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Vieillir dans la dignité Fares Rabie Laboratoire Parisien de Psychologie Sociale Introduction et plan Vieillir fait peur à beaucoup: le corps se dégrade, l’activité se réduit ou cesse, le rôle social se métamorphose, le regard d’autrui change; le corps perd en agilité et en endurance, la solitude et la lassitude s’invitent effroyablement, l’identité personnelle et sociale s’altère. Le vieillissement est un phénomène hétérogène, complexe et multifactoriel et demeure incontestablement un problème sociétal de grande envergure. L’objectif de ce travail est de fournir un regard croisé psychologique et social autour de cette problématique. La première partie aborde la nature de la vieillesse sous certains aspects (physique, cognitif, psychologique) et ses répercussions psychologiques et sociales, les difficultés qui y sont liées, tant personnelles que dans leurs implications sociales. La seconde partie a pour objectif d’examiner le rapport de la société actuelle à la vieillesse et son impact sur l’ «estime de soi». Pour cela, nous nous interrogeons sur ce regard social empreint de stéréotypes et de préjugés quant à la prise en charge des personnes âgées. Ensuite, nous allons tenter d’analyser les facteurs de ce changement radical de perceptions et de représentations de la «vieillesse». Enfin, dans la dernière partie, nous essaierons de proposer un «code éthique de comportement» face aux personnes âgées, inspiré de la littérature islamique sur le sujet. Des exemples vivants seront analysés à la lumière du Coran et du modèle Prophétique. 18-F

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Vieillir dans la dignité

Fares RabieLaboratoire Parisien de Psychologie Sociale

Introduction et plan

Vieillir fait peur à beaucoup: le corps se dégrade, l’activité se réduit ou cesse, le rôle social se métamorphose, le regard d’autrui change; le corps perd en agilité et en endurance, la solitude et la lassitude s’invitent effroyablement, l’identité personnelle et sociale s’altère. Le vieillissement est un phénomène hétérogène, complexe et multifactoriel et demeure incontestablement un problème sociétal de grande envergure.

L’objectif de ce travail est de fournir un regard croisé psychologique et social autour de cette problématique. La première partie aborde la nature de la vieillesse sous certains aspects (physique, cognitif, psychologique) et ses répercussions psychologiques et sociales, les difficultés qui y sont liées, tant personnelles que dans leurs implications sociales. La seconde partie a pour objectif d’examiner le rapport de la société actuelle à la vieillesse et son impact sur l’ «estime de soi».

Pour cela, nous nous interrogeons sur ce regard social empreint de stéréotypes et de préjugés quant à la prise en charge des personnes âgées. Ensuite, nous allons tenter d’analyser les facteurs de ce changement radical de perceptions et de représentations de la «vieillesse». Enfin, dans la dernière partie, nous essaierons de proposer un «code éthique de comportement» face aux personnes âgées, inspiré de la littérature islamique sur le sujet. Des exemples vivants seront analysés à la lumière du Coran et du modèle Prophétique.

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Partie 1 : Comprendre la vieillesse

1.1. Le vieillissement biologique et cognitifLa vieillesse est une période d’érosion naturelle et un stade ultime du développement humain, comme l’exprime explicitement le Coran: «ALLAH, c’est Lui qui vous a créés faible ; puis après la faiblesse, Il vous donne la force ; puis après la force, Il vous réduit à la faiblesse et à la vieillesse : Il crée ce qu’Il veut et c’est Lui l’Omniscient, l’Omnipotent»1. Certains biologistes parlent d’un « vieillissement programmé »2 inscrit dans notre patrimoine génétique, qui se manifeste par un vieillissement cellulaire3 et tissulaire, provoquant de profondes transformations biologiques, anatomiques et morphologiques (modifications de l’apparence, déficits fonctionnels, etc…): «À quiconque, nous accordons une longue vie, nous faisons baisser sa forme (état de sa création)»4.

Le cerveau vieillit également et par conséquent, un certain nombre de fonctions cognitives vont être modifiées avec l’âge :5 diminution des capacités sensorielles et perceptives, notamment les capacités mnésiques (surtout la mémoire du travail), de concentration et d’attention, le processus d’idéation (enchaînement des idées) ralentit. Le Coran fait allusion explicitement à ce vieillissement cognitif: « ….tandis que d’autres parviennent au plus vil de l’âge si bien qu’ils ne savent plus rien de ce qu’ils connaissaient auparavant.»6 Le déclin physique et cognitif7

s’aggrave avec l’apparition de certaines maladies, qui peuvent entrainer une perte d’autonomie physique. Dès lors, les activités sont réduites et les chutes sont plus fréquentes. Pour toutes ces raisons, le Prophète anticipait ce vieillissement accablant, en se protégeant auprès de Dieu contre ce «déclin de l’âge» :8 «Ô Allah fait nous jouir de notre ouïe et notre vue et de notre force autant que nous sommes en vie.»9 À cet âge critique, les diminutions de l’acuité auditive et la baisse de la vue due à l’opacification du cristallin sont manifestes.

