universite d’antananarivo faculté de droit, d’economie, de
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MEMOIRE DE MAITRISE EN SCIENCES ECONOMIQUES
LA FRAUDE FISCALE AU NIVEAU DES MICRO ENTREPRISESA MADAGASCAR
Mémoire constitué par : RASOLONIRINA HélénaSous la direction de : Dr. RAJAONSON Hugues
Date de soutenance : 06 Février 2005-
UNIVERSITE D’ANTANANARIVOFaculté de Droit, d’Economie,
De Gestion et de Sociologie
Département ECONOMIESecond cycle - promotion sortante
REMERCIEMENTS
Mes hommages et ma profonde gratitude à :
- Monsieur RAKOTOBE Pascal, Président de l’Université d’Antananarivo- Monsieur RAKOTOARISOA Rado ZOHERILAZA, Doyen de la Faculté de Droit,
d’Economie, de Gestion et de Sociologie- Monsieur RAVELOMANANA, Chef de Département de la filière Economie- Tout le personnel administratif
Qui m’ont permis de poursuivre mes études au sein de cette honorable Université.
Mes remerciements les plus sincères et ma profonde reconnaissance à mon encadreur, DR. RAJAONSON Hugues, enseignant au Département Economie, qui n’a pas su ménager ses efforts pour me prêter avec dévouement son aide, son assistance précieuse , que je ne pourrais pas ignorer, ainsi que ses conseils bienveillants sans lesquels le présent dossier n’aurait été constitué.
J’aimerais aussi exprimer ma reconnaissance pour ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation de ce document.
A TOUTES ET A TOUS , MERCI !
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
CHAPITRE I : LE MODELE THEORIQUE DE FRAUDE FISCALE
Section I : Le modèle fondateur
Section II : La modélisation du comportement de fraude fiscale des micro-
entreprises
CHAPITRE II : L’ANALYSE DU PHENOMENE DE FRAUDE DES MICRO
ENTREPRISES DE L’AGGLOMERATION D’ANTANANARIVO
Section I : Le modèle empirique
Section II : Les résultats du modèle empirique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
La fiscalité est au centre des rapports qui lient une société à l’Etat qui la gouverne.
Elle est en effet un fait social intimement lié à l’évolution des sociétés et notamment à celle
de leurs institutions politiques, juridiques et économiques. L’impôt est un élément essentiel
de la fiscalité et celui-ci est défini comme étant un prélèvement pécuniaire, effectué
d’autorité sur les ressources des citoyens, à titre définitif et sans contre partie immédiate
afin de couvrir les charges publiques et d’intervenir dans la vie économique et sociale du
pays. L’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 fonde le
principe du consentement de l’impôt ; qui, est à l’origine du principe de l’égalité de
l’impôt, règle le transfert du pouvoir fiscal aux représentants du peuple et assoit la
légitimité du prélèvement. Ainsi, l’impôt en tant que contribution aux charges de l’Etat, a
donc comme particularités principales : le caractère obligatoire et l’absence de contre
partie directe. La logique de l’impôt implique une notion de contrainte puisque l’impôt est
prélevé par voie d’autorité par l’administration. De même, le contribuable ne peut prendre
connaissance précise de l’utilisation faite de ces fonds. La tentation est alors grande de se
soustraire au paiement des sommes dues, reportant ainsi la charge de l’imposition sur les
autres contribuables. Ce comportement de refus du caractère obligatoire de l’impôt
émanant du contribuable prend généralement la dénomination de «fraude fiscale».
L’histoire de l’impôt nous enseigne que la fraude fiscale est présente à toutes les
époques et dans tous les pays. Par des manifestations diverses, la fraude contrarie les
prélèvements destinés à financer les actions de l’Etat. De ce fait, elle a créé d’importants
déficits budgétaires dans la plupart des pays en voie de développement, notamment ceux
d’Afrique ; déficits qui sont essentiellement la cause de l’instabilité macro-économique des
ces pays à savoir une inflation élevée et par conséquent des difficultés à relancer la
croissance économique.
Si l’on connait ses causes, ses modalités, son ampleur, son contrôle ou ses
sanctions, les termes qui spécifient la fraude sont imprécis. En effet, on parle souvent de
fraude pour désigner indifféremment la fraude légale ou la fraude légitime, la fraude
illégale, l’évasion légale, l’évasion admise, l’habileté fiscale, l’évitement de l’impôt, le
fuite devant l’impôt, le libre choix de la voie la moins imposée, la sous-estimation fiscale,
l’économie souterraine, l’utilisation des refuges, l’abris fiscaux ou de paradis fiscaux.
Autrement dit, autour de la fraude fiscale gravite tout un kaléidoscope d’images et de mots
qui rend très difficile la compréhension du phénomène. Cet ensemble de terme qui a trait à
la fraude fiscale s’apparente aux délinquances fiscales, au refus de l’impôt, aux résistances
à l’impôt, aux manifestations d’un certain anti-fiscalisme, aux infractions fiscales, aux
comportements fiscaux négatifs qu’il faut dissocier de la simple erreur commise par le
contribuable.
Mais malgré la diversité du vocabulaire qui lui est attaché, faisant d’elle un
concept difficile à cerner, divers critères peuvent être instaurés pour délimiter la fraude des
autres comportements de minimisation fiscale qui s’en rapprochent : le critère juridique, le
critère moral, le critère financier. Ainsi par exemple, la fraude et l ‘évasion fiscale sont
deux comportements proches. Mais la divergence entre ces deux actions se situe sur le plan
juridique : la première est illégale, la seconde demeure légale.
Outre ces divers comportements souvent apparentés à la fraude, une imprécision
touche également le concept de fraude lui-même, et qu’il s’avère important d’en apporter
quelques éclaircissements. Cette imprécision provient de la distinction opérée entre la
fraude dite « légale » et la fraude « illégale ». L’expression fraude légale, qui reste
empreinte d’un certain paradoxe, a une double signification. Elle désigne dans un premier
sens, la sous-estimation de la matière imposable que permettent certains régimes fiscaux
de faveur. Cependant, le plus souvent, elle désigne les procédés juridiques qui permettent
d’échapper à l’impôt sans contrevenir à la loi, ce qui lui confère un deuxième sens. En
outre, la fraude légale se situe alors aux confins de la légalité fondée sur l’habileté,
l’expression est alors synonyme d’évasion fiscale. La fraude illégale désigne au contraire
la violation ouverte de la loi fiscale. Le terme est employé en symétrique par rapport à
l’expression : fraude légale.
A l’image de la difficile définition de la fraude, qui débouche sur un ensemble de
concepts extrêmement proches, la réflexion sur les causes de celle-ci a fait émerger une
multitude de facteurs dont il est difficile d’établir l’influence réelle et plus encore une
classification. Toutefois, la longue liste des facteurs traditionnellement sollicités pour
expliquer l’apparition de la fraude fiscale peut être simplifiée en recourant à une
classification en trois grandes catégories : les facteurs politiques, économiques, et sociaux.
Néanmoins, quelle que soit la motivation de la fraude, celle-ci a comme objectif et parfois
comme résultat, d’échapper à tout ou partie de l’obligation fiscale et comme conséquence
une perte de recettes fiscales et donc un manque à gagner pour l’Etat.
Pour les causes politiques, la fraude peut exprimer un désaccord sur les options
politiques d’un gouvernement. Elle devient en quelque sorte une sanction du consentement
à l’impôt. Pour les facteurs moraux, l’incivisme fiscal peut être avancé : le contribuable
perdrait le sens du devoir fiscal. Mais plus sûrement, la fraude trouve une cause dans
l’environnement économique. Il est évident qu’une conjoncture économique de croissance
rend le poids de l’impôt moins lourd. Et ce faisant la fraude moins pressante. L’impôt est
en effet plus facile à répercuter. Par contre, en période de stagflation, caractérisée par la
récession et l’inflation, la fiscalité devient d’autant plus lourde qu’elle repose souvent sur
une matière imposable artificiellement gonflée par l’inflation. L’idéologie, la morale et
l’économie ne sont toutefois que des causes d’entraînement. Elles créent un ensemble
favorable et catalysent l’action de causes essentielles qui sont ailleurs. Les facteurs
essentiels de la fraude sont en effet internes au système fiscal. Ils tiennent tout d’abord à la
logique de la technique fiscale qui amène mécaniquement la fraude par des tentations
qu’elle offre aux contribuables. En effet, si la technique fiscale du XIXème siècle reposant
sur des impôts indiciaires, réels et analytiques ne laissait pas de marge à la fraude, celle du
XXème siècle (technique d’imposition et technique de contrôle) va au contraire créer des
conditions favorables à la fraude. Les facteurs de la fraude proviennent ensuite à la
pression du prélèvement en accroissement si important que les contribuables y trouvent un
droit à résister.
Quels que soient les manifestations de la fraude fiscale, les conséquences en terme
de perte de recettes pour l’Etat sont les mêmes. De par ses résultats, économie d’impôts
pour les uns, paiement pour les autres, la fraude fragilise l’équilibre fiscal et
conséquemment l’équilibre social. En contrariant la collecte des ressources étatiques, elle
constitue un sujet d’inquiétude pour les gouvernements. Cette inquiétude est de plusieurs
ordres. D’abord, elle revêt une dimension purement financière car la fraude génèrent une
perte de ressources fiscales. Ensuite, elle grève les capacités des gouvernements à faire
face à leurs dépenses. Enfin, elle contraint aussi la répartition équitable du fardeau du
financement public entre les contribuables en accroissant la charge de ceux qui demeurent
honnêtes. En somme, la fraude contrarie la finalité de l’impôt qui est à la fois la rentabilité
fiscale et l’égalité sociale. Elle traduit également les lacunes du contrôle qu’exercent les
pouvoirs publics sur les agents privés et témoigne de la méconnaissance des causes et des
schémas par lesquels les contribuables éludent l’impôt. Dès lors, il devient nécessaire de
restaurer l’efficacité et l’équité de la collecte des ressources étatiques.
Se pose alors la question : « Comment maîtriser le déficit fiscal et combler le
manque à gagner pour l’Etat engendré par la fraude fiscale ? ».
A Madagascar, la contribution de la fraude fiscale au manque à gagner pour l’Etat
reste énorme. En 1998, la fraude fiscale a été estimée à 905 milliards de FMG. La fraude
fiscale se répartit entre les taxes internes (Impôt sur les bénéfices des sociétés, Taxes sur
les transactions, Impôt sur les revenus non salariaux, Taxe sur la valeur ajoutée) qui y
contribuent activement à 75% et les taxes externes (Droits d’importation…) dont la
contribution est faiblement à 25%. Parmi les taxes internes, l’impôt sur le bénéfice des
sociétés est le plus fraudé par les contribuables, avec 32% de contribution au manque à
gagner. Viennent ensuite la Taxe sur les transactions (19%), l’impôt sur les revenus non
salariaux (17%) et enfin le TUT (7%). Toujours cette même année, la fraude fiscale en
pourcentage du PIB représentait 9,8% du PIB dont 7,3% sur les taxes internes et 2,5% sur
les taxes externes.
Au vu de ces différentes constatations, ce travail de recherche se propose une
étude approfondie de la fraude fiscale. Pour mieux appréhender la problématique de
fraude, une recherche à partir d’un modèle théorique sera menée afin d’inventorier ses
applications et ensuite limiter les préjudices qui pourront en résulter. La présente
recherche est articulée de la manière suivante : le premier chapitre fera le point sur les
fondements théoriques du comportement de fraude fiscale en partant d’un modèle de base
pour arriver à une modélisation du comportement de fraude des micro-entreprises. Dans le
second chapitre sera présenté un modèle empirique basé sur des enquêtes menées auprès
des micro-entreprises de l’agglomération d’Antananarivo et qui servira de test pour les
résultats analytiques dégagés dans la littérature théorique du premier chapitre. Et enfin,
quelques recommandations concernant le sujet feront l’objet de la conclusion.
CHAPITRE I : LE MODELE THEORIQUE DE FRAUDE
FISCALE
Depuis le premier modèle de Allingham et Sandmo (1972) de nombreux
développements ont été déjà apportés à la théorie de la fraude fiscale. La modélisation de
la fraude a essentiellement porté sur le comportement des individus face aux impôts sur les
revenus : les individus ont la possibilité d’arbitrer sur la partie du revenu qu’ils vont
déclarer à l’administration fiscale. Plus tard, d’autres modèles ont porté sur le
comportement d’optimisation des bénéfices des entreprises, lorsqu’il existe une possibilité
d’échapper aux impôts auxquels elle est assujettie. L’entrepreneur ne maximise plus son
profit uniquement en portant sa production au niveau optimal, mais aussi en choisissant le
niveau optimal de déclaration fiscale. Ces développements sont présentés dans de
nombreuses revues de littérature. On citera notamment celles de Pyle (1989), Cowel
(1991), Tanzi et Shome (1993), Myles (1995) et MacLaren (1996). Etant donné le nombre
de ces revues de littérature existantes, nous nous bornerons à une présentation du modèle
de base pour nous consacrer ensuite aux développements apportés concernant la fraude des
micro- entreprises.
SECTION I : LE MODELE FONDATEUR
Les modèles de fraude fiscale sont initialement inspirés des modèles reposant sur
la théorie des portefeuilles. Le raisonnement du fraudeur peut être appréhendé de manière
similaire à tout autre choix risqué. Ainsi, l’individu procède à une comparaison des coûts
éventuels et des avantages attendus de cette action de transgression de la loi fiscale. Ce
raisonnement, de nature économique, amène donc à assimiler cette décision à un choix de
portefeuille et fournit un cadre d’analyse cohérent à la décision de fraude du contribuable,
la microéconomie de l’incertain.
L’étude de la décision de fraude est initiée par le travail de Allingham et Sandmo
(1972). Le modèle traite alors d’un fraudeur « pur », dénué de scrupules et calculateur, qui
cherche à maximiser l’espérance de l’utilité associée à la loterie fiscale. Le modèle s’inscrit
dans le cadre d’une situation d’asymétrie d’informations. Dit en d’autres termes, les
relations entre l’Etat et l’individu ou le contribuable sont décrites sous la forme d’un
modèle « Principal-Agent » . L’Etat étant le « Principal », son but est de collecter
entièrement l’impôt tel que défini par la loi. Le problème est qu’il détient une information
incomplète sur le revenu réellement dégagé par l’individu. La stratégie de l’Etat consiste
alors à définir une politique de taxation et de contrôle qui inciterait le contribuable à
déclarer correctement son revenu, autrement dit, à ne pas frauder. Les outils à la
disposition de l’Etat sont le mode de calcul des impôts, la fonction de contrôle fiscal et les
amendes.
Le contribuable est défini comme «l’Agent». Il a connaissance, outre de ses
ressources financières propres, des dispositions de la législation fiscale, et donc des impôts
qu’il devrait normalement acquitter et de la pénalité qu’il encourt en les éludant. Conscient
de cette asymétrie d’informations dont il bénéficie, l’individu sait donc que c’est
essentiellement par sa déclaration que l’autorité fiscale prend connaissance de la matière
imposable. Dès lors, il bénéficie d’une première opportunité de fraude au stade de
l’évaluation de la matière imposable, par la déclaration fiscale.
Lorsque le contribuable décide de frauder, il fait face à une dichotomie de résultat.
Dans le premier cas, l’administration ne détecte pas la fraude et son revenu disponible
après impôt, (Ind), s’élève du fait de l’acte illégal entrepris. Dans le second cas, l’individu
découvert dans ses agissements frauduleux, reconnu coupable et puni, bénéficiera d’un
niveau du revenu inférieur (Id). L’individu, en ne déclarant qu’une certaine proportion de
son véritable revenu à l’administration fiscale, encourt alors un risque : c’est le risque
d’être découvert par les autorités fiscales. A ce risque est associé une probabilité et une
pénalité qui aura pour effet de diminuer son revenu au-delà d’une solution honnête.
Pour les premiers modèles développés, les hypothèses classiques du
comportement de l’individu en univers incertain, énoncées par Von Neumann-
Morgenstern, sont reprises. L’individu cherche à maximiser son utilité espérée, en
témoignant une aversion pour le risque (utilité croissante et concave).
Le but du modèle est en fait, de formaliser la réponse de la fraude fiscale en
fonction des variables exogènes :
Le revenu disponible avant impôt
La probabilité d’être audité
La valeur de l’amende encourue en cas de fraude décelée
Le taux de taxation des revenus.
Le programme de l’individu est présenté par Allingham et Sandmo (1972) sous la
forme suivante :
Max E(U) = (1-p) U(I-tX) + p U[ I-tX-q(I-X)]
Où p = probabilité d’être audité
1-p = probabilité de ne pas être audité
I = revenu disponible avant impôt
X = revenu déclaré à l’administration
t = taux de taxation
q = taux de l’amende à payer sur le montant fraudé ou pénalité
U = fonction d’utilité de type « Von Neumann-Morgenstern » traduisant
l’aversion au risque de l’individu.
La condition de premier ordre du programme revient à chercher la valeur de X
(partie du revenu à déclarer à l’administration fiscale), pour laquelle la dérivée première de
la fonction d’utilité (par rapport à X) s’annule. En dérivant la fonction d’utilité par rapport
à X, on a :
d [E(U)] = d [ (1 – p) U (I – tX) + p U ( I – tX –q ( I – X) ]
dX dX
= (1 – p) U’ (Ind) ( -t ) + p U’ (Id) (-t + q)
En annulant cette dérivée de la fonction d’utilité, on obtient enfin :
(1 – p) U’(Ind). t = p U’ (Id) (- t + q) avec Ind = (I-t.X) et Id = (I – tX –q ( I – X) ]
La condition de premier ordre donne alors l’égalité :
La solution dépend de variables exogènes et connues qui sont la probabilité de
subir un redressement fiscal, le montant de l’amende, du revenu avant impôt et du taux de
taxation nominal. La forme de la fonction d’utilité, plus précisément le degré d’aversion au
risque de l’individu influence la solution de X.
Diverses extensions ont été entreprises à partir du modèle d’Allingham et
Sandmo. Celles-ci peuvent être attribuées au fait que le modèle de base présente des
limites. La modélisation s’apparentant au modèle de Von Neumann-Morgenstern, elle en
subit par conséquent une première limite essentielle qui est que l’individu connaît
parfaitement les probabilités des états du monde. Ici, la probabilité d’être audité par le fisc.
Cette hypothèse est une restriction par rapport à la réalité puisque généralement, et surtout
dans les pays en voie de développement, les modalités des contrôles fiscaux ne sont
connues du public.
Dans le modèle de Allingham et Sandmo, tout comme pour les autres modèles
développés par la suite, les variables « punitives » (p et q) produisent les mêmes effets sur
le niveau optimal de la valeur du revenu déclaré. L’accroissement de celles-ci entraîne une
augmentation des revenus déclarés, donc une diminution de la fraude fiscale. Par contre, la
variation des revenus déclarés par rapport au niveau de taxation et à celui des revenus pose
des problèmes lors de la résolution de ces modèles :
Le signe de la dérivée du revenu déclaré par rapport au taux de taxation (dX /dt)
est indéterminé dans le modèle de Allingham et Sandmo.
De même, la résolution des conditions du premier ordre ne permet pas de définir
si la dérivée de X par rapport à I est supérieur à 1, c’est-à-dire si la proportion du
revenu déclaré augmente lorsque le revenu disponible avant impôt croît.
Cette indétermination du modèle de Allingham et Sandmo (1972), concernant la
réaction des fraudeurs à une modification du taux d’imposition, fut levée par Yitzaki dès
1974. Celui-ci aborde la problématique de la décision de fraude fiscale dans un cadre
similaire, mais formalise d’une manière différente le montant de l’amende à payer notée
(q). Cette dernière ne porte plus sur le montant non déclaré (I-X), mais spécifiquement sur
U’(Ind) / U’(Id) = - p (t - q) / t (1 – p)
le montant de l’impôt évadé t(I-X). La condition pour obtenir un maximum dans cette
nouvelle hypothèse est alors :
Cette hypothèse qui correspond à la réalité de la pénalisation de la fraude fiscale,
lève l’indétermination dans ce sens que le signe des dérivées du revenu déclaré par rapport
au revenu avant impôt et par rapport au taux de taxation est clairement défini. Toutefois,
l’auteur doit émettre une hypothèse pour arriver à ce résultat : la valeur de l’aversion
absolue au risque (Arrow-Pratt) doit être décroissante avec le revenu. Autrement dit, si
I1>I2, alors :
- U’’(I1) / U’(I1) < - U’’(I2) / U’(I2)
Si cette condition n’est pas acceptée, il n’est alors pas possible de définir le signe
des dérivées. En retenant cette hypothèse, le modèle de Ytzhaki fournit les résultats
suivants :
dX/dt > 0 : le revenu déclaré s’accroît lorsque le taux de taxation nominal
augmente. Dit autrement, toute augmentation de la probabilité de détection ou de la
pénalité pour fraude favorise l’honnêteté dans la déclaration et donc diminue la
fraude.
0 < dX/dI < 1 : le revenu déclaré s’accroît lorsque le revenu avant impôt
augmente et dans une proportion plus forte. La fraude en valeur relative (en
proportion du revenu total) tend donc à diminuer des individus.
Les résultats auxquels aboutit ce modèle sont contestables de deux points de vue :
Premièrement, les conditions (aversion absolue au risque décroissante) de
détermination du signe de la dérivée sont difficilement applicables de manière
universelle. La décroissance de l’indice d’aversion au risque par rapport au revenu
n’est d’ailleurs pas justifiée dans les modèles.
Deuxièmement, les signes des dérivées ainsi trouvés sont contestables d’une part
du point de vue empirique et d’autre part contraire à l’intuition. Les études
quantitatives menées sur la fraude fiscale montrent l’existence d’une augmentation
de la fraude lorsque les revenus s’accroissent.
U’(Ind) / U’(Id) = - p(q – 1) / (1 – p)
Par ailleurs, une diminution de la fraude lorsque le taux de taxation s’accroît
paraît illogique. Ce résultat paraît contre intuitif de prime abord, l’opinion dominante
attribuant à l’imposition la responsabilité des actes déviants.
Cependant, l’élévation du taux d’imposition en impliquant une augmentation
proportionnelle de la sanction encourue pour fraude, décourage sa pratique. Seul le jeu de
l’aversion au risque caractérise ce résultat
Afin de résoudre les paradoxes, les travaux de Benjamini et Mental (1985) et
Schlicht (1985), repris et développés par Gordon (1987), ont introduit un coût
psychologique et un coût social dans la fonction objectif de l’individu. Le coût
psychologique dépend du montant fraudé et de la moralité de l’individu. Le coût social est
inversement proportionnel au nombre de personnes fraudant dans la société (interaction
entre les individus). Il existe un effet d’entraînement ou d’imitation. L’introduction de ces
coûts sociaux ou effets d’entraînement permet d’obtenir des résultats plus proches de la
réalité tout en évitant de mette des hypothèses trop restrictives sur la forme de la fonction
d’utilité.
Koskela (1983) modifie également la trame initiale de Allingham et Sandmo, afin
de considérer le rôle de différentes techniques d’imposition. Ses résultats portent sur le
niveau de revenu réel et de la fraude. Il conclut qu’une aversion relative au risque non
décroissante est une hypothèse suffisante pour dégager un lien positif entre la fraction de
revenu déclaré et le revenu réel, lorsque l’imposition est linéaire progressive.
L’apport principal de Koskela (1983) réside dans ses conclusions sur les
caractéristiques du système coercitif. Il considère qu’augmenter les pénalités en cas de
détection, ou multiplier les contrôles1 sont des moyens alternatifs pour combattre la fraude
fiscale.
Koskela fournit alors une étude des substitutions possible sous hypothèse
d’imposition linéaire progressive. Il en déduit que, lorsque le coût du contrôle est faible,
augmenter le niveau de la sanction en diminuant la probabilité de détection génère une
réduction de la fraude fiscale. Le corollaire de ce résultat est alors que lorsque ce coût est
important, la fraude peut prendre de l’ampleur à l’issue d’une telle compensation.
A l’image de Christiansen (1980)2, Koskela (1983) prône donc l’efficacité d’une
combinaison répressive alliant des pénalités conséquentes et une probabilité de détection
1 L’hypothèse sous-jacente est que tant la technique d’imposition que le schéma de pénalisation peuvent être qualifiés d’instruments directs de politique. A l’opposé, la probabilité de détection ne peut être contrôlée qu’indirectement en allouant plus de ressources à la recherche des cas de fraude fiscale.2 Cet auteur fournit le même type d’analyse dans un modèle qui reprend les hypothèses de Yitzhaki (1974)
raisonnable. L’augmentation de la perte potentielle, en cas de détection, implique qu’un
risque supérieur est attaché à la décision de fraude. Ceci explique sa réduction pour un
contribuable averse au risque. Ce résultat théorique devrait être tempéré.
L’augmentation infinie des sanctions ne peut être appliquée, ni n’est applicable
dans la réalité, car le législateur tente toujours de garder un lien entre le délit et la peine qui
lui est associée.
C’est donc, plus qu’un niveau de pénalité, un ensemble de procédures de sanction
qui va être mis en place, incluant, dans certains cas, des amendes fixes. Sandmo (1981),
Koskela (1983)3, précisent que plus de progressivité dans la pénalisation réduit sans
ambiguïté la fraude fiscale. A leur tour, Landskroner, Paroush, Swary (1990) évaluent
l’impact d’une double pénalisation, proportionnelle à la fois à l’impôt éludé et au revenu
non déclaré. Sous hypothèses de décroissance de l’aversion absolue au risque ils
obtiennent une diminution de la fraude.
SECTION II : LA MODELISATION DU COMPORTEMENT DE FRAUDE
FISCALE DES MICRO-ENTREPRISES
Dans cette section, on développe un modèle de fraude fiscale inspiré du premier
modèle d’Allingham et Sandmo (1972). Les relations entre l’Etat et les micro
entrepreneurs sont décrites dans un cadre statique sous la forme d’un modèle « Principal-
Agent ». Le modèle présenté va permettre d’analyser de manière théorique les
comportements de fraude fiscale des micro-entreprises pour diverses stratégies fiscales
envisageables par l’Etat. Il s’inscrit dans la ligne des modèles présentant la fraude fiscale
sous forme de jeu. Il permettra ainsi d’analyser selon les hypothèses forte de la politique
fiscale le comportement d’informalisation et de fraude de ces unités de production. Il
servira ensuite de base à un modèle empirique présenté et testé dans le deuxième chapitre
de ce document.
Les hypothèses du modèle :
3 Koskela analyse l’impact d’une pénalité proportionnelle et d’une amende forfaitaire additionnelle sur la décision de fraude, Sandmo (1981) également. Une baisse de l’amende forfaitaire accompagnée d’une augmentation du taux de pénalité créent alors plus de progressivité dans la sanction portant sur le revenu non déclaré.
Les hypothèses du modèle vont permettre de cerner la nature de la relation
« principal-agent » dans le modèle. L’Etat est défini comme le « principal ».
Son objectif est de faire appliquer le code général des impôts. Sa stratégie consiste
à définir une politique de taxation et de contrôle qui inciterait les agents (micro-
entreprises) à déclarer correctement leur chiffre d’affaires, étant donné qu’il détient une
information incomplète sur le chiffres d’affaires réel de ces unités.
A l’instar des modèles de Virmani (1989) et Wang (1990) nous allons supposer
que l’administration dispose d’informations indépendantes des déclarations des agents.
L’administration détient les informations telles que la taille des locaux par exemple qui
peut le permettre d’estimer le chiffre d’affaires réel des entreprises. On notera « q » le
chiffre d’affaires des entreprises. Disposant de cette information incomplète nous allons
faire l’hypothèse que l’Etat contrôle principalement les entreprises de grande taille.
Autrement dit, la probabilité de contrôle sera une fonction croissante de la taille de
l’entreprise.
On admettra aussi dans notre modèle que la probabilité de contrôle peut aussi être
influencée par le fait que l’unité de production soit ou non enregistrée auprès des services
fiscaux. L’enregistrement est par définition une source d’information importante pour
l’Etat. On notera « µ » cette variable, avec µ =0 si l’entreprise est enregistrée et µ =1 si
elle est informelle. A priori le signe de la dérivée de la probabilité de contrôle par rapport à
µ est inconnu. Deux effets peuvent s’opposer : d’une part, l’information fournie par µ
devrait accroître la probabilité de contrôle, mais d’autre part l’Etat pourrait aussi chercher à
formaliser les entreprises. Dans ce deuxième cas, la probabilité de contrôle serait plus
importante lorsque la variable µ est égale à 1. Enfin le taux de déclaration pourrait aussi
être un argument de la fonction de contrôle. On notera « α » cette variable. Elle est
calculée comme le rapport entre le chiffre d’affaires déclaré et le chiffre d’affaires réel. Si
l’Etat détient une information sur la taille de l’entreprise et sur son activité, il dispose
néanmoins d’une information incomplète sur son chiffre d’affaires potentiel. Une
déclaration de l’agent trop faible par rapport à la réalité du chiffre d’affaires peut alors
entraîner la suspicion de l’administration et déclencher de contrôle fiscal4.
On appellera « b » la fonction de la probabilité de contrôle. En résumé, les
hypothèses sur la fonction de contrôle peuvent s’écrire :
4 En France, par exemple, il existe des systèmes informatisés permettant de tester la cohérence interne des déclarations fiscales par rapport à une entreprise type. Une trop forte incohérence entre les capacités de production et les résultats déclarés par exemple déclencheront un contrôle fiscal.
(1) b = b (q,µ,α), avec b’q >0 b’µ<>0 b’α<0
D’autre part, l’Etat fixe aussi la fonction de taxation du chiffre d’affaires et les
pénalités : la taxe est une fonction croissante du chiffre d’affaires. On nomme « t » le taux
de taxation nominal. La taxe est concave si le système d’imposition est progressif car le
taux de taxation marginal est borné, ou constante si le taux de taxation est proportionnel au
chiffre d’affaires. Si l’entreprise est repérée, elle devra acquitter une amende au taux « e »,
dont le montant est proportionnel à celui du chiffre d’affaires dissimulé. Le montant de
l’amende s’écrit donc : e(1-α)q5, avec e>0. Celle ci s’ajoute au payement de l’impôt fraudé
par l’entrepreneur. Au total le montant de la pénalité que devra acquitter l’entrepreneur si
l’administration découvre la fraude est :
(2) p = (1-α) t.q + e (1-α).q
p = (1-α) q (t + e)
L’entrepreneur est défini comme « l’agent ». Compte tenu de la politique fiscale
et de contrôle de l’Etat, l’entrepreneur va choisir son comportement de fraude fiscale de
sorte à maximiser son profit anticipé après impôt. En toute logique, le profit devrait être
maximisé par rapport au niveau de production (q) et par rapport au taux de fraude (α). Il
existerait alors deux conditions de premier ordre pour l’entrepreneur.
Nous allons faire ici l’hypothèse à priori forte, que la production d’une entreprise
est exogène. A l’instar des hypothèses retenues par Rauch (1991) ou Fortin (1997), nous
supposons que la taille de l’entreprise est déterminée de manière exogène par les talents de
l’entrepreneur Lucas (1978). Autrement dit, l’hétérogénéité des entreprises ne provient que
des capacités des entrepreneurs qui sont exogènes.
Lorsque µ =1, l’entreprise est informelle. Nous supposons alors que cette
entreprise subit un coût supplémentaire par rapport à une entreprise formelle. On note « a »
ce coût. Il est positif et une fonction croissante de (q). Comme ce coût grève les profits, il
intervient dans le choix de l’entrepreneur d’être formel ou informel.
Les origines de ces surcoûts liés à l’informel ont été exposées par de Soto
(1994). Elles proviennent premièrement des moyens que les entreprises informelles
doivent mettre en œuvre pour échapper aux sanctions de l’Etat : la corruption,
5 Cette formalisation de l’amende est similaire à celle adoptée dans le modèle d’ALLINGHAM et SANDMO (1972). Contrairement à celle généralement retenue où l’amende est proportionnelle au montant de l’impôt fraudé (YTZHAKI 1974), cette première formalisation nous permet par la suite d définir la valeur d’équilibre α en fonction de t.
l’impossibilité de recourir à la publicité, la dispersion des activités ou encore le
fait de ne pas être autorisé à opérer sur certains marchés. A titre d’exemple, les entreprises
informelles ne peuvent pas s’approvisionner directement auprès des grossistes. Elles
doivent passer par des intermédiaires qui prendront une commission qui augmentera le
coût d’approvisionnement des entreprises. On peut encore citer le fait que les entreprises
informelles ont moins facilement accès au marché du crédit bancaire. L’emprunt auprès de
structures informelles (usuriers par exemple) est un facteur de hausse des coûts de
production. On peut de plus supposer que ces facteurs deviennent de plus en plus
importants à mesure que la taille de l’entreprise croît. Par exemple, nous notons plus haut
que la part des intrants d’origine formelle dans les charges d’une entreprise informelle était
croissante avec la taille. A l’instar des hypothèses généralement retenues dans la littérature,
on admet aussi que ce coût est convexe. Pour résumer, on suppose donc qu’il existe un
coût lié à l’informel tel que :
Pour µ=0 : l’entreprise est formelle (a = 0)
Pour µ=1 : l’entreprise est informelle, le surcoût est a(q)>0, a’(q)>0 , a’’(q)>0.
Le programme de maximisation du profit de l’entreprise :
Le marché est supposé en concurrence pure et parfaite, le prix au producteur sera
normalisé à 1. Pour une entreprise représentative dont la production est q, l’objectif est de
maximiser son profit anticipé après impôt (∏). L’entrepreneur est neutre au risque et
connaît parfaitement la politique de l’Etat (modalité de calcul de l’impôt, fonction de
probabilité de contrôle, pénalités encourues).
La maximisation du profit anticipé après impôt se fait en deux étapes : dans un
premier temps, il va choisir d’être informel ou formel. La variable µ sera donc soit égal à 1
(informel), soit à 0 (formel).
Si, l’entrepreneur a choisi d’être informel, alors il pourra dans un second temps
déterminer son niveau de fraude fiscale. Pour cela, il ne déclare qu’une partie α de son
chiffre d’affaires (q).
Le profit anticipé après impôt s’écrit :
Soit (∏) le profit après impôt de l’entreprise honnête :
(3) Π = (1-t) q –c.q
Π = (q – tq) – c.q
où : tq est l’impôt à payer par l’entreprise honnête et
c.q est le coût total de l’entreprise, c est positif, peut être croissant ou constant.
En univers certain, c’est à dire sans contrôle fiscal, le profit avec fraude Πf de
l’entreprise s’écrit :
(4) Πf = (1-αt) q – (1+ α) c.q
Πf = (1 - αt) q – (1+α)c.q
Πf =(q - qαt) – (cq + αcq)
où :
• qαt est l’impôt à payer sur le CA déclaré de l’entreprise
• αcq est le coût total de l’entreprise fraudeuse
En univers incertain, c’est à dire il existe une probabilité de contrôle, le profit
anticipé après impôt (∏e) de l’entreprise fraudeuse s’écrit :
(5) Π e = (1 – b) Πf + b (Πf – p)
Π e = Πf – b. Πf + b. Πf - b.Π
Π e = Πf – bΠ
On rappelle que, par hypothèse, les choix de q et de α sont séparables. Le
producteur choisit α et µ de sorte à maximiser son profit anticipé après impôts. Le
programme de l’entreprise s’écrit :
(6) ⇒ Si Π e µ=1 > Π e µ=0 alors µ = 1 et α = 0
⇒ Sinon µ = 0 alors Max Π e µ=0
sous contrainte : 0= α =1 et q > 0
Tableau 1 : tableau récapitulatif des variables employées dans le modèle
Nom Définitionq Production de l’entreprise ou chiffre d’affaires (CA)p Pénalité totale payée par le fraudeurc Coefficient de la fonction de coût total de l’entrepriseα Proportion du CA déclaré par rapport au CA effectifµ 0 si entreprise enregistrée auprès des services fiscaux, 1 sinonΠ e Profit anticipé de l’entreprise fraudeuseΠf Profit de l’entreprise fraudeuse en univers certaina Surcoût des entreprises informelles liés aux intrants provenant du secteur
formel, croissant par rapport à qt Taux de taxation du CA, croissant par rapport à q Π Profit après impôt de l’entreprise honnête
Les résultats analytiques :
- Conditions pour un passage de l’informel au formel : en théorie, l’entrepreneur choisit
dans un premier temps d’être formel ou informel. Puis dans un second temps, s’il
choisit d’être formel, l’entrepreneur détermine la part de son CA qu’il déclarera à
l’administration fiscale. L’entreprise choisit d’être informelle lorsque son profit
anticipé est supérieur à celui du formel :
(7) Π e µ=1 > Π e µ=0
(8) q [ 1 – (1 - α) c - bµ=1 (t+e) ] > q [ (1 - αt) – c – (1 - α) . bµ=0]
(9) αt - αc > (t+e) [ bµ=1 – (1 - α) bµ=0 ]
Le terme de gauche de l’équation (9) représente le gain net certain pour une
entreprise informelle, puisqu’il représente la différence entre la valeur de la taxe évadée
(par rapport à une entreprise formelle) moins le surcoût de l’informel. Le terme de droite
représente quant à lui la différence de pénalité anticipée entre une entreprise informelle et
une entreprise formelle. Ainsi, l’équation (9) montre que tant que la différence de pénalité
anticipée est inférieure au gain net certain du secteur informel, l’entreprise choisira
d’évoluer dans l’informel.
On déduit de l’équation (9) que le passage de l’informel au formel n’est possible
que si la dérivée du gain net d’être informel par rapport à q est inférieur à celle du gain
anticipé de l’état formel.
- Il est préférable pour une entreprise d’être honnête lorsque sa taille est grande, si la
probabilité de contrôle croît plus vite que le taux de taxation du chiffre d’affaires.
- Relation entre fraude fiscale, taux de taxation et pénalité. Le taux de déclaration
optimale (α*) est une fonction toujours décroissante du taux de taxation et toujours
croissante du taux de pénalité, si la probabilité d’être contrôlé est une fonction convexe
de α, autrement dit si toute augmentation de la fraude entraîne un accroissement
supérieur du risque d’être contrôlé.
- Relation entre fraude fiscale et taille de l’entreprise : le signe de la relation entre taux
de déclaration et taille de l’entreprise est a priori indéterminé. La taille de l’entreprise
provoque deux effets antagonistes sur les incitations à frauder : d’une part, la taille de
l’entreprise accroît le taux de taxation marginal, si le système est progressif et donc
incite l’entreprise à frauder davantage. Mais d’autre part, la taille de l’entreprise
augmente la probabilité d’être contrôlé incitant ainsi celle-ci, à suivre un comportement
honnête.
Le taux de déclaration croit avec le CA de l’entreprise, si la probabilité d’être
contrôlé croit plus vite avec la taille de l’entreprise que le taux de taxation et si la
probabilité est une fonction décroissante et convexe de α.
- Existence d’un équilibre entre entreprise formelle et informelle : si la probabilité d’être
contrôlé est supérieure pour les entreprises formelles que pour les entreprises
informelles et en supposant que cet écart est constant quelque soit q, alors le surcoût lié
à l’informel permet d’assurer un équilibre entre les deux types d’entreprise. Dans ce
cas, l’économie sera divisée entre des petites entreprises informelles et des entreprises
formelles de plus grande taille.
En résumé, il ressort de notre modèle que lorsque les trois hypothèses suivantes
sont vérifiées :
1) la probabilité de contrôle est une fonction croissante et convexe du volume de
production, elle est supérieure pour les entreprises formelles par rapport aux
entreprises informelles.
2) le taux de taxation est une fonction croissante, concave ou proportionnelle du
volume de production.
3) les surcoûts pour le secteur informel est une fonction croissante et convexe du
volume de production.
Alors, le modèle permet de formaliser une économie où les entreprises les plus
petites sont informelles et où les plus importantes sont formelles. Autrement dit, les micro
entreprises choisissent d’évoluer dans le secteur informel jusqu’à atteindre un volume de
production où les bénéfices anticipés sont supérieurs dans le secteur formel. Une fois dans
le secteur formel, les entreprises deviennent de plus en plus honnêtes à mesure que leur
taille s’accroît.
En outre, on rappelle que sous les deux premières hypothèses ci-dessus et sous
une hypothèse supplémentaire de contrôle concentré sur le taux de fraude extrême, le
modèle permet de décrire des comportements intuitifs des fraudes par rapport au taux de
taxation et de pénalité. La fraude fiscale s’accroît lorsque le taux de taxation augmente et,
inversement, diminue lorsque le taux de pénalité est augmenté.
CHAPITRE II : ANALYSE DU PHENOMENE DE FRAUDE
FISCALE DES MICROENTREPRISES DE L’AGGLOMERATION
D’ANTANANARIVO
Ce chapitre se propose d’estimer la fraude fiscale au niveau des micro-entreprises
en procédant à une analyse économétrique. Mais avant d’aborder les résultats fournis par
les estimations économétriques du comportement de fraude fiscale, il s’avère nécessaire
d’apporter un aperçu sur la méthode d’estimation utilisée et la description des variables.
SECTION I : METHODE D’ESTIMATION ET DESCRIPTION DES
VARIABLES
Méthode d’estimation : le modèle empirique
Les données issues de l’enquête MADIO sur les unités de production informelles
menée au second trimestre 1995 dans l’agglomération d’Antananarivo permettent de tester
le modèle théorique. Suivant Maddala (1983), la méthode retenue pour l’estimation de la
décision d’enregistrement est un modèle « PROBIT d’équations simultanées ».
Le modèle d’enregistrement fiscal est représenté par un système (I) de deux
équations structurelles dont les inconnues sont dichotomiques.
µ* = g1.b + g’1 X1 + u1
(I) b* = g2. µ* + g’2 X2 + u1
avec :
µ = 1 si µ* > o
µ = 0 si µ* = 0
b = 1 si b* > 0
b = 0 si b* > 0
ui sont les erreurs , gi et g’i sont les paramètres à estimer, Xi est un vecteur de
variables exogènes, b sont les variables observés tandis que µ* et b* sont les variables
latentes. Les variables latentes représentent alors la propension d’un entrepreneur pour
enregistrer son activité et la probabilité de l’occurrence d’un contrôle des agents de l’Etat.
b* doit être considéré comme la probabilité subjective ressentie par l’entrepreneur.
Contrairement au modèle théorique, la variable µ prend la valeur 1 lorsque l’entreprise est
enrgistrée, et la valeur 0 lorsqu’elle est informelle.
Le modèle empirique teste donc Pr(µ = 1), soit la probabilité pour que l’entreprise
soit enregistrée. Les formes réduites des équations structurelles du système (I) s’écrit :
µ* = G1 .X + v1
(I’)
b* = G2 .X + v2
La méthode d’estimation procède en deux étapes. Elle consiste à estimer tout
d’abord les variables endogènes à partir des équations réduites. Puis, on substitue ces
valeurs estimées dans les équations structurelles, qui sont à nouveau testées (de même, les
formes structurelles (I’’) ci-dessous sont estimées par un Probit-Maximum de
Vraisemblance).
Puisque pour les variables dichotomiques, les coefficients pouvant être estimés
sur la forme réduite sont gi / σi , avec σ2 = var (vi). La forme estimable des équations
structurelles (deuxième étape) s’écrit alors de la manière suivante :
(I’’) µ* = g1/σ1 .b + g’1/σ1 .X1 + u1/σ1
b* = g2/σ2 .µ* + g’2/σ2 .X2 + u1/σ2
Les paramètres estimables du modèle sont donc : g1/σ1 , g’1/σ1 , g2/σ2 , g’2/σ2.
On notera également que les conditions nécessaires d’identification des deux
modèles sont remplies. La paire de vecteurs (X1, X2) comportent des variables qui sont
mutuellement exclusives. Ainsi, le nombre de variables exclues par équations est toujours
supérieur ou égal à 1. Le modèle testé est donc soit juste identifié, soit sur-identifié.
Description des variables
Les données utilisées pour tester notre modèle sont issues de l’enquête du Projet
MADIO (1998) sur le secteur informel à Antananarivo. La méthodologie est de type
enquête mixte. La phase portant sur le secteur informel est précédée par une première
phase emploi qui sert de filtre. Cette enquête a été menée au second trimestre 1998 dans
l’agglomération d’Antananarivo. Elle a permis de recueillir les questionnaires provenant de
1018 unités de productions informelles non agricoles, exerçant une activité industrielle,
commerciale ou de service. Rappelons que la définition du secteur informel dans cette
enquête est basée sur le critère d’enregistrement statistique et sur l’existence ou non d’une
comptabilité écrite standard, alors que dans cette étude, on considère que l’informel
consiste à ne pas être enregistré auprès des services fiscaux.
Les variables utilisées pour tester le modèle sont présentés de manière synthétique
dans le tableau 1. Le modèle théorique est enrichi par d’autres variables explicatives
permettant de l’estimer. Présentons ces variables explicatives :
« TAUX » représente le taux nominal de taxation théorique de la patente. Le
choix de ne retenir que la patente dans le modèle est par le fait que cet impôt
est le seul qui soit automatiquement lié avec l’acte d’enregistrement fiscal.
Ainsi, l’entrepreneur sait qu’il sera obligé d’acquitter cet impôt lorsqu’il
procédera à l’enregistrement fiscal de son entreprise. Le paiement des autres
impôts suite à l’enregistrement est par contre beaucoup plus aléatoire. Par
conséquent, « ALPHA » représente donc la proportion de la patente théorique
qui a été effectivement acquitté par l’entreprise.
« EMPLOI », « CAPITAL » : représentent la taille de l’entreprise , ce qui doit
influencer positivement la probabilité d’être contrôlé et donc le choix de
formaliser son entreprise. Mais, elles accroissent aussi les motivations de
frauder, car la patente est assise sur ces variables.
Le taux de taxation étant basé sur les facteurs de production, la rentabilité de
ceux-ci peut affecter la fraude. Les entreprises dont la rentabilité est faible
auront une plus forte motivation pour frauder car le poids de l’impôt sur leur
revenu y est plus important. Ces effets sont représentés par les variables
« VA_L », « VA_K » et « RENT » qui représentent respectivement la
rentabilité du travail, du capital et la rentabilité globale de l’entreprise.
« SCO », « PROPRI », « NMEN » : représentent des caractéristiques propres
au chef d’unité de production qui sont susceptibles d’influencer son
comportement de fraude fiscale.
« LOCAL » représente les conditions d’activité de l’entreprise et peut donc
jouer sur la probabilité de contrôle. De même pour la variable « AGE » qui
accroît les chances d’avoir été repéré. Ces variables indiquent aussi le niveau
de maturité de l’entreprise. Si on suppose que le passage du formel à
l’informel résulte également d’un processus historique, ces variables doivent
alors influencer la propension pour une entreprise à être formelle ou
informelle.
TABLEAU 1 : Liste des variables empiriques
Variable Définition des variables endogènesBETA 1 si l’entreprise déclare avoir eu un problème avec
l’administration, 0 sinon.ENREG 1 si l’entreprise est formelle, 0 si informelleALPHA Taux de déclaration du revenu : impôt payé/ impôt
théoriquement dûVariables exogènes
CA Chiffre d’affaires annuelEMPLOI Nombre de personnes travaillant dans l’entreprise (y compris
le chef d’unité)CAPITAL Valeur du capital au coût de remplacementAGE Nombre d’années depuis la création de l’entrepriseVAL Ratio Valeur ajoutée sur nombre d’employésVAK Ratio Valeur ajoutée sur valeur du capitalRENT Ratio résultat comptable avant impôt sur chiffre d’affairesAA Part des intrants formels dans le total des intrantsTAUX Taux de pression théorique de la patente sur le CACOM 1 si entreprise commerciale, 0 sinonIND 1 si entreprise industrielle, 0 sinonLOCAL 1 si entreprise disposant d’un local fixe, 0 sinonPROPRI 1 si le chef d’entreprise est propriétaire de l’unité, 0 sinon
SCO Nombre d’années d’études du chef d’entrepriseNMEN Nombre de personnes dans le ménage du chef d’entreprise
SECTION II : LES RESULTATS EMPIRIQUES
Les résultats des études empiriques menées montrent que les coefficients des
variables utilisées sont généralement d’une bonne significativité et de signe attendu. Pour
ce qui est de la fonction de probabilité de contrôle, l’ensemble des tests confirme son
caractère endogène. Le fait d’être enregistré (ENREG) est son principal argument et
l’influence positivement, avec une forte précision. Les entreprises formelles, donc connues
des services fiscaux, ont logiquement une probabilité plus forte d’être contrôlées.
La stratégie de contrôle semble par ailleurs être significativement influencé par
l’existence d’un local fixe (LOCAL) et par le degré d’honnêteté (ALPHA) des entreprises,
ce de manière négative. La plus forte probabilité d’être contrôlé pour les entreprises ne
disposant pas de local fixe (LOCAL = 0) peut s’expliquer par le fait que les agents de
l’Etat opèrent principalement sur les marchés ou leurs emplacements publics. Les
commerçants ambulants y exerçant leur activité, sont alors plus fréquemment soumis au
contrôle des autorités. Cette interprétation est renforcée par le fait que la probabilité de
contrôle est plus élevée pour les commerces (l’estimateur de COM est positif) que pour les
industries (l’estimateur de IND est négatif), bien que les paramètres estimés soient
différents de zéro avec un intervalle de confiance faible. La nécessité pour les commerces
d’être visibles, en ayant recours à diverses formes de publicités, peut expliquer ce risque
relativement élevé.
La relation négative entre « ALPHA » et « BETA » tend à démontrer d’autre part
que les entreprises plus honnêtes ont une probabilité plus faible d’être inquiétées.
Toutefois, il n’est pas possible de savoir si cette relation n’est pas uniquement due à la
manière dont est formulée la question définissant la probabilité de contrôle lors de
l’enquête. Il est en effet logique qu’une entreprise « honnête » déclare ne pas avoir
rencontré de problèmes avec les agents de l’Etat pendant l’année écoulée.
Contre toute attente, les estimateurs des variables représentant la taille de
l’entreprise (CA, CAPITAL, EMPLOI) ne sont en revanche jamais significativement
différents de zéro dans des intervalles de confiance suffisants. L’estimateur du chiffre
d’affaires pourrait s’avérer significatif à condition d’omettre la variable « ENREG » du
modèle. Pour un même état d’enregistrement, le chiffre d’affaires n’influence que de
manière marginale la probabilité de contrôle. Ainsi, la stratégie de contrôle fiscal de l’Etat
se concentre principalement sur les entreprises formelles (dans le modèle) et sur les
marchés ou les lieux publics. La taille de l’entreprise ayant un impact quasi nul sur cette
probabilité, la relation positive observée entre taille des entreprises et propension à
l’enregistrement doit s’expliquer autrement que par le risque de pénalisation. C’est à cette
question que nous allons essayer de répondre maintenant.
Les résultats des tests statistiques du modèle d’enregistrement fiscal confirment
bien que la taille de l’entreprise, qu’elle soit représentée par le CA, le capital ou le nombre
de personnes y travaillant, fournit un estimateur précis de la propension à enregistrer son
activité. Cette relation est bien sûr positive, et la question qui nous intéresse est donc
d’expliquer les mécanismes qui y sont sous-jacents. Les régressions présentées ci-dessous
permettent d’établir les facteurs généralement pertinents :
Etant donné les caractéristiques de la probabilité de contrôle, il est logique
d’observer que le paramètre estimé de la probabilité de contrôle (valeur estimée de BETA
à partir de la forme réduite) ne soit pas significativement différent de zéro dans l’équation
structurelle de « ENREG ». Ainsi, la probabilité de contrôle n’exerce pas d’influence dans
le choix des entrepreneurs d’enregistrer leur entreprise. Dans l’hypothèse où il n’existe pas
d’asymétrie d’informations, cette relation devrait d’ailleurs être négative. Les entreprises
mesureraient parfaitement l’intérêt qu’il existe à ne pas s’enregistrer. La « myopie » d’un
grand nombre d’opérateurs entraîne alors que cette probabilité est « subjectivement »
neutre. Il est donc claire que la stratégie de contrôle ne peut pas être considérée comme un
facteur expliquant le passage du formel à l’informel, ni d’un point de vue objectif, ni
subjectif.
Toutefois, ce résultat ne signifie pas que la fiscalité des entreprises est totalement
neutre dans la décision d’enregistrement des unités de production. En effet, le taux de
taxation théorique (TAUX) et la part des intrants formels dans le total des inputs (AA) sont
corrélés avec la propension d’enregistrement avec une bonne précision et avec le signe
attendu. La variable « TAUX » agit de manière négative, alors que le signe du coefficient
de « AA » est positif. Pour cette dernière variable, l’ensemble des régressions effectuées
montre qu’à taille et à processus de production semblables, la part des intrants formels
(dans le total des intrants) est significativement plus élevée pour les entreprises formelles.
Ce résultat confirme le fait qu’il est plus avantageux d’être enregistrée pour une entreprise,
lorsque les intrants formels rentrent pour une part plus importante dans son processus de
production. Le coefficient du taux de taxation est bien de signe négatif (avec t de Student
empirique élevé).
Ainsi, il paraît évident qu’il existe un arbitrage fiscal dans la décision de passage
du formel à l’informel. Ce résultat remet en question la bonne foi des réponses émises par
les entrepreneurs sur leurs motifs de non-enregistrement.
La relation entre l’enregistrement et la rentabilité du travail est positive. Le
modèle permet d’avancer des explications sur les raisons exactes de cette relation.
L’hypothèse de De Soto selon laquelle l’informel, pour dissimuler son activité, est obligé
d’organiser son activité de manière inefficace, n’est valable que si la probabilité de
contrôle est véritablement fonction de la taille de l’entreprise. Or, il ressort des tests
statistiques que tel n’est pas le cas. Il est préférable alors d’expliquer cette relation par le
fait que la fiscalité étant basée sur le chiffre d’affaires, le poids de l’impôt sur le revenu de
l’entrepreneur est plus important lorsque la productivité de l’entreprise est faible. Cette
analyse peut être également avancée pour expliquer l’influence négative de la taille du
ménage du chef d’unité de production (NMEN). La diminution du revenu du chef d’unité
par l’impôt entraîne un sacrifice plus important lorsque le nombre de personnes à charge
croit. Le secteur d’activité (commercial ou industriel) n’influence pas de manière
suffisamment significative la propension à devenir formel. Toutefois, il est intéressant de
noter que le coefficient assigné à la variable commerciale (COM) est négatif, alors que
celui de la variable industrie est de signe positif. La probabilité de contrôle peut expliquer
ce fait, car on remarque plus haut que celle-ci est plus importante pour les commerces.
Pour ces entreprises, il est alors possible que la probabilité de contrôle puisse influencer la
décision de formalisation de l’entreprise.
Les autres éléments propres au chef d’unité de production : niveau de
scolarisation (SCO) ou bien le fait que le chef d’unité soit propriétaire, ne sont pas
pertinents. L’hypothèse d’asymétrie d’informations sur le droit fiscal est de nouveau limité
par le manque de pertinence de la variable scolarisation. Si cette hypothèse s’appliquait, on
devrait observer une relation positive entre le niveau de scolarisation et la propension à
enregistrer l’entreprise. D’autre part, il est intéressant de noter que l’âge de l’entreprise ne
fournit pas d’explication véritablement pertinente du choix d’enregistrement (la probabilité
d’acceptation de l’hypothèse de nullité du coefficient est de 10% dans le meilleur des cas).
Cet élément laisse à penser qu’il n’existe pas vraiment de processus de maturation de
l’entreprise grâce auquel, au cours du temps, sa taille et sa connaissance de
l’environnement juridique s’accroîtraient ensemble. Ce résultat n’est pas étonnant puisque
les études menées sur le processus dynamique des micro entreprises révèle généralement
une faible croissance de ce type d’entreprises.
Leur taille est le plus souvent proche de celle de départ. Le passage de l’informel
au secteur formel semble bien résulter d’un calcul de maximisation du profit après impôt.
Le comportement ressortant des estimations apparaît proche de celui de fraude fiscale. Les
paramètres estimés des variables fiscales montrent en effet que les entreprises cherchent à
se soustraire totalement de l’impôt tant que cette situation leur est économiquement
favorable. Ainsi, une entreprise dont le taux de taxation théorique est important sera plus
enclin à être informel et inversement, celle dont la part des intrants formels est importante
choisira avec une plus forte probabilité d’enregistrer son activité. Nos résultats laissent à
penser que le comportement en matière fiscale des entrepreneurs est actif, et que le
passage entre formel et informel ne résulte pas du hasard ou encore d’un processus naturel
historique.
CONCLUSION
Au terme de cette analyse, on peut avancer que ce travail de recherche a contribué
à faire le point sur la problématique de la fraude fiscale des micro-entreprises à
Madagascar. Partant d’une vision théorique du phénomène, cette étude a essayé dans un
Encadré 1 : Synthèse des résultats du test du modèle
D’une analyse pratique des micro entreprises à Madagascar, il en ressort que :
1) Le fait d’être enregistrée suscite une probabilité de contrôle plus grande : les
entreprises formelles, donc connue des services fiscaux, ont logiquement une
probabilité plus forte d’être contrôlées.
2) Les entreprises ne disposant pas de local ont une probabilité plus forte d’être
contrôlées.
3) En terme de secteur d’activité, la probabilité de contrôle est plus importante pour le
secteur commerce que pour l’industrie.
4) Les entreprises « honnêtes » ont une plus faible probabilité d’être inquiétées.
5) La taille de l’entreprise, qu’elle soit représentée par le CA, le capital ou le nombre de
personnes y travaillant, influe positivement sur la propension d’une micro entreprise à
enregistrer son activité.
6) Le surcoût lié à l’informel accroît la probabilité d’enregistrement de l’activité.
7) Le taux de taxation diminue la probabilité d’être enregistrée. Autrement dit, la fraude
fiscale s’accroît lorsque le taux de taxation augmente.
8) Lorsque la part des intrants formels dans le total des inputs d’une entreprise tend à
augmenter, celle-ci trouve un avantage à s’enregistrer auprès de l’administration
fiscale.
9) L’âge de l’entreprise n’influe pas le choix de l’entrepreneur à ‘enregistrer auprès des
services fiscaux.
10) Le niveau de scolarisation du chef d’unité de production augmente la propension à
enregistrer son entreprise (sous l’hypothèse d’une asymétrie d’information sur le droit fiscal)
premier temps de fournir formalisation du comportement de fraude des micro-entreprises à
l’aide d’un modèle élaboré à partir du modèle fondateur d’Allingham et Sandmo (1972).
L’étude théorique a montré que le passage d’une micro-entreprise du secteur informel au
secteur formel correspond à des motifs de maximisation du profit. Parmi ces motifs
apparaissent les variables fiscales.
En procédant par la suite à une étude empirique sur le sujet, celle-ci a permis de
tester le modèle et ses fondements théoriques tout en faisant ressortir l’influence positive
ou négative des différentes variables sur la décision de fraude de ces micro-unités de
production. Entre autres variables, on peut citer : la probabilité de contrôle ; le taux de
taxation ; la taille de l’entreprise ; l’amende à payer en cas de détection par le fisc…
Cette analyse empirique a permis de faire ressortir que ces micro-entreprises
cherchent à se soustraire totalement de l’impôt tant que cette situation est économiquement
favorable. Ainsi, une entreprise dont le taux de taxation théorique est important sera plus
enclin à être informel et inversement, celle dont la part des intrants formels est importante
choisira avec une plus forte probabilité d’enregistrer son activité. En outre, la taux de
pénalité ou taux d’amende à payer diminue la fraude fiscale et donc accroît la probabilité
pour une entreprise d’être enregistrée. En terme de taille, les entreprises les plus petites
sont informelles et celles plus importantes sont formelles. Autrement dit, les micro-
entreprises choisissent d’évoluer dans le secteur informel jusqu’à atteindre un volume de
production où les bénéfices anticipés sont supérieurs dans le secteur informel. Et une fois
dans le secteur formel ces entreprises deviennent de plus en plus honnêtes car à partir du
moment où elles sont connues des services fiscaux, elles seront dorénavant suivies de près
par l’administration fiscale et la probabilité est plus forte. Globalement, les résultats
fournis par le modèle empirique semblent confirmer la pertinence des résultats théoriques
évoqués en premier chapitre.
