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UNIVERSITE DE ROUEN U.F.R. De Psychologie, Sociologie, Sciences de l'éducation. De la folie au handicap psychique, quelle place pour l'éducateur spécialisé ? MEMOIRE POUR LE MASTER 1 DE SCIENCES DE L'EDUCATION. Juin 2009. Eric BELLEARD sous la direction de Madame Catherine Tourette-Turgis 1

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UNIVERSITE DE ROUENU.F.R. De Psychologie, Sociologie, Sciences de l'éducation.

De la folie au handicap psychique, quelle place pour l'éducateur

spécialisé ?

MEMOIRE POUR LE MASTER 1 DE SCIENCES DE L'EDUCATION.

Juin 2009.

Eric BELLEARD

sous la direction de Madame Catherine Tourette-Turgis

1

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Je remercie l'ensemble des adhérents du club

Mozart pour leur accueil et leur aimable

participation.

Je remercie également les administrateurs de

l'association Espoir 33, Monsieur Jean-Paul

Labardin, Directeur du club Mozart, et les

éducateurs(trices) spécialisés(ées) pour leur

contribution et l'accueil chaleureux qui m'a été fait.

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«Ma solitude si durement éprouvée,

Souvent ressentie comme un animal qui mord,

Qui fait penser aux autres, mais pétri de remords,

Je fuis au son de musiques sacrées, enlevées !

Mon coeur d'un choeur se rend plus doux, pluriel,

plus fort !

Ecouter...c'est déjà dire au coeur des autres !

Le bonheur, par chez moi, serait-il des vôtres ?...

Un chant de l'âme adoucit bien des efforts;

J'essaie...Je chante à vous...m'attache...vous qui

pouvez,

De même ville...entendre un air sous les pavés.»

+Bernard Roux-Salembien,

adhérent au club Mozart.

SOMMAIREIntroduction p 5

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Chapitre 1 : Une brève histoire de la folie. p 91.1. La folie au Moyen-âge p 101.2. La folie à la Renaissance. p 121.3. La folie sous l'ancien Régime. p 141.4. Naissance de l'expérience moderne de la folie. p 151.5. Naissance du secteur psychiatrique. p 18

Chapitre 2 : De la maladie mentale au handicap psychique. p 21 2.1. La loi de 1975. p 22

2.2. Les années 80/90 et le livre blanc de la psychiatrie. p 232.3. La loi du 11 févier 2005 et la reconnaissance du handicap psychique. p 26

Chapitre 3: Le handicap psychique, quelles spécificités et quelles pratiques ? p 283.1. Définition du handicap psychique p 283.2. Maladie mentale et psycho-pathologie.. p 303.3. Le rapport Charzat. p 34

Chapitre 4 : Éducation spécialisée et travail sur la relation. p 394.1. L'éducateur spécialisé et le transfert dans la relation éducative. p 404.2. Aspects et structures de la relation humaine. p 434.3. L'éducateur spécialisé : un professionnel de la relation et du savoir-être. p 454.4. Problématique du travail de recherche : le travail relationnel de

l'éducateur confronté au handicap psychique ?p 48

Chapitre 5 : Enquête, analyses et commentaires. p 525.1. Présentation du terrain d'enquête et de la méthode d'enquête. p 525.2. 1ère journée d'enquête : partage d'une journée ordinaire. p 565.3. 2ème journée d'enquête : entretiens avec les adhérents du club Mozart. p 655.4. 3ème journée d'enquête : entretiens avec les éducateurs du club Mozart. p 745.5. Analyses et commentaires p 88

Conclusion p 102

Annexes p 104

Bibliographie et sitographie P 108

INTRODUCTION

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La folie, de tout temps, a intrigué et fasciné. Elle a suscité de l'attrait et de la terreur et n'a

jamais laissé indifférent. Elle est un effondrement du sens et apparaît lorsque la question de la

relation à l'Autre et à soi se retrouve dans un conflit psychique indépassable. Elle envahit

l'être et sa psyché et propulse la personne qui en est atteinte vers la déraison et l'aliénation. La

personne atteinte d'une telle déraison ne communique plus que sur un mode étrange. Le

rapport avec son environnement devient une épreuve douloureuse.

Les fous, devenus au fil de l'histoire, des malades mentaux, ont longtemps été tenus à l'écart

de toute vie sociale. Pourtant, à chaque période de l'histoire, l'homme s'est comporté

différemment face à cet inexplicable. Aussi, est-il, peut-être, plus intéressant de nous

demander quel rapport nous entretenons avec la folie plutôt que de tenter une hypothétique

définition.

Aujourd'hui, un autre regard sur la maladie mentale commence à s'affirmer après de longues

luttes sociales et juridiques, sans oublier l'avancée de la médecine et avec elle de la

pharmacopée. D'autres alternatives à l'hospitalisation psychiatrique pour des malades mentaux

dont la maladie n'est plus évolutive apparaissent dans le paysage social. Ces alternatives

permettent à la personne atteinte de troubles psychiques stabilisés mais invalidants sur le plan

des relations humaines et du quotidien de passer du registre du médical à celui d'une vie en

société plus normalisée. Progressivement, des dispositifs d'accueil et de soutien qui

accompagnent ouvrent une autre voie à ces personnes en leur offrant la possibilité de se

maintenir et de se soutenir dans un quotidien hors de l'hôpital psychiatrique.

Cependant, le retour du malade mental dans la société peut être une épreuve douloureuse pour

lui et son entourage. En effet, en passant d'un lieu de soin protecteur à un univers social qui

peut s'avérer inhospitalier, au regard de ses troubles psychiques, le risque est grand d'une

décompensation psychique. Il apparaît donc de plus en plus important de penser et d'aménager

des dispositifs qui s'inscrivent dans la réadaptation sociale de ce public afin que ce retour

s'effectue dans un mouvement de transition adapté à leurs problématiques.

Récemment, avec la loi du 2 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la

participation et la citoyenneté des personnes handicapées que nous abordons dans ce travail au

chapitre 2, l'Etat s'engage à mettre en place diverses mesures de compensation visant à

combler un manque et à réduire un déficit liés aux troubles psychiques. Il considère que tous

5

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les individus n'ont pas les mêmes compétences et que le principe d'égalité des chances doit

être sauvegardé à condition que la personne handicapée bénéficie d'aides adaptées.

Ainsi, pour ces personnes, un autre «passage» s'ouvre, grâce à cette transition entre la maladie

mentale et la reconnaissance du handicap psychique dans la loi du 2 février 2005. Mais cette

logique de compensation du handicap psychique doit s'appuyer sur des pratiques

professionnelles inscrites dans des projets d'accompagnement prenant en compte l'impact des

réalités sociales et relationnelles sur le ressenti émotionnel de ces personnes.

Les troubles liés à la maladie mentale impliquent un risque accru d'exclusion. Si des murs

commencent à tomber entre la maladie mentale, l'inadaptation sociale et le handicap

psychique, alors un début d'articulation entre les travailleurs sociaux-éducatifs et la

psychiatrie peut commencer à voir le jour. Les travailleurs sociaux-éducatifs et, avec eux, les

éducateurs spécialisés sont aux premières loges pour accueillir les personnes souffrant de

troubles psychiques. Ces professionnels, en effet, exercent leur métier dans ces «passages»,

accompagnateurs vers les chemins de rencontre, se situant essentiellement dans ces interstices

entre le social, l'institution, le groupe et la personne en situation de fragilité. Ce travail de

recherche est l'occasion de nous intéresser au travail relationnel de ces professionnels lors d'

accompagnements en vue d'une réadaptation sociale de personnes porteuses d'un handicap

psychique.

L'éducation est définie comme la mise en œuvre des moyens propres à former et à développer

la personne. Comment l'éducateur spécialisé peut-il, alors, utiliser ses compétences

relationnelles pour favoriser le développement de personnes dont les problématiques

psychopathologiques lui sont relativement inconnues? Jusqu'alors, ces professionnels

n'avaient pas ou peu de contacts avec un tel public, longtemps dévolu à la psychiatrie. Cette

évolution, que nous soulignons dans ce travail, axée sur un rapprochement des politiques

sanitaires avec les politiques sociales, oblige t-elle l'éducateur spécialisé à redessiner sa

pratique, à s'appuyer sur de nouvelles références théoriques, à acquérir de nouvelles

compétences relationnelles et une autre éthique de la relation ?

Afin de répondre à ces questions, nous avons souhaité identifier les modalités d'accueil et

d'accompagnement à travers une pratique relationnelle dans un lieu de travail spécifiquement

conçu pour ce public et appréhender en quoi la relation éducative (et donc relationnelle)

permet à ces personnes de se sentir soutenues dans leur projet de retour à une vie sociale ?6

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Avant d'aborder l'enquête de terrain, nous avons voulu porter notre regard sur l'histoire de la

folie et comprendre comment se sont construites les représentations sociales liées à la folie et

l'évolution de celles-ci du moyen-âge jusqu'à nos jours. Nous avons souhaité, par cette

recherche, dévoiler le fil historique durant lequel s'est progressivement construit le

rapprochement entre folie et éducation spécialisée.

Le chapitre 1 présente les rapports que la société a entretenu avec la folie, du moyen-âge à nos

jours, pour parvenir au moment culturel qui a transformé la folie en maladie mentale.

Le chapitre 2 continue notre exploration historique et sociologique et s'intéresse aux raisons

qui ont poussé les politiques sanitaires et sociales à créer des liens entre la maladie mentale et

la notion de handicap .

Le chapitre 3 explore la question du handicap psychique et vous présente la spécificité de ce

public, et la nécessité de penser des lieux adaptés à ses troubles. Il met aussi, en évidence, les

raisons historiques et sociales qui amènent l'éducateur spécialisé à croiser le chemin de

personnes porteuses d'une maladie mentale invalidante.

Ces trois chapitres sont pour nous, une manière de comprendre si le travail effectué

actuellement par des éducateurs spécialisés auprès de personnes handicapées psychiques peut

représenter une innovation historique quant à la prise en charge de la maladie mentale au

regard de la pratique psychiatrique.

Après vous avoir présenté la spécificité des problématiques liées au handicap psychique, nous

abordons dans le chapitre 4 la spécificité du métier d'éducateur spécialisé, notamment à

travers ses compétences relationnelles qui sont le cœur de sa pratique. Cela nous conduit

progressivement à la problématique de notre travail de recherche en faisant se rejoindre la

folie et par conséquent la maladie mentale, à travers la personne handicapée psychique, et

l'éducateur spécialisé, à travers ses compétences relationnelles au service d'un public qui

jusqu'alors, lui était inconnu.

Nous avons voulu comprendre comment se construisent et se régulent les interactions entre

les éducateurs et les personnes porteuses d'un handicap psychique. Nous avons aussi cherché

7

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à faire émerger les effets que produisent, chez ces personnes, cette interaction avec les

éducateurs et quelles sont les valeurs sous-tendues dans ces relations.

Comment se construisent, par le biais des interactions entre les éducateurs(trices)

spécialisés(es) et les personnes porteuses d'une problématique psychique, les conditions

favorables à un accueil et un accompagnement adaptés ? Cette étude a comme finalité de

porter un regard sur une pratique relationnelle auprès de personnes malades mentales et de

voir si, celle-ci, est en mesure d'apporter une aide bénéfique en vue de leur réadaptation

sociale.

Chapitre 1 : Une brève histoire de la folie.

Ce n'est que depuis peu de temps que nous accordons une place à la maladie mentale en

Occident. Le fou, était autrefois un malade ignoré. Perçue comme une manifestation du8

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démoniaque ou du sacré, la folie est considérée par les sociétés primitives jusqu'au temps de

la Renaissance comme une possession du mauvais esprit qu'il faut chasser du corps.

Ainsi, l'histoire de la folie relève plus d'une histoire des idées religieuses que de la médecine.

Le philosophe Michel Foucault nous démontre que c'est la dimension cosmique et tragique

qui prévaut sur le fou : « Ce qu'il y a dans le rire du fou c’est qu’il rit par avance du rire de la

mort »1

Jusqu'à la Renaissance, les possédés, les démoniaques, les pervertis par le surnaturel sont

condamnés à l'errance. Il y a comme une sorte d'incompatibilité avec la construction d'une

organisation sociale cohérente. Le fou fait peur et il ne faut pas s'en approcher au risque de se

retrouver confronté aux forces du mal et d'être à son tour plongé dans les limbes du démon.

Accusés de tous les maux, les fous, à cette époque, sont parfois considérés comme le diable et

comme des sorcières. Ainsi, ils peuvent être brûlés sur les bûchers ou bien chassés, battus et

vendus à des marchands peu scrupuleux. Leur sort n'est pas enviable. On les craint comme la

peste et ils n'ont leur place que dans la hiérarchie des vices.

L'étymologie du mot folie, vient de fol,(enflure,bosse,grosseur), puis de folis, (soufflet, sacs,

outre remplie de vide). Ainsi, faire le fou en temps de carnaval, était et reste encore, montrer

à tous, le vide que l'on a dans la tête, c'est-à-dire la déraison.

Un rapport complexe s'est souvent noué au cours des âges entre les différents modes

d'organisation sociale et cette résistance singulière que la folie pouvait opposer. La folie étant

une sorte de réponse aux maux de la société qui a toujours fabriqué ses «avatars». Elle est

donc intimement liée à la société qui la produit. C'est ce que nous allons tenter de comprendre

dans les pages qui suivent.

1. 1. La folie au Moyen-âge.

Il y a deux époques, au Moyen-Âge, durant lesquelles la société a traité ses fous

différemment.

1 Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972.

9

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Durant la première partie du Moyen Âge, du VIème au XIème siècle, le christianisme s'impose

avec force et affirme la transcendance de l’âme sur le corps. Le soin médical est avant tout

une affaire de charité et appartient principalement aux religieux. L'église, en profitant du

savoir médical qui est considéré essentiellement comme un fait religieux, affermie son

pouvoir et sa domination sur les âmes. La guérison de la folie ne peut passer que par la foi. Le

malade, et en particulier le fou, que l'on croit possédé par un esprit diabolique, est exorcisé.

Ainsi, ce que la science ne comprend pas, la superstition l'explique. Aussi, puisque la

souffrance est un instrument du salut, il n'est nul besoin de la faire reculer. La folie est donc

une punition divine en cette première partie du moyen-âge. Elle est une conjuration du démon

qu'il faut chasser de l'esprit mauvais par un rite expiatoire.

Cependant, même s'ils renferment le diable dans leur esprit, les fols sont relativement bien

traités. Ils ne sont ni condamnés, ni rejetés par la collectivité. En effet, du fait de l'esprit de

charité qui règne alors, refuser celle-ci, c'est craindre de repousser le Christ lui-même. Aussi,

on laisse le fou, porteur d'un symbolisme riche et inquiétant, déambuler dans la cité. De plus,

il est reconnu et proclamé lors de fêtes et de liesses et se retrouve installé dans les rangs du

pouvoir en jouissant de nombreux privilèges. Sa folie est utilisée comme satire morale et

amusement public servant à railler le luxe et la puissance. Le fou du roi peut ainsi profiter de

son impunité puisqu'on ne condamne pas un innocent !

Mais, à partir de l'an 1000, l'Occident est projeté dans un monde chaotique rempli de misères

et de troubles religieux. La France, en effet, entre dans une période de crise. La famine, les

intempéries, la guerre contre l'Angleterre, l'arrivée des épidémies, contribuent à ruiner le pays.

En 1348, la grande peste noire fait des milliers de victimes ce qui entraîne un traumatisme

profond dans la société. Cette période d'insécurité provoque des réactions de peur et ébranle

l'autorité divine de l'église.

Le peuple, plongé dans l'ignorance et la détresse se réfugie alors dans des croyances

superstitieuses et des pratiques magiques qui restent leurs seules ressources. Ces superstitions

et ces croyances religieuses nourrissent les délires qui expriment inconsciemment une révolte

sociale et alimentent la conviction des chasseurs de sorcières. C'est à cette époque que la folie

s'est retrouvée apparentée avec la sorcellerie. Elle aura bien du mal à s'en affranchir par la

suite.10

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Puis, des mouvements hérétiques se sont amplifiés, exprimant par leurs paroles et leurs actes,

un espoir en une vie meilleure. Pour maintenir l'ordre moral et politique, le Pape Innocent III

créé l'inquisition en 1199 car il faut, à tout prix, combattre l'infamie et l'incroyance en

rétablissant l'ordre monarchique et religieux. Des tribunaux ecclésiastiques sont nommés pour

juger les hérétiques, comme les fous ou les sorciers, qui doivent être châtiés ou brulés vifs. Il

s'agit alors de combattre le diable. Ceux qui survivent sont enfermés avec les prisonniers de

droit commun, déportés et éloignés de la cité.

Foucault nous montre que le fait de chasser le fou, au moyen-âge, n'est pas seulement lié à la

sécurité ni à l'utilité sociale. Il rapproche cette pratique d'un rite religieux qui concerne l'eau.

Le fou est embarqué vers de lointains horizons à travers les océans. Ainsi, l'eau emporte le fou

et en même temps le purifie. La navigation livre le fou à l'incertitude du sort, du destin, il

devient un passager, c'est à dire, un prisonnier du passage2. Il part vers l'autre monde et

débarque en venant de l'autre monde. Cet autre monde raisonne comme un au-delà, l'au-delà

de la vie, donc la Mort. Foucault nous dit : «la folie(...)c'est le déjà-là de la mort »3. Ainsi, ce

lien entre néant et folie au XVème siècle est puissant et subsistera très longtemps encore.

L'auteur cherche, dans son travail, à dégager les traces qu'ont laissés les temps anciens dans

notre conception moderne de la folie. Il repère ainsi, dans la navigation des fous, une place

symbolique et un sens qui existe jusqu'à nos jours. C'est ainsi qu'à la folie sont attribués, à la

fois, les menaces, les inquiétudes, les angoisses et les secrets du monde. Cela subsiste encore

de nos jours. Plus loin dans son ouvrage, Michel Foucault constate que le destin de la folie

accompagne celui de la pauvreté. Ainsi, comme la folie, la misère glisse après le moyen-âge,

«d'une expérience religieuse qui la sanctifie, à une conception morale qui la condamne.»4

1.2. La folie à la Renaissance.

A la Renaissance, un véritable esprit critique et humaniste se développe et impose

progressivement un changement de la société et de ses modes de pensées. La science et la

raison s'opposent aux pratiques magiques et aux explications démoniaques. La recherche de la

vérité ne passent plus par Dieu.

2 Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, p.26.

3 ibid4 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard,1972, p.70

11

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La maladie mentale attire alors le regard des médecins, des artistes comme Jérôme Boch, J.

Brueghel, des écrivains comme Rabelais, Cervantès ou Shakespeare. La littérature à la

Renaissance place la folie au centre de la raison et de la vérité. L'exemple le plus parlant est

l'ouvrage daté de 1509 du philosophe Erasme (1469-1536), intitulé : Eloge de la folie. Dans

cet ouvrage, Erasme donne la parole à la folie faisant son propre éloge dans ce monde

religieux du début du XVIème siècle.

Une pléiade de médecins jettent les bases d'une démarche et d'une pensée déjà psychiatrique

en s'opposant à des pratiques qui se veulent exécutoires et dignes d'une époque révolue mais

cependant encore en usage à cette époque. La maladie mentale tente donc de s'arracher de ses

anciennes parentés avec la sorcellerie pour être reconnue comme pathologie, dont on essaie de

déterminer les causes et les effets. Le plus célèbre d'entre les médecins de la Renaissance,

Jean Wyer (1515-1588), tourne en dérision les inquisiteurs et affirme que : « le devoir des

moines est de s’estudier plutôt à guérir qu'à faire périr par fagots.»5

Ainsi, le péril que désigne la folie n'est plus d'ordre cosmique. A partir de la Renaissance, elle

menace la raison humaine et vient fragiliser les frontières établies de l'Etre en nouant des jeux

dialectiques entre raison et folie.

Si le lien de la folie avec le surnaturel n'est plus une évidence à la Renaissance, une

représentation du fou, déréglé, anormal, commence à apparaître. Il devient dangereux comme

les criminels et les débauchés, c'est la raison pour laquelle il est exclu du milieu social ou bien

se retrouve enfermé.

A la Renaissance, la folie, devient progressivement une hantise car elle peut apparaître

n'importe où, n'étant pas localisée dans un espace fermé. Ainsi, elle devient un péril perpétuel

qui menace l'ordre du monde comme l'exercice de la raison.

Cependant, lorsque le fou est enfermé, certaines âmes charitables et certains médecins tentent

parfois d'humaniser leurs conditions de réclusion. Aussi, nous voyons apparaître, ici ou là,

5 JeanWyer, De l'imposture du diable, 1563.

http://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/UVLibre/0001/bin43/renaiss.htm (consulté le 25 mars 2009)12

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quelques tentatives d'éducation qui sont, à la fois, les prémices d'une nouvelle gestion de la

folie et les composantes d'une prise en charge hospitalières et répressives de cette folie.

Pour illustrer nos propos, nous vous présentons un extrait de l'ouvrage de Jean Wyer, De

l'imposture du diable: « Estant doncques amené en l’hospital, un homme, d’esprit esmeu et

remué, il faut regarder au commencement si cette émagerie ou maladie d’hors du sens est

naturelle; Ou si par accident elle serait advenue, s’il y a espoir de santé ou de guérison… les

uns ont besoin de calmants et d’un régime, les autres doivent être traités avec bienveillance

afin d’être apprivoisés peu à peu comme des bêtes sauvages, d’autres ont besoin d’être

ésduqués, il en est pour lesquels l’enfermement et les chaînes sont nécessaires, mais on doit

en faire usage de telle sorte qu’ils n’en soient pas effarouchés davantage, dans la mesure du

possible, il faut introduire dans leurs esprits la tranquillité, point de départ d’un retour facile

du jugement et de la raison.»

En cette fin de la Renaissance et ce début de l'âge classique, comme le surnomme Foucault

dans son célèbre ouvrage, les tentatives de vouloir comprendre et cerner la folie pour la

rendre moins dangereuse sont le début d'une volonté de maîtriser celle-ci. Elle va devenir une

figure familière au sein de la société et ne plus être cette barque navigante vers un autre

monde. La barque va se transformer en hôpital. C'est ainsi que Foucault conclut son premier

chapitre: «(...) à l'embarquement des fous va succéder l'internement des fous.6»

Au 16° siècle, c'est la réflexion critique qui domine et Michel Foucault pense que la folie et la

raison , entrent en cette période dans une relation de réversibilité. Ce qui signifie qu'on ne les

sépare plus. La folie devenant une des formes même de la raison. On distingue donc, une folie

folle et une folie sage et on va inclure dans cette dialectique, la folie dans la raison et la raison

dans la folie7.

1.3. La folie sous l'Ancien Régime.

Michel Foucault a montré que la folie, comme maladie mentale, est le produit de notre

culture et de notre histoire8. Si la Renaissance a permis au fou de parler et de errer, l'âge

classique va les réduire au silence par l'internement dans des lieux, aux portes des villes.

6 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972.7 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, P. 56.

8 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, p.67

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En 1656, par un édit royal, est créé à Paris le premier hôpital général pour y enfermer les

oisifs, les débauchés, les vénériens, les homosexuels, les délinquants, les mendiants et avec

eux, les fous. Cependant, aucune idée médicale ne domine au sein de l'établissement puisqu'il

s'agit surtout de « redresser » et de faire travailler ceux qui sont une charge pour la société.

Au XVIIème siècle, de nombreux lieux vont être consacrés à l'enfermement. Foucault baptise

cette période de l'âge classique comme la période du «grand renfermement» dans l'histoire de

la folie. L'internement, à cette époque, est une manière de mettre en ordre la misère et n'est

nullement une pratique médicale. Il y a, dans cette pratique, un objectif moral, social et

économique.

L'approche de la folie à l'âge classique apparaît comme une séparation définitive de la raison

et de la déraison et qui se réalise en terme de ségrégation et de domination d'une contre-

nature (traitements spéciaux réservés aux fous dans l'espace de l'internement)9. La pratique

d'enfermement ne fut jamais que la structure la plus visible de l'expèrience classique de la

folie. Des espaces clos d'enfermement s’étendent alors sur toute l'Europe (hôpitaux généraux

en France, Workhouses en Angleterre, Zuchthaûser en Allemagne) et les léproseries désertées

du Moyen Âge sont réinvesties par l'asile. Ces anciens lieux maudits que sont alors les

léproseries et qui sont hantés par la lèpre ont joué le rôle de désignation d'un groupe social

déterminé comme inhumain. Ils ont aussi eu l'effet d'imposer à cette frange de population un

espace rigoureusement séparé qui assurait pour le groupe exilant une complète sécurité.

Ainsi, l'enfermement de 1656 dans l'hôpital général est essentiellement un impératif social. Il

fallait faire un compromis entre les valeurs d'assistance de l'église (aider les pauvres) et les

valeurs d'ordre du monde bourgeois (encadrer le monde errant de la misère)10.

Cependant, derrière ces pratiques, il est à noter qu'aucune réflexion, ni aucun horizon médical

n'apparaît. L'internement fournit alors une main-d'œuvre bon marché, car c'est avant tout le

pauvre et l'a-social que l'on met au ban de la société. Cela permet ainsi de combattre l'oisiveté,

moralement condamnée au même titre que la paresse.

9 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, chp.2 et 5

10 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, p.60-64.14

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Aussi, les pauvres et les miséreux, doivent être nourris et assistés. Mais, en contre partie,

ceux-ci doivent abandonner l'oisiveté et la paresse. Il y a donc, à la Renaissance, une remise

au travail du pauvre. Michel Foucault nous montre que c'est l' impératif de travail qui explique

l'internement, et non la guérison, au sens médical du terme11. Toutes les personnes enfermées

sont considérées comme des asociaux et, en fonction de cette morale, de cette éthique du

travail, on les enferme, on les nourrit et on les dresse.

Foucault nous dit qu'il y a une valeur et un champ éthique dans la société qui définit une

norme. Il ajoute que c'est par rapport à cette norme qu'on va définir des étrangers qui sont, en

quelque sorte des a-normaux. Ces a-normaux, en franchissant les limites de l'ordre bourgeois,

s'aliènent hors des limites sacrées de l'éthique bourgeoise. Ce que l'auteur cherche à montrer,

c'est l'évolution, sur le plan social, dans laquelle la folie va s'inscrire à ce moment particulier

de l'histoire et durant lequel on va commencer à la penser autrement.

Pour conclure sur cette période, nous pouvons penser que l'enfermement était essentiellement

en lien avec les valeurs éthiques et morales de son époque.

1.4. Naissance de l'expérience moderne de la folie.

À la fin du XVIIIe siècle survient une période de récession économique. L'indigence semble

nécessaire au renouvellement de la prospérité économique. Ainsi, le pauvre n’est plus le

coupable de l'ancien-régime. Il n'est plus nécessaire de l'enfermer. En effet, il apparaît que

l'enfermement coûte cher à la société et ne doit plus concerner que les pauvres qui sont

malades. A cette catégorie vient se rattacher ces individus au comportement étrange que sont

les fous. Dés lors, et pour la première fois dans l'histoire de la France, une ligne de partage

entre la pauvreté et la maladie s'affiche clairement.

De plus, à la fin du XVIIIe siècle, des épidémies se développent. On accuse alors les fous

internés d'en être à l'origine par un effet de contagion. C'est la «fièvre des prisons» dit-on

alors. Selon Michel Foucault, cette «grande peur» attribue à la folie un caractère contagieux.

Le monde médical s'empresse d'entrer dans les prisons et de communiquer avec le monde de

la déraison car il s'agit de soigner le fou pour préserver la société et les autres catégories

11 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, p.102.

15

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d'internés. Ainsi, un début de synthèse entre soins et internements commence à se faire. Le

«grand enfermement» dont parle Michel Foucault n'a pas duré plus d'un siècle.

C'est, à l'approche de la révolution française, que tout le monde réclame l'abolition de

l'internement car il est jugé trop représentatif de l'ancienne oppression monarchique. La folie

commence à se percevoir comme un dysfonctionnement social dont il faut se préoccuper pour

tenter de le réajuster. Elle n'est plus perçue comme incurable et devient peu à peu un objet de

soin. De plus, avec l'arrivée de la Démocratie, grâce à la Révolution, il se fait jour l'idée de

l'homme-citoyen. La pratique psychiatrique commence à s'imposer dans cette période

révolutionnaire comme une pratique citoyenne.

Le meilleur représentant et l'initiateur de cette pratique est le médecin psychiatre Philippe

Pinel (1745-1824). C'est à lui que l'on donne la charge de Responsable de l'hôpital général de

Paris. Il va modifier le regard et les conditions de vie des enfermés en les libérant de leurs

chaînes et en dressant une typologie des maladies mentales mais sans savoir les soigner pour

autant.Toutefois, il va mettre l'accent sur les causes de ces typologies qui vont pouvoir être

soit somatiques, soit psychologiques, soit institutionnelles. Il introduit dans son célèbre

traité12, le traitement moral, qui, selon lui, doit allier la bonté à une certaine fermeté. C'est

ainsi, grâce à Philippe Pinel, que l'insensé commence à devenir sujet.

