce n’est pas que la question de temps, que notre état
d’esprit durant ces quelques minutes sera lui aussi déterminant dans la relation qui va se créer
avec le patient (« C'est être vraiment dans l'instant présent avec la personne. »).
Toutes ces conditions sont essentielles dans notre relation à l’autre, et d’autant plus lorsque le
toucher intervient, parce qu’il implique d’entrer dans l’espace vital de la personne. Ensuite, il
faut bien sûr que l’environnement soit adapté à la situation : être attentif à la chaleur de nos
mains, à la chaleur du produit, permettre au patient de s’apaiser en lui parlant avec douceur,
voire en lui proposant de la musique.
Pour créer un lien durable avec le patient
Cette mise en condition, puis toutes les paroles que nous pourrons avoir avec lui et enfin, le
toucher en lui-même faciliteront la mise en place d’un lien de confiance durable. J’ai trouvé
intéressants les propos rapportés par l’IDE ONCO 2 : « […] quand on l’a vue [cette
66 DECETY Jean, « Mécanismes neurophysiologiques impliqués dans l'empathie et la sympathie », Revue de neuropsychologie, 2010/2 (Volume 2), p. 133-144. DOI : 10.3917/rne.022.0133. [URL : https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2010-2-page-133.htm] Consulté le 26/04/2019
36
personne] dans une situation où elle est débordée émotionnellement. Elle va se souvenir de
vous. C'est pour ça que ça crée du lien pour la suite et de la confiance. […] Parce que les
personnes n'oublient pas, en fait. » Et c’est vrai que ce que vit la personne à ce moment-là,
elle s’en souviendra toute sa vie. Tout le monde se souvient de ce qu’il faisait le 11 septembre
2001. Par ailleurs, on sait que l’on retient mieux une information lorsque celle-ci est associée
à une émotion. Même si toute la lumière n’est pas encore faite sur ce phénomène, il apparaît
au regard de récentes études qu’une partie du système limbique impliqué dans la régulation de
nos émotions est aussi impliqué dans le processus de mémorisation. « Ce qui nous permet
d’avoir des expériences émotionnelles est ce qu’on appelle ′le cerveau émotionnel′ composé
de plusieurs structures cérébrales dont la plus importante est l’amygdale. Elle est d’un intérêt
particulier […] puisqu’elle est au centre du (des) système(s) qui permet(tent) la mémorisation
des informations émotionnelles. »67
Ce phénomène peut en partie expliquer la relation particulière qui se noue entre le soignant et
le soigné.
Alors que le sujet de ce mémoire s’attachait à comprendre l’influence du toucher dans la
relation soignant/soigné, on a constaté, à travers les entretiens menés et grâce à l’analyse qui
en a été faite, l’émergence de plusieurs idées qui n’avaient pas été évoquées dans le cadre de
référence. La première consistait à dire qu’avant même l’usage du toucher, il était primordial
de comprendre le vécu émotionnel du patient afin de pouvoir s’adapter au mieux à ses
besoins. La seconde était de dire que le toucher faisait partie de toute une palette d’outils à
disposition du soignant pour lui permettre d’être au plus près des besoins du patient, et qu’il
n’était donc pas l’unique recours, ni même le premier utilisé pour permettre la création d’un
lien de confiance. Enfin, la troisième et dernière idée qui ressortait de ces entretiens consistait
à dire que l’utilisation du toucher se faisait spontanément et plutôt de façon intuitive, dès lors
que l’envie était présente. On pourrait même généraliser en disant que la relation qui se crée
avec le patient se fait elle aussi spontanément et de façon intuitive. Cette dernière constatation
m’intéresse particulièrement et m’amène à envisager d’autres perspectives de recherche.
67 SAVA Alina-Alexandra, Effets des émotions sur la mémoire dans la maladie d’Alzheimer et dans le vieillissement normal – Le lien avec des facteurs cognitifs et anatomiques, thèse de doctorat en neuropsychologie, sous la direction de Hanna CHAINAY, Lyon, Université Lumière Lyon 2, pp.51-54
37
CONCLUSION
À partir d’une situation vécue en stage qui impliquait l’usage du toucher relationnel avec une
patiente ayant des difficultés à parler de sa souffrance, je me suis interrogée sur l’influence du
toucher dit « conscient » dans la relation de confiance avec le patient, et ce dans le cadre
d’une souffrance psychologique.
Après l’étude de nombreux écrits sur le sujet, j’ai trouvé important de décrire, en premier lieu,
le contexte particulier dans lequel la relation se nouait : un contexte où le patient en état de
vulnérabilité a besoin d’un soutien qui lui permette de surmonter les épreuves liées à sa
maladie et à l’idée de sa propre finitude. J’ai ensuite tenté d’expliquer ce que pouvait signifier
la notion de confiance dans nos sociétés actuelles et comment elle trouvait sa place dans un
contexte de soin, notamment grâce à la relation d’aide. Enfin, j’ai abordé la thématique du
toucher en la mettant en perspective avec ce que cela impliquait pour l’homme et ses relations
à autrui. J’ai également explicité le concept de « toucher conscient » que l’on retrouve au
cœur des différentes techniques de toucher relationnel enseignées aux infirmières.
Mes entretiens m’ont ouvert d’autres horizons. Ils m’ont permis de comprendre que le toucher
n’existe jamais seul. L’infirmière fait appel à tous ses sens pour percevoir et ressentir l’état
émotionnel du patient grâce à ses capacités d’empathie. Le toucher intervient dans un second
temp pour permettre au patient l’apaisement. Tout cela se fait intuitivement, spontanément,
dès lors qu’il existe une véritable envie du soignant à donner et à se donner. La raison et la
réflexion n’entrent pas en jeux dans ce type de relation. Tout se fait très naturellement. C’est
ce dernier point que j’ai souhaité approfondir.
Car, en effet, de là, plusieurs questions apparaissent. Quelle est la place de la formation et de
l’expérience ; donc de l’acquis dans cet échange sensé être spontané ? Comment l’aisance
relationnelle du soignant facilite-t-elle ou non cette relation ?
De toutes ces interrogations, une question plus globale semble se dessiner, qui me servira de
question de recherche pour d’autres travaux ultérieurs :
En quoi la spontanéité d’être du soignant influe-t-elle sur sa relation avec le patient ?
38
BIBLIOGRAPHIE
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PAVAN Évelyne. Le toucher au cœur des soins. Phase 1. Guide pour la pratique, la formation et
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[URL : https://www.ifjs.fr/ecole/toucher-massage-dans-les-soins/] Consulté le 18/02/19
MARESCOTTI Rosette et GINESTE Yves, Humanitude – Présentation
[URL : http://humanitude.wp.preprod-pp.net/lhumanitude/] Consulté le 18/02/19
40
ANNEXES
Mémoire de fin d’études
41
TABLE DES ANNEXES
ANNEXE I : Schéma de la souffrance globale ······················································· 42
ANNEXE II : Modèle conceptuel du toucher intentionnel (A. Connor) ······················ 43
ANNEXE III : Guide d’entretien ········································································ 44
ANNEXE IV : Entretien de l’IDE SP 1 ································································ 46
ANNEXE V : Entretien de l’IDE ONCO 1 ···························································· 52
ANNEXE VI : Entretien de l’IDE ONCO 2 ·························································· 57
ANNEXE VII : Entretien de l’IDE SP 2 ······························································· 62
ANNEXE VIII : Entretien complémentaire avec une socio-esthéticienne ··················· 70
42
ANNEXE I
Source : AUBRY Régis, DAYDÉ Marie-Claude. Soins palliatifs, éthique et fin de vie. Une aide pour la réflexion et la pratique à l’usage des soignants. Éditions Lamarre, 2017. p.92
43
ANNEXE II
Source : SCHAUB Corinne et al., « Examen de la portée des connaissances sur les concepts du toucher et du massage et de leurs effets sur l’agitation et le stress des personnes âgées hospitalisées atteintes de démence », Recherche en soins infirmiers 2016/3 (N° 126), p. 14.
44
ANNEXE III : GUIDE D’ENTRETIEN
Dans le cadre de ma formation en soins infirmiers, je suis amenée à effectuer un mémoire de
fin d'études dont le thème est orienté sur le toucher relationnel.
L'objectif de ces entretiens est de pouvoir valider la réalité du terrain et l'intérêt de mon
questionnement professionnel formulé ainsi :
En quoi le « toucher conscient » du soignant peut-il influencer la relation de confiance
avec le patient dans un contexte de souffrance psychologique ?
Afin de connaître votre opinion, je souhaite réaliser un entretien semi-directif, anonyme et
enregistré vocalement avec votre autorisation.
QUESTIONS POUR PRÉCISER LE PROFIL DES INFIRMIERS
Depuis combien de temps êtes-vous diplômé infirmier ?
Quel est votre parcours professionnel ?
Qu’est-ce qui a guidé vos choix ?
SOUFFRANCE
Question 1 : Comment se manifeste la souffrance psychologique des patients ?
Objectif : Repérer les signes de souffrance psychologique chez un patient
CONFIANCE
Question 2 : Quels sont les moyens que vous utilisez pour favoriser un climat de
confiance avec le patient ?
Objectif : Comprendre comment s’instaure la relation de confiance entre le
soignant et son patient
TOUCHER
- REPRÉSENTATION DU TOUCHER
Question 3 : En tant que personne, comment appréhendez-vous le toucher ?
Objectif : Définir la place du toucher dans le vécu personnel de l’individu
45
Question 4 : Quelle importance accordez-vous au toucher dans votre pratique
professionnelle ?
Objectif : Définir la place du toucher dans la pratique professionnelle de l’individu
- MÉTHODE
Question 5 : Dans quelles situations de soin, êtes-vous amené à utiliser ce toucher
relationnel ?
Objectif : Caractériser le contexte « de soin » qui amène à l’utilisation du toucher
relationnel
Question 6 : Quels sont les gestes ou les techniques que vous employez dans ce
toucher ?
