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UNIVERSITE DE ROUEN Année Universitaire 2012-2013
Travaux dirigés – 1ère année Licence Droit
INTRODUCTION AU DROIT - Cours de Mme le Professeur Julie KLEIN
TROISIEME SEANCE
DROIT ET AUTRES SYSTEMES NORMATIFS
I.- PREMIERE APPROCHE
- Selon la définition élémentaire donnée en cours, le droit peut être compris, dans une
première approche, de trois manières différentes :
- Envisagé par son contenu, on admettra aisément qu’il regroupe un ensemble de règles de
droit. Encore faut-il alors s’accorder sur ce qui est ou n’est pas juridique, on dit : sur le
critère de la juridicité. En effet, il existe une multitude de règles ayant vocation à
gouverner le comportement des hommes qui ne sont pas pour autant juridiques : règles
de conduite sociale, règles issues de la religion ou de la morale, règles de courtoisie ou
encore d’honneur. Qu’est-ce qui fait alors qu’une règle peut être dite juridique et pas une
autre ? Concrètement, la question se complique du fait qu’il existe des interférences entre
ces règles de nature différente : ainsi, les règles de droit d’une part et les règles religieuses
ou morales d’autre part, quoique distinctes, entretiennent des liens, plus ou moins étroits
selon les systèmes juridiques et selon les époques. On reviendra, à l’occasion de la
présente séance, sur ces rapports (v. notamment doc. 1).
- Envisagé par son objectif, le droit vise à organiser les rapports entre les hommes. Là
encore, cette évidence n’est pas sans soulever maintes interrogations, qui tournent autour
des relations entre le droit et les mœurs, les habitudes ou les pratiques préfèreraient dire
certains. Les mœurs, qui secrètent des règles de conduite sociale, ont vocation également à
être source créatrice de droit : imaginerait-on un droit totalement contraire aux pratiques
sociales des individus ? Mais, pour autant, le droit doit-il suivre les mœurs ? Au
demeurant, n’a-t-il pas également vocation à les précéder et à les infléchir, le cas échéant ?
C’est à ces interrogations qu’est consacrée, à titre principal, la séance (v. infra, II).
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- Envisagé par ses méthodes, le droit apparaît posséder indéniablement un caractère
scientifique, qui s’incarne dans les spécificités de son langage (v. les concepts juridiques) et
de ses méthodes. On en prendra également conscience par l’étude des documents qui
suivent.
II.- LE DROIT ET LES MŒURS
La règle de droit a, comme toute règle, des antécédents qui l’expliquent et la justifient.
Elle a également des conséquences. Parmi les nombreux antécédents de la règle de droit,
les mœurs – comprises comme l’ensemble des pratiques sociales réglant les actions des
hommes – occupent une place particulière. En effet, par le fait qu’elle est appelée à
gouverner la vie des hommes en société, on peut concevoir que la règle de droit s’inspire
du milieu social dans lequel elle va s’insérer. Aussi bien, voit-on la règle de droit évoluer
selon les époques, pour s’adapter. Pour s’en tenir à des exemples symptomatiques, on
pourrait prendre appui sur l’évolution de la législation en matière de droit de la famille (v.
ainsi l’amélioration progressive de la condition des enfants naturels et adultérins,
l’admission puis l’assouplissement du divorce, l’évolution de la législation en matière
d’adultère, la progression de la condition de la femme dans la famille, etc.). On verra, tout
au long de cette année, que les évolutions de la société produisent des effets en de
multiples domaines.
Le constat est bien normal, dès lors que l’on admet que le droit lui-même est un
phénomène social parmi d’autres, qui entretient des liens avec les autres systèmes
normatifs :
Document 1 : J. Carbonnier, « Les phénomènes d’inter-normativité », in Essais sur les lois,
éd. du répertoire du notariat Defrénois, p.250 et s.
Mais est-il toujours légitime que le droit prenne en compte l’évolution de la société ? Si la
question est complexe, c’est que ce que l’on nomme ici grossièrement ‘‘évolution de la
société’’ masque souvent des revendications particulières de certains groupes sociaux : la
règle de droit est-elle là pour enregistrer et faire droit à toutes les revendications ?
N’existe-il pas des intérêts supérieurs, qui justifieraient de ne pas répondre à toutes les
aspirations, seraient-elles parfaitement défendables et compréhensibles ?
Au demeurant, l’interrogation posée ne peut être comprise si l’on oublie que le droit a
parfois également vocation à influer sur les mœurs : loin d’en être toujours le produit, il
est également à l’origine de comportements sociaux, qu’il peut créer ou encourager. Mais
là encore, les choses sont plus nuancées : le droit ne peut pas tout, en dépit d’une
croyance aujourd’hui solidement ancrée chez ceux qui prônent son hégémonie – les
adeptes du panjuridisme. Malgré la multiplication des demandes de droit, en direction des
pouvoirs publics, il ne faudrait pas croire que le droit puisse tout, pour le bonheur de tous
et de chacun. Ce qui pose ici une interrogation essentielle : les mœurs peuvent-elles être
transformées à coups de règles de droit ?
