universitÉ paris ouest nanterre la defense · 2017. 11. 29. · universitÉ paris ouest nanterre...
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UNIVERSITÉ PARIS OUEST NANTERRE LA DEFENSE
ÉCOLE DOCTORALE 139 : CONNAISSANCE, LANGAGE, MODÉLISATION
Thèse
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L'UNIVERSITÉ PARIS OUEST NANTERRE LA DEFENSE
Discipline : Neurosciences
Spécialité : Éthologie
Présentée et soutenue publiquement par
Sarah JEANNIN
Le 12 décembre 2016
La relation homme-animal : étude de la communication vocale
adressée au chien (Canis familiaris)
Devant le jury composé de
Gérard LEBOUCHER Directeur de thèse Université Paris Nanterre
Bertrand DEPUTTE Rapporteur CNRS
Heiko RÖDEL Rapporteur Université Paris 13
Caroline GILBERT Examinateur CNRS/MNHN, ENVA
David REBY Examinateur University of Sussex
Sébastien DEREGNAUCOURT Examinateur Université Paris Nanterre
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La relation homme-animal : étude de la
communication vocale adressée au chien
(Canis familiaris)
Par Sarah JEANNIN
Sous la direction de
Gérard LEBOUCHER
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Avant-propos
Cette thèse a été réalisée dans le cadre d’un contrat doctoral d’une durée de 3 ans
(signature du contrat le 1er
octobre 2012), suivi d’un contrat d’Attaché Temporaire
d’Enseignement et de Recherche (ATER) d’une durée d’un an (2015/2016), renouvelé cette
année (2016/2017).
Les expérimentations ont été réalisées à l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort (ENVA) dans
une salle de l’IRCA (Institut de Recherche Clinique Animale), généreusement prêtée par le
Dr. S.Perrot.
Le recrutement des participants des études présentées dans les chapitres 1, 2 et 3 a été réalisé
en grande partie dans la salle d’attente de la médecine préventive du Centre Hospitalier
Universitaire Vétérinaire d’Alfort (CHUVA) et via le réseau social étudiant de l’ENVA.
Les analyses de données ont été réalisées à l’ENVA et au laboratoire d’Ethologie Cognition et
Développement de l’Université Paris Nanterre.
Le script que nous avons utilisé pour réaliser nos analyses acoustiques sur Praat a été créé par
D. Reby.
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Remerciements
Je tiens à remercier l’ensemble des personnes qui ont contribué directement ou
indirectement à cette thèse de doctorat :
En premier lieu, merci aux membres du jury, Caroline GILBERT, David REBY, Sébastien
DEREGNAUCOURT, Heiko RÖDEL et Bertrand DEPUTTE d'avoir accepté d'évaluer ce
travail. J'espère que la lecture du manuscrit sera agréable.
Merci à Gérard LEBOUCHER, mon directeur de thèse pour sa présence et sa bienveillance ;
merci de m’avoir soutenue et encouragée tout au long de ces quatre années. J’en profite pour
remercier Pascal MALLET d’avoir partagé son bureau avec une doctorante débordante
d’émotions, pour son empathie à l’écoute de nos drames !
Je remercie Caroline GILBERT d’avoir accepté de travailler avec nous sur ce projet de thèse
et de la confiance qu’elle m’a accordée. Merci de m’avoir accueillie à l’ENVA, ainsi qu’aux
consultations de médecine vétérinaire du comportement du CHUVA. Cette expérience a été
extrêmement enrichissante puisqu’elle m’a appris à mieux appréhender le comportement
animal, mais aussi les enjeux de la relation homme-animal.
Un grand merci à David REBY de m’avoir accueillie au sein du laboratoire « Mammal Vocal
Communication and Cognition » à l’université de Sussex il y a quatre ans et à Victoria
RATCLIFFE. Mes réflexions et mes projets de recherche sur le chien ont grandement muris
au cours de ces trois mois. Merci également d’avoir accepté de travailler en collaboration avec
nous sur cette thèse et de nous avoir apporté un regard critique sans égal.
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Je tiens également à remercier Michel KREUTZER qui m’a fait découvrir l’Ethologie et qui
m’a conduite jusqu’ici. Merci de m’avoir donné l’occasion de faire de très belles rencontres à
la fois dans le domaine de la Psychologie et de l’Ethologie.
Merci Dalila BOVET et Mathilde LALOT de m’avoir encadrée lors de mon premier stage
d’Ethologie : les canaris m’ont transmis beaucoup d’optimisme !
J’aimerais également remercier l’ensemble des membres du laboratoire et en particulier ceux
qui ont été mes professeurs (une mention spéciale à Laurent NAGLE), puisque c’est à travers
leurs enseignements et paradoxalement peut être, à travers leur grande humanité que m’est
venue l’envie d’étudier le comportement animal.
Un grand merci à Mathieu AMY pour toutes ces heures passées sur nos statistiques. Y
repenser me fait sourire, quelle galère ! Merci pour ta patience.
Merci à toutes mes stagiaires pour leur aide et les bons moments que nous avons passés
ensemble : Marine PARKER, Marine ESCUDERO, Raphaëlle BOURREC, Raphaëlle
TIGEOT, Charlène PLAMONT, Justine GUILLAUMONT et Ophélie CHAUVEL.
Merci à mes collègues doctorants : Ophélie BOUILLET, Mathilde LALOT, Agatha LIÉVIN-
BAZIN, Guillaume HUET DES AUNAY, Davy UNG, Pauline SALVIN, Lucille LE MAGUER
et aux animaliers : Emmanuelle MARTIN et Philippe GROUE. Soyez certaines Emmanuelle,
Ophélie et bien-sûr Pauline que vos rires resteront gravés dans ma mémoire !
Je remercie Thierry BEDOSSA pour les merveilleuses rencontres que j’ai pu faire à ses
côtés ; merci pour les échanges et les réflexions que nous avons eu au cours de ces quatre
années et que, bien-sûr, nous aurons encore.
Un très grand merci à mes parents, à mes très-beaux parents et au plus beau qui ont supporté
de près ou de loin mon caractère de chien (c’est le cas de le dire !) et je remercie en particulier
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ma mère pour son soutien et l’aide incommensurable qu’elle a su m’offrir durant toutes ces
années d’études.
Oh et puis bien-sûr : merci à Vodka (c’est un chien…) et à ma boule anti-stress Pamina !
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Notes aux lecteurs
Cette thèse de doctorat est réalisée sur articles. Les chapitres qui la composent ont été
rédigés en anglais et sont destinés à être publiés indépendamment les uns des autres. Aussi,
les figures présentées dans les chapitres ne sont pas en couleur mais en nuances de gris et sont
numérotées article par article.
L’article: “Human-dog communication: do people accurately perceive dog’s visual feedbacks
in response to vocal solicitation?” fait référence à l’article: “Pet-Directed-Speech draws dogs’
attention more efficiently than Adult-Directed-Speech”. Il est en attente de publication de ce
dernier pour être soumis.
L’article : “Dogs’ head orientation in response to human vocal solicitations” est en
préparation. Une récolte de données supplémentaire sera probablement nécessaire afin de
renforcer la puissance statistique de nos résultats si nous souhaitons le publier.
L’article: “ Effect of interaction type on the characteristics of
pet-directed speech in female dog owners” en revision au
moment de la soutenance, a été depuis publié dans le journal
Animal Cognition.
L’article: “Pet-directed speech draws dogs’ attention more
efficiently than Adult-directed speech” a été soumis au journal
Nature Scientific Reports; il est actuellement en revision.
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Table des matières
Avant-propos .............................................................................................................................. 4
Remerciements ........................................................................................................................... 5
Notes aux lecteurs ...................................................................................................................... 8
Introduction générale ............................................................................................................. 11
I. La relation homme-chien (Canis Familiaris) ........................................................... 13
1. La domestication ............................................................................................. 13
2. La relation homme-chien de compagnie actuelle ......................................... 14
3. Les similarités entre les relations homme-chien de compagnie et parents-
bébé 16
Homologies cérébrales ...................................................................................... 16
Climat hormonal identique ............................................................................... 17
Néoténie : apparence juvénile ........................................................................... 18
Lien émotionnel ................................................................................................ 20
II. La communication homme-chien (Canis familiaris) ................................................ 22
4. La communication et la reconnaissance des émotions ................................ 22
La reconnaissance des émotions humaines par les chiens ................................ 23
La reconnaissance des émotions canines par les êtres humains ....................... 27
5. La communication gestuelle et visuelle ......................................................... 29
La communication référentielle ........................................................................ 30
6. La communication verbale : interface entre cognition et émotions ........... 33
Aspects cognitifs ............................................................................................... 34
7. La communication homme-chien de compagnie : similarités entre PDS et
IDS 38
La communication parents-bébé : l’IDS ........................................................... 38
La communication propriétaire-chien de compagnie : le PDS ......................... 39
8. Traitement du langage humain par le chien ................................................ 42
9. Objectifs de cette thèse de doctorat ............................................................... 44
10. Présentation du modèle d’étude .................................................................... 45
Origines du chien .............................................................................................. 45
Domestication ................................................................................................... 46
Origine des races ............................................................................................... 48
Morphologie ..................................................................................................... 48
Chapitres ................................................................................................................................. 50
Aide à la lecture ....................................................................................................................... 51
Chapitre I ................................................................................................................................ 53
Etude du Pet-Directed-Speech (PDS) dans différentes situations d’interaction .............. 53
Chapitre II .............................................................................................................................. 85
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10
Traitement hémisphérique des sollicitations humaines par le chien ................................. 85
Abstract ............................................................................................................. 87
Introduction ....................................................................................................... 88
Methods ............................................................................................................ 91
Results............................................................................................................... 96
Discussion ......................................................................................................... 98
Acknowledgements ......................................................................................... 100
References ....................................................................................................... 101
Chapitre III ........................................................................................................................... 105
Effet du Pet-Directed-Speech (PDS) sur l’état attentionnel du chien ............................. 105
Chapitre IV ........................................................................................................................... 131
Perception humaine des signaux visuels émis par le chien en réponse au PDS .............. 131
Abstract ........................................................................................................... 133
Introduction ..................................................................................................... 134
Methods .......................................................................................................... 136
Results............................................................................................................. 140
Discussion ....................................................................................................... 142
References ....................................................................................................... 145
Discussion générale .............................................................................................................. 149
Conclusion générale ........................................................................................ 159
Références bibliographiques ............................................................................................... 160
Annexe : liste des travaux réalisés durant ce doctorat...................................................... 190
Résumé .................................................................................................................................. 196
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Introduction générale
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Introduction générale
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L’être humain et le chien sont deux espèces sociales (Gallese et al. 2004, Cooper et al.
