vers une didactique des langues minoritaires ? le cas du...
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Université Lumière Lyon 2
École doctorale Lettres, Langues, Linguistique & Arts (ED484)
Faculté des Lettres, Sciences du Langage et Arts
Laboratoire ICAR (Interactions, Corpus, Apprentissages, Représentations)UMR 5191
Vers une didactique des langues minoritaires ?
Le cas du mapudungun au Chili
Alejandra VERGARA LOPEZ
Thèse pour l‟obtention du grade de
Docteure en sciences du langage de l‟Université de Lyon
Sous la direction de Christine DEVELOTTE et Patricia LAMBERT
Soutenance publique le 16 novembre 2015
Composition du jury Michel BERT, Maître de conférences, Université Lumière Lyon 2
Philippe BLANCHET, Professeur, Université de Rennes 2
Christine DEVELOTTE, Professeure, Ecole Normale Supérieure de Lyon/IFé
Joaquim DOLZ, Professeur ordinaire, Université de Genève
Patricia LAMBERT, Maître de conférences HDR, Ecole Normale Supérieure de Lyon/IFé
Soledad PEREZ-LOPEZ, Professeure, Université Nationale Pédagogique du Mexique
Diana-Lee SIMON, Maître de conférences HDR, Université Stendhal Grenoble 3
Cette thèse a été financée par un contrat doctoral du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la
Recherche du gouvernement français et soutenue par une bourse Explora-Doc d’aide à la mobilité
internationale de la Région Rhône-Alpes.
A Benjamin,
à nos fruits, Antoine et Gabriel,
à nos racines, Tucapel, Silvia, Henri et Claude.
Avant-propos et remerciements
i
Avant-propos et remerciements
Cette partie des remerciements qui pourrait, de prime abord, sembler très –
voire trop – développée, ne l‟est pas sans raison.
Elle veut rendre compte de certaines spécificités de ma recherche doctorale
et souligner : démarche collaborative et engagée auprès de personnes, d‟organismes
et de contextes très divers, allers et retours entre la France, le Chili, le Pays basque,
et la Patagonie argentine, confrontations de démarches et d‟expériences.
Ces remerciements se veulent à l‟image d‟un partage d‟enseignements
précieux et d‟un désir de participation active, en quelque sorte pour une cause
commune. Tous ceux que je n‟ai pu citer voudront bien me le pardonner.
En premier lieu, je voudrais dédier une pensée particulière à mes deux
directrices de recherche : tout d‟abord, Christine Develotte, qui a accepté d‟encadrer
ce travail depuis le tout début (encore vacillant), m‟a donné confiance en m‟invitant
à participer à son séminaire, et ainsi à partager des échanges riches et motivants avec
toute l‟équipe des doctorants.
Toute ma reconnaissance à Patricia Lambert, pour toutes les heures
consacrées à codiriger ma recherche, pour ses multiples conseils et sa bienveillance
pour guider mes pas. J‟ai apprécié son suivi minutieux, sa capacité d‟écoute, de
compréhension et d‟encouragement. A elle, encore un grand merci !
Je tiens également à redire toute ma gratitude à Soledad Pérez-López,
magnifique personne, qui a bien voulu participer à mon jury de thèse. Je tiens à dire
combien j‟ai apprécié ses qualités humaines et ses conseils éclairés lors de
chaleureuses discussions pendant son séjour en France. De même, je suis
particulièrement reconnaissante à Philippe Blanchet, Joaquim Dolz et Diana-Lee
Simon pour l‟intérêt porté à mon travail en acceptant d‟être membres de ce jury,
dans lequel Michel Bert occupe également une place particulière. Il se retrouvera
dans un des paragraphes suivants.
Je remercie le Ministère de l‟enseignement supérieur et de la recherche qui a
financé cette thèse en m‟accordant un poste d‟allocataire de recherche, puis
d‟Attachée temporaire d‟enseignement et de recherche, ainsi que le soutien de la
région Rhône-Alpes à travers la bourse Explora-Doc pour la mobilité internationale.
Je remercie énormément tous les membres du laboratoire ICAR, ainsi que la
direction de cette Unité de recherche, pour leur soutien scientifique – et humain –
pendant ces cinq dernières années. J‟ai eu l‟opportunité de participer à des
Avant-propos et remerciements
ii
séminaires encadrés par Peter Griggs, Nathalie Blanc, Christine Develotte et Nicolas
Guichon – espaces riches en échanges et en nouvelles perspectives. Je remercie
aussi tous les membres du laboratoire qui m‟ont aidée par leurs observations
précises et par l‟intérêt montré pour mon travail. Parmi une longue liste je citerai
particulièrement Nathalie Blanc, Sylvie Bruxelles, Cathy Cohen, Victor Corona,
Jacques Cosnier, Martine Marquilló-Larruy, Jean-Charles Pochard et Véronique
Rivière.
Ma particulière reconnaissance englobe toute l‟équipe administrative en la
personne de Lucie Bujon, et toute l‟équipe technique et le personnel de maintenance,
toujours souriant et encourageant. Je n‟oublie pas, non plus, tous les doctorants
d‟ICAR pour les heures d‟apprentissage et de partage. Tenez bon !
De même, je dis toute ma gratitude à Alain Pastor, ancien membre ICAR,
Colette Grinevald, Michel Bert et à tous les membres du laboratoire Dynamiques du
langage (DDL), pour l‟attention portée, dès le début, à mon travail en me permettant
de contacter les chercheurs susceptibles de m‟aider à orienter, construire et
développer ma recherche. Les invitations à leurs différents séminaires et à toutes
leurs manifestations scientifiques dans le cadre du Labex ASLAN m‟ont permis de
préciser et d‟étayer mon cadre théorique autour des problématiques des « langues en
danger » et de la « revitalisation linguistique ».
Je dois également beaucoup à James Costa et à la consultation de ses
articles ; il est intervenu, dès le début de mon travail dans la préparation de mon
dossier et dans l‟orientation de mon projet de recherche.
Je souhaite adresser toute ma gratitude à Jacqueline Custodero, soutien
inestimable lors de la correction de cette thèse. Sans son aide précieuse pour la mise
en forme du texte « en bon français », sans son attention rigoureuse, son amicale
exigence, cette recherche aurait difficilement pu voir le jour dans les formes et les
délais impartis. Je la remercie infiniment pour ses nombreuses relectures, son
engagement, ses encouragements et son amitié, enrichie de cette collaboration.
Egalement j‟adresse mille mercis à Andrea Salazar, Viviane Fabre et Anne
Vilain pour la correction de mes traductions des citations en mapudungun, espagnol
et anglais respectivement. A Felipe Hasler pour les conseils linguistiques. A Iosef
Valdés pour la mise en page, Andréa Cagli pour les coups de main en informatique,
enfin à mes collègues du projet Innovalangues pour leurs encouragements. A Coline
Duquesne et Anne Vilain pour la relecture finale de l‟ensemble du texte.
Mes remerciements vont aussi à toutes les personnes contactées lors de mes
séjours à l‟étranger.
Avant-propos et remerciements
iii
En suivant l‟ordre chronologique de ces séjours, je tiens à exprimer tout
d‟abord ma gratitude aux acteurs de l‟enseignement/apprentissage de la langue
euskara au Pays basque, en décembre 2010. Mon amie Olga Giménez m‟a permis de
rencontrer son monde euskaldun. Sa motivation affective pour apprendre la langue
de sa amama (grand-mère), son parcours pour devenir néo-locutrice d‟euskara et
son attachement à sa terre m‟ont dévoilé des pistes précieuses pour mon terrain en
pays mapuche. Je dois aussi beaucoup aux enseignants de l‟AEK (Alfabetatze
Euskalduntze Koordinakundea)1 de Getxo, qui gentiment m‟ont permis de les
interviewer, de connaître leurs expériences de l‟enseignement du basque dans le
contexte européen. Je garde le souvenir de ces heures passées en immersion totale, à
essayer de comprendre cette langue si chère et si vivante, au cœur des diverses
manifestations culturelles et pédagogiques. Je tiens à remercier spécialement Xavier
Monasterio, Directeur pédagogique de l‟Institut Gabriel Aresti à Bilbao, pour
m‟avoir permis de partager son expérience personnelle, et connaître l‟histoire de
l‟enseignement de l‟euskara des années 70 à nos jours.
Egalement je dois remercier les professeurs Pilar Alvarez-Santullano et
Amilcar Forno pour leur invitation à participer au stage intensif d‟enseignement du
chesungun, dans l‟archipel du Chiloé au Chili, en janvier 2011.
Enfin, et par-dessus tout, je tiens à témoigner toute ma gratitude aux acteurs
du mouvement de revitalisation mapuche à Santiago du Chili ; ils ont été le véritable
moteur et les protagonistes de cette recherche.
Sur le terrain, mon travail a été particulièrement facilité par Elisa Loncon,
Héctor Mariano, Andrea Salazar et Enrique Antileo. Merci pour toute la confiance et
la liberté qu‟ils m‟ont accordées pour réaliser des expériences devenues « les
nôtres », mais plus encore, pour leur amitié sincère et leur accueil toujours
chaleureux. Même accueil auprès de tous les membres du réseau DELPICH2 et de
l‟équipe Kom kim Mapudunguaiñ waria mew3, lors de chacune de nos rencontres.
Fenxen mañvm kom pu che !
Je souhaite également remercier ici les apprenants des cours et ateliers en
ville (trop nombreux pour être cités), qui ont accepté de participer aux
questionnaires, enregistrements et interviews. J‟ai une pensée particulière pour les
membres de la Communauté de Curaco-Ranquil, et notamment pour Don Segundo
Llamin et Don Clorindo Huenchumarian, qui, de manière désintéressée et
enthousiaste se sont véritablement investis dans ce projet ; tout ceci sans compter les
1 Coordination pour l'alphabétisation et l'euskaldunisation des adultes.
2 Ma traduction: « Réseau pour les droits éducatifs et linguistiques des peuples indigènes du Chili ».
3 Ma traduction: « Nous apprendrons tous le mapudungun en ville ».
Avant-propos et remerciements
iv
participants à l‟expérience d‟immersion : Rosa, Gloria Ll., Silvia, Marcelo, Arturo,
Gloria M., Nicolás, Matías, Ramón, tañi kudaw, taiñ kudawülün mew !
Pour le terrain en Argentine je suis très reconnaissante à Jorgelina Villarreal
et à toute l‟équipe de chercheurs de l‟Université National de Comahue qui m‟ont fait
connaître leur travail en collaboration avec l‟organisation Newen Mapu et leur centre
d‟éducation Norgvbamtuleaiñ. Noe, Mari, María, futa newen pu domo ! Elles m‟ont
fait partager leurs expériences sur la sensibilisation des enfants à la langue mapuche
et sur l‟importance du rôle des mères dans la transmission familiale des savoirs ;
encore une voie utile pour éclairer mon chemin.
De retour en France, je suis tout autant redevable à Corinne Lhéritier et à
toute l‟équipe de la Calandreta de Nîmes pour m‟avoir si gentiment accueillie, et
m‟avoir permis de mieux comprendre les enjeux de l‟immersion précoce de
l‟occitan et de sa transmission familiale.
Un grand merci, donc, à tous ceux qui ont accompagné ma recherche au
Chili comme en France, et à la complicité de mes amis Maryori, Rodrigo, Ricardo,
Tatiana, Jaime, Viviane, Pascal, Carolina, Denis, Marine, Martin, Vincent, Iosef et
Paulina. Merci aux parents et amis de l‟association Abrapalabra associés à toutes
ces riches discussions et débats autour du projet de bilinguisme familial.
J‟ai une pensée particulière pour ma belle-famille, pour Henri et Claude qui
n‟ont cessé de me soutenir et de m‟encourager dans la poursuite de mes études. A
Clément et Anne, merci d‟être toujours là, vous êtes magnifiques ! Je n‟oublie pas,
non plus, toute ma famille du Chili, tout particulièrement mon père et ma mère, au
soutien affectif à toute épreuve.
Enfin, je dois remercier infiniment mon mari, Benjamin Brugère, puisqu‟il
apparaît bien clairement qu‟être le mari, le père, et donc l‟homme dans le foyer
d‟une thésarde n‟est pas une situation facile ! Benjamin, j‟ai toujours pu compter sur
ton soutien, autant pour cette thèse que, précédemment, lors de notre traversée de
l‟Amérique latine à vélo, merci pour m‟aider à franchir ce nouveau col ! A mes deux
enfants, Antoine et Gabriel, tous deux nés et grandis pendant ce long travail de
recherche : merci de me réveiller – dans le meilleur sens du terme – avec vos vies.
Merci pour vos sourires et vos tendres accolades, merci à vous trois, mes amours !
Lecteur, lectrice, à travers ce long périple, la pluralité et la diversité des
personnes et des situations évoquées, je souhaite que vous vous laissiez porter, en
bonne compagnie et un peu en connaissance de cause, vers le début d‟un
cheminement de cinq années, parfois difficile, mais, pour moi, toujours passionnant.
Table de matières
5
Table de matières
Avant-propos et remerciements i
Table de matières ........................................................................................................ 5
Table des illustrations ............................................................................................... 12
Abréviations récurrentes ........................................................................................... 14
INTRODUCTION GENERALE .............................................................................. 15
1. Premiers jalons ................................................................................................. 18
1.1 Au départ, une expérience pédagogique et de revitalisation
linguistique au Pays basque ............................................................................ 18
1.2 Le terrain chilien : séjours, sites d‟observations, premières
questions de recherche .................................................................................... 20
2. Ancrages biographiques ................................................................................... 26
3. Une problématique ......................................................................................... 28
4. Choix et opportunités méthodologiques ........................................................... 29
5. Organisation du texte ....................................................................................... 31
Partie I
Premiers éléments de contextualisation d‟une langue
minoritaire 33
Chapitre I
Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie 35
1. Politiques glottophagiques ......................................................................... 37
2. Langue et territoire: le Wallmapu et son unité linguistique ............................. 40
2.1 Quelques éléments descriptifs de la langue .............................................. 43
2.2 Variantes géo-dialectales .......................................................................... 47
2.3 Mobilités, contact des langues et bilinguisme à la période
coloniale.......................................................................................................... 48
3. Le rôle de l‟Eglise et de l‟Ecole dans le processus d‟assimilation
linguistique ........................................................................................................... 50
3.1 Le rôle du Summer Institut of Linguistic (SIL)......................................... 54
3.2 Vers un Programme d‟Education Interculturelle Bilingue ? .................... 57
Chapitre II
Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale » 63
1. Mouvements indigénistes en Amérique latine ........................................... 65
Table de matières
6
2. Mouvement mapuche contemporain et récupération du
Wallmapu, territoire ancestral .............................................................................. 67
3. En quête de reconnaissance ....................................................................... 71
4. Les revendications linguistiques et culturelles mapuche ........................... 72
Chapitre III
Langue de migration, langue identitaire 81
1. Une langue de migration ............................................................................ 83
1.1 Un strict processus d‟assimilation ? ......................................................... 84
1.2 Les générations de la migration ................................................................ 85
1.2.1 La génération du silence ................................................................... 85
1.2.2 La génération de l‟oubli .................................................................... 88
1.2.3 La génération Wariache : une identité recomposée .......................... 88
2. La langue dans les formes d‟expression contemporaines de la
diaspora mapuche ................................................................................................. 93
2.1 Rites et spiritualité indigènes dans les pratiques culturelles
urbaines ........................................................................................................... 94
2.2 Des manifestations artistiques et identitaires ....................................... 95
2.2.1 Arts plastiques et discours identitaire ............................................... 96
2.2.2 Arts scéniques, du témoignage à la revendication ............................ 99
2.2.3 Compositions musicales et recompositions identitaires ................. 100
2.2.4 Entre oraliture et écriture aux marges ............................................ 102
Partie II
Ethnographie d‟un mouvement de revitalisation linguistique 105
Chapitre IV
Une approche ethnographique et collaborative : principes,
déroulement, corpus 107
1. Un terrain « sensible », une recherche « impliquée » .............................. 109
1.1 Une recherche « engagée » ..................................................................... 111
1.2 Une recherche « collaborative » ............................................................. 112
2. Modalités de production de données ....................................................... 117
2.1 « Phase 0 », un départ depuis le Pays basque ......................................... 118
2.2 « Phase 1» : premier terrain de courte durée et enquête
préliminaire à distance .................................................................................. 119
2.3 « Phase 2 », l‟enquête in situ de longue durée ........................................ 120
3. Le corpus des données retenues en vue des analyses ..................................... 124
Table de matières
7
Chapitre V
Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du
Chili 127
1. Revitalisation et vitalité linguistique : mises au point
terminologiques .................................................................................................. 129
1.1 Qu‟est-ce que la revitalisation linguistique ? ......................................... 130
1.2 Quelle « vitalité » pour le mapudungun ? ............................................... 133
2. Acteurs et revendications du mouvement de revitalisation du
mapudungun à Santiago du Chili ....................................................................... 135
2.1 Les acteurs du mouvement ..................................................................... 139
2.1.1 Les experts ...................................................................................... 139
2.1.2 Les militants .................................................................................... 140
2.1.3 Les locuteurs ................................................................................... 141
2.1.4 Les apprenants ................................................................................ 141
2.2 Les revendications des militants ............................................................. 142
2.2.1 Les demandes des principales organisations militantes .................. 142
2.2.2 ¡Mostremos que nuestras lenguas siguen vivas! : une
campagne de conscientisation linguistique et identitaire. ........................ 145
3. Quels impacts du PEIB sur la vitalité de la langue ? ..................................... 147
3.1 Revitalisation ou sensibilisation linguistique ? ...................................... 148
3.2 Les défis du PEIB ................................................................................... 148
4. Nouvelles présences du mapudungun dans l‟espace urbain ........................... 150
4.1 Des écrits dans la ville ............................................................................ 151
4.2 Sur les réseaux sociaux : des usages jeunes et urbains ........................... 152
Troisième partie
Eléments pour une didactique des langues minoritaires 155
Chapitre VI
Enseignement/apprentissage d‟une langue minoritaire 157
1. Les enjeux spécifiques de l‟enseignement d‟une langue
minoritaire .......................................................................................................... 159
2. Standardisation : passage obligé ou labyrinthe ? ..................................... 161
2.1 Mise au point terminologique ................................................................. 161
2.2 Les systèmes d‟écriture : du discours idéologique aux choix
didactiques .................................................................................................... 164
2.2.1 Les types d‟alphabets ...................................................................... 164
2.2.2 Usages et usagers des alphabets ...................................................... 167
Table de matières
8
2.3 Le manuel d‟enseignement : de l‟emblème didactique à la
propagation du discours ................................................................................ 168
3. Cadres et approches didactiques de référence dans les ateliers de
mapudungun observés ........................................................................................ 170
4. Milieu militant : apprendre « ma » langue ............................................... 172
4.1 L‟atelier de mapudungun ........................................................................ 173
4.2 Qui sont les acteurs ? .......................................................................... 174
5. Les profils des apprenants ........................................................................ 177
5.1 Éléments de biographies langagières des apprenants ............................ 178
5.2 Motivations et attentes des apprenants .................................................. 178
5.3 Les compétences : état des lieux ............................................................ 180
6. Vers une didactique des langues minoritaires ? ....................................... 181
6.1 Vers des situations « réelles » à travers des activités «
encadrées » ................................................................................................... 183
6.2 L‟immersion linguistique, une proposition contextualisée..................... 185
Chapitre VII
Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche 189
1. Immersion linguistique : premiers éléments de définition ....................... 191
2. Les modèles immersifs : un tour d‟horizon rapide .................................. 193
3. Immersion et revitalisation: quelques précédents dans le contexte
des langues minoritaires ..................................................................................... 194
3.1 Revitalisation des langues régionales en Europe .................................... 195
3.2 Expériences immersives en langues dites autochtones ........................... 196
3.3 Apprendre en immersion… à quelles conditions? ................................. 198
4. Kewünruka, « la maison de la langue » : vers un modèle immersif
en mapudungun .................................................................................................. 199
4.1 Curaco-Ranquil : bref aperçu d‟une communauté mapuche
rurale ............................................................................................................. 199
4.1.1 Economie locale et aménagement territorial................................... 200
4.1.2 Accès et services publics ................................................................ 201
4.1.3 Accès aux nouvelles technologies .................................................. 202
4.1.4 Situation sociolinguistique et socioculturelle ................................. 202
5. Mise en place du dispositif ............................................................................. 204
5.1 Acteurs et contrat pédagogique initial .................................................... 204
5.2 En quête de situations de transmission ................................................... 206
6. Analyse d‟une didactique immersive, émergence de pistes à suivre ............. 208
6.1 Les activités didactiques ......................................................................... 208
Table de matières
9
6.1.1 Du rituel aux pratiques éducatives .................................................. 209
6.1.2 TICE et matériel dit « authentique » .............................................. 210
6.1.3 « Parler en mapudungun », une tâche complexe............................. 212
6.1.4 Educateurs : mettre la main à la pâte, mais pas dans le
cambouis .................................................................................................. 213
6.2 De locuteur à éducateur, une nouvelle légitimité? ................................ 214
6.3 Réflexions autour de l‟expérience immersive à Curaco-Ranquil ........... 216
6.3.1 Répertoires linguistiques asymétriques : ouverture aux
discussions métalinguistiques .................................................................. 217
6.3.2 Contact intergénérationnel : (ré) activation des savoirs .................. 218
6.3.3 Une construction collaborative de savoirs ...................................... 220
6.3.4 Des contraintes et des limitations .................................................. 224
7. L‟immersion, une solution pour la sauvegarde de langues dites
en danger ? ......................................................................................................... 225
Chapitre VIII
Une approche didactique impliquée de la création lexicale 229
1. Eléments de définition ............................................................................. 232
2. Le renouvellement lexical et ses enjeux .................................................. 234
2.1 Les enjeux sociopolitiques ...................................................................... 234
2.2 Les enjeux sociolinguistiques ................................................................. 235
3. Etat des lieux pour la création lexicale .................................................... 236
3.1 Ateliers en ville : des incubateurs de néologismes ? .............................. 237
3.2 Création lexicale en contexte scolaire : un détour nécessaire ............... 240
4. À la recherche d‟une démarche didactique dans les ateliers pour
adultes ................................................................................................................. 242
4.1 Retour en contexte immersif : la création lexicale spontanée
comme point de départ ................................................................................. 245
4.2 La néologie comme outil de planification: vers une création
lexicale didactisée ......................................................................................... 247
4.3 Premières propositions : négociations et questionnements ................... 249
4.4 Premières créations lexicales didactisées: cadre synoptique ................. 252
5. La création lexicale comme outil didactique : collaboration et
réflexion métalinguistique .................................................................................. 254
Chapitre IX
Création lexicale et postures militantes :
le poids des idéologies linguistiques en didactique 257
1. ¿Wedungun, chumall ? ................................................................................... 259
Table de matières
10
2. Le poids des idéologies linguistiques ............................................................. 261
2.1 Emprunts : ces mots qui gênent de temps en temps .............................. 262
2.2 Évitons l‟emprunt, cherchons dans notre langue ................................... 265
2.3 Cherchons dans les mots anciens : « rien de plus, c‟est ça le
mot ! » ........................................................................................................... 266
2.4 C‟est beau, mais ça marche pas .............................................................. 268
2.5 Discussions et polémiques, un passage vers le consensus ? .................. 271
2.6 En mode de synthèse .............................................................................. 274
3. Néologie mapuche : quel(s) cas type(s) de purisme ? .................................... 275
4. La question de la validation par la communauté linguistique ........................ 277
4.1 Des critères de validation ....................................................................... 277
4. 2 Wedungun : un espace virtuel de création et de validation
néologique .................................................................................................... 279
Eléments conclusifs et prospectifs 283
1. Eléments de synthèse et conclusions ....................................................... 285
1.1. En résumé: principaux résultats ............................................................. 285
1.2. Quelles approches didactiques pour les langues minoritaires ? ............ 289
1.2.1 Revalorisation des aspects « traditionnels » en immersion:
à la redécouverte de la transmission familiale ......................................... 289
1.2.2. Vers une didactisation de la transmission familiale? .................... 290
1.2.3. La création lexicale et les réseaux sociaux : des leviers
pour la didactique des langues minoritaires ? .......................................... 292
Références bibliographiques et sitographiques 295
Annexes 349
Annexe 1: brève contextualisation historique .......................................... 351
Annexe 2: tableau GIDS: Graded Intergenerational Disruption
Scale. ........................................................................................................ 357
Annexe 3 : tableau Assessin Endangerment: Espanding
Fishman‟s. ................................................................................................ 358
Annexe 4 : carte représentative de la population mapuche au
Chili, 2002. .............................................................................................. 358
Annexe 5 : guide entretien semi-guidée aux formateurs, janvier
2011 (version française). .......................................................................... 359
Annexe 6 : guide entretien semi-directif enquête préliminaire
aux apprenants par skype, juillet 2011 (version française). ..................... 360
Annexe 7: planning avril à décembre 2012. ............................................ 361
Table de matières
11
Annexe 8 : feuille de présentation sur le terrain 2012 (version
française). ................................................................................................. 362
Annexe 9: questionnaire apprenants ateliers mapudungun 2012
(version espagnol). ................................................................................... 363
Annexe 10 : conventions de transcription. ............................................... 366
Annexe 11 : immersion linguistique. ....................................................... 367
Annexe 12 : échanges entre apprenants citadins et locuteurs
traditionnels: présentation de la famille. .................................................. 367
Annexe 13 : échanges entre apprenants et locuteurs
traditionnels: élaboration d‟un potager. ................................................... 367
Annexe 14 : atelier de création lexicale ................................................... 368
Annexe 15 : atelier de création lexicale ................................................... 368
Annexe 16 : registre de propositions. ...................................................... 368
Annexe 17 : narration epew (récit traditionnel). ...................................... 369
Annexe 18 : préparation de repas............................................................. 369
Annexe 19 : formulaire impôts en mapudungun (extrait). ....................... 369
Annexe 20 : affiches ateliers de mapudungun à Santiago. ...................... 370
Annexe 21 : extrait du journal chilien Las últimas noticias..................... 370
Annexe 22 : extrait site web radio Bio-Bio, Chili. .................................. 371
Annexe 23 : panorama de mon terrain de recherche, 2012 (p. 1). ........... 372
Annexe 24 : panorama de mon terrain de recherche, 2012 (p. 2). ........... 373
Annexe 25 : panorama de mon terrain de recherche, 2012 (p. 3). ........... 374
Index général ...................................................................................................... 375
Résumé 381
Table des illustrations
12
Table des illustrations Carte 1 : localisation géographique. 16
Carte 2 : représentation de la Nation mapuche. 70
Carte 3: migration mapuche vers Santiago du Chili. 84
Carte 4 : représentation des organisations mapuche dans la Région Métropolitaine. 87
Carte 5 : situation géographique de Curaco-Ranquil. 200
Carte 6 : carte représentative du début du XIXème siècle. 352
Figure 1: le Wenufoye ......................................................................................................................... 72
Figure 2 : panneau bilingue mapudungun sur internet ........................................................................ 73
Figure 3 : Eduardo Rapiman, « Ralcodomo ». .................................................................................... 96
Figure 4 : Meli wixan mapu. ................................................................................................................ 97
Figure 5 : graffiti bilingue castillan/mapudungun, Estación Central, Région Métropolitaine. ............... 98
Figure 6 : campagne de conscientisation linguistique. ...................................................................... 145
Figure 7 : signalétique trilingue (castillan, mapudungun, anglais). .................................................... 151
Figure 8 : pharmacie mapuche, quartier de Santiago. ...................................................................... 152
Figure 9: message bilingue mapudungun/castillan.. ......................................................................... 153
Figure 10 : message bilingue mapudungun-castillan. ....................................................................... 154
Figure 11 : vue panoramique de la communauté Curaco-Ranquil. ................................................... 201
Figure 12: capture d’écran d’une page Twitter .................................................................................. 238
Figure 13: formulaire en mapudungun. ............................................................................................. 243
Figure 14: néologismes présents dans un manuel d’enseignement. ................................................ 248
Figure 15 : création lexicale pour le mot « déodorant/anti-transpirant ». .......................................... 251
Graphique 1 : distribution par ethnie du recensement national de 2012. . .......................................... 77
Graphique 2: distribution des locuteurs par âge. .............................................................................. 147
Tableau 1 : phonèmes vocaliques. ...................................................................................................... 45
Tableau 2 : phonèmes consonantiques. ............................................................................................. 46
Tableau 3 : phonèmes semi-consonantiques. ..................................................................................... 46
Tableau 4 : peuples originaires reconnus par l’État chilien. ................................................................ 78
Tableau 5 : processus de recomposition de l’identité « Mapuche-wariache ». .................................... 91
Tableau 6 : les positions de l’observateur participant. ....................................................................... 113
Tableau 7: données recueillies au Pays basque. .............................................................................. 118
Tableau 8: vue de l’ensemble de données recueillies. ...................................................................... 122
Tableau 9: données finalement utilisées. .......................................................................................... 124
Tableau 10 : tableau comparatif de systèmes d’écriture. .................................................................. 166
Tableau 11: séquence 1 .................................................................................................................... 222
Tableau 12 : séquence 2 ................................................................................................................... 245
Table des illustrations
13
Tableau 13: séquence 3 .................................................................................................................... 250
Tableau 14 : cadre synoptique des néologismes. ............................................................................. 253
Tableau 15 : séquence 4. .................................................................................................................. 262
Tableau 16 : séquence 6. .................................................................................................................. 266
Tableau 17 : séquence 7. .................................................................................................................. 267
Tableau 18 : séquence 8. .................................................................................................................. 268
Tableau 19: séquence 9. ................................................................................................................... 269
Tableau 20: séquence 10. ................................................................................................................. 272
Abréviations recurrentes
14
Abréviations récurrentes AMU Alphabet Mapuche Unifié.
BID Banque Interaméricaine de Développement.
CASEN Enquête de Caractérisation Socioéconomique
Nationale.
CECRL Cadre Européen Commun de Référence pour les
Langues.
CEP Centre d‟Etudes Publiques.
CEPI Commission Spéciale des Peuples Indigènes.
CEPFINT Centre d‟Etudes Populaires, Féministes et
Interculturelles.
CONADI Commission Nationale du Développement Indigène.
DD.HH Droits de l‟Homme.
DELPICH Réseau pour les Droits Educatifs et Linguistiques des
Peuples Indigènes du Chili.
INE Institut National de Statistiques
LED Langues En Danger.
MIDEPLAN Ministère de Planification et Coopération
MINEDUC Ministère de l‟Education du Chili.
ONU Organisation des Nations Unies.
PEIB Programme d‟Education Interculturelle Bilingue.
SIL Summer Institute of Linguistics.
TICE Technologies de l'Information et de la Communication
pour l'Enseignement.
UNESCO United Nations Educational, Scientific and Cultural
Organization.
Introduction générale
15
INTRODUCTION GENERALE
La langue du peuple mapuche est le mapudungun (étymologiquement « le
Parler de la Terre »). Elle est pratiquée sur les territoires des Etats contemporains du
Chili et de l‟Argentine. Les politiques linguistiques actuelles ne lui accordent pas de
statut officiel. De même que l‟Argentine, l‟État-nation chilien reconnait en effet
l‟espagnol comme seule langue officielle, et comme seule langue de scolarisation
dans l‟Éducation nationale. Cette situation traduit le statut minoritaire du
mapudungun, langue locale non standardisée, dont la vitalité est de plus en plus
menacée.
Le terme « minoritaire » s‟applique ici à toute langue à la fois minorée et
minorisée (Blanchet, 2002a), les « langues minoritaires » ayant un statut socialement
diminué (minoré) et étant mises à l‟écart au niveau des pratiques (minorisation).
La carte ci-après permet de situer géographiquement, à droite, le Chili à
l‟ouest de l‟Amérique du Sud4. À gauche, un zoom sur ce pays représente en gris le
territoire mapuche tel qu‟il se présentait à l‟arrivée des Espagnols qui l‟ont nommé
« Araucanie »5.
4 Le Chili possède trois frontières politiques : au nord avec le Pérou et la Bolivie, et à l‟est avec
l‟Argentine. A l‟ouest le pays est limité par l‟océan Pacifique et au sud par le détroit de Drake,
passage entre l‟Atlantique et le Pacifique.
5 Selon les récits historiques, ce peuple se serait installé entre le 32
ème et le 44
ème parallèle sud. Le
terme « Araucan » a été utilisé par les Espagnols vers le XVIIIème
siècle pour désigner d‟abord la
région et les habitants de la zone de la frontière d‟Arauco. Tout au long de ce texte j‟utiliserai le nom
« mapuche » – et non « araucan » – pour désigner ce peuple originaire, ainsi que « mapudungun » –
et non « langue araucanienne » – sauf s‟il s‟agit d‟une citation. Je respecterai ainsi le terme avec
lequel les Mapuche eux-mêmes s‟auto-désignent plutôt que le nom qui leur a été imposé par les
colonisateurs. De même, le mot « mapuche » se trouvera uniquement au singulier, conformément à la
morphologie de la langue mapudungun qui ne marque pas, graphiquement, le pluriel avec des « s »,
comme l‟espagnol ou le français.
Introduction générale
16
Carte 1 : localisation géographique.
Source © : A. Barros et E. Armstrong (1975 :62).
Selon le dernier recensement chilien de 2012, qui pour la première fois s‟est
intéressé aux langues parlées dans le territoire, les résultats concernant le
mapudungun ne sont pas encourageants quant à la vitalité de cette langue : le
nombre de locuteurs serait de 114 988 personnes, soit 8,2% de la population auto-
définie comme « mapuche », âgée de cinq ans et plus. Ainsi, selon les critères de
transmission de la langue d‟une génération à l‟autre, les enfants, à la maison,
n‟apprennent plus le mapudungun comme langue de première socialisation. La
tranche d‟âge des locuteurs recule rapidement, entraînant une diminution de la
quantité de personnes connaissant et pratiquant cette langue. Un phénomène
sociolinguistique connu aussi comme language shift, ou processus de changement
linguistique (cf. Fishman, 1991).
Selon l‟atlas interactif des langues en danger de l‟UNESCO, le mapudungun
est classé dans la catégorie « en danger », soit au niveau 3 de vitalité sur une échelle
de 0 à 56. La langue perd ses espaces de transmission identifiés par Fishman (1991,
2001) comme les domaines d‟usage (domains of use) où la langue prédominante est
6 Selon les critères, au niveau 5 la vitalité de la langue est « assurée », à l‟échelon 4 elle est
« précaire », au niveau 3 elle représente une langue « en danger », le niveau 2 la classifie comme
« sérieusement en danger », le niveau 1 pour les langues « moribondes » et finalement le niveau 0
pour les langues « mortes ».
Introduction générale
17
devenue l‟espagnol. En Argentine, les seules données concernant le nombre de
locuteurs de mapudungun datent du recensement indigène national de 1966-1967.
Cette étude comptabilise 2112 locuteurs dans la province de Chubut, soit 30,5% du
total des Mapuche habitant la province. Ces données restreintes et obsolètes,
montrent néanmoins que la vitalité linguistique de cette langue en Argentine est,
sans doute, encore plus problématique que du côté chilien.
Au Chili, d‟autres langues reconnues par l‟État sont dans une situation
encore plus critique que le mapudungun, comme la langue Likan Antai pour laquelle
il ne reste plus de locuteurs, les langues Kawesqar et Yagan où les principaux
locuteurs sont les grands-parents (qui, en outre, utilisent peu ces langues), ou la
langue Rapa Nui, sérieusement en danger, puisque des parents qui comprennent la
langue ne l‟utilisent ni entre eux, ni avec leurs enfants.
A partir des années 90, on observe dans toute l‟Amérique latine l‟émergence
d‟un mouvement social que Catrileo (2005) nomme « ré-ethnification générale ». Au
Chili, avec la fin de la dictature de Pinochet, nous assistons ainsi au réveil de
diverses organisations mapuche, en particulier à Santiago du Chili. Un mouvement
qui focalise ses demandes à travers la revendication politique, territoriale,
identitaire, culturelle et linguistique.
De nombreuses études, dans le cadre de mémoires et de thèses universitaires
des vingt dernières années mentionnent ce processus de construction,
transformation, redéfinition, recomposition et adaptation à la société chilienne
moderne. Plusieurs jeunes intellectuels traitent de ce phénomène baptisé Mouvement
mapuche contemporain (cf. Mariman, 1994, 1995, 1997a, 1997b ; Aravena, 1999,
2004, 2007a, 2007b ; Gissi, 2004a, 2004b, 2006, 2010 ; Abarca, 2005 ; Millaleo,
2006 ; Antileo, 2007, 2010, entre autres).
C‟est dans ce contexte qu‟on voit aussi émerger une demande sociale sur le
plan linguistique. Insérée dans un mouvement pour la sauvegarde des langues en
danger (Dorian, 1989 ; Fishman, 1991; Hagège, 2000 ; Grinevald et Bert, 2010 ;
Costa et Grinevald, 2010, entre autres), la « revitalisation linguistique » (Spolsky,
1995 ; Hinton, 1996 ; Amery, 2001 ; Mufwene, 2001 ; Grenoble & Whaley, 2006 ;
Tsunoda, 2006 ; Romaine, 2008 ; Kroskrity, 2009 ; Costa, 2010).devient un des
enjeux du Mouvement mapuche contemporain.
À l‟instar des autres langues minoritaires pratiquées par des peuples
minorisés dans le monde, le mapudungun fait partie de celles qui, selon l‟UNESCO,
disparaîtront d‟ici la fin du siècle. Cependant, selon cet organisme international, ce
processus n‟est ni inévitable ni irréversible. La mise en œuvre de politiques
Introduction générale
18
linguistiques alternatives pourrait freiner ce déclin et soutenir le travail des
communautés de locuteurs pour maintenir et ou revitaliser ces langues menacées.
En lien avec ce projet de revitalisation linguistique, l‟objectif de cette thèse
est d‟enquêter sur les modalités d‟enseignement/apprentissage du mapudungun à des
adultes en contexte urbain, afin de formuler des propositions pour une didactique
propice à la formation de « néo-locuteurs » (Bert et Grinevald, 2010; Costa, 2010,
2013) de cette langue.
En effet, des personnes adultes nées et/ou grandies en ville désirent devenir
des néo-locuteurs du mapudungun. Pour ce faire, elles cherchent des locuteurs issus
de la première génération de migrants, capables de leur transmettre la langue. La
demande s‟amplifie en même temps que l‟offre. Dans la ville de Santiago, au moins
trois locuteurs ont commencé dans les années 90 à donner des cours particuliers du
mapudungun. Aujourd‟hui on peut comptabiliser plus d‟une vingtaine de cours et
d‟ateliers en divers lieux : centres sociaux, écoles, universités, syndicats, etc. C‟est
dans ce contexte de mouvement de revitalisation linguistique que j‟ai conduit
pendant plusieurs années l‟ethnographie collaborative sur laquelle se fonde le
présent texte.
Une première présentation du déroulement de l‟enquête selon quelques
repères chronologiques s‟avère nécessaire afin de rendre l‟expérience plus lisible, et
de poser les premiers jalons de la construction progressive de la problématique de
cette recherche doctorale.
1. Premiers jalons
1.1 Au départ, une expérience pédagogique et de
revitalisation linguistique au Pays basque
J‟ai commencé cette recherche vers la fin de l‟année 2010. Mes enquêtes
exploratoires, qui ont duré trois mois, m‟ont amenée d‟abord au Pays basque pour
observer et approfondir mes connaissances du processus de revitalisation
linguistique de l‟euskara. De manière quelque peu ambitieuse – je le mesurerai plus
tard, mon projet de thèse initial prévoyait en effet une comparaison sociolinguistique
et didactique des programmes d‟enseignement du mapudungun à des adultes avec
des projets similaires conduits au Pays basque espagnol en faveur de l‟euskara. La
pertinence de la comparaison avec ce terrain s‟appuyait sur les éléments suivants :
Introduction générale
19
– Similitudes entre les deux situations sociolinguistiques : la situation de
l‟euskara, il y a une trentaine d‟années en France et en Espagne, semblait très proche
de la réalité actuelle du mapudungun au Chili et en Argentine. Des demandes
sociales sollicitaient la mise en œuvre de politiques linguistiques pour la sauvegarde
de l‟euskara, la normalisation et l‟officialisation de cette langue, sa promotion et sa
diffusion. Le tout inséré dans un contexte politique plus ample de demande d‟auto-
gouvernement (Baztarrika, 2010).
– Contacts culturels et historiques entre les deux terrains : il est important de
rappeler le lien historique dû aux migrations européennes vers le Chili et l‟Argentine
à partir du XVIème
siècle. Ce contact ancien entre les deux populations reste étroit
aujourd‟hui grâce à la présence de familles immigrées basques et de leur
descendance née au Chili (Madariaga, 2005), ainsi qu‟à travers les centres culturels
de la communauté, présents en Argentine et au Chili comme la maison basque,
eusko etxea. D‟autres liens se sont créés dernièrement à travers la participation des
acteurs pour la revitalisation linguistique du mapudungun dans les écoles
d‟immersion euskara et les stages dans les organismes de sauvegarde de la langue au
Pays basque.
– Projets de revitalisation linguistique : les expérimentations conduites en
didactique de l‟oral de la langue euskara auprès d‟un public de jeunes adultes – hors
cadre scolaire – font écho à la demande existant au Chili et en Argentine chez des
jeunes mapuche désirant devenir néo-locuteurs de la langue mapudungun.
La langue euskara a re-gagné du terrain grâce à son introduction progressive
dans diverses sphères de la société. La mise en place de politiques linguistiques au
niveau gouvernemental protège aujourd‟hui cette langue, et constitue un modèle
pour les langues indigènes d‟Amérique latine. Pour l‟euskara, il a été impératif de
créer des espaces culturels et sociaux, dans un premier temps « artificiels », pour
redonner à la langue des domaines d‟usage. Des programmes d‟immersion
linguistique suggèrent des pistes pour l‟enseignement d‟une langue originaire telle
que le mapudungun. Tout en suivant l‟approche communicative, ce projet marque
aussi l‟importance de la motivation, de l‟affect, des liens intergénérationnels et du
sens communautaire – tous facteurs qui intéressent aussi la langue et la culture
mapuche.
Des initiatives pédagogiques menées au Pays basque, telles l‟immersion en
langue euskara dans l‟enseignement public (ikastola), la création d‟écoles d‟euskara
pour un public adulte (euskaltegi) et d‟internats linguistiques (barnetegis),
intéressent au premier chef les acteurs de la revitalisation du mapudungun qui
cherchent des modalités efficaces pour apprendre et enseigner leur langue.
Introduction générale
20
Dans cette perspective, j‟ai établi des contacts avec les instituts
d‟enseignement de la langue euskara pour adultes dans la ville de Getxo, en
périphérie de Bilbao, au Pays basque espagnol, pendant les années 2010-2011. J‟ai
réalisé des observations directes du système d'immersion de cette langue pour
connaître les outils et dispositifs didactiques utilisés pour renforcer l'oralité dans le
processus d'apprentissage. J‟ai participé, en tant qu‟apprenante, à des cours
d‟euskara afin d‟endosser ce rôle tout en rencontrant les acteurs principaux de cette
expérience.
Malgré les nombreuses proximités sociolinguistiques entre les terrains et le
lien permanent de soutien entre les deux mouvements de revitalisation, il ne faut
cependant pas négliger de grandes dissemblances sociales, politiques et
économiques. Un décalage de trois décennies sépare tout d‟abord les deux
processus. Ensuite, le statut du Pays basque espagnol en tant que Communauté
autonome permet certainement des soutiens politiques et économiques marqués
envers les initiatives de revitalisation de la langue. Sur le terrain du mapudungun, au
Chili et en Argentine, la situation est très différente. Trop différente, sans doute,
pour conserver la dimension comparative du projet initial, qui a donc été écartée.
Cette expérience au Pays basque m‟a néanmoins considérablement aidée
pour mieux comprendre le phénomène des mouvements de revitalisation au niveau
social et, dans le même temps, elle m‟a amenée à étudier des expériences réussies
dans le domaine de la didactique ; apport touchant non seulement la pratique elle-
même, mais aussi nombre de lectures : Agirrezabal (2010), Coyos (2005), Gardner
et Zalbide (2005), Echeverria (2003), Manterola et al. (2012), Sánchez Carrión
(1999), Lacroix (2014), entre autres. Cette première expérience a ainsi constitué une
précieuse préparation pour la suite du travail de recherche.
1.2 Le terrain chilien :
séjours, sites d’observations, premières
questions de recherche
Au Chili, selon le dernier recensement de l‟Instituto Nacional de Estadística
(INE), en 20127, 11% de la population chilienne se considère comme appartenant à
un groupe indigène, soit 1 842 607 personnes sur une population totale de
16 634 603. Les peuples originaires reconnus par l‟État chilien sont au nombre de
7 Recensement qui a cependant donné lieu à quelques polémiques concernant la méthode utilisée et
les chiffres finaux.
Introduction générale
21
neuf : Mapuche, Aymara, Diaguita, Quechua, Colla, Rapa Nui, Likan Antai,
Kawesqar, Yagan ou Yaman.
Les Mapuche représentent la population indigène la plus importante sur le
plan numérique au niveau national, avec 1 508 722 personnes. Suite aux multiples
épisodes de migration rurale-urbaine, la plupart des personnes qui s‟auto-définissent
comme Mapuche habitent la Région Métropolitaine (564 234), et notamment sa
capitale, Santiago du Chili.
L‟Etat chilien se divise administrativement en quinze régions8. Dans la
Région Métropolitaine résident 564 234 personnes qui s‟auto-définissent comme
Mapuche, tandis que la IXème
région de l‟Araucanie, territoire ancestral, ne compte
que 285 441 habitants. Les chiffres nous montrent à quel point la population
présente dans la Région Métropolitaine auto-définie comme Mapuche est majoritaire
par rapport au total de ses congénères sur l‟ensemble du territoire chilien.
Dans ce contexte, nous constatons également le nombre important
d‟organisations mapuche existant à Santiago du Chili. Selon les études de Millaleo
(2006: 90) et Antileo (2010: 40), on en compte aujourd‟hui plus de cent. Le
gouvernement, à travers la CONADI9, a recensé plus de deux cents associations
indigènes, toutes ethnies confondues10
. Ces organisations jouent un rôle essentiel
pour satisfaire les besoins des Mapuche qui résident dans la capitale, besoins
territoriaux, politiques, culturels et identitaires. La langue constitue une des
demandes fondamentales, comme nous le montrerons dans notre étude.
A la suite des observations effectuées au Pays basque, je me suis rendue au
Chili en janvier 2011 pour un premier séjour, d‟une durée d‟un mois. J‟avais été
invitée à suivre des cours de mapudungun, dans la variante williche, par des
formateurs dans un milieu rural au sud du Chili, sur l‟île de Chiloé. J‟ai ainsi pu
observer des pratiques d‟enseignement/apprentissage du mapudungun pour des
8 Chaque région porte un nom et un chiffre romain, l‟ordre des numéros allant du nord vers le sud.
Font exception à cet ordre les deux régions créées en 2006 et la Région Métropolitaine (RM). Chaque
région est divisée en provinces et chaque province en communes.
9 Corporation Nationale pour le Développement Indigène (CONADI) cet organisme gouvernemental
est chargé de promouvoir, coordonner et exécuter la politique d‟État en faveur des peuples indigènes.
Quatre fonds principaux contribuent au développement économique et culturel : les fonds des terres
et des eaux indigènes, du développement indigène, de la culture et de l‟éducation indigène et le
Programme Origines.
10 Plus d‟information sur le site http://www.conadi.gob.cl/index.php/registro-de-comunidades-y-
asociaciones-indigenas , consulté le 08/07/2013.
Introduction générale
22
adultes et prendre contact avec les acteurs du mouvement de revitalisation à
Santiago du Chili. Ainsi, j‟ai rencontré des locuteurs qui travaillent dans
l‟enseignement du mapudungun en contexte urbain dans des cadres « formels »,
comme les cours de la chaire indigène universitaire, et dans des ateliers organisés
dans des cadres plus militants.
Pendant mon deuxième séjour, d‟avril à décembre 2012, je me suis insérée
particulièrement dans le contexte de l‟enseignement du mapudungun au sein des
réseaux de revitalisation linguistique par le biais d‟une observation
participante/participation observante (Gold, 2003 [1958] ; Platt, 1983 ; Tedlock,
1991).
A Santiago, l‟offre de cours de mapudungun est variée, du cours universitaire
à l‟atelier militant, en passant par le cours particulier ou dans les écoles d‟espagnol
pour touristes. Cette diversité se traduit aussi dans les propositions d‟horaires, les
prix, les approches pédagogiques, les évaluations et l‟usage des matériels
didactiques.
Au final, cette recherche ethnographique de longue durée m‟a amenée à
observer de près les pratiques d‟enseignement du mapudungun dans trois milieux
d‟enseignement différents, à savoir : des cours particuliers ; des chaires
universitaires ; des ateliers du milieu militant. Ainsi je suis devenue
apprenante/observante de mapudungun à Santiago du Chili dans ces trois milieux,
avant de choisir le terrain principal sur lequel je fonderais mon travail.
D‟abord, j‟ai suivi la formule des cours individuels – certainement plus
onéreuse que d‟autres possibilités (principalement à cause de la bonne réputation de
la locutrice, reconnue comme une des pionnières de l‟enseignement de mapudungun
en ville, avec une vaste expérience de plus de vingt ans).
Le profil de cette formatrice n‟est pas anecdotique. Elle a suivi un parcours
caractéristique de notre terrain : locuteurs traditionnels devenus enseignants et
répondant aux forts besoins d‟enseignement en ville de ces vingt dernières années.
Parallèlement aux cours individuels j‟ai participé, en tant qu‟auditrice libre, à
l‟enseignement d‟une des Chaires indigènes universitaires à Santiago11
. Le public
cible de ce dispositif concerne des étudiants qui choisissent le mapudungun parmi un
large choix de cours de formation générale. De ce fait, la Chaire indigène
universitaire propose une sensibilisation linguistique et culturelle à un public qui,
dans certains cas, ignore tout des thématiques indigènes.
11 La loi indigène (n°19.253) qui date de 1993 stipule dans son article 28 « la promotion et
l‟établissement des Chaires d‟histoire, culture et langue indigène dans l‟enseignement supérieur ».
Introduction générale
23
Finalement, et en parallèle à ces dispositifs citadins, je me suis intéressée
plus particulièrement aux propositions de cours dans un milieu d‟enseignement
militant. Ce dernier contexte a fortement retenu mon attention, notamment en raison
de la motivation principale de ses étudiants : devenir néo-locuteurs de mapudungun.
Les situations observées et/ou élicitées au cours de cette dernière expérience
constituent le corpus de ma recherche. Elles seront présentées en détail dans le
chapitre IV (Partie 2) mais il convient d‟en donner ici un premier aperçu.
Pendant mon travail de terrain en 2012, j‟ai en effet pu bénéficier du soutien
engagé de deux enseignants de mapudungun, d‟origine mapuche. Ils sont acteurs et
leaders emblématiques du mouvement de revitalisation linguistique à Santiago du
Chili. Tous les deux ont acquis le mapudungun – dans sa variante linguistique
nagche12
– comme langue de première socialisation. J‟ai eu la possibilité de
travailler en collaboration très étroite et directe avec ces deux personnes pendant
tout mon séjour sur le terrain, en suivant leurs cours de langue, et spécialement les
ateliers en milieu militant avec l‟un de ces formateurs. J‟ai décidé de me concentrer
sur ce travail pédagogique mené en milieu militant, encore peu étudié.
Ces ateliers sont issus d‟une initiative éducative autonome née des demandes
des organisations mapuche urbaines. Le travail des enseignants relève donc d‟une
activité militante et engagée, soutenue et encouragée par la motivation des
apprenants.
Les ateliers sont animés par un locuteur de mapudungun et ses
collaborateurs-assistants. Bien que se déroulant dans des locaux universitaires, cette
initiative est autogérée, n‟est pas intégrée au curriculum des études et ne bénéficie
pas de soutien économique externe. Le financement est assuré par les apprenants qui
paient une inscription. Les collaborateurs sont d‟anciens apprenants devenus de néo-
locuteurs de la langue, qui jouent un rôle d‟assistants pendant le cours, formant ainsi
des binômes pédagogiques avec l‟animateur principal. Ces collaborateurs ne
possèdent pas de formation spécifique dans le domaine de la didactique des langues.
Néanmoins ils ont créé une équipe de travail interdisciplinaire de recherche
autonome, qui a abouti à la création d‟un manuel de mapudungun spécifique pour
l‟enseignement de la langue dans un contexte urbain : Kom kim mapudunguaiñ
12 La variante nagche est aussi nommée par des auteurs tels que Croese (1980) et Smeets (2008)
comme la branche « centrale » du mapudungun. Aussi appelée la variante des « abajinos » (nagche
du terme nagün, descendre) ou des gens de la vallée (Zuñiga, 2007). Aussi désignée par Loncon
(1999) comme la variante parlée par les communautés mapuche du côté occidental de la région de
l‟Araucanie.
Introduction générale
24
waria mew13
(2009). Le public cible est formé de personnes adultes, d‟une moyenne
d‟âge de 30 ans, auto-définis comme « Mapuche » et « non-Mapuche ».
Ces caractéristiques m‟ont incitée à centrer ma recherche sur cette expérience
militante inédite en terrain mapuche. Ce contexte de transmission de la langue est,
en effet, un phénomène qui reste à ma connaissance très peu exploré dans le champ
de la didactique des langues et de la sociolinguistique. Compte tenu de premières
expériences observées tout au début de ma recherche, je m‟interroge alors sur les
choix didactiques de l‟enseignement/apprentissage du mapudungun dans un contexte
urbain pour un public adulte en milieu militant. Mes premières réflexions
m‟amènent à réaliser une approche critique de la situation avec l‟appui de
différentes lectures.
Compte tenu du contexte post-colonial, où les langues indigènes sont souvent
méprisées ou interdites, des auteurs comme Castelloti et Moore (2008: 211) et
Grande (2004) nous invitent à prendre en compte les limites des pédagogies
contemporaines qui se fondent le plus souvent sur des choix didactiques liés à
un « universalisme européen14
» (Wallerstein, 2007). Il apparaît en effet crucial de
questionner l‟efficacité des modèles didactiques utilisés dans le contexte des langues
minoritaires, comme le mentionne Grande (2004: 26) :
Beyond an approach to schooling that underscores the political nature of
education, American Indian students and educators also require a praxis that
enables the dismantling of colonialist forces. They need a pedagogy that
cultivates a sense of collective agency, both to curb the excesses of dominant
power and to revitalize indigenous communities. (…) Indeed, revolutionary
critical pedagogy‟s conception of culture as conditioned by material forces and
of schooling as a site of struggle offers great potential for indigenous peoples
working toward pedagogies for self-determination15
.
13 Ma traduction: « Nous apprendrons tous le mapudungun en ville ».
14 Selon Wallerstein (2007 :45), l‟universalisme européen est l'ensemble des doctrines et des
perspectives éthiques qui se détachent d'un contexte européen et aspirent à être - ou se présentent
comme - des valeurs universelles globales.
15 Ma traduction: « Au-delà d‟une approche des études scolaires qui soulignerait la nature politique
de l‟éducation, les étudiants indigènes d‟Amérique et les éducateurs exigent aussi une pratique qui
permet le démantèlement de forces colonialistes. Ils ont besoin d‟une pédagogie qui cultive un
sentiment d‟action collective, à la fois pour restreindre les excès du pouvoir dominant et pour
revitaliser les communautés indigènes. (…) En effet, la conception de la pédagogie critique
révolutionnaire d‟une culture conditionnée par des forces matérielles et de l‟enseignement comme
terrain de lutte offre un grand potentiel pour les peuples indigènes qui travaillent dans le sens des
pédagogies pour l‟autodétermination ».
Introduction générale
25
Les programmes d‟immersion privilégient généralement des approches
communicatives qui, dans les échanges, donnent la priorité à la langue cible. Dans le
cas des langues originaires, et/ou « d‟héritage » comme les appelle Hinton (2002),
l‟immersion permet la récupération d‟un contexte de communication et des
situations d‟échange interactionnel. Comme le signale Gajo (2001), reprenant les
définitions de l‟Association canadienne des professeurs d‟immersion (in Rebuffet,
1993 : 51), les stratégies utilisées dans ce type de démarche sont souvent au
croisement des didactiques dites de langues « maternelles » et « secondes ». Pour
cela la création d‟espaces et d‟activités liés à la langue et à la culture sont
nécessaires pour que les apprenants puissent réellement s‟immerger.
Envisager la mise en œuvre de projets comme celui-ci au sein de la
communauté des apprenants adultes de mapudungun semble un projet expérimental
capable d‟impulser de nouvelles perspectives dans l‟enseignement, non seulement
du mapudungun, mais aussi d‟autres langues originaires et/ou d'héritage.
Tout en tenant compte des caractéristiques du mouvement social dont elles
font partie, les expériences d‟enseignement/apprentissage dans ce contexte
particulier entraînent des questions diverses : Comment les expériences didactiques
peuvent être efficaces pour la « revitalisation » du mapudungun, langue dont les
contextes d‟usage sont de plus en plus restreints et menacés ? Peut-on reprendre des
modèles d‟enseignement de langues légitimes et standardisées ? Quelle pertinence
pourrait avoir l‟utilisation d‟outils comme le Cadre Européen Commun de
Référence16
pour ces langues minoritaires ?
Pour essayer de répondre à ces questions, j‟ai réalisé un travail de terrain de
neuf mois, principalement à Santiago du Chili où j‟ai recueilli une grande quantité
de données à travers des observations directes et indirectes dans des contextes divers
d‟enseignement. J‟ai également participé à des activités académiques et militantes
comme des journées d‟étude, des cérémonies traditionnelles, des rencontres, et une
observation participante dans le cadre d‟un stage d‟immersion linguistique dans une
communauté mapuche rurale.
L‟ensemble de ces expériences sur le terrain m‟a amenée à considérer le
mapudungun autrement que comme une langue « maternelle », « seconde » ou
« étrangère » et à réfléchir à son enseignement en tenant compte des ressources de
la tradition orale et de la transmission familiale, tout en recherchant des outils
didactiques appropriés pour la formation des apprenants.
16 CECRL : http://www.coe.int/T/DG4/Linguistic/Source/Framework_FR.pdf
Introduction générale
26
Mon intérêt pour l‟enseignement du mapudungun a donc pris la forme de
questionnements de recherche au gré des observations, des situations et des
rencontres sur le terrain. Mais il s‟ancre, en amont, dans des expériences
biographiques dont il convient de reconstruire quelques fragments, dans un souci
d‟objectivation et pour souligner le chemin parcouru.
2. Ancrages biographiques
Cette thèse prolonge en réalité des années de réflexion sur le système
d‟éducation chilien et sur la manière de traiter les peuples originaires, – en
particulier le peuple mapuche – à partir de matières scolaires telles que l‟histoire, la
philosophie ou le langage.
J‟ai d‟abord mené cette réflexion en tant qu‟élève, puis comme professeur
d‟espagnol « langue maternelle » dans l‟enseignement secondaire chilien. Scolarisée
dans le système public pendant la dictature d‟Augusto Pinochet (1973-1989), je
garde le souvenir de textes scolaires où l‟histoire des Peuples originaires s‟écrivait à
l‟imparfait, peuples présentés comme des tribus nomades, disparues il y a fort
longtemps. L‟indépendance du Chili réalisée de haute lutte par les « criollos » –
enfants des Espagnols nés en Amérique latine, qui auraient donné leur vie pour la
liberté et la patrie – est aussi redevable aux « indios araucanos ». Le rouge du
drapeau chilien, vient à propos nous rappeler le sang versé par ces « Indiens »
maintenant pratiquement privés de leur culture et de leur langue.
Ces souvenirs remontent vivement au moment où je deviens enseignante
d‟espagnol, en 2002, dans un lycée chilien. Les textes scolaires n‟ont pas tellement
changé depuis l‟époque de ma scolarité, et je vois dans les regards de mes élèves les
mêmes questions que celles je me posais pendant mon enfance et mon adolescence :
où sont donc passés les Mapuche, les Diaguita, les Selk’nam, les Quechua ?
Sommes-nous, les Chiliens, seulement des descendants d‟Espagnols criollos d‟une
énième génération ?...
Partant donc de ces premières interrogations tout à la fois intimes et
partagées, la première partie de mon travail doctoral a consisté à réaliser une
recherche bibliographique approfondie sur le mouvement mapuche actuel.
Rapidement, je me suis trouvée avec une multitude de questionnements sur mon
terrain, à cause de mes lacunes dans le domaine de l‟histoire du Chili et des
Mapuche. Plus je lisais, plus je me rendais compte de ma grande ignorance de
l‟histoire récente d‟un pays où je suis née et où j‟ai grandi. Les revendications
Introduction générale
27
territoriales du mouvement mapuche me semblaient intuitivement justes, mais mes
connaissances étaient vagues et dataient de ma scolarisation dans le système éducatif
chilien. Je connaissais l‟histoire et la géographie du Chili, mais j‟ignorais
complètement ce qui s‟était passé avant la création de l‟État-nation en 1818. Cela
m‟empêchait de comprendre les dimensions idéologiques et l‟ampleur des enjeux du
mouvement de ré-ethnification mapuche, les motifs de ses demandes territoriales,
culturelles et politiques pour le droit à l‟autodétermination. De ce fait, une grande
première partie de ma recherche théorique s‟est accompagnée d‟une re-lecture
historique et critique de documents issus de différents domaines, dont notamment les
recherches de l‟historien chilien José Bengoa, en contrepartie de celles de Sergio
Villalobos, historien partisan du régime militaire et omniprésent dans tous les textes
scolaires de l‟époque de mes cours d‟histoire (cf. Annexe 117
).
Pendant les années passées comme professeur dans le système éducatif
chilien (2002-2005), j‟ai vu défiler des étudiants descendant de familles mapuche.
Ceux-ci, malgré l‟existence du Programme d‟Éducation Interculturelle Bilingue
(PEIB) implanté à partir de 1996, n‟avaient jamais eu accès à un système
reconnaissant leurs origines, ou moins encore, s‟intéressant à une initiation à leur
langue, dans le cas où ils auraient perdu la transmission à l‟intérieur de leur
famille18
. Quelques années plus tard, je retrouve les enfants de cette génération qui
ont grandi. Plusieurs d‟entre eux sont devenus étudiants universitaires. Ils cherchent
à retrouver cette autre Histoire à travers des ateliers et cours à l‟université, ou dans
des organisations mapuche.
Je reviens enfin vers mon histoire personnelle et me rends compte que, sans
avoir un nom de famille d‟origine indigène, je suis moi aussi à la recherche de cette
identité amérindienne, tant de fois cachée par l‟histoire officielle. Je retrouve les
origines quechua de mon père et les problèmes de migration depuis le « Sud » de ma
mère. Sans être certaine de ma généalogie, je retrouve en moi et dans ma famille des
17
L‟annexe 1 constitue ainsi une contextualisation historique importante à double titre. Outre son
caractère documentaire, ce texte porte des traces du travail de déconstruction et de reconstruction
historique qu‟il a fallu accomplir pour aboutir à une connaissance critique de l‟histoire du Chili
colonial.
18 La principale critique des organisations indigènes au PEIB est justement le caractère
ségrégationniste de ce programme. Celui-ci s‟adresse exclusivement aux établissements scolaires
urbains et ruraux appartenant aux communes comportant le plus grand indice de population indigène
du pays. Ainsi, à cette époque le PEIB n‟a été mis en pratique que dans 162 établissements scolaires
sur un total de plus de 10 000 (voir le document du Ministère de l‟éducation chilien « PEIB -
Orígenes, Estudio sobre la implementación de la Educación Intercultural Bilingüe » (2011: 10). Une
situation comparable, à certains égards, à celle qu‟on peut apprécier en France avec l‟Enseignement
des Langues et Cultures d‟Origine (ELCO ou LCO). Un dispositif qui, depuis sa création en 1975,
présente des difficultés similaires : isolement, niveaux des contenus et formation des enseignants
(Billiez, 2000).
Introduction générale
28
traits et des pratiques sociales et culturelles très proches de celles de ces peuples
tenus en permanente invisibilité. De moi-même, j‟avais pris des cours de langues et
cultures originaires à l‟université dès que j‟y ai eu accès. En tant que jeune adulte, je
me sens appelée à travailler dans le domaine des langues et cultures originaires pour
mieux cerner ma propre identité. « C‟est ton mapuche piwke (cœur mapuche) qui
t‟appelle, le sang attire » m‟ont dit les vieux mapuche à qui j‟ai raconté mon
histoire.
3. Une problématique
Au cours de mon mémoire de master, réalisé à Lyon, j'ai eu l‟occasion
d‟explorer la didactique de l‟acquisition/apprentissage de secondes langues chez des
personnes analphabètes, dans un contexte européen. Cette recherche m‟a notamment
conduite à appréhender le phénomène de l‟oral dans l‟acquisition/apprentissage
d‟une seconde langue et, en même temps, de reconnaître chez des personnes dites
« analphabètes » d‟importantes capacités cognitives et des stratégies spécifiques
d‟apprentissage. Cette expérience m‟apporte, elle aussi, des éléments d‟analyse pour
mes recherches actuelles.
À travers mes lectures, je me pose des questions autour de l‟importance de
l‟oralité en didactique (Lhotte, 1995 ; Cornaire et Germain, 1998 ; López et Jung,
1998 ; Nonnon, 1999 ; Abascal, 2004 ; Dolz et Schneuwly, 2009). Je m‟intéresse,
dans le même temps, à la question de la revitalisation des langues et à des
expériences didactiques telles que l‟immersion (Gajo, 2001 ; Petit, 2001 ; Briquet,
2006 ; Aguilera et Le Compte, 2007 ; Carol, 2010 ; entre autres), ainsi qu‟au
dispositif de Master-Apprentice Learning Program (Hinton et Hale, 2001) en
Californie ou aux expériences de Nido de lenguas (Meyer et Maldonado, 2009) au
Mexique.
Je réfléchis ainsi à la manière dont ce croisement de domaines pourrait
bénéficier à l‟enseignement d‟une langue minoritaire comme le mapudungun, et ceci
pour un public adulte en contexte urbain.
Le développement et l‟offre progressive de cours et ateliers de mapudungun
à Santiago du Chili manifeste l‟intérêt croissant que suscitent la langue et la culture
mapuche, non seulement pour les personnes d‟origine mapuche, mais aussi auprès
d‟un public hétérogène et cosmopolite. En conséquence, ces ateliers de mapudungun
pour adultes peuvent être envisagés comme de véritables laboratoires permettant de
Introduction générale
29
mieux comprendre les enjeux de l‟enseignement/apprentissage d‟une langue
originaire dans un contexte urbain contemporain.
Les pratiques pédagogiques qui en découlent nécessitent que les éducateurs
puissent réfléchir aux spécificités de ce domaine qui émerge et se développe à
grande vitesse. Sachant que l‟enseignement du mapudungun en milieu urbain a
commencé il y a une vingtaine d‟années avec moins de trois enseignants et que
l‟offre n‟a cessé d‟augmenter, jusqu‟à comptabiliser plus de vingt cours dans la
seule Région Métropolitaine, on peut observer que le mouvement de revitalisation
prend régulièrement de l‟ampleur.
Qui sont les acteurs de ce mouvement ? Quelles sont les raisons de leur
investissement ? Dasn ce contexte, quels sont les enjeux de l‟enseignement du
mapudungun ? Quelles méthodes sont utilisées dans l‟enseignement/apprentissage
de cette langue ? Comment la didactique des langues, peut-elle contribuer à soutenir
ces initiatives locales ? C‟est à cet ensemble de questions de recherche que le
présent travail entend apporter des éléments de réponse.
4. Choix et opportunités méthodologiques
Au fil de plusieurs mois de préparation en France et d‟échanges assidus par
internet avec le Chili, petit à petit j‟ai commencé à cerner les outils méthodologiques
utiles pour ce travail. Les enquêtes et les interviews par skype avec des apprenants et
des formateurs ont donné lieu à un premier article paru en 2011 sur les « motivations
des étudiants pour apprendre le mapudungun » (Vergara, 2011).
Ce point de départ m‟a permis d‟approfondir les travaux de Speed (2006,
2008) et de Hale (2004, 2006, 2008). Chercheurs à l‟Université d‟Austin au Texas,
ces auteurs ont développé le concept de « recherche socialement engagée », aussi
connue comme « recherche activiste », « recherche décolonisée » et « recherche
collaborative ». Cette proposition académique et politique me semble très pertinente
et adaptée à la réalité de l‟étude ethnographique des peuples indigènes d‟Amérique
latine dans le contexte contemporain, ainsi qu‟à la posture de recherche que j‟ai peu
à peu adoptée et construite. J‟ai donc privilégié sur mon terrain la recherche
« participative-collaborative » qui, comme on le verra plus loin, est le socle sur
lequel j‟ai fondé la production de données et les analyses.
Sur le terrain, j‟ai choisi une observation participante des cours et ateliers de
mapudungun dans des contextes urbains, avec enregistrement des séances audio et
Introduction générale
30
vidéo. J‟ai également enregistré des entretiens auprès des enseignants et des
militants, pour recueillir leurs points de vue et des informations sur le mouvement et
son histoire. J‟ai collecté tous types de documents : images, affiches, documentation
promotionnelle en lien avec le cours, ainsi que les manuels et les fiches de travail.
En qualité d‟apprentie-ethnographe, j‟ai enfin tenu régulièrement un journal de
terrain.
La réalisation de ce terrain pendant l‟année scolaire chilienne 2012 (avril à
décembre), temps exceptionnellement long dans un pays autre que la France pour
une thèse en sciences du langage, a été rendue possible par l‟obtention d‟un contrat
doctoral du Ministère de l‟Enseignement Supérieur et de la Recherche (2010-2013).
Bien que ma recherche soit principalement fondée sur l‟étude du mouvement
mapuche à Santiago du Chili, il m‟a semblé opportun de m‟aventurer en territoire
argentin pour y retrouver un projet de revitalisation du mapudungun. Une réalité
souvent ignorée à cause des évènements historiques et politiques (cf. annexe 1). De
là, la nécessité de me rendre aussi en Argentine pour mieux percevoir l‟ampleur du
mouvement mapuche au-delà des frontières chiliennes. Ce séjour en Patagonie,
réalisé grâce au financement de la région Rhône-Alpes (bourse de mobilité Explora-
Doc), m‟a permis de comprendre l‟importance de la dimension transfrontalière du
mouvement mapuche, de repérer les types de contacts culturels entre les deux
terrains et d‟approfondir ma recherche sur ce mouvement social. J‟ai rencontré les
représentantes de la Confédération mapuche de Neuquén grâce à la médiation du
Centre d‟Études Populaires, Féministes et Interculturelles (CEPFINT) de
l‟Universidad Nacional de Comahue. Ainsi j‟ai pu connaître les expériences
conduites à travers le centre d‟éducation mapuche Norgvbamtuleayiñ et les projets
visant l‟introduction de nouveaux locuteurs de mapudungun dans les communautés.
Ma recherche rend compte de l‟état actuel d‟une des initiatives
d‟enseignement de cette langue minoritaire. Ce statut de minoritaire est le résultat
d‟une série d‟événements historiques, politiques, sociaux, économiques dont on doit
tenir compte pour mieux comprendre les enjeux de la situation contemporaine
observée. Il s‟agit donc, comme le décrit Canter-Kohn (2013), de conduire une
approche clinique « d‟implication plus que d‟explication », où existe une véritable
nécessité d‟infléchir une situation donnée et de contribuer de manière responsable à
un changement ponctuel, tout en gardant un nécessaire recul scientifique.
Introduction générale
31
5. Organisation du texte
Le texte s‟organise en trois parties. Chacune d‟elle comprend un ensemble de
chapitres. Ces derniers sont numérotés de 1 à 9.
La première partie est consacrée à la contextualisation historique et
sociolinguistique. Elle est composée de trois chapitres. Le premier chapitre est un
rappel historique des politiques linguistiques qui ont fait du mapudungun un cas
représentatif de glottophagie au Chili. Dans le deuxième chapitre, nous nous
intéressons au mouvement mapuche de ré-ethnification des dernières années,
considérant son importance au sein d‟un mouvement revendicatif indigéniste présent
dans toute l‟Amérique latine. Le troisième chapitre aborde la relation entre les
langues « de migration » et les langues « identitaires », deux notions qui nous
permettront de mieux comprendre l‟importance des motivations des enseignants et
apprenants au sein du mouvement de revitalisation linguistique et culturelle.
La deuxième partie présente les aspects méthodologiques de la recherche,
leurs fondements théoriques, les observations réalisées sur le terrain et les questions
qui en ont découlé. Le quatrième chapitre expose ma démarche méthodologique qui
s‟appuie sur une expérience de recherche collaborative. Le cinquième chapitre
permet d‟identifier les enjeux du mouvement de ré-ethnification mapuche
contemporain et ses incidences dans le processus d‟enseignement du mapudungun.
Enfin, une troisième partie présente en quatre chapitres les propositions et
les actions menées sur le terrain dans le cadre de la méthodologie choisie. Le
sixième chapitre décrit l‟état actuel de l‟enseignement de la langue en contexte
urbain, pour des adultes Mapuche et non-Mapuche, nés et/ou grandis en ville et
désirant devenir néo-locuteurs. Le septième chapitre, explicite la mise en place
d‟un dispositif d‟immersion linguistique et présente les résultats de l‟analyse de
cette expérimentation didactique. Le huitième chapitre opère un zoom sur le
phénomène de création lexicale en tant qu‟outil didactique. Finalement, le neuvième
chapitre rend compte de l‟analyse des postures idéologiques des acteurs sur le
terrain. Il pose ainsi la question de la pertinence d‟un purisme linguistique à partir
des analyses issues de l‟activité de création lexicale didactisée.
Mon travail s‟achève sur des éléments conclusifs et prospectifs, qui
synthétisent les principaux résultats obtenus et trace des pistes de prolongements, en
évaluant de manière critique la contribution de cette monographie à la construction
d‟une didactique des langues minoritaires.
Partie I
Premiers éléments de contextualisation
d’une langue minoritaire
Chapitre I
Langue mapuche au Chili :
un cas exemplaire de glottophagie
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
37
Dans ce chapitre initial, le concept de glottophagie (Calvet, 1974, 1997,
1999) nous permettra, tout d‟abord, de comprendre le processus de changement
linguistique et d‟éclairer, à partir de quelques chiffres, le statut actuel du
mapudungun dans la société environnante.
Dans un deuxième temps, on proposera un bref aperçu diachronique et
linguistique du mapudungun en soulignant le rapport étroit entre langue et territoire.
Quelques rappels historiques montreront les contacts anciens entre le mapudungun
et les langues européennes sur un même territoire.
Ces prémices permettront de comprendre l‟ampleur de ce déplacement
linguistique et le rôle joué, dans ce processus, autant par l‟Ecole que par l‟Eglise.
Enfin on montrera combien l‟imposition du castillan dans la scolarisation des
peuples indigènes a pu établir une véritable « colonisation linguistique ».
En tenant compte de l‟ensemble de ces données, on présentera les politiques
linguistiques mises en place depuis presque quarante ans et leurs conséquences
actuelles. Dans ce chapitre, s‟analyse également le dispositif du Programme
d‟éducation interculturelle bilingue du Ministère de l‟éducation chilien. A la suite de
ces analyses on tentera de situer les enjeux, les défis et les discours idéologiques mis
en jeu par la nécessité d‟une revitalisation culturelle et linguistique.
1. Politiques glottophagiques
Comment la langue mapuche a-t-elle été, peu à peu, supplantée par
l‟espagnol dans la plupart des domaines d‟usage ? La notion de « glottophagie »,
proposée par Calvet (1974, 1997, 1999) réfère à ce processus qu‟il définit comme la
dévoration d‟une langue (ou d‟une variété de langue) par une autre langue, coloniale
et dominante. Il s‟agit donc d‟une forme spécifiquement coloniale d‟assimilation
linguistique (Calvet, 1997 : 155).
C‟est donc un ensemble de facteurs historiques, économiques, sociaux et
politiques, qui, conjugués, sont capables d‟expliquer la quasi disparition du
mapudungun. Comme le signale Fishman (2001 : 2) on doit, en effet, prendre en
compte une série d‟éléments connexes :
Language is not the only important consideration in connection with the lives
of peoples and nations, communities and regions. There are also demographic,
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
38
economic, geographic and yet other essentially co-occurring sociolinguistic
factors19
.
A la lumière de divers faits historiques, politiques et sociaux, nous pouvons
évaluer le recul du mapudungun, supplanté par la langue dominante – l‟espagnol –
dans les territoires actuels du Chili et de l‟Argentine. Un phénomène courant dans le
contexte des langues minoritaires, comme le signale Calvet (1999 : 61) :
Les frontières politiques et les frontières linguistiques ne se correspondent que
rarement, et les découpages politiques peuvent avoir des retombées importantes
sur les situations écolinguistiques et sociolinguistiques : attraction vers la
langue de la capitale, introduction de rapports diglossiques, emprunts de la
langue dominée à la langue dominante, lente imposition de la langue centrale,
etc.
Les politiques linguistiques actuelles au Chili ne donnent pas de statut
officiel au mapudungun. Il fait partie des langues minoritaires non standardisées.
Bien que soit reconnue, à travers la Loi indigène, l‟existence des huit ethnies
originaires dans le pays, l‟espagnol est la seule langue officielle et la seule langue
d‟enseignement dans le système éducatif de l‟État nation chilien. Une situation que
l‟on pourrait comparer à celle des langues régionales en France. Bien que ces
langues – comme le breton, l‟occitan ou encore le corse – soient reconnues20
par
l‟État français et par la société comme des « parlers » existants, elles demeurent
généralement envisagées comme des « dialectes » et du « patois » de faible utilité
dans le monde actuel. Comme le signale Costa (2009 : 7) à propos de leur
reconnaissance tardive dans le système scolaire français :
En d‟autres termes, les langues régionales, jusque dans les années 1950, n‟ont
pas leur place à l‟école (mise à part la parenthèse pétainiste) parce qu‟étant de
toute manière parlées à l‟extérieur de l‟école, elles n‟ont donc pas besoin d‟être
enseignées (c‟est la variante politiquement correcte), et de plus, si elles
l‟étaient, elles nuiraient à l‟enseignement du français (Martel, 2007). Après
1950, on considère qu‟elles ne sont plus parlées ; comme elles ne constituaient
plus une menace dans l‟esprit du législateur, il était dès lors acceptable de leur
concéder une petite place à l‟école.
19 Ma traduction: « La langue n‟est pas la seule considération importante en ce qui concerne la vie des
peuples et des nations, des communautés et des régions. Il y a aussi les facteurs démographique,
économique, géographique et encore d‟autres facteurs essentiellement sociolinguistiques
concomitants ».
20 Une première reconnaissance en France a eu lieu en 1951 avec la Loi Deixonne qui autorisa
l‟enseignement facultatif et bénévole de certaines langues comme le basque, le breton, le catalan et
l‟occitan.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
39
Dans son rapport21
– et selon les critères de classification des langues qu‟il
adopte – Cerquiglini (1999) comptabilise 24 langues régionales sur le territoire
français. Il s‟agit de langues seulement parlées par la génération des grands-parents,
voire des arrière-grands-parents, donc de moins en moins pratiquées, leur
transmission n‟étant pas assurée à l‟intérieur des foyers.
Actuellement, pour le Chili, selon Loncon (2002), le mapudungun est
confronté aux problèmes communs aux autres langues minoritaires : diglossie
(Ferguson, 1959 ; Boyer, 1991), permanence de l‟oralité, acculturation linguistique,
substitution, changement et perte de loyauté linguistique des locuteurs (Calvet,
1984, 1987, 1994, 1999, 2005 ; Boyer, 1996, 2004, 2008, 2010).
Autant de paramètres qui expliquent le nombre de plus en plus faible de
locuteurs de mapudungun, même si les différentes études sur cette question
présentent des résultats variables, voire discordants.
Le Centro de Estudios Públicos, CEP (Centre des Études Publiques) a publié
en 2002 une enquête sur le nombre de locuteurs de mapudungun au Chili, conduite
auprès d‟un échantillon représentatif de 1 504 personnes mapuche. Cette étude a
estimé à 16% les locuteurs de mapudungun, à 18% les locuteurs réceptifs de la
langue, à 66% les personnes qui l‟ignorent (CEP, 2002 : 19). Pour Zuñiga (2010),
au Chili les estimations sur le nombre total de locuteurs de mapudungun se sont
stabilisées pendant les dernières années autour de 200 000 personnes.
Le recensement chilien du 2012 estime, quant à lui, le nombre de locuteurs
de mapudungun à 129 267, dont 114 988 personnes qui s‟auto-définissent comme
Mapuche. Le mapudungun serait pratiqué par 8,2% de la population mapuche totale.
En ce qui concerne l‟âge des locuteurs, le même recensement estime que 43,4% ont
plus de 50 ans, 17,9% entre 40 et 49 ans, 26,3% entre 20 et 39 ans. Enfin, 12,3% des
locuteurs appartiendraient à la tranche d‟âge des 5-20 ans.
Dans le contexte spécifique de Santiago du Chili, l‟étude de Gundermann et
al. (2009a) est un des travaux actuels les plus complets dans le diagnostic du profil
sociolinguistique des locuteurs de mapudungun dans la Région Métropolitaine. Pour
cette étude, les chercheurs n‟ont pris en compte que les compétences de
compréhension et de production orale, compte tenu des indices importants
d‟illettrisme du public interrogé. L‟établissement des critères pour déterminer le
niveau des compétences orales a été, en partie, inspiré du cadre de référence
européen, et prend en compte ainsi des aspects de la communication comme la
21 cf. Rapport au Ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et à la Ministre
de la culture et de la communication français.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
40
salutation, la localisation géo-spatiale et la connaissance de termes sur les liens
parentaux.
Les auteurs, sur un total de 580 personnes interviewées, ont recensé 34,1%
de locuteurs de mapudungun avec une compréhension haute ou suffisante de la
langue, 25% avec une compréhension moyenne et 40,9%, avec une compréhension
insuffisante par rapport à la capacité d‟écoute et « de rendre intelligible ce qu‟ils
entendent » (Gundermann et al. 2009 : 18-19). En relation à la capacité de
production orale, l‟étude signale que les locuteurs de la ville présentent des capacités
non optimales. Seulement 40,2% d‟entre eux auraient une bonne compétence,
pendant que 20,7% présenteraient des difficultés et 39,1% un niveau de performance
rudimentaire (Gundermann et al., 2009 : 19).
Ces premiers rappels statistiques permettent de comprendre l‟ampleur de ce
processus glottophagique et l‟état actuel des pratiques du mapudungun dans le
territoire chilien.
Par la suite, la présentation des éléments historiques montrera quelques
aperçus de l‟étroite relation entre langue et territoire. Ensuite se présenteront les
premiers éléments descriptifs du mapudungun et de ses variantes géo-dialectales,
pour terminer avec un dernier point sur le phénomène de mobilité, le contact de
langues et le bilinguisme caractérisant la période coloniale.