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Document 2 : Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre XIX, ch. XIV et s.
Ces interrogations sont, avec d’autres, celles que pose – posait – la reconnaissance par les
pouvoirs publics – par le législateur – d’un statut du concubinage et, plus précisément,
d’un statut du concubinage homosexuel.
Sur ce point, la jurisprudence s’était montrée bien plus réticente que la loi, au point
d’ailleurs que la seconde n’a pas hésité, ici, à démentir la première (on en tirera quelques
idées sur les rapports de la loi et de la jurisprudence) :
Document 3 : Cass. Soc., 11 juillet 1989 (1ère espèce), Bull. V, n°514 et 515; D. 1990,
p.582, note Ph. Malaurie.
Document 4 : Articles 515-1, 515-2, 515-8 du Code civil issus de la loi du 15 novembre
1999 relative au pacte civil de solidarité et 515-3-1 et 515-4 issus de la loi du 23 juin 2006.
La question a depuis rejaillit sous l’angle de la question du mariage homosexuel.
Document 5 : Cass. Civ.1ère, 13 mars 2007, Bull. civ. I, n°113 ; D. 2007, p.1375, point de
vue d’H. Fulchiron ; D. 2007, p.1389, concl. G. Pluyette et note E. Agostini ; Defrénois
2007, p.781, obs. J. Massip ; RTD civ. 2007, p.315, obs. J. Hauser.
Document 6 : Cons. Const., déc. n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011.
Document 7 : Avant-projet de loi visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de
même sexe (extraits)
III.- LE DROIT ET LA RELIGION
L’article 1er de la Constitution de la Ve République énonce que la France est une
République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de
tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les
croyances. L’Église et l’État sont séparés depuis la loi du 9 décembre 1905 : le droit est
élaboré en dehors de l’Église, ou plus exactement des Églises. Toutefois, des litiges liés
aux convictions religieuses naissent quelquefois. Le juge doit-il alors les prendre en
considération ?
Document 8 : Cass. Civ.1ère, 14 novembre 2006, Bull. civ. I, n°485 ; D. 2007, p.2072, note
E. Dreyer ; JCP 2007, 10041, note Ph. Malaurie.
Document 9 : TGI Paris, 22 mars 2007, JCP, G, 2007, II 10079, note E. Derieux
(extraits).
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Document 10 : TGI Lille, 1er avril 2008 ; D. 2008, p.1389, note P. Labbée ; RTD civ,
2008, p.455, obs. J. Hauser.
Au-delà, la loi peut-elle s’immiscer dans la sphère du religieux ?
Document 11 : Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du
visage dans l’espace public.
EXERCICE : Dissertation – « Droit et religion ».
Quelques conseils de méthode :
La dissertation est sans doute l’exercice qui vous paraît le moins nouveau. Toutefois, il
existe certaines spécificités dans la dissertation juridique.
La dissertation en droit a pour objet de présenter une réflexion sur un sujet donné.
L’introduction sert à analyser le sujet et à cerner le problème qu’il soulève. Cela supposera
dans un premier temps d’expliciter tous les termes du sujet, avant de découvrir la
problématique à laquelle devra répondre le plan adopté. L’introduction est également
l’occasion d’évacuer certaines questions marginales, à condition de le justifier, et d’ouvrir
sur des problématiques plus larges qu’inspire le sujet (droit comparé, considérations
historiques, économiques, sociologiques, philosophiques)...
Concrètement, l’introduction se fait en entonnoir : il faut commencer par une accroche
qui révèle l’intérêt du sujet, puis définir les termes du sujet, avant de remettre le sujet dans
son contexte historique, sociologique, politique… Il faut ensuite expliquer l’actualité du
sujet (les sujets en droit ne se traitent pas de façon statique). Il s’agit de découvrir l’intérêt
tant théorique que pratique du sujet qui vous est proposé. C’est cet effort qui va vous
permettre de définir la problématique du sujet auquel devra répondre le plan que vous
annoncerez.
Le plan de la dissertation doit rendre compte de la problématique. Un bon plan doit
permettre de comprendre à la fois la problématique et la thèse soutenue.
Le plan d’une dissertation juridique doit en général être construit autour de deux parties
renfermant chacune deux sous-parties (IA/IB/IIA/IIB). Il faut, pour les découvrir, sérier
les différentes questions qui vous semblent devoir être traitées, puis les rassembler par
affinité. Mais la dissertation n’est pas une récitation de cours : le plan devra toujours
répondre à la problématique que vous avez dégagée.
Les intitulés du plan doivent ensuite être travaillés pour ne pas apparaître trop « bateaux ».
Une fois la structure de la dissertation ainsi définie, il ne vous restera plus qu’à « remplir »
vos sous-parties en exposant votre pensée et en illustrant vos arguments à l’aide de vos
connaissances. C’est à vous !
