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 octobre 19, 2011 1 CECI NEST PAS UN DICTIONNAIRE Christian Topalov Le gros livre que vous avez entre les mains n’est pas tant un dictionnaire qu’un guide de voyage, une invitati on à de multiples cheminements possibles dans les villes et dans les mots, dans le temps, les langues, les sociétés urbaines. Il est constitué de quelque 260 articles denses de trois ou quatre pages, écrits par 161 auteurs, étudiant des mots à l’aide desquels on parle aujourd’hui des villes dans huit langues : sept langues européennes – l’allemand, l’anglais, l’espagnol, le français, l’italien, le portugais, le russe – et, en outre, l’arabe, langue d’un monde dont les interactions avec l’Europe, particulièrement autour de la Méditerranée, ont toujours été intenses 1 . Les mots de tous les jours Pour chacune des langues étudiées, nous avons sélectionné trente à quarante entrées touchant quatre grands thèmes : les catégories de villes, les divisions de la ville, les types d’habitat, les voies et espaces découverts. Nous avons voulu traiter de mots de tous les jours, ceux qui sont actuellement utilisés par les gens dans les  villes. Nous avo ns donc écarté les m ots qui appartienne nt seulement aux lan gages techniques, admi nistratifs ou savants – tout en retenant certains d’entre eux qui sont passés dans la langue commune. De tous les mots qui ont été finalement choisis, nous nous sommes efforcés de reconstituer et de raconter l’histoire – parfois longue de nombreux siècles, parfois réduite à quelques décennies –, des histoires faite de variations d’usages selon les époques, selon les registres de langue, selon les situations. Notre posture est résolument descriptive : nous observons les significati ons des mots telles qu’elles se donnent dans leurs usages. Nous nous écartons donc d’un genre : le dictionnaire critique, fréquemment pratiqué par les spécialistes de la ville, où la dimension normative est prévalente. Nous ne nous employons pas à discuter les concepts à l’aide desquels est pensé le monde urbain, pas plus qu’à rechercher une meilleure terminologie. Nous ne nous proposons pas, comme par exemple le très stimulant et poétique City A-Z  dirigé par Steve Pile et Nigel Thrift, d’introduire à “une façon toute nouvelle de penser et de comprendre les villes et la vie urbaine” (2000 : 4e de couv.). Nous ne nous proposons pas non plus d’établir un bilan critique d’une discipline comme le font à intervalle régulier – et souvent avec bonheur – les géographes, récemment Jacques Lévy et Michel Lussault (2003). Il ne s’agit pas non plus d’une encyclopédie ni même, plus modestement, 1  Nous avons aussi retenu certaines des variantes américaines de langues qui, avec les empires européens, ont franchi l’Atlantique (l’anglais, l’espagnol, le français et le portugais).

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octobre 19, 2011 1

CECI N’EST PAS UN DICTIONNAIRE 

Christian Topalov 

Le gros livre que vous avez entre les mains n’est pas tant un dictionnaire qu’un guide de voyage, une

invitation à de multiples cheminements possibles dans les villes et dans les mots, dans le temps, les langues,

les sociétés urbaines.

Il est constitué de quelque 260 articles denses de trois ou quatre pages, écrits par 161 auteurs, étudiant des

mots à l’aide desquels on parle aujourd’hui des villes dans huit langues : sept langues européennes – 

l’allemand, l’anglais, l’espagnol, le français, l’italien, le portugais, le russe – et, en outre, l’arabe, langue d’un

monde dont les interactions avec l’Europe, particulièrement autour de la Méditerranée, ont toujours été

intenses1.

Les mots de tous les jours

Pour chacune des langues étudiées, nous avons sélectionné trente à quarante entrées touchant quatre grands

thèmes : les catégories de villes, les divisions de la ville, les types d’habitat, les voies et espaces découverts.

Nous avons voulu traiter de mots de tous les jours, ceux qui sont actuellement utilisés par les gens dans les

 villes. Nous avons donc écarté les mots qui appartiennent seulement aux langages techniques, administratifs

ou savants – tout en retenant certains d’entre eux qui sont passés dans la langue commune. De tous les mots

qui ont été finalement choisis, nous nous sommes efforcés de reconstituer et de raconter l’histoire – parfois

longue de nombreux siècles, parfois réduite à quelques décennies –, des histoires faite de variations d’usages

selon les époques, selon les registres de langue, selon les situations.

Notre posture est résolument descriptive : nous observons les significations des mots telles qu’elles se

donnent dans leurs usages. Nous nous écartons donc d’un genre : le dictionnaire critique, fréquemment

pratiqué par les spécialistes de la ville, où la dimension normative est prévalente. Nous ne nous employons

pas à discuter les concepts à l’aide desquels est pensé le monde urbain, pas plus qu’à rechercher une meilleure

terminologie. Nous ne nous proposons pas, comme par exemple le très stimulant et poétique City A-Z dirigé

par Steve Pile et Nigel Thrift, d’introduire à “une façon toute nouvelle de penser et de comprendre les villes

et la vie urbaine” (2000 : 4e de couv.). Nous ne nous proposons pas non plus d’établir un bilan critique d’une

discipline comme le font à intervalle régulier – et souvent avec bonheur – les géographes, récemment Jacques

Lévy et Michel Lussault (2003). Il ne s’agit pas non plus d’une encyclopédie ni même, plus modestement,

1 Nous avons aussi retenu certaines des variantes américaines de langues qui, avec les empires européens, ontfranchi l’Atlantique (l’anglais, l’espagnol, le français et le portugais).

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d’un état des savoirs sur la ville (Paquot, Lussault & Body-Gendrot 2000): si les choses de la ville nous

intéressent, bien sûr, c’est seulement à travers le filtre des mots qui servent à les dire. Nous ne visons ni la

juste description des choses urbaines, ni la clarté et la pertinence des notions. Notre programme est

simplement d’essayer de restituer les significations effectivement données au fil du temps par des gens à des

mots – que ces significations puissent être floues, ambiguës, contradictoires est la matière même de notre

enquête.

Puisque ce qui nous intéresse ce sont les mots de tous les jours, nous avons écarté les jargons de tribus qui

pourtant parlent beaucoup des villes : administrateurs ou ingénieurs, géographes ou sociologues,

planificateurs ou autres professionnels de l’urbain. Notre entreprise est donc distincte aussi des dictionnaires

de l’urbanisme et de l’aménagement qui, périodiquement, tentent de fixer et normer les langages techniques,

de Gaston Bardet (1948) à Françoise Choay et Pierre Merlin (1988, deux fois réédité) pour ce qui est dufrançais ou, plus récemment, un glossaire multilingue des mots en usage dans les administrations françaises

de l’aménagement ( Dictionnaire multilingue... 1997). On pourrait aussi relever que le terme “dictionnaire

historique” n’est pas tout à fait adéquat à notre projet : tandis que ce genre scientifique traite aussi bien des

mots tombés en désuétude, nous n’abordons ceux-ci que dans la mesure où, au cours de l’histoire, ils ont été

en rapport avec les mots de notre corpus contemporain. En revanche, nous étudions les usages oubliés des

mots d’aujourd’hui.

 À la différence de nombre de géographes, d’historiens ou de penseurs de la ville, nous ne nous intéressons

pas non plus – sinon de façon latérale – aux “représentations urbaines” en général – à ces formes discursives

ou iconiques à travers lesquelles les acteurs historiques commentent le monde social. Nous travaillons, de

façon plus étroite et, il faut le dire, plus austère, sur des processus de désignation et de nomination et sur la

cristallisation de leurs résultat dans les lexiques.