La compétence médicale s'est donc imposée après la Révolution pour intervenir dans la

question posée par la folie à l'ordre social. On crée l'hôpital qui fournit enfin un cadre

d'intervention rationnelle au traitement de la folie. Celle-ci devient alors maladie mentale. Un

corps de métier s'instaure, les médecins psychiatres. Ces derniers deviennent détenteurs de la

science et du pouvoir de guérison de cette maladie.

Nous avons vu que, jusqu'au XVIIème siècle, le fou était isolé du monde dans un lieu

d'enfermement. À partir de l'expérience de Philippe Pinel, on va s'attacher à créer ou recréer

une sociabilité à l'intérieur de l'asile en libérant les malades de leur chaîne. En réduisant cet

écart, l'asile permet à ses malades de devenir semblables aux autres humains. De même, en

intégrant les liens familiaux des malades dans leur traitement, la dimension identitaire, social

et historique des personnes internées n’est plus évacuée.

12 Philippe Pinel, Traité médico-psychologique de l'aliénation mentale, Ed. L'Harmattan, réédition 2006.16

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En 1848, une loi est promulguée qui vise à protéger les malades et leurs biens en les dé-

responsabilisant tout en leur garantissant des droits. Quelque chose de fondamental change

alors : la folie est proclamée comme curable et le fou est pensé comme porteur d'un reste de

raison. Bientôt, des lieux spécifiques vont lui être consacrés. Il est séparé des prisonniers de

droit commun et pensé comme un malade dont il faut prendre soin. Ils se créent alors des

asiles dans chaque grande ville de France. Mais ce premier lieu consacré exclusivement à la

folie va devenir un échec car il se transforme vite en lieu de damnation, fermé sur lui-même,

qui resocialise en milieu clos. Dans cet espace, rien ne s'y renouvèle et la vie sociale que l'on

tente d'instaurer est un leurre, faute de diversité .

Cette volonté de recréer un lieu de sociabilité à l'intérieur des murs de l'institution agît,

finalement, en sens inverse en produisant de la désadaptation. L'aliéné qui retourne dans la

société porte alors le stigmate infamant de son passage dans l'asile13. Ce lieu va fonctionner

ainsi durant plus d’un siècle, jusqu'à la seconde guerre mondiale.

La mort de 40 000 malades mentaux sous l'occupation14, de 1940 à 1945, parachève cette

expérience moderne de la folie. Ces malades sont morts en raison de l'indifférence générale à

leur égard et du fait de leur impossibilité de trouver par eux-même à se nourrir. Aussi, ce n'est

pas le changement de nom de l'asile, en 1937, prenant l'appellation officielle d'hôpital, qui a

changé quelque chose.

Ce n’est qu’à partir de 1945 que la représentation sociale liée à la maladie mentale va

sérieusement évoluer comme le montre les pages qui suivent.

1.5. Naissance du secteur psychiatrique.

La participation à la Résistance française dés 1943 de plusieurs hôpitaux psychiatriques, tel

celui de Saint-Alban dans la Lozère avec, à sa tête, le célèbre psychiatre François Tosquelles15

qui a hébergé de nombreux juifs et résistants et le comportement adapté dont ont fait preuve

les malades mentaux, démontrent qu'il n'était pas utopique de vouloir désenclaver l'hôpital.

13 Robert Castel, L'ordre psychiatrique. L'âge d'or de l'aliénisme. Paris, Editions de minuit, 1976, p.247

14 Isabelle Von Bueltzingsloewen, L'hécatombe des fous, éd Flamarion, collection Champ histoire, 200915 François Tosquelles (1912-1994), médecin psychiatre, un des inventeurs de la psychothérapie institutionnelle,

ayant fortement influencé la psychiatrie et la pédagogie au XXème siècle.

17

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Malgré une réflexion commencée en 1945 et qui a abouti à l'instauration du secteur

psychiatrique, le traitement de la maladie mentale est marqué par des débats parfois houleux

mais qui ont permis, sur le terrain, de promouvoir des expériences originales.

A la libération, en 1945, c'est sous l'influence de psychiatres comme Lucien Bonnafé, Henri

Ey, François Tosquelles, Jean Oury, qu' une autre psychiatrie s'invente. L'idée d'un découpage

du territoire français en secteur d'intervention psychiatrique commence à naître ainsi qu'une

critique des institutions psychiatriques avec ce que l'on a appelé : l'anti-psychiatrie. Cette

dernière est lancée par le médecin psychiatre italien Franco Basaglia qui développe une

vision fermement politique en affirmant que la répression psychiatrique n'est qu'un élément de

la répression sociale. Privilégiant l'hypothèse de l'origine sociale des troubles mentaux et

rejetant les traitements psycho-thérapeutiques et médicamenteux, l'anti-psychiatrie a permis

certains débats sur la folie en privilégiant la recherche des alternatives à l’hospitalisation.

A l’aube des années 1960, le rôle de l'hôpital comme mode social de substitution est dénoncé.

La mauvaise conscience étant grandissante, le niveau économique du pays s'améliorant,

l'hôpital, comme seule réponse aux maux de la psyché, devient alors de plus en plus

anachronique.

C'est en 1954, autour du médecin psychiatre Philippe Paumelle que la première équipe

médicale de proximité s'est implantée dans le 13ème arrondissement de Paris. C'est une

expérience qui est restée longtemps la «vitrine» du secteur.

En 1957 et 1958, se sont réunis des psychiatres et des infirmiers sous l'égide des CEMEA

(Centre d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active). Cette instance avait un rôle de

réflexion et de formation des infirmiers. Parallèlement, un groupe de travail de psychothérapie

et de socio-thérapie institutionnel a permis une concertation centrée sur la psychothérapie

institutionnelle (H.Chaigneau, J.Ayme, J.Oury).

Au ministère de la santé, des psychiatres ont participé à des travaux auprès de la Commission

des Maladies Mentales. Cette Commission a élaboré la circulaire du 15 mars 1960 qui est

véritablement le texte princeps du secteur psychiatrique. Ainsi, l'avant-garde de la psychiatrie

souhaite imposer une autre conception du traitement de la maladie mentale par un modèle

thérapeutique original que l'on a dénommé : le secteur psychiatrique. 18

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Les idées de base de la politique de sectorisation étaient les suivantes et sont toujours en

application aujourd'hui :

-«Entreprendre les soins psychiatriques à un stade aussi précoce que possible ,

- Eviter d'éloigner le malade de son milieu naturel ,

- Permettre une continuité de prise en charge par une même équipe médicosociale-sociale et ceci dansune aire géographique donnée.»

C'est à partir de cette circulaire que l'on a commencé à considérer l'hospitalisation comme un

moment parmi d'autres du soin. Ce dispositif de sectorisation des soins psychiatriques

consiste essentiellement à diviser les départements en un certain nombre de secteurs

géographiques. A l’intérieur de chacun de ces secteurs, la même équipe médico-sociale doit

assurer, pour tous les malades, la continuité indispensable entre le dépistage, le traitement

sans hospitalisation (lorsqu' il est possible), les soins avec hospitalisation et, enfin, la

surveillance de post-cure.

Ainsi, le modèle français de la sectorisation est lancé avec ce souci d'articuler le traitement de

la maladie mentale avec le milieu social et familial de la personne soignée. Cependant, ce

dispositif se structure, malgré tout, d'une façon hospitalo-centrique. En effet, l'hôpital reste

encore fédérateur des actions en amont et en aval de l'hospitalisation et l'aspect médical

s'organise autour de ce lieu en présidant à toute action de soin. Les recherches d'alternatives à

l'hospitalisation à vie n'avaient toujours pas bousculé les «Establishments» professionnels et

une sorte d'enfermement dans l'approche soignante avait pris la suite de l'enfermement

asilaire.

Malgré tout, une nouvelle psychiatrie commence à voir le jour avec l’instauration du secteur

et, avec elle, l’idée d’articuler les pratiques médicales avec des partenaires du champ social.

Grâce à ce changement de vision, des thérapeutiques et des méthodes nouvelles commencent

à se mettre en place à l'aube des années 1970 permettant de réduire les durées

d’hospitalisation16.

Ainsi donc, progressivement, depuis 1945, des réflexions issues d’expériences, de pratiques

et de débats idéologiques ont traversés la psychiatrie pour aboutir à cette interface entre

16 Réf : site : www.ch-charcot56.fr/textes/c150360.htm ( consulté le 01/02/2008)

19

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maladie mentale et handicap psychique. La crise économique des années 1970 va accélérer la

mise en place du secteur médico-social qui fut le prémisse d'une reconnaissance du handicap

psychique. Cette reconnaissance n'interviendra, officiellement, qu'en 2005 .

En retraçant brièvement dans le chapitre suivant, l'historique de l'apparition du terme de

«handicap psychique», cela nous permettra de comprendre à quel degré d'évolution sociétale

et d'innovation se situe l'action des éducateurs spécialisés lorsqu'ils sont amenés à être en

relation avec ce public, longtemps dévolu à la psychiatrie.

Chapitre 2 : De la maladie mentale au handicap

psychique.

Marcel Jaeger parle des deux tentations que la psychiatrie a eu au cours de son histoire17. Il

nous démontre qu'elle a toujours été traversée par un débat entre la tentation médicale et la

tentation sociale.

17 Marcel Jaeger, L'articulation du sanitaire et du social, Ed Dunod, Paris 2000, p2220

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Pour certains, la psychiatrie appartient exclusivement au monde de la médecine, pour d'autres,

elle doit remplir un rôle spécifique de socialisation des personnes malades. Par ses

innovations, par ses échecs et par le nombre de débats qui ont jalonné son histoire, elle a

préparé la construction du secteur médico-social.

L'une des tendances actuelles nous dit Marcel Jaeger est de rendre moins visible les frontières

entre le handicap, l'inadaptation sociale et la maladie mentale18. Aussi, l'emploi du terme

«handicap», apparu dans le courant du 20ème siècle, et qui sera généralisé à partir des années

70, englobe tout type de déficience, quelle que soit sa nature ou son origine. La «catégorie» de

personnes handicapées se substitue alors aux précédentes (infirmes, invalides, inadaptés,

idiots...) en les unissant sous une qualification commune de «personnes à réadapter». Elle est

associée à des dispositifs institutionnels et législatifs.

La fin des années 1970 est le théâtre de nouvelles transformations à l'échelle internationale

sous l'impulsion et la mobilisation collective des personnes handicapées et l'émergence de

mouvements pour la vie autonome de ces personnes. Ces transformations offrent de nouvelles

grilles de lecture de l'expérience du handicap et de nouveaux espaces d'échanges que les

personnes peuvent ou non s'approprier pour faire sens à leur biographie.

D'autres dispositions législatives sont ainsi intervenues, et ont fait suite à l'organisation de la

psychiatrie en secteur d'intervention, afin d'accompagner le retour du «fou» dans la société en

intégrant l'Education Spéciale comme moyen parmi d'autres.

2.1. La loi de 1975.

Parmi ces dispositions, la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées datant de

1975 a eu une importance considérable en instituant le statut de personne handicapée, assorti

de droits, de modes d'aide et de prises en charge spécifiques, en particulier dans le cadre d'un

secteur spécialisé.

18 Marcel Jaeger, L'articulation du sanitaire et du social, Ed Dunod, Paris 2000, p83

21

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Cette loi a semé le paradoxe dans la mise en pratique d'une psychiatrie sectorielle, en faisant

de la maladie mentale et du handicap des concepts indissociables. Elle compte, à cette époque,

parmi les principaux acquis de la protection sociale en faveur des personnes inadaptées à la

vie sociale. Cette loi devient le couronnement de l'activité militante de nombreuses

associations à l'origine de la création d'institutions, d'établissements ou de services qui

accueillent, aujourd'hui encore, ces personnes dites handicapées.

C'est dans les années 1965 à 1975 que se sont développées des structures pour enfants puis

pour adultes. Ce développement a été si important qu'il est devenu difficile de les assimiler

aux structures sanitaires qui accueillent des personnes dont la problématique est différente.

Au delà du développement quantitatif du secteur social, c'est bien la différence de ses

perspectives par rapport à celles du secteur sanitaire qui s'impose progressivement. C'est dans

ces conditions que la nécessité d'une loi spécifique aux institutions sociales et médico-sociales

s'est imposée aux décideurs publics.

Il est affirmé dans les principes de cette loi de 1975 : «... la prévention et le dépistage des handicaps,

les soins, l'éducation, la formation et l'orientation professionnelle, l'emploi, la garantie d'un minimum de

ressources, l'intégration sociale et l'accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l'adulte, handicapé

physique, sensoriel ou mental, constituent une obligation nationale... »

Robert Castel nous fait remarquer que cette ligne de réflexion sur le handicap a mûri dans la

tradition de certaines formes de médecine et de psychiatrie sociale préoccupée par le

problème du travail, de la réinsertion professionnelle, de la réadaptation, du reclassement

social19.

Cependant, si cette loi est venu répondre à une nécessité en clarifiant les situations en

reconnaissant des droits aux personnes handicapées et en mettant en place un certain nombre

d'allocations ou garanties de ressource, elle n'a pas permis une véritable complémentarité des

interventions entre les secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux. Aussi, elle ne fait

nullement allusion à la situation de personnes ayant une maladie mentale.

Durant la décennie 1980, des rapports officiels vont marquer les esprits et alimenter les débats

en faveur de la spécificité de la problématique de ces personnes, ce qui aboutit à la parution

19 Robert Castel, La gestion des risques, Collection le sens commun. Edition de minuit, chap 322

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du livre blanc de la psychiatrie20, acte fondateur pour le reconnaissance du handicap

psychique.

2.2. Les années 1980/1990 et le livre blanc de la psychiatrie.

- Le rapport Demay21 en 1982 indique qu'il est souhaitable que l'hôpital psychiatrique ne

garde plus la maîtrise de l'ensemble des interventions en santé mentale.

- Le rapport Zambrowsky22 en 1986, traitant de la modernisation et de la diversification des

modes de prise en charge de la psychiatrie française prône, lui, une dés-institutionnalisation

des soins.

Ces rapports sont une tentative de réponse à la loi d'orientation de 1975 dans laquelle il n’est

fait aucune allusion aux personnes handicapées psychiques. Seuls les termes de physique,

sensoriel et mental sont retenus. A l'époque, les personnes souffrant de troubles psychiques

sont considérées essentiellement comme des malades. A ce titre, elles ne peuvent bénéficier de

la législation en faveur des personnes handicapées et sont accueillies essentiellement en

établissement de soin. Ainsi, ces personnes sont, tout simplement, exclues des débats en

faveur de la prise en compte des handicapés, n’étant pas considérées comme tels.

C'est alors que l’on a pris la commune habitude de qualifier les personnes reconnues

handicapées du fait de troubles psychiques par le vocable de «handicapées mentales» et de

confondre la déficience mentale avec le trouble psychique.

René Baptiste nous explique23 que cette appellation, somme toute banalisée, renvoyait une

image péjorative aux personnes atteintes certes de troubles psychiques mais non déficitaires

sur le plan intellectuel. Partant de ce constat, des familles de malades mentaux s'unissent en

association dans le courant des années 80. Elles entendent aider leur proche dans leur tentative

de retour à la vie normale, c'est-à-dire hors des murs de l’institution psychiatrique.

C'est ainsi que naît l’UNAFAM (Union Nationale des Familles et des Amis des Malades

mentaux) qui a beaucoup œuvré pour la reconnaissance des problématiques sociales et

20 M,Horassius et JJ,Kress, réf : www.psydoc-fr.broca.inserm.fr (consulté le 08/03/2008)21 Réf site : http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/LivreBlanc/LBChap1.html (consulté le 08/03/2008)22 ibid23 Réné Baptiste, Reconnaître le handicap psychique, Ed Chronique Sociale, Collection l'Essentiel, Lyon 2005

23

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environnementales liées à la pathologie psychique. Cette association, reconnue d'utilité

publique, regroupe actuellement plus de 12 500 familles. Ces familles ont eu un poids

considérable dans le débat sur l'accompagnement social des malades mentaux de par leur

expérience douloureuse vécue auprès de leurs proches atteints par une problématique

psychique. Avec certains spécialistes de la pathologie mentale, elles ont pensé que l'insertion

dans la cité de leur proche peut contribuer à leur bien-être, d'autant que les progrès de la

pharmacologie rendent de plus en plus possible la normalisation des comportements sans

entraîner d'effets secondaires indésirables.

La lutte pour la prise en compte des malades mentaux dans les politiques en faveur du

handicap et sa différenciation avec le handicap mental commence. Cette lutte a trouvé son

apogée avec la publication en 2001 du livre blanc de la psychiatrie, précité.

Les buts poursuivis par les signataires de ce rapport sont de faire exister une population dont

le handicap est méconnu. En contribuant à la reconnaissance des caractéristiques particulières

liées à ce handicap, des réflexions se sont engagées afin de proposer des réponses aux besoins

spécifiques de ces presque 600 000 personnes en France, soit 1 % de la population.

Ainsi, deux types de handicaps se différencient à partir de la publication de ce livre blanc :

- Le handicap mental qui résulte de déficiences intellectuelles innées ou provenant de lésions

cérébrales accidentelles.

- Le handicap psychique qui résulte de pathologies psychiques dues à une maladie mentale.

Ces différenciations, certes, discutables sur le plan sémantique, ont cependant l'avantage

d'identifier clairement les différents besoins des personnes, même si certains troubles

psychiques peuvent retentir sur les fonctions intellectuelles des personnes et sur les

apprentissages.

René Baptiste24 nous explique, qu'en général, les personnes handicapées psychiques

conservent toute leur intégrité intellectuelle. Celle-ci peut néanmoins être altérée,

temporairement ou durablement, ou être ralentie lors des phases pathologiques actives ou par

l'effet second de certains médicaments.

24 ibid24

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Ces associations de familles, en cherchant à dissocier la maladie du handicap et en

considérant que le handicap est une conséquence et une séquelle de la maladie, ont contribué

à ce que des murs tombent entre ces différentes acceptions.

Pierre Vidal-Naquet25 explique que pour admettre une telle corrélation, il faut que la maladie

soit en quelque sorte « désactivée », au moins partiellement. La séquelle doit être postérieure

à la maladie. Elle est une trace laissée par elle, une fois la guérison advenue. C'est cette

guérison qui fait problème dans le cas de la maladie mentale fait observer cet auteur. En effet,

des périodes de «rémission », parfois très longues, peuvent être interrompues par des épisodes

de réactivation de la maladie. On a donc avancé l'idée que la maladie pouvait faire l'objet

d'une certaine «stabilisation». C'est une façon de signifier que les manifestations de la maladie

sont toujours possibles, mais ne sont ni fréquentes ni aiguës. En d'autres termes, la guérison

n'est pas acquise. La maladie est toujours là mais fait l'objet d'une certaine régulation. C'est

cette maladie «stabilisée» qui laisse donc des traces handicapantes.

Ainsi, le chemin vers la reconnaissance de ce handicap est largement emprunté à l’aube des

années 2000. Il va encore se poursuivre pour aller vers une reconnaissance officielle dans les

textes de lois. C'est ce que nous allons découvrir dans le chapitre suivant.

2.3. La loi du 11 février 2005 et la reconnaissance du handicap

psychique.

Une loi, votée en 2005, venant rénover la loi de 1975 a pris en compte les recommandations

inscrites dans le livre blanc au sujet des personnes souffrant de troubles psychiques. Cette loi,

intitulée: pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des

personnes handicapées date du 11 février 2005 et apporte des évolutions fondamentales en

concrétisant des principes forts qui sont :

25 Troubles psychiques et insertion professionnelle, Enquête auprès du réseau Galaxie, Mai 2003

25

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-«L'accessibilité généralisée pour tous les handicapés dans les domaines de la vie sociale (éducation,

emploi, logement, transports...)

- Le droit à compensation des conséquences du handicap.

- La participation et la citoyenneté, mise en œuvre par la création de Maisons Départementales pour les

Personnes Handicapées.»

De plus, elle défini le handicap dans toute sa diversité en stipulant dans son article 2 que :«constitue un handicap, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie

dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive

d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales ou psychiques, d’un poly-handicap ou

troubles de santé invalidants.. »

Ainsi, la reconnaissance officielle par la loi pour l'égalité des chances et des droits, la

participation à la citoyenneté de personnes handicapées est une étape décisive pour les

personnes handicapées psychiques. Le temps, durant lequel le handicap psychique était ignoré

ou mal défini, est révolu puisque le terme psychique est enfin inscrit dans une loi qui

redessine les pratiques de l'action sociale et médico-sociale. C'est une intégration pleine et

entière dans la société ordinaire pour des personnes qui ne veulent plus être considérées

comme des citoyens de seconde zone. Les collectivités territoriales, les associations, les

services d'aide doivent se mettre au service des bénéficiaires, et ce, de façon modulée au

travers d'un projet personnalisé d'accompagnement et de promotion sociale.

En se focalisant, comme l'indique le titre de la loi, sur l'égalité des droits et des chances, la

participation et la citoyenneté, le législateur semble avoir voulu introduire un important

changement de paradigme dans les politiques qui ont été menées depuis l'origine en direction

de ces personnes. Celles-ci peuvent désormais bénéficier d'un droit à compensation des

conséquences de leur handicap «quels que soient l'origine et la nature de leur déficience, leur

âge ou leur mode de vie.»

Cette compensation doit permettre l'accès à la citoyenneté des personnes qui souffrent d'un

handicap. Ce droit à compensation doit prendre en compte un certain nombre d'aides,

techniques et humaines dont peuvent bénéficier les personnes handicapées en fonction de leur

« projet de vie », c'est-à-dire de l'expression de leurs désirs et de leurs besoins. Il doit

également prendre en compte l'accessibilité des personnes handicapées dans divers secteurs

26

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de la vie sociale comme la formation professionnelle, l'accompagnement vers l'emploi, le

logement, les transports, les loisirs, les services de communication etc.

Rappelant la définition de la compensation que l'on trouve dans l'article L.114-1-1 du code de

l'action sociale et des familles, nous notons que ce droit à compensation recouvre des

réponses aussi bien individuelles que collectives aux problématiques que rencontrent les

personnes handicapées psychiques:

« La compensation consiste à répondre aux besoins de la personne handicapée, qu'il s'agisse de l'accueil de

la petite enfance, de la scolarité, de l'enseignement, de l'éducation, de l'insertion professionnelle, des

aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaire au plein exercice de sa citoyenneté et de sa

capacité d'autonomie, du développement ou de l'aménagement de l'offre de services, permettant à

l'entourage de la personne handicapée de bénéficier de temps de répit, le développement de groupes

d'entraides mutuelles ou de places en établissements spécialisés, des aides de toutes natures à la personne

ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, ou encore en matière d'accès aux procédures et

aux institutions spécifiques au handicap ou au moyen de prestations accompagnant la mise en œuvre de la

protection juridique régie par le titre 11 du livre Ier du code civil. Ces réponses adaptées prennent en compte

l'accueil et l'accompagnement nécessaires aux personnes handicapées qui ne peuvent exprimer seules leurs

besoins.»

Avant de parvenir à la problématique précise de ce travail de recherche qui commence à se

profiler, à l'intersection de la psychiatrie, du handicap et de l'éducation spéciale, il nous est

apparu indispensable, de nous pencher sur la spécificité de ce type de handicap.

Chapitre 3 : Le handicap psychique : quelles

spécificités, quelles pratiques ?

Les malades mentaux qui étaient, dans le temps, fortement invalidés par la maladie ou le

traitement, peuvent maintenant prétendre, au moins pour certains, à (re)-participer à la vie

sociale.

27

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3.1. Définition du handicap psychique.

Le Conseil Français des Personnes Handicapées pour les Questions Européennes26 (C.F.H.E.)

donne une définition très explicite du handicap en général et du handicap psychique en

particulier. D'après le C.F.H.E, le handicap résulte de l'interaction entre la déficience,

l'incapacité qui en découle et l'environnement physique, social ou culturel. Cette situation de

handicap provoque une perte partielle ou totale d'autonomie et/ou des difficultés de pleine

participation et ajoute, quant à ce dernier, qu'il est, comme les autres formes de handicap,

relatif à l'environnement et se traduit par :

-«Une moindre capacité à s'adapter,

- Une difficulté à entrer en relation avec les autres,

- Une diminution des habiletés sociales.»

Et peut se caractériser par :

- «Sa variabilité dans le temps,

- Des troubles cognitifs ou comportementaux divers,

- Le poids négatif de sa représentation sociale.»

La problématique de ce travail de recherche prend sa source dans cette nouvelle donne

sociétale qui est la prise en compte de ce type de handicap et par conséquent de ce nouveau

public par les organismes ou services d'aide à la personne.

Nous nous intéresserons, plus particulièrement, dans le chapitre suivant, à un Service

d'Accompagnement à la Vie Sociale (S.A.V.S.) pour personnes handicapées psychiques.

De nombreux services d'accompagnement implantés dans la cité ont été créés pour favoriser

l'intégration sociale des personnes handicapées du fait de troubles fonctionnels, physiques ou

d'une déficience mentale. Seulement, nous l'avons vu, le handicap psychique n'est pas un

handicap mental. Il a sa spécificité car il est une résultante de la maladie mentale.

26 Réf : http://www.cfhe.org (consulté le 12 mars 2008)28

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En effet, le handicap psychique touche particulièrement les personnes souffrant de troubles

psychotiques. René Baptiste pense que chez la personne handicapée psychique, la phase aiguë

des manifestations pathologiques s'est estompée. Cependant, il ajoute que cette stabilisation

ne peut pas être interprétée comme une guérison. Les risques de récidive sont, en effet,

toujours présents et il y a bien, de façon concomitante, une maladie diagnostiquée qui a été

soignée, qui est stabilisée, mais qui est latente et une inadaptation socioprofessionnelle qui est

une résultante de la maladie avec une possibilité d'atténuation.

La maladie mentale comme toute autre maladie est identifiable au travers d'examens cliniques

qui rassemblent un ensemble de symptômes. C'est donc la manifestation des symptômes qui

atteste de la réalité de la maladie. Mais en même temps, ce sont ces mêmes symptômes qui

matérialisent le handicap. Il semble donc bien difficile, dans le cas de la maladie mentale,

d'opérer une réelle dissociation entre la pathologie et le handicap. Certes, la distinction n'est

pas inutile puisqu'elle permet à des bénéficiaires d'accéder au statut de travailleur handicapé.

Mais dans la réalité quotidienne l'implication est très forte, l'identification des deux états

n'étant pas toujours réalisable.

Afin de mieux comprendre le vécu du handicapé psychique et ce qui découle de sa souffrance

liée à ses troubles psychiques dans son rapport au quotidien, il nous a semblé intéressant de

tenter une approche de l'étrangeté de la maladie mentale. Nous avons voulu faire cette

approche, dans le chapitre suivant, à travers ce que l'on peut définir comme la science de la

souffrance psychique, c'est-à-dire la psychopathologie.

3.2. Maladie mentale et psycho-pathologie.

Jean Ménéchal évoque les termes de paranoïa, hystérie, obsession, perversité comme des

termes de la psychopathologie qui désignent des modes d'organisation psychique particuliers

de personnes27.

27 Jean Ménéchal, Introduction à la psychopathologie, Ed Dunod, Collection Les Topos, juillet 2006

29

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Ces personnes adoptent des modes de pensées et des conduites qui les rendent différentes.

Une souffrance s'installe car elles ne réunissent pas à trouver facilement les ajustements ou

les aménagements que chacun accompli quotidiennement dans sa vie.

Il ne s'agit pas, ici, de présenter un « abrégé de psychiatrie » mais plutôt de tenter de

s’approcher du monde intérieur de la personne handicapée psychique. Nous ne chercherons

donc pas à rendre compte de toute la pathologie psychiatrique, extrêmement complexe du

reste. Nous tenterons d'illustrer les principales difficultés et souffrances vécues

quotidiennement par ces personnes de manière à nous engager, par la suite, sur les réponses

en terme de soutien, face à ces souffrances, que la société peut apporter dans le champ social.

Il n'existe pas, d'ailleurs, un seul type de folie, mais une diversité de troubles mentaux. Ils

émergent quelques tableaux cliniques typiques : les schizophrénies, les psychoses maniaco-

dépressives, les dépressions, les phobies, les paranoïas... Voyons quelques-unes d'entre elles :

Ces quelques portraits caractéristiques d'affections psychiatriques de l'adulte sont tirés de

différents ouvrages spécialisés en psychopathologie de l'adulte tel que, Psychologie

pathologique de Jean Bergeret28, Psychopathologie de l'adulte de Q. Delay, B. Granger et F.

Azaïs29, Personnalité et développement de Grégory Michel et Diane Purper-Ouakil30.

-Les psychoses maniaco-dépressives :

Ce sont des affections psychiatriques majeures qui se caractérisent par un désordre de

l'humeur : la dépression ou l'exaltation. Elles se caractérisent par l'absence de facteurs

déclenchant. Ces facteurs ne sont ni psychiques, ni somatiques. On parle de psychoses

endogènes, c'est-à-dire inscrite dans le patrimoine héréditaire.