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Document 1 : J. Carbonnier, « Les phénomènes d’inter-normativité », in Essais sur les lois, éd. du répertoire du notariat Defrénois, p. 250 et s.
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Document 3 : Cass. Soc., 11 juillet 1989 (1ère espèce), Bull. V, n°514 et 515; D. 1990, p.582, note Ph. Malaurie.
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... steward à la compagnie Air-France, a sollicité en
faveur de M. Y... avec lequel il déclarait entretenir une liaison homosexuelle, la délivrance
par son employeur d’un billet à tarif réduit, dit billet R permettant de voyager sur les
lignes de la compagnie ;
Attendu, qu’il fait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande, alors, d’une part, qu’en
estimant que le bénéfice des dispositions réglementaires prises en application du statut du
personnel d’Air-France prévoyant des facultés de transport au profit des concubins des
agents de la compagnie ne pourrait être invoqué que si l’agent et son concubin n’étaient
pas du même sexe, condition qui ne résulte pas des dites dispositions, la cour d’appel a
violé par fausse application l’article 74 du statut du personnel au sol d’Air-France et le
paragraphe 11 de la " note complémentaire aux paragraphes 2411 et 2432 datée du 1er
octobre 1983 ", alors, d’autre part, et en tout état de cause, qu’en statuant par de tels
motifs qui ne suffisaient pas à justifier l’interprétation ainsi adoptée par elle, la cour
d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions susvisées,
alors, en outre, qu’une telle interprétation dudit règlement, si elle était retenue, aboutirait à
le rendre illégal, comme contraire à diverses dispositions législatives proscrivant toute
discrimination, notamment en droit du travail, à raison du sexe ou des moeurs et au
préambule de la Convention européenne des droits de l’homme en sorte qu’il appartenait
à la cour d’appel de renvoyer au Conseil d’Etat le problème de la légalité du règlement sur
ce point et alors, enfin, que s’agissant d’une question d’ordre public, la Cour de Cassation
ne pourrait elle-même rejeter ces griefs sans renvoyer à titre préjudiciel aux juridictions
administratives l’examen de la légalité de l’article 74 du statut du personnel au sol auquel
se réfère l’article 92 du personnel navigant ainsi que du paragraphe 11 de la note
complémentaire précitée ;
Mais attendu, qu’après avoir observé que la réglementation du personnel au sol, également
applicable au personnel navigant, sur le fondement de laquelle M. X... avait formé sa
demande a été prise en application de l’article 74 du statut aux termes duquel des facilités
de transport sur les lignes de la compagnie sont accordées aux agents et aux membres de
leur famille, la cour d’appel a justement décidé que l’article 2411 de cette réglementation
qui étend le bénéfice de ladite mesure au " conjoint en union libre ", doit être compris
comme ayant entendu avantager deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux,
sans pour autant s’unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu’un couple constitué
d’un homme et d’une femme ; qu’ayant ainsi défini le champ d’application de la
disposition litigieuse, elle a, sans avoir à trancher une question de légalité, justifié sa
décision ;
D’où il suit que les griefs du pourvoi ne sauraient être accueillis ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
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Document 4 : Articles 515-1, 515-2, 515-8 du Code civil issus de la loi du 15
novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité et 515-3-1 et 515-4 issus de la loi
du 23 juin 2006.
Article 515-1
Un pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures,
de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune.
Article 515-2
A peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité :
1° Entre ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés en ligne directe et entre
collatéraux jusqu’au troisième degré inclus ;
2° Entre deux personnes dont l’une au moins est engagée dans les liens du mariage ;
3° Entre deux personnes dont l’une au moins est déjà liée par un pacte civil de solidarité.
Article 515-3-1
Il est fait mention, en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, de la déclaration
de pacte civil de solidarité, avec indication de l’identité de l’autre partenaire. Pour les
personnes de nationalité étrangère nées à l’étranger, cette information est portée sur un
registre tenu au greffe du tribunal de grande instance de Paris. L’existence de conventions
modificatives est soumise à la même publicité.
Article 515-4
Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune, ainsi
qu’à une aide matérielle et une assistance réciproques. Si les partenaires n’en disposent
autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives.
Les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un
d’eux pour les besoins de la vie courante. Toutefois, cette solidarité n’a pas lieu pour les
dépenses manifestement excessives. Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du
consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à
moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la
vie courante.
Article 515-8
Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un
caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même
sexe, qui vivent en couple.
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Document 5 : Cass. Civ.1ère, 13 mars 2007, Bull. civ. I, n°113 ; D. 2007, p.1375, point
de vue d’H. Fulchiron ; D. 2007, p.1389, concl. G. Pluyette et note E. Agostini ;
Defrénois 2007, p.781, obs. J. Massip ; RTD civ. 2007, p.315, obs. J. Hauser.
