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v Sv AutreTerre AT No # 31 2014 Une Suisse sans Berger!

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INUTILESvINUTILESv AutreTerre AT No # 31 2014

Une Suissesans

Berger!

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Le concept ici: Mes

rapports tumultueux et amicaux avec le Grand

Berger!

Fin 88, René Berger, immense penseur suisse romand répond au texte La Mu-sica.. Cette lettre de quatre pages au superbe et impérieux graphisme1 vient d’apparaître, de sortir de nos archives ! Il s’agit d’un commentaire enlevé, une réaction. Je suis très content qu’il ait traité nos studios de caverne faustienne mais que dirait-il s’il voyait maintenant ce qu’ils sont devenus !!! Pour ceux qui ne connaissent pas R B je reproduis ci-après iune partie de son Wikip. Ce week end j’ai stoppé les machines bordelaises pour pouvoir citer mon René bien aimé. Il ne faut jamais dire trop tard. Écriture fabuleuse, il se croque lui-même de la manière la plus imprévue, entre Socrate, Confucius et Fu Manchu. Très, très, très dur à lire, la troisième truffe m’a aidé, à deux nous avons décodé. Trouvez le texte ci-après en pdf. La version “traduite” paraît cette semaine avec Silent Idol, dans la préface du texte La Musica.

JG1

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René Berger. Dans une lettre2 que je peine à déchiffrer tant son écriture est impulsive et dessinée il se croque lui-même en haut de page et s’empare de l’imaginaire de ce petit texte, je le résiste pas au plaisir de le citer :

« Juge de mon embarras ! Sourcils froncés, yeux baissés, la moustache et la barbe pendantes ! Et me voici re-courant au calame (oui) faute de te suivre dans l’éblouissante aventure techno-spéléologique de tes vœux. Qui m’ont d’abord fait craindre pour

2 Que nous publions dans le site margelle.com

La Musica (intro)

Ce mini-texte prédit très bien, une vingtaine d’années à l’avance, ce qui fera le succès d’Apple Computer : insérer des messages musicaux dans la tête des gens. La firme à la pomme est loin de posséder l’intelligence du fondateur de La Musica, ce n’est plus qu’un ramassis de boutiquiers. La porteuse, dans La Mu-sica, est la musique pop électro. Jack des Ombres et ses associés ont racheté à bas prix des stations FM et contrôlent une grande partie de l’Amérique par des choix programmatiques et des messages subliminaux. En réalité ce texte n’était rien de plus que des vœux fantaisistes de bonne année. Envoyés avec une fausse personnalisation au destinataire. C’est ainsi qu’à la succession du grand ministre Chavanne, le Sieur Föllmi qui était devenu (pourquoi ?) Ministre de l’Éducation reçut un exemplaire de La Musica dont il était le héros ! Surprise ! Son officielle réponse fut que c’était « très intéressant ». C’est le terme que les faibles en esprit utilisent pour parler d’art moderne. Tout autre est la réaction du grand

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ce pas l’un de tes avatars féminins en l’occurrence ? À la réflexion je peux me permettre cette halte - tu fais un beau bouquet d’avatars, comme certains reliefs des grottes de Badami3. Dom-mage que tu ne les connaisses pas. C’est en Inde du Sud. Shiva, Vishnu, Brahma, n’est-ce pas la définition fig-urée du chef d’orchestre qui multiplie bras et jambes, têtes et bustes pour donner sève à la musique ? Auprès de quoi la mégalopole comme New York a des relents délétères. Mais, le toxique est peut-être la nouvelle dimension

3 Inde, connu pour ses grottes et statues réalisées entre le VI et le VIII siècle.

ma personne, âme comprise. Heureusement que le suffrage démocratique a sa part de fic-tion. N’est-ce pas Socrate qui s’étonnait qu’on pût s’en remet-tre à une majorité arithmétique ? Ce à quoi fait écho charitablement ton narrateur « Ce n’était qu’un vote ». La mémoire est plus fidèle ; et je n’ai aucune peine à me remémorer la longue course dans la 5 th avenue. C’est vrai qu’il peut y faire un froid polaire. Dont tu n’as pas plus en cure que moi grâce à Gwendoline. N’est-

