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CORAN

Article €crit par R€gis BLACH•RE, Claude GILLIOT

Prise de vue

Le mot al-Qur'€n (traditionnellement transcrit ‚ Coran „), qui proc…de d'une racine attest€e dans les plus

anciens €l€ments de la pr€dication de Mahomet, semble exprimer l'id€e d'une ‚ communication orale „, d'un‚ message „, transmis sous forme de ‚ r€citation † voix haute „. Cette triple notion, par sa complexit€ m‡me,caract€rise l'€tat premier d'une ‚ r€v€lation „ verbale, qui ne reˆut que lentement la sanction de l'€criture etne fut fix€e en un ‚ livre „ que pr…s d'un demi-si…cle apr…s la mort du proph…te de l'islam.

Coran, manuscrit 

Fragment d'un rouleau du Coran, VIIIe-IXe si…cle, €poque abbasside.(G. Dagli Orti/ DeAgostini)

I-Du message au ‚ fait coranique „

La vulgate coranique

Dans la forme qui se trouva d…s lors reconnue et qui est demeur€e immuable depuis treize si…cles, le Coranest compos€ de cent quatorze chapitres, ou sourates (de l'arabe al-s•ra), subdivis€s en versets (€y€t ) etclass€s selon un ordre de longueur d€croissante, mode de classement qu'on retrouve en plusieurs types derecueils po€tiques ou philologiques constitu€s dans le monde s€mitique. Cette ordonnance purement formellea pos€ d…s l'origine des probl…mes d€licats aux musulmans soucieux de commenter et d'interpr€ter le texte‚ r€v€l€ „ : elle ne correspond, en effet, ni † un classement par mati…res, ni † un classement chronologique.Les €rudits de l'Islam m€di€val s'efforc…rent donc, pour expliquer les versets coraniques, de d€terminer

minutieusement les circonstances qui €taient r€put€es avoir entour€ la ‚ r€v€lation „ de chacun des €l€mentsde la pr€dication. Pour ce faire, ils se fondaient sur les traditions orales consacr€es aux faits et gestes deMahomet, qui furent, pendant les cent cinquante premi…res ann€es de l'…re musulmane (630-770 de l'…rechr€tienne), peu † peu rassembl€es en une Vie du Proph…te (S‚ra). Ainsi fut €labor€e une chronologie, parfoisfort d€taill€e, qui r€partissait les ‚ r€v€lations „ sur vingt ann€es, de 612 de l'…re chr€tienne environ † 632,date de la mort de Mahomet, une coupure fondamentale €tant marqu€e en 622 par le d€part du Proph…te desa ville natale, la Mekke, pour M€dine, o‰ il s'€tablit avec ses fid…les.

Mais la pr€cision m‡me de ce commentaire chronologique trahit sa fragilit€. Les traditions utilis€es par les€rudits musulmans pour €tablir la date et les conditions d'€nonc€ des textes coraniques se r€v…lent en effetsouvent comme proc€dant du passage qu'elles sont cens€es €clairer, de telle sorte que, sous les apparencesd'une confirmation par des documents ext€rieurs, c'€tait ind€finiment, dans l'ex€g…se islamique de typetraditionnel, le texte du Coran qui renvoyait † ses €l€ments intrins…ques.

Les islamologues contemporains ont entrepris une d€marche inverse, qui les a conduits † €clairer non leCoran par une tradition dont en r€alit€ l'origine €tait le Coran lui-m‡me, mais les €l€ments traditionnels de lachronologie islamique par le texte du message proph€tique. Les r€sultats essentiels de ces recherches ont €t€consacr€s par les travaux de l'€cole allemande anim€e par Theodor NŠldeke.

Ces travaux ont fait appara‹tre deux s€ries de donn€es compl€mentaires : sur l'€laboration du messagecoranique €nonc€ par Mahomet, d'une part, sur la progressive fixation de ce message en une vulgate reˆuecomme intangible au sein de la communaut€ musulmane, d'autre part.

En ce qui concerne le premier point, les recherches islamologiques r€centes ont confirm€ combien le texte

coranique refl…te et permet de discerner les conditions politiques, sociales, religieuses o‰ s'est d€velopp€l'apostolat de Mahomet, les oppositions de clan, d'int€r‡ts, d'id€ologie que le proph…te de l'islam et sespremiers compagnons ont dŒ surmonter. Elles interdisent le d€tail † quoi s'attachaient les anciennesbiographies. Par contre, elles font appara‹tre les grands ensembles de textes et les th…mes fondamentaux, quisemblent avoir correspondu aux principales €tapes de la pr€dication et de l'action politico-religieuse de

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Mahomet. Les versets coraniques peuvent ‡tre ainsi regroup€s, en fonction de crit…res stylistiques et selon lesth…mes trait€s, en ‚ r€v€lations „ €nonc€es † la Mekke, elles-m‡mes subdivis€es en trois s€ries, et en‚ r€v€lations „ €nonc€es † M€dine, qui correspondent † une phase de d€veloppement et d'organisationpolitique et juridique de la nouvelle communaut€, d€finissent ses rites, ses structures, ses rapports avec lesautres groupes religieux.

Sur le second point, cette ‚ p€riodisation „ a permis de mieux reconna‹tre le processus de constitution dela vulgate coranique proprement dite. l'origine, tant que v€cut Mahomet, il semble que la transmission destextes €nonc€s ait €t€ presque exclusivement orale, fond€e sur cette ‚ r€citation „ qu'€voque pr€cis€ment le

terme qur'€n. M‡me apr…s l'€tablissement † M€dine, l'enregistrement par €crit, sur des omoplates dechameaux ou des morceaux de cuir, de versets ou de groupes de versets tenus pour sp€cialement importantssemble ‡tre rest€ le fait de croyants agissant de leur propre mouvement. Les recueils constitu€s de la sorte€taient fragmentaires et leur diversit€ ne pouvait qu'‡tre accrue par le caract…re rudimentaire de la notation.

D…s la mort de Mahomet, par contre, ses compagnons eurent souci d'assurer la p€rennit€ du messageproph€tique, tout ensemble expression irremplaˆable du fait religieux qui fondait leur communaut€ et recueildes prescriptions qui en d€finissaient l'existence sociale. AbŽ Bakr, beau-p…re du proph…te et son premiersuccesseur sous le titre de khalife (lieutenant), fit proc€der, pendant les deux ann€es de son pouvoir (632-634),† des recensions qui permirent la formation de collections plus vastes, sinon plus coh€rentes, que les premiersrecueils individuels. Toutefois, la fixation d'un texte unique, tenu pour seul recevable, ne fut op€r€e que sous letroisi…me khalife, Um‘n, entre 644 et 656 de l'…re chr€tienne, soit un quart de si…cle apr…s la disparition de

Mahomet. Selon la tradition, tous les exemplaires connus de recensions divergentes furent alors d€truits.

Cet effort d'unification, m‡me s'il fut contest€, pendant les trois premiers si…cles de l'h€gire, par quelquesgroupes musulmans dissidents en mati…re politique, a €t€ pour l'essentiel couronn€ de succ…s. Les‚ schismatiques „ kh‘ridjites, ou sh’ites, accusaient leurs adversaires d'avoir, pour asseoir l'autorit€ deskhalifes de la dynastie umayyade, supprim€ des versets qui auraient €tabli des principes diff€rents pour lad€volution de l'autorit€ supr‡me dans la communaut€ musulmane, mais ils n'ont jamais mis en cause la massedes textes d'ordre th€ologique, dogmatique ou juridique. La vulgate €tablie par Um‘n repr€sente, pour tousles musulmans, le texte de la ‚ R€v€lation „ dans son originale authenticit€.

Le message coranique : la Mekke, M€dine

Le classement par ordre de longueur d€croissante des cent quatorze sourates a pour cons€quence uneinversion presque compl…te de ce qu'on peut estimer, apr…s NŠldeke, avoir €t€ la succession chronologique des€nonc€s proph€tiques. Les textes les plus longs, par leur style autant que par leurs th…mes, se r€v…lent, †l'examen, les plus r€cents ; ils correspondent † la p€riode m€dinoise, de 622 † 632. Les sourates les pluscourtes, dont plusieurs ne sont presque que des s€ries d'incantations juxtapos€es, remontent aux origines dela pr€dication mekkoise.

Chacun de ces chapitres est bien loin cependant de constituer un texte d'un seul tenant. Le plus souvent,ce sont des ensembles composites, o‰ se trouvent mises bout † bout des ‚ r€v€lations „ portant sur desth…mes connexes, mais qui n'ont pas €t€ n€cessairement €nonc€es dans un m‡me moment.

Les sourates les plus homog…nes, dont la coh€rence stylistique et th€matique correspond au reste † labri…vet€, sont celles de la premi…re p€riode mekkoise. Au nombre de trente-quatre, elles ont conserv€, dansleur rythme haletant et bris€, l'€lan de ce qui appara‹t encore, † l'audition comme † la lecture, avoir €t€ pourles premiers convertis et sans doute pour Mahomet lui-m‡me une ‚ r€v€lation „ au sens originel du mot. Lesth…mes de cette pr€dication initiale sont simples : in€luctable fin de ce monde terrestre, universellecomparution des hommes pour un Jugement supr‡me o‰ leurs actes t€moigneront de faˆon irr€futable,irr€m€diable ch“timent des p€cheurs, qui sont surtout des puissants et des riches, indicible f€licit€ des justesqui recevront ‚ la tr…s belle r€compense „, affirmation incessante enfin de la puissance absolue ettranscendante d'une divinit€ bienfaisante, ‚ Seigneur des Mondes „ et ma‹tre souverain.

Le texte qui exprime sans doute le plus compl…tement le contenu de ces premiers messages est la souratequi figure en t‡te de la vulgate coranique, pour ce nomm€e la Liminaire (en arabe al-F€tiƒa), et qui est

devenue un €l€ment primordial de la d€votion musulmane :

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1 Au nom d'All‘h, le Bienfaiteur mis€ricordieux.2 Louange † All‘h, Seigneur des Mondes,3 Bienfaiteur mis€ricordieux,4 Souverain du Jour du Jugement !5 C'est Toi que nous adorons,

 Toi dont nous demandons l'aide !6 Conduis-nous dans la Voie droite,7 La Voie de ceux † qui Tu as donn€ Tes[bienfaits,

qui ne sont ni l'objet de Ton courroux ni[les ”gar€s.