1.2. La vieillesse : rupture psychologique et identitaireLa vieillesse marque une rupture psychologique et existentielle majeure, parfois douloureusement

)1( Le Coran, 30:54.)2( Leonard Hayflick, PS Moorhead, “The serial cultivation of human diploid cell strains,” Experimental Cell Research, vol. 3, no 25, (1961): 585-621.(3) On as Leonard Hayflick, PS Moorhead, “The serial cultivation of human diploid cell strains,” Experimental Cell Research, vol. 3, no 25, (1961): 585-621. siste à une perte graduelle des cellules, qui prolifèrent moins et certaines ont du mal à remplir leurs fonctions. De plus, l’accumulation d’erreurs dans l’information génétique, au niveau de l’ADN, aboutirait à un dérèglement de la synthèse des protéines cellulaires, ce qui serait incompatible avec la survie de la cellule.(4) Le Coran, 36:68.(5) Patrick Lemaire et Louis Bherer, Psychologie du vieillissement: une perspective cognitive (Bruxelles: De Boeck Supérieur, 2005), 9-43.(6) Le Coran, 22:5.(7) Jean Bertsch, Régis Lobjois, François Maquestiaux, Nicolas Benguigui, «Vieillissement cognitif et effets de l’exercice,» Bulletin de psychologie, vol. 1, no 475, (2005) : 39-45.(8) Al-Bukhārī, Ṣaḥīḥ al-Bukhārī (Damascus, Dār Ibn Kathīr, 2002), 1587. (9) Al-Tirmidhi, al-Jāmiʿ al-Kabīr (Beirut, Dar al-Gharb al-Islāmī, 1996), 5/481.

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et solitairement vécue. Face à cet état de faiblesse, le Prophète Zacharie a clairement exprimé ce ressenti, en s’adressant intensément à son Créateur avec tendresse et amour: «Ô mon Seigneur, mes os sont affaiblis10 et ma tête s’est enflammée de cheveux blancs. [Cependant], je n’ai jamais été malheureux [déçu] en Te priant, ô mon Seigneur.»11 Or, tous les individus ne vieillissent pas de la même façon et au même rythme. Certains individus déclinent très vite, alors que d’autres maintiennent un haut niveau de fonctionnement psychique. Par exemple, l’homme et la femme vieillissent différemment, l’un de façon plus régulière, l’autre de façon plus brutale. Plusieurs facteurs vont moduler ces effets du vieillissement, comme les maladies, l’hérédité, l’environnement (habitudes alimentaires, consommation d’alcool, tabac...) et l’activité physique…etc. Sous les effets conjugués du sentiment du vieillissement12, des maladies, de la pression socio-culturelle, des expériences transitoires de pertes, l’intégrité de l’identité de la personne âgée va être touchée dans sa profondeur où elle doit non seulement renoncer à la personne qu’ «elle a été», mais également à celle qu’ «elle aurait voulu être.»13Au cours de cette structuration identitaire, une seule question s’invite brutalement à notre conscience avec insistance: «Qui suis-je ?!». Vieillir est donc une expérience éminemment subjective,14 marquée par un «processus pathologique» dans lequel une personne peut entrer à tout instant de sa vie. On peut évoquer quelques-unes de ces caractéristiques majeures.

1.2.1. Dégradation de l’estime de soi15

Les comportements et attitudes auxquels les personnes âgées sont assujetties en termes de déception ou de fierté affectent grandement leur «estime de soi». Parmi les marqueurs de cette dégradation de l’estime de soi16 de la personne âgée, aggravée par la stigmatisation sociale,17on cite un certain nombre de manifestations psychopathologiques:

Un sentiment de vulnérabilité et de dépossession, avec une diminution du contrôle émotionnel et une immense et insatiable quête affective. Cela se traduit parfois par une irritabilité, une impatience et une sensibilité, et peut conduire entre autres à des attitudes de repli et d’isolement,18 un délitement des relations sociales, une hypersensibilité aux compliments ou marques d’attention.

(10) Au niveau locomoteur, il est constaté qu’en vieillissant, les os absorbent moins le calcium, l’épiphyse (extrémité d’un os long) s’atrophie considérablement (perte de la masse et des fibres musculaires). Et comme l’ossature est un peu plus fragile en raison de la perte d’élasticité du muscle, la colonne vertébrale se tasse, par amincissement des disques intervertébraux. (11) Le Coran, 19:4.(12) Vincent Caradec, «Être vieux ou ne pas l’être,» L’Homme et la société, vol. 1, no 147, (2003): 151-167. (13) Vincent Caradec, «Le vieillissement au grand âge,» Sciences humaines, vol. 5, no 193 (2008) :18.(14) Vincent Caradec, Sociologie de la vieillesse et du vieillissement (Paris: Nathan, 2008), 128.(15) L’estime de soi est l’auto-évaluation de sa propre valeur sur la base d’un jugement porté sur soi dans les différents rôles que la vie nous amène à jouer. (16) M Rosenberg, Society and adolescent self-image (Princeton: University Press, 1965).(17) Erving Goffman, Stigmates, les usages sociaux des handicaps (Paris : Les Editions de Minuit, 1975), 180.(18) Christian Van Rompaey, «Solitude et vieillissement,» Pensée plurielle, vol. 2, no 6, (2003): 31-40.

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Un désinvestissement du futur, avec concentration sur le présent ou le passé, enjolivé, pour agrémenter le présent. Leur retour sur le passé et le radotage s’explique en partie, par le fait, que la société les considère comme «ils étaient» et non pas comme «ils sont». Lorsque vous posez à une personne âgée la question : “Qui êtes-vous?” elle vous répondra le plus souvent par “J’étais…”.

Une passivité et une dépendance aux autres :19 la perte de l’autonomie est une perte de liberté, d’indépendance morale, physique et intellectuelle et de surcroit, privation des moyens de maîtrise sur l’environnement.