Objectif : Identifier les différentes pratiques du toucher
Question 7 : Selon vous, qu’est-ce qui est indispensable pour que le toucher
relationnel soit bénéfique au patient ? À quoi êtes-vous vigilant ?
Objectif : Identifier les facteurs favorisant un toucher relationnel bienfaisant
- LES EFFETS SUR LA RELATION
Question 8 : Dans quelle mesure, le toucher influence-t-il votre relation avec le
patient ?
Objectif : Comprendre l’influence du toucher dans la relation soignant-soigné
- FORMATION
Question 9 : Avez-vous suivi une formation sur le toucher relationnel ?
>> Si oui laquelle ? Et qu’est-ce que cela vous a apporté ?
>> Si non, en ressentez-vous le besoin ?
Objectif : Connaître l’intérêt des formations sur le toucher dans la pratique réelle
CONCLUSION
Avez-vous encore des éléments que vous souhaiteriez aborder dont vous ne m'avez pas fait
part ?
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ANNEXE IV
ENTRETIEN – IDE SP 1
Entretien effectué dans l’office avec une infirmière, âgée de 35 ans et diplômée depuis 2007
(12 ans), travaillant depuis 4 ans en unité de soins palliatifs.
En fait, l'objet de mon mémoire concerne le toucher, et notamment le toucher dans la
relation soignant-soigné avec comme question de départ : en quoi le « toucher
conscient » influence-t-il la relation de confiance entre le soignant et le soigné dans le
cadre d'une souffrance psychologique ?
Déjà je vais commencer un peu sur votre parcours général pour savoir ce qui vous a
amené à choisir ce service. Depuis combien de temps êtes-vous diplômée infirmière ?
Depuis 2007. Donc ça fait 12 ans.
Du coup, quel a été votre parcours professionnel ?
Alors, moi, j'ai commencé principalement en sortie d'école par une envie d'améliorer ma
technique, ma dextérité. Donc, je n'ai pas voulu me positionner spécifiquement dans un
service. J'ai fait 3 ans, en fait, où je faisais principalement dans des urgences, des services de
chirurgie où j’étais vraiment vacataire et intérimaire. Comme ça, je tournais. Mais j'ai tourné
principalement dans les mêmes hôpitaux et principalement dans les mêmes services. Je
voulais apprendre vraiment à gérer plein de spécialités, plein d’imprévus, avoir une bonne
dextérité. Ce n’est pas forcément pertinent dès le départ parce que du coup c’est difficile
d’être opérationnel dès qu’on arrive quelque part mais c’est très formateur. Donc c’est ce
que je cherchais. J’ai fait ça pendant 3 ans et ça m’a permis de savoir exactement ce que je
voulais faire après. Après je me suis plus posée aux urgences parce qu’au final depuis mes
études avec tous mes stages optionnels c’est ce qui me plaisait et puis par la suite, parce que
j’adore le côté actif, speed avec un turn-over des patients, des prises en soins. Et
paradoxalement, au fur et à mesure, c’est ce qui me gênait le plus. Plus j’avançais en
expérience, plus c’est ce qui me dérangeait. Et puis, après, je me suis rendu compte qu’au
bout de 4-5 ans d’infirmière, j’avais énormément de mal à… Parce que j’ai fait pas mal
d’oncologie en CDD. Et en fait, je me suis rendu compte que les décès et moi, c’est… Je
n’arrivais pas du tout à gérer, ça me déstabilisait complètement. Pas forcément le décès de la
47
personne en soit mais l’accueil et l’accompagnement de l’entourage. Ça me déstabilisait… la
douleur des proches. Comme j’ai un caractère assez particulier. Je vais vers mes difficultés.
Je me suis posé la question de savoir quel service était plus à même de rencontrer des décès.
J’ai donc pris un poste en soins palliatifs. Ça m’a permis de me rendre compte que c’est
exactement ce que je recherchais dans ma vie professionnelle parce que ça alliait l’aspect
hyper-technique et l’aspect relationnel qu’on a de moins en moins dans les autres services.
Pas parce qu’on ne veut pas mais parce qu’on n’a pas le temps et assez de personnel pour.
J’ai trouvé ma vocation en tant que soignant dans cette spécialisation.
Comment se manifeste la souffrance psychologique des patients ? Qu’est-ce que vous
voyez, vous, en tant que soignant ?
Il y a autant d'expressions de la détresse psychologique que de personnes. Après, il y a une
part aussi de ressentis, d'avoir suffisamment d'empathie pour ressentir que l'autre ne va pas
bien. Après, certains arrivent à le verbaliser ; d'autres, ça va se manifester par des pleurs,
des micro-expressions, des expressions ; et d'autres, ça va être par des multiples demandes
qui sont anodines ; ça va être par une colère qui va être centrée sur quelque chose de
complètement opposé à leur vraie détresse : quelqu'un qui va nous engueuler parce que le
repas de 18h était immangeable. Des fois à 10 %-20% des cas, oui, c'est parce que ce n’était
pas bon, mais si on gratte un peu plus, si on questionne la personne, on se rend compte que
cette colère, cet énervement cache quelque chose. Après, plus on apprend à connaître notre
patient, plus on le questionne, plus on fait un recueil, plus on arrive à déterminer qu'il y a un
mal-être sous-jacent.
Est-ce que justement ils arrivent facilement à se confier ?
On ne peut pas faire de généralisation, de généralité parce que, du coup, je peux être
exactement la même soignante, avoir les mêmes gestes avec un patient… il va se sentir
suffisamment à l'aise avec moi pour me dire des choses. Puis à un autre moment, je vais être
exactement pareille, mais non. Après, c'est aussi une rencontre entre deux personnalités. Ça
matche. On n’est pas qu’infirmier. Des fois, ça arrive que ça soit au médecin qu'on va se
confier, des fois à l'infirmière, des fois à l’aide-soignant. Et des fois, tout simplement, c'est
aux bénévoles qui vont passer. Et parce que ça a matché, parce que la personne se sent soit
48
prête à ce moment-là pour verbaliser sa détresse, soit c'est cette personne-là qui lui donne
envie de se confier.
Est-ce que vous avez des petits moyens pour aider à créer un climat de confiance ?
J'essaie d’adapter. Des fois tout simplement en posant la question. En posant directement la
question pour savoir comment ça va au niveau moral. Des personnes vont dire oui mais ce
n’est pas ça le problème. Au fur et à mesure de la conversation, on revient dessus. D'autres
personnes on va passer par l'humour, par la musique, par l’aromathérapie. J'essaie de
trouver un canal, un sujet qui va me permettre de créer un fil conducteur, qui va me ramener
vraiment à ce qu'elle se livre. Ou même si elle n'a pas besoin de se livrer. Si je vois vraiment
qu'il y a un mal-être, mais que la personne ne veut pas s’exprimer, je propose, en dernier
recours, la médication en expliquant que je perçois une certaine anxiété, une certaine
angoisse et que s’il le souhaite, je peux leur mettre à disposition, selon la prescription
médicale, quelque chose pour les détendre. J'essaie de garder ça en dernier recours mais en
tout cas, on a plusieurs palettes. Ça dépend du soignant, du soigné et aussi du moment dans
la journée, il y a plein de facteurs qui font que ça va être plus propice ou pas.
Plus particulièrement concernant le toucher, comment appréhendez-vous
personnellement le toucher ? Je veux dire en tant que personne.
Moi, c'est le paradoxe total. Dans ma vie privée, je ne suis pas hyper-tactile. Même moi en
tant que personne, quand je me fais soigner, je n'aime pas qu'on me tripote, je n'aime pas
qu'on me touche, je n'aime pas que l'autre me touche. Mais, en tant que soignante, je vais
avoir un contact physique beaucoup plus facile. C'est naturel. C'est assez paradoxal. Si je suis
en situation professionnelle ou pas, j'ai un rapport au toucher différent.
Et donc quelle importance accordez-vous au toucher dans votre pratique
professionnelle ?
Après, toucher tout le monde, non. Parce que pareil, on ne peut pas en faire une généralité.
C'est peut-être aussi parce que je suis comme ça dans ma vie privée, je n’aime pas trop que
des inconnus me tripotent. Il y a certaines personnes, je ne vais pas facilement au toucher
physique parce que je ne sens pas qu'il y a un besoin ou une envie de l'autre. Du coup, je
respecte ça parce que tout le monde n'a pas envie d'être touché. Et puis, avec d'autres, même
49
dans leur posture, quand on est dans la chambre, on sent une ouverture au contact physique.
Et là, on y va franchement.
Dans quelles situations de soin êtes-vous amenée à utiliser le toucher relationnel ?
Ça va être dans beaucoup, beaucoup de soins. Ça peut être aussi bien juste quand quelqu'un
appelle parce qu'il a mal, même si l'on fait un bolus, pendant la discussion, pendant une
angoisse, pendant les soins d'hygiène où on axe beaucoup aussi sur le toucher, sur le massage
de l'autre. Je le fais systématiquement, pour le coup – je ne sais pas, c'est un besoin pour moi
aussi en tant que soignant - dans les derniers instants de vie de la personne, en plus de lui
parler même si la personne n'est plus réactive, j'ai besoin qu'il y ait ce contact physique avec
la personne pendant qu'elle est en train de partir. Du coup, c'est lui dire qu'on est là et de lui
faire sentir aussi qu’on est là par le toucher.
Quels sont les gestes et les techniques que vous utilisez dans la pratique du toucher ?
Ça peut être juste une main posée sur le bras, une caresse de la main. Ça peut être une
caresse sur le front. On ne contrôle pas forcément à ce moment-là. À titre personnel, ça se
fait un peu de façon spontanée. Je ne cherche pas forcément à me dire : « Je prends la main,
je fais ci, ça. » Ça se fait tout seul.
Selon vous, qu'est-ce qui est indispensable pour que le toucher relationnel soit bénéfique
pour le patient. À quoi essayez-vous de faire attention, plutôt concernant les facteurs
extérieurs ?