2. Langue et territoire: le Wallmapu22 et son unité
linguistique
La lecture des travaux portant sur les origines du peuple mapuche montre que
ce sont des études relativement récentes – après les années 1980 – qui s‟opposent à
l‟historiographie nationale dominante. Ces recherches contribuent à légitimer
l‟intérêt actuel pour la culture mapuche et les revendications du mouvement de
revitalisation.
Bien que des éléments culturels tangibles étudiés par l‟archéologie prouvent
la présence du peuple mapuche depuis la préhistoire, c‟est à travers l‟unité
linguistique du territoire mapuche que l‟on peut distinguer l‟influence et l‟expansion
de ce peuple sur plus de mille kilomètres du nord au sud du continent américain à
l‟arrivée des Espagnols au XVIème
siècle. Luis de Valdivia (1606), missionnaire
22
Territoire mapuche ancestral.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
41
jésuite créateur de la première grammaire de mapudungun, décrit à son arrivée sur
ce territoire l‟ampleur de l‟expansion linguistique au niveau géographique :
Cuatro cosas tiene esta lengua de Chile que la facilitan mucho y dan ánimo
para aprenderla. La primera, es que en todo el Reino de Chile no hay más de
esta lengua que corre desde la ciudad de Coquimbo y sus términos, hasta las
islas de Chiloé y más adelante, por espacio casi de cuatrocientas leguas de
Norte a Sur, que es la longitud del Reino de Chile, y desde el pié de la
cordillera grande nevada, hasta el mar, que es el ancho de aquel reino, por
espacio de veinte leguas: porque aunque en diversas provincias de estos indios
hay algunos vocablos diferentes, pero no son todos los nombres verbos y
adverbios diversos, y así los preceptos y reglas de este Arte son generales para
todas las provincias23
.
La forte implantation du mapudungun illustre bien l‟unité sociale et la
résistance culturelle du territoire mapuche avant même la présence des colonisateurs
européens. Bien que la présence du Tawantinsuyu24
et de la langue quechua aient
fortement influencé les groupes mapuche de la zone des vallées centrales
d‟Aconcagua et Mapocho (actuelles régions de Valparaìso et Métropolitaine), la
tenace résistance des Mapuche a empêché tout type de dépendance vis-à-vis de
l‟Empire Inca, tout autant que l‟adoption de sa langue. De même, le terme araucano,
adopté par les Espagnols à leur arrivée pour désigner le peuple mapuche est
d‟origine quechua, il proviendrait du terme auka, vocable utilisé pour nommer les
populations rebelles ou ennemies.
Actuellement, la plupart des thèses sur les origines du peuple mapuche
exposées dans les manuels d‟histoire soutiennent les origines externes de cette
population25
. De même, dans ce type de texte, le mapudungun est dénigré et
catalogué comme une langue sans vocabulaire abstrait, comme l‟indique l‟extrait
suivant:
23 Transcrit du castillan du XVII
ème siècle au castillan contemporain par mes soins. Ma traduction:
« Cette langue du Chili possède quatre choses qui facilitent beaucoup et donnent envie de
l‟apprendre. La première, c‟est que dans tout le royaume du Chili il n‟y a que cette langue qui
s‟étend depuis la ville de Coquimbo et ses limites, jusqu‟aux îles de Chiloé, et plus loin sur presque
quatre cents lieues du Nord au Sud, ce qui représente la longueur du Royaume du Chili, et du pied de
la grande cordillière enneigée jusqu‟à la mer, ceci étant la largeur de ce royaume, sur une distance de
vingt lieues; car bien que dans certaines provinces de ces indiens il y ait quelques mots différents,
tous les noms, verbes et adverbes ne le sont pas, et ainsi les préceptes et règles de cet Art sont
communs à toutes les provinces ».
24
Empire Inca.
25 Une des plus répandues dans les manuels scolaires est celle de l‟origine tupi-guarani des Mapuche,
qui défend l‟hypothèse d‟une migration originaire de la forêt amazonienne et du Gran Chaco
(Latcham, 1924). Sans étayage scientifique au niveau archéologique, ethnographique et encore moins
linguistique, ces théories restent cependant les plus diffusées dans la société chilienne actuelle.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
42
El idioma mapuche se caracteriza por su notable estabilidad fonética y su
estructura sencilla y de fácil análisis. Como es natural hay pocos sustantivos y
casi carece de vocabulario que no exprese ideas concretas26
. (Encina, 1940 in
Bengoa, 2007 : 194).
En réaction à la faiblesse des éléments soutenant la thèse d‟une origine
externe, est apparue la théorie autochtoniste – ou d‟origine interne. Elle est défendue
par des chercheurs tels que Bengoa (1982, 1984, 1996, 2000, 2002, 2007, 2011),
Gordon (1984, 1985) et Dillehay27
(1995, 2002, 2007) qui avancent, quant à eux,
que le territoire chilien était habité par divers groupes de chasseurs-cueilleurs qui
occupaient les territoires de façon saisonnière. Il n‟existe pas d‟éléments, autres que
les procédés de contact, permettant d‟estimer comment un de ces groupes a pu
supplanter les autres avec sa langue. Cependant, même si les preuves expliquant ce
phénomène de suprématie font défaut, des vestiges archéologiques (restes lithiques,
rites funéraires, entre autres éléments culturels) mettent en évidence l‟existence
d‟une culture qu‟on pourrait nommer « mapuche » aux alentours des années 600 à
500 av. J.-C (cf. Bengoa, 1996a).
Selon les estimations de Bengoa (1996a : 15-16), à l‟arrivée des Espagnols la
population sur le territoire mapuche devait être d‟un million de personnes28.
Al hablar de un millón de habitantes, estamos señalando que a la llegada de los
españoles, el territorio chileno no era habitado por bandas de aborígenes
desarrapados, ni por grupos aislados de cazadores nómades, como
normalmente se insinúa en los libros de historia y en la historiografía nacional.
Un millón de habitantes en un territorio tan delimitado como el chileno –
26 Ma traduction: « La langue mapuche se caractérise par sa stabilité remarquable au niveau
phonétique et sa structure simple et d‟une analyse facile. Bien entendu il y a peu de substantifs et il y
a peu de vocabulaire, qui n‟exprime pas des idées concrètes ».
27 Dans l‟ensemble des théories dites autochtonistes, les études faites sur le site de Monte Verde dans
le sud du Chili par Tom Dillehay et Mario Pino (1977) soutiennent l‟existence d‟une culture naissante
interne et non issue d‟une migration. Dillehay et Gordon (1978, 1985) ont retrouvé des traces de la
société mapuche à travers la découverte de tumuli rituels datant du XVIème
siècle. Ils ont identifié
l‟actuelle région de l‟Araucanie comme une zone très avancée du point de vue économique, politique
et social.
28 Bengoa s‟appuie sur les théories de l‟École de Berkeley des vingt dernières années, sur la
« méthode régressive » utilisée en démographie indigène en Amérique. Les chiffres traditionnels sont
en général fondés sur le recensement de l‟époque de la colonisation ignorant l‟énorme mortalité
produite dans les premières années de la conquête espagnole à cause des maladies européennes,
principalement de la peste.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
43
desierto de Atacama, cordillera y mar – plantea la existencia de una
organización social, o varias organizaciones, bien estructuradas29
.
Actuellement il n‟existe pas de données spécifiques pour expliquer
l‟unification de cette langue sur ce territoire sans supposer l‟existence d‟un État
centralisé, comme pour l‟Empire Inca. À l‟arrivée des Espagnols, les chroniqueurs
parlent d‟une homogénéité linguistique depuis la vallée de Choapa, actuelle région
de Coquimbo, jusqu'à l‟archipel de Chiloé. Bien qu‟il existe encore de nos jours une
discussion sur l‟origine et les familles linguistiques du mapudungun, on peut
affirmer que la lingua franca était parlée par les habitants du territoire mapuche.
Concernant la documentation du mapudungun, on peut remonter jusqu‟au
début du XVIIème
siècle avec les travaux des missionnaires jésuites et capucins. Leur
but principal était l‟évangélisation à travers la traduction des textes chrétiens en
mapudungun. Les missionnaires catholiques en territoire mapuche rassemblent un
riche matériel documentaire sur cette population et décrivent sa langue. Preuve en
sont les grammaires réalisées par des missionnaires, comme celle d‟Andrés Febrés
(Arte de la lengua general del Reyno de Chile, 1765) et celle de Bernardo Havestadt
(Chilidúgú sive Tractatus linguae chilensis, 1777).
En tenant compte de ces premières données de documentation du
mapudungun, on présentera par la suite quelques éléments descriptifs de cette langue
et de ses principales caractéristiques dialectales.
2.1 Quelques éléments descriptifs de la langue
L‟édition de grammaires et de dictionnaires écrits par des missionnaires
catholiques au début du XXème
siècle permet, à travers la langue, de comprendre
aujourd‟hui certains aspects historiques. Ce sont des textes de caractère descriptif,
comme les travaux de Fray Félix José de Augusta (Gramática Araucana, 1903 ;
Diccionario Araucano-Español/Español-Araucano, 1916) et d‟Ernest Wilhelm de
Moesbach (Idioma Mapuche, 1962). Signalons, en particulier, que le dictionnaire De
Augusta reste encore de nos jours une référence pour tous les linguistes et
chercheurs. Parmi les études contemporaines consacrées à la langue, les
29 Ma traduction: « En parlant d‟un million d‟habitants, nous attirons l‟attention sur le fait qu‟à
l‟arrivée des Espagnols, le territoire chilien n‟était pas habité par des bandes d‟aborigènes
déguenillés, ni par des groupes isolés de chasseurs nomades, comme cela est insinué habituellement
dans les livres d‟histoire et d‟historiographie nationale. Un million d‟habitants dans un territoire aussi
délimité que celui du Chili - Désert d‟Atacama, Cordillère et mer – suppose l‟existence d‟une
organisation sociale, ou de plusieurs organisations, bien structurées ».
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
44
contributions sans doute les plus importantes sont celles du professeur et ethnologue
Adalberto Salas (1983, 1987, 1996). Il est l‟auteur de nombreuses études
descriptives des langues originaires parlées au Chili, ainsi que de diverses
publications autour de la phonologie et de la grammaire du mapudungun.
Actuellement de très nombreux spécialistes continuent à étudier les divers aspects de
cette langue : origines, bases structurales, statut, ainsi que les questions
d‟enseignement/apprentissage30
.
L‟enquête lexicale de De Augusta au début du XXème
siècle, est une
recherche des plus complètes et passionnantes avec plus de cinq mille entrées
mapudungun-espagnol et sept mille entrées espagnol-mapudungun, « El Augusta »
est, pour le mapudungun, une référence comparable au Larousse ou au Robert pour
la langue française.
Parmi la grande diversité des théories sur l‟origine et les liens directs avec
d‟autres langues amérindiennes, selon les études du linguiste allemand Lenz (1895-
1897), le mapudungun serait une langue isolée. Cette hypothèse est soutenue par des
chercheurs contemporains comme Croese (1991), Adelaar et Muysken (2004),
Fernández-Garay (2005), Smeets (2008), entre autres, qui affirment aussi que le
mapudungun fait partie d‟une unité séparée.
Comme le signalent Hernández Sallés, Ramos et Huenchulaf (2006), la
plupart des études qui apparentent le mapudungun aux langues voisines se fixent
presque exclusivement sur les caractéristiques structurales que partagent la plupart
des langues du tronc andin : son caractère agglutinant (Moesbach, 1962) – fomation
de mots à partir de plusieurs éléments avec signification propre – et sa qualité
polysynthétique (Salas, 1992) – un seul mot a des fonctions syntactiques, verbales,
substantives et adjectives31
.
Dans une langue agglutinante chaque morphème a une propriété définie et
constante. C‟est-à-dire lorsqu‟à l‟intérieur d‟un mot existent divers morphèmes
ceux-ci n‟altèrent pas la morphologie générale. Selon Salas (1992) ces éléments sont
en général très bien définis et constants, ce qui permet une identité segmentale.
30 cf. Golluscio (1989, 2009), Alvarez-Santullano (1992), Alvarez-Santullano & Forno (1998),
Fernández-Garay (1992, 2005), Catrileo (2000, 2002, 2005), Hernández et al. (2005, 2006), Loncon
(2007, 2011a, 2011b), Malvestitti (1997, 2003, 2012), Zuñiga (2006,2007), Mariano et al. (2009,
2010, 2013), Smeet (2008), Díaz-Fernández et Fernández-Garay (2011), Hasler (2012), entre autres.
31 Zuñiga (2006) reprend cette catégorisation en donnant quelques spécifications. Pour l‟auteur,
aucune langue ne correspond à un seul type morphologique, plutôt à la domination de certains
morphèmes.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
45
Une langue polysynthétique est capable de combiner un morphème lexical
avec une grande quantité de morphèmes grammaticaux. Le mapudungun a une
tendance à la suffixation, la plupart des morphèmes grammaticaux se trouvant après
le lexème.
En mapudungun, il n‟existe pas de différenciation ni de variation de genre ni
de nombre pour le nom. Chaque nom a une seule et unique forme qui peut être
spécifiée avec un adjectif supplémentaire pour clarifier le genre. Pour le nombre, la
particule pu indique la pluralisation du nom, lorsqu‟il devient nécessaire de le
préciser, sinon la particule généralement est effacée. Pour le système verbal, le
mapudungun présente trois types de sous-catégories grammaticales du nombre : le
singulier, le pluriel et le duel. Selon Salas (1992), ses formes verbales sont
composées par une série d‟éléments significatifs combinés dans un ordre hautement
régulier. Quant à son système temporel, il est composé par une dichotomie de
futur/non futur. Pour marquer le temps du futur, on utilise le morphème [–a]. Le
passé et le présent ne comptent pas vraiment de marque de morphème, et se
différencient seulement à travers le contexte de la phrase.
D‟autres marqueurs importants sont les marqueurs directionnels déictiques
pour établir la référence spatiale du discours, comme par exemple –pa pour marquer
« ici » ou « vers ici », -pu pour « là-bas » ou « vers là-bas » ou –me pour « faire
l‟aller et le retour ». Il existe aussi des morphèmes qui aident à préciser la manière
dont se réalise l‟action, comme par exemple –ke pour marquer la quotidienneté, -
fem pour l‟immédiat ou -rume pour préciser un acte soudain.
Sur le plan phonologique, le mapudungun présente des variations d‟une
région à l‟autre, comme l‟expliquent les travaux de Lenz (1985/1987) et Salas
(1992).
Pour observer le système phonologique du mapudungun, nous suivrons les
tableaux des phonèmes vocaliques, consonantiques et semi-consonantiques selon
Fernández-Garay (2005 : 31-32). Selon cette classification on distingue 6 voyelles,
18 consonnes et 2 semi-consonnes.
Tableau 1 : phonèmes vocaliques.
Source © : Fernandez-Garay (2005).
Les voyelles a, e, i, o, u ont la même valeur qu‟en espagnol. La voyelle ü,
correspondrait en Alphabet Phonétique International au phonème /ɨ/.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
46
Tableau 2 : phonèmes consonantiques.
Source © : Fernandez-Garay (2005).
Tableau 3 : phonèmes semi-consonantiques.
Source © : Fernandez-Garay (2005).
En mapudungun on trouve des phonèmes consonantiques similaires aux
langues d‟origine latine, ce qui permet aux apprenants chiliens hispanophones une
appropriation rapide.
Néanmoins, il existe aussi des phonèmes particuliers, comme le phonème
consonantique rétroflexe /tr /. Pour Zuñiga (2009), il est similaire à la prononciation
du groupe /tr/ anglais. Pour Fernández-Garay, la consonne représentée par / δ / se
prononce soit comme un /d/ intervocalique soit comme une /z/ de l‟espagnol
ibérique. Pour Zuñiga (2009) le phonème fricatif /đ/ a de multiples prononciations
dépendant de la variante et de la prononciation de chaque locuteur. Preuve de cette
diversité, l‟auteur signale les différentes représentations qu‟on peut trouver dans le
système phonologique du mapudungun, comme par exemple /đ/, / δ/, /sd/, /d/ et /
z/. Selon l‟auteur, il existe d‟autres sons qui généralement sont présentés comme
similaires en mapudungun et en espagnol, sans que nécessairement ce soient les
mêmes, comme par exemple la nasale ng /ŋ/ (ngillatun), la latérale palatale / λ /
(llalliñ), la rétroflexe /r/ (rali) et les fluctuations entre les fricatives /f/, /δ/ et /s/.
Selon Hernández, Ramos et Huenchulaf (2006), il n‟existe pas vraiment
d‟études sur l‟intonation propre à la langue, mais en termes généraux les cadences
finales sont similaires à celles de l‟espagnol, et l‟accent et l‟intonation n‟ont pas de
valeur phonémique.
Les phrases interrogatives sont marquées avec des inflexions ascendantes
obligatoirement lorsqu‟il n‟y a pas de pronom interrogatif. Par contre, si la phrase
possède le pronom interrogatif, on peut avoir une intonation descendante. Les
phrases affirmatives finissent toujours par des intonations descendantes.
Ces premiers éléments de description formelle du mapudungun ne doivent
pas en masquer l‟hétérogénéité et la variabilité constitutives.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
47
2.2 Variantes géo-dialectales
Dans son livre Estudios Araucanos (1895-1897), Rodolfo Lenz étudie les
variantes du mapudungun et propose une classification permettant de différencier
ces identités territoriales au niveau linguistique32
. Ces variantes se divisent
principalement en quatre dialectes. Au nord, le pikunche (région centrale du Chili,
vers le sud jusqu‟à la rivière Malleco), le moluche (vallée de la région de
l‟Araucanie), le pewenche (région des Andes) et le williche (région de l‟extrême sud
du territoire mapuche).
Pour sa part et plus récemment, Robert Croese (1980, 1991) identifie huit
dialectes séparés en trois branches, suivant le modèle décrit par Lenz (1895-1897),
mais en rajoutant d‟autres sous-catégories, principalement dans la zone de la vallée
de l‟Araucanie. Salas (1992) confirme, lui, l‟intelligibilité entre tous les dialectes, en
excluant le williche (veliche) ou chedungun (parlé dans la zone sud du territoire
mapuche et dans l‟archipel de Chiloé). Le williche est considéré comme le dialecte
le plus éloigné dans la famille du mapudungun, surtout au niveau syntaxique, ceci
possiblement en raison d‟un contact intense avec le castillan pour des raisons socio-
historiques (voir contact des langues ci-après), mais aussi d‟une très forte influence
des langues fueguinas – langues de la Terre de Feu– parlées par les peuples pêcheurs
nomades des mers australes.
Selon Fernández-Garay (2005) du côté argentin, les études plus récentes de
Malvestitti (2003) dans la province de Rio Negro et celles de Díaz-Fernández (2003)
dans la province de Chubut, signalent et réaffirment que le mapudungun parlé dans
ces régions correspondrait à la variante moluche (Lenz, 1895-1897), à la suite de la
migration des populations de cette région vers la Pampa.
Différents types de mobilité de populations ont, par ailleurs, généré des
situations de bilinguisme et de contacts de langues dont on donne quelques exemples
emblématiques dans le point suivant concernant la période coloniale.
32 Rodolfo Lenz (1895-1897) documente la langue mapuche en incluant des aspects de la culture,
comme la description des rituels et de la tradition orale. Lenz a aussi étudié la présence marquée des
aspects phonétiques du mapudungun et l‟influence sur l‟espagnol parlé au Chili (cf. Lenz, 1912).
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
48
2.3 Mobilités, contact des langues et bilinguisme à
la période coloniale
Dès l‟arrivée des colonisateurs au XVIème
siècle, la vitalité du mapudungun
dans la région des vallées centrales se trouve menacée. La langue mapuche dans sa
variante pikunche se perd rapidement en raison du contact linguistique avec
l‟espagnol, du métissage et de la fondation de villes importantes à l‟époque
coloniale, telles que Chillán, Rancagua, Santiago, Valparaíso et Quillota.
Cependant, et malgré la rareté des études sur la situation sociolinguistique du
mapudungun pendant la période de la colonisation espagnole, on peut estimer que la
langue mapuche maintient sa vitalité sur le territoire ancestral, c‟est-à-dire, dans la
partie sud de la frontière du fleuve Bio-Bio.
Quelques textes d‟historiographes et des récits de voyages viennent
confirmer cette théorie comme, par exemple, celui du marin anglais John Byron
publié en 1768, qui note le contact entre le veliche (variante du mapudungun parlé
par la population williche), et le castillan dans son ouvrage autobiographique
« Account of the Shipwreck of The Wager; and the Subsequent Adventures of Her
Crew» (en référence au naufrage de la frégate Wager). En effet, en 1741 après le
naufrage de son navire, Byron se retrouve dans l‟île de Chiloé où il signale que les
soldats espagnols préfèrent parler la langue veliche, qu‟ils trouvent « plus belle »
que l‟espagnol.
Cette situation particulière peut s‟expliquer par des raisons géopolitiques très
précises. À l‟époque coloniale, bien qu‟administré par la Couronne, l‟archipel de
Chiloé est un territoire coupé du reste du continent, géographiquement autant que
politiquement (Urbina Carrasco, 2011 : 600). Après la rébellion du peuple mapuche
de 1598, l‟armée espagnole présente à Chiloé se retrouve isolée33
dans un territoire
habité par les Williche et les Chono. Cela provoque une évolution sociolinguistique
de la langue veliche ou chezügun (le « parler des gens »), différente des autres
variantes du mapudungun sur le continent.
Un peu plus tard, au début du XIXème
siècle, en pleine période
indépendantiste, l‟aristocrate anglaise Mary Graham rend visite à Bernardo
O‟Higgins, le Directeur suprême de l‟État chilien émergent34
. Graham ([1822] 1972
33 L‟archipel est une enclave militaire espagnole qui surveille le passage des navires entre les océans
Atlantique et Pacifique dans le but d‟empêcher les possibles invasions européennes.
34
Le général O‟Higgins – considéré au Chili comme le « Père de la Patrie – est un créole. Il est le
seul président locuteur de mapudungun de l‟histoire.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
49
: 261-262) raconte comment le dignitaire s‟adresse en « araucan » à deux petites
orphelines qui demeurent chez lui :
A los niños se les educa, y servirán más tarde como mediadores entre la raza
indígena y Chile, y, para este fin se procura que no olviden su lengua nativa. El
Director les dirigió la palabra en araucano para que yo oyese hablar en este
idioma, que me pareció armonioso y agradable, debido, quizá, en parte, a la
suavidad de las voces infantiles35
.
Plus tard, vers la fin du XIXème
siècle, notons un autre récit, cette fois-ci
autobiographique, du migrant basque-français Pedro Montory (in Madariaga, 2005 :
53) qui souligne l‟usage du « mapuche » dans des transactions commerciales :
Quienes trabajaban en las tiendas sabían francés y castellano, además del
euskera. Al ser zona fronteriza, también aprendieron el mapuche, porque
comerciaban con los indígenas36
.
Ce récit corrobore la situation de contact des langues entre les colons
immigrés européens et les communautés mapuche dans la « région de la frontière »,
spécifiquement dans la ville de Caðete, région de l‟Araucanie. On peut donc
supposer le contact du mapudungun avec d‟autres langues européennes tout au long
des siècles de voisinage.
Le début du XXème
siècle marque le moment historique le plus important
pour le changement linguistique du mapudungun de nos jours, celui-ci résultant de
l‟exode des jeunes mapuche vers les villes, et plus spécialement vers la capitale du
Chili, Santiago.
Le missionnaire capucin De Moesbach réalise une des recherches les plus
intéressantes de cette époque en interviewant et en compilant les récits du longko
Pascual Coña [1930], (2002 : 25) qui témoigne du processus de glottophagie à
l‟œuvre et qui déjà présage de l‟avenir de la langue :
En nuestros días la vida ha cambiado; la generación nueva se ha chilenizado
mucho; poco a poco ha ido olvidándose del designio y de la índole de nuestra
35 Ma traduction: « On élève les enfants afin qu‟ils servent plus tard de médiateurs entre la race
indigène et le Chili, et pour cela on fait en sorte qu‟ils n‟oublient pas leur langue native. Le Directeur
leur adressa la parole en araucan pour que je puisse entendre parler cette langue, qui me parut
harmonieuse et agréable, en partie sans doute, grâce à la douceur des voix enfantines ».
36 Ma traduction: « Ceux qui travaillaient dans les magasins connaissaient outre l‟euskera, le français
et le castillan. Se trouvant en zone frontalière, ils apprirent aussi le mapuche, car ils commerçaient
avec les indigènes ».
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
50
raza; que pasen unos cuantos años y casi ni sabrán hablar ya su lengua nativa.
Entonces, ¡que lean algunas veces este libro!37
Selon Adalberto Salas (1987), le phénomène de la migration rurale-urbaine
favorisait particulièrement la castellanisation des Mapuche. Pour l‟auteur, le lien
étroit entre la langue et la culture ne permettrait pas l‟insertion de la langue lors de
situations communicatives, dans des contextes non-traditionnels. C‟est-à-dire, selon
cette théorie, l‟usage du mapudungun en milieu urbain était depuis quelques
décennies voué à l‟extinction.
3. Le rôle de l‟Eglise et de l‟Ecole dans le processus
d‟assimilation linguistique
Vers la fin du XVIIème
siècle s‟établissent les premières institutions
éducatives et religieuses dans la région de la frontière de la Couronne espagnole. En
1697, les franciscains fondent le « Colegio de Naturales de Chillán », un collège
qui vise l‟évangélisation et la « civilisation ». Située à quelques centaines de
kilomètres au nord de la frontière du Bio-Bio, cette institution assure la formation
des enfants des hommes les plus riches et importants du pays, c‟est-à-dire, les
enfants des longko (chefs) mapuche et les enfants des créoles et espagnols,
serviteurs de la Couronne.
Les ordres missionnaires profitent de cette ouverture pour commencer un
processus d‟évangélisation, sans résultats probants. Pour Foerster (1993 : 39),
l‟église catholique a dû renoncer à abolir la religiosité mapuche et envisager un
syncrétisme :
Enseñaban al pueblo mapuche que el Padre Celestial de los cristianos era
idéntico con el NGENECHEN, que el relato bíblico del diluvio correspondía
a1 TREN-TREN mapuche y, el sacrificio del NGUILLATUN a 1os sacrificios
de Israel en el Antiguo Testamento38
.
37 Ma traduction: « De nos jours, la vie a changé; la nouvelle génération s‟est beaucoup
« chilenisée »; elle a oublié peu à peu les desseins et la nature de notre race; encore quelques années
et ils ne sauront déjà presque plus parler leur langue native. Qu‟ils lisent alors quelques fois ce
livre! ».
38 Ma traduction: « Ils apprenaient au peuple mapuche que le Père Céleste des chrétiens était
comparable au « NGENECHEN », que le récit biblique du déluge correspondait au TREN-TREN
mapuche tout comme le sacrifice du NGUILLATUN aux sacrifices d‟Israël de l‟Ancien Testament ».
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
51
Dans le contexte de la création de réserves indigènes, l‟arrivée des colons
européens dans les anciens territoires mapuche renforce des institutions importantes
comme l‟Eglise et l‟Ecole. Au cours du XXème
siècle se produit une expansion de la
religion chrétienne et de l‟éducation occidentale. Ces deux institutions, appuyées par
l‟omnipotence de l‟action de l‟État, influencent les politiques linguistiques et le
statut de la langue mapuche dans le Chili d‟aujourd‟hui.
Une fois déclarée l‟Indépendance du Chili (1810), le territoire mapuche et
ses habitants sont insérés brusquement dans cette nouvelle vie institutionnelle,
comme le signale Donoso (2008 : 49) :
Las escuelas públicas y misionales no solo compartieron la tarea de integrar a
los estudiantes mapuche a la sociedad nacional, compartieron los contenidos
impartidos (idioma castellano, lecto-escritura, matemáticas básicas y religión) y
también su semántica (palabras como iglesia y escuela, profesor y misionero
fueron prácticamente intercambiables, aspecto que puede constatarse incluso en
nuestros días)39
.
L‟école joue bien un rôle fondamental dans le processus de « glottophagie ».
Bien évidemment cette domination entraîne un démembrement linguistique,
identitaire et culturel où l‟écriture et l‟alphabétisation en espagnol s‟avèrent comme
l‟affirmation de la civilisation. À contrario, l‟oralité du mapudungun est reléguée à
la vie « sauvage » de la seule sphère familiale, sous-entendue : non civilisée.
Comme c‟est le cas pour tout le continent américain, le modèle éducatif
cherche l‟assimilation des peuples indigènes au modèle euro-centriste d‟éducation.
Grande (2004) décrit comment les missionnaires espagnols et britanniques ont
développé des systèmes d‟éducation pour « désindianiser » et « américaniser » les
enfants indigènes aux États-Unis. Une situation similaire à celle vécue dans les
réserves mapuche à la même époque, comme le décrit Grande (2004 : 15) « public
education as the most efficient means by which to train Indians to “think white”40
».
L‟école représente ainsi le seul modèle viable pour répondre aux besoins
imposés par les colonisateurs. L‟acquisition de la langue espagnole devient
39 Ma traduction: « Les écoles publiques et missionnaires partagent non seulement la tâche d‟intégrer
les étudiants mapuche à la société nationale, ils partagent aussi les contenus imposés (le castillan, la
lecture et l‟écriture, les mathématiques basiques et la religion) et aussi sa sémantique (les termes
comme église, école, professeur et missionnaire étaient pratiquement interchangeables, aspect que
l‟on peut même constater de nos jours ».
40 Ma traduction: « L'éducation publique comme le moyen le plus efficace pour former les Indiens à
la "pensée blanche" ».
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
52
essentielle et pour cela les églises catholiques et évangéliques, à leur tour, feront un
travail d‟experts, comme l‟illustrent Azñcar et Flores (2006 : 78) :
La mirada modernizadora llegada a Chile iba dirigida hacia los niños mapuche
con su carga instructivista, moralizadora, interventora, planificadora y
calculadora. La escuela, asociada a las misiones, era pensada como otro medio
para civilizar al mapuche41
.
Caniuqueo (2006 : 165) décrit comment deux congrégations religieuses se
sont établies au cœur de l‟Araucanie pour prendre en charge la scolarisation des
enfants mapuche: les capucins et les anglicans.
La educación del indígena se convirtió en la acción redentora de la civilización,
pero a ello se debían agregar condiciones para ser inculcada, como el asilo o
internado de los alumnos, enseñándosele al niño mapuche un orden donde el
capital necesitaba de obreros muy bien disciplinados para la producciñn. (…)
La educación misional estaba más orientada al área campesina, a través de los
metodistas con sus escuelas granjas y los anglicanos, con los hospitales y
escuelas. Los niños que terminaban sus estudios podían volver como profesores
y desarrollar un proceso de alfabetización42
.
Les pères capucins se sont installés à 5 kilomètres au sud de la ville de
Temuco. Ils ont construit des écoles, pour la plupart des internats. Le rôle des
pensionnats dans le monde entier est bien connu pour favoriser une colonisation
culturelle. Calvet (1974) évoque la permanence de cette pratique jusque 1972, au
moins, en Guyane française. Le but culturel des pensionnats dans des communautés
opprimées était de séparer l‟enfant de sa famille d‟origine et de restreindre au
maximum les visites. Comme le mentionne Fray Jerónimo de Amberga ([1913], in
Bengoa, 1996a: 383), à travers ce système on obtient une meilleure intégration et
assimilation de la culture dominante :
Para la civilización de la Araucanía necesitamos escuelas, escuelas y otra vez,
escuelas. Es preciso sacar al niño araucano de su ruca para que aprenda pronto
41 Ma traduction: « Le regard modernisateur arrivé au Chili était dirigé vers les enfants mapuche avec
un poids éducatif, moralisant, interventionniste, planificateur et calculateur. L‟école, associée aux
missions, était conçue comme un autre moyen pour civiliser le mapuche ».
42 Ma traduction: « L‟éducation de l‟indigène s‟est convertie en une action rédemptrice de la
civilisation, mais pour cela il a fallu ajouter certaines conditions pour l‟enseigner, comme le
pensionnat ou l‟internat pour les élèves, il a fallu apprendre à l‟enfant mapuche un ordre où le capital
avait besoin d‟ouvriers très disciplinés pour la production (…) L‟éducation missionnaire était plutôt
orientée vers la zone rurale à travers les méthodistes avec leurs écoles agricoles et les anglicans avec
les hôpitaux et les écoles. Les enfants qui finissaient leurs études pouvaient devenir professeurs et
développer le processus d‟alphabétisation ».
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
53
y bien el castellano; para que en el íntimo contacto con el niño blanco, asuma
las mil ideas que forman la vida civilizada y que el campo no puede prestar43
.
En 1916, la Congrégation des capucins soutient la création de l‟association
Unión Araucana, caractérisée par sa position intégrationniste. Selon Bengoa
(1996a : 384), son leader mapuche, Antonio Chihuaylaf encourage l‟éclatement des
communautés, organise l‟interdiction et la persécution de la polygamie et des
traditions mapuche. Il interdit aux enfants de parler le mapudungun pour éviter les
problèmes du bilinguisme. À partir de 1928 la congrégation des Hermanas
Misioneras Catequistas se donne pour mission la catéchèse pour les enfants
mapuche des diverses communautés rurales et l‟alphabétisation en espagnol.
L‟évangélisation joue un rôle vital dans l‟acquisition de l‟espagnol et dans
l‟introduction des mapuche dans le schéma de la société dominante, comme le
signale Saavedra (2002 : 61) :
La evangelización los invitará, los presionará y los buscará sin tregua. Para
sobrevivir los mapuches deberán recurrir a numerosas formas de la cultura
dominante. Aprenderán el español y comenzarán a ser educados en el sistema
formal de la sociedad dominante44
.
Les églises évangéliques, spécifiquement pentecôtistes, font irruption à partir
des années 1930, mais elles ne se sont imposées qu‟à partir des années 7045
. En
1937, est créé le Magistère de l‟Araucanie, qui existe encore de nos jours. L‟objectif
de cette fondation est la formation d‟enseignants catholiques pour alphabétiser et
scolariser les enfants des localités rurales les plus défavorisées.
De son côté, l‟Eglise anglicane s‟installe avec la Misión de la Araucanía, non
loin de Temuco, la capitale de la région et ouvre des écoles et des centres de santé.
En termes linguistiques, l‟évangélisation anglicane a une approche très différente de
celle des catholiques. Les anglicans évangélisent, en effet, en mapudungun
(traduisant la Bible, des chants et des livres de prières) pour gagner la confiance des
43 Ma traduction: « Pour civiliser l‟Araucanie nous avons besoin d‟écoles, d‟écoles et encore d‟écoles.
Il est nécessaire de sortir l‟enfant araucan de sa ruca (maison en mapudungun) pour qu‟il apprenne
tôt et bien le castillan, pour que, grâce au contact intime avec l‟enfant blanc, il assume les mille idées
qui font la vie civilisée que la campagne ne peut pas lui fournir ».
44 Ma traduction: « L‟évangélisation leur fera des invités, fera pression sur eux, ira à leur recherche
sans trêve. Pour survivre, les Mapuches devront recourir à de nombreuses formes de la culture
dominante. Ils apprendront l‟espagnol et seront éduqués dès l‟enfance dans le système formel de la
société dominante ».
45 Pour Foerster (1993), l‟acceptation et l‟appropriation de l‟évangélisme par les Mapuche sont dues à
un phénomène d‟adaptation religieuse lié à la crise communautaire vécue dans un processus post-
réductionnel. Dans ce sens l‟Eglise reprend le concept de communauté et d‟une « fratrie » sociale que
l‟on croyait perdue.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
54
chefs des communautés, mais aussi comme signe de respect pour leurs traditions et
leur langue.
Ainsi, de jeunes mapuche, éduqués et soutenus par la mission anglicane
deviendront en 1911 leaders de la défense de leur peuple à travers la création de la
Sociedad Caupolicán, defensora de la Araucanía. Un de ses premiers présidents
sera le professeur normalien Manuel Antonio Neculman46
. Toujours partisan de
l‟intégration mapuche à la société chilienne, il fut aussi un grand défenseur de son
peuple. Comme le signale Bengoa, la plupart des dirigeants mapuche étaient des
professeurs normaliens qui croyaient à la construction d‟un processus équilibré
d‟intégration à travers l‟éducation. Ce que l‟historien appelle un « indigénisme
modéré » (Bengoa 1996a : 387).
Ce sont ces mêmes dirigeants qui, quelques années plus tard, vers 1930,
réalisent les premières demandes d‟incorporation du mapudungun dans le système
éducatif. Ils se sont exprimés à travers les premières organisations mapuche47
dans
la région de l‟Araucanie (Donoso, 2008). Ces demandes n‟ont pas eu d‟écho auprès
du gouvernement de l‟époque.
La présence d‟un autre organisme international lié à l‟eglise protestante et
précurseur en matière de langues minoritaires s‟installe dans la région de
l‟Araucanie: Le Summer Institut of Linguistic, plus connu sous l‟acronyme : SIL.
3.1 Le rôle du Summer Institut of Linguistic (SIL)
Créé en 1934, aux Etats-Unis par le pasteur presbytérien Cameron
Townsend, le SIL est connu en Amérique latine sous le nom d‟Instituto Lingüístico
de Verano (ILV). En relation avec Wydcliffe Bible Translators (WBT) il réalise des
traductions de la Bible et s‟occupe de l‟évangélisation, de l‟alphabétisation et de
l‟éducation des différents peuples indigènes à travers le monde. Le Summer Institut
of Linguistic (SIL) a commencé par organiser chaque été des stages de formation
46 Lui-même fils de longko, fut donné par son père comme preuve de paix aux Espagnols. Il apprend
l‟espagnol et fait ses études à l‟École Normale de Précepteurs. En 1880, il devient le premier
professeur mapuche. Il travaille comme interprète de l‟Armée d‟Occupation de l‟Araucanie et devient
le premier Président de la Société Caupolicán Defensora de la Araucanía, première organisation
indigéniste chilienne. (Bengoa 1996 :387). Neculman symbolise le croisement entre des origines, un
attachement culturel et une formation occidentale influencée par sa condition de mapuche grandi en
milieu espagnol, puis chilien.
47 Sociedad Caupolicán Defensora de la Araucanía (1910-1938), Federación Araucana (1921-1946)
et la Unión Araucana (1926 -1938).
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
55
pour ses missionnaires afin d‟étudier les langues minoritaires dans le monde. Cette
institution traite une base de données de presque 7 000 langues sur son site internet
appelé « L‟ethnologue ». Aujourd‟hui, celui-ci possède le statut d‟organisme
consultant pour l‟UNESCO et pour l‟ONU, pour les langues dites en danger.
Selon Calvet (1987), depuis quelques années, des voix de plus en plus
nombreuses s‟élèvent en Amérique latine contre l‟action du SIL. Parmi les
accusations, on soupçonne, entre autres, l‟établissement de liens avec l‟Agence
Centrale d‟Intelligence Américaine (CIA), avec l‟organisation de camps
d‟entraînement à la lutte antiguérilla, avec les trafics de minéraux et d‟or, avec la
stérilisation forcée des Indiens, entre autres (Calvet, 1987 : 208). Malgré ces fortes
dénonciations, cette organisation a l‟habitude de faire la sourde oreille et de
poursuivre sa « mission ».
Suivant le Summer Institute of Linguistics, en Amérique latine
l‟alphabétisation dans les langues indigènes, l‟enseignement de la langue espagnole
et l‟évangélisation des peuples originaires semblent des objectifs très simples pour
une fondation aussi puissante. Or, comme l‟indiquent d‟anciens registres récupérés
par Calvet48
l‟objectif du SIL vise encore plus loin dans la démarche colonialiste :
Pour atteindre l‟âme de l‟Indien, il faut comprendre sa psychologie, et ceci se
fait au moyen de sa langue. Pour gagner l‟Oriente49,
pour exploiter ses richesses
économiques, il faut incorporer l‟Indien à la culture nationale. Le premier pas
dans ce processus est l‟alphabétisation, au cours de laquelle l‟indigène apprend
à écrire et à lire sa propre langue qui sert de pont vers un apprentissage de
l‟espagnol.
Les véritables intentions de cette organisation posent problème dans le
monde entier. Son but évangélisateur est accompagné de dynamiques d‟interdictions
ou de remplacements des rituels des communautés indigènes. Une situation qui
provoque sans doute un syncrétisme culturel très nuisible à la sauvegarde des
langues minoritaires. Comme le signale Calvet (1987), le phénomène de
l‟évangélisation apparaît comme « un véritable rouleau compresseur » de la culture
d‟un peuple.
Pour étudier le mapudungun au Chili, le SIL s‟installe en 1977,
principalement dans la région de l‟Araucanie, avec le fort soutien de l‟Universidad
48 « Estudios acerca de las lenguas Huarani (Auca), Shimigae y Zapata ». SIL, Quito 1959 (In Calvet
1987: 212).
49 L‟Oriente dans ce contexte se réfère à la région amazonienne pétrolifère de l‟Équateur.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
56
de La Frontera de Temuco50
. Les liens entre l‟université et l‟organisme protestant
restent de nos jours fortement méprisés par certaines organisations mapuche comme
le Conseil Aukiñ Wallmapu Ngulam (Consejo de todas las tierras)51 :
El Instituto Lingüístico de Verano (ILV), operó por varios años durante la
dictadura militar de la década del 80 en la IX región y estableció un Convenio
con la Universidad de la Frontera para el estudio del Idioma y la Literatura
Mapuche. Cabe recordar que esta universidad fue el único organismo que
cobijó institucionalmente al dudoso organismo internacional52
.
Dans cette déclaration publique de 2003, relative aux conventions entre
Microsoft, l‟université et le gouvernement chilien pour la création d‟un logiciel en
mapudungun, les membres d‟Aukiñ Wallmapu Ngulam se montrent méfiants. À
travers ce document, ils condamnent l‟absence de consultation des Mapuche eux-
mêmes. En même temps
, ils critiquent la convention signée par l‟Université et la SIL
pour étudier la langue et la littérature mapuche comme un prétexte pour développer
une stratégie de colonisation à travers la traduction de la bible en mapudungun.
Comme le signale Loncon (2002: 12):
[El Instituto Lingüístico de Verano] planificó muchas lenguas indígenas para
evangelizar y colaborar con los propósitos de castellanización de los Estados,
aunque ellos prepararon gramáticas, diccionarios, textos en lengua indígena, la
acción de la planificación contribuyó a la castellanización y asimilación
cultural53
.
Une des critiques récurrentes à l‟égard du travail du SIL est justement cette
assimilation culturelle. Malgré les efforts de cette organisation pour signifier son
indépendance face à toute entité gouvernementale, politique et ecclésiastique, il est
difficile d‟oublier le contexte centralisateur dans lequel se développent ses pratiques,
50 En territoire argentin son arrivée est plus tardive. C‟est seulement vers 1985 que le directeur du
siège du SIL à Dallas prend contact avec l‟Universidad Nacional de Santiago del Estero pour étudier
principalement la langue Quichua Santiagueño.
51 Déclaration publique du Conseil sur la participation de l‟Université de la Frontera et de l‟entreprise
Microsoft. [En ligne] http://www.mapuche.nl/espanol/cybermapuche.htm, consulté le 12/11/2013.
52 Ma traduction: « L‟Institut Linguistique d‟Été (ILV) a fonctionné durant quelques années au cours
de la dictature militaire des années 80, dans la IXème
région et a établi une Convention avec
l‟Université de la Frontera pour l‟étude de la langue et de la littérature mapuche. Il faut signaler que
cette université a été le seul organisme qui a soutenu institutionnellement cette douteuse organisation
internationale ».
53 Ma traduction: « [L‟Institut Linguistique d‟Été] a planifié l‟évangélisation et la collaboration de
nombreuses langues indigènes dans un but de « castellanisation » des États, bien qu‟elle ait produit
des grammaires, des dictionnaires, des textes en langue indigène, l‟action de la planification a
contribué à la castellanisation et à l‟assimilation culturelle ».
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
57
ainsi que l‟influence que pourrait avoir cet organisme sur les politiques et
planifications linguistiques et éducatives de ces quarante dernières années.
3.2 Vers un Programme d’Education
Interculturelle Bilingue ?
Une des premières demandes pour une éducation interculturelle bilingue date
de 1935 lors de l‟Asamblea General de Caciques del Butahuillimapu (Assemblée
des chefs politiques des grandes terres du sud), où les autorités mapuche se sont
adressées au président du gouvernement de l‟époque Arturo Alessandri. Selon
Abarca (2005 : 103), leurs demandes concernaient l‟implantation d‟écoles à
l‟intérieur des réserves, l‟enseignement de la langue et de la culture par les Mapuche
eux-mêmes, la création d‟une commission chargée de l‟enseignement et la rédaction
de livres et manuels en mapudungun pour les Mapuche et pour les Wingka. Cette
initiative n‟a pas eu de retour de la part du gouvernement.
Ultérieurement, pendant la dictature militaire de Pinochet (1973-1989), un
des objectifs du gouvernement à l‟égard des Mapuche était de les faire adhérer le
plus rapidement possible à l‟idéologie du régime. L‟éducation joue un rôle
primordial dans ce but. En 1975, le coordinateur du Ministère de l‟éducation de la
région de l‟Araucanie envoie un rapport au Ministre de l‟éducation en insistant sur
l‟importance d‟une formation bilingue pour l‟étudiant mapuche qui, méconnaissant
le castillan, souffre de « retards pédagogiques ». Le rapport sur le plan de
l‟éducation du peuple mapuche-chilien (in Caniuqueo, 2006 : 201) propose un projet
mené par la Vicairie de l‟Araucanie, dans le but de créer un Plan permettant
d‟affronter ce « problème » avec le soutien des universités, des institutions
religieuses et des organisations d‟origine mapuche :
Nuestro propósito es enfrentar con realismo y con mejores posibilidades la
atención integral del problema, por tanto nos permitimos elevar a la
consideración del Señor ministro solamente un esbozo de lo que será nuestro
Plan, anticipando que en su elaboración están comprometidas las
universidades, las Instituciones religiosas y las organizaciones mapuches, las
que en conjunto y bajo el auspicio de esta coordinación regional de educación
elaborarán el plan definitivo54
.
54 Ma traduction: « Notre objectif est de faire face avec réalisme et avec les meilleures possibilités à
l‟attention intégrale au problème, c‟est pourquoi nous nous permettons de porter à votre
considération, Monsieur le Ministre seulement une esquisse de ce que sera notre plan, comptant sur
l‟engagement dans son élaboration des universités, des institutions religieuses et organisations
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
58
Bien que ce plan d‟éducation bilingue n‟ait, en réalité, jamais vu le jour, nous
pouvons y voir le lien entre le pouvoir de l‟État et de l‟Église à propos de
l‟éducation.
Il faut aussi mentionner le travail du Magisterio de la Araucanía et de la
Fundación Instituto Indigena, deux organisations dépendant de l‟église catholique,
qui comptent sur la participation de nombreux professeurs normaliens mapuche,
puisque, comme le signale Caniuqueo (2006 : 203), la meilleure façon de connaître
l‟idéologie et le mode de raisonnement de ce peuple est d‟employer des professeurs
mapuche.
En novembre 1975 a lieu la première journée régionale réunissant des
professeurs mapuche, dans la région de l‟Araucanie. Cette rencontre ouvre un
premier débat en faveur d‟une politique d‟éducation mapuche : fin de la
marginalisation culturelle, réaffirmation de la culture mapuche dans la culture
globale du pays, nécessité d‟étudier et de promouvoir le bilinguisme dans
l‟éducation rurale.
L‟enseignement/apprentissage du mapudungun est vu, donc, comme une
partie de contenus généraux tels que l‟histoire, la tradition et le folklore, mais non
comme un but en lui-même. Certainement, les objectifs proposés dans cette réunion
reflètent des nécessités difficiles à mettre en œuvre dans un contexte politique assez
restrictif et apparaissent déjà très révolutionnaires. Aujourd‟hui, presque quarante
ans plus tard, ils continuent à alimenter le débat parmi les organisations, les
formateurs et les acteurs du mouvement de revitalisation linguistique.
Postérieurement, dans les années 80, se sont développées des expériences
comme celle du lycée Guacolda de la commune de Cholchol (située à une trentaine
de kilomètres de Temuco) et de quelques écoles primaires du secteur du lac Budi
(sur le littoral de la région de l‟Araucanie). Ces initiatives ont été soutenues par la
Fondation Magisterio de la Araucanía, organisation privée qui a réussi à imposer, en
1983, en pleine dictature, la prescription au niveau régional d‟un décret pour
l‟enseignement du mapudungun, comme deuxième langue à la place de l‟anglais.
Une véritable réussite en matière de droits linguistiques dans un contexte
sociopolitique défavorable, mais qui reste exceptionnelle.
Bien que l‟éducation scolaire soit vue aujourd‟hui par les communautés
indigènes comme incontournable, la grande bataille idéologique demeure cependant
au niveau du discours. Pour Bengoa (2000 : 305) l‟éducation est un outil de
changement qui a permis le processus de revendication indigène. D‟où l‟intérêt
mapuches, qui conjointement et sous l‟égide de cette coordination régionale d‟éducation élaboreront
le plan définitif ».
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
59
d‟inscrire l‟éducation interculturelle bilingue dans le concept plus large
d‟interculturalité et de multi-culturalité, prenant en compte la « globalisation de la
culture » et la « particularité des identités » :
Esta emergencia que atraviesa el continente (…), cuestiona la educaciñn como
instrumento de colonización y que aboga por una educación intercultural y
bilingüe que permita no solo el conocimiento de la cultura occidental sino
también de la reproducción de su propia cultura55
.
Pour cela, la CONADI (Corporation Nationale du Développement Indigène),
en collaboration avec le Ministère de l‟éducation, met en œuvre le « Programme
d‟Education Interculturelle Bilingue » (PEIB) au niveau national.
En 1990, le premier gouvernement démocratique post-dictature crée la
Comisión Especial de Pueblo Indígenas (CEPI). Les orientations politiques les plus
importantes de cette commission en matière d‟éducation sont le développement de
bourses d‟études pour les étudiants d‟origine indigène, l‟organisation d‟un
Programme d‟Éducation Interculturelle Bilingue et la création d‟écoles maternelles
indigènes.
Comme le signale Bengoa (2000 : 79), l‟urbanisation des populations
indigènes s‟accompagne d‟un accès plus large des jeunes à l‟éducation, accès qui
permet aux étudiants, professionnels et intellectuels indigènes une intégration au
mouvement de revendication culturelle en tant qu‟acteurs. La création d‟une bourse
indigène, mise en place en 1991, a permis à des jeunes mapuche de continuer des
études supérieures et de faire partie de l‟élite d‟un pays où l‟éducation est l‟une des
plus chères et inéquitables du monde56
. La subvention au logement permet aux
jeunes des communautés rurales d‟habiter dans les Hogares Indígenas (foyers
indigènes), institutions gérées par le gouvernement et dans lesquelles se consolident
les organisations politiques.
En ce qui concerne le Programme d‟Education Interculturelle Bilingue
(PEIB), la Loi indigène stipule la reconnaissance, le respect et la promotion des
cultures indigènes à travers :
55 Ma traduction: « Cette urgence qui traverse le continent (…), questionne l‟éducation comme
instrument de colonisation et plaide pour une éducation interculturelle et bilingue qui permette non
seulement la connaissance de la culture occidentale mais aussi la reproduction de sa propre culture ».
56 Selon l‟OCDE, le Chili est le pays où l‟éducation est l‟une de plus chères au monde, à cause de sa
privatisation imposée pendant la dictature. Les familles financent en moyenne 90% du coût des
études et l‟État 10%. Les droits universitaires sont 18 fois plus chers qu‟en France, ce qui rend
l‟accès à l‟université pratiquement impossible. Les bourses indigènes sont, dans la plupart des cas, la
seule manière de continuer des études supérieures.
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
60
– L‟utilisation et la conservation des langues indigènes ainsi que de l‟espagnol
dans les zones à haute densité indigène ;
– L‟établissement, dans le système éducatif national, d‟une unité programmée
permettant aux apprenants l‟accès à une connaissance des cultures et langues
indigènes, ainsi que la capacité de les valoriser ;
– La promotion de la diffusion, sur les ondes et les canaux de la télévision
régionale de la langue indigène et l‟appui à la création d‟émissions radio et de
divers médias indigènes ;
– La promotion et l‟établissement de chaires d‟histoire et de culture indigènes
dans l‟enseignement supérieur ;
– Le caractère obligatoire, pour le Registre civil, de la notation des prénoms et
noms de famille des personnes indigènes, tels que les parents l‟expriment et avec
les normes de transcription phonétique qu‟ils indiquent ;
– La promotion de différentes expressions artistiques et culturelles, ainsi que
la protection du patrimoine indigène : archéologique, architectural, culturel et
historique.
Pendant les années 1990, certaines universités, spécialement celles qui
comptaient des filières d‟éducation, ont participé à la création des programmes de
formation initiale et de formation continue en éducation interculturelle bilingue.
L‟objectif de ces instances était de former des professeurs bilingues capables de
mettre en place le PEIB. Dans la région de l‟Araucanie, l‟Universidad Católica de
Temuco a créé un cursus universitaire de « Pédagogie en éducation interculturelle »
qui visait principalement des jeunes étudiants d‟origine mapuche, obligatoirement
locuteurs de mapudungun. Cependant le pré-requis de la langue a été peu à peu
abandonné. Selon Williamson (2008) cette institution a formé environ 90
professeurs entre 1992 et 2004.
En 1996 commencent les premières expérimentations dans une vingtaine
d‟établissements dans tout le pays. En 2001, l‟État chilien crée le « Programa
Orígenes ». Celui-ci reconnaît la dette historique envers le peuple mapuche et
propose des programmes dans les domaines de la santé et de l‟éducation
interculturelle bilingue. Ces programmes fonctionnent à travers les financements de
l‟État et un prêt de la Banque Interaméricaine du Développement (BID). Cependant,
au sein du mouvement mapuche, le soutien de la BID crée des conflits
principalement pour des raisons politiques, mais aussi pour des questions pratiques,
comme l‟absence de participation des organisations mapuche dans les processus de
conception, d‟exécution et d‟évaluation du programme. En effet, sa conception
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
61
dépend plus des politiques imposées par Washington. Ceci est un exemple clair de
« multiculturalisme néolibéral », comme le définit l‟anthropologue Charles Hale
(2004 : 59-60):
Como primer principio, el multiculturalismo neoliberal no permite que los
Derechos Indígenas violen la integridad del régimen productivo, especialmente
esos sectores que están articulados a la economìa globalizada. (…) El
neoliberalismo permite, es más, alienta a la organización indígena, siempre y
cuando ésta no acumule poder suficiente para representar un desafío directo al
poder estatal57
.
Comme le signale Boccara (2007 : 202), le programme « Orígenes »,
représente « une structure régionale du système global ». On constate, une fois
encore, que le modèle du développement économique néolibéral dans les politiques
d‟Etat est en permanente contradiction avec les attentes des communautés indigènes.
Depuis sa création, le PEIB est implanté seulement dans les zones dites de
haute densité indigène. Cette démarcation arbitraire pour une éducation
interculturelle bilingue, concernant seulement une partie de la population, reste
problématique. Est-ce que l‟interculturalité doit prendre en compte seulement les
étudiants d‟origine indigène ? Ou est-ce que, dans une société à plusieurs ethnies
reconnues par l‟État, l‟interculturalité doit concerner tous les citoyens ?
Selon Rodolfo Stavenhagen (2003), rapporteur spécial de la commission des
droits humains des Nations unies, ces choix de politique linguistique et éducative
résultent d‟une longue histoire de négation, d‟exclusion socioéconomique et de
discrimination de la société dominante à l‟égard des Peuples originaires. L‟auteur
critique la faiblesse du PEIB et son inefficacité à répondre aux demandes de
protection, de préservation et de promotion de la culture mapuche (Stavenhagen,
2003 : 2-3).
En fin de compte, malgré des objectifs affichés, le Programme d‟Éducation
Interculturelle Bilingue présente un caractère résolument assimilationniste qui
participe au processus de glottophagie.
Dans ce chapitre j‟ai proposé un aperçu de divers facteurs qui – d‟une
manière ou d‟une autre – participent au processus de glottophagie défini en
introduction.
57 Ma traduction: « Comme premier principe, le multiculturalisme néolibéral ne permet pas que les
Droits indigènes violent l‟intégrité du régime productif, spécialement si ces secteurs sont reliés à
l‟économie globalisée (…) Le néolibéralisme permet, et plus encore, encourage l‟organisation
indigène, mais toujours et seulement quand celle-ci n‟accumule pas de pouvoir suffisant pour
représenter un défi direct au pouvoir étatique ».
Chapitre I. Langue mapuche au Chili : un cas exemplaire de glottophagie
62
Malgré des revendications identitaires anciennes concernant la préservation
territoriale et linguistique, un bref aperçu des contacts pendant plus de deux siècles
entre le mapudungun et l‟espagnol – à travers des institutions comme l‟Eglise et
l‟Ecole – indiquent comment la langue se trouve aujourd‟hui « en danger » et « en
panne » de transmission aux jeunes générations.
Les politiques linguistiques et éducatives mises en place ces quatre dernières
décennies par l‟Etat chilien ne tendent pas à inverser le processus, contrairement à
ce que les discours politiques prétendent. Le mécontentement de la part des peuples
indigènes entraîne des propositions de planification par « le bas » comme nous le
verrons dans le chapitre suivant qui traite du mouvement de « ré-ethnification
générale » (Catrileo, 2005), porté par des militants mapuche.
Chapitre II
Le mouvement mapuche
de « ré-ethnification générale »
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
65
Le présent chapitre s‟attachera à décrire un phénomène sociopolitique de
plus en plus répandu en Amérique latine : les mouvements indigénistes. Dans le
contexte mapuche, il s‟agit d‟un mouvement indigéniste de « ré-
ethnification générale » qui, selon Samaniego et Ruiz (2007), revendique:
– la récupération territoriale dans la région de l‟Araucanie ;
– sa reconnaissance en tant que Nation ;
– la défense des pratiques et des traditions culturelles du peuple mapuche.
Ce chapitre traitera plus particulièrement de ce dernier point, qui permettra
de mieux appréhender et comprendre les revendications du mouvement de
revitalisation linguistique au cœur de cette recherche.
1. Mouvements indigénistes en Amérique latine
L‟apparition d‟un mouvement social d‟appartenance ethnique dans les
années 1990 en Amérique latine survient dans un contexte mondial en mutation. Par
« mouvement social » nous entendons, à la suite d‟Alain Touraine (1978 : 103) toute
action collective visant à transformer l‟ordre social existant. Selon Touraine, cette
mobilisation participe d‟un principe d‟identité.
À cette première définition du mouvement social, nous combinerons celle de
Melucci (1978 : 37-38) qui le définit comme :
La lutte de deux acteurs dont chacun se caractérise par une solidarité spécifique
et s‟oppose à l‟autre pour l‟appropriation et la destination de valeurs et
ressources sociales.
Pour ce sociologue, cette action collective comprend aussi :
Toutes les conduites qui cassent les normes institutionnalisées dans les rôles
sociaux, qui débordent les règles du système politique et/ou qui attaquent la
structure des rapports de classe d‟une société.
Dans le cas du mouvement indigène en Amérique latine, les demandes pour
une autonomie politique et économique apparaissent dans les années 1990. Ce
processus fait apparaître les peuples originaires comme les acteurs conscients dont
parle Touraine.
Dans ce climat politique et social, une série de mobilisations apparaissent sur
le continent américain. La première est celle des peuples indigènes de l‟Équateur
avec leur Levantamiento Indígena (soulèvement indigène), au mois de mai 1990. Le
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
66
débat politique autour de la contre-célébration du cinquième centenaire de l‟arrivée
de Colomb sur le continent américain en est l‟élément déclencheur. Pendant les
préparatifs de la célébration du 12 octobre, les organisations indigènes d‟Amérique
latine rebaptisent la commémoration « Quinientos años de Resistencia » (cinq cents
ans de résistance), en réponse à l‟euphémisme « rencontre de deux mondes »
proposé par l‟Espagne et les gouvernements d‟Amérique latine. Ce moment
historique fait se rencontrer deux discours fortement opposés. Les États nations
« célèbrent » la « découverte » d‟un nouveau continent alors que les organisations
indigènes parlent « d‟invasion » et de « résistance ».
Des organismes internationaux vont aussi s‟impliquer dans la défense des
peuples indigènes. En 1989, naît la Convention nº169 sur les Peuples indigènes et
tribaux de l‟OIT qui reste à nos jours, en termes de droit international, le traité le
plus important en la matière. Au Chili elle n‟a été ratifiée qu‟en 2008, suite aux
pressions des organisations indigènes nationales et internationales, soit 17 ans après
son dépôt au Congrès national. La non-ratification permettait de continuer à dénier
les droits collectifs. Ceci dit, l‟utilisation du terme « pueblos » (peuples) implique
une série d‟interrogations conceptuelles autour de l‟autonomie politique,
économique, culturelle et identitaire.
Le 18 décembre 1992, l‟Assemblée générale des Nations unies approuve la
« déclaration sur les droits de toutes les personnes appartenant à des minorités
religieuses, nationales, ethniques ou linguistiques ». Il s‟agit d‟un texte bref qui
établit les droits des personnes appartenant à une minorité, de manière individuelle,
mais non collective. Ultérieurement, en août 1994, est approuvée la « déclaration
des droits des peuples indigènes ». Elle instaure pour la première fois un ensemble
de droits pour ces peuples en tant que collectivité.
Comme le signale Le Bot (2004 : 3) il ne s‟agit pas seulement d‟un
phénomène de contestation, mais aussi de la recherche de nouveaux rapports de
pouvoir qui permettent de placer les revendications et demandes indigènes au
premier plan :
Les mouvements indiens modernes ne font pas que contester une domination
de cinq siècles, ou ses formes plus récentes. Une de leurs caractéristiques
communes, au-delà de leur diversité, est qu‟ils font un pas de côté et en avant,
qu‟ils ne se limitent pas aux conduites de refus ou de défi, qu‟ils cherchent à
mettre en œuvre de nouveaux rapports sociaux, de nouveaux rapports au
pouvoir.
En 1994, le soulèvement de l‟Ejército Zapatista de Liberación Nacional
(EZLN) au Chiapas (Mexique), marque un précédent dans les revendications des
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
67
peuples indigènes. Les protestations contre le Tratado de Libre Comercio (TLC)
entre le Mexique, le Canada et les États-Unis catalysent la lutte d‟un mouvement
indigène face au système néolibéral imposé par les États nations latino-américains.
Ce mouvement inspire significativement ceux qui, par la suite, vont se former un
peu partout sur le continent, comme au Chili.
José Bengoa (2000) identifie trois facteurs pour comprendre l‟émergence de
ce type de mobilisation : la globalisation, la fin de la guerre froide et l‟accélération
des processus de modernisation. Dans son œuvre La emergencia de América Latina
(2000), Bengoa montre les enjeux de la demande indigène actuelle. L‟auteur
pronostique trois types de scénarios dans le futur pour ces mouvements. Le premier
est celui de la « répression » : à mesure que le discours s‟oppose aux projets
économiques, politiques et socioculturels définis par les États, on débouche sur un
scénario de conflit. Une deuxième possibilité est celle de la « cooptation » : l‟État
assume les revendications, mais les instrumentalise en employant des dirigeants
ethniques pour leur mise en œuvre afin d‟empêcher de potentiels conflits. Un dernier
scénario possible est la « marginalisation », lorsque la population indigène d‟un pays
est réduite et ne représente plus un problème pour l‟État.
Selon l‟auteur, ces trois scénarios sont envisageables dans la réalité des
sociétés latino-américaines. Compte tenu de cette typologie, en termes de politiques
linguistiques en faveur des langues indigènes, on pourrait affirmer que le scénario
qui se répète sur le continent est plutôt celui de la cooptation, y compris en matière
de politique linguistique éducative, comme on l‟a vu dans le chapitre précédent avec
le PEIB.
2. Mouvement mapuche contemporain et
récupération du Wallmapu, territoire ancestral
Le mouvement de revendication mapuche contemporain réapparaît avec plus
de force au Chili et en Argentine58
vers la fin des années 80 après les dictatures
58 En Argentine, c‟est seulement à partir de 1994 que l‟État reconnaît, à travers la réforme
constitutionnelle argentine, la préexistence ethnique et culturelle des peuples indigènes. Comme le
signale Kropff (2011), cette reconnaissance est le résultat d‟une longue lutte menée par des
organisations qui continuent à se battre contre les discours officiels qui réfutent les droits des
communautés mapuche en Patagonie argentine. Cela dit, le pouvoir judiciaire de ce pays se sert
encore de documents dits « historiques » comme la Théorie d’araucanisation (Casamiquela, 2007 ;
Porcel, 2007), pour nier les demandes de récupération territoriale du côté argentin. Selon cette thèse,
les mapuche « chiliens » auraient occupé de manière violente les territoires du peuple tewelche, – les
indigènes « argentins » – donc, ceux qui s‟auto-définissent comme Mapuche ne seraient pas fondés à
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
68
militaires. La reprise citoyenne des organisations sociales permet – entre autres –
l‟apparition d‟un mouvement social qui défend et promeut les droits des peuples
indigènes. Aujourd‟hui, à Santiago du Chili, on recense ainsi plus d‟une centaine
d‟organisations mapuche.
La question du mouvement social de « ré-ethnification générale » intéresse
directement mon sujet, surtout par le lien étroit qui se tisse entre les acteurs d‟un
mouvement indigéniste plus ancien et d‟un autre – plus récent – de revitalisation
linguistique. Comme le définit Catrileo (2005 : 16), ce processus de ré-ethnification
est récent et gagne en importance, principalement dans le contexte urbain:
Aun cuando el número de hablantes de mapudungun ha disminuido a través del
tiempo, el proceso de reetnificación actual tiende a revitalizar la lengua no sólo
en los propios espacios rurales mapuche, sino también en las ciudades,
especialmente en Santiago y Temuco. Además, aumenta el número de personas
e instituciones nacionales y extranjeras en torno a una mejor valoración de la
lengua y literatura mapuche, incluyendo estudios teóricos, o bien, alguna
simple curiosidad en la indagación de los significados de topónimos y
antropónimos con raíces mapuche, entre otras motivaciones59
.
Ainsi, la demande linguistique dans certaines régions peut être vue comme le
résultat d‟un engagement politique auprès d‟organisations qui défendent les
demandes de l‟ensemble du mouvement mapuche contemporain.
Pour bien caractériser ce mouvement mapuche, je reviens à sa définition par
Millaleo (2006 : 42) :
[El] conjunto de organizaciones mapuche, que tienen como objetivo principal
generar cambios relevantes en la sociedad en la cual se desenvuelven (…) Lo
común en todas estas formas de organización es que corresponden a un
movimiento social60.
faire une demande de récupération territoriale en Argentine, car il s‟agirait de Chiliens. Une situation
fortement critiquée par des anthropologues, archéologues et avocats qui défendent la légitimité des
demandes territoriales des communautés mapuche en territoire argentin.
59
Ma traduction : « Même si le nombre de locuteurs du mapudungun a diminué à travers le temps, le
processus de ré-ethnification actuel a une tendance à revitaliser la langue non seulement dans les
espaces ruraux mapuche, mais aussi dans les villes, spécialement à Santiago et Temuco. De même, le
nombre de personnes et d‟institutions nationales et étrangères valorisant la langue et la littérature
mapuche augmente, incluant des études théoriques, ou bien une curiosité vis à vis du sens de
toponymes et anthroponymes aux racines mapuche, entre autres motivations ».
60 Ma traduction: « l‟ensemble des organisations mapuche, qui ont pour objectif principal de générer
des changements importants dans la société dans laquelle ils se développent (…) Le point commun à
toutes ces formes d‟organisation est qu‟elles correspondent à un mouvement social ».
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
69
Comme le signale Bengoa (2002 : 167-168), vers le début des années 90 le
discours pour l‟indépendance politique et l‟autodétermination se précise au sein de
ce mouvement:
Ese nuevo tiempo se caracterizó por la voluntad de separación de la cultura
mapuche de la chilena, por la afirmación de las propias características
indígenas y por el rechazo de la asimilación e incluso las antiguas ideas de
integración61
.
Le mécontentement gagne les sites urbains et est repris par les organisations
sociales indigènes urbaines comme porte-drapeau de la lutte pour leurs droits. Ce
mouvement, qui émerge dans les années 90, se présente avant tout comme une
manifestation politique et de protection de l‟environnement ; il continue à évoluer
jour après jour vers d‟autres revendications territoriales, culturelles, identitaires et
linguistiques que nous allons détailler maintenant pour éclairer les enjeux de notre
terrain.
Selon Samaniego et Ruiz (2007), la récupération des terres communautaires
occupées par les entreprises – principalement forestières du côté chilien, pétrolières
et minières du côté argentin – correspond à un aspect avancé du phénomène de
revendication ethnique ; l‟objectif ultime est la reconnaissance et la consolidation du
Wallmapu et le droit du peuple mapuche à l‟autodétermination. L‟ampleur
géographique du pays mapuche dans l‟ensemble de l‟Amérique du sud à l‟époque
pré-indépendantiste représente un énorme territoire revendiqué par les militants à
travers les « identités territoriales ».
Pour Le Bonniec (2002 : 31), le terme « identité territoriale » se réfère à la
revendication des espaces ancestraux qui se situent actuellement à l‟intérieur des
Etats nations chilien et argentin. Ce terme représenterait donc, pour la société
mapuche, sa quête de récupération territoriale.
Ces identités se différencient principalement entre le Puelmapu,
correspondant au flanc oriental de la Cordillère des Andes, le Ngulumapu, situé à
l‟ouest de la chaîne montagneuse et le territoire des Pewenche, dans les montagnes
de la Cordillère des Andes. Puis, à l‟intérieur du Ngulumapu, on peut distinguer
d‟autres identités territoriales comme les Pikunche, les Lafkenche, les Nagche, les
Wenteche et les Williche. Ci-après, une carte géographique de l‟historien mapuche
61 Ma traduction: « Ce temps nouveau se caractérise par la volonté de séparation entre la culture
mapuche et la culture chilienne, à travers l‟affirmation de caractéristiques proprement indigènes, le
rejet de l‟assimilation et aussi des anciennes idées d‟intégration ».
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
70
Pablo Mariman (2006 : 60) où il dessine la « Nation mapuche »62
(Wallmapuche) et
ses identités selon leur cosmovision.
Carte 2 : représentation de la Nation mapuche.
Source © : Mariman (2006).
Selon Le Bonniec (2002), ces identités territoriales proposent une division
fondée sur des traits étymologiques, historiques et sociaux communs, en plus du
sens d‟appartenance ou non à une identité déterminée.
Lors de notre recherche, et dans le processus d‟enseignement/ apprentissage
de la langue, ces identités territoriales, nommées en mapudungun tuwün ou « terre
d‟origine », font partie non seulement d‟un discours idéologique, mais aussi
identitaire et culturel. La notion d‟appartenance territoriale y est présente dès les
premières séances dans les ateliers de langue. Comme le signale Loncon (2011a),
l‟origine territoriale ou tuwün représente une définition d‟identité, car les clans
mapuche ont, avec leur territoire, une relation non seulement physique mais aussi
spirituelle.
62 En relation à la « Nation mapuche », je reprends le concept développé par Lipschutz, récupéré par
Bengoa (1982 : 42), comme l‟espace où se produit et se reproduit la culture indigène. Il s‟agit d‟une
nationalité qui n‟a pas pu se constituer comme État, car elle n‟a pas eu une continuité territoriale pour
des raisons historiques. Cette nationalité est perdue et est soumise au colonialisme de l‟État nation
chilien, qui lui refuse le droit à l‟auto-détermination.
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
71
3. En quête de reconnaissance
Ceci nous permet de comprendre la constitution du mouvement mapuche
actuel comme une véritable lutte idéologique. Selon Fraser (2011), il s‟agit d‟une
« revendication de la reconnaissance ». Dans ce type de mobilisation politique
« post-socialiste », la lutte des classes recoupe une lutte ethnique, qui revendique la
reconnaissance des « différences » culturelles à l‟intérieur d‟un État nation
dominant. Selon Fraser, cette quête de justice sociale est une représentation très
complexe, articulant les notions de « redistribution » (injustice socioéconomique qui
engendre l‟exploitation et la marginalisation économique), avec des données de type
culturel ou symbolique de « reconnaissance ».
Il apparaît vite que cette notion de « redistribution », suivant la politique
néolibérale de « droit au capital » ne peut s‟accorder à celle – ici primordiale – de
« droits des peuples originaires ».
En ce sens, si l‟on suit Fraser, les politiques chiliennes prônant la
reconnaissance du peuple mapuche peuvent adopter deux partis : le premier fait
appel à des « remèdes correctifs », – soit des solutions superficielles ne cherchant
pas à approfondir les causes du conflit –, le second lui préfère des « remèdes
transformateurs » visant les causes profondes (déconstruction des identités qui
démolissent l‟européocentrisme).
Le Bonniec (2012 : 12) considère, de son côté, comme une quête de
« reconnaissance » l‟attachement des mapuche à un territoire ressenti comme un
milieu naturel, actuellement spolié et défiguré par l‟exploitation industrielle des
ressources. Les conflits environnementaux sont aussi au cœur de leur lutte, et
ressortent d‟un appauvrissement croissant de leurs communautés :
Les Mapuche en quête de reconnaissance et de souveraineté ont été amenés à
reprendre à leur compte les représentations paysagères qui avaient été utilisées
pour légitimer leur extermination et leur spoliation territoriale, économique et
politique. Ils ont ainsi érigé en symbole de résistance leur rapport privilégié à la
nature, caractéristique qu'on leur avait souvent assignée dans les
représentations coloniales pour mieux justifier leur évangélisation et leur mise
en reducción, et l'ont transformé en instrument de revendication autonomiste.
Une illustration de ces solutions proposées, et qui n‟en sont pas : le choix
d‟un programme d‟éducation interculturelle bilingue réservé à la seule population
indigène, l‟excluant de ce fait du reste de la société chilienne.
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
72
4. Les revendications linguistiques et culturelles
mapuche
En mars 1991, un concours pour la création du drapeau de la nation mapuche
est organisé par divers organismes. Le résultat est le célèbre emblème Wenufoye63
,
symbole de la lutte du mouvement mapuche contemporain au Chili et en Argentine.
Les couleurs symbolisent la lutte et la mémoire (rouge), la nature et la terre (vert), la
vie, l‟univers et le sacré (bleu) ; au centre se trouve le kultrun, instrument
cérémonial utilisé par les machi (autorité ancestrale), montrant les quatre points
cardinaux avec deux soleils, la lune et une étoile. Les bordures noir et blanc
représentent la science et la connaissance, le ngümin (croix andine), le système
d‟écriture.
Figure 1: le Wenufoye
Source © : www.fiestoforo.cl , 2014.
Dans ce contexte, la récupération d‟un territoire devient un des éléments les
plus importants du mouvement mapuche contemporain.
63 Wenufoye, en mapudungun signifie le canelo du ciel, arbre endémique de la région de l‟Araucanie.
Le drapeau a été finalement créé le 5 octobre 1992 et reconnu par l‟État chilien en 1993 avec la
promulgation de la loi indigène.
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
73
La revitalisation culturelle et linguistique fait donc, elle, partie d‟un
processus plus large. La langue apparaît comme une nécessité pour reconstruire non
seulement une communauté linguistique mais aussi une idéologie politique, et ce
phénomène va bien au-delà de la question du bilinguisme. Retrouver une identité
mapuche est un corollaire à la libération du territoire.
Loncon (2002b : 7) signalait, il y a à peine un peu plus de dix ans, le peu
d‟intérêt des organisations issues du mouvement indigène pour la langue mapuche
ou, en tout cas, le niveau très faible de cet intérêt :
La demanda por los derechos lingüísticos (...) aún no tiene eco en el discurso
del movimiento indígena y si lo tiene, no se siente, algunas comunidades están
logrando sus demandas por la tierra sin el aliento que le da la vida... sin el
mapudungun64
.
Mais, vers la fin de la première décennie des années 2000, on assiste à un
changement du discours politique et linguistique au sein du mouvement mapuche.
La récupération linguistique devient un facteur clef de ce processus de ré-
ethnification général et le mapudungun commence à y occuper une place croissante.
Ceci se manifeste principalement dans les discours politiques, oraux ou écrits. Mais
également dans les médias de communication, comme cet exemple de panneau
bilingue mapudungun/espagnol à télécharger gratuitement sur le site internet d‟un
dessinateur partisan de la cause mapuche.
Figure 2 : panneau bilingue mapudungun sur internet65
Source © : www.fiestoforo.cl , 2014.
64 Ma traduction: « La demande de droits linguistiques (…) n‟a pas encore d‟écho dans le discours du
mouvement indigène et s‟il existe, on ne l‟entend pas, quelques communautés obtiennent leurs
demandes de terre, mais sans la respiration qui lui donne la vie… sans le mapudungun ».
65 Ma traduction: « Dix fois nous vaincrons! Nous vaincrons! Nous défendrons notre langue. Pendant
que la terre existe, les mapuche existeront! Que notre lutte continue! ».
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
74
Parler le mapudungun devient une manière politique de marquer sa
différence et de signifier la lutte d‟un mouvement social : un « vrai » mapuche doit
s‟exprimer dans le « parler de la terre ». En suivant la catégorisation des générations
faite par Gissi (2004a), c‟est la troisième génération, celle des petits-enfants, qui
commence à demander à celle des grands-parents d‟accompagner sa mobilisation
pour la revalorisation de la langue et de la culture mapuche.
Si, pour Bengoa (2000), il existe une continuité historique dans le
mouvement mapuche, les dirigeants actuels se différencient de ceux des années 60
en bien des points. En premier lieu, c‟étaient pour la plupart des paysans, dont les
revendications visaient la terre, les systèmes d‟aménagement et l‟intégration des
communautés mapuche à la société chilienne. Ces dirigeants connaissaient leur
culture pour avoir grandi en elle; ils n‟avaient pas de formation scolaire et parfois
même ne savaient ni lire ni écrire, à la différence des dirigeants des années 90 qui,
pour la plupart, ont su « recréer » leurs communautés et adapter leur identité au
contact de la société occidentale. Pour Bengoa (2000 : 82-83), dans la plupart des
cas, il s‟agit de personnes ayant suivi un parcours universitaire et qui, depuis cette
expérience, ont pu réinterpréter la culture mapuche :
Este nuevo tipo de dirigente migrante urbano (…) ha « recreado » sus
comunidades en su imaginación. Ha replanteado su identidad en contacto con
el “mundo occidental”. Ha cursado muchas veces estudios universitarios (…).
Es evidente que la fuerza política de este nuevo dirigente está en ser capaz de
manejar todos los códigos occidentales y al mismo tiempo manejar la
distinción, el hecho de ser indígena, vestirse como indígena, pensar, también,
como indígena66
.
Cependant, cette situation ne concerne pas seulement le groupe des
dirigeants urbains, comme nous avons pu l‟observer pendant notre recherche. La
recréation du discours identitaire des apprenants de mapudungun est ancrée dans la
mémoire collective du récit de la migration forcée des aïeuls. La précarité et la
discrimination dont ont été victimes ces ancêtres conduit au désir d‟un retour à la
« terre promise ».
Le discours politique mapuche est porté d‟abord par cet appel du retour aux
sources. Ce projet implique la connaissance de la langue originaire comme marque
66 Ma traduction: « Ce nouveau type de dirigeant migrant urbain (…) a « recréé » ses communautés
dans son imagination. Il a replanté son identité dans un contact avec le « monde occidental ». Dans de
nombreux cas, il a fait des études universitaires (…). Il est évident que la force politique de ce
nouveau dirigeant est d‟être capable de manier tous les codes occidentaux, tout en jouant de la
différence, du fait d‟être indigène, de s‟habiller comme un indigène et de penser, aussi, comme un
indigène ».
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
75
identitaire légitime. J‟analyserai plus en profondeur ce positionnement dans le
prochain chapitre.
Actuellement, les organisations sociales mapuche, dans leur ensemble, font
partie d‟un mouvement qui revendique des aspects politiques, sociaux, culturels et
linguistiques. Des lois (comme la Loi Indigène de 1993)67
qui soutiennent les
associations indigènes ont, comme je l‟ai déjà indiqué, incité à la création de plus
d‟une centaine d‟organisations dans la seule Région Métropolitaine (Antileo, 2010 :
40). Elles sont plus nombreuses à Santiago du Chili qu‟à Temuco, capitale de la
région de l‟Araucanie.
Depuis le début des années 2000, de nombreux chercheurs travaillent sur ce
mouvement mapuche contemporain, marqué par la création d‟associations sous
l‟égide de l‟État chilien et d‟autres de caractère autonome (cf. Mariman (1997),
Aravena (1999), Gissi (2004, 2010), Abarca (2005), Vargas (2005), Millaleo (2006),
Antileo (2007, 2010), Imilan et Alvarez (2008), entre autres). Ces chercheurs
distinguent deux types d‟organisations : l‟un focalisé sur des pratiques culturelles au
niveau local, – mais sans discours ethnique revendicatif – et l‟autre attaché
spécifiquement aux demandes politiques du mouvement mapuche (Antileo, 2007 :
10).
Dans cette démarche, la plupart des organismes culturels issus de la loi
indigène bénéficient d‟un soutien économique à travers les concours de projets et
d‟un aménagement administratif institutionnel (élection du conseil, président,
secrétaire, trésorerie, compte-rendu, etc.). Par contre, les organisations militantes
travaillent en général hors cadre gouvernemental et pratiquent l‟autogestion.
Cependant ces deux types d‟organisation se retrouvent sur des notions essentielles
pour les Mapuche, par exemple pour des pratiques rituelles comme le Wiñoltripantu
(solstice d‟hiver dans l‟hémisphère sud) ou le Nguillatun (cérémonie religieuse).
Ces pratiques perdurent malgré la forte influence des églises évangéliques
dans le contexte citadin68
. D‟autres commémorations plus contemporaines ont lieu le
67 La Loi Indigène nº 19.253 de 1993 (en vigueur), bien que beaucoup plus favorable aux peuples
indigènes que les précédentes, n‟est pas approuvée par leurs organisations en raison de l‟absence de
reconnaissance des peuples indigènes, de leurs territoires et de leurs droits à l‟autodétermination, à
l‟autonomie et à l‟autogouvernement, droits demandés en tant que Peuples (cf. Mariman, 1994, 1997;
Hernández, 2003; Levil, 2006; Ruiz, 2008). Cette loi fait sienne la notion d‟ « ethnies indigènes » en
éludant ainsi tout type de reconnaissance de peuples ou de nations originaires, comme pourtant le
stipule la convention nº169. Cela supprime la possibilité d‟obtenir une reconnaissance au niveau
constitutionnel.
68 La satanisation des rituels et des autorités religieuses mapuche provoque la perte systématique des
éléments de la culture en provoquant un syncrétisme religieux (notion critiquée sur le terrain de
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
76
12 octobre, date de l‟arrivée de Colomb en Amérique, avec des cérémonies aux
alentours du Cerro Santa Lucía, colline située dans la capitale, connue aussi comme
Welen, son nom en mapudungun.