Certaines des avancées majeures récentes de la sémantique historique furent le fait de chercheurs qui

s’intéressent à l’histoire des concepts socio-politiques (voir Guilhaumou 2000). Nous nous appuyons sur

leurs méthodes, mais nos objets diffèrent des leurs de façon assez nette. Les mots qui nous intéressent ne

réfèrent pas à des concepts abstraits – la nation, la démocratie ou la révolution – dont la définition peut varieravec les conceptions que s’en font les locuteurs, ils réfèrent à des choses matérielles qui semblent être déjà là,

avant qu’on ne les nomme : une ville, une rue, une maison. Le degré d’évidence des significations des mots de

la ville paraît donc très élevé, et cela contribue à la difficulté et au piquant de l’entreprise. Narguant toutes les

ontologies constructivistes, ce à quoi réfèrent les mots qui nous intéressent présente souvent une indéniable

matérialité : ce sont, pourrait-on dire, des « choses ». On pourrait donc croire que le rapport des lexiques à

ces réalités répond seulement à une exigence pratique d’adéquation et qu’il n’y a pas lieu de s’étonner que les

mots diffèrent d’une langue à l’autre ou changent au cours du temps, puisque les réalités urbaines qu’ils ont

pour fonction de désigner sont elles-mêmes diverses et en mouvement. Si c’était aussi simple, notre projet

s’effondrerait – ou, du moins, perdrait l’essentiel de son intérêt.

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Notre hypothèse centrale et l’enjeu intellectuel de l’entreprise en effet tiennent en ceci : les mots de la ville ne

font pas que décrire le monde urbain, ils contribuent à le constituer (Depaule & Topalov 1996). En désignant

des objets, les mots rassemblent ceux-ci en familles, les séparent d’autres objets ou classes d’objets. Les mots

ordonnent, qualifient, évaluent – avant même, souvent, d’être inscrits dans des propositions ou des

conversations. L’usage des mots réalise constamment des opérations de classement, dans des systèmes

catégoriels plus ou moins complexes – faits de différenciations, de gradations, d’oppositions, de

hiérarchisations. Les mots ne font donc pas que décrire, ils constituent des formes de l’expérience du monde

et des moyens d’agir dans et sur celui-ci. Les mots sont un donné social, un héritage qui préexiste aux

locuteurs, ils résultent aussi d’initiatives des acteurs historiques, ils sont des outils pour la connaissance et

l’action. Les mots sont des moyens de s’entendre, ils sont aussi des armes. Ainsi, écrire des histoires de mots

est pour nous une façon, inhabituelle sans doute, mais efficace croyons-nous, d’approcher l’histoire sociale et

matérielle des villes.

Circuler entre les langues

On l’a noté, les études que l’on va lire portent sur huit langues et certaines de leurs variantes régionales. Bien

qu’écrites par chaque auteur dans sa propre langue, les notices sont publiées ici en français – ce qui pose

d’emblée la question brûlante de la traduction. Comment décrire les significations et les usages d’un mot qui

appartient à une langue en utilisant une autre langue ? Il y avait là un piège majeur. Un des postulats de toute

l’entreprise était, en effet, qu’on ne peut présumer la traductibilité des mots que nous étudions, car chaque

langue organise le monde urbain d’une façon, par hypothèse, spécifique. Traduire, c’est ramener l’inconnu au

connu, c’est donc faire disparaître l’objet de ce travail : les écarts de signification de langue à langue. D’où une

position fermement tenue tout au long : jamais nous ne traduisons les mots étudiés, ni les mots qui se

trouvent avoir, dans les sources ou les commentaires de nos auteurs, une fonction de définisseur. Les

significations des mots étudiés sont donc décrites exclusivement dans les termes des systèmes sémantiques

auxquels ils appartiennent : il en est ainsi, notamment, dans les définitions liminaires qui sont placées en tête

de notice, toutes empruntées à des sources originales espacées dans le temps et écrites dans la langue même

du mot étudié.

Si nous avons aussi placé en tête de chaque notice une série de traductions prélevées, elles aussi, dans des

sources originales, ce n’est pas pour préconiser ces équivalences, mais pour mettre le lecteur en présence de

 variations. Les dictionnaires bilingues nous livrent en effet une série de solutions élaborées sur la toile de

fond d’une non-coïncidence entre les découpages de la réalité urbaine par l’une et l’autre langue, parfois entre

les réalités de référence elles-mêmes. En outre, d’une traduction à l’autre lorsqu’elles sont espacées dans le

temps, il s’est produit un double déplacement des significations, car les deux langues concernées ont changé.

Ces documents très simples placent ainsi le lecteur devant l’énigme même de l’opération de traduction. On a

aura compris que l’auteur de la notice n’approuve pas nécessairement ces traductions – nous en avons

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parfois retenu qui sont fautives (ainsi de l’allemand Bannmeile 2 ) ou, ce qui revient presque au même, très en

retard sur l’usage (ainsi de l’espagnol condominio3 ).

Le lecteur trouvera donc, au fil des phrases françaises dont sont faites les notices, un certain nombre de mots

donnés dans la langue originale. Il en résultera sans doute un certain inconfort, mais aussi le rappel constant

que rien ne va de soi dans ces histoires racontées ici en français – et qu’elles méritent peut-être, pour cette

raison, attention.

On aura compris que nous ne visons nullement à fournir un glossaire international des choses urbaines – qui

pourtant pourrait être utile à ceux que les villes intéressent et à qui leurs fonctions imposent de communiquer

avec des gens qui parlent une autre langue et de constamment tenter de comprendre des réalités étrangères à

l’aide de mots de leur propre langue qui n’ont pas été faits pour cela. Pour les personnels mondialisés des

groupes multinationaux, des institutions intergouvernementales, des ONG, ou des communautés

universitaires, un anglais nord-américain standard se propose comme lingua franca 4. Si cet idiome permet aux

dominés de la compétition linguistique (parmi lesquels les francophones, bien sûr) d’affirmer leur

appartenance au même monde que les dominants, on constatera aisément ici qu’il ne permet guère de dire les

mêmes choses que les locuteurs des autres langues disent de leurs villes. Comment rendra-t-on en anglais le

 plaza espagnol ou le Platz allemand – d’autant que l’anglais nord-américain (et par dérivation britannique) a

déjà un plaza qui signifie tout autre chose ? Comment sera interprétée aujourd’hui en français ou en italien la

distinction entre town et city – elle même très différente en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ? Et comment

rendre en anglais le banlieue français, dont la signification sociale est devenue, depuis les années 1980, l’opposé

même de celle de suburbs ? Même les mots, nombreux, empruntés à l’anglais par les autres langues depuis la

fin du XIXe siècle ne signifient souvent plus la même chose lorsqu’ils ont passé des frontières ou des océans.

 Ainsi, en Argentine depuis les années 1970, un country (abréviation de country club  ), c’est un ensemble

d’habitations urbaines plutôt chic et généralement fermé qui n’a vraiment plus grand chose à voir avec la

campagne. En Russie, un kotted  ž  (calque de l’anglais cottage  ), c’était avant la révolution de 1917 une maison

2 Ce mot, construit à partir de Meile (une lieue) et Bann (le territoire des juridictions urbaines et marchandesmédiévales), évoque irrésistiblement (pour un francophone) le français banlieue , construit de la même façon.D’où sans doute cette traduction : “(historique) banlieue f; Bannkreis m (historique juridique) juridiction;(figuré) (sphère d’)influence f.” (Weis & Mattutat 1975) Certes présentée comme « historique », cettetraduction est erronée car Bannmeile signifie, depuis une législation de 1955, tout autre chose, à savoir :« precinct of parliament » (Eichborn 1994, 3), « périmètre m de sécurité » ( Pons... Französisch-Deutsch 2004).

3 Bien qu’encore tout récemment traduit en français exclusivement par « condominium ( de un territorio ) »(Garcia-Pelayo & Testas 1998) – c’est-à-dire pouvoir partagé par plusieurs puissances sur un territoire soumis

 – ce mot réfère, depuis la fin du XIXe siècle au Mexique, à un régime de juridique de copropriété desimmeubles.

4 Je prie mes lecteurs que cette allusion aux croisades de la chrétienté médiévale pourrait choquer de m’en

excuser, mais l’anglais n’a-t-il pas aujourd’hui les mêmes usages que le grec des temps hellénistiques, le latinimpérial ou ecclésiastique ou, ailleurs, le mandarin, l’arabe ou le russe ? Toutes ces langues ne se sont-elles pasd’abord imposées par les armes, ensuite seulement par le commerce ?

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ouvrière annexe à la manufacture, dans la période soviétique « une domik [maison] villageoise, une da č a , une

domik en général, qui a un caractère d’osobnjak. [habitation pour une seule famille] » ( Bol’ š  aja Sovetskaja 

Enciklopedija 1937, 34), c’est aujourd’hui une « č astnyj  ž iloj dom  [maison privée] de deux ou trois niveaux avec

un niveau de confort élevé, située habituellement en banlieue et destinée aux urbains » ( Tolkovyj slovar’...