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 19 avril 2005), que, malgré
l’opposition notifiée le 27 mai 2004 par le procureur de la République près le tribunal de
grande instance de Bordeaux, le maire de la commune de Bègles, en sa qualité d’officier
d’état civil, a procédé, le 5 juin 2004, au mariage de MM. X... et Y... et l’a transcrit sur les
registres de l’état civil ; que cet acte a été annulé, avec mention en marge des actes de
naissance des intéressés ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que MM. X... et Y... font grief à l’arrêt d’avoir déclaré recevable l’action du
ministère public, alors, selon le moyen :
1°/ qu’en vertu de l’article 184 du code civil, tout mariage contracté en contravention aux
dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163, peut être attaqué
par le ministère public ; qu’aucun de ces textes ne pose comme critère de validité du
mariage la différence de sexe des époux ; qu’en déclarant recevable l’action du ministère
public, la cour d’appel a violé l’article 184 du code civil ;
2°/ qu’en dehors des cas spécifiés par la loi, le ministère public ne peut agir que pour la
défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci ; qu’en
déclarant recevable l’action du ministère public, sans dire en quoi les faits qui lui étaient
soumis, non contraires aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 du code civil,
avaient porté atteinte à l’ordre public, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au
regard de l’article 423 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 423 du nouveau code de procédure civile, le
ministère public peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui
portent atteinte à celui-ci ; que la célébration du mariage au mépris de l’opposition du
ministère public ouvre à celui-ci une action en contestation de sa validité ; que le moyen
n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que MM. X... et Y... font grief à l’arrêt d’avoir annulé l’acte de mariage dressé le 5
juin 2004, avec transcription en marge de cet acte et de leur acte de naissance, alors, selon
le moyen :
1°/ qu’en retenant que la différence de sexe constitue en droit interne français une
condition de l’existence du mariage, cependant que cette condition est étrangère aux
articles 75 et 144 du code civil, que le premier de ces textes n’impose pas de formule
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sacramentelle à l’échange des consentements des époux faisant référence expressément
aux termes "mari et femme", la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
2°/ qu’il y a atteinte grave à la vie privée garantie par l’article 8 de la Convention lorsque
le droit interne est incompatible avec un aspect important de l’identité personnelle du
requérant ; que le droit pour chaque individu d’établir les détails de son identité d’être
humain est protégé, y compris le droit pour chacun, indépendamment de son sexe et de
son orientation sexuelle, d’avoir libre choix et libre accès au mariage ; qu’en excluant les
couples de même sexe de l’institution du mariage et en annulant l’acte de mariage dressé le
5 juin 2004, la cour d’appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que par l’article 12 de la Convention se trouve garanti le droit fondamental de se
marier et de fonder une famille ; que le second aspect n’est pas une condition du premier,
et l’incapacité pour un couple de concevoir ou d’élever un enfant ne saurait en soi passer
pour le priver du droit visé par la première branche de la disposition en cause ; qu’en
excluant les couples de même sexe, que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, de
l’institution du mariage, cependant que cette réalité biologique ne saurait en soi passer
pour priver ces couples du droit de se marier, la cour d’appel a violé les articles 12 et 14
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;
4°/ alors que si l’article 12 de la Convention vise expressément le droit pour un homme et
une femme de se marier, ces termes n’impliquent pas obligatoirement que les époux
soient de sexe différent, sous peine de priver les homosexuels, en toutes circonstances, du
droit de se marier ; qu’en excluant les couples de même sexe de l’institution du mariage, et
en annulant l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, la cour d’appel a violé les articles 12 et
14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;
5°/ que le libellé de l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne s’écarte délibérément de celui de l’article 12 de la Convention européenne des
droits de l’homme en ce qu’il garantit le droit de se marier sans référence à l’homme et à
la femme ; qu’en retenant que les couples de même sexe ne seraient pas concernés par
l’institution du mariage, et en annulant l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, la cour
d’appel a violé l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
Mais attendu que, selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une
femme ; que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention
européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne qui n’a pas en France de force obligatoire ; que le moyen n’est fondé en
aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
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Document 6 : Cons. Const., déc. n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011.
1. Considérant qu’aux termes de l’article 75 du code civil : « Le jour désigné par les parties,
après le délai de publication, l’officier de l’état civil, à la mairie, en présence d’au moins
deux témoins, ou de quatre au plus, parents ou non des parties, fera lecture aux futurs
époux des articles 212, 213 (alinéas 1er et 2), 214 (alinéa 1er) et 215 (alinéa 1er) du présent
code. Il sera également fait lecture de l’article 371-1.
« Toutefois, en cas d’empêchement grave, le procureur de la République du lieu du
mariage pourra requérir l’officier de l’état civil de se transporter au domicile ou à la
résidence de l’une des parties pour célébrer le mariage. En cas de péril imminent de mort
de l’un des futurs époux, l’officier de l’état civil pourra s’y transporter avant toute
réquisition ou autorisation du procureur de la République, auquel il devra ensuite, dans le
plus bref délai, faire part de la nécessité de cette célébration hors de la maison commune.
« Mention en sera faite dans l’acte de mariage.