Les vingt-deux chapitres de la deuxi…me p€riode mekkoise sont plus longs et moins homog…nes. Ilsattestent une rupture entre Mahomet et les Mekkois attach€s aux cultes traditionnels de leur cit€. Plus que desappels passionn€s † la conversion, ce sont des d€monstrations pol€miques de l'absurdit€ du polyth€isme, del'unicit€ divine, de la ruine des obstin€s qui refusent d'entendre la voix et l'avertissement des proph…tes. Leth…me de ‚ la pr€dication dans le d€sert „ est repris inlassablement, €clair€ par des r€cits l€gendairesemprunt€s † la tradition arabe ou biblique. La trame en est uniforme : un peuple, que sa richesse aveugle,abandonne le culte du Dieu unique, tourne en d€rision et parfois met † mort le croyant inspir€ qui tente de leconvertir, et subit sans d€lai le catastrophique ch“timent qui marque † la fois la v€racit€ du proph…te et laterrifiante puissance du ‚ Seigneur „ qui parlait par sa bouche. La leˆon est €vidente : HŽd, ‘li–, No€, Mo—se,

Abraham ont pr‡ch€ en vain, leurs auditeurs impies ont €t€ an€antis ; ainsi en sera-t-il de la Mekke si Mahometn'y est pas entendu.

L'€volution marqu€e dans ces textes s'accentue pendant la troisi…me p€riode de la pr€dication mekkoise,qui semble avoir co—ncid€ avec les deux ou trois derni…res ann€es du s€jour de Mahomet dans sa ville. Cesvingt-deux sourates pr€sentent souvent la structure d'une hom€lie tripartite : un exorde €difiant, des r€cits surles proph…tes m€connus, une p€roraison charg€e de menaces. Il est impossible toutefois de pr€ciser si tous ceschapitres furent d…s l'origine €nonc€s dans la forme sous laquelle ils ont €t€ transmis ou si leur €tat dans lavulgate est le r€sultat d'une mise en ordre ult€rieure. Ce qui domine en tout cas les ‚ r€v€lations „ de cettep€riode est l'affirmation d'une opposition irr€ductible entre les ‚ polyth€istes „ et le petit groupe des adeptesde Mahomet. L'insistance † rappeler l'exemple des proph…tes ant€rieurs, m€connus par leur peuple,correspond † l'inflexible assertion du caract…re divin de la mission de celui qui de plus en plus s'affirme le

successeur d'Abraham, mais aussi de J€sus, parangon tragique du ‚ proph…te rejet€ par les siens „.R€surrection des morts, Jugement irr€futable, omnipotence du Dieu unique, tels sont alors les €l€mentsfondamentaux d'une pr€dication o‰ les influences juives et chr€tiennes se combinent, au point d'en ‡treindissociables, † des attitudes et † des pr€occupations qui rel…vent de la tradition proprement arabe.

L'€migration (hidjra) des musulmans † M€dine marqua dans la vie de la petite communaut€ une radicalemutation, dont l'aspect nouveau des ‚ r€v€lations „ coraniques atteste l'ampleur. Les Mekkois ne sont plusseulement des compatriotes endurcis dans l'erreur ; ennemis du Proph…te, ils deviennent ennemis de Dieu ; ilne s'agit plus de les convaincre, mais de les vaincre. L'engagement religieux d…s lors s'organise en structurespolitiques. M€dine, les ‚ croyants „, d'abord poign€e de disciples d€vots, se constituent en groupes de‚ combattants pour la foi „. la parole vient s'ajouter l'€p€e. Attaque des caravanes mekkoises, d€fense deM€dine contre les ‚ polyth€istes „, €tablissement de l'autorit€ sans partage de Mahomet apr…s le massacre ou

l'exil des isra€lites m€dinois, reddition enfin au Proph…te, en 630, de la Mekke, o‰ les grandes famillesmarchandes, acceptant la foi nouvelle, partagent d…s lors la direction de la communaut€ devenue un‚ pouvoir „ qui s'impose aux tribus b€douines : † ces €tapes du triomphe de l'islam dans la p€ninsule arabecorrespond, dans le texte coranique, le passage de l'invocation lyrique † la prescription juridique, de l'invectiveeschatologique au minutieux €nonc€ des normes matrimoniales, des interdits alimentaires, du rite des oraisonsnocturnes. La proph€tie se fait code.

Ce qui caract€rise, en effet, les vingt-quatre sourates form€es des versets €nonc€s pendant les ann€esm€dinoises est qu'elles ne d€finissent plus seulement une attitude religieuse, mais qu'elles fondent uncomportement social. D'elles proc…dent, pour l'essentiel, ce que les islamologues modernes, apr…s I. Goldziher,nomment ‚ le dogme et la loi de l'islam „. Souvent tr…s longues, en particuliers les sourates II † V, elles sontform€es d'€l€ments h€t€rog…nes, organis€s en ‚ ensembles „ en fonction de connotations th€matiques parfois

t€nues. L'€volution du style traduit de faˆon spectaculaire cette explicitation du message primitif en pr€ceptespour la vie quotidienne : les versets comportent fr€quemment dix † douze lignes, alors que ceux de la premi…rep€riode mekkoise ne comptent que six † dix syllabes.

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M‡me si nombre de ces prescriptions furent €nonc€es † l'occasion de faits particuliers concernant desproches de Mahomet ou des membres de la communaut€ m€dinoise, leur enregistrement dans la vulgatecoranique leur conf€rait d'embl€e valeur universelle. Les sourates m€dinoises ne sont donc ni une chroniquedes ‚ €v€nements „, ni un recueil de jurisprudence, mais, plus fondamentalement, les normes de la viepolitique, sociale, familiale, religieuse de tout musulman. Les textes qui consacr…rent la rupture de Mahometavec les isra€lites puis avec les chr€tiens ont ainsi pris, au-del† de l'€pisode originel, un caract…re contraignantqui ne saurait souffrir d'infl€chissement puisqu'ils sont reˆus comme partie int€grante d'une ‚ r€v€lation „ qui,par essence, est au-del† du temps.

Le ‚ fait coranique „ : sciences du Coran et ex€g…se

Consid€r€ non comme une simple ‚ ”criture inspir€e „, mais comme un message reˆu directement deDieu, le texte coranique a donc €t€ un €l€ment capital dans l'organisation des soci€t€s musulmanes, dupremier si…cle de l'h€gire † l'€poque contemporaine. Ce qui, † l'origine, avait marqu€ le passage des solidarit€stribales de l'Arabie pr€islamique † un stade plus complexe de rapports sociaux, reposant sur l'adh€sionpersonnelle † une foi religieuse et sur l'adoption de modes de vie citadins, devint le principe constitutif de toutgroupe humain adh€rant † l'islam.

L'ampleur et la diversit€ des territoires conquis par les musulmans pendant les deux premiers si…cles del'h€gire (VIIe-VIIIe s. de l'…re chr€tienne) accentu…rent l'importance historique de ce ‚ fait coranique „ dans la

mesure o‰ la vulgate uthm‘nienne constituait, par le message religieux qu'elle portait, par le syst…mepolitico-juridique qu'elle impliquait, par la langue arabe qu'elle magnifiait, le seul v€ritable facteur d'unit€ entreles populations r€unies sous l'administration khalifienne.

Les dimensions du ‚ domaine islamique „ (d€r al-Isl€m) posaient † tous €gards aux chefs de lacommunaut€ des probl…mes sans commune mesure avec ceux qu'ils avaient connus du vivant de Mahomet. Ilsne pouvaient cependant se fonder, pour les r€soudre, que sur les €nonc€s coraniques. Rites du culte par quois'exprimait la foi nouvelle, r…glement des litiges, normes de la vie familiale, comportements €conomiques,r€gimes fiscaux, r€partition du butin, statut des populations soumises selon les conditions de la conqu‡te etl'appartenance religieuse des vaincus, conduite † l'€gard des individus, et des peuples qui demeuraient hors del'emprise de l'islam, rien ne pouvait proc€der que de la ‚ R€v€lation „. Or, Mahomet, mort, celle-ci €tait closepour jamais. Aux multiples probl…mes nouveaux, ce fut donc dans les paroles du Proph…te que les responsables

de l'”tat khalifien cherch…rent, sinon des solutions d€j† explicit€es en termes propres, du moins lesfondements plausibles des solutions qu'ils €taient conduits † adopter ; l'ensemble de celles-ci, progressivementconstitu€, forma ce que les auteurs musulmans nomment fiqh, qu'il serait dangereusement inexact au reste depr€tendre traduire par le terme ‚ droit „. L'˜uvre de codification, caract€ristique des sourates m€dinoises, seprolongeait ainsi, comme en d€calque, † l'infini.

La n€cessit€ d'€tablir, dans les pays occup€s, des institutions uniformes et d'y faire pr€valoir des attitudesmentales et sociales de m‡me type, † partir d'un texte immuable, provoquait en effet, d…s le Ier si…cle del'h€gire, la prolif€ration des gloses. Mais, dans la mesure o‰ le texte coranique servait de fondement aussi bienaux institutions politiques qu'aux prescriptions religieuses, son €tude et son analyse dans l'Islam m€di€val nese limit…rent pas aux domaines qu'on observe † l'accoutum€e dans tout groupe religieux o‰ s'€labore peu †peu un syst…me de th€ologie dogmatique et morale ; les ‚ sciences du Coran „ embrassaient tout le champ de

l'investigation intellectuelle. Car la vulgate, si elle €tait le point de r€solution de toutes les difficult€s, €tait parl† m‡me le lieu de toutes les interrogations.