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une année 89 ». Il y aura notre rencontre à Genève, au cœur de ta caverne faustienne - ou s’agit-il du château baroque de Louis II de la Bavière électronique. Peut-être même y percevrai-je le pendentif de Chelsea ! Why not ? Je compte sur toi. Voilà donc, mon cher Surfeur, les vœux que t’inflige celui qui tient le calame pour te faire goûter, encore à la joie ? En tout cas au labeur d’un tracé… (Mais qu’eussé-je fait de mon Mac ascétique à côté de ta crésusification débutante ?) A mon {{}} de cœur ! René «

Ce texte m’était venu « comme ça », en écoutant de manière erratique des sta-tions FM américaines. Ces voix qui flottaient dans l’éther communicationnel m’impressionnaient, de vrais fantômes, vampires des temps actuels. L ‘utilisa-tion de polices de caractère tente de reproduire les couleurs sonores de ces voix. J’ai ressenti avec force que nous étions cernés par un nuage de messages do-tés d’une grande force de pénétration, nous sommes alors en 1988. Tout s’est développé dans le sens que j’indique et je soutiens que le traitement et la diffu-

de l’espèce humaine. N’est-ce pas du toxique qu’elle d’ailleurs sortie avant l’apparition de l’oxygène ? À preuve ton Anabase entre la vapeur, le gaz et le pollen ! J’aime que les signes soient polymorphes. C’est comme ça qu’ils prennent vie, au lieu de la consumer. Tu l’as dit, l’Inverseur est le secret. C’est lui qui déjoue les pièges du conform-isme. Rien qui, d’une manière ou d’une autre, ne soit réversible, ou plutôt inversible. L’avenir est à ce prix :« Il y aurait une suite. Il y aurait

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Wikipedia : René Berger, partiel :René Berger, de nationalité suisse, obtient sa licence ès lettres à l’Université de Lausanne en 1941, puis le titre de docteur de l’Université de Paris que lui vaut sa thèse d’esthétique soutenue en 1957 à la Sorbonne. Dès son premier ensei-gnement à l’École supérieure de Commerce de Lausanne, il introduit dans les programmes un nouveau cours intitulé Connaissance de l’art, fondé, moins sur la recherche historique que sur la mise au point d’une méthode d’approche es-thétique dont il tire en 1958 Découverte de la peinture, premier essai de méth-ode de lecture esthétique, ouvrage qui sera repris en livres de poche et qui con-naîtra de nombreuses traductions. Dans la suite des douze volumes publiés en 1963 sous le titre de Connaissance de la peinture (reprise bientôt en 6 volumes) se confirme sa préoccupation d’approfondir son approche critique en la reliant de plus près à l’évolution de nos moyens de communication. Cette conception, qui rompt avec l’histoire traditionnelle de l’art, décide la télévision à réaliser une

sion des voix féminines sur les ondes des radios est du pur porno, de la drogue, du conditionnement. Je me suis amusé à situer cette pochade dans New York la vénéneuse, ex Venise du XXe siècle dans laquelle j’avais quelquefois erré. Je me situais facilement dans cette ambiance de polar, dans la peau du Surfeur, traqué par une pieuvre invisible, un réseau d’ondes agressives dans une ville livrée aux démons du changement. L’idée maîtresse reste celle du pouvoir sexuel féminin qui s’exerce efficacement par les ondes, amplifié par la musique et au-torise d’imprévues prises de pouvoir. Ce qu’il faut garder de La Musica, c’est la présence de ces voix ethériques, vampires modernes pour parler transylvanien, succubes pour parler juif. Beaucoup plus nocives que des images. Elles sont - au sens musical du mot - des spectres intéressants. Une note chantée vaut mille images, Steve Job le savait vaguement.

Et, détail qui colore le tout, NY sent énormément la frite, je confirme.

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qu’il est toujours conditionné par les moyens de communication en cours et en devenir. La Mutation des signes, publié la même année, en dével-oppe les conséquences, à savoir que nous sommes entrés dans une ère multi-médias, qui préfigure l’avènement d’une multiréalité. La notion de mass media doit désormais s’étendre aux moyens de transport de masse que sont devenus l’automobile, le train, l’avion, ainsi qu’aux activités de masse tels le tourisme, les loisirs, la mode. D’où la mise en garde à propos des “sémiurgiens” qui, fab-riquant simultanément les produits et les signes, façonnent notre existence quo-tidienne à l’échelle de la planète. C’est dans ce dernier ouvrage qu’il inaugure le concept de “technoculture”, aujourd’hui d’usage courant.

