urbain bizot - commentaires sur marx est-il devenu muet

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Urbain Bizot Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 1 Commentaires d’Urbain Bizot sur Marx est-il devenu muet ? Face à la mondialisation de Moishe Postone (trad. Olivier Galtier et Luc Mercier, éd. L’Aube, 2003). Moishe Postone n'est pas un auteur qui se fait remarquer par l'abondance de ses publications. Son seul véritable livre est Time, labor and social domination, publié par Cambridge University Press en 1993 [traduit en français sous le titre Temps, travail et domination sociale, Mille et une nuits, 2009]. Postone apparaît du même coup comme l'antithèse des nombreux polygraphes qui se sont fixé comme objectif d'alourdir inutilement le poids des étagères, comme les Sollers, les Lévy et les Vaneigem qui cherchent (et qui parviennent) à occuper le terrain par une véritable stratégie d'acharnement. Bien qu'à cheval sur deux pays, les Etats-Unis et l'Allemagne, Postone est moins cité en France que Chomsky, Habermas ou Sloterdijk, qui représentent ces pays pour le lettré français ; et on peut penser qu'il n'a en effet rien en commun avec de tels « intellectuels », et donc que cette situation va perdurer. Ceux en Europe qui l'ont découvert sont jusqu'ici peu nombreux : la revue française Temps Critiques (en 1990) ; le groupe allemand Krisis (en 1998) ; et un éditeur français marginal, L'Aube, avec la traduction dont il est ici question, intitulée Marx est-il devenu muet ? Face à la mondialisation. Ce titre, d'une insigne stupidité (on a peine à croire qu'il émane de l'auteur lui-même), nuira sans doute à la propagation de l'ouvrage, et c'est regrettable. Il est vrai que le cœur du livre est constitué par un article consacré à quelque chose d'insignifiant, puisqu'il est question de critiquer Derrida. Mais ces efforts de réflexion à propos d'une cause qui ne le mérite pas (et qui, par voie de conséquence, restent de loin la partie la plus faible du livre) sont encadrés par Quelle valeur a le travail ?, une étude de qualité sur le mouvement de la valeur à travers ses manifestations les plus récentes, et par Antisémitisme et national- socialisme, une interprétation à la fois perspicace et audacieuse de la furie nazie antijuive. Cela faisait très longtemps qu'on n'avait pu lire des pages aussi intelligentes, surtout sous la plume d'un universitaire. Postone restera déjà, sous cet angle, comme quelqu'un sur qui la médiocrité universitaire contemporaine a jusqu'ici glissé sans laisser de traces : et pour ne pas se laisser détourner, en pareil environnement, d'une réflexion effectivement radicale, il faut sans aucun doute disposer d'un véritable et solide talent personnel. Cette avalanche inhabituelle de compliments ne nous empêchera pas, le lecteur le constatera, de manifester quelques réserves, pas toujours anecdotiques, au fîl des commentaires qui vont suivre. De manière générale, il nous semble que les rappels faits par Postone relativement à la critique marxienne de l'économie politique se montrent appréciables à une époque comme la nôtre, qui a très largement perdu de vue la profondeur réelle de telles analyses, mais il nous semble aussi que le progrès est faible, voire inexistant, si l'on compare Postone aux écrits d'époques plus anciennes. C'est d'ailleurs là un premier reproche, sérieux, auquel l'on peut et l'on doit exposer les écrits de Postone : ils passent systématiquement sous silence l'ensemble de la dissidence « marxiste », qui n'était nullement assimilable au marxisme de bois dont Postone se démarque avec une facilité qu'on imagine. On ne peut éviter d'ajouter que son silence à ce sujet ne s'explique certainement pas par de l'ignoranceAutre aspect réellement préoccupant : même si tout ce qu'écrit Postone s'inscrit en faux contre la platitude antimondialiste, son rapport à la gauche politique ne semble pas vraiment clair. De cette gauche, dont un théoricien de son niveau ne devrait même pas évoquer l'existence (parce que cette existence relève de l'illusion la plus absolue, et qu'elle se situe donc désormais et pour toujours en dessous de toute critique), Postone écrit successivement que les récents développement historiques « représentent de sérieux défis à la gauche » (p. 21), ou encore que « sans une analyse du capitalisme capable d'aborder une crise structurelle qui affecte la vie de la plupart des habitants de la planète, quoique avec des

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Page 1: Urbain Bizot - Commentaires Sur Marx Est-il Devenu Muet

Urbain Bizot – Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 1

Commentaires d’Urbain Bizot sur Marx est-il devenu muet ? Face à la mondialisation de

Moishe Postone (trad. Olivier Galtier et Luc Mercier, éd. L’Aube, 2003).

Moishe Postone n'est pas un auteur qui se fait remarquer par l'abondance de ses

publications. Son seul véritable livre est Time, labor and social domination, publié par

Cambridge University Press en 1993 [traduit en français sous le titre Temps, travail et

domination sociale, Mille et une nuits, 2009]. Postone apparaît du même coup comme

l'antithèse des nombreux polygraphes qui se sont fixé comme objectif d'alourdir inutilement le

poids des étagères, comme les Sollers, les Lévy et les Vaneigem qui cherchent (et qui

parviennent) à occuper le terrain par une véritable stratégie d'acharnement.

Bien qu'à cheval sur deux pays, les Etats-Unis et l'Allemagne, Postone est moins cité

en France que Chomsky, Habermas ou Sloterdijk, qui représentent ces pays pour le lettré

français ; et on peut penser qu'il n'a en effet rien en commun avec de tels « intellectuels », et

donc que cette situation va perdurer.

Ceux en Europe qui l'ont découvert sont jusqu'ici peu nombreux : la revue française

Temps Critiques (en 1990) ; le groupe allemand Krisis (en 1998) ; et un éditeur français

marginal, L'Aube, avec la traduction dont il est ici question, intitulée Marx est-il devenu muet

? Face à la mondialisation. Ce titre, d'une insigne stupidité (on a peine à croire qu'il émane de

l'auteur lui-même), nuira sans doute à la propagation de l'ouvrage, et c'est regrettable. Il est

vrai que le cœur du livre est constitué par un article consacré à quelque chose d'insignifiant,

puisqu'il est question de critiquer Derrida. Mais ces efforts de réflexion à propos d'une cause

qui ne le mérite pas (et qui, par voie de conséquence, restent de loin la partie la plus faible du

livre) sont encadrés par Quelle valeur a le travail ?, une étude de qualité sur le mouvement de

la valeur à travers ses manifestations les plus récentes, et par Antisémitisme et national-

socialisme, une interprétation à la fois perspicace et audacieuse de la furie nazie antijuive.

Cela faisait très longtemps qu'on n'avait pu lire des pages aussi intelligentes, surtout sous la

plume d'un universitaire. Postone restera déjà, sous cet angle, comme quelqu'un sur qui la

médiocrité universitaire contemporaine a jusqu'ici glissé sans laisser de traces : et pour ne pas

se laisser détourner, en pareil environnement, d'une réflexion effectivement radicale, il faut

sans aucun doute disposer d'un véritable et solide talent personnel.