Tous ces éléments, définis par Ancán et Calfío (1999) comme formels et
informels, nous permettent d‟entrevoir plus clairement l‟installation de la population
mapuche dans l‟urbanité et de suivre son histoire, non seulement à travers un
déplacement géographique, mais aussi culturel. Des facteurs essentiels qui nous
permettent de comprendre les enjeux de ce mouvement pour la récupération
linguistique. Ainsi l‟apprentissage du mapudungun pour adultes en contexte urbain
se situe entre un déplacement géolinguistique dû à la migration et un ancrage
identitaire, issu du mouvement des vingt dernières années.
Les données statistiques des trois derniers recensements (1992, 2002 et 2012)
montrent d‟ailleurs qu‟une partie importante de la population auto-définie comme
« Mapuche » au niveau national, réside dans la Région Métropolitaine.
Si l‟on compare les données concernant les peuples originaires année par
année, en 2012 nous assistons à une nette progression de la population mapuche
dans tout le pays. Comme c‟est le cas dans bien des pays du monde et sous toutes
sortes de gouvernements, le recensement des populations pose toujours quelques
problèmes qui n‟ont pas épargné le Chili. Un épisode inédit dans l‟histoire des
recensements nationaux survient au mois d‟avril 2013 avec la diffusion éphémère
des premiers résultats du recensement de 201269
. L‟Instituto Nacional de Estadística
(INE) est en effet accusé de graves irrégularités, la validation de l‟échantillon est
sévèrement mise en cause pour son manque de rigueur, particulièrement pour ses
résultats, dits « approximatifs », quant à la population totale du pays. Sur 16 634 603
personnes, 600 000 n‟auraient pas été recensées.
Compte tenu de toutes ces considérations, il ne nous est pas possible de
proposer une analyse très fine des résultats de ces recensements. Nous tiendrons
donc compte avec circonspection des données pour 2012, année proche de celle de
notre étude, avec une possible variable de 2% d‟erreur de méthode et nous en
tiendrons plus à une analyse de tendances.
Pour ce qui correspond exclusivement au mouvement de revendication
mapuche, nous étudierons d‟abord les résultats du recensement de 2012 pour la
l‟anthropologie en Amérique latine), où s‟incorporent des symboles chrétiens mêlés à des éléments
de la spiritualité mapuche.
69 Daté 2 mai 2013, le site web de l‟INE fut suspendu. Voir déclaration
publique http://www.ine.cl/canales/sala_prensa/noticias/noticia.php?opc=news&id=458&lang=esp
(05/05/2013).
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
77
question de l‟appartenance ethnique. Par la suite, dans le chapitre concernant la
revitalisation linguistique, nous analyserons les résultats du même recensement
quant aux pratiques religieuses et langagières : deux sujets qui font partie du
recensement national pour la première fois en 2012.
Dans ce même recensement de 2012, les enquêtés devaient répondre par oui
ou non à la question suivante: « Vous considérez-vous comme appartenant à une des
cultures suivantes ? ». Si oui, les choix concernaient neuf peuples : Mapuche,
Aymara, Rapa nui, Likan antai, Quechua, Colla, Diaguita, Kawésqar, Yagán ou
Yámana, plus les rubriques « otro » (autre) si la personne déclare appartenir à un
autre peuple, et « ignorado » (ignoré) si l‟interviewé ignore le nom de son groupe
ethnique. Le résultat d‟une distribution de la population par ethnies est représenté
par le graphique 1 et le tableau 4 suivants :
Graphique 1 : distribution par ethnie du recensement national de 2012.
. Source © : Censo, 2012. INE. Données du mois d’avril 2013, premiers résultats.
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
78
Tableau 4 : peuples originaires reconnus par l’État chilien.
Mapuche 1.508.722 personnes
Aymara 114.523 personnes
Diaguita 45.314 personnes
Quechua 13.667 personnes
Colla 13. 678 personnes
Rapa Nui 8.406 personnes
Likan Antai 6.101 personnes
Kawésqar 1.784 personnes
Yagán ou Yámana 1.235 personnes
Autres 79.389 personnes.
Source © : Censo, 2012. INE. Données du mois d’avril 2013, premiers résultats.
On constate que 1 508 722 personnes déclarent appartenir à la culture
mapuche. Cela représente une augmentation de la population de 150% par rapport
au recensement précédent de 2002.
A quoi peut-on attribuer cette explosion d‟auto-affirmation identitaire ?
Pourrions-nous parler d‟une « renaissance statistique » ? Ou d‟une contre-réponse
aux résultats du 2002 ?
Comme le signale le journaliste Pedro Cayuqueo (2013) dans son article Un
millón y medio de razones70
, ce phénomène s‟expliquerait grâce au volontarisme du
mouvement mapuche des dernières décennies qui a permis de renverser le processus
de chilenisation obligée et de promouvoir, parmi les nouvelles générations, la fierté
d‟une origine ethnique. Ce mouvement peut, en effet, être envisagé comme la
conséquence du travail des différentes organisations, et du processus de
décolonisation intellectuelle.
Pour les organisations mapuche, ces résultats corroborent la constitution
plurinationale de l‟État chilien et la reconnaissance de cet état de fait. Les chiffres
qui signalent que plus de 11% de la population chilienne s‟auto-considère comme
d‟origine indigène71
reflètent une demande de plus en plus manifeste de ré-
ethnification.
70 Ma traduction: « Un million et demi de raisons ».
71 Selon le recensement de 2012, 1 842 607 personnes, sur une population totale estimée de 16 634
603 habitants, se considèrent comme appartenant à un peuple originaire.
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
79
Pour le gouvernement, dans les déclarations de l‟intendant de la Région de
l‟Araucanie72
, ces données pourraient s‟expliquer par un plus grand attachement à la
culture d‟origine et, en même temps, par la diminution des indices de discrimination
envers les peuples originaires. Une situation qui se répète, selon lui, un peu partout
dans le monde. Une autre possibilité, selon l‟autorité gouvernementale, serait
l‟augmentation des personnes se déclarant mapuche à cause des bénéfices et des
programmes sociaux accordés par l‟État aux personnes dites « des peuples
originaires ». Cependant, étant donné les programmes menés ces dernières années
par l‟État, programmes visant essentiellement les zones rurales, il est difficile de
croire que l‟augmentation explosive de l‟ensemble de la population auto-définie
comme Mapuche dans le pays soit effectivement encouragée par les politiques
éducatives et linguistiques gouvernementales.
D‟où l‟importance de ce phénomène d‟auto-affirmation qui n‟est pas
négligeable pour les acteurs politiques, autant de la part du gouvernement que des
groupes militants de la ré-ethnification. Car il est bien connu que les chiffres sont
déterminants à l‟heure de fixer des politiques budgétaires d‟État pour les affaires
dites indigènes.
Compte tenu de ce contexte, certaines questions se révèlent dans le champ de
la planification linguistique au niveau macro-sociétal, comme par exemple : quelles
démarches suivre dans la Région Métropolitaine où habitent 37% de la population
mapuche du pays ? Quelles planifications et politiques linguistiques adopter dans un
tel contexte de revendication identitaire ?
Le mouvement social généré dans toute l‟Amérique latine à partir des années
1990 conforte le travail des organisations indigènes de tout le continent. Ce
mouvement indigène de différents peuples d‟Amérique latine, l‟Abya Yala73
, porte
un discours autonomiste visant la libre détermination et des demandes territoriales,
culturelles, sociales et linguistiques. La mobilisation, ainsi que les rencontres des
peuples indigènes au niveau continental, ont permis un échange de leurs demandes
et le partage de leurs expériences.
72 Voir à ce propos l‟entretien audio sur le lien: http://www.biobiochile.cl/2013/04/02/censo-2012-
mas-de-un-millon-de-personas-se-identificaron-como-miembros-del-pueblo-mapuche.shtml, consulté
le 12 mai 2013.
73 Abya Yala est le nom donnée en 1992 par les Nations indigènes d‟Amérique à l‟ensemble du
continent américain. L'expression signifie en langue Kuna, la « terre dans sa pleine maturité » et a été
suggérée par le leader aymara Takir Mamani. Il propose que le terme soit utilisé par les peuples
originaires d‟Amérique pour lutter contre les dénominations exogènes. Le terme Amérique a été
donné par le cartographe M. Waldseemüller en 1507, en honneur d‟Amerigo Vespucci.
Chapitre II. Le mouvement mapuche de « ré-ethnification générale »
80
Le mouvement de ré-ethnification général concerne les Mapuche migrants
des grandes villes, en les faisant sortir de l‟anonymat, et fait émerger le projet d‟une
renaissance culturelle, sociale et linguistique que l‟on ne peut ignorer dans le cadre
de notre recherche.
Chapitre III
Langue de migration,
langue identitaire
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
83
Dans ce chapitre, je souhaite présenter le mapudungun comme une langue de
migration, plutôt que comme une langue indigène, minoritaire ou en danger.
En effet, pour mieux comprendre les enjeux de son
enseignement/apprentissage en milieu urbain, et dans le contexte particulier d‟un
mouvement de revendications politiques et identitaires, il semble nécessaire de
rappeller l‟histoire de la migration endogène rurale-urbaine.
La volonté de la revitalisation de la langue – avec toute la charge identitaire
de cette entreprise – doit être, en effet, comprise dans un contexte historique de
mobilité d‟une partie de la population mapuche.
La diaspora mapuche développe en milieu urbain un ensemble de
manifestations culturelles et artistiques emblématiques de l‟identité mapuche
contemporaine. Dans ces manifestations, la langue constitue le vecteur principal et
le symbole de la lutte culturelle.
1. Une langue de migration
Bien que la migration mapuche vers des pôles urbains persiste actuellement,
le flux migratoire le plus important date des années 1930 et 1950. Une grande partie
de la population mapuche, ou d‟origine mapuche, présente aujourd‟hui à Santiago
du Chili est issue de cette époque.
Comme cela a été évoqué dans le chapitre I (pour plus de détails voir la
partie historique en annexe 1), la population mapuche a vécu des phénomènes
dramatiques de migration, d‟abord au XXème
siècle, à cause de campagnes militaires
perpétrées par les armées argentines et chiliennes et jusqu‟à nos jours à cause d‟une
précarité économique qui l‟a systématiquement dépouillée de ses terres.
Cette mobilité géolinguistique s‟est accomplie, depuis la période de
l‟indépendance jusqu‟à nos jours, dans le contexte de la politique assimilationniste
définie au chapitre 1.
Dans la carte 3 ci-après, nous observons la dernière vague de migration, celle
qui nous intéresse plus particulièrement. La Région de l‟Araucanie est notée en
rouge, la Région Métropolitaine, distante d‟environ 700 kilomètres est indiquée en
bleu. La flèche signale le sens de la migration rurale-urbaine (sud-nord).
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
84
Carte 3: migration mapuche vers Santiago du Chili.
Source © : A. Vergara, adapté du site internet Carte de divisions administratives du Chili CIA, 2009.
1.1 Un strict processus d’assimilation ?
Jusqu‟à ce jour, le phénomène de la migration indigène vers les grandes
métropoles en Amérique latine a été en général très peu étudié. Dans le contexte
chilien, parmi ces rares études, signalons Munizaga (1961), Montecino (1990) et
Aravena (1999, 2007a).
L‟anthropologue Carlos Munizaga (1961, 1990) est l‟un des rares chercheurs
à avoir étudié le cas de la migration rurale-urbaine au Chili. Il rend compte dans ses
travaux du transfert culturel et des difficultés linguistiques chez les Mapuche primo-
arrivants en ville.
Dans son étude de 1961, Munizaga analyse le récit d‟un jeune mapuche qui
nous permet de comprendre pourquoi les migrants cantonnent l‟usage de leur
langue à la sphère domestique. Ces raisons sont liées au statut minorisé des migrants
qui, dans ce contexte comme dans bien d‟autres à travers le monde, mettent en
œuvre pour certains, des stratégies « d‟assimilation » ou « majoritaire » (Taboada-
Leonetti, 1990), en s‟efforçant de cloisonner strictement les univers linguistiques
privés et publics. Pour les migrants qui maintiennent le contact avec leurs
communautés d‟origine, le « sud » reste la « terre promise », comme le signale
Aravena (in Boccara 1999 : 164):
La identidad mapuche no desaparece en el proceso migratorio hacia los centros
urbanos, sino que se transforma y se redefine en un proceso permanente de
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
85
construcción, de recomposición y de adaptación a los imperativos de la
sociedad moderna a partir de nuevas situaciones de interacción social74
.
Si le mapudungun est, le plus souvent, réservé à la sphère familiale, surtout
pendant les premières vagues migratoires, ce phénomène de mobilité ne doit pas être
appréhendé sous le seul angle de l‟assimilation linguistique et culturelle conçue
comme un processus linéaire de substitution. Pour comprendre la situation actuelle,
il s‟agit, en effet, de considérer tout autant les phénomènes de différenciation
identitaire que ces stratégies de convergence avec les groupes majoritaires.
1.2 Les générations de la migration
Plus proche des stratégies que Taboada-Leonetti (1990) nomme
« d‟opposition au majoritaire », le processus de ré-ethnification des années 90,
recrée des dynamiques culturelles traditionnelles et intègre la conscience identitaire
du groupe dans l‟environnement urbain. Aravena (1999) propose quant à elle
d‟analyser et de comprendre ce processus de reproduction et de construction comme
un phénomène in statut nascendi où la qualité d‟identité indigène se régénère, à
travers la mémoire historique des migrants, en identité collective.
L‟anthropologue Nicolas Gissi (2004a) propose de différencier trois
générations : la première, celle de grands-parents qui sont nés entre les années 1930
et 1950, la deuxième, celle des parents, nés entre 1950 et 1980 et la troisième, celle
des petits-enfants, de 1980 jusqu‟à nos jours.
Chacune de ces générations peut être, tendanciellement, caractérisée en
fonction de son rapport à la langue et à la culture mapuche. C‟est ce qu‟on propose
de développer dans les trois points suivants : génération du silence, génération de
l‟oubli et génération wariache.
1.2.1 La génération du silence
Cette génération correspond à celle des grands-parents, qui se sont « tus »
pour effacer la langue comme marqueur identitaire discriminant négativement. Ce
groupe correspond à une vague migratoire, en général composée d‟hommes seuls
74 Ma traduction: « L‟identité mapuche ne disparaît pas pendant le processus migratoire vers les
centres urbains, mais elle se transforme et se redéfinit dans un processus permanent de construction,
de recomposition et d‟adaptation aux impératifs de la société moderne à partir des nouvelles
situations d‟interaction sociales ».
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
86
qui, malgré leur nostalgie de la campagne, s‟assimilent à la culture urbaine. Ce mode
d‟adaptation entraîne l‟abandon de la langue et des traits culturels dans le contexte
public, il en cantonne l‟usage dans les seules situations domestiques, comme on l‟a
vu précédemment.
Souvent, les jeunes mapuche s‟inscrivent pour la première fois dans le
registre d‟identification chilien. Comme gage d‟intégration et pour éviter la
ségrégation de la société dominante, le changement du nom de famille devient une
pratique très courante parmi les nouveaux arrivants, soit en espagnolisant leur nom
d‟origine mapuche, soit en empruntant un nom de famille espagnol, parfois celui de
leur patron. À leur tour, les jeunes migrants ont fondé leurs propres familles, avec
leurs proches issus de la migration, mais aussi avec des Chiliens ou Chiliennes. Un
métissage très fréquent entre homme mapuche et chiñura (femme chilienne) fonde
ainsi les bases de la deuxième génération des Mapuche en ville.
Les migrants de cette génération s‟installent dans la périphérie de Santiago,
dans des secteurs parmi les plus défavorisés. Aujourd‟hui, ces communes sont celles
qui enregistrent la majeure partie de la population auto-définie comme Mapuche.
Ces donnés sont corroborés par le nombre des organisations mapuche existant dans
ces communes. Plus de cent organisations confirment pleinement l‟existence d‟un
mouvement social dans la capitale du Chili.
Selon l‟étude de Millaleo (2006), dans le Grand Santiago les communes de
Santiago Centro, Peñalolén, La Florida, La Pintana, Cerro Navia et La Granja
regroupent la plus grande partie de ces associations, comme le montre la carte 4
suivante :
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
87
Carte 4 : représentation des organisations mapuche dans la Région Métropolitaine.
Source © : Mise en carte répresentative, A.Vergara d’après des données de Millaleo, 2006 : 100.
Les réseaux instaurés par les premiers Mapuche arrivés à Santiago
permettent d‟accueillir les nouveaux arrivants, pour la plupart, encore, des hommes
seuls. Cette communauté «informelle» s‟organise (Ancán et Calfìo, 1999) et permet
de comprendre la manière dont les Mapuche conçoivent le collectif : comme un
réseau de connaissances et de soutiens réciproques75
.
Comme le signalent Aravena (1999) et Abarca et al. (2005), ce système de
réseau et d‟appui solidaire induit dans le même temps une ségrégation urbaine.
Munizaga (1961) explique comment cette situation permet de « transformer » les
structures mapuche traditionnelles et d‟en « construire » d‟autres plus adaptées à la
ville.
75 Ce mode d‟organisation peut être illustré par les rencontres spontanées chaque dimanche au parc de
la Quinta Normal. Ce parc, situé au cœur de la commune du même nom, était le lieu de retrouvailles
pour les premières générations de migrants. Il s‟agit de plusieurs hectares aménagés, dont l‟accès
était très facile en transport en commun et proche de la principale porte d‟entrée de la capitale depuis
le sud du pays : la gare d‟Estación Central. Ce site était le lieu idéal pour faire des rencontres,
retrouver les membres de la communauté d‟origine et trouver du travail. Pour les nouveaux arrivants,
c‟était l‟espace d‟aide et d‟orientation dans ce nouveau contexte urbain ou pays.
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
88
Dans le premier cas, cela favorise l‟interaction et la mise en contact entre les
familles d‟une même communauté rurale. Cette situation facilite et renforce la
conscience de confrérie ethnique dans une cohabitation citadine, en reprenant
certaines habitudes propres à la vie en communauté. La construction de nouvelles
structures, comme les clubs de football ou les organisations culturelles et politiques
permettent cette transition – dont parle Munizaga – vers des mécanismes
intermédiaires d‟adaptation à la vie urbaine, mais aussi vers une forte auto-
identification ethnique.
1.2.2 La génération de l’oubli
Il s‟agit de la génération née et/ou grandie en ville. C‟est la génération que
Gissi (2004a) désigne comme celle des « parents ». Pour la plupart, les enfants ont
été élevés comme des Chiliens avec une identité mapuche cachée. La langue n‟est
pas transmise, pas plus que les expressions traditionnelles de la culture des aînés.
Dans quelques familles les contacts avec les communautés d‟origine au sud du pays
ont continué à être forts, dans d‟autres cas les liens ont été rompus.
La génération née et/ou grandie en ville bénéficie d‟une situation sociale et
économique plus stable que celle de ses parents, ce qui permet sa formation dans le
système éducatif chilien, la poursuite d‟études techniques et, dans quelques cas,
d‟études supérieures. C‟est aussi la génération des jeunes qui ont vécu la dictature
militaire, moment sociopolitique particulièrement difficile. On peut dire que cette
deuxième génération est celle d‟un processus accompli de chilenisation.
1.2.3 La génération Wariache : une identité recomposée
Cette troisième génération connue comme celle des « petits-enfants », est
celle qui à vécu de près les revendications des peuples originaires de toute
l‟Amérique latine. Elle est composée de jeunes en plein processus de
« recomposition identitaire » (Taboada-Leonetti, 1990). En même temps, comme le
signalent Bengoa et Caniguan (2011), cette génération a été la première à profiter
des réformes des lois indigènes, notamment en termes éducatifs, ce qui lui a permis
de bénéficier d‟une subvention des études à travers la bourse indigène76
.
76 Selon les chiffres consignés par Bengoa et Caniguan (2011), le programme des bourses indigènes,
commence en 1991 avec 300 bourses universitaires. En 2008, le programme a touché 7.147 étudiants.
Tous niveaux compris (primaire, secondaire et supérieur) on arrive à 43 895 bénéficiaires.
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
89
En 2011, au moment du grand mouvement de contestation généralisée pour
réclamer une éducation gratuite et de qualité au Chili, apparaît la Fédération des
étudiants mapuche77
. Cette organisation partage les demandes sociales de la
CONFECH (Confédération des étudiants du Chili), mais déclare ouvertement ses
propres attentes, concernant particulièrement les étudiants d‟origine mapuche.
Leurs pétitions attestent du débat sur l‟éducation interculturelle dans
l‟éducation supérieure, s‟inquiètent de la gestion des foyers étudiants et de
l‟amélioration de la bourse indigène. Bien qu‟il n‟existe pas d‟enquêtes officielles
sur le nombre actuel d‟étudiants d‟origine mapuche suivant une formation de niveau
supérieur, on estime que le pourcentage augmente tous les ans, depuis la mise en
place des bourses qui bénéficient à un nombre croissant d‟étudiants d‟origine
indigène.
Cependant l‟obtention de cette bourse est soumise à de nombreuses
conditions : l‟étudiant doit accréditer son ascendance indigène par un certificat78
délivré par la CONADI, prouver sa situation socioéconomique défavorisée à travers
un diagnostic dû au service social de la mairie et avoir, en dernier lieu, une moyenne
minimum de 4,5 sur 7 pour l‟éducation supérieure.
Sans doute, cette accréditation indigène certifiée par la CONADI, offre une
série d‟avantages de la part de l‟État en matière d‟éducation, mais aussi de
possession des terres. Ceci pourrait expliquer en partie, selon les recensements
officiels, l‟augmentation explosive de la population indigène ces dernières
décennies. Toutefois, comme nous l‟avons déjà signalé, l‟autodéfinition comme
indigène pourrait aussi être le résultat de la prise de conscience d‟un discours
politique et d‟un positionnement idéologique autour de la revendication ethnique.
L‟augmentation de personnes auto-définies comme Mapuche pourrait aussi
s‟expliquer comme une réponse à la conscience d‟appartenir à une ethnie originaire,
à une identité marquée, à une culture wariache.
Le néologisme wariache est composé de deux termes, « waria » ou
« warria », la ville et « che », les gens. Cette définition territoriale a été adoptée
77 La Federación Mapuche de Estudiantes (FEMAE) est fondée par des étudiants de l‟éducation
supérieure et secondaire d‟origine mapuche. Elle est auto-définie comme un réseau autonome, qui a
pour objectif de lutter contre les fortes dissemblances culturelles et politiques générées par le système
d‟éducation formelle de l‟État chilien.
78 L‟accréditation indigène s‟obtient par filiation (père et/ou mère indigène, même pour les enfants
adoptifs), par nom de famille indigène sur une liste établie par la CONADI, par mariage
(époux/épouse d‟une personne indigène), par auto-identification en tant qu‟indigène (soutenue pour
une autorité traditionnelle reconnue et validée par la communauté (cf. Loi indigène nº19.253, titre I,
paragraphe 2, article 2).
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
90
surtout par les jeunes de la troisième génération qui se considèrent comme des gens
de la ville, tout en gardant leur identité mapuche. Il existe d‟autres termes pour
catégoriser ces personnes, nommés aussi « Mapuche urbains »79
.
L‟identité mapuche fait partie d‟une mémoire historique. L‟existence de cette
sous-catégorie de « Mapuche urbain » implique un nouveau type de « mémoire
collective » lié à la notion de modernité (Abdallah-Pretceille, 2004). Cependant, la
problématique mapuche reste unique et il n‟est pas pertinent de penser en termes de
dichotomie rural/urbain, car il s‟agirait d‟une division artificielle. Cette division
illustrerait à tort la figure d‟un peuple complètement coupé de ses origines et de son
histoire et générerait une rupture dans l‟historicité mapuche. Comme le signale
Muñoz Cruz (1998: 158):
Las poblaciones indígenas no permanecen en un estado puramente
« tradicional ». Aunque ya no puedan sobrevivir completamente en un solo
escenario: trabajan, estudian, residen, se recrean o transitan por necesidad en
otros espacios que no son ni tradicionales ni modernos, pero que sí constituyen
un campo fértil para el desarrollo y hasta por la invención de identidades
indígenas y formas sociales80
.
Pour cela, je préfère évoquer le concept de continuum développé par Nutini
et Isaac (in Robichaux, 2005) pour le contexte mexicain. Cette représentation de
continuum apparaît non seulement à travers les concepts « d‟indien » et de « métis »,
mais aussi à travers tout le processus de transculturation en termes géographiques,
entre campagne et ville, entre communautés rurales et quartiers citadins.
A travers tous ces bouleversements entraînés par la migration, la perte des
territoires, la dispersion et séparation des communautés, l‟évangélisation,
l‟adaptation forcée à une autre culture, c‟est la création des organisations
revendicatives qui se révèle comme un des moyens de reconstruction de la mémoire
historique de tout un peuple en exil.
Le tableau 5 ci-après représente le processus de recomposition de l‟identité
« mapuche-wariache » selon Aravena (2003 : 91).
79 De nombreuses recherches se sont développées ces dernières années autour de la question de
l‟identité mapuche en ville (cf. J. Mariman, 1997b ; Ancan et Calfío, 1999 ; Aravena, 1999, 2004,
2007a, 2007b ; Kropff, 2004 ; Abarca, 2005 ; Antileo, 2007, 2010 ; Imilan et Alvarez, 2008 ; Gissi,
2010, 2006, 2004a, 2004b ; Lincolao et Ruiz, 2010, entre autres).
80 Ma traduction: « Les populations indigènes ne restent pas dans un état purement „traditionnel‟.
Bien que ne peuvent survivre complètement dans un cadre unique: elles travaillent, étudient, résident,
se distraient ou transitent par nécessité dans d‟autres espaces qui ne sont ni traditionnels ni modernes,
mais qui constituent un champ fertile pour le développement et même pour l‟invention d‟identités
indigènes et de formes sociales ».
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
91
Tableau 5 : processus de recomposition de l’identité « Mapuche-wariache ».
Source © : Aravena (2003) traduit de l’espagnol.
Ce tableau illustre bien, à notre sens, la complexité du phénomène de
recomposition. Pour Aravena, l‟identité mapuche-wariache s‟inscrit dans un
processus plus complexe que la simple distinction de territoire, car l‟expérience de
la migration ne représente pas nécessairement une rupture avec la communauté
d‟origine, mais plutôt une continuité dans deux espaces. Selon Aravena (2004 : 89),
la notion de continuité territoriale trouve son sens dans la somme des « mémoires
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
92
individuelles » et d‟une « mémoire collective », dans un processus de reconstruction
identitaire : le processus de recomposition de l‟identité mapuche-wariache.
J‟ai pu apprécier sur le terrain comment certains jeunes engagés dans le
mouvement revendicatif, et qui gardent des liens familiaux avec leurs communautés
d‟origine, commencent à s‟intégrer de plus en plus aux lofs81
de leurs ascendants,
ceci de manière temporaire – pendant des vacances ou des réunions importantes –
soit de façon plus stable en s‟installant pour travailler dans leur région d‟origine ou
faire des études à Temuco.
C‟est à partir de cette démarche pour rejoindre le territoire ancestral que
plusieurs d‟entre eux désirent, non seulement apprendre le mapudungun, mais aussi
le « savoir-faire » et le « savoir-vivre », à partir de l‟expérience des habitants des
communautés. Les pratiques ancestrales et le rapport avec la terre restent des
éléments fondamentaux pour maintenir un discours cohérent entre une certaine
modernité et les « gens de la terre ». C‟est un des paradigmes qu‟on retrouvera tout
au long de la recherche d‟un cadre de référence pour l‟enseignement du
mapudungun.
Le « retour aux sources », c‟est aussi une manière de renforcer une identité
qui, dans le cas des jeunes nés à Santiago, s‟est développée seulement dans
l‟imaginaire, en idéalisant la vie communautaire à la campagne. Cette démarche de
ré-ethnification, fait partie aussi d‟une recherche personnelle des anciennes pratiques
culturelles au niveau familial. Comme le signale encore Aravena (2004), dans le
contexte citadin l‟identité mapuche-wariache se renforce par l‟action collective qui
se développe au niveau familial, mais aussi à travers une organisation sociale plus
large.
Comme j‟ai pu l‟observer, les jeunes qui adhèrent aux organisations
mapuche partagent les mêmes convictions, survalorisent la culture d‟origine en
exaltant les pratiques rituelles. Certains désirent s‟élever dans l‟échelle sociale et
jouer un rôle important dans les organisations. Ces caractéristiques donnent lieu à
une action collective qui se reflète à travers les activités organisées par les
différentes associations: cours de langue, activités culturelles, réunions politiques,
marché d‟artisans, entre autres. Toutefois il ne faut pas négliger dans ce mouvement
la présence des personnes issues des premières vagues de la migration rurale-
urbaine, qui, à travers ces organisations, retrouvent leurs traditions dans l‟urbanité et
81 En relation à la famille, les liens ne sont pas seulement avec la famille nucléaire mais avec tous
ceux qui gardent un lien parental suivant l‟idée du lof ou communauté d‟origine.
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
93
s‟emploient à promouvoir dans les faits et dans le discours une revitalisation
culturelle et linguistique.
2. La langue dans les formes d‟expression
contemporaines de la diaspora mapuche
Le phénomène de migration mapuche a un caractère relativement récent et
intéresse des études de plus en plus nombreuses. Jusqu‟à présent la
« migration indigène» a souvent été considérée comme faisant partie de l‟exode
massif des populations rurales vers la ville. Une formulation qu‟illustre un contexte
dans lequel les peuples originaires (et leurs déplacements géographiques) sont
considérés par la société dominante comme de simples mouvements internes et non
comme des cas d‟expatriation ou d‟exil d‟un pays.
Actuellement, la migration mapuche a été étudiée par certains chercheurs en
tant que phénomène donnant lieu à une « diaspora mapuche », d‟abord par Pedro
Mariman (1997), puis par des chercheurs comme Ancan et Calfío (1999) et Antileo
(2007). Pour Mariman (1997) cette diaspora pourrait être définie comme un flux
migratoire de caractère collectif, comme un phénomène social, non nécessairement
concerté, mais avec une cohérence interne.
Cette migration, provoquée par des facteurs exogènes au groupe, a généré
une dislocation dans la continuité démographique mapuche, dislocation concernant
son habitat historique, son territoire, son « pays », et sa terre – « terre » se
comprenant dans le sens « d‟appartenance à un territoire », plus que comme « objet
de production » (Mariman, 1997 : 218).
L‟existence aujourd‟hui de cette diaspora permet de comprendre d‟autres
caractéristiques présentes dans le mouvement de ré-ethnification à travers diverses
formes d‟expression contemporaines.
Il s‟agit d‟un certain nombre de propositions artistiques, inscrites dans un
large champ culturel urbain résolument moderne. Ces manifestations s‟emparent
d‟une forme esthétique renouvelée et, ce qui nous intéresse particulièrement,
témoignent d‟une recherche identitaire à travers la force des images et la vigueur des
revendications. Il s‟agit également de pratiques culturelles qui relèvent à l‟origine de
rites indigènes.
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
94
2.1 Rites et spiritualité indigènes dans les
pratiques culturelles urbaines
En 2012 et pour la première fois dans l‟histoire des recensements nationaux
officiels, apparaît la possibilité de répondre à une question à propos de la pratique
des rites indigènes, en tant que pratique culturelle.
Une requête certainement complexe comme on peut le constater sur le
terrain : certaines personnes peuvent, par exemple, se déclarer Mapuche, et même
être locuteurs de mapudungun, tout en étant de confession évangélique, sans
partager ni la cosmovision ni les rites mapuche, l‟inverse étant également possible.
Ainsi, il n‟est pas rare que – statistiquement parlant – les rites mapuche
n‟apparaissent pas comme une demande essentielle à l‟intérieur de l‟échantillon
proposé par le recensement de 2012. Sur l‟ensemble du Chili, pour un total de 13
045 880 de personnes questionnées sur leurs pratiques religieuses (population âgée
de 15 ans et plus), 14 570 personnes (soit seulement 0,1%) se déclarent impliquées
dans une pratique religieuse mapuche traditionnelle.
Cependant, cette notion d‟implication spirituelle dans le processus de ré-
ethnification doit être appréhendée dans toute sa complexité et subtilité. Car, comme
l‟indique Barabás (2002 : 19) pour le cas mexicain, tant l‟appropriation que la
réappropriation sélective de la culture – culture propre ou étrangère – mettent en
jeu des processus complexes qui reconfigurent la religion et sont rendus possibles
par la flexibilité et la plasticité de la culture indigène.
Ainsi, lors de ma participation aux ateliers, aux activités militantes et durant
mon séjour dans la communauté rurale, j‟ai pu constater l‟importance de cet aspect
en rencontrant de nombreux cas de personnes mapuche qui, tout en participant à des
cérémonies ou à des rituels traditionnels, se déclarent membres de l‟église
évangélique. D‟autres voient dans ce choix un « double militantisme » et finissent
par privilégier un seul type d‟expression spirituelle.
Ce type de constat permet de relativiser une perception qui serait
folklorisante de la spiritualité mapuche. Il ne doit pas, pour autant, minimiser la
place de la langue dans certains rituels ou cérémonies. L‟apparition en ville, ces
dernières années, d‟espaces dédiés aux pratiques rituelles, pourrait peut-être même
indiquer un changement de dynamique. En effet, mon étude de terrain m‟a permis
d‟observer combien la pratique d‟une spiritualité mapuche gagne du terrain.
Les célébrations telles que le Ngillatun (cérémonie d‟offrandes) ou le Wiñol
Tripantü (solstice d‟hiver) donnent lieu à de véritables réunions de famille, toutes
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
95
générations confondues. Elles apparaissent comme un épicentre du processus de ré-
ethnification culturel où la langue joue un rôle central, langue utilisée toute la
journée, voire plusieurs jours. Les maîtres de cérémonie sont les locuteurs de
mapudungun, les discours et les prières se font systématiquement en langue
mapuche.
Comme le signale Costa (2010a), ces pratiques peuvent apparaître comme la
« mythification » du groupe. Elles s‟inscrivent dans le sens d‟une résistance
permanente à l‟assimilation des schémas culturels de la société dominante et
peuvent s‟épanouir en tous lieux à Santiago : terrain de football poussiéreux, centre
cérémoniel, autant que dans une ruka (maison traditionnelle).
Dans ce contexte de « revitalisation », les pratiques culturelles – comme
l'usage des vêtements traditionnels – et la pratique de la langue – dans des espaces
comme les ateliers de mapudungun – sont des activités de plus en plus valorisées
parmi les jeunes citadins.
2.2 Des manifestations artistiques et
identitaires
Tenants de cette diaspora mapuche, le plasticien Santos Chávez et l‟écrivain
Elicura Chihuailaf, sont des références internationales qui ont été à l‟avant-garde des
artistes mapuche contemporains.
Les sujets de l‟environnement urbain, du déracinement, de la recherche de la
mapu et de sa force, prennent de nos jours une place centrale dans le mouvement
artistique mapuche.
Les expressions culturelles et artistiques rencontrées dans le cadre de cette
recherche soulignent l‟affirmation identitaire recherchée par l‟ensemble des
participants de ce mouvement.
L‟affirmation d‟une « ethnicité positive » (Aravena, 2007a) dans les
manifestations artistiques permet de repérer les motivations qui mobilisent les
acteurs. C‟est un facteur clef pour comprendre la démarche des cours de langue, les
engagements et les enjeux de l‟enseignement/apprentissage du mapudungun pour les
jeunes adultes urbains.
Il semble donc intéressant de proposer un bref aperçu de ce mouvement
artistique qui va de l‟art plastique au théâtre, en passant par la musique et la
littérature, et de pointer, à travers ces expressions, ce qui relève d‟une affirmation
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
96
identitaire mapuche et des enjeux concernant la revitalisation culturelle et
linguistique traitée dans le chapitre suivant.
2.2.1 Arts plastiques et discours identitaire
Les travaux de Santos Chávez, graveur mapuche reconnu, ont inspiré toute
une nouvelle vague de jeunes exposants qui développent aujourd‟hui des
thématiques identitaires à travers diverses techniques plastiques, parmi lesquels :
Juan Carlos Carrilaf, Cristian Collipal, Claudio Huenchumil, Héctor Neculhueque,
Eduardo Rapiman, entre autres.
Le travail de Rapiman illustre bien les questions sociales et
environnementales auxquelles le mouvement mapuche est confronté actuellement et
sur lesquelles les artistes ont proposé un discours identitaire exprimé par exemple,
dans cette « Femme de Ralco », Ralcodomo (2003).
Figure 3 : Eduardo Rapiman, « Ralcodomo ».
Source © : Eduardo Rapiman, 2003.
L‟œuvre de Rapiman ci-dessus s‟appuie sur une symbolique culturelle
mapuche, tout en proposant une critique sociale et politique. L‟artiste illustre le
débat soulevé par l‟édification d‟une centrale hydroélectrique en territoire pewenche
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
97
en apposant à cette construction un corps de femme, mère nature porteuse de la vie à
travers ses fleuves. Mais cette créature hybride, idole endormie dont la chevelure se
dissout dans l‟espace, est comme coupée en deux et vidée de son sang, jusqu‟à
devenir une figure colossale. L‟œuvre de Rapiman symbolise une impossible
harmonie, constat d‟une rupture plastique qui illustre toute la difficulté de conjuguer
la culture du passé et les dérives du présent.
Ce discours idéologique touche aussi les acteurs qui revendiquent la cause
militante de manière très engagée. L‟auteur du dessin reproduit ci-dessous, Mauro
Fontana, symbolise un des aspects de la cosmovision mapuche avec des identités
territoriales : le meli wixan mapu, ainsi que des divinités ancestrales exprimées dans
la figure d‟une femme âgée (kushe domo), d‟un homme âgé (fücha wentru), d‟une
jeune fille (ülcha domo) et d‟un jeune homme (weche wentru).
Figure 4 : Meli wixan mapu.
Source © : Mauro Fontana, 2013.
Ainsi, l‟artiste donne à sa revendication un caractère d‟urgence dramatique.
Ses personnages sont insérés dans un contexte urbain; on pourrait penser qu‟il s‟agit
d‟un bidonville de la capitale, espace dont ils cassent le béton pour retrouver la terre
fertile où germent de nouvelles graines. Allégorie d‟un peuple qui déterre ses
propres racines pour y planter de jeunes pousses et semer sa propre culture.
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
98
Ces deux exemples de productions plastiques montrent combien les artistes
s‟appuient, eux aussi, sur l‟efficacité d‟un langage plastique qui leur est propre.
Les graffitis et les peintures murales font aussi partie des expressions
artistiques mapuche dans un contexte urbain contemporain. Comme le signalent
Felonneau et Busquets (2001a) dans le champ de la psychologie sociale, les
pratiques de tagage s‟inscrivent dans un processus de socialisation marginalisée et
de recherche identitaire. La formule « je tague donc j‟existe » utilisée par
Rosenczveig (in Vulbeau, 1992) fait en particulier écho à ce contexte de
démarquage culturel.
On peut remarquer que la forme « graffiti » est très représentative des
revendications politiques populaires, qui inondent les murs de nombreuses villes du
monde, voir par exemple les « fresques » qui ont représenté toute une époque sur le
mur de Berlin. Elles marquent une appropriation d‟un espace public et une
transgression affichée des interdits, comme le signalent Felonneau et Busquets
(2001b), leur présence est perçue comme l‟expression d‟un ordre social et moral en
décadence.
Le graffiti suivant a été photographié dans un quartier de la Région
Métropolitaine.
Figure 5 : graffiti bilingue castillan/mapudungun, Estación Central, Région Métropolitaine.
Source © : http://muralespoliticos.blogspot.com, consulté le 14/06/2013.
Dans ce texte bilingue, la mise en demeure s‟adresse de façon véhémente à
l‟ensemble de la société, aux Mapuche et non-Mapuche, aux locuteurs et non
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
99
locuteurs du mapudungun. Le double point d‟exclamation et les majuscules viennent
souligner une demande insistante qui déclare en mapudungun et castillan : « Partez
tous les ennemis du territoire mapuche, liberté aux prisonniers politiques mapuche !
Dix fois nous vaincrons !! ».
Un message envoyé aux passants de la rue. Cette forme revendicative peut
être considérée comme une forme offensive d‟alerte générale et, en même temps,
comme une proclamation des objectifs du mouvement de ré-ethnification mapuche
contemporain.
2.2.2 Arts scéniques, du témoignage à la revendication
On peut s‟arrêter pour les arts scéniques sur les travaux du collectif Kimen à
travers ses productions musicales et théâtrales : « Ñi pu tremen » (Mes ancêtres),
« Territorio descuajado » (Territoire décalé) et sur ceux de « Galvarino ». Dans le
cas de « Ñi pu tremen », les textes sont produits à partir d‟un travail de
documentation et de compilation de narrations orales, notamment celles des femmes
issues de la migration vers la ville, puis à partir d‟une mise en scène par les
protagonistes elles-mêmes. Ce montage relate, à travers les témoignages bilingues
(en mapudungun et en castillan), le vécu de femmes mapuche de quatre générations
et leurs expériences de la société chilienne.
Par ailleurs, « Rumel Mülen » (Rester dans le temps) est un autre collectif de
Santiago composé essentiellement d‟artistes mapuche. Ce groupe réalise depuis
2011 un travail de recherche scénique sur la culture mapuche que l‟on retrouve dans
le documentaire « Rume Fuxa Kuifi » (Avant tout, le lendemain) et dans la pièce de
théâtre, Awkarayen: re-escritura despojada (Awkaraye : ré-écriture dépouilée) :
Somos un grupo de personas mapuches y no mapuches nacidos en la ciudad
que nos reconocemos y re-encontramos con las raíces de la cultura mapuche,
construyendo lenguajes artísticos a partir del saber ancestral y desde nuestra
realidad cotidiana (urbana), como forma de manifestar la existencia de lo que
se creía perdido82
(Inchiñ, présentation sur le blog du collectif).
Ces expériences, à travers les intitulés des œuvres, recourent au mapudungun
comme marqueur identitaire. Une ressource grammaticale souvent utilisée par ces
artistes dans les titres choisis, consiste en l‟usage systématique de l‟article possessif
82 Ma traduction: « Nous sommes un groupe de personnes mapuches et non-mapuches nées en ville,
nous nous reconnaissons et nous retrouvons dans les racines de la culture mapuche en construisant
des langages artistiques à partir du savoir ancestral et depuis notre réalité quotidienne (urbaine),
comme une manière de manifester l‟existence de ce que l‟on croyait perdu ».
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
100
« ñi » (mon et notre) et du pronom personnel « -iñ » (nous) comme emblèmes
identitaires.
2.2.3 Compositions musicales et recompositions identitaires
D‟autres formes d‟expressions artistiques comme la musique ont vu le jour
avec plus de force ces dernières années. Des musiciens individuels ou en groupe
délivrent un message contestataire à travers leurs compositions, en alternant castillan
et mapudungun.
Au croisement de ces manifestations artistiques et identitaires apparaissent
de nombreux groupes musicaux qui se revendiquent comme mapuche et qui
cultivent divers styles comme, par exemple, le punk du groupe « Pirulonko » (Tête
de fou en mapudungun). Dans la région de l‟Araucanie, l‟ont suivi d‟autres
formations comme « Pewmayen » (Terre rêvée), « Weliwen » (Nouvelle aurore). À
Santiago, « Pu Kutre Ñuke » (Le con de ta mère) et « Wechekeche Ñi Trawün »
(Réunion de jeunes gens). Ces derniers s‟auto-définissent comme de jeunes
descendants des migrants et mêlent à la musique traditionnelle mapuche divers
rythmes urbains contemporains comme le rap, le hip-hop, le reggae ou le ska, et
d‟autres rythmes plutôt latino-américains, comme la cumbia et la ranchera, entre
autres.
Comme pour le théâtre, les titres de ces ensembles adoptent aussi le
mapudungun comme marqueur identitaire. Parfois les termes sont offensifs, voire
vulgaires et donc peu appréciés des locuteurs plus âgés (comme c‟est le cas de Kutre
ñuke). On peut y voir dans certains cas une provocation ou ailleurs une
démonstration de la connaissance des nuances de la langue, ou bien encore une
convergence avec certains groupes occidentaux qui jouent d‟un vocabulaire
transgressif.
Il est donc intéressant, du point du vue sociolinguistique, d‟observer dans ce
type d‟expressions artistiques un lien direct avec les pratiques langagières urbaines
emblématiques de la stratégie de « recomposition identitaire » (Taboada-Leonetti,
1990) des jeunes urbains.
Un phénomène qui renvoie à un processus de globalisation linguistique où le
castillan, le mapudungun et l‟anglais peuvent être mobilisés dans un même morceau
de rap. Comme le signalent Lambert et Trimaille à propos de textes de rap français
(2002 : 209) :
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
101
L‟ensemble de ces choix plurilingues, délibérés et ostentatoires, participe donc
d‟une recomposition d‟identités plurielles et d‟un nouveau type de solidarité
sociales.
Comme on peut le trouver dans le texte ci-après, extrait des paroles de la
chanson « Mapuche University », témoignant des conflits culturels, identitaires et
linguistiques qui marquent cette jeunesse urbaine :
Que se escuche, que se escuche
El afafan de los estudiantes mapuche
A puño y letra quedará escrito
Universidad mapuche es nuestro grito (…)
En nuestra mapu no queremos celulosa y forestales
Pa‟ salir de la pobreza mapuches profesionales
Con conciencia y compromiso peñis y lamngen leales
Los que siguen trabajando por su pueblo son reales
En todo el territorio exigimos más hogares
Pa‟ que puedan estudiar mapuche de todos lugares
No existe frontera para nuestras demandas
La educación del wingka la convertimos en arma
Es nuestro derecho hablar mapuchedungun
Nuestros ancestros nos enseñaron el kimün
Nos educaremos siempre en füta trawün
Wiño chelkatuaiñ alkutuaiñ
Mapu kimün83
(Wekecheke Ñi trawun, 2012).
Dans ce texte comme dans d‟autres, les compositeurs hip-hop mapuche
montrent leur refus de l‟assimilation attachée à l‟image du Chili et à ses hiérarchies
socioéconomiques. Ils utilisent un vocabulaire se rapportant clairement à une
démarcation identitaire. Les termes « poing », « cri », « exigeons », « demandes »,
« droit » sont un appel à la société chilienne (les « wingkas » dans le sens
d‟envahisseurs). Les paroles font référence aux problèmes environnementaux
(« nous ne voulons pas de cellulose ni d‟exploitations forestières »), économiques
(« sortir de la pauvreté »), sociaux (« l‟éducation comme arme »), et enfin à un
83 Ma traduction: « Ecoutez! Ecoutez ! le afafan [cri d‟encouragement et démonstration de force] des
étudiants mapuche/ de notre propre main cela restera écrit/ Université mapuche c‟est notre cri (…)/
Dans notre mapu [terre] nous ne voulons ni cellulose ni exploitations forestières/ Pour sortir de la
pauvreté mapuche diplômés/ engagés et conscients sont frères et sœurs loyaux/ Ceux qui continuent à
se battre pour leur peuple sont réels/ Sur tout le territoire nous exigeons plus de foyers/ pour que de
partout les Mapuche puissent étudier/ Il n‟y a pas de frontière à nos exigences/ L‟éducation du
wingka [étranger] deviendra une arme/ Parler le mapuchedungun [mapudungun] est notre droit / Nos
ancêtres nous ont appris le kimün [sagesse]/ Nous apprendrons toujours de la grande assemblée/ De
retour, apprenons, écoutons/ la sagesse de la terre».
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
102
engagement pour la revitalisation linguistique et culturelle (« notre droit de parler
mapuchedungun », « nos ancêtres nous ont appris les savoirs »).
Cette analyse est aussi applicable aux paroles d‟un autre compositeur
mapuche, le rappeur Luanko Minuto Soler. Dans son dernier album (2013), il
montre un intérêt particulier pour la revitalisation linguistique à travers sa
composition « Wiñoy Tañi Kewun » (Le retour de ma langue), une version écrite en
mapudungun par l‟auteur (comme il le déclare lui-même sur son site), en utilisant
ses connaissances en tant qu‟apprenant et néo-locuteur du mapudungun.
2.2.4 Entre oraliture84 et écriture aux marges
La production littéraire jouant un rôle dans la visibilité de la langue, donne
de nos jours un prestige particulier au mapudungun, et assure une nouvelle forme de
vitalité. La nouvelle vague des poètes mapuche compte des écrivains comme Elicura
Chihuailaf, Graciela Huinao, Leonel Lienlaf, Jaime Huenún, Maribel Mora Curriao,
Faumelisa Manquepillan, David Aniñir Guilitraro, entre autres. Ce dernier est aussi
connu comme Mapurbe, un néologisme qui mêle le terme « terre » en mapudungun
et « ville » en castillan.
Il faut remarquer que la poésie mapuche existe depuis des siècles, mais que
c‟est au travers de l‟écriture contemporaine qu‟elle peut toucher un public non-
mapuche. Sa thématique est souvent liée à la cosmovision, la tradition, la nature et
l‟identité. Parmi les poètes mapuche, certains ne maîtrisent pas le mapudungun, mais
utilisent un langage propre, une langue champurria (métisse), en mêlant le castillan
et le mapudungun. D‟autres, comme les poètes Elicura Chihuailaf ou Leonel Lienlaf
écrivent régulièrement des versions bilingues qui ne sont pas des traductions
littérales, mais des interprétations suivant un point de vue interculturel entre le
mapudungun et le castillan:
Temuko-waria
mi iñchemew
umagtumekey
ñi füchake cheyem.
Temuco-ciudad
debajo de ti
están durmiendo
mis antepasados.
84 L‟oraliture est la traduction du néologisme en espagnol oralitura, proposé par le poète Elicura
Chihuailaf à partir de « littérature » et « oral » pour se référer à un type de genre littéraire proprement
mapuche.
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
103
Pewmanmew
müley yengün
ka witrumekey
leufümew
ñi mollfün.
Soñando en su sueño
están ellos
y corre en el río
su sangre85
.
(Leonel Lienlaf, « Temuko-waria », 1989).
Pour l‟auteur Aniðir Guilitraro, alias Mapurbe, l‟écriture se caractérise par
un véritable croisement des langues et des contextes, comme on peut le voir dans
l‟extrait suivant de l‟une de ses productions littéraires :
Somos mapuche de hormigón
Debajo del asfalto duerme nuestra madre
Explotada por un cabrón
Nacimos en la mierdopolis
por la culpa del buitre cantor
Nacimos en panaderías
para que nos coma la maldición
Somos hijos de lavanderas, panaderos, feriantes y ambulantes
Somos lo que quedamos en pocas partes (…)
Somos los nietos de Lautaro tomando la micro
Para servirle a los ricos
Somos parientes del sol y del trueno
Lloviendo sobre la tierra apuñalada
La lágrima negra del Mapocho
Nos acompañó por siempre
En este santiagoniko wekufe maloliente »86
.
(David Aniñir, Mapurbe, 2005).
Enfant de père et mère mapuche migrants en ville, Mapurbe est né à Cerro
Navia dans la périphérie de Santiago. Ses premiers écrits sont les lettres qu‟il rédige
à la place de sa mère analphabète pour contacter leur famille du sud du pays. Poète
85 Ma traduction: « Temuco-ville/au-dessous de toi/ dorment mes ancêtres/ Dans leur sommeil/ils
rêvent/ et dans la rivière court/ leur sang ».
86 Ma traduction: « Nous sommes les Mapuche de béton/ Sous le bitume sommeille notre mère/
exploitée par un salaud/ Nous sommes nés dans la merdopole/ A cause du charognard chanteur /
Nous sommes nés dans les boulangeries pour que la malédiction nous ronge/ Nous sommes enfants
des blanchisseuses, boulangers, forains et marchands ambulants/ Voilà le peu qui reste de nous / (…)
Nous sommes les petits-fils de Lautaro prenant le microbus/ Pour servir les riches/ Nous sommes
parents du soleil et du tonnerre/ Qui s‟abat sur la terre poignardée/ La larme noire du Mapocho
[rivière]/ Nous a toujours accompagnés/ Dans ce Santiagoniko traître et fétide ».
Chapitre III. Langue de migration, langue identitaire
104
et ouvrier du bâtiment, il autoédite en 2005 Mapurbe, venganza a raíz (Mapurbe, la
vengeance à la racine), un livre où il s‟exprime en castillan, en mapudungun, en
spanglish, et dans l‟argot populaire de prisons chiliennes le Coa. Un langage
« mixé » qui lui est propre et que l‟auteur désigne comme le flaitedungun87
, un reflet
de la culture des centres suburbains dans laquelle il développe son œuvre.
Si la revitalisation du mapudungun dans le contexte urbain doit être
envisagée au sein d‟un mouvement social plus important de ré-ethnification, séparer
ces phénomènes des enjeux actuels de l‟enseignement/apprentissage de la langue
mapuche pour un public adulte citadin n‟aurait pas de sens.
Ces repérages historiques, sociaux, culturels et linguistiques apparaissent
comme une nécessité pour mieux comprendre, par la suite, les choix
méthodologiques et les implications de cette étude.
Les choix didactiques d‟apprentissage de la langue se doivent de prendre en
compte les besoins et les enjeux d‟un terrain sensible, comme on l‟exposera dans la
partie II de cette recherche.
87 Flaite est une expression de l‟argot chilien équivalente au terme « racaille » en français et
« dungun » signifie en mapudungun « le parler ». Donc, un néologisme qui veut dire « le parler de la
racaille ».
Partie II
Ethnographie d’un mouvement de
revitalisation linguistique
Chapitre IV
Une approche ethnographique et
collaborative :
principes, déroulement, corpus
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
109
L‟ancrage de ce travail dans le paradigme ethnographique correspond à un
choix et à une conception de la recherche qui seront explicités dans ce chapitre.
Il présente, dans un premier temps, les conditions et les postures de ce
terrain, la nature de cette recherche et les enjeux de l‟enquête ethnographique.
Ensuite, il indique les implications de cette approche ethnographique et les
méthodes adoptées pour la collecte et le traitement des données.
Enfin, ce chapitre expose les premières approches du terrain à travers une
étude exploratoire qui permettra de découvrir les principales motivations des
apprenants des ateliers de mapudungun. Des données qui soutiendront, par la suite,
les propositions didactiques expérimentales adoptées.
1. Un terrain « sensible », une recherche « impliquée »
Qualifier le terrain de la revitalisation du mapudungun de « sensible » revient
à souligner ses caractéristiques complexes, notamment en raison des enjeux
politiques dont il est porteur. Comme Bouillon, Fresia et Tallio (2006) le définissent
dans le domaine de l‟anthropologie, il s‟agissait bien, pour moi, de me confronter à
un « terrain sensible » :
En ce qu‟il [est] porteur[s] d‟une souffrance sociale, d‟injustice, de
domination, de violence. En second lieu, il [est] sensible[s] parce qu‟il[s]
implique[nt] de renoncer à un protocole d‟enquête par trop canonique,
l‟ethnographe devant ici mettre ses méthodes à l‟épreuve pour inventer, avec
un souci permanent de rigueur, de nouvelles manières de faire (2006 : 14).
Le terrain mapuche à Santiago du Chili, dans le contexte de l‟enseignement
du mapudungun, est cependant beaucoup moins complexe que celui d‟une
communauté en litige, et fortement militarisée, dans le sud du pays (exemple : le cas
emblématique de Temuicuicui). Pour établir les relations de confiance recherchées, il
était nécessaire d‟instaurer – ou d‟inventer – une approche méthodologique adaptée
aux caractéristiques de ce terrain.
La notion de terrain est ici mobilisée selon une définition « relationnel »
(Agier, 2004; Lambert, 2005, 2014). Pour bien préciser ce concept et les
implications théoriques qui en découlent, je reprendrai la définition de Lambert
(2014) :
En partant d‟une définition relationnelle de la notion de « terrain », on est
amené à ne pas considérer le chercheur seulement comme un méthodologue qui
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
110
chercherait à neutraliser le paradoxe de l‟observateur, mais bien comme un
participant à un réseau de relations sociales, lui-même constitué de rencontres
et d‟interactions (2014 : 119).
Par rapport à cette notion et en ce qui concerne l‟accès aux cours et ateliers
de mapudungun, j‟ai eu la possibilité de rencontrer, dès les premiers échanges, des
acteurs du mouvement de revitalisation qui ont compris ma démarche en tant
qu‟apprenante de la langue et comme chercheure. Des objectifs dans lesquels les
acteurs retrouvés se sont reconnus, grâce à leur « double casquette » d‟enseignants
du mapudungun et de militants de la revitalisation linguistique.
Cependant, mon terrain comporte aussi des points sensibles qui marquent
sans doute mon rapport avec ces acteurs.
Pour Tedlock (1991), dans une démarche ethnographique, on doit toujours
être capable de re-conceptualiser les démarches de l‟Observation Participante (OP)
en Participation Observante (PO), en dépassant les possibles contradictions que cela
induit et en adoptant davantage les inter-subjectivités du travail ethnographique.
Ce que Tedlock (1992) présente comme un des paradoxes courants de
l‟observation participante, lorsque la théorie veut que les chercheurs pendant
l‟enquête ethnographique soient à la fois des participants « émotionnellement
engagés » et au même temps des observateurs « dépassionnés des vies des autres » :
Cette étrange démarche n‟est pas seulement émotionnellement déstabilisante,
mais également suspecte sur un plan moral, du fait que les ethnographes
établissent volontairement des relations humaines intimes, avant de les
dépersonnaliser (1992 : 13).
Ainsi, rencontrer un enseignant qui peut voir dans ma présence attentive une
critique possible de sa pédagogie, ou des activistes politiques qui trouvent
insuffisante mon implication revendicative, sont des situations possibles, voire
habituelles.
De même, et pour faire le point sur cette perspective ethnographique dans le
domaine de l‟éducation, je reprends la définition du caractère socio-écologique de
l‟ethnographie, formulée par Gumperz (1989 : 117) :
La meilleure façon de définir la perspective ethnographique sur les processus
d'apprentissage est de la considérer comme une perspective socio-écologique. En
effet, l'intérêt ne porte pas sur le contenu du cours et sur les techniques
d'enseignement en tant que telles, mais sur les conditions d'apprentissage, autrement
dit, sur les aspects de la situation et de l'expérience, de l'élève et de l'enseignant, qui
ont une incidence sur la transmission du savoir et sur la définition des acquis.
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
111
Dans cette perspective, la planification, la révision et la production collective
offrent une dynamique avantageuse, et ce, non seulement pour les acteurs. Elle
enrichit la qualité des données grâce aux échanges interactionnels qui aideront à
connaître les idéologies des participants, ce que Gumperz (1989 : 126) juge comme
un facteur décisif pour planifier l‟apprentissage.
La participation affective aux situations est inévitable et constitue même,
selon moi, une clé de déchiffrement. Cela étant, le chercheur « sur le terrain » doit
être d‟autant plus rigoureux dans ses pratiques de recherche.
1.1 Une recherche « engagée »
Les conditions du déroulement de la recherche m‟ont imposé le respect de
certaines règles éthiques et déontologiques. Outre le fait que toutes les données
utiles à cette étude ont été recueillies, analysées et utilisées dans le plus grand
respect des personnes, de leur anonymat et de leurs opinions, j‟ai opté pour les
orientations d‟une « recherche engagée88
», telle que la définit Speed (2006: 80-81) :
Una investigación activista colaborativa demuestra un deseo compartido de ver
que los derechos de los sujetos se respetarán, y un compromiso de
involucrarlos en las decisiones sobre la investigación y contribuir con un
producto útil para ellos89
.
Cette position rejoint les principes définis dans la « recherche-action », au
sein d‟un milieu particulier où les implications revendicatives sont au cœur des
problèmes propres à l‟enseignement et à la redécouverte d‟une langue en danger.
Pour préciser les termes de « recherche-action », je reprends la définition de Liu
(1997: 87) :
Une démarche fondamentale dans les sciences de l‟homme, qui naît de la
rencontre entre une volonté de changement et une intention de recherche. Elle
poursuit un objectif dual qui consiste à réussir un projet de changement
délibéré et ce faisant, faire avancer les connaissances fondamentales dans les
sciences de l‟homme. Elle s‟appuie sur un travail conjoint entre toutes les
personnes concernées. Elle se développe au sein d‟un cadre éthique négocié et
accepté par tous.
88
Aussi appelée « recherche activiste » et « recherche décolonisée » dans la littérature consultée.
89 Ma traduction: « Une recherche activiste collaborative démontre une envie partagée de voir que les
droits des sujets seront respectés, un engagement de les impliquer dans les décisions de la recherche
et de contribuer, ainsi, à un produit utile pour eux ».
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
112
Mes choix méthodologiques ont été fortement inspirés aussi par les travaux
de Charles Hale, anthropologue et enseignant à l‟Université d‟Austin (Texas), et de
son approche « activiste » ou de recherche « socialement engagée ». Ce type de
posture est né en réponse aux besoins des études sur les Droits de l‟homme et de
celles des mouvements sociaux et indigénistes en Amérique latine. Les sociétés
concernées ont, en effet, et continuent à être, « sujets » et « objets » de
discriminations, génocides et mainmise des institutions au pouvoir. Cette approche
considère les acteurs, autrefois informateurs, comme les « opérateurs essentiels » du
résultat de l‟enquête.
Ces propositions fortement « impliquées » m‟ont semblé très pertinentes
pour qualifier et situer ma démarche. Bien que, comme le souligne Fassin (2011 :
47), une certaine « tension » entre « complicité et duplicité » ne soit pas en
permanence évitable, ma posture au sein de l‟équipe des personnes qui m‟a
accueillie a toujours été aussi claire et sincère que possible. J‟ai présenté mes
objectifs de recherche, mon plan de travail, mes attentes et mon désir de participer et
de me rendre utile dans le domaine où je me sentais autorisée : la didactique des
langues. Cela m‟a permis de faire partie d‟une équipe pluridisciplinaire et
interculturelle en apportant des connaissances que j‟espérais utiles. J‟ai toujours
demandé une autorisation explicite à toutes les personnes interviewées. J‟ai cité les
noms réels de toutes celles qui m‟ont autorisée à donner leur identité. Pour les autres
désirant conserver l‟anonymat, j‟ai utilisé des pseudonymes.
Cette posture impliquée auprès des acteurs du terrain s‟est logiquement
concrétisée dans une démarche de type collaboratif.
1.2 Une recherche « collaborative »
En ce qui concerne mes rapports sur le terrain, la méthodologie en
collaboration permet un rapprochement tendant à réduire l‟asymétrie des statuts
entre le « chercheur » et le « sujet de recherche ». Les enjeux entre observation et
intervention sont explicités lors de la préparation en commun d‟un projet incluant les
deux parties, et participent d‟une recherche « négociée ».
Dès le début de mon travail, j‟ai opté pour une « recherche collaborative »
avec une observation participante. La chercheure en éducation Ruth Canter-Kohn
distingue, pour l‟observateur, quatre degrés dans sa participation à la situation
observée :
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
113
Tableau 6 : les positions de l’observateur participant.
Source © : Ruth Canter-Kohn, 1991 : 127.
Selon ce schéma des positions de l‟observation participante, je me situe à la
place du « chercheur-acteur », avec un degré de participation fort et un statut déclaré
sur le terrain.
Ruth Canter-Kohn a plus récemment détaillé la complexité de la position
d‟un chercheur sur son terrain, à travers ce qu‟elle appelle « le jeu avec les
paradoxes » (2013 :7). Lorsque nous tentons d`être à la fois au balcon (spectateur du
monde), dans la rue (acteur) et dans l‟escalier (dans le magma des implications),
nous faisons partie d‟un continuum. Elle formalise habilement cette situation dans
l‟expression « praticien-chercheur ». Cela résume une pratique d‟enrichissement
réciproque entre tous les participants de la situation observée.
Si ma propre position par rapport aux acteurs a pu parfois paraître ambigüe,
c‟était le plus souvent sur le mode positif. En effet, je suis d‟origine chilienne et,
même si je présente mon projet de recherche et précise ma filiation académique à
une université française, je ne suis pas perçue comme l‟anthropologue, sociologue
ou ethnologue européenne venue étudier un terrain étranger. Comme le signale Hale
(2008: 299):
El (la) investigador(a) es un actor social ubicado: tiene género, cultura y
perspectiva política propios, ocupa una posición determinada en las jerarquías
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
114
raciales nacionales y trasnacionales y su formación educativa como
investigador le sitúa en un estrato social muy particular90
.
Certains traits communs avec les partenaires de terrain (origine, apparence
physique, façon de parler, vécu personnel) ont sans doute favorisé mon intégration à
leurs réseaux, sans toutefois être considérée comme une femme mapuche. Même si
je n‟avais pas voulu me positionner, j‟aurais été « classée » par les acteurs de mon
terrain en tant que femme, chilienne, professeure de lycée, sympathisante de la cause
mapuche, entre autres multiples classifications. Autant de ressources que j‟ai pu
activer dans ma pratique de recherche sur le terrain.
Dans cette démarche, la production de savoirs et de connaissances est le
résultat d‟une collaboration (co-labeur) qui fédère les relations humaines et les
politiques en jeu. Il s‟agit non seulement de la relation entre le chercheur, son terrain
et ses résultats, mais aussi du processus vécu pendant tout son travail. Hale (2008 :
308) signale que la priorité pour une approche « socialement engagée » est
principalement la construction de connaissances répondant aux besoins et attentes
des acteurs, comme du chercheur :
Es el logro de una transformación integral de la metodología de investigación,
(…) se vincula más desde el inicio con los intereses y necesidades de los
protagonistas aliados. Si estos últimos, al final del proceso, reconocen que el
conocimiento producido efectivamente tiene valor y un posible uso en el
contexto de sus prioridades políticas; esta justificación es más que suficiente91
.
En conséquence, le projet « d‟immersion linguistique », par exemple,
proposé à l‟équipe de travail quelques mois après mon arrivée, répondait bien à un
mode d‟« intervention » de ma part. Toutefois, ce n‟était pas une imposition de type
hiérarchique mais une proposition de recherche partagée, répondant à des
questionnements repérés sur place et qui correspondait aussi aux besoins de mon
étude. Ce point me paraît essentiel dans le cas d‟une méthodologie qui se veut
engagée, et qui rejoint les postures de la recherche dénommée « empowered
research » par Cameron et al. (1992: 22-24):
90 Ma traduction: « Le chercheur est un acteur socialement situé: il a un genre, une culture et une
perspective politique propres, il occupe un positionnement déterminé dans les hiérarchies raciales
nationales et transnationales et sa formation académique comme chercheur le situe sur une base
sociale particulière ».
91 Ma traduction: « C‟est la réussite d‟une transformation intégrale de la méthodologie de la recherche
(…) elle est fondée depuis le début sur les intérêts et besoins des protagonistes. Si ces derniers, à la
fin du processus, reconnaissent que la connaissance produite a une valeur effective et un usage
possible dans le contexte de ses priorités politiques, cette justification est plus que suffisante ».
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
115
We understand „empowered research‟ as research on, for and with. One of the
things we take that additional „with‟ to imply is the use of interactive or
dialogic research methods, as opposed to the distancing or objectifying
strategies positivists are constrained to use...
a) „Persons are not objects and should not be treated as objects.‟
b) „Subjects have their own agendas and research should try to address them.‟
c) „If knowledge is worth having, it is worth sharing‟92
.
Ce type de recherche, comme le signale encore Cameron (1993: 94), s‟inscrit
dans une démarche de construction de nouvelles ébauches et de conceptions tant
pour le chercheur que pour les « informateurs ». Je travaille avec des personnes qui
possèdent déjà une conscience du sujet de la revitalisation et s‟impliquent à
l‟intérieur d‟une équipe établie et structurée. Donc, il ne s‟agit pas de « donner » du
pouvoir – mais plutôt de générer ensemble des conditions dynamiques et
participatives pour la construction d‟une réflexion commune.
De ce fait – et parallèlement aux besoins de ma recherche – l‟intervention
que je réalise auprès des acteurs à travers une proposition d‟immersion linguistique,
prétend générer de nouvelles réflexions à l‟intérieur de cette équipe et soutenir leur
projet autour de l‟enseignement du mapudungun.
Rappelons qu‟il s‟agit d‟un terrain « sensible » où la recherche académique
en sciences humaines et ses méthodes traditionnelles ne sont pas toujours les
bienvenues, et peuvent même nourrir la méfiance des acteurs. Pendant mon séjour,
j‟ai été témoin de pratiques de recherche de mon point de vue déontologiquement
douteuses de la part d‟une chercheuse états-unienne. Elle participait à des activités
militantes pour conduire son terrain en anthropologie, sans prévenir ses
« informateurs », et ceci pour éviter – selon elle – le « paradoxe de l‟observateur »
(Labov, 1976) et donc éviter ainsi un changement des comportements.
Ces pratiques, selon moi, posent des questions éthiques et invitent à se situer
autrement en tant que chercheur sur un terrain d‟étude aussi sensible que celui des
revendications des peuples originaires, où les disparités de relations entre « sujet
92 Ma traduction: « Nous comprenons « empowered research » comme la recherche sur, pour et avec.
Une des choses que nous ajoutons en plus c‟est le « avec » pour impliquer l‟utilisation de méthodes
de recherche interactives ou de dialogues, par opposition aux stratégies « distançantes » ou
« objectifiantes » que les positivistes sont contraints d‟utiliser… a) „les personnes ne sont pas des
objets et ne devraient pas être traitées comme des objets‟. b) „les sujets ont leurs propres agendas et la
recherche devrait essayer de les aborder‟. c) „si cela vaut la peine d‟avoir la connaissance, cela vaut
la peine de la partager‟ ».
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
116
observateur » et « objet observé » ont conduit à un colonialisme intellectuel depuis
plus de cinq siècles.
C‟est à travers des questionnements éthiques comme ceux-ci que je me suis
intéressée aux propositions méthodologiques de Hale (2004, 2006, 2008) et Speed
(2006) pour réfléchir aux rôles et à la participation du chercheur (autrement
observateur) et des acteurs (autrement : public observé).
C‟est dans cette réflexion que la recherche en « co-labeur » prend tout son
sens, à partir du moment où on peut développer un projet qui intègre les besoins des
acteurs tout autant que ceux du chercheur, et même si ce dernier point peut
éventuellement poser la question de l‟objectivité des informations recueillies. Il est
cependant également prouvé que toute analyse qualitative des rapports entre une
communauté, une langue et un projet d‟enseignement est de toute façon pondérée
par celui qui interprètera les données. Comme le signale bien Soule (2007 : 131-
132) :
L‟ethnographe ne peut en effet guère prétendre être objectif et observateur
participant : l‟ethnographie est définie et façonnée par les relations humaines,
elle est construction d‟une fiction rationnelle, et non-recherche objective de
connaissance.
La réflexion à propos des différentes « méthodes » de recherche possibles
m‟a permis de choisir les approches qui semblaient les plus cohérentes avec les
objectifs de ma démarche, le contexte du terrain et le profil des acteurs. En termes
pratiques, cela se traduit par la façon honnête avec laquelle j‟ai voulu conduire mes
observations, en respectant d‟abord ses acteurs. Par exemple, je ne me sentais pas
autorisée à faire des interviews, à prendre des photos, à faire des enregistrements
ou des prises de notes sans une consultation préalable du groupe, même si cette
« autorisation » avait été consentie « de facto » depuis le début de mes observations.
De ce fait, pour réaliser les enregistrements vidéo et audio, j‟ai attendu
plusieurs semaines. Je voulais d‟abord faire connaître mes objectifs, les intérêts
personnels et professionnels de ma recherche, puis gagner la confiance des
personnes. Même démarche pour proposer des questionnaires aux apprenants :
attendre l‟avis des formateurs, ensuite décider ensemble de mener une enquête pour
mieux apprécier les attentes du groupe. Ainsi j‟ai pu préparer un questionnaire type
où j‟ai pu poser des questions qui me semblaient importantes autant pour eux, que
pour moi.
Autres questions éthiques que je tiens à mentionner: quel langage utiliser lors
d‟une recherche collaborative ? Comment doit-on traiter le sujet ? Il me semble
important de repérer et de reprendre les termes utilisés par les acteurs eux-mêmes,
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
117
en signe de respect et de cohérence avec les attentes des intéressés, surtout dans un
terrain où le langage colonisateur a laissé son empreinte jusque dans les discours
actuels. Ainsi, dans ce texte j‟utilise des termes tels qu‟« indien », « araucan »
« culture précolombienne », seulement lors de citations d‟autres auteurs, mais jamais
dans mon propre discours. D‟autre part, j‟adopte certains termes proposés par le
groupe, comme par exemple « kimelfe » pour me référer au formateur, ou
« Wallmapu » pour conceptualiser le territoire mapuche.
Une recherche engagée permet de répondre aux paradoxes déontologiques de
la production des connaissances, tout en découvrant d‟autres dimensions de terrain
moins visibles. Elle permet d‟aller au-delà de la représentation académique, grâce au
développement de rapports plus subtils et humains qui jouent sur l‟« enrichissement
réciproque » évoqué par Canter-Kohn.
Dans ce cadre, une approche ethnographique de longue durée m‟a permis de
saisir et de décrire tant les enjeux tangibles que ceux, plus abstraits, insérés dans ce
qu‟on peut nommer le mouvement de revitalisation du mapudungun au Chili. J‟ai pu
également comprendre les objectifs, les attentes de mes interlocuteurs, tout comme
la place centrale du processus d‟apprentissage à l‟intérieur d‟un projet sociétal.
Comme le signalent Boutet et Heller (2007 : 312) :
En tant qu‟approche ethnographique, la sociolinguistique critique vise donc des
espaces ou des acteurs qui donnent à observer des pratiques ayant des
conséquences pour la structuration sociale.
L‟observation participante permet ainsi d‟observer les conduites de
l‟entourage et de tenir compte de ses pratiques pour mieux saisir les nuances du
terrain. Une enquête de longue durée permet, non seulement de reconnaître les
principaux lieux d‟intervention et les acteurs concernés, mais aussi de pouvoir
choisir les modalités de production de données qui semblent le mieux correspondre
aux objectifs de la recherche.
2. Modalités de production de données
Comme on l‟a signalé dans l‟introduction générale (cf. point 1.1, une
expérience pédagogique et de revitalisation linguistique au Pays basque), le projet
de thèse initial prévoyait une analyse comparative entre le cas de l‟euskara au Pays
basque et le mapudungun au Chili. De ce fait, les premières données proviennent de
cette étape de la recherche.
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
118
2.1 « Phase 0 », un départ depuis le Pays basque
Cette collecte des données a commencé d‟abord par une « phase 0 », réalisée
auprès des acteurs de l‟enseignement/apprentissage de langue euskara au Pays
basque espagnol. Dans le tableau 7 suivant, les premières données sont regroupées
selon la méthodologie utilisée :
Tableau 7: données recueillies au Pays basque.
Présentation de données recueillies
Observation directe Observation indirecte
Obs. part.
Part. obs.
Recensions Traces Entretiens
Audio /vidéo Journal de
terrain
1
manuel
étudiant.
semi-dirigés Informels
Pays
basque
1h30
séance audio
Feuilles
d‟activité
Photos
5 locuteurs
(6 heures)
Conseil des
professeurs.
(1 heure)
Directeur du
département de
didactique
(1 heure)
2 enseignantes.
(1h00)
Echanges
informels avec
locuteurs,
formateurs et
apprenants.
Directeur institut
Participation
soirée dinatoire de
fin d‟année à
l‟Institut (en
euskara).
Source © : A. Vergara, adaptation d’après P. Lambert (2014 : 79).
Dans cette première approche du milieu de l‟enseignement d‟une langue
minoritaire, j‟ai collecté des données en observation directe et indirecte lors de cours
pour adultes dans les villes de Bilbao et de Getxo (province de Biscaye) : environ
1h30 d‟enregistrement audio, des feuilles d’activités, des documents photos et un
manuel de l‟étudiant. Pour cette phase introductive, la partie la plus importante des
données a résulté d‟une observation indirecte, notamment par des entretiens en
espagnol (semi-dirigés et informels) avec les différents acteurs du mouvement de
revitalisation de la langue euskara à Bilbao et ses alentours.
En suivant la catégorisation du type des locuteurs de Bert & Grinevald
(2010) (cf. chapitre V), les personnes interviewées étaient, pour la plupart, des
« néo-locuteurs » et des « locuteurs traditionnels », mais j‟ai eu aussi la possibilité
d‟interviewer une « ancienne locutrice » qui, pendant longtemps, avait nié sa
maîtrise de la langue (« locutrice fantôme »).
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
119
Dans un cadre semi-dirigé, j‟ai pu participer au Conseil des professeurs,
enregistrer les interventions et poser des questions. D‟autre part, j‟ai eu l‟occasion,
par la suite, d‟interviewer le Directeur du département de didactique et deux
enseignantes. En contexte informel, j‟ai profité des moments de camaraderie après
les cours et activités culturelles pour recueillir un maximum de retours par rapport à
mes inquiétudes liminaires sur les didactiques des langues minoritaires et les enjeux
de leur enseignement/apprentissage.
2.2 « Phase 1» : premier terrain de courte durée
et enquête préliminaire à distance
Un mois après le terrain au Pays basque, en janvier 2011, je pars à la
rencontre des acteurs de la revitalisation mapuche au Chili (contactés pendant un
séjour précédent, en février 2010). L‟idée originale – et compte tenu des vacances
universitaires d‟été – est de réaliser seulement des entretiens auprès des acteurs de la
revitalisation du mapudungun, puis de les analyser et de les comparer avec les
données du Pays basque. Le tout, dans une première démarche me permettant de
reconnaître les futurs points d‟ancrage de ma recherche en didactique des langues.
Mais ce plan originaire a été bouleversé quelques semaines avant de partir,
lorsque je reçois une invitation à participer à un stage de formation d‟une semaine,
dans l‟archipel de Chiloé, au sud du Chili. Une formation soutenue par la
CONADI93
et organisée par une équipe d‟académiciens universitaires, et parmi eux,
mon principal contact à Santiago.
Cette proposition semble, en effet, beaucoup plus adaptée pour observer les
dispositifs didactiques mis en place, que l‟idée première de réaliser exclusivement
des entretiens.
Ce stage d‟enseignement du mapudungun dans sa variante williche
(chesungun) est destiné aux personnes mapuche et non-mapuche – pour la plupart
de jeunes enseignants des écoles rurales et des dirigeants – intéressés par
l‟enseignement/apprentissage du mapudungun au niveau débutant.
De cette première approche se précisent les principales questions de ma
recherche, surtout celles qui concernent la pertinence des « méthodes »
d‟enseignement d‟une langue étrangère fortement standardisée et son adaptation au
contexte des langues minoritaires et en danger.
93
Corporation Nationale du Développement Indigène.
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
120
Cette expérience m‟a offert également la possibilité de saisir les principaux
enjeux de l‟enseignement/apprentissage au-delà des dispositifs éducatifs au niveau
micro et de percevoir aussi, les phénomènes sociaux, culturels, politiques et
linguistiques qui entourent ce processus au niveau macro.
Le temps de préparation en France et les échanges assidus avec le Chili par
internet ont donné lieu à une période de réflexion et de choix des outils
méthodologiques à mettre en œuvre par la suite, et plus particulièrement pour
l‟étude du terrain.
C‟est ainsi qu‟au fil des mois, j‟ai pu préparer une enquête préliminaire sur
les participants, afin de connaître et de mieux comprendre leurs motivations, leurs
origines et leurs attentes par rapport à l‟apprentissage du mapudungun.
En observation indirecte, et pour mener cette enquête exploratoire, j‟ai
réalisé 11 entretiens semi-dirigés par skype, d‟une durée approximative d‟une heure
par participant : 8 apprenants et 3 formateurs. Ces entretiens ont été transcrits,
analysés et étudiés de manière qualitative. Ils se sont déroulés en espagnol, puis
ont été traduits en français. J‟ai conservé le mapudungun pour les passages où les
interviewés l‟utilisaient.
Ces interviewés ont pu être contactés grâce à l‟une des enseignantes en ville
qui m‟a procuré une liste d‟e-mails d‟anciens élèves. La plupart de ceux-ci ont
utilisé des pseudonymes en mapudungun pour s‟identifier sur internet ; avec leur
consentement j‟ai conservé ces pseudonymes pour les citer.
Cette première enquête a joué un rôle décisif dans la démarche et
l‟aboutissement de cette recherche ; ses résultats ont fait l‟objet de la publication
d‟un article (Vergara, 2012).
2.3 « Phase 2 », l’enquête in situ de longue durée
Par la suite, une fois sur place, j‟ai repris contact avec les acteurs rencontrés
lors de ma première visite en janvier 2011, j‟ai pu également retrouver les personnes
interviewées par visioconférence.
En amont de ces démarches, j‟avais préparé un feuillet explicatif, à présenter
aux collaborateurs rencontrés (cf. annexe 7). Cette brève présentation avait pour
objectif de rendre visible le but de ma thèse et d‟exposer de manière concrète mes
attentes et mes perspectives par rapport à l‟observation de leurs pratiques.
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
121
Cette sorte de « contrat déontologique » m‟a permis de me présenter en tant
que chercheure, mais aussi comme personne redevable envers ces acteurs qui ont
accepté ma présence sans aucune contrainte. Ce type de relation basée sur
l‟honnêteté s‟est construit non seulement pour des raisons d‟intérêt scientifique
partagé, mais aussi à partir des relations personnelles établies lors de mes terrains de
recherche auprès des nombreux collaborateurs.
Depuis mon arrivée, j‟ai participé aux cours et ateliers de mapudungun dans
trois contextes différents. Tout d‟abord, je me suis inscrite dans des cours
particuliers, puis – et tout au long de mon séjour – j‟ai suivi les cours de la chaire
indigène, en parallèle avec des ateliers de langue dans un milieu militant.
J‟ai également été invitée par les formateurs et les apprenants à prendre part
à diverses activités, celles de la chaire indigène, toute comme celles des ateliers
militants.
Cependant, et comme je l‟ai déjà indiqué, je me suis davantage intéressée à
ce dernier contexte sur lequel j‟ai finalement fondé mes analyses.
Pendant ce long séjour au Chili et en Argentine j‟ai participé à de
nombreuses manifestations culturelles, sociales, éducatives et linguistiques, que j‟ai
résumées dans un récapitulatif chronologique pour le terrain d‟avril à décembre
2012 (cf. annexe 6). Cette chronologie se traduit concrètement par une grande
quantité de situations qui m‟ont permis de diversifier et enrichir mes analyses.
Dans ce type de démarche ethnographique, le facteur temps reste sans doute
un des meilleurs alliés lorsqu‟il faut choisir ou ajuster des méthodes interactives en
cohérence avec des besoins spécifiques. Ajustement complexe des observations
directes, entretiens formels ou informels, ainsi que des procédés techniques mis en
œuvre pour la quête des informations.
L‟analyse des données directes (cours, réunions, stage en immersion) ou
indirectes (enquêtes exploratoires, interviews, évaluation des questionnaires) sera le
fondement de cette étude. Dans le tableau 8 suivant, j‟essaye de rendre compte de
tous ces éléments de manière visible et de les regrouper selon la méthodologie
utilisée :
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
122
Tableau 8: vue d’ensemble des données recueillies.