Il multiplie les voyages pour approfondir à la fois son information et sa réflexion. C’est ainsi qu’il participe à de très nombreux colloques, séminaires, conférences, tables rondes dans le monde entier. La théorie de l’information, la cybernétique,

série de 13 émissions multilingues diffusées dans de nombreux pays, et qui sont dans certains l’occasion de diffusion en vidéocassettes.

A la Faculté des Lettres de l’Université de Lausanne, où il est successivement lecteur de littérature française, chargé de cours, puis professeur associé, il s’efforce d’éclairer les changements culturels dus à l’évolution accélérée des moyens techniques. Dès 1971, il prend l’initiative de créer dans le cadre de l’Université un cours expérimental : Esthétique et mass media, dont le postulat (d’abord mal accepté de la Faculté), consiste à étendre la dimension esthétique au-delà des arts traditionnels.

En 1972 paraît Art et Communication, ouvrage dans lequel l’auteur s’emploie à démontrer qu’un objet de connaissance n’est jamais “donné”, mais

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Son propos n’est ni technique, ni historique, encore moins encyclopédique ; il vise à éclairer le changement de notre civilisation dans une perspective, osons le terme, “techno-anthropologique”.L’Effet des changements technologiques, paru en 1983, poursuit l’enquête en s’interrogeant sur quelques-unes des grandes mutations de notre temps : la ville, aujourd’hui machine-à-vivre-en-masse ; la vitesse, qui engendre la nouvelle race des “télanthropes”...Dans la Maïa technologique qui nous envel-oppe, les artistes ont-ils encore le pouvoir de nous aider quand la clairvoyance fait de plus en plus défaut tant aux experts qu’aux hommes politiques, et sans doute à la plupart d’entre nous ?Poursuivant ses travaux, René Berger s’attache à analyser, à la suite de la ré-cente révolution audiovisuelle, celle que provoque l’arrivée massive de la micro-informatique. Ce faisant, il en vient à conjecturer que nous en venons de plus en

le développement des sciences, en particulier de la physique et de la biologie, élargissent son cadre de référence et le conduisent à s’intéresser toujours de plus près au phénomène de la télévision et de l’informatique naissante.

La Télé-fission, Alerte à la Télévision, paru en 1976, étudie com-ment la télévision est en train de provoquer un éclatement culturel qui ne cède en rien à celui provoqué en physique par la fission de l’atome. A la lumière de la psychanalyse, l’auteur découvre que les “missions” qu’on s’accorde à reconnaî-tre traditionnellement à la télévision, relèvent moins de l’esprit rationnel dans lequel on les inscrit que d’une fantasmatique collective dont on sait encore peu de chose. Ce qui incite l’auteur à préciser que l’Originel, fondement du mythe, se déplace progressivement vers l’Actuel, l’événement prenant le pas sur le sym-bole.

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En dépit de la méfiance, on voit déjà nombre d’artistes qui se mettent à explorer cette voie, comme s’il leur appartenait d’orienter une société techniquement toujours plus puissante pour la soustraire à la condamnation d’un imaginaire toujours plus programmé.

Téléovision, le nouveau Golem (1991) avance l’hypothèse que l’homme et la machine entrent dans un rapport sans cesse plus étroit. De même que le terme de téléonomie suppose un projet à l’organisation du vivant, de même téléovision suppose une organisation inhé-rente au développement technique et qui simultanément le dépasse. Trois con-figurations, à titre métaphorique, peuvent servir de repère : la première, zoomor-phique, associe animaux et dieux, comme ce fut le cas en Egypte ; la deuxième, anthropomorphique, exalte l’image humaine jusqu’à la confondre avec le divin, ainsi que l’atteste la civilisation grecque ; la troisième est celle qu’a préfigurée

plus à abandonner les modèles séculaires de Platon et d’Aristote, fondés l’un et l’autre sur la notion centrale de Réalité, pour prendre la route d’Abdère où Démocrite, “pré-informaticien”, agence images et paroles, couleurs et sons en agrégats d’atomes (ou d’électrons ?).C’est pour l’auteur l’occasion de s’interroger sur la nature et la portée des nou-velles technologies. Jusqu’où ira votre ordinateur ? L’imaginaire programmé ! (1987). Rapport difficile. Comment traiter avec un “maître” exigeant, pointil-leux, qui ne laisse rien passer, et qui ne se trompe pas ? Comment s’accommoder d’une logique, purement rationnelle, alors que nous sommes faits d’abord d’incertitudes, d’émotions, de mouvements du coeur ? Impossible de nous lais-ser, comme nous y invite jusqu’ici le développement de l’informatique, à un positivisme sans faille, donc inhumain ! L’ordinateur est-il capable de briser la clôture qui nous menace ? Certains indices semblent porteurs d’espoir. Après la période triomphante de la “force brute”, affaire des seules performances, voici que s’annonce peut-être une deuxième informatique, soucieuse de conscience.