Un sentiment de solitude sociale: qui s’explique par le fait que cela apporte aux personnes âgées une certaine forme de liberté quant à leurs pensés, leurs réactions pour ne gêner personne. Il relèverait plus d’un désir d’être écoutée, comprise et entendue.20

1.2.2. Crise identitaire de transition et d’adaptation à son environnementLa vieillesse est indéniablement le temps des pertes inexorables ou en tout cas d’un sentiment de perte, en termes de rôles sociaux (fonction parentale, professionnelle et conjugale), de statuts (perte de la reconnaissance sociale), des habitudes et de l’autonomie.21 Il s’y ajoute les effets aléatoires d’événements de vie, comme la perte du conjoint,22 d’amis et de proches du même âge qui décèdent progressivement, parfois d’enfants par maladie ou accident. Le veuvage déstabilise fortement le conjoint et entraîne une détresse émotionnelle très forte (avec ou sans symptômes dépressifs) et ce en fonction des circonstances du décès et de la signification donnée à l’évènement.

La vieillesse marque donc, un tournant psychologique se caractérisant par des ruptures brutales,23 qui génèrent de l’instabilité, de l’insécurité affectant tous les domaines de la vie psychique,24 sociale, affective. Dépourvus de ressources psychologiques et sociales pour s’adapter au changement et anticiper, l’individu est obligé de réajuster en continu son identité et réaménager sa trajectoire de vie (buts et valeurs). Comment maintenir alors un sentiment de continuité et d’intégrité identitaire dans une période où divers changements se multiplient, exigeant de plus en plus d’adaptation, alors qu’une des conséquences du vieillissement est le refus du changement et la réduction des possibilités adaptatives? Tout dépend de la façon

(19) Julien Del Fabro, «Le grand âge et la dépendance,» Pensée plurielle, vol. 2, no 6, (2003) : 45-48. (20) Marie Marchand, «Regards sur la vieillesse,» Le Journal des psychologues, vol. 3, no 256, (2008): 22-26. (21) Nicolas Thibault, «Vieillissement des populations et des individus,» Idées économiques et sociales, vol. 3, no 157, (2009): 4-5. (22) Le veuvage déstabilise fortement le conjoint et entraine une détresse émotionnelle, selon les circonstances du décès et la signification donnée à l’événement.(23) Colin Murray Parkes, «Psychosocial transitions: a field for study,» Social Sciences and Medecines, no 5, (1971):101-115.(24) Benoit Verdon, Le vieillissement psychique (Paris: P.U.F, 2013), 45.

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dont seront négociés ces moments de transitions: 25 par le déplacement des centres d’intérêts, par l’aptitude à évoluer, et en fonction des ressources individuelles permettant l’adaptation au changement. Dans ce cadre, une identité qui aurait été fondée trop exclusivement sur le «paraître» (physique, beauté) aura beaucoup de difficulté à se maintenir et à dépasser cette crise de la vieillesse, puisque seules les valeurs de «l’être», sont capables d’assurer la continuité et le maintien de l’identité.26

1.3. La retraite: Franchir le cap d’une transition crucialeLe début de la vieillesse coïncide avec le retrait, graduel ou immédiat du monde du travail, qui va modifier considérablement l’identité de la personne.27 Plusieurs facteurs peuvent moduler cette transition : la place qu’occupe l’activité professionnelle dans la vie de la personne, la manière dont elle s’est préparée à la retraite, le contexte familial et social. On constate qu’il y a une variabilité inter-individuelle. Pour certains la retraite est vécue comme une délivrance face aux contraintes du travail et par conséquent, l’investissement professionnel est transféré dans un nouveau cadre social d’identification (engagements associatifs, culturels ou politiques) ou investi dans un nouveau rôle familial (grand-parent qui garde les petits enfants). En revanche, pour d’autres, la retraite est vécue comme “une mort sociale”, et par conséquent, se sentant « encombrants », ils désinvestissent la vie sociale.28 Mais, généralement, une fois la retraite advenue, les réactions sont souvent individuelles, marquées par une période de satisfaction, puis une phase d’interrogation, et enfin une phase de réorganisation. Plusieurs raisons expliquent les effets psychologiques pernicieux d’un tel retrait du monde du travail:

1) L’emploi impose une structure temporelle à la journée; à la retraite, le temps est «désignifié» :29

l’emploi du temps commun du couple âgé est souvent associé à des activités passives (lire, regarder la tv…) ou à des travaux quotidiens (courses, ménages, jardin…). De plus, l’emploi implique des contacts réguliers et des expériences partagées en dehors de la famille, amenant à l’élaboration d’une expérience humaine riche. Or, le retraité ne vit plus au rythme du «temps social», mais il doit déployer un effort psychologique, en créant l’événement et se fixer des buts dans la vie.

2) L’emploi en tant que participation «utile» à la vie sociale et économique lie les individus à des buts communs et à un sens de la finalité. De plus, le travail dans nos sociétés industrialisées joue un rôle intégrateur et structurant30 pour l’identité personnelle et sociale, à travers lesquelles

(25) Michel Billé, «Ruptures, crises et réorganisations familiales,» Gérontologie et société, vol. 2, no 121, (2007): 73-84. (26) Support de formation C.N.F.D.I, Psychologie des personnes âgées, (2006): réf. 413.0106. (27) Vincent Caradec, Vieillir après retraite: approche sociologique de la vieillesse et du vieillissement (Paris: Puf, 2004), 240.(28) Blanché Anasthasia, «Vieillissement et retraite : approches psychanalytiques,» Le Journal des psychologues, vol. 9, no 282, (2010): 22-27.(29) Marie Jahoda, «the psychological meanings of unemployment, » New Society, no 6 (1979): 492-495.(30) Andrew Clark et Andrew Oswald, «Unhappiness and Unemployment,» Economic Journal, vol. 424, no 104, (1994): 648-659.