Source © : A. Vergara, adaptation d’après P. Lambert (2014 : 79).
Comme on peut le constater sur ce tableau, à travers des observations
directes et indirectes, j‟ai pu recueillir une série de documents principalement dans
deux contextes : le premier dans le cadre des ateliers de langue et culture mapuche à
Santiago assurés dans un milieu militant urbain, le second lors d‟une expérience
d‟immersion linguistique mise en place dans une communauté mapuche rurale au
sud du Chili.
Dans l‟ensemble, j‟ai retenu une série de documents tels que cartes, photos,
affiches, prospectus et autres discours en ligne ; sans compter des exemplaires de
manuels d‟enseignement et des panneaux utilisés pour l‟exploitation didactique. Le
tout, accompagné de la tenue régulière d‟un journal de terrain qui servait à la fois de
cahier d‟apprenant et de prise de notes du terrain.
Cette approche ethnographique lors des ateliers de langue mapuche m‟a
permis de réunir un large panel d‟éléments exploitables, enregistrements audio et
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
123
vidéo, qui se traduit approximativement en 12 heures d‟audio (6 séances de 2 heures
chacune), plus 3 heures d‟enregistrements vidéo correspondant à deux séances d‟une
heure et demie.
En observation indirecte, les échanges informels avec différents acteurs, sur
des questions diverses relatives à l‟enseignement, ont donné lieu à environ 3 heures
d‟enregistrements.
D‟autre part, j‟ai proposé un questionnaire à 35 étudiants répartis en deux
groupes. Ce questionnaire comportait des questions fermées, du type choix multiple
et d‟autres ouvertes, impliquant des réponses brèves (cf. annexe 8).
Cette enquête à caractère optionnel et anonyme se proposait de répondre à
deux questions : motivations et attentes des apprenants (à partir de propositions
indiquées par moi), et interrogation sur les stratégies d‟apprentissage intéressant
l‟ensemble de l‟équipe.
Cette formule de questionnaire permettait de mieux connaître le public des
ateliers et de confirmer, en même temps, les résultats de ma pré-enquête (en
particulier sur les motivations affectives et identitaires). Elle a permis de concevoir
une vision globale des contextes sociaux dans lesquels les apprenants utilisent – ou
voudraient pouvoir utiliser – le mapudungun, et de préciser leurs liens personnels
avec la langue et la culture mapuche.
Cet outil nous a permis ainsi de recueillir une grande quantité d‟informations
utiles, tant pour la recherche que pour de futures démarches investigatrices pour
l‟équipe des formateurs.
Enfin, une rencontre avec les apprenants m‟a permis de partager des points
de vue, des appréciations, et de juger de la pertinence de mon approche.
D‟un autre côté, l‟expérience immersive (chapitre VII), qui a comporté 10
heures d‟enregistrements audio et 3 heures d‟enregistrements vidéo, a donné lieu à
une récolte d‟éléments très variés (photographies, panneaux didactiques), et s‟est
avérée, elle aussi, très riche dans l‟apport de données nouvelles. J‟ai eu, durant 5
jours, la possibilité de multiples échanges informels, dont 3 jours en continu avec
les apprenants.
L‟ensemble de ces données a durablement orienté ma réflexion, tout comme
mes choix, a offert l‟essentiel des pistes de ma recherche et constitué le socle du
corpus de mon étude.
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
124
A ce propos, je tiens à préciser combien cette démarche didactique a été
rendue possible par la participation d‟une équipe bilingue mapudungun/castillan
avec laquelle s‟est construit un vrai dialogue pour l‟élaboration d‟un projet
collaboratif. Cette expérience ponctuelle a permis d‟une part, de produire les
données utiles pour une réflexion commune, et d‟autre part, de revisiter les objectifs
de ma recherche. Finalement, une partie de ce matériel a été analysé en coopération
avec l‟équipe avec, comme résultat, la publication d‟un article collaboratif sur les
premières observations du terrain immersif (Vergara et Salazar, 2012).
La description détaillée de l‟ensemble des données collectées permet de
comprendre les choix et modalités finalement adoptées après analyse des éléments
retenus. Le corpus de notre étude est naturellement fondé sur cette sélection.
3. Le corpus des données retenues en vue des
analyses
L‟ensemble de données produites au cours des phases 0, 1 et 2 sont
mobilisées dans mes analyses. Toutefois, celles rassemblées dans le tableau 9 ci-
dessous constituent le cœur du corpus de données retenues.
Tableau 9: présentation des données finalement utilisées.
Source © : A. Vergara, adaptation d’après P. Lambert (2014 : 79).
Comme le signale Lambert (2014 : 73) « l‟élaboration concrète de la
démarche dépend toujours largement de la nature du terrain, des difficultés et des
opportunités qui se présentent au chercheur ».
Chapitre IV . Une approche ethnographique et collaborative : principes, déroulement, corpus
125
Ce tableau représente ainsi l‟ensemble des recours mis en place pour
l‟élaboration d‟un corpus tenant compte des aspects écologiques du terrain. Cette
« fabrication d‟observables » (Lambert, 2014) présente donc les données choisies
respectant la nature de l‟observation réalisée à distance et in situ et répondant
largement et plus précisément aux objectifs de ma recherche.
Chapitre V
Sur le terrain de la revitalisation du
Mapudungun à Santiago du Chili
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
129
Kalfúl me decía mi abuelo
y me ofrece su voz y su trompe
Kallfu me decía mi abuela
y me trae flores de manzanos
Azul me dicen mis padres
Kalful les digo a mis hijas
Azul en el Azul es el que rige
el alma de mi pueblo94
.
Elicura Chihuailaf
Ce chapitre a pour objectif de décrire le phénomène de la « revitalisation
linguistique » du mapudungun dans la ville de Santiago, tel qu‟on a pu l‟observer
dans son enseignement à des adultes.
Dans les années 90, au moins trois locuteurs experts enseignaient le
mapudungun dans des cours particuliers ou pour des petits groupes dans la capitale
du Chili. Aujourd‟hui on comptabilise plus d‟une vingtaine de cours et ateliers dans
divers contextes : centres sociaux, écoles, universités, entre autres. Ces cours, pour
la plupart, ne bénéficient pas de financements publics. Il s‟agit principalement d‟un
public d‟adultes ou d‟adolescents. Les enseignants (locuteurs natifs et néo-locuteurs
de mapudungun), sans formation spécifique en didactique des langues, travaillent de
manière bénévole ou sont pour certains faiblement rémunérés.
1. Revitalisation et vitalité linguistique : mises au
point terminologiques
Dans le contexte de ma recherche, il semble pertinent d‟analyser l‟origine de
cette demande et de comprendre comment se développe le processus
d‟enseignement/apprentissage du mapudungun pour des adultes dans un milieu
urbain. Également cela permettra de juger dans quelle mesure le discours
idéologique innerve le processus de revitalisation et quelles en sont les
conséquences linguistiques prévisibles, ou parfois imprévisibles.
94 Ma traduction: « Mon grand-père me disait Kalfúl [bleu en mapudungun] / et il m‟offre sa voix et
son trompe [instrument de musique] / Ma grand-mère me disait Kallfu [bleu en mapudungun] / et elle
m‟apporte des fleurs de pommiers / Mes parents me disent « azul » [bleu en espagnol] / je dis Kalful
[bleu en mapudungun] à mes filles / Un bleu dans le bleu qui régit / l‟âme de mon peuple ».
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
130
Pour mieux comprendre les enjeux de la revitalisation linguistique et de la
vitalité de la langue, nous commencerons par revisiter de manière large quelques
définitions de ces notions rattachées à différents domaines des sciences humaines,
comme la linguistique, l‟antropologie, la sociolinguistique et la didactique des
langues.
Dans le contexte de « ré-ethnification générale » (Catrileo, 2005) émerge
une demande sociale de plus en plus manifeste de « revitalisation linguistique »
(Hinton 1996 ; Amery, 2001; Mufwene, 2001 ; Grenoble et Whaley, 2006 ;
Romaine, 2008; Costa, 2010).
1.1 Qu’est-ce que la revitalisation linguistique ?
Dans le domaine des « langues en danger », des termes autres que
« revitalisation » sont aussi utilisés par des chercheurs comme Hagège (2000) qui
parle de « réanimation », « résurrection » et « renaissance ». Spolsky (1995, 1999,
2009) propose, quant à lui, les termes de « revernacularisation »,
« renouvellement », « régénération », alors que Fishman (1991) analyse le
« renversement de la substitution linguistique ».
De son côté, Kroskrity (2009) définit la revitalisation comme un travail de
renouvellement de la langue qui s‟appuie sur la production de ressources de
documentation (comme les grammaires et les dictionnaires), ainsi que sur des
activités utiles à l‟enseignement et à la transmission, comme la création des
alphabets et d‟un matériel pédagogique (Kroskrity, 2009 : 71).
Du point de vue linguistique, Tsunoda (2006 : 168) définit la revitalisation
linguistique plutôt comme une « restauration » de la vitalité d‟une langue qui aurait
été perdue ou qui s‟inscrirait dans un processus de perte. Ainsi, deux cas se
présentent : d‟abord les langues toujours « vivantes », mais en danger – il faut donc
les maintenir – ou bien les langues disparues, et il faut les faire renaître.
Pour d‟autres chercheurs comme Spolsky (1995, 1999, 2005), la restauration
linguistique intervient dans différentes situations. La première concerne le niveau
domestique, quand les personnes commencent à réutiliser une langue à la maison et
en particulier avec leurs enfants. Un deuxième cas correspond au changement de la
vitalité de la langue en élevant son statut. Spolsky (1999 : 185) signale:
Language revival movements have generally faced one or both of two tasks.
The first is the intricate operation of attempting to restore lost normal
intergenerational transmission, working to reestablish the language as a home
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
131
language or mother tongue, passed naturally from parents to children. This task
we may label either vernacularization, taking a formal literary language and
making it a spoken vernacular, or revitalization, restoring vitality or the status
of being a mother tongue. The second task is to take a vital, spoken vernacular
and transform it into a standard language that can be used for a wide range of
literacy and higher functions95
.
En suivant la même représentation du « language revival » vu par Spolsky,
Amery (2001 : 141) définit la revitalisation comme l‟effort pour réintroduire la
langue dans la génération des plus jeunes :
The term « language revival » is used here as a cover term for efforts to
reintroduce a language to younger generations of speakers (revitalization);
efforts to reinvigorate and extend a significant body of language remaining in
the community, but in the absence of fluent speakers (renewal); and efforts to
relearn a language on the basis of historical records (reclamation)96
.
Selon la perspective de Fishman (1996 : 903), dans le processus de
récupération de la langue, il est important de repérer son statut social plus que de
prendre exclusivement en compte son statut linguistique :
Since it is precisely the societal phenomenon that interests us, then it is the
societal status of the language rather than its linguistic status that the term
« revival » should denote. Revivals should be recognized in small scale societal
terms as well as in connection with more massive phenomena, just as we do
when we speak of religious revivals, economic revivals, literary revivals and
even literacy revivals, regardless of the scale of the societal units involved97
.
95 Ma traduction: « Les mouvements de reprise de la langue s‟attaquent généralement à une ou deux
tâches. La première est l‟opération complexe consistant de rétablir la transmission
intergénérationnelle normalement perdue, de restituer la langue comme une langue domestique ou
une langue maternelle, transmise naturellement des parents aux enfants. Cette tâche nous pouvons
l‟étiqueter comme vernacularisation, prenant une langue littéraire formelle et en faisant une langue
vernaculaire parlée, ou revitalisation, qui rétablit la vitalité ou le statut de langue maternelle. La
deuxième tâche est de prendre une langue vernaculaire essentiellement parlée et de la transformer en
une langue standard qui peut être utilisée pour l‟alphabétisation et des fonctions plus importantes ».
96 Ma traduction: « Le terme « reprise de la langue » est utilisé ici comme un terme qui recouvre des
efforts pour réintroduire une langue chez les jeunes générations de locuteurs (la revitalisation); efforts
pour revigorer et prolonger la partie significative de la langue conservé dans la communauté, mais en
l‟absence de locuteurs parlant couramment (renouveau); et des efforts pour réapprendre une langue
sur la base de récits historiques (récupération) ».
97 Ma traduction: « Puisque c‟est précisément le phénomène social qui nous intéresse, c‟est le statut
social de la langue plutôt que son statut linguistique que le terme « reprise » devrait dénoter. Les
reprises devraient être reconnues dans la petite échelle des termes sociaux aussi bien que dans le
rapport avec des phénomènes plus massifs, comme nous le faisons quand nous parlons des reprises
religieuses, des reprises économiques, des reprises littéraires et même des reprises littéraires
d‟alphabétisation, indépendamment de l‟échelle des unités sociales impliquées ».
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
132
Ceci est particulièrement valable dans le cas du mapudungun, lorsque ses
locuteurs ont souffert de la « dislocation physique et démographique » (Fishman
1991 : 57), comme résultat de la migration couplé à la domination linguistique liée à
la colonisation. Dans ce contexte glottophagique, le mapudungun a subi un
changement important non seulement en termes linguistiques, mais aussi
géographiques. Le phénomène de la migration de ses locuteurs a influencé son usage
et, en même temps, a renforcé le besoin de le « réinsérer » dans un autre contexte
social.
Aujourd‟hui cette restitution dans un contexte urbain passe par le
rétablissement de l‟usage de la langue entre grands-parents issus de la migration et
petits-enfants, engagés dans le mouvement de ré-ethnification. Il revient alors
principalement à la jeune génération de « moderniser » et de donner des fonctions
différentes à la langue parlée dans le contexte citadin contemporain pour remonter
son statut. Donc cette « reprise » se retrouve dans le continuum mentionné dans les
chapitres précédents, un permanent aller et retour entre la vie communautaire de la
ruralité et les associations mapuche en ville, entre la tradition d‟antan et la
modernisation liée aux contextes actuels.
En ce qui concerne mon terrain, j‟ai choisi la définition large du terme
« revitalisation » principalement pour faire référence à l‟ensemble des démarches
susceptibles de contribuer à la redynamisation des usages d‟une langue considérée
comme étant « en danger ».
Dans ce contexte de revitalisation, l‟enseignement/apprentissage du
mapudungun prend une place privilégiée. D‟abord, des personnes adultes d‟origine
mapuche nées et/ou grandies en ville veulent devenir néo-locuteurs et pour cela
prennent des cours avec des locuteurs migrants des premières générations. Puis la
demande s‟amplifie dans le même temps que l‟offre et touche aussi un public
d‟adulte non-mapuche, qui veut également apprendre à parler le mapudungun.
A l‟intérieur du discours de revitalisation du mapudungun est donc visée la
« restauration » (Tsunoda, 2006) d‟usages ancestraux liés à une tradition ; en même
temps émergent de nouveaux usages et contextes qui donnent lieu à un
« renouvellement » (Kroskrity, 2009) qui implique, entre autres, toute une nouvelle
production de matériel pour son enseignement.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
133
1.2 Quelle « vitalité » pour le mapudungun ?
Nombreuses sont les études qui s‟appuient sur des critères linguistiques
comme l‟échelle GIDS (Graded Intergenerational Disruption Scale) de Fishman
(1991) ou les documents produits par l‟UNESCO (2003) pour déterminer la vitalité
d‟une langue. Ces instruments cherchent à encadrer méthodologiquement les
différents degrés de vitalité à partir de la normalisation des données.
Selon l‟échelle de Fishman (1991), la vitalité du mapudungun perd ses
espaces de transmission identifiés comme les domaines d‟usage (domains of use) où
la langue prédominante est l‟espagnol. Selon le classement proposé par Fishman
dans Reversing Language Shift (1991) la vitalité d‟une langue pourrait être repérée
selon huit stades, allant de la situation la moins favorable (stade 8) à la plus
favorable (stade 1). Ceci en passant par des critères très divers, tenant compte du
statut de la langue selon le niveau social, et jusqu‟au stade 8 où, à travers les écrits
des locuteurs, la récupération de la langue s‟opère au plus haut niveau (cf. annexe 2).
Selon la grille de vitalité linguistique de l‟UNESCO (2003), le mapudungun
se placerait dans la catégorie « en danger », niveau de vitalité 3 sur une échelle de 0
à 5. Pour réaliser cette classification, le groupe d‟experts a utilisé des critères tels
que :
- le taux de locuteurs sur l‟ensemble de la population ;
- le nombre absolu de locuteurs selon leur âge ;
- la transmission de la langue d‟une génération à l‟autre ;
- l‟attitude des membres de la communauté vis-à-vis de leur propre
langue ;
- l‟utilisation de la langue dans les différents domaines publics et privés ;
- les attitudes et politiques linguistiques au niveau du gouvernement et des
institutions, usage et statut officiels ;
- le type et la qualité de la documentation ;
- la réaction face aux nouveaux domaines et médias et la disponibilité de
matériels d‟apprentissage et d‟enseignement des langues.
Les recommandations du groupe d‟experts de l‟UNESCO pour éviter la
disparition des langues proposent la mise en œuvre d‟un ensemble de processus tels
que la documentation, l‟adoption de nouvelles politiques linguistiques et la
production de nouveaux supports pour la redynamisation de l‟enseignement des
langues.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
134
Ces critères sont éclairants pour évaluer les aspects les plus importants de la
vitalité d‟une langue menacée. Toutefois, et comme le signale aussi Teillier (2013),
avant d‟établir un degré de vitalité pour le mapudungun il semble nécessaire de
construire une réflexion autour des analyses qui prennent en compte des critères
autant qualitatifs que quantitatifs.
À l‟appui d‟enquêtes et d‟études quantitatives, des chercheurs tels que Lagos
(2005, 2006), Zúñiga (2007) et Gundermann et al. (2008, 2009a) réalisent un
diagnostic précis : la vitalité du mapudungun est en déclin, principalement à cause
de la diminution dramatique des locuteurs. Face à ce verdict, les travaux des
chercheurs comme Wittig (2009) et Teillier (2013) tentent de défendre une approche
plus qualitative de la question, prenant en compte la diversité de cette vitalité
dépendant du contexte rural ou urbain des locuteurs. Une vision que je partage.
Parmi les études les plus élaborées sur la situation linguistique actuelle de la
langue mapuche – spécifiquement dans le contexte urbain à Santiago du Chili – on
trouve le travail conduit par Gundermann et al. (2009a), à l‟initiative de la
CONADI: Perfil Sociolingüístico de Lenguas Mapuche y Aymara en la Región
Metropolitana.
Dans cette étude, les spécialistes réalisent un diagnostic peu enthousiaste en
ce qui concerne la vitalité linguistique du mapudungun dans la capitale du pays.
Selon leurs enquêtes, en l‟absence de transmission familiale, la loyauté linguistique
est très faible, tout comme la conscience linguistique. Ils estiment que les locuteurs
connaissent la langue, mais ne trouvent pas d‟espaces pour la pratiquer ou la
revitaliser. De ce fait, il s‟agit de locuteurs isolés, car la langue marginalisée ne se
transmet plus aux enfants en bas âge.
Pour Gundermann et al. (2009a), le mapudungun participe d‟une dynamique
de transformation qui l‟amène à disparaître et à être remplacé inexorablement par le
castillan. Néanmoins, ce processus de disparition pourrait ne se concrétiser que dans
deux ou trois générations. Selon ces auteurs, le mapudungun reste une langue
minoritaire et minorisée. Sa transmission et son usage dépendent exclusivement des
besoins des locuteurs indigènes. Cela dit, il n‟existe pas aujourd‟hui de nécessité
externe qui inciterait ou exigerait de parler le mapudungun. Les attitudes des
locuteurs envers la langue sont en général positives, mais il faut reconnaître qu‟elle
est loin d‟être un outil de communication courant.
En ce qui concerne les foyers bilingues mapudungun/castillan de la région
métropolitaine, 15,2% signalent utiliser le mapudungun régulièrement, 40,4% de
manière occasionnelle, 27,4% en de rares circonstances et 17% ne l‟utilisent jamais.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
135
Pour ces auteurs, connaître la langue et déclarer des compétences linguistiques ne
sont pas synonymes d‟une utilisation régulière du mapudungun.
À Santiago du Chili, cette adaptation est liée aux nouvelles situations
spécifiques du milieu urbain. L‟étude de Gundermann et al. (2009a) distingue dans
la capitale trois contextes où la langue mapudungun s‟utilise en priorité :
– À l’intérieur des réseaux familiaux, qui se subdivisent en trois groupes :
28,2% des personnes parlent le mapudungun avec leur famille dans les
communautés ou le milieu rural, 27,4% l‟utilisent à l‟intérieur de la seule famille et
22,1% dans le réseau familial indigène urbain ;
– À l’intérieur des réseaux sociaux indigènes divers, 6,6% des personnes
l‟utilisent pour les activités rituelles ou religieuses, 5,8% pour les rencontres et 4,2%
pour les réunions sociales ;
– Dans les situations interculturelles, c‟est-à-dire les espaces où sont présents
indigènes et non-indigènes : 1,9% la pratiquent au travail, 1,0% à l‟école, 2% dans
des organisations sociales et 0,7% dans d‟autres contextes.
Les constats et les prévisions concernant la vitalité de la langue en ville
montrent effectivement une dynamique de perte, voire de disparition de la
transmission. Or, ces études quantitatives omettent le phénomène de revendication
politique et identitaire où se situe la revitalisation du mapudungun en tant que
mouvement militant. Ce que Zimmermann (1995-1996 : 190) définit comme les
changements de statu quo des langues amérindiennes. Ces changements annoncent
principalement la valorisation de la langue en tant que « représentation sociale »
(Teillier, 2013), une variable notamment présente dans le cas du mapudungun.
2. Acteurs et revendications du mouvement de
revitalisation du mapudungun à Santiago du Chili
Le mouvement de revitalisation de la langue mapuche s‟accompagne du
« mouvement de balance » décrit par Costa (2010a : 324) : le phénomène de la perte
d‟usagers traditionnels d‟une langue crée, en réaction, un terrain favorable à un
réinvestissement de type culturel :
Il s‟agit là, à notre sens, de phénomènes de nature différente. Si en apparence on
peut constater un mouvement inverse entre d‟une part la perte d‟usagers d‟une
langue, et de l‟autre un regain dans le nombre de ses utilisateurs, et si les
deux phénomènes sont révélateurs de changements culturels, la « mort des
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
136
langues » est un processus qui peut être construit comme « naturel » ; la
revitalisation linguistique est quant à elle souvent perçue comme artificielle. On
peut par contre supposer que la disparition d‟un type de pratiques langagières
traditionnelles permette l‟apparition d‟un terreau favorable à l‟investissement du
domaine linguistique par des mouvements de revitalisation culturelle, qui peuvent y
voir un site approprié pour développer un mode de réaction au contact avec un autre
groupe.
Ainsi, le milieu militant de sauvegarde du mapudungun, avec ses nombreux
acteurs, leurs attentes et leurs motivations, profite de ce « terrain favorable » pour
promouvoir l‟enseignement/apprentissage d‟une langue ainsi vivifiée.
Loncon (2002b : 7) signalait, il y a un peu plus de dix ans, le peu d‟intérêt
des organisations issues du mouvement indigène pour la langue mapuche ou, en tout
cas, le niveau très faible de cet intérêt (cf. chapitre II, point 4).
Mais, vers la fin de la première décennie des années 2000 on assiste à un
changement du discours politique et linguistique au sein du mouvement mapuche.
La récupération linguistique devient un facteur clef dans le processus de ré-
ethnification général et le mapudungun y prend naturellement une place. Ceci se
manifeste principalement dans les discours politiques à l‟oral comme à l‟écrit.
Parler le mapudungun devient une manière politique de marquer sa
différence et de signifier sa participation à la lutte d‟un mouvement social, à travers
lesquels un « vrai » mapuche doit s‟exprimer dans le « parler de la terre ». En
suivant la catégorisation des générations faite par Gissi (2004a), c‟est la troisième
génération, celle des petits-enfants, qui commence à se réveiller et demande à la
génération des grands-parents d‟accompagner sa mobilisation pour la revalorisation
de la langue et de la culture mapuche.
On observe que les nouvelles générations ont retourné la formule du linguiste
Adalberto Salas (1987) qui proclamait « parler en mapuche est vivre en mapuche ».
Salas s‟inquiétait de la disparition du mapudungun en milieu urbain. Cependant, de
jeunes citadins d‟aujourd‟hui proclament que « vivre en mapuche c‟est parler en
mapuche », mais comme quelqu‟un qui est né ou a grandi en ville, comme
quelqu‟un qui a vécu le contact de deux langues, qui a appris à dépasser la
discrimination et à se ressourcer en se créant une identité à travers la revendication
politique.
Selon Vitar (2010 : 268), la récupération linguistique du mapudungun est une
des bases de la Nation mapuche, si l‟on se réfère à la situation similaire du Pays
basque ou en Catalogne :
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
137
La recuperación lingüística se convierte así en uno de los fundamentos de la
nación mapuche, en un proceso comparable al de la consagración del uso del
vasco y el catalán en lo que se refiere al proceso autonómico español. La
revitalización del idioma se ha plasmado en gestos significativos, como el de
utilizar la denominación originaria de los territorios del tal País mapuche98
.
Selon cette historienne, la revitalisation devient un geste significatif dans la
dénomination des territoires du « Pays mapuche » (Vitar, op.cit). L‟importance de
cette revitalisation linguistique est aussi la conséquence d‟une prise de conscience
de la discrimination et de l‟autocensure subies par les locuteurs de mapudungun,
dans leur effort d‟adaptation à la société dominante pendant le processus de
migration.
On s‟appuiera ici sur l‟approche de Costa (2010a : 317), qui conçoit le
mouvement de revitalisation comme un mouvement centré sur les acteurs sociaux.
Costa reprend les théories de l‟anthropologue Wallace (1956 : 265) sur la
revitalisation culturelle chez les Iroquois, définie comme suit :
A revitalization movement is defined as a deliberate, organized, conscious
effort by members of a society to construct a more satisfying culture.
Revitalization is thus, from a cultural standpoint, a special kind of culture
change phenomenon99
.
Selon ces prémisses on pourrait comprendre le phénomène, non comme un
processus centré exclusivement sur la langue, mais comme une inter-relation
permanente de différents facteurs insérés dans un mouvement social. Comme le
signale Jaffe (2007: 74) la « restauration » d‟une langue est en relation directe avec
les réalités sociales et politiques de ce processus.
De son côté, Costa (2010a : 322-323) analyse en profondeur et avec
beaucoup de clarté ce phénomène de revitalisation, dans toutes ses implications :
[…] un mouvement social de type nativiste, dans lequel un ensemble
de personnes se construit une image d‟un groupe à partir d‟une représentation
d‟un état passé imaginé, et dans lequel une « langue » joue un rôle central.
C‟est donc un processus d‟imagination de la manière dont un groupe est, ou
98 Ma traduction: « La récupération linguistique est ainsi devenue un des fondements de la nation
mapuche, dans un processus comparable à celui de la consécration de l‟usage du basque et du catalan
pour ce qui est du processus autonomique espagnol. La revitalisation de la langue s‟est concrétisée
dans des gestes significatifs, comme celui d‟utiliser la dénomination originaire pour les territoires
d‟un Pays mapuche ».
99 Ma traduction: « Un mouvement de revitalisation est défini comme un effort délibéré et organisé
par les membres d‟une société pour construire une culture plus satisfaisante. La revitalisation est
ainsi, d‟un point de vue culturel, un type particulier de phénomène de changement de culture ».
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
138
devrait être, dans le monde. Loin de relever de questions de maintenance, il
s‟agit de processus dans lesquels un avenir collectif nouveau est imaginé, à
travers la constitution d‟un objet « langue ». (…) En ce sens, la revitalisation
linguistique est une opération de définition de limites, linguistiques mais aussi
sociales et géographiques. (…) un phénomène grassroots qui ne peut être
limité à des mesures de politiques linguistiques ou éducatives, qui sont la
conséquence de ce type de mouvements, et non le mouvement lui-même.
Cette approche me semble particulièrement pertinente. Elle rejoint un grand
nombre de points soulevés par ma recherche, en particulier l‟importance des facteurs
sociaux, mais aussi matériels. Aussi, Costa relève un « passé imaginé » que j‟ai
retrouvé sur le terrain, et indique très finement le dépassement des propositions de
« maintenance » de la langue, au profit d‟un avenir collectif nouveau. Cette
projection vers le futur s‟est largement révélée dans mon rapport avec les groupes de
travail, et si je parle de « groupes » c‟est bien pour faire émerger l‟idée d‟une
collectivité, également pointée par Costa – collectivité qui se projette dans une
histoire à construire – et qui s‟investit concrètement dans une langue qui puisse
s‟insérer dans une réalité et un vécu.
Une approche partagée par Aguilera et Le Compte (2007 : 12) qui
distinguent dans le processus de revitalisation linguistique les implications sociales
et culturelles de toute une communauté et de son héritage, dont la cosmologie et
l‟histoire :
This heritage includes knowledge of medicine, religion, cultural practices and
traditions, music, art, human relationships and child-rearing practices, as well
as Indigenous ways of knowing about the sciences, history, astronomy,
psychology, philosophy, and anthropology100
.
Ces implications justifient que la revitalisation soit traitée en lien direct avec
le concept identitaire de « ré-ethnification ». Comme le signale Anderson (1991),
ces mouvements de revitalisation font partie d‟une « communauté politique
imaginée » dans laquelle émerge une nouvelle conscience culturelle à la suite de la
perte des conceptions et valeurs traditionnelles : religion, sens de la hiérarchie,
perception du temps. Les études de Aravena (1999, 2004) confirment combien le
concept d‟identité des jeunes mapuche urbains se construit à partir de ce « passé
commun », celui d‟une migration rurale vers la ville. Dans ce contexte de diaspora la
100 Ma traduction: « Cet héritage inclut la connaissance de la médecine, la religion, les pratiques et
traditions culturelles, la musique, l‟art, les relations humaines et les pratiques éducatives, aussi bien
que les savoirs indigènes sur les sciences, l‟histoire, l‟astronomie, la psychologie, la philosophie et
l‟anthropologie ».
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
139
langue mapuche est donc bien perçue par les membres de la communauté comme
une langue de migration.
2.1 Les acteurs du mouvement
Pour mieux comprendre les enjeux personnels et collectifs des acteurs
sociaux du mouvement de revitalisation à Santiago du Chili, je suivrai Costa
(2010a : 149) qui les positionne dans un cadre historique et politique en définissant
ces acteurs comme :
L‟ensemble des voix (singulières ou collectives, comme dans le cas
d‟associations ou d‟institutions) qui produisent un discours d‟autorité sur les
questions de langue, et qui, de cette manière, sont susceptibles d‟influer sur les
discours et pratiques de revitalisation.
Parmi les acteurs sociaux à l‟intérieur des mouvements de revitalisation on
peut ainsi identifier « l‟expert », placé comme une figure d‟autorité, « le militant », «
le locuteur » et « l‟enfant » en tant que médiateurs et promoteurs du processus. La
figure de l‟« apprenant » viendra ici remplacer celle de « l‟enfant », compte tenu du
public d‟adultes et de jeunes adultes ciblé dans cette étude.
Pendant ma participation aux ateliers en tant qu‟apprenante de mapudungun
à Santiago du Chili, j‟ai été en contact avec ces divers acteurs impliqués dans la
revitalisation culturelle et linguistique mapuche.
2.1.1 Les experts
Dans ce contexte, la figure de « l‟expert » peut se diviser en deux types. Un
« expert non-mapuche » issu d‟un milieu souvent académique, qui possède un large
domaine de connaissances de la culture et du mapudungun, mais qui n‟a pas
d‟origines mapuche. Sans liens sanguins ni nom de famille mapuche, il a appris le
mapudungun en tant que langue seconde. Il partage le rôle d‟expert avec « l‟expert
mapuche » qui a acquis le mapudungun comme langue de première socialisation, qui
est né et a grandi dans un milieu rural et qui, dans la plupart des cas, a été scolarisé
dans le système d‟éducation chilien jusqu‟aux études secondaires, voire supérieures.
Ces acteurs « experts » dans leurs rôles « académiques », appartiennent aussi
à la catégorie des « militants » car, comme le signale Costa (2010a), cette ligne de
démarcation peut paraître parfois très fine. Ainsi un même acteur peut être l‟auteur
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
140
d‟études « scientifiques » et parallèlement « militer » pour les droits linguistiques et
produire des travaux de divulgation pour sensibiliser la société dominante.
En ce qui concerne mon travail, c‟est grâce à ce groupe d‟experts très
hétérogène que j‟ai pu faire mon entrée sur le terrain. D‟abord comme observatrice
dans une formation pour formateurs de la variante williche en milieu rural au sud du
Chili en janvier 2011, puis en 2012 comme auditrice libre de cours universitaires, et
finalement en tant qu‟apprenante des ateliers de mapudungun à Santiago.
2.1.2 Les militants
Le terme « militants » de la revitalisation linguistique a été défini par Bert et
Costa (2009 : 65) pour le contexte français, comme l‟ensemble de membres dédiés à
la langue – ou qui l‟intègrent dans leurs activités quotidiennes – et qui fréquentent
des associations pour la promotion de celle-ci.
Cette définition large peut aussi s‟appliquer au contexte mapuche, même si
des différences de type organisationnel et culturel le distinguent nettement du
contexte français.
Ce que je désigne par « organisations mapuche militantes » se réfère à la
plupart des groupes autogérés et autonomes, qui n‟ont pas bénéficié d‟une
reconnaissance officielle ni de subventions du gouvernement, sauf dans le cas des
organisations indigènes qui suivent le modèle proposé par l‟État pour avoir accès à
des projets ponctuels.
Une situation qui, selon moi, change en grande partie les rapports entre,
d‟une part, un type de militantisme européen qui peut permettre d‟accéder à un
certain statut social (en tant qu‟institution reconnue d‟intérêt public), et d‟autre part,
un type de militantisme plus aux marges de la reconnaissance sociale ou
économique, mais avec un engagement plus politique et identitaire. C‟est dans ce
dernier contexte que se situe mon terrain.
Chez les militants, on peut encore distinguer les rôles du « prophète » et des
« disciples », suivant les propositions de Wallace (1956) reprises par Costa (2010a :
87). En effet, ce type de profil est fondamental pour comprendre la démarche de
l‟enseignement/apprentissage de la langue dans un contexte urbain pour des
adultes. La figure du « prophète » se réfère à un locuteur expert qui a suivi un
processus d‟« empowerment » (Cameron et al., 1993) ; c‟est un membre de la
communauté qui a pris conscience de sa valeur en tant que porteur de connaissances,
et qui par la suite est devenu protagoniste et leader à l‟intérieur du mouvement. Dans
le contexte de l‟enseignement, la figure du « prophète » est celle du formateur et
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
141
promoteur de la langue auprès d‟un groupe de « disciples », des apprenants qui
suivent ses ateliers, soutiennent son parcours et deviennent parfois eux-mêmes des
assistants de la langue.
2.1.3 Les locuteurs
La catégorie des « locuteurs » est encore un sujet de débats dans le domaine
des langues en danger (cf. Dorian, 1980 ; Blanchet, 2002, Hornsby, 2005 ; Bert et
Grinevald, 2010; Costa, 2010b, entre autres).
Suivant les niveaux de compétences linguistiques, Bert et Grinevald (2010)
proposent trois principaux types de profils: le locuteur traditionnel (fluent speaker)
avec une acquisition complète et sans « attrition linguistique » (perte ou érosion de
compétences) ; le semi-locuteur (semi-speaker), qui a acquis partiellement la langue
et/ou qui l‟a en partie oubliée ; enfin le sous-locuteur (terminal speaker) qui a une
acquisition très limitée et/ou qui a subi une perte de compétence avancée.
Bert et Grinevald (2010 : 127-129) proposent encore de distinguer, à partir
de paramètres sociolinguistiques, d‟autres types de locuteurs qui peuvent recouper
les catégories antérieures. C‟est le cas des anciens locuteurs (rememberers), qui ne
s‟expriment plus couramment dans la langue, mais qui peuvent réacquérir des
compétences actives, les locuteurs fantômes (disclaimers), qui nient leurs
connaissances de la langue alors qu‟ils possèdent manifestement au moins quelques
compétences, et les néo-locuteurs (neo-speakers), qui ont appris la langue lors de
programmes de revitalisation.
Dans le cadre de notre étude, on retiendra les catégories de locuteur
traditionnel (ou expert) et de néo-locuteur. Cette typologie permet de classifier les
acteurs les plus représentés au sein de ce mouvement.
2.1.4 Les apprenants
Le mouvement de revitalisation culturelle, en général, ne concerne pas
seulement les jeunes mapuche issus de la migration. Il est également soutenu par de
jeunes chiliens non-mapuche ou par des personnes d‟autres nationalités qui
deviennent sympathisants de leurs demandes et avec lesquels ils partagent certaines
valeurs, comme par exemple la défense de l‟environnement ou la protection des
manifestations culturelles.
Une analyse que je partage compte tenu de mon expérience sur le terrain où
j‟ai pu constater comment un public important de personnes non-mapuche s‟intègre
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
142
à travers des activités culturelles puis, grâce à des dispositifs d‟enseignement ou
vice-versa. Par contre, et bien que ce mouvement soit majoritairement encouragé par
les jeunes générations, il ne faut pas négliger la participation d‟autres groupes d‟âge
formant ainsi, comme nous le verrons, un mouvement très hétérogène.
Ainsi, l‟intérêt pour la revitalisation linguistique et culturelle est transversal
aux participants d‟origine mapuche et non-mapuche, ce qui se traduit par la mise en
place de projets concrets organisés ou soutenus par les acteurs eux-mêmes.
2.2 Les revendications des militants
Compte tenu du mouvement social de ré-ethnification général dans lequel
s‟insère ce mouvement de revitalisation linguistique, les demandes militantes
expriment des besoins larges, qui vont de la promotion de l‟usage des noms et
prénoms traditionnels, à la demande d‟officialisation de la langue dans la région de
l‟Araucanie.
Dans ce contexte, pour les acteurs de la revitalisation qui animent cette
nouvelle conscience collective, le développement de l‟enseignement/apprentissage
du mapudungun devient l‟un des supports d‟une pensée collective et le moteur d‟une
nouvelle vitalité culturelle.
2.2.1 Les demandes des principales organisations militantes
Ainsi, en 2012, le parti autonomiste Wallmapuwen101
, dans le cadre de la
Journée internationale de la langue maternelle (21 février), publie à travers les
réseaux sociaux d‟internet une liste de propositions très concrètes qui touchent les
secteurs les plus variés : enseignement, médias, administration. Comme chaque
année depuis la fin des années 2000, les organisations102
convoquent à diverses
101 Wallmapuwen, en mapudungun équivaut à « compatriotes du Pays mapuche ». Dans ses démarches
politiques et ses accords de coopération avec des autres partis indépendantistes à travers le monde,
Wallmapuwen a créé des liens avec des organismes tels que l‟Esquerra Republicana de Catalunya
(ERC), le Bloque Nacionalista Galego (BNG) et l‟Union Démocratique Bretonne (UDB) ; des
relations aussi avec l‟Alliance Libre Européenne (ALE) qui compte avec une représentation au
Parlement européen, composée d‟une trentaine des partis indépendantistes, autonomistes et
régionalistes. Cette organisation se constitue légalement comme le premier parti politique mapuche
du Chili pendant l‟année 2007. Son principal objectif est de réussir l‟autonomie du Wallmapu, c‟est-
à-dire de la région de l‟Araucanie et de quelques communes voisines des régions du Bio-Bio et de
Los Ríos, le territoire mapuche dit ancestral.
102 Parmi les organisations les plus importantes on note le réseau Red por los Derechos Educativos y
Lingüísticos de los Pueblos Indígenas de Chile DELPICH (réseau pour les droits éducatifs et
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
143
actions et revendiquent des décisions en faveur de la revitalisation linguistique et de
l‟officialisation du mapudungun. Ces demandes peuvent être résumées par les points
suivants :
– L‟officialisation, l‟incorporation et l‟intégration de la langue dans les médias
de communication et à tous les niveaux éducatifs du territoire mapuche ;
– L‟implantation des programmes d‟immersion linguistique ;
– La création de bourses d‟étudiants locuteurs de mapudungun pour tous les
niveaux d‟études et la création d‟une université mapuche ;
– La formation de professeurs de mapudungun et d‟instituteurs bilingues pour
les écoles et les universités chiliennes situées dans le Wallmapu ;
– L‟élaboration d‟une carte sociolinguistique du mapudungun concernant les
territoires de Ngulumapu et Puelmapu (Chili et Argentine) ;
– La création d‟une Académie de la langue mapuche pour normaliser la langue
et la création d‟un Institut de promotion linguistique chargé de l‟élaboration de
grammaires, dictionnaires, manuels d‟enseignement, ainsi que la création d‟une base
de données de néologismes pour créer, réguler et diffuser les nouveaux mots ;
– La promotion et le soutien de la revitalisation du mapudungun dans les
régions où la langue est maintenue ;
– La promotion de l‟usage des noms et prénoms propres en mapudungun dans le
registre civil d‟identification et éviter le changement de noms de famille
mapuche103
;
– La promotion de la signalétique publique en mapudungun et la restauration de
la toponymie caractéristique de la région de Wallmapu, à travers la correction et la
modification des noms des villes, des communes et des rues104
.
Le Mouvement pour la revitalisation du Mapuzugun105
a aussi rédigé une
déclaration en termes d‟officialisation, de reconnaissance et de promotion de la
langue, qui ressemble à celle du Wallmapuwen.
linguistiques des peuples indigènes du Chili, avec siège à Santiago, et le Movimiento por la
Revitalización del Mapuzugun (Mouvement pour la revitalisation du mapuzugun) à Temuco.
103 La Loi 17 334 permet les changements de patronyme pour des motifs « risibles et/ou ridicules » à
tout citoyen qui l‟estime nécessaire.
104 Dans la région de l‟Araucanie, de nombreuses villes ont été rebaptisées par les noms de militaires
qui ont participé à l‟occupation de l‟Araucanie, comme par exemple Puerto Saavedra, Teodoro Smith
ou des noms de rues : Hernán Trizano.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
144
Pour sa part, le réseau DELPICH106
approfondit la question de l‟éducation
comme une voie pour la revitalisation de la langue. Parmi ses nombreuses
demandes, qui rejoignent souvent celles de la Journée internationale de la langue
maternelle, et qui s‟intéressent plus particulièrement à l‟éducation, ce réseau
propose :
– L‟interculturalité pour tous et non exclusivement pour la population indigène ;
– L‟alphabétisation de la société mapuche et non-mapuche en mapudungun ;
– La possibilité que se déroulent des examens de l‟éducation nationale dans
cette langue ;
– La création d‟une Université mapuche ;
– La modification du programme d‟éducation ;
– L‟intégration de l‟enseignement du mapudungun dans les écoles et les
universités ;
– La création de programmes d‟immersion linguistique dans les écoles ;
– L‟augmentation des cours de mapudungun pour tous, notamment pour les
fonctionnaires publics.
Dans cette perspective, le mapudungun se positionne comme partie
indivisible des revendications identitaires et devient une expression culturelle. Le
discours revendicatif de la langue prend ainsi de la force dans les contextes
éducatifs, puis dans les demandes pour une politique et une planification linguistique
au niveau de la société dominante.
Malgré les critiques de certains groupes à l‟intérieur même du mouvement de
revitalisation, l‟ouverture au dialogue des organisations militantes avec les
organismes gouvernementaux chiliens, a permis de développer des instances de
travail en commun qui servent à situer le sujet de la revitalisation dans une
planification politique et permettent la divulgation des activités dans l‟ensemble de
la société, comme l‟illustre le point suivant.
105 Mapuzugun, mapuzungun, mapuchedungun, sont aussi de dénominations données à la langue
mapuche.
106 Le Réseau DELPICH (réseau pour les Droits linguistiques et culturels des peuples du Chili), est
créé en 2007 par un groupe de professionnels des différents peuples originaires et de sympathisants,
qui cherchent à collaborer par des propositions en matière de politiques éducatives et linguistiques.
Le réseau conduit un travail critique en parallèle aux projets institutionnels. L‟organisation élabore
des propositions et des campagnes pour mieux canaliser les opinions des acteurs du mouvement de
revitalisation.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
145
2.2.2 ¡Mostremos que nuestras lenguas siguen vivas!107 : une campagne de
conscientisation linguistique et identitaire.
Pour la première fois, en 2012, le recensement national a incorporé une
question portant sur les compétences linguistiques dans une langue étrangère et/ou
originaire. Cette question intervenait juste après celles concernant l‟appartenance
ethnique. Pour la demande à choix multiples : « Dans quelle langue pouvez-vous
tenir une conversation ? », les réponses proposées étaient les suivantes : a) Ne parle
pas, b) Espagnol, c) Mapudungun, d) Aymara, e) Quechua, f) Rapa Nui, g) Anglais,
h) Autre.
Pendant ce recensement et à partir de cet item, l‟organisation Red de
Derechos Lingüísticos y Culturales de los Pueblos Indígenas de Chile (DELPICH),
avec le soutien de divers organismes (mairies, universités et organisations du monde
indigène) a lancé une campagne stratégique de conscientisation linguistique (cf.
figure ci-après).
Figure 6 : campagne de conscientisation linguistique.
Source © : DELPICH, 2012.
Les organisateurs de cette campagne soulignent que leur objectif n‟est pas un
appel à la falsification des données, mais vise à éclaircir les questions pouvant être
mal comprises ou négligées. Il est bien évident que, par ce biais, le DELPICH
oriente les réponses dans le but de valoriser l‟utilisation du mapudungun. En même
temps, cette campagne incitait les locuteurs de différentes dénominations et
107
Ma traduction : « Montrons que nos langues sont vivantes! ».
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
146
variantes de la langue (mapuchedungun, pewenche, chesungun, ou mapuzungun) à
répondre de manière unifiée sur l‟usage d‟une seule langue : le mapudungun.
Le message était diffusé à travers des sites internet, principalement sur les
réseaux sociaux. Il s‟agissait d‟attirer l‟attention sur la manière de répondre aux
questions concernant les origines indigènes et plus exactement pour faire préciser
l‟usage de la langue indigène dans diverses situations de communication108
(et non
seulement pour tenir une conversation comme l‟indique l‟enquête). En même temps,
la campagne visait à persuader le public des locuteurs réceptifs (qui comprennent
mais n‟utilisent pas la langue en production), de répondre affirmativement à la
question de l‟emploi de la langue.
De la même manière, cette campagne profite du recensement d‟avril à juin
2012 pour s‟intéresser au cas de personnes non interrogées sur leur appartenance
indigène, leur langue ou sur leurs pratiques religieuses. L‟objectif était de recenser
dans un rapport les témoignages de personnes jusqu‟alors ignorées dans leur qualité
d‟indigène. À travers différents réseaux sociaux, l‟organisation lance un appel aux
citoyens sur la question des origines indigènes, pour qu‟ils soient attentifs à tout type
de discrimination. Des premiers cas d‟irrégularités sont repérés vers la fin du mois
de juin 2012 et dénoncés à travers divers moyens de communication109.
Dans la plupart des cas, il s‟agissait de l‟omission de la question sur
l‟« appartenance à un peuple originaire », sous prétexte que la personne ne
correspondait pas – physiquement – pour l‟enquêteur, à une image préconçue
d‟indigène. En rapport à la question sur les compétences linguistiques dans une
langue seconde, plusieurs cas repérés ne mentionnaient que l‟espagnol et l‟anglais,
en négligeant toutes les autres langues. Également, pour la question sur les pratiques
religieuses, on évoquait seulement les religions catholique et protestante, en
omettant l‟option sur la spiritualité indigène et les autres religions.
De toute évidence, cette campagne dénonçait les carences du recensement et
a apporté d‟utiles informations pour soutenir la cause mapuche et celle des autres
peuples originaires dans le territoire chilien.
108 Les situations concernées : cours, usage quotidien, usage sporadique, familial, cérémoniel, réseaux
sociaux sur internet, niveau organisationnel, à travers la culture, la médicine, etc.
109 À ce propos, lire l‟interview d‟Elisa Loncon, linguiste et coordinatrice de l‟organisation
DELPICH, sur les irrégularités de la prise des données de la part des enquêteurs. Sur le site de la
radio de l‟Université du Chili: http://radio.uchile.cl/2012/06/09/agrupaciones-indigenas-acusan-
haber-sido-mal-censadas, consulté le 16/05/2013.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
147
On peut conclure que l‟ensemble de ces demandes et de ces dispositifs en
faveur de la langue est significatif d‟un mouvement de revitalisation linguistique:
valorisation, reconnaissance, promotion, divulgation et enseignement deviennent des
exigences communes pour les acteurs de ce mouvement.
3. Quels impacts du PEIB sur la vitalité de la langue ?
En fonction de ce qui précède, il convient de s‟interroger sur le rôle du
Programme d‟éducation interculturelle bilingue (PEIB) dans le processus de
revitalisation de la langue pour les plus jeunes.
Dans le graphique ci-dessous une brève analyse des résultats du recensement
de 2012 (premiers résultats) met en lumière la distribution des locuteurs de
mapudungun par tranche d‟âge et dévoile une surprise inespérée.
Graphique 2: distribution des locuteurs par âge.
Source © : Censo 2012, premiers résultats, 2013.
Comme on peut l‟apprécier, le groupe des adultes de 50 ans et plus est
majoritaire (43,4%), suivi du groupe de 40 à 49 ans (17,9%). On peut remarquer que
les locuteurs de la deuxième, voire de la troisième génération, sont encore bien
présents (tranches d‟âge entre 25-29 et 30-39 ans). Cependant le chiffre surprenant
est celui du groupe de la tranche d‟âge de 5 à 14 ans (7,3%) qui est légèrement plus
élevé que le groupe des adolescents de 15 à 19 ans (5%). Comment expliquer cette
situation ?
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
148
3.1 Revitalisation ou sensibilisation linguistique ?
Loncon (2013, communication personnelle) propose deux explications
possibles pour comprendre cette augmentation des locuteurs dans le public enfantin.
La première pourrait être en relation avec la prise de conscience linguistique au
niveau familial, qui favoriserait un plus grand attachement à la culture minorisée de
la part des jeunes enfants, et donc l‟installation d‟une politique linguistique familiale
insérée dans ce mouvement de revitalisation linguistique et de ré-ethnification
générale. Une autre possibilité pourrait-être l‟effet direct des politiques poursuivies
en éducation pour les répertoires langagiers, comme le Programme d‟Education
Interculturel Bilingue (PEIB) qui commence en 1996, mais qui se développe plus
largement après les années 2000 avec l‟intégration des dispositifs de protection
culturelle plus larges comme le programme « Orígenes » (origines).
Cependant, le PEIB a un caractère optionnel et ne peut être imposé ni par
l‟école ni par le Ministère de l‟éducation ; c‟est-à-dire, que la demande de sa mise en
place dans l‟établissement scolaire doit venir directement des parents d‟élèves.
L‟augmentation des locuteurs de mapudungun entre 5 et 14 ans pourrait donc
représenter le résultat d‟un engagement au niveau familial ou à celui de la
communauté pour préserver la langue.
En revanche, on ignore les critères linguistiques retenus par l‟adulte chef de
famille pour déclarer que ses enfants ou petits-enfants de 5 ans et plus parlent ou
non le mapudungun. Le fait de suivre des cours de mapudungun à l‟école pourrait
être un des éléments utilisés par les parents pour déclarer que ses enfants parlent la
langue sans que ce soit nécessairement le cas. Les marges restent floues et ces
données déclaratives bien délicates à appréhender. En outre, ce recensement ne
prend pas en compte, non plus, le niveau de bilinguisme chez les enfants de moins
de 5 ans, qui cependant suivent nombreux le programme bilingue mis en place dans
les garderies (enfants de 3 à 5 ans) pour les communes à haute densité de population
indigène.
3.2 Les défis du PEIB
Les analyses sur les effets concrets du PEIB dans les sociétés chiliennes et
mapuche sont variées. Plus de vingt ans après la mise en place des premiers
dispositifs dans le système d‟éducation, les opinions d‟experts en éducation
interculturelle bilingue sont partagées.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
149
Pour Loncon (1998), le PEIB a pu évoluer grâce aux politiques linguistiques
« par le haut » et « par le bas » (Boyer, 2007), à travers la décentralisation éducative
initiée par l‟État. Le renforcement des luttes des mouvements indigènes et
l‟apparition de groupes sympathisants de la cause indigène soutenant la recherche
d‟une nouvelle relation entre les sociétés au niveau politique, social, économique et
culturel. Cependant, pour Cañiulef (1998 : 213) l‟éducation bilingue signerait la
réussite exclusive des organismes indigènes pour faire revivre leur langue et leur
culture.
De son côté, Valdés (in REDEIB, 2013) signale que l‟éducation
interculturelle bilingue a permis un progrès en termes de convivialité scolaire ; on
peut constater une baisse statistique de la discrimination envers les enfants d‟origine
indigène et une meilleure acceptation de la diversité culturelle entre pairs, à
l‟intérieur de la famille et de la communauté scolaire. Ce dernier point nous offre un
angle très intéressant pour mieux analyser et prendre en compte ce contexte.
L‟application du PEIB place la langue dans un contexte institutionnel de
manière « formelle », et permet la valorisation sociale des locuteurs et leur légitimité
à travers la figure de l‟« éducateur traditionnel ». De nouveaux rapports sociaux
positifs permettent, comme le signale Calvet (1999 : 185), « des relations
gravitationnelles et des interventions extérieures » nécessaires pour avancer dans les
projets des politiques linguistiques.
Parmi les défis du PEIB, la méthodologie et les approches didactiques mises
en œuvre sont au cœur du débat entre les organisations indigènes, l‟administration et
le monde académique. Pour Relmuan (2005), les expériences du PEIB pâtissent de
notables déficiences au niveau pédagogique et au niveau des curricula. Dans la
plupart des cas, la langue originaire est seulement enseignée deux heures par
semaine et limitée aux premières années de l‟enseignement primaire, sans possibilité
d‟une continuité. Une autre critique concerne la faible application de ces mesures
aux milieux urbains, problème lié au manque de densité indigène par établissement
(celle-ci doit être supérieure à 20% du total de la population scolaire pour les
premières années de scolarisation, et à 50% pour les classes supérieures). Il s‟agit de
critères limitatifs dans un contexte urbain où le nombre d‟étudiants d‟ascendance
indigène, est trop faible, en particulier dans les communes les plus riches où,
historiquement, l‟indice de migration rurale est peu élevé110
.
110 Une situation qui pourrait ressembler à celle de l‟Enseignement des Langues et Cultures d‟Origine
(ELCO ou LCO) en France ou encore avec l‟enseignement des langues régionales. Dans le cas de ces
dernières, certaines d‟entre elles bénéficient de dispositifs bilingues comme les écoles ABCM,
Zweisprachigkeit pour l‟alsacien, les Ikastolak pour le basque, des Diwan pour le breton, les
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
150
Ainsi, les terrains de l‟enseignement/apprentissage des langues minoritaires,
tant en Europe qu‟en Amérique latine, se rapprochent en termes de limitations
historiques et méthodologiques : enseignement de la langue minoritaire comme L2,
traduction, utilisation de textes « nationaux » en langue dominante, improvisation
des pratiques pédagogiques, entre autres. Comme le signale Pérez (2008 : 252)
prenant comme exemple le cas des langues au Mexique :
Dans les années quatre-vingt, le modèle bilingue a été institué dans les écoles
indigènes (…). Le but est d‟arriver aux derniers cycles de l‟école primaire en
utilisant les deux langues à parts égales. L‟application du modèle est restée
cependant très limitée en raison de facteurs divers, tant historiques et
discriminatoires que méthodologiques : en effet, le système éducatif public
n‟ayant pas de modèle performant de l‟enseignement des langues et les
planificateurs étant rarement bilingues eux-mêmes, l‟application de
méthodologies adaptées aux langues indigènes est ralentie, tant par la situation
générale que par le poids de la langue officielle. C‟est ainsi que ces écoles
bilingues restent les moins performantes du système éducatif en termes de
résultats scolaires.
La non-reconnaissance d‟un pluralisme culturel accroît les distances entre la
planification par l‟éducation et la réalité de la situation d‟apprentissage. En
conséquence, on peut dire, en résumé, que la mise en place du PEIB au Chili, en ce
qui concerne la langue mapuche, présente les mêmes paradoxes que l‟on peut
constater ailleurs en Amérique latine. Comme le signale Pérez (2003) pour le
Mexique, les programmes organisés par les États nationaux sont intrinsèquement
liés à une logique assimilationniste qui cherche une homogénéisation culturelle. Ces
programmes sont souvent le résultat d‟une politique éducative pouvant sans doute
s‟inscrire dans le contexte socioéconomique général de la mondialisation.
4. Nouvelles présences du mapudungun dans l‟espace
urbain
Bien que le bilinguisme mapudungun-castillan n‟intéresse, au départ, que
peu d‟espaces interculturels, comme l‟école, l‟émergence de la langue mapuche dans
Bressolan pour le catalan et les Calandreta pour l‟occitan. Ces initiatives ont commencé à voir le jour
vers la fin des années 70. Actuellement, l‟enseignement scolaire des langues régionales en France suit
différents modèles, soit sous forme d‟initiation (quelques heures par semaine), soit sous forme
d‟enseignement effectivement bilingue (comme langue enseignée et comme langue d‟enseignement).
Cependant, l‟accès à l‟enseignement des langues régionales reste très inégal et restreint seulement à
certaines régions géographiques.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
151
le contexte administratif et des organismes d‟État infléchit sensiblement son statut.
En effet, depuis peu le mapudungun est présent, visuellement, dans la ville sous bien
des formes. Ces « écrits dans la ville » (Lucci et al. 1998) se présentent sous la
forme d‟affiches et panneaux bilingues mapudungun-castillan dans l‟administration
publique : noms de rues, de quartiers et de villes, ou bien dans certaines marques
commerciales : nom de produits artisanaux, magasins, ou bien encore : parcs
naturels ou entreprises111
.
4.1 Des écrits dans la ville
Dans la ville de Temuco, par exemple, il n‟est pas rare de trouver des
panneaux bilingues castillan/mapudungun. Dans le document ci-dessous, une
photographie prise par mes soins au marché municipal de la ville, on note en plus la
présence de l‟anglais, sans doute en raison de la fréquentation touristique du marché
:
Figure 7 : signalétique trilingue (castillan, mapudungun, anglais).
Source © : A.Vergara, janvier 2011.
Dans d‟autres contextes, la médecine mapuche gagne aussi du terrain. Depuis
1996, le gouvernement a développé un programme interculturel de santé publique.
Bien que ce type de soins dits « alternatifs » reste méprisé par les praticiens de la
médecine conventionnelle, ces dernières années on note un renouveau et une
111 Cette éclosion de noms et symboles propres à la culture mapuche dans le commerce ou les logos
publicitaires préoccupent les organisations politiques car, à leur avis, il s‟agit d‟une appropriation et
d‟une usurpation culturelle arbitraire pour la plupart des gens non-mapuche. Cela dit, les
organisations mapuche craignent la privatisation de leurs symboles culturels et la transformation de
leur langue en une marque commerciale déposée pour vendre au plus offrant. La loi chilienne (nº19
039) interdit la reproduction commerciale de tout type de symbole relatif à l‟identité chilienne.
Néanmoins, il n‟existe pas un cadre juridique pour protéger les symboles, noms et signes des peuples
originaires comme le recommande la Déclaration des droits des peuples indigènes de l‟ONU de 2007.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
152
adaptation de ces pratiques au marché contemporain. Un amalgame interculturel qui
est en général accepté et valorisé par la société chilienne. La photographie ci-
dessous a été prise par mes soins dans un quartier aisé de la capitale qui, selon les
statistiques, ne compte pas de population indigène significative. Toutefois, les
traitements médicaux mapuche y sont bien présents et appréciés au quotidien.
Figure 8 : pharmacie mapuche, quartier de Santiago.
Source © : A.Vergara, novembre 2012.
Ces nouveaux types de présence visuelle peuvent signifier un changement de
statut externe de « commodification de l'authenticité » (Heller, Pujolar, Duchêne,
2014), lorsque la langue fait son entrée dans le marché touristique, insérée dans le
modèle capitaliste en tant que produit. Ceci pourrait annoncer également un nouveau
statut du mapudungun dans la société chilienne.
4.2 Sur les réseaux sociaux : des usages jeunes et
urbains
Un autre contexte d‟usage encore plus récent est celui des réseaux sociaux
internet tels que Facebook et Twitter. Si l‟on considère la jeunesse des dirigeants
actuels du mouvement mapuche, cela entraîne des usages nouveaux de la langue et
des besoins, en accord avec le quotidien d‟un public principalement citadin, ayant un
accès quotidien aux réseaux informatiques.
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
153
Comme on peut le voir dans le document ci-après – une capture d‟écran d‟un
mur de Facebook – les usagers s‟expriment et font même des commentaires en
mapudungun. Un locuteur prévient ses amis du vol de son téléphone portable dans le
métro, il alterne des phrases en mapudungun pu peñi pu lamngen (frères et sœurs) et
en castillan estoy sin celu me robaron cualquier cosa por este medio (je suis sans
portable, je suis joignable par ce moyen [Facebook] si besoin est), le premier énoncé
finalise en mapudungun miyawi ta weñefe metro meu (le voleur était dans le métro).
Figure 9: message bilingue mapudungun/castillan.
Source © : mur Facebook, consulté le 24/09/13.
Les commentaires de soutien en mapudungun ne se font pas attendre.
Arrêtons-nous sur deux énoncés qui me semblent particulièrement intéressants du
point de vue de l‟usage des différents registres et des systèmes graphiques utilisés.
Dans le premier commentaire « na wesha peñi, fenxen weñefe mvli fvta waria mu »
(mauvaise chose, il y a beaucoup de voleurs dans cette grande ville) on peut
observer d‟une part, l‟utilisation de l‟alphabet militant Raguileo (cf. chapitre VI,
enseignement des langues, choix des alphabets), l‟usage d‟un registre informel « na
wesha », plus proche du répertoire oral et d‟une structure syntaxique sans présence
d‟agglutination. Dans le commentaire suivant « Müna weda ! Weñeñmangeaymi
mütrümwe ! » (mauvaise chose se faire voler le portable), l‟usager utilise l‟alphabet
académique (AMU) et un registre formel, voire littéraire, qui respecte un type de
syntaxe plutôt normatif « weñeñmangeaymi », tout en incluant le néologisme
« mütrümwe » pour nommer le téléphone portable.
Ainsi ces nouvelles technologies – fort présentes dans le milieu urbain –
deviennent un vrai phénomène parmi les apprenants, comme par exemple le groupe
« Aprender mapudungun112
» sur Facebook, qui depuis 2009 réunit plus de 31 000
membres (avril 2015). Il s‟agit d‟un groupe ouvert à travers lequel les usagers
112
Ma traduction : « Apprendre le mapudungun ».
Chapitre V. Sur le terrain de la revitalisation du Mapudungun à Santiago du Chili
154
peuvent partager des informations, des vidéos, des liens sur internet et des dossiers
divers sur la langue et la culture mapuche. De même, les usagers qui se définissent
comme locuteurs font souvent des corrections et répondent aux demandes et
questions des apprenants au travers de post publics.
D‟autres « fan-page » sur Facebook continuent à se créer pour utiliser ces
réseaux comme outil de communication entre formateurs et apprenants. De ce fait,
les apprenants peuvent consulter les informations concernant l‟atelier de langue,
comme par exemple dans l‟extrait ci-dessous, où un apprenant invite le groupe à
revoir ses courriers électroniques pour retrouver des documents de rattrapage et de
devoirs :
Figure 10 : message bilingue mapudungun-castillan113.
Source © : mur Facebook, consulté le 14/06/13.
Ce type d‟échange et les analyses qui peuvent en découler semblent encore
rarement explorés, et moins encore, que les cours de mapudungun en présentiel. Ce
type de démarche ouvre de nouveaux chemins dans le domaine de l‟utilisation des
nouvelles technologies sur des terrains où, jusqu‟à présent, des pratiques de
transmission traditionnelle en présentiel dominent, comme nous allons le voir dans
le chapitre suivant.
113
Ma traduction : « Regardez vos e-mails, il y a des rattrapages et des devoirs à faire. Salutations, à
bientôt »
Troisième partie
Eléments pour une didactique
des langues minoritaires
Chapitre VI
Enseignement/apprentissage
d’une langue minoritaire
Chapitre VI . Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
159
L‟enseignement/apprentissage des langues minoritaires en processus de
revitalisation – comme dans le cas du mapudungun – est un phénomène
sociolinguistique et pédagogique relativement récent. Dans le contexte de
l‟Amérique latine il n‟apparaît qu‟à partir des années 1990 et se renforce durant les
années 2000.
Dans ce chapitre, on identifiera les enjeux de l‟enseignement d‟une langue
minoritaire qui souffre de l‟abandon progressif de sa transmission
intergénérationnelle dans un processus de glottophagie (Calvet, 1974, 1997, 1999).
Cette situation pose de nombreuses questions comme celle de la standardisation, du
choix des systèmes d‟écriture, et de l‟adaptation de l‟enseignement d‟une langue de
tradition orale à celle des langues fortement standardisées.
En définitive, quels sont les éléments et les possibilités de planification pour
l‟enseignement d‟une langue impliquée, dans un contexte urbain, dans un processus
de ré-ethnification ?
À l‟intérieur de ce mouvement, nous allons pénétrer plus en profondeur pour
analyser comment se déroulent ces expériences d‟enseignement/apprentissage du
mapudungun à Santiago du Chili, afin d‟ébaucher ensuite des propositions
didactiques visant des éléments de planification dans le contexte spécifique d‟une
revitalisation linguistique.
1. Les enjeux spécifiques de l‟enseignement d‟une
langue minoritaire
L‟enseignement d‟une langue minoritaire et socialement minorisée reste un
phénomène peu exploré dans le champ de la didactique des langues. Une chose
cependant est claire et bien soulignée par Billiez et Trimaille (2010 : 16) : « On ne
peut absolument pas calquer l’enseignement d’une langue minoritaire et surtout
minorisée sur celui des langues étrangères socialement valorisées ».
Il s‟agit non seulement de revisiter des paradigmes d‟enseignement mais
plus encore d‟essayer de réfléchir à de nouvelles approches adaptées aux réalités
socioculturelles de ces langues, et cela pour un public urbain d‟adultes qui
souhaitent devenir des néo-locuteurs. Un processus qui commence par des questions
de base comme : Que faut-il enseigner et comment ? Dans quels buts ?
Actuellement sur le terrain urbain de la revitalisation du mapudungun, la
plupart des formateurs sont des locuteurs traditionnels, mais sans formation
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
160
spécifique en didactique des langues. Ils ont acquis le mapudungun comme langue
de première socialisation grâce à la transmission intergénérationnelle à l‟intérieur de
leur famille. Dans ce cas, le mode d‟enseignement dans un cadre « formel » reprend
en général des méthodes scolaires. Soit celles utilisées pour l‟apprentissage des
langues étrangères, soit celles dérivées de la lecto-écriture de l‟espagnol, les
formateurs s‟appuyant sur l‟expérience de leur propre scolarisation. On valorise
ainsi l‟écrit plus que l‟oral, et les acquis grammaticaux plus que culturels.
Cornu et Vergnioux (1992: 43) soulignent combien la connaissance d‟une
langue atteint des savoirs (culturels, littéraires, de civilisation) et des valeurs, tout
autant que des modes de représentation et de structuration de l‟expérience humaine :
Une langue, dans son existence sociale, a un double statut : c‟est à la fois un
objet (qui peut être étudié d‟une certaine façon : linguistique, ethnologique,
etc.) et un outil renvoyant à des pratiques (remplissant alors des fonctions
sociales, économiques, politiques).
Parmi les formateurs de mapudungun rencontrés, la plupart sont des
locuteurs nés et grandis selon le mode de vie traditionnel des communautés rurales.
Ils sont porteurs d‟un savoir-faire culturel rarement pris en compte dans le cadre
d‟un enseignement formel. Ce qui pose la dichotomie du savoir et du savoir-faire
comme un défi lors de l‟enseignement des savoirs sur la langue et des compétences
dans la langue.
Mais peut-on, ou doit-on s‟inspirer des approches qui concernent les langues
standardisées ? Faut-il s‟adapter à la spécificité du contexte ? Quelle est la place ou
l‟intérêt d‟un savoir-faire traditionnel pour des apprenants citadins ?
Des questions de ce type méritent d‟être soulevées ; les réponses engagent
des mises au point fines et des outils didactiques adaptés tenant compte des
caractéristiques du public cible : adultes issus du milieu urbain, alphabétisés et ayant
un niveau d‟études secondaires, voire supérieures.
À partir de ces constats, je m‟intéresse et j‟observe les situations
pédagogiques qui pourraient donner des pistes pertinentes pour la recherche d‟une
didactique adaptée à l‟enseignement d‟une langue minoritaire, comme le
mapudungun.
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
161
2. Standardisation : passage obligé ou labyrinthe ?
Dans la plupart des processus de revitalisation d‟une langue minoritaire, la
standardisation apparaît comme une des initiatives les plus attendues, mais aussi les
plus controversées. Hamers et Blanc (2004: 375) [1983] définissent ainsi une langue
standard:
The prestige variety of language used within a speech community; the natural
or artificial process by which a dialect becomes a standard language is called
standardization114
.
2.1 Mise au point terminologique
Pour la standardisation nous faisons d‟abord référence aux travaux de
Corbeil (1980) et Cabré (2002b). Pour ces auteurs, ce processus comporte un
ensemble d‟initiatives visant la planification du corpus de la langue et une révision
de son statut dans son contexte social. Pour Corbeil (1980 : 91) la standardisation
est « la démarche qui vise, d‟une part à amener les usagers à se mettre d‟accord sur
tel ou tel aspect de la langue lorsqu‟il y a divergence d‟usages et, d‟autre part, à
assurer la diffusion et la généralisation de l‟usage retenu ».
D‟autres concepts, souvent mentionnés dans ce cadre de la « stabilisation »
sont ceux développés par le sociolinguiste catalan Puig Moreno (1993 : 202-203) sur
la différenciation de termes entre « normalisation » et « normativisation ». Ce
dernier concept prend en compte l‟élaboration de la norme écrite littéraire, en
relation avec un processus politique qui, après un long débat, finalise par
l‟établissement de la norme linguistique. Alors que la normalisation, quant à elle,
signifie « normaliser la situation de la langue ou rendre normal son usage ».
Ces approches sont partagées par Cabré (2002b : 8-9), qui rajoute trois des
situations ponctuelles dans le cas des langues minoritaires :
- Une conversion à la norme, entendue comme patron, forme de référence
(soit une standardisation linguistique).
114 Ma traduction: « La variété de prestige de la langue utilisée dans une communauté linguistique; le
processus naturel ou artificiel par lequel un dialecte devient une langue standard est appelé la
standardisation ».
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
162
- Une manière de rendre habituel un objectif d‟extension de l‟usage de la
langue.
- Une régulation, par un organisme, pour établir la préférence d‟une forme
sur une autre et décider la fixation d‟un choix, selon une formule
d‟autorégulation.
La standardisation semble nécessaire et immanente à tout programme de
revitalisation; il s‟agit d‟un processus long et complexe dû à la nature multiple des
éléments concernés. Entre les premiers pas et l‟unification d‟une langue il peut
s‟écouler plus d‟un siècle comme le signale Agirrezabal (2010) pour l‟euskara.
Dans le cas de l‟euskara, la standardisation a commencé par une demande
des écrivains, puis avec la création de l‟Académie de la langue basque et la création
de la langue unifiée, l’euskara batua, après d‟importantes polémiques. Ce processus
n‟a pas été exempt de discordances et reste encore sujet de controverses. Les débats
sur la standardisation d‟une langue minoritaire sont souvent passionnés, comme le
rappelle Costa (2010a) à propos de la standardisation de l‟occitan.
Généralement, dans le discours des défenseurs de la standardisation d‟une
langue minorisée, on peut voir la recherche d‟un équilibre à l‟oral et à l‟écrit pour un
corpus permettant, par la suite, de donner un statut et de valoriser la richesse de
chacune des variantes.
Bien que le débat ait commencé dans les années 80 avec le projet d‟une
Académie de la langue mapuche – qui a finalement vu le jour en 2013 sous le nom
d‟Inarumegepeyem Mapuzugun Wallmapu Mew115
– le mapudungun ne donne pas
encore lieu, au niveau de la société dominante à un véritable processus de
standardisation116
. De ce fait, le travail de réflexion des organismes militants
intéresse plutôt un public engagé, mais n‟a pas touché de manière probante les
sphères institutionnelles.
À la différence d‟autres cas emblématiques, comme celui de la langue
catalane ou de l‟euskara en Europe, les initiatives des groupes revendicatifs n‟ont
pas bénéficié du soutien politique ou économique du pouvoir public chilien.
115
En 2013, diverses organisations mapuche de Temuco proclament à travers internet la création de
la première Académie de langue mapuche. Cette initiative a le soutien d‟une partie importante des
organisations politiques, mais elle ne compte pas – à ce jour – une participation active du monde
académique ou la reconnaissance de la totalité du mouvement mapuche, et moins encore de l‟État
chilien.
116 Voir, à ce propos, les travaux de Loncon (2002, 2010, 2011b) sur la normalisation et la
planification du mapudungun.
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
163
Les enjeux de la standardisation linguistique sont multiples et complexes.
Toutefois ils concernent surtout les facteurs politiques et économiques d‟une société
minoritaire, rapportés à ceux d‟une société dominante. Dans ce sens, les réseaux
académiques et militants ont un rôle fondamental dans l‟avancement des politiques
linguistiques à travers une planification linguistique « par le bas » dans le sens de
Billiez (1997: 155).
Politiques linguistiques « par le bas », élaborées et défendues par les acteurs
qui produisent, se réapproprient et inventent de nouveaux modèles culturels et
identitaires hybrides, qui s‟opposent aux modèles dominants.
Dans cette ligne, un exemple emblématique est le projet de loi des langues
indigènes au Chili, mené par le réseau DELPICH, une démarche finalisée par
l‟envoi en mai 2014 d‟une proposition au Sénat chilien117
. Pour ce faire, cette équipe
a organisé deux congrès et trois colloques avec les principaux acteurs du mouvement
(étudiants en 2011, éducateurs traditionnels en 2012 et spécialistes en langue
indigène en 2013).
L‟existence d‟une loi est conçue par ces acteurs comme une ouverture vers la
standardisation et la revitalisation linguistique. D‟autre part, des voix (pas forcément
divergentes) questionnent plutôt l‟ordre des priorités à suivre pour un
positionnement de la langue dans la société ; elles estiment que
l‟enseignement/apprentissage ne doit pas en rester au concept colonisateur qui
voudrait rendre « normal » l‟usage de la langue en rapport direct avec l‟usage des
langues dominantes, ou se contenter de « tourner en rond » pendant que la langue
continue à s‟éteindre.
Il convient donc, dans ce contexte, de réfléchir au choix de postures
idéologiques autour de la standardisation, et à des questions sur la légitimité ou la
validation de tel ou tel type de démarche. Cependant il serait irresponsable de
proposer une méthode applicable indifféremment à tous les aspects et à tous les
acteurs du mouvement de revitalisation mapuche.
À ce propos, je ne m‟aventure pas à proposer un diagnostic péremptoire qui
ne tiendrait pas compte de la complexité du sujet. Mon étude de terrain m‟autorise
seulement à éclairer ces questions et à suggérer des pistes de recherche, afin de
mieux s‟orienter dans ces « chemins-labyrinthes ».
117 Plus d‟information: http://www.senado.cl/derechos-linguisticos-de-los-pueblos-indigenas-
proponen-ley-general/prontus_senado/2014-05-27/104714.html
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
164
2.2 Les systèmes d’écriture : du discours
idéologique aux choix didactiques
La multiplicité des variantes dialectales, les enjeux identitaires, les postures
politiques, tout comme les différentes représentations autour de la langue, sont sujets
de débats et entraînent des questions sur l‟écriture de la langue et la standardisation
des systèmes d‟écriture. La création du registre d‟écriture d‟une langue minoritaire
est le résultat de plusieurs propositions qui demandent parfois des années de
négociations, voire de discussions infinies.
Cependant, on pourrait espérer une convergence entre ceux qui défendent la
standardisation et ceux qui s‟y opposent. Les principaux détracteurs estiment que
l‟existence d‟une langue unifiée met en péril les variantes culturelles et linguistiques
et crée ainsi une langue « artificielle ». Néanmoins, la prise de conscience de ces
conflits provoqués, partout ailleurs, par la standardisation devrait permettre de
parvenir à un accord. La réflexion sur la standardisation sollicite des démarches
multiples et des questionnements permanents. Ces débats – ou plutôt leur absence –
interfèrent aussi dans ce contexte d‟enseignement en permanente évolution.
2.2.1 Les types d’alphabets
La volonté de consolidation d‟un seul type d‟écriture tient une grande place
dans le discours idéologique. Le mapudungun est traditionnellement une langue de
transmission orale. Les premières propositions en alphabet latin sont le fait des
missionnaires catholiques au XVIIème
siècle et datent des descriptions du jésuite Luis
de Valdivia (1606) et de celles de Félix de Augusta (1903). Zuñiga (2009) nomme
ce type d‟écriture le Grafemario tradicional. Cependant je ne m‟étendrai pas sur ces
propositions, car elles ne sont plus prises en compte dans les écrits contemporains.
En 1986, le monde académique propose l‟AMU ou alfabeto mapuche
unificado (alphabet mapuche unifié)118
. Ce système graphique a été conçu par des
académiciens, principalement linguistes et des membres de l‟Institut Linguistique
d‟Eté (SIL, en anglais). L‟un des objectifs de l‟AMU est de devenir un outil
facilitateur pour l‟apprentissage de la lecto-écriture, principalement pour un public
hispanophone.
118 À ce propos, voir l‟article d‟Hernández Sallés (1986): « Encuentro para la unificación del alfabeto
mapuche: proposiciones y acuerdos ».
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
165
Cependant le grafemario raguileo et le grafemario azümchefe sont ceux qui
montrent le plus de divergences au niveau idéologique. Le premier est créé en 1982
par le linguiste, locuteur et militant Anselmo Raguileo qui participe au projet AMU
en 1986 (mais qui suite à des divergences, décide de se retirer et de continuer à
promouvoir son propre alphabet). Sa proposition est rapidement adoptée par des
organisations politiques, spécialement par celles de la Patagonie argentine. Cet
alphabet propose un total de 26 lettres, correspondant chacune à un phonème de la
langue. Il présente cependant un degré de difficulté plus élevé pour les apprenants
hispanophones que les autres alphabets. Mais ce système reste largement accepté par
les nouvelles générations, justement pour cet éloignement formel de l‟espagnol.
Le grafemario azümchefe, a été conçu avec les apports de quelques
organisations mapuche, mais a été promu comme l‟alphabet « normatif et unifié »
pour le Ministère de l‟éducation et les organes d‟Etat chilien. Selon Wittig (2006) et
Loncon (2006), l‟azümchefe prend en compte les alphabets huilcamán, antinao et
painiqueo (selon les patronymes de leurs auteurs). D‟après Loncon (in Cayuqueo,
2008), l‟alphabet azümchefe, qui compte 28 lettres, présente des erreurs d‟analyse
phonologiques importantes avec l‟homologation des phonèmes comme /z/ et /d/, ce
qui provoque une confusion d‟acceptions. Ainsi, dans la transcription de dücho
(chapeau en paille) et zucho (viser), la suppression du phonème /d/ amène une
ambigüité. Selon cette linguiste les remarques faites à cet alphabet ne sont pas liées
seulement à un « purisme linguistique » mais plutôt à la protection du système de la
langue et à l‟absence de représentativité mapuche lors de sa création.
Pour mieux comprendre ces divergences, je propose dans le petit tableau ci-
après quelques exemples de mots, permettant de mieux comprendre les différentes
transcriptions avec les graphies correspondant à chacune des trois propositions :
Chapitre VI . Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
166
Tableau 10 : tableau comparatif de systèmes d’écriture119.
Exemples
en français
Phonème API
Raguileo AMU Azümchefe
renard
/ɨ/ [ ŋəˈɹɨ ]
[ ˈŋɨ.ɹə ]
v ü ü
gvrv ngürü ngürü
lac /l̪/ [l̪af.ken]
[l̪av.ken]
b l lh
bafken l̪afken lhafken
mapuche /tʃ/ [ ma'pu.tʃe ]
c ch ch
mapuce mapuche mapuche
tête,
chef
/ŋ/ [ˈloŋ.ko ]
[ loŋˈko ]
g ng g
logko l̪ongko logko
pied / n̪ / [naˈmun]
[ n̪aˈmun̪ ]
h n nh
hamuh n̪amu n̪ nhamunh
papillon /λ/ [λampɨθken]
[λampɨδken]
j ll ll
jampuzkeñ llampüdken llampüdkeñ
gré /ɤ/ [ɻaɤ] q g q
raq rag raq
piment /ʈɽ/ [ʈɽaɪpë]
[ʃaɪpë]
[ʈʂaɪpë]
x tr tx
xaipe traipe txaipe
femme /θ/
/δ/
/đ/
[ θo'mo ]
[δo'mo ]
[đo'mo ]
z d z
zomo domo zomo
Source © : A. Vergara, 2015.
Comme nous l‟avons déjà mentionné, le mapudungun possède plusieurs
variantes dialectales qui sont directement associées à leurs territoires géographiques
(cf. chapitre 1, point 2.1). De ce fait, on pourrait croire que ces alphabets prennent
en compte davantage les variantes linguistiques les plus étudiées, correspondant à
celles du nagche et du moluche, plus présentes dans la région de l‟Araucanie.
Les travaux de Lenz (1985-1987), Salas (1992) et Zuñiga (2006, 2007), entre
autres, étudient les différences phonologiques dans les identités territoriales. Par
exemple, dans la variante pewenche de la région montagneuse d‟Alto Bio-Bio ;
Zuñiga (2006 : 63) affirme qu‟il existe les sons /d/ et /f/, mais que les dentales /t/, /n/
et /l/ ont pratiquement disparu.
Selon Zuñiga (2006) il existe d‟autres phonèmes généralement présentés
comme similaires en mapudungun et en espagnol, sans qu‟ils soient nécessairement
les mêmes, selon lui, comme par exemple le nasal ng /ŋ/ (ngillatun), le latéral palatal
/λ/ (llalliñ), le rétroflexe /r/ (rali) et les fluctuations entre les fricatifs /f/, /δ/ et /s/.
119 Je tiens à remercier le linguiste Felipe Hasler pour son aide dans la réalisation de ce tableau
comparatif, notamment pour la transcription à l‟API.
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
167
En termes de représentation, selon les divers systèmes d‟écriture du
mapudungun, il est très intéressant d‟observer les différentes variantes pour un
même phonème comme par exemple pour le rétroflexe /tʳ/ : [tr] en AMU, [x] en
Raguileo et [tx] en Azümchefe.
Actuellement, l‟existence de différents types d‟alphabets cristallise les
discussions des acteurs qui s‟affrontent autour des représentations idéologiques. Ce
type de débat n‟intervient pas seulement au niveau politique, mais aussi dans la
pratique actuelle dans divers domaines et, parmi ceux-ci, l‟enseignement du
mapudungun.