2003) qui partagent un environnement commun depuis plus d’une dizaine de milliers
d’années (Thalmann et al. 2013, Hare et al. 2002). Les origines de cette relation seront
abordées dans la première partie de notre introduction et seront ensuite développées dans la
partie « présentation de l’espèce ».
Dans la société occidentale actuelle, les propriétaires présentent un lien émotionnel très fort à
leur chien de compagnie, que de nombreux auteurs ont comparé au lien parent-bébé. La
dimension affective de la relation homme-chien sera abordée dans la première partie de notre
introduction, dans la section intitulée « la relation homme-chien actuelle ».
Le lien émotionnel unique entre l’homme et le chien et le système de communication qui s’est
mis en place entre ces deux espèces, repose en grande partie sur les capacités sociales et
cognitives des chiens ; aptitudes qui leur ont permis de s’ajuster à l’homme (D’Aniello et al.
2015). En effet, les chiens sont extrêmement performants dans la reconnaissance des émotions
humaines et dans l’utilisation de la communication référentielle humaine (regard, gestes,
intonations). Nous développerons ce point dans la seconde partie de notre introduction que
nous avons nommée « la communication homme-chien ».
Ainsi, la communication particulière entre l’homme et le chien s’inscrit dans le cadre d’une
relation émotionnelle et affective, et repose sur des compétences sociocognitives complexes.
Ces perspectives nous permettront d’introduire l’objet de cette thèse: la communication
vocale entre l’homme et le chien de compagnie et en particulier, une modalité de discours
appelée le Pet-Directed-Speech (PDS) ou « discours adressé à l’animal de compagnie ».
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Introduction générale
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I. La relation homme-chien (Canis Familiaris)
1. La domestication
Le chien domestique (Canis familiaris) est une espèce appartenant à la famille des
canidés (Canidae). Les auteurs s’accordent pour dire que l’ancêtre du chien est le loup gris
(Canis lupus) (Wayne 1993, Lindblad-Toh et al. 2005, Frantz et al. 2016), mais la date
d’apparition du chien et les mécanismes qui sont à l’origine de sa domestication restent
controversés (Clutton-Brock 1999, Crockford 2000, Thalmann et al.2013, Germonpré et al.
2012, Frantz et al. 2016). Néanmoins, il ne fait aucun doute que le chien est l’animal
domestique qui vit auprès de nous depuis la plus longue période (environ 15.000 ans)
(Savolainen et al. 2002, Larson et al. 2012, Frantz et al. 2016). A peu près partout où vivent
des humains se trouvent des chiens (Hare & Tomasello 2005).
La cohabitation entre l’homme et le chien aurait permis aux deux espèces de former une
relation étroite et ainsi de développer des moyens de communication similaires comme
l’échange de regard (Cooper et al. 2003, Miklosi et al. 2004, Hare & Tomasello 2005).
Plusieurs études suggèrent que la sélection artificielle a permis de promouvoir la
prédisposition des chiens à former un lien affiliatif avec les humains (Millot 1994, Gácsi et al.
2001, Topál et al. 2005, Marinelli et al. 2007). En effet, les animaux proches de l’homme sur
le plan physique, comportemental ou cognitif ont tendance à être préférés et suscitent plus
d’affects positifs chez les êtres humains (Batt 2009).
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Introduction générale
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2. La relation homme-chien de compagnie actuelle
En France, presque un foyer sur deux possède au moins un animal de compagnie. Le
nombre total de ces animaux est pratiquement égal au nombre d’humains : 63 millions
d’animaux de compagnie pour 65 millions de français dont 7,3 millions de chiens. Parmi les
possesseurs de chiens 21,7% vivent dans des villes de plus de 100,000 mille habitants et 8,8%
vivent dans l’agglomération parisienne (FACCO 2014). Plusieurs études montrent que les
chiens représentent l’une des espèces favorites des enfants et des adultes (Woods 2000, Borgi
& Cirulli 2013, 2015).
Certains propriétaires présentent un lien émotionnel fort avec leur chien de compagnie et
celui-ci endosse bien des rôles: ami, confident, enfant, image qu’on souhaite incarner etc.
(Walsh 2009). Il devient le réceptacle de manques ou de besoins affectifs, il apaise, sécurise
et aide à mieux vivre (Digard 1990). Des études font ressortir que les animaux de compagnie
pourraient être bénéfiques pour le bien-être physique, social et émotionnel des humains
(Kurdek 2009, Stoeckel et al. 2014). D’après ces études, les propriétaires d’animaux de
compagnie sont en meilleure santé que ceux qui n’en possèdent pas : ils présentent moins de
problèmes cardiaques car la pression sanguine et le rythme cardiaque diminuent en présence
d’un chien ou d’un chat (Allen et al. 2001, 2002, Hodgson et al. 2015), ils sont moins souvent
malades et vont donc moins consulter le médecin (Headey & Grabka 2007, Headey et al.
2008) ; ils font plus d’exercice (Headey & Grabka 2007, Headey et al. 2008) et sont moins
déprimés (Clark Cline 2010). Les animaux de compagnie permettent également de diminuer
le stress et l’anxiété (Nagengast et al. 1997, Serpell 2011, Barker et al. 2012). Ils représentent
un soutien social, offrent aux personnes âgées des responsabilités (Raina et al. 1999), et ils
favorisent les interactions sociales entre individus (McNicholas & Collis 2000, Johnson 2011,
Wood et al. 2011).
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Introduction générale
15
Réciproquement, le propriétaire offre un sentiment de sécurité pour son chien et agit comme
un « amortisseur » contre le stress dans une situation qui suscite de l’anxiété (Gácsi et al.
2013, Rehn et al. 2014), peut-être même davantage que la présence d’un congénère comme le
suggère l’étude de Tuber et al. (1996).
En Occident, les propriétaires d’animaux de compagnie sont qualifiés de « pet parents » dans
les médias populaires (Taylor 2006, Del Monte Foods 2011) et la moitié des propriétaires
considèrent leur animal comme un membre de la famille à part entière voire comme un enfant
(Berryman et al. 1985, Risley-Curtiss et al. 2006, AP-Petside.com Poll 2009). Les
propriétaires se comportent souvent avec leur animal de la même façon qu’ils le feraient avec
un enfant dans les mêmes circonstances: ils les embrassent, leur donnent des surnoms
affectueux « mon bébé, mon amour, ma fifille...», un grand nombre de propriétaires portent
leur chien au lieu de les laisser marcher, les habillent, fêtent leur anniversaire, leur offrent des
cadeaux etc. (O’Farrell 1997, Palestrini et al. 2005, Prato-Previde et al. 2006, Marinelli et al.
2007, Del Monte Foods 2011, Urquiza-Haas & Kotrschal 2015). D’après Askew (2003) les
comportements des propriétaires modernes envers leur animal de compagnie seraient des
attitudes parentales dirigées vers un membre d’une autre espèce. Mais déjà à l’époque
Antique, Jules César s’étonnait: « les femmes romaines n'ont-elles donc plus comme autrefois
des enfants à nourrir et à porter dans leurs bras ? Je ne vois que des chiens et des singes ». Ces
propos ont été rapportés par l'ethnologue français Jean-Pierre Digard (1990). Herzog (2014)
ajoute que les humains semblent en effet avoir des caractéristiques innées qui facilitent la
formation d’un lien affectif à des membres d’autres espèces. Serpell (2004) suggère que « les
humains développent des sentiments et des comportements positifs lorsqu’ils s’occupent de
chiens parce que cette relation émotionnelle est similaire à celle crée entre une mère et son
enfant ».
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Introduction générale
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3. Les similarités entre les relations homme-chien de compagnie et parents-bébé
Plusieurs auteurs ont tenté de comprendre quels étaient les fondements de la relation
émotionnelle entre l’homme et le chien. Pour cela, une grande partie d’entre eux ont repris et
adaptés les protocoles expérimentaux utilisés pour étudier le lien parent-bébé en psychologie
humaine. Les résultats de ces études ont mis en évidence de nombreux recouvrements entre
ces deux types de relations, à la fois d’un point de vue physique (données neuronales et
physiologiques) et comportemental.