Aussi, il peut y avoir chez le sujet une succession d'état psychique alternant entre l'état

maniaque et l'état état mélancolique, ce qui donne le tableau clinique de la psychose maniaco-

dépressive.

Un épisode maniaque correspond à une phase d'intense exaltation, de surestimation de soi, de

toute puissance, et d'une hyper-activité de la pensée et/ou du comportement qui reste

improductive pour la personne. Durant cet épisode, celle-ci est euphorique, parfois agressive.

28 Jean Bergeret, Psychologie pathologique, Ed Masson, 3ème Ed, Paris 197929 Q.Delay, F.Azaïs, B.Granger, Psychopathologie de l'adulte, Ed Masson, 3ème Ed, Collection Les âges de la

vie, Paris 200530 D.Purper-Ouakil, G.Michel, Personnalité et développement, Ed Dunod, Collection Clinique, Paris 2006

30

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Ses troubles du comportement sont les témoins de l'accélération des processus psychiques. Ils

se manifestent au niveau des gestes par un faciès expressif ou bien, la personne est enjouée,

sans cesse en mouvement, son langage est volubile. Enfin, ses troubles intellectuels se

caractérisent surtout par la fuite des idées et une attention labile.

L'épisode mélancolique peut survenir brutalement ou progressivement après l'épisode

maniaque. Il est marqué par un désintérêt pour les activités habituelles, une asthénie

croissante, un sentiment de tristesse, une insomnie pénible et mal supportée.

La mélancolie est un état dépressif majeur et qui est particulièrement marqué par le

ralentissement des fonctions psychiques.

-Les paranoïas et les délires paranoïaques :

Le terme de paranoïa provient du grec para (à côté) et noos (esprit, raison) et désigne à la

fois, une personnalité pathologique et un délire chronique.

Les traits de personnalité du sujet paranoïaque sont : la méfiance, l'orgueil, la surestimation de

soi, le mépris d'autrui, l'incapacité à remettre en cause ses systèmes de valeurs ou de pensées,

la fausseté du jugement.

Les mécanismes psycho-pathologiques de la personne paranoïaque sont : le déni d'une partie

de la réalité, une dénégation des sentiments éprouvés, une projection des sentiments attribués

à autrui. Ces mécanismes sont des défenses rigides et inadaptées contre la sensitivité. Les

délires paranoïaques seraient des modes de réaction de la personnalité aux événements

extérieurs. Ils sont essentiellement interprétatifs et entraînent la conviction inébranlable du

sujet sur toute sorte d'opinion.

-La schizophrénie :

Ce terme désigne une psychose de l'adulte jeune caractérisée par un ensemble de symptômes

psychiques et dominés par une discordance sur le plan affectif. L'incohérence et l'ambivalence

des propos, l'état autistique, des hallucinations et des idées délirantes envahissent souvent la

personnalité. Ces troubles évoluent le plus souvent vers une dissociation psychique avec une

profonde désorganisation qui peut prendre une allure déficitaire de la personnalité.

31

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Le concept de schizophrénie a d'abord été décrit par le médecin psychiatre Emile Kraepelin

(1856-1926) comme une démence précoce, puis par un autre médecin psychiatre Eugène

Bleuler (1857-1939) comme une «division» du cerveau. La schizophrénie est une dissociation

psychique. Ainsi, selon les tenants d'une conception organique, il n'y a pas de lésions du

système nerveux chez la personne mais une modification biochimique entre les neurones, au

niveau des synapses, qui expliquent la schizophrénie. Pour les tenants d'une conception

psycho-dynamique, ce sont des comportements défensifs et organisés qui visent à réduire

l'angoisse qui résulte des mauvaises expériences de l'enfance. La littérature psychiatrique a

décrit des pères autoritaires et passifs et surtout des mères anxieuses et hyper- protectrices

envoyant des messages contradictoires à leur enfant : « t'es un monstre, mais je t'aime... »

Enfin, selon les tenants d'une conception socio-génétique, c’est la société qui crée les

personnes schizophrènes. Le syndrome schizophrénique est une dissociation de la vie mentale

faite de bizarreries, de détachement de soi. Le schizophrène est une personne hermétique qui

se protège d'avoir des rapports affectifs trop étroits. Le processus de la pensée n'est pas altéré

mais mal utilisé, d'où l'impression de déficit. La pensée perd de sa fluidité. Elle est tantôt

tantôt précipitée, tantôt au ralenti, les mots sont détournés de leur sens ou créés de toutes

pièces. Les réactions de la personne sont inadaptées et imprévisibles et ses tentatives de «ré-

aménagement» de ses rapports avec la réalité peuvent être altérées par un délire : le sujet

raconte des choses floues, incohérentes. Il peut avoir aussi un délire de persécutions : il a des

intuitions, a l'impression de sentir des choses. Ces «ré-aménagements» peuvent aussi passer

par des hallucinations psychiques avec l'impression d'avoir et d'entendre des voix ou bien des

délires non structurés, sans cohérence, avec parfois des thèmes mystiques ou de

persécutions...

-Les dépressions :

Ils existent plusieurs formes de dépression. La dépression est un terme qui désigne un état de

tristesse pathologique. La souffrance excessive, par son intensité et sa durée, tout comme sa

relation avec les événements de la vie font la différence avec les réactions de tristesse

normale. Les dépressions font partie des troubles de l'humeur et sont toutes caractérisées par

un syndrome dépressif majeur. La mélancolie est la forme la plus intense et la plus grave des

états dépressifs. Le syndrome dépressif majeur se manifeste par un ou plusieurs épisodes. Cet32

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épisode dépend à la fois du fonctionnement psychologique et de facteurs neuro-chimiques.

Les dépressions sont des maladies mentales très répandues qui se caractérisent par un état de

détresse profonde et qui dure une longue période empêchant la personne atteinte de mener une

existence normale.

Ce bref aperçu des affections psychiatriques les plus courantes nous font comprendre que la

maladie mentale se manifeste sous diverses formes dont la plus grave serait la schizophrénie.

L'encyclopédie médicale Larousse définit la maladie mentale comme : «toute forme de

troubles psychiatriques indiquant toujours un désordre ou une détresse psychologique.»

Divers états de psychoses, une affection mentale caractérisée par une altération profonde de la

personnalité font que la personne atteinte n'a pas toujours conscience de son état et peut

perdre alors, en partie, son contact avec la réalité. Ceci affecte négativement son aspect

psychique et physiologique en plus de son autonomie, son comportement, ses émotions, ses

habiletés, ses compétences et plusieurs de ses capacités dont celles d'apprendre, de se

concentrer, de mémoriser, de penser abstraitement, d'entrer en relation avec les autres, etc. La

personne atteinte souffre également de troubles de la pensée et devient très désorganisée, ce

qui l'empêche de faire adéquatement et efficacement face aux exigences de la vie quotidienne.

Afin de conclure notre présentation des spécificités et des problématiques liés à la structure de

personnalité des personnes handicapées psychiques, nous ne pouvions passer sous silence

l’impact important qu’a laissé et que laisse encore le rapport du parlementaire Michel

Charzat.

3.3. Le rapport Charzat31.

Nous nous appuierons sur ce rapport pour approfondir notre présentation de la spécificité que

représente le handicap psychique car aucun rapport avant celui-ci n’a pu évoquer avec autant

de justesse toutes les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes atteintes de ce

handicap et les réflexions et actions en termes de soutien et de compensation qui doivent être

31 Rapport Charzat consultable sur le site : www.ladocumantationfrançaise.fr (rapport-publics/024000350/index.shtml#)

33

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apportées. Cela nous permettra, ensuite, de nous engager dans la problématique du travail de

recherche en ayant une connaissance plus précise du public que l'éducateur spécialisé est

amené à accompagner en vue de leur projet de réadaptation sociale.

Michel Charzat32 s'est vu confier en mars 2002 une mission d'analyse et de propositions sur la

situation des personnes qui se trouvent en situation de handicap du fait de troubles psychiques

graves et durables. Dans ce rapport, ce dernier évoque les résultats de l'enquête de la DRESS

(Direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques) sur la demande

d'aide des personnes en situation de handicap auprès de la COTOREP33 (Comité Technique et

d'Orientation et de Reclassement Professionnel) en 1998. Ces résultats font apparaître que le

quart des demandes d'Allocations Adultes Handicapés (A.A.H.) sur les 65000 demandes pour

l'année 98 est motivé par des déficiences psychiques. C'est la deuxième cause de demande

d’allocation adultes handicapés après les déficiences motrices et intellectuelles. En ce qui

concernant les difficultés vécues dans la vie quotidienne par les personnes souffrant de

troubles psychiques, Michel Charzat fait apparaître, dans ce rapport, des constantes qui

caractérisent ce type de handicap et qui se déclinent comme suit :

- La stigmatisation, la méconnaissance et la crainte du handicap psychique.

Ces sentiments étant renforcés par des représentations très anciennes sur la maladie mentale.

- La souffrance de la personne.

En effet, le trouble psychique blesse la personne dans son for intérieur, son estime de soi, son

rapport au monde et sa communication avec les autres... La personne court un danger pour

elle-même de part, souvent, une indifférence pour sa propre vie, un sentiment de

dévalorisation. Viennent se rajouter, des troubles de l'alimentation et du sommeil, et partant de

ce constat, la dégradation de son état physique. Elle peut aussi se mettre en danger

socialement par une soudaine démission de son travail ou des dépenses financières

inconsidérées.

- La fragilité, la vulnérabilité.

Du fait de menaces de stress qui sont induites par la vie quotidienne, la personne, pour éviter

une rechute, doit aménager sa vie pour limiter ce risque.

32 Michel Charzat, homme politique français, né en 1942 à Paris, économiste et universitaire.33 Cette instance a été remplacée, depuis la loi de février 2005, par la Commission des Droits et de l'Autonomie

des Personnes Handicapées,34

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Ces aménagements sont contraignants mais nécessaires pour apaiser leurs difficultés d'«être

au monde». Par exemple, les personnes souffrant de troubles psychiques cherchent à éviter les

situations provoquant ces troubles. La vulnérabilité de ces personnes peut aussi concerner les

maltraitances et manipulations dont elles peuvent être victimes du fait de leur crédulité et la

perte de leur estime de soi.

- L'isolement.

Le repli sur soi et l'isolement sont les conséquences de l'éloignement progressif des amis, des

voisins, des collègues de travail et aussi de l’apragmatisme lié à la maladie, c'est-à-dire de

l'incapacité à décider et agir, pouvant entraîner l’inactivité et le confinement chez soi. Aussi,

les perturbations du rapport à l'autre, l'enfermement dans la maladie, l'oubli progressif de soi

et des autres peut mener la personne vers une rupture totale du lien social.

- L'imprévisibilité et la variabilité.

Il est difficile de prévoir les manifestations symptomatiques liées aux troubles psychiques tant

les changements brusques dans le comportement sont variables suivant l'humeur, le rythme et

les moments de la journée, les circonstances du quotidien et des rencontres. De plus, cette

imprévisibilité peut faire peur à l'entourage.

- La durabilité et l’évolution.

Le handicap psychique est un handicap au long cours, il n'est jamais figé car les troubles sont

labiles, évolutifs et variables dans le temps.

- Le poids des traitements.

Même si beaucoup de progrès ont été faits, les médicaments ne guérissent pas mais permettent

l'atténuation des troubles. Cependant des effets secondaires peuvent se présenter tels que, une

prise de poids, des nausées, des somnolences, des tremblements, etc.

- La souffrance de la famille.

35

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Seules, face à la maladie, les familles sont souvent confrontées à l'insupportable et subissent

elles aussi les effets de la stigmatisation. Leur sentiment d'incompréhension, d'impuissance et

d'angoisse se transforme en souffrance qu'elles ne peuvent partager.

Ce rapport se clôt par huit recommandations indispensables qui posent la question de fond

concernant une indispensable coordination des actes et des moyens des acteurs oeuvrant dans

le sanitaire, le champ social ou éducatif afin d' aider ses personnes à se suffire à elles-même

au sein de la communauté. Voici ces recommandations :

- Faire l'inventaire de l'existant en matière d'accompagnement des handicapés psychiques et le faire

connaître.

- Développer une offre de soins de proximité en psychiatrie articulée avec l'offre sociale et éducative.

- Mettre en œuvre un plan d'action pour l'accueil et l'accompagnement des personnes handicapées

psychiques.

- Informer le public.

- Former les professionnels.

- Aider les associations d'usagers et de familles.

- Développer des programmes d'études et de recherches.

- Reconnaître et promouvoir le rôle des élus.

Notons que ce rapport pointe, dès son introduction, l'importance d'inventer de nouvelles

formes d'accompagnement. Il se termine en présentant les réalisations actuelles dans les

domaines :

- De la mise en réseau du sanitaire et du social.

- De l'accompagnement à la vie sociale.

- De la formation et de l'insertion professionnelle.

- De la tutelle et des curatelles.»

Certes, cette présentation est loin d’être exhaustive. Pour autant, ce recensement d'actions

concrètes reste un outil pour qui veut œuvrer en faveur de la réhabilitation des personnes

handicapées psychiques. La citoyenneté et avec elle, l'accompagnement social du malade

mental sont devenus des enjeux majeurs des débats en santé mentale. Une grande diversité de

petites et moyennes institutions offrent des services divers, hospitalier ou non : centre médico-

psychologique, maisons d'accueil spécialisé, foyers et appartements thérapeutiques, services

36

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de soins ou d'aide à domicile, etc. Les usagers des services de psychiatrie sont invités à

s'intégrer à l'environnement social, à se prendre en charge et à circuler entre ces services.

Ainsi, l'hôpital cesse d'être l'organisation centrale des prises en charge. Celles-ci sont

devenues ouvertes et faites de multiples connexions entre des lieux voués au soin psychique et

ceux voués au soutien social. La psychiatrie se doit d'évoluer en travaillant en collaboration

avec d'autres métiers se situant dans et hors champ hospitalier. Afin de répondre au mieux au

besoin de ces personnes, les évolutions en termes de réponses à apporter semblent transcender

les milieux de travail et les institutions. Auparavant, prisonnière d'une prise en charge

uniquement médicale et asilaire, la maladie mentale et les troubles psychiques font désormais

partie de la vie sociale, des politiques d'insertion et des dispositifs d'aide à la personne. Au

regard de l'histoire de la psychiatrie, de la folie, ou bien du travail social, il s'avère que les

frontières des métiers d'aide et de soin, jusque là, étanches entre elles, se trouvent bousculées.

Cette évolution sociétale amène donc un certain nombre d'éducateurs spécialisés à être de plus

en plus aux prises avec les questions de l'accueil, de l'évaluation et de l'accompagnement du

public en situation de handicap psychique.

Les travailleurs socio-éducatifs tels que les éducateurs spécialisés représentent fréquemment

le premier contact et la première «accroche» des personnes handicapées psychiques dans les

dispositifs de soutien faisant suite à leur prise en charge sanitaire. Ce sont des professionnels

de la relation et, en cela, ils sont capables de mesurer la réalité des difficultés des personnes et

de soutenir une relation d'aide. Ils ont un savoir et des modes d'intervention d'une autre nature

que ceux du psychiatre ou du psychologue.

Nous avons fait état de la nécessité d'accompagner au mieux cette population dans leur

insertion sociale. Cet accompagnement, les éducateurs spécialisés sont aux avant-postes pour

y participer.

Nous allons à présent nous pencher sur le métier d'éducateur spécialisé et sur le cœur de ce

métier, à savoir, le travail sur la relation et le savoir-être.

Il s'agit de la dernière étape avant de regrouper tous les éléments présentés jusqu'ici dans ces

différents chapitres et qui nous servirons à construire la problématique de notre recherche.

37

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Chapitre 4 : Éducation Spécialisée et travail

relationnel.

Le choix que nous avons fait de tenter de cerner toute la complexité du handicap psychique

dans la sphère sociale a pour objectif d'explorer la question des pratiques d'accompagnement

social et éducatif envers ces personnes par les éducateurs spécialisés. Ces pratiques38

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s'effectuent à travers des échanges relationnels qui se nouent entre ces professionnels et ces

personnes.

La loi sur l'égalité des chances, le rapport Charzat ainsi que la fermeture de lits

d'hospitalisation viennent montrer que la spécificité des problématiques de ce nouveau public

dans le champ social nécessite des aménagements de la réalité. Aussi, confronté par définition

aux délicates missions de socialisation et de rééducation, le travail social doit faire face à

l'arrivée de ce nouveau public.Les dispositifs socio-éducatifs se doivent donc d'offrir une

autre «scène» à ces personnes atteintes de ce type de handicap.

Ce travail relationnel de l'éducateur spécialisé s'effectue au sein de dispositifs existants tels

que les Etablissements de Soin et d'Aide par le Travail (E.S.A.T.), les Centres d'Hébergement

et de Réadaptation Sociale (C.H.R.S.), les centres d'insertion professionnelle, ou bien au sein

de dispositifs nouvellement créés et adaptés à la spécificité de ce public tels que des Services

d'Accompagnement à la Vie Sociale (S.A.V.S.), des Groupes d'Entraide Mutuelle (G.E.M.),

des S.A.M.S.A.H.(Service d'Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés).

L'hôpital psychiatrique n'est plus, sauf exception, un lieu de vie pour ces malades, lesquels

vivent pour la plupart dans la cité. Aussi, l'éducateur spécialisé est la personne qui vise et

concourt à construire un nouveau système de rapports de la personne avec son entourage,

elle-même et son environnement. Ce système de rapports étant perturbé, l'éducateur, grâce à la

relation qu'il établit avec la personne et qui lui sert d'outil, l'aide à s'adapter aux exigences

d'une vie en collectivité.

4.1. L'éducateur spécialisé et le transfert dans la relation

éducative

Historiquement, le travail de l'éducateur spécialisé s'est positionné essentiellement dans le

champ social (inadaptation, public précarisé socialement) ou médico-social (handicap mental,

infirmes moteur-cérébraux etc). Aujourd'hui, avec l'évolution de la législation, des dispositifs

spécifiques favorisant l'inscription dans la communauté d'un public souffrant de pathologie

mentale sont nés de la volonté de quelques associations comme nous l'avons vu. Il apparaît,

39

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au regard de la population des handicapés psychiques qu'une articulation des deux pôles,

social et médico-social, avec le champ sanitaire s'avère incontournable.

Marcel Jaeger34 qui s'est longtemps intéressé aux interactions entre santé mentale, psychiatrie,

médico-social et social souligne que l'étanchéité entre le secteur sanitaire et le secteur social

peut être un frein à l'innovation en direction de ce public. Il ajoute qu'il lui apparaît impérieux

de développer des prises en charge réellement médico-sociales afin de conjuguer, en

contrepoint d'un projet de soin, un véritable projet de vie, de socialisation et de réinsertion en

milieu ordinaire.

Aussi, l'éducateur spécialisé exerce son métier en collaboration avec tous les professionnels

de l'action éducative et sociale. Il a pour mission d'aider les jeunes ou adultes inadaptés au

quotidien et de faciliter leur insertion dans la société pour éviter qu'il ne se marginalisent. Il

aide les enfants, les jeunes ou les adultes inadaptés à se développer sur le plan intellectuel,

affectif, psychologique et social, afin qu'ils surmontent leurs difficultés quotidiennes et

puissent acquérir le maximum d'autonomie.

Michel Lemay35 décrit les objectifs de travail de l'éducateur spécialisé en ces termes : «(...) Dans le cadre d'une équipe plus ou moins élargie, il vise par sa manière d'être et sa manière de faire à

constituer un lien privilégié de création, d'expression, de réalisation, d'identification et de projection

permettant, par sa présence effective, influente et significative, de proposer au sujet en difficulté un champ

d'expériences sociales l'invitant à se définir et à se redéfinir dans son identité personnelle vis-à-vis d'un

groupe social donné. »

Le travail éducatif s'enracine dans une rencontre entre humains. Les éducateurs spécialisés

côtoient tous les jours les exclus de la société. Le cœur de leur travail est cette rencontre,

difficile et éprouvante, avec des sujets en souffrance.

Si l'acte éducatif vise un changement chez les sujets qui sont confiés aux éducateurs

spécialisés, il exige également de la part de ces derniers une compétence, un savoir-faire et un

questionnement jamais achevé, sans cesse à remettre sur le métier qui rejoint une certaine

forme d'engagement de soi.

34 Marcel Jaeger, L'articulation du sanitaire et du social, Ed Dunod, Paris 2000, p635 Michel Lemay et Maurice Capul, De l'éducation spécialisée, Ed Eres, Paris 1996

40

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Le cœur du métier consiste à restaurer la parole de chaque sujet, transmettre des limites,

accompagner à faire des choix de vie. L'éducateur cherche à construire un nouveau système

de rapports de la personne avec son entourage et avec elle-même, grâce à la relation qu'il

établit avec cette personne. Mais il y a une relation qui est privilégiée, et que l'éducateur

cherche à utiliser pour montrer aux personnes en rupture de liens relationnels que toutes les

relations ont une part d'ambivalence, et que les conflits auxquels ces personnes étaient

habituées peuvent avoir une issue différente de l'impasse à laquelle elles ont trop souvent

abouti. Cette relation privilégiée, c'est le transfert. Freud appelle transfert le développement

d'une attitude émotionnelle du patient envers le thérapeute, sous la forme d'une relation

affectueuse, positive ou d'une relation hostile, négative, dérivant dans l'un et l'autre cas des

relations antérieures de la personne avec l'un de ses parents ( ou les deux) et non de la

situation actuelle36.

De même, Joseph Rouzel affirme que l'éducateur spécialisé ne peut tenir sa place qu’en

s’appuyant sur un trépied qui convoque : l'institution qui l'emploie, les médiations culturelles

et le transfert37. L'auteur défend ce qu'il nomme une clinique de l'éducation dans le sens où le

cœur du travail éducatif est la rencontre avec un autre humain en souffrance. Le transfert est

le moteur de cette rencontre humaine explique Joseph Rouzel. En effet, l'éducateur spécialisé

a pour mission d'aider la personne à s'approprier le plus possible son espace psychique,

physique et social. C'est dans l'espace des médiations, à savoir l'espace du quotidien de vie et

d'activités diverses que l'éducateur travaille la dimension transférentielle de la relation

éducative. Cette clinique du travail social s'opère dans une rencontre où l'éducateur spécialisé

est touché, affecté par ce qui se joue et se noue dans cette rencontre.

L'usager transfère sur la personne de l'éducateur un certain nombre de représentations, de

mots, de projections, de désirs, d’émotions, d'affects qui se ramènent tous à la supposition que

celui-ci pourra gommer sa souffrance par son savoir. Ainsi, la personne suppose que

l'éducateur détient un savoir qui lui permettra de se «sortir» de ses manques, de ses vides, de

ses peurs. Ainsi, la nature de la relation éducative dans sa rencontre avec l’Etre en souffrance

à laquelle se coltine l'éducateur est celle du transfert, à savoir : comment faire avec la charge

émotionnelle et affective renvoyée par l'usager? Comment comprendre cette souffrance, en

saisir le sens et trouver les mots pour l'objectiver et tenter de l’apaiser ?

36 Sigmund Freud, Joseph Breuer, Etudes sur l'hystérie, Ed Puf, Paris,37 Joseph Rouzel, Le transfert dans la relation éducative, Ed Dunod, Paris 2002

41

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Le transfert dans la rencontre est donc ce qui se noue et se dénoue dans une relation. Cela

s'effectue par les mots échangés. Cette médiation qui prend sa source dans le langage, mis en

acte par la parole, est une mise en scène de soi où s'énonce le sujet. Le travail éducatif et,

avec lui, la relation transférentielle, se fait dans une rencontre faite de parole durant laquelle il

s'agit de créer les conditions matérielles et psychiques pour accueillir ceux qui n'ont pas

trouvé les mots pour se raconter. La parole agit comme un cadre symbolique permettant au

sujet en rupture du lien à l'autre et à lui-même d'accéder à une demande et d'avancer dans la

voie du désir et par là même dans l'espace du social.

L'éducateur spécialisé n'est pas, en effet, un psycho-thérapeute, il est un psycho-pédagogue. Il

ne cherche pas à aller aussi profondément que le psychanalyste. Contrairement à ce dernier, il

ne peut maintenir une neutralité absolue. Aussi, l'éducateur étant un professionnel de la

relation, il se doit d'agir avec pertinence lorsqu'il est confronté à des situations et à des

personnes dont la problématique est complexe. Etant constamment impliqué dans une

relation, tout son ressenti joue un rôle prédominant dans la qualité de l'échange, la

connaissance et la reconnaissance de l’autre.

La relation éducative, par sa qualité, a valeur médiatrice. La situation qui rend bien

particulière cette relation est le partage d'un vécu quotidien par l'intermédiaire de multiples

petits actes concrets et l'engagement dans un « ici et maintenant ».

Aussi, les connaissances de l’éducateur qui doivent porter sur le développement de l'être

humain et sur ses vicissitudes lui sont nécessaires afin qu'il puisse les utiliser comme des

outils dans le domaine de l'observation et de l'intervention individuelle et de groupe.

Dans le domaine de la relation humaine il a été accumulé des notions directement applicables

dans les interventions éducatives, que l'on pense aux apports de la psychanalyse sur

l'expression de la psychopathologie de la vie quotidienne, sur la dynamique de groupe, etc.

4.2. : Quelques aspects et structures des relations humaines.

Edmond Marc et Dominique Picard dans Relations et communications interpersonnelles 38 ,

montrent comment la relation humaine se structure à partir de facteurs comme le contexte

38 E.Marc, D.Picard, Relations et communication interpersonnelle, Ed Dunod, 2ème édition, Paris 200842

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physique, culturel et social de la rencontre ainsi qu'à partir des facteurs de distance et de

temps. Selon ces auteurs, le contexte est constitué par le cadre, la situation et l'institution.

Celui-ci est porteur de normes relationnelles, de codes de communication et de rituels

d'interaction. C'est donc par ces différentes dimensions contextuelles que se déroulent les

relations humaines. Chaque institution, avec son projet et la spécificité de ses membres est

porteuse de certains types de rapports et avec eux, de certaines règles interactionnelles. Le

cadre, la situation et l'institution déterminent les relations et influencent le style relationnel

de chacun.

La nature de la relation dépend aussi de la distance physique et /ou psychologique entre les

protagonistes. La distance physique, parce que l'éloignement ou le rapprochement physique

instaure des types de relations différents et la distance psychique selon la familiarité ou le

degré de divergence entretenu avec l'autre. Mais il est possible de déterminer les

caractéristiques qui spécifient les relations avec les «familiers» et les opposent aux relations

avec les inconnus : par la décontraction, d'abord, et la connaissance immédiate que l'on peut

avoir de l'autre, ensuite. Effectivement, si l'on partage le même environnement culturel et les

mêmes expériences, cela entraîne une certaine forme de solidarité. Aussi, le niveau des

sentiments affecte les degrés de convergences ou de divergences entre les personnes.

Toujours est-il que la relation est prise en compte selon deux caractéristiques, nous disent ces

auteurs. Ces deux caractéristiques sont : l'attitude adoptée et la qualité du lien.

Également, les relations interpersonnelles se structurent à partir de la place qu'occupe chaque

protagoniste. Cette notion de place indique un positionnement dans un réseau relationnel et le

rôle social de chacun. Avoir «sa» place, c'est se sentir reconnu, identifié et différencié.«Être à

sa place», c'est montrer que l'on est inséré dans un ensemble et qu'une certaine place nous a

été assignée. Cette notion de place s'ancre dans une réalité objective et aussi imaginaire : on

peut attribuer imaginairement une place à quelqu'un dans la façon dont on ressent sa position .

Mais, toujours selon les auteurs Edmond Marc et Dominique Picard, l'aspect institutionnalisé

est dominant dans cette notion de rapport de place car celle-ci préexiste à la relation qui

s'instaure et découle de rôle sociaux (exemple: vendeur/client, professeur/élève...)

Nous pouvons aussi envisager que la relation répond à un besoin de reconnaissance d'autrui.

Le regard que l'autre nous porte influe sur notre estime de soi. Ce point de vue a été

développé par Eric Berne39. Selon lui, les relations interpersonnelles répondent à des besoins

39 Eric Berne, Analyse transactionnelle et psychothérapie, Petite Bibliothèque Payot, 1977, p32

43

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pour l'être humain en terme de stimulation cognitive et affective, de reconnaissance et de

structuration de la personnalité.

Malgré la spécificité de chaque relation, avec ses multiples aspects et structures, nous

pouvons dégager une constante qui nous fait apparaître la relation interpersonnelle comme

première par rapport à la construction de la personnalité. C'est, en effet, à partir de

l'interaction avec autrui que se constitue notre conscience et la perception de notre identité.

Winnicott40 dit que c'est à partir de l'expression du regard de la mère que le bébé commence

à construire l'image qu'il a et aura de lui. Le regard de la mère est donc cette première forme

de reconnaissance et ce premier miroir. Il apparaît comme fondateur de l'importance d'autrui

dans la quête de soi, de l'autre et par conséquent du sens que l'on donne à son existence.