2.2.2 Usages et usagers des alphabets
En termes d‟utilisation pratique, le poète Elicura Chihuailaf signale lors d‟un
entretien (in González Cangas, 1999) son choix pour une fusion entre l‟alphabet
AMU et le raguileo. Il revendique ce « mélange » dans ses écrits pour des raisons
esthétiques et comme un acte de réappropriation du bilinguisme. Pour Chihuailaf,
« l‟alphabet est comme le texte ; il se situe comme un corps à l‟intérieur de la
feuille », ceci pour expliquer la différence entre la graphie du mot « arôme » avec
l‟AMU : nümün et avec l‟alphabet raguileo : nvmvn. Le poète préfère l‟utilisation du
graphème « v » au lieu du « ü » ; il privilégie l‟aspect esthétique au détriment de la
facilité de lecture pour un lecteur sans réelle connaissance des phonèmes et
graphèmes du mapudungun.
Dans le domaine de l‟enseignement, le système azümchefe est utilisé
davantage dans l‟éducation primaire (textes scolaires). Cependant dans les cours
universitaires observés, la proposition la plus utilisée est l‟alphabet AMU, pendant
que le Raguileo est la ressource plus souvent utilisée pour les ateliers en milieu
militant.
Compte tenu de mes observations sur le terrain universitaire, l‟alphabet
AMU semble le mieux accepté à l‟intérieur d‟un groupe très hétérogène
d‟utilisateurs. D‟une part, depuis sa création il a suscité une réflexion des diverses
parties: les académiciens mapuche et non-mapuche et les locuteurs traditionnels. En
termes idéologiques il est assez « neutre » par rapport aux deux autres alphabets qui
recouvrent des champs bien définis. Enfin, pour son appropriation en tant que
système graphique, il est plus facilement lisible pour les hispanophones, principal
public de destination des écrits. La graphie de certains phonèmes consonantiques
spécifiques de la langue comme, par exemple, le graphème « tr » (forme très proche
de l‟espagnol dans l‟AMU), aide à la compréhension générale de ces phonèmes.
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
168
Cette facilité permet, dans un premier temps, une assimilation rapide des apprenants,
puis, une fois qu‟ils ont compris les différences entre les graphies, ils peuvent
comprendre davantage la proposition /x/ de l‟alphabet Raguileo et l‟adopter par la
suite pour des raisons idéologiques.
Comme je viens de l‟exposer, le processus de standardisation de l‟écriture
touche des domaines variés tels que l‟administration, les médias sociaux, la
communication, la littérature et, en ce qui me concerne le plus, l‟éducation. Le débat
autour de l‟unification est loin d‟être clos, mais il permet de saisir les principaux
éléments linguistiques et culturels qui se manifestent ou se réaffirment à l‟heure des
discussions autour de la standardisation.
2.3 Le manuel d’enseignement : de l’emblème
didactique à la propagation du discours
Bien que les manuels destinés au public adulte ne soient pas encore très
nombreux, l‟apparition de nouvelles éditions ces vingt dernières années marque la
naissance d‟une réflexion didactique. Parmi les plus connus, le Manual de
aprendizaje del idioma mapuche (Harmelink, 1996) ; Nütramkawaiñ Adümayaiñ
Epurume Kimün (Loncon et Martínez, 1999) ; Mapudunguyu 1 Curso de lengua
Mapuche (Catrileo, 2002) et les plus récents Folil Mapudungun (Norin et al. 2013)
et Kom kim Mapudunguaiñ waria mew A.1.1 et A.1.2 (Mariano et al. 2009, 2013), –
entre autres ressources sur internet – démontrent que l‟intérêt pour systématiser
l‟enseignement du mapudungun à travers ce type d‟outil devient une des nécessités
principales du processus de revitalisation.
À la lecture de ces manuels, on peut remarquer l‟importance d‟une
introduction, obligatoire pour un public débutant. Généralement les unités
thématiques s‟ordonnent comme suit: présentation personnelle (famille, origine
géographique), description physique et psychologique (goûts, préférences, état
d‟esprit, santé).
En général, les consignes sont données en espagnol pour les premières
unités, et en mapudungun pour les suivantes.
Parmi les activités proposées dans ces manuels on peut observer divers
protocoles didactiques, comme par exemple la transcription de dialogues,
l‟association de mots (ou de mots et d‟images), la lecture à haute voix de petits
textes, la traduction du mapudungun à l‟espagnol, ainsi que la présentation de
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
169
chansons, comptines et devinettes. Ces activités invitent plutôt à une réflexion
individuelle privilégiant le travail personnel de l‟apprenant.
Ce modèle apparaît comme particulièrement contreproductif lorsqu‟on
espère un matériel du type « communicatif » dans un cadre de langues minoritaires.
Si les dialogues sont fixés à l‟écrit à l‟avance et si l‟expression orale se résume à la
lecture à haute voix, les apprenants n‟ont pas la possibilité de se confronter à une
stratégie de communication en interaction avec leurs camarades. De plus, les
lectures à voix haute s‟avèrent très complexes et répétitives pour un niveau débutant
où les spécificités prosodiques ne sont pas encore acquises dans le discours oral.
La langue mapuche, traditionnellement acquise à l‟oral de façon
intergénérationnelle a commencé à être enseignée de façon formelle il y a une
vingtaine d‟années. A partir de ces procédés, et comme le signalent Hasler, Mariano et
Salazar (2011 :200), « s‟observe un développement historique dans la manière de
conceptualiser les besoins éducatifs de la langue mapuche ».
De ce fait, les propositions didactiques, comme les manuels d‟enseignement,
sont le fruit de la systématisation des enseignants sur le terrain, dans l‟urgence de
proposer des matériels adaptés et innovants pour un public lettré et urbain. Ainsi
l‟éducateur, dans la plupart des cas, adopte une méthodologie calquée sur les langues
fortement standardisées.
Ce type d‟approche n‟apparaît pertinent que dans le cas d‟une introduction à
l‟enseignement du mapudungun. Pour la formation des futurs « néo-locuteurs »,
d‟autres pistes didactiques doivent être privilégiées : invitations aux échanges
collectifs (interaction en binômes, par exemple), facilitant aussi la découverte et la
compréhension des aspects culturels de la cosmovision. De même, l‟accent pourrait
être mis sur l‟exploitation didactique des productions artistiques traditionnelles ou
contemporaines (comme la littérature), permettant, au-delà des compétences
communicatives, d‟élargir aussi les acquis culturels.
Aussi, les manuels d‟enseignement pourraient intéresser d‟une part l‟outil
didactique transmettant les savoirs culturels et linguistiques, et dans le même temps,
devenir l‟instrument de validation et de divulgation de nouveaux usages de la langue
dans de nouveaux contextes (comme, en priorité, l‟environnement urbain actuel).
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
170
3. Cadres et approches didactiques de référence dans les
ateliers de mapudungun observés
Les ateliers du milieu militant en ville proposent aux apprenants de s‟inscrire
dans les modules selon leur niveau de maîtrise de la langue. Ainsi, pour les
débutants existe un premier « niveau basique » (A.1.1), pour ceux qui ont déjà des
notions, un « niveau basique intermédiaire » (A.1.2) et enfin un dernier « niveau
basique avancé » (A.1.3).
Devant l‟absence d‟un cadre de référence pour les langues indigènes, la
distinction entre les différents niveaux suit le modèle du Cadre Européen Commun
de Référence pour les Langues (CECRL). Malgré les différences entre ces deux
contextes, le CECRL sert de prototype pour les propositions de normalisation du
mapudungun; il a été la référence pour la réalisation du matériel d‟apprentissage,
comme les manuels par exemple.
De ce fait, après avoir étudié et analysé les différentes méthodes actuelles
pour l‟enseignement du mapudungun, il est clair que l‟évolution du matériel
(manuels et supports internet) va dans le sens d‟une approche communicative
(Germain, 1999 ; Widdowson, 1992) proposée par le CECRL.
Compte tenu de ce constat il me semble important de comprendre le choix de
ces nouvelles pratiques dans ce contexte particulier. Dans une première
approximation on pourrait sans doute penser que l‟adoption d‟une approche
européenne correspondrait au besoin de redonner du prestige à la démarche
pédagogique. Or, cela pourrait être aussi le résultat de l‟investissement particulier
des enseignants de langues étrangères dans le processus de revitalisation.
En effet, d‟après mes premières constatations sur le terrain, la principale
préoccupation des équipes qui produisent du matériel didactique, reste la question
des méthodes adaptées. Cela concerne d‟abord le déroulement des séances
d‟enseignement : elles s‟effectuent fréquemment suivant un modèle scolaire
d‟exposition « classique » (répétition, lecture à haute voix et mémorisation des
contenus). Bien que ces cours soient présentés comme les lieux d‟une approche
communicative, les pratiques éducatives effectives s‟intéressent davantage au
développement des connaissances lexicales et grammaticales, notamment au niveau
écrit, qu‟à la compétence plus globale de communication (Hymes, 1984).
On observe donc un discours théorique qui défend une approche
« communicative » et « fonctionnelle », quand, dans la pratique, les démarches
didactiques sont plus proches des méthodes SGAV (structuro-global audio-visuel) et
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
171
de la méthode traditionnelle-grammaticale. Une observation partagée avec d‟autres
chercheurs comme Quidel (2011), Relmuan (2005) et Cañiulef (1998), surtout dans
le contexte du PEIB.
Pour sa part, Relmuan (2005 : 26), en ce qui concerne le contexte scolaire,
signale que l‟enseignement du mapudungun comme langue étrangère ne convient ni
aux élèves débutants, ni aux locuteurs qui connaissent déjà les bases linguistiques et
qui pourraient donc se désintéresser de ce mode d‟enseignement. Pour Quidel
(2011), la méthodologie utilisée par les enseignants reste celle de la grammaire-
traduction, sans viser à l‟acquisition des données socio-communicatives.
Dans ce cadre, il est difficile d‟envisager des usages sociaux plus larges
tenant compte de la famille et de la communauté linguistique, puisque les projets
d‟éducation concernent seulement les enfants en âge scolaire, alors que la langue
menacée est souvent éteinte à la génération des parents.
On peut, en outre, considérer que ce n‟est pas le rôle du jeune enfant de
devenir médiateur de la langue ni de l‟apprendre à sa famille. Le PEIB sensibilise au
mieux les enfants et génère une ouverture à l‟interculturalité dans le milieu scolaire,
mais en aucun cas ne peut laisser espérer une revitalisation sans un soutien
linguistique hors du cadre scolaire.
De ce fait, l‟usage des méthodes traditionnelles selon une approche
grammaticale-structurale pourrait se concevoir dans l‟enseignement du mapudungun
comme langue de travail écrite, ou pour des publics particuliers intéressés par les
aspects structuraux (comme c‟est le cas des chercheurs en littérature indigène par
exemple). Cependant la motivation principale du public urbain, la plupart des
militants du mouvement de revitalisation linguistique, est bien de pouvoir parler et
comprendre la langue dans un contexte quotidien réel, ce qui suppose le
développement, en priorité, des compétences communicatives, mais aussi
culturelles.
Compte tenu des objectifs présents sur le terrain et en reprenant Hymes
(1991), l‟objectif de l‟enseignement d‟une langue est de développer une
« compétence communicative » comprenant les niveaux linguistiques, la
communication et la culture. Dès lors, l‟acquisition des différents outils linguistiques
et culturels permet de réaliser les fonctions quotidiennes de la communication.
Cependant il convient de s‟interroger sur la pertinence des approches
communicative et actionnelle120
et d‟en réaliser une lecture critique : que cherche-t-
120
Cette approche considère les usagers et les apprenants d‟une langue comme des « acteurs
sociaux » qui accomplissent des tâches en privilégiant le sens sur la forme.
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
172
on à communiquer ? Avec quels interlocuteurs ? Dans quelle mesure peut-on
envisager un dialogue pour acheter un journal lorsqu‟il n‟en existe pas dans la
langue cible ? Comment développer la dimension de la compétence communicative
(Canale et Swain, 1980), voire les compétences grammaticale, discursive,
sociolinguistique et stratégique, dans une langue minoritaire et
minorisée socialement ?
Comme le signale Pérez (2007 : 144), la possibilité de ces situations de
communication « authentiques » suppose de la part de l‟apprenant une maîtrise de la
vie culturelle concernant la langue, un langage grammaticalement correct
(compétence linguistique) et une manière appropriée (compétence communicative,
registres et variantes). Dans ce contexte, la question posée par Pérez (2007) paraît
particulièrement pertinente : comment structurer un curriculum tenant compte des
richesses culturelles dans le contexte particulier des langues originaires ?
4. Milieu militant : apprendre « ma » langue
Le retard de la mise en place par l‟Etat d‟une éducation interculturelle
bilingue pour adultes et le besoin urgent d‟apprendre et de pratiquer le mapudungun
pour le public urbain a été finalement pris en charge – et non sans difficulté – par les
membres des organisations militantes, eux-mêmes. Ainsi, ces vingt dernières années
on assiste à Santiago à un véritable self-made dans le domaine de l‟enseignement du
mapudungun pour adultes.
La participation des jeunes dans ce mouvement gagne en importance et c‟est
à travers les espaces universitaires que ces nouvelles pratiques touchent une partie
importante de la nouvelle génération urbaine. Ainsi, les ateliers de mapudungun hors
cadre formel – comme la chaire indigène – font leur rentrée dans l‟enseignement
supérieur dans la première décennie des années 2000.
Suivant le modèle de « l‟échelle graduée de rupture intergénérationnelle »
(Graded Intergenerational Disruption Scale) proposé par Fishman (1991 : 394), le
« sauvetage » du mapudungun apparaît comme une démarche venue « de la base »
puisque les locuteurs s‟impliquent eux-mêmes. Pour le mouvement mapuche les
engagements identitaires sont particulièrement forts et c‟est à travers ce militantisme
que se réalise la sauvegarde de la langue. Comme le signale Lagarde (2006 : 65) ses
acteurs ont choisi la langue en tant qu‟étendard d‟une lutte politique et
revendicative, à travers laquelle ils exercent leurs droits citoyens :
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
173
(L‟individu) exerce ce faisant un acte de pleine citoyenneté, qui lui est reconnu
aussi bien par l‟article 2 de la Déclaration Universelle des Droits de l‟Homme,
que par la Convention de l‟UNESCO et la Charte des Nations-Unies. La
décision de l‟individu s‟inscrit donc dans une perspective politique dans son
sens le plus large. Elle n‟est nullement négligeable, ni en droit ni dans les faits;
elle donne lieu à et se fonde sur l‟expression d‟une loyauté linguistique.
Les initiatives du milieu militant se présentent donc comme la réponse à une
nécessité de plus en plus palpable dans un contexte urbain qui a vécu le processus de
ré-ethnification culturelle, puis de revitalisation linguistique.
Comme je l‟ai déjà indiqué dans l‟exposé du cadre méthodologique, c‟est
dans le milieu militant que j‟ai pu retrouver un public aux motivations comparables
à celles repérées lors de mon enquête préliminaire. En effet, parmi ces personnes
auto-définies comme mapuche et non-mapuche, – dans certains cas locuteurs
réceptifs – j‟ai retrouvé ce profil d‟apprenant qui s‟inscrit dans le sens de ma
recherche : force de la motivation autant identitaire qu‟affective.
4.1 L’atelier de mapudungun
En ce qui concerne mon travail de terrain, j‟ai pu rencontrer et partager
principalement avec les équipes pédagogiques de deux des plus grandes
organisations militantes à Santiago. Bien que ces deux organismes visent la
promotion et le soutien de la revitalisation linguistique, on peut noter des
orientations différentes. Le premier organisme vise plutôt les initiatives
d‟enseignement de la langue, la culture et l‟histoire, dans un projet politique
concernant les acteurs du mouvement revendicatif, alors que le deuxième cherche
plutôt des propositions au niveau de la société dominante, en se rapprochant des
entités gouvernementales chiliennes.
Dans le contexte de ma recherche, bien que j‟aie participé aux activités de
deux équipes, j‟ai consolidé ma participation auprès de la première qui vise
davantage les ateliers de langue et les démarches didactiques reliées à un projet
pédagogique.
L‟atelier de mapudungun sur lequel j‟ai recentré ma recherche est pris en
charge par une équipe composée d‟un enseignant locuteur de la variante nagche et
d‟un groupe de jeunes assistants néo-locuteurs issus du milieu urbain. À la
différence de la chaire indigène universitaire, ces ateliers sont suivis par des
apprenants hors parcours académique. J‟utilise donc le terme « atelier de langue »
pour faire référence à ce type de parcours non évalué. Les ateliers ont lieu une fois
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
174
par semaine dans une université de Santiago. Je souligne le fait que l‟espace où se
déroulent ces activités est loué à l‟université, mais l‟équipe organisatrice reste
autonome.
Les séances durent une heure et demie et démarrent souvent après 18 heures
pour permettre la présence, tant des étudiants que des travailleurs. Les ateliers sont
organisés en modules de progression qui durent deux mois. Le coût de chaque
module est d‟environ 20 euros par apprenant – manuel d‟enseignement compris – un
montant qui permet l‟autogestion totale de l‟activité (location de la salle,
fournitures et petite rétribution de formateurs).
4.2 Qui sont les acteurs ?
Les premiers ateliers de cette organisation datent du milieu des années 2000
à l‟initiative des étudiants eux-mêmes, guidés par un locuteur qui fait office
d‟enseignant.
Tout a commencé lors de la rencontre d‟un locuteur de mapudungun
(plombier à la faculté de philosophie d‟une université à Santiago), et d‟un jeune
étudiant de linguistique, intéressé par la langue mapuche. Echange de savoirs : le
locuteur voulait apprendre à écrire sa langue et l‟étudiant, apprendre à la parler. Par
la suite, d‟autres étudiants se sont intéressés à ce projet. C‟était le début de la
création d‟une équipe formée par de jeunes étudiants universitaires et de leur
mentor, un kimelfe121
, locuteur de la langue issu de la migration, passionné par l‟idée
de transmettre ses connaissances, parfait autodidacte, mais reconnu par les étudiants
comme un porteur de savoirs. C‟est ainsi qu‟un véritable laboratoire de revitalisation
linguistique s‟est mis en place de manière spontanée et improvisée.
Depuis le début de l‟expérience, le binôme « locuteur enseignant » et « néo-
locuteur assistant » a été adopté comme une des principales caractéristiques du
dispositif d‟enseignement. C‟est ainsi que les apprenants les plus avancés
deviennent assistants de l‟atelier en formant des couples pédagogiques avec des
apprenants qui, à leur tour, seront les instructeurs des autres étudiants.
Ainsi, autant le locuteur enseignant que les néo-locuteurs assistants ont
débuté sur le terrain de la didactique des langues sans formation spécifique. Pour
faire face à ce type d‟enseignement en milieu urbain pour un public adulte il a fallu
121 Kimelfe pourrait se traduire en mapudungun comme “celui qui porte le savoir”. C‟est le nom
couramment donné à l‟enseignant dans ce cadre.
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
175
concevoir un matériel spécifique. Avec la collaboration de didacticiens et linguistes,
l‟atelier a produit un premier manuel d‟enseignement qui a vu le jour en 2009. La
publication de ce manuel procède ainsi d‟une nécessité vécue par l‟équipe mais aussi
– comme le signale l‟enseignant locuteur (in Mariano et al., 2009 : 2) – pour aider
les autres enseignants en ville dans la même situation :
Como persona mapuche creo que es mi deber enseñar la lengua de mis
antepasados a los jóvenes, para que la lengua no se termine nunca. Además,
creo que hay que enseñar a hablarla, pero también a escribirla. La manera de
vivir de la gente de la ciudad hace que sea necesario que la lengua mapuche se
escriba. Este libro lo hemos escrito, principalmente, para ayudar a otros
profesores a enseñar en la ciudad a todos quienes quieran aprender. Ojalá sirva
para eso122
.
Comme on le perçoit dans cette démarche, l‟investissement de cette
organisation rejoint le désir profond d‟une revitalisation linguistique qui va au-delà
d‟un intérêt économique ou d‟un statut social. En effet, les formateurs n‟ont aucun
contrat formel, les horaires sont exténuants et la demande de plus en plus
importante. Comme le signale l‟enseignant locuteur dans la présentation de leur
ouvrage (Mariano et al. 2009 : 2), pour les acteurs de la revitalisation, il s‟agit d‟un
« devoir » et d‟un « travail nécessaire ». Toutefois, l‟engagement de cette équipe à
l‟intérieur du réseau militant, instaure, avec le temps, un certain prestige social.
Dans ce contexte, les acteurs expérimentent un parcours de conscientisation et
d‟« empowerment » (Cameron et al. 1993) qui encourage leur expérience
académique et qui leur donne le statut de référents de l‟enseignement du
mapudungun à Santiago.
De leur côté, les néo-locuteurs – actuellement jeunes professionnels d‟origine
mapuche et non-mapuche – continuent à apprendre la langue avec l‟enseignant qui
joue le rôle de « guide linguistique » pour un groupe formé d‟une douzaine de
jeunes.
Comme le signale une de ces néo-locutrices et assistante de langue mapuche,
dans la présentation de son mémoire de master (Salazar, 2012 : 17), l‟engagement
pour la revitalisation linguistique du mapudungun est une pratique politique
accompagnée et soutenue par un travail collaboratif :
122 Ma traduction: « Comme personne mapuche je crois que c'est mon devoir d‟enseigner la langue
de mes ancêtres aux jeunes, pour que la langue reste vivante. De plus, je crois qu'il faut apprendre à la
parler, mais aussi à l‟écrire. La manière de vivre des gens de la ville fait qu‟il est nécessaire que la
langue mapuche soit écrite. Ce livre nous l'avons écrit, principalement, pour aider d'autres professeurs
à enseigner en ville à tous ceux qui veulent apprendre. Pourvu que cela soit utile ».
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
176
Ingresé al taller del kimelfe y, a partir de ese momento, fuimos estableciendo
una estrecha relación de trabajo motivado por el deseo común de impedir el
avance del desplazamiento forzado de la lengua mapuche. (…) A lo largo de
este recorrido compartido, pienso que hemos logrado construir una reflexión
crítica y una práctica política amparadas en el respeto mutuo, sin caer en
esencialismos ni idealizaciones que romantizan la figura del mapuche123
.
De ce fait, ce groupe se caractérise par sa continuité et son développement
autour de la figure du locuteur enseignant, tout en poursuivant d‟autres projets
parallèles dans le domaine de l‟enseignement du mapudungun.
En 2013, un nouveau manuel d‟enseignement (niveau A.1.2) à la suite de
celui de 2009 (niveau A.1.1) est édité sous la signature de cette organisation
militante et autogérée. Ce matériel, en plus d‟un ouvrage pour les apprenants, est
accompagné d‟un livre de suggestions didactiques pour l‟éducateur et d‟un CD-Rom
de leçons à l‟oral, s‟inscrivant dans une approche communicative et utilisant la
version simplifiée de l‟alphabet AMU.
Mais, c‟est à travers la revendication politique et identitaire qui innerve le
discours de ces militants qu‟on arrivera à comprendre les véritables enjeux de leur
implication. Comme le signalent ses auteurs in Mariano et al. (2013 : 5):
Este libro pretende ser un aporte en el proceso de revitalización lingüística y
cultural que nuestro pueblo ha iniciado desde hace varias décadas. Al recuperar
nuestra lengua, comprendemos con mayor claridad la autonomía por la que
nuestro pueblo lucha124
.
Le travail de ces acteurs à l‟intérieur des organisations militantes se révèle un
facteur clef pour la proposition d‟une politique et d‟une planification linguistiques
« par le bas » en faveur du mapudungun. Le caractère autonome et autogéré du
mouvement militant offre un cadre optimal pour observer les dynamiques imaginées
pour l‟apprentissage d‟une langue minoritaire, et la recherche d‟une « didactique
contextualisée » (Blanchet et Chardenet, 2011 ; Blanchet, Moore et Asselah Rahal,
2009) pour un projet de revitalisation linguistique, culturelle et identitaire.
123
Ma traduction : « Lorsque j‟ai commencé à participer aux ateliers du kimelfe, nous avons établi
une relation de travail étroite motivée par le désir commun d‟empêcher le déplacement forcé de la
langue mapuche. (…) Tout au long de ce parcours, je crois que nous avons réussi à construire une
réflexion critique et une pratique politique soutenues par le respect mutuel, sans tomber dans les
essentialismes ni dans les idéalismes qui romancent la figure du mapuche ».
124 Ma traduction : « Ce livre prétend être un apport au processus de revitalisation linguistique et
culturelle que notre peuple a commencé depuis quelques décennies. Avec la récupération de notre
langue, nous comprenons avec la plus grande clarté l‟autonomie pour laquelle notre peuple se bat ».
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
177
Parmi les éléments contextualisés à prendre en considération figurent les
profils des apprenants.
5. Les profils des apprenants
A partir d‟une étude sous forme de questionnaire précisant l‟objet de ma
recherche, j‟ai pu relever certains facteurs essentiels pour le choix d‟une démarche
didactique particulièrement adaptée au public cible ici concerné. Ainsi, le but de
cette enquête était d‟établir le profil des apprenants, de connaître leurs motivations,
leurs démarches et leurs attentes pour pouvoir postérieurement – dans mon rôle
d‟observatrice participante – proposer des dispositifs didactiques adaptés à ces
besoins.
Les résultats ici exposés correspondent aux enquêtes réalisées auprès de deux
groupes d‟apprenants, trente-six personnes au total. Ce questionnaire, anonyme et
optionnel, comportait des questions fermées du type « choix multiple » et d‟autres
ouvertes demandant des réponses brèves (voir annexe 7).
Après avoir discuté avec les apprenants, j‟ai pu cerner leur objectif
principal : devenir des néo-locuteurs (Blanchet, 2002 ; Hornsby, 2005 ; Dorian,
1997, 1981), c‟est-à-dire des locuteurs apprenant la langue à travers des activités
liées aux programmes de revitalisation (Bert et Grinevald, 2011; Costa, 2012, 2013).
Le public des ateliers de mapudungun observés reste très hétérogène en
termes de genre, condition sociale, âge, activités professionnelles, entre autres.
Selon leur appartenance ethnique, ces apprenants s‟auto-définissent en tant que
« Mapuche » et « non-Mapuche ». Les groupes sont formés de personnes adultes
âgées en moyenne de 30 ans ; la plus jeune auditrice a seize ans et les plus âgés une
soixantaine d‟années. Un grand nombre d‟apprenants sont étudiants de l‟éducation
supérieure; les salariés représentent aussi un public important. La plupart travaillent
dans le domaine de l‟éducation, de la santé et du social. D‟autres sont artisans,
artistes, employés publics et femmes au foyer.
La totalité des participants déclare poursuivre cette préparation par libre
choix et sans motivation professionnelle spécifique. Ces personnes ont connu les
ateliers par le bouche à oreille (recommandation des anciens apprenants) et par
internet (en consultant le blog de l‟équipe et le réseau social Facebook).
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
178
5.1 Éléments de biographies langagières des
apprenants
La dimension heuristique des biographies langagières a été bien soulignée par
Thamin et Simon (2009) pour la didactique des langues. La méthode par questionnaire
mobilisée pour cette étude a permis de recueillir quelques éléments essentiels à une
meilleure connaissance des profils des apprenants enquêtés.
À travers ce questionnaire, on découvre ainsi que, pour la quasi totalité des
apprenants, l‟espagnol est la langue de première socialisation – à l‟exception de trois
étudiants étrangers, deux Coréens et un Catalan.
Dans le groupe, 9 personnes sur 36 se déclarent bilingues espagnol/
mapudungun. Cela dit, de possibles locuteurs ont acquis le mapudungun dans leur
petite enfance par le biais de la transmission familiale, mais ont interrompu leur
acquisition. Une situation à charge fortement affective que l‟on ne peut pas négliger
au moment d‟envisager un enseignement/apprentissage.
Ainsi, pour certains apprenants, cet atelier n‟est pas un cours d‟introduction à
la langue ni une porte d‟entrée vers la culture mapuche, mais une opportunité pour
retrouver des savoirs acquis et endormis. D‟autre part, on trouve des apprenants qui
possèdent des notions de mapudungun seulement à l‟oral et veulent s‟alphabétiser
dans cette langue.
Dans ce groupe, 4 apprenants sur 36 se définissent comme locuteurs
réceptifs de mapudungun. Ils déclarent le comprendre, mais sans réussir à le parler
aisément. Je préfère, dans ce cas, le terme « locuteur réceptif » à celui de « locuteur
passif », en effet, ces auditeurs vont dans le sens d‟une démarche active. Ces ateliers
permettent de dialoguer en confiance entre étudiants ou avec les enseignants. Il est
donc essentiel de repérer ces « locuteurs réceptifs », de les intégrer, de les
encourager et de reconnaître leurs compétences pouvant être améliorées.
5.2 Motivations et attentes des apprenants
La forte motivation affective de ces apprenants est éloquente. À la question:
« Pourquoi apprenez-vous le mapudungun? », de nombreuses réponses soulignent
les motivations identitaires et affectives liées à l‟histoire familiale: « porque soy
Mapuche, porque necesito hablar en mi lengua, porque es la lengua de mi pueblo,
para entender a mi padre y hablar su lengua, por amor a mi cultura, para que esté
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
179
presente en mi vida, para poder transmitirla125
». Ces commentaires chargés
d‟affects renvoient à la motivation identitaire des apprenants, dans une volonté de
retrouver la langue de leurs ancêtres et de pouvoir s‟y exprimer. De même, on peut
sous-entendre que l‟apprentissage s‟appuie fortement sur les structures familiales,
sociales et culturelles.
Je remarque une forte présence de code-switching dans les discours des
interviewés. Pour parler de leur entourage les apprenants utiliseront davantage des
« mots-concepts » en langue mapuche comme lof, tuwün, ngulam, küme mongen126
dont des alternances codiques peuvent être aussi interprétées comme des marqueurs
identitaires à l‟intérieur du discours. De même, plusieurs d‟entre eux expriment en
mapudungun certaines représentations métaphoriques difficilement traduisibles en
castillan, car ils estiment que le mapudungun est une langue plus adaptée que le
castillan pour l‟expression des sentiments.
Ainsi, le lien affectif, motivation principale de la plupart des apprenants reste
ignoré autant dans le choix du matériel didactique, que dans le fonctionnement
même des ateliers. Les demandes de prise en compte de ce lien répondraient d‟abord
aux besoins d‟une langue « en panne » de transmission familiale, et ensuite aux
attentes des futurs locuteurs désireux de voir intégrer le cadre domestique dans
l‟enseignement de la langue.
Les apprenants insistent donc sur l‟importance du groupe pour interagir et
désirent rencontrer des locuteurs des milieux urbain et rural pour mettre en pratique
les connaissances acquises. Pour cela, ils identifient comme des « locuteurs
traditionnels » certains membres de leurs familles et des membres des organisations
politiques à Santiago. D‟autres signalent avoir déjà expérimenté des situations
d‟immersion linguistique de type « sauvage » (sans encadrement didactique), au sein
d‟une communauté rurale pour connaître de « vrais » échanges dans la langue cible.
125 Ma traduction: « parce que je suis Mapuche, parce que j‟ai besoin de parler dans ma langue,
parce que c‟est la langue de mon peuple, pour mieux comprendre mon père et parler sa langue, par
amour de ma culture, pour qu‟elle soit présente dans ma vie quotidienne, pour pouvoir la
transmettre ».
126 Ma traduction: lof, équivalent à groupe familial étendu/ tuwün, équivalent à la provenance
territoriale des aïeuls/ ngülam, équivalent à un conseil provenant d‟une personne sage/ küme mongen,
équivalent à un mode de vie respectable et en harmonie avec les autres et l‟environnement.
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
180
5.3 Les compétences : état des lieux
Une partie du questionnaire était destinée à réaliser une petite autoévaluation
afin d‟obtenir un aperçu des compétences au niveau oral et écrit, compétences que
les apprenants pensaient maîtriser. De cette manière, et par la suite, je pouvais
proposer une démarche didactique mieux adaptée au public cible.
Pour les compétences orales, les apprenants se disent capables de
comprendre et de tenir une conversation en mapudungun (sur des sujets comme les
salutations), de décrire leur famille, de parler de leurs goûts et de leurs loisirs. Ils se
disent également capables de comprendre des indications concernant l‟espace et le
temps dans la langue cible selon la cosmovision mapuche. Ils supposent donc la
maîtrise des sujets abordés par les unités du manuel.
Toutefois, ils déclarent que l‟expression orale et écrite en dehors de ces
sujets n‟est pas acquise. Ils considèrent également que le langage poétique, les
rituels cérémoniels ou les chansons traditionnelles sont aussi des éléments de
connaissance importants à aborder pendant les ateliers. De même, ils soulignent la
nécessité de création d‟espaces et de moments – dits artificiels – permettant un
meilleur accès à l‟oralité.
Une autre difficulté notée par les étudiants est la faiblesse de l‟enseignement
de la phonétique. Ils regrettent l‟insuffisance de matériel ou d‟outils (comme un
laboratoire de langues) leur permettant de s‟entraîner à prononcer les phonèmes
complexes, ou de mieux connaître et apprécier les qualités prosodiques de la langue.
Ils aimeraient, par exemple, pouvoir différencier les prononciations et intonations
des variantes dialectales.
La variante nagche, apprise dans l‟atelier, est une des plus répandues et celle
qui compte actuellement le plus grand nombre de locuteurs. Par contre, des variantes
comme le pewenche ou le williche, ne sont jamais présentées dans ce cadre.
Finalement, les apprenants signalent leur besoin de « bien apprendre » pour
communiquer, se faire comprendre et leur souhait d‟éviter l‟espagnol quand ils ne
connaissent pas le vocabulaire en mapudungun. Ils estiment que l‟alternance
codique pourrait les conduire à commettre des erreurs, comme par exemple une
traduction littérale, ou les amener à inventer des mots dans la langue cible. Une
« autocensure » quant au fait de « mal » parler ou de parler « champurriado »
(mélangé), un phénomène très mal perçu et peu valorisé parmi les locuteurs de la
langue (surtout chez les personnes plus âgées), même si tout le monde pratique cette
langue mélangée, autant les jeunes que les adultes, autant en milieu rural qu‟urbain.
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
181
En résumé, l‟objectif des apprenants est de devenir néo-locuteurs de la
langue, une attente qui n‟avait pas été repérée auparavant par cette équipe. Pour la
plupart des interviewés, cette perspective n‟est pas un projet utopique, pour cela ils
mettent en place des démarches personnelles pour être en contact avec la langue
cible. Cela implique des allers et retours fréquents entre la capitale et les
communautés rurales, continuum rural-urbain toujours présent dans ce contexte.
Revenir vers les communautés en tant que néo-locuteur de mapudungun symbolise
pour eux un engagement concret envers le mouvement mapuche contemporain.
6. Vers une didactique des langues minoritaires ?
Les ateliers en ville jouent un rôle fondamental en termes de statut et de
représentation sociale de la langue minoritaire. Cependant, comme le signale Mc
Ivor (2009) évoquant les travaux de Blair et al. (2002) et Hinton (2001) ces
dispositifs ne garantissent ni la maîtrise de la langue ni l‟apparition de néo-locuteurs
sur le terrain des langues dites en danger.
Il faut donc rechercher des dispositifs parallèles, à partir d‟autres expériences
didactiques, capables d‟ouvrir d‟autres voies à la transmission culturelle et
linguistique.
Nonnon (1999) souligne, en effet, combien une bonne maîtrise de la langue
favorise une clarté de pensée, et joue pour une meilleure intégration sociale. Ceci en
donnant aux apprenants la possibilité de devenir acteurs du processus de
revitalisation.
L‟identification des ressources mobilisées localement par les acteurs du
mouvement de revitalisation – tant formateurs qu‟apprenants – ainsi que celle des
difficultés qu‟ils rencontrent permettra de contribuer à la recherche d‟un nouveau
cadre de référence pour la « didactique des langues originaires » (Pérez, 2012).
Mes rencontres, dans un premier temps, avec les acteurs du mouvement de
revitalisation m‟ont permis de préciser plusieurs points utiles pour orienter des
pratiques spécifiques d‟enseignement: profil et motivations des apprenants et des
formateurs, puis formation de ces derniers. Je reviendrai sur ces données dans la
suite de mon étude.
Dans ma recherche d‟un cadre adapté à l‟enseignement/apprentissage d‟une
langue minoritaire comme le mapudungun, langue fortement liée aux aspects
identitaires, historiques, politiques et culturels, je me suis tournée vers les principes
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
182
d‟une didactique contextualisée (Blanchet et Chardenet, 2011; Blanchet, Moore et
Asselah Rahal, 2009; Castellotti et Moore, 2009, entre autres). Comme le signalent
Blanchet et Asselah Rahal (2009 : 10).
S‟interroger sur les contextes en didactiques des langues, c‟est développer une
didactique contextualisée. C‟est en somme envisager les phénomènes
didactiques non pas en eux-mêmes et pour eux-mêmes (encore faudrait-il
pouvoir les identifier ainsi de façon claire) mais comme participants à des
dynamiques humaines et sociales qui les engendrent et qu‟elles engendrent.
Castellotti et Moore (2009 : 214) précisent la complexité de ce contexte
multiforme :
Le contexte, en se (re)construisant historiquement, socio-politiquement,
discursivement et localement, comme un lieu de tension et un nouvel espace-
temps, polycentrique et polysitué, permet de repenser la didactique comme un
espace d‟action et de responsabilité politique et éthique pour nos sociétés
contemporaines construites dans la diversité et la complexité.
Cette approche théorique me semble pertinente par la prise en compte des
facteurs linguistiques, socioculturels et historiques127
auxquels on peut ajouter un
changement de paradigme dans la transmission de la langue : on passe d‟une
tradition orale (transmission familiale souvent à l‟intérieur d‟une communauté)
dépendant de contextes dits « informels » vers une autre forme d‟oralité, en partie
soumise à un enseignement « formel » (attaché à la place accordée à l‟écrit).
Ce changement paradigmatique accusant la dichotomie entre « tradition » et
« modernité », entre cadre d‟enseignement « informel » et « formel » est une constante
au moment de recourir à une didactique contextualisée.
Comme l‟explique Calvet (1984: 10), dans les sociétés occidentales, le savoir
d‟une langue se trouve, entre autres, dans les grammaires, les traités de stylistique,
les dictionnaires. Or, pour les sociétés de tradition orale ces éléments se retrouvent
plutôt à travers des jeux linguistiques, comme ceux proposés d‟abord aux enfants.
Cette parole se déploie dans des contextes ritualisés à travers la répétition, la
récitation, la choralité, et se réfère à une mémoire identitaire. De même, pour Goody
(1994 : 183), ce n‟est pas en écoutant des « instructions » que l‟on apprend, par
exemple, à tisser, mais en regardant faire et en imitant. Ainsi une activité est
intentionnelle dans la mesure où elle atteint un objectif fixé, mais sans intention de
« mémoriser ».
Sur notre terrain, l‟oralité se présente comme un défi à relever lors de la
principale attente des locuteurs : devenir néo-locuteurs de mapudungun.
127
Facteurs largement abordés dans la première partie de cette recherche.
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
183
Pour Nonnon (1999), les pratiques d‟enseignement de l‟oral n‟ont pas
forcément besoin de l‟intervention d‟un enseignant à la différence de l‟écrit, sauf
dans le cas d‟une langue dite menacée, où justement les pratiques orales sont en
train de disparaître. Dans ce cas, l‟enseignant doit exercer un rôle de facilitateur de
la parole et ne pas se contenter d‟enseigner seulement les normes et codes de
l‟écriture. Nonnon (1999) décrit l‟oralité du point de vue cognitif et signale la
nécessité de différencier les opérations cognitives dans ce processus. Dans
l‟enseignement scolaire la tendance est plutôt d‟expliquer ou de raconter, plutôt que
d‟argumenter, de justifier ou de dissuader, et moins encore de susciter des
questionnements ou d‟encourager les idées des apprenants.
De ce fait, si on part du principe que la « transmission » est aujourd‟hui
davantage liée à un contexte informel peu valorisé, et que « l‟enseignement » est
plutôt perçu dans un contexte formel valorisé par un statut supérieur, on pourrait
aussi réfléchir à une « didactique de la transmission ».
Devant la question : comment transmettre la langue ? Calvet (1984) propose
trois « méthodes actives » qui émanent des sociétés de tradition orale. La première
évoque une linguistique intuitive, où les activités reposent sur l‟analyse fine de la
langue et de la tradition orale en elle-même, la seconde une linguistique appliquée
où les activités ont une fonction ludique et la troisième qui repose sur la forme
d’éducation des sociétés de tradition orale.
Des pistes précieuses au moment de réfléchir à des propositions didactiques
qui puissent offrir de nouvelles voies à l‟enseignement d‟une langue originaire –
dans un contexte urbain, pour des adultes – avec un but de revitalisation
linguistique, donc recentrées sur une didactique de l‟oral.
6.1 Vers des situations « réelles »
à travers des activités « encadrées »
L‟importance d‟une transmission linguistique accompagnée d‟une
transmission d‟un savoir-faire reste difficile à saisir dans un contexte urbain, et
d‟autant plus, comme le signale Fishman (1999 :39), que la transmission
linguistique doit être accompagnée d‟une transmission des savoir-faire ancestraux :
Revitalizing the language necessarily involves giving new attention and respect
to ancestral knowledge and ancestral lifeways, and this is a reconnection that
ethnic populations are often in search of. The language-learning programs
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
184
typically have a major cultural component, and in fact they seem to work best
when they are linked to a more general cultural revitalization effort128
.
Cependant, ce respect des connaissances ancestrales est difficile à amener
dans le cadre urbain d‟une université, et d‟une salle de classe. Cette situation oblige
à envisager des activités à forte charge culturelle appuyées sur des situations de vie
réelles, voire traditionnelles, sans tomber dans l‟exotisme de certains clichés, ou
dans certains à priori.
Bien évidemment, les propositions didactiques en contexte d‟immersion
permettent de se confronter à de nouvelles situations très riches au niveau
linguistique, culturel et identitaire. Dorénavant, comme le signalent Castellotti et
Moore (2009 :212) :
Il ne s‟agit donc sans doute pas de s‟interroger uniquement sur la pluralité (des
« langues », des « cultures », des « identités » conçues comme des ensembles
relativement fixes), mais aussi et surtout d‟imaginer et de réinventer une
didactique de la diversité et de l‟hétérogénéité, du mouvant et du composite, du
paradoxe et de la différence.
Les apprenants en ville, par le biais des ateliers de langue, n‟ont pas
d‟expérience empirique des modes de vie traditionnels mapuche. Leur accès à la
langue passe par l‟écriture, la lecture de documents, la consultation de grammaires et
de manuels. Les interactions orales se font souvent seulement avec leur formateur ou
parfois quelques locuteurs qu‟ils connaissent en ville. Cependant, ces données sont-
elles suffisantes pour permettre une maîtrise de la langue ?
Comme le signale Abdallah-Pretceille (2004 : 100), tout apprentissage
linguistique doit développer de multiples compétences :
Rencontrer autrui, ce n‟est pas seulement utiliser « ses mots ». Au-delà du
linguistique, il est nécessaire de développer d‟autres compétences : aptitude à
l‟empathie, à la communication, à la négociation intergroupale (…),
compétences sans lesquelles tout apprentissage linguistique risque d‟être réduit
à une mécanique.
Pour l‟élaboration des propositions didactiques nous sommes donc amenés à
réfléchir sur les différences, inattendues mais bien tangibles, de la perception des
différents acteurs de l‟expérience didactique. Nous devons aussi prendre en compte
128 Ma traduction: « La revitalisation de la langue implique nécessairement une nouvelle attention et
un respect de la connaissance ancestrale et des façons de vivre, ceci est une « reconnexion » souvent
recherchée par les populations ethniques. Les programmes d‟apprentissage des langues ont
typiquement un composant culturel majeur et, en fait, ils semblent mieux fonctionner lorsqu‟ils sont
liés à un effort de revitalisation culturel plus général ».
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
185
la dichotomie ou le continuum entre la vie mapuche rurale et urbaine, les relations
intergénérationnelles, les rapports d‟âge ou de genre, tout en cherchant à développer
des compétences communicatives.
Dans le contexte d‟une langue minoritaire, il semble impératif de créer des
situations dites « artificielles » pour redonner à la langue des espaces où elle soit
associée à un contexte social défini et pour qu‟elles deviennent des situations
« réelles », mais encadrées. La présence et le rôle des locuteurs sont fondamentaux
pour ce type d‟activité. Sans leur motivation pour la transmission de leur savoir et de
leur culture, la démarche reste stérile.
6.2 L’immersion linguistique, une proposition
contextualisée
Lors de mes enquêtes de terrain les apprenants interviewés signalent à
plusieurs reprises l‟importance de la transmission de l‟oral à travers des situations
quotidiennes. Souvent, dans la cosmovision mapuche – comme d‟ailleurs pour
d‟autres peuples originaires – les personnes âgées sont les seuls médiateurs légitimes
pour transmettre le savoir-faire ancestral aux plus jeunes. Il ne s‟agit pas seulement
d‟un apprentissage de la langue, mais de partager une cosmovision, un savoir-faire,
un savoir-vivre et d‟acquérir ainsi une légitimité en tant qu‟individu, en devenant
« che » (personne). Une perspective analysée par des auteurs comme Quilaqueo et
al. (2012a : 274) :
La société mapuche possède une culture portée par la tradition orale, les kimche
et les membres plus âgés du lof che (communauté) occupent un lieu privilégié,
parce que ce sont eux qui connaissent la façon d‟enseigner la langue aux
nouvelles générations. Dans une telle fonction, tant la mémoire sociale que la
mémoire individuelle jouent un rôle fondamental. Cette mémoire s‟exprime
grâce au recours à diverses expressions qui permettent de transmettre la langue
en respectant certaines attitudes et procédures de transmission des
connaissances et du savoir véhiculées par le mapunzugun.
Pour ces auteurs, la tradition orale est intrinsèquement liée à une culture et à
une cosmovision qui doit être connue des apprenants. L‟acte de l‟écoute fait lui-
même partie d‟un contenu culturel qui reflète le respect envers les aînés et la relation
avec les autres. Les enfants apprennent la langue tout en acquérant des savoirs de
type culturel et social qui leur permettront d‟accéder à la compréhension de leur
environnement. De même, dans la culture mapuche, l‟oralité est présente dans la
structure sociopolitique à travers les discours et les savoirs des autorités
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
186
traditionnelles, comme celle du kimche, agent de transmission de savoirs, de normes
et de règles (Quilaqueo et Quintriqueo, 2007, 2012a et 2012b).
Ces auteurs confirment l‟importance de la communication orale comme
facteur clef pour la restauration du mapudungun dans les contextes informels et
formels.
A partir du profil des apprenants de mapudungun avec lesquels j‟ai travaillé
(jeunes adultes) – futurs acteurs potentiels d‟une redynamisation de la transmission
intergénérationnelle – j‟ai voulu développer certaines stratégies didactiques pour
mieux tenir compte du rôle important de la famille et de la communauté dans la
transmission linguistique.
D‟ailleurs – et comme le signale Aravena (2007b : 51) – historiquement le
mapudungun a été une langue exclusive de transmission familiale entourée d‟un
contexte de négation sociale :
La familia es la fuente de transmisión de este saber, de la lengua, de las
prácticas y de las costumbres. Especialmente el mapudungun, ha sido
histñricamente transmitido en el “cuadro” de la familia, en la medida en que al
igual que la cultura no han existido fuentes alternativas de aprendizaje, de
socialización o de estudio de los mismos fuera de esta familia. Al contrario, el
contexto exterior ha sido negador, y por eso la memoria de las familias se ha
convertido por excelencia en el lugar de refugio de la cultura mapuche129
.
Actuellement, il semblerait que les politiques publiques offrent ces
alternatives d‟apprentissage et de socialisation à travers des programmes comme
l‟éducation interculturelle bilingue. Cependant, les contextes familiaux et/ou
communautaires ne sont pas du tout pris en compte comme un milieu valide
d‟enseignement.
C‟est ici que la « didactique des bergers » selon les termes de Petit (2001),
prend tout son sens : l‟instrumentalisation d‟une langue « bonne à tout faire » pour
mieux saisir les nuances sociales et culturelles (Petit, 2001 : 83), en privilégiant une
familiarisation avec les stratégies en acquisition naturelle et les techniques de
transmission.
129 Ma traduction : « La famille est la source de transmission de ce savoir, de la langue, des pratiques
et des coutumes. Spécialement le mapudungun, a été historiquement transmis dans le « cadre » de la
famille, dans la mesure où, à l‟égal de la culture, il n‟y a pas eu de sources alternatives
d‟apprentissage, de socialisation ou d‟étude de ceux-ci en dehors de cette famille. Au contraire, le
contexte extérieur a été négateur, et pour cela la mémoire des familles est devenue par excellence le
lieu de refuge de la culture mapuche ».
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
187
Cela répondrait aux demandes des apprenants par une contextualisation de
l‟enseignement dans un milieu proche de la « tradition » mapuche. Le caractère
intergénérationnel des rencontres résonnerait ainsi avec des valeurs chères à la
communauté, tout en répondant aux attentes exprimées par les étudiants.
Un aspect particulier de la cosmovision mapuche vient, par exemple, éclairer
notre propos : dans la vision du monde mapuche, la famille est symbolisée dans la
divinité suprême par un couple d‟anciens et un couple de jeunes. Kallfüwenu ülcha
domo – la jeune femme sacrée – et de kallfüwenu weche wentru – le jeune homme
sacré – ont eu besoin de kalfüwenu kusha – l‟ancienne femme sacrée – et kalfüwenu
füsha – l‟ancien homme sacré – pour ré-apprendre le savoir-faire ancestral perdu
après le déluge. Ce lien étroit entre anciens et jeunes à travers la transmission orale a
permis de repeupler le wallmapu et assuré la survie du peuple mapuche pendant des
siècles, toujours en suivant les ngülam (conseils) et les savoirs des ancêtres. En ce
sens, les activités liées à la famille et à la vision du monde mapuche sont au cœur
des revendications identitaires, à l‟intérieur du processus d‟enseignement de la
langue et du maintien de la culture, comme l‟indiquent à propos Caro et Tereucán
(2006 : 2):
Se dice que esta familia mapuche se ha reproducido en cada familia mapuche, a
los ancianos y ancianas les corresponde una posición de privilegio y los
jóvenes representan las nuevas generaciones. Los primeros alimentan con su
sabiduría a los jóvenes para que ellos construyan lo cotidiano y lo futuro, son
los encargados de fecundar y mantener las tradiciones130
.
Comme le signalent Quilaqueo et al. (2012) l‟apprentissage d‟une langue est
lié à un espace, à un contexte linguistique et culturel, et pour le mapudungun ce
cadre est historiquement lié à celui de la famille et de la communauté.
La rencontre entre les locuteurs traditionnels de mapudungun et les
apprenants peut ainsi conduire à de nouvelles perspectives. Ce partage entre les
locuteurs traditionnels de mapudungun (les aînés des communautés) et les
apprenants ouvre de nouvelles perspectives pédagogiques.
Les échanges intergénérationnels, à travers la transmission orale,
l‟accompagnement et l‟analyse de cette expérience vont donner un nouvel éclairage
à ma recherche.
130
Ma traduction: « On dit que cette famille s‟est reproduite dans chaque famille mapuche, les aïeux
et les aïeules ont une position privilégiée et les jeunes représentent les nouvelles générations. Les
premiers aident de leur sagesse les jeunes pour qu‟ils construisent le quotidien et le futur, ils sont
chargés de féconder et de maintenir les traditions ».
Chapitre VI. Enseignement/apprentissage d’une langue minoritaire
188
Cet ancrage dans une réalité vécue par toutes les parties, apprenants,
locuteurs traditionnels, et chercheur – moi-même – enrichit en premier lieu ma
réflexion dans le sens de solutions concrètes, réellement adaptées aux besoins des
participants. Il faut, en effet coller à ces besoins.
D‟autre part, les analyses du contexte conduites dans ce chapitre amènent à
réfléchir à une planification (et plus précisément à une « invention » de modalités
spécifiques), pour les adultes – souvent urbains – d‟une langue minoritaire fortement
redevable du mouvement de ré-ethnification.
Si, dans les données à retenir, la lutte politique et territoriale est d‟abord
apparue au cœur du débat, depuis ces dix dernières années la relation « langue et
identité » inscrit dans le champ social les problèmes de
l‟enseignement/apprentissage.
Comme je l‟ai déjà souligné, l‟adaptation des dispositifs didactiques aux
attentes des intéressés apparaît comme une urgente nécessité. La maîtrise de la
langue (qui suppose l‟intérêt premier de l‟oralité) est une voie pour permettre aux
apprenants de devenir des acteurs sociaux de la revitalisation.
L‟expérience d‟immersion linguistique décrite dans le chapitre suivant
constitue, sans doute, une des pistes susceptibles d‟apporter des éléments de réponse
au débat de la planification de l‟enseignement du mapudungun dans le cadre d‟une
didactique contextualisée.
Chapitre VII
Une expérience immersive
au cœur du territoire mapuche
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
191
Ce chapitre décrit une expérience d‟immersion linguistique. Tout d‟abord :
que doit-on entendre par immersion linguistique, en particulier par rapport à la
submersion linguistique ?
J‟évoquerai différentes approches de ce phénomène d‟immersion dans le
cadre plus large d‟une recherche de revitalisation linguistique, et ceci durant les
quatre dernières années, à partir d‟exemples situés loin de la sphère géographique de
cette étude, ce phénomène étant, en bonne partie, mondialisé.
Après une description des dispositifs didactiques de cette recherche,
j‟évoquerai les activités proposées et les pistes à suivre dans un contexte particulier
et très prégnant de revitalisation. Se posent alors les questions des apports de ce type
de dispositif dans le domaine de la planification, des paradigmes autour d‟une
langue entre tradition et innovation et l‟usage de technologies modernes.
Ces réflexions m‟amèneront à tenter de qualifier les difficultés et les enjeux
de ce type d‟enseignement, tant pour les apprenants, néo-locuteurs, que pour les
éducateurs, locuteurs traditionnels.
Nous tenterons enfin de juger de la pertinence de l‟ensemble du dispositif
d‟immersion mis en place, dans le contexte des langues dites en danger, avec une
mention particulière pour les échanges intergénérationnels et interculturels.
1. Immersion linguistique : premiers éléments de
définition
L‟expression « immersion linguistique » émerge dans les années 60 au
Québec pour désigner les programmes dans lesquels des groupes de jeunes enfants
majoritairement anglophones sont scolarisés en langue française (Lambert et Tucker,
1972 ; Rebuffot, 1993).
L'expérience mise en œuvre à l‟école de Saint-Lambert – et amplement
étudiée par Lambert et Tucker (1972) – se caractérisait, en effet, par le fait que de
jeunes enfants, pour la plupart anglophones, apprenaient le français à partir des
diverses matières scolaires, telles que les mathématiques ou l‟histoire. En termes
pratiques, l‟immersion selon Bouillon et Descamps (2011 : 10) consiste à :
Organiser une activité (ou des activités) qui se déroule(nt) complètement en
langue étrangère pour mettre les apprenants en contact direct avec la langue
telle qu‟elle est pratiquée naturellement dans le domaine (ou les domaines)
enseigné(s).
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
192
A la suite de Bouillon et Descamps (2011), on peut aussi envisager ce type
de dispositif à l‟aune de la fameuse distinction établie par Krashen et Terrel (1983)
entre « apprentissage » et « acquisition » des langues131
.
Selon Rebuffot, l‟immersion renvoie encore à l‟action de « plonger » dans la
langue132
et de cette manière le terme désigne une situation particulière où l‟on
prétend « rapprocher la pédagogie de la langue seconde de celle de la langue
maternelle133
» (Rebuffot, 1993 : 52).
Pour sa part, Jean Petit (2001 : 81) signale que les réflexions didactiques à
propos de ce type de démarche pédagogique se situent nécessairement dans une
relation dialectique permanente entre théorie et pratique :
Compte tenu du caractère novateur de l‟immersion, une didactique qui s‟y
rattache se trouve par nature en va-et-vient permanent entre la démarche
pratique et la réflexion théorique.
Comme le signale enfin Briquet (2006 : 15), à travers l‟immersion
linguistique les apprenants acquièrent non seulement la langue cible, mais aussi les
dimensions culturelles qui lui sont associées :
La pratique immersive est évidemment la situation idéale pour pouvoir intégrer
à l‟apprentissage de la langue l‟aspect culturel qui lui est indissociable. (…) En
effet, connaître une autre langue, c‟est aussi apprendre à connaître et apprécier
les gens qui la parlent, leurs coutumes, leur manière de vivre et de penser, leur
histoire, leur pays.
Ces caractéristiques s‟avèrent être des éléments-clé dans le contexte d‟une
langue minoritaire où les aspects culturels sont revendiqués comme une partie
importante de la maîtrise de la langue. De ce fait, certains concepts ne peuvent être
compris que dans leur contexte d‟interaction culturelle avec la communauté
linguistique.
Des auteurs comme Bouillon et Descamps (2011) ou Idiazabal et Dolz
(2010) soulignent la nécessité de distinguer « submersion » et « immersion ». En
131
« L‟acquisition se fait par contact linguistique : l‟apprenant décode les messages et enregistre les
nouveaux éléments. Ceux-ci entrent dans sa faculté de compréhension et en accroissent le potentiel
pour servir lors de la prochaine rencontre. Un effet optimal est atteint lorsque l‟exposition à la
nouvelle langue se fait par un niveau n+1 à chaque reprise (« input hypothèse ») ». (Bouillon et
Descamps, 2011 : 15).
132 Le terme « immersion » dériverait de l‟expression « bain linguistique » utilisée par les parents de
l‟école de Saint-Lambert.
133 Dans cette définition il faut entendre « langue maternelle » selon la notion krashenienne d‟une
langue qui s‟intègre au répertoire d‟un locuteur par « acquisition » versus « apprentissage ».
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
193
effet, dans la « submersion » le bilinguisme ne se présente pas comme un objectif en
soi, mais au contraire comme « un problème » pour la scolarisation. Dans ce
système, les langues d‟origine sont ignorées ou méprisées. C‟est le cas le plus
souvent pour les communautés linguistiques minorisées où la langue de l‟école – la
langue officielle – supplante la ou les langues d‟origine de l‟apprenant. Pour
Bouillon et Descamps (2001), le concept de submersion pourrait être aussi
applicable à l‟expérience linguistique, à un individu se trouvant seul dans un milieu
allophone et qui finit par s‟adapter et adopter la langue majoritaire pour « survivre »,
sans que ce soit un processus encadré par un système éducatif.
Dans le contexte mapuche, ces deux types de submersion ont été vécus par
les populations, soit à travers le modèle de scolarisation mis en place dans les
communautés, soit par le processus de migration vers la capitale du Chili où les
locuteurs de mapudungun ont adopté rapidement le castillan pour s‟adapter à la
société chilienne hispanophone.
Pour Idiazabal et Dolz (2010), le concept « d‟immersion » réfère, lui, aux
dispositifs didactiques proprement dits, où le bilinguisme est visé comme un objectif
tant à l‟oral qu‟à l‟écrit. Le système d‟immersion ne prétend pas supprimer la langue
1 de l‟apprenant pour lui substituer la langue 2. Au contraire, le bilinguisme est
perçu comme un phénomène additif inséré dans un contexte social plus large où
interagissent le projet éducatif, la participation des parents, le prestige social, entre
autres. La littérature didactique distingue différents modèles immersifs, que nous
allons maintenant évoquer.
2. Les modèles immersifs : un tour d‟horizon
rapide
Pour Rebuffot (1993 : 9), la mise en place de l‟immersion au Québec
(l‟enseignement du français à travers des programmes d‟immersion) est le résultat
d‟un contexte historique et d‟un climat social où la diglossie avantage l‟anglais au
détriment du français :
Les débuts de l‟enseignement du français par immersion au Québec semblent,
par conséquent, résulter d‟un contexte historique marqué par les acquis
politiques, économiques et sociaux.
À partir des années 70, le concept d‟immersion est soutenu par les autorités
fédérales qui étendent l‟expérience à d‟autres provinces du Canada. Actuellement,
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
194
ces programmes font partie de la politique linguistique du pays. Dans le contexte
canadien, des distinctions entre ces programmes ont été établies en fonction de deux
principaux critères :
– l‟âge auquel l‟apprenant commence son apprentissage ;
– la durée de l‟enseignement/apprentissage par immersion.
Par rapport au premier critère de l‟âge, Baker (2001 : 205) distingue
l‟immersion précoce (l‟enseignement commence vers l‟âge de 5 ans qui correspond
à la première année d‟école maternelle), l’immersion moyenne (vers 9–10 ans) et
l’immersion tardive qui, elle, commence avec l‟enseignement secondaire. Une
dernière variante, moins courante, est l‟immersion adulte ou post-secondaire. Cette
dernière correspond au modèle mis en œuvre dans notre expérience.
Si l‟on considère à présent le second critère de la durée, deux modèles sont
en général distingués : d‟une part les programmes dits d‟immersion totale qui visent
l‟intégralité des enseignements dans la langue cible et, d‟autre part, l‟immersion
partielle où la langue cible occupe environ 50% du temps134
. Ces derniers modèles
se caractérisent par des séances régulières au cours d'une période courte, comme
dans le cas des stages intensifs ou des séjours linguistiques, qui correspondent
également à l‟expérience conduite à Curaco-Ranquil.
Si ce type d‟expérimentation demeure relativement rare par rapport à ceux
qui ciblent des publics scolaires, on repère néanmoins quelques cas intéressants d‟un
point de vue didactique dans d‟autres terrains de revitalisation.
Nous nous intéresserons davantage dans le point qui suit à ceux qui
concernent l‟acquisition d‟une langue dont le maintien et la transmission ne sont
plus assurés au sein de la famille.
3. Immersion et revitalisation: quelques précédents
dans le contexte des langues minoritaires
Les modèles d‟immersion dans ce contexte s‟inspirent de la méthode –
célèbre aux Etats-Unis – Total Physical Response (TPR) développée par James
134 D‟autres modèles d‟immersion partielle existent, qui dédient entre 15% et 50% du temps de la
classe à la langue cible, comme par exemple le modèle FLES (Content-based foreign languages in
elementary schools), le modèle FLEX (Foreign Language Experience) ou les dispositifs français des
disciplines dites « non linguistiques » (DNL – par ex. l‟enseignement de l‟histoire en allemand, en
anglais ou en espagnol).
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
195
Asher (1966, 1969, 2000). Elle s‟appuie, comme toute autre méthode immersive, sur
la théorie de l‟« input compréhensible » de Krashen (1981, 1982, 1993, 2003) qui
repose, entre autres, sur le caractère premier de la « compréhension » par rapport à
celui de la production. Ainsi, cette expérience immersive est plus proche de ce que
l‟on conçoit comme une « approche naturelle » (Krashen, 1983).
Le modèle TPR accorde une grande importance à l‟oral, incitant le
formateur à donner des instructions pour les actions physiques que les apprenants
doivent réaliser. Grenoble et Whaley (2006 : 63), à propos de l‟expérience de Hinton
(2002), soulignent l‟intérêt de l‟immersion dans les projets de revitalisation135
:
This program has been very successful to date in doing what it was established
to do: it provides a new kind of transmission mechanism for languages with
very few remaining speakers. In training a new cadre of adult speakers, it has
kept these languages from permanent oblivion136
.
De même, pour Baker (2001 : 194), l‟immersion représente l‟une des voies
les plus prometteuses pour atteindre, dans des contextes diglossiques un haut niveau
de bilinguisme. Par contexte diglossique on entend le rapport conflictuel au niveau
de la société entre une langue dominée – qui essaye de récupérer ses droits et usages
– et une langue dominante – qui cherche à se substituer à la langue plus faible.
En Europe, les programmes d‟immersion ont commencé à voir le jour dans
les années 70, en relation avec des politiques linguistiques en faveur du maintien de
langues minoritaires et dans le but de former des locuteurs compétents.
3.1 Revitalisation des langues régionales en Europe
Jean Petit (2001 : 69) rappelle que des expériences immersives ont été
initiées en France dans le cadre du renouveau des langues régionales. Ces initiatives,
d‟abord familiales et associatives militantes, ont débouché sur la création d‟écoles
destinées à revitaliser les langues régionales.
135
Grenoble et Whaley (2006 : 24) soulignent aussi que la mise en place de programmes immersifs
permet d‟encourager des modèles d‟auto-gouvernance et de contrôle des communautés sur leurs
langues et leurs cultures, permettant ainsi, pour certaines, de devenir officielles dans leurs territoires,
comme c‟est, par exemple, le cas des Chipewyan, des Cree ou des Inuktitut, entre autres.
136 Ma traduction: « Ce programme a été très fructueux jusqu‟à présent pour ce qu‟il avait prévu de
réaliser : il fournit une nouvelle sorte de mécanisme de transmission des langues avec très peu de
locuteurs. En créant un nouveau cadre pour des locuteurs adultes il est possible de conserver ces
langues destinées à l‟oubli ».
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
196
En 1976, des Catalans créent les écoles bressola (berceau). En 1977,
s‟ouvrent les premières écoles bretonnes diwan et, en 1979, las calandretas pour
l‟occitan. Mais on peut considérer que la pionnière en la matière est l‟association
basque seaska (berceau), responsable de l‟ouverture dès 1969 de la première
ikastola pour un public scolaire. Quelques années plus tard, ces expériences
d‟immersion s‟élargissent à un public adulte à travers les barnetegi137
(internats
linguistiques).
Les liens étroits entre le mouvement basque et le mouvement de ré-
ethnification mapuche ont été soulignés dans la première partie de mon travail. Au
sein de notre équipe, l‟admiration suscitée par les résultats des internats linguistiques
au Pays basque a amplement pesé, comme on le verra, sur les choix didactiques
opérés dans la conception du séjour immersif. D‟autres programmes d‟immersion
pour la revitalisation des langues dites autochtones ont inspiré cette expérience. Le
point suivant en rend brièvement compte.
3.2 Expériences immersives en langues dites
autochtones
Dans la bibliographie anglophone on peut trouver la trace des premières
expériences en Océanie dans les années quatre-vingts ; c‟est le cas de Te Köhanga
Reo (nids des langues) (1981) de la langue maori en Nouvelle Zélande et du
hawaiien (Mc Carty et al., 2008 : 304).
Citons aussi les programmes développés en Amérique du nord comme le
Cree Way Project au Québec, le Hualapai en Arizona (Stiles, 1997), le Master-
Apprentice Language Learning Program développé en Californie pour différentes
langues issues des First Nations (Hinton, 2002) ou du modèle two-way/dual
language (Perez, 2004).
Toutes ces initiatives apparaissent novatrices, mais surtout, comme le
signalent Mc Carty et al. (2008 : 307), elles inspirent d‟autres terrains:
Even for languages with few or no native speakers, something can be done, as
demonstrated by the inspiring work of Native American communities who are
resurrecting ancestral languages from archival documents, or the master-
apprentice teams of Native speakers and language learners who live, work, and
137 Le terme signifie « intérieur » en euskara.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
197
communicate in everyday activities over months and years, always in the
Indigenous language138.
.
En Amérique latine, l‟une des expériences les plus significatives dans ce
domaine est celle des « nidos de lenguas », qui reprend au Mexique le modèle maorí
(Meyer et Maldonado, 2010 ; Meyer et Soberanes, 2009). Cette expérience
immersive instaurée à partir de 2008 dans les communautés de l‟état d‟Oaxaca vise
davantage la transmission linguistique familiale pour des enfants en bas âge. Dans
ces nidos de lenguas, la communauté, et principalement la famille, vont développer
des stratégies de récupération linguistique pour maintenir la langue et la transmettre
aux jeunes enfants.
Dans le contexte mapuche, une première expérience d‟immersion a lieu en
2009 à Puerto Saavedra, village côtier de la région de l‟Araucanie. Cette expérience
est organisée par des enseignantes mapuche engagées dans la revitalisation
linguistique et par des membres de la communauté lafkenche du secteur (cf.
Caniguan et Carilao, in Cayuqueo, 2010).
Les démarches de Hinton (2006), ainsi que les expériences de revitalisation
des langues originaires au Mexique théorisées par Meyer et Soberanes (2009), à
travers le dispositif nido de lenguas sont reconnues – surtout pour leur intérêt au
niveau psycholinguistique ; elles visent une approche cherchant à rééquilibrer le
fonctionnement de la langue au niveau sociétal, même si c‟est d‟une manière
restreinte ou « artificielle ». La langue est reprise par les locuteurs dans les espaces
familiaux intimes, mais en l‟insérant dans un contexte plus ample de communauté,
elle sert à communiquer et elle se développe dans les échanges sociaux.
Ainsi la transmission intergénérationnelle et intragénérationnelle de la langue
se repositionne socialement – même à petite échelle – en jouant un rôle principal
dans la récupération de la loyauté linguistique des locuteurs et dans l‟inversion du
processus de discrimination ethnique négative.
138 Ma traduction: « Même dans le cas des langues avec peu ou pas de locuteurs natifs, on peut faire
quelque chose, comme le démontre le travail inspirant des communautés d‟Indiens d‟Amérique qui
ressuscitent des langues héréditaires à partir de documents d‟archive, ou les équipes de Maître-
apprenti entre locuteurs natifs et étudiants de langues qui vivent, travaillent et communiquent dans
des activités domestiques journalières pendant des mois et des années, toujours en langue indigène ».
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
198
3.3 Apprendre en immersion…
à quelles conditions?
Bien que le travail de Petit (2001) sur la didactique de l‟immersion se
focalise principalement sur les expériences en milieu scolaire, les aspects théoriques
développés dans son ouvrage éclairent, selon moi, les principaux enjeux de ce type
de dispositif. A partir de l‟évaluation d‟expériences d‟immersion en alsacien, ce
psycholinguiste et pédagogue propose un « répertoire » des situations susceptibles
de favoriser la réussite de ce qu‟il appelle la « didactique des bergers » (Petit, 2001 :
81-122). Parmi ces conditions, il est important de noter celles qui permettent une
relation directe entre l‟apprenant et le milieu dans lequel se situe l‟expérience, la
précocité du démarrage de l‟expérience, l‟importance et l‟intensité du contact
linguistique (en particulier avec les « locuteurs natifs »), et la prise en compte des
facteurs affectifs.
Mais le travail le plus remarquable réalisé par Petit (2001) est le repérage des
conditions particulières à l‟enseignement d‟une langue en immersion, et la définition
des différents facteurs qui jouent dans ce type de dispositif. Comme l‟indique, de
son côté, Calvé (in Gajo, 2001), dans cette pratique la principale pénurie reste « la
ressource humaine de formateurs ».
En effet, et comme l‟analyse encore Petit (2001), la réussite d‟un dispositif
immersif dépend énormément des compétences de l‟éducateur et de sa connaissance
des stratégies d‟acquisition « naturelle », comme le principe de motherese139
, de rote
learning140
, l‟instrumentalisation de la langue, le passage de relais (donner la parole
à un tiers pour permettre aux apprenants d‟écouter et de s‟exprimer davantage) ou le
traitement de ce qu‟il appelle les « déviances acquisitionnelles » en évitant la
correction immédiate et en privilégiant le modeling et l’expanding141
.
139 Ou principe de « sursollicitation ». Il se caractérise par la sur-articulation des phonèmes, la sur-
accentuation des syllabes toniques, le renforcement des schèmes intonatifs, la lenteur du débit, un
vocabulaire sans termes abstraits et l‟usage de diminutifs à charge affective. Il ne s‟agit pas de
simplifier la morphosyntaxe mais d‟éviter les structures trop complexes. Le motherese respecte
parfaitement la norme et en général est plus normé que le langage parlé couramment.
140 Il ne faut pas confondre cette technique avec la mémorisation d‟une règle. Dans ce type
d‟acquisition, la tendance est à apprendre, à assimiler les formes et les fonctions comme, par
exemple, à travers des comptines, chants, poèmes ou dictons qui favorisent l‟augmentation du
vocabulaire actif, l‟assimilation des structures, l‟automatisation des schèmes accentuels et la fixation
du savoir.
141 Le formateur utilise la forme normée, évitant une attitude corrective qui pourrait exercer un effet
de frein. À la suite de l‟attitude de modeling on trouve l‟attitude d‟expanding, qui consiste en la
reproduction des énoncés déviants face à l‟énoncé normé, à travers leur juxtaposition.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
199
Les approches théorico-pratiques visées par Petit (2001) offrent des pistes à
considérer pour, d‟une part définir les enjeux qui pourraient complexifier la mise en
place d‟une expérience immersive, et d‟autre part, elles montrent les facteurs-clé à
développer pour la réussite de ce dispositif. Je reviendrai sur ces facteurs lors des
analyses sur l‟expérience d‟immersion réalisée dans la communauté mapuche de
Curaco-Ranquil décrite par la suite.
4. Kewünruka, « la maison de la langue » :
vers un modèle immersif en mapudungun
Le projet d‟immersion linguistique concernant directement ma recherche
prend forme avec l‟équipe de formateurs des ateliers de mapudungun en ville
pendant le premier trimestre de l‟année universitaire 2012 et répond à un désir
partagé de retrouver un territoire ancestral et de « vivre » en mapudungun pendant
quelques jours.
En collaboration étroite avec une des membres de l‟équipe, nous nous
sommes consacrées à la mise en place intégrale du dispositif. Tant du point de vue
pédagogique (activités, participation de locuteurs et apprenants) que de la gestion
(logement, transport, intendance). Cette expérience a finalement été baptisée par
l‟équipe comme le projet Kewünruka, que l‟on peut traduire par « la maison de la
langue ».
Avant de décrire le déroulement de cette expérience, j‟exposerai certaines
caractéristiques de choix du terrain. Puis j‟analyserai les résultats obtenus et
proposerai quelques pistes de prolongement.
4.1 Curaco-Ranquil : bref aperçu d’une
communauté mapuche rurale
La communauté mapuche de Curaco-Ranquil, signalée sur la carte 5ci-après
par une étoile rouge, se situe dans la commune de Galvarino dans la région de
l‟Araucanie, à environ 60 kilomètres au nord-ouest de sa capitale, Temuco, 700
kilomètres au sud de Santiago. Selon le recensement de 2002, Galvarino compte
environ 12 600 habitants, dont 59% s‟auto-définissent comme Mapuche, un des
taux les plus élevés du Chili.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
200
Carte 5 : situation géographique de Curaco-Ranquil.
Source © : Atlas géographique du Chili.
4.1.1 Economie locale et aménagement territorial
La communauté mapuche de Curaco-Ranquil compte environ 300 habitants.
Sa principale ressource économique est l‟agriculture de subsistance et l‟élevage
d'animaux (Hasler, 2012: 114). Les familles cultivent principalement du blé sur de
petites parcelles, et pratiquent le maraîchage. Elles vendent leurs produits sur les
marchés des communes proches. Comme cela est courant dans les communautés
mapuche traditionnelles, l'exode rural est un phénomène très présent. Il touche
surtout les jeunes qui émigrent vers les villes pour leurs études ou le travail. De ce
fait, à l‟intérieur de la communauté, la plupart des habitants sont des seniors.
Les services publics, comme l‟école et le dispensaire, se trouvent
relativement près les uns des autres, mais il ne faut pas imaginer un bourg central
avec un aménagement à l‟européenne, mais plutôt deux bâtiments à côté d‟un
chemin de terre au milieu des champs. Cette communauté est divisée en parcelles
familiales éparpillées sur un territoire de plusieurs hectares, les maisons se trouvent
souvent à l‟intérieur des terrains cultivables.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
201
Figure 11 : vue panoramique de la communauté Curaco-Ranquil.
Source © : A.Vergara, juillet 2012.
4.1.2 Accès et services publics
Malgré la proximité de l‟autoroute principale du pays (autoroute 5 sud),
l‟accès à la communauté n‟est pas aisé, à cause du mauvais état des routes et de la
quasi inexistence des transports en commun. Comme cela est prévisible, les
habitants limitent donc leurs trajets en dehors de la communauté. Pour se rendre à
Curaco-Ranquil depuis Temuco, il faut prendre un autobus en direction de
Galvarino, sur la seule route goudronnée et marcher environ une heure depuis l‟arrêt
le plus proche. Entre Curaco-Ranquil et Temuco il n‟y a qu‟un seul autobus qui fait
l‟aller à 7 heures du matin et le retour vers 9 heures du soir. La communauté est
traversée par une piste de terre qui joint deux villes du secteur assez importantes,
mais cette route n‟est pas empruntée à cause de son mauvais état.
Dans cette communauté, l‟école publique a été installée en 1960.
Actuellement, elle propose les niveaux préscolaire et primaire, et depuis 2008 on y
enseigne le mapudungun comme langue seconde. Pour poursuivre leurs études au
lycée, les jeunes doivent partir en ville où ils peuvent être hébergés dans des
internats indigènes. À la suite de la migration des jeunes – hommes et femmes –,
cette communauté subit une importante baisse de la natalité et, de ce fait, une grande
diminution du nombre d‟enfants inscrits à l‟école, avec le risque permanent d‟une
fermeture définitive.
Tous ces renseignements montrent – en synthèse – l‟isolement de cette
communauté et peuvent également expliquer la vitalité du mapudungun dans la vie
quotidienne des locuteurs.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
202
En outre, l‟électricité n‟a été installée à Curaco-Ranquil qu‟au cours de
l‟année 2003. Jusque-là, le contact avec la langue dominante à travers les médias
était plus que restreint.
4.1.3 Accès aux nouvelles technologies
L‟arrivée de l‟électricité marque ainsi de grandes mutations pour les
habitants de cette communauté. Comme le signale Muñoz Cruz (1998 : 163), les
technologies de la communication et de l'information influencent énormément les
communautés et déclenchent des changements sociolinguistiques très importants.
Aujourd‟hui, les enfants commencent très tôt à avoir accès à la télévision,
contrairement aux grands-parents qui possédaient exceptionnellement une radio à
piles pour écouter les informations, ceci limitant également le contact avec la langue
dominante.
De même, l‟arrivée de l‟électricité produit à la campagne un changement
dans les tâches associées au travail et à la vie domestique. L‟accès aux nouvelles
technologies de communication, comme l‟ordinateur ou le téléphone portable,
bouleverse les habitudes. Ce dernier est très apprécié pour communiquer
principalement avec la famille ayant émigré en ville.
4.1.4 Situation sociolinguistique et socioculturelle
Dans cette communauté, la variante linguistique utilisée est le nagche,
deuxième variante après le pewenche en termes de vitalité (Hasler, 2012: 114). À
Curaco-Ranquil il est donc relativement facile de retrouver des locuteurs
traditionnels ayant le mapudungun comme langue de première socialisation.
La moyenne d‟âge des locuteurs s‟approche de 40 ans, mais nombreux sont
ceux qui ont 60 ans et plus. Les locuteurs les plus âgés ont appris l‟espagnol
seulement vers l‟âge adulte. La plupart déclarent ne pas utiliser la langue mapuche
avec leurs enfants ou petits-enfants.
Du point de vue socioculturel, la communauté n‟a plus d‟autorités
ancestrales. Les figures politiques tels que le longko (chef de la communauté) ou le
werken (porte-parole), ont été remplacées par le titre de « Président » de la
Communauté, dans un clair amalgame avec l‟institution imposée par les organismes
de l‟État chilien à travers les programmes proposés par la CONADI. En revanche,
on peut retrouver encore des figures représentatives au niveau social comme par
exemple, la figure du kimche (sage), du üllkantufe (chanteur) et du lawentuchefe
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
203
(herboriste). Au niveau religieux il n‟y a plus d‟autorités telles que la machi
(guérisseuse), le ngenpin (orateur, maître des cérémonies), ni de rituels traditionnels
comme le Llellipun, le Ngillatun ou le Machitun. Selon certains membres de la
communauté cela tiendrait à la forte présence de l‟église évangélique.
Comme le signale Curivil (2007 : 107), la condamnation des pratiques
religieuses mapuche a été particulièrement le fait des églises évangéliques qui
participent à la disparition des figures traditionnelles et des pratiques religieuses
mapuche.
El sector evangélico es más complejo dado que aún existen Iglesias que
promueven un discurso abiertamente condenatorio hacia las prácticas religiosas
mapuches142
.
Dans le cas de Curaco-Ranquil, la quasi totalité de ses habitants se déclarent
évangéliques. De même, plusieurs d‟entre eux sont des leaders spirituels formés par
des missionnaires pentecôtistes. La petite maison construite par les fidèles et qui fait
office d‟église, est aussi un lieu social de rencontre. La participation aux activités de
l‟église se fait en famille et représente la principale animation pour la collectivité.
Les cérémonies se déroulent en espagnol, mais les chants sont en mapudungun.
Pour Durán (2010), la création des hymnes pourrait être un vestige de la
période de l‟évangélisation quand la population était majoritairement monolingue.
Cependant, comme les leaders spirituels de la communauté sont des personnes
bilingues mapudungun/castillan, ce type de texte est accepté davantage et promu à
l‟intérieur de l‟église.
Plusieurs questions sur la relation entre la langue et l‟identité se posent :
Peut-on parler de communauté malgré la perte de la pratique des rituels ? Dans
quelle mesure la langue influe-t-elle sur les traits culturels d‟une communauté ? De
quelle manière l‟absence des pratiques et des autorités traditionnelles affaiblissent-
elles l‟usage de la langue parmi ses locuteurs ?
Ces questions ne trouveront pas de réponse au cours de ce travail, mais elles
invitent à réfléchir aux contextes socioculturels de ce terrain et aux rapports entre
langue et identité.
142 Ma traduction: « Le secteur évangélique est plus complexe, puisqu‟il existe encore des églises qui
prônent un discours condamnant délibérément les pratiques religieuses mapuche ».
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
204
5. Mise en place du dispositif
Pour notre stage en immersion, l‟équipe organisatrice comportait six
locuteurs traditionnels, dont un kimche (sage de la communauté), un enseignant
locuteur, deux jeunes assistants néo-locuteurs et sept apprenants (dont moi-même).
Cette expérience a eu lieu dans les dépendances de l‟école de Curaco-
Ranquil143
. Cette communauté a été choisie pour deux raisons : d‟abord, parce
qu‟elle est celle d‟origine du kimelfe – ce qui permet un contact beaucoup plus
familier avec ses membres – et parce qu‟elle fait déjà partie d‟un plan de
revitalisation linguistique commencé par la même équipe en janvier 2012. Les
organisateurs avaient donc déjà repéré certains locuteurs traditionnels, motivés et
capables de s‟engager pour participer aux activités liées à la revitalisation du
mapudungun dans la communauté.
5.1 Acteurs et contrat pédagogique initial
A ce premier appel ont répondu une douzaine de locuteurs et locutrices entre
22 et 60 ans. Ce public devait répondre aux critères suivants:
- déclarer être bilingue en mapudungun et en espagnol, ou locuteur réceptif
de mapudungun,
- être membre de la communauté ou d‟une communauté voisine et
participer activement à la vie de celle-ci,
- démontrer de l‟intérêt pour la langue et sa revitalisation,
- posséder un niveau de scolarisation minimum : lecture et écriture.