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Non seulement les paradigmes classiques cèdent à de nouveaux paradigmes, nos “topiques” fondamentales sont ébranlées. Nos conceptions et nos compor-tements s’orientent vers une transdisciplinarité et une trans-pragmatique dy-namiques globales, qu’il importe de réguler, mais d’abord de connaître.C’est ce qu’éclairent, entre autres phénomènes révélateurs, les “arts tech-nologiques”, l’art vidéo, le computer art, l’art télématique, l’holographie, l’art des réseaux informatiques qui nous ouvrent des dimensions sans précédent. La technique ne s’”ajoute” pas à l’homme ; elle lui devient constitutive : ainsi du “cyberspace” dont l’ampleur ne fait que croître.Notre imaginaire anthropologique est-il en train de changer l’interface que nous avions établie entre les humains et la mort au moyen de symboles, image, parole, représentation, rite ? Liée durant des millénaires au “monument” qui la stabili-sait en lui donnant forme dans la tradition, la mémoire s’incarne de plus en plus dans les réseaux, tel Internet, dont les interactions permanentes “inventent” l’avenir en temps réel. Paradoxe de notre entrée dans le XXIe siècle : l’origine du

Norbert Wiener il y a plus de 30 ans déjà. Le nouveau Golem naît de la co-évo-lution de l’homme et de la machine qui s’accomplira dans une âme partagée, comme ils s’apprêtent l’un et l’autre à faire du cyberespace leur nouvelle patrie.Dans son dernier ouvrage, L’origine du futur, paru en mars 1996 (Ed. du Rocher), René Berger part du fait que la mutation de notre monde a at-teint un seuil critique. Pour la première fois, les médias qui coexistaient jusqu’ici - presse, radio, photographie, cinéma, téléphone, télévision, informatique - se mettent à fusionner en une télématique universelle. Déjà les “autoroutes de l’information” sont en proie aux méga-fusions des entreprises à l’affût d’un marché lui aussi planétaire.Double révolution à l’instigation de l’ordinateur, à la fois moteur et co-acteur d’hybridations aussi singulières que l’”intelligence artificielle”, la “réalité vir-tuelle”, ou encore la “vie artificielle”.

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les Studios A.R.T.

Dans l’épisode sicilien qu’il me fait vivre je rencontre Paul Dirac et Vénus, entre autres… Voici la citation, venue de “Une semaine bien remplie”.

C’est dans ce contexte qu’apparaît le grand René Berger.Il me serait difficile d’esquisser ces mémoires sans l’évoquer. Berger, qui est basé à Lausanne, est un personnage social hors normes. En peu de temps il con-quiert l’espace intellectuel international avec la véhémence de ses idées et son verbe. Raffiné, rabelaisien, philosophe d’avant-garde il prend l’autre à partie. His-torien de l’art de formation, major dans l’armée suisse, il aime les chevaux plus que tout. C’est à sa manière un rousseauiste avec ses promenades solitaires. Son moteur intellectuel c’est une futurologie de la connaissance qu’il développe. Toute sa vie, qui sera longue, il ne cesse de créer des mots qui interloquent ses pairs. Il instaure des modes, le pluri suivi de l’inter puis du transdisciplinaire, il

futur interpelle chacun de nous au présent.Éclairer le sens de la mutation en cours, dans l’ensemble de ses manifestations, en se fondant sur l’apport prioritaire des artistes, telle semble bien être l’orientation de René Berger. “Vecteur”, il s’efforce d’ouvrir la voie et de l’explorer. Aussi bien la théorie et la pratique, l’information, la réflexion et l’action sont-elles pour lui indissociables.