La nature de l'objet d'intervention de l'éducateur spécialisé est bien la relation humaine dans

toute sa complexité. Il fonde en premier lieu son intervention sur l'établissement d'une

relation, c'est à dire sur une rencontre inter et intrasubjective. L'établissement de cette relation

suppose, chez l'éducateur, le développement d'un certain nombre de qualités qui ne sont

jamais définitivement acquises et qui constituent son identité professionnelle. Cette identité

professionnelle qui est, elle-même, profondément dépendante de la personnalité même de

l'éducateur et de son savoir-être.

4.3. L'éducateur spécialisé : un professionnel de la relation et du

savoir-être.

La relation humaine constitue comme nous venons de l'énoncer, le fondement de la profession

de l'éducateur spécialisé. Le développement de la personne, la connaissance de soi et des

autres reposent sur les relations humaines et supposent la question de l'altérité. Cette question

de l'altérité est essentielle pour l'éducateur spécialisé qui la conçoit comme une dynamique de

va et vient entre lui et la personne ou le groupe. Cette dynamique interactive permet à chacun

de se reconnaître en se percevant comme sujet car identique à autrui.

40 Donald Winnicott, Jeu et réalité, l'espace potentiel, Ed Folio Gallimard, 200444

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Raymond Chapuis pense que c'est la disparition de l'altérité qui explique la maladie mentale41.

Le malade se replie sur lui-même et se crée un monde irréel.

L'auteur évoque42 la relation à autrui comme étant de l'ordre de l'affectif puisqu'elle est

l'expression d'un vécu entre deux ou plusieurs personnes. Elle est, ajoute t-il, de l'ordre d'une

connaissance de l'autre appréhendée comme une réalité extérieure qui peut être saisie dans ses

constituants. C'est cette tentative de connaissance du fonctionnement de l'autre, qui permet de

prendre conscience de soi et de l'autre et fait émerger le souci de l'altérité. Aussi, nous dit

l'auteur, dans un travail relationnel, la qualité du lien entre les deux protagonistes apparaît

essentielle et dépend de la façon d'être ensemble. Lorsque la relation devient difficile, il faut

que l'un des protagonistes facilite le dépassement du conflit par son attitude. La façon d'être

doit inciter l'autre à dépasser ses limites en lui faisant prendre conscience de lui, de ce qu'il est

et de ce qu'il peut devenir (La psychanalyse emploi le terme de «catharsis» pour nous

expliquer les mécanismes de ce dépassement.).

Mais pour Raymond Chapuis, la qualité de la relation passe aussi par un tier médian qui est le

savoir. En effet, le savoir est un médiateur dans la recherche de soi et de l'autre, à condition

qu'il ne devienne pas un instrument de pouvoir et de domination . Le savoir doit faciliter la

connaissance et l'analyse du système d'interactions dans lequel les protagonistes sont pris.

Pour devenir un médiateur positif, le savoir doit être rassurant pour les personnes et porteur de

significations enrichissantes afin que la relation entre dans une dynamique de progrès.

Lorsque nous parlons de savoir comme support de médiation, nous parlons de savoir conçu

comme support de progrès permettant d'accéder à la connaissance de l'autre. Ce savoir est

donc de l'ordre de l'être. L'affectivité et l'intelligence sont, par conséquent, intimement liées.

C'est la raison pour laquelle nous pouvons évoquer, à présent, la notion de savoir-être .

41 Raymond Chapuis, La psychologie des relations humaines, Ed Puf, 8ème édition, Collection Que sais-je? p742 Ibid p11

45

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Le travail relationnel se rapproche de la notion de savoir-être qui est un élément constitutif de

la profession de l'éducateur spécialisé comme nous avons pu le constater. Ainsi, relation à

l'autre et savoir-être sont intimement liés chez l'éducateur spécialisé et s'articulent ensemble

permettant à ce professionnel de réagir justement à des situations problématiques. L'existence

d'un savoir-être (attitude, posture) est une condition nécessaire au développement de

compétences relationnelles. Mais si la littérature traite abondamment de la notion de

compétence, il n'en est pas de même pour celle de savoir-être.

Sandra Bellier se propose de rendre intelligible les caractéristiques du savoir-être dans les

pratiques professionnelles43. Selon cette auteure, la première caractéristique du savoir-être

repose sur les qualités morales de la personne. Ces qualités sont de deux types, soient acquises

par l'éducation comme par exemple l'honnêteté, soient plutôt naturelles et construites dés la

naissance comme le sens de l'effort, l'autorité naturelle etc...( ce qui est de l'ordre du

caractère).

Ainsi, le «savoir-être» correspond à la capacité de produire des actions et des réactions

adaptées à l'environnement humain en mobilisant ces deux types de qualités. Ce savoir

correspond aussi à la manière d'agir, avec «tact», par une capacité à répondre promptement

avec sensibilité et pertinence à une situation complexe. Dans le cas de l'éducateur spécialisé,

cela signifie qu'il doit être capable de gérer la complexité d'une rencontre au cours de laquelle

la dimension de l'être en souffrance est centrale.

Ainsi, le «savoir-être» dans une relation éducative, c'est être capable de développer une

intelligence de la situation. Le savoir et le savoir-être jouent un rôle de médiation et incitent

au dépassement des conflits inter et intra-psychiques. La réussite de l'intervention du

professionnel dépend, au final, de sa capacité de compréhension grâce à son savoir. Cela pose

le problème de sa formation théorique et de sa manière d'être agissant comme force

sécurisante.

Avec la politique actuelle de dés-hospitalisation des malades psychiques et en lien avec la loi

du 2 février 2005, les éducateurs spécialisés assurent auprès de certains handicapés

psychiques vivant en milieu ordinaire un accompagnement au plus près de leur quotidien et de

43 S.Bellier, Savoir être dans l'entreprise: utilité en gestion des ressources humaines, Ed Vuibert, Paris 199846

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leur intimité. Aussi, la qualité de la relation entre l'éducateur et le handicapé psychique

apparaît essentielle pour leur permettre d'atteindre un équilibre de vie satisfaisant.

Cependant, être éducateur dans le domaine de la santé mentale des personnes handicapées

psychiques demeure une profession en mutation comme nous l'avons démontré.

Traditionnellement, cette occupation relevait d'une présence à l'intérieur des murs de

l'institution psychiatrique.

Au regard de l'histoire de la folie, de la psychiatrie, de l' apparition sur la scène sociale d'une

politique de prise en charge du handicap psychique et de l'histoire de l'éducation spécialisée,

nous pouvons légitimement nous interroger sur l'attitude relationnelle des éducateurs

spécialisés et les effets que cette attitude (ou savoir-être) peut induire en terme de mieux-être

pour ce public. Telle est l'interrogation qui va dominer notre travail de recherche que nous

vous présentons à présent.

4.4. Problématique du travail de recherche : Quels sont les aspects

du travail relationnel de l’éducateur spécialisé confronté au

handicap psychique ?

Comme nous venons de le voir, l'éducateur spécialisé est un professionnel de la relation. Cette

profession s'enracine dans des savoirs issus de l'expérience et se fonde sur la connaissance et

la reconnaissance des difficultés et des limites de la personne aidée. Des dispositifs,

47

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relativement récents et novateurs chargés d’accueillir et d’accompagner ce public, tentent

d'apporter des réponses spécifiques en terme relationnel liées à ce type de handicap.

L'objectif de notre travail de recherche consiste à questionner la pratique de l'éducateur

spécialisé auprès de personnes souffrant d'un handicap psychique notamment en ce qui

concerne ses compétences relationnelles et donc de son savoir-être qui sont les outils de sa

profession.

En cherchant à comprendre comment et pourquoi est apparu ce public dans le champ social et

quelles sont les particularités de ce handicap, nous avons été conduits à poser notre regard sur

la pratique des éducateurs spécialisés et à formuler la problématique de notre travail de

recherche comme suit :

Face à des situations complexes qui sont en lien avec les problématiques

psycho-pathologiques de personnes handicapées psychiques, l'éducateur

spécialisé a t-il les compétences relationnelles favorisant l'intégration sociale

de ces personnes ?

Pour répondre à cette interrogation nous avons passés quelques jours dans un service

d'accompagnement à la vie sociale que nous vous présentons en détails plus loin. Nous avons

souhaité questionner une pratique professionnelle auprès d'un public handicapé psychique et

reconnaître les compétences relationnelles qui sont mises en œuvre dans ce contexte. Par cette

approche compréhensive d'un contexte relationnel, nous avons voulu savoir comment des

éducateurs qui ne sont pas, à priori, formés et expérimentés pour faire face à des

manifestations psychopathologiques sévères, parviennent à produire des actions et des

réactions adaptées aux besoins spécifiques de cette population.

Cette tentative d'analyse d'une pratique a consisté à dégager et à identifier les différents

éléments de situations relationnelles, d'éclairer l'implicite qui préside aux actes, aux conduites

et aux comportements des professionnels afin d' avancer dans la compréhension des besoins

relationnels de ce public.

48

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Partant des besoins et des difficultés relationnels des handicapés psychiques accueillis dans ce

lieu, nous avons souhaité observer les actes des professionnels et recueillir les discours de

chacun qui peuvent nous éclairer sur leurs postures relationnelles et les valeurs éthiques

inhérentes à ces postures contribuant à un processus de mieux-être pour ces personnes.

En nous appuyant sur les notions d'interactions relationnelles et de savoir-être que nous vous

avons présentées, nous avons tenté de déterminer les caractéristiques qui spécifient les

relations entre les professionnels et les usagers de cette structure. Enfin, nous avons souhaité

interroger les protagonistes sur les moyens qu'ils ont, en terme de formation ou d'analyse des

pratiques, qui peuvent leur faciliter la connaissance, l'analyse et le déroulement de situations

d'interactions complexes liées à ce type de handicap. Les outils qu'ils ont sont-ils satisfaisant

ou est-il nécessaire d'en trouver d'autres en terme de formation ou d'accompagnement ?

Lors des rencontres formelles ou informelles qui se sont déroulées sur le terrain d'enquête,

notre but fut de provoquer une parole au sujet des intentions qui sont véhiculées par l'attitude

relationnelle du professionnel. Cette mise en perspective ne peut esquiver la question des

finalités de l'éducation, et donc d'un questionnement renvoyant d'une part à la question du

sens et d'autre part à une certaine éthique du rapport à l'autre.

Nous avons imaginé, en guise d'hypothèse de travail que, confrontés à des manifestations

d'ordre psycho-pathologique complexes et auxquelles ils ne sont pas formés initialement, les

éducateurs(trices) spécialisés(ées) avaient pu acquérir des compétences par et grâce à un

dialogue continu et une relation de confiance entretenue avec les adhérents.

L'idée selon laquelle ces compétences avaient pu germer et progresser dans la quotidienneté

nous est apparue intéressante à explorer. Nous avons fait le rapprochement avec la théorie de

Vygotsky44 qui suggère que la construction de concepts se fait à partir de l'action et des

interactions sociales non formalisées et par une intériorisation des savoirs de référence

proposés par la formation. Vygotsky fonde ainsi un modèle de développement des

compétences qui reconnaît l'apport de l'expérience et la construction dans l'action. Nous

pensions que cette théorie pouvait avoir quelques similitudes avec notre recherche, dans le

sens de ce que Vygotsky définit avec la notion de «zone de développement proche». Cette

notion lui sert à définir l'écart entre ce que le sujet est capable de faire seul et ce qu'il peut

réussir en interaction avec autrui.

44 Vygotsky, Pensée et langage, Collection Terrains, Editions Sociales, rééditions : La Dispute, Paris 1997 p39

49

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Prenant comme point de départ cette notion, nous avons posé l'hypothèse

d'une co-construction de la compétence relationnelle de l'éducateur

spécialisé qui serait issue d'une dimension interactive dans la relation avec

les usagers. Ce lien interpersonnel a permis l'appropriation d'une éthique

de la relation adaptée à la problématique psychique des personnes

accueillies.

Il nous est donc apparu incontournable, pour cette enquête, de partir à la rencontre d'un de ces

dispositifs d'accompagnement afin de décrire et de mettre en lumière les compétences

relationnelles que les éducateurs(trices) utilisent.

Nous avons choisi de nous intéresser au travail effectué par des éducateurs au sein d'une

association, composée de trois structures interdépendantes, qui se nomme l'association Espoir

3345. Elle se situe dans la ville de Bordeaux et constitue une émanation de l'association

UNAFAM du département de la Gironde.

Nous avons demandé au directeur, Monsieur Jean-Paul Labardin et à une des membres

fondatrices, Mademoiselle Simone Noailles, de bien vouloir nous recevoir pour nous raconter

l'historique de la création de cette structure et nous expliciter les principes et le projet qui la

fondent.

Ainsi, grâce aux propos recueillis et aux documents qui nous ont été fournis (règlement

intérieur et projet d'établissement) nous allons pouvoir vous présenter précisément ce terrain

d'enquête avant de vous expliciter la méthodologie que nous avons choisie d'utiliser pour

tenter d'apporter des éléments de réponse à nos questions.

Nous avions, préalablement à cet entretien, tracé quelques indications sur une grille46 qui allait

nous permettre de suivre un fil conducteur afin de recueillir le plus de données possibles .

45 Association Espoir 33 : siège social : 20 cours Gambetta, 33150 Cenon.46 Les trois grilles qui nous ont servi de cadres pour les entretiens et observations que nous avons menés, sur le

terrain, sont présentées en annexes aux pages 105, 106 et 107.50

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Chapitre 5 : Présentation du terrain et de la méthode

d'enquête.

5.1. Présentation du terrain d'enquête.

L’Association Espoir 33 se compose de trois services d'accueil de jour et d'accompagnement

social appelés, Club Mozart, Club Delord et Club Gambetta.

51

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Ils sont indépendants géographiquement les uns des autres et se situent, pour le Club Mozart,

dans le quartier du Grand-Parc à Bordeaux, pour le club Delord dans le quartier des Chartrons

à Bordeaux et dans le quartier de Bordeaux- Bastide pour le club Gambetta.

Ces services ont été ouverts respectivement en 1992, 1997 et 2001.

La volonté d'ouvrir ces services prend son origine après les constats qui furent faits au début

des années 90, suite à l'observation du devenir de plusieurs centaines de patients sortis des

institutions soignantes bordelaises.

Ces constats, présentés au Conseil de Santé Mentale de la Gironde en 199047 étaient les

suivants :

- Le parcours évolutif de patients ayant un diagnostic de psychose était très diversifié et non prédictif.

Aussi, leur parcours était rarement linéaire mais le plus souvent erratique, avec des infections qui étaient en

rapport avec de multiples facteurs, organiques ou sociaux ou psycho-affectifs.

- Puis, la « réussite » de la réinsertion à travers le logement individuel était le plus souvent un leurre.

Ainsi, les échecs de ces formes de réinsertion sont apparus liés principalement à trois facteurs :

- L'isolement social,

- L'inactivité,

- La rupture du suivi médical.

Chaque club de l’association est fréquenté par une soixantaine de personnes. Toutes ces

personnes sont suivies, par ailleurs, soit en hôpital de jour, soit en consultation dans un centre

médico- psychologique, soit par un psychiatre libéral.

La moyenne d'âge se situe autour de 40 ans. Les plus jeunes ont, à peu prés, 25 ans et les plus

âgées autour de 55 ans. Il y a approximativement 60 % de femmes et 40 % d'hommes. Si leur

état psychique ne justifie plus une hospitalisation, une tentative de vie totalement autonome,

sans suivi médical ni accompagnement socio-éducatif risquerait de les conduire vers la

rechute.

Cependant, le soin psychiatrique se déroule ailleurs. Chaque adhérent doit consulter

régulièrement le médecin psychiatre de son choix, soit en cabinet privé, soit en centre

hospitalier. Cette obligation est une des conditions d'entrée pour bénéficier des services de

47 Http://www.sante.gouv.fr/dress/santementale/3-...52

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l'association. Aussi, l'association n'a pas de lien avec le milieu médical, ce lien appartenant à

la sphère privée des usagers. Il est donc fait une nette distinction.

Un contact avec le service de soin de l'usager ou avec son médecin est effectué seulement

lorsque l'état psychique de l'usager ne lui permet plus de faire face à la situation vécue ou si

cet état représente un danger pour lui et l'entourage. Chaque adhérent vit dans un appartement

privé extérieur à l'établissement, dont il assure la gestion. Si un soutien est nécessaire, celui-

ci n'est pas assuré par Espoir 33 mais en lien avec les organismes sociaux publics.

La loi du 11 février 2005 donne une dénomination générique à ce genre de clubs, avec

l'appellation de «Groupes d'Entraide Mutuelle » (G.E.M.) La vie dans ces Clubs ou Groupes

d'Entraide Mutuelle, accorde une grande place aux activités de loisirs et d'expressions.

L'agenda des activités est préparé une fois par mois, au cours du conseil des adhérents qui

réunit des membres et les éducateurs présents pour recueillir les idées, canaliser des envies

irréalisables ou en approfondir d'autres.

Deux principes possèdent un caractère fondateur pour l'action de cette association Espoir 33 :

- Le premier consiste à restaurer aussi complètement que possible la position de sujet des

personnes qui fréquentent le club.

Ceci se manifeste de façon formelle à travers les modalités de présentation et d'instruction des

candidatures des personnes qui souhaitent devenir adhérentes d'un de ces clubs. Cela se

manifeste aussi par le fait que les adhérents, une fois admis, fréquentent le club à partir de

leur initiatives personnelles et sans être tenu à un rythme ou une durée de présence, hormis au

moins un contact hebdomadaire qui constitue une obligation contractuelle. De la même façon,

les activités, les sorties, les projets doivent résulter d'une synthèse entre les suggestions des

éducateurs et les intérêts exprimés par les membres adhérents, tant au plan individuel qu'à

travers les réunions qu'ils organisent avec le concours de leurs propres délégués.

- Le deuxième principe consiste dans le respect du droit reconnu à tous les membres de

pouvoir disposer du cadre stable et sécurisant que représente le club pendant ses horaires

d'ouverture. En particulier, cet engagement des services vaut en priorité pour les weekends,

jours fériées et périodes de vacances.

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En effet, il a été observé que les sujets qui ont un domicile individuel éprouvaient un

sentiment accru de solitude avec l'angoisse qu'elle peut provoquer, aussi bien en fin de journée

qu'avec le ralentissement de l'activité pendant le weekend. On peut enfin noter qu'il est

d'autant plus important que les clubs demeurent ouverts pendant ces périodes durant

lesquelles se trouvent fermés les dispositifs auxquels ils pourraient demander un soutien en

cas de détresse : consultation psycho-thérapeutique, hôpitaux jour, etc.

L'action de chacun de ses Services d'Accompagnement à la Vie Sociale ou Groupes d'Entraide

Mutuelle, est entièrement fondée sur l'intention de répondre aux trois difficultés majeures, que

représentent la fragilité plus ou moins durable des sujets, leur isolement et leur oisiveté.

Ces trois services ont été conçus par l'équipe fondatrice d’Espoir 33 en réunissant le

dynamisme et la compétence de familles de l’UNAFAM et de spécialistes de l'action médico-

sociale. Le projet et les principes d'action constituent la charte de fonctionnement qui a été

négociée et qui a pris forme conventionnelle entre le conseil général, le Centre Hospitalier

Spécialisé Charles Perrens de Bordeaux et l'Association Espoir 33. Cette dernière est la

promotrice des services et, dans le cadre du partenariat établi, elle en assure la responsabilité

complète.

Des acteurs, professionnels du travail social, et en particulier de l'éducation spécialisée sont

recrutés pour assurer l'animation quotidienne des clubs. Ils ont pour mission de mettre en

œuvre les principes d'action qui régissent le fonctionnement des services et qui visent à

procurer aux adhérents un soutien et un accompagnement leur permettant d'améliorer leur

niveau d'autonomie personnelle et sociale ou de maintenir celui qui a pu être rétabli.

Ce soutien peut être transitoire ou au long cours et peut subsister aussi longtemps qu'il paraît

utile. Les éducateurs spécialisés exercent leur mission avec l’ initiative et la responsabilité

propre à leurs compétences. Dans les situations qui peuvent impliquer des conséquences

importantes ou graves, ils sollicitent le conseil du responsable. Leurs observations et leurs

propositions sont débattues sous l'autorité du responsable à l'occasion des réunions de

coordination hebdomadaire.

Concernant le règlement de fonctionnement de chaque service, la diversité des situations et

les évolutions multiples qui peuvent avoir pour cadre les clubs, interdisent d'en figer le54

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fonctionnement par des règles stables et précises. Il est indispensable en effet de conserver

une flexibilité et une souplesse d'action pour tenir compte aussi bien de la dynamique du

groupe que des personnalités individuelles. En outre, les Clubs ou Groupes d'Entraide

Mutuelle constituent une formule innovante dont il faut préserver les capacités de créativité.

Chaque club est ouvert de 11 heures à 20 h 30 ou 18 h 30 selon les jours, du mardi au

dimanche inclus ainsi que les jours fèriés. Le samedi, ils restent ouverts jusqu'à 22 heures.

Les personnes fréquentant le club paient une cotisation tous les mois qui s’élève à 10 euros et

participent financièrement, à hauteur de 30 %, au paiement des activités de loisir qui sont

organisées. Ceci afin de se sentir co-responsables des actions menées et adhérentes aux

projets divers et variés leur permettant d’éprouver des relations sociales. C’est la raison pour

laquelle, la dénomination d’«adhérent» a été retenue plutôt que celle d’usager.

– Présentation de la méthode d'enquête.

Au préalable, nous avons rencontré les acteurs de terrain de cette association et avons

décidé de choisir le club Mozart comme terrain d'enquête pour ce travail de recherche pour

des raisons de disponibilité de l’équipe à cette période (octobre 2008) .

Une enquête par entretiens individuels avec les personnes reçues dans cette structure n'a pu se

réaliser en raison de l'effet trop anxiogène que pouvait provoquer une situation de face à face

enregistré pour bon nombre d'adhérents, et qui plus est, avec une personne inconnue. Il nous a

été conseillé des entretiens de groupe en présence d'un membre du conseil d'administration.

Ce membre étant dans une position neutre aux regards du travail des éducateurs et

suffisamment sécurisant pour les personnes accueillies.

Nous avons pu constituer deux groupes de huit adhérents chacun. Puis nous avons retiré des

informations et des éléments de réflexion sur la compétence relationnelle mise en œuvre dans

ce contexte par des entretiens individuels avec les professionnels. L'enquête s'est déroulée en

trois étapes. A chaque étape, sa journée. La première journée, nous nous sommes présentés à

ces personnes afin de préparer notre venue et expliciter notre démarche. Nous ne voulions pas

être vécus comme un élément perturbateur et persécuteur, ce qui aurait pu déclencher de la

méfiance de leur part et bloquer la parole.

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La question principale de ce travail de recherche s'articulant autour des compétences

relationnelles de l'éducateur spécialisé, il nous a semblé intéressant de nous immerger dans

leur quotidien de vie pour le partager durant une journée. Ceci nous a permis de ressentir et

d'appréhender directement dans la réalité du quotidien, les compétences relationnelles mise en

acte et ainsi, avoir une vision plus juste du contexte dans lequel évoluent ces relations. Ainsi,

cette première étape a consisté en une prise de contact avec l'ensemble des adhérents et le

personnel. Elle a eu pour but de nous familiariser avec le contexte d'étude et avec les

personnes fréquentant le lieu avec l'espoir que cela favorise un sentiment de confiance les

autorisant à parler sereinement lors des entretiens futurs. Les échanges informels et les

observations notés ont été riche d'enseignement pour qu'ensuite s'élabore la seconde phase de

notre enquête, celle des entretiens. La seconde journée a donc été consacrée à deux entretiens

en groupe de huit personnes et la troisième journée aux entretiens individuels avec les

éducateurs(trices).

5.2. Première journée au club Mozart.

Nous vous présentons, ci-après le compte-rendu de cette phase exploratoire avec les membres

du club Mozart.

Le club Mozart se situe dans une petite rue du quartier des Chartrons à Bordeaux-Baccalan. Il

est composé, au rez- de- chaussée, d'une salle à manger avec une cheminée et d'une cuisine. A

l'étage, d'un salon avec télévision et canapé et de petites pièces contigües servant pour des

activités diverses. Il existe aussi un petit jardin qui permet d'autres activités dés les beaux

jours.

Nous avons été invités au repas du mardi midi pour ce premier contact. Une grande table a été

dressée pour une vingtaine de personne. Parmi les convives, aucun médecin, mais des

adhérents pour la plupart habitués de ce lieu qu'ils ont découvert après un séjour en hôpital

psychiatrique sur les conseils de leur équipe soignante ou de leur famille. A leurs côtés, les

éducateurs sont aussi attablés et veillent au bon déroulement de la situation. Passées les

présentations et les raisons de notre venue, qui, par ailleurs avaient déjà été évoquées, nous

prenons place à table. Autour des pamplemousses roses, puis du magret de canard, chacun

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adopte sa propre attitude. Afin d'engager la conversation nous avons demandé aux convives

les motivations qui les ont amenés à s'inscrire à ce club.

Martine, la quarantaine était gondolière dans un supermarché, chargée de placer les produits

dans un rayon. Puis elle s'est retrouvé sans travail du jour au lendemain à cause d'une

dépression. Sans travail et seule. «Aujourd'hui, dit-elle, il y a le club. Quand je me lève , j'ai

un but. Je sais que quelque chose m'attend dans la journée.»

Josette, plus âgée, était aide-soignante dans un service de gériatrie. C'est la tentative de

suicide d'un de ces enfants qui l'a fait «plonger». Dépression, elle aussi et puis démission pour

s'occuper de son fils : «Quand on perd son emploi, le rapport à la société est beaucoup plus

difficile. J'ai travaillé toute ma vie, mais après ça, je ne pouvais plus assumer le quotidien,

je me suis écroulée. J'ai passé 6 mois à l'hôpital psychiatrique, à la sortie, je voulais faire

quelque chose. Ici, je m'occupe, je vois du monde, j'oublie mes problèmes.»

D'autres adhérents sont demeurés silencieux : «je suis venu pour la première fois ce matin,

alors pour l'instant j'y vais pas à pas» glisse très doucement Patrice, un homme d'une

quarantaine d'année. Et, pas à pas, les autres ont essayé de le mettre en confiance, de le

rassurer, de lui demander si «ça allait», ou s'il voulait qu'on lui serve un autre café.

Assis en bout de table, le Directeur, Monsieur Jean-Paul Labardin, que tout le monde a salué

avec chaleur car, dit-il, «se dire bonjour est important tant on connaît leurs difficultés à

renouer chaque matin le contact, à aller vers l'autre , à s'embrasser ou à tendre la main».

Nous avons observé que ce moment de repas est essentiel afin que se prolonge la journée sous

les meilleures auspices. Les éducateurs doivent veiller à sa préparation et à son bon

déroulement. Ils doivent être très attentifs afin de solliciter chacun pour le partage des tâches,

freiner les prises de paroles trop longues bloquant la participation de certains, réguler des

tensions naissantes, inciter certains à découvrir des aliments, faire en sorte que chacun trouve

sa place aux regards des autres.

En fin de repas, ceux qui l'ont souhaité ont profité du beau temps pour échanger quelques

balles de tennis, tandis que d'autres ont refait couler du café et ont passé plus de temps à table.

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Après les inévitables corvées de nettoyage et de rangement effectués par tous les adhérents

dans la bonne humeur, nous sommes restés avec les éducateurs qui nous ont présenté, avec un

peu plus de précision, le déroulement d'une journée type.

Thierry, éducateur spécialisé, depuis 3 ans dans ce service, nous a expliqué que la vie du club

accorde une grande place aux loisirs. L'agenda des activités est préparé une fois par mois, au

cours du conseil des adhérents qui réunit des membres et un éducateur qui recueille les idées,

canalise des envies irréalisables, ou en approfondit d'autres. «Si quelqu'un semble tenir à une

initiative mais qu'il n'ose pas la proposer, on tente alors de l'aider à s'affirmer.»

La dimension de responsabilité et de citoyenneté qu'offre l'organisation et la participation à

l'élaboration de projets est centrale dans le projet du club. Aussi, a ajouté l'éducateur, la

participation des adhérents est un investissement intellectuel, psychique, physique mais aussi

financier car les activités sont prises en charge à 30 % par l'association et 70 % par les

membres, en plus de leur cotisation mensuelle qui s'élève à 10 euros.

En visitant les locaux, nous avons lu le compte-rendu du conseil des adhérents affiché sur un

panneau jusqu'au rendez-vous suivant. Autour des doléances, une mosaïque d'autres affiches

précise les activités à venir. Sont annoncés, entre autre , des séjours à Nîmes, Rocamadour, ou

Barcelone, mais aussi une remise à niveau en grammaire et en calcul, la prochaine réunion

pour la création d'un journal, les sorties bowling ou encore l'initiation à certains logiciels

informatiques. Sur le mur en face, plusieurs collages photographiques ont fixés les meilleures

souvenirs des vacances à la montagne ou d'une récente soirée déguisée.