Ce caract…re de ‚ totalit€ „ du ‚ fait coranique „ doit ‡tre fortement soulign€. Il est essentiel † l'intelligencedes aspects sp€cifiques de la culture arabo-musulmane dans son d€veloppement s€culaire et jusque dans leursprolongements contemporains. Il s'explique au reste en grande partie par les conditions dans lesquelless'€tablirent, parmi les premi…res g€n€rations musulmanes, les usages qui pr€valurent dans l'€tude etl'utilisation du texte ‚ r€v€l€ „. Comme la fixation de la vulgate, son interpr€tation ne reposait en effet †l'origine que sur la m€moire et le discernement de quelques hommes. Les anciens compagnons de Mahomet,puis ceux qui † leur suite se trouv…rent, dans la communaut€ en expansion, ‚ porteurs „ de traditionstransmises par voie orale ne furent pas seulement amen€s † trancher, en €clairant les textes coraniques, desdifficult€s d'ordre religieux, administratif ou juridique. Les structures de la soci€t€ arabe avant l'islam, lesattitudes h€rit€es de l'€poque du ‚ paganisme „, la brusque dispersion des conqu€rants dans le bassinm€diterran€en et le monde iranien, la juxtaposition de petits groupes arabophones victorieux † des populationsde langue, de culture, de religion diff€rentes oblig…rent ces ‚ porteurs de traditions „ † fournir des r€ponsesaux questions qui leur €taient pos€es, simultan€ment, dans tous les domaines de la vie concr…te ou de lasp€culation intellectuelle soit par les premiers convertis d'origine non arabe, soit plus encore par les

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musulmans eux-m‡mes, plac€s dans des situations nouvelles et d€routantes, contraints d'improviser unsyst…me politique, des cadres juridiques et surtout un appareil conceptuel adapt€s au monde † la foisd€couvert et soumis.

Les ‚ traditions „ (ƒad‚th) se trouv…rent ainsi d…s l'origine indissolublement associ€es au d€veloppementdu ‚ fait coranique „. Leur foisonnement souvent contradictoire atteste l'ampleur des incertitudes qu'elleseurent pour objet de r€soudre. Ces divergences, sollicit€es par les ‚ traditionnistes „ selon leurs appartenancestribales, leurs passions politico-religieuses, leurs solidarit€s sociales, leurs penchants id€ologiques, rendentperceptible ce que fut l'intensit€ de la vie sociale et culturelle dans l'Islam en gestation pendant les deux cents

premi…res ann€es de l'…re musulmane.

 Tout €tait mati…re † d€bat, car les d€finitions que l'on pouvait tirer express€ment du texte coranique€taient peu nombreuses, et souvent si concises et si elliptiques qu'elles multipliaient les ambigu—t€s. Ilimportait donc d'en €lucider la signification et d'en d€gager, au-del† du sens imm€diatement obvie, toutes lesimplications, jusqu'aux plus t€nues. Cette difficult€, par sa rigueur m‡me, contraignit les musulmans doctes †un effort de raffinement dans l'interpr€tation, qui fut † coup sŒr un des traits essentiels de la culture islamiquem€di€vale.

Interpr€tation au sens strict d'abord. L'€tude des faits linguistiques a €t€ primordiale parmi les ‚ sciencesdu Coran „. L'affirmation que le texte reˆu n'€tait pas la transcription humaine d'un message divin, mais son€nonc€ imm€diat, conf€rait en quelque sorte un caract…re sacr€ aux pr€occupations de tous ceux qui

s'efforˆaient, pour assumer les exigences de la vie quotidienne dans l'Islam khalifien, de fixer la lecture desversets difficiles, de pr€ciser la signification des vocables obscurs. S'y ajoutait, † l'€gard des populationsconquises, la fiert€ de d€tenir une ‚ r€v€lation „ qui faisait de la langue arabe en g€n€ral, et du textecoranique en particulier, l'insurpassable expression de la transcendance elle-m‡me. Commentairesgrammaticaux et recherches philologiques n'ont donc pas €t€, dans l'Islam des origines et jusque dans lemonde islamique contemporain, des disciplines marginales, simples auxiliaires de l'ex€g…se th€ologique. Toutau contraire ils furent toujours partie int€grante d'une interpr€tation globale, o‰ la forme linguistique dumessage d€livr€ ne pouvait ‡tre, par l'origine m‡me qui lui €tait reconnue, isol€e, sans soupˆon d'h€t€rodoxie,des th…mes de la pr€dication.

La constitution d'un syst…me grammatical coh€rent €tait li€e, compte tenu du caract…re particulier des€critures s€mitiques, † la d€finition d'une m€thode graphique rigoureuse. En ce domaine tout sp€cialement, le

d€veloppement de l'islam se r€v…le avoir €t€ l'€l€ment d€cisif dans la cristallisation d'une culture d'expressionarabe. l'origine, dans la p€ninsule, † l'€poque o‰ Mahomet commenˆa d'y pr‡cher, et m‡me dans les milieuxcitadins de la Mekke et de M€dine, comme dans la zone septentrionale du Hidj‘z au contact des civilisationsbyzantine et iranienne, ainsi que dans toute graphie de type ‚ d€fectif „, seules €taient not€es les consonneset trois voyelles longues (‘, ’, Ž), un m‡me signe €tant souvent utilis€ pour repr€senter trois, quatre ou m‡mecinq consonnes diff€rentes. Un tel syst…me d'€criture permet moins une lecture † proprement parler qu'il nesert de support visuel † la r€citation d'un texte d€j† connu par c˜ur. Tel €tait bien le cas des premiersmembres arabophones de la communaut€ musulmane, qui, connaissant de m€moire les sourates de la‚ r€v€lation „, ne cherchaient dans son expression mat€rielle fix€e par l'€criture que des points de rep…re et lafixation de passages controvers€s ; l'incertitude de l'€criture d€fective laisse d'ailleurs subsister † cet €gardbien des points ambigus, tels par exemple les premiers versets de la sourate XXX. La conversion † l'islam depopulations dont l'arabe n'€tait pas la langue originelle rendit n€cessaire l'€laboration d'une graphie moins

allusive, dans le temps m‡me o‰ les exigences de l'interpr€tation conduisaient † fixer, autant qu'il se pouvait,un texte assez irr€futable pour r€duire au minimum les divergences de lecture. M€dine, puis dans les villesiraqiennes (Ba™ra, KŽfa, Baghd‘d), cette double codification graphique et linguistique ne cessa de sed€velopper en s'enrichissant pendant tout le VIIIe si…cle de l'…re chr€tienne.

Ce qui caract€rise le ‚ fait coranique „ est que cette codification fut l'˜uvre, pour l'essentiel, des m‡meshommes qui entreprenaient la collecte, l'inventaire, le classement des donn€es traditionnelles concernant les€pisodes de la vie du Proph…te, l'ex€g…se des passages controvers€s, le r€cit des premi…res conqu‡tes. AbŽAmr ibn al-Al‘ (mort vers 154/770), par exemple, fut c€l…bre † la fois pour son autorit€ dans la ‚ lecture „ duCoran, pour ses recherches grammaticales, pour sa collecte des po€sies anciennes dont l'€tude €clairait lalangue coranique, pour ses recueils de traditions sur les tribus de la p€ninsule arabique. Ainsi, d…s l'origine, seconstituait, † partir du ‚ fait coranique „ un ‚ encyclop€disme „ arabo-musulman, irr€ductible † tout autre par

son enracinement dans l'€tude † la fois exclusive et polymorphe d'un texte dont tout proc€dait, † quoi toutramenait, mais qui menait † tout.

S'il est permis d'employer, avec toutes les transpositions indispensables, l'expression ‚ humanismemusulman „, il faut souligner que c'est du Coran et du Coran seul que cet ‚ humanisme „, en tant que fait

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historique, a proc€d€ dans le monde de l'Islam.

R€gis BLACH•RE

II-L'ex€g…se du Coran

Les grands moments de la mise en place des r…gles d'interpr€tation dans une €cole philosophique oureligieuse sont aussi des €tapes essentielles dans l'€laboration de sa pens€e et de son savoir. Il est doncessentiel de tenter de reconstituer la gen…se du mouvement ex€g€tique en islam, m‡me si, en l'€tat actuel dela recherche, quelques cha‹nons de l'€volution de ce mouvement nous €chappent encore.

L'ex€g…se coranique en son €tat ‚ classique „

Pour ce faire, on partira de l'organisation interne d'un commentaire coranique de l'€poque classique qui ala faveur des milieux sunnites, celui de Tabari (mort en 310/923) ; puis on €tudiera quelques-unes des €tapesqui ont abouti † une telle synth…se. Cette somme ex€g€tique, L'Exposition compl„te sur l'interpr…tation desversets coraniques, comporte des €l€ments multiples, dont, en premier lieu, des explications grammaticales etlexicales (avec des citations po€tiques ou des emprunts † des parlers arabes particuliers contenant des termesou des expressions consid€r€s comme €quivalents † ceux qui sont examin€s dans le Coran) ainsi que des

analyses de la syntaxe d€sinentielle en relation avec la s€mantique textuelle. On y trouve, en deuxi…me lieu,des notations stylistiques et rh€toriques, illustr€es elles aussi par des citations po€tiques. Le troisi…me €l€mentest constitu€ par des variantes puis€es dans la tradition et transmises par des ‚ lecteurs „ du Coran qui fontautorit€. Ces variantes sont retenues ou €cart€es, en fonction de crit…res ‚ linguistiques „, mais surtout de leurr€ception ou de leur rejet par la ‚ majorit€ des lecteurs „ (cette notion de majorit€ n'est pas num€rique, ellerepose sur une autorit€ qui s'est impos€e progressivement ; c'est donc une ‚ majorit€ savante „, reˆue dansles milieux lettr€s, non sans des divergences et oppositions). Il arrive que, m‡me lorsqu'elles sont €cart€es, detelles variantes soient retenues † des fins ex€g€tiques, pour confirmer une interpr€tation ou une explicationgrammaticale. L'Exposition de Tabari contient, en quatri…me lieu, des traditions historico-‚ mythiques „introduites par des cha‹nes de garants et cens€es remonter au Proph…te, † des Compagnons du Proph…te, †des Successeurs (c'est-†-dire † la g€n€ration qui a connu des Compagnons de Mu–ammad) ou † des savantspost€rieurs qui font autorit€. On y trouve encore des explications juridiques puis€es dans la tradition des

grandes €coles de droit ou dans celles de juristes qui passent pour des autorit€s probantes (ƒu††a), puis desexplications th€ologiques ou des r€futations des th…ses de groupes qualifi€s de sectaires (firaq), enfin lesindices des choix et pr€f€rences de l'ex€g…te lui-m‡me, selon ce qui, pour lui, est l'interpr€tation du consensusdes savants et la ‚ lettre „ du texte ( ‡€hir at-til€wa).