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l’individu existe et est reconnu.31 Se priver d’un tel apport psychologique fragilise l’individu.

Partie 2: « La vieillesse : un enjeu social»

2.1. Stéréotypes «âgistes»32 comme marqueurs sociaux et culturelsLes personnes âgées se voient soumises par notre société à plusieurs formes de rejet, entre autres, les condamner à vivre dans un statut qui dépossède l’individu de ses caractéristiques propres pour les remplacer par des stéréotypes.33 Dès lors, les images de la vieillesse sont des constructions sociales, qui reflètent la position accordée aux personnes âgées dans notre société. Dans ce sens, les stéréotypes et les préjugés remplissent une fonction sociale34 dans la mesure où ils permettent la rationalisation et la justification des inégalités sociales (légitimation et reproduction des inégalités). En outre, lorsqu’une personne âgée intériorise un stéréotype âgiste, elle peut parfois se comporter de sorte à confirmer ce stéréotype. De telles attitudes de désengagement ont des implications quant à la persistance des stéréotypes sociaux, c’est ce qu’on appelle la prophétie autoréalisatrice ou «stereotype threat».35

Une personne n’est pas stéréotypée en tant qu’individu, mais en tant que membre d’un groupe concernant des caractéristiques communes aux membres de ce groupe (traits psychologiques et qualificatifs comportementaux). Le stéréotype se suffit à lui-même. Il ne supporte ni modification, ni rationalisation, ni critique; il est absolument rigide et simpliste. La simple assignation d’une personne à une catégorie sociale, semble suffisante pour communiquer une somme d’informations qui ne sont pas forcément exactes, mais auxquelles nous portons crédit.36

Les personnes âgées constituent un groupe qui présente des caractéristiques relativement homogènes (entitativité)37et facilement identifiables (saillance inter groupale), ce qui les rend plus vulnérables aux préjugés et stéréotypes. Il suffit de prononcer le mot « vieux » pour se rendre compte de l’association de mots qui surgissent de manière consciente ou inconsciente.38

Plusieurs expressions («il se fait vieux», «avoir des idées de vieux», etc…) jalonnent les discours. Un terme hautement symbolique des pays anglo-saxons: le « too old », le «trop vieux», désigne

(31) Renaud Sainsaulieu, «L’identité au travail d’hier à aujourd’hui,» L’orientation scolaire et professionnelle, vol. 1, no 27, (1998): 77-93.(32) Le concept «d’âgisme» est introduit par R. N. Butler, «Age-ism: Another Form of Bigotry,» The Geront, no 9 (1969): 243-246.(33) Marie Marchand, «Regards sur la vieillesse,» Le Journal des psychologues, vol. 3, no 256, (2008): 22-26.(34) Serge Guimond, «La fonction sociale des préjugés ethniques,» Cahiers de l’URMIS, no 10, (2006): 17- 30.(35) Claude. M Steele et Joshua Aronson, «Stereotype threat and the intellectual test performance of african amer-icans,» Journal of Personality and Social Psychology, no 69, (1995): 797-811. (36) Jacques Philipe Leyens, Vincent Yzerbyt, Georges Schadron, Stéréotypes et cognition sociale (Liège: Mardaga, 1996).(37) P. Morchan et G. Schadron, «Stéréotypisation et jugeabilité: comment l’entativité permet l’extrémisation de jugement concernant les groupes défévorisés,» Revue Internationale de Psychologie Sociale, no2, (1999): 25-46.(38)Dans ce cadre, les chercheurs en psychologie sociale ont développé plusieurs outils de mesures de stéréotypes implicites, en exposant les participants à certains stimuli subliminales pour étudier leur accessibilité et leur asso-ciation en mémoire avec d’autres représentations mentales.

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celui dont la survie exige un coût excessif pour la société. «Vieux»39 est donc associé à «arriéré, dépassé, lent, prudent, orienté vers le passé et réfractaire au changement». Puisque les vieilles femmes ne seraient plus à même de jouir et de se réjouir, elles deviendraient «grincheuses, méchantes, menteuses, vantardes et bavardes». Le meilleur compliment qu’une personne âgée puisse entendre n’est-il pas qu’elle a su «rester jeune»? Les médias comme d’autres canaux de socialisation dépeignent une image dépendante, triste et inerte de la vieillesse contribuant, ainsi à la cristallisation de ces représentations sociales. On distingue généralement trois typologies de stéréotypes: «pathologie» (La vieillesse est une maladie), «défectologie» (La vieillesse est un handicap) et «paidologie» (La vieillesse est un retour en enfance).

2.2. L’institutionnalisation de la vieillesseLes institutions accueillant les personnes âgées,40 sont souvent des «univers clos», habités par la souffrance, la solitude, la maladie et le deuil, où leur identité est désormais constituée par leurs pathologies41… au mieux, par leur nom, leur nationalité et leur numéro d’assuré social. Dans ces institutions,42 le personnel est formé à une efficacité et une rentabilité 43en terme de rythme où les besoins biologiques individuels ne peuvent par définition pas être respectés (se laver, s’habiller, se rendre en salle à manger etc…), ni les besoins affectifs comblés. Par réflexe de survie psychique et de résistance à l’usure professionnelle, le personnel lutte plus ou moins consciemment contre l’attachement qu’il lui serait possible de ressentir pour les résident(e)s. Certaines recherches parlent d’un risque de «dépersonnalisation», un processus psychologique, constaté dans ces milieux, qui consiste à réduire le corps d’une personne âgée à un simple “objet de soin.”