Le Directeur nous explique que, «dans la mesure du possible, les loisirs sont organisés en

autogestion. Une séance de cinéma, un concert ou une journée à la plage sans éducateur, ont

l'avantage de suggérer qu'ils peuvent faire les choses sans nous».

Et pour les tâches ménagères le principe est le même et Gaêlle, l'éducatrice précise : «Si

quelqu'un refuse de faire la vaisselle, on va essayer de l'engager à parler de ce refus pour en

donner des explications car, autre chose peut se cacher derrière ce refus, un conflit avec l'un

d'entre eux ou un sentiment de découragement ou un non-dit, plus inquiétant .»

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Martine, une adhérente, s'est jointe à nous et nous explique que : «il y a beaucoup de choses

qu'on aurait jamais fait de notre vie, il a fallu que je vienne ici pour faire ce que je n'osais

pas faire avant. Maintenant, prendre une initiative, ça me semble plus naturel.»

Thierry, l'éducateur, a renchéri : «Nous essayons de construire une vie moins réglée qu'à

l'hôpital, où il y a un temps pour les médicaments, puis un temps pour les activités, et ainsi

de suite.»

Nous avons noté que les adhérents semblent tenir à cette spontanéité, en atteste cette remarque

consignée dans un récent compte-rendu et affichée sur le panneau : «il apparaît important de

maintenir une spontanéité dans les propositions de sorties et de laisser place à l'imprévu..»

En continuant la visite du club, nous avons profité du jardin et de cette belle journée

ensoleillée. Des tables et des chaises sont disposées afin de prendre le café avec quelques

biscuits préparés par une adhérente. Entre les membres du club, les professionnels et le

directeur nous avons continué notre conversation.

L'équipe nous a expliqué que la souplesse de ce genre d'endroit réside aussi dans la question

des horaires. Pour offrir presque à tout moment un cadre stable et convivial, les clubs restent

ouverts en fin d'après-midi, parfois jusqu'en début de soirée, ainsi que les weekend-ends.

Autrement dit, aux heures de fermeture des hôpitaux de jour et des centre médico-

psychologiques, lorsque la solitude se greffe sur les angoisses et la peur du vide.

Il y a une seule obligation, celle de garder un contact hebdomadaire, si ténu soit-il, avec un

membre de l'équipe. «Un coup de fil, même cinq minutes pour dire que tout va bien» nous dit

le Directeur. Si le lien est rompu, l'équipe va tenter de le renouer en douceur, par le biais

parfois d'un autre adhérent ou de l'entourage familial. «Il s'agit alors de savoir où en est

l'absent, si son départ est dû à la lassitude ou s'il n'ose plus venir.»

Marie, une adhérente assise à côté de nous, s'est exprimée à ce sujet : «je suis adhérente

depuis cinq ans au club Mozart. Un jour, il y a eu une grosse coupure, un gros blocage... Je

ne savais pas ce qui se passait et l'équipe a néanmoins gardé le contact, ils m'ont fait

comprendre que j'avais ma place parmi eux, ce qui n'était pas du tout évident pour moi.»

Claude, un autre éducateur a aussi livré sa conception de cette situation et les représentations

de son action : «nous considérons que la maladie psychique est une maladie de la relation à

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l'autre et non pas une maladie à l'intérieur de soi, qui serait uniquement le résultat de sa

propre histoire.»

Soudain, Alexandre, un adhérent, qui jusque là est resté silencieux, prenant un air parfois

méfiant, a souhaité nous faire partager son opinion. Il s'est exprimé difficilement, avec

émotion. Nous avons ressenti le besoin de cette personne d'être écoutée attentivement : (...)

«moi, je suis classé psychotique, mais ma maladie est globalement stabilisée. Avant, j'étais à

l'hôpital, c'est comme ça, c'était un passage obligé à ce moment de ma vie. Mais si j'avais

rencontré le club plus tôt, j'y serais resté moins longtemps. J'ai compris trop tard qu'une

maladie ça évolue et ça peut se combattre. A l'hôpital psychiatrique, c'est la casse des gens,

on nous considère comme stabilisé, le jour où l'on reste prostré devant la télévision du matin

au soir. Maintenant, ici, je m'occupe enfin, je me sens utile. Il y a le jardin et avec l'aide de

l'éducatrice, je fais pousser des fleurs. Vous comprenez ? Je donne de la vie...» Les sanglots

ont empêché Alexandre de continuer son discours.

Quelques instants plus tard, nous avons assisté à une scène entre un adhérent prénommé

David et le Directeur. A peine a t-il aperçu le Directeur que David s'est dirigé vers lui, lui a

serré la main et a tiré sur la manche de son pull-over. Il a laissé alors apparaître un poignet

dont le bandage servait à cacher des scarifications. Une discussion s'est engagée. David n'en

est pas à sa première tentative. « Regardez bien ce que j'ai fait, cette nuit là, j'ai entendu des

voix de là-haut, il fallait que je le fasse… Je veux voir un Docteur, mon Docteur, il est pas là ?

Je veux voir un Docteur... Je veux voir un Docteur...»

Gaêlle, l'éducatrice, est intervenue et a demandé à David de l'accompagner dans la pièce

voisine. Il y sont restés un long moment. L'éducatrice nous a dit ensuite qu'elle a écouté

David, le temps qu'il a fallu sans aucun jugement : «il se sent en confiance avec moi, et je

parviens à canaliser un peu ses angoisses. C'est un travail de tous les jours . Rien n'est acquis

avec lui, et il faut qu'il sente que les gens sont solides et non rejetant car il tente souvent de

provoquer de l'inquiétude chez l'autre. Alors, il faut jongler entre fermeté, sans qu'il se sente

rejeté et bienveillance. Bref, c'est sur la corde raide à chaque fois. Lorsque David est arrivé

pour la première fois, nous lui avons expliqué que nous allions faire autre chose avec lui que

du soin médical. C'est un passionné de football, mais il n'a jamais osé aller au stade voir les

Girondins. Il en parle souvent, affirme que le week-end prochain il ira, mais à chaque fois,

quelque chose le bloque. Pour nous, une des premières étapes, ce sera de l'amener à réaliser60

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ce plaisir là. Vous voyez ? Nous ne nous situons pas dans la thérapie mais notre attitude y

participe et puis ensuite nous tentons de le ramener à leur réalité par le biais de petites

choses du quotidien . »

Ce séjour au sein du club Mozart, nous a permis de mesurer combien était prépondérante la

qualité de la relation entre les adhérents et les professionnels. C'est à partir de cette qualité de

la relation que tout un ensemble d'expériences humaines se développent dont le seul but est de

restaurer la place de sujet à des personnes qui s'en sont senties dépourvues.

Cet exemple de pratique permet de penser à quel point il s'agit d'un véritable changement.

«Ces clubs sont appelés Groupes d'Entraide Mutuelle et ils s'inscrivent dans l'héritage des

clubs thérapeutiques développés en psychiatrie mais constituent une nouveauté car ils ont

vocation à être des lieux gérés par les patients (ou ex-patients) eux-mêmes, sous forme

associative. Ces personnes sont aidées en cela par des éducateurs spécialisés dans une

perspective de socialisation, et ne sont plus «objets» de soin mais actrices de leur

participation.» nous explique le Directeur.

Nous avons pu constater, également, durant cette première journée, que certaines situations

intègrent une dimension fortement émotionnelle et ont demandé aux professionnels de savoir

agir et réagir avec pertinence. Ils ont su mobiliser des ressources sur le plan relationnel qui ont

facilité le dénouement de tensions laissant percevoir une résurgence de problématiques

psychiques douloureuses. L'enchevêtrement des dimensions psychologiques et des réalités

quotidiennes a semblé, parfois, constituer un réel défi pour le professionnel.

Ainsi, un monsieur venu boire un café et discuter quelques moments vers les 14h, s'est mis à

agresser verbalement un adhérent tranquillement assis dans un fauteuil, lui intimant l'ordre de

baisser son regard car cela le dérangeait.

L'éducatrice, heureusement présente à proximité, est intervenue pour apaiser la situation qui

commençait à prendre une tournure extrême tant par les propos que par la violence physique

que l'on sentait poindre, la personne agressée se transformant, elle-même, en agresseur. En

re-situant le cadre et les modalités d'accueil de façon bienveillante et douce, la tension entre

ces deux personnes s'est finalement estompée grâce à l'intervention de l'éducatrice. Il

s'agissait, en fait, nous l'apprenons plus tard, d'une vieille rancune entre ces deux personnes

non encore résolue et qui demande de la part des éducateurs un autre type de travail au long

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cours afin que se parle le conflit entre eux de manière sereine. «Mais le temps n'est pas

encore venu. Ils ne sont pas encore prêts à se confronter paisiblement en face à face. Un jour,

lorsque nous sentirons que cela peut se faire, alors , nous provoquerons une rencontre et l'un

de nous fera le tiers pour que cette confrontation se régule mieux...» nous a expliqué, en

aparté, l'éducatrice.

Durant l'après-midi de nombreuses activités ont eu lieu. Un groupe est parti en randonnée,

quelques uns ont joué aux cartes, d'autres ont participé à un atelier couture ou un atelier

théâtre. Tous ces moments sont considérés par les éducateurs comme des moments de

rencontre avec les adhérents. Ces moments de rencontres, concernant essentiellement les

activités organisées, sont marqués par le mouvement et l'inventivité notamment à travers les

divers espaces de liberté et les différentes activités qui se font, se défont et se mettent en

place par les différents professionnels ou par les adhérents eux-mêmes. Chacun est libre d'y

adhérer.

Peu d'activités sont prévues dans des temps bien identifiés. Au contraire, elles sont initiées

selon le désir des adhérents à l'instant même. Ce quotidien est pensé de manière à ce qu'il ne

soit pas routinier. Dans ces activités les éducateurs soulignent qu'ils sont moins dans

l'exigence quotidienne, au contraire du repas, par exemple. Les adhérents participent aux

activités à travers une démarche volontaire. Le plaisir d'être dans ces moments de rencontre

est donc un plaisir partagé avec le professionnel et médiatisé par l'activité. C'est le sentiment

de bien-être et de détente qui domine dans ces moments partagés.

Nous avons participé à l'activité randonnée autour du lac de Bordeaux avec six adhérents et

Gaëlle, l'éducatrice. Pour que les adhérents parviennent à ce sentiment de bien-être, nous

avons constaté que l'éducatrice a abordé la relation avec les adhérents de manière stratégique.

En tenant compte des déficits propres à la pathologie des personnes, elle a dû s'assurer que ses

remarques n'étaient pas blessantes. Elle a pris un ton humoristique qui a détendu l'atmosphère.

Le déficit d'attention de certains, mélangé à un sentiment d'exclusion chez d'autres, a du être

abordé avec un ton alliant humour, complicité, respect et bienveillance. «C'est à cette

condition, nous dit l'éducatrice, que nous devons veiller... Il faut stimuler la personne...

suffisamment... mais pas trop... Il ne faut pas qu'elle ressente un sentiment de persécution ou

autre... L'activité ne doit pas être vécue comme un échec ou un stress....ça pourrait réactiver

un repli sur soi et là , tout serait à recommencer( …) Sans perdre de vue qu'ils rentrent chez62

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eux, tout à l'heure... et la plupart du temps, ils sont seuls..Il y a un risque à ce qu'il revienne

chez eux avec ce vécu d'échec. Le risque du repli sur soi, de réactiver leur problématique et

du passage à l'acte. Nous ne sommes pas à l'abri, c'est déjà arrivé l'an dernier et vraiment ce

fut un coup dur pour l'équipe...»

En effet, le quotidien de ces personnes est émaillé de situations où leur maladie les rend

impuissantes face aux exigences du quotidien. Il n'est donc pas nécessaire que la relation soit

une occasion supplémentaire d'éprouver cette impuissance à être, surtout si cela doit aboutir à

un renforcement du déficit narcissique et un désinvestissement de l'accompagnement.

L'effort de l'éducateur (trice) doit porter sur l'animation afin que se restaure un sentiment

d'aptitude dans l'action aussi bien que dans la capacité des adhérents à interagir de façon

constructive au sein d'un groupe. Ce sentiment de maîtrise retrouvée nous a paru être un levier

essentiel pour réamorcer un processus dynamique basé sur des expériences positives.

Les compétences relationnelles de l'éducateur portent là sur sa capacité à faire fonctionner le

groupe en miroir. En effet, le groupe devient le témoin des efforts et des réussites de chacun.

Il permet, autorise et initie des émotions positives. Les adhérents doivent percevoir,

spécialement de la part de l'éducateur, les approbations, sourires, compliments, et

encouragements qui viennent valider l'impact narcissique. L'éducateur est celui qui donne vie

à l'activité. Il veille de façon bienveillante à ce que chacun trouve sa juste place en facilitant

les échanges et en incitant les adhérents à une attention mutuelle. La qualité de son savoir-être

facilite l'interactivité et participe du renforcement de l'estime de soi de ces personnes.

Nous avons en effet constaté, lors du retour, cette impression de contentement visible sur les

visages. Une adhérente nous a dit qu'elle était satisfaite d'avoir passé une après-midi aussi

joyeuse et qu'elle rentrera chez elle remplie de «belles images».

L'après-midi s'est s'achevée, nous sommes revenus au club et le moment de se dire au revoir

est arrivé. Avant de se quitter un moment a été consacré à une petite collation bien méritée au

cours de laquelle l'éducatrice en a profité pour faire un bilan de cette sortie. Elle s'est appuyée

sur les aspects valorisants et a transmis à chacun ce qui lui est apparue comme des signes

d'évolution positive quant à leur possible. Les adhérents ont pu exprimer leur contentement et

une personne s'est entendue clarifier une parole qu'elle avait mal interprété. Nous avons

63

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remarqué, en effet, que certains adhérents sont très interprétatifs des propos des uns et des

autres et éprouvent des difficultés manifestes à décoder certains signaux de communication.

L'éducatrice doit donc «soigner» son expression verbale tant du point de vue du contenu que

de la manière de le transmettre. Elle n'a pas hésité à multiplier les arguments et à user

d'images et de métaphores renforçant ainsi des attitudes d'ouverture à la communication. Ceci

a pu éviter quelques équivoques et a surtout permis à l'adhérent de ne pas intégrer la parole

de l'autre comme persécutrice.

Mais l'aspect essentiel lors du moment de la collation à été consacré au renforcement positif

manifesté par l'éducatrice par des remerciements, des encouragements, de la satisfaction et

des compliments. Ainsi, en amenant les personnes à faire une auto-évaluation positive de leurs

habiletés sociales mises en œuvre durant la journée, elle a probablement permis que se

renforce le sentiment de plaisir à vivre ensemble, le désir de revenir et par conséquent de

maintenir un lien relationnel.

A la lumière des observations faites, nous avons pu mesurer l'importance, pour le

professionnel, de savoir mobiliser des compétences relationnelles et par conséquent de savoir

transposer un savoir acquis dans des situations nouvelles et complexes sur le plan émotionnel.

Fort de cette expérience, nous nous sommes attelés à la préparation du guide d'entretien48

permettant de recueillir de plus amples informations auprès des adhérents et des

professionnels sur la construction de ce savoir-être des éducateurs spécialisés dont nous

avions eu une démonstration.

5.3. Seconde journée au club Mozart.

Les entretiens en groupe se sont déroulés de manière très conviviale. Autour de la table du

salon se sont réunis huit adhérents avec un administrateur, faisant fonction de point d'appui et

de réassurance pour les personnes.

Un entretien a eu lieu en début d'après-midi et le second en fin d'après-midi. Il ont duré prés d'

une heure chacun. Le premier groupe est composé de quatre femmes et de quatre hommes et

48 Voir annexe p106.64

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le second de cinq femmes et de trois hommes. L'âge moyen est de trente ans pour le premier

groupe et de quarante cinq ans pour le second. La personne la moins âgée ayant vingt trois ans

et la plus âgée, cinquante sept ans. Chacun des participants s'est senti suffisamment à l'aise

pour s'exprimer. Le fait que nous ayons partagé une journée ensemble a permis qu'une relation

de confiance s'instaure et que la parole s'énonce plus facilement, nous dirons les adhérents,

peu après ces entretiens.

Nous vous présentons, à présent, le contenu des entretiens. Le fait que les adhérents n'aient

pas souhaité être enregistrés a rendu cette opération délicate. L'exercice de retranscription se

base sur des notes prises le temps des entretiens, dans un esprit le plus fidèle et le plus

synthétique possible. Mais à la relecture des notes et de cette retranscription avec les

adhérents, qui les ont approuvé, nous pensons ne pas avoir trahi la pensée des personnes49.

Nous avons alterné avec des attitudes non-directives, notamment lorsque les adhérents du club

ont évoqué leur projet personnel et des phases d'attitudes semi-directives lorsqu'il s'est agit de

parler de la compétence relationnelle des éducateurs .

Sur leur projet personnel, nous n'avons cherché ni à relancer, ni à approfondir leur propos .

Nous avons aussi respecté l'absence de réponse de certains en ce qui concerne notamment les

raisons de leur inscription dans ce club. Ces sujets étant sensibles pour eux, nous avons

respecté leur silence. Concernant la phase d'entretien sur les compétences relationnelles de

l'éducateur, nous n'avons pas observé de difficultés majeures dans l'expression des idées. Les

discours étaient clairs, argumentés, sans obligation de relance de notre part. La réunion s'est

déroulée dans le calme et sans chahut. Chacun a pu participer posément .

- Première phase : inscription et fréquentation du club.

Pour le premier groupe, la date la plus récente d'inscription au club est de six mois et la plus

ancienne de quatre ans. La moyenne de la durée d'inscription est de deux ans. Pour le second

groupe, la durée moyenne est plus ancienne. La plus récente inscription est de deux ans et la

plus ancienne de cinq ans. La moyenne de la durée d'inscription est de quatre ans.

49 Pour le respect de l'anonymat, les prénoms utilisés ne sont pas ceux des adhérents.

65

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En ce qui concerne la connaissance de l'existence de ce lieu, quatre personnes du premier

groupe et cinq personnes du second groupe ont été informées par leur médecin psychiatre

privé. Deux personnes du premier groupe et trois personnes du second groupe en ont eu

connaissance par le médecin psychiatre du service spécialisé de l'hôpital Charles Perrens50

lors de la préparation de leur sortie d'hospitalisation au long court (supérieure à 6 mois).

Enfin, une personne du premier groupe a eu connaissance de ce lieu par l'intermédiaire d'une

amie qui fréquente, elle-aussi, le club.

Pour ces personnes, la connaissance de ce lieu provient donc essentiellement du milieu de

soin psychiatrique hospitalier ou privé. Quant à la durée moyenne de fréquentation

hebdomadaire, elle est approximativement de treize heures pour le premier groupe et de seize

heures pour le second. Nous notons que les personnes les plus anciennes du club sont celles

qui le fréquentent le plus souvent.

La plupart de ces adhérents viennent au club pour y passer la journée entière, à savoir de

l'ouverture à la fermeture. Aucun ne vient ponctuellement pour participer à une activité bien

précise mais, au contraire, chacun suit les horaires du professionnel et repart au moment où

celui-ci ferme les portes du lieu.

Quatre personnes du premier groupe et quatre personnes du second groupe, fréquentent le

club deux ou trois jours consécutifs, de 11h à 19h. Une personne du second groupe vient tous

les jours, à raison de trente cinq heures par semaine. Les autres viennent une journée par

semaine. Il s'agit de la journée durant laquelle ils n'ont aucun rendez-vous médical ou de suivi

social ailleurs. Cette journée passée au club leur permet de maintenir un rythme continu de

rendez-vous dans la semaine sinon, selon eux, le vide qui s'installerait leur serait

insupportable.

- Seconde phase : sur leur projet personnel quant à la fréquentation du club.

Premier groupe :

-Agnès : C'est en thérapie que Agnès prend conscience de ses troubles. Progressivement, elle

comprend qu'il lui est salutaire de s'ouvrir aux autres car le risque d'enfermement est réel et

50 Hôpital Charles Perrens : Centre hospitalier spécialisé de Bordeaux. Site consultable au : www.ch-perrens.fr66

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avec lui celui d'être ré hospitalisée. Elle commençait à percevoir des hallucinations auditives,

seule, enfermée dans son logement. Ainsi, sans aucun contact avec l'extérieur, la peur de

l'autre augmentait. Un rituel s'installait qui consistait en des allers et venues chez son

médecin, à la supérette et chez ses parents, ce qui risquait de l'entraîner, de nouveau, vers des

rites obsessionnels.

Le club Mozart lui permet de sortir de cette situation d'enfermement et d'accepter l'imprévu,

sans risque. Agnès nous dit qu'en se rendant compte que la différence entre les gens n'est pas

dangereuse, elle parvient à moins se rigidifier et à accepter l'échange. Cela l'aide à assouplir

son caractère et à se rapprocher des autres avec plus de confiance. Elle parvient à sortir plus

souvent et découvre de nouveaux lieux et des personnes nouvelles. Cela représente, pour

Agnès, le début d'une autre existence, plus en lien avec la société. Agnès ne s'est pas fixée de

limite de durée, tout dépend des rencontres qu'elle sera capable de nouer grâce au soutien de

ce club et de l'effet bénéfique qu'elle en retirera.

-Béatrice : Pour Béatrice, c'est une dépression sévère et persistante qui l'a conduite au club.

Elle a trente quatre et a commencé à être soignée à l'âge de vingt et un ans, lorsque sa mère

est décédée. Depuis, son existence a alterné entre des périodes de plusieurs mois dans son

appartement et des hospitalisations à Charles Perrens. Il y a eu dix-huit hospitalisations en dix

ans, nous annonce t-elle, presque en riant. Mais depuis qu'elle connait le club, elle parvient à

«tenir» plus longtemps sans être hospitalisée. Auparavant, elle allait à l'hôpital tous les six

mois. A présent, et ce depuis trois ans, elle n'a été hospitalisée qu'à deux reprises. Elle y reste

moins longtemps et dit que le club lui manque si elle en est absente durant de trop longues

périodes. Elle s'y sent bien, «comme dans un cocon», dit-elle. Le personnel est rassurant car

elle peut, à tout moment, les solliciter pour l'apaiser si une angoisse arrive. Elle ajoute qu'il y a

de la vie et que tous les jours ne se ressemblent pas, comme c'était le cas auparavant.

Elle est inscrite au club Mozart depuis quatre ans et souhaite y rester le plus longtemps

possible.

-Clotilde : Elle a pris contact avec le club il y a six mois. Elle y vient une fois par semaine,

essentiellement pour participer au repas. Elle souffre d'anorexie mentale sévère. Elle souhaite,

en venant ici, se réapproprier le plaisir de manger et le plaisir de partager un repas avec

d'autres personnes. Elle est vite écœurée, dit-elle, dés qu'elle touche la nourriture mais en

étant en contact avec les autres et surtout en les regardant manger, elle perd peu à peu cet

67

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écœurement. Mais c'est un long travail sur soi, dit-elle, et le regard de l'autre l'enferme. Elle

n'arrive pas assez à s'en défaire et se sent prisonnière de ce regard, comme si elle était jugée

sans cesse.

Elle ne sait pas combien de temps elle va rester ici. Cela va dépendre de l'évolution de sa

santé , elle en saura plus le mois prochain à l'issue de sa rencontre avec l'endocrinologue qui

la suit à l'unité de soin des troubles alimentaires de l'hôpital de Bordeaux.

-Delphine : Dephine aussi est dépressive depuis la naissance de son second enfant, il y a cinq

ans. Elle a fait une tentative de suicide, il y a deux ans. C'est depuis lors qu'elle fréquente le

club. D'un jour à l'autre, tout lui était devenu trop dur. Elle ne parvenait plus à faire face à son

quotidien. Elle décrit cela, comme si, arrivée en haut d'un château de carte, elle s'était

écroulée avec lui. D'un jour à l'autre, elle n'a plus rien fait, elle ne parvenait plus à s'occuper

de ses enfants, tout lui semblait impossible à réaliser. Elle restait assise des heures durant

dans le canapé de son salon. Cela a duré des mois. Son mari l'a accompagnée chez un

spécialiste et une hospitalisation s'en est suivie.

Depuis, elle vit auprès de sa famille en tentant de reprendre goût à la vie. Au club, Delphine

nous dit qu'elle «refait surface», qu'elle réapprend le goût de l'effort et le plaisir de vivre. Il lui

arrive de plaisanter, ce qu'elle n'avait plus fait depuis des années. Elle aussi, ne sait pas

combien de temps elle restera inscrite au club. Elle n'y pense pas et chaque jour qui passe est

un nouveau jour. Elle finit de se présenter en nous disant que la maladie est une lutte

constante et qu'elle ne sait pas qui aura le dessus : elle ou la maladie ?

-Eugène : Eugène, lui, s'est peu exprimé sur les raisons qui l'on amené à s'inscrire au club. Il

dira juste qu'il s'ennuie chez lui et qu'il ne voit personne, sauf ici. Il y est depuis deux ans et

projette de rejoindre sa mère à Aix en Provence, peut-être l'été prochain, et y rester ensuite.

-Fabrice : Fabrice est d'une nature anxieuse, nous explique t-il. Chaque fois qu'il s'agit de

participer à une activité, il a peur qu'un imprévu vienne faire échouer son investissement.

Il ne peut s'empêcher de tout contrôler et rumine sans arrêt afin d'anticiper l'imprévu. Il a des

T.O.C.(Troubles Obsessionnels Compulsifs) et questionne sans arrêt les éducateurs et les

autres participants pour savoir si rien n'a été laissé au hasard lors de la préparation de

l'activité. «Cela me bouffe», dit-il. La veille de l'activité et la nuit qui précède, il ne dort pas68

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tant l'anxiété monte et l'empêche de s'apaiser. Au club, il apprend à se familiariser avec

l'imprévu et à «lâcher prise». Il doit progressivement accepter qu'il ne peux pas tout contrôler

et qu'il peut, aussi, faire reposer sa confiance sur l'autre. Fabrice pense partir du club dans un

an. Il se fixe cette limite pour se donner un objectif à atteindre en terme de mieux-être.

-Grégoire: Grégoire se définit comme schizophrène... «C'est pas donné à tout le monde !»

lance t-il , d'un air amusé... «En se moment, il ne fait pas bon être schizophrène car on nous

prend pour de dangereux criminels et ça ne donne pas envie de sortir de l'hôpital.» ajoute

Grégoire. Au club, Grégoire y retrouve ses amis et joue souvent aux cartes. C'est sa deuxième

maison et un peu sa famille. Il y est depuis quatre ans et ne s'est jamais senti aussi heureux

depuis qu'il vient ici... «C'est la bonne humeur qui règne et puis l'absence de jugement et de

questions, comme à l'hôpital,» dit-il.

-Isidore : Isidore n' a pas souhaité indiquer les raisons de sa venue au club. Il nous a

seulement dit et ce de manière mystérieuse, qu'ici, les gens étaient étranges. Il a, lui aussi, une

enquête à mener et il restera au club le temps de finir cette enquête.

Second groupe :

-Janine : Janine nous dit que la maladie l'a rendue vulnérable. Ses angoisses la débordent

lorsqu'elle se retrouve seule. Elle ne parvient plus à contrôler sa peur. Cela se manifeste par

des crises qui peuvent survenir à tout moment. Le risque de basculer, de nouveau et d'être

hospitalisée fait augmenter cette angoisse. Mais, venir au club, est comme un répis, un

moment de calme entre deux tempêtes. Elle ajoute que ce n'est pas un centre de soin mais que

le club procure un soin différent et complémentaire. Janine est inscrite depuis un an et demi et

ne se pose pas encore la question de quitter ce lieu.

-Karine: Pour Karine, qui vient d'aménager dans un appartement pour la première fois, son

projet est d'arriver à se soutenir dans cet appartement. Le fait de venir au club régulièrement

participe à se maintenir dans un niveau d'autonomie suffisant. En ayant des objectifs à

atteindre, et qu'elle se fixe elle-même, elle se crée des repères temporels. Le simple fait de

venir dire bonjour, de boire un café puis de repartir sont des actions simples mais qui lui

permettent de maintenir un contact et d'impulser l'effort pour réaliser les actes de la vie

quotidienne.

69

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-Laurence : Laurence est la doyenne des adhérentes. Elle vient au club depuis cinq ans. Elle

nous explique qu'elle a été hospitalisée d'office durant prés de dix ans en hôpital

psychiatrique, sans en sortir. La maladie? Elle ne souhaite pas nous en parler. Elle dit qu'elle

revient de loin, que la vie ne l'a pas épargnée, qu'elle ne pensait plus pouvoir revivre en

appartement un jour. La peur de sortir de l'hôpital et de ne plus se sentir protégée et écoutée,

était terrifiante pour Laurence. Elle se souvient d'avoir été une femme dynamique, mariée,

entraîneuse bénévole d'une équipe de foot féminine et avec un travail qui lui plaisait. Et

puis..., plus rien..., l'hospitalisation..., puis, elle a tout perdu et se retrouve, à présent, seule.

Pour l'instant, elle se reconstruit pas à pas. Ensuite, elle devra penser à une maison de retraite,

dit-elle.