Malgr€ son apparence €clat€e, l'ensemble de cette somme fonctionne comme une Tradition vivante. Sonauteur, en effet, retient et €carte tel ou tel €l€ment en vertu d'axiomes qui sont † la base de la rationalit€ de la‚ communaut€ „ et dont une premi…re s€rie est puis€e dans les repr€sentations linguistiques du groupe.Comme le Coran dit de lui-m‡me qu'il a €t€ r€v€l€ ‚ dans une langue arabe claire „, les grammairiens et lesth€ologiens se sont appliqu€s † mettre en valeur l'excellence de la langue arabe š qui, selon eux, estsup€rieure † toutes les langues š et la pr€cellence linguistique du Coran, miracle divin s'il en est. Uneconnaissance positive, la philologie, est ainsi mise au service d'une th…se th€ologique : l'inimitabilit€ du Coran.

 Tabari prend position † ce sujet d…s l'introduction de son commentaire en d€clarant que les qualit€s litt€raireset stylistiques qu'il croit ‡tre sp€ciales † l'arabe se retrouvent dans le Coran par voie d'€minence. Il s'ensuitqu'on ne retiendra des variantes que celles qui correspondent aux formes linguistiques les meilleures, les plusr€pandues en arabe. Il en sera de m‡me pour l'interpr€tation des termes, dans les domaines s€mantiques etgrammaticaux.

Les choix interpr€tatifs ne se feront pas pour autant en fonction des seuls crit…res linguistiques. Celareviendrait † soumettre la ‚ Parole de Dieu „ aux crit…res de l'arabe et donc † un savoir positif. Il faut donc queles variantes textuelles ou les interpr€tations retenues soient attest€es par une transmission ininterrompueš c'est-†-dire confirm€es par des autorit€s : Mu–ammad ou des savants reconnus š, le tout s'appuyant sur descha‹nes de garants, jug€s dignes de confiance par la ‚ science des traditions „. C'est pourquoi on fait appel †une deuxi…me s€rie d'axiomes qui sont puis€s dans ce qu'on pourrait appeler un consensus Ecclesiae,

repr€sent€ par les interpr€tations qui €manent des savants faisant autorit€ et qui sont alors oppos€es † desexplications qualifi€es de d€viantes.

L'ex€g…se autoris€e se d€ploie dans un cercle herm€neutique qui est celui de t€moins €prouv€s. C'estmoins un travail d'interpr€tation permettant d'€tablir le sens qu'une certitude concernant le sens : le ‚ sens

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litt€ral „ est le ‚ sens vrai „, dont l'€nonciation a pour fonction d'arr‡ter les d€rives s€mantiques du‚ croyable „, lequel est constitu€ des opinions l€gitim€es par les lettr€s.

Les multiples traditions ex€g€tiques, rapport€es par le commentateur et confirm€es par des cha‹nesd'autorit€s, illustrent bien le fonctionnement typique de la tradition m‡me. Celle-ci, en effet, dans un premiertemps, peut appara‹tre comme un appel † l'histoire, mais elle n'est pas seulement m€moire, surtout pour desth€ologiens : elle est aussi une autorit€. Elle sait se faire tr…s pr€cise, par exemple, dans le rappel des‚ circonstances de la r€v€lation „ d'un grand nombre de versets ; par l†, elle se donne la force de persuasionqu'a un fait ‚ historique „. Les r€cits sur les causes de la r€v€lation constituent autant de ‚ paradigmes de

contemporan€it€ „ : ce que le Proph…te et des membres de la communaut€ primitive ont v€cu, les croyants lerevivent. Bien plus, le Coran se pr€sentant comme l'accomplissement des ‚ l€gislations „ ant€rieures, l'antiquecombat entre la foi et l'impi€t€, entre les proph…tes et les ‚ potentats „ incr€dules (Pharaon, Nemrod, etc.), sereproduit sans cesse. L'ex€g…te, † travers des r€cits €clat€s, qui se veulent situ€s historiquement, tisse latrame d'une histoire unifi€e du salut qui explique le devenir historique de la ‚ meilleure des communaut€s „,c'est-†-dire l'islam. L'autorit€ de cette tradition se manifeste aussi dans la justification des pratiques et desstipulations juridiques. Selon la tradition musulmane, le Coran ayant €t€ r€v€l€ au long d'une p€riode devingt-deux ans, certains versets ont €t€ abrog€s par d'autres. La branche des disciplines coraniques qui s'yrapportent est appel€e ‚ science de l'abrogeant et de l'abrog€ „ (an-n€siˆ wa l-mans•ˆ). Au cours duIV/Xe si…cle, les lettr€s ont recens€ plus de deux cent trente-cinq versets abrog€s, et parfois le double ! Lepolygraphe as-SuyŽ›’ (mort en 911/1505) en trouve vingt ! Cette question devrait ‡tre €tudi€e selon unem€thode historique, comme l'a fait, en 1986, D. S. Powers † propos des stipulations coraniques sur l'h€ritage

(Cor., II, 180, 140).

Gen…se de l'ex€g…se coranique

Il para‹t difficile de d€terminer dans quel ordre chronologique sont apparus les divers types d'ex€g…se. J. Wansbrough a propos€ l'ordre suivant : commentaire narratif et €difiant (ex€g…se ‚ haggadique „) ;commentaire † tendance juridique (ex€g…se ‚ halachique „) ; commentaire philologique et variantes textuelles(ex€g…se ‚ massor€tique „) ; commentaire rh€torique et stylistique (le commentaire all€gorique n'est pasint€gr€ dans ce classement). En r€alit€, il convient de distinguer deux €tapes. L'ex€g…se en tant que genre avu le jour † la fin du Ier si…cle et surtout au II/VIIIe si…cle. C'est ainsi que, dans le commentaire de Tabari, denombreuses cha‹nes de garants remontent, pour ne citer qu'eux, † Ibn œubayr (mort en 95/174) et † Mu‘hib

b. œabr (mort en 104/722), tous deux disciples de Abdall‘h b. Abb‘s (mort en 68/687), cousin du Proph…te.Ibn Abb‘s est pr€sent€ comme le p…re de l'ex€g…se coranique, mais, d…s qu'on tente de reconstruire les‚ commentaires „ de ces ‚ ex€g…tes „, on se heurte † de nombreuses contradictions dans leurs traditionsex€g€tiques. Ainsi en est-il si l'on compare le commentaire €dit€ sous le nom de Mu‘hid avec les traditionsex€g€tiques du m‡me auteur cit€es par Tabari. Il est plus raisonnable de penser que les explications que cespersonnages ont laiss€es sur le Coran et sur divers sujets religieux ont €t€ ensuite rassembl€es. De plus, denombreuses traditions qui sont transmises comme €tant d'eux sont le fait d'attributions ult€rieures. Vu leprestige dont ils jouissaient, notamment Ibn Abb‘s, chaque groupe id€ologique concurrent leur imputait lesopinions les plus contradictoires. C'est l† un ph€nom…ne courant dans le fonctionnement d'une ‚ traditionvivante „. On a montr€ que les deux ouvrages sur les rara du Coran (‰ar‚b al-Qur'€n et LuŠ€t Qur'€n) attribu€s† Ibn Abb‘s €taient un seul et m‡me livre ; bien que cet auteur ait pu y apporter sa part, l'ouvrage n'est

certainement pas de lui. Quant aux Responsa (Mas€'il N€fi‹ Ibn Azraq) de Ibn Abb‘s au kharijite N‘fi Ibn Azraq(mort en 65/682), ils ont dŒ ‡tre collect€s au plus tard au milieu du II/VIIIe si…cle, puisque AbŽ Ubayda (mort en207/822) les connaissait lorsqu'il composa son Ma†€z al-Qur'€n.

La deuxi…me €tape de l'ex€g…se coranique se situe au II/VIIIe si…cle (et nous sommes l† sur un terrainrelativement plus sŒr) avec les ˜uvres de Muq‘til Ibn Sulaym‘n al-Balž’ (mort en 150/767) : son grandcommentaire du Coran, son commentaire de cinq cents versets du Coran et son ouvrage sur la synonymie et lapolys€mie dans le Coran (l'attribution de ce dernier n'est pas certaine). Bien que la critique ancienne s'accorde† voir en lui un grand ex€g…te, il a €t€ tr…s critiqu€ et rejet€. La raison en est peut-‡tre qu'il ne se conformaitpas † ce qui, † partir de la seconde moiti€ du II/VIIIe si…cle devint une quasi-obligation, † savoir le recours auxcha‹nes de garants. Cette pratique correspondait † l'€volution de la soci€t€ musulmane dans le sens d'unsavoir filtr€ et contrŸl€, qui s'appuyait de plus en plus sur des autorit€s. Le commentaire de Muq‘til contient

des explications philologiques, des remarques juridiques et des r€cits puis€s dans les l€gendes bibliques quicirculaient dans la r€gion, surtout dans les milieux juifs et chr€tiens. Il jouissait d'une grande c€l€brit€, et l'onpeut penser que, m‡me s'il ne fut pas toujours cit€ dans toutes les sommes ex€g€tiques post€rieures, il a euune grande influence sur elles. Au cours de cette deuxi…me €tape, l'ex€g…se va conna‹tre une relativesp€cialisation.

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L'orientation linguistique

Un autre commentaire, lui aussi tr…s critiqu€, n'en a pas moins laiss€ sa marque sur l'ex€g…se, celui de AbŽUbayda (mort en 208/824), Ma†€z al-Qur'€n. Le terme ma†€z , qui dans la rh€torique post€rieure signifie‚ trope „ ou langage figur€, d€signe ici toute tournure qui, du point de vue de la s€mantique, de lalexicographie ou de la syntaxe, ne signifie pas de soi, mais exige une explication, une ‚ r€€critureexplicative „. On peut donc traduire approximativement Ma†€z al-Qur'€n par Commentaire p…riphrastique duCoran. Le recours † la po€sie et † la langue des Arabes pour expliquer le Coran est justifi€, selon AbŽ Ubayda,par le fait que celui-ci a €t€ r€v€l€ en arabe et a donc toutes les caract€ristiques de cette langue. AbŽ Ubayda

se montre moins int€ress€ par la ‚ pr€cellence esth€tique „ et ‚ l'inimitabilit€ „ stylistique du Coran š commece sera le cas plus tard chez les th€oriciens de cette inimitabilit€, soucieux d'en classer les tropes š que par la‚ compr€hension correcte „ du texte. Il s'agissait pour lui de montrer que certaines tournures inhabituelles duCoran ne sont pas incorrectes, puisqu'elles sont attest€es dans ‚ la faˆon de parler „ des Arabes, m‡me si ellessont rares. Toutefois, il rel…ve aussi d€j† des formes figuratives.