2.3. D’une société «solidaire» vers une «société solitaire»?Sous les effets de la mondialisation, l’évolution des sociétés contemporaines a suscité des changements rapides dans tous les domaines, qu’il s’agisse du développement économique, de l’organisation de la vie sociale et politique. De plus, la sécularisation de nos sociétés a rendu certaines valeurs non sacrées et l’adhésion à ces mêmes valeurs est moins absolue. Ce processus d’individualisation des valeurs44 a amené le Pr. J-L Beauvois, un grand psychologue social Français, à parler d’un « syndrome culturel individualiste »45 où nous sommes passés d’une société «solidaire» à une société «solitaire» ou la «société des individus.»46 Dès lors, comment

(39) Pasqualina Perrig-Chiello, «Images sexuées de la vieillesse: entre stéréotypes sociaux et auto-définition,» Retraite et société, vol. 3, no 34, (2001): 69-87. (40) Virginie Gimbert et Guillaume Malochet, «Les défis de l’accompagnement du grand âge,» CAS, juin 2011. (41) Jean Pierre Le Guen, «Un lieu de réengagement maison de retraite – résidence pour personnes âgées»,Gérontologie et société, vol. 1, no 96, (2001): 153-162. (42) Lucien Delvecchio, «La personne âgée en institution », Pensée plurielle, vol. 2, no 6, (2003): 77-86. (43) Patrick Conrath et Delphine Goetgheluck, «Le médecin, malgré tout», Le Journal des psychologues, vol. 2, no 305: 3.(44) Pierre Bréchon, Olivier Galland, L’individualisation des valeurs (Paris: Armand Colin, 2010).(45) Jean Louis Beauvois, Les illusions libérales, individualisme et pouvoir social. Petit traité des grandes illusions (Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble, 2005).(46) Norbert Elias, La Société des individus (Paris: Fayard, 1991).

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(47) Louis Noël, «Vieillesse et exclusion,» Pensée plurielle, vol. 2, no 6, (2003): 23-30. (48) Patrick Pietquin, «Vieillesse, mutation sociale et modèle culturel,» Pensée plurielle, vol. 2, no 6, (2003):19-22. (49) «Entretien avec Pierre-Henri Tavoillot: Le droit à une seconde vie,» Sciences humaines, vol. 12, no 232, (2011).

expliquer ce changement radical de perceptions et de représentations de la vieillesse, alors, qu’autrefois, la vieillesse était plutôt synonyme de sagesse et de maturité?

A mon sens, plusieurs facteurs expliquent cette rupture « culturelle » dans les sociétés d’aujourd’hui:

1) Le déclin du corps est plus difficile à accepter dans nos sociétés modernes, qui valorisent l’apparence et la performance, où le slogan est «je consomme, donc j’existe». En les mettant au «ban» de la vie,47 la société rappelle sans cesse aux personnes âgées, qu’elles ne «produisent plus» ou «coûtent trop cher» et qu’elle n’attend plus rien d’elles.48Par conséquent, la «jeunesse», est donc devenue un argument de marketing, à tel point qu’on est désormais entré dans une logique où le ‘’jeunisme’’49 se rapproche d’une idéologie. Or, le corps du «vieux», au regard d’un univers ludique et euphorique n’est plus porteur, de force, de santé, de jouissance. Et même s’il arrive qu’on aperçoive de temps à autres des personnes âgées sur nos écrans de télévision, celles-ci sont sélectionnées de façon être présentées comme ayant su rester jeunes, «cools et sympas».

2) Nous récusons la vieillesse, car, elle nous renvoie à l’une des vérités existentielles majeures, à savoir «la mort». Par stratégie de fuite, l’homme contemporain évite de se confronter aux angoisses inhérentes à sa finitude, ainsi qu’aux frustrations nées d’une vie spirituelle appauvrie ou ayant perdu ses principaux repères. En réalité, «la mort» est devenue le principal tabou auquel notre société moderne, refuse de réfléchir : elles essayent donc par tous les moyens de distraction et d’hédonisme de bannir un tel questionnement de la conscience collective. Naturellement, une «gérontophobie» (phobie liée à la peur de vieillir) se fait jour.

3) Il faut admettre que les valeurs de nos sociétés ont changé brutalement. Les valeurs dites «traditionnelles» sont délaissées pour d’autres privilégiant l’expression de soi et le développement personnel ou l’apparence : beauté, santé, sexualité, dynamisme, efficacité, productivité… sont les valeurs dominantes de cette nouvelle culture. Dès lors, le sujet vieillissant dépourvu de ces qualités n’a plus sa place dans ce monde, qui n’est pas à son image. N’est malheureusement pris en considération que le progrès dans ce qu’il signifie de performant, spectaculaire ou innovant, les valeurs et les richesses pourtant intrinsèques à la vieillesse lorsque l’esprit et l’intellect sont préservés (expérience, mémoire culturelle et historique, sagesse ou philosophie conférée par l’âge...) ne sont plus reconnues. Pire, ces valeurs apparaissent désuètes pour certains.

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4) Enfin, la famille considérée comme dernier rempart contre les effets de la mondialisation peine à assumer son rôle traditionnel de transmission des valeurs. L’unité et la solidarité familiale ne sont plus à l’ordre du jour. A quelques exceptions près, beaucoup de parents sont laissés à leur destin social, confinés dans des maisons de retraites.