-Martine : Le médecin lui aurait dit qu'elle est psychotique. Elle nous dit qu'elle entend

parfois des voix qui lui ordonnent de dire des choses dont elle a honte. Elle croit être

manipulée et qu'un jour «sa» vérité l'emportera et qu'on cessera de lui faire du mal.

-Nadine: Nadine était enseignante. Elle a perdu son mari il y a quelques années et, à la suite

de plusieurs tentatives de suicides et de plusieurs hospitalisations, son médecin lui a proposé

de venir ici. Au début, elle n'y croyait pas trop et puis, au fur et à mesure, elle a réussi à créer

des liens. Maintenant, elle va beaucoup mieux. Le plus dur est passé et elle recommence à

faire des projets. Elle pense rester au club quelques mois et se rapprocher de sa fille qui a

emménagé à Montpellier.

-Patrice: Patrice se dit très anxieux, les autres le montrent du doigt. Il a l'impression qu'on se

moque dans son dos mais ne sait pas pourquoi. Cela le rend agressif. Pourtant, il dit qu'il est

un garçon gentil qui aime rendre service. Les gens dans la rue lui font peur. Il n'ose pas sortir

de peur d'être agressé. Au club, on le rassure, on lui parle gentiment et s'il pense qu'on se

moque de lui, il peut toujours en discuter avec l'éducateur. Ainsi, il ne rumine plus, sans arrêt,

pour essayer de comprendre le mal qu'on lui veut.

-Quentin : Quentin est au club depuis deux ans et pense le quitter au printemps prochain car

il a retrouvé un travail. Avec sa R.T.H (Reconnaissance de Travailleur Handicapée), il a signé

un contrat de travail à temps partiel à l'Inspection des Impôts. Le travail est une valeur

essentielle pour Quentin. S'il n'avait pas connu le club, il dit ne pas savoir s'il aurait eu le70

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courage d'intégrer ce travail. Dés qu'il ressent un mal-être, il sait qu'au club, il ne sera pas jugé

et pourra trouver les conseils et les paroles qui vont le soutenir.

-Laurent : Pour Laurent, le club lui permet d'apprendre à gérer sa violence. L'ambiance du

club agit comme un médicament, dit-il et ajoute, qu'ici, les éducateurs le connaissent bien et

font attention aux situations qui sont susceptibles de le rendre colérique. Il ne sait pas

pourquoi il est comme ça, c'est incontrôlable mais ne s'en prend jamais physiquement au

personne mais plutôt aux objets. Ce sont surtout ses paroles qu'il ne parvient pas à contrôler .

Mais il apprend à temporiser grâce au soutien de l'équipe.

-Troisième phase : Sur la compétence relationnelle des éducateurs(trices).

En nous aidant des notes prises lors de ces deux entretiens, nous avons essayé de retranscrire

la réalité des relations vécues entre les adhérents et les professionnels et l'analyse qu'ils en

retiraient. Notre but était de provoquer une parole à partir de ce vécu relationnel afin que

s'élabore une pensée et un discours autour de cette question.

Les entretiens n'ayant pas pu être enregistrés, nous vous proposons une synthèse la plus

objective possible des propos recueillis.

Unanimement, les adhérents estiment que les relations entretenues avec les éducateurs leurs

permettent de s'approprier un autre regard sur eux-mêmes. Ils ne se perçoivent plus comme

étant essentiellement des malades mais comme des personnes construisant des relations,

participant à une vie collective au sein de la communauté et en plus grande proximité avec

une vie sociale et citoyenne.

Les relations avec les éducateurs (trices) seraient d'une autre nature que les relations avec le

personnel soignant de l'hôpital car elles sont de l'ordre d'une expérience humaine de personne

à personne et non pas de malade à soignant. Ainsi, l'aspect professionnel de la fonction des

éducateurs(trices) semble mis en second plan. Ce qui apparaît prévalant est la personne au

détriment ou à la place du professionnel.

71

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Les adhérents se réjouissent de cette plus grande proximité de lien avec les professionnels

contrairement à leur expérience vécu avec le personnel de l'hôpital. Aussi, le fait que les

professionnels n'abordent jamais la question des symptômes et de l'histoire de la maladie

participe au développement d' autres formes de relations que celles qu'ils ont connues avec le

personnel de soin.

La position relationnelle des professionnels, ressentie par les adhérents, prendrait son origine

non pas dans un savoir sur eux et leur maladie, mais dans des valeurs morales telles que

l'attention, la convivialité, le soucis de l'autre, le respect et la discrétion. Les adhérents

expriment majoritairement cette différence dans le regard qu'on leur porte. Il sont sensibles à

la spontanéité et à la disponibilité des professionnels à leur égard. Ils expriment le fait de se

sentir moins pris dans un regard évaluatif sur leur état de santé mental. Ils se sentent reconnus

en tant que personnes et non plus en tant que malades.

La spontanéité dans les relations avec les professionnels et les rencontres qui se nouent entre

les adhérents, basées essentiellement sur des rapport de convivialité, de fraternité, d'amitié ,

voire d'affectivité procurent à ces adhérents le sentiment d'expérimenter du lien social. Ils

disent découvrir ou redécouvrir ce que peuvent procurer les relations humaines et

l'apprentissage de la rencontre avec les illusions et désillusions qui les accompagnent. Ils

expérimentent les aléas de la rencontre humaine avec plus de quiétude qu'auparavant car les

éducateurs(trices) sont toujours bienveillants afin que les éventuels échecs ou difficultés dans

la rencontre avec l'autre ne soient pas vécus de manière traumatisante.

Ainsi, les adhérents disent apprendre sur leur propre fonctionnement et sur ce qu'ils mettent

en jeu de leur désir ou de leur rejet dans un processus de rencontre. Selon les adhérents, le

travail éducatif serait essentiellement de l'ordre de la médiation et les compétences

relationnelles mis en œuvre s'organiseraient autour de la bienveillance, de la discrétion, de la

confiance, de la disponibilité et de la capacité des éducateurs (trices) à savoir développer une

atmosphère conviviale qui facilite les échanges relationnels.

Le rapport de confiance qui s'est instauré avec les professionnels facilite l'expression des

adhérents sur la qualité de la médiation relationnelle. Ils disent s'autoriser, assez facilement, à

aborder cet aspect du travail des éducateurs (trices) en demandant l'organisation d'une table

ronde ou des entretiens individuels ou de groupes. Ces «séances» de régulation plus ou moins72

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improvisées, sont initiées soit par les éducateurs qui souhaitent évaluer l'impact de leur travail

relationnel soit par les adhérents qui souhaitent éclaircir des situations qu'ils ne comprennent

pas.

Les adhérents estiment que les opinions ou les critiques formulées sont pris en compte par

les professionnels. Ils ressentent ainsi que leur parole est respectée et qu'ils jouissent d'une

reconnaissance. Pour eux, les éducateurs(trices) semblent être capables d'adaptation face à

leur problématique, et savent réguler leur action afin de faire respecter un cadre convivial

permettant l'exploration du lien à l'autre.

Il apparaît ainsi, qu'il existe au sein de ce lieu de vie, une véritable régulation et co-

construction de la relation entre les professionnels et les adhérents de sorte que chacun se

sente impliqué dans une action continue vers la reconnaissance de l'autre.

Cette dynamique apparaît essentielle au regard de la problématique du handicap psychique

qui est essentiellement un trouble dans le rapport à soi et au monde. L'hypothèse d'une co-

construction de la compétence relationnelle des éducateurs(trices) spécialisés(ées) semble se

confirmer.

5.4. Troisième journée au club Mozart : restitution des entretiens

avec les professionnels.

Cette troisième journée fut consacrée aux entretiens individuels avec les professionnels. Ils

ont été enregistrés et ont duré prés d'une heure chacun. Cinq entretiens51 ont été réalisés, tous

au même endroit, dans le bureau des éducateurs.

-Première phase de l'entretien traitant de l'expérience et du parcours professionnel des

personnes interrogées :

51 Le guide d'entretien est présenté dans les annexes de ce travail de recherche à la page : 107.

73

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Thierry a 27 ans et exerce la profession d'éducateur spécialisé depuis 4 ans. Il a travaillé

durant une année après l'obtention de son diplôme, auprès d'adolescents dans un Institut

Thérapeutique Educatif et Pédagogique (I.T.E.P.). Il est employé à l'association Espoir 33

depuis 3 ans.

-«Je n'ai pas fait mon stage en psychiatrie lorsque j'ai fait ma formation d'éducateur et je ne

connaissais pas la maladie mentale avant de venir ici. En formation, on nous apprend à

élaborer des projets, à savoir travailler en réseau, le droit… et tout et tout... mais pas à

reconnaître ce qu'est un trouble psychique et comment y faire face, comment les accompagner

… Cela n'a pas été facile, pour moi, au début, d'autant que je venais d'un centre pour ados.

Ce n'est évidemment pas la même problématique, ni la même façon de faire. Au début, je

n'avais pas l'impression d'être un éducateur ici, mais plutôt un animateur et parfois un

thérapeute mais sans en avoir les compétences. En fait, j'ai compris qu'ils avaient besoins

d'être écoutés et que l'on aille vers eux pour travailler sur la confiance … Mais en fait, si l'on

est pas formé pour ce public, on travaille sans filet, alors on doit y aller progressivement... Il

faut beaucoup parler entre nous… Il y a des situations qui sont parfois dures à gérer : des

crises, des dépressions, certains sont à peine stabilisés et parfois, certains décompensent

assez vite si nous ne sommes pas vigilants. Lorsqu'ils sont nombreux à venir comme c'est le

cas aujourd'hui, nous sommes vraiment sur le qui-vive, nous sommes complètement happés

par eux. Au début, je croyais que des petits détails étaient sans importance mais tout est

important. Par exemple, la semaine dernière, nous nous sommes rendu compte qu'une

adhérente qui vient tous les jours manger et repart chez elle toujours à une heure très précise

, après le repas, vient d'être hospitalisée. On ne comprenait pas pour quelle raison son départ

était toujours aussi précis... à 14 heures pile. Elle restait toujours silencieuse à nos questions.

En fait, elle vient d'être hospitalisée car elle repartait chez elle pour se faire vomir. C'était

une personne boulimique et nous n'en savions rien. Nous n'avions jamais fait le lien avec ses

départs précipités après le repas. Elle nous racontait qu'elle avait des rendez-vous.

Si nous avions eu des cours sur la boulimie enfin, je veux dire, sur les troubles alimentaires

en général, peut- être que nous aurions pu comprendre avant et l'aider... Enfin, je crois... je ne

sais pas... Mais moi, j'ai toujours cru qu'une personne boulimique, c'était une personne

grosse. Et bien, pas forcément... C'est tout ça que nous ne savons pas. On apprend sur le tas

mais si on avait su avant, je sais pas si nous aurions parlé de ça avec elle, mais peut-être que

cela aurait fait un peu évoluer, mais je sais pas... Bref... Au bout de 3 ans que je suis là, ce

n'est que maintenant que je commence à prendre mes marques. C'est un peu long... La folie,74

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vous savez, c'est pas facile. On ne sait jamais si nos paroles vont avoir un bon impact ou

pas...»

Gaêlle a travaillé en qualité de monitrice-éducatrice dans un Etablissement de Soin et d'Aide

par le Travail (E.S.A.T.) accueillant des personnes handicapées mentales et psychiques durant

8 ans. Elle a ensuite effectué une formation en cours d'emploi d'éducatrice spécialisée, puis a

démissionné de cette structure en 2002 pour occuper son poste actuel au club Mozart. Gaêlle a

32 ans. Elle est la seule qui a une expérience professionnelle auprès de personnes handicapées

psychiques en dehors du secteur psychiatrique. Elle n'a donc jamais ressenti de décalage avec

sa pratique antérieure, si ce n'est sur le plan du dispositif et du projet institutionnel.

-«… Il y a des ressemblances avec un travail en E.S.A.T., et ici,... sur le plan relationnel, je

n'ai pas été en décalage... j'avais l'expérience et je savais repérer leur problème. C'est surtout

sur le plan relationnel d'ailleurs qu'il y a problème pour eux. Il faut du tact, ne pas les

décourager et puis beaucoup d'attention. Il faut bien connaître comment ils réagissent aux

situations, comme cela nous pouvons prévenir les risques, reconnaître les situations durant

lesquelles ils peuvent décompenser. C'est le plus difficile... savoir repérer les situations en

amont; Après, nous savons comment leur faire passer le cap... Il faut beaucoup parler avec

eux pour qu'il comprennent la réalité et donnent du sens, comment ils pourraient s'y prendre,

pourquoi un conflit a éclaté etc... . Ils ont du mal à savoir comment réagir entre eux . Nous,

nous sommes là pour les étayer sur ce plan. A l'E.S.A.T. c'était la même chose...»

Claude a 44 ans . Il est éducateur depuis l'âge de 26 ans. Auparavant, il exerçait la profession

de bibliothécaire. Il a ensuite exercé durant 8 ans dans un hôpital de jour pour adultes en

secteur psychiatrique. Il est employé au club Mozart depuis 10 ans.

-«J'ai toujours été attiré par cette population... mais en hôpital de jour, je commençais a voir

les limites de mon action ; Il me fallait autre chose... c'est que... pour moi... ça se résumait à

des ateliers, toujours les mêmes, aux mêmes heures... ça tournait en rond… il n'y avait pas de

vie... J'étais trop dans la routine. Ici, c'est un soulagement... Il n'y a pas de routine, tout se

fait au jour le jour, avec les personnes présentes, cela oblige à être inventif.»

Pascal travaille au club Mozart depuis son ouverture, en 1992. Il a 48 ans. Son premier métier

était charpentier. Il a exercé ce métier jusqu'à ses 28 ans.

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-«Je suis entré en 92 au club. En 92, on ne parlait pas de handicap psychique, on ne parlait

même jamais de maladie mentale. Il n'y avait aucune structure d'ouverte sur Bordeaux pour

recevoir ces personnes, c'était l'hôpital psychiatrique qui s'en occupait. Mozart a été crée

parce que certaines familles ne pouvaient plus s'occuper de leurs enfants seules. Moi, je suis

arrivé en 1992... et bien... il fallait voir l'état des personnes que l'on a accueillies. Les

médicaments n'étaient pas les mêmes, il y avait beaucoup plus d'effets secondaires. Je me

souviens du premier jour d'embauche, j'essayais de ne pas le montrer mais j'étais presque

terrifié. Mais j'ai compris aussi qu'il s'agissait des effets d'un certain discours sur la maladie

mentale qui circulait alors et encore maintenant, d'ailleurs. On disait : ils sont dangereux,

attention ! Il ne faut pas leur tourner le dos, etc. Enfin, c'était n'importe quoi, il n'y a pas plus

de sujets dangereux chez les shizophrénes que dans la population en général. Mais jamais

j'aurais cru pouvoir travailler avec cette population, je pensais plutôt travailler auprès de

déficients mentaux, mais ici, en fait, ils sont très intelligents. Il n'est pas là le problème. Le

problème, il est qu'il faut faire cohabiter tout ce monde là… et... un parano avec un schizo ou

un état-limite, en groupe restreint, ça va... mais dés qu'ils sont trop nombreux, c'est un travail

épuisant nerveusement...»

Marie-Christine est éducatrice depuis 1986. Elle a toujours exercé cette profession. Elle a

commencé son travail dans un Centre d'Hébergement et de Réadaptation Sociale (C.H.R.S.)

accueillant des jeunes mères avec enfant puis comme déléguée à la tutelle. Elle est employée

au club Mozart depuis 1994.

-«Lorsque je travaillais au C.H.R.S., j'ai vu passer quelques personnes qui venaient de

l'hôpital psy. Alors, quand l'opportunité s'est présentée de venir travailler ici, j'ai dit pourquoi

pas ?(...).En formation, on ne nous dit pas que ce public existe. On nous parle beaucoup de

l'enfance, de l'adolescence à problème ou alors du handicap mental mais peu de la folie. Moi,

je n'avais jamais pensé qu'un jour je serais en contact avec la folie. Je pensais que c'était

réservé à la psychiatrie. C'était plutôt le travail social avec les familles qui m'intéressait.

L'équipe, quand je suis arrivée au club m'a beaucoup aidée à comprendre le travail auprès de

ces personnes. En fait, l'équipe a beaucoup changé ces dernière années. Au début, il y avait

un éducateur qui avait eu une longue expérience en psychiatrie. C'était chouette de travailler

avec lui. Il m'a appris plein de trucs et surtout à me dire qu'il y a toujours un sens caché dans

les propos de ces personnes. Elles parlent souvent comme cela, à bas mots. Mais lorsqu'on

les connaît bien, on arrive à décoder le sens caché. C'est une question de patience, il faut être

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très à l'écoute et avoir une bonne mémoire de ce qui est dit pour y trouver du sens un jour et

pouvoir travailler avec eux.»

Seconde phase de l'entretien concernant la présentation de leur travail auprés de ce

public:

Thierry :

-«Je pense que nous les aidons à se sortir de leur routine. Nous sommes presque comme un

club de rencontre, en fait. Nous sommes des éducateurs, des animateurs, nous faisons en sorte

qu'ils se sentent bien en venant ici et qu'ils repartent en se sentant mieux que lorsqu'ils sont

arrivés. Mais le plus gros du travail, c'est sur la motivation que ça se joue : les aider à se

remotiver, à prendre confiance en eux et à monter des projets pour qu'ils sortent de chez eux.

Si cela doit être du loisir et bien pourquoi pas ? Tant qu'il s'agit de les sortir de la routine...

c'est le principal. Certains s'enferment facilement, il faut vraiment aller les chercher bien loin

dans leur coquille. Ils resteraient au lit constamment. Alors, je les appelle au téléphone, il

faut souvent insister pour les sortir de leur léthargie. Mais après, ils nous remercie parce

qu'on leur fait voir autre chose. Il sont contents... au final»

Gaêlle :

- «Notre principal travail, je pense, est de servir de point d'appui pour qu'il fasse l'expérience

du partage. C'est les aider à ce qu'ils réapprennent à vivre dans le social en apprenant à

gérer les obstacles qu'ils rencontrent et leur apprendre à utiliser leur potentiel.

Ils doivent redécouvrir comment ils fonctionnent hors d'un lieu protecteur comme l'hôpital.

Nous sommes là pour être un tremplin afin qu'ils se sentent suffisamment sécurisés par le lieu

et que celui-ci serve à faire des expériences de vie. Notre travail est de permettre cela : de

favoriser l'expérience, de leur donner les outils et à eux de faire, ensuite, et avec notre

bienveillance...bien entendu. Mais nous devons tout de même nous placer un peu en recul

pour que ce soit eux qui fassent et non pas nous substituer à eux. Il faut faire attention car ils

tentent souvent de nous mettre à la place que l'on ne veut pas être, c'est à dire faire reposer

entièrement le quotidien sur nos épaules. C'est une manière d'être dans l'évitement et de se

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protéger. Et ainsi , ils se mettent vite en position de consommateurs. Pas tous, bien entendu

mais certains et souvent les mêmes. Il faut repérer cette stratégie d'évitement et pouvoir en

parler, car, à coup sûr, cela cache un blocage ou quelque chose de conflictuel, une angoisse

ou autre.»

Claude :

-«Ayant travaillé en hôpital psy, la grande difficulté que nous avons dans le quotidien, c'est le

rapport qu'entretiennent les gens avec la folie. Le travail éducatif, c'est aussi de travailler sur

le stigmate. A partir du moment , où l'on permet à ces personnes de faire des rencontres

positives avec des gens à l'extérieure du club, c'est que notre travail à servi à quelque chose

pour eux et aussi pour la société. Le club,, il a été crée pour cela : pour favoriser les

échanges entre ceux qui sont handicapés psy et les gens dits «normaux». Comme cela, ils

participent à la vie sociale et apportent des choses. C'est leur faire éprouver une vie

citoyenne, avec tout ce que cela comporte de difficile et aussi de plaisir. Je connais un auteur

qui parle des éducateurs comme étant des passeurs... et bien... c'est ça, nous sommes des

passeurs, entre deux mondes pour mieux se connaître et s'accepter.»

Pascal :

-«Je dirais que l'éducateur, c'est celui qui se sert de sa personnalité. Il s'engage dans une

dynamique relationnelle entre lui et le groupe, lui et la personne, la personne avec son

entourage etc. Il est toujours dans les intermédiaires, si je peux dire. Il doit se servir et

analyser ce qui se joue dans ces intermédiaires pour tenter de mettre un terme aux

répétitions, c'est à dire à ce qui a fait blocage pour les personnes, jusque là, et les conduites

adoptées qui les ont mené à l'échec et au traumatisme. Pour cela, il faut que la relation avec

les adhérents soit bien analysée, bien étudiée pour comprendre les phénomènes de transfert.

Et s'il y a du contre-transfert, que celui-ci puisse être parlé et analysé, en prenant de la

distance. Heureusement, nous avons des réunions avec un superviseur une fois par mois. Cela

nous permet de déposer notre trop plein d'émotion et de le transformer en outil. Sans cette

prise de distance, nous serions envahis par le non-sens... en quelque sorte.»

Marie-Christine :

«Ce qui m'a surprise au club, dés le début, c'est l'aspect convivial du lieu. On se croirait

presque comme des animateurs dans un club de loisirs. J'exagère quand je dis ça mais c'est

un peu vrai tout de même. Il faut toujours être jovial, souriant, accueillant. S'ils ressentent de78

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notre part de la lassitude ou de l'énervement, c'est fini pour la journée et impossible après de

faire du bon travail. L'ambiance, c'est hyper important. Comme je suis d'une nature assez

bout- en- train, ils apprécient. Je dirais que le cœur du métier éducatif avec des personnes

comme ici, est d'aménager le cadre, l'espace, l'ambiance, le respect des heures, et tout un

ensemble de rituels qui leur permet de pouvoir s'exprimer. La parole, c'est primordial, surtout

pour eux. Nous ne sommes pas thérapeute mais pourtant, je crois que l'on soigne. En tout cas,

ils ont besoin d'un lieu bien à eux où ils se sentent bien pour qu'ensuite ça leur donne des

ailes pour voir autre chose, partir, mais en ayant fait le choix... leur choix. Et pour une fois,

ce ne sont pas les autres qui vont choisir à leur place.»

-Selon vous, travailler auprès de personnes handicapées psychiques vous apparaît-il

comme novateur pour la profession d'éducateur spécialisé ?

Pour Thierry qui est éducateur depuis peu, le fait de travailler avec des personnes

handicapées psychiques est une expérience singulière dans le parcours d'un éducateur pour les

raisons qu'il évoque :

-«Dans ma promotion d'éducateur à l'I.R.T.S. (Institut Régional des Travailleur Sociaux),

nous étions une majorité à travailler avec des adolescents, les autres travaillaient avec des

personnes déficientes et quelques uns travaillaient avec des RMIstes. Les personnes qu'il y a

ici, je n'en avais jamais entendu parler. Nous n'avons pas eu de cours non plus sur leur

problématiques, j'apprends tout sur le terrain. Si c'est novateur ? Et bien, je ne sais pas... Je

crois que oui... mais bon, c'est de l'éducatif tout de même mais c'est vrai,... c'est particulier

quand même...surtout les problèmes qu'ils ont Il faut savoir gérer parfois... Alors oui, c'est

novateur. Encore faut-il que l'on nous prépare un peu mieux à exercer auprès de ces

personnes et qu'on ne nous laisse pas trop seuls.»

En fait, les éducateurs s'occupent des personnes exclues, alors ces personnes entrent dans

leurs fonctions mais on devrait être un peu mieux formé... ça c'est sûr... Après, à nous de

nous intéresser... de comprendre. Toujours est-il qu'on est vraiment sur la corde raide ici : un

peu éducateur, un peu animateur, un peu psychologue, ça demande de prendre sur soi, c'est

plus difficile qu'avec des ados... enfin, je trouve... et puis, ils sont adultes, ils connaissent la

vie et tout et tout. Ce sont surtout les symptômes de la maladie que l'on doit gérer... alors

novateur ? Pour ça… oui...»

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Pour Gaêlle, ce travail auprès de personnes handicapées psychiques est en continuité avec son

expérience passée et trouve, elle aussi, que le contact avec des personnes atteintes de

pathologie mentale vient en rupture avec les publics que rencontre habituellement

l'éducateur :

-«J'avais déjà travaillé avec des handicapés psychiques avant mais en ESAT, alors c'est

surtout le projet qui change et donc le cadre d'intervention. Au club, il n'y a pas la notion de

travail ou de préparation à la vie active, ils n'en sont pas là pour la plupart. Mais moi qui est

travaillé avec des personnes déficientes et malades mentales en même temps, je peux dire que

cela n'a rien à voir. Alors, c'est vrai, on peut dire que le contact avec ces personnes est tout à

fait spécifique, on les rencontre parfois mais travailler dans un endroit qui prend en charge

exclusivement ce genre de problématique, c'est assez rare... enfin, je pense... A Bordeaux,

oui... Ailleurs... Je ne sais pas... Aucun de mes amis ne travaillent auprès de ce public. Quand

je leur raconte mes journées et les anecdotes qui s'y passent, ils n'en croient pas leurs

oreilles, parfois...c'est vrai, c'est parfois cocasse. Il faut avoir une bonne connaissance de la

maladie mentale pour saisir mais celui qui ne connaît pas, je comprends que cela

surprenne...»

Claude a postulé pour venir travailler au club après une période de travail dans le secteur

sanitaire psychiatrique :

-«Être éducateur au club, c'est novateur dans le sens que l'on a affaire à la maladie mentale

d'une autre manière que dans le sanitaire. Nous sommes directement dans leur quotidien de

vie, on les accompagne dans la vie de tous les jours. Il n'y a plus le cadre de soin qui vient

faire obstacle à la réalité, ils sont moins protégés. Quand il y a un problème à résoudre,

celui-ci est directement issu d'une épreuve réelle, dans leur existence. Et puis, comme il y a

moins de protection entre eux et la vie de tous les jours, je pense que, là, c'est le rôle de

l'éducateur... de faire tampon. Mais, pour ma part, je n'ai pas eu trop de problème pour

m'adapter, par contre je pense vraiment qu'il faut une formation adaptée à ce genre de public

car pour répondre à votre question, ce métier est déjà bien particulier mais avec ce public, il

le devient encore plus. Les symptômes psychiatriques sont difficiles à comprendre. Pour faire

avec, il faut bien en saisir les contours. La relation avec un paranoïaque n'est pas la même

qu'avec un schizophrène, par exemple. D'ailleurs, c'est beaucoup plus facile avec un schizo...

paradoxalement. Avec un schizo., on sait à quoi s'attendre, c'est toujours de la répétition,

tandis qu'avec un parano, tout ce que l'on dit, tout ce que l'on fait, à tendance à être

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interprété à sa façon et si cela ne correspond pas aux schémas de pensée de la personne, cela

peut la persécuter. Donc, il faut faire très attention aux mots employés.»

Pour Pascal, c'est la gestion de la dimension groupale avec ce type de public qui lui apparaît

compliquée et tout à fait spécifique dans la profession d'éducateur spécialisé :

-«C'est novateur parce que rien de ce que l'on veut faire, la plupart du temps, lors des

activités ou tout simplement dans une journée, et bien... on ne peut pas prévoir... Il y a

toujours un événement qui va surgir et qui va mettre l'ambiance en l'air : une crise, des

pleurs, un conflit. Comme des gamins... presque… Sauf que ce sont des adultes mais

quelquefois, on doit agir avec eux comme si c'était des gamins.. C'est étrange... Bon , c'est

vrai, ils ont un grain... ça on ne peut pas le nier... mais quand ils sont ensemble, je vous dit

pas le mélange... A cinq ou six pour une activité comme c'est la plupart du temps le cas, ça

fait cinq ou six cas différents, avec des pathologies différentes... Il faut être souple, ça c'est

sûr...»

Troisième phase de l'entretien concernant la représentation que ce font les

professionnels de leurs compétences relationnelles.

- Description de la nature des relations entretenues avec les adhérents

Thierry :

-«...Il faut savoir où l'on se situe dans l'accompagnement pour savoir comment nous devons

agir avec eux. Ce n'est pas évident lorsqu'on ne connaît pas ou peu le milieu d'où ils

viennent... Je veux parler du secteur psychiatrique. Il faut dire qu'ils sont suivis

médicalement, par ailleurs, et aussi, parfois, par une équipe psychiatrique qui les rencontre

en hôpital de jour ou chez eux. Alors, nous, nous sommes un maillon de plus et il est

important de savoir ce que font les autres pour ne pas refaire la même chose. Nous devons

nous comporter différemment que les soignants, être plus dans le naturel, la spontanéité.