On se doit d'insister sur l'importance de la philologie dans l'ex€g…se coranique. Le grammairien Ibn F‘ris(mort en 395/1004), en effet, n'h€site pas † appeler la science de la langue ‚ la science des Arabes „, ce qui,selon A. Roman ‚ est un indice de la place tr…s grande faite † la science de la langue dans l'organisation arabeet musulmane du savoir „.

L'ex€g…se de AbŽ Ubayda repose sur une th€orie du langage, commune † l'€cole grammaticale de

Bassora : le principe de l'ad€quation entre le langage et la r€alit€. Les ph€nom…nes que cet auteur d€crit sousle nom de ma†€z  semblent couvrir toute violation du caract…re sp€culaire du langage. Si d€j† sescontemporains critiquaient cet ex€g…te kharijite, c'est † cause du danger d'‚ erreur „ qui ne peut ‡tretotalement €limin€ d'une telle op€ration de d€codage de la langue coranique. Pourtant, ses principes rest…rentla colonne vert€brale de l'herm€neutique coranique, avec toutefois une correction d'importance : au fur et †mesure qu'un corpus de doctrine s'affirmait, le recours † la po€sie et † la langue des Arabes n'€tait justifi€ quedans la mesure o‰ il €tait confirm€ par des traditions et par le ‚ consensus „ des savants. Toute autre pratiquedevint suspecte et fut qualifi€e, n€gativement, d'opinion personnelle (ray'), risquant d'aller † l'encontre de lalettre du texte. La tradition linguistique fut €mond€e par celle des juristes-th€ologiens dont on r€p…te qu'ils‚ sont plus savants que les philologues „. M‡me si les philologues €taient aussi des th€ologiens et des juristes,c'est la science par excellence, c'est-†-dire la ‚ science de la tradition „, celle qui €tait transmise des anciens,qui devait avoir le dernier mot lorsque la th€ologie et le droit s'opposaient † des usages linguistiques.

Cela se manifeste de faˆon €minente dans un courant th€ologique qui a €t€ tr…s combattu par l'orthodoxiesunnite, celui des mutazilites. Ceux-ci se servirent de l'interpr€tation tropique (appel€e aussi ma†€z ) pour€liminer les anthropomorphismes de la repr€sentation de Dieu. Pour des raisons th€ologiques, ils €tendirent lam€thode mise en ˜uvre par AbŽ Ubayda † des passages du Coran linguistiquement clairs, par exemple † desm€taphores qui leur paraissaient porter atteinte † l'unicit€ et † la grandeur divines, † cause de leur marqueanthropomorphique (la session de Dieu sur le TrŸne, les mains de Dieu, etc.).

De la fin du II/VIIIe si…cle nous est parvenu un type d'ouvrage appel€ Ma‹€n‚ l-Qur'€n, qu'on traduit par : LesSignifications du Coran. Mais ce titre ne rend compte ni du sens complet de ma‹€n‚ (qui veut dire nonseulement ‚ sens „, ‚ significations „, mais aussi ‚ qualit€s „, ‚ attributs „) ni du contenu de ces livres. C'estpourquoi on pr€f€rera traduire par : Les Qualit…s sp…cifiques du Coran. Le grammairien de Coufa, al-Farr‘'

(mort en 207/822), et celui de Bassora, al-Ažfa al-Awsa› (mort en 215/830), ont marqu€ ce genre ex€g€tiquede leur empreinte. Les explications y portent sur des tournures syntaxiques, sur des variantes textuelles, avecdes citations po€tiques et des formes linguistiques des divers dialectes arabes. L'ouvrage d'al-Farr‘' prouveque d€j† † cette €poque la notion de ‚ majorit€ des lecteurs „ €tait en place et permettait de rejeter desformes qui ne convenaient pas † l'interpr€tation reˆue, pour des motifs non seulement linguistiques, maissurtout juridiques et th€ologiques.

La r€flexion sur le Coran s'est d€velopp€e aussi † travers son analyse proprement s€mantique, non pasd'abord dans un souci litt€raire, mais selon une vis€e th€ologique et juridique, et notamment dans le desseind'arriver † une compr€hension ‚ juste „ des r…gles et des statuts que Dieu assigne † l'homme croyant. C'estainsi qu'est n€ le genre des MutaŒ€bih€t al-Qur'€n, c'est-†-dire des versets dans lesquels les m‡mes termessont employ€s pour signifier des objets diff€rents ou, † l'inverse, ceux o‰ les m‡mes objets sont d€sign€s par

des termes diff€rents. Ce m‡me vocable, mutaŒ€bih, qui a ici le sens de ressemblance, peut d€signer aussi unterme ambigu, qui ne signifie pas de soi. C'est encore un grammairien de Coufa, al-Kis‘'’ (mort en 189/805),entre autres, qui a €crit MutaŒ€bih al-Qur'€n. Il convient de ranger dans le m‡me genre litt€raire les ouvragesqui portent le titre de al-Wu†•h/al-AŒb€h wa n-na‡€'ir , sur la polys€mie et la synonymie dans le Coran. AinsiAbŽ Ubayda attribue trois sens au mot Œirk  (associationnisme) : le fait d'associer † Dieu un ‡tre et d'en faire

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son €gal (Cor., IV, 36) ; celui de poser † l'adresse d'un autre que Dieu un acte d'ob€issance qui n'est dŒ qu'†celui-ci (Cor., VII, 190) ; l'associationnisme en acte, l'hypocrisie (Cor., XVIII, 110). M‡me si ces travaux ont €t€souvent, † la fin du II/VIIIe et au III/Xe si…cle, le fait de philologues, il s'agissait d'une s€mantique th€ologiquedont le but €tait de d€crire les attributs de Dieu et d'assigner des ‚ noms et des statuts „ † ses cr€atures, parl'€tablissement de concordances et de constantes interpr€tatives.

Dans le domaine lexicographique s'est d€velopp€ le genre du ar‚b al-Qur'€n, c'est-†-dire des rara,expressions peu usit€es et, par cons€quent, obscures. Beaucoup d'€l€ments du commentaire de AbŽ Ubaydapourraient le faire classer dans ce type de litt€rature. Plusieurs grammairiens du II/VIIIe si…cle auraient €crit des

ouvrages portant ce titre. Toutefois, l'un des plus anciens qui nous soient parvenus est celui de Ibn Qutayba(mort en 276/889). Ce dernier est aussi l'auteur du Ta'w‚l muŒkil al-Qur'€n (L'Interpr€tation des difficult€s duCoran), qui est une sorte de manuel pour l'€tude du Coran ax€ sur la rh€torique et les tropes. De ce point devue, il pr€para la voie aux grands trait€s du IV/XIe si…cle sur ‚ l'inimitabilit€ du Coran „.

De la m‡me p€riode datent aussi les premiers ouvrages sur la morphologie, la syntaxe d€sinentielle etl'analyse logique du Coran intitul€s : I‹r€b al-Qur'€n. Outre l'€tude de ces trois aspects, de tels livres incluentdes remarques sur les variantes textuelles. En r€alit€, ce ne sont pas des trait€s, mais des commentaires ; ilsn'analysent que les passages qui font probl…me, mais en suivant l'ordre des sourates et des versets. On lesplace parfois parmi les ouvrages de grammaire, mais, comme il n'y a pas de grammaire d€sinentielle sansr€f€rence † la s€mantique du texte, al-SuyŽ›’ (mort en 911/1505), dans son vade-mecum sur les sciencescoraniques, classe ce genre dans l'ex€g…se coranique. L'un des €crits les plus anciens de ce type est celui du

grammairien bassorien Qu›rub (mort en 206/821). L'un des plus appr€ci€s est celui du grammairien et ex€g…teAbŽ œafar an-Na––‘s (mort en 338/950).

 Tout ce travail sur le Coran sera repris dans la perspective esth€tique, doctrinale et apolog€tique destrait€s sur ‚ l'inimitabilit€ du Coran „. Ce qui de soi, en effet, se retrouve dans toute langue, et notamment enarabe : les genres, les figures stylistiques (mentionn€es par Tabari), les formes polys€miques et synonymiques,les tournures grammaticales particuli…res ou rares seront consid€r€s comme autant de qualit€s (ma‹€n‚ ) quiillustrent la pr€cellence du Coran. En retour, les textes plus profanes, la po€sie, la litt€rature narrative et€difiante b€n€ficieront de ces recherches s€mantiques et stylistiques, en favorisant une conscience €lev€e dela ‚ sup€riorit€ „ de la langue arabe et surtout de celle du Coran. C'est l† l'un des traits sp€cifiques del'imaginaire islamique, toujours vivant jusqu'† nos jours. Pourtant, m‡me s'il y a une quasi-unanimit€ sur leprincipe doctrinal de l'inimitabilit€ du Coran, il n'en est pas de m‡me de la faˆon de la concevoir. Ainsi, le

th€ologien aarite al-B‘qill‘n’ (mort en 403/1013) insiste sur l'h€t€rog€n€it€ du Coran par rapport aux modesd'€nonciation et de composition que connaissent les Arabes, n'h€sitant pas † d€clarer que celui-ci ‚ rompt avecles genres de leur parler „ ; par cons€quent, la rh€torique, m‡me si on a recours † elle pour €tudier le Coran,ne peut rendre compte de la pr€cellence de celui-ci. En cela, al-B‘qill‘n’ s'affirme comme un adversaire de sonpr€d€cesseur, le grammairien et th€ologien mutazilite ar-Rumm‘n’ (mort en 384/994).