Homologies cérébrales
Les visages d’être-humains ou de chiens familiers (i.e. familiarité sociale de longue
date) entrainent des réponses neuronales similaires chez l’humain, en particulier dans le
cortex cingulaire antérieur rostro-ventral, dont l’activité est associée aux aspects affectifs et
émotionnels de la cognition sociale (Shinozaki et al.2007).
Plus spécifiquement, l’exposition à une photo de leur enfant ou de leur chien entraîne chez
des mères une activation neuronale similaire dans des régions du cerveau impliquées dans les
émotions, la récompense (amygdale, substance périaqueducale, air tegmentale ventrale,
insula, thalamus), le traitement visuel et la cognition sociale (gyrus fusiforme et temporal
supérieur) (Stoeckel et al. 2014). Il existe néanmoins quelques différences: l’image de leur
enfant active davantage les régions du mésencéphale notamment l’aire tegmentale ventrale et
la substance noire toutes deux impliquées dans la récompense et les liens affiliatifs (Bartels &
Zeki 2004), alors que l’image de leur chien active davantage les régions corticales
postérieures et le gyrus fusiforme, impliqués dans le traitement visuel des visages et la
cognition sociale. Ainsi, les expressions faciales et le regard jouent un rôle central dans les
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Introduction générale
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interactions humains-chiens comparés à la communication humain-humain, probablement
parce que le chien est dépourvu du langage verbal (Stoeckel et al. 2014). Enfin, les mères
jugent leur enfant et leur chien comme étant des sources d’excitations (arousal) et de plaisir
(valence) similaires (Stoeckel et al. 2014).
Climat hormonal identique
L’ocytocine, communément appelée « hormone de l’attachement », est à la fois une
hormone et un neuro-modulateur qui promeut les comportements affiliatifs et facilite le lien
entre la mère et l’enfant, mais aussi le lien mâle-femelle au sein de la paire reproductrice
(Carter et al. 1992, Heinrichs et al. 2009, Bartz et al. 2011, Carter 2014). Par exemple,
l’ocytocine favorise la cognition sociale et l’interprétation des signaux sociaux et permet ainsi
une prédisposition plus importante à l’empathie et aux comportements d’approche dans un
contexte social (Heinrichs et al. 2009). Les effets de l’ocytocine sont présents chez les deux
sexes, chez le mâle toutefois, la vasopressine jouerait un rôle plus important (Carter 2014).
Les interactions homme-chien, calmes et positives, conduisent à une augmentation de la
concentration d’ocytocine chez les deux protagonistes (Miller et al. 2009, Odendaal &
Meintjes 2003, Handlin et al. 2011). Administrer de l’ocytocine par voie nasale à des chiens
augmente le nombre de regards vers le propriétaire. Ces échanges de regard conduisent à une
sécrétion plus importante d’ocytocine chez le propriétaire et facilitent ses comportements
affiliatifs, ce qui entraine en retour une augmentation des concentrations d’ocytocine chez le
chien (Nagasawa et al. 2015). Les auteurs appellent ce phénomène : l’« ocytocin-mediated
positive loop », c’est-à-dire l’existence d’une boucle positive entre espèces, dont l’ocytocine
serait le médiateur et qui est facilitée et modulée par le regard. Ce phénomène est similaire à
ce qui a été observé dans les interactions parents-bébé humains (De Dreu et al. 2010). Le
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Introduction générale
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regard mutuel entre le parent et le nourrisson a par ailleurs été décrit comme étant un
comportement affiliatif et une marque d’engagement social dont le rôle principal est de
réguler le lien social, notamment à travers la sécrétion d’ocytocine (De Dreu et al. 2010,
Farran & Kasari 1990, Feldman et al. 2007, Nagasawa et al. 2012).
Ce système de sécrétion d’ocytocine pourrait être à l’origine des effets bénéfiques
psychologiques et psychophysiologiques des interactions homme-animal (Beetz et al. 2012).
Néanmoins, ce phénomène ne se retrouve pas dans les interactions entre l’homme et des loups
élevés par l’homme. Les chiens auraient donc appris à exploiter les moyens qu’ont les
humains de communiquer un lien social, comme le regard (Nagasawa et al. 2015), et cet
apprentissage aurait contribué à la mise en place du lien affectif particulier entre l’homme et
le chien (Borgi & Cirulli 2016).
Néoténie : apparence juvénile
L’apparition de Canis familiaris s’est accompagnée d’une réduction importante de la
taille des individus par rapport aux canidés sauvages : volume crânien et dentition ont
diminués, la face s’est raccourcie etc. (Coppinger & Coppinger 2001). De plus, on observe
chez certaines races de chiens une conservation chez les animaux adultes des caractéristiques
juvéniles. Par exemple le cavalier King-Charles, le Pékinois ou le Chihuahua sont éloignés de
la morphologie du loup (Coppinger & Coppinger 2001). Ce phénomène s’appelle la
pédomorphose, ou juvénilisation, on parle aussi de néoténie: cela correspond à la conservation
à l’âge adulte de caractères physiques et/ou comportementaux qui ne sont habituellement
que transitoires durant l’enfance (Trut 1999). Ce phénomène est considéré comme étant un
produit dérivé du processus de domestication (Hare et al. 2005), qui aurait opéré à travers des
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Introduction générale
19
générations d’élevages sélectifs conscients ou inconscients de comportements non-agressifs
envers l’humain (Belyaev 1979).
Les caractéristiques faciales paedomorphiques chez le chien peuvent être accentuées à travers
l’utilisation des muscles faciaux qui permettent de relever les sourcils, ce qui augmente la
taille apparente de la cavité orbitale (Waller et al. 2013). Cela donne aux chiens l’apparence
de bébés humains avec des yeux plus larges relativement au reste de leur visage ; ils sont ainsi
perçus comme « mignons » et c’est ce qui motiverait les parents humains à s’occuper des
bébés et à s’investir dans le soin (Golle et al. 2013, Waller et al. 2013, Hecht & Horowitz
2015). Il existe d’autres traits néoténiques chez le chien comme le fait de remuer la queue,
l’aboiement ou la recherche d’attention, que l’on retrouve d’ailleurs uniquement chez les
louveteaux, mais pas chez les loups adultes (Morey 1994, Gácsi et al. 2005).
Borgi & Cirulli (2016) ont émis l’hypothèse que la présence de caractéristiques physiques et
comportementales juvéniles chez les animaux de compagnie pourrait constituer la base de
notre attirance pour ces espèces. En effet, ces auteurs ont mis en évidence que les
caractéristiques faciales infantiles (i.e. « schéma bébé», Lorenz 1943 : visage large et rond, un
front haut et saillant, de larges yeux, un petit nez et une petite bouche) sont des stimuli qui
capturent l’attention de manière très rapide et inconsciente, et induisent des réponses
affectives dont une tendance aux soins et à l’engagement social (Borgi & Cirulli 2016,
Sherman & Haidt 2011). Ces caractéristiques faciales infantiles sont préférés aussi bien chez
les chiens que chez les chats (Archer & Monton 2011, Serpell 2004, Borgi & Cirulli 2013).
Par exemple, dans les refuges, les chiens qui présentent des expressions faciales augmentant
leur apparence juvénile sont préférentiellement choisis par les humains (Waller et al. 2013).
Ces préférences esthétiques humaines pour les races aux aspects néoténiques persistent alors
que ces caractéristiques morphologiques ont des conséquences graves sur la santé de l’animal
-
Introduction générale
20
et nécessitent des dépenses en soins vétérinaires très importantes : cardiopathie, problèmes
respiratoires, sécheresse oculaires, fragilité générale (Serpell 2002, King et al. 2012).
Pour Fidler (2003), les relations homme-chien de compagnie et parents-bébé sont très
similaires, à la différence que la relation homme-chien reste constante puisque l’animal
conserve durant toute sa vie son aspect juvénile.
Lien émotionnel
La notion de lien émotionnel fait référence au lien qu’un individu entretient avec un
autre individu, (Ainsworth 1989). A la différence de la notion de relation qui implique une
réciprocité entre les deux acteurs, le lien repose sur l’idée d’unilatéralité Ainsi, bien qu’il soit
possible d’affirmer qu’un propriétaire est lié affectivement à son chien, cela n’implique pas
nécessairement que le chien partage un lien affectif avec son propriétaire (Siniscalchi et al.
2013).
Plusieurs auteurs ont tenté d’explorer si la relation que le chien entretient avec son
propriétaire constituait un lien d’« attachement » similaire à celui qu’entretient le bébé avec
ses parents (Topál et al. 1998, 2005, Payne et al. 2015). La relation propriétaire-chien a ainsi
été étudiée à travers le cadre de la théorie éthologique de l’attachement (Ainsworth et al.
2015, Bowlby 1958, 1969, Rajecki et al. 1978 pour une revue) et notamment à partir d’une
version réadaptée de la Situation Etrange d’Ainsworth, initialement utilisée afin d’évaluer le
type d’attachement d’un bébé à sa mère. Cette situation standardisée permet d’observer la
manière dont l’enfant gère les épisodes de séparation et de réunion avec sa figure
d’attachement. Les résultats de ces études montrent que les chiens présentent des
comportements envers leur propriétaire qui ressemblent de très près à ceux rapportés chez les
enfants humains, ainsi que chez les chimpanzés (Ainsworth et al. 2015, Siniscalchi et al.
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Introduction générale
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2013, Stoeckel et al. 2014) : ils explorent et jouent plus en la présence de leur propriétaire, ils
présentent des comportements de stress en leur absence et une augmentation des
comportements sociaux envers le propriétaire au moment des retrouvailles (Rajecki et al.