Déjà, si je sens qu'il est réceptif. Si la personne ne supporte pas qu'on la touche, qu'on arrive
et qu'on la tripote, on lui crée plus un inconfort, une gêne qu'un bien-être. Après, c'est surtout
des facteurs basiques. C'est d'avoir bien nettoyé ses mains. Si on a encore plein de SHA68
humide, ce n’est pas forcément un toucher agréable. Quand on vient de se laver les mains, ou
qu’on vient de l'extérieur, au moins de se réchauffer les mains parce qu'avoir un contact froid
sur soi ce n’est pas forcément agréable aussi.
68 Solution hydroalcoolique
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Qu'est-ce que vous percevez de l'effet de ce toucher sur le patient par rapport à la
relation que vous avez avec lui ?
Ça crée un climat un peu plus intime où certaines personnes se laissent aller, ferment les
yeux. Du coup, il n’y a même plus besoin de dialogue, de conversation verbale. Le toucher
suffit pour que la personne s’apaise. On voit que ça lui a fait du bien. Des fois, pour certaines
personnes, c'est le moment, d'un coup, où elles vont se mettre à parler de choses qui n'était
pas forcément dans la conversation initiale. Et la dernière chose, c'est que des fois il y a le
retour. C'est aussi autant agréable pour le soignant que pour le soigné parce qu’eux-mêmes,
ils se mettent à nous faire des petits câlins en parallèle. On discute et on sent que leur main,
elle bouge, elle nous caresse la main qu'on a posée. C'est agréable pour eux et nous aussi on
récupère quelque chose d’hyper-doux en retour.
Est-ce que vous avez eu une formation sur le toucher ?
Ici non, pas dans le service où je suis actuellement. Mais comme j'ai déjà été amenée à faire
des formations dans d'autres services, j'ai fait une formation de toucher-massage spécifique
aux patients Alzheimer. Au final, ça nous apprend à toucher l'autre et à ne pas être intrusif,
brusque. Ça m'a quand même aidée un petit peu. Comme je disais, au début, il y a aussi
l'envie. L'envie du soignant parce que tous les soignants n’ont pas forcément l'envie d'aller au
toucher. Les gens ont du mal à prendre la main de quelqu'un d'autre, à la câliner, à la
caresser. L'envie, et si le patient est réceptif. Un moment donné c'est de pas faire de choses
systématiques. La formation c'est un plus mais il y a aussi une part de savoir-être,
d'adaptation à la personne qui est en face. Il y a certaines personnes, juste les massages, les
préventions d'escarre, ils ne veulent pas en entendre parler. C’est non. Après bien sûr, il y a
des raisons médicales. S'il y a un alitement, là, on le fait malgré tout mais on essaie d'être le
plus succinct possible pour ne pas créer de gêne, de mal-être chez le patient. Mais c'est déjà
tout simplement si le patient a envie. Après si les deux ont envie, ça se fait naturellement.
La formation que vous avez eue pour le toucher-massage, est-ce qu'elle vous a apporté
quelque chose ?
Dans le côté, geste brusque, oui. Parce que des fois, ça peut être perçu de façon violente et
agressive de toucher l'autre. Il faut y aller en douceur. Ce qui peut sembler anodin peut être
vécu comme une agression par l'autre.
51
Avez-vous d'autres choses à ajouter sur le sujet ?
Pour moi, il y a le côté très scolaire mais je ne peux pas faire exactement la même chose avec
tout le monde. Tout simplement parce que, même si on est dans des spécialités avec les mêmes
pathologies, les patients ont leur propre personnalité. Si on doit vraiment axer sur quelque
chose, c'est l'individualité des patients. Il faut s'adapter à chacun et ne pas faire des choses
systématiques. Que ce soit par le toucher, par les questions. Il y a beaucoup de chemins qui
mènent au même résultat, après c'est trouver le meilleur chemin pour chaque patient,
individualiser l'approche psychologique auprès de nos patients.
Voilà. Très bien. Merci.
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ANNEXE V
ENTRETIEN – IDE ONCO 1
Entretien effectué dans l’office avec une infirmière, âgée de 37 ans et diplômée depuis 2008
(11 ans), travaillant en hôpital de jour d’oncologie.
Le sujet de mémoire concerne le toucher relationnel. Et donc ma question de départ est :
en quoi le « toucher conscient » influence-t-il la relation de confiance entre le soignant et
le soigné dans le cadre d'une souffrance psychologique ?
Je vais déjà commencer sur votre parcours en général. Depuis combien de temps vous
êtes diplômée infirmière ?
11 ans
D'accord. Et c'était quoi votre parcours, en fait ? Qu'est-ce que vous avez fait ?
J'ai fait de la cancérologie, en premier, en hospitalisation. Après, je suis partie en soins
palliatifs. Je suis repassée en service de soins infirmiers à domicile, un SSIAD. Et je suis
retournée en hôpital de jour.
C'était quoi votre choix par rapport à ces différents services ?
Quand j'ai quitté l’oncologie la première fois, c'était pour approfondir les prises en charge en
fin de vie, parce qu'on en avait beaucoup ici, mais on le faisait un peu intuitivement. On
n'était pas formé plus que ça donc j'ai voulu creuser. Après, ce qui m'a fait partir des soins
palliatifs, ce n’est pas forcément le fait que ce soit dur, mais c'était aussi que j'étais en 12h et
que donc familialement c'était un peu compliqué à gérer. J'ai fait un an et demi. Après le soin
à domicile, c'était par rapport aux horaires. Le domicile, ça me plaisait bien mais le dos, j'ai
bien ramassé. À 30 ans, j'ai dit : « Oula ! J'ai des douleurs comme une personne âgée, donc
on va arrêter. » Et les limites un peu du domicile aussi, c'est quand tu es avec un médecin
traitant avec qui ça ne se passe pas top, tu n'as pas d'autres recours. Le fait de retourner à
l'hôpital... Bah voilà, tu sais que tu as plusieurs personnes, plusieurs intervenants. C'est un
peu plus structuré.
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Alors maintenant pour se concentrer plus sur la thématique, je voulais savoir comment
vous percevez la souffrance psychologique des patients ? Comment ils l’expriment ?
Ça peut être des patients qui arrivent, qui craquent complètement, qui pleurent, qui
s'effondrent complètement, ou qui vont verbaliser. Mais c'est plus souvent des pleurs en fait.
Après, on va questionner un petit peu, on va aller un peu plus loin en posant des questions.
Souvent les pleurs ou derrière l'agressivité aussi. Derrière en fait, ils sont complètement
stressés, ça peut être aussi un signe de souffrance. Il ne faut pas toujours s'arrêter au premier
contact qui n'est pas forcément très agréable.
Et derrière, qu'est-ce que justement vous mettez en place pour favoriser ce lien de
confiance ?
Bah, déjà moi, j'ai tendance à vraiment les autoriser à lâcher, parce que souvent, ils
s'excusent de craquer. Voilà, moi, je leur dis que, finalement, c'est l'endroit où ils peuvent le
faire. Bon, on n'a pas forcément le temps de... mais on essaie de le prendre. Sinon, si je vois
que vraiment on est qu'à deux en salle, je leur dis que je vais revenir. Après, je leur laisse un
verre d'eau, un machin. Après, c'est vrai que moi, j'ai toujours eu le réflexe quand quelqu'un,
même en soins palliatifs, ne se sentait pas bien ou avait mal, aussi, de le toucher. Après, en
demandant, ou demandant pas l'autorisation, ça dépend un petit peu comment ça se passe.
C'est, quand tu le sens, bah tu fais. C'est un peu intuitif, en fait. Des fois, c'est juste accueillir
ce qui se passe parce qu'ils n’ont pas forcément envie de parler. Pas systématiquement
proposer le psy parce que ça n'a pas forcément lieu d'être.
En tant que personne, vous, comment appréhendez-vous le toucher ?
Alors moi je triche un peu. C'est pour ça, c'est marrant que vous veniez aujourd'hui. Moi, j'ai
fait une formation en massage sur les points d'acupuncture, à l'extérieur, en perso. J'avais
commencé à proposer un petit peu ici mais, faute de temps et de moyens, parce qu’on manque
souvent de personnel, c'est un peu passé à la trappe. Mais c'est un de mes outils dans ma
mallette d'infirmière. C'est quelque chose que j'apprécie pour moi. Et j'avais toujours... Même
avant d'être formée à cette technique-là, j'avais toujours tendance à toucher. Et quand je l'ai
reçu pour moi je me suis dit : « Ah bah voilà ce qu'il me manquait. » Et du coup, j'ai fait la
formation après, sur 4 ans.
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Et en parallèle quelle importance accordez-vous au toucher dans votre pratique
professionnelle ?
Moi je trouve que c'est primordial mais après, tout le monde n'est pas réceptif. Donc c'est
vraiment de proposer. Je ne force personne. Et puis après on voit tout de suite si la personne
est à l'aise ou pas. Je n’ai pas eu de refus pour l'instant. Mais c’est ça, respecter parce qu’il y
en a qui n'aiment pas être touchés. Ça peut réveiller des choses pas agréables. Même si c’est
agréable pour nous, on ne peut pas projeter sur l'autre.
Dans quelles situations de soin êtes-vous amenée à utiliser ce toucher ?
Quand les patients sont très anxieux avant une première chimio. On m’a appelé aussi quand
il y avait des personnes qui avaient des nausées très importantes, qui avaient tout essayé, puis
facteur anxiogène aussi, donc pour les calmer un petit peu. Beaucoup sur le stress. Il y avait
un patient aussi, c'était pour des douleurs dans le dos. Et quand on est en entretien seul à seul
avec le patient, c’est souvent quand ils expriment, bah voilà… la maladie chronique, donc un
peu, ras-le-bol de se battre, ça peut être un des outils que je propose. Ou quand ils sont très
stressés avant d'aller voir le médecin parce qu'il y a les résultats du scanner et que peut-être
la maladie va évoluer. Donc ils sont là-haut et pour faire redescendre un peu le truc quoi.