2001) – bref, ce qu’on appelle depuis la fin du XIXe siècle chalet en Espagne ou Villa en Allemagne.

 À quoi peut donc servir un dictionnaire plurilingue comme celui-ci qui ne propose pas de traductions ? À

autre chose, puisqu’au fond, ce n’est pas un dictionnaire : le lecteur est invité non pas à établir d’emblée des

équivalences entre des mots, mais à mieux comprendre des mots inconnus – ou qui mériteraient d’être

considérés comme tels – en les replaçant parmi les autres mots de la même langue qui leur donnent sens. Il

est donc invité à explorer et comparer les systèmes sémantiques qui organisent un domaine particulier de

signification : la ville. À la fin de chaque notice, on trouvera des renvois à des mots qui désignent dans lesautres langues des objets appartenant au même champ sémantique : on pourra ainsi s’intéresser aux

similitudes et aux différences entre mots proches et pourtant distincts. Un index thématique permet de

consulter pour chaque langue l’ensemble des entrées qui concernent un champ sémantique particulier à une

échelle relativement fine : on peut ainsi étudier, pour les langues auxquelles on s’intéresse, l’ensemble des

notices qui concernent le lexique des voies urbaines, ou de l’habitat stigmatisé, ou de la périphérie des villes.

Le lecteur peut ainsi faire lui-même le travail comparatif qui l’intéresse et observer dans quelle mesure deux

langues organisent différemment ou semblablement un même ensemble d’objets urbains. S’agissant du choix

des entrées, nous avons tenté de mettre en oeuvre une règle simple : dès lors qu’un mot était retenu dans une

langue, nous avons retenu aussi dans les autres un ou plusieurs mots appartenant à son champ sémantique

proche. Ainsi, la réflexion comparative devrait être possible dans la plupart des cas – bien que, dans certains,

il ne nous a pas été possible d’obtenir la notice dont nous avions besoin sur un sujet donné.

S’agissant de comparaison, une dernière mise en garde s’impose : le matériau qui s’offre au lecteur, ce ne sont

pas des données brutes collectées selon des règles uniformes, ce sont des textes écrits par des chercheurs. Les

histoires qu’ils relatent dépendent pour une large part des corpus qu’ils ont privilégiés, des interprétations

qu’ils ont élaborées, de la façon dont ils ont choisi de conduire le récit. Ils sont historiens, géographes,

sociologues, historiens de l’architecture ou de l’aménagement, plus rarement anthropologues ou linguistes. Ils

sont marqués par des styles scientifiques qui varient avec leur nationalité, la génération à laquelle ils

appartiennent, les conversations dans lesquelles ils sont engagés. Cette variété donne au Trésor sa saveur, mais

elle signifie que ce qui s’offre à la comparaison, ce ne sont pas seulement des mots, ce sont aussi des auteurs.

Pourquoi s’intéresser aux mots ?

Comment se fait-il que des chercheurs provenant de quartiers divers des sciences sociales en soient venus à

se rassembler autour de ce projet, c’est-à-dire à considérer que les mots de la ville méritent intérêt ?

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Les réponses que je vais proposer à cette question ne peuvent être que personnelles, puisqu’il n’y a pas de

description d’une conjoncture scientifique qui ne soit à la fois située et engagée et que tous les auteurs du

Trésor ne souscrivent pas nécessairement à celle-ci. La diversité de nos environnements intellectuels et de nos

pratiques de recherche est très grande. Malgré des interactions aussi denses que possible, le protocole qui

nous a réuni était réduit, en fait, à quelques façons de conduire l’enquête et quelques règles d’écriture.

 J’ajouterai que faire comprendre notre projet n’a pas toujours été facile et, parfois, n’a pas été possible.

Pourquoi, donc, s’intéresser aujourd’hui aux mots ? Je ne mentionnerai que pour mémoire les effets du

linguistic turn qui a tant agité, dans le débat international en langue anglaise, la littérature comparée, les cultural 

studies et, dans une moindre mesure, l’histoire et l’anthropologie. On sait que ce qu’on a appelé aux Etats-Unis

French Theory – cet étrange bouillon fait de Derrida, Foucault, Deleuze et quelques autres (Cusset 2003) – est

un produit nord-américain qui suscite en France quelque perplexité5. On n’observe guère dans les sciences

sociales européennes d’entreprise intellectuelle sérieuse qui parte du postulat du “monde comme texte”.

Néanmoins, à la suite de ce qui a été décrit comme l’épuisement de l’histoire économique et sociale, il s’est

répandu dans l’historiographie de nombreux pays une humeur conduisant à dédaigner l’histoire des “réalités”

pour privilégier celle des “représentations” – opposition intenable, à mes yeux, mais qui a la solidité

inébranlable des évidences pratiques et des schèmes cognitifs les plus enracinés. Cet intérêt pour les

« représentations » a valu à notre projet d’être bien reçu chez certains historiens – parfois aussi mal interprété,

l’étude du lexique risquant alors de disparaître sous celle du discours.

 Je laisserai donc de côté le tournant linguistique pour mettre en avant trois développements qui ont marqué

les sciences sociales depuis une ou deux décennies, et qui ont joué un rôle important dans la définition de

notre projet : l’émergence d’une posture réflexive, les succès des paradigmes constructivistes, le dialogue

renouvelé avec la linguistique pragmatique.

 Auparavant, toutefois, je voudrais mentionner une tradition plus ancienne en histoire, plus constante aussi – 

du moins depuis la naissance à la fin du XIXe siècle de la critique des sources : c’est l’attention portée au

langage des documents. Marc Bloch, par exemple, discutait en 1941-1943 dans ce testament intellectuel

publié ensuite sous le titre Le métier d’historien , ce qu’il appelait le “problème fondamental de la nomenclature”(Bloch 1993 [1941-1943] : 167). Quel doit être le langage de l’historien ? Doit-il utiliser le lexique des sources,

qui le protège de l’anachronisme – “entre tous les péchés, au regard d’une science du temps, le plus

impardonnable” ( ibid . : 176) – ou bien celui de son propre temps, qui seul autorise les généralisations ?

Calquer la terminologie du passé, “au premier abord une démarche assez sûre”, présente des risques car le

 vocabulaire des sources peut tromper : il arrive que les choses changent sans que les mots suivent, il arrive

aussi que les mots varient sans que les choses soient pour autant différentes. En outre, il y a dans toute

5 Mais va de soi ailleurs. Exposant notre projet à des chercheurs nord-américains, j’ai récolté à deux reprisesce commentaire : How French it is !  

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société une pluralité de vocabulaires (dont le cas-limite est la disglossie hiérarchique) et les écrits qui nous

restent résultent pour l’essentiel d’une élaboration savante du réel. Plutôt que la langue embrouillée des

lettrés, il faudrait pouvoir, affirmait Bloch, écouter les paysans. Une des conclusions de l’historien est que “le

 vocabulaire des documents n’est, à sa façon, rien d’autre qu’un témoignage” : étudier les manières de dire,

une fois celles-ci replacées dans l’ensemble des sources, est “un véritable instrument de connaissance” ( ibid . :

174). Par conséquent, le vocabulaire lui-même fait partie des objets de l’historien : “L’avènement du nom est

toujours un grand fait en histoire, même si la chose l’avait précédé; car il marque l’étape décisive de la prise de

conscience.” ( ibid . : 174). Il existait du temps de Bloch de solides exemples de ce qu’il appelait déjà

“sémantique historique” ( ibid . : 174) : notamment l’étude de Lucien Febvre – son compagnon aux Annales ,

qui disait que “faire l’histoire d’un mot, ce n’est jamais perdre sa peine” (1930 : 9) – sur civilisation (1930), un

peu plus tard celle de Norbert Elias sur Kultur et Zivilisation (1939), Febvre reprenant l’exercice par la suite sur

capitalisme (1939) et travail (1948).