« L’officier de l’état civil interpellera les futurs époux, et, s’ils sont mineurs, leurs
ascendants présents à la célébration et autorisant le mariage, d’avoir à déclarer s’il a été fait
un contrat de mariage et, dans le cas de l’affirmative, la date de ce contrat, ainsi que les
nom et lieu de résidence du notaire qui l’aura reçu.
« Si les pièces produites par l’un des futurs époux ne concordent point entre elles quant
aux prénoms ou quant à l’orthographe des noms, il interpellera celui qu’elles concernent,
et s’il est mineur, ses plus proches ascendants présents à la célébration, d’avoir à déclarer
que le défaut de concordance résulte d’une omission ou d’une erreur.
« Il recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre
pour mari et femme ; il prononcera, au nom de la loi, qu’elles sont unies par le mariage, et
il en dressera acte sur-le-champ » ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article 144 du même code : « L’homme et la femme ne
peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus » ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le dernier alinéa
de l’article 75 du code civil et sur son article 144 ; que ces dispositions doivent être
regardées comme figurant au nombre des dispositions législatives dont il résulte, comme
la Cour de cassation l’a rappelé dans l’arrêt du 13 mars 2007 susvisé, « que, selon la loi
française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme » ;
4. Considérant que, selon les requérantes, l’interdiction du mariage entre personnes du
même sexe et l’absence de toute faculté de dérogation judiciaire portent atteinte à l’article
66 de la Constitution et à la liberté du mariage ; que les associations intervenantes
soutiennent, en outre, que sont méconnus le droit de mener une vie familiale normale et
l’égalité devant la loi ;
5. Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles
concernant « l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions
et libéralités » ; qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de
sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier
l’opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant,
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le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive
pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l’article 61-1 de la
Constitution, à l’instar de l’article 61, ne confère pas au Conseil constitutionnel un
pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ;
que cet article lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité
d’une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ;
6. Considérant, en premier lieu, que l’article 66 de la Constitution prohibe la détention
arbitraire et confie à l’autorité judiciaire, dans les conditions prévues par la loi, la
protection de la liberté individuelle ; que la liberté du mariage, composante de la liberté
personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 ; que les dispositions contestées n’affectent pas la liberté individuelle ;
que, dès lors, le grief tiré de la violation de l’article 66 de la Constitution est inopérant ;
7. Considérant, en second lieu, que la liberté du mariage ne restreint pas la compétence
que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du
mariage dès lors que, dans l’exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties
légales des exigences de caractère constitutionnel ;
8. Considérant, d’une part, que le droit de mener une vie familiale normale résulte du
dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à
l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ; que le dernier
alinéa de l’article 75 et l’article 144 du code civil ne font pas obstacle à la liberté des
couples de même sexe de vivre en concubinage dans les conditions définies par l’article
515-8 de ce code ou de bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité régi par
ses articles 515-1 et suivants ; que le droit de mener une vie familiale normale n’implique
pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ; que, par suite, les dispositions
critiquées ne portent pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale ;
9. Considérant, d’autre part, que l’article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi «
doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe
d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations
différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que,
dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct
avec l’objet de la loi qui l’établit ; qu’en maintenant le principe selon lequel le mariage est
l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a, dans l’exercice de la compétence que
lui attribue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les
couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier
une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu’il n’appartient pas
au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise
en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; que, par suite, le grief tiré de
la violation de l’article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;
10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l’atteinte à la liberté du
mariage doit être écarté ;
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11. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou
liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.° Le dernier alinéa de l’article 75 et l’article 144 du code civil sont conformes à
la Constitution.
Document 7 : Avant-projet de loi visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux
couples de même sexe (extraits).
EXPOSE DES MOTIFS
Institution pluriséculaire où se reflètent traditions et pratiques religieuses, le mariage est
traditionnellement défini comme étant un acte juridique solennel par lequel l’homme et la
femme établissent une union dont la loi civile règle les conditions, les effets et la
dissolution.
Prérogative exclusive de l’église durant l’Ancien régime, le mariage civil, révocable et
enregistré en mairie a été institué par la loi du 20 septembre 1792.
Ce mariage laïc, qui pour l’essentiel transpose les règles du droit canon, n’a toutefois pas
été défini par le code civil, qui traite des actes du mariage, puis dans un titre distinct des
conditions, effets et de la dissolution du mariage. Nulle part n’a été expressément affirmé
que le mariage suppose l’union d’un homme et d’une femme. Cette condition découle
toutefois d’autres dispositions du code civil.
De fait, jusqu’à une époque récente, l’évidence était telle que ni les rédacteurs du Code, ni
leurs successeurs, n’éprouvèrent le besoin de le dire expressément. La différence de sexe
n’en était pas moins une condition fondamentale du mariage en droit français, de sorte
que son non respect constituait une cause de nullité absolue du mariage (art 184).
L’idée de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe a constamment progressé
depuis le vote de la loi du 15 novembre 1999 sur le PACS, une majorité de français y étant
aujourd’hui favorable. Il est vrai que si le PACS a permis de répondre à aspiration réelle
de la société et que son régime a été significativement renforcé et rapproché du mariage,
des différences subsistent, et cet instrument juridique ne répond ni à la demande des
couples de même sexe qui souhaitent d’une part pouvoir se marier ni à leur demande
d’accès à l’adoption.