Après c'est un peu en fonction de l'organisation. C'est plus facile quand je suis seule en
consultation chimio, parce que du coup, je gère mon temps un peu comme je veux. Après, en
salle, ça dépend de l'activité, des autres patients. De toute façon, ce n’est pas un protocole
complet que je fais parce que je n’ai pas forcément le temps. En fonction de l'activité, je vois
si je peux me permettre de me faire détacher ou pas. Même si c'est, des fois, que dix minutes
ou un quart d'heure, il ne faut pas que ça mette les collègues en difficulté aussi.
Et justement quelles sont les gestes ou les techniques utilisés dans la pratique du
toucher ?
Après ça peut être juste prendre la main ou poser la main sur la cuisse ou l'épaule. Ça
dépend. Ou alors c'est plus complet donc c'est vraiment des massages sur les points
d'acupuncture souvent sur les bras, un peu la poitrine, le ventre parce que c'est là que sont
toutes les émotions. Ça permet de les libérer. Le dos aussi auquel je peux avoir accès. Quand
c'est un shiatsu complet c'est vraiment sur tout le corps donc aussi les jambes… Mais là c'est
arrivé et très rarement.
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Et selon vous, qu'est-ce qui est indispensable pour que le toucher relationnel soit
bénéfique au patient ? À quoi êtes-vous vigilant ? Plutôt au niveau des facteurs
externes ? Pas forcément dans la technique mais plus sur ce qui peut influencer ce
toucher ?
Je vais déjà voir si le patient est d'accord ou pas. Après des fois, comme je dis, ça se fait un
peu intuitivement, donc voilà. Après, si c'est pour proposer le shiatsu, je demande l’accord
systématiquement. Il faut que ça réponde à un besoin qu'il a à ce moment-là. Des fois, ça peut
être juste de pleurer, juste de s'énerver. De toute façon, quelqu'un d'énervé, par principe, je
ne vais pas forcément le toucher, parce que ça va majorer la réaction. Après voilà, par des
mots, apaiser un petit peu avant de voir ce qu'on peut faire. Après ce n’est pas pour ça que ça
va marcher. Ce qui est indispensable... Un peu la compliance du patient, que lui aussi soit
réceptif, que ça ne le mette pas en difficulté. Une fois, on m’avait appelé pour une patiente
très stressée qui avait de gros antécédents psychologiques. Et en fait, moi seule, je ne pouvais
pas gérer tout ça. J’ai fait ce que je pouvais faire mais je sentais bien que c'était au-delà de
ce que je pouvais toucher, apaiser parce que c’était des trucs qui remontaient à l'enfance.
Dans ce cas, il y avait vraiment besoin d'une prise en charge psychologique voire
psychiatrique pour des médicaments et tout ça. Après, c'est aussi de connaître ses limites, voir
quand on peut faire appel à l'autre ou si c'est juste transitoire. Ce qui peut aussi interférer,
c'est de ne pas être forcément disponible, d'avoir à s’interrompre, répondre à une sonnette,
éteindre une pompe. Ça casse un peu... Même s’ils sont dans la compréhension. Après c'est
aussi de sentir... Je pense qu'il faut faire attention aussi, je ne sais pas si je vais utiliser les
bons mots, mais tout ce qui est transfert. Il y avait un patient qui me demandait à chaque fois
qu’il venait. Donc c'est aussi trouver la bonne distance, que ça laisse la possibilité aux autres
soignants d’intervenir, chacun avec ses propres outils. Que ce ne soit pas exclusif, juste sur
une personne. Et puis, pour moi, ce n’était pas très agréable non plus. Parce que ce n’est pas
correct.
Qu'est-ce que vous percevez de l’effet de ce toucher sur le patient ?
Souvent je leur demande d'évaluer un petit peu à la fin comment ils se sentent. Si c'est bon, ils
me disent qu'ils sont plus détendus, que ça leur a fait du bien. Même une, une fois, qui avait
complètement craqué en consultation. Au départ, elle ne voulait pas que je la touche parce
que c'était une battante. Elle n’aimait pas être comme ça. Mais là, j'avais senti que je pouvais
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y aller quand même et en fait elle était super contente à la fin. Elle était tellement tendue de
l'intérieur qu’elle pensait qu'il n'y avait rien qui pouvait l'apaiser. Je lui ai dit qu'on pouvait
essayer et qu'elle pouvait arrêter si ça n’était pas agréable pour elle. Et en fait à la fin elle
était super contente. Donc oui, ça peut vraiment aider.
Et sur la relation que vous avez avec lui ? Dans quelle mesure le toucher influence cette
relation ?
Par la proximité du toucher, une relation de confiance se crée. Ça facilite la réassurance. On
montre qu’on le soutient, qu’on est avec lui… Voilà.
Donc du coup est-ce que vous pouvez me parler de la formation que vous avez faite sur
le toucher ?
C'était une formation sur 4 ans tous les 15 jours, le soir, pendant 3h. Plus des heures de
pratique.
Et qu'est-ce que cette formation vous a apporté ?
Je pense que ça donne des outils après sur comment réagir. Ce que je faisais avant c'était
vraiment plus intuitif, mais ça n’apportait pas ce soulagement comme je peux le voir
maintenant par exemple.
Je sais que vous êtes pressée. Je vous remercie du temps que vous avez pu m’accorder.
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ANNEXE VI
ENTRETIEN – IDE ONCO 2
Entretien effectué sur la terrasse extérieure de l’hôpital avec une infirmière, âgée de 35 ans et
diplômée depuis 2006 (13 ans), travaillant en hôpital de jour d’oncologie.
Du coup, mon sujet c’est sur le toucher relationnel. Donc, en fait, ma question de départ
c’est : en quoi le « toucher conscient » influence la relation de confiance entre le soignant
et le soigné dans le cadre d'une souffrance psychologique ?
Je vais déjà vous poser des questions sur votre parcours en général. Depuis combien de
temps êtes-vous diplômée infirmière ?
Je suis diplômée infirmière depuis 2006.
D'accord. Et quel a été votre parcours ?
Alors mon parcours. J'ai été diplômée en 2006. Pendant deux ans, j’ai travaillé dans un
service d’hospitalisation en médecine oncologique et en soins palliatifs. Ensuite, j’ai voulu
changer. J’ai fait un an de psychiatrie. Après, j’ai déménagé pour des raisons personnelles.
J’ai fait un petit peu de bloc. J’ai fait de la psychiatrie dans le but de me former aux soins
relationnels justement. Parce qu’au bout de deux ans en oncologie médicale, je me suis rendu
compte que j’avais des manques en termes d’accompagnement pour les personnes à qui on
annonçait l’arrêt des soins ou lors des entretiens infirmiers. Donc j’ai voulu vraiment me
former en psychiatrie adulte. J’ai fait du bloc opératoire et de la salle de réveil - ça m’a pas
du tout plu – pendant peut-être un an. Et du coup après je suis arrivée ici. Depuis six ans, en
oncologie… En fait, je me suis rendu compte que c’était l’oncologie que j’appréciais. Entre
temps, j’ai fait, en 2015, un… Non, en 2014-2015, j’ai fait un DU69 Douleurs en Soins
Palliatifs. Et après, de 2015 à 2017, j’ai fait un master « Sciences Cliniques en Soins
Infirmiers » que j’ai validé. C’était l’option « Maladie Chronique et Dépendance ».
Votre choix s’est porté sur l’oncologie. Pour quelles raisons exactement ?
Parce que ça allie soins relationnels et soins techniques. C’est en perpétuels mouvements, en
termes de recherches, de connaissances. C’est un milieu que j’apprécie.
69 Diplôme Universitaire
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Alors maintenant pour se concentrer plus sur le sujet, comment vous percevez la
souffrance psychologique du patient ?
Déjà ça demande au soignant d'avoir des habiletés de techniques relationnelles et en
communication pour repérer les signaux, que ce soit dans la communication verbale ou non
verbale. Donc par exemple une situation que j'ai vécue hier. Une patiente qui arrive,
première cure, qui paraît très stressée à peine arrivée, qui est dans de multiples demandes -
où est-ce qu'elle s'assoit, si elle peut poser son sac. Elle reste debout. En fait, elle quémande
de l'attention. Et par la communication non verbale, c'est-à-dire le regard fixe, figé, les bras
croisés, l'air tendu. En fait, c'est de se présenter et de percevoir quelle émotion il y a derrière.
Elle paraissait être en colère mais en fait elle avait peur, cette dame. C'est en la touchant
pour lui demander de quoi elle avait besoin pour que ça se passe le mieux pour elle, c'est là
qu'elle s'est mise à pleurer en me disant qu'elle avait très peur de vomir. Donc c'est de
percevoir tout ce qui est subtil. Après c'est avec l'expérience et avec la formation qu'on le
voit. Pour ne pas passer à côté.
Quels sont les moyens que vous mettez en place pour instaurer une relation de confiance
avec le patient ?
Tu as déjà l'accueil. L'accueil est très important. Ensuite en termes d'outil clinique qui peut
être mis en place, ça va être la relation d'aide, essentiellement. C'est la base de notre rôle, de
notre approche. C'est de faire une vraie relation d'aide selon le concept pour arriver au
dépassement de l'angoisse comme le suggérait Carl Rogers dans sa recherche. Sinon ça va
être aussi d’accompagner, de toucher, mais que quand on a perçu ou bien identifié quel était
le problème, que ce soit d'ordre émotionnel, quand on a bien entendu les deux niveaux
d'émotion c'est-à-dire ce qu'elle dit et comment elle le dit quand elle le vit. Et quand on a
identifié soit la peur, soit la tristesse, là on peut toucher la personne afin d’accéder à son
monde intérieur et d’être encore plus à l'écoute de son vécu.
Comment vous, personnellement, en tant que personne, vous appréhendez le toucher ?
Pour moi, c'est évident. C'est quand on est en pleine congruence avec la personne justement.
En fait, on reste authentique et on sent que la personne a besoin d'une relation singulière.
C’est d'être connecté à l'autre en fait, de réduire cette distance. Et du coup de rentrer aussi
par le toucher ça permet de mieux comprendre la personne, de son vécu physique de
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l'émotion. Et pour moi, ça se fait de façon très naturelle. Avec la personne, hier, ça s'est bien
passé et instinctivement elle m'a pris dans ses bras. Je ne m'y attendais pas et je l'ai accueillie
dans son toucher qu'elle a aussi mis sur moi.