Relevons chez Bloch cette idée que le langage est l’indice de la « prise de conscience ». Toute la discussion

qu’il propose tourne en effet autour d’une préoccupation centrale : le document et son vocabulaire nous

livrent-ils la réalité telle qu’elle était ou comportent-ils des biais qu’il conviendrait de redresser ? Le langage

n’était pour lui objet d’enquête que dans la mesure où il nous renseigne sur l’évolution du « réel » et sur la

temporalité propre de la prise de conscience de celui-ci. On aura reconnu le programme d’étude des

« mentalités » ou de l’ « outillage mental » des premières générations d’historiens des Annales , qui puisaient

leurs ressources notionnelles dans l’ethnologie de leur temps. Depuis lors, il est clair que les termes du

problème ont changé : la réalité, ses représentations, les rapports entre l’une et les autres ne sont plus ce qu’ils

étaient.

 Venons-en maintenant aux développements plus récents des sciences sociales qui ont permis ce changement.

 J’ai nommé l’un d’entre eux « réflexivité ». Poursuivant et radicalisant le questionnement d’un Marc Bloch,

nombre d’historiens ont, plus récemment, placé au centre de leur réflexion de méthode la distance entre le

 vocabulaire de leurs sources et le vocabulaire de notre temps – en France, Jean-Claude Perrot ouvrit la voie il

y a plus de trente ans (Perrot 1975). Nos catégories et celles de l’époque que nous étudions ne sont pas les

mêmes et il serait vain, quand nous abordons le passé, de prétendre mettre simplement de côté notre propre

équipement intellectuel. L’essentiel est de rendre explicite ces différences et de les faire travailler. Bernard

Lepetit, historien des villes trop tôt disparu, longtemps directeur des Annales , énonçait, en 1988, cette maxime

: “C’est du jeu de ces écarts qu’on pourra atteindre un peu de lumière” (Lepetit 1988 : 21).

Plusieurs tâches découlent de cette perspective. Il convient d’abord d’enquêter sur les catégories du passé, de

façon à marquer fermement ce qui les différencie des nôtres. On observe alors, particulièrement dans les

périodes de changement historique et culturel rapide, que ces catégories étaient elles-mêmes diverses : les

sociétés du passé étaient divisées comme les nôtres, les façons de les dire et de les penser étaient plurielles et,

souvent, portées par des acteurs en compétition. Ainsi, en même temps que certains anthropologues

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mettaient en cause la notion unificatrice de “culture” qui contraint de penser les sociétés humaines comme

des touts homogènes, certains historiens ont commencé à être plus attentifs aux différenciations culturelles et

à interpréter ces différences comme autant de façons de prendre position dans le monde social et d’agir sur

lui : les représentations sont des réalités notamment parce qu’elles sont nécessaires à l’action dans l’histoire,

les réalités sont aussi des représentations car c’est sous cette forme que les acteurs s’en emparent pour agir

(Perrot 1992 : 10-11) – et c’est la plupart du temps sous cette forme que l’historien, plus tard, les recueille.

Une autre tâche, corrélative de la précédente, concerne nos propres catégories de description. Lepetit, encore

: “Puisqu’il n’y a pas de lecture naïve, autant connaître un peu les verres que l’on porte” (1988 : 85). Il

convient non seulement de les expliciter – ce qui est la moindre des choses –, mais aussi de les traiter comme

des produits de l’histoire : comme celles de nos prédécesseurs, nos catégories sont nées dans des conflits

historiques et il est nécessaire, pour les utiliser correctement, de les décrire d’un point de vueanthropologique, mais aussi d’examiner les conditions dans lesquelles s’est imposée leur évidence. Les

conséquences d’une telle posture réflexive sont considérables (Topalov 2003). Elle n’invite pas seulement à

des précautions dont on pourrait se débarrasser par un avant-propos prudent, elle désigne à l’enquête de

nouveaux objets, parfois de grande ampleur : toute l’historiographie de la statistique, par exemple, en a été

bouleversée depuis trente ans. Ces enquêtes conduisent aussi à observer que les vocabulaires savants – ainsi

les « concepts » chers aux sociologues – ne sont pas aussi détachés qu’on le rêve parfois des vocabulaires

communs ou, du moins, des vocabulaires de l’action. De ce traitement symétrique de nos lexiques savants et

de tous les autres résulte sans doute une baisse sensible du niveau de croyance en la spécificité intrinsèque des

formes lettrées de la description du monde, mais il en découle aussi la possibilité d’une véritable

épistémologie historique. On n’y perd pas au change, je crois.

Un deuxième élément, important pour nous, de la conjoncture des sciences sociales depuis une vingtaine

d’années est la montée en puissance de divers paradigmes “constructivistes”. Comme tous les mots en

“isme”, celui-ci n’est guère adapté pour décrire des tendances de recherche apparues de façon contemporaine

dans des sites parfois éloignés les uns des autres, dans des vocabulaires scientifiques variés et selon des

intentions parfois contradictoires – tendances qui ne peuvent donc être placées sous une bannière d’“école”

que par une sorte de coup de force. Néanmoins, la notion de « construction sociale de la réalité », bien que

diversement mise en oeuvre, désigne désormais dans les sciences sociales – en France, du moins6 – non pas

une ontologie, mais une méthode, une façon de faire en qui présente quelques propriétés communes et, à

mes yeux, une fécondité solidement attestée.

How to Do Things with Words ? , demandait Austin (1962 [1955]) qui, avec les notions d’énoncé performatif et

d’acte de langage, ouvrit la voie à la pragmatique linguistique. Décrire, classer, juger, prescrire sont, en effet,

6 Il n’y a guère, dans ce pays, que les amateurs d’abstractions qui s’intéressent plus que par une citation enpassant au supposé classique en la matière : Berger & Luckmann 1966.

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des actes qui font plus que dire le monde, mais qui contribuent à le constituer. À certaines conditions

sociales, bien sûr : il faut que les locuteurs soient reconnus par d’autres comme disant légitimement le vrai – 

et cela ne va pas de soi (Bourdieu 1975). Mais, dans les processus qui constituent les groupes sociaux, les

nations, les groupes-cibles des institutions, les problèmes à résoudre par celles-ci, les luttes autour de la

nomination et du classement des choses et des gens jouent un rôle essentiel. C’est en ce sens, limité mais

crucial, que les mots de la ville contribuent à faire celle-ci.

C’est aussi la raison pour laquelle on peut considérer le Trésor des mots de la ville comme l’extension, à l’échelle

d’un domaine sémantique tout entier, des très nombreux travaux qui se sont efforcés de restituer l’histoire de

la construction de catégories sociales7 – dans l’interaction entre savoirs, institutions et appropriations par les

acteurs concernés – et, plus largement, la construction de catégories du savoir et de l’action comme, par

exemple, « classe », « nation », « nationalité », « frontière »8.

 Je n’évoquerai que brièvement un troisième et dernier développement qui fut important pour définir notre

projet, c’est l’usage en sciences sociales des acquis de la linguistique pragmatique. D’une façon analogue à ce

qui s’était produit à l’âge d’or du structuralisme, les sciences sociales puisent aujourd’hui une part de leurs

outils dans la linguistique – une discipline qui, bien sûr, a beaucoup changé depuis l’époque où prévalait le

paradigme saussurien. Sociologues, anthropologues, historiens sont plus attentifs aujourd’hui aux actes de

parole, aux situations d’énonciation, aux effets performatifs de l’action langagière. Si de tels questionnements

sont particulièrement adaptés à l’analyse de matériaux recueillis dans des enquêtes orales, ils permettent aussi

d’interroger de façon neuve des sources écrites anciennes en ce qu’ils invitent à reconstruire les conversations

dans lesquelles ces documents intervenaient. Nous avons mis nos pas dans ceux de chercheurs qui, avant

nous et à côté de nous, notamment dans la revue Langage et société , ont documenté à l’aide d’enquêtes socio-

linguistiques l’instabilité des objets urbains et leur composition cognitive dans les énoncés en interaction

(Mondada & Söderström 1994, Mondada 2000, « Espaces urbains... » 2001, Leimdorfer 2005).

Pourquoi la forme “dictionnaire” ?

La forme “dictionnaire” est étrange (Quemada 1967, Meschonnic 1991). Elle consiste à établir une liste de

mots que l’on juge dignes d’être étudiés, à traiter de chacun d’eux séparément de tous les autres, puis à

arranger les résultats alphabétiquement – c’est-à-dire de la façon la plus arbitraire qui soit.