Cette avalanche inhabituelle de compliments ne nous empêchera pas, le lecteur le

constatera, de manifester quelques réserves, pas toujours anecdotiques, au fîl des

commentaires qui vont suivre. De manière générale, il nous semble que les rappels faits par

Postone relativement à la critique marxienne de l'économie politique se montrent appréciables

à une époque comme la nôtre, qui a très largement perdu de vue la profondeur réelle de telles

analyses, mais il nous semble aussi que le progrès est faible, voire inexistant, si l'on compare

Postone aux écrits d'époques plus anciennes. C'est d'ailleurs là un premier reproche, sérieux,

auquel l'on peut et l'on doit exposer les écrits de Postone : ils passent systématiquement sous

silence l'ensemble de la dissidence « marxiste », qui n'était nullement assimilable au

marxisme de bois dont Postone se démarque avec une facilité qu'on imagine. On ne peut

éviter d'ajouter que son silence à ce sujet ne s'explique certainement pas par de l'ignorance…

Autre aspect réellement préoccupant : même si tout ce qu'écrit Postone s'inscrit en

faux contre la platitude antimondialiste, son rapport à la gauche politique ne semble pas

vraiment clair. De cette gauche, dont un théoricien de son niveau ne devrait même pas

évoquer l'existence (parce que cette existence relève de l'illusion la plus absolue, et qu'elle se

situe donc désormais et pour toujours en dessous de toute critique), Postone écrit

successivement que les récents développement historiques « représentent de sérieux défis à la

gauche » (p. 21), ou encore que « sans une analyse du capitalisme capable d'aborder une crise

structurelle qui affecte la vie de la plupart des habitants de la planète, quoique avec des

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différences, la gauche aura complètement abandonné le champ politique à la droite » (p. 38).

De tels écarts de niveau, aussi compromettants, sont-ils imputables au séjour prolongé de

Postone à l'Institut fondé à Francfort par Adorno et Horkheimer, puis géré par le nain

intellectuel Habermas (qui se prend pour l'hilarant mentor d'une risible social-démocratie

allemande contemporaine) ? Quand « la gauche » a rejeté depuis plusieurs décennies un

marxisme dont même la version traditionnelle suffirait à l'embarrasser, et quand elle a ainsi

rejoint son concept de figurant sur la scène « politique », que faut-il penser d'un théoricien qui

s'interroge encore à son sujet ?

Postone introduit son propos en se démarquant de quelque chose qui n'est plus une

référence pour personne, tantôt pour de bonnes, tantôt pour de mauvaises raisons : le «

marxisme traditionnel ». Celui-ci était passé de vie à trépas avec la naissance du capitalisme

d'Etat en Russie puis en Chine, mort écartelé entre l'impossibilité de justifier la dictature

bureaucratique, et l'incapacité de la comprendre et de la dénoncer. Parmi les esprits honnêtes

et lucides, les diatribes du début du XX° siècle sur l'identité réelle de la classe bureaucratique

avaient vite fait place à un jugement sans appel sur la nature même de la société faussement

dénommée « soviétique ». Il allait de soi que l'idéologie du capitalisme d'Etat et liée à sa

défense ne pouvait en aucun cas critiquer le capitalisme en général, et que sa dégénérescence

théorique devait donc avancer à grands pas. Promesse amplement tenue. En réaction contre

des lendemains qui déchantaient à ce point, et contre une supercherie aussi sanglante, les

émeutes et les insurrections s'étaient succédées depuis le début même de l'ère « soviétique »

(anti-soviétique serait infiniment plus proche de la vérité) tandis que, parallèlement, les

mouvements dissidents dans la théorie se multipliaient (des émeutes anarchistes de Kronstadt

et de Makhno aux théories conseillistes de Socialisme ou Barbarie). Et on voudrait à présent,

sur la base d'un black out sur tout cela, nous mettre en scène un « renouveau théorique »

inédit (« reconceptualiser le noyau du capitalisme », p. 24), comme si se démarquer de nos

jours de l'archaïque épave « marxiste » suffisait pour mettre à flot une embarcation pimpante

et navigable ? Le capharnaüm contemporain a certes pour coutume de se nourrir d'idées

anciennes, recyclées en fausses découvertes, mais le sérieux d'un théoricien, surtout se

réclamant de Marx, en prend un coup si on le surprend la main dans ce genre de sac ; et

prendre le contre-pied d'une vieillerie comme le « marxisme traditionnel » ne vaut pas

toujours mieux que de simplement le remettre en circulation : la négation d'une vieillerie n'est

souvent qu'une forme vieillie de négation. Ce n'est donc pas ce cadre général du projet de

Postone qui nous impressionnera favorablement.

L'une des thèses centrales de Postone est la suivante : préférer le Marx de la maturité

au jeune Marx, encore empreint de philosophie de l'histoire hégélienne et d'anthropologie

feuerbachienne, et borner les concepts du Marx de la maturité à l'époque capitaliste décrite.

On peut se demander si ce choix se distingue autant de la coupure épistémologique du

stalinien Althusser que Postone le pense, mais le but visé, de façon constatable, diffère

nettement du scientisme althussérien : il s'agit en effet d'appliquer en profondeur la critique

marxienne du capitalisme, c.a.d., notamment, de comprendre le travail comme une catégorie

indissolublement liée à la marchandise, et devant être supprimé avec elle. Cette priorité aux

concepts développés dans Le Capital plutôt que dans les Manuscrits de 1844, dont le principe

ne convainc pas mais dont le résultat s'avère louable, se double d'une opération de «

désontologisation », qui en est l’objectif profond : ramener les concepts à leur dimension

historique, inhérente à la société moderne, les ramener du concept philosophique « éternel » à

la catégorie descriptive historiquement déterminée. Une telle entreprise, qui sonne

évidemment de façon très marxienne, comporte des aspects contradictoires, sur lesquels il

importe de s'arrêter quelque peu.

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Urbain Bizot – Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 3

Postone s'en prend très clairement à toute la tradition marxiste qui faisait du travail une

catégorie éternelle, une sorte de donnée naturelle inhérente à l'existence humaine, et qui

prenait appui sur des textes du jeune Marx où effectivement certains passages se prêtaient à

cette interprétation. Postone, pour le moins, a donc raison de s'opposer à cela. Dans ce

contexte, la prétention « ontologique » ne servait qu'à pérenniser artificiellement une donnée

historique particulière (le capital comme accumulation de travail, le travail à la base du

capital). La transformation de la pensée de Marx en Weltanschauung (en « matérialisme

historique ») permettait aux maîtres du Kremlin de faire perdurer dans leur intérêt la réalité du

travail, celle des travailleurs, et celle de leur exploitation par la classe bureaucratique. Mais,

par ailleurs, la notion de travail telle que le jeune Marx l'utilisait était-elle effectivement

réductible à son usage stalinien ? Quand Marx critiquait dans les Manuscrits de 1844 le «

travail aliéné », cela supposait qu'il existait, au moins potentiellement, un travail non aliéné ;

que celui-ci n'existait plus sous la dictature du capital et de la marchandise, mais qu'il avait

existé avant, ou qu'il pourrait exister après. Est-ce à dire que Marx avait préparé le terrain à la

perpétuation par une société « socialiste » de la logique industrielle développée par le capital ?