Partie 3 : Principes éthiques vis à vis de la vieillesse

Le respect de la dignité des personnes les plus vulnérables est un principe inaliénable en Islam. Le Prophète plaidant en faveur de ces deux fragilités humaines : l’enfance (ignore le sens de la vie) et la vieillesse 50 (a terminé son contrat avec la vie) dit «Ne fait pas partie de notre communauté de foi celui-là qui ne se montre pas clément avec notre petit et n’honore pas notre grand ».51 La première fragilité a besoin de notre clémence et la seconde a besoin de notre respect.

On peut proposer ces six «principes éthiques» qui engagent la responsabilité du musulman envers les personnes âgées et plus spécifiquement les parents et les proches vieillissants. 1) Tendresse & bienveillance2) Reconnaissance & respect3) Accompagnement & humilité

3.1. Tendresse et bienveillancePlus spécifiquement, l’un des droits fondamentaux, associé même au droit divin (l’unicité de Dieu) est le droit des parents, en particulier au moment de leur vieillesse: («Si l’un d’eux ou tous

deux doivent atteindre la vieillesse auprès de toi»). A cet âge de vulnérabilité émotionnelle, nos parents et les personnes âgées en général ont besoin d’une relation affective sécurisante: ils deviennent très sensibles au moindre geste, à la moindre parole, en les interprétant à leur façon. Dépourvus de supports sociaux, ils ont donc besoin de se sentir aimés, compris et acceptés. Un amour doit être démontré de façon rassurante et ce en les aimant telles qu’elles sont pour leur prouver qu’elles existent, qu’elles sont importantes. Il faut apprendre à témoigner, dire notre amour pour eux. Pour cela, il faut surveiller la façon dont on leur parle : utiliser des mots d’amour et des petits phrases tendres... des gestes d’affection... et surtout ne pas les brusquer verbalement et ne pas les outrager par certaines attitudes disproportionnées: «Alors ne leur dis point : Fi! et ne les brusque pas, mais adresse-leur des paroles respectueuses.»52 La métaphore coranique est révélatrice de cette tendresse : (et par miséricorde; abaisse pour eux l’aile de l’humilité; et dis : «O mon Seigneur, fais-leur à tous deux miséricorde comme ils m’ont élevé

(50) D’ailleurs, ils sont le reflet de l’innocence humaine dans toute sa plénitude : les enfants, car ils ne connaissent pas la vie, et les personnes âgées, car, elles ont terminé leur contrat avec la vie.(51) Al-Tirmidhi, al-Jāmiʿ al-Kabīr, 3/479.(52) Le Coran 17: 23.

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tout petit»)53 à l’image d’un oiseau qui embrasse ses petits et les protège sous son aile, pour leur accorder chaleur et protection.

Cet amour palpable conjugué à une attitude bienveillante se construit dans l’interaction au sein d’un environnement familial accueillant et chaleureux. La chaleur d’une main, la tendresse d’un cœur redonne le goût et l’espoir de vivre. Mais, un cœur ne déverse de l’amour que s’il est tendre, aimable et plein de douceur: «C’est par quelque miséricorde de la part d’Allah que tu (Muhammad) as été si doux envers eux! Mais si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage. Pardonne-leur donc, et implore pour eux le pardon (d’Allah)».54

3.2. Reconnaissance et respectNos aînés ont besoin de respect, considération et reconnaissance. A un âge avancé, le regard de l’autre a une influence directe sur l’estime de soi. Dès lors, il est important de prendre conscience de la façon de parler, de juger. Pour cela, elles ont droit à une disponibilité affective et un cœur ouvert: leur prêter attention, être à l’écoute de leurs faiblesses, de leurs capacités, témoigner de l’empathie. Rien n’est plus difficile que le sarcasme ou le dénigrement (« Tu ne comprends jamais rien, tu vis encore dans ton monde »).

D’ailleurs le Coran évoque l’une des attitudes inter générationnelles des frères de Joseph face à leur père: «Ils lui dirent: “Par Allah te voilà bien dans ton ancien égarement.” 55 Face à ces critiques en permanence, le parent joue sur le coup à l’indifférent. Plus tard, il intériorise ces paroles, il s’autocritique régulièrement et devient soit inhibé et déprime, soit provocant et opposant... Des gestes parfois symboliques honorant les ainés, comme le fait de leur céder la place dans le bus ou dans un magasin, ramasser quelque chose à terre pour eux, les aider à porter quelque chose, sont autant de messages porteurs de respect et de solidarité. Le Prophète ordonnait de les saluer en premier 56 et une fois une personne âgée est venue le voir, mais les gens présents ont pris beaucoup de temps à lui céder le passage. Le Prophète n’a pas hésité à désapprouver cette attitude et affirmer le principe éthique de base: «Ne fait pas partie de notre communauté de foi qui n’honore pas notre grand.» 57 Au moment de la victoire de la Mecque, Abu Bakr a ramené son père âgé vers le Prophète, qui n’a guère apprécié le geste: «Tu aurais dû le laisser chez lui à la maison, et c’est à moi de me déplacer vers lui». Par compensation, le Prophète a aussitôt mis le père de Abu Bakr à côté de lui, en se montrant affectueux envers lui, en mettant sa main sur sa poitrine.58 Les personnes âgées ont essentiellement besoin de temps, de repères spatio-temporels stables et que leur rythme soit pris en compte, de même que leur

(53) Le Coran, 17: 24.(54) Le Coran, 3:159.(55) Le Coran, 12 :95.(56) Al-Bukhārī, Ṣaḥīḥ al-Bukhārī, 1556.(57) Al-Tirmidhi, al-Jāmiʿ al-Kabīr, 3/479.(58) Aḥmad Ibn Ḥanbal, Musnad al-Imām Aḥmad (Beirut: Muassat al-Risālah, 2001), 44/518.