L'orientation historico-Ž mythique

Le r€cit tient une grande place dans l'ex€g…se non seulement parce que le Coran lui-m‡me contient desnarrations sur les ‚ anciens „, sur les proph…tes et sur les peuples r€els ou mythiques qui se sont soumis † lavolont€ de Dieu ou qui lui ont d€sob€i, encourant ainsi son ch“timent ou recevant sa r€compense, mais aussi

parce que des l€gendes populaires circulant au Proche-Orient, et en Arabie en particulier, ont €t€ largementutilis€es par le Proph…te lui-m‡me, par les Compagnons et les Successeurs pour expliquer des passages duCoran. Des chr€tiens et surtout des juifs, convertis ou non, notamment des juifs y€m€nites tels que Wahbb. Munabbih (mort en 110/728 env.), ont jou€ un grand rŸle dans la transmission de ces l€gendes que lacommunaut€ musulmane a fait siennes, en les adaptant aux besoins et aux interpr€tations de la nouvellereligion. Les r€cits qui ont un fond juif ou chr€tien sont appel€s isr€'‚liyy€t , ou ‚ l€gendes bibliques „. Lesgrands recueils de traditions musulmanes comme celui d'al-Buž‘r’ (mort en 256/870) sont riches de cemat€riau qu'on retrouve aussi dans le commentaire coranique et dans les Annales de Tabari, dans les histoiresde la gen…se du monde et les biographies du Proph…te, dont les plus c€l…bres sont celles de Ibn Is–‘q (mort en150/767).

De plus, des passages du Coran sont mis en relation avec la vie du Proph…te et les €v€nements de la

premi…re communaut€ musulmane. On comble ainsi les ‚ vides „ du texte, les mentions par trop allusives, lesversets ‚ obscurs „. Toute tradition, en effet, a horreur de l'allusion et s'€vertue † lever les ambigu—t€s de cequi lui para‹t devoir ‡tre clarifi€, pour l'enraciner dans le ‚ r€el-vrai „. C'est ainsi que devait na‹tre le genreappel€ ‚ les circonstances de la r€v€lation „, qui est une autre branche des disciplines coraniques. Il semblequ'il ne se soit d€velopp€ comme genre ind€pendant qu'† la fin du IV/Xe si…cle. Toutefois, les commentaires

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anciens et les biographies du Proph…te contiennent aussi des r€cits o‰ des faits sont repris dans le cadre derepr€sentations religieuses.

Ce mat€riau est donn€ comme historique et r€el, mais il est aussi s€lectionn€ par les ex€g…tes et lesth€ologiens pour confirmer l'€nonc€ de foi et l'institution sociale et €thico-politique de la communaut€. Il tissela trame d'une histoire du salut qui est celle de l'ob€issance de l'homme † la l€gislation divine ou de sad€sob€issance ‚ ent‡t€e „. Il maintient la contemporan€it€ du croyant avec la proposition du salut qui lui estfaite † travers les ordres et les interdits divins. Son contenu merveilleux et l€gendaire s'est souvent attir€ lesfoudres de certains milieux musulmans, et ce jusqu'† nos jours. Mais, comme il a continu€ † circuler aussi

oralement, m‡me apr…s l'av…nement de la ‚ raison graphique „, il est d'une grande importance pour v€hiculerles contenus de foi et les mod…les €thiques, et ce d'autant plus que l'art du r€cit permet une meilleureint€gration par le croyant que les trait€s de th€ologie.

Cette pr€sence massive des r€cits reˆus dans une tradition (aˆb€r ) pour interpr€ter le Coran a pourcons€quence que les m€taphores dont celui-ci est riche sont aplaties et souvent r€duites en un langage€difiant ; les €vocations eschatologiques, notamment, se r€sument dans les ‚ r€alit€s famili…res des d€lices etdes ch“timents „. L'histoire racont€e €tant vraie, cette ex€g…se devient volontiers historiciste, inscrivant lelangage coranique ‚ dans l'espace ontologique du R€el-vrai „ (M. Arkoun). La m€taphore coranique est ainsisoumise † une double r€duction : celle de l'ex€g…se d'orientation philologique, dont il a €t€ question plus haut,et celle de l'ex€g…se historico-mythique. Le traitement de la m€taphore sera donc abandonn€ † la seuleex€g…se all€gorique ou €sot€rique, qu'elle soit d'inspiration mystique ou ‚ sectaire „, † la mani…re, par

exemple, de l'ex€g…se isma—lienne.

 Tr…s tŸt, un genre populaire s'est constitu€, celui des r€cits sur les proph…tes (qi‘a‘ al-anbiy€'). Ils €taienttransmis par des sermonnaires et par des pr€dicateurs populaires. Et ils ont €t€ regroup€s dans des ouvragessp€cialis€s dont le peuple est rest€ friand jusqu'† nos jours, m‡me si les lettr€s ont toujours tent€ d'encensurer le contenu et d'en contrŸler la diffusion.

Le contenu juridique, th…ologique et h…r…siographique de l'ex…g„se coranique

Le contenu th€ologique de l'ex€g…se coranique repose, en fait, aussi bien sur l'analyse grammaticale ets€mantique que sur les r€cits rapport€s dans les traditions transmises. Ainsi Tabari tire argument de Cor., II, 8

(‚ Certains hommes disent : nous croyons en Dieu et au Jour dernier, mais ils ne croient pas „) pour affirmerque la foi n'est pas seulement confession verbale, mais aussi assentiment en acte. Il s'en prend ainsi † ungroupe de th€ologiens appel€s ‚ ahmites „ qui professaient que la foi est seulement adh€sion par la parole. Ils'appuie, pour cela, sur ce que signifie, selon lui, ‚m€n (foi) et ta‘d‚q (assentiment), et sur des traditionsd'autorit€s. Il en est de m‡me lorsqu'il est question des attributs divins et des actes humains, par exemple ; ilr€fute alors les mutazilites qui refusaient que Dieu exerce une causation dans les actes humains.

Quant au contenu juridique, il oriente aussi l'analyse grammaticale, et il est partout pr€sent dans les r€citset dans les traditions, en particulier d…s qu'il est question de l'abrogation d'une stipulation par une autre r…gle

 juridique formul€e en un verset qui est cens€ avoir €t€ r€v€l€ post€rieurement.

L'€volution ult€rieure de l'ex€g…se coranique

Les diverses composantes de l'ex€g…se qu'on a €voqu€es se retrouvent peu ou prou dans lescommentaires post€rieurs. On en distinguera, en simplifiant, deux types : ‚ l'ex€g…se en tradition „ etl'ex€g…se ‚ sp€culative „. Quant † la premi…re, les successeurs de Tabari marcheront sur ses pas, citant, pourchaque verset, des traditions des anciens introduites par des cha‹nes de garants. Toutefois, le mat€riau estplus r€duit, en particulier pour les explications philologiques et th€ologiques. Les choix sont davantageaffirm€s, en fonction d'une orthodoxie qui a renforc€ son emprise. Les interventions personnelles de l'ex€g…tey sont moins nombreuses, ce qui n'en fait pas, loin de l†, une ex€g…se neutre. Tel est le cas du commentairede l'historien et traditionniste damasc…ne Ibn Kath’r (mort en 774/1373) et de celui du polygraphe tardif as-SuyŽ›’, intitul€ : ad-Durr al-manth•r fi tafs‚r al-ma'th•r  (Les perles diss€min€es dans l'ex€g…se transmise partradition). Ces commentaires d€pourvus de toute cr€ativit€ n'en sont pas moins importants. Leurs choix‚ orthodoxes „ simplifi€s donnent, en effet, une vision unifi€e de l'ex€g…se coranique ; pour cette raison, ilssont encore tr…s pris€s.

On fera une place sp€ciale au commentaire du th€ologien et juriste m‘likite andalou al-Qur›ub’ (mort en671/1273) intitul€ al-‰€mi‹ li-aƒk€m al-Qur'€n (La somme des stipulations l€gales du Coran). Outre qu'il

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contient les explications habituelles sur les variantes, la grammaire et les traditions ex€g€tiques des anciens, ilmet l'accent sur les aspects l€gaux du Coran ; il ne se contente pas d'exposer les doctrines de l'€cole juridiquedont il est l'un des €minents repr€sentants, mais rapporte aussi celles d'autres €coles.

Sous la d€nomination d'ex€g…se ‚ sp€culative „ (at-tafs‚r bi-r-ray'), les savants musulmans regroupent descommentaires tr…s divers, dont le point commun est qu'ils recourent † ‚ l'opinion personnelle „ (ray'). En fait,leur principale caract€ristique est de ne pas s'appuyer sur des traditions introduites par des cha‹nes degarants, ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils aillent † l'encontre de la tradition commune. L'un desrepr€sentants de ce genre ex€g€tique est le th€ologien dogmatique et juriste Fažradd’n ar-R‘z’ (mort en

606/1209). Outre les constituants habituels de l'ex€g…se coranique, son commentaire, Maf€tiƒ al-Šayb (Lesclefs de l'inconnaissable), comprend beaucoup de d€veloppements philosophiques et de r€flexionsth€ologiques, † tel point que l'un des partisans du commentaire traditionnel a pu €crire qu'il ‚ €tait tout sauf uncommentaire [coranique] „. Certains passages du Coran sont pour cet auteur l'occasion de d€velopper desquaestiones (mas€'il) qui prennent souvent les dimensions de v€ritables trait€s, par exemple, dans sesr€flexions sur le nom et le nomm€ ou sur les noms divins. Il y r€pond souvent aux arguments des mutazilites,dont le mode de raisonnement n'a pas €t€ sans l'impressionner et le marquer de leur influence. Entre€galement dans cette cat€gorie un commentaire qui est populaire dans les facult€s de th€ologie : Anw€r at-tanz‚l (Les lumi…res de la R€v€lation) du cadi ‘fiite al-Bay¡‘w’ (mort en 685/1286). C'est en grande partieun abr€g€ corrig€ du commentaire du mutazilite az-Zamažar’ (mort en 538/1144).

Ce type d'ex€g…se ‚ sp€culative „ est encore acceptable pour l'orthodoxie ; il en va tout autrement de

l'ex€g…se mutazilite. Les commentaires anciens de cette €cole th€ologique ont disparu, mais la tendance estrepr€sent€e par l'ouvrage du th€ologien et grammairien tardif az-Zamažsar’, al-KaŒŒ€f ‹an ƒaq€'iq at-tanz‚l wa‹uy•n al-aq€w‚l fi wu†•h at-ta'w‚l (Le d€voilement [mot † mot le ‚ d€voileur „] des v€rit€s de la R€v€lation etl'essence des voies de l'interpr€tation). Malgr€ ses th…ses nettement mutazilites, bien qu'€nonc€essubtilement, cet auteur est tenu en haute estime pour la qualit€ de ses explications linguistiques etrh€toriques.