Une nouvelle étape paraît doit donc être franchie.
Tel est l’objet du présent projet de loi qui ouvre le droit au mariage aux personnes de
même sexe et par voie de conséquence l’accès à la parenté à ces couples, via le mécanisme
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de l’adoption qui lui est intimement lié. Ce sont donc à titre principal les dispositions du
code civil relatives au mariage et à l’adoption qui sont modifiées ainsi que celles relatives
au nom de famille, qui nécessitent des adaptations. Enfin des dispositions de coordination
sont nécessaires principalement dans le code civil mais aussi dans nombre d’autres codes
(…).
Document 8 : Cass. Civ.1ère, 14 novembre 2006, Bull. civ. I, n°485 ; D. 2007, p.2072,
note E. Dreyer ; JCP 2007, 10041, note Ph. Malaurie.
Attendu que la société GIP, titulaire de la marque de vêtements Marithé François X...
(MFG) a, à l’occasion du lancement de sa collection de printemps 2005, fait apposer une
affiche, du 1er au 31 mars 2005, sur une surface de 400 m2 de la façade d’un immeuble de
la porte Maillot à Neuilly-sur-Seine, qui consistait en une photographie inspirée du tableau
"La Cène" de Léonard de Vinci, ses participants étant remplacés par des femmes portant
des vêtements de la marque et accompagnées d’un homme dos nu ; que l’association
Croyances et libertés, estimant que cette publicité était injurieuse à l’égard de la
communauté des catholiques, a demandé au juge des référés qu’il soit interdit à l’agence
Air Paris et à la société MFG d’afficher, de diffuser ou de publier la photographie
litigieuse au motif qu’elle constituerait une injure au sens des articles 29, alinéa 2, et 33,
alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 et à ce titre un trouble manifestement illicite ; que cette
association a ensuite limité ses prétentions à l’affichage public de la photographie litigieuse
; que par ordonnance du 10 mars 2005, le tribunal de grande instance de Paris, retenant
l’existence de l’injure alléguée, a interdit aux sociétés GIP et JC Decaux publicité
lumineuse d’afficher la photographie en tous lieux publics et sur tous supports, ordonné
l’interruption de son affichage, fixé une astreinte de 100 000 euros, mis hors de cause les
autres défendeurs ; que l’affiche a été déposée le 11 mars 2005 et remplacée par l’image de
la seule table précédemment utilisée dépourvue de tout personnage ;
(…)
Vu les articles 29, alinéa 2 , 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l’article 809
du nouveau code de procédure civile, ainsi que 10 de la Convention européenne des
droits de l’homme ;
Attendu que pour interdire d’afficher la photographie litigieuse en tous lieux publics et sur
tous supports et faire injonction de l’interrompre, la cour d’appel a énoncé que cette
affiche, dont la recherche esthétique n’était pas contestée, reproduisait à l’évidence la
Cène de Jésus-Christ..., que cet événement fondateur du christianisme, lors duquel Jésus-
Christ institua le sacrement de l’Eucharistie, faisait incontestablement partie des éléments
essentiels de la foi catholique ;
que dès lors l’installation de l’affiche litigieuse sous la forme d’une bâche géante sur le
passage d’un très grand nombre de personnes, constituait l’utilisation dévoyée, à grande
échelle, d’un des principaux symboles de la religion catholique, à des fins publicitaires et
commerciales en sorte que l’association Croyances et libertés était bien fondée à soutenir
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qu’il était fait gravement injure, au sens des articles 29, alinéa 2, et 33, alinéa 3, de la loi
susvisée aux sentiments religieux et à la foi des catholiques et que cette représentation
outrageante d’un thème sacré détourné par une publicité commerciale leur causait ainsi un
trouble manifestement illicite qu’il importait de faire cesser par la mesure sollicitée ; que
ladite composition n’avait d’évidence pour objet que de choquer celui qui la découvrait
afin de retenir son attention sur la représentation saugrenue de la Cène ainsi travestie, en y
ajoutant ostensiblement une attitude équivoque de certains personnages, et ce, au profit
de la marque commerciale inscrite au-dessus de ce tableau délibérément provoquant ;
que le caractère artistique et l’esthétisme recherchés dans ce visuel publicitaire
n’empêchait pas celui-ci de constituer même si l’institution de l’Eucharistie n’y était pas
traitée un dévoiement caractérisé d’un acte fondateur de la religion chrétienne avec un
élément de nudité racoleur, au mépris du caractère sacré de l’instant saisi ... ;
Qu’en retenant ainsi l’existence d’un trouble manifestement illicite, quand la seule parodie
de la forme donnée à la représentation de la Cène qui n’avait pas pour objectif d’outrager
les fidèles de confession catholique, ni de les atteindre dans leur considération en raison
de leur obédience, ne constitue pas l’injure, attaque personnelle et directe dirigée contre
un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse, la cour d’appel a violé
les textes susvisés ;
Et attendu que la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige en appliquant la
règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS ;
CASSE ET ANNULE.