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(59) Muslim Ibn al-Ḥajjāj, Ṣaḥīḥ Muslim (Riyad, Dār Ṭaybah, 2006), 216.(60) Ibn al-Jawzī, Ṣafwat al-Ṣafwah (Beirut : Dār al-Maʾrifah,1985), 1/281.(61) Al-Bukharī, al-Adab al-Mufrad (Beirut : Dar al-Ṣiddīq, 2000), 16.(62) Le Coran, 17:24.(63) Danielle Laporte et Lise Sévigny, L’estime de soi des 6-12 ans (Québec, CHU Sainte-Justine, 2002), 43-52.(64) Le Coran, 31:15.(65) Al-Bukhārī, Ṣaḥīḥ al-Bukhārī, 1500.

croyance religieuse. C’est pour cela l’Islam leur a accordé beaucoup de dérogations religieuses au niveau de l’exercice de leur culte. Par exemple, le Prophète, ordonnait aux Imams d’alléger la prière en leur présence.59 En dépit de sa responsabilité politique de chef d’État, Omar, qu’ALLAH l’agrée, n’hésitait pas à la tombée de la nuit à rejoindre la demeure d’une femme âgée -qui ne savait pas qu’il s’agissait du calife des musulmans- pour débarrasser et nettoyer sa demeure et lui ramener de quoi manger.60

Les respecter, c’est être à leur écoute, prendre le temps de s’asseoir avec eux et décoder leur façon de communiquer et ce qu’ils ont à dire sans les juger ni les réprimander… leur demander régulièrement leur opinion... tenir compte de leurs choix...éviter de critiquer inutilement... Les valoriser, leur montrer qu’ils sont utiles, les sortir de leur isolement. Être à l’écoute de leur dépendance, comme ils ont fait avec nous, tout petits, comme signe de reconnaissance. Abdullah ibn Omar vit un jour, lors du pèlerinage, un musulman prendre sa mère sur son dos et faire le tawwaf autour de la Kaaba. Après une discussion, il lui dit : «Par Allah ! Tu ne t’es même pas acquitté d’un seul cri que ta mère a poussé le jour où elle t’a mis au monde.61» C’est en effet une tragédie d’observer une famille, composée pourtant de plusieurs membres, qui échouent à résoudre le problème majeur de la préservation de la dignité de ceux ou celles qui ont consacré toute la force, l’énergie et la vigueur de leurs belles années à les faire grandir, les éduquer, les «élever»: «Et par miséricorde, fais preuve à leur égard d’humilité et adresse à Dieu cette

prière: «Seigneur! Sois miséricordieux envers eux comme ils l’ont été envers moi, quand ils m’ont élevé

tout petit!». 62

3.3. Accompagnement & humilitéPour bien vieillir, le soutien de la famille reste très important pour le maintien du bien-être et de la qualité de vie de la personne âgée. Ce rôle rassurant favorisera un sentiment de sécurité et permettra d’amoindrir les effets du stress, tout en renforçant leur équilibre psycho-affectif.63

Le Coran insiste énormément sur le processus d’accompagnement aux parents: «Et accompagne

-les dans cette vie avec bienveillance.»64 Nous connaissons tous la réponse du Prophète à un Compagnon qui lui a demandé: «Ô Envoyé d’Allah, qui est la personne qui a le plus droit à ma bienveillante compagnie»? «Ta mère» (3 fois) et à la fin «Ton père».65 L’expression «Auprès de toi» est merveilleuse dans ce passage coranique, puisqu’elle engage les enfants à rester aux côtés de leurs parents, dans une proximité physique et affective.

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(66) Le Coran, 7:199.(67) Le Coran, 17:25.

Pour honorer cet engagement et assurer un bon accompagnement, il est opportun d’observer un certain nombre de conduites éthiques:

Passer par l’acceptation de leur propre individualité (besoins, attentes, tempérament, rythmes, goûts). Il peut être ardu pour beaucoup de personnes d’accepter leur parent réel et de faire le deuil des parents rêvés... il y en a qui veulent absolument s’accrocher à leur rêve et ils veulent à tout prix qu’il ressemble à l’idéal type ... En cas de malentendu, avec eux, il est préférable de chercher les stratégies de résolutions de problème plutôt que la confrontation. Demandez-vous par quelles émotions (colère, satisfaction) et par quelles actions (surmonter, encourager) vous réagissez à leurs comportements. Face à de telles situations, le Coran nous demande d’adopter une attitude bienveillante, en acceptant le tempérament des gens tel qu’ils sont: Accepte le raisonnable al-aʾfw: dans ce qui touche aux bonnes actions, au bon comportement dans les relations sociales.66… et d’ignorer le comportement gênant, en faisant preuve d’endurance et de persévérance. Pour cela, il faut créer une atmosphère saine dans le l’environnement familial serein qui limite le stress inutile et valorise le dialogue. S’il arrive qu’on déshonore notre engagement vis à vis d’eux pour une raison quelconque, le Coran nous délivre un très bon remède psychologique, dans un verset qui clôt ces versets de sourate 17 sur le droit des parents: «Votre Seigneur est Celui qui connaît le mieux le fond de vos cœurs. Si vous êtes justes, sachez qu’Il pardonne toujours aux repentants sincères.»67

Connaître leurs besoins primaires (nourriture, sécurité, amour) ou secondaires (sociaux) et chercher à les décoder et les combler. Ils ont certes des goûts qu’ils peuvent encore exprimer, des désirs et des rêves et des sentiments au sujet desquels il faut investiguer. S’il y a impossibilité de combler un besoin pour une raison ou une autre, il faut trouver un palliatif.