1978, Topal et al. 1998, Palestrini et al. 2005, Prato-Previde et al. 2003, Palmer & Custance
2008, Gácsi et al. 2013). A partir de ces travaux, les auteurs ont déduit que les propriétaires
représentent une base sécure pour leur chien et que, suivant la définition de Bowlby (1958,
1969), les chiens sont liés à leur propriétaire par un lien d’attachement (Mariti et al. 2013,
Horn et al. 2013). En revanche, les loups élevés par l’homme bien que manifestant une
préférence pour leur figure de soins au moment des retrouvailles, ne présentent pas ce même
pattern comportemental (Virányi et al. 2002). Ces traits comportementaux seraient donc
spécifiques aux chiens.
Cependant, il est important d’insister sur le fait que les mesures utilisées pour définir le lien
propriétaire-chien sont basées sur la théorie de l’attachement humain-humain et donc que ces
mesures ne sont pas forcément adaptées ou pertinentes dans le cadre de la relation homme-
chien (Crawford et al. 2006). En effet, une première critique que nous pouvons formuler est
que les chiens sont testés à l’âge adulte dans ces études, contrairement aux enfants humains.
D’autre part, il est possible que les manifestions de stress du chien lors de l’épisode de
séparation, soient davantage liées au fait d’être laissé seul dans un environnement non
familier, qu’à la séparation d’avec le propriétaire. L’enfant, encore immature, est
probablement moins sensible au contexte environnemental.
Aussi, bien que de nombreux auteurs utilisent désormais le terme « d’attachement » pour
qualifier la relation entre un propriétaire et son chien, nous emploierons dans ce manuscrit de
thèse les termes de lien émotionnel ou encore de lien affectif de manière interchangeable, qui
nous semblent plus justes et plus prudents.
-
Introduction générale
22
II. La communication homme-chien (Canis familiaris)
L’environnement social du chien et ses expériences correspondent en partie à ceux de
l’enfant humain. La comparaison entre les nourrissons et les chiens soulève la possibilité
d’explorer comment deux espèces aux chemins évolutifs très différents, se comportent après
avoir été exposées à un environnement social similaire (Gomez 2005). Ainsi, les paradigmes
expérimentaux utilisés initialement pour étudier les capacités sociales et cognitives des
enfants en âge préverbal en psychologie du développement (Stern 1974, Murphy 1978, Leung
& Rheingold 1981) ont été repris pour évaluer les aptitudes des chiens à comprendre et à se
servir des indices de la communication humaine.
4. La communication et la reconnaissance des émotions
Dans les paragraphes qui suivent, nous nous sommes attachés à décrire les travaux qui
ont été réalisés sur la capacité des chiens à percevoir les expressions émotionnelles humaines
et inversement, la capacité des humains à identifier les expressions émotionnelles des chiens.
Cette capacité à percevoir et à reconnaitre les émotions d’autrui est une compétence sociale
fondamentale puisqu’elle permet de s’ajuster à l’autre, elle facilite les interactions
interpersonnelles, l’apprentissage social et les comportements empathiques (Wan et al. 2012).
C’est cette capacité qui va permettre aux individus de créer et/ou de maintenir des relations
sociales à long termes. Cette aptitude a donc une valeur adaptative très importante et elle est
au cœur du processus de communication (Albuquerque et al. 2016).
-
Introduction générale
23
La reconnaissance des émotions humaines par les chiens
Un aspect du lien affectif entre l’homme et le chien souvent cité par les propriétaires
est le fait que les chiens semblent s’ajuster à leurs états émotionnels, voire exprimer une
forme d’empathie (Vitulli 2006). Les études dans ce domaine montrent en effet que les chiens
sont sensibles aux signaux comportementaux humains (Téglás et al. 2012, Kaminski et al.
2012, Custance et al. 2012) et qu’ils parviennent à discriminer mais aussi à reconnaître les
émotions humaines à partir de différents canaux de communication (Albuquerque et al. 2016).
Les postures
Les chiens sont capables de discriminer des postures humaines agonistiques ou
affiliatives et ils vont adapter leurs réponses émotionnelles et comportementales en
conséquence : ils vont réagir par de l’évitement ou de l’agression si l’humain présente une
posture menaçante par exemple s’il avance rapidement et se penche au-dessus du chien et au
contraire, les chiens s’approcheront plus facilement de l’humain si celui-ci adopte une posture
non-menaçante (Vas et al. 2005)
La voix
De la même façon, les chiens sont capables de discriminer différentes tonalités
émotionnelles dans la voix humaine (Mills 2005, Ruffman & Morris-Trainor 2011). Ils vont
par exemple hésiter plus longtemps à aller chercher un morceau de nourriture si la commande
de ne pas y toucher est prononcée par l’humain sur un ton autoritaire, que lorsque la
commande est formulée avec une voix joyeuse (Mills 2005). Il a également été montré que les
chiens manifestent plus d’intérêt à l’écoute d’un enfant qui pleure qu’à l’écoute d’un enfant
qui rit ; ils montrent plus de comportements d’approche et d’inclinaisons de la tête (Ruffman
-
Introduction générale
24
& Morris-Trainor 2011). Ces travaux ont été par la suite repris par les auteurs pour tenter de
mettre en évidence une forme d’empathie interspécifique chez le chien (voir paragraphe sur
l’empathie).
Les expressions faciales
Les chiens se reposent essentiellement sur les expressions faciales humaines pour
juger de leur état émotionnel (Call et al. 2003, Gacsi et al. 2004, Viranyi et al. 2004) et ils
lisent les expressions faciales humaines de la même façon que le font les humains : le premier
regard est dirigé vers les yeux, quelle que soit par ailleurs l’émotion considérée (Somppi et al.
2016). Néanmoins, il semblerait que les chiens basent leur perception générale des
expressions faciales humaines sur la totalité du visage (Somppi et al. 2016)
Lorsqu’ils sont face à des photographies de visages humains (Nagasawa et al. 2011) ou face à
un humain mimant une expression émotionnelle (Deputte & Doll 2011), les chiens
reconnaissent, sélectionnent et réagissent significativement plus aux visages émotionnels
qu’aux visages émotionnellement neutres (comportements d’approche ou d’évitement,
réactions émotionnelles), qu’ils soient chiots ou adultes (Deputte & Doll 2011). En revanche,
seuls les chiens adultes réagissent significativement plus aux visages humains qui expriment
de la colère en évitant de les regarder et au contraire, sont très attentifs aux visages qui
expriment de la peur (Deputte & Doll 2011). Cela suggère qu’une exposition répétée aux
expressions faciales émotionnelles humaines au cours de l’ontogenèse permet au chien de
s’ajuster à l’état émotionnel de l’humain (Deputte & Doll 2011). Enfin, Morisaki (2009) a
montré que les chiens regardent leurs propriétaires plus longtemps lorsqu’ils regardent un film
comique que lorsqu’ils regardent un film triste, ce qui peut sembler contradictoire avec les
résultats de Ruffman et Morris-Trainor (2011) qui montraient que les chiens sont plus attentifs
aux pleurs qu’aux rires. Nous pouvons supposer que les réactions des chiens aux états
-
Introduction générale
25
émotionnels humains varient en fonction du canal communicationnel considéré (vocalisations
vs expressions faciales).
Intégration multimodale
Les chiens sont non seulement capables de discriminer les émotions humaines, mais
savent aussi les reconnaître (Albuquerque et al. 2016). En effet, lorsqu’on leur présente des
visages de congénères ou d’humains aux valences émotionnelles différentes (joyeux/joueur vs
en colère/agressif) associés à une vocalisation du même individu ayant une valence positive
ou négative, les chiens regardent significativement plus longtemps le visage dont l’expression
est congruente avec la valence de la vocalisation écoutée, à la fois pour les visages
conspécifiques et pour les visages hétérospécifiques (Albuquerque et al. 2016). Cette capacité
n’avait jusque-là été mise en évidence que chez l’humain (Albuquerque et al. 2016).
Cette aptitude des chiens à reconnaître les émotions humaines leur permet de s’ajuster à
l’humain (Custance & Mayer 2012, Turcsan 2015). Par exemple, les chiens s’approchent et
rapportent significativement plus en objet à leur propriétaire lorsque ce dernier a exprimé une
émotion positive vis-à-vis de cet objet comparé à une émotion neutre ou négative (dégoût,
peur) (Buttelmann & Tomasello 2013, Merola et al. 2014, Turcsan 2015). L’émotion
exprimée par l’humain a donc une valeur importante pour les chiens et ils savent en tenir
compte au sein de la relation.
Les premiers auteurs qui ont travaillé sur la possibilité pour un idividu d’une espèce de
se trouver dans le même état psycho-physiologique qu’un représentant d’une autre espèce,
dans le cadre des relations interspécifiques, ont abordé cette notion en étudiant le bâillement.
Les résultats de leurs travaux montrent que les chiens baillent en réponse aux bâillements de
l’humain (Joly-Mascheroni et al. 2008). Pour Romero et al. (2013), comme le bâillement est
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Introduction générale
26
connu pour moduler l’état d’éveil, la contagion du bâillement pourrait servir à coordonner les
interactions et la communication homme-chien. La question de l’empathie entre l’homme et le
chien a également été posée.
L’empathie
Les chiens présentent une perturbation émotionnelle lorsqu’ils sont face à une
personne exprimant une souffrance et ont tendance à tourner autour d’elle (Zahn-Waxler et al.