Et donc, ça rejoint un peu la question que j'ai posée avant. Mais quelle importance
accordez-vous au toucher dans votre pratique professionnelle ?
C'est quelque chose que j'utilise très souvent, en entretiens infirmiers, en consultation ou en
salle de soins même, très souvent. De toute façon, vu que la rencontre se crée autour d'un
soin, très souvent, on est déjà dans le toucher corporel. Et donc forcément, quand on va
percevoir qu’une personne tremble, on va instinctivement poser sa main sur l'épaule, lui
expliquer ce qu'on fait, ce qu’elle ne voit pas. Ça la rassure. On garde le contact avec elle en
fait. C'est lui montrer qu'on reste avec elle. Elle n'est pas seule à vivre cette émotion. On a
compris que c'était difficile pour elle et c’est aussi de l'accompagner sur ça.
Dans quelles situations de soin vous êtes amenée à utiliser ce toucher relationnel ? On l’a
déjà un peu évoqué avec la relation d'aide.
Plusieurs soins : pose d'aiguille de Huber par exemple, perfusion en voie veineuse
périphérique. Ça peut être vraiment dans tous les soins. Tous les gestes invasifs.
Quelles sont les gestes ou les techniques utilisés dans la pratique du toucher ?
Souvent c’est juste de lui tenir le poignet, lui faire une légère pression. Je n’ai pas de
techniques particulières. Généralement, je prends le poignet comme si j’allais prendre le
pouls. Ça me permet de mieux percevoir l’état émotionnel de la personne et comment elle le
vit dans son corps. Je ne touche jamais une personne en colère. Il faut qu’elle dépasse cette
colère. Si on parle du toucher corporel c’est la personne qui me prend dans ses bras si elle en
ressent le besoin. Le toucher, c’est quelque chose en plus dans la relation qui facilite le lien
de confiance. Si une personne n’arrive pas à parler, le toucher peut aider à la faire parler.
Selon vous, qu'est-ce qui est indispensable pour que le toucher relationnel soit bénéfique
au patient ?
C’est de bien comprendre ce que la personne vit sur le moment donné, déjà. Bien identifier.
Ça c'est l'essentiel. Sinon, on peut être à côté de la plaque et être plus délétère. Et c’est aussi
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de voir jusqu'où on peut aller en tant que soignant. Parce qu'il y a des personnes qui ne
supportent pas d'être touchées, par exemple. Et ça il faut bien comprendre. C’est de la
questionner aussi : « Comment vous vous sentez dans votre corps ? ». Il y a pas mal de
choses, en fait, qui permettent avec l'expérience de comprendre si on peut y aller ou pas ?
C'est souvent, aussi, les expériences qu'on perçoit comme une erreur qui sont formatrices
pour la suite.
Qu’est-ce-que vous percevez de l’effet de ce toucher dans la relation avec le patient ?
C'est-à-dire - comment je peux dire ça ? - dans quelle mesure, ça a un impact dans la
relation qui se crée, après, entre vous ?
Ça crée une relation de confiance. Ça crée une relation, pas comme une référence, mais ça
crée un lien, en fait, avec cette personne quand on l’a vue dans une situation où elle est
débordée émotionnellement. Elle va se souvenir de vous. C'est pour ça que ça crée du lien
pour la suite et de la confiance. Tu transmets après à des professionnels qui vont passer par
là, et ça crée des liens sur le long terme. Parce que les personnes n'oublient pas, en fait.
Est-ce que vous avez suivi une formation sur le toucher relationnel ?
J'ai fait, dans le cadre de Master Sciences clinique en soins infirmiers, toute une grande
partie en sciences humaines et sociales. Il y avait aussi du toucher relationnel. Je n’ai pas eu
de formation spécifique au toucher thérapeutique. Mais c’est dans le cadre de la formation
que j'ai pu voir beaucoup de concepts en lien avec la gestion des émotions et sur la relation
d'aide. On a pu aborder cet outil clinique.
Et selon vous, par rapport à avant cette formation et après, est-ce que ça a changé
quelque chose dans votre pratique ?
Je comprends mieux dans quelles situations ça s'applique et quel va être l'impact pour la
personne et le bénéfice attendu aussi derrière. Et ça permet de mieux mesurer les
interventions par la suite. J'ai une prise de conscience un peu plus forte.
Vous avez d'autres choses à rajouter ? Sinon, c’est bon pour moi.
Bah non. Moi je pense qu'il faut bien comprendre l'autre pour savoir comment accéder à son
monde intérieur, que ce soit par le toucher, par la parole. Et c'est aussi, je pense, être
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congruent, être authentique, ne pas se forcer. Parce que les personnes, elles le sentent
forcément. Si on la touche du bout du doigt, c'est qu'on n’a pas envie parce qu’elle est sale,
elle a des ongles purulents. La congruence c'est important.
D’accord. Merci d’avoir pris de votre temps.
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ANNEXE VII
ENTRETIEN – IDE SP 2
Entretien effectué dans la salle de pause avec une infirmière, âgée de 60 ans et diplômée
depuis 1988 (31 ans), travaillant en unité de soins palliatifs.
Alors, en fait, l'objet de mon mémoire concerne le toucher relationnel. Et du coup, ma
question de départ est : en quoi le « toucher conscient » influence la relation entre le
soignant et le soigné dans le cadre d'une souffrance psychologique ?
Alors, je vais commencer d'abord par votre parcours général. Donc depuis combien de
temps êtes-vous diplômée infirmière ?
Moi j'ai un parcours... Je ne peux pas répondre simplement à cette question parce que j'ai
commencé en 77, en psychiatrie, à l'époque où il y avait encore l'école d'infirmière en
psychiatrie. Et ensuite, j'ai travaillé comme faisant-fonction d'infirmière psychiatrique pour
différentes raisons et ensuite j’ai travaillé comme aide-soignante. Et ensuite j'ai repris les
études. J'ai eu une équivalence pour refaire deux années et donc mon diplôme d'infirmière est
de 88 mais j'avais déjà 11 ans d'expérience hospitalière dans plein d'endroits différents en
psychiatrie, en rééducation, en chirurgie…
Et du coup, qu'est-ce qui vous a fait choisir les soins palliatifs ?
Mon parcours de vie personnelle, je pense. Parce que dès que j'en ai entendu parler, dans les
années 80… Moi, j'ai perdu ma mère et mon père dans les années 80, à très peu d'années de
distance. Ma mère, ça a été le cauchemar. Et mon père, lui, il a bénéficié d'être gardé dans un
service où ils ont été attentifs à la prise en charge de sa douleur, de son moral, de nous. Ils
ont fait ce qu'ils ont pu. C'était dans un service de chirurgie gastro à Tours. Et voilà… Donc,
moi, j'ai ce parcours-là en moi. Donc j'ai toujours été hyper-rebelle, attentive à ce que les
patients dont je m'occupais soient soulagés. Je me suis toujours battue pour ça. Partout. Aussi
bien en psychiatrie qu'en SSR, qu’ailleurs quoi. Ça a été mon cheval de bataille Il y a un truc
déterminant, c'est les émissions à la télévision dans les années 80 sur « Le bébé est une
personne » et justement sur l'approche de la mort. Et j'ai entendu parler de ce qui se passait
dans les pays anglo-saxons. En 88, donc l'année de l'ouverture de la première unité de soins
palliatifs hors assistance publique, la Cité Universitaire, moi, j'étais à Tours, mais je suis
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venue vivre à Paris avec mon chéri. Et en même temps reprendre des études - je ne voulais
pas juste suivre un mec, mais faire des choses pour moi. Donc je reprends les études et là, je
suis admise en deuxième année d'école d'infirmière mais nommée à l'école de Paul Brousse,
donc juste à côté. Et en même temps je pense qu’inconsciemment, j'avais besoin de tout ce
temps que ça m'a pris - parce que j'ai intégré l’unité en 2002 - pour faire le deuil et travailler
sur ma colère par rapport à la mort de ma mère, par rapport à plein de choses. Donc j'ai dû
régler tous ces problèmes en psychothérapie, en travail personnel, en réfléchissant. Mais, ce
n'était pas conscient. Après coup, je me suis dit : « Bah oui ! », parce qu'on est venu nous voir
à l'école pour nous demander si on voulait venir. Enfin, ils démarchaient. J'étais très
intéressée, mais je n'ai pas donné suite. Donc voilà… En fait, c'est un parcours de 30 ans.
C'est maturé… Vraiment. Après, j'ai été dans cet hôpital que j'ai découvert où j’habitais à
deux rues. Et s'il n'y avait pas eu d'ouverture de soins palliatifs, je serai partie, parce que j’y
suis depuis 88 ans en fait depuis mon diplôme. Voilà c'est une longue maturation avec une
prise de conscience successive de l'importance de prendre soin et du patient et des familles.
Que c’est dans la globalité que c’est essentiel. Et de prendre soin de soi en tant que soignant.
Alors j'ai fait le DU. J'ai eu cette chance. J'étais en médecine gastro, en 2001 J'ai intégré le
DU de Paul Brousse. Et en fait, en janvier 2002, on ouvrait l'unité. Donc j'étais en même
temps dans l'apprentissage théorique et dans le vif du sujet. Et, avec surtout… On a eu la
chance d'accueillir ici toute cette équipe expérimentée qui venait de la Cité Universitaire.
Donc la boucle est bouclée. Au départ, on a accueilli dans nos murs, une unité complète avec
le chef de service, les infirmières, les aides-soignantes… enfin ceux qui ont bien voulu venir.
Donc j'ai eu cette chance aussi que cette transmission ait lieu avec des gens qui avaient cette
expérience, quelques-uns depuis le début. Donc, j'ai beaucoup appris. J'avais une soif
d'apprendre. Et de comprendre et d'humilité aussi. Parce que je voyais tout le chemin encore
à parcourir. Même si j'avais déjà beaucoup d'expérience. Mais c'est vrai que ça revient avec
mon histoire. Il faut garder cette conscience d'obligation de travail sur soi. C'est vrai que
j'étais une femme en colère. J'étais vraiment une femme en colère la plupart du temps. J’ai pu
être extrémiste même dans certains choix. C'est-à-dire refuser que le patient parte en
ambulance, en radiothérapie, en disant : « Non, c'est plus la peine. Vous annulez
l’ambulance. » À cette époque-là, à la fin des années 80, les médecins étaient adorables mais
démunis. Et quand il n'y avait plus rien à faire, selon eux, il ne venait plus voir les patients. Il
faut se rappeler comment c'était. Il n’y avait pas d'alternative, pas tellement de seringues de
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morphine, tout ça. Moi, j'en avais marre d'être Don Quichotte contre les moulins à vent. Je
voulais enfin connaître un endroit où je pourrais me poser pour vraiment bien m'occuper des
patients.
Donc du coup, plus spécifiquement sur le sujet, comment percevez-vous la souffrance
psychologique des patients ?
Tout dépend si le patient est en capacité de le verbaliser ou pas. D'ailleurs, il ne nous le
verbalise pas systématiquement. Par exemple, ça peut se manifester par beaucoup
d'agressivité ou de mise en accusation : « Vous ne faites rien. Je ne peux plus manger, je ne
peux plus bouger, je ne peux plus rien faire, c'est de votre faute. Vous ne me donnez pas les
médicaments qu'il faut. » Alors les mécanismes de défense, on sait les reconnaître et tout,
mais il faut aussi savoir reconnaître les siens en tant que soignant. Parce que, selon la
personnalité des patients, des fois, même encore 43 ans… - parce que ça fait 43 ans que je
travaille - 43 ans après, je me le prends en pleine poire ou pas. Voilà ça peut être
l'agressivité, ça peut être les pleurs, ça peut être la prostration. Et puis voilà un dégoût de
tout. Ça peut être une anorexie, des troubles du sommeil. Plein de symptômes physiques. Et
puis aussi le rien, le visage vide. Ou de l'agressivité dirigée vers la famille. Mais ce n'est pas
forcément explicite. C'est tout un décryptage complet. Quelqu'un qui va dire : « Non mais tout
va bien. Tout va bien. » Non. Tout ne vas pas très bien en fin de compte. Tu ne peux pas aller
aussi bien que tu le dis. « Oui, non, mais je gère. Je sais que je vais mourir mais je ne veux
pas qu'on m'en parle. » Ça, c’est posé au départ. Ou « Quand j'irai mieux… » Enfin c'est ça.
Je ne sais pas si je réponds à votre question.
Si, si. C'est ça. C'est parfait. Et justement pour créer ce climat de confiance, quels sont
les moyens que vous utilisez ?
Moi j'utilise beaucoup la légèreté. Ce que j'appelle la légèreté, c'est-à-dire la musique, les
paroles, des chansons, faire le clown un peu. Par exemple, pour un patient, qui est assez
particulier, avec qui le lien est difficile. Bah du coup, j’ai imité plein de chants d'oiseaux. Le
premier chant que j'ai fait… Bah ça m’est venu comme ça, un truc complètement loufoque.
Comme il est un peu « coucou » aussi. Il me dit surpris : « C’est vous ? » Alors je lui réponds
en faisant des cris d'oiseaux. Du coup, j'ai fait un petit concert comme ça. Voilà, c'est la
légèreté. Quelquefois, ça peut être effectivement… Je me souviens d'une fois, d'une patiente
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qui était vraiment aussi large que le lit, et difficile à soulager, dans une toute petite chambre
avec une collègue admirable, exceptionnelle. Et en fait, je me souviens cette immense femme,
mais tellement grosse, la pauvre, qui avait des œdèmes, qui suintait, qui avait mal partout. On
l'a endormi en la berçant. Mais ça nous est venu comme ça. Elle s'est endormie dans nos bras
et j'ai chanté « une chanson douce que me chantait ma maman. » Une femme qui avait
largement plus que mon âge qui aurait pu être ma maman. Mais du coup, des fois, c’est de
l'intuition, c'est empirique. Il n’y a pas de savoir. Enfin c'est un savoir qu'on acquiert comme
ça. En fait, il faut de la créativité. Et puis après, c’est avec ce qu'on est, chacun. Après moi,
c'est vrai que je ne vais pas forcément aller chercher, aller faire verbaliser, je leur accorde
un havre de paix, de légèreté. Voilà c'est le mot. Et puis bien sûr, les massages puisque c'est
le sujet. Les massages, c'est super. Les massages des mains, des pieds. Prendre le temps. Mais
alors, moi, je masse… Moi, les gants… Je fais tout à mains nues. Faut vraiment qu'ils aient
des plaies pour que je mette des gants. Vous vous êtes déjà fait masser avec des gants ?
Non.
Bah, ce n'est pas agréable. Pas agréable du tout. De l'huile, des mains et donc quand ils sont
sur le côté, s’ils respirent bien, s’ils sont bien installés, c’est massages-détente. Il faut
prendre du temps pour faire ça, pour faire ça bien.
Et vous, en tant que personne, comment appréhendez-vous le toucher ?
Oh c’est… c'est simple. C'est direct. Enfin, je ne me pose aucune question. Par contre, c'est
vrai que je vais être très attentive à comment je vais faire c'est-à-dire à la chaleur du produit.
Avant quand il y avait la Biafine®, on la mettait à réchauffer ou on la frottait entre nos mains
et on prévenait. Je préviens le patient. Le pschitt c'est dans ma main, et non pas sur le dos,
comme j'ai vu faire certaines collègues, en toute bonne foi. Mais ça fait un mini stress. Mais,
sinon, je touche facilement. Oui, c'est vrai que j'embrasse, j’accolade facilement. Je ne suis
absolument pas dans une distance professionnelle mais c'est complètement assumé.
Et du coup dans votre pratique professionnelle, quelle importance vous accordez au
toucher ?
Oui, c’est important. Parce que souvent ces personnes, surtout les personnes seules, ne sont
plus touchées. Le seul contact physique qu’elle aient, c’est avec nous. Donc, on doit
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particulièrement soigner sans équivoque. Voilà parce qu'on n'est pas des substituts pour la
libido ou autre. On est là dans le cadre du soin mais du soin relationnel. Pour garder ces
personnes en relation avec le monde, et on est, des fois, juste le témoin, par le toucher, de la
tendresse, de - enfin comment dire ? - on est des personnes importantes, et dépositaires de la
société, enfin de plein de choses. On est le dernier lien physique avec le monde extérieur.
Et vous sentez que le patient est souvent réceptif à ce toucher ?
Non. Des fois, il n’aime pas. Et c'est à respecter aussi parce que justement… Comme le
patient dont je parlais tout à l'heure, il n'aime pas être touché, lui. Il fait des « Oh ! Ah ! »
Donc lui, il faut y aller à son rythme. Il faut respecter son rythme sinon ce serait un abus de…
Pas de pouvoir, il ne faut pas exagérer mais un peu quand même. Il faut aller au rythme du
patient. Ça c'est sûr, en fonction de ses réticences, de ce qu'il veut ou ne veut pas. Toujours
c'est lui le centre. De toute façon, c'est lui qui nous guide. Et s’il ne connaît pas, on peut le
guider mais pas d'une manière… sans jamais imposer, toujours proposer. Même si on est sûr
de son bon droit, c'est là où on se trompe. Je me souviens quand j'ai fait le DU, un des
intervenants disait : « L'unité de soins palliatifs c'est, si on veut bien accéder à cette forme de
savoir, c'est le lieu où se fragilise les certitudes. » Et en fait c'est ça. Ce qu'on pensait acquis
un jour ne l'est plus le lendemain. Donc c'est jour après jour avec humilité qu'on avance sans
dogmatisme. Il faut éviter le dogmatisme, là aussi. « Ça c'est bien pour le patient et ça, ça
n'est pas bien. » Il faut éviter ce genre de dérives.
Dans quelles situations de soin vous êtes amenée à utiliser le toucher relationnel ?
Souvent quand la parole s'absente, quand le patient est dans le coma, même en coma vigile.
Mais toujours en restant centré sur lui. Donc l'informer à chaque fois, même s’il est dans le
coma. Surtout s’il est dans le coma. Parce qu'il ne peut pas forcément… et qu'il a une
conscience qui n'est pas la même que nous. Expliquer, mettre de la douceur. Encore plus de
douceur. Prévenir pour les soins de bouche, pour masser les oreilles, si on appuie, si on
masse les points douloureux. Et puis ça peut s'improviser comme ça, à l'intuition en fait. C'est
intuitif.
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Et alors est-ce qu'il y a des gestes, des techniques particulières que vous utilisez ?
Alors oui. Oui c'est vrai que moi j'ai adoré les formations avec Savatofski. J'en ai fait plein.
Donc toucher-massage, toucher-minute. Et en fait, ce que j'ai vraiment retenu comme leçon,
c'est que, à chaque fois, il faut aussi être attentif à son bien-être. Bien s'installer dans son
ergonomie pour que le massage soit agréable réciproquement. Pas de tension. Tu montes le
lit à hauteur. Et puis de profiter de chaque moment dans la chambre pour faire un petit
massage. Par exemple, tu assois le patient au bord du lit, tu vas lui faire un massage des
mollets pour arriver jusqu'aux pieds. Tu mets les chaussettes, tu mets les chaussures, tu
redescends le patient. Quand il se met debout, tu vas masser le dos, même par-dessus les
vêtements, c'est possible aussi. C'est très ludique. Moi c’est ce que j'ai retenu de ces
formations. Je me souviens. On se massait les uns les autres. Et un moment, il y avait
Savatofski, lui-même. Puis, moi, je passe. Je le masse et il y avait sa collègue à côté. « Oh,
regarde ce qu'elle fait. Ça a l'air bien. » Ouais, c'est-à-dire que tu improvises. Tu fais de la
création avec tes mains. Tu feras pas mal de toute façon. Après le kiné, le massage kiné, là
c'est autre chose. Là c'est du massage-détente et en même temps de plaisir. Enfin d'assouplir,
de passer un moment de convivialité, mais dans la simplicité des gestes. Il y a des gestes qui
dynamisent. Bon, si le patient a des métastases osseuses, il vaut mieux ne pas le faire mais…
Ou les griffes de chat au niveau du cou, ou le massage de crâne. Même si tu ne fais pas le
shampoing tu fais un petit massage de crâne. Les mains. Pour l'avoir expérimenté comme
cobaye, c’est vachement bien.