Face à leur désinvestissement de la vie, parler à nos parents est nécessaire, les faire voyager quand c’est possible. Dans ce cadre, il est essentiel d’établir des rituels stables (visites hebdomadaires) qui leur permettent de se situer dans le temps et dans l’espace, car, changer fréquemment de lieux peut les perturber…

Les accueillir ou les visiter avec les enfants contribue à inscrire nos enfants dans une relation familiale et leur l’héritage d’une mémoire et d’une culture familiale. De fait, l’Islam insiste énormément sur la nécessité de renouer ou de ne pas rompre «les liens affectifs de parenté». Face aux contraintes contemporaines, il est donc impératif de se réunir au moins lors des fêtes religieuses ou d’événements familiaux: ces occasions constituent des moments adéquats pour resserrer les liens familiaux. Par exemple, se regrouper à ces moments, grands et petits, autour des grands parents est une image éloquente de la proximité familiale. Ainsi, la famille retrouve son unité perdue et embrasse l’esprit des valeurs familiales de partage et de solidarité.

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Leur donner l’espérance de continuer à vivre: sur ce volet, le Prophète, préconisait la conduite exemplaire à manifester lors de la visite à un malade: «Si vous rendez visite à un malade, donnez lui l’espoir de vivre plus longtemps, car cela ne changerait en rien dans le destin d’ALLAH».68

Nous allons clôturer cette partie avec cette histoire impressionnante d’Omar, qui montre expressément la transcendance des valeurs éthiques de l’Islam: Omar, qu’ALLAH l’agrée, a vu une fois une personne âgée, mondaine et aveugle et il lui a dit: «Vous êtes de quelle religion?». L’homme lui a répondu: «Je suis juif». Omar lui dit: «Qui t’a poussé à la mendicité?». L’homme a répondu: «La précarité et la fragilité liées à la vieillesse». Omar, sensible à sa situation, l’a aussitôt pris par la main et l’a ramené chez lui. Il a donné au vieillard ce dont il avait besoin et puis, il a convoqué son ministre de trésor public et lui a dit: « Regarde le cas de cet homme et de toutes les personnes, qui sont dans la même précarité et fragilité que lui». Il a ensuite ordonné de l’exonérer d’impôt, ainsi que de tous ses devoirs envers l’État. Puis, il a conclu son propos avec cette parole historique, qui rappelle le principe de «solidarité générationnelle» en disant: «Je jure par ALLAH, nous étions injustes à son égard, car nous avons profité pleinement de sa production au moment de sa jeunesse, nous voulons encore le trahir au moment de sa vieillesse». Et il a lu la parole d’ALLAH ( les sadaqâts (aumônes) ne sont destinées que pour les pauvres, les indigents, ceux qui y travaillent, ceux dont les cœurs sont à gagner (à l’Islam), l’affranchissement des jougs, ceux qui sont lourdement endettés, dans le sentier d’Allah, et pour le voyageur (en détresse). C’est un décret d’Allah! Et Allah est Omniscient et Sage).69 C’est ainsi que les valeurs de L’Islam nous enseignent d’être à l’écoute des fragilités humaines, quelles que soient la religion des individus, leur nationalité et leur statut.70

En conclusion

Si nos aînés n’ont pas le choix de vieillir, ils ont en revanche, un mot à dire sur la manière dont ils choisissent de vieillir. Il s’agit de la responsabilité de chacun de leur accorder le droit à un regard décent et un traitement digne. Le Prophète alerte, en particulier, la conscience des jeunes quant à leur responsabilité envers les personnes âgées en disant: «Chaque jeune qui honore une personne âgée, Allah lui attribue une personne qui l’honorera de même dans sa vieillisse». En tant que personnes, nous ne pouvons ignorer que nous sommes tous des vieux en devenir, comme l’exprimait très bien l’un des sages: «Ne pas honorer la vieillesse c’est démolir la maison où l’on doit coucher le soir». Enfin, quel dommage, de ne pas découvrir les «trésors enfouis» de nos aînés, explorer leur vie, riche de savoirs et d’expériences! Quel dommage de ne pas admirer ce très beau moment du «coucher du soleil», comme disait Maximilienne Levet-Gautrat71 dans son concept de flamboyance «Le soleil avant de se coucher, illumine le ciel de couleur attirante; mais

(68) Al-Tirmidhi, al-Jāmiʿ al-Kabīr, 3/595.

(71) Maximilienne Levet-Gautrat, l’âge de la flomboyance (Paris : J. Bertoin, 1993), 184.

(69) Le Coran, 9:60.(70)Abū Yūsuf, al-Kharāj (Beirut: Dar Al-Maʾrifa, 1979), 126.

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aussi le «feu d’artifice» où la dernière gerbe est la plus belle, la plus colorée, et celle qui embrasse le ciel avant la fin». Enfin, quel dommage, de pas décrocher la clé de réussite dans cette vie d’ici bas et le bonheur éternel dans l’au-delà: «Qu’il soit humilié, qu’il soit humilié, qu’il soit humilié, celui qui a eu le bienfait d’avoir des parents âgés et malgré cela n’est pas rentré au Paradis»72 dit notre Prophète.

(72) Sahih Muslim, Hadith no: 1189.. . .

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