Je finirai par une note personnelle :Berger joue un rôle important fans ma vie. Nos rapports sont, au début, inné-narrables. Je suis encore un jeune cocq présomptueux et lui déjà un vieux lion. Mais on s’intéresse vivement l’un l’autre. Je lui dois beaucoup ! De plus, il est en phase avec Profondeur, la femme de ma vie, elle harmonise nos rapports avec son extrême et souriante finesse. Il est exact que je n’aurais jamais écrit Faus-tus si Berger ne m’avait pas découvert dans cette caverne Faustienne que furent

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d’eau et superposé un son très grave pour imaginer cette gorge, forge, trombe où passent toutes les existences, la fontaine de la création. Ça ne vaut pas grand-chose mais l’expérience m’émeut. Berger emballé achète immédiatement le film pour le Musée cantonal des Beaux-arts de Lausanne dont il est le direc-teur. Il s’y perdra bien entendu, dans les profonds labyrinthes desquels nul au-tre n’aura le secret. Tout dans nos caractères nous portait à nous affronter, en cette époque je me comporte plus souvent qu’à mon tour comme un jeune coq, mon signe chinois, mais paradoxalement, à part quelques prises de bec et des griffures du vieux lion, une profonde amitié naît. C’est normal ! Berger possède cette dimension internationale que je découvre ces années-là ! Je ressens qu’il fait partie de notre patrimoine intellectuel suisse, il est vrai qu’il n’est guère ap-précié de l’establishment mais, pour lui comme pour moi, la vieille règle joue. C’est la reconnaissance à l’étranger qui l’impose. Il voit en moi une sorte de Faustus sorcier du son et il le dira dans sa préface à mon texte La Musica. Ce qui me vaut une aventure en Sicile, dans la cité de Vénus ! Il me présente à Antonio

aime les mots, il en invente, c’est sa drogue dure. Personne ne parlera comme lui de l’ordinateur dans les années soixante, il a tout vu, tout anticipé. Ses amis l’appellent le Socrate vaudois, il pratique en effet une sorte de maïeutique per-sonnelle, un art d’accoucher son interlocuteur qui laisse pantois les esprits sui-sses trop convenus ou trop lents. L’usage de cette violence de charme surprend de prime abord mais séduit rapidement et notre homme croule sous les invita-tions. Une chose le fascine, la vidéo. Dans les années 64 j’achète, avec Michel Simon qui passe à Genève, la première caméra vidéo en noir et blanc sur bande d’un demi-pouce. C’est une révélation. Je découvre qu’en plus de la musique je puis m’approprier l’image, le monde. Berger qui s’en aperçoit me commande un film. Je plonge en plein délire et ponds quelque chose à mi-chemin de Buñuel et de ma culture scifi. Ça se nommera Les seigneurs de la culture. Il y a de tout, des fourmis en plan rapproché sur la carcasse d’un oiseau mort, des filles que je croise et qui sourient et babillent sans se faire prier et, à la fin, quelque chose de fort que j’appelle le puits des choses premières. J’ai simplement filmé un jet

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jeune femme à qui je rêve d’emblée de porter secours, elle vient de perdre son argent (ça s’arrange), sa trousse de maquillage (plus grave) et son passeport (ennuyeux). Et c’est ce premier jour que je mesure la puissance locale de Zichi-chi à qui la belle est allée se plaindre. En fin d’après-midi un jeune l’air chafouin se présente, lui rapporte un sac neuf avec tous ses papiers. Il ne manque pas un centime et, les yeux baissés, il lui offre une gerbe de roses. On ne m’a pas trompé, Zi est un parrain de la mafia locale, on ne chasse pas sur ses terres, on se regarde tous d’un air entendu et on passe à autre chose.Le lendemain je comprends enfin pourquoi j’habite chez Vénus. Zi est né à Tra-pani, un village proche, et il connaît bien le rocher d’Erice dont la tradition sicili-enne veut qu’il soit le temple de la Déesse. À vrai dire ça ne retient pas particu-lièrement mon attention mais, en marchant dans la rue du village, soudainement, je croise de grandes ombres blanches qui traversent les rues à vive allure au-dessus de ma tête. C’est fantomatique, féerique. Il y a à Erice un microclimat qui autorise l’apparition de ces petits cumulus et on les voit tourner autour du