Le groupe des locuteurs traditionnels est composé de leaders naturels de la
communauté. Toutefois, il faut signaler qu‟en plus de leur intérêt militant à
participer à une expérience de revitalisation, plusieurs d‟entre eux ont des liens
familiaux ou amicaux avec le kimelfe, donc ils ont soutenu le projet également pour
des raisons personnelles. Ainsi, ces personnes ont participé de bon gré à l‟expérience
immersive sans indemnités en dehors du paiement des repas et des frais de transport.
Pour l‟équipe, le travail avec ce groupe de locuteurs fait partie d‟un projet de
sensibilisation sur les droits linguistiques à l‟intérieur de cette communauté.
143 Dépendances aimablement mises à disposition par son proviseur, à travers la gestion des dirigeants
de la communauté. Cet espace est fréquemment utilisé par les membres de la communauté comme
centre de réunion, compte tenu de son infrastructure et de sa localisation stratégique.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
205
Cette expérience d‟immersion a été ouverte à un public d‟adultes d‟origine
mapuche et non-mapuche, apprenants de l‟atelier de l‟équipe à Santiago. Suivant les
critères du CECRL – souvent utilisés dans ce type de contexte – le niveau de
compétence de ces apprenants correspondrait au niveau A2 (intermédiaire ou
usuel). Soit des utilisateurs pouvant comprendre les mots familiers et les expressions
très courantes d‟un environnement immédiat. De ce fait, la plupart des activités
proposées dans cette expérience pouvaient reprendre les thèmes abordés pendant les
ateliers en ville (présentation personnelle, origines familiales, goûts et intérêts,
description physique et psychologique).
En termes pratiques, notons un point presque anecdotique, mais néanmoins
important : cette expérience a été financièrement autogérée par l‟équipe. Les
apprenants ont fait de grands efforts, surtout économiques, pour se rendre sur place.
Sans compter le trajet de plus de 12 heures et les conditions précaires de logement
(salles de classes devenues dortoirs, mal chauffées, en plein hiver) ; tout ceci
soulignant les forts enjeux de cette expérience.
Dans le même ordre d‟idées, quelques jours auparavant les apprenants
fortement motivés ont manifesté leur désir de parler exclusivement en mapudungun
pendant toute la durée de l‟expérience. Ce « contrat pédagogique » abordé et
instauré par les apprenants eux-mêmes, correspond aux attendus du Master-
Apprentice Language Learning Program (Hinton, 2002), signalé par Grenoble et
Whaley (2002 : 61), à savoir :
– l‟usage de la langue dominante, dans ce cas l‟espagnol, n‟est pas permis dans les
interactions entre formateurs et apprenants.
– l‟apprenant doit participer au contenu du programme, assuré dans la langue cible.
– l‟oral, et non l‟écrit, est toujours privilégié dans la situation d‟apprentissage et de
communication.
– l‟apprentissage ne se fait pas en classe, mais dans des situations réelles et dans des
activités de la vraie vie : la cuisine, le jardinage.
– la compréhension de la langue débutera par des activités, en accord avec la
communication non-verbale.
Pour cet internat linguistique, l‟un des objectifs prioritaires des apprenants
est de découvrir les éléments culturels présents dans la communauté, de les
comprendre et de pouvoir les intégrer dans leur quotidien. Liberté est laissée à
chacun de mobiliser ses propres ressources et stratégies pour instaurer et favoriser la
communication dans la langue cible.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
206
5.2 En quête de situations de transmission
Parmi les modèles immersifs disponibles pour un public adulte, nous avons
choisi celui de « l‟internat linguistique », inspiré de l‟expérience basque connue
comme barnetegi. Comme le signale le site web de l‟AEK (Coordination pour
l'alphabétisation et l'euskaldunisation des adultes), « les barnetegis sont des centres
d‟apprentissage situés dans des zones fortement bascophones où les élèves suivent
des cours intensifs en internat leur permettant de vivre 24 heures sur 24 en
euskara »144
. Ce modèle existe dans la réalité pédagogique basque depuis les années
80, nous tenterons de l‟appliquer au cas de la langue mapuche.
Tant en milieu rural qu‟en ville, les usages du mapudungun ont été peu à
peu confinés à l‟intérieur des familles. Cet état de fait nous a encouragés à inviter
différents acteurs de la communauté à participer à l‟expérience immersive, en
privilégiant bien entendu les locuteurs traditionnels. Comme le souligne Crystal
(2000 : 137), les caractéristiques non-formelles de démarches immersives offrent
aux membres de la communauté linguistique des occasions avantageuses
d'appropriation et de prise de conscience (awareness-raising) de leur propre langue :
The school is not the only source of this knowledge, of course. A great deal of
language awareness, as well as social solidarity, results from the various forms
of extra-curricular activity which a community can arrange as part of its
language maintenance programme – for example, language playgroups,
summer immersion camps, master–apprentice programmes, or bilingual
holidays. And the same point applies in educational settings when older
members of the community are involved. If „educational system‟ is interpreted
in its broadest sense, it will include all kinds of adult education courses in local
halls and centres, community-based programmes, informal apprenticeships, in-
service courses, and a great deal of activity that goes under the heading of
„awareness-raising‟145
.
144 Voir site internet http://xiberoko-gau-eskola.eklablog.com/aek-p20836 , consulté le 23/03/15.
145 Ma traduction : « L‟école n‟est pas la seule source de ce savoir, bien sûr. Une grande partie de la
conscience linguistique, aussi bien que de la solidarité sociale, résulte des diverses formules
d‟activités périscolaires qu‟une communauté peut mettre en place dans le cadre de son programme de
maintien de la langue: par exemple, les garderies linguistiques, les camps d‟immersion d‟été, les
programmes de maître-apprenti, ou les séjours de vacances bilingues. Et le même point s‟applique
dans les situations éducatives quand des membres plus âgés de la communauté sont impliqués. Si le
“système éducatif” est interprété dans un sens large du terme, cela devrait inclure tous les cours
d‟adultes dans les salles et centres communaux, les programmes communautaires, les apprentissages
informels, la formation continue, et beaucoup d‟autres activités que l‟on peut regrouper sous le terme
de “stimulateur de prise de conscience” ».
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
207
Le point exposé ici par Crystal est très significatif pour comprendre
l‟importance que peut avoir la mise en place d‟un programme d‟immersion pour une
valorisation sociale de la communauté et la mise en place de politiques linguistiques
familiales, comme le signale Deprez (1996 : 155) :
Cette politique linguistique familiale se concrétise dans les choix de langues et
dans les pratiques langagières au quotidien ainsi que dans les discours
explicites qui sont tenus à leur propos, notamment par les parents.
L'expérience immersive représente non seulement un lieu et un moment
propices pour parler, mais aussi une opportunité pour créer une prise de conscience
au niveau communautaire et familial pour la sauvegarde de la langue menacée.
D‟où l‟importance de projeter cet espace/temps privilégié de l‟immersion à
l‟intérieur des sphères informelles – comme la famille – dans lesquelles le processus
de substitution de la langue minoritaire est installé depuis une ou deux générations.
Les chances d'inverser cette tendance s'avèrent ainsi d'autant plus faibles lorsque les
parents – parfois des néo-locuteurs – désirent réinstaurer la langue minoritaire au
foyer mais ignorent comment permettre cette acquisition linguistique chez l‟enfant.
Or cette transmission linguistique au niveau familial pour les langues
minoritaires – tellement conseillée par des auteurs comme Fishman (2001) –
suppose non seulement une reconnaissance des atouts du bilinguisme, mais aussi des
propositions concrètes pour le développement de la langue minoritaire à l‟intérieur
du foyer. Se pose aussi la question des stratégies affectives et culturelles à adopter
pour que l‟enfant trouve le besoin de communiquer dans cette langue.
Ainsi, il semble important d‟analyser les enjeux d‟un dispositif d‟immersion
du point de vue didactique, pour faciliter les attentes d‟un projet de bilinguisme
prenant en compte les sphères formelles et informelles. Comme le signalent
Idiazabal et Dolz (2010), pour un développement satisfaisant du bilinguisme il est
nécessaire d‟établir une collaboration étroite entre la famille et l‟école. Cependant,
rares sont les études qui analysent les enjeux de cette forme de transmission et du
cadre familial dans le contexte de langues minoritaires.
Sachant que la transmission d‟une langue est déjà très complexe dans des
contextes de migration – et d‟autant plus pour une langue dite « en danger » – le défi
de transmettre et d‟instaurer un projet de bilinguisme familial devient laborieux.
Donc, je m‟intéresse davantage à la façon dont on peut repenser la transmission
familiale – souvent méprisée pour son caractère « domestique » – avant de réfléchir
à son rôle dans le cadre de l‟enseignement des langues minoritaires.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
208
Dans cette démarche, il s‟avère approprié de reconsidérer l‟importance des
stratégies affectives et des techniques d‟acquisition naturelle – normalement
présentes dans la transmission à l‟intérieur de la famille – qui pourraient offrir des
exemples pour la planification de l‟enseignement/apprentissage d‟une langue
minoritaire.
6. Analyse d‟une didactique immersive, émergence
de pistes à suivre
Dans le but d‟analyser cette expérience immersive selon différents « grains »,
j‟ai procédé à l‟enregistrement de plusieurs séquences audio et vidéo146
et tenté de
prendre en compte certaines réactions qui ont ouvert de nouvelles pistes de réflexion
dans le cadre de l‟immersion.
6.1 Les activités didactiques
Dans ce contexte particulier d‟enseignement, la planification d‟activités
didactiques vise non seulement l‟application de connaissances de la part de
l‟apprenant, mais aussi la mise en pratique de stratégies pour s‟approprier des
« contextes signifiants » (Krashen, 1982). Comme le signale Demers (2010 : 45) :
Une L2 ne peut s‟apprendre que si l‟étudiant est exposé à des données qu‟il est
en mesure de comprendre et que le processus d‟enseignement doit alors lui
offrir un environnement linguistique signifiant et qui fait donc appel à ses
connaissances antérieures.
La planification des activités a donné lieu à une consultation des locuteurs
traditionnels sur certains aspects de la « vraie vie » qui, selon eux, devraient être
abordés pendant ce séjour linguistique. Il s‟agissait de proposer, dans la logique d‟un
contexte quotidien, des activités « encadrées » par les locuteurs qui jouent le rôle
d‟éducateurs.
Une première enquête auprès des locuteurs a permis de préciser les actions
accompagnant, au sein de la communauté, l‟essentiel des échanges : termes de
146 L‟usage d‟un corpus vidéo n‟avait pas été considéré, dans un premier temps, comme une source de
données indispensable pour répondre aux questions de ma recherche. Cependant, compte tenu de la
bonne disposition des participants et de la richesse de l‟information qu‟un élément audiovisuel
pouvait offrir, j‟ai décidé d‟utiliser ces données.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
209
salutation, présentation personnelle et tous les éléments concernant la famille. La vie
rurale devait également être prise en compte : s‟occuper des animaux, tuer le bétail,
travaux des champs, toutes activités peu familières pour des apprenants citadins.
Autre proposition intéressante : entendre parler de la culture mapuche et de sa
tradition orale.
6.1.1 Du rituel aux pratiques éducatives
Comme le signale Soledad Pérez (2007), pour introduire de nouvelles
formes linguistiques en langue indigène, à travers des objectifs communicatifs, il
faut d‟abord posséder une « connaissance profonde de la culture » (2007 : 144),
connaissance qui ne peut s‟inscrire dans des formes culturellement conditionnées.
Un bon exemple de la complexité de cette question peut apparaître dès le
début d‟une séance, lorsque l‟on demande aux apprenants de « se présenter ». Selon
Pérez (2007 : 144), cette habituelle (ou rituelle) activité didactique pourrait avoir son
soutien dans le principe pédagogique qui assure que « toute connaissance est mieux
acquise lorsqu‟elle est proche de l‟apprenant ». Cependant, les notions qui touchent
à la « bonne éducation » engagent aussi des éléments de culture :
Pero en cuanto uno usa las fórmulas consideradas educadas, como “saludar” o
“despedirse”, uno se aproxima a formas culturalmente condicionadas. Esto es
lo que justifica las nociones sobre la cultura que acompañan la enseñanza de
lenguas extranjeras y que son el lugar donde se articulan las relaciones entre
lengua y cultura147
.
En effet, pour la culture mapuche, la présentation de la lignée tant maternelle
(tuwün) que paternelle (küpan), permet de transmettre à l‟interlocuteur une grande
quantité d‟informations culturelles148
. La salutation en mapudungun représente ici
une construction complexe, plus proche d‟un échange d‟informations ritualisé que
d‟une formule de politesse. Elle concerne la personne elle-même, ses proches et
toute sa communauté.
Dans les ateliers en ville, cette formulation de la « présentation » fait l‟objet
de l‟une de premières leçons, les apprenants acquièrent des éléments lexicaux et
grammaticaux, mais sans doute le contenu le plus attendu en contexte immersif est
147 Ma traduction : « Mais lorsqu‟on utilise les formules considérées de bonne éducation, comme
« dire bonjour » ou « dire au revoir », on s‟approche des formes culturellement conditionnées. Cela
justifie les notions sur la culture qui accompagnent l‟enseignement des langues étrangères et qui sont
le domaine où s‟articulent les relations entre langue et culture ».
148 Les chercheurs Quintriqueo et Quilaqueo (2006) ont développé amplement ces aspects.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
210
de connaître le protocole pour établir les premiers contacts avec les locuteurs
traditionnels.
Cet aspect a été abordé dès les premiers échanges entre apprenants et
locuteurs experts. D‟abord en binôme, puis en petits groupes de quatre personnes,
chaque participant montre des photos de sa famille. Cet échange permet une
première approche et crée une ambiance familière et conviviale entre les
participants.
Lors de ces premiers échanges oraux encadrés, apparaît la nécessité (de la
part des éducateurs/locuteurs comme des apprenants/néo-locuteurs) d‟accroître les
champs lexicaux en mapudungun pour adapter leurs discours à une certaine
modernité. Ainsi apparaissent les premiers emprunts à la langue dominante,
quelques néologismes spontanés, et l‟utilisation – de la part des apprenants – des
néologismes appris dans les ateliers en ville.
Cette démarche terminologique constitue un des axes principaux de la
présente recherche : la création lexicale en mapudungun – dans un contexte
d‟enseignement/apprentissage – à la recherche d‟une lexie innovante pour nommer
la réalité actuelle (voir chapitres VIII et IX sur la création lexicale).
6.1.2 TICE et matériel dit « authentique »
Compte tenu de l‟état actuel de la réflexion sur le processus macro autour de
l‟enseignement de cette langue, l‟utilisation des TICE149
, à l‟intérieur des cours de
mapudungun, est un sujet rarement abordé et moins encore systématisé du point de
vue des séquences didactiques. D‟une part, à cause de la faible production technique
dans ce contexte et d‟autre part, à cause de l‟absence d‟un travail de recherche
autour du terrain spécifique de la didactique du mapudungun. Cependant, et comme
le signale Develotte (2010 : 448) :
Il ne faudrait pas penser que seules les technologies ont permis le
développement de nouvelles pratiques. En fait, c‟est tout le contexte
scientifico-économico-politico-social qui a conduit à ces modifications en
didactique des langues.
Depuis quelques années, commence à apparaître une production de
ressources nouvelles comme des vidéos avec des dialogues théâtralisés sur youtube,
des jeux et applications pour Smartphone, des documentaires en langue mapuche ou
149
Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Enseignement.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
211
encore des films où des acteurs mapuche dialoguent, dans certains passages, en
mapudungun150
.
Le repérage de ce type de matériel permet, dans une première phase,
d‟amorcer une réflexion autour de possibles exploitations didactiques qui – comme
le signale Lourdes (2012 : 34) – peuvent favoriser le processus
d‟enseignement/apprentissage :
Tratándose de materiales multimedia que apoyan el aprendizaje y
fortalecimiento de las culturas y lenguas indígenas se hace necesario adoptar
una perspectiva teórico-pedagógica y lingüística desde la cual se construya la
propuesta didáctica y se aborde el diseño de situaciones de aprendizaje
pertinentes151
.
Dans ce contexte, les propositions didactiques à partir de matériels dits
« authentiques » nous semblent particulièrement innovantes, tant pour les éducateurs
que pour les apprenants. Des séquences ont été proposées à partir de trois
enregistrements audiovisuels152
abordant des sujets culturels divers, comme des
documentaires sur la médecine traditionnelle ou un court métrage sur la perception
de la justice suivant le récit historique du longko Pascual Coña (1930).
L‟impact de ces nouvelles technologies sur les interactions entre locuteurs
reste un terrain inexploré, au moins dans ce contexte.
À ce propos, je reprends une situation anecdotique (mais qui reste très
représentative) intervenue lors d‟un atelier en ville. L‟éducateur n‟arrivait pas à se
rappeler du terme en mapudungun pour le mot « linaza » (graine du lin). Devant
l‟impossibilité de trouver ce mot dans un dictionnaire – comme cela pourrait être le
cas pour une langue standardisée – le formateur appelle au téléphone portable son
cousin qui habite dans une communauté rurale. Celui-ci lui donne la réponse :
« lliñu». L‟éducateur le remercie devant un public aussi agréablement surpris,
150 A ce propos, voir des titres comme « El verano de los peces voladores » (L‟été des poissons
volants) de 2013 ou « El Huinca » (Le Wingka) à paraître.
151 Ma traduction : « S‟agissant des matériels multimédia qui soutiennent l‟apprentissage et le
renforcement des cultures et langues indigènes il est nécessaire d‟adopter une perspective théorique-
pédagogique et linguistique depuis laquelle la proposition didactique est construite et aborde la
conception de situations d‟apprentissage pertinentes ».
152 « Menoko ñi mongen » et « Lafkenmapu, ñi mapuche Lawen, du Collectif Mapuche Adkimvn
Comunicaciones sur http://vimeo.com/adkimvn, (consulté le 12/01/14) et le film « Wichan, el juicio »
(le jugement) de Magaly Meneses, 1994.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
212
qu‟étonné ; tout cela dans un contexte très détendu et apparemment normal pour le
locuteur.
Ces nouveaux outils de la communication et de la technologie ont aussi un
impact pour l‟enseignement du mapudungun en ville, comme on l‟a déjà suggéré. La
présence des réseaux sociaux est une réalité ; les enregistrements audio réalisés
pendant les cours sont immédiatement disponibles sur Facebook ou Twitter : tout le
monde peut interagir et commenter en ligne.
6.1.3 « Parler en mapudungun », une tâche complexe
Certains apprenants sont confrontés à la langue pour la première fois dans un
contexte « réel » ; également, il s‟agit de la première fois où ils peuvent auto-évaluer
leurs compétences et leurs progrès. Suite à la demande expresse faite par les
apprenants aux locuteurs de parler exclusivement en mapudungun, ceux-ci ont joué
à la perfection leur rôle de « monolingues » pendant les premiers échanges. Dans un
premier temps, les apprenants ont été agréablement surpris, puisqu‟ils se sont
trouvés dans un « bain » mapuche dès leur arrivée sur le terrain. Cependant, selon
certains témoignages, on peut repérer – malgré une envie de « parler tout le
temps en mapudungun » – une frustration provoquée par leur faible compétence
pour s‟exprimer ou interagir :
Por eso a mí me hubiera gustado hablar todo el rato, pero sé que es difícil
porque no tenemos todas las palabras y terminamos hablando en
wingkazungun153
(apprenant 3).
D‟autre part, et sans être contradictoire, le même apprenant ajoute plus tard
qu‟il aurait aimé « parler » davantage en mapudungun, comme c‟est le cas dans les
« cérémonies traditionnelles » auxquelles il avait pu participer :
Me hubiese gustado hablar más en mapudungun, yo venía con la idea de que
íbamos a hablar todo el día en puro mapudungun, como cuando fui a un
nguillatun a una comunidad, allá hablamos todo el día y como yo no entendía
mucho, yo no hablaba tanto, pero los chachay y las papay, todos hablaban, para
las ceremonias, en la noche, ahí en el kütral, en las rogativas154
(apprenant 3).
153 Ma traduction : « C‟est pour ça que j‟aurais aimé parler tout le temps, mais je sais que c‟est
difficile parce que nous n‟avons pas tous les mots et finissons par parler en wingkazugun (castillan) ».
154 Ma traduction : « J‟aurais aimé parler mapudungun davantage. Je venais avec l‟idée de parler
toute la journée exclusivement en pur mapudungun, comme quand je suis allé une fois à un
nguillatun (cérémonie religieuse) dans une communauté. Là-bas nous avons parlé tout le temps et
comme je ne comprenais pas trop, je ne parlais pas beaucoup, mais les chachay (hommes anciens) et
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
213
Dans cette déclaration on peut comprendre que « parler » pour cet apprenant
est plutôt le fait d‟écouter des locuteurs traditionnels s‟exprimer en continu, dans la
langue cible et dans un contexte rituel. Il s‟agirait donc d‟un travail de
compréhension de l‟oral proche des compétences développées par les apprenants
pendant les ateliers en ville.
Selon ces apprenants, les activités d‟expression orale manquent
d‟« authenticité » en l‟absence d‟un locuteur expert pour participer à la discussion et
la soutenir. Ainsi, ils valorisent la mise en place de dispositifs simples comme les
jeux de société, pour pouvoir s‟exprimer sans penser à une autocorrection
permanente.
6.1.4 Educateurs : mettre la main à la pâte, mais pas dans le cambouis
Pour les Mapuche il existe un lien étroit entre la terre et les revendications
territoriales, identitaires, culturelles et linguistiques. Dans un contexte rural ces
notions reprennent du sens, car la terre, en plus de sa charge symbolique, est la
principale source économique de subsistance du terroir. Pour ces raisons, il semble
tout à fait pertinent de concevoir des exploitations didactiques autour des éléments
culturels, comme le maraîchage et la préparation des aliments, si importants dans le
système social mapuche rural.
Cependant, et malgré le travail de planification fait avec une grande partie
des locuteurs, ces activités n‟ont pas été tellement appréciées par certaines femmes
locutrices. Pour elles, jardiner ou cuisiner sont des tâches considérées comme des
actions démotivantes, car elles font partie d‟une routine rattachée à la présence
quotidienne de la femme au foyer et réduite à l'espace de la cuisine et de la maison.
Lorsqu‟on analyse cette situation, on peut comprendre cette réaction par rapport à la
stigmatisation du rôle de la femme à la maison et voir comment, petit à petit, ces
relations évoluent dans le discours des femmes protagonistes.
C‟est ainsi qu‟une des locutrices commence par refuser de cuisiner car elle
« ne venait pas pour cuisiner une deuxième fois dans la journée, elle venait pour
enseigner le mapudungun ». Après lui avoir réexpliqué que son rôle était seulement
de donner en mapudungun des indications de « comment faire » aux apprenants, elle
a accepté et s‟est investie à nouveau dans son rôle d‟éducatrice. Une situation
similaire se répète le lendemain avec une locutrice qui ne s‟intéresse pas du tout à
les papay (femmes anciennes), tous parlaient, pour les cérémonies, le soir, autour du kütral (feu), au
moment des prières ».
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
214
l‟activité de jardiner et de planter des herbes médicinales : « j’ai un (jardin) à la
maison qui me prend pas mal de temps déjà ».
Ce type de dichotomie entre « apprentissage » versus « transmission »
permet de réfléchir aux a priori des participants, enclins à valider un enseignement
formel et donc « sérieux » plutôt qu‟un enseignement informel, à partir de données
considérées comme « domestiques ». Il est intéressant d‟observer comment pour ces
éducateurs du contexte rural, ces situations de leur vie quotidienne sont perçues
comme impropres à servir d‟outil d‟enseignement. Au contraire, pour les
apprenants, ces situations sont fortement appréciées justement pour leur charge
culturelle et leur aspect innovant.
Ces réactions nous amènent à réfléchir à la position d‟un locuteur
traditionnel – ayant appris la langue par transmission familiale – et qui voudrait
devenir « éducateur » de cette langue en contexte « formel » d‟éducation. En se
référant aux techniques liées à l‟enseignement des langues vivantes, on pourrait
imaginer que ce que cherchent ces locuteurs est autant une légitimation de la langue
par le biais de son enseignement qu‟un moyen pour eux d‟acquérir une nouvelle
légitimité en tant qu‟acteurs sociaux, locuteurs de cette langue. Pour aborder ce sujet
il me semble nécessaire de revenir sur la notion de « capital linguistique » introduite
par Bourdieu (1984 : 99) :
Toute situation linguistique fonctionne comme un marché dans lequel quelque
chose s‟échange. Ces choses sont bien sûr des mots, mais ces mots ne sont pas
seulement faits pour être compris ; le rapport de communication n‟est pas un
simple rapport de communication, c‟est aussi un rapport économique où se
joue la valeur de celui qui parle.
Cette notion me paraît très pertinente pour une analyse du changement
historique de légitimité du mapudungun dans le contexte du « marché linguistique »
actuel. L‟expérience à Curaco-Ranquil permet, en outre, de constater une
valorisation de la personne des locuteurs traditionnels dans un nouveau « rapport au
pouvoir ».
6.2 De locuteur à éducateur,
une nouvelle légitimité?
Dans le champ de l‟enseignement des langues, Derivry-Plard (2006 : 104-
105) propose une différenciation très pertinente entre « locuteur » (en référence à
une catégorisation linguistique) et « enseignant » (en tant que catégorie sociale)
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
215
« dont les membres disposent tous, en droit, de la même compétence
d‟enseignement ».
Lors de mon expérience dans la communauté rurale de Curaco-Ranquil, ces
deux catégories sont perceptibles et provoquent des questionnements autour des
modèles d‟enseignement. Derivry-Plard (2006 : 105) signale :
Les représentations de l‟enseignement des langues secondes ne sont pas « taken
for granted » (ne vont pas comme allant de soi) mais expriment plus
précisément des schèmes sociaux de perception, c‟est-à-dire des schèmes de
pensée historiquement construits, et non des « réalités ».
Ce croisement des catégories, dans le contexte des langues indigènes, prend
tout son sens dans la mesure où les locuteurs se posent des questions autour de leur
implication en tant qu‟agents transmetteurs des « connaissances indigènes »
(mapuche kimün) dans un système occidental.
Comme j‟ai pu le vérifier, chez les éducateurs, la tendance qui s‟impose pour
la transmission des connaissances est l‟imitation du schème des langues secondes,
avec une approche grammaticale-structurale. Un modèle qu‟ils ont vécu eux-mêmes
pendant leur scolarisation et qui reste encore très répandu dans le système
d‟éducation chilien (où l‟enseignement des langues étrangères, autres que l‟anglais,
n‟est pas prioritaire155
).
Cependant, dans le cadre de l‟expérience immersive et, entre autres, à cause
de la sensibilisation sur les principes de l‟acquisition naturelle chez l‟enfant
développés par Petit (2001), on a pu remarquer la mise en place de quelques
stratégies adoptées rapidement par les éducateurs pour faciliter la compréhension
des apprenants. En voici un exemple :
La consigne donnée aux locuteurs est d‟interagir avec les apprenants
visiteurs comme s‟il s‟agissait d‟enfants en bas-âge comprennant seulement le
mapudungun : comment discutez-vous avec des petits enfants ? Prenez en compte
l‟importance de la gestualité, du ton de la voix, de la répétition, de la prononciation,
sans passer par l‟espagnol.
Certainement, il s‟agit d‟une instruction très banale et qui touche à l‟intimité
du locuteur, mais elle offre une perspective différente de ce que signifie « apprendre
une langue », permettant une approche pratique et plus authentique que le classique
« répétez après moi », encore si présent dans l‟enseignement des langues. Il fallait
155
Vers les années 2000, le Ministère de l‟éducation chilien supprime le français et laisse l‟anglais
comme seule possibilité de deuxième langue étrangère. Les études d‟entités privées d‟éducation
(comme celle d‟Education First EF-English Proficiency Index, 2012) signalent que la moyenne
atteint seulement le niveau A2, sur un échantillon de 1,7 millions des personnes.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
216
oublier que les apprenants parlaient castillan et qu‟ils étaient des adultes, l‟invitation
était « d‟imaginer » et de se rappeler comment on s‟adresse aux enfants pour les
éduquer dans un contexte domestique.
C‟est ainsi que je me suis retrouvée, moi-même, en tant qu‟apprenante, à être
prise dans le jeu de la « petite famille ». Lors de l‟enregistrement d‟une séance
didactique, un des locuteurs m‟interpelle à haute-voix pour me faire sortir de la salle
et jeter un coup d‟œil dans la cuisine où du pain est en train de cuire. Comme je ne
semble pas comprendre la demande et que je ne réponds pas dans la langue cible,
deux autres locutrices essayent de m‟aider et s‟adressent à moi. Elles me parlent et
répètent plusieurs fois les mots clefs « kofke » (du pain) et « kutralwe » (four) en
faisant avec les mains le geste de sortir de la salle. Finalement, j‟arrive à comprendre
qu‟ils sont inquiets pour la cuisson du pain. Ils arrivent à me faire comprendre le
message sans passer par la langue dominante, en prenant en compte la gestualité, la
répétition, le recours aux mot-clef et en jouant à part entière le rôle d‟un adulte qui
donne des instructions à un enfant en bas âge.
De ce fait on peut s‟interroger davantage sur la transition de « locuteur » à
« éducateur/tuteur » et sur les enjeux liés au processus de revitalisation linguistique.
Certainement, ce dernier point semble spécialement problématique dans ce
contexte de langues minoritaires, où même le titre de « locuteur expert » est
incertain. En effet, il pourrait s‟agir des « anciens locuteurs » (Bert et Grinevald,
2010) qui reviennent à l‟usage de leur langue après avoir arrêté de l‟utiliser au
quotidien et de la transmettre aux jeunes générations.
Cela nous confronte à la nécessité de réfléchir aux procédés didactiques dans
ce cadre particulier, prenant en compte les connaissances des « anciens locuteurs »
et leur sensibilisation à la transmission familiale, aux processus de l‟acquisition
langagière des enfants et aux dynamiques culturelles propres aux Mapuche. On peut
ensuite considérer que la maîtrise d‟une langue pour communiquer ne garantit pas la
capacité de pouvoir la transmettre.
6.3 Réflexions autour de l’expérience immersive à
Curaco-Ranquil
Compte tenu des remarques de Petit (2001) et des situations propres à notre
contexte, on pourrait estimer que les principaux atouts de cette expérience
immersive à Curaco-Ranquil répondent à trois aspects : l‟ambiance affective
favorable, l‟instrumentalisation de la langue à travers la réalisation d‟activités
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
217
pratiques et la présence importante des locuteurs traditionnels pour garantir le
naturel et l‟authenticité156
.
Ces trois points témoignent du rapport entre locuteurs traditionnels et
apprenants néo-locuteurs ; ils donnent des pistes intéressantes sur le plan didactique
et de la transmission de savoirs. Il convient de développer :
– les répertoires asymétriques de savoirs comme source de la réflexion
métalinguistique ;
– le contact intergénérationnel et la réactivation des savoirs ;
– la construction collaborative des savoirs.
6.3.1 Répertoires linguistiques asymétriques :
ouverture aux discussions métalinguistiques
Comme on peut le comprendre, les répertoires linguistiques entre locuteurs
traditionnels et apprenants sont considérablement asymétriques. Pour cela la
métaphore de l‟enfant en processus d‟acquisition prend beaucoup de sens pour les
locuteurs qui sont confrontés à interagir avec un public très particulier.
Après avoir visionné un documentaire en mapudungun, les locuteurs sont
intervenus plus souvent, grâce à la richesse de leur répertoire et de leur expertise
lexicale propre à la culture mapuche. Par contre, lorsqu‟il s‟est agi de rechercher de
nouveaux termes concernant les nouvelles technologies, les apprenants ont fait
preuve d‟une grande créativité et lucidité quant à la création et l‟usage de nouvelles
lexies, provoquant ainsi de véritables débats, entre autres, sur la langue et ses
fonctions ; ce que Bourgeois et Nizet (2005) appellent un « conflit sociocognitif ».
Ces auteurs (2005 : 164) signalent que, pour la résolution des conflits
sociocognitifs, il est nécessaire d‟entretenir une « distance » et une relation plutôt
symétrique entre les participants. Ceci pour éviter une régulation relationnelle du
conflit, pour empêcher la domination d‟un individu ou d‟un groupe ou la résolution
des conflits de manière arbitraire. Cependant, et comme le signalent ces auteurs,
dans certaines conditions, des régulations sociocognitives peuvent se produire
malgré l‟asymétrie des relations sociales.
Dans le contexte particulier de cette expérience d‟enseignement, il n‟existait
pas vraiment de hiérarchie sociale établie – comme dans un milieu scolaire – entre
156 De ce fait, le principe de Ronjat ou « principe de partenaire », est également rappelé par Petit
(1981) : il permet d‟établir un lien à travers la formule paritaire pour contrebalancer les effets de la
langue dominante.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
218
maîtres et apprenants. Comme on le verra dans les derniers chapitres, les recherches
se référant à la création lexicale ont permis d‟enrichissantes discussions à l‟intérieur
du groupe, débats dûs principalement à cette asymétrie linguistique et à la différence
des repères culturels des locuteurs et apprenants.
Sur notre terrain, les apprenants, autant que les locuteurs, reconnaissent la
culture et les compétences de l‟autre partie. Les représentations sociales sont établies
sur un équilibre, en relation avec les schémas socioculturels de chacun. La création
lexicale correspond, en même temps, à une problématique fortement sociale, et
touche des enjeux socialement très signifiants.
Dans l‟analyse des idéologies repérées autour de la création de néologismes,
on note de fréquents désaccords et une intensité de l‟argumentation pour trouver un
consensus sur le plan lexical.
Il s‟agit, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, d‟une opération
cognitive complexe qui intéresse des enjeux sociolinguistiques particulièrement
forts.
6.3.2 Contact intergénérationnel : (ré) activation des savoirs
Dans cette construction collective, on peut facilement repérer une constante
« collaboration intergénérationnelle », en faveur d‟un projet commun. Pour les
apprenants c‟est la recherche de nouvelles connaissances, alors que pour les
locuteurs il s‟agit de la réactivation d‟un savoir endormi.
Un récent travail de Colomb (2012) (portant sur l‟apprentissage pour les
adultes des Premières nations au Québec) montre certains éléments proches de mon
terrain. Il existe d‟abord, en termes généraux, une similitude de contexte
sociolinguistique pour les langues dites minoritaires, et plus ponctuellement d‟un
rapprochement dans les notions d‟apprentissage, de savoir et savoir-faire indigène.
Pour Colomb (2012 : 55) :
La personne issue des Premières nations tire son apprentissage du monde
naturel, de la langue, des traditions et des cérémonies, et du monde des
humains (soi-même, la famille, les ancêtres, le clan, la communauté, la nation
et d‟autres nations) et s‟en nourrit. (…) Les possibilités d‟apprentissage
existent à tous les stades de la vie dans les Premières nations. Elles peuvent se
trouver dans des lieux structurés et non structurés, comme à la maison, sur la
terre ou à l‟école.
Nous sommes à nouveau en présence du passage d‟un apprentissage formel à
des méthodes prenant en compte des savoirs ancestraux, du nécessaire maintien de
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
219
la langue dans un contexte général de glottophagie, grâce à la transmission familiale
intergénérationnelle.
Comme le souligne Dabène (1990 : 19) :
Chaque culture possède ses propres modes de transmission du savoir
langagier, lesquelles déterminent les comportements des sujets confrontés à un
nouvel apprentissage. Il importe de savoir comment cette langue est acquise par
ses locuteurs natifs, dans quels contextes (familial, social, etc.) et grâce à
quelles stratégies (importance ou non de la mémorisation par exemple).
On ne dira jamais assez que, dans ce contexte, la transmission
intergénérationnelle à l‟intérieur de la famille et de la communauté joue un rôle
essentiel. Les nombreux travaux de Quilaqueo et Quintriqueo (2005a, 2007b)
montrent que l‟apprentissage peut et doit se réaliser traditionnellement à travers
l‟oralité. La conceptualisation de la langue est donc directement liée à l‟interaction
sociale qui s‟établit entre les jeunes générations et les adultes.
Selon ces auteurs, pour la cosmovision mapuche, le kimche (sage de la
communauté) n‟est pas seulement la personne qui possède le savoir, mais aussi celui
qui possède les connaissances et l‟accès à la mémoire collective du peuple, et qui,
donc, a le droit de réaliser le kimeltun (l‟action de l‟apprentissage). Comme le
mentionnent Quilaqueo et Quintriqueo (2007: 110):
El kimeltun es concebido, en la socialización primaria, como aprendizaje-
enseñanza. Aquí se destaca la noción de aprendizaje-enseñanza y no la de
enseñanza-aprendizaje, como en la educación occidental. De los testimonios de
los kimches de desprende que sólo la persona que aprendre puede enseñar.
Desde este punto de vista, el concepto de kimeltun engloba la institución
familia-comunidad, personas, creencias, contenidos y prácticas destinadas a la
socialización, transmisión cultural y formación diferenciada de las nuevas
generaciones de cada grupo familiar157
.
De là l‟importance du kimche de la communauté dans l‟expérience
d‟immersion décrite. Sa présence marque une approche culturelle à partir de la
construction éducative mapuche. Sa figure représente la sagesse et le lien
157 Ma traduction : « Le kimeltun est conçu, dans la socialisation primaire, comme un apprentissage-
enseignement. Ici se détache la notion d‟apprentissage-enseignement et non celle de l‟enseignement-
apprentissage, comme dans l‟éducation occidentale. A partir des témoignages des kimche, on
comprend que seule la personne qui apprend peut enseigner. De ce point de vue, le concept de
kimeltun englobe l‟institution famille-communauté, des personnes, des croyances, des contenus et des
pratiques destinées à la socialisation, une transmission culturelle et une formation différenciée des
nouvelles générations de chaque groupe familial ».
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
220
intergénérationnel nécessaire pour révéler des aspects de la culture non accessibles
dans un contexte d‟enseignement/apprentissage à l‟occidentale.
À partir de cette expérience intergénérationnelle, les locuteurs questionnent
leur engagement à propos de la langue. Lors de la séance d‟évaluation, plusieurs
témoignages se font entendre. Par exemple, un locuteur plus âgé réfléchit à la place
de l‟espagnol dans sa vie et en vient à devoir reconsidérer l‟utilisation du
mapudungun comme langue d‟usage à l‟intérieur de son foyer. Il explique qu‟il
commencera à mettre des étiquettes en mapudungun sur les objets domestiques, en
suivant l‟idée proposée pendant le stage d‟immersion. Ce locuteur signale, de même,
qu‟il adoptera cette stratégie non seulement pour que sa famille apprenne le
mapudungun, mais aussi pour « réactiver » sa langue, car à son âge il estime avoir
des troubles de mémoire.
Un autre participant déclare son étonnement devant la motivation et l‟intérêt
des jeunes citadins pour la langue mapuche. Il se demande comment redonner au
mapudungun une place plus importante dans ses échanges avec ses enfants et petits-
enfants.
Une autre locutrice déclare sa satisfaction de n‟entendre à nouveau que du
mapudungun pendant les journées immersives. Certainement, la venue des jeunes
apprenants les interpelle et les encourage à devenir les acteurs de la revitalisation à
l‟intérieur de leurs propres familles et de leur communauté.
Également, pour les apprenants, le temps passé avec les locuteurs est
fortement valorisé par une pratique réelle de la langue, et ceci en interaction. La
mise en situation langagière leur impose non seulement de pratiquer l‟oralité, mais
aussi d‟évaluer leurs faiblesses et leurs acquis.
Dans l‟enseignement/apprentissage d‟une langue standardisée, le but du
formateur est de transmettre un savoir qui, dans la plupart des cas, est déjà organisé
et établi. Par contre, dans le cas d‟une langue minoritaire, on pourrait penser que se
crée un espace d‟échanges et de négociation donnant lieu à une construction de
savoirs collaboratifs, dans un contexte plus proche de l‟acquisition naturelle que de
l‟apprentissage de la langue.
6.3.3 Une construction collaborative de savoirs
D‟une manière générale, l‟enseignement/apprentissage d‟une langue
minoritaire pourrait se caractériser par l‟absence d‟une seule et unique vérité – ou
réponse « savante » – aux questions linguistiques et culturelles qui se posent
pourtant collectivement. Dans ce cas, les questionnements visent plutôt la
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
221
reconnaissance des diversités linguistiques et culturelles – comme par exemple les
précisions sur les variantes dialectales – plus que la recherche d‟une norme ou règle
validée par un enseignant ou un pouvoir académique. À partir de ce constat une
question s‟impose : comment les connaissances peuvent-elles s‟institutionnaliser
dans ce contexte d‟apprentissage ?
Dans le cas des langues non standardisées, l‟absence d‟une norme
linguistique est souvent perçue comme un obstacle pour un apprentissage
« correct ». Néanmoins, cette « instabilité » dans l‟enseignement/apprentissage et
cette absence de « savoir encyclopédique » pourrait aussi être favorable à la
construction des savoirs collectifs – tellement valorisés dans le contexte mapuche –
à travers des dynamiques comme la collaboration, la coopération ou le tutorat
(Damon et Phelps, 1989)158
.
C‟est dans ces pratiques communautaires – comme la coopération et la
collaboration159
– que je retrouve un autre aspect utile pour le cas d‟une langue
minoritaire. Pour illustrer ces pratiques d‟immersion en langue mapuche, prenons
l‟exemple de la création lexicale.
Comme nous le verrons, la recherche de nouveaux termes en mapudungun
donne lieu, en effet, à des débats très diversifiés qui vont de la discussion en termes
idéologiques aux aspects pragmatiques de la néologie. Cette confrontation de points
de vue et de connaissances diverses rejoint ce que D. W. Johnson et R. T. Johnson
(in Bourgeois et Nizet, 2005) appellent des « controverses constructives ». Celles-ci
permettent des discussions à propos d‟une thématique sur laquelle les participants ne
sont pas forcément d‟accord, et leur impose de chercher ensemble un consensus.
La situation que j‟ai choisie pour illustrer ces « controverses constructives »
surgit lors d‟une séquence didactique utilisant un court-métrage en mapudungun.
L‟éducateur chargé de l‟activité donne les consignes et joue le rôle de médiateur
158 Pour Damon et Phelps (1989), la collaboration se caractérise par l‟égalité du statut des
participants et leur contribution en interaction à travers un travail conjoint sur une tâche, alors que la
coopération implique une structuration de la tâche avec des rôles individuels plus au moins fixes où,
lors de l‟activité, les interactions sont souvent guidées par l‟enseignant. Le tutorat, lui, se caractérise
principalement par la division entre « experts » et « novices ».
159 Pour éclaircir les différences entre coopération et collaboration, je cite le travail de Baudrit (2007)
qui définit l’apprentissage coopératif dans un rapport de relations symétriques et d‟égalité entre les
participants où il n‟y a ni « leaders » ni « suiveurs », et la notion d‟apprentissage collaboratif comme
un processus où, même s‟il existe des divergences, il y a aussi des stratégies de négociation entre les
participants. Les recherches européennes conçoivent la collaboration comme un processus qui
permet le raisonnement, la confrontation des idées, la réflexion et l‟esprit critique, alors qu‟aux États-
Unis, la collaboration est comprise comme une finalité en elle-même.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
222
entre les demandes des apprenants et les propositions des locuteurs traditionnels, il
oriente le débat vers la recherche d‟un consensus.
La consigne est d‟écouter sans voir les images du film; les participants
(éducateurs et apprenants) devront reconstruire l‟histoire seulement à travers les
dialogues et les sons entendus. Pour cela, ils doivent imaginer la situation, les
personnages, le contexte, et prendre des notes à partir de leurs hypothèses. Ensuite,
tout le monde participe à la reconstitution de la narration, les apprenants devant
exprimer en mapudungun ce qu‟ils ont compris ou entendu et ce qu‟ils ont imaginé.
Ils doivent réaliser une mise en commun des informations pour valider les parties de
l'histoire, vérifier ensuite les hypothèses, et enfin visualiser le film dans son
intégralité.
Ci-dessous un extrait des discussions au cours de cette activité. Les
abréviations pour identifier les rôles sont les suivants : Apprenant (APPR), assistant
de langue qui présente l‟activité (PRES) et locuteur ou locutrice (LOC) (cf. annexe
9160
).
Tableau 11: séquence 1
N° PART Transcription mapudungun / espagnol (variante chilienne)
Traduction en français
1 APPR 1 trewa ? chien ?
2 PRES trewa / kiñe trewa / wadkuy? chien, un chien, bouillir ? §
3 APPR 1 pewko ? oiseau ? §
4 PRES wadkuy? ¿o no? ¿cómo se dice ?
bouillir ? ou pas ? comment on dit ?
5 APPR 2 wadkuy / se dice hervir... bouillir, on dit bouillir
6 PRES si poh, no -| ee|- guau guau (ladrido de perro)
oui, ben non -|ee-| ouaf ouaf (imitation du chien, rires)
7 LOC 5 wangküy! aboie !
8 APPR 2 Ahhhh Ahhhh
9 PRES wangküy, eso ! aboie ! c’est ça !
10 LOC 5 wangküy trewa le chien aboie
11 PRES wangküy (silencio) (escritura en pizarra) wangküy trewa
aboie (silence) (notation sur le tableau) le chien aboie
12 LOC 1 wangküy trewa le chien aboie
13 PRES wangkün trewa §|- - feley - - | le chien aboie §|- - très bien - - |
160 Dans tous les tableaux de transcription, pour faciliter la lecture, les termes en mapudungun sont
notés en italique et les termes en espagnol en gras.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
223
14 LOC 1 may §|- - feley - - | oui §|- - très bien - - |
15 APPR 3 kütral ? du feu ?
16 PRES kiñe kütral / may (silencio) un feu oui (silence)
17 LOC 1 chem pingekey mapudungun mew (xx)?
comment on dit en mapudungun (xx) ?
18 APPR 3 kütralwe ? Fourneau
19 APPR 2 § kütralwe? § un fourneau?
20 LOC 2 § feley dungu dijo también § (x) mot il a dit aussi
21
APPR 2 § kütralwe? (señalando con el dedo indice al participante x que dijo kütralwe, con gesto aprobatorio.
§ un fourneau ? (il signale avec son index le participant x qui a dit kütralwe auparavant, montrant une approbation pour le terme).
22 PRES lamngen / -| ee|- kurin pifin kütral, alkütumün.
frère (/ -| ee|- kurin [nom de famille] a dit, le feu, écoutons nous
23 LOC 2 Kütralwe Fourneau
24 PRES kütral, chem üy niey kütral ñi awkin? -| ee|- kütral (x) aukin (sonidos onomatopéyicos) / chem üy niey tüfa? (sonidos onomatopéyicos, risas) chem pi Augusta? / a ver
feu, comment pourrait-on dire le son que fait le feu? -| ee|- feu (x) son (sons onomatopéiques) / comment pourrait-on dire cela? (sons onomatopéiques, rires) qu’est-ce que nous dit Augusta? (dictionnaire référentiel mapudungun/espagnol) / voyons
25 LOC 2 chümchüri ? crépiter ?
26 X chümchüri kütral le feu crépite
Dans cet extrait, la présentatrice de l‟activité demande d‟abord comment on
dit en mapudungun « aboyer » (wangküy). C‟est une vraie question posée aux
apprenants et aux locuteurs, car elle ne connaît pas, elle non plus, le mot.
L‟assistante prononce un terme approchant « bouillir » (wadkuy). L‟apprenant 2
comprend la question et se rend compte de la possible confusion entre les deux
mots. Du coup, c‟est l‟apprenant 2 qui éclaircit le terme « bouillir » en mapudungun
en le traduisant en castillan. L‟assistante cherche à nouveau le mot manquant et fait
appel aux onomatopées (aboiement) pour clarifier sa demande. Cette fois-ci, c‟est un
locuteur qui propose le mot recherché, « aboyer ».
Postérieurement, la même démarche est réalisée pour arriver au terme
« fourneau » (kütralwe). Cette fois-ci, l‟apprenant 3 propose le mot « feu » (kütral),
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
224
l‟assistante indique le mot au groupe en ajoutant l‟article « un » (kiñe kütral) (tour
16), l‟apprenant 3 rajoute le suffixe indicateur de lieu ou outil « –we » au mot
« feu » pour former le terme « kütralwe ». Finalement le terme « kütralwe » est
validé par un de locuteurs qui l‟affirme comme correct.
La présentatrice propose, à travers des onomatopées, d‟élargir la recherche
lexicale des mots. Dans une discussion postérieure avec moi, elle m‟explique qu‟elle
voulait arriver à faire le lien avec le dicton mapuche « chümchürilu kütral, akuay
witran » (si le feu crépite, une visite arrive). Donc la recherche du mot « crépiter » a
un objectif linguistique mais aussi culturel; pour cela la présentatrice cherche à faire
appel aux locuteurs – à travers la mimique et l‟onomatopée – pour qu‟ils puissent
expliquer le lien entre le feu qui crépite et l‟arrivée des visites, selon la tradition
mapuche.
La présentatrice m‟explique qu‟à travers le dicton, il est possible de
comprendre le mot « witran » (la visite) dans un contexte culturel plus large et riche,
et pour cela elle demande le terme « crépiter » en mapudungun. Cette recherche
aboutit à l‟intervention d‟un locuteur qui propose « chümchüri ?» (tour 25) en
interrogeant le reste du groupe, notamment les autres locuteurs traditionnels qui
confirment chümchüri kütral (le feu crépite), mais sans arriver à l‟objectif final visé
par la présentatrice (dicton). Petit à petit, on suit une progression de l‟intérêt entre
les apprenants, les locuteurs et la présentatrice pour arriver à une construction
collaborative de nouvelles connaissances.
6.3.4 Des contraintes et des limitations
La mise en place d‟un premier dispositif d‟immersion de mapudungun pour
un public adulte nous offre des données importantes pour analyser les atouts, mais
aussi les contraintes de ce type de démarche. Ces données permettront par la suite de
mettre au point de futures planifications de l‟enseignement.
Notons d‟abord l‟âge tardif des apprenants qui n‟ont jamais participé
auparavant à un dispositif linguistique de ce type. Pour la plupart, c‟est même la
première fois qu‟ils sont en face d‟un groupe de locuteurs traditionnels hors du
formateur et de ses assistants en ville.
Notons, d‟autre part, la faible intensité du contact linguistique, car comme le
mentionne Briquet (2006 : 59) l‟intensité de l‟exposition à la langue est déterminant
à l‟heure de l‟immersion :
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
225
L‟intensité de l‟exposition à la langue seconde est évidemment d‟abord
dépendante du nombre d‟heures pendant lequel l‟apprenant est confronté à la
langue à apprendre.
Bien entendu, une expérience immersive de seulement trois jours peut
paraître peu significative pour un apprentissage durable et continu. Cependant, étant
donné le caractère novateur de cette expérience, ce temps limité a permis de calibrer
et de reconsidérer les aspects liés à l‟intensité du contact pour de futures
expériences, mais surtout d‟analyser l‟impact que ce type de dispositif peut avoir sur
les participants.
On a pu aussi remarquer une grande fatigue chez les locuteurs, puisqu‟ils
doivent animer les discussions et, en même temps, interagir de manière ludique avec
les apprenants. Ils doivent non seulement parler en continu dans une langue de
moins en moins présente dans leurs échanges quotidiens, tout en transmettant des
savoirs culturels et linguistiques. Ils signalent que le fait de devoir maintenir le
discours seulement en mapudungun leur demande beaucoup de concentration : ils
doivent lutter pour ne pas utiliser l‟espagnol, surtout lors de l‟alternance entre les
deux langues quand, par exemple, il n‟existe pas de terme en mapudungun.
7. L‟immersion, une solution pour la sauvegarde
de langues dites en danger ?
Du point de vue exclusivement didactique, je ne voudrais pas présenter
l‟immersion comme une méthode infaillible, ni comme « la » solution au sauvetage
des langues dites « en danger ». Ce que je peux retirer de cette première expérience
est un aperçu général des particularités du dispositif mis en œuvre dans cette
communauté, et avec ce public en particulier.
Si l‟on peut dire que l‟immersion sert à « mieux apprendre », la réponse est
certainement positive, surtout lorsqu‟il s‟agit d‟une expérience insérée dans un
programme à long terme et qui commence à un âge précoce. De ce fait, la
planification de l‟enseignement des langues minoritaires devrait viser davantage la
formation des locuteurs, être recentrée sur des techniques didactiques appropriées à
l‟acquisition naturelle d‟une langue et espérer ainsi la pratique d‟une transmission
orale effective pour les futurs néo-locuteurs.
Dans un dispositif d‟enseignement où le rôle du « locuteur » – devenu en
l‟occurrence « éducateur » – s‟avère tellement indispensable pour le bon
déroulement de l‟expérience, il paraît urgent de mettre en place des démarches
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
226
préalables tenant compte d‟une sensibilisation à la vulnérabilité de la langue et des
enjeux d‟une didactique spécifique en contexte minoritaire.
Je ne chercherai donc pas ici, à partir d‟une analyse quantitative, à mesurer
les progrès des apprenants ou à tenter une étude comparative entre les étudiants qui
suivent seulement les ateliers en ville et ceux qui ont participé à l‟expérience
immersive.
Cependant, en m‟appuyant sur mes observations et sur les « retours » de la
part des participants, je peux tenter quelques conclusions et proposer des pistes de
recherche.
Il est certain que la découverte de ce « pays mapuche » dans lequel les
apprenants ont rencontré des locuteurs traditionnels dans leur communauté – milieu
marqué au niveau identitaire et culturel – joue un rôle essentiel à l‟heure d‟un
apprentissage significatif. Dans ce cadre, les éducateurs interviewés valorisent la
présence des apprenants, car cela les « oblige » à être plus vigilants et à se poser des
questions à propos de leur langue. Ils sont amenés à réfléchir à leur « loyauté
linguistique » et à s‟interroger sur la présence de l‟espagnol dans les discussions
entre locuteurs traditionnels.
L‟intensité des échanges oraux a amené les apprenants à repenser la manière
dont on peut apprendre la langue. Du point de vue de l‟autonomie, l‟expérience dans
une ambiance affective favorable permet aux apprenants un renforcement de leur
« sécurité linguistique » et une libération de la parole.
Tous ces facteurs me permettent de focaliser l‟attention sur les points
significatifs qui se dessinent dans une immersion, comme le sont les apports
affectifs et identitaires. On peut dire que les rencontres des apprenants avec les
locuteurs permettent de repenser le contact direct avec la communauté. Le lien
amical établi durant ce court séjour a permis à certains apprenants de séjourner à
nouveau chez l‟habitant à Curaco-Ranquil. De même, selon le témoignage des
participants, la situation géographique de la communauté a généré l‟impression de se
rendre dans un « pays » différent, ce territoire mapuche ancestral tellement valorisé
et idéalisé dans le discours militant.
La situation communicative devient réelle, et les besoins langagiers
s‟installent à partir de la rencontre avec les éducateurs. Bien que cette situation soit
reconnue comme « artificielle » (tout le monde sait qu‟il s‟agit de locuteurs
bilingues espagnol/mapudungun), s‟identifier à travers la langue comme membres
d‟une grande communauté, au-delà des distances géographiques, suggère un apport
identitaire fort.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
227
En général, l‟immersion rend « visible » et vivante la langue auprès des
principaux acteurs de la société mapuche. Cette situation permet de créer un lien
entre apprenants et éducateurs, un code à partager où la langue occupe une place
privilégiée. Cette visibilité se projette au-delà du cadre de l‟enseignement et, dans le
cas de l‟internat linguistique à Curaco-Ranquil, elle a eu aussi des répercussions
politiques.
Ainsi, en juillet 2012, lors de l‟expérience d‟immersion, un des candidats à la
mairie de la commune de Galvarino a pris connaissance de la présence de l‟équipe
de Santiago. Fortement interpellé par cette initiative, le candidat s‟est enquis de la
manière dont il pourrait, une fois élu, soutenir le projet de revitalisation linguistique.
Le 7 août 2013, en tant que maire, et après un travail entre divers acteurs
(dont les membres de l‟équipe organisatrice de l‟immersion linguistique et les
autorités du Conseil municipal), la commune de Galvarino devient la première ville
du Chili à institutionnaliser le mapudungun comme langue officielle (voir annexes
20 et 21)161
.
Cela signifie, en termes pratiques, l‟utilisation prioritaire de la langue dans
l‟administration et la création de politiques linguistiques soutenant le projet de
revitalisation de la langue dans la commune de Galvarino. En juin 2014, la
Contraloría General de la República162
décrète le mapudungun comme langue
officielle de Galvarino, confirmant ainsi les aspects légaux qui permettent
l‟instauration de politiques linguistiques au niveau local. Cette initiative ouvre la
possibilité aux autres municipalités également intéressées d‟officialiser cette langue
pour toutes les questions administratives.
Pour les apprenants des ateliers de mapudungun, comme pour les formateurs,
l‟oralité reste un véritable défi. Pour les apprenants qui désirent devenir néo-
locuteurs, le contact avec le contexte réel, autant que vivant, de la transmission de la
langue, semble fondamental.
Dans l‟impossibilité – à l‟époque actuelle – de récréer ces conditions en ville,
l‟expérience d‟immersion prend sa place dans une communauté linguistiquement
forte, dans un contexte rural où la présence de la langue reste encore assez vivante
pour rendre possible l‟existence concrète de situations sociales d‟échange.
161 Voir l‟information complète en espagnol sur http://redeibchile.blogspot.fr/2013/08/dia-historico-
el-mapudungun-es-lengua.html et http://www.galvarinochile.cl/webv2/?p=9806 (22/09/2013)
162 Selon la Constitution, cette entité autonome est chargée de fiscaliser et d‟exercer le contrôle légal
des actes de l‟administration publique au Chili.
Chapitre VII. Une expérience immersive au cœur du territoire mapuche
228
Sachant que la transmission familiale intergénérationnelle est de plus en plus
inexistante et en fonction du peu d‟intérêt des politiques linguistiques pour le rôle de
la famille et de la communauté, nous avons vu que la valorisation de ces interactions
entre les générations est susceptible d‟instaurer des liens capables de transformer les
pratiques didactiques pour ce contexte spécifique de langues.
Pour ce type de démarche, l‟immersion se présente comme une solution
socialement riche et efficace ; elle permet une articulation des nouvelles
connaissances dans une approche également affective, où se conjuguent des
éléments identitaires, culturels, sociaux et même domestiques.
A partir de cette formule globale, il est possible de réfléchir à des modèles
plus adaptés aux besoins langagiers et culturels prenant en compte les besoins
particuliers de la langue et de ses utilisateurs.
Chapitre VIII
Une approche didactique impliquée
de la création lexicale
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
231
When human creativity comes into play, there are no discernible linguistic limits to
the possibilities for transferring any linguistic feature from one language to
another163
(Thomason, 2001: 11).
Au fil de mes observations, la production de néologismes m‟est apparue
comme un phénomène particulièrement intéressant à analyser, en pressentant que la
création lexicale, à travers les figures métaphoriques, le champ sémantique, la
dérivation ou la composition (Sablayrolles, 2000), permettait aux apprenants non
seulement de nommer des éléments contemporains de la réalité, mais aussi de
développer une conscience métalinguistique et d‟explorer d‟autres manières de
s‟approprier la langue cible.
Dans ces contextes d‟investigation, la néologie fédère en outre l‟intérêt des
éducateurs et des apprenants dans cette nécessité de nommer, ou de renommer en
mapudungun, des réalités contemporaines. Ce besoin est pour partie lié au fait que la
langue est actuellement présente en contexte urbain et pratiquée par de jeunes néo-
locuteurs ou des apprenants qui souhaiteraient l‟inclure dans leur environnement
quotidien.
De ce fait, il est crucial d‟adapter la langue aux nouveaux concepts de la
science, de la technologie et de tout autre domaine contemporain car la langue a
dépassé depuis longtemps les frontières de la campagne vers la ville. Comme le
signale Dabène (2007 : 329), pour les langues minorées, cette démarche revient à
remédier à leur exclusion du monde contemporain :
Les langues minorées sont considérées comme inaptes à l‟expression de la
modernité, dont elles ont été, de longue date, exclues. Il va de soi qu‟il s‟agit là
d‟un handicap facilement remédiable. Il suffit, pour cela, d‟exploiter les
diverses possibilités de création de néologismes, inhérentes à tout système
linguistique : emprunts, créations lexicales à partir des racines existantes,
utilisation de figures de style comme la métaphore, etc.
Mais, pour le cas de langues minoritaires et minorisées – en plus de réaliser
un travail de créativité lexicale – il est nécessaire de comprendre d‟abord les enjeux
et les éventuels obstacles d‟ordre politique ou idéologique que ces changements
lexicaux représentent, non seulement pour la communauté linguistique, mais aussi
pour la société dominante.
163 Ma traduction : « Lorsque la créativité humaine est mise en jeu, il n‟y a pas de limites
linguistiques discernables aux possibilités de transférer quelque caractéristique linguistique que ce
soit d‟une langue à l‟autre ».
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
232
Ce chapitre présente mes premières réflexions menées sur la création
lexicale, ou création néologique, en langue mapuche et sur l‟exploitation de ce
phénomène dans le domaine de l‟enseignement/apprentissage de cette langue en
contexte urbain.
La présence du mapudungun dans divers milieux contemporains et son
intégration au monde académique à travers des cours et des ateliers du type de ceux
que j‟ai pu observer, ont fait de la création de néologismes une nécessité pour les
acteurs de son enseignement. Ce défi intervient non seulement au niveau lexical,
mais plus largement au niveau sociolinguistique.
A ce jour, il n‟existe aucune étude aboutie sur les néologismes générés en
contexte d‟enseignement/apprentissage de la langue mapuche. L‟ouverture de
nouveaux espaces d‟appropriation, comme des salles de classe à l‟université, ainsi
que l‟origine citadine des apprenants, invitent à réfléchir à la manière de penser et
d‟apprendre la langue à travers une approche métalinguistique attachée à des enjeux
idéologiques.
Ce chapitre aborde le sujet de la création lexicale, à partir d‟une approche
didactique impliquée sur le terrain, et qui prend en compte les besoins repérés dans
le contexte de l‟enseignement/apprentissage en ville.
En premier lieu j‟évoquerai les éléments de définition, puis je tenterai de
cerner les enjeux sociolinguistiques et didactiques du renouvellement lexical.
Il s‟agit avant tout d‟analyser les procédés de la création lexicale dans
l‟optique du développement d‟une didactique des langues minoritaires, afin d‟en
mieux comprendre les enjeux et les aspects plus importants pour la recherche d‟une
modernisation lexicale.
1. Eléments de définition
Nombreux sont les travaux qui traitent de la création lexicale dans la
littérature. Je me référerai particulièrement à Calvet (1987), Cabré (2002a, 2002b,
2004, 2010), Sablayrolles (2003), Boulanger, (2009, 2010), Pruvost et Sablayrolles
(2012) et Gaudin (2013), puis, pour le cas spécifique du mapudungun, à Chiodi et
Loncon (1999) et Villena (2010).
Suivant les critères proposés par Boulanger (2010: 40), on peut tout d‟abord
définir la néologie comme un domaine de la lexicologie qui étudie les processus de
création lexicale et les innovations lexicales, ainsi que la planification de nouveaux
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
233
termes. Selon le même auteur (2009 : 373), la création d‟un néologisme peut être un
acte individuel ou collectif ; il peut être réalisé de manière consciente ou
inconsciente.
On retiendra ensuite les distinctions établies par Calvet (1987 : 235). Ce
dernier signale que la création lexicale navigue entre deux pôles : la « néologie
externe » et la « néologie interne » ou « indigène ». La première se caractérise par
des emprunts à d‟autres langues ou l‟adoption de calques sémantiques, alors que la
néologie interne utilise les ressources morphologiques, syntaxiques, sémantiques
et/ou phonologiques propres au système linguistique. Bien que certaines créations se
rattachent à l‟un ou l‟autre de ces deux pôles, il n‟est pas rare que les créations
lexicales se situent quelque part dans un continuum.
On distinguera également avec Calvet (1987) deux types de créations
lexicales en relation avec la création du terme lui-même. D‟une part la néologie
spontanée, celle que les locuteurs utilisent quotidiennement pour combler des
carences lexicales et, d‟autre part, la néologie programmée164
, souvent pratiquée par
l‟institution dans le but d‟une politique et d‟une planification linguistique.
Pour leur part, Pruvost et Sablayrolles (2012) distinguent la dimension
correspondant au « degré de validation » d‟une création lexicale, identifiant trois
degrés, qui vont de la notion d‟hapax à la disparition du néologisme par son
intégration dans la langue. La fonction heuristique de cette typologie permet de
caractériser, par hypothèse, certains cas observés sur le terrain et de formuler des
propositions d‟actions didactiques visant l‟intégration dans la langue de nouveaux
termes. Selon la classification de Pruvost et Sablayrolles (2012), la catégorie dite de
faible validation peut renvoyer à un hapax néologique, lorsqu‟une seule occurrence
est attestée, mais aussi à des lexies utilisées par des groupes restreints de locuteurs et
dans une situation spécifique. Le second type est dit de moyenne
validation lorsqu‟un terme néologique est mobilisé seulement dans certains
contextes ou par des groupes restreints. Finalement, un terme issu d‟un néologisme
est dit de forte validation ou confirmé lorsqu‟il est adopté et inscrit dans le répertoire
des locuteurs et depuis longtemps dans leurs échanges quotidiens.
164
Aussi nommée par Cabré (2002) comme « création lexicale organisée ».
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
234
2. Le renouvellement lexical et ses enjeux
De nombreuses études sur la situation des « langues en danger » (Fishman,
1991; Hagège, 2000 ; Grinevald et Bert, 2010; entre autres) démontrent la nécessité
de la mise en place de mesures efficaces pour la protection de ces langues et cultures
menacées, et ce, à différents niveaux ; mesures qui se traduisent, entre autres, par
des politiques linguistiques implantées et appliquées dans l‟ensemble de la société.
2.1 Les enjeux sociopolitiques
Pour Calvet (1987 : 154-155), la politique linguistique est l‟« ensemble des
choix conscients effectués dans le domaine des rapports entre langue et vie
nationale ». Selon Beacco et Byram (2007 : 17), ces déterminations peuvent être
« une action volontaire, officielle ou militante, destinée à intervenir sur les langues »
et « ont pour domaines d'intervention les droits linguistiques (des minorités, en
particulier), les tribunaux et les administrations, l'affichage public, les médias…et
les enseignements de langue ».
Pour De Robillard (1997), la politique et la planification linguistiques font
partie d‟un système qui englobe les éléments théoriques et pratiques de
l‟organisation de la langue et de son usage.
Ce dernier point paraît fondamental pour comprendre l‟importance d‟une
planification adaptée à la situation du mapudungun, en tenant compte des nécessités
latentes qui émergent actuellement dans l‟enseignement/apprentissage de la langue
en contexte urbain.
Pour aborder la question de la planification, Kloss (1969) distingue une
planification du corpus en tant que système linguistique et structurel (phonologie,
morphologie et syntaxe) et une planification du statut comprenant la fonction, la
valeur et la position de la langue au sein d‟une société.
La planification du corpus inclut des actions dans les domaines de la
standardisation, du développement de nouveaux registres et évidemment du
renouvellement et de l‟actualisation du lexique. La planification de statut a, elle,
pour objet l‟augmentation de la valeur symbolique, politique et culturelle de la
langue dans la société.
Dans le domaine de la revitalisation des langues en danger, toutes ces
mesures s‟appuient sur un même objectif : le processus de standardisation ou de
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
235
normalisation linguistique. Comme le définissent Hamers et Blanc (2004) [1983], ce
processus tend à la valorisation de la langue à travers le prestige que celle-ci peut
acquérir dans la communauté linguistique.
La demande croissante de renouvellement lexical en langue mapuche – de la
part de locuteurs et de néo-locuteurs en contexte urbain – s‟inscrit dans le cadre de
processus sociaux et sociolinguistiques plus larges, comme la ré-ethnification
générale et la revitalisation linguistique.
2.2 Les enjeux sociolinguistiques
Pour Cabré (2002b), les processus de renouvellement lexical sont variables
selon la situation sociolinguistique de chaque langue. Pour une langue consolidée
socio-politiquement, la création lexicale sera facilitée puisque les nouveaux usages
se réaliseront de manière naturelle et vivante.
Dans le cas des langues minoritaires, la création lexicale rencontre de plus
grandes difficultés en raison principalement de « l‟insécurité linguistique » de ses
locuteurs. Pour la « sécurité » et « l‟insécurité » linguistique, je reprends la
définition donnée par Calvet (1996 :50) :
On parle de sécurité linguistique lorsque, pour des raisons sociales variées, les
locuteurs ne se sentent pas mis en question dans leur façon de parler, lorsqu‟ils
considèrent leur norme comme la norme. A l‟inverse, il y a insécurité linguistique
lorsque les locuteurs considèrent leur façon de parler comme peu valorisante et ont
en tête un autre modèle, plus prestigieux, mais qu‟ils ne pratiquent pas.
Cela concerne également la liberté qui peut, ou non, apparaître au sein de la
communauté linguistique pour créer de nouveaux concepts, sans qu‟ils soient
considérés comme des « barbarismes », des « erreurs » ou des « mots mal-dits ».
Ainsi, l‟autocensure face à la norme linguistique pourrait être une des causes de
l‟insécurité chez les locuteurs cherchant à trouver de nouveaux concepts dans leur
propre langue.
Cette insécurité linguistique s‟appliquerait aussi dans l‟utilisation ou la
recherche de ressources comme les emprunts linguistiques à la (ou les) langue(s)
dominante(s). Bien que tout système linguistique soit apte à la création lexicale
grâce aux ressources et procédés morphologiques et syntaxiques de chaque langue,
cette création lexicale (ou néologie) répond donc avant tout à une évolution de la
langue au sein de son environnement social.
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
236
Dans ce sens, Wittig (2009 : 2) signale que le nombre de locuteurs de
mapudungun diminue car la langue n‟est pas adaptée à de nouvelles fonctions
urbaines, ainsi le castillan gagne du terrain, même dans les contextes traditionnels.
Un point de vue contestable étant donné le développement d‟autres processus
sociopolitiques et sociolinguistiques comme la ré-ethnification générale165
(Catrileo,
2005) et l‟enseignement du mapudungun dans le milieu militant, avec l‟apparition
de néo-locuteurs adultes, et de leur besoin de renommer la modernité à partir de la
vie citadine.
3. Etat des lieux pour la création lexicale
Selon le recensement de 2012, le nombre de locuteurs du mapudungun
s‟élève à 114 988 personnes. Ce nombre représente 8,2 % d‟un total de 1 407 141
personnes auto-déclarées comme Mapuche au Chili. Ainsi, ces données confirment
la tendance au recul de la langue prévue par l‟enquête CASEN 2009, qui soutenait
que seulement 12 % de la population mapuche parlait le mapudungun.
Pour leur part, Chiodi et Loncon (1999), estiment l‟urgence de la mise en
place de nouvelles politiques linguistiques qui permettraient d‟assurer non
seulement la permanence de la langue, mais aussi son développement pour le
XXIème
siècle, faisant ainsi de la création lexicale une des clés de la réussite. Les
auteurs signalent comment, au fil des ans, la langue n‟a pas suivi le même chemin
que la société mapuche (Chiodi et Loncon, 1999:9). Les auteurs insistent sur
l‟évolution du lexique mapuche et sur une tendance à continuer à refléter un
contexte traditionnel en lien avec la terre et la vie en communauté. Ainsi le
mapudungun ne s‟est pas adapté au monde contemporain et se trouve dans
l‟obligation de créer des registres verbaux adaptés à la conceptualisation de termes
techniques, scientifiques, juridiques ou politiques.
En ce sens, selon la catégorisation de Zimmermann (1995-1996 : 190-191),
le mapudungun parlé en contexte urbain souffre d’une assimilation linguistique avec
modernisation sociale. Autrement dit, la langue mapuche se confronte à un manque
de terminologies modernes adéquates, utilisées en castillan – langue officielle du
165 Ce mouvement social décrit dans le chapitre II, né des revendications indigènes de toute
l‟Amérique à la fin du XXème
siècle, continue à se renforcer, spécialement parmi les jeunes. Parmi
eux, beaucoup sont des petits-enfants de locuteurs mapuche qui décident d‟apprendre la langue de
leurs ancêtres et de participer aux luttes pour la récupération territoriale et linguistique ; luttes qui,
dans la majorité des cas, ont « sauté » la génération de leurs parents (Gissi, 2004).
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
237
pays – comme substitut de la langue indigène. Ainsi, le processus de renouvellement
du lexique en langue mapuche est faible, puisqu‟il conforte cette tendance à
l‟intégration d‟un grand nombre de termes espagnols (Catrileo, 2010; Villena,
2010).
La domination lexicale du castillan est également due à une situation de
diglossie. La langue dominante impose ses usages, ce qui transparaît dans les
calques sémantiques, dans l‟influence des emprunts et de leurs aspects
phonologiques, provoquant ce que les locuteurs appellent le mapudungun awinkado,
ou l‟acculturation linguistique (Chiodi et Loncon, 1999). Bien que l‟existence d‟une
influence mutuelle entre les langues en contact soit naturelle, les relations de
pouvoir qu‟exercent ces langues dans la société occasionnent un déséquilibre et ceci
en raison des conditions sociolinguistiques diverses de valorisation et de
développement.
3.1 Ateliers en ville : des incubateurs de
néologismes ?
Durant ces dernières années – spécialement pour le contexte
d‟enseignement/apprentissage du mapudungun dans la ville de Santiago de Chile – il
existe de la part des acteurs de la revitalisation une demande croissante pour
nommer la ville et la vie citadine en langue mapuche. Cela semble indiquer un
possible changement du statu quo dont parle Zimmermann (1995-1996 : 190) et
d‟une évolution vers une modernisation sociale « sans assimilation linguistique », à
travers laquelle la transformation de la langue passerait par une planification
linguistique. Ces adaptations linguistiques et culturelles avaient déjà été perçues
comme indispensables et répondant à la réalité sociolinguistique du mapudungun à
la fin du XXème
siècle. Ainsi, comme le présageait Salas (1987 : 33):
La sociedad mapuche está en una situación de jaque y mate. Si ha de vivir la
civilización europeo-occidental moderna, ha de hablar castellano. Si quiere
hacerlo hablando mapuche, debe occidentalizar la lengua mapuche,
discontinuándola de su pasado tradicional166
.
Dans son étude sur la néologie du mapudungun dans la Région
Métropolitaine, Villena (2010) considère que la création de néologismes
166 Ma traduction : « La société mapuche est en situation d‟échec et mat. Si elle doit vivre au sein de
la civilisation européenne occidentale moderne, elle devra parler castillan. Si elle veut le faire en
parlant mapuche, elle doit occidentaliser la langue mapuche en la coupant de son passé traditionnel ».
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
238
« spontanés » en langue mapuche est actuellement plus importante que celle de
« néologismes planifiés ». Selon l‟auteure, cela pourrait s‟expliquer par l‟absence
d‟institutions formelles pouvant proposer de nouveaux mots et aider à la
planification de la langue. Elle signale aussi que, dans le cas du mapudungun,
prédomine la création lexicale du type externe, à partir d‟emprunts de l‟espagnol,
mais aussi de l‟anglais et de ses adaptations phonétiques et/ou grammaticales.
Ainsi, pour ne prendre ici qu‟un exemple, celui du néologisme tuitertufe qui
désigne, sur une page internet, « les personnes qui utilisent twitter ». Sa formation à
partir d‟un emprunt à l‟anglais (twitter) le lie au pôle de la « néologie externe »,
mais sa graphie adaptée et la suffixation du mapudungun en –tu et –fe l‟apparentent
également au pôle « interne ».
Figure 12: capture d’écran d’une page Twitter
Source © : capture d’écran twitter.
Les créations lexicales font souvent référence à des termes en lien avec le
monde de la technologie, de la science ou de l‟environnement urbain. Dans ce sens,
les réseaux sociaux constituent un excellent poste d‟observation de créations
lexicales relatives à ces nouveaux modes de communication et un excellent canal
pour sa diffusion. Par exemple, le terme : tuitertufe est apparu en tant qu‟hapax, lors
d‟une activité militante sur le réseau social twitter (« twitter storm ») qui avait pour
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
239
objectif d‟échanger en langue indigène dans le cadre de la journée internationale de
la langue maternelle167
.
On ne connaît pas encore le degré de validation du terme tuitertufe dans les
usages des locuteurs de mapudungun, mais c‟est un exemple assez emblématique, je
trouve, de l‟importance du phénomène.
Ce qui m‟intéresse aussi dans cet exemple, c‟est que l‟auteur de ce
néologisme l‟introduit en l‟accompagnant d‟un argument de modernisation de la
langue. On voit, en effet, sur la capture d‟écran, que cet intervenant du « twitter
storm » explique que tuitertufe résulte d‟une possibilité de réaliser un néologisme
grâce à l‟emprunt de l‟anglais et ainsi, je cite, de « développer le mapudungun
comme toute langue moderne ». Le même intervenant reprend le terme dans un
énoncé en mapudungun en le replaçant dans un contexte. Puis d‟autres intervenants
reprennent le nouveau mot, en ajoutant une salutation (« mari mari tuitertufe ») ; un
deuxième répond au salut en insérant l‟onomatopée de « rires » en espagnol
(« jajajaja »). Cette dernière intervention pourrait être prise, soit comme une
acceptation du nouveau terme, soit comme un commentaire ironique sur la
proposition. D‟où validation ou invalidation du terme.
Ici on a affaire à une création lexicale sur un réseau social, mais il faut
souligner que ce type d‟activité traverse l‟ensemble des réseaux sociaux (et pas
seulement ceux qui se développent dans le cyberespace), dans lesquels le
mapudungun est présent.
Concernant le recours à des ressources propres au système de la langue,
Quilaqueo et al. (2012 : 281) signalent l‟importance du contexte socioculturel
mapuche dans la construction d‟un nouveau mot par redoublement :
La répétition s‟emploie aussi pour indiquer le mouvement ascendant dans les
expressions xeg xeg, ou montagne qui grandit ; püra püra, qui exprime ce qui monte
et continue à monter. De plus, cela sert à indiquer un événement réitéré dans le cas
du mot gümagümagey, qui signale l‟action de quelqu‟un qui pleure de façon répétée
ou qui est entrain de pleurer.
Une autre règle interne pour la création lexicale est l‟agglutination, c‟est-à-
dire l‟ajout à un mot de base, d‟éléments qui apportent des significations et
précisions plus étendues. Un exemple est donné dans Quilaqueo et al. (2012 : 281) :
167 Ce phénomène se développe de plus en plus au niveau mondial pour les usagers des langues
minoritaires. Il existe de même le site www.indigenoustweets.com, qui sert à mettre en lien les
personnes qui postent des « tweets » dans une langue minoritaire.
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
240
Kintun pour se référer à l‟action de chercher, base à partir de laquelle on peut
engendrer d‟autres mots par agglutination, comme kintuge, qui indique ou
commande à quelqu‟un à la recherche de quelque chose.
Cependant, les travaux de Villena (2010), de Catrileo (2010) ou encore de
Loncon (2013) indiquent que le processus de rénovation lexicale en mapudungun
reste faible et que la tendance actuellement la plus fréquente est l‟incorporation de
termes en espagnol. Une situation révélatrice du stade de glottophagie où se trouve
la langue mapuche face au castillan.
Concernant les moyens d‟enrayer ce processus, Chiodi et Loncon (1995)
soulignent la nécessité d‟amplifier les domaines d‟usage du mapudungun et de
l‟ouvrir à d‟autres réalités culturelles et fonctions communicatives, comme celles
des apprenants et néo-locuteurs urbains.
3.2 Création lexicale en contexte scolaire : un
détour nécessaire
Comme l‟affirme Calvet (1974 : 56), « tout commence par la nomination ».
La création lexicale se présente comme un des besoins le plus manifestes pendant
l‟observation de différents ateliers et cours de mapudungun, en ville. La question des
apprenants vers les formateurs : chem pignekey mapudungun mew…? (comment dit-
on en mapudungun ?) devient un classique dans toutes les séances observées168
.
L‟apparition de la création lexicale en contexte d‟enseignement urbain est un
phénomène soutenu par la mise en place du programme d‟éducation interculturelle
bilingue. Il est donc relativement récent – environ une vingtaine d‟années – et
implique pour nous de faire un détour par le contexte scolaire pour observer ce qui
s‟y passe. De ce fait, l‟innovation lexicale du mapudungun y apparaît fortement liée
aux nouvelles politiques linguistiques qui donnent à la langue mapuche une nouvelle
place dans la contemporanéité.
La langue et son enseignement doivent s‟adapter à un nouveau public, celui
des apprenants qui s‟auto-définissent comme wariache, les gens de la ville. La
rénovation lexicale se présente comme une nécessité linguistique naturelle, mais
urgente, pour que cette « langue de la terre » devienne, dans les contextes urbains,
une langue « du bitume ».
168
De même, on l‟a vu, pendant le séjour immersif.
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
241
Dans le contexte scolaire, le Programa de Estudio de Mapuzugun169
(Quidel
et Loncon, 2012) propose dans ses linéaments la création et l‟étude de néologismes
comme un outil pédagogique.
Ce programme invite à la création de néologismes pour expliciter les
systèmes d‟agglutination, de reduplication ou de suffixation. Citons en particulier
dans le programme du niveau tercero básico170
(Quidel et Loncon, 2012: 132) les
contenidos mínimos obligatorios (contenus minimaux obligatoires) et ses
aprendizajes esperados (apprentissages attendus). Dans l‟exemple ci-dessous, ces
néologismes sont insérés dans les consignes pour fabriquer un petit bateau en
papier :
Chumgechi zewmagekey kiñe papel wampu
1. Katxüfige ti papel meli nor az nial.
2. Nüge kiñe tapül papel müchamkülelu, müchamfige nial kiñe küla-nor az
3. Nüge ti küla wechuñ mülewelu, fey müchamfige kañpüle igkü mew, nial ti
küla nor az.
4. Nülage ti küla nor az ka txapümfige ti epu wechuñ laf, zewmayal kiñe meli
nor az171
.
Ainsi la consigne remplace les emprunts de l‟espagnol cuadrado et triángulo
(carré et triangle) par les néologismes, respectivement Meli nor az et Küla nor az, en
laissant ainsi, dans la totalité de l‟énoncé, le seul mot papel (papier) comme emprunt
à l‟espagnol.
D‟après cet exemple, apparaissent deux pistes intéressantes à développer
pour des prochaines études sur la création lexicale.
Tout d‟abord, l‟introduction des néologismes dans un programme
d‟éducation permet leur instauration de manière presque immédiate dans la
communauté ou, au moins, les intègre dans la norme d‟usage scolaire. Ensuite, les
nouveaux termes s‟ajustent à un savoir préalable des apprenants, par exemple, ici,
169 La graphie utilisée dans cette citation pour nommer la langue correspond à l‟alphabet azümchefe
adopté comme officiel par les organismes étatiques chiliens.