1992). Plus récemment, il a été mis en évidence que les chiens manifestent des réactions
comportementales significativement plus orientées vers une personne qui fait semblant de
pleurer, que lorsque cette même personne fredonne ou discute : ils la regardent, s’approchent
et la touchent davantage. Ces réactions sont similaires que ce soit leur propriétaire ou une
personne non familière (Custance & Mayer 2012).
Les chiens présentent également des réactions physiologiques en réponse aux états
émotionnels humains: leur niveau de cortisol augmente significativement à l’écoute de pleurs
de bébés humains et ils répondent aux pleurs en présentant des comportements mêlant
soumission et alerte (Yong & Ruffman 2014). De plus, une étude a mis en évidence que la
baisse de testostérone chez des hommes après une défaite dans une compétition d’agility
entraînait chez leurs chiens une augmentation de leur concentration de cortisol (Jones &
Josephs 2006). Cette relation hormonale serait néanmoins médiée par les comportements
punitifs ou affiliatifs des hommes envers leurs chiens juste après la compétition (Jones &
Josephs 2006). De la même façon, les activités de jeu dans lesquelles les propriétaires
disciplinent leurs chiens conduisent à une augmentation du niveau de cortisol chez le chien,
alors que les sessions de jeu impliquant des manifestations d’affection de la part du
propriétaire, provoquent une diminution du niveau de cortisol chez le chien (Horváth et al.
2008). Enfin, lorsque les chiens sont réunis avec une personne familière après quelques
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Introduction générale
27
minutes de séparation, ils deviennent plus actifs, remuent plus la queue et présentent une
augmentation d’ocytocine et une diminution du taux de cortisol (Rehn et al. 2014a).
Ces résultats suggèrent qu’il existe un phénomène de contagion émotionnelle entre l’homme
et le chien, et que ces derniers présenteraient des comportements empathiques envers
l’homme (Yong & Ruffman 2014).
La reconnaissance des émotions canines par les êtres humains
En revanche, il existe très peu de recherches sur les capacités de l’homme à décrypter
les expressions émotionnelles des chiens à travers leur langage corporel ou leurs expressions
faciales (Tami et al. 2009).
Les postures
Peu de travaux ont été réalisés sur la manière dont les humains perçoivent et
interprètent les postures du chien, mais une étude utilisant l’imagerie cérébrale (IRM) montre
que les experts en comportement canin, contrairement aux non-experts, distinguent et traitent
de la même façon le plan neuronal les postures corporelles humaines et canines (Kujala et
al.2012).
Les vocalisations
A l’écoute de vocalisations de chiens, et sans indices visuels, les êtres humains sont
capables d’identifier l’état affectif d’un chien ainsi que le contexte dans lequel a été réalisé
l’enregistrement (Pongrácz et al. 2005a, 2006, 2011). Il semblerait que même des enfants de 6
mois montrent une capacité à associer des aboiements agressifs et non agressifs avec
-
Introduction générale
28
l’expression faciale correspondante (Flom et al. 2009), ce qui suggère que cette sensibilité se
développe très tôt au cours du développement.
Les expressions comportementales
Une étude de Tami et al. (2009) montre que certains comportements canins comme
l’agression ou le jeu sont mal interprétés par les individus humains, qu’ils soient propriétaires
de chiens ou non. Cette étude indique aussi que les participants se basent essentiellement sur
les mouvements de la queue pour interpréter un comportement.
D’autres études montrent que la plupart des propriétaires sont capables d’identifier lorsque
leur chien est stressé (Mariti et al. 2012) cependant ils semblent s’appuyer sur des
manifestations aigues du stress comme les tremblements, les aboiements intempestifs,
beaucoup de signaux plus « subtils », qui arrivent en général dans les premières phases du
stress, ne sont pas relevés comme le fait de détourner le regard, de bailler et le léchage de
truffe (Mariti et al. 2012). D’après les auteurs, beaucoup de propriétaires tireraient bénéfices
de cours d’éducation pour améliorer leur capacité à interpréter les comportements de leur
chien (Mariti et al. 2012).
Les expressions faciales
Les humains sont capables de classifier de manière non aléatoire les émotions d’un
chien à partir de photographies d’expressions faciales, prises dans différentes situations
émotionnelles (Bloom & Friedman 2013). Leurs jugements ne sont pas influencés par leur
degré expérience avec les chiens (Bloom & Friedman 2013), ce qui suggère que
l’apprentissage ne joue pas un rôle essentiel dans la perception des expressions faciales,
contrairement à ce qui a été observé dans l’interprétation des postures (Kujala et al. 2012).
Cependant, certaines expressions émotionnelles canines sont plus difficilement identifiables
-
Introduction générale
29
par les humains comme la surprise ou le dégoût (Bloom & Friedman 2013). De même,
l’expression faciale neutre du chien est souvent interprétée à tort comme de la joie (Bloom &
Friedman 2013).
D’autre part, les humains ont tendance à catégoriser les expressions faciales en termes
d’émotion, ce qui peut affecter les comparaisons qui sont réalisées entre espèces (Waller et al.
2013). Par exemple, le fait de lever les sourcils chez l’humain est associé à une émotion de
tristesse, alors que les chiens manifestent ce mouvement lorsqu’ils sont attentifs à quelque
chose. Il a été mis en évidence par ailleurs que les humains sont sensibles à cette expression
faciale chez le chien, probablement parce qu’ils imaginent que le chien est triste (Waller et al.
2013).
5. La communication gestuelle et visuelle
Les études dans le domaine de la communication homme-chien montrent que les
chiens ont une capacité remarquable à utiliser les gestes des humains et à décoder l’attention
visuelle humaine (Topál et al. 2009, Kaminski et al. 2009, Lakatos et al. 2012). Nous pouvons
en effet constater qu’ils sont devenus des objets de recherche importants pour les cognitivistes
et tendent à supplanter les chimpanzés comme modèles (Bloom 2004). Ces compétences ne
semblent pas avoir été héritées de leurs ancêtres puisque lorsqu’on compare des loups élevés
par l’homme et des chiens, les loups ne sont pas aussi compétents que les chiens dans la
compréhension et l’utilisation des indices de la communication sociale humaine (Hare et al.
2002, Miklosi et al. 2003).
-
Introduction générale
30
La communication référentielle
Le pointage
Afin de mettre en valeur ces compétences sociocognitives interspécifiques, les auteurs
ont très souvent eu recours au paradigme du choix d’objet dans lequel un humain cache de la
nourriture dans un contenant parmi d’autres, hors de la vue du chien, et indique ensuite à ce
dernier où se situe la nourriture un pointant le contenant du doigt « pointing gesture »
(Miklósi & Soproni 2006). Les chiens sont très compétents dans l’utilisation de ce geste de
pointage, bien plus que les chimpanzés (Itakura & Tanaka 1998, Miklosi et al. 2003, Hare &
Tomasello, 2005) et dès le premier essai, ce qui suggère que ce n’est pas le résultat d’un
apprentissage au cours de la tâche (Buttelmann et al. 2006, Dorey et al. 2010). Même les
chiots sont capables d’utiliser le pointage (Kaminski et al. 2012).
Le regard
De plus, les chiens sont capables d’utiliser des indices plus subtils comme
l’orientation, l’inclinaison ou le hochement de tête, voire même un simple coup d’œil
(Duranton et al. 2016, Soproni et al. 2001, Udell et al. 2008). Les loups sont bien moins
compétents dans l’utilisation des signaux visuels humains tout simplement parce qu’il est bien
plus difficile d’établir un contact visuel avec un loup (Miklósi et al. 2003, Gácsi et al. 2005,
Virányi et al. 2006). Les chiens sont plus enclins à regarder l’humain dans les yeux (Miklosi
et al. 2003)
Comme les nourrissons humains (Povinelli et al. 1999) et contrairement aux chimpanzés, les
chiens sont capables de faire la distinction entre des comportements intentionnels humains,
comme le fait de diriger le regard vers un objet cible et d’autres comportements similaires
comme regarder en direction d’un objet mais sans le regarder directement (Soproni et al.
-
Introduction générale
31
2001). Dans ce dernier cas, les chiens et les nourrissons ignorent le regard de l’humain
(Povinelli et al. 1999, Soproni et al. 2001). Il semblerait justement que ce soit le contact
visuel entre l’humain et le chien qui permette aux chiens de déterminer si le geste est
intentionnel ou non (Kaminski et al. 2012).
En outre, face à une tâche qu’ils n’arrivent pas à résoudre comme ouvrir une boite fermée à
clé pour obtenir une récompense, les chiens vont abandonner plus rapidement que les loups et
chercher la solution en se tournant vers l’humain, tandis que les loups vont persévérer et
réussir par eux-mêmes (Miklosi et al. 2003, Passalacqua et al. 2011). En effet, comme le font
les jeunes enfants d’environ un an, les chiens ont tendance à utiliser le contact visuel et
l'alternance de regard entre l’objet cible et l’humain car ce dernier représente pour eux une
aide potentielle (Marshall-Pescini et al. 2013). Finalement, ce comportement de regard dirigé
vers l’humain aurait ouvert la voie à l’émergence de compétences relationnelles complexes
chez le chien (Miklosi et al. 2003, Miklosi et al. 2004).
Apprentissage par observation
Le chien serait aussi capable d’un apprentissage par observation (Kubinyi et al. 2009,
Pongrácz et al. 2005b, Topál et al. 2006), c’est-à-dire qu’il peut apprendre un comportement
en observant l’humain. Ainsi, un chien peut reproduire des séquences d’actions après avoir
observé un expérimentateur les réaliser, comme par exemple déplacer une bouteille d’un
endroit à un autre (Topál et al. 2006). Cela signifie que les chiens sont capables d’acquérir des
compétences par observation, qui augmentent leur performance dans des situations
complexes.
Le propriétaire exerce une influence sur les performances du chien, par exemple dans
une tâche de discrimination de quantité de nourriture les chiens vont choisir significativement
-
Introduction générale
32
plus la petite quantité si leur propriétaire s’approche de cette assiette et manifeste son
enthousiasme par une exclamation vocale positive (Marshall-Pescini et al. 2011, 2012). De
même, si les deux quantités sont égales les chiens vont choisir celle que leur propriétaire aura
préférée. Ainsi, les chiens non seulement réclament l’aide de leur propriétaire lorsqu’ils
présentent des difficultés à résoudre des tâches (Miklosi et al. 2003) mais ils délèguent
également la prise de décision à leur propriétaire dans des situations où cela est
potentiellement contreproductif pour eux (Prato-Previde & Marshall-Pescini 2008, Marshall-
Pescini et al. 2011, 2012).
Théorie de l’esprit
De même, les chiens sont sensibles à l’état attentionnel humain et adaptent leur
comportement en conséquence : ils voleront davantage une nourriture qu’on leur aura interdit
de manger si l’humain ne peut pas les voir (Bräuer et al. 2004, Kaminski et al. 2009) ou s’il
n’est pas attentif à la situation (yeux fermés, dos tourné ou distrait par un jeu vidéo) (Call et
al. 2003, Brauer et al. 2004, Gácsi et al. 2004, Schwab & Huber 2006, Virányi et al. 2004).
Au contraire, ils réclameront préférentiellement de la nourriture à un individu qui peut les voir
comparé à un individu qui a une vue obstruée (Cooper et al. 2003, Gacsi et al. 2004), ce qui
suggère que les chiens sont aussi sensibles à la perspective visuelle humaine.
Pour Topál et al. (2014), deux hypothèses peuvent expliquer l’apparition de ces compétences,
hypothèses qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre : 1) l’hypothèse du produit dérivé (« the
by-product ») soutient que la sélection des chiens sur leur « docilité » a ouvert la voie à
l’évolution d’autres compétences cognitives, dont la capacité des chiens à lire les indices de la
communication humaine. Cette hypothèse est soutenue par une expérience réalisée sur des
renards, dont les résultats montrent qu’après une sélection intensive à partir d’un critère de
docilité, les renards présentaient des similarités comportementales avec les chiens
-
Introduction générale
33
domestiques (Trut 1999, Kukekova et al. 2012) : ils réclamaient activement le contact
humain, ils reniflaient et léchaient les humains et gémissaient pour attirer leur attention. Les
résultats montrent aussi que les renards apprivoisés ont développé des compétences cognitives
humaines qu’on ne retrouve pas chez le groupe contrôle. 2) L’hypothèse alternative est celle
de l’adaptation, qui stipule que les humains ont activement sélectionné les chiens justement
sur leur habileté exceptionnelle à utiliser les signaux de la communication humaine. Cette
hypothèse est soutenue par le fait que des chiots avec seulement une petite expérience de
l’humain réussissent aussi bien à utiliser des indices de la communication humaine comme le
pointage ou le regard, que des chiots habitués à être au contact d’humains (Kaminski et al.
2012). Pour d’autres auteurs, il y a peu de preuves scientifiques concernant le fait que la
sensibilité des chiens aux actions et aux intentions humaines soit une adaptation particulière
ou un cas de « co-évolution » (Hare et al. 2002, Schleidt & Schalter 2003). En effet, cette
sensibilité n’est pas présente chez l’ensemble de la population canine et n’est pas non plus
présente, comme évoqué précédemment, chez les loups socialisés par l’homme. Ainsi, des
auteurs comme Udell et al. (2010) proposent que cette aptitude de quelques chiens et de très
peu de loups à répondre au comportement humain est davantage l’expression de processus
basique de conditionnement opérant sur des animaux qui ont été socialisés et rendus
complètement dépendant des êtres humains.
Lorsque les humains communiquent avec les chiens, ils combinent spontanément les
signaux gestuels et verbaux (Bedossa & Deputte 2010, Miklósi & Topál 2013, Miklósi 2014).
Ainsi, peu d’études ont exploré de manière indépendante la pertinence de la communication
vocale dans les interactions homme-chien.
6. La communication verbale : interface entre cognition et émotions
-
Introduction générale
34
Aspects cognitifs
Les recherches dans ce domaine ont essentiellement tenté d’explorer ce que les chiens
pouvaient comprendre du langage humain et quelle influence les indices verbaux humains
pouvaient avoir dans la compréhension de tâches cognitives et communicationnelles par le
chien (aspect cognitif) (Kaminski & fischer 2004, Pilley & Reid 2011, Fukuzawa et al. 2005,
Gibson et al. 2014, Scheider et al. 2011, Pongrácz et al. 2001, 2004, 2005a).
La sémantique
Les chiens seraient capables d’apprendre à reconnaître et à utiliser plusieurs centaines
de mots ; nénamoins cela n’a été mis en évidence à ce jour que chez deux Border Collie :
Kaminski et fischer (2004) ont entraîné Rico à apprendre 200 noms d’objets et ils ont montré
que Rico était capable de « fast mapping », c’est-à-dire de formuler des hypothèses rapides et
approximatives sur le sens d’un nouveau mot, en une seule exposition, comme le font les
jeunes enfants lorsqu’ils commencent à acquérir le langage (Kaminski & fischer 2004). De la
même façon, Pilley et Reid (2011) ont montré que Chaser, un autre Border Collie, était
capable de retenir 1022 noms d’objets et d’acquérir une compréhension référentielle des
noms, une habileté qu’on n’avait jusque-là attribuée uniquement aux enfants humains. Cette
compétence comprend: (a) la conscience que les mots peuvent faire références à des objets,
(b) la conscience qu’il existe des indices verbaux qui cartographient les mots sur les objets
référents et (c) la conscience que les noms peuvent faire référence à des objets uniques ou à
des catégories d’objets, indépendamment des comportements dirigés vers ces objets.
La prosodie : l’intonation comme renforçateur du signal
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Introduction générale
35
Darwin (1859) mentionne l’idée qu’il existe des propriétés acoustiques universelles
qui sont utilisées pour communiquer des informations contextuelles ou affectives similaires
entre espèces. Morton proposera plus tard (1977) que les sons aigus dans les répertoires de
nombreuses espèces de mammifères sont associés à des motivations affiliatives ou de
soumission alors que les sons graves/rudes sont associés à une motivation agressive,
menaçante.
L’audiogramme des chiens s’étend de 47 à 44 000 Hz ; ils sont sensibles aux fréquences
hautes puisque la fréquence la plus nette pour le chien se situe autour de 8000 Hz (Heffner
1998) alors qu’elle est de 4000 Hz pour l’humain. Plusieurs auteurs se sont intéressés à l’effet
des tonalités de la voix humaine sur les performances du chien dans des tâches de cognition
sociale. Les travaux dans ce domaine montrent que les réponses comportementales des chiens
ainsi que leurs performances, semblent être influencées à la fois par les qualités vocales du
discours humain et par les caractéristiques acoustiques.
Tout d’abord, les chiens répondent bien moins à des commandes enregistrées puis diffusées,
qu’à des commandes formulées directement par la personne ; probablement car les qualités
acoustiques ne sont pas strictement les mêmes : il y a une perte des fréquences les plus hautes
et des fréquences les plus basses dans les enregistrements (Fukuzawa et al. 2005). De plus, les
chiens respectent moins bien une consigne lorsque la voix qui l’ordonne est déshumanisée
(voix robotique) comparée à une voix humaine normale (Gibson et al. 2014).
Ensuite, les chiens sont sensibles aux caractéristiques acoustiques du signal vocal, que le son
soit une commande énoncée par un humain ou simplement une tonalité émise par un
instrument (e.g. un sifflet ou une enceinte). Des auteurs ont montré par exemple que les
tonalités basses (une longue note descendante) sont efficaces pour faire assoir ou attendre les
-
Introduction générale
36
chiens, alors que des fréquences hautes (4 notes courtes d’une modulation de fréquence
ascendante) encouragent les chiens à venir (McConnell & Baylis, 1985; McConnell, 1990)
Les tonalités influencent également les performances des chiens dans des tâches de recherche
de nourriture (Pettersson et al. 2011, Scheider et al. 2011). Par exemple, Scheider et al.
(2011) ont utilisé une tâche de localisation de nourriture cachée dans laquelle
l’expérimentatrice pointait avec son doigt là où se situait la nourriture et alternait son regard
entre le chien et la localisation 3 fois en énonçant simultanément le mot « da » (ce qui signifie
« ici » en allemand) avec soit une voix aigüe et amicale (condition appelée « essais
informatifs ») soit avec une tonalité fortement impérative (condition appelée « essais
impératifs »). Les résultats montrent que les chiens cherchent plus dans les essais informatifs
avec la voix aigüe et amicale comparés aux essais avec la tonalité impérative où les chiens
avaient tendance à répondre à l’ordre en s’asseyant. De la même façon, Téglás et al. (2012)
ont mené une étude dans laquelle ils présentaient à des chiens des extraits vidéo d’une
expérimentatrice tournant la tête vers un objet. Ils enregistraient les patterns de regard des
chiens grâce à un dispositif de suivi de regard (eye-tracking). Ils ont montré que les chiens
suivaient significativement plus le regard de l’expérimentatrice lorsque celle-ci exprimait une
intention de communication par un contact visuel avec le chien et en s’adressant à lui avec
une voix aigüe, avant de tourner la tête d’un côté ou de l’autre. Ces mêmes résultats ont été
rapportés dans une étude de Senju et Csibra (2008) avec des enfants d’âge préverbal (
-
Introduction générale
37
intonatives du discours employé par les humains pour s’adresser aux chiens permettraient de
diriger l’attention de ces derniers et influenceraient leurs inférences et interprétations dans les
interactions avec l'humain (Topál et al. 2014). Cela induirait un comportement de « prêt à
apprendre » ou « prêt à obéir » chez le chien (Topál et al. 2014).
En conclusion, un grand nombre de chercheurs se sont focalisés sur les capacités cognitives
du chien à comprendre et à utiliser les signaux visuels et acoustiques de la communication
humaine, qu’il s’agisse des expressions faciales, du regard, du pointage ou de l’intonation. En
revanche, peu d’études ont exploré les interactions naturelles et spontanées entre l’homme et
le chien ainsi que le rôle de la communication vocale dans la formation du lien affectif entre
les deux protagonistes.
Aspects affectifs
Les auteurs qui ont exploré la communication vocale dans le cadre de la relation
affective entre l’homme et le chien, ont mis en évidence un registre bien particulier utilisé par
les propriétaires lorsqu’ils s’adressent à leur animal appelé le Pet-Directed-Speech (PDS) ou
doggerel, que l’on pourrait traduire en français par « discours adressé à l’animal de
compagnie ». Les auteurs s’accordent pour dire que le PDS est très similaire à l’Infant-
Directed-Speech (IDS) ou motherese, c’est-à-dire le discours adressé aux nourrissons. Ces
aspects affectifs de la communication vocale homme-chien sont développés dans la section ci-
après.
Afin de faciliter la lecture et d’éviter les redondances dans les termes utilisés, nous utiliserons
les abréviations suivantes : « PDS » pour Pet-Directed-Speech, « IDS » pour Infant-Directed-
Speech et « ADS » pour Adult-Directed-Speech. Nous conserverons les terminologies
anglophones qui sont plus répandues que leurs traductions françaises.
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Introduction générale
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7. La communication homme-chien de compagnie : similarités entre PDS et IDS
La communication parents-bébé : l’IDS
Lorsque les humains s’adressent à des nourrissons et en particulier les parents à leur
bébé, ils emploient un registre bien particulier que les auteurs appellent l’Infant-Directed-
Speech (IDS) ou baby-talk ou encore motherese (Fernald & Simon 1984, Trainor et al. 2000,
Prato-Previde et al. 2006). Ce registre est caractérisé par une fréquence fondamentale (f0)
élevée, une intonation montante et d’importantes modulations de fréquence, comparé à l’ADS
(Fernald 1989, 1992a, Saint-Georges et al. 2013). Ces qualités acoustiques auraient pour but
de capter l’attention du nourrisson pour initier ou maintenir une interaction (Topál et al. 2014)
et de transmettre un message émotionnel (Fernald 1989, Singh & Morgan 2002, Saint-
Georges et al. 2013). De plus, les paramètres syntaxiques du discours adressé au bébé : des
phrases courtes, des verbes conjugués au présent et de nombreuses répétitions, faciliteraient
l’acquisition du langage par ce dernier (Papousek & Papousek 1981, Fernald 1989, Naoi et al.
2012, Saint-Georges et al. 2013, Xu et al. 2013). Le mode de communication employé par les
parents est qualifié par Newport (1975) de « deixis conversationnelle », c’est-à-dire que les
parents parlent à leur bébé d’objets présents, d’actions qui se déroulent au moment de
l’interaction, c’est en quelque sorte « maintenant, ici, toi et moi » (Snow, 1972, 1977).
Les caractéristiques de l’IDS varient selon le contexte de l’interaction et le type d’information
que l’émetteur souhaite transmettre (Newport et al. 1977, Fernald 1989, Papoušek et al. 1990,
1991, Trainor et al. 1997, 2000). Les études montrent que lorsque le parent souhaite exprimer
son accord ou attirer l’attention du nourrisson, il présentera de larges modulations de
fréquences, tandis que lorsque celui-ci souhaite apaiser son bébé il utilisera une voix basse
aux intonations descendantes ; enfin lorsqu’il souhaite prohiber un comportement il adoptera
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Introduction générale
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une voix basse sans modulation de fréquence (Fernald 1989, Papoušek et al. 1991, Fernald &
Mazzie 1991, Katz et al. 1996). Cette adaptation des caractéristiques acoustiques du discours
au contexte de l’interaction met en valeur la fonction communicative et informationnelle de
l’IDS.
Les nourrissons montrent une préférence marquée pour l’IDS (Cooper & Aslin 1994): ils ont
un temps de regard plus important à l’écoute de l’IDS comparé à l’ADS, ils dirigent la tête en
direction d’une source utilisant l’IDS plutôt que l’ADS (McRoberts et al. 2009, Dunst et al.
2012, Song et al. 2010) et ils se souviennent davantage et regardent plus longtemps un adulte
qui leur parle en IDS plutôt qu’en ADS (Schachner & Hannon 2011).
La communication propriétaire-chien de compagnie : le PDS
Présentation des études sur le PDS
D’un point de vue purement linguistique, les auteurs ont montré que la manière dont
les propriétaires parlent à leur chien (PDS) est similaire sur le plan syntaxique à l’IDS (Hirsh-
Pasek et Treiman 1982, Rogers et al. 1993, Mitchell et Edmonson 1999, Mitchell 2001):
utilisation de questions et d’impératifs plus importante que l’emploi des phrases déclaratives,
de nombreuses répétitions, des phrases courtes avec des verbes conjugués au présent. Ils ont
tendance à énoncer plusieurs fois le nom de leur chien dans une même phrase et ils utilisent
des interjections pour capter son attention. Mitchell (2001) note néanmoins que la présence de
phrases déictiques1 dans l’IDS est plus fréquente que dans le PDS.
1 Les déictiques sont des éléments de discours qui relèvent du contexte de l'énonciation et qui se rapportent à
trois paramètres : l’identité du locuteur, le temps, et le lieu de l’énonciation (Newport, 1975).
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Parallèlement, d’autres auteurs ont étudié les paramètres acoustiques et phonémiques du PDS
et ils les ont comparés à ceux de l’IDS et de l’ADS (Burnham et al. 1998, 2002). Ils ont
également comparé ces trois types de discours du point de vue leur contenu affectif (Burnham
et al. 1998, 2002). Les résultats de leurs études montrent que : a) le PDS et l’IDS ont une
fréquence fondamentale plus élevée que l’ADS, b) l’IDS contient une hyperarticulation de
voyelle qui est absente dans le PDS et l’ADS (notons cependant que cette différence entre
PDS et IDS n’apparaissait pas dans leur étude de 1998) et c) IDS et PDS ont un contenu
affectif plus important que l’ADS, mais PDS et IDS se distinguent néanmoins sur cette
dimension puisque l’IDS est perçu comme ayant plus d’affects que de directives, tandis que le
PDS est perçu comme ayant des niveaux d’affects et de directives équivalents.
Les similarités entre le PDS et l’IDS s’expliquent probablement par le fait que dans les deux
cas, les émetteurs sont face à un récepteur dont l’attention est facilement distraite, d’où la
nécessité de contrôler son attention et son comportement en orientant le discours sur un objet
ou une activité (Mitchell & Edmonson 1999, Mitchell 2001). Ensuite, dans les deux cas,
l’émetteur souhaite exprimer de l’affection et de la bienveillance (Mitchell & Edmonson
1999, Mitchell 2001, Burnham et al. 2002, Hirsh-Pasek et Treiman 1982, Rogers et al. 1993).
Rogers et al. (1993) montrent aussi que les propriétaires âgés considèrent leur chien comme
un compagnon conversationnel. PDS et IDS diffèrent en revanche selon les auteurs, par le fait
que l’adulte qui s’adresse au nourrisson souhaite lui inculquer le langage verbal, d’où cette
tendance à nommer les objets et à hyper-articuler, qu’on ne retrouve pas dans le PDS (Hirsh-
Pasek et Treiman 1982, Burnham et al. 2002).
Limites des études sur le PDS
Les travaux qui ont été menés jusqu’ici sur le PDS présentent quelques lacunes : 1) les
études ont été réalisées sur des échantillons très faibles d’individus : 9 femmes dans l’étude de
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Burnham et al. (2002), 4 dans l’étude de Hirsh-Pasek & Treiman (1982), 6 dans l’étude de
Rogers et al. (1993) et 24 dans l’étude de Mitchell & Edmonson (1999). 2) Chaque étude a
étudié le PDS dans un seul contexte, et/ou les auteurs n’ont pas comparé l’emploi du PDS
dans différents contextes d’interactions contrairement aux travaux réalisés sur l’IDS (Newport
et al. 1977, Fernald 1989, Papoušek et al. 1990, 1991, Trainor et al. 1997, 2000). 3) Les
auteurs se sont focalisés soit uniquement sur les paramètres linguistiques, soit uniquement sur
les caractéristiques acoustiques du discours, n’offrant pas une analyse complète de ce registre.