L'ex€g…se all€gorique et les autres courants

Les juristes th€ologiens, qui lisent le Coran en philologues et en juristes, ont tent€ d'imposer l'id€e que lalecture spiritualiste des mystiques repr€sente une nouveaut€ qui est €trang…re au Coran ; or le commentaire

de Muq‘til, dont il a €t€ question plus haut, montre que celui-ci lisait le Coran selon une triple m€thode,litt€rale, historique et all€gorique. On trouve d€j† chez lui les pr€mices d'une herm€neutique spirituelle, quisera d€velopp€e par les mystiques, et d'une ‚ lecture symbolisante „. Cela revenait † admettre que, commel'€crit Ibn A›‘' (mort en 309/921), ‚ les symboles du Coran, celui-l† seul les comprend qui a purifi€ saconscience intime de toute attache aux cr€atures „, et que l'exp€rience est, elle aussi, un principeherm€neutique.

 Toutefois, c'est v€ritablement au III/Xe si…cle que l'ex€g…se mystique va se d€velopper. Quelle que soitl'origine du commentaire attribu€ au sixi…me im‘m sh’ite, œafar a™-‘diq (mort en 146/765), ‚ son entr€edans les milieux soufis se situe au moment o‰ se forme la doctrine mystique sunnite et o‰, poss€dant unvocabulaire technique vari€ et pr€cis, les soufis du IIIe si…cle tentent de traduire par €crit le d€veloppement deleur exp€rience spirituelle „. La mention du sixi…me im‘m en cette affaire n'est pas fortuite, car les mystiques

de l'islam se sont montr€s tr…s ouverts aux id€es venant du sh’isme. Un commentaire comme celui d'al-Tustar’ (mort en 283/896) s'appuie sur l'opposition entre ‡€hir  et b€’in (historia/allegoria). Environ mille versets, sur sixmille deux cents que compte le Coran, sont trait€s selon cette m€thode. Mais l'ex€g…se all€gorique ne se limitepas † la tradition mystique ; elle est €galement repr€sent€e par d'autres courants €sot€riques, comme ceuxdes sh’ites duod€cimains et des isma—liens.

On qualifie souvent l'ex€g…se non sunnite de ‚ sectaire „ ; c'est l† une appellation id€ologique employ€epar le sunnisme dominant pour d€signer les groupes accus€s d'avoir introduit des ‚ innovations bl“mables „dans l'islam : les kharijites, les sh’ites, les isma—liens, les zaydites, etc. Leurs commentaires ont, en g€n€ral, lesm‡mes constituants essentiels que ceux des sunnites, mais ils comportent aussi des €l€ments qui sontparticuliers † leurs doctrines. L'ex€g…se sh’ite duod€cimaine est elle-m‡me fonci…rement traditionnelle, carelle s'appuie sur des traditions d'autorit€s. Mais, outre les traditions proph€tiques, les commentateurs sh’ites

citent celles de leurs im‘ms, surtout Al’ Zayn al-¢bid’n, AbŽ œafar Mu–ammad al-B‘qir et AbŽ Abdall‘hœafar a™-‘diq. Les charismes propres aux im‘ms sh’ites permettent, en effet, d'atteindre aux profondeurscach€es du Coran. Toutefois, tout comme dans la tradition sunnite, la place faite aux traditions varie selon lescommentateurs. Les plus anciens insistent notamment sur les versets du Coran dans lesquels ils voient desallusions † Al’ et † ses successeurs (Cor., II, 124 ; III, VII ; 5, 55, 24, 35, etc.). L'un des plus anciens

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commentaires qui nous soient parvenus est celui de al-£asan al-Askar’ (mort en 260/874).

Ceux de AbŽ œafar at-¤Žs’ (mort en 460/1067), at-Tiby€n fi tafs‚r al-Qur'€n (L'explication dansl'interpr€tation du Coran), et de a›-¤abars’ (mort en 548/1143) sont d'orientation mutazilite. Le Ma†ma‹al-bay€n li-tafs‚r al-Qur'€n (Le recueil de l'explication claire pour l'interpr€tation du Coran) de ce dernier est unexcellent commentaire dont les remarques sur la grammaire, les variantes et le sens suivent toujours la m‡meordonnance, ce qui lui donne une grande clart€. Son auteur est un tr…s bon connaisseur de la traditiongrammaticale arabe.

La production ex€g€tique des kharijites a €t€ beaucoup plus r€duite ; de plus, peu de chose nous en estparvenu ; enfin elle a €t€ tr…s peu €tudi€e. C'est ainsi que le commentaire de HŽd b. Mu–kim al-£auwar’ (cf. seconde moiti€ du III/IXe s.) n'a €t€ €dit€ que tr…s tardivement. Nous en sommes r€duits † nous r€f€rer aux˜uvres ex€g€tiques tardives de Mu–ammad Ibn YŽsuf A›fayyi (mort en 1914), en particulier † son Himy€naz-z€d il€ d€r al-ma‹€d (Le viatique pour l'au-del†). L'auteur y insiste sur les principes th€ologiques et

 juridiques de son groupe religieux : l'essence de la foi, le statut de celui qui commet des fautes majeures. Il estmarqu€ par le courant mutazilite pour la doctrine de la vision de Dieu dans l'au-del† et des actes humains. Il aconserv€ maintes traditions qui sont ‚ apocryphes „ aux yeux des sunnites, mais on peut se demander si ellesn'ont pas pr€serv€ des repr€sentations de l'islam que la domination sunnite avait refoul€es.

Les lectures projectives contemporaines

On peut difficilement parler d'une ex€g…se ‚ moderne „ du Coran, si l'on entend par l† une approche dutexte selon les m€thodes de l'histoire de la critique des sources ou m‡me de la s€miotique, telles qu'elles sontmises en ˜uvre par l'ex€g…se biblique. Les €tudes contemporaines en arabe sur le Coran, qu'il ne faut paslimiter aux commentaires, sont plus des projections de convictions diverses sur le Livre que des €tudes sur letexte qui s'appuieraient sur des principes herm€neutiques renouvel€s. De ce point de vue, il y a l† une ruptureavec l'ex€g…se classique, qui avait, elle, le souci du texte ad litteram.

la fin du XIXe et au d€but du XXe si…cle, l'ex€g…se fut marqu€e par le commentaire du Man€r , ˜uvre deMu–ammad Abduh (mort en 1905) et de Ra’d Ri¡‘ (mort en 1935). On peut mentionner aussi dans la m‡meligne celui du Constantinois Ibn B‘d’s (mort en 1940). On trouve dans ces commentaires les principaux th…mesdu r€formisme : ‚ retour aux sources „, exaltation de l'unicit€ de Dieu, critique de la religion populaire,

discussion du probl…me de la raison et de la foi, plaidoyer pour le recours au Coran lui-m‡me de pr€f€rence † la Tradition, ainsi que divers th…mes sociaux et politiques qui sont communs † ce courant marqu€ par lerationalisme pragmatique de Mu–ammad Abduh. Plus r€cemment, le commentaire de Sayyid Qu›b (mort en1966) : F‚ ‡il€l al-Qur'€n ( l'ombre du Coran) a exerc€ et continue d'exercer une grande influence nonseulement sur les Fr…res musulmans, m‡me si la filiation n'est pas toujours directe, mais aussi sur une partieimportante de l'intelligentsia musulmane. Il insiste sur la primaut€ de la foi en l'unicit€ divine et sur lescons€quences de ce principe pour la vie individuelle, sociale et politique. Sa pens€e est pr€sent€e dans lecadre d'une id€ologie de combat soucieuse de faire triompher les ‚ droits de Dieu „, c'est-†-dire l'islam, danstout l'univers. L'auteur refuse † la fois la soci€t€ de classe et le nationalisme moderne, pr€sentant la soci€t€musulmane comme sui generis. Plus encore que dans le courant r€formiste, on constate que le Coran sertsouvent de pr€texte pour affronter les ‚ d€fis d'une modernit€ „ dont les implications intellectuelles ne sontgu…re analys€es. L'impact des sciences exactes se fait €galement sentir dans ces €tudes coraniques,

notamment depuis le commentaire de ¤‘n›aw’ œawhar’ (mort en 1940), al-‰aw€hir fi tafsir al-Qur'€n (Lesperles dans l'interpr€tation du Coran) : la science €tant n€cessaire, il ne faut pas s'€tonner d'en trouver toutesles disciplines dans le Coran lui-m‡me. Ce concordisme facile, qui ne passe pas facilement de mode, retardel'€mergence d'une ex€g…se coranique moderne qui aborderait les enjeux d'une confrontation entre la critiquemoderne et l'espace m€taphorique du Coran, et dont l'exp€rience avait €t€ tent€e, pour son €poque et mutatismutandis, par Fažradd’n ar-R‘z’.

Si l'on mesure le chemin parcouru, on constate que l'ex€g…se classique offrait encore une grille de lecturemultivoque du texte. Certes, Tabari, par exemple, faisait des choix doctrinaux, mais il honorait le textelui-m‡me dans ses aspects les plus philologiques. La transmission de nombreuses traditions n'€tait passeulement m€canique ; elle partait de la conviction que l'on avait de la richesse s€mantique du texte, de saplurivocit€. Toutefois, comme on l'a not€, d…s cette p€riode une compr€hension €troite, contrŸl€e par

l'orthodoxie, de la ‚ lettre „, fermait la porte † l'exploitation de nombreuses potentialit€s du texte. l'int€rieurde l'ex€g…se contemporaine, la d€perdition de la richesse du sens est plus grande encore, dans la mesure o‰ letexte est souvent pris comme pr€texte et o‰ l'appauvrissement de la tradition ex€g€tique n'est pas compens€par les interventions d'une raison critique.

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III-Les recherches contemporaines

L'€volution des €tudes coraniques en Occident depuis le milieu du XXe si…cle s'est op€r€e sous l'effet desprogr…s consid€rables de l'ex€g…se biblique (critique des formes et critiques de la r€daction) et des th€orieslitt€raires. L'influence des sciences humaines, particuli…rement de l'anthropologie et de l'histoire des religions,commence † s'y faire sentir : rŸle du symbolique et de l'imaginaire, passage de l'oral † l'€crit, fonction dumythe, etc.