170 L‟équivalent du CE2 dans le système scolaire français.
171 Ma traduction : « Instructions pour fabriquer un petit bateau en papier 1. Coupe le papier selon un
carré. 2. Prends la feuille et fais un pli pour former un triangle. 3. Prends les pointes et plie-les dans
le sens contraire, puis fais un triangle. 4. Prend les deux pointes unies au milieu et sépare-le. Voilà
ton petit bateau ».
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
242
les figures géométriques. Cela favorise éventuellement une plus grande
appropriation des nouveaux termes par analogie des significations.
4. À la recherche d‟une démarche didactique dans
les ateliers pour adultes
Dans le contexte de l‟enseignement pour un public adulte et en tenant compte
des observations des éducateurs de la Région Métropolitaine, la création lexicale
actuelle correspond au type spontané (Boulanger, 2010). Ces créations sont
fréquemment des hapax, ou des propositions irréfléchies, lancées par des
enseignants lors d‟une séance (temps précis) dans un lieu spécifique (atelier) sans
une continuité ou divulgation programmée. Ces lexies sont conçues comme un acte
individuel plus au moins inconscient, comme un recours pour sortir d‟une impasse
devant les demandes des apprenants. De ce fait, le phénomène d‟innovation
spontané est plutôt du type externe (Calvet, 1987) et s‟appuie sur un emprunt du
castillan.
Cependant, et compte tenu de l‟intérêt suscité par ce phénomène chez les
apprenants urbains, la création lexicale a commencé à être intégrée à l‟enseignement
dans certains ateliers de mapudungun.
Dans le tableau ci-après, un exemple d‟activité dans laquelle les apprenants
doivent remplir un formulaire de renseignements personnels, et où huit questions sur
les onze correspondent à des néologismes.
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
243
Figure 13: formulaire en mapudungun.
Source © : manuel de mapudungun « Kom kim mapudunguaiñ waria mew A.1.1 », 2009.
Dans ce formulaire, les néologismes utilisés ne répondent pas à un seul type
de composition lexicale. D‟une part, on note des innovations lexicales issues de
l‟espagnol comme karera (carrera), kurso (curso), numeru (número)172
. D‟autres
néologismes sont générés de manière interne à la langue comme waria rüpü (rue
- dans le sens d‟adresse), mütrümwe (téléphone) et kimelwe ruka (université ou
centre de formation). D‟autres encore sont des élaborations « mixtes » avec de légers
changements de la graphie de l‟espagnol, comme dans le cas d‟elektroniko werküwe
(courrier électronique).
Les apprenants, autant que les éducateurs de mapudungun en ville, cherchent
à adapter la langue aux nouveaux concepts de la modernité comme, par exemple, la
172 Ma traduction: « filière, cours et numéro ».
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
244
science et la technologie. Néanmoins, comme je le signale avec Loncon (Vergara et
Loncon, 2016, à paraître), souvent ces éducateurs créent des néologismes de manière
spontanée pour pouvoir répondre « quelque chose » et éviter d‟être discrédités par
les apprenants. Ils déclarent faire appel à leur maîtrise de la langue et à la créativité
du moment pour générer un vocabulaire répondant aux demandes immédiates des
apprenants. Ils regrettent de devoir le faire dans l‟urgence, sans concertation avec les
apprenants ou avec les autres éducateurs du milieu urbain.
Cette nécessité de rénovation lexicale devient, en contexte urbain, une
demande prioritaire, elle s‟invite dans les discussions entre les acteurs de la
revitalisation et les ateliers de langue. Elle intéresse les documents et les manuels
utilisés pour les séances d‟enseignement en ville. Bien que ces facteurs incitent à la
création de néologismes, la dynamique du cours reste le plus souvent frontale ; la
parole est proposée et validée, soit par le présentateur de l‟activité (néo-locuteur),
soit par l‟éducateur traditionnel (locuteur expert) et non par les apprenants. De
même, les compétences langagières des apprenants n‟amènent pas, non plus, des
propositions lexicales et des discussions approfondies autour de celles-ci.
Il semble donc intéressant de redéployer les possibilités et particularités du
mapudungun, au-delà des contraintes déjà repérées, comme son absence de
normalisation et son statut de « langue en danger ».
La nécessité permanente et spontanée des apprenants de nommer la ville et la
vie moderne en langue mapuche ouvre d‟énormes possibilités pour ce type de
demande. Devant la question récurrente des apprenants : Chem pignekey
mapudungun mew173
? – présente dans la totalité des ateliers observés – s‟ouvrent
des opportunités pour développer le lexique, mais aussi des aspects de l‟usage de la
langue au niveau culturel et pragmatique.
Bien que la création lexicale s‟inscrive dans un processus sociolinguistique
complexe, la possibilité de créer de nouveaux mots apparaît comme un outil
didactique capable de développer, chez les apprenants, des perspectives
métalinguistiques et interculturelles.
173 Ma traduction : « Comment on dit en mapudungun? ».
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
245
4.1 Retour en contexte immersif : la création
lexicale spontanée comme point de départ
Comme je l‟ai déjà suggéré, la disparité des compétences langagières entre
les jeunes apprenants et les locuteurs traditionnels – normalement perçue comme un
frein à la communication – peut, à l‟inverse, apparaître comme un avantage dans le
cadre d‟une réflexion métalinguistique.
Les répertoires « asymétriques » entre locuteurs, néo-locuteurs et apprenants
permettent en effet des questionnements actifs sur la langue et un échange positif
entre les connaissances des locuteurs aïeuls et la créativité des jeunes apprenants.
Ces facteurs ne peuvent être négligés au moment de repenser
l‟enseignement/apprentissage d‟un mapudungun « en danger ».
La présence de locuteurs traditionnels et d‟apprenants dans un dispositif
d‟immersion en contexte rural, nous est apparue comme une opportunité profitable à
des échanges intergénérationnels et interculturels, et à des perspectives en matière
d‟innovation lexicale.
En voici un nouvel exemple : après avoir visionné une vidéo intégralement
parlée en mapudungun, les apprenants s‟aperçoivent que, culturellement, le mot
« témoin » n‟existe pas. En tout cas, il n‟existe pas en tant que figure juridique,
comme il se présente dans le documentaire visionné. Rapidement les locuteurs
cherchent une adaptation lexicale au mapudungun et commencent à en discuter.
Tableau 12 : séquence 2
Nº PART Transcription du mapudungun /espagnol (variante chilienne)
Traduction en français
1 PRES Fenmgechi, epu / ¿wentru? inkai/ inkaiaimu? ¿Cómo diríamos
eso?///
Alors, deux / hommes ? se défend, ils se défendent ? Comment pourrait-on dire
ceci ?
2 LOC 3 Testikulama ? Testikupekulama ? Testikulama ? testikypekulama ?
3 PRES Testiku ? Testiku ?
4 LOC 2 Testikulu ? (risas generales) Testikulu ? (rires généralisés)
5 LOC? Testigope Testigope
6 PRES Testigope Testigope
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
246
Dans la transcription ci-dessus, les échanges entre les participants montrent,
au niveau linguistique et culturel la difficulté que représente le processus de création
d‟une nouvelle lexie.
Tout d‟abord, on remarque que l‟agglutination est un phénomène récurrent
pour la création lexicale, à travers l‟adjonction de particules. Deuxièmement, pour
ce cas particulier, la première proposition émerge à partir du terme espagnol
« testigo » (témoin), en faisant appel à une des techniques les plus récursives :
l‟emprunt. Le mot proposé par les locuteurs résulte d‟une adaptation phonétique
créée à partir du changement du morphème /go/ par la particule /ku/ et l‟accolement
du suffixe /lu/. Selon Zuñiga (2006 :249), la forme –lu est souvent utilisée si la
personne est neutre ou si la personne est agent dans la phrase subordonnée. Dans ce
cas, cela s‟explique car l‟agent serait le « témoin ». Cependant, ce nouveau terme
donne comme résultat « testikulu », un mot phonétiquement très similaire au mot
« testicule » en espagnol. Le terme est automatiquement mis à l'écart au milieu les
rires généralisés des participants.
Après une première proposition rejetée, un autre locuteur propose
immédiatement et de manière spontanée un nouveau mot, en utilisant aussi
l‟agglutination, à travers le changement des morphèmes /kulu/ par le suffixe /-pe/.
Or, l‟utilisation de l‟adjonction de la particule –pe proposée ne reste pas très claire.
Soit, il s‟agit de l‟adjonction d‟une particule utilisée souvent comme suffixe
perfectif pour les verbes (Loncon, 2007 : 204), ce qui ne semble pas très cohérent
car « testigo » est un nom, soit, la particule –pe est ajoutée pour une mise en relation
avec le verbe « voir », pe en mapudungun. Ainsi, la création de « testigope »
correspondrait à un amalgame spontané entre l‟espagnol et le mapudungun, réalisé
par un de locuteurs. Un choix intéressant qui permet de comprendre que, pour ce
type de locuteur – adulte dans un milieu rural – la combinaison entre l‟espagnol et
le mapudungun, dans un premier temps, n‟est pas conflictuelle du point de vue
idéologique.
Finalement les participants s‟interrogent sur cette curieuse « absence » du
terme au niveau culturel pour signifier un « témoin », dans un sens juridique. Le
doyen des participants déclare que cela peut s‟expliquer par la cosmovision
mapuche où la parole sur l‟honneur a une valeur très forte : si quelqu‟un dit quelque
chose on doit lui faire confiance et pour cela, il n‟y a pas besoin d‟un tiers pour
vérifier, attester ou nier un témoignage. Dans le film visionné, on avait aussi
retrouvé cette idée.
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
247
Pour la finalité didactique correspondant au terme « témoin », les locuteurs
en restent à l‟adaptation d‟un mot espagnol en mapudungun, qui donne comme
résultat final le mot « testigope ».
La création lexicale implique ainsi un haut niveau de concertation entre
apprenants et locuteurs, permettant une véritable interaction et une réflexion
métalinguistique poussée. La création lexicale sert comme un outil déclencheur du
processus d‟apprentissage, ce que Freire (2002) [1970] nomme un « thème-
générateur » ou une « thématique significative » dans ce contexte.
Compte tenu de cette expérience, la possibilité de retravailler la création
lexicale dans le dispositif d‟immersion linguistique semble très pertinente. Elle
prend en compte les besoins de type lexical et une tentative de réflexion
métalinguistique, chez les apprenants comme chez les locuteurs. Cet exercice permet
également d‟observer les différences ou les similitudes entre les milieux urbains et
ruraux qui interfèrent dans le domaine de la création lexicale. Cette expérience
montre comment la néologie peut s‟inscrire dans le mode d‟enseignement d‟une
langue minoritaire.
La création lexicale est une demande récurrente chez les apprenants qui
touche directement un processus de construction de savoirs langagiers. Compte tenu
de l‟absence d‟une institution formelle – telle qu‟une académie de la langue – pour
l‟introduction d‟une néologie du type planifié, les ateliers de mapudungun en milieu
urbain s‟avèrent un « créneau » innovant pour la mise en place d‟une création
lexicale didactisée. Elle peut être conçue à la fois comme une démarche
d‟enseignement/apprentissage et en même temps comme une action de planification
linguistique collective « par le bas ».
4.2 La néologie comme outil de planification:
vers une création lexicale didactisée
La nécessité spontanée de la part des apprenants de trouver des définitions
pour nommer des réalités contemporaines qui n‟existent pas en langue mapuche est
un fait incontestable. D‟ailleurs, à l‟intérieur de l‟un des manuels d‟enseignement du
mapudungun apparaît la rubrique « wedungun », qui signifie « nouveaux mots »
pour présenter justement une série de néologismes à l‟intérieur d‟une unité :
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
248
Figure 14: néologismes présents dans un manuel d’enseignement.
Source © : manuel de mapudungun Kom kim mapudunguaiñ waria mew, 2009.
Les néologismes présentés dans ce manuel, et indiqués dans la figure ci-
dessus, sont, pour la plupart, le résultat d‟une compilation des créations lexicales
spontanées, utilisées de manière courante par des locuteurs en contexte urbain. Les
mots « rakiwe », « pelomwe », « rüpü » et « waria rüpü », sont l‟objet d‟une forte
validation parmi les locuteurs, alors que « mütrümwe », « elektroniko werküwe »,
« anüwe » et « eñümiyaelwe », sont des termes de moyenne validation, ils sont en
cours d‟authentification à travers les manuels et les ateliers en ville. Ces derniers
termes ne sont pas encore connus par une grande partie des locuteurs, notamment en
contexte rural. Ils ne sont donc pas encore utilisés dans la totalité de la communauté
linguistique.
Les tentatives pour introduire de nouveaux termes dans un contexte
d‟enseignement/apprentissage se réfèrent à un type de néologie planifiée, nommé ici
création lexicale didactisée. Ce type d‟innovation lexicale a été introduit dans un
but didactique lors d‟une activité liée à l‟enseignement/apprentissage. Il se
caractérise par une forme de proposition vers la communauté linguistique, en attente
d‟une validation à travers son usage.
Lors de notre expérience d‟immersion, ce travail de collaboration a été divisé
en plusieurs étapes, d‟abord les interactions de type dyadiques (binômes apprenants-
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
249
locuteurs), puis en petits groupes de quatre personnes, pour finir sur une discussion
collective.
À travers cette activité, l‟invitation est à une réflexion sur la néologie, les
propositions ciblant plus la créativité que la normativité. Même si la plupart des
échanges pour argumenter et débattre de manière métalinguistique se sont réalisés
dans la langue dominante, cette activité a permis de réfléchir, d‟apprendre et de
discuter « sur » et « dans » la langue cible.
4.3 Premières propositions :
négociations et questionnements
Lors de notre expérience à Curaco-Ranquil, le stimulus langagier s‟est réalisé
à l‟aide de catalogues et de revues. La consigne donnée est de feuilleter les
magazines et de repérer des images susceptibles d‟être nommées par des
néologismes. En groupe, les apprenants, les néo-locuteurs et les locuteurs discutent
de la possibilité de créer ces néologismes en mapudungun.
Parmi les termes les plus fréquents se trouvent les objets liés à la technologie
comme par exemple l‟ordinateur, le téléphone portable, le sèche-cheveux, le rasoir
électrique, ou liés à la vie domestique comme la poêle. Il peut aussi s‟agir de
produits d‟usage quotidien comme le déodorant, certaines boissons ou le liquide
vaisselle.
D‟abord de manière individuelle, puis en groupe, les apprenants et les
locuteurs font un tri et décident ensemble des images à étudier. De la même manière,
chaque participant réfléchit individuellement à une proposition avant la mise en
commun. Une décision doit être prise par le groupe pour chaque mot. Finalement,
chaque groupe présente ses propositions sur une grande feuille de papier.
Dans l‟étape de prise de décision pour les mots à établir pour chaque objet,
les groupes composés d‟apprenants et de locuteurs discutent et font des propositions
en espagnol et en mapudungun. Il s‟agit d‟une activité métalinguistique comportant
au maximum quatre personnes où l‟objectif est de parler de la langue et d‟essayer
d‟arriver à un consensus, dans la mesure où les connaissances linguistiques le
permettent. Lorsque les participants, tant apprenants que locuteurs, se trouvent « en
panne », car ils n‟arrivent pas à se décider sur un terme, ils cherchent le soutien du
présentateur de l‟activité.
Dans l‟extrait suivant les participants sont à la recherche d‟une validation
pour le mot « déodorant ». L‟apprenant 1 propose deux alternatives pour un même
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
250
concept. Le terme en mapudungun arofnom, « non transpirant », et arofnomwe en
ajoutant le suffixe –we qui indique un outil ou un objet. Ainsi, la proposition pour
déodorant pourrait être définie comme « l‟objet qui évite de transpirer ».
Tableau 13: séquence 3
Nº PART Transcription du mapudungun / espagnol (variante chilienne)
Traduction en français
1 APPR 1 arofnom / arofnomwe Non transpirant / l’objet non transpirant
2 LOC 4 nümüy ta arof, nümüy ta arof Enlever la transpiration
3 LOC 1 aquí dice las dos cosas / arof dungu / (x) es casi la misma cosa, las dos cosas por una, produce…
ici, on trouve les deux choses/ le mot transpirer/ (x) est presque la même chose, les deux dans une
seule, il produit…
4 APPR 1 ¿Y ese? / arofnomwe Et celui-là ? l’objet non transpirant
5 LOC 4 Entonces, ¿cómo es? Comment c’est?
6 PRES Arofnom / no transpirar Non transpirant / Non transpirer
7 LOC 1 Arofnom Non transpirant
8 APPR 1 ¿Y arofnomwe? Et l’objet non transpirant alors ?
Une première proposition lexicale est faite avec beaucoup d‟aplomb par
l‟apprenant 1 qui affirme son terme, puis le rectifie en ajoutant la particule indiquant
un instrument ou un objet : –we. Toutefois, les participants 1 et 4 discutent à propos
des notions sémantiques de « non transpirant » et de « déodorant », visiblement à
cause des termes en espagnol « anti-transpirante » et « desodorante » inscrits sous
la photo.
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
251
Figure 15 : création lexicale pour le mot « déodorant/anti-transpirant ».
Source © : A. Vergara, 2012.
Les deux notions, qui semblent différentes dans leur champ sémantique,
empêchent la prise d‟une décision unique pour un produit qui, en l‟occurrence,
montre des nuances par rapport à son utilisation.
En effet, dans la colonne de traduction en français je ne note pas le mot
« déodorant », mais les expressions « non transpirant » ou « l‟objet non transpirant »
traductions qui rendent mieux compte de la modalité formelle de création lexicale
utilisée par l‟apprenant 1. Cette modalité est celle de la suffixation. En effet, le
terme en mapudungun arofnom, « non transpirant », devient arofnomwe en ajoutant
le suffixe –we qui indique un outil. Ainsi, la proposition plus complète pour
« déodorant » pourrait être définie comme « l‟objet qui évite de transpirer ».
Cependant, cette proposition ne renvoie pas à l‟idée d‟odeur et n‟est donc pas
immédiatement acceptée par les autres participants qui, eux, poursuivent le brain
storming, pendant que l‟apprenant 1 (apparemment non concerné par la discussion
autour du champ sémantique engagée par les locuteurs 1 et 4) attend de leur part une
validation explicite. Comme l‟indiquent les tours 4 et 8, il soumet encore à deux
reprises l‟utilisation ou non de la particule –we pour marquer l‟usage d‟un « outil »,
lancée lors de sa deuxième proposition : arofnomWE.
Mais cette sollicitation n‟atteindra pas son but, car la locutrice experte 4
semble moins focalisée sur les attentes de l‟apprenant (et sur son propre rôle de
tuteur dans le cadre d‟un contrat didactique) que sur l‟avancée du projet de
planification lexicale. Justement, au tout début de l‟échange l‟apprenant, en même
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
252
temps qu‟il formule ses propositions, oriente son regard vers la locutrice 4 qui est en
face de lui. Ce regard pourrait être interprété comme une sollicitation de validation,
en dehors des différences que construit l‟asymétrie de connaissance de la langue,
alors que la locutrice experte sollicitée semble placer au premier plan de l‟échange
l‟avancement du projet commun de création lexicale. Autrement dit, il me semble
que, contrairement à l‟apprenant, la locutrice ne se place pas ici en situation
didactique mais uniquement en position de planification.
Cet exemple semble très pertinent pour analyser les types d‟échanges
collaboratifs qui se déroulent dans ce modèle d‟activité. D‟une part, les
connaissances linguistiques des locuteurs permettent de réaliser une étude fine des
aspects sémantiques et approfondis de la langue ; d‟autre part, la créativité des
apprenants, sans se fonder sur des connaissances achevées, permet des propositions
lexicales et des réflexions métalinguistiques. Celles-ci peuvent concerner des aspects
spécifiques, comme par exemple l‟agglutination et le caractère polysynthétique de la
langue. Cependant – et comme dans toute expérience innovante – il reste à mieux
définir les rôles respectifs des apprenants et des locuteurs traditionnels dans le cadre
d‟une démarche collaborative. Cela permettrait de mieux orienter les propositions
didactiques et de répondre plus exactement à des objectifs concrets.
4.4 Premières créations lexicales didactisées:
cadre synoptique
Le débat sur la création lexicale amène les apprenants et les locuteurs, non
seulement à se poser des questions autour du fonctionnement de la langue, mais
aussi à argumenter, à adopter ou refuser des propositions.
J‟indique ci-dessous une sélection des créations lexicales réalisées pendant le
stage d‟immersion.
La première colonne, à gauche, indique le résultat final – un néologisme ; la
deuxième colonne expose les différents éléments linguistiques utilisés ; la troisième
indique la signification ; enfin la dernière colonne, à droite, précise la procédure
suivie :
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
253
Tableau 14 : cadre synoptique des néologismes.
Néologisme Eléments utilisés Signification Procédure
piwün-longko-we souffler-tête-instrument
sèche-cheveux
composition-dérivation
eñum-ke iyael-we chaud-pluriel-nourriture-instrument
micro-onde composition-dérivation
entu-az-we prendre-visage- instrument
appareil photo
composition-dérivation
ellka-dungun-we cacher-mots- instrument
ordinateur composition-dérivation
neyen-pos-we respirer-saleté- instrument
aspirateur composition-dérivation
allkü-we pilun écouter-instrument–oreille
écouteur dérivation-composition
Source © : tableau résumé de création lexicale, Vergara et Loncon, 2016, à paraître).
Comme le signale Cicurel (1985), à travers les propositions réalisées dans ce
contexte, il est possible d‟implémenter à l‟intérieur de la démarche didactique un
« discours explicitement métalinguistique ».
Les apprenants – sans être des spécialistes – peuvent parler de la langue cible
en termes linguistiques appropriés, dans le cadre d‟une approche grammaticale
didactisée.
La plupart des néologismes analysés dans notre exemple se créent à partir de
l‟extension d‟un champ sémantique. Les apprenants conjuguent ainsi des concepts
sémantiques et l‟usage de marqueurs récurrents, comme celui d‟instrument (-we)
pour donner la caractéristique de l‟objet.
Il est donc attendu que l‟apprenant comprenne certaines procédures existant
dans la langue comme l‟agglutination, la composition, la dérivation ou
l‟incorporation nominale, sans avoir un niveau très avancé de connaissances
linguistiques. D‟ailleurs, on peut remarquer que la presque totalité des procédures
utilisées est du type composition-dérivation.
En ce qui concerne les éléments linguistiques, la qualité d‟« instrument »
dans chaque proposition suggère qu‟il s‟agit d‟un marqueur fortement présent en
mapudungun, comme en français, où on retrouve les termes « machine à café »,
« machine à laver » ou « machine à coudre ». D‟autre part, la composition
sémantique adoptée permet de mieux comprendre certains aspects métaphoriques
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
254
propres à une cosmovision (bien différente des logiques occidentales), qui dit, pour
appareil photo : « prendre-visage » ou pour ordinateur : « cacher-mots ».
Les apprenants mettent en place des connaissances déjà acquises, d‟une
manière ou d‟une autre, pendant leur contact avec la langue, comme par exemple
l‟utilisation de marqueurs de lieux, de personnes, d‟actions, etc.
Cependant, l‟utilisation de figures comme l‟onomatopée et la réduplication
restent des processus de création plus complexes, méconnus de la plupart des
apprenants. Même si l‟onomatopée est largement présente dans les répertoires à
travers les noms d‟animaux ou dans la toponymie (Zuðiga, 2006 ; Chiodi et Loncon,
2009), il semblerait que ces phénomènes soient plus facilement repérables par des
locuteurs possédant un niveau assez élevé de culture mapuche. Il s‟agit notamment
des personnes ayant vécu dans des communautés rurales, ayant adopté leur mode de
vie, avec des connaissances beaucoup plus fines, allant bien au-delà d‟une réflexion
morphosyntaxique.
Comme je l‟ai déjà signalé, à propos des exemples cités par Quilaqueo et al.
(2012: 281), la réduplication en mapudungun reste un élément linguistique et
socioculturel très représentatif de la culture mapuche, et en même temps très
difficile à saisir pour les apprenants du niveau débutant ou intermédiaire.
Le développement d‟une conscience culturelle et linguistique utilisant les
onomatopées et la réduplication pourrait hypothétiquement élargir le champ de la
création de nouveaux mots correspondant à des besoins contemporains. On pourrait,
par exemple, imaginer de nouveaux termes pour nommer des objets tels que
cafetière, ambulance ou horloge.
5. La création lexicale comme outil didactique :
collaboration et réflexion métalinguistique
La création lexicale se présente comme un domaine intéressant d‟un point de
vue didactique, à la recherche de nouvelles formes d‟enseignement/apprentissage du
mapudungun dans des contextes majoritairement urbains. A travers les propositions
des néologismes utilisés dans le domaine de l‟enseignement/apprentissage se
construisent de véritables ponts interculturels qui vont à la recherche d‟une
appropriation riche de la langue et de la culture. Donc la création lexicale est pensée
comme un outil didactique au sein d‟un processus plus large privilégiant un point de
vue métalinguistique qui invite aux dialogues interculturel et interdisciplinaire.
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
255
Les conditions favorisant la production de néologismes reposent sur ses
utilisateurs. Dans le cas du mapudungun, ce sont ses locuteurs traditionnels, ses néo-
locuteurs et ses apprenants, sans compter les utilisateurs de nouveaux espaces
comme les ateliers en ville, les réseaux sociaux, les pages internet et jusqu‟à la
signalétique. Ce milieu urbain offre un contexte d‟enseignement/apprentissage
fertile pour la création, la diffusion et la validation d‟une nouvelle terminologie.
La création lexicale didactisée se caractérise par une forte activité discursive
où, tant les apprenants que les formateurs, peuvent se positionner par rapport à une
norme. Il n‟existe pas de « vraies » ou de « fausses » propositions, ce qui permet un
travail collaboratif et un apprentissage communautaire. Cette dynamique permet :
- Une narration collaborative entre locuteurs et apprenants : indépendamment des
répertoires linguistiques asymétriques des participants, les propositions données par
chacun permettent des échanges langagiers riches en connaissances et en créativité.
- Une collaboration intergénérationnelle : la rénovation lexicale de la langue
permet la création d‟un projet commun où toutes les idées tendent vers un même
objectif, et où les locuteurs âgés des communautés peuvent indiquer des pistes
intéressantes.
- L‟activation et la réactivation des connaissances : résultat du travail collaboratif
l‟activité de création lexicale active une réflexion métalinguistique chez les
apprenants et la réactivation des connaissances chez les locuteurs, à travers l‟usage
permanent de la langue cible. La création lexicale n‟est pas seulement un processus
de création mais aussi de récupération du lexique utilisé autrefois.
- Le débat sur les néologismes, de façon spontanée ou didactisée, permet des
propositions lexicales qui sont à la fois un outil et un but, qui cherchent à générer
une participation active de tous les intéressés.
Dans le cas d‟une langue standardisée, la discussion, les tests, la validation
ou les rejets autour de nouveaux termes se font aussi à travers des instances comme
les dictionnaires, la littérature, les institutions publiques et les médias. Ce que
Pruvost et Sablayrolles (2012) nomment « les lieux privilégiés du jugement », qui ne
sont pas, pour autant, des instances uniques, mais qui aident à tester les nouvelles
lexies pour un large public.
Or, dans le cas d‟une langue minoritaire comme le mapudungun, l‟absence
de ces lieux de jugement empêche de réaliser un diagnostic correct de l‟utilisation de
ces nouveaux termes. Donc il devient nécessaire de rechercher d‟autres moyens
d‟observation et d‟évaluation pour la création, l‟utilisation, la transmission et la
validation des néologismes.
Chapitre VIII. Une approche didactique impliquée de la création lexicale
256
Ainsi, les ateliers dans le milieu de l‟enseignement ou les réseaux sociaux sur
internet pour des publics plus larges pourraient être dans l‟immédiat des lieux
privilégiés pour l‟observation de l‟évolution de nouveaux mots en mapudungun,
grâce au nombre d‟apprenants et manuels d‟enseignement déjà contextualisés pour
un lexique proprement urbain.
Le milieu urbain offre actuellement un cadre innovant et très particulier
d‟enseignement/apprentissage qui pourrait contribuer à une planification « par le
bas », à partir d‟une démarche participative.
La création lexicale reste cependant au cœur d‟une discussion plus large
dépassant le champ exclusivement linguistique. Les enjeux autour de la création
lexicale et les débats dans lesquels s‟inscrivent les diverses postures idéologiques,
sont bien présents surtout dans le contexte d‟un mouvement politique et identitaire.
L‟intérêt qui existe pour la construction d‟un cadre didactique des langues
originaires se trouve au croisement des analyses internes d‟acquisition ou
d‟apprentissage et des postures idéologiques des différents acteurs impliqués dans le
mouvement de revitalisation linguistique.
Dans la suite de mes propos, j‟insisterai donc davantage sur l‟intrication de la
création lexicale avec les discours politiques et idéologiques des tenants de la
revitalisation.
Chapitre IX
Création lexicale et postures militantes :
le poids des idéologies linguistiques en
didactique
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
259
L’action militante sur une langue a un tout autre sens lorsque la communauté qui
la parle est opprimée ; il ne s’agit plus alors seulement de pédagogie,
d’alphabétisation, de grammatisation, de promotion, de réglage ou
d’ « aménagement » (…), mais de combat politique.
Alain Rey, in Gaudin, 2013 : 18.
Ce dernier chapitre donne une large place à des exemples concrets de débats
autour de la création lexicale qui révèlent des postures idéologiques vis-à-vis de la
langue et de sa revitalisation.
De jeunes apprenants, des locuteurs traditionnels et un kimche – sage – garant de
la pérennité de la culture mapuche fédèrent leurs énergies et leurs savoirs dans une
démarche qui, au-delà de la création de nouveaux mots, s‟inscrit dans un processus de
redynamisation d‟une langue en danger.
1. ¿Wedungun, chumall174 ?
Pendant l‟expérience de création lexicale, diverses postures idéologiques se
manifestent à travers la détermination de chaque locuteur à défendre son point de
vue et cela s‟intensifie lors de la difficile recherche d‟un consensus.
Pour Cabré (2002), les processus de renouvellement lexical varient selon la
situation sociolinguistique de chaque langue. Les nouveaux usages se réaliseront de
manière naturelle et vivante dans le cas d‟une langue consolidée socio-
politiquement.
Analyser les postures et idéologies linguistiques autour de la question de la
création lexicale s‟avère nécessaire pour avancer dans notre réflexion sur la
didactisation de ces activités. Comme le signale Jaffe (2005 : 94), à propos du
terrain corse :
L‟entrée d‟une langue minoritaire dans un nouveau domaine d‟usage rompt
[…] avec des notions très globales – et difficilement exprimables – d‟identité
linguistique.
Pour Jaffe (2008) les idéologies linguistiques recouvrent divers phénomènes
qui varient entre l‟ordre individuel et social et selon « la façon dont elles sont
174 Ma traduction : « Des nouveaux mots, pour quoi faire? ».
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
260
rattachées à des expériences de langue, identité et pouvoir dans un contexte
diglossique » (Jaffe, 2005 : 94). Selon cette acception large, les croyances d‟un
individu face à ce qu‟il considère comme une langue et ses critères, relèvent d‟une
idéologie linguistique. Cela concerne aussi la conception collective des usages, les
idées/convictions attachées aux critères linguistiques (liés à des caractères sociaux)
et les convictions/certitudes entre langue et identité.
Le travail de la création lexicale en mapudungun rend compte d‟un terrain
idéologique; cette création répond en même temps à une pratique et à un discours
militant. Comme le signale Alain Rey dans la citation placée en exergue de ce
dernier chapitre, l‟action linguistique militante va au-delà de l‟action pédagogique
ou de la promotion de la langue, et relève du « combat politique ».
Dans ce même ouvrage, Salih Akin (in Gaudin, 2013 : 248) illustre, fort à
propos, l‟importance de ces questions idéologiques à partir de la situation actuelle de
la langue kurde. L‟auteur signale l‟importance des questions terminologiques et
identitaires dans le cas des langues menacées :
Le recueil et la diffusion du vocabulaire d‟une langue déniée dans son
existence même apportent la preuve de l‟existence et de la matérialité de la
langue.
Dans le cas de la création lexicale, l‟intérêt des jeunes apprenants urbains
pour la langue et leur engagement pour la revitalisation provoquent un effet « boule
de neige » de créativité chez les locuteurs plus anciens du milieu rural. Quelque part,
grâce à l‟action militante des participants, les connaissances endormies se réveillent
chez les anciens locuteurs pour aller à la rencontre des demandes des jeunes néo-
locuteurs. Le discours devient engagé, les locuteurs font face à un nouveau et large
défi : représenter le monde d‟aujourd‟hui à travers la langue des ancêtres.
La réflexion autour des nouveaux termes s‟avère, pour tous, comme une
nécessité culturelle et sociale permettant la dynamisation de la langue. La validation
de tout nouveau mot par la communauté linguistique finalise cette recherche
commune. Cependant, cette validation sera toujours un sujet de jugements de la part
des utilisateurs qui soutiendront ou rejetteront les nouvelles propositions de création
lexicale, leur impact sur la langue et les choix à privilégier.
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
261
2. Le poids des idéologies linguistiques
En lien avec le rôle des idéologies linguistiques dans les positionnements
individuels ou de groupes (Costa, Lambert et Trimaille, 2012 ; Duchêne, 2008 ;
Jaffe, 2008 ; Silverstein, 1998), la création lexicale et l‟utilisation de néologismes
constituent souvent des sujets de débats enflammés parmi les acteurs sociaux.
Le sujet s‟avère, en effet, délicat pour les locuteurs de mapudungun, comme
il l‟est bien souvent pour les locuteurs de langues minoritaires. C‟est le cas, par
exemple, pour le corse (Jaffe, 2005, 2008) ou pour le quechua de Cuzco (Niño
Murcia, 1995). Les débats autour de la création lexicale ne sont pas seulement des
débats d‟ordre pratique mais aussi politique et identitaire, dans lesquels se révèlent
les postures idéologiques des membres de la communauté face aux changements de
la langue dans un contexte diglossique.
Pour Jaffe, ces idéologies recouvrent divers phénomènes qui vont du micro
au macro, du personnel au social comme, par exemple, les choix de la communauté
entre accepter les emprunts aux langues dominantes ou favoriser un purisme
linguistique, comme c‟est le cas pour la langue quechua au Pérou.
Pour le cas du mapuche, ces idéologies sont apparues récemment au niveau
macro avec l‟instauration des néologismes dans l‟administration chilienne pour
« revaloriser » la langue et la culture mapuche à l‟intérieur de la société chilienne.
Ainsi, ces néologismes commencent à apparaître de manière quotidienne, non
seulement dans les domaines de l‟administration publique, à travers des formulaires
en mapudungun de la CONADI (corporation nationale du développement indigène),
les décrets de lois, le registre civil d‟identification ou plus récemment le formulaire
de déclaration d‟impôts, mais aussi dans le domaine de
l‟enseignement/apprentissage.
La question sur les postures idéologiques m‟a amenée à les identifier et à les
classer en cinq groupes qui révèlent les différents types de discours présents sur le
terrain et qui permettent de mieux comprendre les points de vue des acteurs par
rapport à la création lexicale.
L‟analyse des extraits vidéo sélectionnés sous forme de tableaux numérotés
me permettra, d‟une part, d‟apporter un éclairage sur des situations spécifiques qui
contribuent à la construction interactive de connaissances lexicales pour le
mapudungun, au travers d‟échanges intergénérationnels et de réflexion
métalinguistique. Elle s‟attachera, d‟autre part, à mettre en lumière des enjeux
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
262
idéologiques sous-jacents dans les débats sur la rénovation lexicale dans ce contexte
latino-américain.
2.1 Emprunts : ces mots qui gênent
de temps en temps
Dès les premiers échanges entre locuteurs, néo-locuteurs et apprenants, les
« vides » lexicaux deviennent trop évidents. Les emprunts à l‟espagnol sont utilisés
de manière systématique par les locuteurs traditionnels, lorsqu‟ils sont en manque de
répertoire langagier en mapudungun.
Cette pratique se réalise de longue date et apparemment cela ne pose pas de
problèmes, ni idéologiques ni d‟intercompréhension chez les locuteurs traditionnels
du milieu rural, comme on peut, par exemple, l‟observer dans le tableau de
transcription ci-dessous.
Chaque participant a apporté une photographie de sa famille pour se
présenter aux autres.
Tableau 15 : séquence 4.
Nº PART Transcription du mapudungun / espagnol (variante chilienne)
Traduction en français
1 LOC 3 tufa ta traitor (/) mülepay iñche tañi ruka mew (//) ehhh (/) trilla eluy ta kiñe montun (//) kiñe füta montun (/) de trigo (...) kam kachilla (//) tüfa tañi domo müley traitor mew (/) tachi pu trabajador?
Ce tracteur (/) c’est chez moi (//) ehhh (/) le battage (…) le battage a donné quelques hectares de blé (…) de blé (//) celle-ci c’est ma femme elle est sur le traitor ? (tracteur) (/) pour les travailleurs?
2 LOC 1 Küdawfe Travailleur
3 LOC 3 tachi pu küdawfe (/) petu yafütuy ruka mew, tüfachi traitor kiduley (/) fey ta awkantumekey traitor mew (//) tañi peñi (/) tañi fotüm (/) tufa tañi pichi fotüm ta Moise pigney (//) ¿ya?
Les travailleurs déjeunaient encore à la maison, ce tracteur était seul (/) donc ils [sa famille] jouent sur le tracteur (//) mon frère (/) et son fils (/) celui-ci c’est mon benjamin, il s’appelle Moisé (//), ça va ?
4 LOC 1 anüley chew am? wente? wente?
Où il est assis ? au-dessus? Au-dessus?
5 LOC 3 eh tapabarro (/) Eh garde-boue
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
263
6 LOC 2 Wente Au-dessus
7 LOC 1 tapabarro de la rueda wente rueda
Garde-boue de la roue, au-dessus de la roue
8 LOC 3 wente rueda au-dessus de la roue
9 LOC 1 wente rueda au-dessus de la roue
10 LOC 2 wente rueda (silencio) au-dessus de la roue (silence)
11 LOC 1 tüfa tañi domo (/) kiñe traitor, mu anümüy traitor
celle-ci c’est ma femme (/) un tracteur, assise sur le tracteur
12 LOC 2 ¿ya? d’accord?
13 LOC 1 kiñe traitor wenwenluy (/) chem pignekey traitor mapudungun mew ? (///)
au-dessus du tracteur (/), comment on dit tracteur en mapudungun?
14 LOC 2 Chem pignefuy? comment on disait auparavant?
15 LOC 3 May (silencio) oui (silence)
16 LOC 1 Chem pingefuy traitor mapuche dungu mu? (/) traitor pingeafuy?
comment on disait auparavant? Traitor en mapudungun? (/) On ne disait pas traitor?
17 LOC 2 Trac... ¿qué es lo que es éste? Trac… qu’est-ce qu’il y a?
18 LOC 1 Tractor tractor hem Tracteur
19 LOC 2 ¿Tractor? Tracteur?
20 LOC 1 Sí, tractor, ya Oui, tracteur
21 LOC 2 tractor (/) ehhm (pasaje incomprensible) (silencio) tractor
Tracteur (/) ehhmm (passage incompréhensible) (silence) tracteur
22 LOC 3 küdawfe máquina pigeafuy? On disait küdawfe máquina?
23 LOC 1 küdawfe máquina, sí küdawfe máquina,oui
24 LOC 2 Küdawfe maquina? Sí, porque
en mapudungun nielay (x) (/)
No ve que tüfa, tachi
mapudungun nielay (//)
wigkadungun mew pepi (//)
entonces mapuche kimi
Küdawfe máquina ? oui, parce qu’en mapudungun il n’y a pas de nom (/) il n’y a pas (/) [seulement] en wingkazugun [espagnol] (x) (//) alors le mapuche sait comme il sait comment le faire.
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
264
chumngechi ñi pepilngen
25 LOC 3 Kidawfe máquina, may? Kidawfe máquina, oui ?
26 LOC 1 Kidawfe máquina, si Kidawfe máquina, oui
27 LOC 3 Kidawfe máquina Kidawfe máquina
28 LOC 1 May, küdawfe máquina (/) feychi autu miawfe máquina, pingeafuy, may.
Oui, küdawfe máquina (/) et la voiture s’appellerait machine roulante, oui.
Le locuteur 1 décrit la photo dans laquelle se trouve son épouse et d‟autres
membres de sa famille installés sur un tracteur (tour 3 et 11). Le locuteur veut noter
qu‟ils sont assis sur un tracteur (tour 1) mais s‟en suit une difficulté pour nommer
cet engin par un long descriptif (tour 5 à 10). Apparaît à nouveau le mot « traitor »,
résultat de la nativisation (Andersen, 1983) du mot espagnol « tractor ». Tout en
continuant son récit, le locuteur semble gêné par ce terme « intrus » de l‟espagnol. Il
demande au locuteur 2 comment on dit « traitor » en mapudungun (tour 13 et 16).
Son interlocuteur, reconnu par la communauté comme un sage et locuteur expert de
la langue, garde le silence et réfléchit à la question. Il répond d‟abord qu‟en
mapudungun le mot « tracteur » n‟existe pas (tour 24). Mais cette réponse n‟apporte
guère de solution. Pour faire une adaptation lexicale, il faudrait se souvenir d‟un mot
oublié. Apparaît alors le terme « küdawfe máquina » (tour 22) proposé par le
locuteur 3, terme qui pourrait s‟interpréter comme « la machine du travailleur »,
dans une claire composition lexicale entre le mapudungun et l‟espagnol. Un fait qui
témoigne des activités de code-switching repérées habituellement chez les locuteurs
de mapudungun de nos jours (Gundermann et al., 2008, 2009a, 2009b; 2011).
Ce choix ne suscite pas de controverses auprès des locuteurs au niveau
idéologique, dans ce contexte rural. Finalement, le mot est accepté par le locuteur
expert (tour 23 et 28), se souvenant, lui aussi, de ce terme dans cette acception.
Les propositions didactiques autour de la création lexicale ne sont pas
seulement des activités métalinguistiques pour réfléchir à la langue cible avec un but
d‟enseignement/apprentissage. Elles permettent aussi une récupération lexicale des
termes anciens qui ne s‟utilisent plus à cause du changement linguistique. Une
réflexion qui permet simultanément aux locuteurs et aux apprenants de se poser des
questionnements sur l‟usage de la langue, ses variations, les activités de code-
switching, de code-mixing et leur propre loyauté linguistique.
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
265
Comme on peut le noter dans l‟exemple décrit à propos du tracteur, les
questionnements intéressent essentiellement deux personnes – puis une troisième –
pour finir par la proposition de deux termes traitor et kudawfe máquina pour un
même objet. Le dernier terme emporte finalement l‟adhésion.
Des débats qui révèlent la difficulté de définir les bases de toute validation
par la communauté linguistique.
2.2 Évitons l’emprunt,
cherchons dans notre langue
Une de premières postures idéologiques qui ressort dans le discours des
participants de l‟activité de création lexicale est celle du purisme linguistique
(Thomas, 1991 : 12) ; un phénomène compris comme le refus de l‟adoption
d‟éléments étrangers dans le champ lexical de la langue :
Purism is the manifestation of a desire on the part of a speech community (or
some section of it) to preserve a language form, or rid it of, putative foreign
elements or other elements held to be undesirable (including those originating
in dialects, sociolects and styles of the same language). It may be directed at all
linguistic levels but primarily the lexicon. Above all, purism is an aspect of the
codification, cultivation and planning of standard languages175
.
Comme le signale Niño-Murcia (1995 : 254), ce rejet est seulement un pré-
requis, car le purisme est avant tout une manifestation sociale qui prend en compte
tout un processus d‟affirmation d‟identité et de dénégation du statu quo de la langue.
Dans la transcription suivante, un premier extrait des échanges entre deux
participants rend compte de ce fait :
175 Ma traduction: « Le purisme est la manifestation d‟un désir de la communauté linguistique (ou
d‟une partie de celle-ci) pour conserver la langue ou la protéger des éléments dits étrangers ou autres
éléments considérés comme indésirables (incluant ceux qui proviennent des dialectes, sociolectes et
styles de la même langue). Le purisme peut être impliqué à tous les niveaux linguistiques, mais
principalement dans le lexique. En plus de cela, le purisme est un aspect de la codification, la culture
et la planification des langues standardisées ».
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
266
Tableau 16 : séquence 6.
Nº PART Transcription mapudungun/ espagnol (variante chilienne)
Traduction en français
1 LOC 1 (x) ¿Chem pingeafuy tüfa mapuchedungun mew?
Quel mot on pourrait utiliser en mapuchedungun pour nommer cela ? (montre une cuillère)
2 LOC 4 Cuchara Cuillère
3 LOC 1 May, cuchara wingkadungun mew / welu chem piafuiñ taiñ dungun mew ñi püramtuael taiñ dungu
Oui, cuillère en langue étrangère /mais comment on pourrait dire en mapudungun pour remonter (le prestige) de notre langue
Le locuteur 1, qui présente l‟activité au groupe, demande comment on dit
« cuillère » en mapudungun. Une réponse spontanée est donnée par la locutrice 4 qui
répond en castillan le mot « cuchara ». Le locuteur 1 reprend tout de suite la parole
pour l‟inviter à chercher des mots en langue mapuche et ainsi éviter les emprunts.
Cette demande pose un vrai défi aux locuteurs qui ont adopté le mot « cuchara »
depuis fort longtemps. En effet en mapudungun, il existe depuis longtemps le terme
wütrü, mais associé à la représentation d‟une cuillère en bois. Ainsi, on pourrait
penser que ce mot étant associé à un type spécifique de cuillère, le terme en
espagnol « cuchara » définit plutôt une cuillère métallique.
Donc la question n‟est pas de chercher un mot complètement nouveau mais
d‟adapter l‟ancien terme en tenant compte du matériau. Or, ce qui est intéressant
dans cette situation c‟est l‟insistance avec laquelle le locuteur 1 défend une posture
puriste. Son invitation à « chercher dans notre langue » est, selon moi, la marque
d‟une volonté d‟écarter la langue dominante et de positionner le mapudungun
comme une langue capable de s‟ajuster à de nouveaux concepts.
Comme le montre l‟exemple suivant, le procédé de récupération lexicale est
une autre solution parfois mise en œuvre.
2.3 Cherchons dans les mots anciens : « rien de
plus, c’est ça le mot ! »
En partant de l‟idée de puiser dans la langue originaire, le doyen des
locuteurs signale l‟importance de rechercher des archaïsmes et de les réutiliser pour
de nouveaux concepts ou de nouveaux outils, comme par exemple pour désigner
l‟objet « ordinateur » :
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
267
Tableau 17 : séquence 7.
Nº PART Transcription mapudungun/ espagnol (variante chilienne)
Traduction en français
1 LOC 2 En mapudungun no hay nombre de esa cosa, por ejemplo tenemos aquí // computador por ejemplo / computador nunca se ha visto eso/ pero hoy en día hay una casa que tiene en estos momentos / pero es prácticamente lo conocemos por computador / nadie más puede poner otro nombre / pero si / para calcular / para poner el nombre en mapudungun habría que analizarlo muy bien, persona que tenga alguna palabra antigua // que, como se puede designar / designar el nombre a tal cosa/ estaría bien.
En mapudungun il n’existe pas de mot pour cette chose, par exemple nous avons ici// un ordinateur par exemple/ auparavant jamais on avait vu cela/ mais aujourd’hui dans une maison en ce moment-là il y a un/ mais pratiquement tout le monde le connaît comme ordinateur / personne peut le nommer d’une autre manière/ mais/ pour calculer/ pour donner un nom en mapudungun il faudra l’analyser très bien, quelqu’un qui ait un mot ancien // comment on peut le désigner / donner un nom à une telle chose ça pourrait être bien.
Pour le doyen des locuteurs, la culture mapuche a changé, en conséquence la
langue doit s‟adapter aux évolutions culturelles et proposer de nouveaux termes. Il
met l‟accent sur les outils informatiques et sur la nécessité d‟une analyse préalable
approfondie des propositions néologiques. Son souhait est d‟utiliser les ressources
de la langue, mais en s‟appuyant sur une recherche linguistique et historique qui
permette de reconsidérer et d‟adapter les nouveaux termes à la cosmovision
mapuche.
Dans l‟extrait suivant (séquence 8), le débat est conduit par le locuteur 1 qui
est chargé de présenter les termes néologiques proposés par chaque groupe. La
discussion concerne le mot payuntuwe (rasoir). Tant pour les apprenants que pour
les éducateurs, l‟adaptation des concepts de la vie traditionnelle aux contextes
actuels de la réalité mapuche génère un débat et un intérêt particulier, comme on
peut l‟observer ici :
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
268
Tableau 18 : séquence 8.
Nº PART Transcription mapudungun/ espagnol (variante chilienne)
Traduction en français
1 LOC 2 no se puede decir katrü, ya se sabe que el katrü (x) solamente hay que decir payuntuwe
on ne peut pas dire katrü (couper par une lame), on sait déjà sur le katrü (x) seulement il faut dire payuntuwe (rasoir)
2 LOC 1 payuntuwe Rasoir
3 LOC 2 nada más (x) esa es la palabra rien de plus (x), c’est ça le mot
4 LOC 1 payuntuwe / así lo había escuchado también yo
rasoir / comme ça je l’avais déjà entendu aussi
5 APPR 3 para « sacar la barba » pour « enlever la barbe »
Après la présentation des propositions du groupe 1, le doyen des locuteurs, le
locuteur 2, demande la parole et fait le point sur les termes exposés. La discussion
part d‟une proposition néologique pour l‟objet « rasoir », à partir du verbe katrü qui
signifie « couper ». Selon le locuteur 2, le mot « payuntuwe » existe déjà en
mapudungun, mais ce terme est tombé en désuétude et remplacé par « Gillette », la
marque publicitaire bien connue pour ce type d‟objet176
. Ainsi, c‟est le terme ancien
payuntuwe qui s‟impose.
La présence du kimche de la communauté, ancien mapuche, professeur
normalien, écrivain, poète et traducteur de la langue est un élément clef pour cette
partie du débat. Ses connaissances linguistiques et culturelles ont permis une
discussion autour des anciennes et nouvelles applications de la langue auxquelles le
reste du groupe n‟a pas accès, compte tenu de son âge et/ou de sa pratique
linguistique. Même pour les locuteurs de 50 ans, les connaissances du sage de la
communauté sont des informations précieuses, ignorées de la plupart entre eux.
La discussion lexicale permet, non seulement d‟ouvrir un débat idéologique,
mais aussi de compiler, rechercher et intégrer des faits de culture.
2.4 C’est beau, mais ça marche pas
La séquence suivante relate les discussions à propos de l‟objet « sèche-
cheveux ». Le locuteur 2 explique que le mot piwünlongkowe, proposé par l‟un des
groupes, est correct pour définir un « sèche-cheveux » : « il n’y a pas de correction
à faire ». Cependant, il y a deux groupes avec des propositions différentes.
176 Il s‟agit d‟une situation de remplacement similaire à l‟espagnol chilien qui a adopté le mot
« gillette » et « prestobarba » (marques publicitaires) à la place de « navaja de afeitar » ou
« rasuradora ».
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
269
Apparemment il existerait une différence d‟ordre sémantique qui empêcherait de
prendre parti pour l‟une ou l‟autre proposition.
Après de vives discussions, la parole revient vers le doyen du groupe qui
signale avec une grande connaissance métalinguistique que les deux mots sont
corrects, car il s‟agit de synonymes. Voici un extrait de ce long et intéressant débat :
Tableau 19: séquence 9.
Nº PART Transcription mapudungun/ espagnol (variante chilienne)
Traduction en français
1 LOC 2 piwünlongkowe está bien ahí, no tiene otra corrección (/) que sería lo más correcto
piwünlongkowe c’est bien comme ça, il n’y a pas de correction à faire
2 LOC 1 §ankünglongkowe está bien también
mais ankünglongkowe il est bien aussi
3 LOC 2 (silencio) (silence)
4 LOC 3 si poh mais oui
5 LOC x (x) ankünglongkowe pi ankünglongkowe dit
6 LOC 2 ¿cómo? comment?
7 LOC 1 Ankünglongkowe Ankünglongkowe
8 LOC 4 § yo creo que está malo (x) §je pense que c’est erroné (x)
9 LOC 2 §ankünglongkowe/ ankünglongkowe
§ankünglonkowe, ankünglonkowe
10 LOC 4 § porque está secando poh § parce que ça sèche quoi
11 LOC 2 § bueno, yo diría que / las dos palabras anküng piwün vendría a ser como sinónimos / está bien, también está bien/ pero sinónimo
§ bon, je dirais que/ les deux mots anküng et piwün sont des synonymes / c’est bon, c’est bon aussi/ mais comme des synonymes
12 LOC 1 es sinónimo est un synonyme
13 LOC 2 no puede ser diferente ne peut pas être différent
14 LOC 1 may d’accord
15 LOC 2 sí Oui
16 LOC 1 pu peñi pu lamngen, la idea es que nadie se enoje porque (risas generales) // la idea es consensuar
frères et sœurs, l’idée est que personne ne se fâche (rires généralisés) // l’idée est d’arriver à trouver un consensus
17 LOC 2 //la palabra mapuche también tiene sinónimos, antónimos, etcétera, etcétera
//la parole mapuche a aussi des synonymes, antonymes, etc., etc.
18 LOC 1 muy bien / entonces / para poder (x) dungu para que no sea tan largo, podemos consensuar que sea ankünglongko, porque
très bien / alors pour pouvoir (x) des mots qui ne soient pas trop longs, nous pourrions accorder que ce soit le mot anküng, car piwün est un mot
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
270
piwünlongko es maravilloso/ culturalmente / pero es muy largo / hm? / porque piwünlongkowe es hermoso
merveilleux / culturellement parlant / mais il est trop long.
19 LOC 6 Pero ese es igual de larga peñi Mais ils ont la même longueur, mon frère
20 LOC X Pero es lo mismo C’est la même chose
21 LOC 1 Pero es lo mismo (/) es lo mismo
C’est la même chose (/) la même chose
22 LOC 7 Pero es lo mismo porque (/) nada más que las letras están más grandes (x)
C’est la même chose parce (/) ça change seulement les lettres qui sont plus grandes (x)
23 LOC 1 Si po (/) si ahora si lo achica (x) (rires)
Bah oui (/) maintenant si vous l’écrivez plus petit (x) (rires)
24 PRES Hágalo con letras más chicas (risas) (tos)
Ecrivez-le avec une police plus petite (rires) (toux)
25 LOC 6 Pero eso es diferente (/) dice piwünkem
Mais cela c’est différent (/) dit piwünkem
26 LOC 1 (x) piwün piwünkem (x) piwün piwünkem
27 PRES Piwüchem Piwüchem
28 LOC 7 Porque angkün (/) angkünlongkowe puede ser que seca con cualquier cosa
Parce que angkün (/) angkünlongkowe peut signifier que sèche n’importe quoi
29 LOC 2 Perdóneme que insista un poquito (//) ehm (/) bueno la palabra angkün (//) angkün secar (/) pero por ejemplo se escucha se puede utilizar angkün mamüll por ejemplo
Excusez-moi pour mon insistance (//) ehm (/) bref le mot angkün (//) angkün sécher (/) mais par exemple on entend on peut utiliser angkün mamüll par exemple.
30 LOC 4 Mmmm (confirmation) Mmmm (confirmation)
31 LOC 2 Palo seco (/) Bois sec (/)
32 LOC 4 Si poh Bah oui
33 LOC 2 angkün (/) entonces ahí como que no le conviene con piwün
angkün (/) donc dans ce cas ne convient pas à piwün
34 LOC 1 Si po Bah oui
35 PRES Mmmm Mmmm
36 LOC 2 No anda con piwün Ça ne marche pas avec piwün
37 LOC 1 Mmmm Mmmm
38 LOC 4 Igual como decir (/) mire C’est comment dire (/) regardez
39 LOC 2 Entonces hay una diferencia Donc il y a une différence
Quelques précisions encore, concernant ce vif débat. Les deux groupes ont
utilisé comme racine des verbes différents pour une même action : sécher.
Néanmoins il y a des nuances très spécifiques entre piwün « sécher à l‟air » ou
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
271
« sécher au vent » et angkün apparemment plus proche au niveau sémantique du
verbe « dessécher ». Pour les partisans du mot piwün c‟est correct, car l‟engin sert à
sécher les cheveux grâce à une turbine qui projette de l‟air chaud, donc l‟outil
souffle sur les cheveux pour qu‟ils sèchent grâce à l‟air « artificiel ». Pour les
adeptes du mot angkün, le terme est plus près du résultat de l‟action, les cheveux
sont secs après l‟utilisation de l‟engin.
Le présentateur comprend qu‟il doit clore la discussion, car les enjeux de la
prise de décision sont très délicats. Mais comment peut-on faire ? Créer deux mots
pour un seul objet ? Favoriser un terme de manière arbitraire ?
Les participants des deux groupes sont arrivés à une proposition suivant des
logiques plausibles au niveau de la sémantique et de la culture. En conséquence, il
devient très complexe de décider et de choisir « le » nouveau terme pour signifier
l‟objet.
Le présentateur finit donc par suggérer que l‟un des critères pour choisir un
nouveau mot devrait être l‟économie linguistique « des mots qui ne soient pas trop
longs ». Il propose d‟adopter le mot anküng « nous pourrions accorder que ce soit le
mot anküng », privilégiant ce terme plutôt que piwün. Il argumente que piwün est un
terme « trop long », une raison qui est immédiatement réfutée par les participants
qui, entre rires et blagues, remarquent que les deux termes ont la même quantité de
lettres. Puis, vient une nouvelle intervention du doyen du groupe faisant un appel à
la réflexion. Le locuteur 2 revient sur le sujet et affirme qu‟après avoir réfléchi et
analysé la « relation correcte à la recherche d‟une compréhension éclairante », il
pense qu‟il y a des petites différences sémantiques entre les deux termes, donc le
mot piwün n‟est pas aussi approprié qu‟il le supposait. Il propose donc un retour à la
case départ. La réflexion doit se poursuivre.
2.5 Discussions et polémiques,
un passage vers le consensus ?
A la suite de ce long et passionnant débat – et toujours à la recherche d‟une
issue vers un consensus – les participants reviennent à la discussion pour trouver le
mot approprié pour désigner un « sèche-cheveux » en mapudungun :
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
272
Tableau 20: séquence 10.
Nº PART Transcription mapudungun/ espagnol (variante chilienne)
Traduction en français
1 LOC 1 y yo voy a decir ahora algo je vais dire quelque chose maintenant…
2 LOC 5 ya… d’accord…
3 LOC 1 (/) cuando secamos la ropa (/) decimos (//) piwümwezakelu (//) si?
(/) lorsqu’on sèche le linge (/) on dit (/) piwümwezakelu (//) c’est correct ?
4 LOC 4 Si oui
5 LOC 1 si? (//) entonces (/) podríamos poner angkünlongko (/) y piwümwezakelu
oui ? (//) alors (/) on pourrait mettre angkünlongko (/) et piwümwezakelu
6 LOC 4 oye (/) porque aquí no kütraywezakelu centrífuga poh porque kutray poh no piwun
attention (/) parce qu’ici ce n’est pas kütraywezakelu centrifugeuse quoi! parce que kutray quoi non piwun
7 LOC 5 §si po (/) pero no te lo seca (x)
§bah oui (/) mais ne te le séche pas (x)
8 LOC 4 §no po hay otro pa’ secar hay otro pero…
§ bah non il y a un autre pour sécher il y a un autre mais…
9 LOC 5 § (x) secadora § (x) essoreuse
10 LOC 4 §pero kütraywezakelu eso quiere decir centrífuga poh porque kütray poh…
§ mais kütraywezakelu ça veut dire centrifugeuse parce que kütray…
11 LOC 1 § pero cuando no había centrífuga se acuerda que kütrakewüin después angkunkewüin wezakelu mew pero cuando no había centrífuga
§ mais quand il n’y avait pas de centrifugeuse vous vous souvenez que kütrakewüin après angkunkewüin wezakelu mew mais quand il n’y avait pas de centrifugeuse
12 LOC 4 pero por supuesto que se va a secar (/) porque el pelo nosotros no lo vamos a sacar y lo vamos a ir a tender allí angkun podemos ? no poh, cierto? (risas generalizadas)
mais bien sûr que ça va sécher (/) parce nous on ne s’enlève pas les cheveux pour aller les pendre là-bas angkun est-ce que c’est possible cela? non, on est bien d’accord? (rires généralisés)
13 LOC 1 Ya d’accord
14 LOC 5 la peluca si poh la perruque oui
15 LOC 4 si poh, pero ¿ve señor? (x) bah oui, alors, vous voyez monsieur ? (x)
16 PRES la peluca si poh la perruque, oui
17 LOC 4 la peluca ya (x) (risas) depende la peluca (risas)
la perruque d’accord (x) (rires) ça dépend de la perruque (rires)
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
273
18 LOC 1 entonces consensuemos ¿qué ponemos? (/) chem üytukun (x)? (risas) (xx)
alors trouvons un consensus, on met quoi? (/) comment on l’appelle? (rires) (xx)
19 LOC 5 Piwün piwün
20 LOC 4 Piwünlongko piwünlongko
21 LOC 1 piwünlongko? piwünlongko?
22 LOC 2 piwünlongko es una palabra que no se puede cambiar (/)
piwünlongko c’est un mot qu’on ne peut pas changer (/)
23 APPR 1 Piwün piwün
24 LOC 2 porque piwün (/) por ejemplo “ropa lavada se lleva al viento para secarse” piwünwezakelu (/) piwün entonces eso perfectamente está bien eso
parce que piwün (/) par exemple « le linge propre est emporté au vent pour le faire sécher » piwünwezakelu (/) piwün alors cela est parfait
25 LOC 1 muy bien, ya, pongamos piwun
très bien, c’est bon, prenons piwün
26 APPR 1 Piwünlongkowe piwün longkowe
27 LOC 1 Piwünlongkowe piwünlongkowe
28 LOC 5 ya (/) bien (gestos de aprobación)
ya (/) bien (gestes d’approbation)
29 LOC X ayayayayayay (afafan, grito de victoria o alegria) (risas)
ayayayayayay (afafan, cri de victoire ou de bonheur mapuche) (rires)
30 LOC 1 Piwünlongkowe piwünlongkowe
31 LOC 5 ¡Marichiwew! (grito de victoria mapuche, literalmente ¡diez veces venceremos!) (risas)
¡marichiwew! (cri de victoire mapuche, littéralement dix fois nous vaincrons !) (rires)
Le doyen des locuteurs (locuteur 2), revient pour préciser que piwün permet
de créer un mot approprié à la représentation visuelle, en suivant l‟idée du linge qui
sèche au vent : le mot piwünwezakelu (proposé par le présentateur).
Pour sa part, le locuteur 1 réalise une analogie entre « sécher le linge au
vent » et « sécher les cheveux » et la possibilité d‟utiliser un même champ
sémantique. Le locuteur 1 n‟arrive pas à dissimuler sa préférence pour le terme
angkün, car – par rapport à sa défense – il s‟agirait d‟utiliser le même concept que
pour sécher le linge. Mais cette proposition est tout de suite rejetée par les femmes
locutrices présentes dans la discussion, car elles estiment qu‟entre le « linge » et les
« cheveux » il y a une différence fondamentale au niveau sémantique, le mot angkün
renvoie à l‟idée de sécher au vent, donc on ne peut pas « s‟enlever » les cheveux de
la tête pour les sécher au soleil, comme on le fait avec le linge. Cette nouvelle et
dernière argumentation finit par convaincre tout le groupe. On adopte finalement le
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
274
terme piwunlongkowe, comme celui qui représente au mieux le concept de « sèche-
cheveux ». Une discussion qui finit – après quelques passages de défiance entre les
locuteurs traditionnels – entre rires et manifestations de bonheur de tout le groupe.
2.6 En mode de synthèse
Tous les exemples abordés dans ces extraits permettent de comprendre les
enjeux de la création lexicale du point de vue idéologique et culturel, et de tenter
d‟analyser les postures des locuteurs concernés.
Dans la séquence 6, le discours du locuteur 1 dénote une éminente
conscience de l‟asymétrie entre la langue dominante et le statut de sa propre langue.
Lorsqu‟il dit vouloir « remonter le prestige de la langue » (dans le sens de
renforcer), il déclare expressément souhaiter un transfert de pouvoir linguistique :
supprimer le terme en espagnol pour le remplacer par un terme en mapudungun.
Dans la séquence 7, le doyen des locuteurs explique que, pour réaliser des
néologismes, il faut d‟abord regarder dans la langue mapuche et avoir recours aux
archaïsmes : « il faudra l‟analyser très bien, quelqu‟un qui ait un mot ancien ».
Selon cette recommandation, la recherche lexicale ne dépendrait pas
exclusivement de la création de nouveaux mots, mais aussi d‟un travail de
récupération lexicale : nouvel usage pour des termes tombés dans l‟oubli, nécessité
de les « réaccoutumer » et de les replacer dans un nouveau contexte. Pour cela, la
présence des locuteurs de tout âge, et spécialement des plus âgés est clairement un
atout indéniable. Toutes ces données ouvrent un vrai débat sur l‟importance de la
création lexicale et de la place du mapudungun dans divers domaines, comme la
science et la technologie.
Dans le cas précis de la recherche pour le mot « rasoir » (séquence 8),
l‟attitude ferme du locuteur 2, marquée par des phrases définitives comme « on ne
peut pas dire » ou « rien de plus, c’est ça le mot », ne laisse pas de doutes. Après
son intervention le groupe cesse de chercher d‟autres possibilités et adopte le terme
proposé par le locuteur doyen. Cette décision peut s‟expliquer d‟abord parce que
l‟ensemble du groupe reconnaît le savoir de ce locuteur âgé, ensuite parce qu‟il
respecte, en sa personne, la figure du sage de la communauté. Légitimité du savoir
du locuteur légitime…
Dans la suite de ce débat à propos du mot « rasoir », les difficultés posées
par la création lexicale apparaissent clairement, l‟étape de la recherche d‟un
consensus pour une possible validation restant la plus délicate du processus
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
275
(séquence 9 et 10). Pour faire cesser une tension palpable, le présentateur propose de
trouver un consensus, ce qui détend l‟atmosphère, d‟autant plus que la « bataille »
concernant la longueur des mots angkün et piwün prête à rire.
Cependant cet accord est long à intervenir. Ce petit jeu de « chassé croisé »
autour d‟un terme, pris très au sérieux par les participants, nous montre les étapes à
respecter pour la création lexicale : présentation, propositions, discussion,
validation, adoption et usage. Il est évident que ces étapes ne peuvent pas être
franchies en une seule journée ; il s‟agit plutôt d‟une recherche au niveau
sociolinguistique qui comporte en elle-même plusieurs possibilités.
3. Néologie mapuche : quel(s) cas type(s) de purisme ?
Dans ce sens, la recherche d‟alternatives ethnocentriques et la non-
acceptation de l‟emprunt à la langue dominante pourraient faire partie des
démarches pour créer une langue représentative de l‟identité et des idéologies de la
communauté linguistique. Hall (1942, in Niño-Murcia, 1995 : 255) éclaire la notion
d‟une supériorité du purisme :
Purism, in its essential nature, consists of considering one type of language (a
given dialect, or the speech of a given social class or of a certain epoch etc.) as
“purer” than and therefore “superior” to other types177
.
Comme le signale Niño Murcia (1995: 253), l‟institutionnalisation d‟un
purisme est nocive lorsqu‟elle provoque des luttes de pouvoir à l‟intérieur de la
communauté linguistique :
Con la creación de estos organismos 'guardianes' de la lengua, se responde, en
general, a una concatenación de fenómenos socio-culturales que se engendran
dentro de la lucha por el poder en la respectiva comunidad lingüística178
.
Par exemple, ce purisme soutenu lors de la création des organismes normatifs
de la langue quechua à Cuzco (Pérou) a privilégié une seule partie de la
communauté, qui dorénavant, s‟est transformée en une institution qui « arbitre la
177 Ma traduction : « Le purisme consiste à considérer essentiellement, un type de langue (dialecte,
discours d‟une clase sociale déterminée ou d‟une certaine époque, etc.) comme « plus pure » donc
« supérieure » aux autres types ».
178 Ma traduction: « Avec la création de ces organismes „gardiens‟ de la langue, on répond, en
général, à un enchaînement des phénomènes socioculturels qui se créent à l‟intérieur de la lutte pour
le pouvoir dans la communauté linguistique concernée ».
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
276
norme », en négligeant les opinions et la manière de parler d‟une grande partie des
locuteurs.
Pour Thomas (1991) le purisme est intrinsèquement lié à la notion de
nationalisme culturel et politique. Par exemple, en France, cette représentation peut
se retrouver dans une certaine vision conservatrice de l‟usage de la langue française,
assiégée par la norme qui distinguera toute « différence » comme une menace et sa
généralisation comme un facteur de désintégration linguistique, culturelle et donc
politique.
En ce sens, et prenant en compte l‟exemple de différentes langues dans le
monde, Thomas (1991) identifie cinq orientations du purisme :
- archaïsant (archaizing purism), les locuteurs perçoivent le passé comme une
époque de gloire de la langue ;
- ethnographique (ethnographic purism), les locuteurs idéalisent les aspects
culturels de la langue et de ses dialectes ;
- élitiste (elitist purism), associé à des variantes nettement formelles ;
- réformiste (reformist purism), donc en rupture avec le passé linguistique ;
- historique et patriotique (patriotic purism), qui exclut tous les éléments
étrangers, préférant systématiquement les termes propres aux termes
exogènes.
Suivant la catégorisation de Thomas (1991) et suite à nos notations sur le
terrain, on pourrait estimer qu‟il existe effectivement dans notre expérience des
orientations archaïsantes (« cherchons dans les mots anciens », « comment on disait
auparavant ? »), élitistes (« on ne peut pas dire » ou encore « rien de plus, c‟est ça le
mot ») ou encore réformistes, lorsqu‟il existe une proposition de changement du
terme « cuchara » pour éviter l‟espagnol (langue dominante).
Bien que la revendication de la langue et de la culture mapuche participent
d‟un processus identitaire, politique et territorial plus large, il est difficile d‟affirmer
que les changements au niveau lexical correspondent à un seul type de posture
idéologique, puriste patriotique, réformiste ou encore élitiste. Cependant, dans le
discours actuel des locuteurs interviewés, les lexies de forme archaïsante et
ethnographique semblent les meilleures ressources pour créer de nouveaux mots, car
ils seraient plus « fidèles » à l‟esprit de la langue.
En définitive, et compte tenu des démarches militantes des dernières années
dans le domaine de la normalisation – comme la création d‟une Académie de la
langue – ce type de postures pourrait s‟affirmer et se développer à moyen et à long
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
277
terme. Cela dit, les postures idéologiques autour de la création lexicale en langue
mapuche font partie d‟un domaine qui commence à se dévoiler avec ses propres
perspectives. Un « essentialisme » qui peut se comprendre comme la réponse d‟une
partie de cette communauté pour recréer l‟image idéalisée d‟une nation qui se
reconstruit, récupère son territoire, sa culture et sa langue.
4. La question de la validation par la communauté
linguistique
Selon Chiodi et Loncon (1999 : 107) pour avoir des chances de validation, la
création néologique doit respecter quelques principes. Ainsi, les nouveaux termes
doivent viser un haut degré de prédictibilité des significats, éviter les technicismes et
privilégier l‟économie linguistique en choisissant les mots courts. Il faut ensuite
tester et valider ces néologismes auprès des locuteurs dans une situation
communicationnelle, pour corroborer leur adéquation à un contexte réel.
4.1 Des critères de validation
Les travaux d‟Auger et Rousseau (1979) repris par Guerrero (1995)
définissent les critères suivants, susceptibles d‟assurer une acceptation et une
validation de nouveaux termes par une communauté linguistique :
a) être en conformité avec le système linguistique et les règles de la langue ;
b) présenter une amplitude sémantique assez large pour exprimer la réalité ;
c) présenter une valeur d‟intégration avec le système linguistique sur les
plans paradigmatique, syntagmatique et de transformation – c‟est-à-dire
qui puissent s‟utiliser dans la formation d‟autres dérivations ;
d) respecter le critère onomasiologique : le néologisme doit éviter de faire
concurrence aux termes déjà existants, qu‟ils soient néologiques ou non ;
e) présenter une valeur sociolinguistique correspondant aux besoins réels
des locuteurs.
Selon Pruvost et Sablayrolles (2012), les degrés et/ou étapes de validation
d‟une création lexicale sont les suivants : validation faible, moyenne et forte. Si l‟on
considère la « communauté linguistique » à l‟échelle d‟un groupe d‟apprenants des
ateliers observés, dans la catégorie dite de faible validation on trouve, par exemple,
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
278
les propositions d‟apprenants qui ne sont pas retenues par le groupe parce qu‟elles
ne répondent pas à un ou plusieurs des critères énoncés ci-dessus. Dans le second
type, dit de moyenne validation, on retrouvera des mots utilisés par les apprenants
dans le contexte des ateliers de manière récurrente. Ces termes sont relativement
récents et leur diffusion éventuelle passe par leur usage dans des documents comme
les manuels d‟enseignement/apprentissage. Ainsi le terme « mütrümwe » (téléphone
portable) que l‟on trouve dans le manuel Kom kim Mapudunguaiñ waria mew A.1.1
(2009) peut éventuellement être en train de se diffuser et, peut-être par ce biais, de
s‟imposer dans les usages, passant ainsi au dernier stade de validation. Enfin, dans la
catégorie des termes dits de forte validation ou validation confirmée on peut classer,
par exemple, « waria » (ville) ou « chiñura » (femme non-mapuche) d‟usage
courant et que l‟on rencontre bien au-delà du réseau socio-communicatif du groupe-
classe, par exemple dans la littérature depuis les premiers contacts linguistiques
castillan-mapuche, à l‟époque de la colonisation espagnole (cf. Coña, 1930).
Ainsi, le passage d‟un hapax – en tant que lexie rencontrée rarement ou
ponctuellement – vers une forme de validation moyenne ou forte, repose sur de
multiples facteurs, qui rendent impossible une prédictibilité absolue en termes de
validation, mais peuvent, en revanche, guider un travail didactique qui constitue,
dans le même temps, une entreprise de planification par le bas.
Le travail de Villena (2010) – prenant en compte ces critères – signale en
outre l‟importance de la diffusion et de la vulgarisation des nouveaux termes à
l‟intérieur de la communauté linguistique, pour qu‟ils puissent être validés, ainsi que
la participation de spécialistes pour orienter le processus de création lexicale. Ces
suggestions – bien qu‟importantes dans le sens d‟une validation sociale – restent
difficiles à mettre en place dans un contexte de langue minoritaire où la
communauté linguistique – sensée « valider » les nouvelles lexies – est éparpillée
géographiquement et ses participants historiquement discriminés. D‟où la nécessité
de réfléchir aux démarches pratiques pour que ce soit effectivement la communauté
linguistique elle-même qui crée, adopte et valide les nouveaux mots en s‟appuyant –
par exemple – sur l‟expertise d‟une autorité traditionnelle. Pour le cas mapuche, les
figures comme les kimche, machi ou werken, – dans les communautés organisées de
manière traditionnelle – ou les kimelfe – dans le contexte urbain d‟enseignement du
mapudungun – représentent culturellement et socialement des voix représentatives
autorisées, grâce à leur niveau d‟expertise de la langue, à leur connaissance de la
cosmovision et de la culture mapuche.
En ce qui concerne mon travail de terrain j‟ai pu d‟ailleurs compter sur le
soutien et l‟apport de deux de ces figures-clef dans la transmission des savoirs : l‟un
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
279
dans un contexte traditionnel – kimche (sage) – et l‟autre issu du contexte éducatif
contemporain – kimelfe (éducateur). Ceci m‟a permis d‟observer un solide débat
autour de la langue et de ses applications actuelles. De nouvelles propositions
lexicales ont surgi mais aussi, et plus important encore, s‟est instauré un débat
didactique et politique à propos de la création et de la rénovation lexicale.
4. 2 Wedungun : un espace virtuel de création et
de validation néologique
Bien que les ateliers de mapudungun puissent constituer, on l‟a vu, des
espaces d‟échange et d‟apprentissage collaboratif, il reste difficile d‟imaginer des
séances nombreuses et régulières qui seraient dédiées exclusivement à la création
lexicale. Ceci principalement pour des raisons de temps et de périodicité, sachant
que les cours ont lieu une fois par semaine, pour une durée de deux heures
seulement.
Partant de ce constat, et compte tenu de la familiarité du public d‟apprenants
avec les réseaux sociaux et de l‟existence de communautés d‟apprenants sur le
réseau Facebook, l‟équipe de formateurs a créé un groupe virtuel appelé
« Wedungun : taller virtual de creación de neologismos en mapudungun179
».
Le dispositif est très simple : Un participant (formateur ou locuteur) présente
une proposition de néologisme accompagnée d‟une image, puis les participants
discutent et défendent leur point de vue.
La capture d‟écran ci-dessous présente quelques propositions de participants
lors des premiers mois d‟existence de ce site internet :
179
Ma traduction : « Wedungun : atelier virtuel de création de néologismes en mapudungun ».
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
280
Figure 16: capture d’écran de l’atelier virtuel Wedungun.
Source © : mur facebook Wedungun, juin 2013.
Si l‟on tient compte de l‟absence d‟espaces physiques légitimes pour l‟usage
du mapudungun, internet se présente comme un lieu d‟échange et de promotion
populaire, largement ouvert à un public principalement urbain. Comme on l‟a
signalé dans le chapitre V, plusieurs groupes virtuels impliqués dans le mouvement
de revitalisation linguistique utilisent le cyberespace pour l‟apprentissage et la
promotion de la langue.
Le groupe virtuel Wedungun d‟abord a été conçu pour diffuser certains
néologismes proposés pendant l‟expérience immersive, principalement par les
assistants des ateliers de mapudungun à Santiago. Petit à petit, le public visé s‟est
élargi à d‟autres acteurs du mouvement de revitalisation. Cependant, l‟état actuel de
la recherche sur l‟emploi du mapudungun sur internet ne me permet pas de tirer des
conclusions sur l‟impact réel de ces outils sur l‟usage de la langue au quotidien.
Toutefois, quelques tendances notées à partir des statistiques annoncées par le site
peuvent être signalées.
Au mois de mars 2014, 116 personnes se sont abonnées au groupe virtuel.
Au mois d‟avril 2015 ce chiffre avait considérablement augmenté avec plus de 630
internautes abonnés. Ces lecteurs sont en légère majorité des lectrices (54% de
femmes contre 46% d‟hommes) ; elles/ils résident le plus souvent en ville (Santiago
du Chili en particulier) ; elles/ils se situent dans une tranche d‟âge de 25 à 34 ans.
Un profil très proche de celui des apprenants de la langue dans nos ateliers in situ.
En termes pratiques, les propositions lexicales émanent des administrateurs
du site, ainsi que des internautes. Les discussions sont ouvertes, chacun peut y
participer dans la langue de son choix.
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
281
Parmi les propositions sur le site internet apparaissent aussi des néologismes
qui figurent déjà dans les manuels d‟enseignement, comme par exemple le mot pour
indiquer un e-mail : « elektronikü werkuwe » (voir chapitre VIII, figure 14). Il est
donc possible que ce néologisme soit en étape de « moyenne validation » (Pruvost et
Sablayrolles, 2012), et que cet espace soit un soutien pour la diffusion et validation
de la nouvelle lexie.
Dans ce cadre, on peut noter également l‟absence de divergences d‟opinion
ou de discussions passionnées comme celles vécues dans l‟expérience de création
lexicale (chapitre VIII). On pourrait penser que cet espace virtuel est consulté par
des néo-locuteurs pour connaître un nouveau lexique ou pour échanger des
propositions.
Dans la capture d‟écran, présentée figure 16, on peut observer quatre
collaborations. D‟abord, un participant qui demande: Chem pingekey « candidatos »
mapudungun mew ? (comment dit-on « candidats » en mapudungun), un autre qui
propose un mot pour désigner la « planète », sollicitant les participants à initier un
débat avec la phrase en espagnol : ¿Alguna otra proposición ? (Une autre
proposition ?). Enfin un autre participant qui partage un document sur la création de
néologismes de la langue mapuche parlée à Santiago du Chili (cf. Villena, 2010).
On peut donc penser, à la lumière du premier exemple (mot « candidats »),
que les réseaux sociaux pourraient servir à la divulgation et à la validation de
néologismes. Par contre, pour la deuxième intervention-discussion (mot « planète »),
il est moins évident d‟arriver à des accords avec ce type de plateforme virtuelle.
Comment pourrait-on « voter » pour le terme le plus approprié ? Qui décide ? Qui a
le « mot de la fin » ?
Devant ces questions, on peut envisager une mixité des méthodes pour la
création lexicale :
- une première étape de discussion à travers une création didactisée dans le
contexte de l‟enseignement/apprentissage en présentiel ;
- puis une discussion élargie aux divers acteurs à travers les réseaux sociaux ;
- une troisième étape d‟expérimentation et de validation auprès des usagers de
la langue ;
- enfin la diffusion et la promotion à travers les manuels
d‟enseignement/apprentissage et les réseaux sociaux.
Cependant, il est difficile de présager du développement futur de cette
initiative qui, cependant, semble de jour en jour faire plus d‟adeptes.
Chapitre IX. Création lexicale et postures militantes : le poids des idéologies linguistiques en didactique
282
Ce nouveau moyen de revitalisation de la langue pourrait être une piste
intéressante à suivre car, en effet, il est adapté aux modes de communication d‟un
public jeune qui utilise parallèlement les réseaux sociaux comme un terrain
favorable – et même privilégié – pour les débats revendicatifs et identitaires évoqués
dans les premiers chapitres.
Eléments conclusifs et prospectifs
Eléments conclusifs et prospectifs
285
1. Eléments de synthèse et conclusions
Analyser les pratiques actuelles de l‟enseignement/apprentissage du
mapudungun en contexte urbain pour un public d‟adultes et proposer des pistes
didactiques, voici les objectifs prioritaires qui sont au cœur de ma recherche. Pour
les atteindre, ce travail de thèse s‟est inscrit dans une approche ethnographique de
type recherche-action, au croisement de la sociolinguistique et de la didactique des
langues.
1.1. En résumé: principaux résultats
La première partie a permis de cerner la situation sociolinguistique actuelle
et les enjeux politiques et identitaires de l‟enseignement du mapudungun, au regard
d‟éléments historiographiques découlant d‟une révision critique des connaissances
les plus couramment véhiculées. Dans cette première entreprise de contextualisation,
qui convoque différents domaines des sciences humaines et sociales (histoire,
anthropologie, archéologie, droit, sociolinguistique), le concept de « glottophagie »,
proposé par Calvet (1974, 1997, 1999), a été en particulier mobilisé pour
appréhender le processus d‟attrition du mapudungun au cours des deux derniers
siècles. Le mouvement sociopolitique de revendication de la « revitalisation »
(Hinton, 1996 ; Amery, 2001; Mufwene, 2001; Grenoble et Whaley, 2006; Romaine,
2008; Costa, 2010) de la langue mapuche a pu être ainsi défini à l‟intérieur d‟un
mouvement plus large de « ré-ethnification générale » (Catrileo, 2005). Cette
première partie souligne finalement les principaux enjeux d‟une recomposition
culturelle et identitaire à l‟œuvre et propose d‟appréhender le mapudungun comme
« langue de migration », au regard des mobilités (zones rurales-urbaines) qui ont
marqué l‟histoire chilienne des trois dernières générations de Mapuche et
descendants de Mapuche.