Enfin, je veux dire par là qu'il est utopique de vouloir absolument bâtir un projet d'insertion

car de toute façon, ils sont déjà insérés. Il faut maintenant qu'ils se maintiennent dans cette

insertion, le plus agréablement possible et éviter de rechuter. Cela veut dire : accepter la

maladie, faire avec et surtout croire que les choses vont aller de mieux en mieux. Alors, c'est

ça, notre manière d'être avec eux : c'est, par nos paroles et nos actions, faire en sorte qu'ils

puissent ressentir qu'ils ont de la valeur et qu'il faut continuer à espérer. Pour moi, c'est le

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principal. Après, vous décrire, comment, dans le quotidien?... C'est plus difficile... Pour moi,

ça passe beaucoup par l'humour. Maintenant qu'ils me connaissent bien, je peux me le

permettre. Au début, ce n'était pas le cas mais maintenant ça m'aide et ça les aide aussi à

prendre de la distance sur des choses du quotidien qui leur sont insupportables. Aller faire les

courses par exemple et devoir passer à la caisse, pour certains, c'est difficile. Alors, en

plaisantant avec eux et la caissière, cela permet de faire des échanges agréables et passer un

bon moment. Ils apprécient et après le contact se noue avec cette personne et ils y

reviennent... seuls.»

Gaêlle :

-«Il faut avoir une bonne écoute car on peut passer à côté de certaines choses importantes

,sinon. Il y a des adhérents qui fonctionnent comme cela. Ils lancent des indices, en quelques

mots, sur ce qu'ils ont vécu chez eux ou en famille, etc.. Ensuite, ils se rétractent, ne disent

plus rien et passent à autre chose. En fait, ce n'est pas parce que ce n'est pas important qu'ils

passent à autre chose, mais cela les bouffent intérieurement et comme ils ne savent pas

comment se défaire d'un problème alors ils le gardent pour eux. Ils le ressassent sans arrêt

mais il finit toujours par ressortir un jour ou l'autre et souvent de manière violente. Alors, il

faut faire très attention à ce que l'on dit et aussi à ce qu'ils disent, surtout si les paroles sont

furtives et si cela paraît anodin. C'est souvent là que se cache le problème. C'est plus que de

l'écoute, je dirais. Je pense que la compétence dont on doit faire preuve, elle est dans la

confiance... Il faut qu'ils ressentent qu'ils peuvent nous faire confiance pour nous parler. Nous

sommes disponibles pour eux... juste pour parler. Il faut qu'ils libèrent leurs paroles, nous ne

pouvons pas travailler sans cela et notre rôle est de le permettre. Tenez, ce matin, j'ai discuté

trois quarts d'heure avec Madame M.. Elle ne m'a rien dit, en arrivant, mais moi, je savais

qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, parce que je me suis souvenue et je l'avais noté de

toute manière, que l'an dernier, à la même date, cela avait été un moment difficile pour elle.

Ce week-end, c'est l'anniversaire de son fils, il à 28 ans, je crois. Son fils la rejette et c'est très

dur pour elle . Elle ne sait pas comment faire. Je pense que les jours qui vont arriver vont être

terribles pour elle. Alors si nous n'étions pas là , je crois qu'elle ne se louperait pas... vous

comprenez? Il a fallu se le rappeler, sinon, elle ne nous en disait rien et puis... vlan... on peut

s'attendre à tout. Enfin, voilà...c'est donc plus que l'écoute : c'est anticiper, connaître la

personne et savoir anticiper ce qu'elle pourrait faire, comment elle pourrait réagir etc.»

Claude : 82

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«...Notre relation avec les adhérents doit être fondée sur une certaine bienveillance, comme si

nous étions pour eux une sorte de repère auprès de qui ils peuvent s'appuyer. Mais c'est

surtout le dispositif qui crée les conditions pour qu'une bonne relation s'instaure. Le cadre et

le projet institutionnel font que nos relations avec les adhérents sont orientées vers une

manière d'être. Ici, c'est surtout l'accueil, la chaleur humaine, enfin tout ce qui a un rapport

avec la convivialité qui est privilégié. Nous pensons que par ce biais là, les adhérents vont

pouvoir trouver un lieu qui les reconnaisse tels qu'ils sont, pas seulement malades mais aussi

comme des personnes à part entière. Cela rejoint aussi votre question précédente, parce que

la convivialité comme axe de travail, cela peut paraître novateur pour l'éducateur spécialisé.

Nous sommes tellement soumis à élaborer des référentiels, comme : savoir monter un projet,

rendre compte etc, etc, et puis, il faut insérer à tout prix les gens, les orienter, enfin, être

rentable, on l'entend de plus en plus... Là, au club, ce sont les adhérents qui détiennent les

solutions de leur bien-être, nous ne faisons que créer de bonnes conditions pour qu'ils se

réadaptent à une vie sociale et puis, il n'y a pas de durée de prise en charge... Il nous faut

assurer une présence la plus humaine possible... Notre principale évaluation pour savoir si

globalement, le club leur est utile, c'est lorsqu'ils nous disent qu'il n'ont plus besoin

d'hospitalisation... On se dit alors qu'on leur permet de se sentir bien, c'est déjà pas mal :

Qu'ils aient un temps de pose dans leur vie pour souffler et puis repartir...»

Pascal :

-«..Je crois que ce qui les aide le plus, aux adhérents, c'est de se sentir solidaire entre eux , de

s'entraider dans la vie de tous les jours. Mon rôle, en tant qu'éducateur, est de les amener à

ce qu'ils prennent conscience que, être ensemble et être solidaire, cela procure du plaisir et

que, en retour, ils y gagneront en terme d'estime. Pour moi, ma relation avec les adhérents,

elle se situe dans ma capacité à créer du lien entre eux. Alors cela passe par le biais des

activités mais aussi en faisant des activités avec eux, j'essaie de faire en sorte qu'ils aident

leurs camarades, qu'ils se motivent entre eux. Leur principal problème, c'est qu'ils sont trop

tournés sur eux-mêmes et qu'ils ne font pas attention à l'autre. On dirait qu'ils sont tellement

envahis par leur problématique, que plus rien n'existe autour d'eux...Ma relation avec eux ,

elle est de leur montrer que l'autre à besoin d'aide et qu'ils se décentrent un peu plus pour

voir autour d'eux. Comme j'aime bien le cinéma, nous avons instauré chaque semaine une

sortie au cinéma. C'est intéressant car ils peuvent voir et penser à d'autres situations qui sont

vécues par d'autres personnes. Je pense qu'il faut les inciter à regarder ailleurs, cela leur

permet de prendre de la distance sur leur vécu qui est souvent trop lourd à porter...»

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Marie-Christine :

-«...il faut une bonne dose d'empathie et tenter de se mettre à leur place n'est pas évident car

jamais nous ne ressentirons réellement leur souffrance mais c'est en leur permettant de mettre

des mots dessus que l'on peut comprendre. Comme ils sont souvent seuls, isolés, sans famille

ou presque, il n'y a personne pour les écouter. C'est triste mais c'est comme ça... et puis, tout

est si fragile chez eux : un jour tout va bien et le lendemain tout s'écroule... Alors, je crois

qu'il faut rester humble, savoir que rien n'est gagné et qu'il faut recommencer chaque jour.

Mais le fait que nous soyons toujours là, que nous ne craquions pas, je pense que c'est un

facteur qui les rassure. Mais il faut souvent les solliciter, aller les chercher, les motiver, tenter

de les rassurer... bref, ils doivent ressentir que nous sommes proches d'eux et que nous ne les

laissons pas tomber...»

-Comment se régulent ou se clarifient les relations avec les usagers du club ?

Thierry :

«Pour l'instant, je n'ai pas eu de gros problèmes avec les adhérents. De toute façon, comme

nous sommes une équipe assez soudée, dés qu'il y a un problème, nous en parlons ensemble.

Nous nous sentons assez libres pour dire les choses... Je pense que c'est très important de ne

pas rester seul avec un problème surtout avec des personnes comme ici sinon nous risquons

vite de culpabiliser. Le fait de parler ouvertement sans avoir peur de dire vraiment les choses,

cela permet de faire baisser des tensions. Parfois, nous avons besoin de nous retrouver tous

ensemble, alors, nous nous enfermons dans le bureau et nous discutons. Après, s'il y a

vraiment un blocage avec l'un d'entre eux, nous prenons le temps d'en discuter avec la

personne concernée. Cela arrive relativement souvent, alors, nous nous isolons avec la

personne et on s'explique. Cela se passe bien en général, c'est une demande réciproque, de

leur part et de la notre... comme cela il n'y a pas de sous-entendu ou de rapports ambigus

entre eux et nous... Mais, en ce qui me concerne, ce qui m'est le plus utile pour clarifier des

relations difficiles, c'est la supervision... Nous avons un superviseur qui vient une fois par

mois. C'est utile pour prendre du recul et c'est surtout dans ces moments là que l'on peut

réfléchir aux situations...»

Gaêlle:

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-«Les relations, elles se régulent d'elles-mêmes, c'est un peu notre outil de travail, dans le

quotidien. Nous discutons, nous échangeons nos points de vue et si une incompréhension ou

une maladresse dans l'attitude ou les propos devait arriver, pour ma part, je m'en explique

ouvertement. En général, je ne prend pas trop de pincettes, je crois qu'il faut être assez

spontanée parce que, déjà que nous les protégeons assez... il ne faudrait pas qu'ils soient sur-

protégés. Ils n'avanceront jamais sinon... Ils apprécient la franchise que l'on a et le fait d'être

toujours disponible pour parler. La confiance, la disponibilité et la franchise, je crois que ce

sont des points essentiels pour eux. »

Claude :

-«A partir du moment où les adhérents ressentent l'intérêt qu'on leur porte et qu'il y a une

relation de confiance, cela passe bien et en fait de régulation, c'est surtout lorsqu'il y a un

gros, gros pépin qu'il est important de prendre du temps pour en discuter ensemble. La

semaine dernière, il y a un jeune adhérent qui voulait me faire la peau, comme il disait. Il n'a

pas supporté que je m'oppose à ce qu'il participe à une activité. Je le trouvais trop instable et

agressif envers certains. Sur le coup, il n'a pas compris ma position. Il est parti très en colère

et avec violence. Le lendemain, il est revenu pour une explication. Finalement, il a pris

conscience qu'il déconnait en ce moment. En fait, il ne prenait plus son traitement depuis des

jours. Bon ! Je m'en doutais un peu mais il a fallu le frustrer, si je peux dire, pour qu'il

revienne et nous dise pourquoi il était aussi mal. A partir de là, nous pouvons travailler sur

son rapport à la maladie, aux médicaments, l'importance du traitement pour son avenir etc,

etc. L'essentiel c'est de ne jamais rompre le lien même s'il y a un conflit entre eux et nous,

c'est de toujours trouver du sens avec eux et parler, parler, parler...»

Pascal:

-«Je dirais que les relations se régulent surtout durant la réunion de préparation des

activités. Elle a lieu une fois par mois et c'est souvent à cette occasion que nous évoquons ce

qui s'est passé lors des précédentes activités. C'est assez récurrent d'ailleurs. Ils ont besoin

d'éclaircir des choses. Pour les anciens, tout va bien mais les nouveaux ont souvent beaucoup

de questions. Il est difficile de cohabiter dans un même lieu, c'est assez mouvementé en

journée : les uns arrivent, d'autres repartent, ils se croisent et nous aussi parfois... nous

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sommes sollicités sans arrêt et quelquefois, une parole de travers ou mal interprétée peut

surgir. Si on n'y fait pas gaffe… mais… bon, tout cela est repris et au final tout s'éclaircit...»

Marie-Christine :

-«C'est en discutant avec mes collègues et puis en supervision... Comme cela, j'entends ce que

font mes collègues, comment ils réagissent face à telle ou telle situation et je me fais ma

propre idée. J'ai besoin de me situer par rapport à mes collègues, savoir où je vais, si je ne

fais pas trop de conneries...»

-Sur quels savoirs et théories s'appuient les éducateurs(trices) lorsqu'ils s'interrogent sur

leur pratique relationnelle lors des réunions d'équipe ?

Les réponses à cette question furent également communes. L'axe théorique privilégié étant

celui de la psychanalyse et en particulier la psychanalyse anglaise. Winnicott et Mélanie Kein

ont été cités à plusieurs reprises. Les termes de transfert et contre-transfert et avec eux, les

noms de Freud, Joseph Rouzel et Paul Fustier furent aussi cités et correspondent à l'axe

théorique privilégié par le superviseur extérieur qui rencontre l'équipe une fois par mois.

Imprégnés par ces théories à l'occasion d'analyses de pratique avec le superviseur et provenant

de la formation initiale d'éducateurs spécialisés, les professionnels s'y réfèrent lorsqu'ils

veulent faire partager leurs ressentis et expliciter leurs actions.

-Votre formation initiale d'éducateur(trice) spécialisé(e) vous a t-elle préparé à exercer

votre métier auprès d'un public handicapé psychique ?

La réponse à cette question fut la même pour chacun des professionnels qui ont déclaré ne pas

avoir été préparé lors de leur formation initiale à l'exercice de ce métier auprès d'un public

handicapé psychique. Chacun a fait le constat de ce manque et de leur ignorance quant à

l'origine, aux symptômes, aux traitements et à l'évolution de la maladie mentale. Bien qu'ils

aient insisté sur le fait qu'ils n'étaient pas des soignants et que, de ce fait, ils ne se

préoccupaient pas des questions liées au soin mais plutôt à la personne dans sa réalité de vie,

ils regrettaient cependant de ne pas avoir eu de formations leur facilitant la reconnaissance de

la nature des différents troubles psychiques rencontrés, l'attitude à adopter pour chacun de ces

troubles, ainsi que sur les effets du traitement médicamenteux dans la vie de tous les jours.

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-Selon-vous, quels sont les thèmes qu'il seraient souhaitables d'aborder ou d'approfondir

en formation initiale afin d'être préparé à exercer auprès de ce public ?

A cette question les réponses furent également unanimes. Tous les professionnels ont, en effet,

déclaré qu'une formation en psycho-pathologie leur aurait été utile afin d'adapter leur relation

aux manifestations cliniques et aussi d'être en mesure d'anticiper des réactions liés aux

troubles psychiques.

Trois professionnels, (Claude, Pascal et Thierry), ont ajouté qu'une formation au travail en

partenariat avec le secteur psychiatrique, en terme de connaissance de ce secteur et de l'action

de chaque professionnel en vue d'une meilleure reconnaissance mutuelle leur permettrait

d'être en plus grande adéquation avec les besoins de la population accueillie.

Un échange d'informations avec le personnel soignant leur permettrait d'appuyer ou de

relancer une dynamique dans l'accompagnement social en terme d'ajustement relationnel et de

décloisonnement des pratiques .

Ces professionnels soulignent qu'ils ont besoin, parfois, de signifier aux adhérents leurs

limites professionnelles et le besoin d'en référer à d'autres professionnels plus compétents

dans certains domaines d'interventions. Il arrive, en effet, que certains adhérents abordent des

points particuliers de leur intimité qui dépasse les seules compétences des éducateurs.

Ils se retrouvent, quelquefois, dans des blocages relationnels. Ils conseillent alors aux

adhérents de prendre un rendez-vous avec leur médecin psychiatre. Ceci engendre des

sentiments d'abandon de part et d'autre et d'incompréhension de la part de l'adhérent.

5.5. Analyses et commentaires :

- Sur les finalités du travail relationnel de l'éducateur(trice) avec

des personnes handicapées psychiques.

Le but de ce travail de recherche était de questionner une pratique d'accompagnement à

travers la nature et les finalités du lien relationnel entre des éducateurs(trices) et des personnes

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souffrant de troubles psychiques. Pour cela, nous avons interrogé les différents protagonistes

afin de définir sur quelles bases pratiques, théoriques et éthiques le lien relationnel prenait sa

source. Nous avons relevé les mots et expressions récurrentes qui ont été utilisés lors de la

visite initiale et de sa description. Ces mots et/ou expressions ont été utilisés par les

professionnels afin d'évoquer les finalités et les effets recherchés dans leur travail relationnel

qui a, comme objectif, la réadaptation sociale de personnes souffrant de troubles psychiques.

Puis, nous avons relevé les mots et/ou expressions utilisés par les adhérents et les

professionnels lors des entretiens, à l'évocation de leur expérience inter-relationnelle.

Nous en avons fait une synthèse que nous vous présentons maintenant. Nous avons aussi

ajouté à cette liste, les mots et/ou expressions utilisés dans nos commentaires. Ils reflètent une

réalité vécue et un sentiment éprouvé qui nous a paru intéressant de retranscrire afin de servir

notre analyse et nos commentaires.

-Mots et expressions utilisés lors de la visite initiale :

Aller vers l'autre,

Tendre la main,

Être très attentif,

Solliciter chacun,

Partager,

Réguler les tensions,

Que chacun trouve sa place,

Échanger,

Passer du temps ensemble,

La bonne humeur,

Canaliser les envies,

Aider à s'affirmer,

Responsabiliser,

Engager à parler,

Construire une vie,

La spontanéité,

Laisser place à l'imprévu,

Garder le contact,

Avoir sa place,

L'émotion,

Se sentir utile,

L'aide,

Donner de la vie,

Des moments de rencontre,

Le mouvement,

L'inventivité,

Liberté d'adhésion,

Le désir,

Démarche volontaire,

Plaisir d'être,

Moments de rencontre,

Plaisir partagé,

Médiation,

Bien-être,

88

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Offrir un cadre stable et sécurisant,

Garder un contact,

Renouer le lien,

Douceur,

Remarques non-blessantes,

Ton humoristique,

Détendre l'atmosphère,

Aborder le sentiment d'exclusion,

Humour,

Complicité,

Respect,

Veiller,

Stimuler,

Ne pas ressentir un sentiment de persécution,

Ne pas vivre un échec,

Ne pas vivre un stress,

Renforcer le narcissisme,

Investir l'accompagnement,

Discussion,

Écouter,

Sans jugement,

Se sentir en confiance,

Canaliser les angoisses,

Sentir les gens solides,

Fermeté,

Bienveillance,

Réaliser le plaisir,

Restaurer la place de sujet,

Qualité de la relation,

Entraide mutuelle,

La socialisation,

Acteurs,

Dimension émotionnelle,

Détente,

Moments partagés,

Sentiment de bien-être,

Stratégique,

Bienveillante,

Douce,

Intervention,

Travail au long court,

Faire parler le conflit,

De manière sereine,

Se confronter paisiblement,

Effort,

Animation,

Restaurer un sentiment d'aptitude,

Interagir de façon constructive,

Sentiment de maîtrise retrouvée,

Processus dynamique,

Expérience positive,

Faire fonctionner le groupe en miroir,

Autoriser les émotions positives,

Approbation,

Sourire,

Compliments,

Encouragements,

Valider l'impact narcissique,

Donner vie à l'activité,

De façon bienveillante,

Trouver sa juste place,

Faciliter les échanges,

Inciter les adhérents,

Attention mutuelle,

Qualité du savoir-être,

Faciliter l'interactivité,

89

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Réagir avec pertinence,

Mobiliser des ressources,

Dénouement de tensions,

Resituer le cadre,

Clarifier,

Décoder,

Soigner son expression verbale,

Manière de transmettre,

Renforcer des attitudes d'ouverture,

Communication,

Renforcement positif,

Remerciements,

Renforcer l'estime de soi,

Le contentement,

Joyeuse,

Exprimer le contentement,

Encouragements,

Satisfaction,

Compliments,

Sentiments,

Plaisir,

Désir,

Maintenir le lien.

Mots et expressions utilisés lors des entretiens avec les adhérents :

S'approprier un autre regard sur eux

Ne plus se percevoir comme des malades,

Se percevoir comme des personnes,

Construire des relations,

Participer à une vie collective,

Proximité avec une vie sociale et citoyenne,

Une expérience humaine,

Valeurs morales,

L'attention,

La convivialité,

Le souci de l'autre,

Le respect,

La discrétion,

Un regard différent de celui des soignants,

La spontanéité,

La disponibilité,

Se sentir reconnu,

Affectivité,

Expérimenter du lien social,

Découvrir les relations humaines,

Redécouvrir les relations humaines,

Apprentissage de la rencontre,

Expérimenter les aléas de la rencontre,

Quiétude,

Bienveillants,

Apprendre sur leur fonctionnement,

Mettre en jeu le désir,

Processus de rencontre,

Médiation,

Bienveillance,

Discrétion,

Confiance,

Disponibilité,

Développer une atmosphère conviviale,

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Absence d'évaluation des troubles mentaux,

Convivialité,

Fraternité,

Amitié,

Éclaircir des situations relationnelles,

Parole respectée,

Jouissent d'une reconnaissance,

Capable d'adaptation,

Faciliter les rencontres,

Rapport de confiance,

Faciliter l'expression,

S'autoriser à …,

Réguler l'action,

Respecter un cadre convivial,

L'exploration du lien à l'autre.

Mots et expressions utilisés lors des entretiens avec les professionnels :

Besoin d'être écouté,

Un animateur,

Un thérapeute,

Travailler sur la confiance,

Progressivement,

Travailler sans filet,

Beaucoup parler,

Situations dures à gérer,

Faire attention à eux,

Être sur le qui-vive,

Être happé,

Il n'y a pas de routine,

Au jour le jour,

Être inventif,

Faire cohabiter,

Travail épuisant,

Un sens caché,

Bien les connaître,

Décoder,

Patience,

Être à l'écoute,

Détails importants,

Repérer leurs problèmes,

Le tact,

Ne pas les décourager,

Beaucoup d'attention,

Connaître leur réaction,

Prévenir les risques,

Repérer les situations en amont,

Beaucoup parler,

Étayer,

La vie,

Parler,

Travailler sur le stigmate,

Faire des rencontres positives,

Favoriser les échanges,

Participer à la vie sociale,

Éprouver une vie citoyenne,

Être des passeurs,

Se servir de sa personnalité,

Être dans les intermédiaires,

Mettre un terme aux répétitions,

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Trouver du sens,

Sortir de la routine,

Un club de rencontres,

Se sentent bien,

La motivation,

Les aider à se remotiver,

A prendre confiance en eux,

Aller les chercher,

Être content,

Servir de point d'appui,

L'expérience du partage,

Réapprendre à vivre dans le social,

Les aider,

Apprendre à gérer les obstacles,

Apprendre à utiliser leurs potentiels,

Redécouvrir comment ils fonctionnent,

Être un tremplin,

Se sentir sécurisé,

Favoriser l'expérience,

Donner des outils,

La bienveillance,

Se placer en recul,

Faire attention,

Les échanges agréables,

Avoir une bonne écoute,

Faire attention à ce que l'on dit,

Faire attention à ce qu'ils disent,

La confiance,

Ressentir la confiance,

Être disponible,

Parler,

Libèrent leurs paroles,

Anticiper,

Relations analysées,

Relations étudiées,

Comprendre le transfert,

Aspect convivial,

Club de loisir,

Être jovial,

Souriant,

Accueillant,

L'ambiance,

Aménager le cadre,

L'espace,

L'ambiance,

Le respect,

S'exprimer,

La parole,

Soigne,

S'y sentent bien,

Faire tampon,

L'ambiance,

Le naturel,

La spontanéité,

L'humour,

Plaisanter,

Se motivent,

Faire attention à l'autre,

Regarder ailleurs,

L'empathie,

Se mettre à leur place,

Mettre des mots,

Les écouter,

Rester humble,

Ne pas craquer,

Être là,

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Connaître la personne,

Bienveillance,

Un repère,

S'appuyer,

L'accueil,

La chaleur humaine,

La convivialité,

Un lieu qui les reconnaisse,

Pas comme des malades,

Comme des personnes à part entière,

Bien-être,

Créer de bonnes conditions,

Assurer une présence humaine,

Se sentir bien,

S'apaiser,

Un temps de pause,

Se sentir solidaire,

S'entraider,

Prendre conscience,

Le plaisir,

L'estime,

Créer du lien,

Aident leurs camarades

Solliciter,

Motiver,

Aller les chercher,

Les rassurer,

Ressentir que nous sommes proches,

Parler ouvertement,

Faire baisser les tensions,

Prendre le temps,

Se retrouver ensemble,

S'expliquer,

Demandes réciproques,

Être spontané,

Ressentir de l'intérêt,

Ne jamais rompre le lien,

Trouver du sens,

Parler,

Éclaircir,

Cohabiter,

Nous sommes sollicités sans arrêt.

- Sur le travail relationnel de l'éducateur(trice) spécialisé(ée)

auprès de personnes handicapées psychiques : vers une éthique de

la sollicitude ?

Au cours de ce travail, de la recherche documentaire, à la visite initiale et aux entretiens, une

idée s'est progressivement imposée à nous. Il s'agit de l'idée selon laquelle, pour mobiliser des

personnes handicapées psychiques, il est nécessaire que l'éducateur(trice) soit porteur d'une

suffisante sollicitude. En effet, si l'éducateur veut modifier un tant soit peu «l'être au monde»

93

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effondré de ces personnes, il se doit d'avoir auprès d'elles une présence effective et

chaleureuse. L'action et par conséquent, la relation des éducateurs doit être soutenue,

attentive, bienveillante, non-intrusive et constamment sollicitante.

Les mots ou expressions utilisés tels que : «aller vers l'autre, tendre la main, être attentif,

solliciter , garder le contact, stimuler, inciter, renforcement positif, etc.» en témoignent.

Les éducateurs pensent que leurs paroles et leurs actions auprès de ce public sont souvent

porteuses et inductrices de changement si, portées et soutenues par leur propre envie de

partage et de présence, ils parviennent à créer une émulation dans le groupe.

De cette manière, les professionnels sont une source d'impulsion qui relance le plaisir d'être

ensemble et de nouer des dialogues. C'est en obtenant une confiance mutuelle, en étant dans

une proximité de lien, en les aidant à vivre et exprimer leurs émotions que des relations

transférentielles peuvent se nouer et que des actions valorisantes deviennent possibles.

L'intersubjectivité qui émane de ce lieu et l'ouverture à une dialectique permet à ces personnes

de retrouver le désir de vivre, d'entreprendre, de créer et de s'investir avec plus de sérénité.

Les relations entretenues par les éducateurs ont comme finalité de dégager ces personnes

d'une vision trop centrée sur eux-mêmes. Ils leur offrent la possibilité d'aller à la rencontre de

l'autre avec sécurité afin d'engager des relations stables fondées sur la différence, le respect, la

complémentarité et donc l'altérité.

Les mots ou expressions tels que : «s'entraider, cohabiter, s'expliquer, se retrouver, ressentir

que nous sommes proches, faire des rencontres positives, favoriser les échanges, participer à

une vie sociale, éprouver une vie citoyenne, club de rencontre, réapprendre à vivre dans le

social, redécouvrir comment ils fonctionnent, sortir de la routine, l'exploration du lien à

l'autre, jouir d'une reconnaissance, participer à une vie collective, découvrir les relations

humaines, apprentissage de la rencontre, expérimenter les aléas de la rencontre, construire des

relations, s'approprier un autre regard sur eux, restaurer la place de sujet, socialisation...etc.»

en témoignent.

C'est l'altération de la relation aux autres qui fait partie intégrante de la perplexité dans

laquelle se trouve la personne handicapée psychique à l'égard du monde.94

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Blankenburg nous dit dans son ouvrage : «la perte de l'évidence naturelle» : «...de telles

personnes sont déplacées hors des ensembles de conjointures et de renvoies qui nous portent.

Un foule des choses qui sont , pour nous, directement des motifs, qui nous mobilisent , ne les

concernent plus. Leur être concerné est réduit. Ils ne se soucient plus de rien. Non-engagés

eux-même , ils ne s'engagent à rien. C'est sur cet être- en- dehors que repose l'insouciance

schizophrénique52.»

L'accueil et la convivialité au club Mozart sont des données essentielles dans le travail des

éducateurs. Elles s'exercent par et grâce à l'attention soutenue des éducateurs. Se retrouver est

certainement la préoccupation essentielle de ceux qui adhérent au club. Ils se «retrouvent»

eux-mêmes, survivant de la maladie, pour reconstruire leur histoire, leur identité, le cours de

leur vie, trop longtemps abandonné à d'autres. Ce sont aussi les buts recherchés par les

éducateurs en instaurant un climat relationnel basé sur la convivialité .

Les mots ou expression tels que : « la bonne humeur, plaisir, bien-être, détente, cadre stable et

sécurisant, douceur, humour, complicité, spontanéité, animation, respect, détente, sourire,

approbation, compliments, encouragement, bienveillance, plaisir, serein, entraide, émotion,

communication, remerciements, échanges, attention mutuelle, estime de soi, contentement,

sentiments, convivialité, affectivité, quiétude, souci, discrétion, disponibilité, fraternité,

confiance, jovial, apaiser, etc.» en témoignent.

Cependant, même si la convivialité tient lieu d'accompagnement, elle ne se suffit pas à elle-

même. En effet, le soucis constant des professionnels comme nous avons pu le constater sur le

terrain, est de maintenir le lien relationnel coûte que coûte. Ils doivent veiller à ce qu'il n'y ait

pas de rupture de lien . Le conflit doit être parlé, verbalisé, afin d'être dédramatisé. L'absence

d'une personne doit inquiéter et alerter le professionnel d'un éventuel mal-être pouvant

prendre des proportions alarmantes. Amener chacun à percevoir l'autre dans sa différence sans

que celle-ci soit vécu comme une attaque, favoriser les échanges de regard, initier le dialogue,

apaiser les tensions, ouvrir à la culture, les arracher de l'enfermement relationnel, se soucier

des détails qui en disent long, des non-dits et des bas-mots, tout ceci affirment la volonté des

éducateurs de poser l'éthique de la relation comme centrale dans leur travail.