Zichichi, un ponte du Cern, un homme qui fait des vagues. Le but de la rencontre est que je participe aux rencontres d’Erice où l’Italien à l’ambition de créer des rencontres internationales de haut niveau. Je ne suis pas habitué à ce type de personnage mais c’est un séducteur, il est cultivé, il travaille sa relation sociale à l’italienne, qui dit mieux ? On me dit qu’il est influent, qu’il a ses entrées au Vatican comme dans la mafia. Pour ce qui est du Vatican il publie de nombreux articles et interviews à la RAI pour démontrer qu’il n’existe aucune contradiction entre la science et l’église catholique, ça ne peut qu’arranger le très Saint Père. Influent, c’est chose certaine car, sa carrière au Cern se trouvant contestée il obtient que l’Italie supprime ses contributions financières à ce grand centre de recherches. Je pars donc pour la Sicile, pour Erice dont le jour d’avant j’ignorais l’existence. C’est un séjour bref mais intense. À l’arrivée, une jeune et belle physicienne anglaise se voit dérober son sac par deux voyous en scooter. C’est du classique, heureusement pour elle le gars coupe la courroie en un éclair et ils se tirent, le tout n’a pas duré trois secondes. Du beau boulot. Mais pas pour la

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vre, humble, spiritualisé par cet intense ciel de Méditerranée que l’on aperçoit par une très haute et petite lucarne. On ne peut regarder que vers chez Dieu. Ça me fout une trique pas possible, je me mets à partager les extases et les er-reurs des fous de Dieu. Mais, comme Cendrars à New York, je suis en isolation, rien à baiser, aucun objet de tentation, les icônes ne passent pas le seuil de ma cellule. Il me reste la possibilité d’arpenter le parloir, la cour centrale ou les bal-cons du couvent. Et ça se produit. Dans un grondement de tonnerre Vénus se pointe. C’est une belle fille du coin, passagère d’une grosse cylindrée, qui passe sur le chemin proche. Je me fous de la Ducati, du veinard qui pilote, je ne vois que ses jambes nues, brunes, musclées, parfaites, enserrant le monstre (mon royaume pour être cette moto !), ses épaules de nageuse, une belle chevelure noire ; chaque détail, à un photon près, vient se graver dans ces lacs de feu qui parsèment ma mémoire. Cette fille me hantera longtemps. Je ne suis pas origi-nal. Comme tous les hommes je fonctionne avec des signes. Putain ! Ça valait le coup d’être moine à temps partiel !

rocher. C’est foutralement beau. Lors de la première conférence, Berger effectue les présentations. Effectivement, les intervenants sont des pointures. Je fais la connaissance de Paul Dirac qui est charmant et m’informe d’entrée qu’il déteste la musique contemporaine et n’aime que Bach.- Comme votre ami Einstein ? je lui dis.On s’amuse, les physiciens et les matheux, curieusement, sont ultra-conserva-teurs en matière d’art, je ne suis nullement surpris. Chacun présente ses idées et travaux dans l’optique pluri et transdisciplinaire chère à Berger. Et là - vous allez enfin me retrouver - je réalise que l’effervescence intellectuelle va de pair avec le sexe.Je vis dans une cellule de moine. Le centre Ettore Majorana de Zi s’est installé dans un ancien couvent. De prime abord je tique. Je ne suis qu’un affreux Sui-sse habitué à son confort. Mais vite je me prends à aimer ça. Les murs blanchis à la chaux avec ces crépis qui les modèlent et leur donnent vie, un lit spartiate (pas question d’y réfléchir à deux…), un petit crucifix, un lavabo, tout est pau-

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t’rn inspirer, t’étais pas loin mon pote!

Pour Berger, l’homme essentiel, le provocateur de génie, le but est atteint. J’ai été comme lui un provocateur et, il le dira plus tard, un é-vocateur, celui qui fait sortir les gens de leurs retranchements. Il jubile.

Moi je reste avec la cavalière du tonnerre.

Je ne savais pas que Vénus était une motarde italienne. Elle est passée.

Je l’ai déjà perdue, elle reviendra.

Je l’attends !

Ébloui, je descends retrouver mes pairs provisoires et, c’est mon tour d’intervenir.

Cette cavalière du vent, cette passante

m’a insufflé une telle énergie

que je me défoule sur eux et les assomme tous avec la plus brillante et la plus insolente conférence sur l’impact des matrices sérielles généralisées dans la création musicale et l’équilibre précaire des messages à redondance variable. Un peu de Webern, beaucoup de Moles, un zeste de moi, je fonce, je sens que j’ai la main. Dirac esquisse une petite moue mais le professeur Eliott Leader qui est venu de Londres avec lui adore ces idées. Nous parlons longuement de ce principe de variation amplifié à l’infini qui va fi-nalement détruire le sens de la musique, à moins que l’un d’entre nous ne trace une voie vers le nouveau pays fertile. oh? Boulez? Tu entends? Tu ferais bien de

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