On peut distinguer deux grandes orientations nouvelles dans ces recherches. La premi…re porte sur

l'histoire du texte coranique, sa composition, sa ‚ collecte „ et sa r€daction. La seconde concerne la relecturedu Coran avec les instruments qu'offrent les diverses sciences humaines ; elle s'attache aussi † l'€tude critiquedes grands commentaires classiques, qui constituent autant de t€moins de la faˆon dont le texte coranique aagi dans la constitution de l'imaginaire islamique aux diverses €tapes de son histoire, c'est-†-dire de la faˆondont l'islam s'est vu, s'est donn€ † voir et s'est ‚ r‡v€ „.

L'€tablissement du corpus coranique

Le premier courant de recherches conduit † remettre en question la faˆon dont on se repr€sentait, † lasuite des sources musulmanes, m‡me critiqu€es, le processus compliqu€ qui aurait abouti † l'€tablissement ducorpus canonique du Coran sous le calife Uman (mort en 35 de l'h€gire/656 de l'…re chr€tienne). Cependant,

les voies qui conduisent † ces remises en question et les conclusions auxquelles elles aboutissent sont biensouvent divergentes et le d€bat est loin d'‡tre clos.

Ainsi, pour les uns, la version actuelle du Coran, reconnue comme vulgate par la communaut€ musulmane,remonterait, non pas † l'un des premiers califes (AbŽ Bakr, Umar et Um‘n), mais † Mu–ammad lui-m‡me.Pour John Burton, par exemple, les traditions ayant trait au caract…re incomplet du texte coraniqueproviendraient de r€flexions ult€rieures de juristes sur l'abrogation (nasˆ), c'est-†-dire sur le fait que certainsversets ont €t€ abrog€s par des versets post€rieurs. Afin de pouvoir conserver certains €l€ments d'un droitreˆu (par exemple, la lapidation de la femme adult…re), non attest€s par le Coran, on postula qu'ils €taient unecomposante du Coran en tant que source du droit, mais qu'ils auraient €t€ oubli€s dans le Coran en tant quedocument parvenu jusqu'† nous (mu‘ƒaf ). De la sorte, les r€cits concernant la collecte du Coran, les variantestextuelles et les recueils attribu€s aux Compagnons de Mu–ammad auraient eu le m‡me but : enraciner la

fiction que le Coran n'a reˆu sa forme d€finitive qu'apr…s la mort du proph…te de l'islam et pr€server ainsi un€tat donn€ du droit musulman. Cette perspective int€ressante aurait €t€ plus convaincante si l'auteur ne s'€taitpas cantonn€ dans les rapports entre le Coran et le droit, n€gligeant le fait que le Coran doit ‡tre €tudi€ aussien tant que monument litt€raire ayant une fonction liturgique.

C'est pr€cis€ment † son aspect litt€raire et † sa fonction liturgique que s'est attach€e Angelika Neuwirthdans son importante €tude sur la composition des sourates mekkoises. Elle est partie de la sourate commeunit€ r€elle et m‡me comme genre litt€raire sp€cifique, et du Coran conˆu d…s le d€but comme discoursliturgique et comme texte destin€ † ‡tre r€cit€. Dans sa perspective, la sourate aurait €t€ voulue d…s le d€butpar Mu–ammad comme le m€dium de son message. Si la sourate est privil€gi€e, c'est qu'Angelika Neuwirth yvoit une intention stylistique qu'elle s'efforce de faire appara‹tre par l'€tude des sourates mekkoises en versets,mais aussi par une recherche soign€e sur les ‚ rimes „ (et sur l'accent des mots, ce qui para‹tra plus discutable

† maints linguistes !). A. Neuwirth tient pour acquis que les sourates mekkoises remontent, pour leurcomposition, † Mu–ammad et que la r€daction du texte sous Um‘n a conduit † la fixation de la vulgate quenous connaissons.

D'autres chercheurs, tel John Wansbrough, appliquent au Coran des m€thodes qui sont en usage depuislongtemps d€j† en ex€g…se biblique (Formgeschichte et Redaktionsgeschichte) ; ils recourent aussi aux €tudeslitt€raires † tendance structuraliste, en s'appuyant sur l'ex€g…se et l'historiographie musulmanes classiques,ainsi que sur la biographie ancienne de Mu–ammad (S‚ra). J. Wansbrough en arrive † la conclusion que le Corann'est qu'une partie de la tradition musulmane (sunna) et, par l†, une construction de la communaut€. Pour luiaussi, les r€cits concernant la collecte du Coran sont fictifs, mais il aboutit, ce faisant, † des conclusionsoppos€es † celles de J. Burton : l'€laboration du canon de l'”criture musulmane a €t€ le r€sultat d'un longprocessus (200 ans environ). Le Coran lui appara‹t comme un assemblage de logia proph€tiques etd'interpolations de la communaut€ primitive, † l'€laboration duquel la pol€mique contre le juda—sme mais aussiles combats id€ologiques † l'int€rieur de la communaut€ musulmane primitive auraient eu une large part. (LeCoran aurait vu le jour dans ce ‚ Milieu des sectes „, pour reprendre le titre de l'un des ouvrages deWansbrough.) D…s lors, les traditions portant sur les variantes et les recueils des Compagnons de Mu–ammad,les variantes individuelles et locales proviendraient du besoin de conf€rer l'aura d'une autorit€ ancienne † un

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texte qui, en fait, n'aurait pas €t€ achev€ dans sa compilation avant le IIIe si…cle de l'h€gire (IXe de l'…rechr€tienne).

Le Coran dans l'imaginaire islamique

Le second courant de recherches, sans pr€judice pour les questions jusqu'ici envisag€es, insiste sur lan€cessit€ de ‚ relire „ le Coran avec les instruments qu'offrent les diverses sciences humaines et d'interrogerde faˆon critique les grands commentaires classiques comme ceux de ¤abar’ (mort en 310/923) et de R‘z’ 

(mort en 606/1209) ; cette tendance est repr€sent€e par Mohammed Arkoun. Sa relecture du texte coraniquevise † le consid€rer dans sa totalit€, en tant que syst…me de relations internes, dans le sens d'une s€mantiquedu Coran, comme en a donn€ un premier exemple l'islamologue japonais Toshihiko Izutsu en €tudiant lestermes clefs qui concernent l'homme et Dieu dans le Coran pour saisir conceptuellement la vision du mondequi est derri…re ce type de langage. Mais, plus largement, il s'agit pour M. Arkoun de contribuer par l'exemplecoranique † l'€laboration d'une typologie des langages religieux, le Coran n'€tant pas une suite d€sordonn€ed'€nonc€s, mais fonctionnant comme tout langage religieux ‚ dans un univers de signes, de m€taphores, demythes, de m€tonymies, de rites appropri€s „. C'est dire que de larges perspectives sont ainsi ouvertes † ceuxqui voudraient €tudier le statut s€miotique et le statut m€taphorique du discours coranique. Les particularit€sde son mode de signifier et les effets qu'il produit lorsqu'il circule dans une soci€t€ int€ressent au plus hautpoint toute recherche qui veut €tablir une typologie englobante des discours religieux.

Un travail critique sur les grandes traditions ex€g€tiques musulmanes peut aussi apporter une contributionnon n€gligeable † cette entreprise de relecture. Les grands ex€g…tes, en effet, sont de riches t€moins de lafaˆon dont s'est constitu€ l'imaginaire islamique commun. Un commentaire monumental comme celui de

 ¤abar’, qui, outre des explications philosophiques et grammaticales illustr€es par des citations po€tiques,fournit un grand nombre de traditions ex€g€tiques introduites par plus de trente-cinq mille cha‹nes de garants(isn€d), nous renseigne sur la faˆon dont fonctionne une tradition, qui est toujours aussi la r€interpr€tation d'uncapital symbolique. Dans cette optique, l'ex€g…te traditionnel n'est pas un simple compilateur qui secontenterait d'enregistrer en transmetteur impartial un donn€ h€rit€ de ses devanciers, mais il classe lestraditions, fait des choix parmi elles, donne son avis, leur assignant une position dans la ‚ pens€e du groupe „š expression qui est une traduction, en sociologie, du concept th€ologique de i†m€ (consensus de lacommunaut€). Ce type de discours en citations, appuy€ par des cha‹nes de garants, assure la coh€sionid€ologique de la communaut€ croyante, voile les ruptures et les ‚ oublis „ ; il se veut enracin€ dans le

t€moignage de quelques Compagnons qui sont inlassablement cit€s et dont on peut tracer la ‚ biographiemythique „ ; c'est le cas, par exemple, pour le cousin de Mu–ammad, Ibn Abb‘s (mort en 68/687). Ce type derecherche exige que soit pos€e de nouveau la question du rapport entre le ‚ fictif „ et le ‚ r€el „, comme celase fait d€j†, par exemple, en anthropologie ou en histoire du Moyen ¥ge et de l'Antiquit€.

Le probl…me des sources d'un commentaire comme celui de ¤abar’, par exemple, devrait pouvoird€sormais ‡tre envisag€ de faˆon nouvelle. On a €dit€, en effet, dans les ann€es soixante-dix un certainnombre de commentaires (tafs‚r ) relativement anciens, tels ceux de Mu‘hid b. œabr (mort en 104/732), deMuq‘til b. Sulaym‘n (mort en 150/767), de Sufy‘n al-¦awr’ (mort en 161/778) et de Ya–y‘ b. Sall‘m (mort en200/815). Les probl…mes d'attribution de ces commentaires ne sont pas tous r€solus ; cependant, certainschercheurs, en Allemagne et en Grande-Bretagne, ont entrepris de comparer leur contenu avec celui destraditions €quivalentes rapport€es par ¤abar’. Ces recherches semblent devoir ‡tre poursuivies dans laperspective d'une anthropologie du pass€ qui int€grerait davantage le fonctionnement des traditionsex€g€tiques musulmanes dans celui de toute tradition et qui, par exemple, tiendrait compte de laprobl€matique du passage de l'oral † l'€crit, telle que l'a expos€e, par exemple, Jack Goody en ethnologie.

Ces perspectives nouvelles ouvertes aux €tudes coraniques devraient permettre † celles-ci d'apporter leurcontribution † l'anthropologie religieuse et † l'histoire des religions.

Claude GILLIOT

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