La deuxième partie défend une approche ethnographique collaborative et
engagée (Speed, 2006) comme étant la mieux adaptée aux objectifs et aux
orientations éthiques du travail entrepris. La notion de terrain est ici mobilisée selon
une définition « relationnelle » (Agier, 2004 ; Lambert, 2005, 2014). Sur la base de
données ethnographiques produites selon cette démarche, le mouvement de
revitalisation linguistique est replacé dans un contexte élargi – notamment à
Eléments conclusifs et prospectifs
286
Santiago du Chili – par le biais de l‟analyse des principaux acteurs du mouvement et
des enjeux d‟un renouveau artistique et culturel en milieu urbain.
La troisième partie se penche sur la mise en œuvre de propositions
didactiques concertées, élaborées avec les acteurs du terrain. Ces propositions
didactiques sont analysées sous différents angles au fil de quatre chapitres. On y
suggère d‟abord que, dans le contexte étudié, la revitalisation du mapudungun peut
être appréhendée comme le résultat de la mise en place d‟une politique et d‟une
planification linguistiques par le bas (Billiez, 1997; Boyer, 2007), où sont mis en
œuvre, par les acteurs eux-mêmes, différentes pratiques dont on a proposé un état
des lieux. Il en ressort en particulier le constat d‟une faible place généralement
accordée à l‟oralité dans les ateliers. Cette oralité se révélant pourtant comme une
des dimensions essentielles de l‟objectif principal des apprenants : devenir des néo-
locuteurs et des agents de transmission du mapudungun. Une expérience
d‟immersion linguistique dans une communauté rurale mapuche concernant de
jeunes adultes de Santiago est alors présentée comme une proposition didactique
contextualisée (Blanchet, Moore et Asselah-Rahal, 2009). Cette expérience répond,
en fait, aux demandes des apprenants désireux d‟interagir en milieu dit
« traditionnel ». Ce dispositif immersif fait lui-même l‟objet d‟une analyse critique
dans le chapitre VII, en indiquant ses limites mais aussi ses aspects prometteurs. Ce
dispositif permet de mettre en scène et de réaliser des échanges linguistiques entre
apprenants et locuteurs experts, favorisant ainsi les échanges intergénérationnels, en
plein cœur d‟un pays mapuche où perdurent culture et traditions.
Les activités de création lexicale en mapudungun, auxquelles le chapitre
d‟analyses (chapitre VIII) est consacré, révèlent spécialement les attentes, les
besoins et les pratiques de l‟ensemble des participants du stage immersif :
apprenants citadins, formateurs et locuteurs experts. La créativité des apprenants –
qui veulent savoir ou inventer des mots pour nommer leur environnement – et
l‟expertise des locuteurs – qui saisissent ces activités comme un véritable défi
intellectuel – construisent une collaboration vivante autour d‟un projet commun.
Cette activité de rénovation lexicale, qui se fonde aussi sur la récupération
d‟archaïsmes, prend tout son sens avec l‟intervention des locuteurs experts qui, eux
aussi, s‟impliquent dans la création de mots adaptés à la vie moderne. On a souligné
combien cette activité, loin d‟être strictement pratique, correspond bien à une
démarche engagée marquée par des « postures idéologiques » distinctes (Jaffe,
2008), et par un ensemble d‟actes de « lexicographie militante » (Rey, 2013).
Cette étude ethnographique approfondie concernant l‟enseignement d‟une
langue « minoritaire », telle que nous l‟avons définie en suivant Blanchet
Eléments conclusifs et prospectifs
287
(2002a), tente donc d‟apporter des éléments de réponse à la question suivante :
pourquoi, comment et que faut-il apprendre et enseigner ?
Pour le contexte étudié, il ressort enfin que les axes de la recherche
concernent autant la praxis d‟une didactique contextualisée (Blanchet, Moore et
Asselah-Rahal, 2009) que la prise en compte, dans cette même perspective, d‟une
tension tradition/modernité. Ce travail s‟est appuyé sur la littérature
sociolinguistique et didactique pour mettre en lumière les enjeux de cette tension
tradition/modernité, liée au continuum rural/urbain, tension significative tout au long
de cette étude du cas de l‟enseignement d‟une langue minoritaire.
C‟est, en effet, en grande partie l‟attention accordée par l‟ensemble des
acteurs aux valeurs « traditionnelles » véhiculées par la langue et sa transmission
familiale en danger, qui nous a conduits à expérimenter le dispositif immersif en
milieu rural, avec la participation de la communauté.
Nous avons vu que ce terrain d‟expérimentation didactique est marqué par la
participation de divers acteurs, dont les postures idéologiques vis-à-vis du projet de
revitalisation de la langue peuvent être très constrastées. Certains veulent clairement
différencier les contenus transmissibles aux Mapuche de ceux qui ne devraient pas
être communiqués aux « non-Mapuche » ; d‟autres souhaitent que l‟enseignement de
cette langue n‟opère pas de distinction selon des appartenances ethnicisées. Difficile
question de la sauvegarde de savoirs de type « mythique » (Costa, 2010b) qui, selon
la tradition, se transmettent à l‟intérieur du foyer. De ce fait, le mapudungun et les
« savoir-faire » de la culture mapuche sont revendiqués comme un patrimoine
précieux qui doit garder toute sa pureté, et ne doit pas, lors de
l‟enseignement/apprentissage, se départir de son caractère original et unique.
Calvet (1999: 185) a bien souligné que la conservation d‟une langue dépend
de plusieurs facteurs : transmission familiale, rapports sociaux entre la langue
familiale et la (ou les) langue(s) du milieu, représentations linguistiques des
locuteurs, solidité des relations gravitationnelles et des interventions extérieures, en
particulier celles des politiques linguistiques. Ces différents facteurs retenus par
Calvet montrent combien l‟éducation formelle et la transmission familiale s‟avèrent
des éléments indissociables dans le projet de récupération linguistique. Dans la
plupart des cas, l‟éducation formelle vient pallier – par le biais de la planification
linguistique – l‟absence de la transmission familiale. Mon terrain n‟est donc pas, en
ce sens, une exception.
Parmi les défis qui se posent aux didacticiens des langues minoritaires,
comme le mapudungun, celui de la prise en compte de tous ces facteurs et des
tensions qui peuvent interagir, nous semble de première importance.
Eléments conclusifs et prospectifs
288
A propos de la recherche d‟une approche de l‟enseignement sous-tendue par
ces traditions, nous tentons de montrer combien les expériences didactiques en
immersion peuvent s‟avérer particulièrement adaptées aux besoins du terrain, en
s‟ouvrant aux stratégies de transmission familiale et/ou communautaire. Ainsi, dans
l‟expérience immersive observée, les tâches domestiques comme la préparation des
repas ou l‟abattage des animaux, représentent non seulement des situations
favorisant les interactions langagières, mais participent aussi d‟une validation des
apprenants comme « Mapuche », gens de la terre – y compris pour les locuteurs
novices qui n‟ont pas d‟ascendance mapuche.
Les expériences d‟immersion linguistique pourraient donc faire connaître et
encourager le « savoir-faire » ancestral et les traditions permettant de comprendre la
cosmovision mapuche, ceci en soulignant les données identitaires et culturelles. En
effet, pour les locuteurs ruraux, un « vrai » homme mapuche doit savoir tuer un
animal pour subvenir aux besoins de sa famille (autosuffisance), de même qu‟une
« vraie » femme mapuche doit savoir cuisiner et faire du pain. Mais ces expériences,
liées au domaine domestique, vont bien au-delà de la tâche anecdotique ou
folklorique. Elles se situent au cœur d‟une planification linguistique qui permet aux
apprenants urbains, néo-locuteurs et possibles transmetteurs, à leur tour, de leurs
connaissances, d‟intervenir autant dans des milieux didactiques formels que dans
des situations de transmission familiale et communautaire.
Cette importance accordée aux dimensions traditionnelles incite à la
reconnaissance de pratiques qui perdurent à l‟intérieur des familles, notamment dans
le contexte rural, mais qui sont de plus en plus difficiles à adapter au milieu urbain.
C‟est, par exemple, le cas des apprentissages liés aux cycles de la nature et aux
relations avec la terre (le terme « mapuche » signifie justement « gens de la terre »).
Il est donc nécessaire, selon moi, de tenir compte de ces notions fortement liées à la
culture rurale.
Au terme (provisoire) de ma quête d‟une approche didactique contextualisée
du mapudungun et reconnaissant une tension entre « tradition » et « modernité »
dans l‟apprentissage d‟autres langues minoritaires, des propositions didactiques
peuvent être formulées selon deux orientations principales : la revalorisation des
aspects traditionnels en expérience d‟immersion, et la didactisation de la création
lexicale comme outil de modernisation des langues minoritaires dites « originaires »
ou « indigènes ».
Eléments conclusifs et prospectifs
289
1.2. Quelles approches didactiques pour les
langues minoritaires ?
Quelle « didactique des langues originaires » (Pérez-López, 2012) et quels
cadres de référence pour les langues indigènes (Loncon et Castillo, 2013) ? Comme
le soulignent Pérez-López et al. (2012), ces langues minoritaires posent des
questions et des défis méthodologiques assez différents de ceux qui concernent les
langues légitimes ou de « prestige » comme le français ou l‟anglais par exemple.
Ces particularités touchent des aspects didactiques variés à prendre en compte,
comme l‟enseignement de l‟écriture, les différentes variantes géo-dialectales, les
contextes communicatifs ou encore la structure des langues et les contenus (Pérez-
López, 2007).
D‟où la nécessité, comme on l‟a montré pour le cas du mapudungun, d‟une
réflexion autour des stratégies contextualisées pour ce type de langues, en dialogue
permanent entre les usages passés et présents, ruraux et urbains, oralité et écriture,
rituels et internet.
1.2.1 Revalorisation des aspects « traditionnels » en immersion :
à la redécouverte de la transmission familiale
L‟étude approfondie du phénomène de transmission familiale (qui n‟intéresse
pas le seul mapudungun) hors du cadre de l‟enseignement formel, participe, selon
moi, de la recherche didactique pour les langues minoritaires.
C‟est, entre autres, à partir du quotidien de cet environnement domestique
que l‟on peut rechercher une vitalité de l‟oralité, une prépondérance des dynamiques
interactives qui peut retentir sur le contexte éducatif et vice-versa : du milieu
éducatif vers la famille. Compte tenu de l‟intérêt de la transmission familiale dans le
projet de maintien d‟une langue, il est important de privilégier des approches
spécifiques adaptées à ce contexte particulier et délicat, celui de l‟intimité d‟une
famille, tellement sollicitée par ailleurs dans une dynamique offrant une juste place
aux traditions.
Ces facteurs sont autant d‟arguments pour l‟expérimentation de dispositifs
immersifs pour ce public particulier, soucieux d‟adopter les « bonnes coutumes »
nécessaires pour être considéré en tant que peñi (frère) ou lamngen (sœur) locuteur
et locutrice de mapudungun.
Tout comme en France (Deprez de Heredia et Varro, 1991), le bilinguisme
au Chili est un sujet de recherche relativement récent pour la sociolinguistique et la
Eléments conclusifs et prospectifs
290
didactique des langues. Par ailleurs, on peut observer que la méthode la plus
couramment utilisée actuellement pour l‟enseignement du mapudungun s‟inspire
amplement des modèles d‟enseignement des « langues étrangères » fortement
standardisées, que ce soit pour une question de validation du « modèle » (adaptation
à un système dominant) avec l‟école comme lieu symbolique de prestige (Burban et
Lagarde, 2007), ou bien en l‟absence d‟autres propositions validées par le système
éducatif.
Malheureusement, et comme le signalent, entre autres, Coyos (2005, 2007-
2008), Lagarde (2006), De Houwer (2007), Ghimenton (2010), Lacroix (2014), les
études actuelles sur l‟enseignement/apprentissage de langues minoritaires
concernent presque exclusivement le cadre scolaire. Comme l‟indique Coyos (2007-
2008: 205), si l‟on veut, par exemple, pour le cas du basque, réaliser un état des
lieux de l‟enseignement de la langue, on note l‟absence de la prise en compte de
domaines informels comme la transmission et l‟usage de la langue dans les médias
ou les loisirs.
Ainsi, les études sur la complexité de la transmission linguistique familiale,
dans un contexte diglossique, sont souvent négligées. Elles ne suscitent l‟intérêt ni
des politiques linguistiques gouvernementales ni celui des militants. La transmission
familiale d‟une langue « vigoureuse » semble naturelle, évidente et spontanée, car
son acquisition se réalise à travers l‟interaction de l‟enfant avec sa famille,
l‟entourage social, les médias de communication ; elle se confirme formellement
dans le processus d‟alphabétisation et à travers une socialisation à l‟école. Il en va
tout autrement pour les langues minoritaires – donc socialement minorisées – dont
la transmission peut être empêchée même quand la motivation des parents est forte
pour maintenir un projet de bi-plurilinguisme à l‟intérieur du foyer.
C‟est ce milieu domestique bilingue et les résistances qui freinent parfois la
transmission d‟une des langues en présence, qui intéresse particulièrement mon
travail et qui motive des perspectives pour mes futures recherches.
1.2.2. Vers une didactisation de la transmission familiale?
Selon les termes de Fishman (1991) la « socialisation langagière » est un des
moyens pour assurer la survie d‟une langue minoritaire, puisque la transmission aux
jeunes enfants permet le renversement de la substitution linguistique (reversing
language shift). De son côté Reyhner (1999) propose, à l‟intérieur de la communauté
et de la maison, le développement des espaces où l‟usage de la langue minoritaire
Eléments conclusifs et prospectifs
291
puisse être soutenu et protégé, en encourageant les parents à parler la langue cible
avec et autour des jeunes enfants.
Ces observations d‟ordre sociolinguistique font écho à des pistes qui restent à
approfondir sur le terrain de la didactique des langues. Réfléchir aux stratégies de
transmission familiale, à leur application dans l‟enseignement/apprentissage
favoriserait le projet du bilinguisme à partir « de sa base » (Boyer, 2007).
Il serait notamment utile de revisiter les dynamiques de la transmission
parents et grands-parents envers les jeunes enfants et d‟accompagner les projets de
locuteurs (experts ou néo-locuteurs) pour réintroduire le bilinguisme familial.
Il faudrait donc répondre à ces questions: comment mettre en place ces
projets ? Pourrait-on évoquer la nécessité d‟une didactisation de la transmission ?
A ce propos, les expériences de revitalisation linguistique menées par Hinton
(1994, 2001) et leur systématisation à partir des dispositifs d‟enseignement de
langues indigènes en Californie aux Etats-Unis, amènent d‟utiles propositions pour
les langues en contexte minoritaire qui souffrent des conséquences de siècles de
politiques glottophagiques.
Les propositions de Hinton (1994: 243-244) nous permettent d‟avoir – de
manière générale – un aperçu des besoins propres à ce type de contexte. L‟auteure
propose ainsi, pour le formateur et l‟apprenant, un ensemble de stratégies :
participation, interdiction d‟utiliser la langue dominante, usage d‟une gestuelle, prise
en compte des contextes et des actions permettant de mieux communiquer,
reformulation des phrases, préparation à l‟écoute, instrumentalisation de la langue,
et enfin attitude patiente lors du processus d‟apprentissage. Cette approche rejoint
celles repérées par Petit (2001: 81-122) lors des expériences d‟immersion, qui
incitent à une conscientisation des pratiques d‟acquisition naturelle des langues (cf.
chapitre VII) et permettent un accès à la langue, proche du cadre de la transmission
familiale. Ces propositions, qui se focalisent sur les processus de l‟acquisition
langagière, sérient les modèles à privilégier et à développer dans le cas des langues
« en panne » de transmission, et indiquent des méthodes « autres » que celles
proposées dans le cadre de l‟enseignement des langues standardisées. Elles se
proposent d‟offrir aux parents et grands-parents des ressources pour une
« réimplantation » de la langue minoritaire dans un cadre domestique affectif.
La suite de mes travaux devra donc s‟intéresser d‟une part à ces cadres
« informels » – hors milieu scolaire – s‟orientant probablement vers le paradigme
« language socialization » défini, entre autres, par Ochs et Schieffelin (1994), en
faisant converger des approches de l‟acquisition du langage, de la didactique et de la
Eléments conclusifs et prospectifs
292
sociolinguistique pour un enseignement/apprentissage adapté à une réalité
complexe, alliant la pérennité d‟éléments linguistiques et culturels et l‟adaptation à
des réalités contemporaines.
1.2.3. La création lexicale et les réseaux sociaux : des leviers pour
la didactique des langues minoritaires ?
La création lexicale s‟inscrit également dans la perspective d‟un
prolongement de ce projet de démarche didactique contextualisée. En effet, les
nouveaux contextes d‟usage du mapudungun en ville, qui imposent un processus de
création lexicale, font apparaître de nouveaux défis pour l‟enseignement du
mapudungun, cette langue qui perd de sa vitalité dans la transmission
intergénérationnelle et qui peut et doit se régénérer en intégrant les domaines de la
technologie, ou à travers les réseaux sociaux sur internet.
Dans le monde contemporain, les langues minoritaires sont partie prenante
d‟une stratégie de survie (Zimmermann, 1995-1996). Ainsi, la création lexicale se
situe au cœur d‟un débat sur la planification linguistique et dévoile, plus encore, des
postures idéologiques à l‟intérieur d‟un cadre didactique ; elle participe à un
processus de (re)-construction de connaissances.
Le besoin de nommer le monde qui nous entoure semble être une nécessité
innée. Ainsi le jeune enfant qui, en désignant la photo d‟un drone – sans connaître
les fonctions de cet aérodyne télécommandé – le nomme spontanément « machine à
voler ». Cette solution langagière nous rappelle que, devant la non existence ou la
méconnaissance d‟un mot comme « drone » (étymologiquement « faux
bourdon180
»), les connaissances acquises auparavant dans le processus
d‟apprentissage d‟une langue pourraient aider à permettre le développent d‟autres
compétences plus élaborées. C‟est à travers le langage que l‟être humain s‟approprie
d‟abord son entourage immédiat, et ensuite plus largement les phénomènes et les
concepts. L‟enseignement d‟une langue minoritaire, ouvrant le champ d‟application
vers d‟autres savoirs, participe de cette appropriation.
Cette approche lexicographique, riche en partage et en échanges
intergénérationnels, génère surtout un débat idéologique, orientation bien palpable
lors de mon travail de terrain. La création, la diffusion et la validation d‟une
180 Néologisme anglo-saxon formé à partir de l‟onomatopée d‟un bruit de moteur qui ressemblerait au
vol du bourdon.
Eléments conclusifs et prospectifs
293
nouvelle terminologie – née d‟une langue minoritaire – répond à des attentes réelles
et se présente comme une opportunité à saisir dans la survie d‟une langue comme le
mapudungun.
La création lexicale impose une réflexion approfondie sur les processus de
planification « par le bas », celle qui, justement, se fonde sur les usages, les
expériences, la culture, les attentes et les besoins linguistiques des usagers eux-
mêmes (locuteurs, néo-locuteurs, apprenants) qui tous participent de cette
expérience.
Depuis le début de ma recherche, les nouveaux logiciels et les sites internet
se sont multipliés, les réseaux sociaux ont pris de plus en plus d‟importance, et
nombre d‟internautes, participent, à leur façon, à ces nouvelles dynamiques.
L‟existence de « forums », de groupes virtuels permet d‟échanger sur et dans la
langue cible entre experts, néo-locuteurs ou apprenants novices. Actuellement, je
constate également l‟apparition de cours particuliers de mapudungun offerts sur
skype par des néo-locuteurs. La production audiovisuelle et l‟existence d‟une
littérature mapuche très vivante offrent aux apprenants de nouvelles possibilités pour
s‟approprier une langue selon des modalités, elles aussi, novatrices.
Toutes ces nouvelles approches technologiques appliquées à la connaissance
d‟une langue minoritaire mettent au défi les pratiques pédagogiques, et plus encore,
bousculent un ordre idéologique établi. Ces nouvelles dynamiques invitent, en effet,
à définir des nouvelles stratégies adaptées à ce contexte particulier de
l‟enseignement des langues. Même si la participation de personnes plus âgées –
notamment de locuteurs ruraux – reste faible sur les réseaux sociaux, des échanges
avec les nouvelles générations de néo-locuteurs, sous forme interpersonnelle,
pourrait être développés. Ces jeunes locuteurs pourraient, à leur tour, accomplir un
rôle de transmission intergénérationnelle à travers internet, réseau moderne et
accessible. De même, Fusaro (2009) signale, à ce propos, l‟intérêt de TICE dans le
transfert des connaissances entre grands-parents et petits-enfants. Ces quelques
exemples récents, mais très encourageants, laissent présager de profondes mutations
sur les sujets qui intéressent ma recherche. Ils ne peuvent que soutenir et donner une
nouvelle impulsion au phénomène de revitalisation de la langue mapuche.
Le renouvellement de cette langue implique actuellement un travail de
normalisation linguistique où s‟impliquent directement les utilisateurs eux-mêmes.
Cette recherche, en capacité d‟intégrer d‟autres dynamiques, doit considérer les
usages adaptés aux nouveaux – et souvent jeunes – utilisateurs, et à un nouveau
contexte urbain. En ce sens, les ateliers d‟enseignement/apprentissage en ville
Eléments conclusifs et prospectifs
294
doivent être compris comme des espaces sociaux favorisant une planification
linguistique « par le bas ».
Le cas emblématique de l‟enseignement/apprentissage du mapudungun à
Santiago du Chili met en lumière la complexité d‟une approche qui dépasse les
frontières de la seule discipline didactique et ne trouve son souffle et sa nécessité
que dans son intrication avec le mouvement vivant de revendication politique,
culturelle et identitaire. Il s‟agit donc maintenant de continuer à rechercher, à travers
les dynamiques de ce mouvement, la voie d‟une didactique contextualisée aux
besoins et usages du XXIème
siècle. Celle-ci se doit de fédérer des aspects liés à une
culture et une tradition riches d‟enseignements, avec les implications et nécessités
du monde urbain moderne. Dans l‟espoir que le parler « des gens de la terre »
s‟approprie de nouveaux contextes, non seulement pour récupérer ses racines, mais
aussi pour devenir le parler « des gens du bitume »...
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12. Corporation nationale du développement indigène, http://www.conadi.gob.cl
13. Conseil de l‟Europe, http://www.coe.int/fr/web/portal/home
14. Déclaration universelle des droits linguistiques de 1996 (1998) Barcelone,
http://culturalrights.net/descargas/drets_culturals388.pdf
15. EF – English Formation/ English Proficiency Index 2012,
http://www.ef.com.fr/__/~/media/efcom/epi/2012/full_reports/ef-epi-2012-
report-fr-lr
16. Ethnologue, http://www.ethnologue.com
17. Eusko legebiltarra (parlement basque), http://www.legebiltzarra.eus/eu
18. FEMAE – fédération mapuche d‟étudiants,
http://federacionmapuchedeestudiantes.es.tl/
19. Garabide Elkartea – Association basque de coopération linguistique,
http://www.garabide.eus/
20. Indigenous tweets – site web avec le répertoire et localisation des messages
twitter en langue minoritaire, http://indigenoustweets.com
21. IEO, Institut d‟Etudes Occitanes, www.ieo-oc.org/
22. IIDH – Institut interaméricain de droits de l'homme), http://www.iidh.ed.cr/
23. INE – Institut national des statistiques, http://www.ine.cl
Références bibliographiques et sitographiques
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24. Informe Misión Internacional de Investigación de los Derechos Humanos
(2003) Chile Pueblo mapuche : Entre el olvido y la exclusión,
https://www.fidh.org/IMG/pdf/cl1103e.pdf
25. IWGIA – International Work Group for Indigenous Affairs,
http://www.iwgia.org/
26. Kom kim mapudunguaiñ waria mew, https://komkim.wordpress.com/
27. Loi indigène du Chili,
http://www.politicaspublicas.net/panel/legislacion-chilena/asuntos-
indigenas/575-ley19253.html
28. Liwen ñi mapu – réseau informatif des peuples indigènes et des droits de
l'homme, https://liwenmapu.wordpress.com/
29. Mapuche – Centre de documentation,
http://www.mapuche.info/mapuint/amapuint00.html
30. Mapuche International Link, http://www.mapuche-nation.org/
31. Mapuche stichting folil in Netherlands, http://www.mapuche.nl
32. Mapuexpress – Journal mapuche http://www.mapuexpress.org
33. Meli Wixan Mapu, http://meli.mapuches.org
34. Ministère de l‟education chilien, http://www.mineduc.cl/
35. Mairie de Galvarino, http://www.galvarinochile.cl
36. Murales políticos (fresques politiques), http://muralespoliticos.blogspot.com
37. Ñuke Mapuförlaget / Ñuke Mapu – Centre de documentation mapuche en
Suède, http://www.soc.uu.se/mapuche/
38. Observatoire des droits des peuples indigènes, http://odhpi.org/
39. Observatorio Ciudadano – Observatoire des droits des peuples indigènes,
http://www.observatorio.cl/
40. ONU –Rapport spécial sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales
des peuples autochtones.
http://www.unfpa.org/derechos/documents/relator_indigenas_chile_03_000.p
df
41. Parti politique Wallmapuwen, http://www.wallmapuwen.cl/
42. PEIB – Programme d‟éducation interculturelle bilingue,
http://www.peib.mineduc.cl/
Références bibliographiques et sitographiques
348
43. PROEIB-ANDES – Programme de formation en education interculturelle
bilingue pour les pays andins, http://fundacion.proeibandes.org/
44. REDEIB – Réseau pour les droits linguistiques et culturels des peuples
indigènes du Chili, http://redeibchile.blogspot.fr
45. SIL International – Summer Institute of Linguistics, http://www.sil.org
46. Teaching Indigenous Languages, http://jan.ucc.nau.edu/~jar/TIL.html
47. UNESCO – Safeguarding of the Endangered Languages Program,
http://www.unesco.org/culture/heritage/intangible/meetings/paris_march2003
.shtm
48. UNICEF – Profil des éducateurs et professeurs mentors du secteur langue
indigène.
http://unicef.cl/web/perfil-de-educadores-tradicionales-y-profesores-
mentores-en-el-marco-de-la-implementacion-del-sector-de-lengua-indigena/
49. Universidad Libre Mapuche Wenceslao Paillal – Centre d‟études et de
recherche, http://ulibremapuche.blogspot.fr/
50. Wixage Anai – émission de radio en mapudungun,
http://wixageanai.blogspot.fr
51. Xiberoko Gai Eskola – École du soir d‟euskara,
http://xiberoko-gau-eskola.eklablog.com/
Annexes
Annexes
351
Annexe 1: brève contextualisation historique
En 1541 Pedro de Valdivia, Capitaine général de la conquête connu comme le
conquistador du Chili, fonde la ville de Santiago del Nuevo Extremo, – actuelle Santiago –,
capitale du pays. À partir de cette date commence le déclin de la langue mapuche dans la
vallée de Mapocho et ses alentours, ainsi que dans les autres régions où s‟est installée l‟armée
espagnole. Cependant, vers le sud du pays se crée une nouvelle frontière défendue par les
Mapuche, voisins au fleuve Bio-Bio, première étape de résistance contre les Espagnols, dans
un conflit qui durera plus de trois siècles, appelé la Guerra de Arauco. Pendant des siècles, les
Mapuche ont mis en place tout un système militaire stratégique contre les Espagnols.
Cependant, les maladies européennes apportées par les conquistadors, font encore plus de
dégâts que les armes et tuent un tiers de la population mapuche.
Selon les récits espagnols de l‟époque, l‟organisation du peuple mapuche considérait
la famille comme principale institution sociale. Elle était constituée par le père, sa ou ses
femmes et leurs enfants. Les familles se relient entre elles autour d‟un küpan (ancêtre en
commun) qui offre une « mémoire sociale » (Loncon, 2011a :48) au lof (communauté). Le lof
est composé de plusieurs familles qui habitent près les unes des autres et se doivent assistance
mutuelle et où le longko – tête en mapudungun – représente l‟autorité principale. À partir de
cet aménagement territorial les Mapuche peuvent établir leur tuwün (lieu d‟origine), qui est
indissociable du küpan. C‟est-à-dire, l‟appartenance à la famille et son lignage.
La résistance historique du peuple mapuche – similaire à celle du peuple Guaraní – a
été sans doute une des rares manifestations d‟opposition persistante d‟un peuple originaire en
Amérique, face à la suprématie des conquistadors européens. Cette lutte militaire et politique
contre les wingka181
a contraint la Couronne espagnole à signer des traités pendant l‟époque
de la colonisation, appelés aussi Parlements. Il y en eut 28 en tout. Le plus célèbre fut le
Parlement de Quilín182
en 1641, après presque cent ans d‟affrontements belliqueux entre
Espagnols et Mapuche, ce Traité ou koyang est interprété par le mouvement de ré-
181 Le terme wingka (winka, huinca) désigne l‟envahisseur, l‟étranger ou non-Mapuche. Il semblerait que
l‟étymologie du mot signifie le « nouvel Inca » (we : nouveau en mapudungun). C‟est le nom donné aux
Espagnols pendant la Colonie et actuellement utilisé pour nommer les Chiliens non Mapuche. Le terme peut être
utilisé de manière péjorative (acception d‟ennemi) ou seulement pour différencier la personne non-Mapuche
(étranger). Ce terme reste très utilisé par les locuteurs contemporains du mapudungun et dans la variante de
l‟espagnol chilien.
182 Les actes espagnols qui évoquent des Pactes de paix de Quilín sont les seules traces écrites du célèbre
Parlement, ils ont été récemment réétudiés en 2007 par l‟historien chilien José Bengoa après avoir été retrouvés
dans la Bibliothèque nationale d‟Espagne à Madrid. Ces accords ont été ratifiés le 29 avril 1643 par le roi
Philippe IV. L‟importance du Pacte permet non seulement d‟accéder au seul vestige du traité entre un peuple
originaire d‟Amérique latine et les Espagnols, mais aussi d‟avoir accès à la preuve légale d‟une frontière
mapuche au début du XIXème
siècle.
Annexes
352
ethnification mapuche contemporain comme une reconnaissance officielle de la Nation
mapuche et de ses droits politiques, territoriaux, culturels et linguistiques.
Carte 6 : carte représentative du début du XIXème siècle183.
Source © : www.atlas-historique.net
Dans ce cadre de stabilité diplomatique entre les autorités espagnoles et mapuche, ces
derniers adoptent une nouvelle économie calquée sur le système européen d‟élevage extensif
des animaux, ce qui provoque un important changement socioéconomique dans le commerce
entre les deux côtés de la Cordillère des Andes. Cette transformation devient problématique
pour les Espagnols.
Les longko de la région deviennent puissants et une nouvelle hiérarchie sociale
s‟installe. Ce pouvoir économique et politique atteint par une partie de la société mapuche est
un des passages de l‟histoire le plus retenu par les acteurs du mouvement de ré-ethnification
actuel. On note, en effet, que c‟est à partir du rattachement aux États-nations du Chili et de
l‟Argentine que la misère économique et sociale s‟installe sur les territoires mapuche (Cf.
Mariman et al., 2006). Le Parlement de Negrete de 1716 ratifie la frontière et les relations
183 Source: http://www.atlas-historique.net/1815-1914/cartes/AmeriqueSudIndependance.html, consulté le 13
avril 2013.
Annexes
353
commerciales entre Mapuche et Espagnols. Ce traité stipule, entre autres, l‟abandon des armes
de la part des Mapuche et leur rattachement, comme vassaux, au roi d‟Espagne.
En 1825 et quelques années après la déclaration d‟indépendance du Chili (1818), le
nouvel État indépendant oblige les autorités mapuche à régulariser leurs relations à travers le
Parlement de Tapihue184
(Tapiwe). Les articles de ce traité réaffirment la séparation entre les
deux nations :
Los gobernadores o Caciques desde la ratificación de estos tratados no permitirán que
ningún chileno exista en los terrenos de su dominio por convenir así al mejor
establecimiento de la paz y unión, seguridad general y particular de estos nuevos
hermanos185
(art.18 du Tratado de Tapihue, 1825).
Ce traité est le premier pacte politique entre la république du Chili et les Mapuche.
Pour le mouvement actuel de revendication mapuche, il s‟agit d‟une sorte de Magna Carta
qui reconnaît les droits collectifs et territoriaux des Mapuche et permet de légitimer leurs
demandes.
En 1833, le Chili rédige sa Constitution en castillan qui stipule sa qualité de
République unique et indivisible, sans se prononcer sur la langue officielle. Ce document re-
délimite de manière unilatérale les frontières186
. D‟autre part, l‟Argentine rédige aussi sa
constitution en 1853. Dans son premier chapitre elle invite les immigrants européens à
rejoindre de nouveaux territoires. De cette manière les républiques du Chili et de l‟Argentine,
pourraient repousser ce peuple « sauvage », et finir par s‟en débarrasser comme le signale
Hernández (2003):
Los mapuche eran, por primera vez, después de la emancipación colonial, visualizados
expresamente, como un PUEBLO, más allá de su residencia al este o al oeste de las
montañas, porque era definido por ambos Estados republicanos, el chileno y el argentino,
como un enemigo común187
(Hernández, 2003: 98).
184 Pour retrouver le Traité de Tapihue, il faut s‟adresser à une des rares reproductions photographiques faite par
un groupe de chercheurs chiliens en 2011. Malgré l‟importance historique de son contenu, ce traité n‟avait
jamais été reproduit ni diffusé (cf. Tellez, Silva, Carrier et Rojas, 2011).
185 Ma traduction: « Les gouverneurs ou les Caciques depuis la ratification de ces traités ne permettront qu‟aucun
Chilien n‟existe dans les territoires de son domaine pour permettre ainsi le meilleur établissement de la paix et de
l‟union, de la sécurité générale et particulière de ces nouveaux frères ».
186 À savoir, le désert d‟Atacama est désigné comme frontière Nord et le Cap Horn comme frontière Sud,
rompant ainsi les accords du Parlement de Tapihue signés huit ans auparavant, dans lequel la frontière Sud
continuait d‟être la rivière Bio-Bio, comme pendant la période de colonisation espagnole.
187 Ma traduction: « Les Mapuche étaient, pour la première fois, après l‟émancipation coloniale, considérés
expressément, comme un PEUPLE, au-delà de sa résidence à l‟Est ou à l‟Ouest des montagnes, parce qu‟il était
défini par les deux États républicains, le Chilien et l‟Argentin, comme un “ennemi commun” ».
Annexes
354
La rupture des accords de la part des créoles et l‟arrivée des colons européens
provoquent divers conflits sur lesquels le Chili et l‟Argentine s‟appuient pour soutenir la
nécessité d‟occuper le territoire mapuche. Cette situation donne lieu aux campagnes militaires
nommées « la pacificación de la Araucanía188
» (1861-1893) et « la conquista del
desierto189
» (1878-1885)190
. Ainsi, le gouvernement chilien incite les colons européens, à
venir occuper les terres fertiles que, dit-il, les indiens ne savent pas exploiter. Pour
l‟installation des colons on procède au brûlage et à l‟exploitation intensive des forêts
primaires.
À partir de 1884 l‟Etat chilien offre aux communautés mapuche des títulos de merced
(terres en concession), qui ne sont autre chose que des « réserves » indigènes. Pour Saavedra
(2002 :57), la création des ces réserves constitue un ethnocide, car il s‟agit d‟une
appropriation des terres et de la destruction d‟un système social autonome et de ses bases
culturelles. En 1927, la loi permet la division et la vente de ces terres, or cette population
majoritairement analphabète se fait systématiquement escroquer par des privés avec des
ventes fictives ou selon des prix ridicules. En conséquence, la seule résistance culturelle et
linguistique mapuche reste liée à l‟idée de « communauté ».
L‟organisation communautaire reproduit le territoire ancestral, évidemment à une
échelle mineure, et essaye de maintenir l‟existence de la langue et de ses expressions
culturelles malgré des situations géopolitiques défavorables. Les réserves apparaissent donc
comme la dernière enclave de sauvegarde du mapudungun et le dernier espace où maintenir
l‟ancienne configuration sociale. Une démarche difficile dans un contexte quotidien de
discrimination, d‟usurpation et de violence. Comme le signale Bengoa (1996a: 371), pour
survivre et opposer une résistance en termes physiques et sociaux il était nécessaire de fixer
une barrière culturelle :
Los mapuche se transforman en una sociedad de resistencia, que ve en la mantención de
sus costumbres, tradiciones, cultos y lengua su sobrevivencia191
.
Comme le signale Mariman (2006 : 125), vers la fin du XIXème
et au début du
XXème
siècle, l‟appauvrissement et la réduction du territoire, l‟imposition d‟un gouvernement
et la négation en tant que Nation marquent l‟histoire contemporaine mapuche. Dans ce
contexte, les jeunes issus de familles appauvries sont obligés d‟émigrer vers des villes comme
Santiago, à cause de la diminution des terres à cultiver. Cette migration forcée par les
circonstances sociopolitiques et économiques, aura un impact important et retiendra notre
188
Ma traduction : « La pacification de l‟Araucanie ». 189
Ma traduction : « La conquête du désert ». 190
Le plus grand génocide jamais reconnu, jusqu‟à nos jours, ni par les Etats chiliens et argentins, ni par des
organismes internationaux. 191
Ma traduction: « Les Mapuche se transforment en une société de résistance, qui voit sa survivance dans le
maintien de ses coutumes, ses traditions, ses cultes et sa langue ».
Annexes
355
attention tout au long de notre recherche, elle ne semble pas si lointaine car elle reste dans la
mémoire collective de tout le mouvement mapuche contemporain.
Au cours du XXème
siècle, les conflits pour la possession de terres continuent avec la
réforme agraire192
. Les demandes territoriales des communautés ne sont pas écoutées en tant
que mapuche, mais plutôt comme partie de la paysannerie chilienne. L‟arrivée au pouvoir de
Salvador Allende (1971-1973) accélère le mouvement de récupération des terres avec les
expropriations des latifundios. En parallèle, un mouvement mapuche indépendant parvient à
reprendre possession de plus de 10 000 hectares (Correa et al. 2005). L‟Unidad Popular, –
coalition de gauche – intègre les communautés dans le dialogue sur la réforme agraire avec
ses représentants193
, discussion qui finit en 1970 avec la proposition d‟un projet de loi sur les
affaires indigènes.
Cependant cette dernière période laisse entrevoir des divergences entre les demandes
des Mapuche et celles des partis politiques chiliens. Comme le signalent Millamán (2008) et
Toledo (2006), les partis politiques de gauche conçoivent le peuple mapuche comme une
minorité ethnique et une sous-culture paysanne qui devrait s‟intégrer à la notion de « peuple
chilien » ; ils lui assignent un rôle politique mineur en tant que membres d‟un indissoluble
« paysannat chilien ». Comme le mentionnent Samaniego et Ruiz (2007 : 354), la dynamique
des mobilisations des années 70 a certainement permis un changement par rapport au discours
de partis politiques envers les Mapuche, mais ces diverses idéologies n‟ont jamais compris ni
la condition de ces populations ni leur revendications à part entière.
En 1973, après le coup d‟État militaire d‟Augusto Pinochet, la situation devient de
plus en plus complexe pour les Mapuche. Cette dictature militaire représente la mort civile, la
perte d‟un espace territorial, social, identitaire et culturel, et une invisibilité aux yeux d‟une
société chilienne, elle aussi réprimée. La législation finit par supprimer tout type de protection
des communautés indigènes. L‟implantation des politiques libérales vient faciliter
l‟installation, dans l‟ancien territoire traditionnel, des grandes entreprises forestières
subventionnées par l‟État. La notion de peuple mapuche est complètement effacée dans la
société chilienne, comme l‟exprime clairement le dictateur Pinochet en 1979 lors d‟un
discours: « Ya no existen mapuches, porque todos somos chilenos »194
.
192 Au Chili, la réforme est le résultat des politiques de l‟État, et non de la demande sociale des paysans comme
c‟est le cas dans d‟autres pays d‟Amérique latine.
193 Malgré la déférence avec laquelle sont traitées les communautés mapuche, la politique d‟Allende ne
prétendait pas concéder aux Mapuche une reconnaissance culturelle en tant que « Peuple ». La récupération
territoriale a été traitée dans la même dynamique que l‟expropriation des terres pour les paysans chiliens
(Toledo, 2006: 37).
194 Ma traduction : « Les Mapuches n‟existent plus, nous sommes tous des Chiliens ».
Annexes
356
Mais au-delà du discours et de ses conséquences dogmatiques, l‟héritage sans doute le
plus controversé de la dictature de Pinochet est l‟application de la loi antiterroriste pour les
cas judiciaires où sont impliqués des activistes mapuche, comme le précise l‟anthropologue
Course (2011 : 164) :
The application of the antiterrorist law denies the accused acces to due process and
automatically triples any punitive sentence. Since the return to democracy in 1990, this
law has been applied excluvely to Mapuche activist195
.
La loi antiterroriste est promulguée pendant la dictature mais continue à être en
vigueur dans le gouvernement démocratique de Patricio Aylwin. Cette loi –reformée
partiellement en 1991 – punit les revendications sociales et permet l‟existence de témoins
protégés au « visage caché ». Elle permet aussi les doubles jugements et les doubles sentences
(civils et militaires), ainsi que la mise automatique des inculpés en prison préventive. Cette loi
a été appliquée jusque 2013, exclusivement pour les causes relatives à la revendication
mapuche.
Avec la fin de la dictature de Pinochet, en 1989, et pendant sa campagne à la
présidence, le candidat Aylwin signe le pacte de Nueva Imperial pour gagner la confiance et
le suffrage des diverses organisations indigènes. En janvier 1990, des dirigeants mapuche –
ruraux et urbains – de tout le pays, ainsi que les représentants des peuples Aymara,
Atacameño et Rapa Nui, créent le Consejo Nacional de Pueblos Indígenas de Chile. Le but de
cette entité est d‟obliger l‟État à faire face aux demandes de reconnaissance constitutionnelle
et législative en faveur des peuples originaires (Mariman, 1994). Après cette initiative suit la
création de l‟organisation mapuche Aukiñ Wallmapu Ngulam (Le conseil de toutes les terres),
à nos jours une des plus importantes au niveau politique. Ce Conseil travaille activement au
Chili et en Argentine, en se positionnant médiatiquement à travers ses mobilisations pour la
récupération de terres et les « occupations symboliques ». Son porte-parole, le werken (le
messager) Aucán Huilcamán, devient un de ses leaders emblématiques.
D‟un autre côté, en 1990, l‟État chilien crée la CONADI (Corporation Nationale du
Développement Indigène) et met en place la loi indigène. Parmi ses missions on trouve
l‟administration et la restauration des terres, le programme des bourses pour les étudiants
indigènes et la commission de développement pour financer des projets.
Mais c‟est à partir des années 2000 que la violence augmente. Pendant le premier
mandat de Michelle Bachelet (2006-2010), la militarisation de l‟Araucanie s‟accélère, les
violentes perquisitions de la police mobilisent même les organismes internationaux des Droits
de l‟homme et de l‟enfance (Cf. Aylwin, 2004). La persécution politique des dirigeants, les
195 Ma traduction : « L‟application de la loi antiterroriste empêche la tenue d‟un procès juste et triple
automatiquement chaque sentence. Depuis le retour à la démocratie en 1990, cette loi a été appliquée
exclusivement aux activistes mapuche ».
Annexes
357
procédés judiciaires irréguliers et l‟apparition de groupes paramilitaires dans la dénommée
« zone rouge », sont des faits qui marquent un nouveau cycle de mobilisations inséré dans ce
qui a été médiatiquement baptisé « le conflit mapuche196
». Le sommet de cette violence est
marqué par les assassinats des jeunes mapuche Alex Lemún, Jaime Mendoza Collío et
l‟étudiant universitaire originaire de Santiago, Matìas Catrileo, aux mains de la police
chilienne pendant différentes reconquêtes de terrains. Ils deviennent des figures
emblématiques, spécialement pour les jeunes qui participent de la lutte pour la reconnaissance
identitaire et du mouvement mapuche contemporain.
Annexe 2: tableau GIDS: Graded Intergenerational Disruption Scale.
Source © : Fishman (1991).
196 Selon Levil (2006 : 244), le « conflit mapuche » en tant que concept apparaît dans les médias vers la fin de
1997 avec l‟incendie de trois camions appartenant à une société forestière. La définition « conflit mapuche » a
été durement critiquée par le monde académique à cause de l‟utilisation par les médias du nom mapuche pour
adjectiviser négativement un problème historique, politique, social et économique qui n‟est pas exclusif à une
seule partie de la société.
Annexes
358
Annexe 3 : tableau Assessin Endangerment: Espanding Fishman’s.
Source © : UNESCO, 2009.
Annexe 4 : carte représentative de la population mapuche au Chili, 2002.
Source © : Sepúlveda (2013).
Annexes
359
Annexe 5 : guide entretien semi-guidée aux formateurs, janvier 2011
(version française).
1. Comment avez-vous appris le mapudungun ? Quand ?
2. À l'intérieur de votre famille y a-t-il des personnes qui le parlent ?
3. Si c'est le cas: Qui et dans quel contexte ?
4. D'une manière générale, quels sont vos motivations personnelles pour enseigner/parler
le mapudungun ?
5. Si vous aviez à choisir une façon d'enseigner votre langue: Quel serait le meilleur
moyen d'apprendre le mapudungun ?
6. Selon vous: Vos compétences orales sont-elles aussi développées qu‟à l‟écrit ?
7. Pourriez-vous me dire comment vous remarquez cette différence ?
8. Avez-vous un milieu familial ou un groupe d'amis avec lesquels vous utilisez le
mapudungun ?
9. Dans quelles situations utilisez-vous la langue ?
10. Quand vous ignorez des termes ou une information en mapudungun : Utilisez-vous des
gestes ou une autre langue pour les apprendre ?
11. Si c'est le cas: Pensez vous que cela représente un avantage ou un inconvénient
d‟utiliser d'autres stratégies ?
12. Participeriez-vous à un système d'internat linguistique en mapudungun où l‟on ne
parlera que votre langue tous les jours durant quelques semaines ?
13. Croyez vous qu'il serait avantageux de créer des situations comme celle-ci pour
promouvoir l'usage du mapudungun ?
14. Participeriez-vous à un système de "maître - apprenti" pour accumuler des
connaissances en mapudungun ? Si c'est le cas: Quelles seraient vos propositions pour le
déroulement idéal de ce type d'activité ?
Annexes
360
Annexe 6 : guide entretien semi-directif enquête préliminaire aux
apprenants par skype, juillet 2011 (version française).
1. Peux-tu me dire comment tu es arrivé au cours de mapudungun ?
- Tu avais des notions de la langue auparavant ? Comment les as-tu apprises ?
- Depuis combien de temps prends-tu des cours de mapudungun ?
- Pourquoi suivre des cours de mapudungun ?
2. Peux-tu me raconter comment cela se passe avec le mapudungun?
- À la fac, à la maison, en vacances, avec tes copains ?
- Relations avec les langues, dans leurs dimensions : orale, écrite, norme, hors-norme,
etc.
3. Que penses-tu de la manière dont on apprend le mapudungun à l‟université ?
- Comment cela se passe-t‟il, avec les profs, les autres élèves, etc. ? Est-ce que c‟est
différent de l‟enseignement des langues plus conventionnelles ?
- Connais-tu des lieux et/ou des organisations où le mapudungun est parlé
régulièrement ? Si oui, participes-tu aux activités proposées ?
4. Peux-tu me dire si durant ces derniers jours, tu as utilisé le mapudungun ? (y compris
cours, Internet, séminaires, etc.)
5. Combien temps es-tu prêt à investir dans l‟apprentissage du mapudungun ?
Serais-tu intéressé par une expérience d‟immersion linguistique ?
En quoi consisterait-elle pour être efficace ?
6. Projets : professionnels, lieu de vie, transmission des langues.
Annexes
361
Annexe 7: planning avril à décembre 2012.
AVRIL MAI JUIN JUILLET AOÛT
- Voyage au Chili.
- Prise et reprise du contact avec les organisations.
- Prise de cours particuliers de mapudungun.
- Début des cours universitaires.
- Début de cours milieu militant.
- Rencontres avec des personnes clefs du mouvement.
-Participation activités culturelles et religieuses (cérémonie Ngillatun).
-Participation réseau DELPICH.
- Collaboration dans la préparation stage d’immersion (planification, suggestions, intendance, etc.)
- Participation activités nouvel an mapuche (Wiñol Tripantu).
- Stage d’immersion (vacances d’hiver) à Curaco-Ranquil (Galvarino, Temuco).
- Reprise des cours.
- Participation à la réunion semestrielle du réseau DELPICH.
- Participation au lancement du Projet de loi des droits linguistiques.
- Première visite aux acteurs du mouvement mapuche à Neuquén (Argentine).
- Retrouvaille avec les chercheurs du centre CEPFINT de l’Universidad Nacional del Comahue, Argentine.
SEPTEMBRE OCTOBRE NOVEMBRE DECEMBRE
- Continuation des cours de mapudungun.
- Réunions d’équipe DELPICH et Kom kim (compte rendus visite en Patagonie).
- Deuxième visite à Neuquén. (Patagonie argentine).
- Participation à deux journées d’étude dans la communauté de Neuquén et CEPFINT.
- Congrès international de didactique des langues, université de Río Negro à Bariloche, Argentine.
- Congrès international de langues indo-américaines et journées de langue et littérature mapuche à Temuco, Chili.
- Journée nationale des éducateurs traditionnels à Santiago, Chili.
- Évaluation finale des cours étudiants.
- Finalisation des cours universitaires et du milieu militant.
- Compte rendu de séjour avec les équipes respectives.
- Retour en France.
Source © : A. Vergara, 2013.
Annexes
362
Annexe 8 : feuille de présentation sur le terrain 2012 (version française).
La situation linguistique du mapudungun au Chili est critique. La langue connaît un processus
accéléré de disparition face à la suprématie du castillan. Selon la CONADI, organisme de
l‟Etat chilien pour les droits indigènes, en 2008 seulement 18,5% de la population mapuche
déclarait parler le mapudungun. Dans l‟atlas interactif des langues en danger de l‟UNESCO,
le mapudungun est classé dans la catégorie “en danger” (niveau de vitalité 2 dans une échelle
de 0 a 5).
Dans ce contexte, nous observons l‟émergence d‟un mouvement social au niveau urbain,
spécifiquement à Santiago du Chili. Le mouvement social de “re-ethnification générale”
(Catrileo, 2005), commence à se développer non seulement au Chili, mais aussi dans toute
l‟Amérique latine, à partir de 1992. De nombreuses études dans le cadre de mémoires et
thèses universitaires mentionnent ce processus.
Cette “re-ethnification” est un phénomène qui cherche à maintenir la culture mapuche et dans
certains cas à organiser l‟enseignement/apprentissage du mapudungun en ville. Il faut ajouter
à cela la consolidation des associations mapuche urbaines. Il semble intéressant d‟enquêter sur
des modalités d‟enseignement/apprentissage de cette langue, modalités liées à ce projet de
revitalisation linguistique.
Le présent travail prétend formuler les questions suivantes:
- Qui sont les acteurs (organisateurs, enseignants, apprenants etc.) qui participent à ce
mouvement ? Quelles sont les raisons de leur investissement personnel, politique, économique
dans ce mouvement ? Quels sont les enjeux ?
- Comment l‟enseignement/apprentissage de la langue est-il présenté et mis en scène dans ce
mouvement ?
- Quelles méthodes sont utilisées (public de jeunes adultes) dans
l‟enseignement/apprentissage de la langue dans des contextes formels?
- Quelle est la place e la didactique de l‟oral ? fait-elle l‟objet de débats?
Réalisation du projet
Afin de mener à bien ce projet, je procéderai à une observation sur le terrain des cours et
ateliers en langue mapudungun dans des contextes urbains et si possible j‟enregistrai quelques
séances. Je réaliserai également des entretiens auprès des acteurs, enregistrés sur format
audio, pour recueillir leurs points de vue sur le mouvement et en savoir plus sur son historie.
Les affiches, documents promotionnels sur Internet et documentaires en lien avec les cours
seront récoltés, ainsi que les manuels et documents de travail.
Ethique
J‟appliquerai les règles éthiques régissant les enquêtes empiriques ; je demanderai une
autorisation explicite à toutes les personnes interviewées ; je travaillerai avec des
pseudonymes pour conserver l‟anonymat des personnes qui le souhaitent et maintiendrai les
noms des institutions.
Annexes
363
Annexe 9: questionnaire apprenants ateliers mapudungun 2012 (version
espagnol).
Mari Mari Kom pu che, ustedes saben que somos testigos de un trabajo arduo y muy
comprometido de la parte de nuestros kimelfe en la enseñanza de la lengua mapudungun.
Como se trata de un proceso reciente y en el cual estamos todos y todas involucrados/as, les
invitamos a completar este cuestionario para ayudarnos a conocer sus necesidades y
expectativas. De esta manera podremos seguir mejorando y aplicar sus observaciones para los
cursos. Es un cuestionario completamente anónimo y voluntario.
I Mis datos (*los datos con asterisco NO son obligatorios de responder)
a) Edad:
b) *Actividad:
c) Lengua materna:
d) Conocimiento de otras lenguas (especificar el nivel: básico, medio, avanzado)
__________________________________
II ¿Por qué, qué y cómo?
1. Marca una o más alternativas ¿Por qué aprendes el mapudungun?
a. Porque lo necesito para trabajar o por mis estudios
b. Porque me obligan a hacerlo
c. Porque tengo familia y amigos que hablan mapudungun
d. Porque vivo o trabajo en un ambiente en donde hablan la lengua
e. Otra razón, especifica _______________________________________________________
2. Marca la alternativa que más te represente ¿Qué quieres aprender?
a. Quiero aprender lo básico, introducirme a la lengua y cultura mapuche (vocabulario)
b. Quiero aprender más verbos y poder hacer frases completas (gramática)
c. Quiero aprender más sobre aspectos culturales y sociales mapuche
d. Quiero convertirme en hablante fluido de mapudungun
e. Otros, especificar __________________________________________________________
3. Marca las alternativas sobre lo que puedes realizar en mapudungun
Comprensión en mapudungun
a. Entender una conversación sobre temas de interés personal (trabajo, pasatiempos, vida
familiar, gustos)
b. Entender una conversación sobre cómo ir de un lugar a otro, indicaciones espaciales
c. Entender una conversación sobre temas o acciones cotidianas: comprar en un almacén,
pagar cuentas, etc.
d. Entender un documento audio-visual (película, documental etc.) en mapudungun
e. Entender la idea principal de un material exclusivamente audio (nütram, üll, epew, etc.)
f. Entender el lenguaje poético, hablar de emociones y sentimientos, etc.
g. Entender las expresiones idiomáticas, las bromas, los juegos de palabra u otros.
h. Entender si alguien me habla por teléfono en mapudungun
Annexes
364
Expresión en mapudungun
a. Mantener una conversación sobre temas de interés personal (trabajo pasatiempos, vida
familiar, gustos)
b. Mantener una conversación sobre cómo ir de un lugar a otro, indicaciones espaciales
c. Expresar mis opiniones referentes a temas visto en clases en mapudungun
d. Expresarme a través del lenguaje poético (oral o escrito), hablar de emociones y
sentimientos
e. Expresarme en mapudungun con expresiones idiomáticas
f. Mantener una conversación por teléfono en mapudungun
4. ¿Hace cuánto tiempo participas de cursos o talleres de mapudungun?
a. menos de 6 meses b. Entre 6 meses y 1 año c. Entre 1 y 2 años d. Más de 2 años
5. ¿Cómo supiste de los cursos de la Universidad Libre Wenceslao Paillal?
a. internet b. amigos/as c. afiches en la calle d. otros, especificar
____________________________
6. Marca una o más alternativa(s) ¿Cómo has ido aprendiendo la lengua?
a. Exclusivamente en los cursos-talleres
b. Preguntando y conversando con personas que hablan el mapudungun en mí entorno
c. De manera autodidacta (escuchando canciones, leyendo manuales, preguntando, etc.)
d. Visitando lugares y personas que hablan el mapudungun (inmersión)
6. Según tu opinión ¿Qué es lo que más difícil de aprender o de entender? ¿Por qué?
Explica brevemente
a. La gramática _________________________________________
b. Los textos escritos _________________________________________
c. Los discursos orales _________________________________________
d. Los contenidos culturales _________________________________________
e. Otros, especificar ____________________________________
7. Responde sí o no a las afirmaciones siguientes
a. Pienso en castellano y luego traduzco al mapudungun
b. Cuando hablo mapudungun y hay palabras que no conozco o no recuerdo uso el castellano
c. Cuando hablo en mapudungun, pienso en mapudungun
d. Creo que utilizar el castellano puede llevarme a cometer errores como por ejemplo traducir
de manera literal o usar palabras que no existen en mapudungun
e. Es más fácil aprender algo nuevo si lo comparo con mi lengua materna u otras lenguas que
conozco
8. Elige la alternativa que más te represente a la hora de aprender. SOLO UNA
a. Me gusta practicar la pronunciación, analizar y conocer las reglas gramaticales. Realizo
cuadros sinópticos, resúmenes, etc. Me decido a hablar cuando me siento seguro(a) que no
haré faltas
b. Me gusta escuchar música en mapudungun, ver películas o documentales, leer libros o
artículos. Me gusta hablar en mapudungun y aprovechar de practicar con alguien cuando
tengo la oportunidad, intento comunicarme aunque cometa errores.
c. Me gusta mucho escuchar, intento descifrar y entender si alguien habla en mapudungun sin
necesariamente hablar e interactuar.
d. Para aprender necesito tener contacto con objetos concretos, moverme, hacer gestos.
Prefiero hacer una receta de cocina que sólo leerla.
Annexes
365
III Estrategias del aprendizaje Marca una o más alternativa(s) sobre las estrategias que
utilizas para aprender nuevos conocimientos
1. ¿Cómo memorizo?
a) Relaciono las nuevas palabras con aquellas que ya conozco.
b) Utilizo la memoria fotográfica, me acuerdo mejor de las cosas cuando las veo
c) Aprendo de memoria las nuevas palabras asociándola a otra palabra
d) Repito en voz alta o mentalmente muchas veces la palabra para memorizarlas
e) Digo la palabra mientras realizo un gesto o un movimiento que la represente
2. ¿Cómo aprendo?
a) Hago paralelos entre mi lengua materna y el mapudungun para comparar los usos
b) Busco la manera de estar en contacto con el mapudungun (hablo, veo películas, leo, etc.)
c) Mantengo relaciones con personas que hablan mapudungun e intento hablar con ellas en su
lengua
d) Cuando leo algo en mapudungun intento dividir las palabras en partes para ir
comprendiendo su sentido
3. ¿Cómo compenso mis debilidades?
a) Cuando desconozco el sentido de una palabra dentro de un discurso, intento adivinar
gracias al contexto
b) Cuando no recuerdo una palabra utilizo u otra palabra que se le parezca
c) Cuando converso en mapudungun voy imaginando la respuesta del interlocutor antes de
que me responda
d) Si no me acuerdo de una palabra precisa le pregunto a un amigo o a alguien que pueda
ayudarme
4. ¿Cómo organizo mi aprendizaje?
a) A menudo reflexiono en mi aprendizaje, lo que sé, lo que he aprendido y lo que desconozco
b) Me propongo objetivos claros y que puedo lograr a un plazo mediano
c) Estoy consciente de los errores que hago y de cuáles son los aspectos más difíciles del
mapudungun
5. ¿Cómo me siento al hablar mapudungun?
a) Aunque siento ansiedad cuando hablo en mapudungun con alguien, intento relajarme
b) Me motivo cuando hago o digo algo bien
c) Aunque tengo miedo y vergüenza de equivocarme cuando hablo, intento aprovechar las
ocasiones de hablar.
d) Prefiero sólo escuchar, ya que aún no puedo hablar fluidamente o cometo muchos errores.
6. ¿Cómo aclaro mis dudas?
a) Para aprender tengo que hablar en voz alta y reflexionar en solitario
b) Cuando me hablan en mapudungun y no entiendo, pido que repitan o que hablen más lento
c) Yo aprendo solamente cuando realizo actividades con otra persona o en grupos pequeños
d) Le pido a mis amigos que corrijan mis errores
e) Prefiero hablar con personas que tienen el mismo nivel de mapudungun que yo
(compañeros de curso por ejemplo)
f) Yo sólo pido explicaciones y ayuda en la lengua a mis kimelfe o a alguna persona que hable
bien.
Annexes
366
Si desean redactar algún comentario (lo que te gustaría aprender, manera de hacerlo, etc.)
pueden hacerlo en estas líneas. ¡Chaltumay!
___________________________________________________________________________
___________________________________________________________________________
___________________________________________________________________________
Annexe 10 : conventions de transcription.
Marque Signifié
(/ ) Pause brève
(//) Pause longue
… Phrase non finie
(silence) Silence
(rires) (sons) (imitation) Commentaires para-verbaux
(x) Passage incompréhensible d‟une syllabe
(xx) Passage incompréhensible de plusieurs syllabes
(xxx) Passage incompréhensible relativement long
? Question de forme déclarative à contour
intonatif montant
! Enoncé de forme exclamative
|- Début de chevauchement
-| Fin de chevauchement
|- - Début de chevauchement impliquant plus de 2
locuteurs
--| Fin de chevauchement impliquant plus de 2
locuteurs
§ Sépare 2 conversations en parallèle
{incertain} Transcription incertaine
Apprenant/e APPR
Présentateur/trice PRES
Locuteur/trice LOC
Inconnu/e X
Annexes
367
Annexe 11 : immersion linguistique.
Source © : A.Vergara, juillet 2012.
Annexe 12 : échanges entre apprenants citadins et locuteurs traditionnels:
présentation de la famille.
Source © : A.Vergara, juillet 2012.
Annexe 13 : échanges entre apprenants et locuteurs traditionnels:
élaboration d’un potager.
.
Source © : A.Vergara, juillet 2012.
Annexes
368
Annexe 14 : atelier de création lexicale
Source © : A.Vergara, juillet 2012.
Annexe 15 : atelier de création lexicale
Source © : A.Vergara, juillet 2012.
Annexe 16 : registre de propositions.
Source © : A.Vergara, juillet 2012.
Annexes
369
Annexe 17 : narration epew (récit traditionnel).
Source © : A.Vergara, juillet 2012.
Annexe 18 : préparation de repas.
Source © : A.Vergara, juillet 2012.
Annexe 19 : Formulaire impôts en mapudungun (extrait).
Source © : www.sii.cl
Annexes
370
Annexe 20 : Affiches ateliers de mapudungun à Santiago.
Annexe 21 : Extrait du journal chilien Las últimas noticias.
Source © : www.lun.cl , samedi 10 août 2013.
Annexes
371
Annexe 22 : Extrait site web radio Bio-Bio, Chili.
Source © : www.biobiochile.cl, mercredi 7 août 2013.
Annexes
372
Annexe 23 : Panorama de mon terrain de recherche, 2012 (partie 1).
Annexes
373
Annexe 24 : Panorama de mon terrain de recherche, 2012 (partie 2).
Annexes
374
Annexe 25 : Panorama de mon terrain de recherche, 2012 (partie 3).
Index général
375
Index général
acteurs, 15, 16, 18, 19, 25, 53, 54, 60, 63, 75, 91,
93, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114,
115, 116, 117, 119, 132, 133, 135, 137, 138,
140, 143, 160, 164, 168, 169, 170, 171, 172,
173, 178, 181, 183, 185, 203, 208, 211, 217,
224, 229, 234, 241, 253, 258, 277, 278, 282,
283, 284, 324, 350, 359, 360, 380
apprenants, 19, 21, 25, 41, 55, 69, 105, 112, 114,
116, 117, 119, 137, 149, 150, 157, 162, 165,
166, 167, 168, 170, 171, 173, 174, 175, 176,
177, 178, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 188,
189, 192, 195, 201, 202, 206, 207, 208, 209,
210, 211, 212, 213, 214, 215, 217, 219, 220,
221, 222, 223, 224, 228, 229, 237, 238, 239,
240, 241, 242, 244, 245, 246, 249, 250, 251,
252, 253, 256, 257, 259, 261, 264, 274, 276,
277, 283, 285, 290, 317, 358, 360, 361, 365, 380
Argentine, 11, 13, 15, 16, 26, 33, 62, 67, 117, 139,
350, 351, 352, 354, 359
ateliers, 14, 18, 19, 23, 24, 25, 65, 90, 91, 105, 106,
117, 118, 119, 125, 135, 136, 137, 164, 167,
169, 170, 171, 173, 174, 175, 176, 177, 178,
181, 196, 202, 206, 207, 210, 223, 224, 229,
237, 239, 241, 244, 245, 252, 253, 274, 276,
277, 283
bilinguisme, 35, 42, 43, 48, 53, 68, 144, 146, 164,
190, 192, 204, 286, 288, 298, 310, 314, 319, 338
binômes pédagogiques, 19
Chili, 1, 10, 11, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23,
24, 25, 26, 27, 30, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 42, 44,
46, 47, 50, 54, 61, 62, 67, 70, 71, 79, 80, 82, 85,
90, 97, 105, 113, 115, 116, 117, 118, 123, 125,
130, 131, 135, 136, 138, 139, 140, 142, 146,
156, 160, 190, 196, 224, 233, 277, 278, 282,
286, 290, 324, 337, 340, 342, 345, 349, 350,
351, 352, 353, 354, 356, 359, 360, 370
construction collaborative, 214, 217, 221
contact intergénérationnel, 214
contexte diglossique, 192, 257, 258, 287
contexte urbain, 14, 18, 19, 20, 24, 25, 27, 63, 71,
83, 93, 94, 100, 128, 130, 136, 145, 156, 170,
180, 228, 229, 231, 232, 233, 241, 245, 275,
282, 290
continuum, 86, 109, 128, 178, 182, 230
cours, 14, 16, 17, 18, 19, 23, 24, 25, 46, 50, 88, 91,
106, 114, 115, 117, 120, 125, 128, 136, 140,
142, 144, 150, 164, 167, 175, 191, 199, 200,
203, 207, 209, 219, 229, 237, 240, 241, 245,
276, 282, 290, 353, 358, 359, 360, 379
création lexicale, 27, 207, 215, 218, 226, 228, 229,
230, 232, 233, 235, 236, 237, 238, 239, 241,
242, 243, 244, 245, 248, 249, 250, 251, 252,
253, 256, 257, 258, 261, 262, 271, 272, 274,
275, 276, 278, 283, 289, 290, 366, 380
didactique contextualisée, 173, 179, 185, 284, 285,
380
didactique de l‟oral, 15, 180, 360
didactique des langues, 1, 20, 25, 108, 115, 125,
126, 156, 157, 171, 178, 207, 229, 253, 282,
286, 288, 299, 300, 305, 310, 315, 324, 327,
332, 334, 359
didactisation, 256, 287, 288
éducateur, 145, 166, 173, 195, 208, 211, 213, 218,
222, 241, 276
emprunts, 33, 207, 228, 230, 232, 234, 235, 238,
258, 259, 263
enseignement/apprentissage, 14, 17, 20, 21, 25, 39,
53, 79, 91, 100, 114, 115, 116, 125, 128, 132,
136, 138, 146, 156, 160, 175, 178, 185, 191,
205, 207, 208, 217, 218, 229, 231, 234, 242,
244, 245, 251, 252, 253, 258, 261, 275, 278,
282, 284, 287, 288, 290, 344, 360
euskara, 4, 15, 16, 114, 159, 193, 203, 297, 346
formel, 48, 149, 157, 162, 169, 172, 179, 180, 211,
215, 286
glottophagie, 27, 30, 32, 44, 46, 56, 156, 216, 237,
282, 303, 379
identitaire, 13, 46, 61, 65, 69, 70, 71, 74, 75, 77, 79,
81, 84, 88, 89, 91, 92, 94, 95, 96, 97, 131, 134,
136, 141, 170, 173, 176, 179, 181, 223, 253,
258, 273, 282, 291, 353, 355
immersion, 15, 16, 21, 24, 27, 110, 111, 117, 118,
139, 140, 176, 181, 182, 185, 188, 189, 190,
191, 192, 193, 194, 195, 196, 201, 202, 203,
204, 205, 216, 217, 218, 221, 222, 223, 224,
225, 242, 244, 245, 249, 283, 285, 288, 294,
297, 300, 301, 303, 304, 320, 328, 332, 333,
335, 358, 359, 365, 380
langue officielle, 11, 33, 146, 190, 224, 233, 351
langues en danger, ii, 12, 13, 126, 137, 231, 298,
308, 317, 343, 360
Index général
376
langues minoritaires, 11, 13, 20, 21, 27, 33, 34, 49,
50, 115, 146, 153, 156, 158, 166, 191, 192, 204,
213, 222, 228, 232, 236, 258, 283, 285, 287,
289, 301, 341
locuteurs, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 26, 27, 34, 35, 55,
90, 91, 94, 96, 114, 125, 127, 128, 129, 130,
133, 137, 139, 141, 142, 143, 144, 145, 150,
156, 157, 164, 166, 168, 169, 170, 171, 172,
174, 175, 176, 177, 178, 179, 181, 182, 184,
185, 188, 190, 192, 194, 195, 198, 199, 200,
201, 203, 204, 205, 207, 208, 209, 210, 211,
212, 213, 214, 215, 216, 217, 219, 220, 221,
222, 223, 224, 228, 230, 232, 233, 234, 236,
237, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 248, 249,
251, 252, 256, 257, 258, 259, 261, 263, 264,
265, 270, 271, 273, 274, 278, 283, 284, 285,
288, 290, 298, 308, 317, 349, 364, 365, 380
Mapuche, 10, 11, 12, 13, 17, 20, 22, 27, 34, 36, 38,
45, 48, 51, 52, 62, 66, 70, 71, 72, 74, 75, 76, 80,
82, 83, 85, 86, 87, 90, 94, 97, 99, 130, 165, 174,
175, 176, 196, 208, 210, 213, 233, 265, 284,
285, 295, 298, 304, 305, 306, 307, 309, 310,
311, 312, 315, 318, 320, 322, 323, 324, 326,
328, 329, 330, 331, 332, 335, 337, 338, 339,
341, 342, 343, 344, 345, 349, 351, 352, 353, 354
mapudungun, 1, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 24, 25, 26, 27, 32, 33, 34, 35, 36, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
55, 57, 63, 65, 67, 68, 69, 71, 79, 81, 88, 90, 91,
94, 95, 96, 97, 98, 100, 105, 106, 111, 113, 115,
116, 117, 119, 120, 125, 128, 129, 130, 131,
132, 133, 135, 136, 138, 139, 140, 141, 143,
144, 146, 147, 148, 149, 150, 156, 157, 159,
161, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170,
171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179,
183, 184, 185, 190, 196, 198, 199, 200, 201,
202, 203, 206, 207, 208, 209, 210, 211, 212,
214, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224,
228, 229, 231, 233, 234, 235, 236, 237, 239,
240, 241, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 248,
250, 251, 252, 253, 257, 258, 259, 260, 261,
263, 264, 265, 266, 268, 269, 271, 275, 276,
277, 278, 282, 283, 284, 286, 287, 289, 290,
306, 309, 316, 319, 323, 326, 328, 331, 338,
340, 341, 342, 343, 344, 345, 349, 352, 357,
358, 359, 360, 361, 362, 363, 368, 380
métalinguistique, 214, 228, 229, 242, 244, 246,
250, 251, 252, 258, 266
migration mapuche, 79, 80, 89
milieu militant, 18, 19, 117, 118, 132, 164, 167,
170, 233, 359
minoritaire, 11, 24, 26, 28, 79, 114, 130, 146, 154,
156, 158, 159, 160, 161, 169, 173, 178, 182,
185, 189, 204, 205, 217, 218, 223, 236, 244,
252, 256, 275, 286, 287, 288, 289, 290, 344
modernité, 86, 88, 179, 207, 228, 233, 240, 285
motivation, 15, 19, 168, 170, 174, 175, 176, 182,
217, 287
motivations identitaires, 175
mouvement mapuche, 22, 26, 27, 55, 58, 63, 66, 67,
68, 69, 70, 74, 92, 132, 148, 159, 169, 178, 353,
355, 359
mouvement social, 13, 21, 26, 60, 63, 69, 75, 82,
100, 132, 133, 138, 233, 360
néo-locuteurs, 114, 125, 137, 179, 201, 207, 214,
222, 232, 233, 242, 252, 257, 259, 288, 290, 308
néologismes, 139, 207, 215, 228, 229, 234, 238,
239, 240, 241, 244, 245, 246, 250, 251, 252,
258, 271, 274, 276, 277, 278, 333
nouvelles technologies, 149, 150, 199, 208, 214
oralité, 16, 24, 34, 46, 177, 179, 180, 182, 185, 216,
217, 224, 283, 286, 306, 316, 379
outils didactiques, 21, 157
par le bas, 145, 160, 244, 253, 283, 379
Pays basque, 14, 15, 16, 113, 114, 115, 132, 193,
323
PEIB, 10, 23, 54, 55, 56, 62, 143, 144, 145, 146,
168, 330, 345
peuples originaires, 16, 22, 50, 60, 66, 71, 74, 75,
84, 89, 111, 140, 142, 147, 182, 354
planification linguistique, 75, 140, 160, 230, 234,
244, 283, 284, 285, 289, 290
politiques linguistiques, 11, 14, 15, 27, 32, 33, 46,
57, 62, 75, 129, 134, 145, 160, 192, 204, 224,
225, 231, 233, 237, 284, 287, 297, 299, 301
propositions didactiques, 105, 156, 166, 180, 181,
208, 249, 261, 283, 379
public adulte, 15, 20, 24, 100, 165, 171, 193, 203,
221, 239
purisme linguistique, 27, 162, 258, 262, 322
recherche collaborative, 25, 108, 112
recherche-action, 27, 107, 282, 325
ré-ethnification générale, 13, 57, 58, 60, 63, 126,
144, 232, 233, 282, 379
rénovation lexicale, 237, 241, 252, 259, 276, 283
répertoires asymétriques, 214
réseaux sociaux, 131, 138, 142, 148, 209, 235, 236,
252, 253, 276, 278, 279, 289, 290
revendications, 22, 35, 57, 60, 61, 62, 64, 67, 69,
79, 84, 89, 94, 111, 131, 138, 140, 184, 210,
233, 353, 354
revitalisation, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 21, 24, 25, 26,
27, 32, 35, 53, 60, 63, 68, 72, 79, 89, 91, 92, 98,
100, 101, 105, 106, 111, 113, 114, 115, 123,
125, 126, 127, 128, 131, 132, 133, 134, 135,
136, 137, 138, 139, 140, 143, 144, 156, 158,
Index général
377
159, 160, 165, 167, 168, 170, 171, 172, 173,
174, 178, 180, 181, 185, 188, 191, 192, 193,
194, 201, 213, 217, 224, 231, 232, 234, 241,
253, 256, 257, 277, 279, 282, 283, 288, 290,
308, 316, 329, 360, 379
revitalisation linguistique, 13, 126
Santiago du Chili, 13, 18, 63
scolarisation, 11, 22, 23, 32, 47, 145, 157, 190, 201,
212
territoire mapuche, 11, 35, 36, 37, 38, 42, 46, 95,
113, 138, 139, 186, 223, 352
tradition, 21, 42, 53, 98, 128, 156, 179, 180, 182,
184, 188, 206, 221, 284, 285, 291, 303, 380
tradition orale, 21, 42, 156, 179, 180, 182, 206, 303
transmission familiale, iv, 21, 130, 175, 176, 179,
183, 204, 211, 213, 216, 225, 284, 285, 286,
287, 288
transmission intergénérationnelle, 127, 156, 157,
183, 194, 216, 289, 290
UNESCO, 10, 12, 13, 50, 129, 170, 339, 343, 345,
356, 360
vitalité linguistique, 13, 125, 129, 130
wariache, 81, 85, 86, 87, 88, 237
Vers une didactique des langues minoritaires ?
Le cas du mapudungun au Chili
Alejandra VERGARA LOPEZ
Résumé développé
La situation sociolinguistique du Chili, historiquement marquée par un processus de
glottophagie (Calvet, 1974, 1999), place actuellement le mapudungun parmi les langues
originaires minorisées de cet Etat-Nation officiellement monolingue (espagnol). Le statut de
cette langue mapuche et l‟abandon progressif de sa transmission intergénérationnelle posent la
question de sa « revitalisation » (Hinton & Hale, 2001 ; Costa, 2010) au sein de mouvements
militants. Cette thèse de doctorat se fonde sur une recherche ethnographique et collaborative
au long cours dans un contexte d‟enseignement/apprentissage du mapudungun en direction
d‟un public urbain de jeunes adultes de Santiago du Chili. Analyser les pratiques
pédagogiques contemporaines au sein d‟un mouvement militant mapuche et en dégager des
pistes pour la didactique des langues minoritaires ont constitué les objectifs prioritaires de
cette recherche. La thèse est organisée en neuf chapitres répartis en trois parties.
La première partie permet de cerner la situation sociolinguistique actuelle et les enjeux
politiques et identitaires de l‟enseignement du mapudungun. Dans cette première entreprise de
contextualisation, qui convoque des travaux issus de plusieurs domaines des sciences
humaines et sociales (histoire, anthropologie, archéologie, droit, sociolinguistique), le concept
de glottophagie est en particulier mobilisé pour saisir le processus d‟attrition de la langue au
cours des deux derniers siècles. Le mouvement sociopolitique contemporain de revendication
de la revitalisation linguistique est alors appréhendé à l‟intérieur du mouvement plus large de
« ré-ethnification », tel que Catrileo (2005) propose de le qualifier.
La deuxième partie défend une approche ethnographique collaborative et engagée
(Speed, 2006) comme étant la mieux adaptée à nos objectifs et aux orientations éthiques du
travail entrepris. La notion de terrain est ici mobilisée selon une définition « relationnelle »
(Agier, 2004 ; Lambert, 2005). Qualifier par ailleurs le terrain de la revitalisation du
mapudungun de « sensible » (Bouillon et al., 2006) revient à souligner ses caractéristiques
complexes, notamment en raison des enjeux politiques et identitaires dont il est porteur.
L‟analyse d‟une première partie des observables obtenus selon une combinaison de modalités
qualitatives et quantitatives (observation participante, notes de terrain, procédés de recension,
enregistrements audio et/ou vidéo, entretiens, questionnaire, sources écrites) permet de
proposer une classification des principaux acteurs du mouvement de revitalisation linguistique
tel qu‟il a été observé à Santiago du Chili.
La troisième partie présente l‟analyse, sous divers angles complémentaires, des
différentes orientations didactiques repérées sur le terrain. On y établit tout d‟abord un état
des lieux des activités de planification linguistique par le bas (Billiez, 1997; Boyer, 2007) des
acteurs identifiés. Il en ressort en particulier le constat d‟une faible place généralement
accordée à l‟oralité dans les ateliers de langue – se révélant pourtant être une des dimensions-
clé à prendre en compte pour atteindre l‟objectif principal des apprenants : devenir des « néo-
locuteurs » (Bert & Grinevald, 2010) et agents de transmission du mapudungun.
L‟expérimentation d‟une « immersion linguistique » (Bouillon & Descamps, 2011) de jeunes
adultes de Santiago, désireux d‟interagir en milieu dit « traditionnel », dans une communauté
rurale mapuche est alors présentée comme une proposition didactique contextualisée
(Blanchet, Moore & Asselah-Rahal, 2009). L‟analyse critique de ce dispositif immersif en
indique les limites et les aspects prometteurs. Les activités de création lexicale en
mapudungun, auxquelles un chapitre d‟analyses est entièrement consacré, révèlent
spécialement les attentes, les besoins et les pratiques de l‟ensemble des participants du stage
immersif, apprenants citadins, formateurs et autres locuteurs experts. Loin d‟être strictement
didactique, cette activité de création lexicale se présente bien comme une démarche engagée
marquée par des « postures idéologiques » (Jaffe, 2008) distinctes, et un ensemble d‟actes de
« lexicographie militante » (Rey, 2013).
Il ressort au final que l‟enseignement du mapudungun, comme celui d‟autres langues
minoritaires, concerne autant la praxis d‟une didactique contextualisée que la prise en compte,
dans cette même perspective, d‟une tension entre tradition vs modernité qu‟il s‟agit d‟intégrer
pleinement à la réflexion didactique pour que le parler des « gens de la terre » ait quelque
chance de devenir aussi celui des « gens du bitume ».
Résumé / Resumen
La situation sociolinguistique du Chili, historiquement marquée par un processus de
glottophagie (Calvet, 1974, 1997, 1999), place actuellement le mapudungun parmi les langues
originaires minorisées de cet Etat-Nation officiellement monolingue (espagnol). Le statut de
cette langue mapuche et l‟abandon progressif de sa transmission intergénérationnelle posent la
question de sa « revitalisation » (Hinton & Hale, 2001 ; Costa, 2010) au sein de mouvements
militants.
Cette thèse de doctorat se fonde sur une recherche ethnographique et collaborative au
long cours dans un contexte d‟enseignement/apprentissage du mapudungun en direction d‟un
public urbain de jeunes adultes de Santiago du Chili. Analyser les pratiques pédagogiques
contemporaines au sein d‟un mouvement militant mapuche et en dégager des pistes pour la
didactique des langues minoritaires ont constitué les objectifs prioritaires de cette recherche.
Il ressort que l‟enseignement du mapudungun, comme celui d‟autres langues
minoritaires, concerne autant la praxis d‟une didactique contextualisée que la prise en compte,
dans cette même perspective, d‟une tension entre tradition vs modernité qu‟il s‟agit d‟intégrer
pleinement à la réflexion didactique pour que le parler des « gens de la terre » ait quelque
chance de devenir aussi celui des « gens du bitume ».
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La situación sociolingüística de Chile, históricamente marcada por un proceso de
glotofagia (Calvet, 1974, 1997, 1999), sitúa actualmente al mapudungun entre las lenguas
originarias minorizadas de este Estado-Nación oficialmente monolingüe (español). La
condición de la lengua mapuche y el abandono progresivo de su transmisión intergeneracional
plantea la cuestiñn de su “revitalización” (Hinton & Hale, 2001; Costa, 2010) al interior de
movimientos militantes.
La presente tesis de doctorado se basa en una investigación etnográfica y de
colaboración a largo plazo en un contexto de enseñanza/aprendizaje de mapudungun a un
público urbano de adultos jóvenes en Santiago. Analizar las prácticas educativas
contemporáneas dentro de un movimiento activista mapuche y desarrollar ideas para la
enseñanza de las lenguas minoritarias fueron los principales objetivos de esta investigación.
Se desprende que la enseñanza del mapudungun, como la de otras lenguas
minoritarias, concierne tanto la praxis de una didáctica contextualizada, como la
consideración de la tensión entre tradición versus modernidad, con el fin de integrar
plenamente una reflexiñn didáctica sobre el hablar de la “gente de la tierra” y el hablar de la
“gente del asfalto”.