4) Contrairement aux études réalisées dans le domaine de la communication parents-bébé, les
auteurs n’ont pas exploré les préférences des chiens à l’égard du PDS ou de l’ADS. Aussi,
l’hypothèse formulée par plusieurs auteurs suivant laquelle le PDS permettrait d’attirer
l’attention du chien dans l’interaction (Topál et al. 2014, Mitchell & Edmonson 1999,
Mitchell 2001) n’a pas été vérifiée expérimentalement.
Nous avons ainsi menées deux études, correspondant aux chapitres I et III de cette
thèse, afin de répondre aux questions suivantes: 1) les propriétaires adaptent-ils leur PDS en
fonction de la situation d’interaction ? 2) les chiens manifestent-ils plus d’attention à l’écoute
du PDS et de l’IDS, comparés à l’ADS?
La dernière partie de cette introduction sera consacrée à l’étude du traitement neuronal
de la communication vocale humaine par le chien. La comparaison des mécanismes
neuronaux humains et non humains dans le traitement du langage parlé permet de mieux
comprendre comment les asymétries hémisphériques et les représentations lexicales ont
émergées au cours de l’évolution (Andics et al. 2016). Les chiens représentent un modèle
idéal puisqu’au niveau de l’environnement social l’homme et le chien sont très proches et
leurs vocalisations sont familières, alors que sur le plan phylogénétique, ils sont distants.
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8. Traitement du langage humain par le chien
Chez l’homme, nous savons que l’Hémisphère Gauche (HG) est préférentiellement
utilisé pour traiter les vocalisations conspécifiques alors que l’Hémisphère Droit (HD) est
spécialisé dans le traitement des vocalisations hétérospécifiques (Bradshaw & Rodgers 1993).
De la même façon, chez le chien les vocalisations de congénères sont traitées par l’HG
(Bidois 2005) tandis que les sons hétérospécifiques, comme un son de tonnerre, sont traités
par l’HD (Siniscalchi et al. 2008, Quaranta et al. 2008).
Des auteurs ont récemment étudié la manière dont les vocalisations humaines, autrement dit
des vocalisations hétérospécifiques familières, sont traitées par les chiens. Dans un premier
temps, des recherches ont montré qu’il existe des zones spécialisées dans le traitement de la
voix chez le chien et que celles-ci montrent un pattern similaire à celui des zones temporales
antérieures qui traitent la voix chez l’homme (Andics et al. 2014). De même, des régions
sensibles à la valence émotionnelle des vocalisations ont été mises en évidence aux mêmes
endroits chez l’homme et chez le chien dans des zones auditives non primaires, attestant
d’une dominance de l’HD dans le traitement des vocalisations émotionnelles (Andics et al.
2014). Les deux espèces présentent par ailleurs une activité neurologique plus importante
dans le cortex auditif lorsqu’ils entendent des vocalisations à valence émotionnelle positive vs
neutre ou négative (Andics et al. 2014).
Ainsi, chiens et humains traitent les voix et les émotions similairement. Cette similarité
neurologique pourrait expliquer ce qui rend la communication vocale entre l’homme et le
chien efficiente et pourquoi les chiens réagissent aux émotions de leurs propriétaires
(Custance & Mayer 2012). Les auteurs concluent que les chiens saisissent ce que nous
ressentons en traitant les sons que nous produisons (Andics et al. 2014)
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Ratcliffe et Reby (2014) ont exploré la présence de biais hémisphériques chez le chien de
compagnie en réponse aux différents composants communicationnels du langage humain.
Pour cela, ils ont utilisé le paradigme de l’orientation de la tête: un son est diffusé
simultanément par deux hauts parleurs symétriquement opposés (gauche/droite), si le chien
tourne la tête à gauche c’est que le son diffusé est traité par l’hémisphère droit et vice et versa.
Les stimuli utilisés étaient des extraits de discours humains et des tonalités manipulés
expérimentalement, qui différaient sur le plan segmentaire (phonèmes) et supra-segmentaire
(intonation et indices relatifs au locuteur comme l’âge ou le sexe). Les résultats de cette étude
montrent d’une part que les chiens présentent un biais de l’HG lorsqu’ils entendent une
commande familière dont les phonèmes sont connus et ont été rendus saillants
artificiellement. D’autre part, les chiens présentent un biais de l’HD lorsqu’ils entendent une
commande familière et que l’accent est mis sur les signaux relatifs au locuteur et à
l’intonation du discours (valence émotionnelle). Ainsi, les auteurs concluent que les chiens
dissocient et traitent les composants communicationnels du discours humain de la même
façon que le font les humains : l’HG est spécialisé dans le traitement du contenu phonémique
intelligible (segmentaire) (Kimura 1961, Jerger & Martin 2004, McGettigan et al. 2012),
tandis que l’HD est plus sensible aux indices prosodiques (suprasegmentaire) (Belin et al.
2002, Lattner et al. 2005). Cette étude a permis de donner un aperçu des mécanismes de la
perception vocale interspécifique chez un mammifère domestique et suggère que les chiens
présentent des spécialisations hémisphériques convergentes avec les humains dans le
traitement des différents composants communicatifs fonctionnels.
Plus récemment, une étude d’Andics et al. (2016) a montré que les chiens prêtent attention à
ce que nous disons et à la façon dont nous le disons. Ils ont montré que les chiens présentent
un biais hémisphérique gauche dans le traitement des mots qui ont du sens pour eux, quelle
que soit l’intonation, et au contraire un biais hémisphérique droit dans le traitement des
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intonations émotionnelles quel que soit le sens du mot. En outre, les mots « affectueux
(praises), quelle que soit l’intonation, étaient davantage traités par l’hémisphère gauche,
tandis que les mots neutres n’activaient pas un hémisphère préférentiellement. Enfin, ces
chercheurs ont montré que les régions du système de récompense s’activaient uniquement
dans la condition « mots affectueux avec une intonation joyeuse » suggérant que les chiens
combinent les indices sémantiques et acoustiques dans le traitement du discours humain.
A partir des résultats de ces travaux, nous avons exploré si l’ADS et le PDS, discours qui
diffèrent significativement à la fois d’un point de vue prosodique et syntaxique, font l’objet
d’un traitement hémisphérique différentiel chez le chien. Cette partie constitue le 4e chapitre
de cette thèse.
9. Objectifs de cette thèse de doctorat
L’objectif général de cette thèse de doctorat sera d’apporter des éclaircissements sur la
manière dont l’homme et le chien de compagnie, deux espèces différentes vivant sous le
même toit, parviennent à communiquer et à former un tel lien émotionnel: l’une
communiquant au moyen d’un langage verbal, l’autre n’en ayant une compréhension que
partielle. La question principale sera de comprendre: « pourquoi la plupart des propriétaires
occidentaux s’adressent-ils à leur chien de compagnie en utilisant le Pet-Directed-Speech
(PDS) ? ». Autrement dit, y a-t’il un intérêt à parler à un chien de cette manière ? Nous
tenterons de répondre à cette question à travers quatre études:
(1) la première étude, correspondant au chapitre I de cette thèse, aura pour objectif de
déterminer si le PDS est un registre unique et invariant ou s'il est utilisé par les propriétaires
comme un moyen de communication, et donc variable selon le type d’informations
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transmises. Pour cela, nous étudierons la manière dont les propriétaires parlent à leur chien
dans différents contextes d'interaction.
(2) La deuxième étude, correspondant au chapitre II de ce manuscrit, aura pour
objectif d’apporter des informations sur la manière dont les chiens traitent le langage humain
et en particulier de rechercher s’il existe un traitement hémisphérique différentiel entre le PDS
et l’ADS observable à travers l’orientation comportemental du chien.
(3) La troisième étude, correspondant au chapitre III de cette thèse, aura pour objectif
d'explorer si les chiens sont plus réceptifs au PDS qu’à l’ADS et en ce sens, de déterminer si
le PDS contribue à l’efficacité de la communication homme-chien.
(4) La quatrième étude, correspondant au chapitre IV de cette thèse aura pour objectif
(i) d’explorer la capacité des êtres-humains à identifier les signaux attentionnels et
émotionnels des chiens dans différentes situations et (ii) de déterminer si le degré
d’expérience avec les chiens à une influence dans cette habileté. Cette dernière étude est
directement liée à la précédente et devra ainsi se lire comme la suite du chapitre III.
10. Présentation du modèle d’étude
Origines du chien
Le chien domestique (Canis familiaris) est une espèce appartenant à la famille des
canidés (Canidae). Malgré leur grande diversité à la fois morphologique et comportementale,
toutes les races de chiens modernes seraient issues du même ancêtre, le loup gris (Canis
lupus) (Wayne 1993, Lindblad-Toh et al. 2005). En effet, les chiens et les loups sont deux
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espèces complètement inter-fertiles, elles ne différent que sur 0,2% de leur ADN
mitochondrial (Wayne 1993). En revanche, les origines géographiques et temporelles du chien
restent controversées. Plusieurs auteurs ont daté l’apparition du chien au paléolithique
supérieur (il y a environ 30.000) (Thalmann et al. 2013, Germonpré et al. 2012). Une nouvelle
étude menée par Frantz et al. (2016) unissant zoo-archéologues et paléo-généticiens a produit
des séquences génétiques de 59 chiens primitifs ainsi que le génome complet d’un chien
datant de la fin du néolithique (~4800 ans) provenant d’Irlande : leurs analyses ont révélé un
écart important séparant les chiens modernes d’Asie de l’Est et de l’Ouest Eurasien, suggérant
que le chien est le résultat non pas d’une mais de deux domestications indépendantes de
populations