Certainement pas. Il nous paraît au contraire établi, contrairement aux limites posées par

Postone, qu'aucune grande pensée ne s'est développée sans poursuivre le projet ambitieux de

comprendre le particulier à partir du général, et donc sans situer une époque transitoire dans

une trajectoire historique plus lointaine. Le piège de la Weltanschauung est alors toujours

proche. Bataille fut un de ces exemples où des données historiques (don et potlatch) se

transmuent sans coup férir en principe ontologique (la dépense). Chez le jeune Marx, la

volonté existe de baser le travail de l'ère capitaliste, qu'il n'a évidemment aucune intention

d'entériner tel quel, sur un processus plus général, sur un métabolisme actif du vivant qui

serait aliéné par l'organisation de la production en fonction de la valeur. Faut-il craindre de

rappeler cela ? Y a-t-il une raison d'en rougir ? Ce qui éloigne les théoriciens d'un constat

finalement aussi basique semble davantage tenir à leur enfermement dans des camps

conceptuels retranchés qu'à la réalité vivante du sujet (et Bataille, pour revenir à lui, fut

quelqu'un d'extraordinairement conscient du caractère néfaste de pareils cloisonnements et des

limites d'un rationalisme oublieux de l'ouverture du vivant). On sait aussi que Marx était un

grand admirateur de Shakespeare : cela tenait sans doute en partie à l'extraordinaire sûreté

instinctive avec laquelle Shakespeare était en mesure de développer des caractères concrets et

vivants, c.a.d. condensant de façon harmonieuse des déterminations sociales et personnelles,

mais aussi à sa capacité de mettre en scène une force libidinale caractéristique de certaines

époques seulement (il suffit de lire les portraits retracés par Burckhardt dans son ouvrage La

culture de la Renaissance pour mesurer de quelles merveilles le caractère insatiable, si décrié

de tous temps par les parangons de la vertu limitative, peut accoucher). Le caractère affirmatif

de Marx en matière de forces productives collectives et d'énergie vitale individuelle ne fait

aucun doute et doit être proclamé haut et fort, tant ceux qui le mentionnent ne le font

généralement que pour formuler des reproches plus ou moins indirects et alambiqués (Marx

aurait été dupe de l'enthousiasme industriel de son temps, contaminé par les entrepreneurs

ivres de profit, acceptés par lui comme relevant d'une phase ascendante de la bourgeoisie, et,

pourquoi pas, tant qu'on y est : n'aurait-il pas aussi été complice de l'impérialisme montant?).

Il n'y a en revanche pas lieu de douter que le point de vue de Marx, à cet égard, était ce que

Nietzsche tentera de définir plus tard comme le point de vue de la santé, par opposition à la

perspective du malade, point de vue que Bataille reprendra ensuite comme dépense, ou

principe solaire. Par rapport à cette affirmation des forces vitales et de leur nécessaire activité

atéléologique, présente dans tout le monde vivant, un caractère cumulatif fait donc son

apparition avec l'animal qui produit son propre monde, ses propres conditions de vie : avec

l'homme, encouragé à l'action du fait de ses résultats pratiques et, plus encore, de la

reconnaissance (confirmation) de soi qui en résulte (de la création de son identité, qui n'existe

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Urbain Bizot – Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 4

pas a priori mais seulement a posteriori). Hegel a très bien résumé cela : « à ce dont un esprit

se satisfait, on peut reconnaître l'étendue de sa perte ». Si tout cela est vrai, il existe donc

effectivement une substance vivante aliénée par le travail (ou, exprimé autrement, une forme

de « travail » qui n'est plus du travail aliéné parce que ce « travail » ne serait plus séparé du

capital 1), qu'il faut sans doute appeler d'un autre terme (« force de travail », ou encore « force

vitale » ; mais le sens en est, comme Marx écrivait dans Travail salarié et capital, que « le

travail est l'activité vitale du travailleur, l'extériorisation de sa vie ; et cette activité vitale, il la

vend à un tiers pour s'assurer des moyens nécessaires à sa vie » MEW 6, p. 400). En tout cas,

les théoriciens de l'époque bourgeoise ont recours au « travail du négatif » (Hegel) ou du «

travail du deuil » (Freud), et nous, qui détestons le travail et son monde, ne voyons rien de

troublant à cela à condition qu'on sache lire les yeux ouverts. Pour se méprendre, il faut en

effet être doté d'une complicité non négligeable de ses cinq sens avec l'abrutissement

contemporain : la question n'est évidemment pas simplement terminologique, car l'abolition

du travail, dans les termes remarquablement adéquats des Manuscrits de 1844 (abolition d'une

activité où le travailleur se nie lui-même), est aussi la libération d'activités, qui stagnent chez

tous et dont la stagnation (la stase) ébranle durablement la santé mentale de toute une époque.

La supériorité que Postone attribue aux catégories du Capital nous paraît donc beaucoup plus

relative et plus ambiguë que ce qu'il écrit (« l'analyse de Marx rend implicitement superflues

les conceptions évolutionnistes de l'histoire, car elle montre que toute théorie qui pose une

logique, en tant que telle, de développement intrinsèque à l'histoire (que cette logique soit

dialectique ou évolutionniste) projette sur l'histoire en général ce qui ne concerne que le

capitalisme », p. 35) ; or, Marx s'est vu contraint de franchir le passage qui sépare la

spéculation philosophique de l'analyse concrète des formes historiques dans lesquelles

l'universel se présente, mais on ne peut pas supposer un instant qu'un esprit comme le sien

aurait identifié l'un à l'autre – opération simpliste rigoureusement impossible pour tout

dialecticien (on sait par sa correspondance quel rapport ambivalent Marx entretenait avec son

sujet « économique », à la fois convaincu qu'il importait d'analyser concrètement l'évolution

du capitalisme et de réfuter précisément l'économie politique, et simultanément mourant

d'envie de passer à d'autres sujets que cette « science » et cette pratique de misère). Que les

autres sujets, quand ils étaient abordés, ne l'étaient pas par Marx (ni même par Engels) à

travers les lunettes déformantes des catégories marchandes est amplement démontré, par

exemple, par L 'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat (Postone s'en souvient,

mais de façon trop allusive, quand il rappelle à propos de la marchandise que « à certains