Qu'est-ce qui est indispensable pour que le toucher soit bénéfique au patient ? Là je
parle plutôt des facteurs extérieurs, c'est-à-dire non plus la question de la technique,
mais plus sur l'environnement extérieur. À quoi vous êtes attentive ?
Déjà, quel que soit le temps qu'on a envie de consacrer à un massage ou quel que soit le
temps qu'on a réellement, il faut que ce temps soit plein. Donc si on a 5 minutes à consacrer,
ça va être 5 minutes denses. C'est être vraiment dans l'instant présent avec la personne. Et 5
minutes ça peut être très long comme 10 minutes très court. C’est aussi se mettre en
condition. Que la personne soit bien installée, toi aussi. Et puis, qu’elle en ait envie, toi aussi.
Et du coup c'est vrai que ça procure de la détente réciproque. En fait, ça fait du bien. C'est un
échange en fait. Parce que si tu ne t'écoute pas dans ton corps, du coup, tu as mal au dos, tu
n’es pas bien. Vraiment Savatofski nous a appris ça parce que ça a été une formation
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d'équipe, au tout début de l’ouverture, c’est-à-dire qu’on apprenne vraiment à se détendre et
à masser mais tout en étant attentif à soi. J'ai gardé ça. J'ai beaucoup oublié mais certains
trucs, j'ai gardé. Et puis aussi les paroles. On a eu cette chance, aussi une formation d'équipe
au sein du service, de pratiquer l'hypnose relationnel. Donc en fait on est devenu attentif aux
mots que l'on emploie, parce que les mots sont charnels, ils s’implantent dans le corps. Si on
dit : « Attention, ça va piquer ! » Qu'est-ce qu'il entend le patient ? Il entend : danger et
douleur. Donc si tu veux c'est aussi mettre en condition avec une forme de voix plus
apaisante. « Je vais vous installer confortablement. On va lever le pied… ou pas, ou la tête.
Est-ce que vous êtes bien comme ça ? » Toujours utiliser des formules positives plutôt que de
dire « Est-ce que vous êtes mal installé ? » Bon pour la douleur, en disant « Est-ce que vous
êtes toujours douloureux ? » Là, il est connecté au souvenir de la douleur plus qu'au
réconfort qu’a occasionné le médicament. Mais tout ça, je me suis rendu compte qu'en toute
bonne foi je faisais des conneries. Mais ça je ne le savais pas. Et depuis, je suis vraiment
attentive à ça donc c'est vraiment de créer un climat qui va faciliter la détente avant qu’on y
aille, avant même de toucher de faire le massage.
Qu’est-ce que vous constatez de l'effet de ce toucher dans la relation avec le patient ?
Quelquefois, le patient appelle parce qu'il a mal. En parlant, en étant présente, parfois c'est
au moment du nursing de l'après-midi, c'est vrai que, quelquefois, le bolus n'est pas
nécessaire. Je ne dis pas à chaque fois. Mais ça peut arriver que, soit le midazolam pour la
détente émotionnelle, soit le bolus antidouleur ne soit pas nécessaire. Donc c'est quand même
un bienfait qui est une réelle alternative aux médicaments, qui peut avoir un effet anti-douleur
et anti-anxieux. C'est certain mais pas tout le temps.
Du coup, vous m'avez déjà parlé de la formation. Est-ce que vous avez d'autres choses à
en dire ?
Je trouve que c'est indispensable d'apprendre à se toucher les uns les autres. Diminuer
l’appréhension de toucher un corps qui n'est pas le sien, de voir l’effet que cela fait sur soi,
d’être le propre cobaye, donc d'aller de l'autre côté du rideau. Certains gestes peuvent être
douloureux alors qu'on ne pensait pas. Je me souviens pendant la formation qu'il y avait des
gens qui effleurait ton dos, tu ne sentais rien. « Ça va ? Je ne te fais pas trop mal ? » Et puis
d'autres qui t’écrasait dans l'oreiller et qui disait : « Tu veux que j'appuie plus fort ? » Donc
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voilà, savoir aussi doser sa main. En fait, les formations c'est bien pour ressentir à la place
du patient ce qu'il ressent. Nous, on n'est pas douloureux comme lui, on n’a pas toutes ces
pathologies, mais déjà…
Si vous avez d'autres choses ajouter… sinon, c’est fini.
Ben je ne sais pas. En tout cas, je suis là depuis 17 ans. Donc dans ce service et je n'arrête
pas d'apprendre des choses de me former pour mieux soigner. C'est indispensable, en fait,
pour l'accompagnement, de toujours chercher ce qu'il y a de mieux. Surtout de ne pas se
croire meilleur, d'être vraiment humble. D'avancer comme un élève, un éternel élève. Ne pas
s'asseoir sur ses acquis. La formation d'hypnose relationnel, j'ai fait ça il y a 2 ans. Et après,
on apprend à changer. On peut changer sa manière… Alors au début c'est un peu déroutant
parce que tu as l'impression d'apprendre une leçon. Ce n’est pas naturel. Ça ne vient pas
naturellement. Et petit à petit, on rectifie. Au début, on est témoin de ce qu'on a dit. Et puis
petit à petit, on entend dans la tête, et on rectifie avant de parler. Pareil pour les massages. Je
pense que plus on avance dans l'expérience, plus le patient devient sujet, et moins objet entre
nos mains. C'est toujours cette balance qu'il faut avoir à l'esprit. Le patient est le sujet et le
centre. Parce qu'on peut être tout-puissant, même avec un massage. Avec tout, on peut être
tout-puissant donc c'est vraiment se remettre à sa place tout en proposant le maximum pour le
bien-être du patient.
Merci beaucoup. C’était vraiment très intéressant.
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ANNEXE VIII
ENTRETIEN – SOCIO-ESTHÉTICIENNE
Entretien effectué dans la salle de pause avec une socio-esthéticienne, âgée de 52 ans,
proposant ses services dans différentes structures, notamment en unité de soins palliatifs.
Alors, je fais mon mémoire sur le toucher relationnel. Et dans le cadre de ce mémoire, je
souhaitais vous interroger sur votre pratique, votre profession et mieux comprendre
votre rôle auprès des patients.
Je vais déjà commencer par votre parcours. Est-ce que vous pourriez me parler de votre
formation, et aussi de votre parcours professionnel ?
Mon parcours, il est atypique parce que j'ai fait une reconversion professionnelle pour être
socio-esthéticienne à 40 ans. J'en ai 52. Donc avant j'ai eu d'autres vies professionnelles.
J'étais commerciale dans des grosses sociétés de cosmétiques, de parfum chez Nina Ricci,
Paco Rabanne. Et avant, j'étais maquilleuse professionnelle. Et avant de devenir maquilleuse,
j’ai fait un CAP d'esthétique pour ensuite faire mon école de maquillage. Quand j'ai voulu
faire cette reconversion professionnelle à 40 ans, ils prenaient des esthéticiennes qui étaient
déjà diplômées. Cette formation de socio-esthétique est une spécialisation de la formation
esthétique. Donc on n’apprend pas du tout les techniques esthétiques mais on va apprendre
les différentes maladies, l’approche avec les patients. Mais on apprend pas du tout les
techniques, comment épiler, comment faire un soin des mains... La socio-esthétique consiste à
former une esthéticienne à travailler auprès de personnes fragilisées ou en souffrance. Quelle
que soit la souffrance : physique, psychique, familiale, sociale, intergénérationnelle,
carcérale… Donc on travaille en maisons de retraite, en prisons, structures associatives de
tout ordre (addiction, prostitution, femmes battues), plus les services classiques en médecine.
La formation dure une année scolaire donc de septembre à juin ou il y a aussi une session qui
commence en février.
Qu'est-ce qui vous a amené à faire cette reconversion ?
J'avais envie de donner du sens à mon activité professionnelle. J'avais envie de rester dans le
domaine que j'aimais et où j'ai toujours évolué, qui était la cosmétique, les parfums après,
tout ce qui touche à la beauté, au corps, au toucher, au « prendre soin de soi ». Et du coup,
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lorsque j'étais commerciale, je formais des filles à la parfumerie. Et j'étais tombée sur une
jeune fille qui faisait cette formation à Tours. Et quand elle avait des semaines où elle n’avait
pas cours, elle travaillait pour se faire un petit peu d'argent. Elle vendait des parfums. Et je
me rappelle que quand elle m'avait raconté qu’elle faisait l'école de socio-esthétique et
qu'elle m'avait expliqué ce qu'était la socio-esthétique... C'est marrant parce que je me
rappelle vraiment l'instant. Je lui avais dit : « Mais c'est génial ! C'est un métier formidable !
» Puis j'avais rangé ça dans un coin de mon esprit. Puis un moment donné à 40 ans, je
travaillais chez Nina Ricci. Il y a eu un gros plan social. Mais moi, ils m'avaient promue
responsable des grands comptes, des gros portefeuilles. Et si au bout de 5 mois, je ne
convenais pas à la direction ou si le poste ne me convenait pas, je pouvais réintégrer le plan
social. Et j'ai décidé de sauter le pas, je me suis dit : « C'est le bon moment. Là j'ai vraiment
l'occasion de faire cette reconversion. » Et donc je suis partie. Et je n'ai jamais regretté cette
reconversion professionnelle. Par contre, moi, je voulais vraiment une formation. C'est-à-dire
qu'une l'esthéticienne qui travaille en institut peut très bien se dire : « J'ai envie de faire du
bien aux gens. » et d’aller travailler une journée ou deux par semaine en hôpital. Moi, je
voulais vraiment être formée parce que je pense que s'occuper de personnes extrêmement
fragilisées, en souffrance, ce n'est pas anodin du tout. Je voulais avoir le bon discours face à
quelqu'un qui me dit : « Je sais que je vais mourir ». Ben oui, tu réponds quoi ? Je voulais
vraiment agir comme une professionnelle, et en même temps, avoir les clés pour me protéger.
Et vous travaillez dans d'autres structures à part l’USP ?
Actuellement, je travaille dans quatre structures différentes. J'interviens en USP deux jours
par semaine depuis 11 ans maintenant. J'interviens une journée en oncologie, en hôpital de
jour, pour les gens qui viennent faire leur chimiothérapie, et en hospitalisation où là, c'est
plus en cas de complications ou si les chimiothérapies doivent passer sur plusieurs journées.
J'interviens aussi dans une autre structure auprès d’adolescents qui souffrent de troubles du
comportement alimentaire, de phobie scolaire ou de dépression. Et aussi dans un service
d'addictologie où je m'occupe principalement des personnes qui sont en sevrage d'alcool.
Mais je m'occupe aussi des personnes qui sont en ambulatoire. Donc elles viennent juste voir
le médecin addictologue pour alcool, tabac, cannabis ou autre, et elles ont la possibilité de
venir me voir en complémentarité de leur parcours de soins. Toujours dans cette optique de
garder un lien avec leur corps, de prendre le temps de s'occuper d'eux avec tout un travail de
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valorisation de l'image de soi. Moi ce qui me plaît beaucoup, c'est que j'interviens dans ces
quatre structures différentes avec quatre approches différentes, et avec quatre publics
différents. J'ai vraiment besoin de ça. Ça enrichit vraiment mon travail, mon approche.
J'aime intervenir comme ça ponctuellement dans le service et je pense aussi que c'est ma
manière de me protéger, de ne pas être trop impliquée. Le fait de pouvoir tourner, ça me va
très bien.
Et les patients prennent rendez-vous ou c'est vous qui passez les voir pour savoir ce dont
ils ont besoin ?
Alors en fait, on va dire un petit peu de tout. C'est-à-dire que moi la première chose que je
fais quand j'arrive, c'est que je regarde le tableau avec les patients qu'il y a dans les
chambres. Et en même temps, de manière informelle, je fais un point avec l’équipe. Donc ça
peut être avec un des médecins, un des infirmiers, un des aides-soignants qui va me dire : «
Tel patient est arrivé quand tu n'étais pas là. Je pense que ce serait bien que tu ailles le voir
parce que vraiment… » Et puis moi aussi je vais voir les patients que je ne connais pas en me
présentant, en disant ce que je fais et en leur proposant un soin, quelque chose.
Alors après, plus concernant le toucher, comment appréhendez-vous ce toucher avec le
patient ? Est-ce que c'est quelque chose de simple ?
Alors, je lui propose plusieurs soins. Lui, il va choisir en fonction de ce qu'il lui ferait le plus
de bien. Et quand il choisit un massage du coup, effectivement, moi je vais plus faire… Alors,
on est plusieurs à masser, la kiné, les aides-soignantes, mais on a chacun une approche et un
apport différent. Moi je suis vraiment dans le bien-être, dans le réconfort, vraiment dans cette
optique-là. Je masse le visage, les mains, les pieds parfois le dos. Mais je ne masse pas les
jambes en général ; c'est les aides-soignantes qui massent. Mon approche, en tout cas, elle est
très naturelle, très facile. Je vais bien sûr m'adapter à la fatigue du patient, à sa pathologie
Mais du coup c'est assez simple, c'est vraiment très naturel. Et de la part des patients, il y a
rarement de l’appréhension. C'est quand même très naturel. Moi, je mets quand même à
l'aise. J’ai une approche qui est très facile. Même éventuellement quand je vais voir des
messieurs, de l'appréhension il n'y en a même pas parce que je pense que de la manière dont
je présente le soin et de la manière dont j’approche le patient, ça se passe très bien quoi.
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Et qu'est-ce que vous constatez derrière dans la relation qui se crée avec le patient ?
Déjà un lâcher-prise, une espèce d'abandon, souvent. Et puis après dans notre relation…
Alors, en général, les patients ne parlent pas. Il y en a qui parle mais à la rigueur, je ne
préfère pas parce que s’ils continuent de parler, ça veut dire qu'ils n'arrivent pas facilement à
lâcher, à se détendre. Donc, en général, ils ne parlent pas. C'est vrai que c'est un moment très
apaisant pour eux. C'est très efficace pour les patients dyspnéiques. C'est vrai que quand tu
masses, ça permet vraiment d'apaiser leurs angoisses. Donc voilà l'approche, elle va être
vraiment sur le lâcher-prise, le calme, l'abandon.
Qu'est-ce que vous mettez en place pour faciliter ce climat ?
Par exemple de la musique. J'ai une petite enceinte. J'ai des applications musique zen, tout
ça. En général, je mets de la musique. Les odeurs aussi sont très importantes donc je masse
beaucoup avec une huile qui est parfumée mais de manière très délicate. Et voilà, on est
vraiment dans cette espèce d'ambiance très zen. Après, ça peut être aussi d'autres choses que
le massage, ça peut être des maquillages, des soins des mains - poser du vernis rouge. Quand
tu as des patientes pour qui prendre soin de leurs ongles a toujours été important, a toujours
été un prolongement d’elles-mêmes, et qu'elles puissent en soins palliatifs, de nouveau
pouvoir avoir des ongles rouges parce que ça fait vraiment partie de leur identité, c'est
formidable pour elles. Ça rejoint, comme pour le toucher, la question de l'image de soi et du
rapport au corps, à son propre corps. Mais vraiment, là-dedans, évidemment je dirais que le
soin il est secondaire. C'est vraiment la rencontre qui va se passer à ce moment-là. Et à la
limite, que tu fasses tout et n'importe quoi, ce n'est pas ça l'important. Et puis ça va être aussi
cette espèce de toucher qui va être une caresse. Ça va être un toucher qui va être un toucher
plaisir. On n’est pas dans le soin. Il n’y a pas de risque de faire mal. On est vraiment dans le
geste plaisir qui n'est pas à visée médicale. Je suis vraiment dans le confort, dans le bien-être.
Et aussi il faut aimer ça. Moi j'aime ça donc je transmets aussi quelque chose d’extrêmement
apaisant, vraiment bénéfique pour le patient. Ça je le sais parce qu'ils me le disent. Je sais
qu'il y a des retours mais il faut vraiment aimer ça. C'est un don de quelque chose. Si tu n'as
pas envie, si tu es fatigué, si tu as une mauvaise journée, alors mieux vaut s'abstenir.
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Ça vous arrive des fois de ressentir cela ?
C'est extrêmement rare. C'est que ça m'apporte aussi quelque chose. C'est égoïste. C'est
ressourçant aussi bien pour eux que pour moi. Donc oui c'est vrai que même si j'ai une
mauvaise journée, je la laisse à la porte.
Très bien. Merci beaucoup en tout cas.
Résumé Le toucher en conscience dans le lien de confiance Le soignant touche les corps et répare les cœurs. Ses mains tissent des liens invisibles qui accompagnent le patient sur son chemin de vie et l’aident à surmonter les difficultés liées à sa maladie. Le patient nous donne toute sa confiance, puis petit à petit reprend confiance. Le toucher n’est pas seulement thérapeutique, il permet aussi aux êtres d’entrer en relation. C’est de ce toucher dont je veux parler, un toucher véritablement « conscient » dans une intention bienveillante. L’objectif de cette étude était de comprendre l’influence du toucher « conscient » dans la relation de confiance qui se noue entre le patient et le soignant, et ce dans un contexte de souffrance psychologique. Comment se crée la relation de confiance avec le patient ? Quelles sont ses particularités ? Quelle est la place du toucher dans cette relation ? Après une recherche approfondie des écrits déjà publiés sur la question, et afin de pouvoir les confronter à la réalité du terrain, j’ai interrogé quatre infirmières dans le cadre d’entretiens semi-directifs - deux travaillant en oncologie médicale, et deux travaillant en unité de soins palliatifs. Les résultats mettent en évidence plusieurs constats : le toucher n’existe jamais seul, il s’associe souvent à d’autres techniques relationnelles pour permettre la création d’un climat propice à la détente du patient ; le toucher ne peut se faire que si l’on a bien compris le vécu émotionnel du patient et ses besoins ; enfin, le toucher se fait intuitivement dès lors qu’une envie sous-tend le geste. Ainsi, après la question de l’intention, vient celle de l’intuition avec une réflexion sur la spontanéité du soignant dans sa relation avec le patient qui fera l’objet d’une autre recherche.
Mots-clés : Toucher, Lien, Conscience, Confiance, Emotions, Intention, Intuition
Abstract Touch with consciousness in the trust link The carer touches bodies and repairs hearts. His hands create invisible links which accompany the patient on the path of his life and help them overcome the difficulties related to their illness. The patient gives us all his trust, then gradually regains self-confidence. Touch is not only therapeutic, it also allows to connect with people. I would like to speak about this touch, which is truly "conscious" in a benevolent intention. The aim of this study was to understand the influence of touch in the relationship of trust that develops between the patient and the caregiver, in a context of psychological suffering. How does one establish a trusting relationship with the patient? What are its distinctive characteristics? How does touch fit into this relationship? After an in-depth study of the literature already published on the subject, and in order to compare them with the reality on the ground, I interviewed four nurses in semi-structured interviews - two medical oncology workers, and two palliative care unit workers. The results led to several observations: the touch never exists on its own, it is often associated with other relational skills that contribute to a relaxing atmosphere for the patient; the use of touch may only take place if one has properly grasped the patient's emotional background as well as their needs; finally, the touch will become intuitive as long as a yen is associated to the act itself. Thus, after the question of intention comes that of intuition - with a reflection on the caregiver's spontaneity in his relationship with the patient - which will be the subject of another search.
Keywords: Touch, Link, Consciousness, Trust, Emotions, Intention, Intuition