Document 9 : TGI Paris, 22 mars 2007, JCP, G, 2007, II 10079, note E. Derieux
(extraits).
Attendu qu’eu égard au droit applicable, il y a lieu d’examiner, pour chacun des trois dessins poursuivis, s’il revêt un caractère injurieux au sens de la loi sur la presse et quelles personnes il vise, puis de déterminer si le prononcé d’une sanction constituerait une restriction excessive à la liberté d’expression ou au contraire serait proportionné à un besoin social impérieux ; qu’il importe, pour ce faire, d’analyser tant les dessins eux-mêmes que le contexte dans lequel ils ont été publiés par le journal ; Attendu que Charlie Hebdo est un journal satirique, contenant de nombreuses caricatures, que nul n’est obligé d’acheter ou de lire, à la différence d’autres supports tels que des affiches exposées sur la voie publique ; Attendu que toute caricature s’analyse en un portrait qui s’affranchit du bon goût pour remplir une fonction parodique, que ce soit sur le mode burlesque ou grotesque ; que l’exagération fonctionne alors à la manière du mot d’esprit qui permet de contourner la
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censure, d’utiliser l’ironie comme instrument de critique sociale et politique, en faisant appel au jugement et au débat ; Attendu que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre de la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions ; que, du fait de l’excès même de son contenu volontairement irrévérencieux, il doit être tenu compte de l’exagération et de la subjectivité inhérentes à ce mode d’expression pour analyser le sens et la portée des dessins litigieux, le droit à la critique et à l’humour n’étant cependant pas dépourvu de limites ; Attendu que la première caricature publiée en couverture du journal est un dessin de C. montrant un homme barbu, qui représente à l’évidence le prophète Mahomet, se tenant la tête dans les mains, en disant : « C’est dur d’être aimé par des cons... » ; Attendu cependant que ce dernier terme, s’il constitue bien une expression outrageante, ne vise que les « intégristes » expressément désignés dans le titre : « Mahomet débordé par les intégristes » ; Attendu que c’est à tort que les parties civiles poursuivantes prétendent que ce dernier mot ferait seulement référence à un degré plus ou moins élevé de respect des dogmes, renvoyant à l’obscurantisme supposé des nombreux musulmans blessés par la publication renouvelée des caricatures danoises ; qu’en effet, les « intégristes » ne peuvent se confondre avec l’ensemble des musulmans, la une de l’hebdomadaire ne se comprenant que si ce terme désigne les plus fondamentalistes d’entre eux qui, par leur extrémisme, amènent le prophète au désespoir en constatant le dévoiement de son message ; Attendu que ce dessin ne saurait, dans ces conditions, être considéré comme répréhensible au regard de la prévention ; Attendu que les deux autres caricatures poursuivies font partie de celles initialement publiées par le journal danois Jyllands-Posten et reproduites en pages 2 et 3 de Charlie Hebdo ; Que l’une est censée représenter le prophète Mahomet accueillant des terroristes sur un nuage et s’exprimant dans les termes suivants : « Stop stop we ran out of virgins ! », ce qui, d’après les parties civiles, peut être traduit par : « Arrêtez, arrêtez, nous n’avons plus de vierges ! » et se réfère au Coran selon lequel celui qui accomplit certains actes de foi sera promis, au paradis, à la compagnie de jeunes femmes vierges ; Attendu que ce dessin évoque clairement les attentats-suicides perpétrés par certains musulmans et montre le prophète leur demandant d’y mettre fin ; que, néanmoins, il n’assimile pas islam et commission d’actes de terrorisme et ne vise donc pas davantage que le précédent l’ensemble des musulmans en raison de leur religion ; Attendu que le dernier dessin incriminé montre le visage d’un homme barbu, à l’air sévère, coiffé d’un turban en forme de bombe à la mèche allumée, sur lequel est inscrite en arabe la profession de foi de l’islam : « Allah est grand, Mahomet est son prophète » ;
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qu’il apparaît d’une facture très différente et beaucoup plus sombre que les onze autres caricatures danoises, elles-mêmes pourtant très diversifiées tant dans leur style qu’en ce qui concerne le sujet précisément traité ; qu’il ne porte nullement à rire ou à sourire mais inspire plutôt l’inquiétude et la peur ; Attendu que, dans l’éditorial jouxtant ce dessin, Philippe V. a notamment écrit : « Quant au dessin représentant Mahomet avec une bombe dans le turban, il est suffisamment faible pour être interprété n’importe comment par n’importe qui, et le crime est dans l’oeil de celui qui regarde le dessin. Ce qu’il représente, ce n’est pas l’islam, mais la vision de l’islam et du prophète que s’en font les groupes terroristes musulmans » ; Que le prévenu a maintenu à l’audience que ce dessin n’était, à ses yeux, que la dénonciation de la récupération de l’islam par des terroristes et qu’il ne se moquait que des extrémistes ; Attendu que cette interprétation réductrice ne saurait être retenue en l’espèce ; Attendu qu’en effet, dans son article publié en page 4 du même numéro de Charlie Hebdo, Caroline F. admet volontiers que, parmi les dessinateurs danois, « un seul fait le lien entre le terrorisme et Mahomet, dont se revendiquent bel et bien des