Au vu de ces résultats dégagés par l’étude empirique, et en tenant compte du fait
que le pays connaît actuellement une grave crise de ses finances publiques, avec une
érosion constante du taux de pression fiscale, un certain nombre de stratégies seront à
instaurer dont la finalité essentielle est de résoudre ou du moins d’atténuer le problème de
fraude fiscale et les effets néfastes qu’elle entraîne. A Madagascar, la fraude fiscale est
généralisée. Si elle touche naturellement le secteur informel qui échappe largement à
l’enrôlement, le secteur formel est loin d’être exempté. Mais les causes de la sous
fiscalisation sont sans doute moins la sous déclaration de la base imposable que le non
enregistrement ou l’informalisation. Certes le secteur informel s’acquitte de certains
impôts, notamment locaux, néanmoins, il est très largement sous fiscalisé. Le manque à
gagner pour l’Etat est abyssal. En 1998, la législation en vigueur sur le secteur informel
(TST, IRNS, Patente) aurait dû générer 1 080 Milliards de FMG. Seul un montant dérisoire
est entré dans les caisses de l’Etat. A titre de comparaison, l’ensemble de toutes les recettes
fiscales du pays se monte à 1 688 Milliards. Le manque à gagner sur le secteur informel
atteint donc à 64% de »s impôts effectivement collectés. Si ces recettes avaient été
récupérées, la pression fiscale serait passée de 9,3% du PIB à 15,3%. Ainsi, une première
stratégie consistera alors en une fiscalisation des unités de production informelles, la
seconde en une instauration de fiscalité de proximité et la dernière, et non la moins
importante, en une formalisation de ces mêmes unités de production.
La fiscalisation des unités de production informelles représente un défi pour
Madagascar. Il convient donc de s’interroger sur l’objectif et le bien-fondé d’une telle
politique. L'impôt constitue de très loin la première ressource financière de l'Etat, gage de
sa souveraineté. Or la pression fiscale à Madagascar se situe parmi les plus faibles du
monde, et qui plus est en baisse depuis le milieu des années 80, malgré un léger
redressement observé récemment. De l'ordre de 9% du PIB depuis quelques années, elle se
situe très en deçà du taux moyen observé dans des économies de niveau de développement
comparable, où le taux de pression fiscale atteint 15%. En Europe, les prélèvements
obligatoires (impôts et cotisations sociales) se montent même à près de 50%.
Non seulement, le taux de pression fiscale est notoirement insuffisant, mais en
plus, Madagascar est engagé dans un processus de transition fiscale qui a pour effet de
réduire la base imposable actuelle. Aujourd'hui, celle-ci repose avant tout sur les
transactions internationales, et dans une moindre mesure sur la partie formelle de
l'économie intérieure. Or, pour des raisons d'efficacité économique et pour
favoriser l'insertion du pays dans l'économie mondiale, l'Etat cherche à transférer une
partie des ressources générées par le commerce extérieur vers des ressources assises sur
l'activité intérieure. D'ores et déjà, les taxes sur les exportations ont été supprimées, et les
droits sur les importations sensiblement réduits. De plus, depuis le début de la décennie, les
autorités promeuvent l'investissement direct étranger par des mesures de défiscalisation des
entreprises franches, qui pèsent de plus en plus lourd dans l'économie nationale. Transférer
le surcroît de charge fiscale sur le seul secteur formel orienté sur le marché intérieur risque
d'en compromettre la compétitivité, et donc à terme de réduire encore l’assiette de l’impôt,
déjà trop étroite. La marge de manœuvre est donc particulièrement faible. Dans ces
conditions, la fiscalisation du secteur informel est une nécessité.
Mais en contrepartie, quels avantages pourraient en retirer les opérateurs
informels, en dehors de leur aspect d’obligation ? Ces avantages sont de deux ordres.
D’une part, les recettes publiques sont supposées bénéficier à l’ensemble de la Nation en
permettant à l’Etat d’administrer le pays (police, justice, cadre réglementaire, etc) et de
fournir un certain nombre de biens publics nécessaires au développement (infrastructure,
santé, éducation, etc). D’autre part, la légalisation des activités informelles, dont le respect
de la législation fiscale est un élément essentiel, est censée réduire leurs coûts de
transaction. Etre en règle avec l’Etat réduit la probabilité de contrôle et de harcèlement de
la part des agents publics (amendes, corruption, fermeture). Mais c’est aussi une condition
préalable pour bénéficier d’un certain nombre de services aux entreprises (publics et
privés) comme l’accès aux marchés publics, aux grossistes, aux importations, aux
institutions de crédit, aux programmes de promotion, etc.
La deuxième stratégie qui consiste à mettre en place une fiscalité de proximité
tient essentiellement au fait que le système d’imposition des petites entreprises est inadapté
à Madagascar. Les calculs de recettes potentielles sur le secteur informel montre
clairement l’existence d’un gisement fiscal réel. Cependant, l’application de la loi fiscale
en vigueur pose de véritables problèmes de redistribution. Les taux théoriques semblent
bien trop élevés. A titre d’information, Les PME dont le chiffres d’affaires (CA) est
inférieur à 250 millions de FMG sont obligées de payer plusieurs impôts d’Etat et locaux.
Parmi ces impôts, trois sont particulièrement importants ; il s’agit, d’une part, de la taxe
professionnelle et de l’impôt sur les revenus non salariaux (IRNS) qui sont des impôts
directs, et, d’autre part, de la taxe sur les transactions (TST), impôt indirect.
En considérant seulement le calcul de ces trois principaux impôts dont doivent
s’acquitter les PME, on comprend pourquoi peu d’entrepreneurs se soumettent à leur
devoir fiscal, entraînant un manque à gagner énorme pour l’Etat. Pour la taxe
professionnelle, l’inadaptation tient au fait que dans la majorité des cas, il est très difficile
aux petits entrepreneurs de calculer la valeur locative de leur local et de leur matériel. Le
calcul du droit proportionnel se base donc, soit sur des chiffres non fiables, soit
uniquement sur le droit fixe, ce qui conduit à d’énormes biais. De plus, en raison du
système de calcul (au cas par cas) et des moyens matériels et humains dont dispose
l’administration fiscale, il est évident que la base d’imposition calculée est erronée. En ce
qui concerne l’impôt sur les revenus non salariaux, tout le système est basé sur la
déclaration de revenus. Or, d’une part, la plupart des entrepreneurs informels sont
incapables de la remplir, et, d’autre part, les moyens de contrôle de l’administration fiscale
sont quasi inexistants. Pour les taxes sur les transactions, il y a toujours le problème de la
fiabilité de la déclaration de revenus.
Les inadaptations de ces trois types d’impôts au niveau des micro entreprises
amène à proposer la mise en place de l’impôt sur les facteurs de production ou l’impôt
synthétique. Cette réforme a été déjà introduite dans la loi de finances 1998 et censé entrer
en vigueur dès l’exercice 1999. Elle consiste en une simplification radicale du système
d’imposition. Autrement dit, son principe est basé sur le regroupement de toutes les taxes
sur l’activité (taxe sur la valeur ajoutée, impôt sur les bénéfices, taxe professionnelle, etc.)
en un impôt unique, dont les modalités de calcul doivent être aisément mises en œuvre, du
fait de l’absence de document comptable de la plupart des entreprises individuelles.
La troisième et dernière stratégie est inhérente à la formalisation du secteur
informel. Pour le bon fonctionnement d’un Etat de droit, il est nécessaire que les lois soient
effectivement respectées (enregistrement des micro-unités auprès de l’administration :
registre de commerce, numéro statistique…) et que le secteur informel puisse s’insérer à
part entière dans le cadre de la régulation officielle, et de bénéficier de ces éventuels
bienfaits. L’Etat devrait alors pousser les activités des micro-entreprises informelles dans
la légalité et par une action répressive si cela est nécessaire mais devrait en contrepartie
résoudre le problème de complexité des procédures de législation, calquées sur celles en
vigueur dans les pays développés au moment des indépendances, améliorer la
concertation, la transparence et l’efficacité.
La résolution de la problématique de fraude fiscale développée dans ce document
a été axée en grande partie sur un schéma d’incitation des micro entreprises à accomplir
leur devoir. Certes, cette stratégie se révèle être d’un grand secours pour régulariser le
problème des rentrées fiscales de l’Etat en essayant de combler le manque à gagner
énorme. Mais ne serait-il pas aussi grand temps de repenser au changement de l’Etat lui-
même ? En effet, force est de constater que l’impôt soit disant émanant du consentement
des contribuables se voit de plus en plus fraudé par ces mêmes contribuables. Autrement
dit, le contribuable refuse d’acquitter une dette ou un engagement qu’il aurait réellement
accepté. Se posent alors les questions : L’Etat pourquoi ? Au bénéfice de qui ? Bref, c’est
la finalité même de l’Etat qui serait remise en cause. Certains diront alors qu’ils ne paieront
pas l’impôt ou ne le paieront en partie que s’ils recevraient une contrepartie de l’Etat ; ou
encore que lorsqu’ils sont face à un programme public qu’ils ont sélectionné eux-mêmes et
qu’ils sont sûrs d’en bénéficier intégralement. De ce point de vue, la fraude fiscale serait
assimilée à la revendication d’un droit : celui de s’opposer à l’abus étatique.
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