1 II n'est pas inutile de rappeler que ce qui caractérise le travail (au sens de travail aliéné) est, à la base, sa

séparation d'avec les moyens de production et d'avec les objectifs de production. Le travail (aliéné) est l'activité

humaine vivante réduite à un facteur de production de plus-value du fait de sa dépossession des conditions de

production. La réappropriation du « capital » (des moyens de production) et de « l'économie » (objectifs de

production) par le « travail » reviendrait à désaliéner le travail, à lui rendre ce que l'organisation capitaliste du

travail lui avait pris, ce qu'elle lui avait opposé, ce à quoi elle l'avait soumis. C'est cela que visait, très

précisément, la critique marxienne : l'émancipation du « travail » (de la force de travail) et, en même temps, la

suppression du travail (aliéné, séparé), son Aufhebung. Le « travail » est ce qui (re)produit, dans des

circonstances aliénées, à la fois la marchandise, le travail et le travailleur. Or, dans une perspective économique

(c.a.d. pour une conscience aliénée), le travail ne produit que des marchandises (et encore, il ne le fait

qu'embrigadé par le capital quand celui-ci le juge productif, créateur de plus-value). Mais le fait que le travail

produise le travailleur et se produise lui-même, comme Marx le rappelait dans les Manuscrits de 1844, échappe

par définition au point de vue borné de l'économie : cela reste une vérité clandestine. Le caractère réflexif du

travail ne peut resurgir au grand jour qu'une fois que le travail s'est émancipé. Mais une fois émancipé, il n'est

déjà plus la catégorie centrale, obligatoire, de la société, qui se subordonne tout rapport social, il devient alors la

manifestation libre de l'activité de chacun, isolément ou en association, l'instrument dont disposent librement des

individus et des collectivités qui se définissent en-dehors du champ de la valeur et du productivisme. Marx et

Engels l'expriment clairement dans le Manifeste : « Dans la société bourgeoise, le travail vivant n'est qu'un

moyen pour augmenter le travail accumulé. Dans la société communiste, le travail accumulé est un moyen pour

étendre, pour enrichir, pour favoriser le processus de vie des travailleurs » (MEW 4, p. 476).

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Urbain Bizot – Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 5

égards, elle occupe dans l'analyse de la modernité faite par Marx une place identique à celle

de la parenté dans une analyse anthropologique d'une autre forme de société », p. 25).

L'un des mérites indubitables de Postone est de placer la marchandise, la valeur et le

travail au centre du monde critiqué par Marx, catégories devenues inodores et translucides

dans le marxisme traditionnel (mais pas, et Postone n'en pipe mot, dans la critique sociale

dissidente, de Rosa Luxemburg à Guy Debord, qui est en réalité le seul prolongement

authentique de la pensée de Marx). Aucune critique véritable du capital n'est possible sans

être simultanément critique de la marchandise, de la valeur et du travail : et dans ce contexte,

« critique » ne peut signifier qu'exigence de leur abolition. Postone développe en quoi le

travail remplace les rapports sociaux, se substitue à eux, c.a.d. empêche tout rapport social qui

serait autre que lui : « dans une société où la marchandise est la catégorie structurante

fondamentale de la totalité, le travail et ses produits ne sont pas socialement distribués au

moyen des liens, des normes et des rapports non déguisés de pouvoir et de domination

traditionnels – c'est-à-dire des rapports sociaux manifestes – comme c'est le cas dans d'autres

sociétés. Au contraire, c'est le travail lui-même qui remplace ces rapports en servant de moyen

quasi objectif par lequel on acquiert les produits des autres » (p. 26). On peut se demander si

ce rôle central est plus précisément assumé par le travail, par la valeur ou par la marchandise

(différentes facettes d'un même ordre, mais dotées de particularités indéniables), mais ce qu'il

faut retenir dans tous les cas, c'est bien que si la généralisation de la logique capitaliste détruit

radicalement toute autre forme de rapport social, c'est qu'elle détruit en définitive tout rapport

social – car elle-même n'en est pas un (la caractériser comme un mode de rapports sociaux,

comme le faisait Marx et comme le fait encore Postone, nous apparaît comme une

classification outrancière, excusable à l'époque de Marx où l'absence de société propre au

capitalisme était encore peu visible). Elle n'est pas un rapport social, parce qu'elle s'instaure

derrière le dos des individus (et des collectivités), à leur insu, sans qu'ils ne décident de rien et

sans qu'ils aient prise sur rien : on conviendra qu'un rapport social, sans aller jusqu'à

l'hypothèse rousseauiste du « contrat social », traduit nécessairement une volonté des parties,

et la possibilité de réorienter le cours des choses en fonction des objectifs qu'on se fixe ; or

c'est précisément ce qui est impensable tant que domine l'ordre marchand. Dès qu'une volonté

semble s'exprimer, elle relève, intentionnellement ou non, de l'ordre de l'illusion : les rapports

sociaux ont pris la forme de rapports entre les choses, d'abstractions, ne relèvent plus d'une

volonté. La marchandise et l'argent circonviennent toute volonté ; la tyrannie du travail est

celle de la marchandise et de l'argent. Le travail n'est que l'exécuteur des basses œuvres de

l'argent, le bourreau appointé par la marchandise, la forme pratique adoptée par la

marchandise et l'argent pour devenir forces agissantes. Il n'est pas en lui-même l'explication

du reste (ce n'est pas le combustible qui explique la chaudière mais la chaudière qui exige un

combustible, qui réduit le charbon, le gaz, l'électricité à l'état de combustible). Ainsi, à notre

avis Postone va trop loin lorsqu'il écrit : « j'ai affirmé que l'analyse marxienne de la forme-

marchandise et du capital n'est pas une critique faite du point de vue du travail, des objets et

de la production matérielle, compris dans un sens transhistorique. En réalité, c'est la théorie

d'une forme abstraite et historiquement spécifique de médiation sociale – d'une forme de

rapports sociaux unique dans la mesure où elle est médiatisée par le travail » (p. 72). La

théorie de Marx est celle « d'une forme abstraite et historiquement spécifique de médiation

sociale », pour sûr, et c'est bien pour cela qu'elle est aussi une critique faite du point de vue

certes non du travail, mais de la force vitale dont le travail se nourrit. Dans la vision habituelle

des choses, les deux se confondent pour une raison bien simple : c'est qu'il n'existe de nos

jours d'autre forme d'activité que le travail. Mais tant la force vitale que le métabolisme avec

la nature sont indéniablement à comprendre dans un sens « transhistorique », au-delà de cette

confusion sémantique. Seulement, il ne s'agit plus du fétichisme marchand, il ne s'agit plus de

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Urbain Bizot – Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 6

l'accumulation irréfléchie, il ne s'agit plus de « matière sans âme », mais de l'équipement

volontaire et raisonné de vie guidées par d'autres passions. Le matériel n'est maudit que dans

un monde où l'abstraction a su s'équiper.

Il arrive à Postone d'opposer à la valeur ce qui selon lui est son contraire. Cela donne :

« Marx a explicitement distingué valeur et richesse matérielle, et il a lié ces deux formes

distinctes de richesse à la dualité du travail sous le capitalisme. La richesse matérielle est

déterminée par la quantité de biens produite et elle dépend de nombreux facteurs, tels que le

savoir, l'organisation sociale et les conditions naturelles, en plus du travail. La valeur, selon

Marx, n'est constituée que par la dépense de temps de travail humain et elle est la forme

dominante de richesse sous le capitalisme. Alors que la richesse matérielle (quand elle est la

forme dominante de richesse) est médiatisée par des rapports sociaux non déguisés, la valeur

est une forme automédiatisante de richesse » (p. 28-29). S'il est vrai, en effet, que la logique

du capital ne vise pas la richesse matérielle en soi (illusion que ne partagent que les visions les

plus superficielles et les plus journalistiques de notre temps), il paraît un peu court de lui

opposer celle-ci. Ce matérialisme primaire perd de vue que l'accumulation de biens matériels

ne peut exister que dépendant d'une accumulation de valeur : le ressort de l'accumulation

relève forcément plus de la quête fantomatique et obsessionnelle abstraite que d'un

engorgement sensoriel peu viable (selon les époques, par exemple à l'époque des grands

empires de l'Antiquité, l'entassement de biens correspond à des formes primitives de valeur, et

à la puissance absolue du monarque qui se laissait hypnotiser par elles). Critiquer la valeur en

lui opposant la pure richesse matérielle n'est pas vraiment la critiquer : à un principe

dominant, il faut en opposer un autre, et la richesse matérielle n'en est jamais un. Le principe

dominant qui s'oppose à la valeur, c.a.d. à la domination des hommes par une logique

abstraite, est une logique concrète, et la seule logique concrète qu'on puisse concevoir est que

la « richesse » ou la « pauvreté » matérielles ne jouent plus d'autre rôle que de se plier, en tant

que moyens, à des projets qualitatifs dans la biographie des individus et des collectivités, dont

l'objectif se situe ailleurs (jeu, dépense, expérimentation de soi, stratégie). De la sorte, on ne

confondrait plus au sein d'une catégorie syncrétique telle que les « rapports sociaux non

déguisés » (Postone) des formes archaïques de despotisme et la vie émancipée de sociétés

affinitaires.

Dans sa volonté de se démarquer du marxisme, Postone construit en contrepoint serré

des thèmes qui n'entretiennent pas entre eux des rapports de nécessité. Ainsi, quand il écrit

que la domination sociale du capitalisme, « c'est la domination des individus par le temps »

mais en ajoutant, comme si cela découlait d'un tel constat, que « la forme abstraite de

domination analysée par Marx dans Le Capital ne peut donc pas être comprise de manière

adéquate en termes de domination concrète de groupes sociaux ou d'organismes

institutionnels de l'Etat et/ou de l'économie » (p. 30). En bref, la domination par le temps

élimine celle par la classe bourgeoise, comme s'il s'agissait là d'une rivalité : « une sorte de

système objectif » aurait remplacé la volonté des exploiteurs. C'est là une sorte de plus petit

dénominateur commun des théories contemporaines, une figure de « destin » qui redevient

crédible chaque fois que les luttes de classe ne lui opposent pas un démenti pratique en levant

les lièvres capitalistes cachés dans le champ de la « nécessité objective ». Cet épouvantail

caractéristique des accalmies nous proclame : « le temps s'en prend à nous ! », à l'instar d'une

allégorie de Dürer où la mort se saisit de la jeune fille. Dès lors, il ne semble plus possible de

comprendre que tout le pari de la bourgeoisie, pour la première fois dans l'histoire, a été de

domestiquer le temps, de partager sa couche, de se servir de lui pour dominer le reste de

l'humanité, c.a.d. de retourner contre les vivants l'une des dimensions dans lesquelles ils

existent. Certains ont compris jadis qu'aucune domination ne pourrait jamais être plus solide

et plus inébranlable que celle qui parviendrait à interposer, à son service, le temps entre elle et

ses victimes. Toute l'histoire de l'accumulation primitive est le portrait de pauvres hères, ne

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Urbain Bizot – Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 7

possédant rien mais disposant du temps, avant de se faire progressivement imposer le joug de

la temporalité mécanique, de la même façon que l'Eglise de la fin du Moyen Age s'était déjà

subordonné les moinillons en leur imposant le temps de l'horloger à l'intérieur des prisons

monacales (la première horloge mue par un poids date de 1283, et a été retrouvée au Prieuré

de Dunstable dans le Bedforshire ; elle y servait à rythmer la journée et à minuter la

succession de prières et de travaux). Plaute, déjà, savait que « les Dieux devraient maudire

l'homme qui le premier apprit à distinguer les heures, maudire aussi celui qui sur place réalisa

la première horloge solaire, laquelle permet de couper et d'affreusement broyer mes jours en

petits lambeaux ». Nous serions tentés de baptiser cela un « paradoxe postonien » : quand la

volonté de demeurer dans un environnement historique concret, sans généralité ni abstraction

abusives, débouche sur la réintroduction, dans ce contexte, d'une abstraction particulièrement

incongrue (le temps devenu marteau sans maître), du fait d'ignorer le point de vue de l'action

pratique (indéniable proximité avec feu le structuralisme).

Dans le même fil, les traducteurs notent à leur tour que « le matériel n'est que le

support de l'immatériel, le concret n'est que le support de la domination de l'abstrait » et

concluent en ajoutant que « la lutte contre le capitalisme est donc une lutte entre les hommes

et la valeur, et non entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre le travail et le capital » (p. 6-7).

Autant la première idée, largement exprimée et développée par Marx, ne présente rien que

l'on puisse mettre en doute, autant la seconde en constitue, selon nous, une déduction

passablement dévoyée et unilatérale. Cette déduction pose la délicate question de l'abstraction

réelle, notion introduite par Marx pour faire face au paradoxe d'intérêts réels promouvant et

structurant une forme et des rapports de production (et, de proche en proche, un mode de vie

sociale) prenant leur indépendance et dictant finalement leur propre loi, au besoin de façon

impitoyable, à ses « créateurs », à la classe qui en détient le « droit de jouissance ». On sait

que le détournement de termes métaphysiques ou religieux paraissait à Marx susceptible

d'exprimer ce paradoxe d'une façon convenable, c.a.d. elle-même paradoxale (Lafargue avait

systématisé ce penchant, de façon fort brillante, en écrivant son pamphlet La religion du

capital). Toute la thématique du fétichisme illustre et développe cet aspect central du monde

moderne, qui croit s'être émancipé de la religion (et qui n'oppose donc à la croyance qu'une

autre croyance). La façon dont la marchandise s'impose sans égards rappelle étroitement la

dialectique habituelle du mensonge : une fois qu'on s'y est engagé, celui-ci produit ses

exigences, qui requièrent sans cesse de nouveaux mensonges, au point de déboucher un jour

sur un véritable monde factice. Les dogmes religieux en sont l'exemple le plus abouti dans le

monde des idées. La marchandise comme abstraction réelle risque fort d'en être l'exemple le

plus abouti dans le monde des pratiques réelles. La classe possédante est quant à elle

parfaitement consciente de cette dérive permanente, et c'est bien pourquoi, même quand elle

est provisoirement sortie indemne des rivalités économiques, elle ne peut se contenter de

compter ses profits et de mener une vie de jouisseur contemplatif ; elle ne peut supprimer

l'Etat mais doit au contraire le conserver constamment entre ses mains, pour que la police,

l'armée et le fisc viennent à son secours dès qu'elle en ressent le besoin – c.a.d. dès que le

mouvement de la valeur ne lui est plus intrinsèquement favorable, et que d'autres bourgeoisies

deviennent menaçantes. Pour la bourgeoisie aussi, la logique économique doit sans cesse être

« rectifiée », limitée ou amplifiée, accompagnée ou contrecarrée. En réalité, aucune classe

sociale ne peut se fier à elle : les salariés et les chômeurs, les petits commerçants et les

intermittents du spectacle, les Rmistes et les retraités, les étudiants et les fonctionnaires

publics, aucun d'entre eux ne peut échapper à la formation en économie politique que la

marchandise dispense sur le tas : un jour ou l'autre, et plutôt deux fois qu'une, ils en subissent

les avatars et voient leur situation, déjà peu brillante, se dégrader encore plus ; et les

actionnaires eux-mêmes se voient contraints de se montrer infidèles à leur propre dogme, le

laisser faire, qui ne vise qu'à endormir le grand public. Mais, si la bourgeoisie est elle-même

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Urbain Bizot – Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 8

contrainte d'utiliser d'autres formes d'intervention pratique que la pratique économique, elle

ne peut pour autant, malgré les risques qu'elle court à titre individuel, dénoncer ou rêver

d'abroger le destin qui s'impose à elle : il est la condition de son succès, c'est la nuit qui amène

aussi le jour, c'est le terrain qui la terrorise relativement mais qui terrorise absolument un

prolétariat dont elle a besoin. C'est donc un mal nécessaire (la pensée et la pratique

économiques, c.a.d. non politiques, ne peuvent jamais dépasser cette catégorie, ce mode d'être

bancal reste leur élément indépassable). La lutte entre classes sociales est donc

indissociablement liée, intriquée, avec la lutte entre « les hommes » et « la valeur ». Dissocier

l'une de l'autre relève de l'erreur. Les opposer l'une à l'autre est bien pire encore.

La page 31 mérite, elle, d'être relevée et même citée in extenso, tant elle déroge à la

grande masse des points de vue critique abâtardis de notre époque, en rappelant quelques

utiles banalités de base marxiennes : « D'une part, cette dynamique se caractérise par des

transformations continues de la production et, plus généralement, de la vie sociale. D'autre

part, elle entraîne la reconstitution permanente de ce qui la fonde en tant que caractéristique

immuable de la vie sociale – c'est-à-dire que, finalement, la médiation sociale est réalisée par

le travail et que donc, quel que soit le niveau de productivité, le travail vivant reste intégré au

procès de production (considéré en fonction de la société prise comme un tout). La dynamique

historique du capitalisme engendre sans cesse le "nouveau" tout en réengendrant le "même".

Une analyse de ce type permet de comprendre pourquoi le cours du développement capitaliste

n’a pas été linéaire, pourquoi les énormes gains de productivité engendrés par le capitalisme

n'ont conduit ni à des niveaux généraux d'abondance toujours plus élevés ni à une

restructuration fondamentale du travail social entraînant des réductions générales

significatives du temps de travail. Dans ce cadre théorique, l'histoire sous le capitalisme n'est

ni une simple question de progrès (technique ou autre) ni une simple question de régression

ou de déclin. Au contraire, le capitalisme est une société en changement permanent mais qui

reconstitue en permanence l'identité qui la sous-tend. Cette dynamique engendre la possibilité

d'une autre organisation de la vie sociale et cependant entrave la réalisation de cette

possibilité. Cette compréhension de la dynamique complexe du capitalisme permet une

analyse critique, sociale (et non pas technologique), de la trajectoire de croissance et de la

structure de production dans la société moderne ». Bref, pour le formuler à notre façon :

l'intrication entre l'exigence circulaire (d'auto-reproduction) du capital et le déchaînement

d'évolution linéaire est le mode temporel réel de notre époque, et tous ceux qui ne se

souviennent que de l'une ou de l'autre de ses deux moitiés se trompent lourdement. L'unité de

ces deux tendances contraires est déjà contenue dans le mouvement simple de l'échange A-M-

A'. L'argent (A) ne vise que le retour à lui-même. Il est pressé de se débarrasser des oripeaux

profanes de l'objet marchand (M) et de ressusciter comme argent. Mais ce retour (circulaire)

est aussi l'occasion de son accumulation : il sort grandi de sa transsubstantiation (augmenté de

la plus-value : A' = A + ∆ A). La marchandise transforme le monde pour que l'argent retourne

à lui-même, dans des proportions augmentées. Il est à noter, ce qui nous paraît essentiel, que

le détour par la substance marchande n'est que temporaire, et que cette substance est un

élément qui ne mérite pas qu'on s'y installe durablement : le monde réel est perçu par le

mouvement de la valeur comme un mal nécessaire et comme une chrysalide à quitter à

cadences accélérées. C'est la vallée de larmes transitoire face au Paradis éternel de la valeur.

La mort du monde réel est la condition sine qua non de la vie de la valeur, qui s'érige sur le

cadavre de la substance. La vérité de la valeur n'est finalement pas l'accumulation positive de

biens mais la destruction de ces biens, leur consumation. C'est pourquoi Postone a

foncièrement raison de baser sur le caractère contradictoire du mouvement temporel

marchand « que le capitalisme se caractérise par une forme déterminée, aveugle, de

"croissance" qui entraîne la destruction accélérée de l'environnement naturel. Dans le cadre de

cette analyse, le problème de la croissance économique sous le capitalisme n'est pas

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Urbain Bizot – Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 9

seulement que celle-ci soit accablée par les crises, comme l'ont souvent souligné les

approches marxistes traditionnelles. En fait, c'est la forme même de la croissance qui pose

problème » (p. 32), ce à quoi Postone ajoute une maladresse que nous avons déjà commentée

plus haut : « d'après notre approche, la trajectoire de croissance serait différente si le but

ultime de la production était d'augmenter les quantités de biens et non la survaleur ». Ce qui

précède se passe fort heureusement d'une telle conclusion. Mais comment ne pas se réjouir de

lire quelques lignes plus loin ce qui devrait aller de soi dans des esprits moins troublés par une

mauvaise époque : « le procès de production industriel ne devrait pas être compris en tant que

procès technique » (p. 33) ? Ou encore : « la structure actuelle du travail et de l'organisation

de la production ne peut donc pas être comprise seulement en termes technologiques : le

développement de la production sous le capitalisme doit être compris également en termes

sociaux » ? Ou enfin cette phrase qui expose Postone aux foudres des néo-primitivistes : «

l'écart entre l'organisation présente de la vie sociale et la façon dont elle pourrait être

organisée – en particulier, étant donné l'importance croissante de la science et de la

technologie » (p. 36) ?

Après avoir rappelé la conceptualisation du prolétariat par Marx, Postone revient au

monde contemporain et à la situation qu'il estime être celle de ce qui reste du prolétariat : «

cette approche [la sienne] reconceptualise la société post-capitaliste en termes de dépassement

du prolétariat et du travail que le prolétariat effectue – c'est-à-dire en termes de transformation

de la structure générale du travail et du temps. En ce sens, elle diffère de l'idée marxiste

traditionnelle de réalisation du prolétariat et elle diffère aussi du mode capitaliste d'« abolition

» des classes ouvrières nationales par la création d'une sous-classe dans le cadre de la

distribution inégale du travail et du temps nationalement et mondialement » (p. 37). Cette

analyse nous paraît assez largement héritée d'Adorno, qui tenait que le moment de la

révolution avait été « manqué », et que désormais se mettait à pourrir ce qui avait été promis

au dépassement. Pour Postone, de façon nettement moins unilatérale, le capital s'est mis en

devoir de dissoudre un prolétariat qui n'a pas pris en main son autosuppression, mais il semble

considérer cette dernière comme étant toujours d'actualité. C'est là un débat que nous

n'ouvrirons pas ici.

L'ensemble de l'article consacré par Postone au génocide juif commis par les nazis vise

à expliquer celui-ci par la structure même de l'économie ; non pas en tant que traduisant des

intérêts économiques, comme le prétend (faussement) le « marxisme », mais au sens où les

catégories logiques de la marchandise et du capital sont l'inconscient de notre époque, et les

cadres formels dans lesquels tout « se pense ». La Critique du travail marginal [de Jean-

Pierre Baudet], publiée sur ce même site, parvenait à des conclusions similaires (§ 9 à 12, et §

28 à 30), à partir d'un phénomène sans nul doute nettement plus insignifiant (mais dans ce

domaine, la taille n'est pas un critère, au point qu'on pourrait même être tenté de donner plus

d'importance au phénomène le plus restreint, exactement comme Freud l'avait fait dans sa

Psychopathologie de la vie quotidienne). La cohésion logique de la marchandise est un

phénomène incontestable et universellement reconnu (qui fait par exemple dire à Postone, p.

69, que l'on ne peut abolir l'argent sans abolir de façon solidaire la totalité de la logique

marchande, et donc le travail). Mais Postone va plus loin en affirmant à propos du génocide

juif que « ni une explication fonctionnaliste du meurtre de masse ni une théorie de

l'antisémitisme centrée sur la notion de bouc émissaire ne sauraient fournir d'explication

satisfaisante au fait que, pendant les dernières années de la guerre, une importante partie des

chemins de fer fut utilisée pour transporter les juifs vers les chambres à gaz et non pour

soutenir la logistique de l'armée alors que la Wehrmacht était écrasée par l'Armée rouge. Une

fois reconnue la spécificité qualitative de l'anéantissement du judaïsme européen, il devient

évident que toutes les tentatives d'explication qui s'appuient sur les notions de capitalisme, de

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racisme, de bureaucratie, de répression sexuelle ou de personnalité autoritaire demeurent

beaucoup trop générales » (p. 83). Or, la démonstration même qu'apporte ensuite Postone

donne à penser que le problème ne se situe pas seulement entre le spécifique et le général,

mais aussi et surtout dans le fait que ni les intérêts matériels, ni les idéologies manifestes ne

régissent la pensée profonde d'une époque, mais que c'est bien plutôt la logique latente des

concepts économiques. Postone le formule très clairement : « la critique faite par Marx

comprend une dimension épistémologique qui traverse tout Le Capital mais qui n'est

explicitée que dans le cadre de son analyse de la marchandise. L'idée que les catégories

expriment à la fois des rapports sociaux « réifiés » spécifiques et des formes de pensée diffère

essentiellement du principe courant de la tradition marxiste, qui conçoit ces catégories en

termes de « base économique » et la pensée en termes de superstructure, dérivée d'intérêts et

de besoins des classes » (p. 91). Se référant à Lukàcs, à Adorno et à Sohn-Rethel, Postone

rappelle à juste titre que « ce mode d'objectivation des rapports sociaux est leur aliénation.

Les rapports sociaux fondamentaux du capitalisme acquièrent une vie quasi objective qui leur

est propre [...] Les catégories marxiennes expriment à la fois des rapports sociaux particuliers

et des formes de pensée. Le concept de fétiche se réfère à des formes de pensée fondées sur

des perceptions qui restent prisonnières des formes phénoménales des rapports sociaux

capitalistes » (p. 91), ce qui permet en effet d'établir que :

§ les juifs en tant que représentants du capital financier (international) ont permis aux

allemands de projeter sur eux leur désir d'avoir à s'en prendre à un ennemi extérieur,

exterritorialisé, et de ne pas devoir bouleverser leur propre monde et leur propre vie (ni le

capital industriel allemand) pour s'extirper de la misère grandissante de la République de

Weimar ; l'extermination des juifs sauvait la réputation du capital industriel (national), dans la

mesure où « l'organisation du capital industriel paraît alors s'apparenter à celle de la

corporation médiévale – l'ensemble social dans lequel il se trouve est saisi comme unité

organique supérieure : comme communauté (Gemeinschaft), Volk, race » (p. 96) ;

§ les juifs devinrent une sorte de fétiche négatif n'acquérant « une vie quasi objective qui leur

est propre » que pour la perdre aussi le plus vite possible ; leur « vie objective » devenant

ainsi leur mort réelle ;

§ « quand on considère les caractéristiques spécifiques du pouvoir que l'antisémitisme

moderne attribue aux juifs – abstraction, insaisissabilité, universalité et mobilité –, on

remarque qu'il s'agit là des caractéristiques d'une des dimensions des formes sociales que

Marx a analysées : la valeur » (ibidem) ;

§ l'argent fonctionne comme une sorte d'abcès de fixation pour la logique marchande, la

critique de l'argent permettant de sauver la marchandise elle-même, c.a.d. ce qui rend

nécessaire l'existence de l'argent (« la tension dialectique entre valeur et valeur d'usage dans

la forme-marchandise implique que ce "double caractère" s'extériorise matériellement dans la

forme-valeur : en tant qu'argent (forme phénoménale de la valeur) et en tant que marchandise

(forme phénoménale de la valeur d'usage). Bien que la marchandise soit une forme sociale qui

comporte et la valeur et la valeur d'usage, le résultat de cette extériorisation est que la

marchandise apparaît seulement dans sa dimension de valeur d'usage, comme purement

matérielle, comme chose. L'argent apparaît donc comme le seul dépôt de la valeur, comme la

manifestation de l'abstrait pur au lieu de se présenter comme la forme phénoménale de la

dimension-valeur de la marchandise même », p. 92, ou encore : « … l'argent comme racine du

mal. La dimension concrète existante lui est donc opposée de manière positive comme ce qui

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Urbain Bizot – Commentaires sur Marx est-il devenu muet… 11

serait "naturel" ou ontologiquement humain et se situerait prétendument en dehors de la

société capitaliste », p. 93).

La logique marchande exposée par Marx apparaît rigoureusement comme la chaîne

signifiante le long de laquelle migre l'investissement libidinal, pour pasticher le terrain sur

lequel Freud avait mis à jour les mécanismes d'inversion, de condensation et de déplacement

qui permettent au sujet de se situer de façon conforme aux exigences de son désir

(déplacement du problème social vers un problème « racial », condensation de la

problématique marchande sur l'argent et le capital financier). Comme c'est en réalité la totalité

de ce qui est exposé dans la chaîne qui pose problème, on peut constater que la chaîne offre

elle-même les faux remèdes, en « redistribuant les cartes », quand le seul vrai remède serait au

contraire de les abattre, dans tous les sens du terme. Les solutions offertes par la chaîne

logique reviennent toujours à transformer ou à sacrifier une partie d'elle (pour rester dans le

pastiche freudien : en organisant un Fort-Da entre marchandise et argent, entre valeur d'usage

et valeur, pour toujours esquiver la partie mise en cause). C'est par définition ce qui lui permet

de se reconstituer, et de s'adapter pour survivre : elle est un nœud gordien en progrès

permanent, qu'il faut trancher.

On ne peut que se féliciter, en une époque d'« altermondialisme », de lire des lignes

comme celles-ci : « mais le capitalisme se caractérise par des rapports sociaux médiatisés,

objectivés dans des formes catégorielles dont l'argent est l'une des expressions et non la cause.

En d'autres termes, Proudhon a confondu la forme phénoménale du capitalisme – l'argent en

tant qu'objectivation de l'abstrait – avec l'essence du capitalisme » (p. 94). L'ultime refuge du

capitalisme apparaît être le « concret » (concept devenu équivalent de « tangible », y compris

chez Postone), quelle qu'en soit la forme (les racines, le pays, l'objet, la machine, le

travailleur) : « ce qui n'est pas compris, c'est que, dans ce type d' "anticapitalisme" fétichisé,

tant le sang que la machine sont vus comme principes concrets opposés à l'abstrait. L'accent

positif mis sur la "nature", le sang, le sol, le travail concret, la communauté (Gemeinschaft)

s'accorde sans problème avec une glorification de la technologie et du capital industriel » (p.

97). « Or, faire du concret une hypostase, identifier le capital à l'abstrait phénoménal, c'est

affirmer une forme d' "anticapitalisme" qui tente de dépasser l'ordre social existant à partir

d'un point de vue qui, en fait, lui reste immanent [...] L'abstrait et le concret ne sont pas saisis

dans leur unité, comme parties fondatrices d'une antinomie pour laquelle le dépassement

effectif de l'abstrait – de la dimension de la valeur – suppose le dépassement pratique et

historique de l'opposition elle-même, ainsi que celui de chacun de ses termes » (p. 99).

Postone achève son analyse du génocide juif en Allemagne (dont nous n'avons retenu

que les quelques traits qui nous intéressaient plus particulièrement, mais qui comprend bien

d'autres pistes et aperçus) par un verdict audacieux : « L'usine capitaliste est un lieu où est

produite la valeur, production qui, "malheureusement", doit prendre la forme d'une production

de biens, de valeurs d'usage. C'est en tant que support nécessaire de l'abstrait que le concret

est produit. Les camps d'extermination n'étaient pas la version d'horreur d'une telle usine – il

faut y voir au contraire la négation "anticapitaliste", grotesque, aryenne, de celle-ci.

Auschwitz était une usine à "détruire la valeur", c'est-à-dire à détruire les personnifications de

l'abstrait » (p. 105). Il nous semble utile d'ajouter une nuance à cette interprétation par ailleurs

parfaitement cohérente : c'est que cette négation se présentait au moins sous une forme

strictement identique avec ce qu'elle niait. Le triomphe du capital était concrètement visible

d'emblée dans ce qui affectait d'en être une négation. Ce qui veut dire à la fois que personne

de sensé ne pouvait être dupe de ce mensonge, et aussi que la forme industrielle reste en toute

circonstance la réalité phénoménale indépassable du capital.

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Quels que soient donc les mérites et les lacunes du livre de Postone, on peut à tout le

moins considérer qu'il se situe dans la seule perspective qui vaille d'être envisagée, et d'être

voulue. Les recherches et les discussions que nous appelons de nos vœux, pour les années qui

vont suivre, devront nécessairement traiter des questions qu'il soulève, et les faire avancer. Il

y aura en tout cas concouru.

Ajoutons quelques mots à propos de la Présentation faite par les traducteurs.

Une orientation qu'ils donnent nous paraît critiquable : « contrairement à la richesse

matérielle mesurée en termes de quantité et de qualité, la valeur n'est pas une grandeur, c'est

une forme de richesse qui n'existe qu'en tant qu'elle inclut la dépense de temps de travail

humain » (p. 9). Le défaut de raisonnement est le même que celui déjà relevé à plusieurs

reprises ci-dessus : on a tendance à opposer abstraitement entre eux des termes qui sont les

éléments d'une même unité dialectique. Le fait que la forme de richesse capitaliste est basée

sur la dépense de temps de travail humain ne contredit en rien l'expression de la valeur en

terme de grandeur (quantitative) mais au contraire fonde cette expression ; l'expression

quantitative est précisément ce qui à la fois traduit et verrouille l'exploitation de temps de

travail humain. Ce n'est que réduit à un paramètre quantitatif de coût de production que le

travail humain peut être réduit à son abstraction, à une substance exploitable indiscutable en

tant que telle. Par ailleurs, il est faux d'écrire que la richesse matérielle (du côté donc de la

valeur d'usage) est « mesurée en termes de quantité et de qualité » : Marx écrivait précisément

que « comme valeurs d'usage les marchandises présentent avant tout des différences de

qualité, comme valeurs d'échange elles ne peuvent être différentes qu'en termes de quantité,

ne contenant plus un seul atome de valeur d'usage » (Le Capital, Tome I, La marchandise,

MEW 23 p. 52). Dire que la valeur d'usage peut en elle-même être « mesurée en termes de

quantité » est faux. Ecrire qu'elle peut être « mesurée en termes de qualité » est carrément une

absurdité.

En revanche, les traducteurs résument très bien l'une des qualités du livre de Postone

en écrivant que « la méthode qu'il élabore ici peut être utilisée pour analyser de manière

critique tous les anticapitalismes à tendance personnificatrice (ceux-ci ne contribuent jamais à

détruire le capitalisme, ils ne font que participer à sa mutation) » (p. 19). Ceux en effet qui ne

veulent à aucun prix prendre parti dans les luttes intestines du capital, au profit comme au

détriment de ses sous-ensembles (capital privé / capital bureaucratique ; capital industriel /

capital financier ; conglomérat industriel / petite entreprise ; commerce sauvage / commerce «

équitable » ; travail hiérarchique / travail autogéré), en ont bien pris note, et ne l'oublieront

pas. Le critère est assurément solide.

31 octobre 2003

www.geocities.com/nemesisite/postone.htm