52 Blankenburg, La perte de l'évidence naturelle, Ed Puf, mai 1991.

95

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Il semble que ce soit cette volonté de porter ce soucis et cette éthique de la relation dans un

quotidien partagé qui contribue à insuffler une pulsion de vie chez ces personnes.

Les mots ou expressions tels que : « réguler les tensions, canaliser, responsabiliser, stimuler,

veiller, se confronter paisiblement, restaurer un sentiment d'aptitude, sentiment de maîtrise

retrouvée, processus dynamique, interagir de façon constructive, canaliser les angoisses,

renforcer le narcissisme, autoriser les émotions, restaurer la place de sujet, mobiliser les

ressources, renforcer les attitudes d'ouverture, faciliter les échanges, maintenir le lien, souci

de l'autre, un regard différent, repérer leurs problèmes, prévenir les risques, être sur le qui-

vive...etc.» en témoignent.

Aussi, il y a une volonté affichée par les adhérents de maintenir une séparation claire entre le

lieu de soin (médecin psychiatre privé et/ ou hôpital de jour ) et le lieu de réadaptation sociale

qu'est le club Mozart. Les adhérents apprécient que les éducateurs n'aient pas une «vision»

soignante de leurs problématiques et par conséquent distinguent l'intention soignante et

l'intention éducative. Ils ne souhaitent pas que l'un interfère sur l'autre afin que le regard qu'on

leur porte soit vécu par eux de manière différente. L'expérience du lien thérapeutique et celui

du lien d'accompagnement social et éducatif doivent être distingués. Les adhérents disent

vouloir expérimenter d'autres types de relations aux autres et à eux-mêmes, avec d'autres

références afin de se sortir d'une relation soignant-soigné.

Les mots ou expressions tels que : « pas comme des malades, des personnes à part entière,

redécouvrir comment ils fonctionnent, apprendre à utiliser leur potentiel, participer à une vie

sociale, travailler sur le stigmate, jouir d'une reconnaissance, regard différent de celui des

soignants, se percevoir comme des personnes, s'approprier un autre regard sur eux...etc.» en

témoignent.

Cette volonté d'effectuer une telle distinction, nous amène à faire le lien avec la notion de

«care». Cette notion fait partie intégrante d'une éthique de la relation nommée : l'éthique de la

sollicitude traduit en anglais par : éthics of care.

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Paul Ricoeur place la dynamique de la sollicitude sur la trajectoire de l'éthique et donne à ce

mot le statut de : «...spontanéité bienveillante, soucieuse de l'altérité des personnes,

intimement liée à l'estime de soi au sein de la visée de la vie bonne.»53

Dans l'éthique de la sollicitude se rencontrent les valeurs individuelles et professionnelles

dans des notions telles que : «prendre soin et sollicitude».

Cette éthique est l'affirmation de l'égalité de la relation aux autres dans un processus

d'accompagnement.

Aux Etats-Unis, le livre de Carol Gilligan : In a Different Voice (Psychological theory and

women, Harward University Press) a permis d'engager un débat sur une nouvelle

compréhension du «care»54 en affirmant l'importance de l'attention portée aux autres et en

particulier à ceux dont la vie et le bien-être dépendent d'une attention continue.

La philosophie de l'éthique de la sollicitude initiée par Carol Gilligan pourrait être inscrite

comme une référence dans la pratique des éducateurs spécialisés confrontés au handicap

psychique. En constatant dans ce travail de recherche, que la personne handicapée psychique

n'attend pas les mêmes choses d'un éducateur que d'un infirmier psychiatrique ou d'un

médecin psychiatre, cette éthique de la sollicitude pourrait servir de point de référence pour la

reconnaissance d'une pratique spécifique de l'éducateur spécialisé auprès de personnes

porteuses d'un handicap psychique.

Il s'agirait, en effet, de distinguer le soin curatif (curing) du prendre soin (care). Cette notion

de «prendre soin» étant en fait, fortement ancrée dans la profession d'éducateur spécialisé,

puisque la spécificité de l'éducation spéciale est la prise en compte globale de la personne

dans son environnement.

53 Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Ed du Seuil, 1990 p22254 Carol Gilligan, Une voix différente, Ed Flammarion, Collection Champs Essais, septembre 2008

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Walter Hesbeen dans son ouvrage : Prendre soin à l'hôpital propose le concept de prendre

soin comme une valeur et définit huit qualités requises pour tisser des liens de confiance

fondés sur le respect de la personne : la disponibilité, la simplicité, la chaleur, l'écoute,

l'authenticité, l'humilité, la compassion, et l'humour55. La relation singulière et la demande

du sollicitant prime avant tout. Il s'agit de répondre à une demande, à une sympathie, qui

consiste en un principe de relation d'égal à égal entre sollicitant et sollicité.

Ces qualités rejoignent la notion de spontanéité bienveillance chère à Paul Ricoeur et

permettent d'établir une correspondance avec ce que les éducateurs et les adhérents évoquent

en terme de qualités relationnelles attendues au club Mozart. Il y a donc bien une similitude

dans ce travail relationnel avec ce que l'on nomme l'éthique de la solitude.

L'importance du «care» dans l'éthique de la sollicitude suppose de reconnaître la dépendance

et la vulnérabilité comme des traits de la condition de tout un chacun. Il nous semble que ce

réalisme est d'autant plus vrai que les personnes atteintes d'un handicap psychique font la

demande d'une attention bienveillante et soutenue.

Selon Walter Hesbeen , le «care» est une affaire concrète qui ne néglige pas les détails lors

des situations vécues. Il se préoccupe, en effet, des particularités des situations et des

personnes et il est une réponse pratique à des besoins spécifiques. Le sujet du «care» se situe

donc dans l'affection, la sensibilité et l'attention. Il est soucieux de l'être et en ce sens, il lutte

contre l'oubli de l'autre et de sa souffrance.

La sensibilité nous semble la condition nécessaire chez l'éducateur spécialisé dans sa

rencontre avec le sujet handicapé psychique. Aussi, la force du «care», au contraire des

exigences de neutralité et de détachement souvent prises comme conditions dans

l'accompagnement social et éducatif en général, est de nous apprendre à reconnaître cette

sensibilité et d'accepter d'en être touché.

Le projet de l'association Espoir 33 semble tourné vers d'une mise en pratique de la notion de

«care» et avec elle, celle de l'éthique de la sollicitude. Mais aussi en développant des espaces

conviviaux comme le club Mozart, l'association Espoir 33 permet le renforcement des liens de

55 Walter Hesbeen, Prendre soin à l'hôpital, inscrire le soin infirmier dans une perspective soignante,Interédiction Masson, 1997, P.37

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solidarité entre ces personnes qui viennent remplacer les logiques d'assistance qui sont liées à

celles du soin. L'étayage du groupe et des professionnels assure à la personne en souffrance

psychique une place à part entière.

Ce lieu est géré par les usagers, sous l'impulsion des éducateurs. Il autorise ainsi, l'usager, à

rompre avec sa solitude, à affirmer sa parole et à reprendre le pouvoir sur sa vie. En cela, nous

pouvons affirmer que le travail relationnel de l'éducateur spécialisé au club Mozart se base sur

une pédagogie émancipatrice.

Lors des entretiens, les éducateurs semblaient être d'accord pour dire que leur travail au club

Mozart et auprès de ces personnes était novateur. Il semblerait que, sans en avoir pleinement

conscience, les éducateurs exercent la pratique du «care». Cette pratique mériterait

probablement d'être mieux reconnue par eux et de faire l'objet d'approfondissement afin de

l'inclure dans leurs références théoriques.

-Sur la finalité du travail relationnel de l'éducateur spécialisé auclub Mozart : vers le concept d'«empowerment» ?

Les différents entretiens menés nous ont conduits à confirmer l'hypothèse selon laquelle, les

éducateurs et les adhérents régulent ensemble leur relation ainsi que les effets et les finalités

attendus de cette relation par le moyen de réunions qu'elles soient formelles ou informelles.

Cette co-construction des effets et finalités de la relation semble participer d'une volonté

d'aider ces personnes à retrouver un pouvoir sur leur vie. Grâce aux régulations individuelles

ou groupales, une dialectique s'engage et approfondit la reconnaissance de soi et de l'autre,

condition première pour un travail sur la relation.

La confirmation de cette hypothèse rejoint la pratique du «care» abordée précédemment et

approfondit cette notion. En effet, nous constatons qu'au sein de ce club, c'est l'attention

portée à la personne qui domine. La maladie et les troubles psychiques sont relégués au

second plan. C'est le dialogue qui est au centre de la relation et celui-ci ne se confond pas

avec un discours sur l'autre et sur sa pathologie mais il est un partage et une mise en débat

afin de se comprendre mutuellement en tant que personne voulant reprendre un pouvoir sur

son environnement.

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Ce dialogue apparaît utile pour une reconquête du sens que chacun va se donner afin d'être

ensemble et de rompre sa solitude. Cette co-construction est également le moyen de redonner

du pouvoir aux personnes accueillies dans ce club.

Quelque soit l'étendue des savoirs et l'expérience de ces professionnels, il apparaît qu'ils

n'exercent pas un rapport de pouvoir par le biais de leur savoir pour orienter et intervenir

selon leurs références. Il y a bien, dans cette pratique, le témoignage du souci porté à la

personne qui laisse de côté la parole savante pour laissé la place à l'attention bienveillante, à

l'accueil et à la simplicité du lien. L'effet attendu peut contribuer au soin mais dans un

déplacement d'intérêt vers la personne et ce qui l'anime et non plus vers son affection.

Ainsi, accueillir la parole de l'autre c'est montrer que le professionnel a le désir de dialoguer et

travaille à faire advenir ce désir chez l'autre. En ayant une exigence d'écoute, en s'interdisant

la persuasion et en favorisant l'échange dans le plus grand respect possible, il autorise l'autre à

faire son propre chemin et à ce qu'il porte un autre regard sur ses capacités.

Nous retrouvons cette intention dans ce que nous avons nommé précédemment comme des

pédagogies émancipatrices et parmi elles, nous retiendrons le concept d'«Empowerment».

Il s'agit d'un processus d'émancipation au cours duquel les capacités des personnes

défavorisées sont renforcées de manière à ce que celles-ci soient en mesure d'exercer leurs

droits et de prendre une part active au processus de conception et de décision les concernant.

«Empowerment» selon le dictionnaire vient du verbe anglais «to empower» signifiant donner

le pouvoir, l'autorité, ou encore habiliter.

«L'Empowerment»concerne la manière de faire des choix en terme d'aptitude à faire ses choix.

C'est un processus au cours duquel il est donné la possibilité de faire des choix à des

personnes à qui cela est ou a été refusé. Sur le plan des interelations, «l'Empowerment» agit

de manière à ce que les personnes acquièrent les ressources nécessaires pour revendiquer et

énoncer leurs attentes. Ceci rend les gens plus aptes à améliorer leur condition et les chances

de réussir leur projet de réadaptation.

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L'analyse du concept «d'empowerment» réalisée par Y.D. Le Bossé et M. Lavallée dans :

«Empowerment et psychologie communautaire: aperçu historique et perspectives d'avenir56

(1993) (cahier internationnaux de psychologie sociale ,18, p.7-20) permet de dégager

certaines constantes dans les définitions applicables à «l'Empowerment».

Ces constantes sont : favoriser l'acquisition par les personnes défavorisées du sentiment de

compétence personnelle, de la prise de conscience, de la motivation liée à l'action et aux

relations avec l'environnement. Le Bossé et Lavallée définissent «l'Empowerment» sur le plan

individuel comme la façon par laquelle l'individu accroît ses habiletés favorisant l'estime de

soi, la confiance en soi, l'initiative et le contrôle.

Il s'agit d'un processus social de reconnaissance de promotion et d'habilitation des personnes

dans leur capacité à satisfaire leurs besoins, à régler leurs problèmes et à mobiliser leurs

ressources nécessaires de façon à se sentir en contrôle de leur propre vie.

Il y a une dimension transactionnelle qui se joue car «l'Empowerment» implique une relation

avec les autres. Les personnes sont intereliées dans le sens où il y a un partage des ressources

et où la collaboration de tous est encouragée.

Ainsi, les relations de pouvoir entre les intervenants et les personnes accueillies se trouvent

transformées. Les intervenants visent à transformer le pouvoir d'agir, de s'approprier les outils,

techniques et expertises aux personnes défavorisées afin de leur redonner confiance en elles.

56 Y.D.Le Bossé et M.Lavallée, empowerment et psychologie communautaire: aperçu historique et perspectived'avenir, cahiers internationaux de psychologie sociale, n°18, 1993 p7-20

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Conclusion :

L'analyse de cette pratique d'accompagnement auprès de personnes handicapées psychiques

effectuée au sein du service «Mozart» de l'association Espoir 33 à Bordeaux, nous oblige à

penser le savoir-être comme préoccupation fondamentale et comme pierre angulaire du travail

éducatif.

Il nous est apparu comme une évidence, lors de ce travail d'enquête, que ces personnes, qui

ont longtemps lutté pour apprivoiser la maladie mentale, souhaitent, à présent, être vues

autrement et éprouver d'autres types de relations avec des professionnels qui se situent hors

champ médical. C'est la raison pour laquelle, nous pouvons admettre que les

éducateurs(trices) spécialisés(ées), avec leur savoir-être, ont toute leur place auprès de ce

public. Même si, la difficulté qui semble se poser est la préparation de ces professionnels à

faire face aux manifestations psycho-pathologiques qui peuvent apparaître déroutantes, il n'en

demeurent pas moins qu'un véritable savoir issu de leur expérience inter-actionnelle s'est

progressivement construit. Ce savoir prend sa source, même s'il n'est pas formalisé par ces

professionnels, dans une certaine éthique de la sollicitude et un emprunt au concept

d'«empowerment».

Autrefois, il était impossible d'associer citoyenneté et santé mentale. Le «fou» était enfermé

derrière les murs de l'asile, la maladie mentale était la négation de la citoyenneté. Les

mutations sociales de ces dernières années avec la reconnaissance de l'être en souffrance

psychique, et la nécessité d'offrir des lieux adaptés favorise la rencontre de ce public avec les

professionnels de l'éducation spécialisée. Aussi, il y a une longue expérience dans l'histoire de

l'éducation spécialisée qui porte en elle des éléments de réflexion en terme de savoir-être qui

pourraient s'appliquer à l'accompagnement de personnes provenant du milieu psychiatrique.

Il nous semblerait intéressant que les professionnels des différents secteurs d'intervention qui

œuvrent pour le bien-être de ces personnes puissent apprendre à reconnaître leur spécificité et

leur différence en terme d'attitude relationnelle. Cette reconnaissance de la singularité des

différents corps professionnels permettrait de penser la complémentarité des pratiques et des

métiers en santé mentale. Nous pourrions aussi imaginer que les professionnels du soin

psychiatrique ont a apprendre de l'attitude relationnelle des éducateurs dans ce lieu de vie qui

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pourrait être transférable dans l'exercice de leur fonction. Cette hypothèse n'est, peut-être,

qu'une pure projection de notre part. Cependant, nous pensons que la transférabilité des

compétences d'un secteur à un autre implique également de réfléchir aux possibles ajustement

entre les pratiques. Encore faut-il dépasser les cloisonnement qui nous paraissent à l'œuvre

entre les secteurs sanitaires et sociaux et les filières de formation. Il s'agirait de parvenir à

l'élaboration de véritables identités professionnelles qui puissent être repérées et ajustées aux

besoins de personnes handicapées psychiques par la reconnaissance des compétences

construites et mises en œuvre dans des lieux singuliers comme le club Mozart. Ces lieux sont

actuellement en pleine expansion et de véritables savoir-faire et savoir-être s'y développent

qui s'originent dans des références théoriques, philosophiques et pédagogiques, resituant le

sujet au centre de la relation. La pratique qui consiste à co-construire entre professionnels et

personnes accompagnées, les tenants et les aboutissants d'une relation de soutien adaptée dans

un quotidien de vie non formalisé, comme à Mozart, nous est apparu comme une piste à

explorer.

En effet, la construction d'une identité professionnelle reconnue comme complémentaire en

prenant le relai des pratiques de soin, peut être innovante et avoir du sens pour ces personnes,

si elles sont partie prenante de cette construction. Nous sommes passés de la folie à la maladie

mentale puis, de celle-ci, au handicap psychique. Il nous reste à présent, une orientation à

mettre en œuvre, soignants avec éducateurs, pour donner une vraie place aux usagers de la

santé mentale dans l'élaboration de dispositifs et de modalités de soutien qui soient adaptés à

leurs besoins. Cette place qui leur reste encore à conquérir, l'éducateur spécialisé, avec

d'autres, peut et doit avoir un rôle à jouer afin que la dimension de réciprocité entre

professionnels et handicapés psychiques soit pleinement envisagée dans la construction de

compétences relationnelles.

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ANNEXES

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Annexe 1

Guide pour le recueil d'informations surl'Association Espoir 33.

-Les raisons (historiques, sociologiques, politiques, en terme de besoins...) qui ontconduit à la création de cette association.(demander des textes ou articles de presse ou tout autres écrits)

-Présentation de l'association:

Les différents établissements ( situation géographique, dates d'ouverture etc.)

La fréquentation des lieux ( présentation du public reçu, âge moyen, problématiquespsychiques, sociales, d'où viennent-ils ? ).

Les principes fondateurs à l'origine de la création de l'association.

Les actions, buts recherchés, projet de l'association en direction de ce public.(voir s'il existe des études, des recherches épidémiologiques etc.)

Quels partenariats avec les structures, associations, tutelles, les autres secteurs de larégionbordelaise ?

Les règles de fonctionnement (heures d'ouverture, le cadre...)

Le profil des professionnels ( leur nombre, leur formation...)

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ANNEXE 2

Guide d'entretien avec les adhérents. ( 2 groupes de 8 adhérents)

-Inscription et fréquentation du club.-Depuis combien de temps êtes-vous adhérents à ce club ?

-Comment avez-vous eu connaissance de l'existence du club?

-Quelle est votre durée de fréquentation chaque semaine?

-Sur leur projet personnel -Quelles sont les raisons qui vous ont amené à vous inscrire dans cette structure ?

-Est-ce que ce lieu vous aide à soutenir votre projet de vie , à l'extérieur?

-De quelle manière?

-Vous êtes-vous fixé une limite de temps quant à votre inscription dans ce lieu ?

-Sur la compétence relationnelle des éducateurs.-Aviez-vous déjà été en contact avec des professionnels de la relation avant de venir ici ?

(dans lieu de soin , foyer de vie etc..)

-(si oui) : Ressentez-vous une différence de la part des éducateurs de ce club dans la

façon de vous aborder, de travailler,d'être en relation avec vous ?

-Les relations que vous entretenez avec les éducateurs de ce club ont-elles des effets sur

les objectifs de réadaptation que vous vous étiez fixés à votre arrivée ?

-(Si oui): Quels sont ces effets ?

-Quelles sont , selon vous , les principales caractéristiques du savoir-être des éducateurs

à votre égard ?

-Vous arrive t-il d'aborder avec les éducateurs la question de leur savoir-être avec vous ?

(si oui , à quelles occasions? Pouvez-vous apportez des exemples? Est-ce que cela vous a

paru contribuer à l'amélioration de la relation ? Avez-vous pu aborder cette question

sereinement ?)

-Pensez-vous que les éducateurs doivent améliorer sur certains aspects leurs

compétences relationnelles avec les adhérents du club ?

-(Si oui): Lesquels et comment, selon -vous, pourraient-ils s'améliorer ?

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ANNEXE 3 : Guide d'entretien avec les professionnelsExpèrience professionnelle-Age et depuis combien de temps exercez-vous la profession d'éducateur spécialisé ?

-Depuis combien de temps exercez-vous dans ce lieu ?

-Pensiez-vous que vous pouviez travailler avec ce type de public lorsque vous êtes entrés

dans la profession ?

-Aviez-vous, avant de venir travailler ici, une expérience de ce type de handicap ?

-Si réponse négative : Est-ce que ce manque d'expèrience a été difficil à surmonter à

votre arrivée ?

Sur la présentation de leur travail auprès de ce public-Quelle est la particularité de votre travail auprès de ces personnes ? ( représentations ,

objectifs, types d'accompagnement etc...)

-Le travail auprés de personnes handicapées psychiques vous apparaît-il comme

novateur pour la profession d'éducateur spécialisé ? Si oui, en quoi cela vous apparaît-il

comme novateur ?

Que pensent-ils (elles) de leurs compétences relationnelles?-Pouvez-vous nous décrire la nature et la forme des relations que vous entretenez avec

les adhérents du club susceptibles de les aider dans leur objectif de réadaptation ?

(nommer les compétences mis en œuvre)

Sur la régulation des interactions avec les adhérents-Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans la relation avec les

adhérents et comment se résolvent-elles au quotidien ?

Sur les références théoriques et la formation initiale-Sur quelles références théoriques vous appuyez-vous pour analyser et comprendre ce

qui se joue dans vos relations avec les adhérents ?

-Votre formation d'éducateur spécialisé vous a-t-elle suffisamment préparé à exercer

votre profession auprès de ce public ?

-Selon-vous, quels sont les thémes qu'il serait souhaitable d'aborder ou d'approfondir

enformation initiale pour travailler auprés de ce public ?

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BIBLIOGRAPHIE

et

SITOGRAPHIE

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Articles

-«Dialogue et soin», Walter Hesbeen, 3°Congrés mondial des infirmières et infirmiers

francophones, Conférence d'introduction.

- «Empowerment et psychologie communautaire: aperçu historique et perspective d'avenir»,

Y.D.Le Bossé et M.Lavallée, cahiers internationaux de psychologie sociale, n°18, 1993.

- «L'éthique de la sollicitude», Patricia Paperman,Sandra Laugier, sur le site de la revue

Sciences Humaines : http://www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_article=15029

(consulté le 6 février 2009)

-«Le soucis des autres. Ethique et politique du care.», Patricia Paperman, Sandra Laugier, sur

le site des archives de sciences sociales des religions : http://assr.revues.org/index4012.html

(consulté le 6 février 2009)

- «Prendre soin à l'hôpital, inscrire le soin infirmier dans une perspective soignante», Walter

Hesbeen, Interédiction Masson, 1997, P.37

Etudes et Rapports

-«Evolution des métiers en santé mentale : recommandations relatives aux modalités de prise

en charge de la souffrance psychique jusqu'au trouble mental caractérisé.»Rapport DGS/avril

2002.

www.sante.gouv.fr

-«Souffrance ou troubles psychiques : rôle et place du travailleur social.», Direction générale

de la santé, Ministére de la Santé et des Solidarités, Octobre 2005.

www.sante.gouv.fr

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Ouvrages

-Azaïs Franck, Granger Bernard, Debray Quentin, Psychopathologie de l'adulte, Edition

Masson, 3° édition, Paris 2005.

-Baptiste René, Reconnaître le handicap psychique, développer et améliorer la réinsertion

sociale et professionnelle, Edition de la Chronique Sociale, Collection l'essentiel, Lyon Mai

2005.

-Bellier Sandra, Savoir être dans l'entreprise : utilité en gestion des ressources humaines,

Edition Vuibert, Paris 1998

-Bergeret Jean, Psychologie pathologique, Ed Masson, 3ème Ed, Paris 1979.

-Berne Eric, Analyse transactionnelle et psychothérapie, Petite Bibliothèque Payot, 1977, p32.

-Blankenburg Wolfgang, La perte de l'évidence naturelle, Edition puf, Paris, Mai 1991.

-Breuer Joseph, Freud Sigmund, Etudes sur l'hystérie, Ed Puf, Paris.

-Brichaux Jean, L'éducateur spécialisé en question(s), la professionnalisation de l'activité

socio-éducative, Edition Eres, Paris 2005.

-Bueltzingsloewen Isabelle, L'hécatonbe des fous, la famine dans les hôpitaux psychiatriques

français sous l'occupation, Edition Flammarion, Collection Champs histoire, Paris Mars

2009.

-Capul Maurice, Lemay Michel, De l'éducation spécialisée, Edition Eres, Paris 1996.

-Cario Eliane, Le malade mentale à l'épreuve de son retour dans la société, Edition

L'Harmattan, Collection Travail du Social, 1997.

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-Chapuis Raymond, La psychologie des relations humaines, Que sais-je ? Edition puf, 8°

édition, Septembre 2008.

-Ciardi Michel, Jacquart Alain, Massé Gérard, Histoire illustré de la psychiatrie, Edition

Dunod, Paris 1987.

-Demailly Lise, Politique de la relation, approche sociologique des métiers et activités

professionnelles relationnelles, Edition Presse Universitaire du Septentrion, Paris 2008.

-Foucault Michel, Histoire de la folie à l'âge classique, Edition Gallimard, Paris 1972.

-Foucault Michel, Maladie Mentale et psychologie, Edition puf, 4° édition «Quadrige», Paris

Juin 2005.

-Foucaul Michel, Philosophie, anthologie, Edition Gallimard, Collection Folio essais, Paris

2004.

-Gros Frédéric, Foucault et la folie, Edition puf, Collection Philosophie, 1° édition, Paris,

Novembre 1997.

-Heers Jacques, Fêtes des fous et carnavals, Edition Fayard, Collection Pluriel, Paris 1983.

-Heilly d' Hugues, Sorriaux Jean-Philippe, De l'insertion à l'autonomie, quelle réalité pour les

malades mentaux ? Edition Eres, Collection Pratiques du champ social, Ramonville Saint-

Agne 1995.

-Jaeger Marcel, L'articulation du sanitaire et du social, travail social et psychiatrie, Edition

Dunod, Paris 2000.

-Jeanson Francis (sous la direction de), Quelle formation pour quelle psychiatrie ? Edition

Eres, Ramonville Saint-Agne, 2004.

-Marc Edmond, Picard Dominique, Relations et communications interpersonnelles, Edition

Dunod, 2° édition, Paris 2008.

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-Ménéchal Jean, Introduction à la psychopathologie, Ed Dunod, Collection Les Topos,

juillet2006

-Michel Grégory, Purper-Ouakil, Personnalité et développement, du normal au pathologique,

Edition Dunod, Paris 2006.

-Monod Jean-Claude, Foucault, la police des conduites, Edition Michalon, Collection Le bien

commun, Paris 1997.

-Morel Pierre, Quétel Claude, Les mèdecines de la folie, Edition Hachette, Collection Pluriel,

Paris Septembre 1985.

-Minard Michel (sous la direction de), Exclusion et psychiatrie, Edition Eres, Ramonville

Saint-Agne, 1999.

-Pinel Philippe, Traité médico-psychologique de l'aliénation mentale, Ed. L'Harmattan,

(réédition) février 2006.

-Ricoeur Paul, Parcours de la Reconnaissance, Edition Gallimard, Collection Folio Essais,

Septembre 2005.

-Ricoeur Paul, Soi-même comme un autre, Edition Seuil, Collection Points Essais, Septembre

1996.

-Rouzel Joseph, Le transfert dans la relation éducative, psychanalyse et travail social, Edition

Dunod, Collection Action Sociale, Paris 2002.

-Sarfaty Jacques, Zribi Gérard (sous la direction de), Handicapés mentaux et psychiques, vers

de nouveaux droits, Edition de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, Rennes, 2008.

-Vidal-Naquet Pierre, Troubles psychiques et insertion professionnelle, Enquête auprès du

réseau Galaxie, Mai 2003.

-Winnicott Donald, Jeu et réalité, l'espace potentiel, Edition Folio Gallimard, 2004.112

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Revues

-«Le caring est-il prendre soin ?», Walter Hesbeen, Revue Perspective soignante, Edition Seli

Arslan, Paris 1999, n°4.

-«Où en est la psychiatrie ?», Sciences Humaines, n°147, Mars 2004.

-«Psychiatrie et travail social, les premiers pas d'une coopération ?», Lien Social, n° 549, 26

octobre 2000.

-«Soigner,réhabiliter», Pluriels, La lettre de la Mission Nationale d'Appui en Santé Mentale,

n°54/55, Décembre 2005, Janvier 2006.

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Sitographie

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- www.ch-charcot56.fr/textes/c150360.htm ( consulté le 01/02/2008)

- www.ch-perrens.fr

-www.institutlasource.fr (consulté le 8 octobre 2008).

-www.ladocumentationfrançaise.fr (consulté le 10 novembre 2008)

-www.mnasm.com (consulté le 6 janvier 2007).

-www.psydoc-france.fr/professi/rapports/Metiers.(consu lté le 24/09/2007).

-www.psydoc-fr.broca.inserm.fr/bibliothq/revues/pluiriels/PLU18/plu18.html ( consulté le

24/09/2007).

-www.serpsy.org/reseau/Houver_interview.html (consulté le 1 mars 2007).

-http://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/UVLibre/0001/bin43/renaiss.htm (consulté le 25 mars 2009)

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