Ce dispositif de recherche, d’écriture et de publication implique au moins deux présupposés : d’abord que

l’unité sémantique “mot” est pertinente du point de vue analytique; ensuite que l’on peut décrire les

7 Les références abondent, parmi lesquelles : Boltanski 1982, Desrosières & Thévenot 1988, Scott 1988,Charles 1990, Topalov 1994.

8 Quelques références sur ces catégories : Piguet 1996, Anderson 1991, Rémi-Giraud & Rétat 1996, Noiriel1995, Nordman 1998 : 25-66.

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significations des mots à l’échelle d’une langue toute entière plutôt que de façon purement locale – dans un

texte particulier, un discours situé, une interaction langagière déterminée.

 Voyons d’abord le second point. En matière d’histoire des langages politiques, la position de méthode de

Quentin Skinner, qui en renouvela profondément l’approche, est de considérer les énoncés comme des actes

de parole. L’étude ne peut donc en être faite que de façon monographique : chez un auteur donné, dans un

texte particulier, dans une situation singulière. Il s’agit de « situer les textes que nous étudions dans des

contextes et cadres intellectuels qui nous permettent de retrouver ce que les auteurs firent en les écrivant »

(Skinner 2002 : vii). Restituer l’intentionnalité de l’auteur en contexte est un élément crucial de

l’interprétation. S’agissant des mots de la ville, la question est la même : que fait-on en les utilisant ? Mais,

pour ces mots de tous les jours que partagent de multiples locuteurs, nous pensons que les situations locales

sont reliées par quelque chose comme une langue commune qui peut être valablement décrite – sous réserve,bien entendu, d’être attentifs à ses variations. Une des sources les plus largement utilisées par les auteurs du

 Trésor est d’ailleurs justement les dictionnaires qui, dès le XVIIe siècle, furent un puissant outil de

construction des langues nationales et dont on a pu dire aussi, en sous-estimant peut-être leur fonction

normalisatrice, qu’ils représentent la “conscience linguistique d’une époque”. L’utilisation des dictionnaires a

néanmoins des limites bien connues, qui tiennent à leur projet même comme à leur processus de fabrication :

enregistrement tardif des changements, désintérêt pour les circonstances de ces changements, prise en

compte limitée des usages familiers, populaires, régionaux. Il importait donc d’aller le plus souvent possible

 vers des documents qui nous livrent des usages effectifs dans des situations réelles.

En travaillant sur les usages en situation, on ajoute quelque chose aux approches lexicographiques classiques9.

Nous ne prétendons pas comparer notre travail, souvent très artisanal, à celui des lexicographes, qui héritent

d’une tradition scientifique plus que séculaire et sont dotés aujourd’hui de très puissants moyens pour traiter

de vastes corpus numérisés. Et pourtant, en observant des usages que nous essayons de décrire comme des

événements discursifs dans l’histoire, nous tentons d’associer des significations à des interactions en situation,

à des groupes sociaux plus ou moins vastes, à des actions dans le monde : celles des administration, des

entrepreneurs immobiliers, des habitants des villes dans leur diversité. En même temps, les sources sur

lesquelles nous travaillons ne nous incitent pas à regarder l’événement discursif comme un simple

surgissement. Si nous nous trouvons parfois en présence d’essais qui tournent court, d’innovations lexicales

qui ne sont pas reprises, la plupart du temps, nous observons des répétitions, des régularités, bref, des

phénomènes de stabilisation – au moins temporaire – des usages. Dans certains cas, cette stabilisation finit

par prendre une forme matérielle qui peut assurer à un usage une solide pérennité. Par exemple la signalétique

urbaine solidifie les distinctions entre les différents génériques désignant des catégories de voies; l’application

d’un certain type de droit, la présence ou l’absence d’institutions municipales, les compétences ou modalités

9 Je n’ai pourtant jamais pu convaincre un de nos auteurs britanniques que tout ce que nous cherchionsn’était pas déjà dans l’Oxford English Dictionary (Murray 1888-1928).

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de fonctionnement de celles-ci concrétisent l’existence de catégories distinctes de localités ou d’une hiérarchie

entre celles-ci; les circonscriptions qui divisent une même ville s’inscrivent dans des adresses postales, des

cartes et plans, des services publics et les bâtiments qui les abritent. Sans atteindre ce statut de “chose”,

d’autres mots s’imposent par d’autres voies – ou plutôt finissent par être imposés par certains acteurs qui

sont en position de contrôler les usages publics du langage : maîtres d’école, journalistes, experts, ONG,

professionnels de la politique. Quelque temps plus tard – longtemps, parfois – ces usages sont enregistrés

dans les dictionnaires : ce sont, eux aussi, des dispositifs matériels et sociaux de stabilisation des lexiques, qui

assurent en général aux significations répertoriées une très large et très durable diffusion – notamment parce

que les dictionnaires se recopient entre eux.

S’il fallait comparer le Trésor aux grandes entreprises lexicographiques, on pourrait dire que nous nous

efforçons de déplier dans le temps du récit ce qu’elles empilent dans leurs énumérations d’acceptions – oualors que nous passons de l’observation des couches sédimentaires à la restitution, toujours hasardeuse, des

événements géologiques.

Un autre présupposé de la forme “dictionnaire” est la pertinence analytique de l’unité sémantique “mot”.

Malgré les risques et les limites qu’implique cette option, nous pensons qu’elle peut être retenue à condition

de prendre certaines précautions. La première, la plus importante, est de conduire l’enquête en tenant compte

du fait qu’un mot ne vient jamais seul : il ne prend sens que dans le rapport à d’autres mots, dont la

signification contribue à déterminer la sienne. Ce qu’il convient d’observer, ce sont donc des relations, des

systèmes. Il peut s’agir de rapports de proximité, d’association, d’affinité propices aux contaminations de

sens, à la mise en place de connotations. Mais il peut aussi s’agir de systèmes classificatoires, susceptibles

d’être décrits en termes d’oppositions – que celles-ci soient organisées en pôles ou par gradation. De très

nombreux mots de la ville sont ainsi définis autant par ce qu’ils ne désignent pas que par ce qu’ils désignent.

 Ainsi le mot bourg , selon Antoine Furetière (1690) : “Habitation de peuple qui tient le milieu entre la ville et le

 village. Quelques uns le restraignent aux lieux qui ne sont fermez ni de murs, ni de fossez.” Ou alors town ,

selon Samuel Johnson (1764) : “2. Any collection of houses larger than a village. 3. In England, any number of houses to

which belongs a regular market and which is not a city or see of a bishop.” Dans ces deux cas, la définition est fondéed’abord sur un générique : habitation de peuple (ou bien : lieu  ), collection of houses (ou : number of houses  ). À ce

générique s’ajoute une ou plusieurs différences spécifiques : tantôt dans le registre de la gradation (plus grand

que/plus petit que), d’autre part dans le registre discret de la présence ou absence de certaines institutions

(muraille, marché, évêché).

Comparons ces systèmes à la définition donnée de città par Ortelius, un voyageur flamand traduit en italien en

1593 : “in Germania, Francia e altri paesi di qua da i monti si tengono per città le terre murate, che hanno grandezza e 

 privileggi di città benché non habbino vescovo, a differenza de l’Italia, ove nissuno luogho (per grande che sia) si tiene per città se 

non ha il suo vescovo.” (cité par Marin à paraître) Nous avons, là encore, un générique ( terra , luogo ), spécifié par

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un définisseur : en-deçà des Alpes, c’est la muraille et les privilèges, en Italie, c’est l’évêché. Ici, pas de critère

de quantité, de population.

Il est bien clair, avec de telles descriptions organisées en systèmes classificatoires, qu’il suffit que l’usage

modifie la signification d’un mot – ou alors qu’apparaisse un mot nouveau dans le champ sémantique – pour

que l’ensemble du système, et donc le sens de chacun de ses éléments, soient modifiés. Ce qu’il convient de

comparer d’une langue à l’autre, ce sont de tels systèmes et non chacun des mots pris isolément – comme

sont contraints de le faire les dictionnaires de traduction, dont la mission est à la fois pratiquement nécessaire

et théoriquement impossible. Nous les utilisons d’ailleurs comme sources pour observer l’instabilité des

significations dans les deux langues concernées : en comparant les solutions de traduction au cours du temps,

nous observons les effets de glissements sémantiques parallèles et souvent indépendants d’une langue à

l’autre, sur les mises en équivalence opérées par les contemporains eux-mêmes.

Quelques difficultés de méthode

Notre principal parti fut de travailler sur les usages des mots, c’est-à-dire sur les significations qu’ils prennent

dans des situations et énoncés particuliers. Là dessus, les dictionnaires ne nous aident guère : leurs définitions

sont données hors situation – bien que les d ifférences d’acception selon les contextes sémantiques soient

signalées et, souvent, illustrées d’exemples. Les auteurs du Trésor se sont efforcés de travailler sur des corpus

 – écrits, dans la quasi-totalité des cas – qui permettent d’observer des usages et de rapporter ceux-ci à des

circonstances concrètes : qui parle, à qui, dans quel but, à l’aide de quel support ? Si aucun auteur n’a eurecours aux moyens de la lexicographie statistique, certains ont utilisé les grandes bases de données

numérisées disponibles depuis quelques années, la plupart ont constitué ou repris des corpus documentaires

précis et limités, qu’ils ont jugés pertinents pour des périodes importantes. L’accent a été mis, on le

comprendra aisément, sur les moments de changement sémantique, qui ont pu, dans certains cas, être décrits

avec une certaine précision. Parmi les sources utilisées, citons, par exemple, sans idée d’exhaustivité : des

chartes urbaines, des textes législatifs, des rapports administratifs, des textes littéraires, des débats

parlementaires, des documents statistiques, des articles de presse, des annonces de publicité immobilière, des

cartes urbaines et plans de rues. La littérature des sciences humaines d’aujourd’hui ou d’hier a parfois étéregardée comme offrant à l’observation des usages des mots étudiés – les géographes, sociologues ou

urbanistes étant dans ce cas considérés non comme des savants disant le vrai mais comme des locuteurs

parmi d’autres. Des sites web alimentés par des acteurs de la ville d’aujourd’hui, des chansons, des enquêtes

ethnographiques ou socio-linguistiques ont parfois permis de relever des occurrences intéressantes.

De telles méthodes un peu artisanales risquent de ne satisfaire ni l’historien qui recommande le dépouillement

systématique de fonds d’archives bien spécifiés, ni le socio-linguiste attentif à la description fine des situations

d’énonciation, ni le lexicographe habitué à brasser selon des procédures rigoureuses de très vastes corpus de

textes. Il est probable que ce travail, entrepris quelques années plus tard, aurait eu systématiquement recours

aux immenses bibliothèques numérisées qui sont en train de voir le jour. Et pourtant, si les hypothèses

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interprétatives avancées par les auteurs du Trésor peuvent être parfois jugées insuffisamment fondées, elles

résultent toujours d’une connaissance approfondie des époques qui furent le théâtre des changements

sémantiques étudiés.

 Arrêtons-nous sur quelques uns des obstacles sur lesquels pouvait achopper l’entreprise. Deux d’entre eux,

bien que triviaux, méritent d’être mentionnés. L’intérêt pour les choses de la ville se combine chez de

nombreux chercheurs avec un désintérêt marqué pour les mots qui servent aux acteurs urbains pour les dire.

Dans combien de travaux d’histoire urbaine ou de sociologie, le lecteur peine à démêler le vocabulaire utilisé

par le chercheur – que son lexique soit simplement spontané ou délibérément conceptuel – de celui qui est

ou était employé par les gens qu’il étudie ? Le problème est parfois redoublé lorsque le livre est écrit dans une

autre langue que celle parlée dans la ville étudiée : le chercheur se croit alors généralement tenu de traduire les

mots locaux par ceux de la langue de ses lecteurs. Il faut bien constater que l’attention aux lexiques employéspar les acteurs, si elle est caractéristique de nouveaux courants parmi les historiens, si elle est générale chez les

ethnographes et anthropologues, si elle se répand lentement parmi les sociologues, n’est pas pour autant la

chose du monde la mieux partagée. Ni, par conséquent, la posture essentielle à laquelle notre projet invitait

les auteurs : saisir la ville à travers ses mots et non dans l’apparente évidence de ses objets. Il a pu en résulter

quelques malentendus et déboires.

Un second obstacle trivial est la croyance que nous n’avons pas besoin d’étudier les usages de notre propre

langue puisque nous-mêmes l’utilisons. L’illusion de transparence qui résulte du statut même de la langue

naturelle a pu être aussi, pour certains chercheurs, une difficulté à saisir l’intérêt du projet.

 Abordons plus longuement pour finir deux autres problèmes, plus difficiles à traiter car ils s’accompagnent

l’un et l’autre d’un intérêt marqué pour les lexiques : la quête étymologique et celle des concepts.

Etymologie : le leurre des origines

Le lecteur remarquera que les notices du Trésor accordent peu de place, voire aucune, à l’étymologie. Cette

façon d’aborder les lexiques a pourtant eu historiquement une grande importance. Dès l’époque des premiers

grands dictionnaires de la langue vulgaire – à la fin du XVIIe ou au début du XVIIIe siècle –, la quête des

origines des mots faisait partie des tâches à accomplir. Il en était ainsi tout particulièrement dans le monde

latin dont les lettrés étaient préoccupés de faire valoir les racines romaines des langues nationales : que l’on

pense, pour le français au dictionnaire de Gilles Ménage (1650) et à celui des jésuites de Trévoux ( Dictionnaire 

universel françois et latin... 1704), pour le portugais, au dictionnaire de Raphael Bluteau (1712-1721), jésuite lui

aussi, qui précise ou invente la signification latine de chaque mot, pour l’anglais au dictionnaire étymologique

de Nathan Bailey (1721). Au XIXe siècle, le souci étymologique se généralisa : il s’agissait de rechercher dans

les origines de la langue un des soubassements les plus fondamentaux de la nation. C’est la tâche que se

donnèrent les frères Grimm (1851-), mais aussi Emile Littré (1863-1869), puis Walter Skeat (1882) et (enmineur) J.A.H. Murray (1888-1928). L’effort se relâcha au XXe siècle, du moins en France : le dernier

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dictionnaire étymologique du français est paru en 1932 (Bloch & Wartburg) – le souci des origines faisant

place à un travail sur l’histoire de la langue (Rey 1992-1998). En revanche, l’érudition allemande continue à

s’occuper activement d’étymologie ( Dunden... 1963). Pourquoi avons-nous écarté cette approche – non sans peine parfois, tant certaines cultures lettrées

nationales peuvent y être attachées ? Une première raison est que les origines des mots sont souvent obscures

et les exposés sur le sujet fort confus – on en trouvera quelques exemples dans le Trésor. On se demande ce

qu’il faut préférer, du ton péremptoire des lexicographes des XIXe et XXe siècles ou de la fraîcheur de leurs

prédécesseurs du XVIIe. Sur le mot chômer – que j’ai étudié par ailleurs (Topalov 1994) – on lit dans Gilles

Ménage (1694) : « Il y a diversité d’opinions touchant l’origine de ce mot [...]. Bonaventura Vulcanus [...] le

dérive de  χασ µ αν , ceffare , ofcitare . Mr Lancelot [...] le dérivait de κω µ α , affoupissement . [...] Le P. Labbe, fon

adversaire, le tire de comus , ou comeffasio [...] Quelques uns le dérivent du Bas-Breton chom , qui fignifiedemeurer. [...] Dans la premiere édition de mes Origines Françoifes, je l’ay fait venir de calmare : mais, pour en

parler franchement, je ne fay d’où il vient. » Sur le même mot, on trouve dans Bloch et Wartburg (1932) :

“Chômer. Lat. de basse ép. caumare , dér. de cauma , v. calme, qui a pris le sens de ‘se reposer pendant la

chaleur’, d’où ‘ne pas travailler’. [...] – Dér. : chômable, XVe ; chômage, XIIIe; chômeur, 1876.” On se

demande ce qui autorise une telle certitude.

Il serait trop facile de s’en tenir à cet argument, car nous avons écarté les développements étymologiques

pour une raison plus fondamentale. L’étymologie peut faire croire que le sens des mots serait établi pour

l’essentiel à leur origine et perdurerait tout au long de l’histoire. Il serait, en quelque sorte, inscrit dans leur

matérialité phonétique, dans leur “racine” comme on dit. C’est là une conviction solidement ancrée : au-delà

de l’étymologie savante, on sait l’importance que la méditation sur l’origine des mots peut avoir dans certains

discours religieux, philosophiques ou psychanalytiques. Variante de l’ « obsession embryogénique » que

moquait Marc Bloch (1993 [1941-1943] : 86).

Cette inscription du sens dans le mot lui-même et de la dignité d’un lieu ou d’une famille dans son origine

était en tout cas la croyance qui était au fondement d’opérations symboliques maintes fois observées au

XVIIe et XVIIIe siècle à propos des villes : c’était leur fondation antique – grecque, troyenne, romaine – quien assurait l’éclat. Les mots étaient regardés de façon analogue, sinon que l’antique perdit de son attrait au

XIXe siècle. La mise en avant des origines celtiques, germaniques, saxonnes, vieilles russes des lexiques des

langues d’Europe joua un rôle notable dans la construction des nationalismes en conflit.

Pourtant, les mots n’ont pas de mémoire, ils ne portent pas leur histoire avec eux. Les villes non plus

d’ailleurs, qui n’ont de passé que mis au présent. Des acteurs du présent – des présents successifs – désignent

certains objets comme issus du passé et devant à ce titre être conservés ou détruits, mis en valeur dans leur

authenticité ou mis au goût du moment. Les mots ne prennent sens que dans un discours qui appartient

toujours et exclusivement à un présent. Si, dans certains cas, ils se chargent de passé, c’est parce qu’ils sont

pris dans des commentaires, c’est par l’action de ceux qui se sont instaurés gardiens ou contempteurs du

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passé ou de la tradition. On peut considérer que l’étymologie n’est qu’une modalité particulière de cette

action du présent sur le passé : un très bel exemple de ce phénomène est étudié par José Lira (1998) à propos

des étymologistes brésiliens des années 1920 et 30 discutant des racines africaines du mot mocambo.

De façon plus pratique, on peut dire aussi qu’une attention étymologique trop marquée risque de conduire à

négliger les bonnes questions. Elle détourne l’attention de l’observation des usages et donc de certains

moments historiques essentiels. Le mot allemand Park peut venir du latin, ou à l’inverse le latin médiéval

 parcus peut venir de l’ancien germain : peu importe, cette question n’a probablement pas de réponse. Ce qui

compte, en revanche, c’est que lorsque Park réapparaît en allemand au XVIIe ou XVIIIe siècle, il s’agit d’un

emprunt au français – ce qui invite à s’interroger sur ceux qui ont fait cet emprunt et leurs raisons. Sans doute

les mots français, italien, espagnol, portugais capital et capitale viennent-ils du latin caput : tête, mais ces mots

n’arrivent pas tout droit de Rome. Il sont d’usage tardif, apparaissent d’abord sous forme d’adjectif ( ville capitale  ) et, surtout, leur signification n’est en rien déterminée par leur origine : il ne désignent pas tout de suite

 – et dans certaines langues, jamais nettement – la ville principale d’un Etat, au sens où y siègent le souverain

et son administration. Cette signification implique pour le moins que soit sédentarisée dans une ville unique la

résidence du monarque et de l’administration royale ou impériale.

Concepts : le problème de l’instabilité

Une dernière difficulté qui s’est souvent présentée sur notre chemin est le goût pour les concepts. Il nous faut

justifier notre choix de parler d’histoire des “mots”, plutôt que d’histoire des “concepts” – malgré laprestigieuse expérience accumulée par la Begriffsgeschichte , initiée notamment Reinhart Koselleck (1979).

Certes, l’histoire des concepts socio-politiques s’est précisément donné pour objet d’observer dans les usages

les changements de définition de ces concepts. Evoquer un concept, néanmoins, c’est présumer qu’il y a

“quelque chose” qui serait derrière le lexique et insisterait pour être signifié par celui-ci. C’est donc supposer

au moins une certaine stabilité du référent, tenir pour sans grande importance certains changements de mots

(ou certaines différences lexicales entre langues) qui n’empêcheraient pas que soit toujours signifié le même

concept. C’est aussi, parfois, s’autoriser à mesurer l’adéquation du signifiant au signifié. Cet ensemble de

positions menace d’autant plus notre enquête sur les mots de la ville que, comme je l’ai noté plus haut, il

semble que ce qu’il s’agit de nommer soit ici des choses qui existent indépendamment des façons de les dire.

Or l’instabilité des signifiés est un des résultats les plus frappants des travaux engagés pour le Trésor .

Envisageons, par exemple, les variations des significations en synchronie selon les situations d’énonciation.

Ce sont sans doute celles qui sont les moins bien étudiées ici : nos enquêtes portant pour l’essentiel sur des

sources écrites, nous sommes conduits à privilégier la fonction de catégorisation du lexique et à sous-estimer

l’importance des énoncés de la vie quotidienne, dans lesquels le sens des mots change selon la position dans

l’espace, l’action en cours, la situation d’interlocution. On peut revenir de ce point de vue sur le mot town , quia de quoi troubler les lexicographes, comme Noah Webster, auteur en 1808 du premier dictionnaire de

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l’anglais élaboré aux Etats-Unis : “3 [...] In the United States, the circumstance that distinguishes a town from a city, is,

 generally, that a city is incorporated with special privileges, and a town is not. But a city is often called a town .” (Webster

1853) Pourquoi ? Parce que, indépendamment de toute visée classificatoire, town désigne aussi, comme le

rappelle l’Oxford English Dictionary : “The town with which one has to do .” (2e éd. 1989) On peut donc dire, que l’on

habite une localité quasi-rurale ou une métropole mondiale comme Londres ou New York : Guess who’s in 

town ! , He’s out of town et, même si l’on y est déjà : To go (in) to town , sans oublier : Best pizza in town – autant

d’usages dont le sens est strictement situationnel.

Parmi les variations des significations, il y a celles que l’on observe entre registres de langue : elles sont moins

difficiles à repérer parce qu’elles sont assez stabilisées, et peuvent être l’occasion de jeux et de plaisanteries. Si

l’on définit un registre comme “un code délimité, spécialisé, affecté à une catégorie de locuteurs et/ou à une

finalité sociale” (Wald & Leimdorfer 2004 : 2), se distinguent assez bien un registre lettré – qui a d’abordnormé la langue des classes dominantes, puis celle des couches moyennes scolarisées – et des registres

populaires. Bien que ceux-ci nourrissent aujourd’hui le registre familier dans la plupart des couches de la

société, cette différence peut être aussi la marque, dans certaines situations (l’école, par exemple), d’une

inégalité symbolique. Se distinguent aussi le registre de la langue administrante – celle qu’utilisent les autorités

qui aménagent les villes et gèrent leurs populations – et celui de la langue commune. On ne peut présumer

que ces registres correspondent à une « langue d’en haut » et une « langue d’en bas » étrangères l’une à l’autre

: au contraire, on observe des interactions constantes entre registres. Il peut y avoir des mots en compétition,

par exemple lorsque les autorités imposent des réformes administratives qui s’attaquent aux institutions

urbaines existantes. Que l’on pense à l’introduction à Naples en 1780 par les Bourbons de quartiere et de

l’abolition corrélative de seggio (ou piazza  ) et de ottina – institutions et espaces d’un gouvernement urbain

organisé en ordres, où le popolo disposait d’un rôle qu’il allait perdre : la bataille sur les mots était alors une

bataille sur les pouvoirs (Marin 2002). Il y a aussi des emprunts par la population de mots de l’administration

 – notamment ceux qui, inscrits dans des toponymes, s’imposent à tous. Que l’on pense, en français, à ZUP ,

cité ou zone , réappropriés par les jeunes des couches populaires, parfois pour transformer le stigmate en

drapeau (Depaule 2006 : 1-8).

En outre, au sein d’un même registre, on observe souvent des mots qui sont en concurrence pour désigner

les mêmes choses, ou presque : le lexique du marché immobilier offre de nombreux exemples de ce

processus très général. Ainsi, il arrive très souvent qu’un mot adopté pour désigner la maison noble,

distinguée, riche et le voisinage où elle est construite se répande ensuite dans les segments inférieurs du

marché – ce qui conduit les promoteurs immobiliers à introduire de nouveaux mots pour nommer les

produits qu’ils offrent dans les segments supérieurs. Par exemple mansions , introduit dans le West End de

Londres dans les années 1860 pour distinguer les immeubles bourgeois à appartements des buildings ouvriers,

se trouva dévalorisé une quarantaine d’années plus tard par l’expansion incontrôlable de son usage et fut

remplacé par court ou place ; villa , qui apparut à Rio et São Paulo dans les années 1870 pour désigner à la foisde grosses maisons et les lotissements de luxe où elles étaient construites, reçut un coup fatal lorsque se

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répandit villa operaia  et se trouva remplacé par jardim dans les années 1910 et 20 ; ou bien encore résidence , à

qui les promoteurs privés français avaient assigné le rôle de distinguer leurs constructions des grands ensembles  

et autres HLM dans les années 1950 et 60, et qui fut assez rapidement démonétisé par son usage pour

désigner des copropriétés de basse qualité10. Il arrive aussi que de nouveaux mots considérés comme

 valorisants soient utilisés pour changer le nom d’objets urbains qui leur préexistaient : le brouillage des

significations redouble alors. Il en fut ainsi à Vienne, avec Platz , terme utilisé systématiquement à partir de la

fin du XVIe siècle pour désigner de nouveaux espaces urbains de la Contre-Réforme, qui fut appliqué à la

même époque à de nombreux lieux auparavant appelés d’autres noms, notamment construits en combinaison

à Markt ; ou à Londres, avec square qui apparut vers 1660 mais ne s’affirma qu’à partir de 1690 pour désigner

des espaces urbains originaux créés par les spéculateurs du West End, mais qui fut utilisé au XVIIIe siècle

pour donner un nouveau nom des espaces qui avaient existé dans la City sous d’autres appellations depuis le

Moyen-Age ; ou encore, praça qui, dans les villes brésiliennes, servit à partir des années 1860 à désigner des

espaces libres monumentaux nouvellement aménagés, un peu plus tard à rebaptiser des espaces plus anciens

jusque là appelés largo ou campo11.

Résultats de luttes de classement, d’actions sur les choses par le moyen des mots, les cycles de la distinction

immobilière et urbaine sont généralement longs – plusieurs décennies. Nouveaux termes de distinction et

nominations rétrospectives ont pour conséquence une forte instabilité des significations. Dans la mesure où

les mots que ces cycles ont produits deviennent généralement des toponymes et s’inscrivent par conséquent

dans l’espace pour une période plus durable que celle où les utilise pour de nouvelles désignations, il en

résulte une coexistence dans l’espace de mots qui ne sont pas contemporains. Il faut donc considérer que les

 variations du lexique toponymique que l’on observe en synchronie dans les différents anneaux concentriques

de la croissance urbaine ou dans les zones historiques de la ville ayant changé d’usage, sont en réalité de la

diachronie projetée sur le sol, du temps lisible dans l’espace – à la manière des couches géologiques ou, d’une

autre façon, du ciel étoilé. C’est seulement lorsqu’ils sont historicisés de cette façon que les mots de l’habitat

et de la voirie urbaine peuvent retrouver une signification.

Même dans les cas où le vocabulaire présente une forte stabilité dans le temps, il n’est pas certain qu’il réfère

à des réalités considérées comme constantes. Retenons un exemple qui illustre assez bien l’instabilité des

référents et la puissante fonction classificatoire du langage. L’usage du mot maison ou du mot house – dont la

signification générique d’habitation humaine est très ancienne – a longtemps fait obstacle à ce que l’on

distingue une maison où loge une seule famille (noble ou roturière, riche ou pauvre) d’un bâtiment plus vaste

partagé par plusieurs familles. Ce type de bâtiment existait dans nombre de grandes villes européennes depuis

10 Ce développement s’appuie sur les notices du Trésor : « mansion » (Adrian Forty) et « résidence » (GillesChabaud) et sur Pereira 2002 : 275-285.

11 Ce développement s’appuie sur les notices : « Platz » (Corradino Corradi), « square » (Adrian Forty) et« praça » (Iara Lis Schiavinatto).

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le XVIIe siècle au moins, mais c’est beaucoup plus tard que sont entrés en usage des mots qui permettent de

le différencier des autres12. Si tenement ou  flatted tenement apparut à Edimbourg dès le XVIIe siècle pour

désigner tout bâtiment de ce type, à Londres il fallut attendre les années 1860 pour qu’entrent dans la langue

tenement block ou block dwellings pour les immeubles ouvriers, apartment building ou mansion flats pour les

immeubles bourgeois. Cette polarisation sociale a continué ensuite sous d’autres formes : council flats , high rise ,

tower block pour les ouvriers, apartments pour les classes moyennes. L’anglais britannique, aujourd’hui encore,

ne dispose pas de mot d’usage courant pour désigner l’immeuble d’habitation collective comme tel,

indépendamment du niveau social de ses habitants et de la morphologie qui est associée à celui-ci. À Paris,

tout au long du XIXe siècle, on utilisait maison ou maison de rapport quel que fût le nombre des locataires.

Comme le montre Youri Carbonnier, le mot immeuble ne prit le sens de bâtiment d’habitation collective qu’au

cours des années 1920 : c’était auparavant exclusivement un terme du lexique juridique et commercial, qui

désignait les biens immobiliers (maisons, terres, jardins) par opposition aux biens meubles. Ainsi, les immeubles 

haussmanniens dont l’allure nous paraît aujourd’hui si distinctive qu’elle mérite un mot qui la nomme, étaient,

pour ceux qui les construisirent et les habitèrent, des maisons . D’où cette étonnante définition dans un

dictionnaire d’argot de l’époque : « immeuble : maison dans l’argot des bourgeois. » (Delvau 1866) L’apparition

au XXe siècle du nouvel usage d’immeuble modifia celui de maison , qui constitue toujours le générique de

l’habitation (  je suis  à la maison  ) mais désigne désormais dans certains contextes l’habitation unifamiliale (  je fais 

construire une maison  ). Il en va de même en anglais, house restant le générique pour l’habitation, en même temps

que le descriptif morphologique commun aux habitations unifamiliales.

 Ainsi, dans les deux langues évoquées, une “chose” était là, dans les villes, depuis plusieurs siècles et à des

milliers d’exemplaires : le bâtiment d’habitation pour plusieurs familles. Mais il n’était pas identifié par un

mot : peut-on vraiment dire qu’il existait, s’il ne pouvait être distingué par les contemporains ? Pourquoi

notre vocabulaire d’aujourd’hui dirait-il mieux le monde que les vocabulaires du passé ? Bien entendu, les

 vocabulaires techniques du bâtiment et de la réglementation de la construction disposent désormais des

ressources nécessaires pour distinguer nettement les bâtiments selon leur destination et leur morphologie.

Mais qu’importe, si l’anglais de tous les jours ne les utilise pas et continue à considérer comme ne relevant pas

de la même catégorie ou du même concept, ce qu’un français un peu désuet appellerait immeuble ouvrier et

immeuble bourgeois ?

 Ainsi, en plaçant les mots et non les concepts au centre de l’enquête, on pose que leur signification est fixée

par les relations qu’ils entretiennent avec d’autres mots dans les usages et l’on se met en position d’observer

deux phénomènes intéressants. D’abord, les référents apparaissent comme fondamentalement instables,

puisque leur identification même dépend du classement des choses par les mots, et donc de possibles

reclassements au cours du temps. Ensuite on s’aperçoit qu’il n’est pas nécessaire de postuler la cohérence des

12 Je m’appuie dans ce qui suit sur les notices du Trésor : « house » et « flat » (David A. Reeder), « mansion »(Adrian Forty), « maison » (Yves Perret-Gentil), « immeuble » (Youri Carbonnier).

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façons de dire car celles-ci peuvent se déplacer, pour une même époque ou un même locuteur, selon les

contextes et situations.

C’est donc en étant disposé à tous les étonnements que le lecteur est invité à s’emparer de ce Trésor .

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