poseurs de bombes... » et que « ce dessin-là soulève particulièrement l’émoi » ; Attendu que l’un des témoins de la défense entendus par le tribunal, Abdelwahab M., écrivain et universitaire, a insisté sur le caractère problématique de cette caricature en lien avec une longue tradition islamophobe montrant le prophète « belliqueux et concupiscent » ; qu’il a en outre déclaré que ce dessin pouvait être outrageant et constituer une manifestation d’islamophobie, dès lors que son interprétation est univoque en ce qu’il réduit un personnage multidimensionnel à un seul aspect ; Qu’un autre témoin, Antoine S., politologue et rédacteur en chef des Cahiers de l’Orient, s’est dit ému à la vision de ce dessin, comprenant que l’on puisse en être choqué ; Attendu que la représentation d’une bombe formant le turban même du prophète symbolise manifestement la violence terroriste dans nos sociétés contemporaines ; que l’inscription de la profession de foi musulmane sur la bombe, dont la mèche est allumée et prête à exploser, laisse clairement entendre que cette violence terroriste serait inhérente à la religion musulmane ; Attendu ainsi, que si par sa portée, ce dessin apparaît, en soi et pris isolément, de nature à outrager l’ensemble des adeptes de cette foi et à les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, en ce qu’il les assimile – sans distinction ni nuance – à des fidèles d’un enseignement de la terreur, il ne saurait être apprécié, au regard de la loi pénale, indépendamment du contexte de sa publication ; Qu’il convient, en effet, de le considérer dans ce cadre factuel, en tenant compte des manifestations violentes et de la polémique suscitées à l’époque, mais aussi de sa place dans le journal ;
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Attendu que, relativement à la publication des caricatures de Mahomet, Charlie Hebdo ne s’est pas prévalu d’un objectif d’information du public sur un sujet d’actualité, mais a clairement revendiqué un acte de résistance à l’intimidation et de solidarité envers les journalistes menacés ou sanctionnés, en prônant « la provocation et l’irrévérence » et en se proposant ainsi de tester les limites de la liberté d’expression ; que cette situation rend Charlie Hebdo peu suspect d’avoir, comme le prétendent les parties civiles, été déterminé à publier ces caricatures dans une perspective mercantile, au motif qu’il s’agissait d’un numéro spécial ayant fait l’objet d’un tirage plus important et d’une durée de publication plus longue qu’à l’ordinaire ; Attendu que la représentation du prophète avec un turban en forme de bombe à la mèche allumée a été reproduite en très petit format parmi les onze autres caricatures danoises, au sein d’une double page où figuraient également, outre l’éditorial de Philippe V., un texte en faveur de la liberté d’expression adressé à Charlie Hebdo par l’Association du Manifeste des Libertés (AML) rassemblant « des hommes et des femmes de culture musulmane qui portent des valeurs de laïcité et de partage », ainsi qu’un dessin de W. montrant Mahomet hilare à la vue des caricatures danoises ; Attendu, surtout, que le dessin en cause, qui n’est que la reproduction d’une caricature publiée par un journal danois, est inclus dans un numéro spécial dont la couverture « éditorialise » l’ensemble du contenu et sert de présentation générale à la position de Charlie Hebdo ; qu’en une telle occurrence, il ne peut qu’être regardé comme participant à la réflexion dans le cadre d’un débat d’idées sur les dérives de certains tenants d’un islam intégriste ayant donné lieu à des débordements violents ; Attendu qu’ainsi, en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal Charlie Hebdo apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans ; que les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont donc pas été dépassées, le dessin litigieux participant du débat public d’intérêt général né au sujet des dérives des musulmans qui commettent des agissements criminels en se revendiquant de cette religion et en prétendant qu’elle pourrait régir la sphère politique ; Que le dernier dessin critiqué ne constitue dès lors pas une injure justifiant, dans une société démocratique, une limitation du libre exercice du droit d’expression ; Attendu qu’en conséquence, Philippe V. sera renvoyé des fins de la poursuite ; (...)
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Document 10 : TGI Lille, 1er avril 2008 ; D. 2008, p.1389, note P. Labbée ; RTD civ, 2008, p.455, obs. J. Hauser.
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Document 11 : Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du
visage dans l’espace public.
Article 1
Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.
Article 2
I. ― Pour l’application de l’article 1er, l’espace public est constitué des voies publiques
ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.
II. ― L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou
autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des
raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques
sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.
Article 3
La méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue
pour les contraventions de la deuxième classe.
L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné au 8° de l’article 131-16 du
code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende.