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L 'éditi on origina/e de cet ouvr a ge a ltl pu blié e par Oxford Univmity Pm s Titre original: DREAM, CREAT IV ITY, ANO MAONESS IN NI NET EE N TH -CENTURY FRANCE © A.R .W James, 1 995. © .Éditiom Gal/imar d, 1997. pour la traduction franfaiu. Le paradoxe et le paradigme En 1769, parait le récit d'un re ve qui deviendra célebre. Le reveur, le violoniste italien Giuseppe Tartini (1692-1770) conclut un pacte avec le diable. En échange de son ame, le diable exaucera chacun de ses vreux. Tartini luí tend son vio- Ion, curieux de voir si son « nouveau serviteur » sera capable de jouer quelques airs agréables : « Quel fut mon étonnement, lorsque j'entendis une sonate si singuliere et si belle, exécutée avec tant de supériorité et d'intelligence, queje n' avais meme ríen conc;u qui put entrer en parallele 1 » La surprise et le ravis- sement lui coupent le souffie, et l'intensité de cette sensation le réveille. Prenant son violon, il essaie en vain de retrouver les accords qu'il vient juste d' entendre. La Sonate du diable Il Trillo del Diavolo ») restera, selon lui, sa meilleure reuvre. Au dix-neuvieme siede, cet épisode est souvent mentionné et embelli. Deux autres cas, moins pittoresques mais tout aussi souvent rapportés, sont cités par Cabanis : « J' ai connu un homme tres sage et tres édairé [Benjamín Franklin] qui croyait avoir été plusieurs fois instruit en songe, de l'issue des affaires qui 1' occupaient dans le moment. Sa tete forte, et d'ailleurs entierement libre de préjugés, n'avait puse garan- tir de toute idée superstitieuse, par rapport a ces avertisse- ments intérieurs. Il ne faisait pas attention que sa profonde l. De La Lande, Voyage en ltafie, 2' éd., 9 vol., Desaine, 1 786, IX, p. 55-56.

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L 'édition origina/e de cet ouvrage a ltl publiée par Oxford Univmity Pm s

Titre original :

DREAM, CREAT IV ITY, ANO MAONESS

I N N I NETEENTH -CENTURY FRANCE

© A.R. W James, 1995. © .Éditiom Gal/imard, 1997. pour la traduction franfaiu.

Le paradoxe et le paradigme

En 1769, parait le récit d'un reve qui deviendra célebre. Le reveur, le violoniste italien Giuseppe Tartini (1692-1770) conclut un pacte avec le diable. En échange de son ame, le diable exaucera chacun de ses vreux. Tartini luí tend son vio­Ion, curieux de voir si son « nouveau serviteur » sera capable de jouer quelques airs agréables : « Quel fut mon étonnement, lorsque j'entendis une sonate si singuliere et si belle, exécutée avec tant de supériorité et d'intelligence, queje n'avais meme ríen conc;u qui put entrer en parallele 1• » La surprise et le ravis­sement lui coupent le souffie, et l'intensité de cette sensation le réveille. Prenant son violon, il essaie en vain de retrouver les accords qu'il vient juste d' entendre. La Sonate du diable (« Il Trillo del Diavolo ») restera, selon lui, sa meilleure reuvre.

Au dix-neuvieme siede, cet épisode est souvent mentionné et embelli. Deux autres cas, moins pittoresques mais tout aussi souvent rapportés, sont cités par Cabanis : « J' ai connu un homme tres sage et tres édairé [Benjamín Franklin] qui croyait avoir été plusieurs fois instruit en songe, de l'issue des affaires qui 1' occupaient dans le moment. Sa tete forte, et d'ailleurs entierement libre de préjugés, n 'avait puse garan­tir de toute idée superstitieuse, par rapport a ces avertisse­ments intérieurs. Il ne faisait pas attention que sa profonde

l. De La Lande, Voyage en ltafie, 2' éd., 9 vol., Desaine, 1786, IX, p. 55-56.

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prudence et sa rare sagacité dirigeaient encore 1' action de son cerveau pendant le sommeil, comme on peut 1' observer, meme pendant le délire, chez les hommes d'un moral exercé 1• » Cabanis cite également Condillac, qui lui a confié personnellement qu' «en travaillant a ses cours d' étude, il était souvent obligé de quitter pour dormir un travail déja préparé mais incomplet, et qu'a son réveil, ill'avait trouvé plus d'une fois terminé dans sa tete». Cabanis poursuit : «En effet, l' es­prit peur continuer ses recherches dans les songes; il peut erre concluir par une certaine suite de raisonnemens, a des idées qu'il n'avait pas; il peut faire, a son insu, comme ille fait a chaque instant durant la veille, des calculs rapides, qui lui dévoilent l'avenir 2

• » Meme s'ils sont rares, de tels exemples suggerent que l'esprit qui reve est capable de créer.

Mais, a la fin du dix-huitieme siecle, une telle hypothese ne s' accorde pas avec le point de vue dominant sur les reves, point de vue que Voltaire résume ainsi : «Le plus sage des hommes veur-il conna1tre la folie? qu'il réfléchisse sur la marche de ses idées pendant les reves. [ ... ] Les reves inquiets sont réellement une folie passagere 3• » Cette notion- reves et folie sont analogues, voire identiques - traverse tout le dix-neuvieme siecle, et persiste encore au vingtieme. Freud, par exemple, consacre la fin du premier chapitre de Die Traumdeutung (1900) aux «Rapports entre le reve et les maladies mentales 4 » et, dans «Une note sur l'inconscient »

(1912), il écrit: <di existe un produit psychique qu'on peut rencontrer chez les personnes les plus normales, qui pourtant présente une analogie frappante avec les productions les plus sauvages de la folie et qui est demeuré aussi peu intelligible aux philosophes que la folie elle-meme. Il s'agit des reves 5• »

l. CEuvres philosophiques de Cabanis, C. Lehec et J. Cazeneuve éd., Corpus général des philosophes fran~s, PUF, 1956, XLIV, p. 587.

2. !bid., p. 597-598. 3. Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. «Folie», CEuvres completes (72 vol.,

Kehl, 1785-1801), LI, p. 418. 4. L 'lnterprétation des reves, PUF, 1967, p. 83-87. 5. Métapsychologie, Folio Essais, Gallimard, 1968, p. 182-183.

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11 y a done un paradoxe : l' état mental appelé « reve » corres­pond a la folie, il est par conséquent l' antithese de la raison et de la beauté ; et pourtant il peut venir en aide a la raison (la résolution de problemes) ou contribuer a la naissance d'une ceuvre d'art (« Il Trillo del Diavolo »). Dans cet ouvrage, je m'intéresserai aux nombreuses ramifications de ce theme.

Le paradoxe tient a la vision classique de la nature de 1' ex­pression artistique, laquelle repose sur une certaine notion du moi. Dans son essence, 1' ceuvre d' art est d' abord cons:ue, avant d'etre exécutée par un artiste doué de raison. La conception précede l' exécution, m eme si un certain « enthou­siasme » peut accompagner le processus. Chaque « désordre » doit posséder sa propre beauté et correspondre a un effet voulu : «Un beau désordre est un effet de l'art. » L'« imagi­nation », au sens que lui donne le dix-septieme siecle, est avant tout la capacité de !'esprit a se représenter des images. Ce point de vue classique présuppose un moi conscient consi­déré comme une uniré. Ce modele, d' essence cartésienne, encore fondamental au dix-neuvieme (meme si, aux alentours de 1870, il est remis en question), se compose de deux élé­ments principaux : la conscience de soi et la mémoire. Des­cartes a pu dire «]e doure, done je suis 1 », et aurait certaine­ment été disposé a dire «]e reve, done je suis». Le moi dépend de la conscience présente, qui le constitue. Quant a la mémoire, elle n' est pas fiable et n' a pas le caractere certain de l'intuition, e' est-a-dire 1' appréhension immédiate, actuelle, de ce qui est vrai. Tourefois, lorsque Descartes, a la fin des Méditations, se demande une nouvelle fois comment distin­guer entre la réalité extérieure et les illusions produites par les reves, le critere évoqué est la mémoire: «A présent j'y ren­contre une tres notable différence, en ce que notre mémoire ne peut jamais lier et joindre nos songes les uns avec les autres

l. «La recherche de la vérité », CEuvres et lettres, Bibliotheque de la Pléiade, Gallimard, 1953, p. 898. ·

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et avec toute la suite de notre vie, ainsi qu' elle a de coutume de joindre les choses qui nous arrivent étant éveillés 1• » Les images des reves n' ont jamais la cohérence o u la stabilité des images de la vie éveillée; la mémoire ne peut « sans aucune interruption, lier le sentiment que j'en ai, avec la suite du reste de ma vie ». Descartes laisse entendre que le moi est constitué par la conscience présente et par le souvenir des per­ceptions et des actes passés.

Meme chez Descartes, ce moi est implicitement distinct du « moi » des reves. Un reveur qui a conscience de rever (e' est 1' exception) peut affirmer cogito ergo sum o u m eme percevoir la vérité d'une démonstration géométrique 2

• Mais ce reveur est privé de la mémoire séquentielle qui, conjointement a la conscience, constitue le moi éveillé, et done il ne possede qu'un seul des deux éléments nécessaires. Un reveur qui n'a pas conscience de rever (c'est la regle) ne possede aucun de ces éléments. Une fois éveillé, il peut se souvenir du reve, mais tour comme, pour Descartes, le souvenir d'une intui­tion n'a pas le meme statut que l'intuition elle-meme, le sou­venir présent d'un revene saurait faire que le reveur ait pos­sédé, dans le reve, un moi. La « chose qui pense » du moi cartésien peut éventuellement rester présente aussi bien dans 1' état éveillé que dans 1' état de reve, mais elle peut aussi etre absente du sommeil, meme si elle est indirectement recou­vrée par le souvenir.

Lire ici quelque présage de la scission du sujet chere au vingtieme siecle serait anachronique, car la préoccupation de Descartes est la certitude, et non la nature du sujet. On peut toutefois dire que l'unité du moi est normalement associée a l' état de veille, puisqu' elle dépend d'une forme de conscience rarement présente dans les reves. Ainsi le sommeil, le reve et leurs relations avec la mémoire entralnent-ils des anomalies; ils représentent un résidu imparfaitement assimilé.

l. ~ Méditation sixieme >>, ibid, p. 334. 2. « Discours de la méthode », ibid., p. 152.

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Ces anomalies expliquent l'emploi par l'Encyclopédie du mot « bizarre >> : «Le songe est un état bizarre en apparence, ou !'ame a des idées sans y avoir de connaissance réfléchie. >>

Bizarre, non paree que le contenu des reves est incohérent ou étrange, ni paree qu'il existe des perceptions sans objet que 1' esprit ne maltrise pas. Ce qui est considéré comme bizarre est que !'esprit puisse avoir des idées, alors qu'il n'a pas conscience de lui-meme. Au milieu du dix-huitieme siede, on est toujours dans la tradition cartésienne et 1' on sait peu de choses encore sur la nature du sommeil 1

Au début du dix-neuvieme siecle, des physiologistes comme Bichat et Cabanis donnent des descriptions orga­niques cohéremes de la nature du sommeil et de ses degrés. La question métaphysique de la nature du moi ne les inté­resse pas, et leur démarche est pour ainsi dire opposée a celle de Descartes: « Observons les phénomenes, analysons les rap­ports qui les unissem les uns aux autres, sans remonter a leurs causes premieres 2

• )) Cependant, un dictionnaire médica! voit toujours dans le reve un état anormal : «Les songes sont, comme le somnambulisme, le produit d'un exercice incom­plet des facultés intellectuelles pendant un sommeil peu pro­fond; ce sont de véritables anomalies de cet état 3 », et des philosophes, comme Maine de Biran, continuent de s'inté­resser aux problemes métaphysiques qui sous-tendent ces themes. Enfin, il devient plus urgent de s' occuper de l' en­semble de ces questions lorsque, apres Mesmer, des formes étranges de sommeil appelées somnambulisme « naturel >> o u « magnétique » sont portées a 1' attention du public. En quoi ces sommeils sont-ils étranges? Et pourquoi d'autres phéno­menes telle l'hallucination, souvent associée au sommeil, sont-ils tenus pour pathologiques?

l. L'article de !'Encyclopédie reprend, en le modifiant, le critere cartésien de la cohérence pour distinguer entre le reve et la réalité.

2. F.-X. Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort, éd. L. Cerise, Masson, 1866, p. 55.

3. Encyclopédie méthodique. Médecine, XIII, 1830, p. 73, article signé Bricheteau.

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Une premiere ébauche de réponse édairera d'emblée les relations entre les phénomenes du sommeil, du réve, de la veille, de la mémoire, de la créativité, et de la folie. Elle pren­dra la forme d'une description du « paradigme » du sommeil et de la veille qui prédomine au dix-neuvieme siede 1•

T out d' abord, le sommeil et la veille sont posés comme deux états distincts qui alternent, dans un cyde quotidien. Les réves appartiennent au sommeil, bien que cet état puisse également étre profond et par conséquent sans réve. L' état de veille se caractérise par la conscience et par la possibilité de se souvenir volontairement d' états éveillés antérieurs, que ce soit avant ou apres la derniere période de sommeil. Le som­meil, luí, se caractérise normalement par 1' absence de la pleine conscience et 1' absence de souvenir volontaire. Les liens entre ces deux états distincts sont peu nombreux : dans les réves, les gens, les lieux ou les objets qui ont été pen;:us dans la vie éveillée peuvent apparaí'tre de maniere involon­taire; dans la vie éveillée, les réves sont le plus souvent oubliés et considérés comme incohérents o u bizarres. En d' autres mots, lorsqu'une quelconque relation existe entre les deux états, elle dépend de la mémoire, bien qu'il y ait de grandes différences entre les formes de remémoration qui peuvent exister d'un état a I'autre. Se souvenir, néanmoins, n'entame aucunement le caractere fondamentalement distinct des deux états.

La distinction entre les deux états et leur alternance étant toutes deux fondamentales, il s' ensuit que tout état qui implique soit la ccexistence de la veille et du sommeil, soit la persistance excessive de I'un des états, est pers:u comme anor­mal, voire pathologique. Le somnambulisme naturel, par exemple, ou la transe hypnotique ressemblent a I' état de so m-

l. Par « paradigme », j' entends ici un ensemble de relations entre des concepts nommant des expériences; si la description de ces relations est vraie pour 1' es­sentid, alors le paradigme aura un pouvoir explicatif. Pour le terme, je suis bien sur redevable a Kuhn (The Structure ofScientific Revolutions, 1962), meme si je ne l' emploie pas id selon sa définition.

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meil en ceci que les événements qui ont eu lieu sont habi­tuellement oubliés a u réveil. Mais ils ressemblent aussi a 1' état de veille, par le fait qu'une mémoire séquentielle existe, d'un épisode somnambulique a l'autre ou d'une transe a l'autre. L'hallucination, selon Esquirol, est un réve a 1' état de veille. Un aliéné qui délire peut étre considéré comme dans un état permanent de sommeil. Dans les cas dénommés « double conscience » ou « dédoublement de personnalité », une per­sonne peut ne pas avoir conscience de son autre existence, laquelle, oubliée, ressemble a un réve. T ous ces états boule­versent la distinction o u 1' alternan ce, posées comme la norme.

Enfin, la veille, l' activité consciente sont liées a la raison et a la maítrise; a ce titre, on leur accorde de la valeur. Le som­meil et le réve sont peut-étre nécessaires, mais ils sont « végé­tatifs » et « automatiques », ce qui leur enleve toute valeur. Le sommeil est tenu pour un état intellectuellement stérile. Les exemples d'activité apparemment créatrice, ou la résolution de problemes pendant le sommeil, sont des curiosités, des exceptions qui ne sont la que pour confirmer la regle.

Ce paradigme sert a expliquer le regroupement, au dix­neuvieme siecle, de tout un ensemble de phénomenes du sommeil qui comprend les images hypnagogiques, le som­nambulisme naturel ou magnétique, la catalepsie et I'hallu­cination. La psychiatrie aurait peut-étre du mal, de nos jours, a se retrouver dans une telle classification, mais ce sont la les « phénomenes du sommeil » (pour reprendre une expression utilisée par Maine de Biran, puis par Balzac et Nodier) que de nombreux travaux ne cessent de traiter ensemble. 11 en va ainsi, par exemple, de 1' ouvrage sur le réve le plus lu, sans doute, avant Freud (qui y fait souvent allusion dans Die Traumdeutung) : Le Sommeil et les reves 1 du polygraphe Alfred

l. Alfred Maury, Le Sommeil et les reves, études psychologiques sur ces phéno­melles et sur les divers états qui sy rattachent, suivi de Recherches sur le développe­ment de l'instinct et de l'intelligence dans leurs rapports avec le phénomene du som­meil, Didier, 1861.

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Maury. Publié en 1861, ce livre connaí:tra trois rééditions (1862, 1865 et 1878). Orles états qui «Se rattachent» au reve sont l'hallucination, l'aliénation mentale et notamment le délire, le somnambulisme, l'extase, l'hypnotisme, la cata­lepsie, le mesmérisme. Excepté le somnambulisme, la plupart de ces phénomenes ne sont guere aujourd'hui reliés au som­meil (l'hallucination ne 1' est que pour les hallucinations hyp­nagogiques). Mais l'ouvrage de Maury est loin d'etre le seul ou ces phénomenes se trouvent rassemblés 1, et jusqu'a la these de Pierre Janet, L'Automatisme psychologique, essai de psychologie expérimentale sur les formes inférieures de l'activité humaine (1889), ou le meme groupement se retrouve, moins centré sur les reves et augmenté des phénomenes de médium­nité. Ce que Maine de Biran, en 1809, appelle «les phéno­menes du sommeil » recouvre un ensemble qui varie peu pen­dant tout le dix-neuvieme siecle. Il nous arrivera, dans les pages qui suivent, de désigner tout cet ensemble par le seul mot de reve, qui ne désignera done pas uniquement les reves nocturnes.

A l'intérieur de cet ensemble, l'accent est mis sur l'un ou 1' autre de ces phénomenes, selon les périodes. Le « somnam­bulisme » sous une forme ou sous une autre, occupe le siecle entier, et restera un terme dé pour Flournoy en 1900. Mais a partir de 1830 environ, ce sont les études sur l'hallucina­tion qui prennent la premiere place, avant de la céder a nouveau au somnambulisme, devenu « hypnotisme », et au « dédoublement de la personnalité ». Ces variations sont par­ticulierement sensibles quand on lit des études portant sur des personnages historiques : en 1825, Jeanne d'Arc est cen­sée etre sujette a u somnambulisme o u a 1' ex tase; dans les

l. L'ouvrage de Brierre de Boismont (1 845) sera réédiré en 1852 er 1862. Le riere de cene rroisieme édirion esr Des hallucinations o u Histoire raisonnée des appa­ritions, des visions, des songes, de l'extase, des reves, du magnétisme et du somnam­bulisme (Bailliere, 1862) ; cf. également : M. Simon, Le Monde des réves: Le Reve, l 'hallucination, le somnambulisme et /'hypnotisme, l'illusion, les paradis artificiels, le ragle, le cerveau et le réve, Bailliere, 1888.

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années 1830, elle souffre d'hallucinations; dans les années 1890, elle est devenue hystérique 1• De meme, Pinel en 1818 émet l'hypothese que Socrate souffrait de catalepsie et, en 1836, Lélut cherche a démontrer qu'il était victime d'hallu­cinations. Dans notre travail, les intitulés des parties et des chapines reflereront, dans la mesure du possible, ces varia­tions. Mais ni ces titres, ni les dates données ne témoignent de la prédominance exclusive du sujet évoqué. Un certain chevauchement est inévitable.

Notre point de départ chronologique n'est pas une date précise, mais se situe fin dix-huitieme, début dix-neuvieme. Les textes du dix-huitieme restent des points de repere pour les médecins et les philosophes qui écrivent au tournant du siecle. Ainsi, l'exemple d'un clerc somnambule, qui apparaí:t pour la premiere fois dans l'Encyclopédie, est repris par Pinel, Maine de Biran, Deleuze et Bertrand. Le terminus ad quem, cependant, est Die Traumdeutung, publié en 1900. Non seu­lement a cause de la date, mais paree que cet ouvrage pose une question différente. Les médecins et penseurs, de Maine de Biran a Hervey de Saint Denys (1867) et au-dela, ont tous la meme préoccupation : Comment les reves se forment-ils ? De quoi sont-ils faits? Les questions : «Que signifient-ils? »

« Comment peuvent-ils etre interprétés? >> ne sont guere posées que dans les « Clefs des Songes >> populaires.

«Les phénomenes du sommeil >> o u les états seconds décrits ici ont en commun 1' éclipse total e o u partielle du m oí conscient, quelquefois en faveur de ce qui semble etre un « second >> moi. O u, pour 1' exprimer autrement, ils impli­quent tous une partie du moi dont le moi éveillé, normal, celui de la vie de tous les jours, n'a pas forcément conscience. Entrer en contact avec cette partie du moi peut etre inoffen-

l. Un aurre exemple serair celui des ursulines de Loudun. Cf. F. P. Bowman, «Les possédés de Loudun au XIX' siecle ~ . Sréphane Michaud éd., Du visible a !'in­visible : Pour Max Milner, 2 vol., Corti, 1988, 1, p. 123-136.

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sif, comme dans les reves nocturnes, ou indésirable, lors­qu' elle conduit a 1' aliénation et éclipse plus o u moins la conscience, mais on peut également la tenir pour créatrice. Une question fondamentale est de savoir si le reve implique un processus (( inférieur )) o u (( automatique », a garder bien séparé des facultés « supérieures », qui, elles, sont dirigées par la volonté consciente et l'intelligence. Un tel point de vue sera aussi bien celui de Maine de Biran au début du si?xle que celui de Janet a la fin, et il restera celui de presque tous les philosophes et médecins. Certains écrivains par contre, a commencer par Charles Nodier, accordent a l'activicé oni­rique une valeur dépassant celle de la conscience « normale ».

Et bien que, parfois, de nombreux themes soient communs a la médecine et a la littérature, cette question semble avoir été abordée par chaque groupe de maniere séparée, sans que 1' on ait tenté une synthese.

Si je n'ai pas employé, jusqu'a présent, les termes d'in­conscient, de préconscient ou de subconscient, et si je les évite aussi dans bien des chapitres de ce livre, ce n' ese pas paree que je erais a une lecture (( innocente )) qui effaeerait comme par magie les apports du vingtieme siecle. Mais, si l'on veut que les textes du dix-neuvieme nous parlent de leur temps qui, a de nombreux points de vue, est le berceau du nótre, il faut s' efforcer de les lire dans leur contexte, ce qui veut dire éviter de reeourir a des notions et a un vocabulaire du vingtieme siecle, lorsqu'ils peuvent preter a confusion. Explorer les corrélations entre les « perceptions obscures », les « facultés passives » de Maine de Biran, et 1' « ineonscient »

serait 1' objet d' une tout aune étude; mon souci ici ese de pré­senter sa pensée sur le sommeil et le reve aussi clairement que possible dans son contexte historique. Les outils d'investiga­tion, e' est-a-dire les méthodes de lecture, seront cependant ceux d'aujourd'hui. A supposer que cela fut possible, il serait absurde de lire les textes médicaux, littéraires ou philoso­phiques du dix-neuvieme avec les yeux d'un Sainte-Beuve ou d'un Faguet. Mes lectures sont forcément personnelles, et de

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mon temps, mais elles tenteront de laisser parler les textes sans faire un usage excessif des eatégories du vingtieme siecle.

Les doeuments examinés, se ramifiant dans l'oeeultisme et la mystique, traversant les frontieres entre psychologie, méde­cine, philosophie et littérature, ont une qualité tres centri­fuge. Certaines lacunes sont inévitables. Je n'ai pas tenté d' éerire une histoire complete du sommeil o u du reve a u dix­neuvieme siecle 1, mais de suivre un fil directeur a travers les champs de la médecine, de la philosophie et de la littérature. ]'espere avoir apporté assez d'éléments nouveaux, ou bien avoir traité les anciens de maniere suffisamment différente, pour que ce livre puisse éveiller un écho chez ceux dont le champ est autre. J'ai écrit un ouvrage qui s'efforce d'etre interdisciplinaire, en partie paree que j'ai souvent été stimulé par des paroles ou des lectures sans lien évident avec mes pré­oecupations du moment : un reve s' emparant des restes diurnes apparemment insignifiants peut les intégrer a son tra­vail créateur. Ces Vies secondes deviendront-elles a leur tour un reste diurne pour d' a u tres ?

l. Ma dette envers H. Ellenberger, Histoire de Úl découverte de l'inconscient (Fayard, 1994) est grande. Voir aussi : de L. L. Whyre, L 7nconscient avant Freud (Bibliotheque scientifique, Sciences de I'Homme, Payot, 1971); de P. Pachet, Nuits étroitement surveillles (Le Chemin, Gallimard, 1980) ; La Force de dormir (NRF Essais, Gallimard, 1988) et de Y. Ripa, Histoire du réve: regards sur l'ima­ginaire des Fr~ais au XIX' siecle (Oiivier Orban, 1988).

1

LES YEUX FERMÉS

Somnambulisme magnétique, somnambulisme naturel

- Je vous affirme que Séraphita exerce sur moi des pouvoirs si extraordinaires que je ne sais aucune expression qui puisse en donner une idée. Elle m'a révélé des choses que moi seul je puis connaitre.

- Somnambulisme! dit le vieillard.

BALZAC

Séraphtta

« Somnambulisme » : ce mot a lui seul semble une explica­tion suffisante aux pouvoirs étranges de Séraph1ta, et les lec­teurs de Balzac sont censés le comprendre sans peine. Il couvre déja bien plus que son acception premiere « marcher pendant le sommeil ». Le locus classicus des tout premiers écrits sur le somnambulisme est 1' artide de 1' Encyclopédie , en 17 64 :

L' on a donné le no m générique de somnambulisme a une espece de maladie, d'affection, ou incommodité singuliere, qui consiste en ce que les personnes qui en sont atteintes, plongées dans un profond sommeil, se promenent, parlent, écrivent, et font différentes actions, comme si elles étaient bien éveillées, quelquefois meme avec plus d'intelligence et d ' exactitud e; e' est cette faculté et cette habitude d' agir endormi comme éveillé, qui est le caractere distinctif du som­nambulisme '.

l. Encyc/opédJ.e (1751-1780), a. «Somnambulisme », 1764.

22 vtes secondes

A ir endormi comme éveilié » : deux des points du para-d . <~: déflni -la séparation du sommeil et de la veilie, 1' al-

Ig d , d. ' ternance de ces eux etats- sont contre Jts par cette « espece de maladie ».Bien que l'Encyclopédie le range dans la rubrique « Médecine », Pinel n'indut pas le somnambulisme parmi les maladies recensées, en 1798, dans sa Nosographie philoso-phique

1

- chose curieuse, car il s'intéressait aux reves 2• Il ne le cítera que dans la seconde édition, en 1803, ou il le défi­nit comme « une névrose des fonctions cérébrales », une ver­sion plus intense du reve :

L'imagination, durant les songes ordinaires, peut rappeler avec plus ou moins de force les objets qui l'ont vivement frap­pée; mais si, dans cet état, 1' excitation est assez vive pour qu'on se livre au mouvement meme dont on a I'habitude, que les musdes soient soumis a l'influence de la volonté, qu'on sorte de son lit, qu'on marche, qu'on parle ou qu'on renou­velle m eme les fonctions qu' on a coutume de remplir durant la veille, on est alors s~e ou noctambule 3•

-l. Nosographie philosophique ou La Méthode de l'analyse appliquée a la mide­cine, Maradon, 1798.

2. Il a traduit l'ouvrage de William Cullen, Noso!ogy 0775), dans lequelle somnambulisme apparait ( ~ Ordre IV. Vesaniae, Genre L VIV SOMNIUM »,

incluanr ; ~ Somnambulismus ... Hypnobatasis ... Noctambulatio ... Ephialtes ... Incubus») ; Apparatus ad nosologiam methodicam seu synopsis nosologiae methodi­cae in usum studiorum, Amsterdam, 1775, p. 221. Dans les éditions suivanres, « SOMNIUM » est devenu « ÜNEIRODYNIA. In so m no imaginario vehementior vel molesta» et le somnambulisme est • oneirodynia (activa) excitans ad ambulatio­nem, et motus varios» G. Thompson, Noso!ogica methodica: Auctore Guliefmo Cu!fen, Édimbourg, Carfrae, 1820, p. 124). Une autre Noso!ogie célebre au dix­huitieme siecle ese celle de Sauvage, qui range le somnambulisme dans la classe Vlii ~ Vesaniae », Ordre I • Hallucinations » ; Nosofogia methodica sistens Morbo­rum c!asses, Amsterdam, 1768, II, p. 150.

Pinel a écrit sur les reves dans la Gazette de San té, 30 ( 1 787) ; ses points de vue sonr essenriellemenr hippocratiques. ). Poste! (Genese de la psychiatrie: Les Pre­miers Écrits de Phi!ippe Pine~ Le Sycomore, 1981, p. 177-180) suggere que l'ab­sence du somnambulisme dans la premiere édition peut s'expliquer par la brie­veté du texte (due a la pénurie de papier sous le Direcroire et a la nécessité pour Pinel de publier rapidemenr), par son désir de ne pas sembler plagier Cullen, et par sa tenrative de lier la nosographie du dix-huitieme siecle a son expérience asi­laire (lettre a l'auteur, 8 sept. 1 993).

3. Nosographie philosophique ... , !803, III, p. 140-148.

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Les yeux ferrnés 23

11 note aussi «un certain rapport entre un acces de manie sans délire, et l' es pece d' excitation nerveuse que le somnam­bule éprouve pendant la nuit », et donne 1' exemple d'un jeune homme su jet a des «atraques» de somnambulisme :

[Il] avait un regard vif et animé [ ... ], la plus grande agilité dans les membres, des reparties saillantes dans les entretiens qu'on se faisait un jeu d'avoir avec lui. Dans la journée et durant 1' état de veille, il était, en général, morne, taciturne, et paraissait bien inférieur, pour les facultés de 1' entendement, a ce qu'il était dans ses illusions nocturnes 1•

Vi~§LarlliuU1192un.k..~~~ .. é~llé : cet exemple ressemble déja au « dédoublement de la personna-lité », avant que le concept n' existe. Pour Pinel, cette sorte de (( reve » est lié a la folie m eme si, parfois, l' acces de somnam­bulisme est créateur :

U~~e homme [ ... ] s'était exercé en vain un certain jour ~et a rendre plus corrects plusieurs vers qu'il avait composés. Il se leve pendant la nuit, ouvre son secrétaire, écrit et répere souvent a haute voix ce qu'il venait d'écrire, en s'applaudissant lui-meme et en poussant des éclats de rire, exhortant meme un de ses amis qui était présent d'applaudir avec lui; il ferme ensuite son secrétaire, se remet dans son lit, et prolonge son sommeil jusqu'au moment ou on vient 1' éveiller, ignorant pleinement ce qui s' était passé. Le lende­main, i1 se rappelle avec inquiétude I'incorrection des vers du jour précédent; il visite son manuscrit, et il trouve remplies les !acunes qu'il avait laissées: plein de surprise, et ne sachant si e' était l' effet de son bon o u de son mauvais génie, il demanda a ses amis, qui poussaient des éclats de rire, de lui dévoiler ce mystere: ils ne parvinrent qu'avec peine a lui per­suader que c'était durant son sommeil qu'il avait rempli cette tache difficile 2•

l. !bid., p. 141. 2. !bid., p. 142.

24 Vies secondes

Pinel observe bien, mais explique peu. Que la « manie » et le rravail de création se trouvent paradoxalement réunis dans une seule et meme maladie ne l'intéresse pas. Quand il en víent, apres 1' exposé des cas, a une « description générale » du somnambulisme, i1 se contente de noter :

La plupart [des somnambules] répetent les actions fami­lieres dom ils ont I'habirude; d'autres exercem plus spéciale­ment leurs facultés sur des objers du domaine de l'intelli­

{'ff,~,7ce, tels que la poésie, la musique, les marieres sciemifiques \,.::: font leur occuparion dans 1' état de veille '.

La volonté serait capable de faire se mouvoir les musdes pendant le sommeil : cene contradiction implicite ne luí ins­pire qu'un début d'explication : dans le somnambulisme, 1'imagination est stimulée a un degré plus fort que dans les reves ordinaires; les habitudes peuvent alors reprendre le des­sus. Que le somnambule puisse accomplir certaines actions les yeux fermés ne le préoccupe pas davantage.

En 1821, le Dictionnaire des sciences médica/es se propose, luí, d'expliquer ce phénomene. L'auteur de l'artide s'arrete a des points de terminologie (préférant le terme: so,.mno-vigil),

._¡mis définit le somnambulisme comme « un.jtat Í!J!.t:uné-

udiaire entre la veille et le sommeil, dans lequel la mémoire, t.magination et les sens sont dans une sorte d'exercice impar­

ait o u d' activité partí elle 2 ». L'imagination et la mémoire­U'tot que la perception directe- présentent des objets au

somnambule, lequel agita la maniere d'un pilote qui dirige-rait un bateau en se contentant de lire une carte. Certaines actions peuvent alors sembler mal a propos. Le reve et le som­nambulisme sont tous deux anormaux : puisque «le sommeil est une fonction négative particuliere a la vie de relation », il

l. !bid, 146-147.

2. Dictionnaire des sciences médica/es, 1821, LII, p. 117. Article signé Louyer­Willermay.

Les yeux fermés Sc/x

25

met tous les organes ayant trait a cette «vi e de relation » (les relations avec le monde, par l'intermédiaire des sens) en état d'intermittence. Tout phénomene qui rompt cette intermit­tence - reve ou somnambulisme- enfreint du meme coup les « lois physiologiques » et par conséquent releve de la pathologie.

De ces phénomenes « relevant de la pathologie », nul ne sera plus discuté que celui du somnambulisme « magné­tique », issu du mesmérisme. En 1825, l'Académie de Méde­cine de París s'interroge : convient-il, oui ou non, de se pen­cher a nouveau sur le magnétisme animal? En demandant une nouvelle Commission (la Commission Royale de 1784 ' avait examiné et condamné le mesmérisme), le docteur Bus­son met 1' accent sur les différences entre le mesmérisme d' alors et le « somnambulisme » de maintenant : ni les pro­cédures, ni les effets, ni les théories avancées ne sont les memes 2• L' évolution de ces différences peut se lire dans deux ouvrages du marquis de Puységur. Le premier, Mémoi­res pour servir a l'histoire et a l'établissement du magnétisme animal3 (1786), porte encore la trace de l'influence directe de Mesmer, influence beaucoup plus discrere dans le second, Recherches, expériences et observations physiologiques sur l'homme dans l'état de somnambulisme naturel et dans le som­nambulisme provoqué par l'acte magnétique 4 (1811) . L'ex­pression meme de « magnétisme animal» est remplacée par « somnambulisme ».

Le parallele avec le « fluide » de Mesmer est évident dans l'une des premieres expériences menées par Puységur. Pour déterminer si les sujets « magnétisés » sont influencés par ce qu'il appelle l' « électricité artificielle », illes place sur une dalle

l. Cf. Ellenberger, Hisroire de la découverre de l'inconscienr, op. cit., p. 96-97.

2. Le G/obe, 17 déc. 1825, p. 1029. 3. Armand Marie-Jacques de Chasrener, marquis de Puységur, Londres, 1786.

(Reproduir en fac-similé: Rhadamanrhe, Toulouse, Privar, 1986.) 4. Denru, 1811.

"

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de résine, le «gatea u», et utilise sa machine pour les charger d ' électricité. Ils éprouvent comme a 1' accoutumée une sensa­tion de chaleur dans la tete; il tire d' eux des étincelles et, s'il utili,se.... ne uteille de Leyde pour leur administrer des <~mmotions », ils se plaignent de douleurs et, des lors, ne se avec peine a de nouvelles expériences. Un des sujets, qui a malgré tout accepté d'etre connecté a la machine sans erre isolé, ressent alors le fluide circuler a l'intérieur de lui, sans douleur.

Un autre accessoire est resté célebre: l'arbre magnétisé, sur la place du petit village de Buzancy :

Au centre de la place se dressait un immense et tres bel orme [ ... ]. Les paysans venaiem s'asseoir sur les bancs de pierre emouram l'arbre. Autour du tronc et des ma!tresses branches étaiem fixées des cordes dom les malades enrou­laiem les extrémités aux endroits douloureux de leur corps. Au début de la séance les malades formaient une cha!ne en se tenam par le pouce. lis semaiem alors, plus ou moins imen­sémem, le fluide circuler a travers leurs corps. Au bout d'un certain temps, le ma!tre ordonnait de rompre la chalne et demandait aux malades de se frotter les mains. 11 en choisis­sait alors quelques-uns chez qui il provoquait la « crise par­faite» en les touchant avec sa baguette de fer. Ces sujets, pro­mus au rang de « médecins », faisaiem le diagnostic des maladies des autres et prescrivaiem les traitemems. Pour les « désenchanter », Puységur leur ordonnait d' embrasser l' arbre, ce qui les réveillait aussitot, sans leur laisser aucun souvenir de ce qui s'était passé 1•

Plus tard, Puységur abandonne tous ces instruments (le dernier utilisé étant une rige de verre avec laquelle il « tou­chai t}) les patien ts), et se limite a u toucher et a la paro le. Il affirme qu' aucun appareil n' est nécessaire, et que la dé pour induire le sommeil magnétique est la volonté du magnéti-

l. Ellenberger, op. cit., p. 102.

Les yeux fermés 27

seur 1• Un pas est franchi, de la confiance accordée aux méthodes physiques vers le contact de personne a personne.

Le phénomene le plus souvent associé aux cures de Mes­mer est celui des convulsions (préfiguration, peut-etre, des démonstrations publiques de l'hystérie par Charcot, un siecle plus tard). Ceux qui souffraient de convulsions étaient conduits dans une « chambre de crises », que Puységur, opposé a cet aspect de la pratique de Mesmer, appelle «un enfer a convulsions ». La distinction faite ici, entre crise et convulsion, est la dé de la différence fondamentale dans la démarche des deux hommes. Le mot « crise », en médecine, s' emploie pour un moment de changement décisif, pour le meilleur ou pour le pire, dans l'évolution d'une maladie. Des symptómes plus o u moins intenses 1' accompagnent. Les convulsions sont des mouvements musculaires violents et incontrólés, souvent spasmodiques. Selon Puységur, elles ne devraient appara!tre que pendant que le magnétiseur opere, etre breves, et ne pas se répéter trop souvent. Abandonner des patients convulsifs a leur sort est dangereux :

Je n'entends pas par crise un état convulsifni désordonné: j' entends a u comraire un état de sommeil physique, dont la vue seule peut donner une idée : je redoute autant que personne l'état de convulsions, et crois que le véritable but d'un magné­tiseur doit etre de les faire cesser, quand elles existent 2

Ailleurs, il décrit une « crise » comme «un état calme et tranquille, qui n' offre aux regards sensibles que le tableau du bonheur et du travail paisible de la nature pour rappeler la san té». Ce qui n' exclut pas la souffrance physique, nécessaire pour la guérison et quelquefois douloureuse au possible, mais le corps souffre sans que l'esprit en soit affecté.

L' état de « sommeil physique » qui sera appelé « somnam-

l. Recherches . .. , p. Il, XII et 105. 2. !bid., p. 50.

/'A o ()J\ N'-·"0 1

28 Vies secondes

bulisme magnétique » s' accompagne de phénomenes nou­veaux : les patients plongés daos cet état sont capables d' éta­blir un diagnostic, et meme de prédire 1' évolution de leur propre maladie (c'est la «pressensation»). Le cas suivant est décrit dans une lettre res;ue par Puységur. Il s'agit d'une atraque de «folie», qui présente les memes caractéristiques que les cures « magnétiques » :

Étant alié dí'ner chez M***, il me pria de magnétiser une jeune femme, filie de son cuisinier, qui avair des atraques de folie; il me dir que dernierement elle avair couru la ville, a une heure du matin, un sabre d'une main, et une épée de 1' a u ere; qu' elle étair daos une fureur telle que persono e ne pouvait l'approcher, et que, revenue a elle, il ne lui était resté aucun so u venir de ce qu' elle avait fait. A peine 1' eus-je tou­chée, qu'elle s'endormit paisiblement. Ses premieres paroles furent :fe suis perdue, je n 'ai plus qu 'un an et quelques jours a vivre ... Lui ayant alors demandé la cause de sa maladie, elle die : ce sont quatre gros vers qui me rongent vers le CtEUr. Elle répéta encare qu'elle était perdue. Sans me laisser effrayer de ses alarmes, je la pressai de chercher un remede; aussitót elle s'écria : j'en vois un. Mettez dam un verre, un doigt d'eau, tei­gnez-la avec du vinaigre rouge, jetez-y une pincée de cendre, rem­plissez le vierre [sic} de vin veux [sic}, et foites-moi avaler cela pendant quinze jours: cela Jera mourir les vers [ ... ]. Avanr de la réveiller, je luí ai demandé si elle serait quelque temps encare susceptible d' éprouver les effets du magnétisme : elle m'a répondu qu'elle conserverait toujours la faculté de s'en­dormir, a cause de la délicatesse de ses nerfs 1•

Avoir la « vision » de sa maladie, etre capable a la fois d' en prédire 1' évolution et de se prescrire un remede : ces capad­tés, présentes dans le « somnambulisme magnétique }}' ne le so m pas daos 1' état de veille normal; de plus, ce dernier état comporte toujours l'oubli de ce qui s'est passé durant le som­meil magnétique. Cette << vision }} ou « pressensation » atteint

l. !bid., p. 111-113.

Les yeux fermés 29

parfois un degré surprenant de précision; pour un ceil et une oreille non médicaux - et Puységur n' était pas méde­cin -,le malade semble avoir la capacité de regarder a l'in­térieur de son corps, et de décrire ce qu'il y a« vu }} de maniere détaillée. Certains médecins ont fait remarquer que les des­criptions anatomiques étaient inexactes, pour ne pas dire fan­taisistes, et ont nié que les patients pussent (( voir }} a l'inté­rieur d' eux-memes 1• La question de 1' autoprescription ne semble pas dépendre d'un savoir médica!, mais d'une plus large culture populaire, laquelle a du etre présente, bien qu'oubliée (ou inavouée), a l'état de veille dans l'esprit des patients 2

• Le plus surprenant dans les guérisons magnétiques est peut-etre la prédiction par les patients des moments clés : la aussi, on atteint dans la plupart des cas un degré de préci­sion saisissant. A lire Puységur, les patients sont capables, en état de sommeil magnétique, de puiser daos un réservoir de connaissances sur leur état, réservoir qui, en temps normal, demeure parfaitement inaccessible; une fois le sommeil induit, aucune suggestion n'est faite - la vérité sort de la bouche du patient.

Certains malades, daos l'état de sommeil magnétique, sont également capables d' agir comme médecins pour d' autres malades, de voir leur maladie et d' en prescrire les remedes. Puységur les appelle des « médecins somnambules }}, et ils sont souvent consultés. Leurs « pressensations }>, moins précises que celles qu'ils auraient pour eux-memes, n' en sont pas moins acceptables, sous certaines conditions. Cependant, une fois guéris, leur pouvoir de diagnostiquer et de prescrire cesse : leur don de guérisseur ne provenait que de leur mala­die.

Les phénomenes observés daos les guérisons magnétiques

l. A. Bertrand, Traité du somnambulisme et des différentes modifications qu 'i/ présente, Dentu, 1823, p. 66.

2. Un médecin, Georget, dira: «Mes somo ambules ne se sont jamais ordonné que des remedes qu'elles voyaient journellement employer » (De la physiologie du systmze nerveux, 2 vol., Bailliere, 1821, p. 286).

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illustrent la transformation qui s' opere : les mouvements phy­siques violents cedent la place a certaines formes d'intros­pection, qui ont pour effet de souligner davantage l'impor­tance du langage. Un meme déplacement du physique au psychologique se retrouve dans les idées mises en avant pour expliquer ces phénomenes. Ainsi, en dépit de tout 1' attirail occulte entourant les théories de Mesmer, il ne fait aucun doute qu' en parlant de « magnétisme animal» il postulait l'existence d'une force physique. Il ne faut pas oublier que le magnétisme lui-meme n'était pas totalement compris 1, et ses relations avec 1' électricité ne commenceront a etre élucidées qu'autour de 1820, en France comme ailleurs 2• Le «fluide universel » postulé est cenes subtil, mais il est aussi physique; il peut etre ma!trisé et véhiculé par des moyens physiques. Puységur, tout en acceptant l'existence d'un «fluide», sou­ligne dans ses travaux ultérieurs une distinction capitale : l'agent est physique, mais ce qui le met en mouvement, ce qui lui permet de produire ses effets, c'est la pensée, et plus précisément encore, e' est la volonté humaine :

Si done le magnétisme de l'homme, en produisant de la chaleur, rend les corps soumis a son action et saturés de son influence, susceptibles de manifester des phénomenes sem­blables a ceux de l'aimant, de la chaleur et de l'électricité, ne pourrait-on pasen tirer l'induction que l'aimant, l'électricité, le feu, et l'électro-magnétisme de l'homme, pourraient bien n'etre que des résultats divers provenant d'une meme cause? Mais quelle est cette cause tellement identique avec ses effets, dans les phénomenes de l'aimant, de la chaleur et de l'élec­tricité, qu'on ne peut physiquement l'en distinguer ni l'en

l. «Les phénomenes de l'aimant sont vraisemblablement produits par une mariere subrile, différente de 1' air; nous disons diffirente de /'air, paree que ces phénomenes ont également lieu dans le vuide; mais nous ignorons absolument la maniere dont cene machine agit. » Encyclopédie, art. « magnétisme ».

2. Cf. Le Globe, 24 aoí'it 1826, ~ Nouveaux faits d 'électricité», rapport sur une note de l'Académie des Sciences sur «la déviarion de l'aiguille aimantée causée par l' influence du courant d 'une machine électrique ou par l'électricité des nuages », p. 22.

Les yeux fermés 31

distraire? Ce n'est que dans l'acte magnétique queje puis l'apercevoir : cette cause dans l'homme est sa pensée 1

Puységur n'est nullement un scientifique. Cette transition, de 1' explication physique a 1' explication physiologique o u psychologique, correspond cependant a la maniere dont, aux yeux d'un scientifique, le docteur Husson, le sujeta évolué. En 1825, dans son rapport a l'Académie de Médecine, Hus­son explique que, dans la théorie précédente, on parlait d'un fluide universel, cause des influences mutuelles entre les corps célestes, la terre, les corps vivants; reten u grace a certains pro­cédés a l'intérieur des corps vivants, il pouvait erre considéré comme un remede universel, pour empecher ou guérir toutes les maladies. A. présent, ce fluide n' est plus considéré comme universel :

Presque tous se bornent a attribuer les phénomenes qu'ils observent et les guérisons qu'ils disent obtenir a un fluide par­ticulier, qui existe dans tous les individus, mais qui ne se sécrete et n' en émane que sous l'influence de la volonté de celui qui veut en imprégner, pour ainsi dire, un autre indi­vidu; e' est par cet acte de sa volonté qu'il met ce fluide en mouvement, le dirige, le fixe a son grél.

A.l'appui de cette théorie, qui peut elle aussi nous sembler tirée par les cheveux, Husson cite de récents travaux de phy­siologie qui paraissent rendre vraisemblables non seulement la notion de « circulation nerveuse » mais aussi l'idée qu'une telle circulation produit un champ énergétique identique a celui créé par les objets électrifiés 3•

Qu'il y ait fluide ou non, le somnambulisme souleve des questions d'ordre psychologique : quels sont les liens entre

l. Recherches ... , Avant-propos, p. X-XI. 2. Le Globe, 17 déc. 1825, p. 1029. 3. Cabanis avait déja attiré 1' attention sur les propriétés animales particulieres

a l'électricité nerveuse, irréductibles a celles du fluide électrique ordinaire.

32 Víes secondes

somnambulisme et reve, comment une action « réfléchie » est­elle possible pendant le sommeil, quelle forme de conscience est compatible avec la perte de mémoire? Questions qui tour­nent toutes autour d'un meme phénomene- l'apparente division du « moi » : la part endormie du « moi » apparait par­fois plus créatrice que la part éveillée, ayant acces a une connaissance déniée a u moi éveillé, o u procurant dans 1' état second des apers:us que le moi éveillé peut alors utiliser.

2

PHILOSOPHES ET MÉDECINS

L'aliénation consiste dans la privation abso­lue o u la suspension de libre activité : e' est comme le sommeil.

MAINE DE BIRAN

Familier du Cercle des Idéologues que dirige Cabanis, consulté par Royer-Collard pour la préparation de ses confé­rences, cité par Pierre Janet comme «un important précur­seur», Maine de Biran est l'un des rares philosophes, avec Théodore de Jouffroy, a avoir écrit sur le sommeil avant 1830. Si J ouffroy s'intéresse plus a la persistan ce de la conscience pendant le sommeil, Biran se préoccupe de tous les phénomenes qui la modifient ou la suppriment : les reves, les « effets si surprenants du somnambulisme » et les « divers ,. cas d'aliénation mentale»: «L'alíénatíon e.st cet .état de l'ame J et du corps ou le moi devient étrt!JZger (alienu:r.L~l~i-meme}. )) Une des taches essentielles de la philosophie est, pour lui, de circonscrire clairement les domaines de la physiologie et de la psychologie, et «les phénomenes du sommeil )) ont un róle important a jouer dans le tracé des frontieres entre les deux . ........

T out a u long de sa vi e, Maine de Biran s' est interrogé sur

l. Maine de Biran, « Nouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral _chez l'homme», CEuvres, IX, Vrin, 1990.

J I.J;." ... 1

34 Vies secondes • • ~t_,)

' 1 la nature du « moi ». Le moi ne peut etre appréhendé immé-diatement, comme chez Descartes, par une pure intuition, mais plutot par la conscience d'un effort- la sensation de résistance rencontrée quand un mouvement est fait, que 1' ef­fort soit musculaire ou intellectuel. La conscience de soi n'est pas un processus semblable a 1' observation dans un miro ir o u a une certaine distance, laquelle implique une sorte de « dédoublement » interne (1' observateur et 1' esprit observé), mais un processus analogue au sens du toucher. Le << sens intime » permet en quelque sorte de toucher le moi de l' in­térieur.

Biran reprend sa division des fonctions de l'ame (actives, passives) pour illustrer le contraste entre la veille et le som­meil. Le sommeil est défini par la cessation de la volonté. Or, en 1' absence de la volonté, les processus mentaux sont des impressions « automatiques » re<¡:ues par les sens o u par les organes corporels (les exemples les plus évidents étant les organes sexuels ou l'estomac), qui stimulent l'imagination, laquelle produit alors des images liées aux stimuli variés qu' elle re<¡:oit. C' est un processus purement passif - il se déroule en l'absence du «moi volontaire » et aucun «je» ne peut lui etre rattaché.

Une telle suspension de la volonté, entra!nant a son tour 1' absence du moi, est caractéristique des reves 1 comme du somnambulisme. Elle est également le principal signe dis­tinctif de la folie. Maine de Biran propose une classification des réves parallele a celle des maladies mentales, reprenant trois des quatre grandes classes de 1' aliénation selon Pinel :

- idiotie, démence, manie avec délire 2•

La premiere catégorie est celle des « reves organiques ou

l. Les reves sont attribués a des causes organiques, plus précisément aux sites organiques o u il naissent, et dans lesquels se trouve une concentrarion de « forces sensirives •.

2. • l. Manie ou délire général... II. Mélancolie ou délire exclusif... III. Démence o u abolirion de la pensée . . . IV. Idiorisme, ou oblirération des faculrés intellecruelles et affecrives • (Traité médico-physique sur i'aiiénation mentaie, 2' éd., Brosson, 1809, p. 493-494.

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Philosophes et médecins 35

affectifs ». Des exemples évidents en sont les réves érotiques, o u les réves de nourriture quand on se couche 1' estomac vide, mais Maine de Biran place aussi le cauchemar dans cette caté­gorie. Cette sorte de réve correspond a 1' idiotie, lorsque le moi est endormi et que les « organes sensitifs » seuls sont actifs.

La deuxieme catégorie est celle des « réves intuitifs ou visions». Le mot « intuitif», ici, est pris dans le sens particu­lier a Biran, en référence au fait de voir, ou de croire qu'on voit. Dans ces réves, le cerveau a été directement stimulé au moyen des nerfs correspondant a !'un ou a plusieurs des cinq sens, et le réveur « voit des fantomes de toutes couleurs o u toutes formes», ou bien entend divers sons, ou touche des objets, selon le sens stimulé spontanément, sans qu'il y ait perception réelle. De tels réves se produisent généralement tot le matin, avant 1' éveil, quand les sens externes se sont reposés de la fatigue du jour précédent et se préparent a agir a nouveau. La vue est le sens le plus fréquemment stimulé, car 1' reil se trouve etre le plus pro che du «centre de l'imagi­nation » du cerveau. L' odorat et le gout sont peu sollicités. Dans quelques rares cas, les reves de la deuxieme catégorie se produisent a 1' état éveillé, ce sont alors ((a proprement par­ler des visions ». Biran n'utilise pas encore le mot hallucina-tion, qui prendra de l'importance plus tard. Cette sorte de ? réve s' apparente a la démence, quand le cerveau produit des images incohérentes; la pensée est endor!Uie~ et ne ~ill<:._.' · · <JE~f"é~ -

Dans certains cas encore plus rares, la concentration des forces, au lieu de rester pres des parties du cerveau en rela­tion avec les sens externes, « pénetre plus profondément pour ainsi dire, jusqu'a l'organe meme de !'ame, toutes les sympa­thies actives avec les organes sensitifs et locomobiles se trou­vant suspendues avec la volonté méme, les songes prendront un caractere plus intellectuel et plus profond, et e' est alors [ ... ] que les inventions les plus extraordinaires, les pensées les plus sublimes, les résolutions de problemes les plus difficiles, peuvent se présenter a !'esprit dans un sommeil qui n'est

~

36 Vies secondes

cependant pas complet, puisqu'il en reste quelques traces, mais toujours avec cette spontanéité d'intuition qui exclut ou prévient toute recherche, et qui se concilie avec 1' absence de la volonté o u suspension de tout effort 1 ».

Ces « reves intellectuels » sont rares, et forment a eux seuls une catégorie. Cabanis en avait donné des exemples, dont les propres reves de Franklin et Condillac 2, et Biran se réfere ici a ce texte. Ces « inventions les plus extraordinaires, ces pen­sées les plus sublimes, ces résolutions de problemes IeS'f;'lus difficiles)) s' accompagnent toutes de « spontanéité d'intui­tion » : les facultés d'attention, de perception et de jugement qui caractérisent le moi n'entrent pasen jeu; si ces reves sont remémorés, c'est uniquement paree que !'esprit n'est pas completement endormi.

Ces reves correspondent a la manie avec délire, quand « cette force qui constitue la personne » n' a aucune influence sur l'imagination, ce qui fait que les images possedent leurs propres vivacité, persistance, et profondeur. Le líen entre créativité, reve et folie ne saurait etre plus clairement affirmé. T ous trois résultent de la représentation spontanée, la seule

1 différence entre eux étant la frontiere entre veille et sommeil. La folie (dans cecas précis, la « manie avec délire ») rompt le paradigme, puisqu' en elle coexistent 1' état de veille, 1' absence du moi conscient et la présence d'images qui, en temps nor­mal, n' apparaissent que dans le sommeil.

La quatrieme catégorie de reve est le somnambulisme. Dans ce texte de 1809, Maine de Biran ne traite que du som­nambulisme naturel, mais il est clair, a la maniere dont il en parle, que le sujet a déja suscité de nombreuses discussions. Biran fait tout d'abord quelques remarques sur la crédulité, le charlatanisme, et fustige autant ceux dont les récits ne visent qu'a impressionner que certains somnambules qu'il a

l. Maine de Biran, « Nouvelles considérations sur le sommeil, les songes et le somnambulisme», CEuvres, V, Vrin, 1984, p. 111.

2. << Du sommeil en particulier», par. 5, in Rapports dtt physique et du moral de f'homme, p. 597-598.

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Philosophes et médecins 37

lui-meme observés, et qui apparemment avaient soigneuse­ment répété la scene a l' avance. Cependant il ne met pas en doute 1' existen ce du phénomene, et done le beso in de luí trouver une explication.

L'explication organique du somnambulisme est que, comme dans la deuxieme classe des reves, celle des reves « intuitifs ¡¡, il y a stimulation des centres nerveux les plus proches des sens externes, ce qui peut provoquer, par exemple, une apparence de vision, tandis que le cerveau est en « communicatioh sympathique » avec les organes de la locomotion et du langage. Ce qui est surprenant, toutefois, est que l' action semble réfléchie. Faut-il postuler 1' existen ce de deux « moi » et, puisque les événements de la nuit sont oubliés le matin, faur-il conclure que ces deux « moi >> sont distincts et ne communiquent pas entre eux? Mais, s'il y a volonté et sommeil dans le meme temps, alors la définition thlme du sommeil ne saurait etre conservée. La réponse de Biran a ce dilemme est d' analyser les actions des somnam­bules, et de montrer que leur caractere est essentiellement automatique. En cela, elles ressemblent a un grand nombre de nos habitudes de la vie quotidienne; la conscience de soi et la volonté en sont absentes.

Bien que Maine de Biran soit parvenu a l'expliquer philo­sophiquement en se référant a des phénomenes et a des prín­cipes connus, le somnambulisme reste une anomalie dans son classement. A l' encontre des autres catégories de reves, a u cune forme particuliere d' aliénation ne luí correspond. Dans les trois premieres classes de reves, le paradigme de la \ veille et du sommeil est bouleversé quand les processus du reve se produise.cu..aA.-!état·éveillé, et on peut alors parler de m~ avec le somnambulisme, le parallele ne peut erre fait : le paradigme est déja bouleversé, a l'intérieur meme du phénomene. Pour Biran cependant, aucune explication supplémentaire n' est nécessaire; analysés avec attention, les phénomenes se montrent dépendre des facultés passives de l'a.me, comme dans les reves « intuitifs ». Il modifiera quelque

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38 Vies secondes

peu cette position dans une discussion ultérieure sur le som­nambulisme magnétique.

Maine de Biran s'y est intéressé en lisant I'Histoire critique du magnétisme animal, de Deleuze (18'13). Cet auteur aborde les phénomenes associés au somnambulisme magnétique d'une maniere assez pragmatique; illes limite a cinq : la capa­cité de voir les yeux fermés, de ne plus entendre d 'autre voix que celle du magnétiseur, de percevoir le fluide magnétique, de conna!tre la cause de la mala die présente, d' avoir des pres­sentiments (« pressensations »)de la maladie a venir. Ces phé­nomenes sont peut-etre incompréhensibles, mais ils n' en exis­tent pas moins. Deleuze les décrit de maniere détaillée, et note qu'un trait essentiel se retrouve toujours :

Lorsqu'il rentre dans l' état naturel, il perd absolument le souvenir de toutes les sensations et de toutes les idées qu'il a eues dans l' état de somnambulisme; tellement que ces deux états sont aussi étrangers !'un a l'autre, que si le somnambule et l'homme éveillé étaient deux erres différents 1•

Selon lui, aucun cas n' a été observé o u la mémoire ait été conservée. Ce critere établit done une différence entre le som­meil et le somnambulisme, entre les expériences sensorielles du somnambule et les reves.

Comment expliquer de tels phénomenes? Deleuze pro­pose une explication « qui, si elle n'est pas exacte, n'a pas du moins l'inconvénient d'etre opposée aux lois de la physiolo­gie ». Les impressions sensorielles normales sont transmises au cerveau par l' intermédiaire des organes externes, les yeux par exemple, et les nerfs; cependant :

ans l'état de somnambulisme l'impression est communiquée au cerveau par le fluide magnétique. Ce fluide, d'une extreme ténuité, pénetre tous les corps, lorsqu'il est poussé par une

. Deleuze, Histoire critique du magnétism~ animal, 2' éd., Mame, 1819, p. 1-&6-187.

Philosophes et médecins 39

force suffisante, et il n'a pas besoin de passer par le canal des nerfs, pour parvenir au cerveau. Ainsi le somnambule, au lieu de recevoir la sensation desQ objets visibles par l'action de la lut;nieresur les yeux, la rec;:oit immédiatement par cetle du fluiae magñ'etique, qui agit sur l'organe interne de la vision •. ()o_~ , •

La faculté que semblent avoir les somnambules de « savoir une infinité de choses qu'ils ignorent dans 1' état de veille » a été expliquée par l'instinct, note Deleuze, mais c'est une qua­lité occulte dont il préfere se passer :

Il n' est nullement prouvé que dans l' état de somnambu-) lisme on ait des connaissances qu'on n'avait point dans l'état de veille : on a seulement des sensations infiniment plus déli­cates, un souvenir distinct de tout ce qu'on a su et de tout ce dont on a été affecté, et une grande facilité a faire des com­binaisons; e' en est assez pour produire des résultats tres sin­guliers2.

A l'état de veille, les sensations présentes nous empechent d' avoir acces a ces souvenirs, aux traces laissées par tous les événements de notre vie. Dans le somnambulisme, cet acces est rendu possíbTe. - "'-- ~ ---·--

Si'1\1a'iñe de Biran semble s'accorder avec Deleuze au sujet de la mémoire, il n' accepte pas sa théorie du fluide. Postuler que «le fluide magnétique transporte les impressions direc­tement aux organes internes» ne permet pas de répondre a la question : comment l'áme pourrait-elle etre étrangere a ce qu' elle fait et pense? Maine de Biran reprend les exemples, décrits par Deleuze, de somnambules qui parlent d' eux­memes comme si leur moi éveillé était quelqu'un de tout a fait différent de leur moi somnambule.

Ainsi une certaine Madame N***, ayant perdu toute sa for-

l. !bid, p. 189-190. 2. Jbid., p. 190-191.

40 Víes secondes

tune, décide de faire du théatre, pour lequel elle manifeste un certain talent. Mais, en se préparant a ce projet, elle est tombée malade, et dans l' état somnambulique elle le dénigre :

- Pourquoí done vou1ez-vous entrer au théatre? - Ce n'est pas moí, c'est elle. - Mais pourquoí done ne !'en détournez-vous pas? - Que voulez-vous que je luí díse : e' est une folle '.

T outes deux se connaissent, communiquent entre elles, savent ce que 1' autre pense mais n' en sont pas moins deux per­sonnes séparées. Si nous adoptons 1' argument que la m eme substance ou la meme ame les constitue toutes les deux, conti­nue Biran, alors autant admettre la position de Spinoza selon laquelle il existe une seule substance pensante, dont toutes les

,_ pensées individuelles, séparées, ne sont que des modes ou des ~ attributs. Dans ce type d' exemples, « il y a autant de différence J entre Pierre et Jean et moi, qu'entre le moi éveillé et le moi

somnambule ». Cette séparation de personnes réfute l'hypo-~ese d'un fluide transportant directement les impressions,

mais ne fait que soulever de nouveaux problemes : le moi som­nambule connalt l'autre personne et la juge, comme il juge­rait un étranger, tandis que le moi éveillé n'a aucune connais­sance du moi somnambule, qui luí demeure tour a fait inconnu, ce qui est en opposition totale avec la vie ordinaire.

A part la réfutation de la notion de fluí de et l' attention portée a ce qui sera plus tard appelé (( dédoublement de la personnalité », tour ce qu' avance Biran peut s' appliquer autant au somnambulisme naturel qu'au somnambulisme magnétique. Cependant, Deleuze aborde la question de l'in­fluence du magnétiseur et de sa volonté sur le somnambule, et Maine de Biran s'interroge a son tour sur ce pouvoir inex­pliqué : «Que certains individus soient doués de cette sorte de puissance magique, c'est ce que l'expérience semble

l. !bid, p. 188-189.

Philosophes et médecins 41

annoncer. » Meme en supposant que la plupart des phéno­menes du somnambulisme s' expliquent par « une action interne de !'ame», le probleme reste entier. Comment conce­voir que la volonté d'un individu puisse etre (( magnétisée)) au point que des idées, des désirs puissent lui erre suggérés, ou qu'on puisse luí demander d'exécuter des mouvements? C' est dans son dernier ouvrage philosophique, Nouveaux essais d'anthropologie, rédigé en grande partie en 1823, unan avant sa mort, qu'il évoque cette « sorte de vertu qu' on pour­rait dire magnétique », dans un chapitre sur la« différence du vouloir et du désir ».

La volonté étant le plus souvent incapable d' agir sur la plu­part de nos organes internes, il est absurde d' affirmer qu' elle puisse influencer ceux d' a u tres personnes, comme le croient certains magnétiseurs. Aucun pouvoir ne saurait remplacer celui du moi individue!, agissant et conscient de lui-meme comme cause de ses propres actions. Mais il n' est pas impos­sible qu'un «désir vif et soutenu» puisse produire certains effets organiques sur quelqu'un d'autre. Ces effets ne sont pas forcément directs; le plus souvent ils agissent par l'intermé­diaire de l'imagiP..Mion ~rmEathique : .,.---

La plupart des phénomenes extraordinaires, relatifs a l'in­fluenee magnétique dont on nous parle, me sembleraient pouvoir se rapporter naturellement aux sympathies orga­niques ordinaires, exereées par l'intermédiaire de l'imagina­tion du magnétisé qui, a l'aide de certains signes connus [ou] ineonnus, se mettrait en eommunication sympathique pré­sente avee celle du magnétiseur, par exemple par le désir ou l'íntention fixée sur lui 1•

Est-il besoin d'une autre explication a l'influence des magnétiseurs sur leurs sujets? Ce n'est pas tant une question de volonté que de désir. ..

l. Maine de Biran, CEuvres, XI, III, p. 185-186.

42 Vies secondes

Biran trouve une confirmation de ses vues dans un livre publié alors qu'il vient d' écrire ce chapitre : le Traité du som­nambulisme ( 1823) d' Alexandre Bertrand. Dans cet ouvrage, le fluide est rejeté et la volonté du magnétiseur voit son role tres restreint. Biran ajoute alors une longue note a son texte, approuvant Berrrand, «ce jeune auteur, le plus sage a mon avis de ceux qui ont écrit sur ce sujet encore si obscur 1 ». Ber­trand soutient que, si la volonté du somnambule n'explique pas l'influence qu'il semble avoir sur sa propre « organisa­tion », ce n' est pas une raison pour en rechercher la cause a l'extérieur de lui-meme. Une influence autre que la volonté rend compte de phénomenes comme trembler de peur, avoir des sueurs froides, palir, ou avoir une érection. Ce dernier exemple montre le pouvoir de l'imagination, alors que la volonté reste sans action. L'influence des somnambules sur leur propre nature est du m eme ordre : e' est le résultat direct de l'impression produite sur eux par l'idée qu'ils se font de la puissance de leur magnétiseur.

Biran reprend Bertrand sur une subtile distinction concer­nant la volonté du magnétiseur: c'est la« pensée ou l'imagi­nation du magnétiseur qui se communique et non point la volonté proprement dite» - sinon comment serait-il pos­sible qu'un ordre puisse etre donné, avec la volonté silen­cieuse qu'il ne soit pas obéi, ce qui jette alors le sujet som­nambule dans la confusion, selon un cas rapporté par Bertrand. Ainsi, a la fin d'une séance, Bertrand dit a une femme : « Réveillez-vous », alors qu'en meme temps il a la ferme intention de ne pas la réveiller. La pariente semble troublée, rougit, a quelques mouvements convulsifs, mais ne se réveille pas. Apres l'avoir calmée, ill'interroge sur la cause de ses convulsions : « Comment, me répondit-elle, vous me dites de m 'éveiller, et vous ne voulez pas queje m 'éveille 2 ! »

Biran condut : «Ce ne peut etre la volonté meme qui est

l. !bid, p. 188-189. 2. Bemand, Traité du somnambulisme ... , p. 247.

Philosophes et médecins 43

sentie, mais bien 1' objet de la pensée o u du désir du magné­tiseur, quise représente sympathiquement a l'imagination du magnétisé, et c'est par l'influence de cette imagination que s'effectuent tous les phénomenes subséquents, indépendam­ment de la volonté du magnétisé comme du magnétiseur 1• »

Ce sera la derniere dédaration de Biran sur un probleme qui 1' a préoccupé pendant de nombreuses années. Il s' est tou­jours opposé, de maniere inébranlable, a toutes les explica­tions du reve ou du somnambulisme qui auraient impliqué des éléments irrationnels ou merveilleux. Meme s'il a joué un court moment avec l'idée de deux « moi », le reve comme le somnambulisme, naturel et magnétique, appartiennent au domaine de la passivité. L'imagination fonctionne parfois de maniere automatique, sans le consentement volontaire du moi, mais si le moi conscient est absent dans d' a u tres cas que le sommeil, laissant alors les fonctions passives prendre le des­sus, le résultat est 1' aliénation.

!. Biran, <Euvres, XI, III, p. 189 n.

54 Vies secondes

posent éminemment », il se produit dans des circonstances particulieres, par exemple lorsque l'intensité de l'« exaltation moral e» est excessive ; et enfin cet état « n' a point cessé de se manifester apres les siecles d'ignorance, [ ... ] il s'est prolongé dans tout le cours du dix-huitieme siecle, et [ ... ] il ne cesse de se reproduire journellement sous nos yeux, méconnu par ceux qui 1' observent et ignoré de nos savants, toujours iden­tique quant a sa nature quoique modifié dans sa forme 1 ».

Dans un sens, les points de vue de Bertrand ont été vite périmés. S a tentative de faire de 1' extase une catégoríe embrassant et unifiant un certain nombre de phénomenes différents n'a pas abouti, et lorsque le cas de Jeanne d'Arc sera a nouveau discuté par des médecíns, ce sera dans le contexte plus précis de l'hallucination. A d' a u tres égards cependant, il peut etre considéré comme prophétique. T out d'abord, en insistant sur l'importance de l'étude historique, aussi bien pour la médecine que pour l'histoire, il est un pré­curseur de ce qui sera plus tard appelé « médecine rétrospec­tive». Ensuite, en suggérant que l'étude de l'homme doit entrainer 1' étude des anomalies du fonctionnement mental, il annonce l'intéret passionné du dix-neuvieme siecle pour les états anormaux de la conscience. Enfin, quelques-unes de ses remarques précises, comme la tendance des « extatiques » a situer les visions et les voix a l'extérieur d'eux-memes, et l' analogie de ce processus avec le reve ordinaire, préfigurent les investigations ultérieures du « dédoublement de la conscience ». Et bien qu'une influence précise soit impossible a prouver, son insistan ce a étudier et a rwmmer 1' (( extase »,

dans les pages d'une revue lue par bien des écrivains et des intellectuels, aide peut-etre a comprendre l'ímportance prise par ce mot chez un romancier comme Balzac.

l. !bid.

4

LES « PH~NOMENES DU SOMMEIL »

Nodier et Balzac

Comment les hommes ont-ils si peu réflé­chi jusqu'alors aux accidents du sommeil qui accusent en l'homme une double vie? N' y aurait-il pas une nouvelle science dans ce phé­nomene?

BALZAC

Louis Lambert

En 1831, Nodier publie l'article «De quelques phéno­menes du sommeil 1 » et 1' année suivante, dans Louis Lam­bert, Balzac reprend cette expression au sujet d'un reve pré­monitoíre. Les phénomenes du sommeil et les états seconds occupent une place importante dans 1' reuvre de ces deux écrivains.

«De quelques phénomenes du sommeil » est a premiere vue un compasé bizarre, melant la réflexion philosophique et médicale au conte fantastique. Nodier n'hésite pas a se contredire : il nie tout d' abord posséder la moindre connais­sance médicale, physiologique ou philosophique 2, prétend

l. Revue de París, 23 février 1831, p. 31-46. 2. « Je ne suis ni médecin, ni physiologiste, ni philosophe; et tour ce que je

sais de ces hautes sciences peut se réduire a quelques impressions communes,. (•De quelques phénomenes ... •, p. 31). Selon R. Pearson, l'intéret de Nodier pour le sommeil et les reves vient de son gout pour la littérature sur les vampires; Nodier parle du vampirisme comme d'• une combinaison assez naturelle, mais heureusement tres rare du somnambulisme et du cochemar• (•Themes and

56 Vies secondes

n' avoir « jamais lu un livre de médecine moderne », mais parle un peu plus loin, a double reprise, de sa propre observation de monomaniaques. L'utilisation meme de ce mot, récem­ment proposé par Esquirol 1

, suggere une certaine connais­sance de la médecine contemporaine. Mais, désirant propo­ser sa propre explication de la monomanie, Nodier a de bonnes raisons de vouloir se démarquer de la médecine offi­cielle :

La plupart des monomanies [ ... ] ne sont probablement que la perception prolongée d'une sensation acquise dans cette vie fantastique dont se compose la moitié de la neme, la vie de l'homme ~-nd9r.rp.i. [ ... ] Si le monomane rentrait, en s'elliiormant, dans les réalités de sa vie matérielle, il serait, relativement a l'exercice de sa pensée, aussi raisonnable que le médecin qui le soigne, si celui-ci reve toutes les nuits 2•

Idée confirmée un peu plus loin : «]e n'ai jamais vu de monomane éveillé subitement dont la premiere impression ne fut parfaitement lucide. » Reve et folie sont liés, non seu­lement par une vague similitude, mais par un renversement précis du paradigme : le monomane reve a 1' état éveillé mais, en dormí, vit une vie ordinaire. Le reve et la raison sont néces­saires en proportions égales, les plateaux de la balance doi­vent etre équilibrés, aussi bien chez le saín d'esprit que chez le fou. Ce qui permet a Nodier d'attribuer au sommeil une valeur exceptionnelle :

(

I1 peut para!tre extraordinaire, mais il est certain, que le sommeil est non seulement l'état le plus puissant, mais encore le plus lucide de la pensée, sinon dans les illusions passageres

l

Techniques in the Narrative Works ofCharles Nodier», D. Phi!., Oxford, 1976, p. 157).

l. Cf. P. Guiraud, Psychiatrie générale, Le Fran.¡:ois, 1950, p. 19 et J. Gold­stein, Como/e and Classif¡: The French Psychiatric Proftssion in the Nineteenth Cen­tury, Cambridge University Press, 1987, p. 152-196.

2. "De quelques phénomenes ... »,p. 37-38.

Les «phénomenes du sommeil» 57

dont il l'enveloppe, du moins dans les perceptions qui en dérivent et qu'il fait jaillir a son gré de la trame confuse des songes 1

• - -

Le propos de Nodier est loin d'etre transparent. Le terme « lucide » a longtemps désigné les somnambules ayant des intuitions particulieres. Ces intuitions sont-elles identiques aux « perceptions » jaillies du sommeil? Le contexte ne se prete guere a cette interprétation. Ce qui est clair, en revanche, est la contradiction avec le troisieme point de notre paradigme, a savoir 1' absence de valeur intellectuelle attribuée au sommeil. Ce dernier, au contraire, est source de concep­tions artistiques - Hésiode, Homere et Milton- ainsi que de mythes et de religions :

La carte de l'univers imaginable n'est tracée que dans les -. j songes. L'univers sensible est infiniment petit 2• __ 1

~ - ----Nodier est le premier écrivain fran<;ais a preter corps a ces

idées dans une ceuvre littéraire; il donne un caractere onirique a des fictions comme Smarra ou Les Démom de la nuit (1821) ou La Fée aux miettes 3 (1832). Dans Smarra, Apulée, l'auteur de L'Ane d'or, est rendu responsable des cauchemars du nar­rateur. Le lecteur est sans cesse dérouté par une structure faus­sement ordonnée : un reve se glisse a l'intérieur d'un autre reve, la causalité narrative traditionnelle s' esto m pe o u dispa­rait, l'identité du narrateur change, de «Lorenzo)) deviene « Lucius ». Polémon, d' abord mentionné comme mort, réap­parait dans l'Épisode; les fantómes issus de son imagination sont vus par un autre que lui: le lecteur hésite constamment entre le statut « réel )) ou onirique de ce personnage. Seules lesJ scenes du début et de la fin, représentant une «vi e éveillée )) fictive, constituent un point de référence sur.

l. !bid., p. 31. 2. !bid., p. 32. 3. La Fée aux miettes, S marra, T rilby, P. Berthier éd., Folio, Gallimard, 1982.

58 Vies secondes

Dans La Fée aux miettes, construir sur un modele sem­blable (scenes au début et a lafm n'ayant~as le caractere oniriqu~ du r~cit c~n~ral), 1, dénoueme9e sera pas un retour a la v1e éve1llee. Le rom·an commence, avec des accents qui évoquent S terne, par 1' éloge de l'imagination et de la fantaisie, éloge qui conduit le narrateur, emporté par le jeu des associations d'idées, a décider de se rendre a Glasgow pour visiter la maison des lunatiques. La, il ren­contre un certain Michel, qui commence le récit de sa vie. Son histoire tour d'abord semble réelle puis, par paliers presque imperceptibles, glisse dans le reve et la folie. La difficulté que 1' on éprouve a résumer le récit de Michel res­semble de fort pres a celle qui surgir quand on veut racon­ter un reve.

Michel vivait a Granville lorsqu'il a rencontré la « Fée aux miettes ». La Fée aux miettes ese une vieille mendiante qui couche sous le porche de 1' église, et prétend etre Belkiss, reine de Saba. Michellui fera la promesse inconsidérée de 1' épou­ser, et de naufrages en sauvetages, de hasards en coups de théatre, il deviendra le mari diurne de la vieille Fée aux miettes, et l'amant nocturne (en songe seulement) de Belkiss. La Fée aux miettes lui révele qu' elle est condamnée a mou­rir avant une année, a moins qu'il ne luí rapporre une man­dragore qui chante, ce qui non seulement la sauvera mais luí permettra de redevenir complecement Belkiss.

Dans ce résumé, d'innombrables détails, done une étude plus poussée ne laisserait pas de montrer la signification, ont été sacrifiés, la plupart d'entre eux relevant d'associations qui font fi de toute logique. Par exemple, le texte contient un réseau d' associations relatives aux noms propres et le batea u avec lequel Michel fait naufrage s'appelle La reine de Saba. Comme pour un reve, n'importe quel élément du texte peut servir de point de départ a l'interprétation.

Dans la conclusion, le premier narrateur réappara1t et ren­contre un homme habillé de no ir, a l' expression solennelle, qui cherche a le retenir. Cet homme entame un long discours

Les « phénomenes du sommeil » 59

pompeux sur l'histoire et la botanique des mandragores, la nature de la monomanie de Michel et le traitement qui pour­rait convenir (a commencer par lui mettre de 1' ea u glacée sur la tete et l'estomac). Le narrateur se libere, demande au concierge pourquoi cet homme des plus dangereux n'est pas surveillé plus strictement. La réponse, on s' en doute, est que ce personnage illustre est un-médecin distingué.

Nodier est peut-etre ici un précurseur lointain de 1'« anti­psychiatrie». Mais la conclusion est plus qu'un commentaire sur les aliénistes de 1' époque, leurs diagnostics et leurs traite­menes. La Fée aux miettes a commencé par 1' exaspération du narrateur, lanc;ant a travers sa chambre un exemplaire de Tite-Live (trap « positif» et sans imagination), et posant la question: ne trouve-t-on pas autant de vérité dans les Contes de Perrault o u Les Mille et Une Nuits, que dans les livres d'his­toire? T out a la fin du livre, le m eme narrateur, ven u se repo­ser a Venise, rencontre un « personnage sérieux et concentré » qui se révele erre un membre de l'Académie des lunatici de Sienne. Leur savante discussion est interrompue par les cris d'un colporteur de livres, qui vante «les superbes aventures de La Fée aux miettes, et comment Michel le charpentier a été enlevé de sa prison par la princesse Mandragore; com­ment il a épousé la reine de Saba et comment il est devenu empereur des sept planeres ». Le narrateur se précipite pour acheter ce livre (dont il serait l'auteur ?), quittant l'Académi­cien réprobateur. Ce livre lui sera quelque temps plus tard volé par une bande de Zingari, pendant qu'il dormait comme un enfant, plongé dans un doux reve au fond de sa caleche, sur les bords du lac de Come. Au-dela de 1' autodérision, la fiction incarne ici certaines des idées de l'article «De quelques phénomenes du sommeil » : les << mono manes» ne doivent pas etre traités avec condescendance mais, surtout, le reve et la folie ne sont pas de simples résidus qui ne méritent guere qu' on leur prete attention, ils sont la matiere m eme dont la littérature peut naitre.

Balzac a presque certainement lu les articles de Nodier

60 llies secondes

dans La Revue de París 1, et parlera a son tour des « phéno­menes du sommeil» dans Louís Lambert (1832-1835). Dans ce roman- récit, par la voix de son seul ami, des jours mal­heureux vécus par un « génie » précoce dans un coW:ge de province -,un reve prémonitoire sert d'élément décisif dans la << destinée scientifique » de Louis Lambert. Apres avoir passé une partí e de leur soirée a parler de 1' excursion prévue le jour suivant au chateau de Rochambeau, les deux amis arri­vent sur une colline d' o u ils peuvent contempler le cha.teau. Louis Lambert s'exclame: <<Mais j'ai vu cela cetre nuit en reve! » Il <<consulte ses souvenirs », s' assure qu'il n' est jamais venu a Rochambeau pendant son enfance.

Cet événement, dont 1' analogue peut se retro u ver dans les phénomenes du sommeil de beaucoup d'hommes, fera com­prendre les premiers talents de Lambert; en effet, il sut en déduire tour un systeme, en s'emparant, comme fit Cuvier dans un autre ordre de choses, d'un fragment de pensée pour reconstruire toute une création 2•

Dans la conversation, ou plutót dans le monologue qui suit, Louis Lambert considere toutes les implications de cet événement. Une des hypotheses est la possibilité d'une sépa­ration complete entre l' « etre intérieur » et le corps : « Or, si mon esprit et mon corps ont pu se quitter pendant le som­meil, pourquoi ne les ferais-je pas également divorcer pen­dant la veille? >> Le reve prémonitoire sera la dé de volite du systeme élaboré par Larnbert dans son Traíté de la volonté. Louis Lambert, génie comparé par son ami a Pascal, Lavoi­sier et Laplace, perdra la raison et manifestera des signes de folie liés a d'autres (( phénomenes du sommeil».

Quelques années plus tard, le narrateur apprendra, par }

l. L'anicle de Nodier • Du fantascique en lirtérature ~ préd:de immédiatement Sarrasine (Rroue de Paris, 20, 1830).

2. La Comédie humaine, VII, Louis Lambert, P. Cirron éd., 7 vol., L'Intégrale, Le Seuil, 1966, p. 298.

Les «phénomenes du sommeil>> 61

l'oncle de Lambert, que son ancien ami « est devenu fou >>.

Un des premiers signes alarmants a été un acces de cacalep­sie 1, pendant lequel Lambert est <<resté pendant cinquante­neuf heures immobile, les yeux fixes ». Il s'étonne : << S'il y avait quelque eh ose d' extraordinaire, e' est que Louis n' eut pas déja eu plusieurs acces de cette maladie, a laquelle le prédis­posaient son habitude de 1' extase et la nature de ses idées. >>

Il se souvient comment Larnbert et lui, a la lecture d'un ouvrage médica!, s' étaient émerveillés devant <<ce phénomene humain dans lequel Lambert voyait la séparation fortuite de nos deux natures, et les symptómes d'une absence complete de 1' etre intérieur usant de ses facultés inconnues sous 1' em­pire d'une cause inobservée. Cette maladie, ab1me tout aussi profond que le sommeil, se ratrachait au systeme de preuves que Larnbert avait données dans son Traité de la volonté». Lambert avait également suggéré qu'une méditation pro­fonde, une extase pouvaient etre les prémices de la catalep­sie, et les deux amis s' étaient efforcés en vain de provoquer une crise : « Mais, malgré ces folles tentatives, nous n' eumes aucun acces de catalepsie. >> Au souvenir de ces épisodes pas­sés, le narrateur reste sceptique quant a la folie de son ami; ses doutes se dissipent quand 1' oncle explique comment son neveu est tombé « dans une terreur profonde, dans une mélancolie que rien ne put dissiper. Il se crut impuissant >>.

L'oncle le surprend a temps, au moment ou il allait se cas­trer, et 1' emmene consulter Esquirol, a Paris, o u les médecins le déclarent incurable. Il existe done une similitude entre le « phénomene du sommeil >> qui décide de la destinée scienti­fique de Lambert, et celui qui la clót. Dans les deux cas, 1'« etre intérieur >> est supposé séparé du corps.

La tentative de castration, toutefois, attire brutalement 1' attention sur un autre facteur essentiel, aussi bien dans la folie de Larnbert que dans la vision qu'a Balzac de la créa-

l. Le G/Qbe fait mention d'un cas de catalepsie partielle ayant duré dix-huit mois, et commente: •La caralepsie est la plus éronnante des maladies dont !'es­pece humaine puisse etre affiigée» (I, 1825, p. 238-239).

62 Vies secondes

tion 1• Dans d'autres textes de cette période, notamment Le Chefd'ceuvre ínconnu, et La Peau de chagrín, la sexualité est so urce de métaphores pour le travail créateur : 1' art o u 1' étude sont des « ma!tresses ». Ce travail créateur tient lieu et place d'une sexualité réeilement vécue (Max Jacob n'attribue-t-il pasa Balzac le propos: «Une nuit d'amour, c'est un livre de moins 2 » ?). Le dilemme qui en résulte conduit a la folie ou a la mort de 1' artiste 3, et a la destruction, o u a la fragmenta­tion, de son reuvre.

Dans Louís Lambert, les lettres de Louis a son oncle au sujet de ses études sont juxtaposées a ses lettres d' amour a Pauline de Villenoix; la transition du travail inteilectuel a la « passion » est soulignée par le narrateur, qui s'interroge sur la catalepsie : « L' exaltation a laqueile dut le faire arriver 1' attente du plus grand plaisir physique, encore agrandie chez luí par la chasteté du corps et par la puissance de I'ame, avait bien pu détermi­ner cette crise dont les résultats ne sont pas plus connus que la cause 4

• » De plus, les mots de I'oncle, «la veille de son mariage i1 est devenu fou », indiquent clairement que, chro­nologiquement, la folie prend la place de la satisfaction sexuelle. Si on revient sur la tentative de castration, appelée « 1' opération a laqueile Origen e crut devoir son talent », un tel acte peut alors etre compris comme une tentative de préserver

1. Dans Mtdecine et psychiatrie balzaciennes: La Science dans le roman (Corti, 1971, p. 102-110), J. Borel soutient que Balzac a décrit la schizophrénie avant qu'elle ne devienne une entité clinique identifiable. Reconnaissant, semble-t-il, une relation entre la schizophrénie et I'amour («chagrins d'amour »), il émet I'hy­pothese, concernant la tentative de castration de Louis Lambert, que le schizo­phrene est indifférent au désir sexuel (p. 106), point de vue qui ne tient compre ni de la structure narrarive ni des liens précisés par le narrareur.

2. Max Jacob, Conseils a un jeune poete, Gallimard, 1945, rééd. 1994, p. 41. 3. Le mot artiste désigne a l'époque n'importe quelle forme d'activité créative.

Balzac dit de Napoléon, Gutemberg, entre autres : « tous étaient artistes, car ils créaient» («Des artistes», CEuvres diverses, 3 vol., Conard, 1956, I, p. 135-144). Cf. G. Mataré, «Les notions d'art et d'artiste a l'époque romantique», Revue des scienm humaines, avril-sept. 1951, p. 120-136, et mon «La Revue L'Artiste et la "fraternicé des arts" », Gazette des beaux-arts (mars 1965), p. 169-180.

4. Louis Lambert, p. 319. tgalement: « Enfin, peut-etre a-t-il vu dans les plai­sirs de son mariage un obstacle a la perfection de ses sens intérieurs et a son vol a travers les Mondes Spirituels >> (ibid.).

Les « phénomenes du sommeíl » 63

sa créativité face aux menaces orageuses de la sexualité vécue. Dans La Peau de chagrín, aussi longtemps que Raphael, dans sa mansarde, travaille a son magnum opus, i1 est un « chaste étudiant»; une fois attaché a une femme, fO.t-eile « sans creur», sa créativité se dissipe, et quand i1 essaie de retourner a ses études il est assailli par des fantasmes voluptueux, a I'instar des peres du désert dans leurs retraites solitaires. Une image élo­quente illustre la léthargie et la destruction résultant de cette dissipation sexueile: «Au milieu de la cheminée [nous sommes dans l'appartement de Rastignac], s'élevait une pendule sur­montée d'une V énus accroupie sur sa tortue, et qui tenait entre ses bras un cigare a demi consumé 1• » Cette image évoque a la fois la sexualité (Vénus, le cigare), l'écoulement du temps (la pendule, la tortue), et la lente destruction (a demi consumé). Elle préfigure la derniere scene du livre, quand Raphael, qui a essayé de vivre sans aucun désir, pour préserver sa vie qui dimi­nue avec la peau de chagrín a chacun de ses souhaits, rec;oit la visite de Pauline. Et e' est le désir qu'il éprouve pour elle, pré­senté dans un langage violemment sexuel, qui finit par le tuer : « I1 mordit Pauline au sein. Jonathas [le vieux serviteur] tenta d' arracher a la jeune filie le cadavre sur lequel eile s' était accroupie dans un coin. » Dans ces deux romans, la présence du désir pour une femme réeile, et non simplement imaginée, prélude a la folie et a la mort.

Dans Le Chefd'ceuvre ínconnu, le parallele entre la sexua­lité et 1' art apparait des les premieres lignes : un « jeune homme » (Nicolas Poussin) hésite a franchir le seuil de maitre Porbus, « avec l'irrésolution d'un amant qui n'ose se présen­ter devant sa premiere maitresse, quelque facile qu'eile soit». Le jeune peintre se retrouve bientot en compagnie de Porbus et du vieux maitre Frenhofer. La comparaison est reprise au sujet de Frenhofer et de sa propension a confondre la femme réeile et la femme créée sur la toile :

l. La Comédie humaine, VII, La Peau de chagrín, p. 483.

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Comment! ... montrer ma créature, mon épouse? déchirer le voile sous lequel j'ai chastement couvert mon bonheur? Mais ce serait une horrible prostitution! Voila dix ans que je vis avec cette femme, elle esta moi, a moi seul, elle m'aime •.

A la fin de son long monologue sur les mysteres de 1' art et de l'amour, Frenhofer semble «etre redevenu jeune », et Por­bus s' étonne de la« violence passionnée » du vieillard: « Était­il raisonnable ou fou? Se trouvait-il sub jugué par une fantaisie d' artiste, o u les idées qu'il avait exprimées procé­daient-elles de ce fanatisme inexprimable produit en nous par le long enfantement d'une grande ceuvre? » (je souligne). L'hypothese de la folie gagne en force. Frenhofer est montré dans un état qui ressemble a 1' extase : <<Le vieillard tomba dans une reverie profonde, et resta les yeux fixes en jouant machinalement avec son couteau. "Le voila en conversation avec son esprit'», mais c'est un peu plus loin seulement que le mot apparait, lorsque le vieillard ouvre enfin la porte de son atelier pour faire admirer son «chef-d'ceuvre». Extase tout d' abord incompréhensible et suspecte, puisque les deux témoins ne voient «ríen» : « "Apercevez-vous quelque chose? demanda Poussin a Porbus. - Non, et vous? - Rien." Les deux peintres laisserent le vieillard a son extase. »Un peu plus loin, les deux peintres se tournent vers Frenhofer, «en com­mens;ant a s'expliquer, mais vaguement, l'extase dans laquelle il vivait >>. Le vieux maitre semble un instant gagné par la désillusion : « J e suis done un imbécil e, un fou! » mais il réaf­firme vi te la réalité de sa vision : « Moi, je la vois! cria-t-il, elle est merveilleusement belle. »

Un des moments les plus énigmatiques du texte est la pre­miere apparition de Gillette dans l'atelier de Frenhofer. Pous­sin, voyant alors « 1' ceil rajeuni du vieillard, qui, par une habi­tude de peintre, déshabilla pour ainsi dire cette jeune fille en en devinant les formes les plus secretes», est gagné par «la

l. La Comédie humaine, VII, Le Chefd'teuvre inconnu, p. 584.

Les «phénomenes du sommeil» 65

féroce jalousie du véritable amour ». Il voudrait la soustraíre a ce regard, mais le vieux peintre a raison de luí : «Oh, lais­sez-la-moí pendant un moment [ ... ] et vous la comparerez a ma Catherine. » 11 semble « jouir par avance du triomphe que la beauté de sa vierge allait remporter sur celle d'une vraíe jeune filie». Frenhofer et Gillette s' enferment seuls dans 1' ate­lier, et la jalousie de Poussin atteint son paroxysme, lorsque enfin le vieillard, « rayonnant de bonheur », leur ouvre la porte, pret a leur dévoiler son chef-d'ceuvre : « Entrez, entrez ... Mon ceuvre est parfaíte, et maintenant je puís la montrer avec orgueil. »A ce moment capital du récit, Gillette semble avoir mystérieusement dísparu (elle ne réapparaitra que tout a la fin, en pleurs, « oubliée dans un coin ») alors que Frenhofer, luí, est montré les cheveux en désordre, le visage enflammé par «une excitation surnaturelle », les yeux pétillant, haletant « comme un jeune homme ivre d' amour ».

Les connotations sexuelles abondent dans ses paroles comme dans celles de Porbus : « 1' accouplement du jour et des objets », « combien de jouissances sur ce morceau de toile ». Ce qui reste énígmatique dans ce texte est non seulement le tableau de Frenhofer, mais aussi ce qui s'est passé entre le vieux peintre et Gillette. Quelle que soit la maniere dont nous le comprenons- viol symbolique? (Gillette dit a Pous­sin qu'elle « serait infame de l'aimer encore ») -, l'important est que le point culminant correspond au moment ou le tableau est « achevé », terminé et détruit en un seul mouve­ment, et o u 1' artiste devient fou, en 1' occurrence su jet a l'illu­sion et au délire de persécution. Entre la vierge peinte et Gil­lette, l'apparition du désir sexuel pour une femme réelle signe 1' arret de mort de 1' artiste comme de sa création.

La fascination qu' éprouvait Balzac pour les phénomenes occultes ou mystiques ne s'est pas limitée au somnambulisme naturel (Maitre Cornélius) et aux phénomenes comme 1' ex­tase o u la catalepsie. Apres 1820, il s' est intéressé au som­nambulisme artificiel et, un peu plus tard, sa correspondance

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nous le montre consulter des somnambules prétendument « lucides », et meme temer des expériences avec eux 1• Dans des reuvres tardives, notamment Le Cousin Pons et Ursule Mirouet, il mentionne l'histoire de Mesmer, le magnétisme animal, et la transition, que nous avons décrite, du mesmé­risme au somnambulisme artificiel (sans utiliser cet adjectif). Si, dans Maitre Cornélius, il ne s'agit que d'allusions, dans les deux romans, ce sont deux longs passages : un« Traité sur les sciences occultes » et un « Précis de magnétisme ».

Dans Ursule Mirouet, ce « Précis » prépare 1' épisode dans lequelle docteur Bouvard essaie de convaincre 1' antimesmé­rien Minoret de la réalité du magnétisme. Une rencontre est organisée avec un Swedenborgien et sa « somnambule ». Celle-ci donne a Minoret de troublants détails concernant sa filleule, luí décrit ce qu' elle est en train de faire et de dire a Nemours en ce moment meme. Minoret meta l'épreuve la somnambule, luí impose des « expériences décisives », vérifie chacun de ses dires. Ses convictions matérialistes sont ébran­lées, et cet épisode sera a !'origine de sa conversion (ou plu­tót, pour citer le titre du chapitre suivant, de sa « double conversion »).Le saut est grand, de l'acquiescement aux phé­nomenes du magnétisme, a 1' adhésion sans réserve a la croyance et aux pratiques catholiques, mais ce saut n' est pas présenté comme l'reuvre d'un seul jour. En un premier temps, les croyances matérialistes de Minoret, basées sur Locke et Condillac, sont remises en question. Dans le com­bat qui s' ensuit, Minoret ne veut pas capituler trop rapide­ment, mais il se met a lire Pascal, Bonald et Bossuet, et a interroger le pretre local, son ami, au su jet des « apparitions ». La dévotion de la jeune Ursule, en particulier sa résolution a continuer de prier pour lui apres sa mort, aura raison de ses derniers domes.

Le« Précis » prépare également le dernier épisode, «Appa-

l. Cf. M. Ambriere-Fargeaud, dntroducrion • (a Ursule Mirouet), La Coml­die humaine, III, Bibliorheque de la Pléiade, Gallimard, 1976, p. 735-768.

Les « phénomenes du sommeil » 67

ritions ». Apres la mort de Minoret, et suite a des persécu­tions anonymes dont les raisons lui demeurent obscures, Ursule reve, a plusieurs reprises, de son parrain mort. Cene sont pas des reves ordinaires. Le mort lui révele, avec force détails, comment son testament a été volé et détruit au moment de son déces. Ursule se confie au pretre, et ces reves seront l'un des moyens qui permettront la confrontation du coupable a son crime et sa conversion morale. Le « Précis de magnétisme » est lo in, on le voit, d' etre une simple digres­sion. Qu'en est-il de son contenu? Le magnétisme a été «la science favorite de J ésus, et 1' une des puissances divines remises aux apótres » et pourtant il est rejeté aussi bien par l'Encyclopédie que par le clergé, qui ne veulent pas reconnaitre l'existence de «fluides intangibles, invisibles et impondé­rables » - aux yeux du dix-huitieme siecle, ces adjectifs ne pouvaient s'appliquer qu'a la notion de vide. Les phéno­menes du somnambulisme, dévoilés par Deleuze et Puysé­gur - plus intéressés par les faits que par les systemes -divisent également «le corps respectable des médecins de París». Le narrateur se place clairement du cóté de« la science des fluides impondérables », le « seul no m qui convienne au magnétisme si étroitement lié par la nature de ses phéno­menes a la lumiere et a 1' électricité ». Cette déclaration aurait pu se trouver sous la plume d'un écrivain scientifique du Globe. C' est un peu plus lo in que le caractere tres balzacien du passage appara!t :

La phrénologie et la physiognomonie, la science de Gall et celle de Lavater, qui sont jumelles [ ... ] démontraient aux yeux de plus d 'un des physiologistes les traces du fluide insai­sissable, base des phénomenes de la volonté humaine, et d 'ou résultent les passions, les habitudes, les formes du visage et celles du crane. Enfin, les faits magnétiques, les miracles du somnambulisme, ceux de la divination et de 1' extase, qui per­mettent de pénétrer dans le monde spirituel, s'accumulaient. L'histoire étrange des apparitions du fermier Martin, si bien constatées, et 1' entrevue de ce paysan avec Louis XVIII; la

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connaissance des relations de Swedenborg avec les morts, si sérieusement établie en Allemagne; les récits de Walter Scott sur les effets de la seconde vue; l'exercice des prodigieuses facultés de quelques diseurs de bonne aventure qui confondent en une seule science la chiromancie, la cartomancie et l'ho­roscopie; les faits de catalepsie et ceux de la mise en ceuvre des propriétés du diaphragme par certaines affections mor­bides; ces phénomenes a u moins curieux, tous émanés de la méme source, sapaient bien des doutes, emmenaient les plus indifférents sur le terrain des expériences 1•

Ici, Balzac se démarque clairement de son personnage, le docteur Minoret, qui « était devenu trop vieux pour rattacher ces phénomenes a un systeme, pour les comparer a ceux du sommeil, de la vision, de la lumiere». Une fois convertí, il accepte « Dieu pour éditeur responsable des choses inexpli­cables», et n' éprouve plus le beso in de poursuivre leur étude. Ces « choses inexplicables», aussi variées que les traits du visage, la divination, certains caracteres pathologiques, et les apparitions, émanent toutes «de la meme so urce» : le fluide insaisissable.

Que les « apparitions », elles aussi, émanent du fluide est significatif. Le terme, bien sur, a déja une histoire; dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire donne quelques exemples historiques et religieux et propose une définition approximative : «Ce n'est point du tout rare qu'une per­sonne, vivement émue, voie ce qui n'est point [ .. . ] Ce n'est point imaginer voir, e' est voir en effet. Le fantóme existe pour celui qui en a la perception 2• » Le mot « hallucination » s' est imposé pour désigner ce qui, en fait, représente le meme phé­nomene. En choisissant daos Ursule Mirouer- coman écrit en 1840-1841 mais dont 1' action se déroule entre 1829 et 183 7 -, le mot « apparition », Balzac veut utiliser un terme qui n'ait pas de connotation médicale (pour mettre l'accent,

l. Ursule Mirouet, p. 480. 2. Dictionnaire philosophique, art. « Apparirions ».

Les « phénomenes du sommeil » 69

peut-étre, sur le fait que le docteur Minoret appartient fon­damentalement au dix-huitieme siecle).

L' allusion a u « fermier Martín 1 » en est une confirmation. Alors qu'il travaille aux champs, daos l'apres-midi du 15 jan­vier 1816, un « inconnu » appara1t et lui demande de se rendre aupres du roi pour l'avertir des dangers qui le mena­cent. Martín refuse, finit par se laisser convaincre, et se retrouve a !'asile de Charenton, «bien que personne n'ait observé le moindre signe de démence daos son comporte­mene». Royer-Collard, médecin-chef de Charenton, et Pinel lui-méme 1' examinen t. Daos leur rapport, daté du 6 mai 18162, ils estiment que Martín a du réellement expérimen­ter les sensations qu'il décrit, ce qui ne laisse pas de soulever certaines questions : « Comment faut-il caractériser cet état de fonctions intellectuelles? Quelle est sa nature? Et peut­on la rapporter a quelques-unes des especes d'aliénation connues? » Les deux aliénistes hésitent : « 11 est certain qu'a ces sortes d'illusions des seos qui font voir des étres famas­tiques, ou entendre des sons imaginaires, on donne le nom d'hallucinations quise rencontrent assez souvent chez les alié­nés », or Martín ne ressemble pas a un « aliéné ordinaire ». Ses facultés intellectuelles ne sont pas troublées par une idée fixe, obsédante : s'il est religieux, e' est sans exces. De plus, les alié­nés ne racontent pas leurs visions avec calme, ils ont tendance au contraire a etre exaltés et a se croire inspirés. Rien de tel chez Martín. Les hallucinations des aliénés sont souvent bizarres: « On est sur d'y rencontrer des disparates, des bizar­reries, des idées extravagantes : le délire y perce inévitable­ment par quelques cótés; il n'en est pas de meme des visions de Martín. Qu' on admette avec lui la vérité du personnage qui lui a apparu, alors tout devient régulier dans son histoire, tous les événements s'y encha1nent naturellement; tous les discours y sont raisonnables. » Pinel et Royer-Collard, en

l. Cf. P. Boutry et J. Nassif, Martín l'Archange, Connaissance de l'Incons­ciem, Gallimard, 1985.

2. !bid:! p. 287-315.

70 Vies secondes

notant a la fin de leur rapport : «Ce qui caractérise essen­tiellement les sensations éprouvées par Martín, e' est qu' elles ont existé dans un état de santé parfoíte », mettent 1' accent, a leur insu, sur une question qui sera au creur de nombreux débats dans le siecle : les hallucinations sont-elles forcément pathologiques ?

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II

Hallucinations et hallucinés

1830-1860

5

AURÉLIA

Le statut du reve

]e voulus avoir un signe matériel de l'apparition qui m'avait consolé, et j'écrivis sur le mur ces mots : «Tu m' as visité cette nuit. >>

GÉRARD DE NERVAL

Gérard de Nerval représente un cas tout a fait a part- et difficile - pour notre sujet. Spectateur, et peut-etre partici­pant, des «fantasías» de l'Hótel Pimodan, il n' est pas un simple ami des médecins, mais leur patient, situation bien différente de celles de Gautier et Moreau de T ours. Comme ce dernier, Nerval voit un lien étroit, sinon une identité, entre la folie et le reve 1

, lien présent dans toute son ceuvre, et par­ticulierement dans Aurélia.

Aurélia est le texte de la dualité et de 1' ambivalence : dualité entre celui que nous appellerons « Nerval », ~,u¡ d~rves et des événements racontés, et le « narrateur », capable d'interpréter, d' évaluer les expériences vé'Cues~ meme si ces interprétations a leur tour sont ambivalentes, et sans cesse mises en doute. Des les premieres lignes, le récit est placé sous la tutelle de «modeles poétiques », Vir-

l. Cf. M. Jeanneret, «La Folie est un reve : Nerval et le docteur Moreau de Tours », Romantisme, 27, 1980, p. 59-75.

« Aurélia » 135

gile et les « deux portes d'ivoire et de come 1 », Swedenborg, Dante, Apulée :

Je vais essayer, a leur exemple, de transcrire les impressions d'une longue maladie qui s'est passée tout entiere dans les mysteres de mo~!,!¡prit; - et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maÍaáie, car jamais, quant a ce qui est de moi­meme, je ne me suis semi mieux portant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées; il me semblait tout savoir, tout comprendre; l'imagination m'apportait des délices infi­nies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues 2 ?

Double ambivalence : des grandes figures du passé - dix­huitieme siecle, Moyen Áge, Antiquité - étant citées, il est étrange d' enchaíner sur la maladie et, a peine écrit, le mot « maladie » est remis en question. L' expérience vécue est jugée selon deux criteres : l'un, personnel, lui accorde de la valeur, et 1' autre, conforme a «ce que les hommes appellent la raí­son», semble mettre en doute cette valeur. Tout ce qui va etre conté est placé sous le signe de cette dualité, et ceci jus­qu' aux tout derniers mots :

Je pouvais juger plus sainement le monde d'illusions ou j'avais quelque temps vécu. Toutefois, jeme sens heureux des convictions que j' ai acquises, et je compare cette série d'épreuves que j'ai traversées a ce qui, pour les anciens, repré­sentait l'idée d'une descente aux enfers 3•

La « maladie » se caractérise par 1'« épancht¡m~.t dll4longe dans la vi e réelle ». L' ambivalence du narrateur donne ~ une ~tion partictiliere: on ne-sa urait l'écarter comme une sorte de «folle dur ; gi?.», car il possede valeur et significa-

l. Enéide, VI. 2. CEuvres, III, nouv. éd. de J. Guillaume et C. Pichois, Bibliotheque de la

Pléiade, Gallimard, 1993, p. 695. 3. !bid, p. 750.

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136 Vies secondes

tion ; mais le surestimer risque de faire perdre au reveur 1' af­fection de ses proches, et de 1' obliger a sacrifier sa liberté. C' est cette ambivalence qui donne a Aurélia sa position unique dans la littérature du dix-neuvieme siecle. Jamais, avant Nerval, le reve n'avait semblé un chemin si plein a la fois de promesses et de périls.

Deux reves se voient attribuer une fonction de « confir­mation ». Pour le premier, la nature exacte de ce qui doit etre confirmé n'est pas précisée. Nerval remarque le numéro d'une maison, éclairé par un réverbere, et voit devant lui «une femme a u teint bleme, aux yeux caves», qui lui semble avoir les traits d'Aurélia. Pour lui, ce sont des présages de la mort d'Aurélia, ou de la sienne. Il choisit cecee derniere sup­position, se persuade qu'il mourra le lendemain a cette heure précise. Le reve qui va entériner cecee hypothese a lieu la nuit suivante, reve en trois étapes, dont la derniere est cette étrange vision ;

]e me perdis plusieurs fois daos les longs corridors, et en traversant une des galeries centrale-s, je fus frappé d'un spec­tacle étrange. Un erre d'une grandeur démesurée,- homme ou femme, je ne sais, - voltigeait péniblement au-dessus de !'es pace et semblait se débattre parmi des nuages épais. [ ... ] ]e pus le contempler un instant [ ... ] Vetu d'une robe longue a plis antiques, il ressemblait a l'Ange de la Mélancolie d'Al­brecht Dürer.- Je ne pus m'empecher de pousser des cris d'effroi, qui me réveillerent en sursaut '.

Au niveau du contenu manifeste, ríen dans ce reve ne semble confirmer la pensée de la mort imminente du poete. La confirmation n' a de sens que si 1' ange représente en quelque fas:on le poece lui-meme, lecture allant de soi aujour­d'hui pour qui a lu Freud et se souvient du poeme El Desdi­chado:

l. !bid , p. 698.

« Aurélia »

Ma seule Étoile est morte, - et m<;>n luthlconstellé Porte le Soleil no ir de la Mélancolie '.

137

Mais, a cette date, cet exemple de déplacement et d'inter­prétation créatrice de sens est un procédé nouveau dans la lit­térature du reve. Ce revese produit avant 1'« épanchement du songe dans la vi e réelle » ; le líen entre reve et vi e éveillée est des lors établi, mais la nature de ce líen demeure incertaine. Nerval se sent obligé d'interpréter son reve d'une certaine fas:on, mais cecee interprétation n' est pas la bonne, puisqu'il n' est pas mort «le lendemain a la m eme heure ».

Le second reve de confirmation («Un reve queje fis encore me confirma dans cette pensée ») fait suite a une série de reves et de visions, apres lesquels Nerval est, pour ainsi dire, ramené a u « réel » :

L'état cataleptique ou je m'étais trouvé pendant plusieurs jours me fut expliqué sciemifiquement, et les récits de ceux qui m'avaient vu ainsi me causaient une sorte d 'irritation quand je voyais qu'on attribuait a l'aberration d'esprit les mouvements ou les paroles colncidant avec les diverses phases de ce qui constituait pour moi une série d' événements logiques 2

Quelques-uns de ses amis cependant le prennent au sérieux. L'un d'eux, tres touché, lui dit en pleurant:

«N' est-ce pas que e' est vrai qu'il y a un Dieu? - Oui »,

lui dis-je avec emhousiasme. Et nous nous embrassames comme deux freres [ ... ] Quel bonheur je trouvai d 'abord daos cette conviccion! Ainsi ce doute éternel de l'immortalité de l'ame qui affecte les meilleurs esprits se trouvait résolu pour moi .. ,P~usj.~ II!~ J:!~s ~t~stesse, plus d'in9uiétude. Ceux que J atmats, parents, amts me aonnaterrrdes Signes cer­tains de leur existence éternelle, et je n' étais plus séparé d' eux

l. !bid, p. 645. 2. !bid, p. 708.

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138 Vies secondes

que par les heures du jour. J'attendais celles de la nuit dans une douce~ns:glie. [Fin du chapitre v]

Un ieve queje fis encore me confirma dans cene pensée 1•

Dans ce reve, Nerval se retrouve chez son a!eul, ou trois femmes travaillent dans une piece. L'une d'elles se leve et se dirige vers le jardín, le reveur la suit. Elle se met a grandir, ((de telle sorte que peu a peu le jardín prenait sa forme [ ... ] Je la perdais de vue a mesure qu'elle se transfigurait, car elle semblait s' évanouir dans sa propre grandeur. "Oh! ne fuis pas! m' écriai-je . . . car la nature meurt avec toi !" ». Il marche péniblement a travers les ronces; a terre git un buste de femme : «En le relevan e, j' eus la persuasion que e' était le sien ... Je reconnus des craics chéris, et portant les yeux autour de moi, je vis que le jardín avait pris l'aspect d'un cimetiere. Des voix disaient : "L'Univers est dans la nuit!"»

La« confirmation » ici, meme si elle est plus explicite que pour le premier reve, reste ambivalente. Le début concerne bien la survie (qui n'est pas précisément individuelle) des « amis et parents ». Mais la fin est en contradiction flagrante avec 1' optimisme de «plus de mort, plus de cristesse, plus d'inquiétude »; la mort et l'inquiétude sont au contraire bien présentes. Un peu plus loin, le narrateur interprete d'une nouvelle maniere le reve : «Ce reve si heureux a son début me jeta dans une grande perplexité. Que signifiait-il? Je ne le sus que plus tard. Aurélia était morte. »

D' abord lu comme 1' affirmation de « bonnes nouvelles », ce reve devient objet de perplexité et, rétrospectivement, une prédiction de mauvais augure. Mais sa richesse symbolique excede, visiblement, ces deux interprétations. Le choc ressenti a « Aurélia était m orce» ne tient pas seulement a u caractere irrévocable de l'énoncé et a l'identification implicite du lec­teur au narrateur, sa participation a son chagrín. La com­plexité et la subtilité du contenu du reve, que le narrateur,

l. !bid.

!-~ «Aurélia» 139

fidele a son idée de la mission de 1' écrivain (« analyser since­rement ce qu'il éprouve dans les graves circonstances de la vie»), s'est efforcé de consigner, semblent annulées par une interprétation simple et grossiere.

Entre ces deux reves de confirmation, s'intercale 1' « épan­chement du songe dans la vie réelle » :

A dater de ce moment, tout prenait parfois un aspect double,- et cela, sans que le raisonnement manquat jamais de logique, sans que la mémoire perdít les plus légers détails de ce qui m'arrivait. Seulement mes actions, insensées en apparence, étaient soumises a ce que 1' on appelle illusion, selon la raison humaine 1•

Nerval marche, les yeux fixés sur l'étoile qu'il s'est choi­sie, chante un hymne mystérieux, quitte ses « habits ter­restres ». Les bras étendus, il attend le moment ou !'ame va se séparer du corps, « attirée magnétiquement dans le rayon de l'étoile ». Mais le regret de la terre le saisit au creur, il redescend « parmi les hommes », et des soldats en ronde de nuit le recueillent :

Couché sur un lit de camp, j'entendais que les soldats s'en­tretenaient d'un inconnu arreté comme moi et dont la voix avait retenti dans la meme salle. Par un singulier effet de vibration, il me semblait que cene voix résonnait dans ma poitrine et que mon ame se dédoublait pour ainsi dire, -distinctement partagée entre la vision et la réalité. Un instant j' eus l'idée de me retourner avec efforr vers celui dont il était question, puis je frémis en me rappelant une tradition bien connue en Allemagne, qui dit que chaque homme a un double, et que lorsqu'ille voit, la mort est proche 2

Par une curieuse prémonition, il voit une silhouette (« quelqu'un de ma taille ») s'éloigner, partir avec ses deux

l. !bid., p. 699. 2. !bid., p. 701.

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amis qu'il rappelle en vain: «Mais on se trompe! [ ... ] c'est moi qu'ils sont venus chercher et e' est un autre qui sort! » Il fait tant de bruit qu' on le met a u cachot, o u il reste plusieurs heures, avant que les deux amis qu'il avait cru voir viennent réellement le chercher. D'autres incidents semblables se reproduisent. A la fin il est << transporté dans une maison de san té»; son état est tel qu'il ne reconnait pas les proches venus luí rendre visite :

r La seule différence pour moi de la veille au sommeil était que, dans la premiere, tout se transfigurait a mes yeux; chaque personne qui m'approchait seinblait c.!;aJ?:G,. les objets matériels avaient comme une .. pénom~re qui en modi­fii!lt la forme, et les jeux de la lumiere, les combinaisons des couleurs se Cl.écomposaient 1

. A un événement de la vie réelle -l'arrestation de Nerval

par les soldats, ou la délivrance par ses amis - correspond un événement vu en vision, comme un double, une copie légerement différente, décalée, se produisant a un niveau dif­férent, celui que Nerval appelle le «monde des esprits ». Le narrateur raconte son expérience vécÜe pre~e simultané­ment a ces deux niveaux, dans les deux mondes. Mais cet aspect double se retrouve également dans le regard porté sur cette expérience : a la distinction entre (( reve)) et (( réalité »,

fait pendant celle entre« illusion » et « vision ». Les deux mots sont utilisés, et les nombreux << je crus voir », « il me semblait »

accentuent encore l'amhiv~n,ce notée depuis le début entre constat de maladie et expérience féconde. Enfin, le « double »

est aussi l'apparition d'un alter ego, dont la rencontre peut signifier la mort, et qui semble s'etre échappé asa place avec ses am1s.

La « seconde vi e » est vécue en parallele avec la vi e éveillée.:. Certains événements semblent séparés de la vie éveillée (les visions de la création primordiale par exemple) ; d' a u tres lui

l. !bid, p. 701-702.

« Aurélia » 141

ressemblent, mais il n'est pas toujours facile de dire en quoi. Les ressemblances sont dévoilées par l'interprétation, et le meme reve peut donner lieu a plusieurs interprétations, dont a u cune n' est définitive : une nouvelle peut toujours prendre le pas sur la précédente. L'hésitation du narrateur rejoint a de nombreuses reprises 1' ambivalence essentielle du texte : ainsi le cri de femme, qui le réveille et termine la premiere partie, est provoqué par un geste magique accompli dans son reve mais, selon luí, c'est aussi la voix d'une personne réelle, du monde extérieur. Bien que personne ne semble l'avoir entendu, il est « encore certain que le cri était réel et que 1' air des vivants en avait retenti >>. A 1' objection possi.ble qu'il ne s'agit la que d'un hasard, il répond : « Selon ma pensée, les" événements terrestres étaient liés a ceux du monde invisible. )).._~ La premiere partie se termine done par un événement au sta-tut incertain, lequel demande a nouveau une interprétation: « Qu' avais-je fait? J' avais troublé l'harmonie de l'univers magique ou mon ame puisait la certitude d'une existence immortelle [ ... ] J' étais maudit peut-etre ... » Dans cette auto­accusation, cette peur d'etre maudit, se trouve en germe le délire qui, dans la deuxieme partí e, 1' emportera sur 1' expé­rience du reve.

«Une seconde fois perdue ... >>Des les premiers mots de la seconde partie d'Aurélia, le lecteur est confronté aux émo­tions immédiates du narrateur : « C'est moi maintenant qui dois mourir et mourir sans espoir », émotions qui tournent a la spéculation religieuse. Que le récit soit fragmenté ou linéaire, la multiplicité des « événements » et 1' état psycholo­gique de Nerval different totalement de 1'« épanchement du songe ». Le lieu de 1' action était alors 1' esprit («les mysteres de mon esp_lit»), mais ici, ou les reves réels sont m~­brélix,-le lieu de 1' action est surtout le monde extérieur : le cimetiere, la campagne, la place de la Concorde, la maison de san té ... En fin, lorsque le narrateur veut consigner un cer­tain nombre d'impressions de reves, sous le titre swedenbor-

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gien de Mémorables 1, il ne fait aucune tentative pour les encha!ner en un récit. Quel est, ici, le role du réve?

Michel J eanneret suggere que «si les réves, a u sens propre, se font moins nombreux dans la deuxieme partie d'Aurélia,

.., e' est que 1' état de réve se généralise et maintient le su jet dans une zone indécise ou tout peut appartenir, indifféremment, a la fantasmagorie du songe o u a 1' évidence du réel 2 ». Inter­prétation que semblent démentir les criteres propres au texte lui-méme : quand 1'« épanchement du songe dans la vie réelle » commence, il prend la forme d' expériences vécues a 1' état éveillé, appelées visions, et quand les « idées » se maté­rialisent, elles sont le plus souvent traduites dans une sorce d' équivalent visuel (« Cette idée me devine aussitot sensible»). Mais, dans la deuxieme partie, le mouvement tend a étre inverse : une image vue (par exemple 1' ouvrier pris pour saine Christophe) ou une vision («]e croyais voir un soleil noir dans le ciel désert et un globe rouge de sang au-dessus des Tuileries ») conduisent Nerval a des idées, ou plutot a des convictions délirantes («Je crus que les temps étaient accom­plis, et que nous touchions a la fin du monde annoncée dans l'Apocalypse de saine J ean ») et amenent un état de désespoir. L'affirmation de la premiere page, « car jamais, quant a ce qui est de moi-méme, je ne me suis semi mieux portant », n' est plus a propos. Il souffre de délire d'interprétation («le prétre fit un discours qui me semblait faire allusion a moi seul ») et de délire de grandeur («11 me semble que ce soir j'ai en moi !'ame de Napoléon qui m'inspire et me commande de grandes choses »). Dans la premiere partie, une fois libéré du corps de garde par ses amis, il ne reste plus que deux liens précis avec le monde extérieur : la conversation avec son ami et le cri, qui semble appartenir a la fois au réve et a la réalité. Mais, dans cette seconde partie, les relations de N erval avec le monde extérieur sont bien plus complexes et perturbées.

l. Les Mtmorabilia : «La vraic Religion Chrétienne • ( T rue Christian Religion, 2 vol., New York, Swedenborg Foundarion, 1981).

2. M. Jeanneret, «La Folie est un reve ... >>, op. cit., p. 68.

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« Aurélia >> 143

Son état éveillé, tel qu'ille décrit une fois « guéri », est incon­cestablement psychotique. Si nous adoptions la théorie de Moreau, nous dirions que 1' état de réve a pris le dessus. Si a u contraire, nous demeurons fideles aux criteres proposés par le narrateur, nous verrons que, méme aux pires moments d'abattement (ou d'euphorie), le réve reste presque entiere­ment de l'autre coté des portes du sommeil.

Méme apres un réve terrifiant, qu'il considere étre le « reflet » du jour précédent, il continue a voir dans le réve une so urce possible d' espoir :

Je suis allé promener mes peines et mes remords tardifs dans la campagne, cherchant dans la marche et dans la fatigue l'engourdissement de la pensée, la certitude peut-etre pour la nuit suivante d'un sommeil moins funeste. Avec cette idée que je m' étais faite du reve comme ouvrant a l'homme une communicatio11. avec le monde des esprits, j'espérais ... j'es­pérais encare 1 !

L' espoir pourtant est vain. Malgré une tentative, dans la vie éveillée, de fléchir Dieu en brulant des papiers liés a l'amour et la mort d'Aurélia, le réve suivant réitere l'avertis­sement desamore prochaine. «]e me levai plein de terreur, me disant : C' est mon dernier jour! A dix ans d'intervalle, la méme idée que j' ai tracée dans la premiere partie de ce récit me revenait plus positive encore et plus menas;ante. Dieu m' avait laissé ce temps pour me repentir, et je n' en avais point profité. » Suivra un désespoir incense : «Les visions qui s' étaient succédé pendant mon sommeil m' avaient réduit a un tel désespoir, que je pouvais a peine parler>>, désespoir accompagné des idées délirantes qui, lo in d' effacer la dis­tinction entre réve et vie éveillée, contribuent a la maintenir, car le sommeil suivant apporte une vision qui ne leur res­semble en rien :

l. (Euvres, op. cit., III, p. 728-729. / -

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Pendant mon sommeil, j'eus une vision merveilleuse. 11 me semblait que la déesse m'apparaissait, me disant: «]e suis la meme que Marie, la meme que ta mere, la meme aussi que sous toutes les formes tu as toujours aimée. A chacune de tes épreuves, j'ai quitté l'un des masques dont je voile mes traits, et bientót tu me verras telle queje suis. » Un verger délicieux sortait des nuages derriere elle, une lumiere douce et péné­trante éclairait ce paradis, et cependant je n' entendais que sa voix, mais je me sentais plongé dans une ivresse charmante 1•

Ce revene provoque pas de changement immédiat dans la vie éveillée - au contraire, l'état de Nerval est tel qu'ille mene a 1' asile et a la camisole de force -, mais il place une nouvelle fois le narrateur a u centre de 1' ambiguité du récit :

Je compris, en me voyant parmi les aliénés, que tout n'avait été pour moi qu'illusions jusque-la. Toutefois les promesses que j'attribuais a la déesse Isis me semblaient se réaliser par une série d'épreuves que j'étais destiné a subir. Je les acceptai done avec résignation 2•

La nature exacte de ces épreuves n'est jamais précisée; ne s'agirait-il pas de demeurer fidele au reve en refusant, juste­ment, la tentation du délire et de l'interprétation menson­gere? C'est ainsi qu'il arrive a Nerval de prononcer des mots qui vont a l'encontre de l'expérience du reve :

Je me sentais plongé dans une eau froide, et une eau plus froide encare ruisselait sur mon front. Je reportai ma pensée a 1' éternelle Isis, la mere et l' épouse sacrée; toutes mes aspi­rations, toutes mes prieres se confondaient dans ce nom magique, jeme sentais revivre en elle, et parfois elle m'appa­raissait sous la figure de la V énus antique, parfois aussi sous les traits de la Vierge des chrétiens. La nuit me ramena plus distinctement cette apparition chérie, et pourtant je me

l. !bid., p. 736. 2. !bid., p. 738.

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disais : Que peut-elle, vaincue, opprimée peut-etre, pour ses pauvres enfants 1 ?

Ce « et pourtant » trahit le désespoir de N erval, 1' empor­tant sur la promesse du reve précédent. De m eme, apres 1' épi­sode décisif du jeune soldat- dernier avatar du double dans le récit_-=-:_qyi refuse de se nourrir, c'est le reve qui est la pierre de touch';permettant d'identifier le délire. La déesse apparaftde ·nouveau et lui dit :

L' épreuve a laquelle tu étais soumis est venue a son terme; ces escaliers saos nombre, que tu te fatiguais a descendre ou a gravir, étaient les liens memes des anciennes illusions qui embarrassaient ta pensée, et maintenant rappelle-toi le jour ou tu as imploré la Vierge sainte et ou, la croyant morte, le délire s'est emparé de ton esprit 2

Qu'il puisse reconna1tre a l'intérieur du reve ses « anciennes illusions », et identifier le moment m eme o u le délire a commencé, montre bien que l'hypothese d'un état de reve généralisé dans la seconde partie d'Aurélia n' ese pas recevable. Au contraire, ce sont les reves, et notamment les derniers cités, qui permettent a 1' écrivain de distinguer entre « convictions » et « illusions ».

Les moments les plus psychotiques du récit (par exemple lorsque, a !'asile, Nerval se croit capable d'influencer la lune, et attribue un sens mystique aux conversations des gardiens et des malades) sont racontés sous 1' angle de la guérison. Constamment modalisés (j'attribuais, il me semblait, pour moi, etc.), ils montrent que le narrateur est conscient que Nerval a plus tendance a imposer du sens qu'a en recevoir. Ríen n'indique que le narrateur soit sous l'influence de ces idées dont il parle comme «le monde d'illusions ou j'avais quelque temps vécu ». Mais ses « convictions » sont toujours

1. !bid., p. 741. 2. !bid.!_ p. 745.

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présentes : «La conscience que désormais j' étais purifié des fautes de ma vie passée me donnait des jouissances morales infinies; la certitude de l'immorralité et de la coexistence de toutes les personnes que j'avais aimées m'était arrivée maté­riellement, pour ainsi dire. » Bien que provenant du reve, ces propos suggerent, par leur formulation, une appréhension immédiate de la vérité bien différente des tentatives d'inter­prétation (délirante) fondées sur la lecture de signes.

L).robiY.i!Jence du statut du reve ne sera levée, ou plutot modifiée, qu'au tout dernier paragraphe. Bien que le narra­teur identifie clairement apres coup les aspects illusoires de son expérience, il cherche en meme temps a garder la valeur de cette expérience et des convictions qu' elle luí a apportées. Mais une dissonance subsiste, entre reve aboutissant a la maladie, et reve source de connaissance. Le seul cadre d'in­terprétation propasé par la société est le modele psychia­trique, contre lequel Gérard de Nerval proteste vigoureuse­ment, dans une lettre a Mme Alexandre Dumas:

Au fond j'ai fait un reve tres amusant et je le regrette [ ... ]. Mais, comme il y a ici des médecins et des commissaires qui veillent a ce qu'on n'étende pas le champ de la poésie aux dépens de la voie publique, on ne m'a laissé sortir et vaquer définitivement parmi les gens raisonnables que lorsque je suis convenu bien formellement d'avoir été malade, ce qui coutait beaucoup a mon amour-propre et meme a ma véracité. Avoue! avoue! me criait-on, comme on faisait jadis aux sor­ciers et aux hérétiques, et pour en finir, je suis convenu de me laisser classer dans une ajfection définie par les docteurs et appelée indifféremment Théomanie ou Démonomanie dans le Dictionnaire Médical 1

On retrouve d{s échos e cette protestation dans Aurélia, quand une explic · < scientifique » est imposée a Nerval (« 1' état cataleptique ... me fut expliqué scientifiquement »). Il

l. CEuvres, op. cit., 1, p. 1383. Lettre du [9 ?] novembre [1841].

[~~l .... ~)

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se trouve dans une p9s!tion p.,atadoxale: obligé d'attribuer de \ la valeur a ses reves, il ne peut ni intégrer cette valeur parmi les catégories proposées par la société, ni proposer une meilleure voie 1• Et pourtant les allusions des premieres lignes a Apulée et a Dante, la décision «a leur exemple, de trans­crire » ses impressions, et 1' existen ce m eme du texte témoi­gnent de l'e'5_istence _d'une autre voie : la création d'un ~<es pace transitionnel))) celui de la fiction, o u de 1' écriture sur ~e reve. re narrateur~ mene pas une réflexion systématique sur 1' acte d' écrire, mais le désigne par 1' expression « fixer le reve ». La déesse a fait sa derniere apparition nocturne. Le jour commence a poindre : «]e voulus avoir un signe maté-riel de 1' apparition qui m' avait consolé, et j' écrivis sur le mur ces mots : "Tu m' as visité cette nuit." » Ce geste dit la maniere dont le texte donne corps a l'expérience du reve. Ayant une existen ce matérielle il n' appartient ni aux convictions per­sonnelles, ni aux catégories que la science voudrait imposer. Le reve n' est plus désormais un élément intéressant parmi d'autres, une curiosité- il est devenu l'impulsion premiere et la substance meme du récit.

l. Un document capital, récemment c'iécouvert et publié, souligne avec force ce dilemme: • Pour le médecin c'était cela [la folie] sans doute bien qu'on m'ait toujours trouvé des synonymes plus polis; pour mes amis cela n' a guere pu avoir d'autre sens; pour moi seul, cela n'a été qu'une sorte de transfiguration de mes pensées habituelles, un reve éveillé, une série d 'illusions grotesques ou sublimes, qui avaient tant de chárffies queje ne cherchais qu'a m'y replonger sans cesse, car je n'ai pas souffert physiquement un seul instant, hormis du traitement qu'on a cru devoir m'infligen (lettre a Victor Loubens [fin 1841 ?), CEuvres, III, o p. cit., p.1487.

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un sentiment d'attente avec douleur, comme il arrive avant l'inspiration poétique, o u l' on sent « qu'il va venir quelque chose >> [Flaubert compare alors cet état a u moment qui pré­cede un orgasme].

2°) Puis, tout a coup, comme la foudre, envahissement ou plutot irruption instantanée de la mémoire car l'hallucination proprement dite n'est pas autre chose, - pour moi, du moins. C' est une maladie de la mémoire, un relachement de ce qu' elle recele 1•

« Intuition artistique )), « image artistique )), « vision inté­rieure de 1' artiste )), «vis ion poétique)) : dans sa premiere réponse, Flaubert tourne autour de ces mots, et ce n' est qu'aux toutes dernieres lignes de sa seconde lettre a Taine, quelques jours plus tard, qu'il va plus loin et écrit « halluci­nation artistique)).

l. !bid, p. 572.

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LES OBSERVATEURS DU SOMMEIL

Voila qui est bien singulier, me disais-je, il n 'est vraiment pas présumable que mon ima­gination invente absolument tant de détails.

H ERVEY DE SA INT-DENYS

«]e m'observe tantót dans mon lit, tantót dans mo;; fa~- ) teuil, au momem ou le sommeil me gagne. >> Alfred Maury, en publiant en 1861 Le Sommeil et les reves 1

, devient le pre­mier observateur des rev"es;"'blentot suivi par le marquis Her-vey de Saint-Denys qui, apres avoir hésité pendant des années a dévoiler au public son travail, publie anonymement, en 1867, Les Réves et les moyens de les diriger 2

• Meme s'il n 'ap­partient pas au principal courant de pensée du dix-neuvieme siOcle sur le rCve, Hervey en esr l'observateur le plus péné- '] tranr avant F reud '. 11 atcire l' attention sur le réve dit auj our- · d'hui «lucid e)), e' est-a-dire pendant lequel le reveur a plei-nement conscience qu'il est en train de rever, et aussi sur le ·

~ -l. Oidier, 1865, 3< éd. 2. Amyot, 1867. Les citations sont extraites de la réimpression, avec préface

de Robert Desoille, Les Introuvables, Éditions d'Aujourd'hui, 1977. 3. Hervey était un oriemaliste, et ce livre sur les reves tient une place a pan

dans sa production ; il n' est pas mentionné daos la notice nécrologique rédigée par H. Cordier, Nécrologie: Le Marquis d'Hervey Saint-Denys (1892), Sarane Alexandrian présente les recherches d'Hervey dans Le Su"éalisme et le reve (Connaissance de l'Inconscient, Gallimard, 1984, p. 36-46).

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reve dont on peut diriger le cours 1• Fait important, ces obser­vations ne dépendent pas d'un souvenir qui va s'affaiblissant, mais sont faites au moment meme ou le reve se produit. Ce qui lui permet de nommer- sans preter attention a ce qui les motive- deux mécanismes identifiés et analysés plus tard par Freud: la «superposition» décrite par Hervey n'est pas sans rappeler la condensation, et son « abstraction », le dépla­cement.

Sur de nombreux points, les observations et les expériences de Hervey colncident avec celles de Maury, notamment en ce qui con cerne la mémoire. T ous deux ont apporté a 1' étude des reves la persévérance et 1' esprit de méthode qui man­quaient a leurs prédécesseurs, notant leurs reves, minutieuse­ment, régulierement, pendant de longues périodes de temps 2•

Hervey raconte comment un jour, a quatorze ans, il décide de dessiner les « souvenirs d' un reve singulier » qui 1' avait impressionné. Bientot, il a rempli un album entier de ces des­sins, « accompagnés d'une glose explicative, relatant soigneu­sement les circonstances qui avaient amené o u suivi 1' appari­tion » de ses reves. Il note : « J e m' accoutumais a retenir de plus en plus souvent les fantasques éléments de mes narra­tions illustrées. A mesure que j'avans;ais dans le quotidien de mes nuits, les !acunes y devenaient plus rares. » Il est vite

l. Les familiers du reve lucide ont expérimenté que la <ducidiré » er le ~controle» ne se produisenr pas nécessairemenr de fa~on simulranée, mais peu­vent apparairre tour a fait séparément. Les recherches récenres sont récapirulées par J. Gackenbach, « Frameworks for Understanding Lucid Dreaming : A Review», Dreaming, 1/2 (1991), p. 109-128.

2. Ils font également appel a l'aide d'aurres personnes pour certaines expé­riences. Ainsi, Hervey: • Un intime ami [ ... ] soutenait en homme convaincu que jamais il n'avair de reve dans son premier sommeil. Un soir qu'il dormait depuis une demi-heure environ, je m'approche de son lit, je prononce a mi-voix quelques commandemenrs miliraires: "Porrez arme!" et je l'éveille doucement. "Eh bien, luí dis-je, cerre fois encore n'as-tu ríen re..·é? - Ríen absolument rieu, que je sache. - Cherche bien dans ra tete. -]'y cherche bien et je n'y trouve qu'une période d 'anéanrissemenr tres compler.- Es-tu sur, demandai-je encore, que tu n'as vu ni soldar ... " A ce mor de soldar, il m'inrerrompit comme frappé d'une réminiscence subite. "C'est vrai! C'est vrai! me dir-il, oui, je m'en souviens main­tenanr; j' ai revé que j' assisrais a une revue. Mais commenr as-tu deviné cela?"» (Les reves .. . , op. cit., p. 227-228).

Les observateurs du sommeil 175

convaincu que ces !acunes ne sont dues qu'a un « défaut de mémoire » et non pas a une « interruption réelle dans les tableaux qui avaient occupé mon esprit». Au moment de la publication de son ouvrage, il a noté 1 946 nuits. Maury, de son coté, décrit longuement sa (( méthode d'observation)) :

Je note exactement dans quelles dispositions je me trou­vais avant de m'endormir, et je prie la personne qui est pres de moi de m' éveiller, a des instants plus o u moins éloignés du moment ou je me suis assoupi. Réveillé en sursaut, la mémoire du reve auquel on m'a soudainement arraché est encore présente a mon esprit, dans la frakheur meme de l'im­pression. Il m' est alors facile de rapprocher les détails de ce reve des circonstances o u je me suis placé pour m' endormir. Je consigne sur un cahier ces observations, comme le fait un médecin dans son journal pour les cas qu'il observe 1•

Les deux auteurs ont montré la continuité entre les images hyE_nagogiques et les reves qui suivront, mais la conclusion qu'ils tirent ele cetre continuité est différente. Pour Maury, le sommeil profond est sans reves; pour Hervey, « il ne sau­rait exister de sommeil sans reves 2 », opinion déja émise par Jouffroy. Maury et Hervey éclairent également d'un jour nouveau le role de la mémoire dans les reves. En retrouvant la so urce de certaines héminiscences 3 1, habituellement non décelée, ils éclaircissent l'un des phénomenes éni_gmatL~~s du somnambulisme.

l. Le Sommei/ et les reves, op. cit., p. 1-2. 2. Tous deux semblent avoir pressenti, aussi précisément qu'il était possible

avant l'électroencéphalographie, les découvertes plus sophistiquées du vingrieme siecle en la mariere. Les modificarions des ondes cérébrales pendant le sommeil ont été remarquées entre 1930 et 1940, mais c'est seulement en 1953 que Ase­rinsky et Kleitman ont noté les mouvemenrs oculaires rapides associés au reve, qui onr conduit a la définition des cinq phases du sommeil. Les sujets réveillés pendant le sommeil paradoxal disenr avoir revé; ceux réveillés pendant des phases plus profondCS" ont rendancr1rdifé qu"ún processus analogue a la pensée érair en cours. Selon le sens précis donné au mor • rever», ceci pourrair correspondre aux observations d'Hervey, sans invalider celles de Maury.

3. Mor employé ici non dans le sens traditionnel, arisrorélicien, de rappel volonraire d'un souvenir (sens que lui donne souvenr Maury), mais dans le sens de rerour a la mémoire d'une perception anrérieure non reconnue pour relle.

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Maury donne l' exemple d'une nuit o u il s' est «imaginé en songe voir la ville de New York, et en parcourir les rues, de compagnie avec un ami». A son réveil, il a encore « comme devant les yeux l'aspect général de la ville et celui d'une de ses places )), 11 se souvient avoir vu, quelques semaines aupa­ravant, une vue de cette «grande cité américaine ))' exposée a l'étalage d'un marchand de gravures. 11 retourne devant cette vitrine: «]e retrouvai la l'image de mon reve», mais la taille trop réduite de la gravure ne lui permet pas de reconnaitre la grande place ou il croyait s'etre promené avec son ami. Cher­chant longuement dans ses souvenirs, il pense finalement que la place en question doit erre la grand-place de Mexico, dont il a un jour, a Berlin, remarqué un magnifique dessin. Peu de temps apres, il en a «la preuve positive, en tombant par hasard sur la planche d'un ouvrage ou elle était représentée )), Le décor visuel de son reve était done une combinaison de deux images : « Croyant me trouver a New York, ou je ne suis jamais alié, je me représentais en partie Mexico 1• )) S'il avait été disposé a amibuer un caractere (( intuitif» a ses reves, il aurait imaginé avoir «v'D'~ en..pensée)) a New York. De pareilles méprises sont fréquentes chez les som~es et leurs visions seraient vi te démystifiées si de telles vérifications étaient toujours possibles. 11 cite 1' exemple récent d'un som­nambule qui, se trouvant loin de Paris, est magnétisé et conduit en pensée au Théatre-Fran<;ais. 11 décrit non seule­ment la salle mais aussi la piece qui, selon lui, est en ce moment représentée. Mais plus tard, « vérification faite, il se trouva qu'il y avait eu précisément ce jour-la relache au Fran­<;ais »; la description de la salle était d' ailleurs inexacte.

Hervey de Saint-Denys donne un exemple encore plus frappant du role de la réminiscence. On retrouve, comme chez Maury, des sources v1suelles (gravures) et des villes. Pour Hervey, cependant, le fait d'etre conscient et attentif pendant le reve modifie la qualiré des observarions. A 1' époque du reve

l. Le Sommeil et les reves, op. cit., p. 307-308.

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qui suit, il traverse une période o u il ne reve quasiment jamais sans en erre pleinement conscient :

Je fis un songe tres clair, tres suivi, tres précis, pendant lequel je me figurais etre a Bruxelles (ou je n'étais jamais alié). Je me promenais tranquillement, parcourant une rue des plus vivames, bordée de nombreuses boutiques dont les enseignes bigarrées allongeaient leurs grands bras au-dessus des passants. « Voila qui est bien singulier, me disais-je, il n'estvraiment pas présumable que mon imagination invente absolument tant de détails. Supposer comme les Orientaux que 1' esprit voyage tout seul, tandis que le co.rps sommeille, ne me- semble pas davamage une hypothese a laquelle on puisse s'arreter. Et cependant je n'ai jamais visité Bruxelles, et cependant voila bien en perspective cette fameuse église de Sainte-Gudule queje connais pour en avoir vu des gra­vures. Cene rue, je n'ai nullement le sentiment de l'avoir jamais parcourue, dans quelque ville que ce soit. Si ma mémoire peut garder, a l'insu meme de mon esprit, des impressions si minutieuses, le fait mérite d'etre constaté; il y aura la tres cerrainement le sujet d'une vérification curieuse. L' essentiel est d' opérer sur des données bien posi­tives, et par conséquent de bien observer. ~ Aussitót je me mis a observer l'une des boutiques avec une attention extreme, de telle sorce que, si je venais un jour a la recon­naltre, le moindre doute ne put me rester. Ce fut celle d'un bonnetier [ ... ] qui devint le poim de mire des yeux de mon esprit ouverts sur ce monde imaginaire. J'y remarquai d'abord, pour enseigne, deux bras croisés, l'un rouge et l' autre blanc, faisant saillie sur la rue, et surmontés en guise de couronne d'un énorme bonnet de coton rayé. Je lus plu­sieurs fois le nom du marchand afin de le bien retenir; je remarquai le numéro de la maison, ainsi que la forme ogi­vale d'une perite porte, ornée a son sommet d'un chiffre enlacé. Puis je secouai le sommeil par ce violent effort de volonté qu'on peut toujours faire quand on a le sentiment d'etre endormi, et, sans laisser le temps de s'effacer a ces impressions si vives, je me hatai d' en consigner et d' en des­siner rous les détails avec un grand soin. Quelques mois plus t~d, je devais avoir 1' occasion de visiter Bruxelles, et je

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n' épargnerais aucune peine pour éclaircir un fait qui, de prime abord, sans queje m' en pusse défendre, m'inspirait les plus fantastiques suppositions. J'attendis l'époque ou ma famille devait se rendre en Belgique avec une indicible impa­tience. Elle arriva. Je courus a l'église de Sainte-Gudule, qui me parut une vieille connaissance; mais, quand je cherchais la ruedes enseignes multiformes et de la boutique revée, je ne vis ríen, absolument rien qui s' en rapprochát. En vain je parcourus méthodiquement tous les quartiers marchands de cette ville coquette; il fallut reconna!tre l'inutilité de mes recherches et me résigner a y renoncer. A dire vrai, j'aurais été plus effrayé qu'enchanté d'une réussite inespérée, qui m' eut jeté nécessairement dans les régions de la fantaisie et du merveilleux. Je savais désormais queje n'avais a faire qu'a un phénomene psychologique, probablement explicable; et, sans prévoir qu'il me serait jamais donné d' en saisir 1' expli­cation précise, je reprenais avec plus de calme l'analyse consciencieuse des phénomenes accessibles a l'investigation humaine. Plusieurs années s'écoulerent. J'avais presque oublié cet épisode de mes préoccupations d'adolescent, lorsque je fus appelé a pareourir diverses parties de l'Alle­magne, ou j'étais alié déja durant mes plus jeunes ans. Jeme trouvais done a Francfort, fumant tranquillement une ciga­rette apres mon déjeuner, marchant devane moi sans m'etre tracé aueun itinéraire. ]' entrai dans la rue J udengasse, et tout un ensemble d'indéfinissables réminiseences eommen~ vaguement a s'emparer de mon esprit. Je m'effor~s de déeouvrir la cause de cette impression singuliere; tour a eoup

[

je me rappelai le but de mes inutiles promenades a travers Bruxelles. Sainte-Gudule assmément ne se montrait plus en perspective; mais e' était bien la rue dessinée dans le journal de mes reves; e' étaient bien les m emes enseignes caprieieuses, le meme public, le meme mouvement qui m'avaient jadis si vivement frappé pendant mon sommeil. Une maison, je l'ai dit, avait été surtout de ma part l'objet d'un examen minu­tieux. Son aspect et son numéro s' étaient fortement gravés dans ma mémoire. Je courus done asa recherehe, non sans une émotion véritable. Allais-je reneontrer une déception nouvelle, ou bien au contraire saisir le dernier mor de l'un des problemes les plus inréressants que je me fusse posés?

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Qu'on juge de mon étonnement, et tout a la fois de ma joie, quand jeme vis en face d'une maison si exactement pareille a eelle de mon ancien reve, qu'il me semblait presque avoir fait un retour en arriere et ne m' erre point encore éveillé [ ... ] Évidemment, j'avais parcouru déja eette rue la premiere fois que j' étais alié a Francfort, e' est-a-dire trois o u quatre ans avant l'époque de mon reve, et, sans queje m'en doutasse, sans queje puisse expliquer de quelles dispositions particu­lieres cela dépendit, tous les objets exposés a ma vue se pho­tographierent instantanément dans ma mémoire avec une admirable précision. Mon attention, cependant, suivant l'ac­ception qu'on donne habituellement a ce mot, devait rester ét~ge.re-au-travali roystérieux qui s'opérait spontanément, puisque je n' en a vais pas meme gardé le moindre souvenir sensible. Il y a la matiere a réflexion sérieuse pour quiconque voudra sonder les forces secretes de l' entendement humain 1

La mémoire consciente a done fourni les gravures de Sainte-Gudule et la mémoire involontaire o u « réminiscence »

la surprenante profusion de détails sur la boutique du bon­netier. Lorsque Hervey, dans son reve, examine la boutique, il inspecte ce qu'il appelle un ~ cliché-souvenir ». Les théories psychologiques utilisent souvent des métaphores provenant des dernieres techniques, et Hervey, dans ce texte, fait appel a 1' art de la photographie, tout juste naissant. Hervey adapte un adage scolastique célebre, et le transforme en Nihil est in visionibus somniorum, quod non prius foerit in visu : << Nous ne voyons ríen en reve que nous n'ayons vu auparavant 2

• ».

Mais, tout comme un photographe peut accumuler des mil­liers de clichés, et oublier dans quelles circonstances ils ont été pris, chaque image vue en reve est en fait un souvenir oublié, ou bien modifié par« le travail de l'imagination » (par exemple les personnages d'un tableau peuvent devenir vivants dans un reve). Les images seront plus ou moins nettes, « selon la perfection plus ou moins grande avec laquelle le cliché-

l. Les Reves ... , op. cit., p. 78-81. 2. !bid., p. 74.

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Vies secondes 180

so u venir s' est originairement formé», et la nature de nos cli­chés-souvenirs exercera une tres grande influence sur notre . . . vte onmque.

T out en faisant appel a un vocabulaire différent, Maury et Hervey considerent tous deux que nous possédons une réserve d 'impressions mémorisées qui ne sont pas nécessaire­ment a la disposition de 1' esprit pendant la vie quotidienne, mais peuvent ressurgir dans les reves. Ce que Herv_sy~g.J:ll!Pe clichés-souvenirs est, plus classiquement, appelé"' idées-images par Maury. Dans un mélange de physiologie contempo~ .t..de philosophie du siecle précédent, Maury explique com-

ment ces idées-images peuvent etre ravivées 1• Une des parti­cularités du reve - et une prétendue « merveille » du som­nambulisme -, peut done s' expliquer par la mémoire o u la « réminiscence ». ~ Mais il est un sujet sur lequel les positions de Maury et

Hervey cessent de s'accorder: la créativité. L'attention qu'ils lui portent, les réponses qu'ils proposent seront tres diffé­rentes. Comment les reves combinent-i!s les images? Com­ment, par exemple, New York et Mexico, Bruxelles et Franc­fort, deviennent-elles dans le reve une seule et meme ville?

Maury se contentera, pour aborder cette question, d'une note en bas de page, dans le chapitre «Des analogies du reve et de 1' aliénation mental e». Il vient juste d' expliquer «les deux phénomenes principaux qui résument presqu'a eux seuls toutes les causes du délire : 1) une action spontanée et comme automatique de 1' esprit; 2) une association vicieuse et irréguliere des idées)) et cherche a montrer que ((des phé­nomenes du meme genre se passent dans le reve; ce qui explique, en partie, l'incohérence et la bizarrerie des images

. - qui le composent ». Dans les hallucinatl,ons hypna~g~ues, il distingue les images qui sont dans 1' esprit sansqüe ce ui-ci ait gardé le souvenir du moment ou elles ont été pen;:ues, et

l. Le Sommeil et les reves, o p. cit., p. 121-130, et note J : <<De la théorie de David Hardey sur l'associarion des idées» (ibid., p. 467-481).

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Les observateurs du sommeil 181

les autres, qui sont «tres certainement » ·une comb.fnaiso-n:J ¡ d'images (9u de ~~__sy.i ontfrappé les sens .~l~tát]e-veilte. ¡V·

C'est ici qu'il ajoute la note : « Il y aurait a examiner laques-1

tion difficile de 1' origine et de la génération de ces idées­images, qui ne sont pas toujours de simples rappels de sen­sations perc;:ues, mais des combinaisons nouvelles d' éléments de sensations antérieures. » 11 reconna1t que << 1' reil interne voit alors déS'Oojefs qu'il n' a jamais contemplés », ~t« 'I' or~ilre interne peut entendre des airs, des m él odies qui n~ 1' ont,. jamais frappée », mais selon lui 1' explication de ce phénomene (du a ((la force créatrice de l'imagination ») (( réclamerait de nombreuses et tres diverses recherches ». En attendant, il pro­pose une analogie optique pour ce qui « doit » se passer dans le cerveau et le systeme nerveux : si 1' on fait tourner suffi­samment rapidement un cercle sur lequel sont placées, en proportions égales, les couleurs du spectre, ce cercle semblera gris (ou blanc si les couleurs sont completement homogenes). Le gris ne résulte pas de la superposition des couleurs, mais de la succession rapide des impressions sur la rétine. Une nouvelle image est done produite par 1' association d' éléments perc;:us séparément. Lorsque notre reil interne perc;:oit une «figure de fantaisie », il s'agit d'un meme assemblage de dif­férents éléments précédemment perc;:us, du a une « surexcita­tion, índice d'un mouvement tres rapide de la force ner­veuse».

Maury formule sa tentative d' explication en termes phy­siologiques plutót que psychologiques. Hervey, pour qui la physiologie n' est pas encore assez a u point pour etre un outil utilisable, cherche a aller plus lo in, par 1' observation détaillée et par l'introspection. Ce qui le conduit a décrire les trois manieres fondamentales dont le reve combine les images.

La premiere est une variante de la métaphore photogra­phique, les clichés-souvenirs deviennent des verres de lan­terne magique : «Si vous vous avisez de faire passer un second verre dans la lanterne avant que le premier ne soit retiré, deux choses pourront également advenir : ou bien les figures

)

182 Vies secondes

peimes sur les deux verres [ ... ] formeront un ensemble hété­rogene dans lequel Barbe-Bleue se trouvera face a face avec le Petit-Poucet; ou bien elles para!tront juxtaposées, auquel cas Barbe-Bleue aura deux tetes disparates, quatre jambes, ou un bras mena~t qui luí sortira de 1' oreille. » De m eme « deux idées, avec leurs images, pourront aussi se présemer, pour ainsi di re, de front, appelées en m eme temps par 1' en­cha.lnement des souvenirs » :

]e songe, par exemple, aux sphinx rapportés de Sébasto­pol, qui ornent la grille des Tuileries. L'association des idées évoque immédiatement et simultanément I'image de I'un de mes amis tués a la guerre de Crimée, et le tableau des ruines de Memphis ou d'autres sphinx sont figurés. ]'apen;:ois aus­sitót cet ami défunt depuis plusieurs années, et je crois le voir en Égypte visitant avec moi ces vestiges d'une grandiose ami­quité 1

La seconde maniere de combiner des images sera pour Hervey « 1' abstracrion » : la disposition de notre esprit a « reporter d'un su jet sur ~tre quelque qualité ou quelque maniere d'etre ». «Si la ~ig;eur <fun cheval étique le frappe particulierement dans l'attehrge d'une pauvre carriole qu'il apers:oit en reve, et si cette carriole le fait songer a quelque métayer pourvu d'un attelage a peu pres semblable, il repor­tera peut-etre l'idée abstraite de maigreur et de dépérissement sur ce métayer qui surgir a son tour au milieu du songe, et il le verra pret a rendre !'ame. O u bien a u comraire, si e' est ...,

l'idée de l'qttellement qui l'a préo~cup6 davantage, il verra le métayer lui-meme sous le harnais, sans en éprouver le moindre étonnement. >>

La troisieme maniere est la similitude de forme. Tour comme le dessinateur Grandville nous montrait « une série graduée de silhouettes commens:am par celle d'une danseuse et finissam par celle d'une bobine aux mouvements furieux »,

l. Les Reves .. . , op. cit., p. 89.

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Les observateurs du sommeil 183

les reves- surtout lorsque l'ame est extremement passive ou distraite - peuvent évoquer des réminiscences assemblées par leur similitude visuelle. \

La seule évocation des souvenirs emmagasinés dans les ...> archives de la mémoire suffit done pour produire les reves les plus étonnants, selon la maniere dont ces souvenirs se pré­sentent et se combinent. Et encore ne s'agit-il ici que du reve «o u les idées s' enchalnent et se déroulent d ' elles-memes, sans qu'aucune cause physique, interne ou externe, n'en vienne compliquer, interrompre ou modifier le cours », comme les bruits, les changemems de température, les sensations d' op­pression, ou les mouvements nerveux. Cette théorie repose sur une notion psychologique classique : l' association des idées. Pour Hervey (contrairement a Maury), il n'est pas nécessaire de faire appel a ce qui se passe, ou est censé se pas-ser, dans les « filir.e~> du cerveau. Selon lui, il suffit d' obser-ver les différentes manieres dont les idées se lient entre elles. Les reves naturels, si bizarres ou complexes soient-ils, proce-dent tous de l'un ou l'autre des phénomenes suivants: << 1) Le déroulement naturel et spontané d'une cha!ne cominue de réminiscences; 2) L'intervention subite d'une idée étrangere a celles qui formaient la cha!ne, par suite de quelque cause physique accidentelle 1• »

La « chai,u_e de réminiscences » sera formée par la superpo- " sition, l'abstraction et la similitude des formes. Analyser un ) reve, pour Hervey, signifie démeler les maillons de cette chalne. Si on 1' observe assez soigneusement, le caractere bizarre de n'importe quel reve trouvera son explication rationnelle.

Hervey décrit de nombreux reves ou des portraits pren­nent vie, des scenes se composent. Dans l'un d'eux, i1 croit voir ((une jeune fille vetue a l' antique, qui jouait sans se faire aucun mal avec plusieurs morceaux de fer rougis au feu. Chaque fois qu' elle y touchait, de longues flammeches

l. !bid, p. 91.

~

184 Vies secondes

demeuraient un instant suspendues a ses doigts, et quand elle frottait ensuite ses mains l'une contre l'autre, il en jaillissait une pluie d' étincelles qui s' éparpillaient avec bruit >>. De toute évidence il n' a jamais rien vu de semblable dans la vi e réelle mais il a pu voir d'un coté une jeune filie vetue de cette maniere et de 1' autre, des étincelles. Ce « reve composé)) ne suffit pasa prouver la (( puissance créatrice de l'imagination )), Le reve suivant n' est pas sans poésie, mais Hervey, préoccupé avant tout de sa démonstration, demande a ses lecteurs d' en oublier la « puérilité)) :

Un appareil en verre d'une forme bizarre est posé devant moi, sur une table tres basse. I1 parait rempli d' eau, et je ne sais que! personnage m'apprend que ce liquide a le pouvoir de rendre transparents, sans pour cela leur óter la vie, tous les animaux qu'on y plonge pendant quelques instants. Je m'étonne et j'émets des doutes; chose assez naturelle. Un chat miaulait, en ce moment, dans un coin de la chambre; je le prends, je le jette dans 1' appareil et j' examine le résultat. Or je vois !'animal perdre peu a peu son premier aspect pour devenir lumineux, translucide, diaphane, enfin, comme le cristal meme. II semble tout a fait a son aise au milieu du récipient; il nage, il s'allonge, il attrape bientót une souris transparente comme lui, queje n' a vais point encore aperc;:ue; et, grace a la transmutation singuliere opérée chez ces deux erres, je distingue les débris du malheureux rongeur qui des­cendent dans 1' estomac de son féroce ennemi 1•

A supposer meme, dit-il, qu'il ait gardé le souvenir d'avoir observé un infusorium au microscope, son imagination a (( pris a ce reve une part bien caractérisée, puisque c'est un chat tres distinct et non pas un animalcule infusoire >> qu' elle a su produire, dans ces conditions si curieuses. Les person­nages peuvent posséder l'usage de la parole, et des souvenirs ou des connaissances que le reveur semble ne pas partager. Hervey reve d'une jeune femme tres belle : «En songe,

l. !bid., p. 274-275.

Les observateurs du sommeil 185

je crois parfaitement la reconnaí:tre; j'ai meme le sentiment de l'avoir rencontrée déja bien des fois. Cependant je rn'éveille et ce visage, encore présent ama pensée, me semble des lors absolument inconnu. J e me rendors ; la m eme vision se reproduit. )) Cette fois-ci, il a la présence d' esprit de lui demander s'il n'a pas déja eu le plaisir de la rencontrer. « Assurément, me répond-elle, souvenez-vous des bains de mer de Pornic 1• >> Il se réveille pour de bon, et : « J e me rap­pelle alors parfaitement les circonstances dans lesquelles j'avais recueilli, sans m'en douter, ce gracieux cliché-souve­nir. >> Cet exemple montre, comme celui de Bruxelles-Franc-fort, que« la puissance de la mémoire [ .. . ] est infiniment plus p··.

grande a 1' état de réve qu'a l' état de veille )), Dans le reve des ~ ... ..J villes, le souvenir est resté inaccessible jusqu'a ce qu'une co'in-cidence dans la vie réelle le fasse ressurgir, et dans 1' exemple des bains de mer, ce souvenir est attribué a un personnage du réve.

Hervey consacre plusieurs pages a la création de person­nages. Il dit etre frappé par la (( disposition constante qu'a notre esprit de procéder par voie de dialogue [ ... ] des qu'il raisonne ou réfléchit )), «A peine le reve commence-t-il que déja la conversation paraí:t engagée avec quelque personnage imaginaire. Or, ces dialogues nous fournissent bien souvent la mesure de 1' étonnante sureté avec laquelle notre mémoire sait grouper ensemble tous les traits distinctifs des person­nages qu'elle a jugé a propos d'évoquer. )) Bien sur, certains reves sont incohérents, et les personnages sans consistance, mais souvent nos interlocuteurs, dans les reves, « gardent les opinions qu'ils soutiendraient, les paroles qu'ils diraient, et jusqu'aux accents qu'ils prendraient dans leurs discours )), Un auteur dramatique, dit-il, obtiene rarement des portraits aussi finement dessinés.

Hervey donne l'exemple d'une note qui devait etre lue a

l. !bid., p. 265. Freud cite ce reve (« d'apres Vaschide») dans L 'lnterprétation des ré¡¿__es, p. 21.

186 Vies secondes

un conseil composé de trois personnes avant d'etre adop­tée. Pendant la nuit qui préd:de cette réunion, il reve qu'il viene de lire la note, et que la díscussion s' engage. L'une des trois personnes approuve sans réserve, la seconde demande quelques modifications mineures, et motive cette demande. La troisieme aurait préféré des changements plus importants, mais semble commencer a se rendre a 1' opinion des deux autres. Une circonstance fortuite réveille alors le reveur. Lorsque la discussion a effectivement lieu, les choses se pas­sent comme dans son reve : « Aux expressions pres, la dis­cussion fue presque identique. » Hervey précise: «]ene vis la rien de surnaturel; mais je dus admirer la puissance d'in­duction dont mon imagination avait fait preuve, grace au recueillement du sommeil. »

Une variante de cette forme de reves ese celle ou « nous trouvons en nous-memes, et par une sorce de dédoublement moral, tous les éléments d'une controverse animée». Tantót nous discutons avec des interlocuteurs imaginaires, tantót nous sommes le témoin, plus ou moins imparcial, d'un débat engagé par d'autres. L'un de ses amis, hésitant avant de s'en­gager dans le mariage, entend en reve les conseils de deux femmes (qu'il ne conna1t pas dans la vie réelle) : l'une, jeune, blonde, élégante, insiste sur le bonheur exceptionnel qu'il est permis d'espérer, si l'on se marie par amour, et sur« les regrets qui peuvent suivre une union dépourvue de véritable sym­pathie». L'autre, grave, moins jeune, vetue de noir, réfute avec un sourire triste «ces arguments passionnés », montre le danger de certains enthousiasmes. A son réveil, 1' ami de Her­vey est plus irrésolu que jamais, mais finit par se décider pour le mariage. Pour Hervey, ces deux femmes sont « l' imagina­tion et la raison personnifiées », et «ces personnifications ont souvent leur poésie ».

L' esprit qui reve peut done, selon Hervey, reproduire, combiner, créer. Ce pouvoír créateur est-il si exalté par le sommeil qu'une véritable reuvre de création puisse s'en­suivre? Hervey cite certains exemples convenus (Tartini, Vol-

Les observateurs du sommeil 187

taire, Condillac, Cardan), ainsí que celui d'un ami person­nel, le savant J.-B. Biot, qui lui rapporte avoir souvent tra­vaillé utilement en revant. Il distingue cependant les « savants, mathématiciens, musiciens et artistes » des « littéra­teurs et poeces ». Tandis que les premiers ont pu tirer partie des inspirations de leurs reves, les écrivains ont tendance a oublier ce dont ils ont revé : «La Sonate de T artini nous est restée, nul fragment de cette variante de La Henriade revée par Voltaire ne fut reconstruir.» Et meme s'ils parvenaient a se souvenir, leur déception serait complete, affirme Hervey, citant l'exemple de l'un de ses amis, un« auteur apprécié du public », qui avait revé que «des vers charmants naissaíent pour ainsí dire d'eux-memes sous sa plume, qu'il venait sur­tour d'ímprovíser une perite piece qui luí semblait un chef­d' reuvre ». Il s' éveille, et note, les yeux a demi ouverts, les deux dernieres strophes. Selon Hervey, le résultat ese inco­hérent; qui plus ese, deux vers, sur huit, ne riment pas! Bien que le poeme ne soit pas un chef-d' reuvre, le lecteur moderne, habitué a de nouvelles formes de « cohérence », peut apprécier un alexandrin : « L' air était parfumé de sable aux couleurs vives» qui, en dépit des critiques que formule Hervey, n' aurait pas paru déplacé, soixante ans plus tard, dans un poeme surréaliste. Pour Hervey toutefois, lorsqu'il est question d' reuvre littéraire, ou « tme saine critique [ ... ] une inspiration contenue et [ ... ] un jugement réfléchi » sont nécessaires, les reves se révéleront rarement utilisables.

En formulant cette conclusion, il semble oublier certaines de ses propres observations sur la capacité des reves a forger des personnages d' apres la mémoire, o u d' apres des souvenirs reliés a des parties inconnues du moi. N'a-t-il pas lui-meme évoqué l'analogie avec un auteur dramatique, et affirmé que certaines personnifications des reves ont leur poésie? Mais ces .... petsonnages restent a Tintérieur du reve et ne prennent pas corps, ni sur scene ni sur papier.

Ces deux observateurs du sommeil ont renouvelé la tradi­tion psychologique en cours depuis le début du dix-neuvieme

188 Vies secondes

siecle. L'innovation la plus radicale est l'utilisation de leurs propres reves comme matériau de base, ce qui les conduit a un degré de précision jamais atteint auparavant, notamment en ce qui concerne le role de la mémoire et de la « réminis­cence ». Tous deux, par leur méthode d' observation et d' ex­périmentation, annoncent les recherches du vingtieme siecle sur le reve. Chez Maury toutefois, un paradoxe demeure non

-résolu : d'un coté les reves, comme l'aliénation, sont expli-qués par l'automatisme et d'absurdes associations d'idées; de l' autre, ils peuvent donner lieu a des visions et des sons tota­lement nouveaux, par le « pouvoir créateur de l'imagination ».

e Et meme, parfois, une perception interne réalisée (comme la Sonate de T artini) peut donner une reuvre de valeur durable. Mais il n'en reste pas moins une opposition entre automa­tisme et créativité. Hervey de Saint-Denys, lui, ne s'est guere intéressé al' aliénation, et son livre, fa u te d' etre largement dif­fusé et connu 1, est resté en marge de la pensée du dix-neu­vieme siecle sur les reves.

l. Freud n'avait pu se le procurer : «Le marquis d'Hervey, centre Jeque! Maury a engagé une violente polémique, et dont, en dépit de tous mes efforts, je n'ai pu me procurer l'ouvrage, parait avoir été le plus énergique défenseur du rendement intellectuel du reve ,, L 1nterprétation des reves, p. 61. Le livre d'Her­vey n'est mentionné ni dans Le Sommeil et les reves de J. Delbceuf (1885), ni dans la bibliographie établie par A.-P. Chabaneix dans sa these de médecine: Essai sur le subcomcient dans les a:uvres de /'esprit et chez leurs auteurs (Imprimerie du Midi, Bordeaux, 1897).

4

LE R~VE ET LE DÉDOUBLEMENT DE LA PERSONNALITÉ

Je lis dans la pensée de mes fantómes, c'est­a-dire dans la m ienne.

ALBERT LEMOINE

En 1879, Joseph Delbreuf (1831-1896), philosophe et psychologue beige, propose trois anides a La Revue philoso­phique 1 de Ribot. Dans le premier, il rend compte d'une publication récente de Radestock 2 et attire 1' attention sur «le phénomene connu sous le nom de division ou de dédouble­ment du moi », quand le reveur attribue a une autre personne ses propres pensées et sensations. Radestock explique ce phé­nomene par un affaiblissement de l'attention et de la conscience de soi (1'« aperception active»), les autres éléments compris dans la notion du moi - les idées, les sentiments, les volitions, les souvenirs- restant intacts : « L'homme alors ne sent plus son moi que d'une maniere restreinte, il ne se

l. <<Le Sommeil et les reves>>, Revue philosophique, 8, 1879, << Apero;u critique de quelques ouvrages récents >> (p. 329-356); << Leurs rapports avec la théorie de la certitude >> (p. 494-520) ; <<Sur le dédoublement du moi dans les reves » (p. 616-618). Plus tard Delbceuf publiera son propre livre sur les reves: Le Sommeil et les reves, comidérés principalement dans leurs rapports avec les théories de la certitude et de la mémoire, Questions de Philosophie et de Science, Alean, 1885. Sur Delbceuf voir F. Duyckaerts, « Sigmund Freud : Lecceur de Joseph Delbceuf>>, Frénésie: Histoire, psychiatrie, psychanalyse, 8, p. 71-88.

2. Paul Radestock, Schlaf und Traum, eine physiologisch-psychologische Unter­suchung, Breitkopf & Harte!, Leipzig, 1879.

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11

190 Vies secondes

regarde plus comme l'unique soutien de ses idées, et il en rap­porte une partie a des étres étrangers 1• >> Pour Delbreuf, il s'agit la d'une description, et non d'une explication. Ce phé­nomene est tout simplement une dramatisation de cette habi­tude de la pensée de se manifester sous forme de dialogue :

Au momem o u j' écris, je cause avec un lecteur fictif et je lui attribue les objections et les doutes, lorsque je ne me crois pas clair, ou que je doute moi-meme. Or je pourrais tout aussi bien prendre son role, et mettre dans sa bouche les réponses et les solutions 2•

Dans ce premier article, Delbreuf se contentait de men­tionner l'idée sans la développer, mais dans le troisieme «Sur le dédoublement du moi dans les réves », il ajoute une observation: «]e suis en possession d'un fait récent [ ... ] qui donne un tres haut degré de probabilité a cette maniere de VOlf. >>

Un « excellent bourgeois >> de ses amis, qui connait l'inté­ret de Delbreuf pour la psychologie, lui raconte de temps en temps ses reves. Cet ami, qui ne connait absolument ríen a l'architecture, dresse les plans d'une maison qu'il se propose de construire; son ingéniosité et son originalité lui procurent un plaisir infini; il aime s'imaginer aller et venir dans cette maison. Un jour, dans son fauteuil, pres de la cheminée, ses reveries tournent autour de cette merveilleuse maison, qu'il veut faire admirer a des amis. Dans cette reverie, commence alors un « petit drame » : des revers de fortune 1' obligent a vendre cette maison qui, pourtant, « n' est pas encore sortie de terre »; il accompagne un acheteur imaginaire mais enthousiaste dans la visite des nombreuses pieces. A ce moment, il s' assoupit. Et, dans le réve qui s' ensuit, les roles sont inversés :

l. Revue philosophique, 8, p. 343. 2. !bid

Le reve et le dédoublement de la personnalité 191

C' est lui maintenant qui se trouve devant un propriétaire obligé de louer ou de vendre, c'est lui qui est enchanté des agréments sans nombre de cette savante habitation et qui marche de surprise en surprise et passe de 1' étonnemem a l'admiration, de l'admirarion a l'extase. Et il ne faut pas oublier un dernier détail. Notre bourgeois transformé en visi­teur ne connaissait nullement la maison qu' on lui montrait, et néanmoins e' était bien celle do m il avait dressé les plans et dont un autre lui expliquait les avantages 1•

Ce réve, qui succede a une réverie éveillée, permet d' entre­vo ir ce qui ne s' appelle pas encore le « travail du réve >> et pro­duit ici l'inversion des roles. Delbreuf sait que, dans le reve, le propriétaire est un alter ego, puisque le « bourgeois >> occupait lui-méme ce role dans la réverie qui précédait. On peut voir que le processus est extensible: d'un coté, le moi qui est le pro­tagoniste de la réverie et du réve est déja le double du moi assis pres de la cheminée ; et de 1' autre, la reverie o u le reve peuvent, délibérément o u non, évoquer d' autres personnages, lesquels ne peuvent etre, eux aussi, que des « émanations )) du moi.

Delbreuf invente un néologisme pour désigner le proces­sus de devenir un « autre >> dans le fantasme o u le réve : 1' al­truisation2. Selon lui, ce processus fonctionne meme dans la mémoire ordinaire : « Quand je me rappelle mon enfance, je m' altruise en un enfant; quand jeme rappelle mon ignorance d' alors, je m' altruise en un ignoran t. >> Et puis, dans la toute derniere phrase, Delbreuf ménage une surprise a l'intention de ses lecteurs : « Et tenez- car tour psychologiste est obligé de faire l'aveu méme de ses faiblesses s'il croit par la jeter du jour sur quelque probleme obscur- je viens encore de m' al­truiser : le bon bourgeois, c'est moi 3• >> Son récit devient done, implicitement, une reuvre de fiction, peuplée de per-

l. !bid., p. 617. 2. Le mot altruisme, forgé par Auguste Comte, était lui-meme relativement

récent. Le Dictionnaire étymologique de Dauzat le date de 1830; la premiere occurrence relevée par le TLF est de 1852.

3. Revue philosophique, 8, p. 618.

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192 Vies secondes

sonnages qui tous sont des versions de lui-meme. Ainsi, a son insu sans doute, il unir trois courants de pensée de la pre­miere moirié du siecle et met en lumiere un point commun au reve, a la folie et a la créativité.

Lemoine, Baillarger et Maury ont tous noté que les reves impliquent souvent une forme de« dédoublement »-meme si le mot n' est pas forcément urilisé 1

- o u de « scission » de la personnaliré. Lemoine y fait allusion une premiere fois dans une discussion sur le somnambulisme, l'extase et l'ex­périence mystique. Il cherche a montrer que le (( mystique)) ou le somnambule ne possede pas le don particulier de lire les pensées des autres, ou de communiquer en silence, sans aucun signe pour l' aider. Dans ce contexte, les reves lui four­nissent un parallele :

Lorsqu'un réve présente a mon imagination plusieurs per­sonnages, je les entends rous parler comme je les vois agir, o u plurót je les fais moi-méme agir et parler; je lis dans la pensée de mes fantómes, e' est-a-dire dans la mienne qui leur attribue des sentiments et des idées conformes a leurs roles. Ainsi fait 1' extatique dans ses réves 2•

Ainsi J akob Bcehme et d' a u tres visionnaires ont des conver­sations silencieuses avec l'Esprit-Saint qui leur révele de sublimes pensées. Mais, lorsqu'ils essaient d'.exprimer ces pen­sées en mots, le mélange ridicule et pompeux qui en résulte prouve, selon Lemoine, que leur raison est atteinte. A propos de la persistance de l'identité personnelle durant le somnam­bulisme, il explique que la perte- ou le changement - de la personnalité dans la folie est plus apparente que réelle. Le fou ou le somnambule est victime d'une illusion :

l. Le TLF date l'expression dédoublement du moi de 1870, avec une référence a Taine (De l'intelligence) ; dédoublement de la personnalité est utilisé par Baillar­ger en 1861 et 1862, et par Théophile Gautier en 1858.

2. Du sommeil . . . , op. cit., p. 31 1.

Le reve et le dédoublement de la personnalité 193

Le fou, le somnambule se fait illusion sur lui-méme, sur sa personne, s'attribue dans son délire des actions qu'il n'a pas faites et renie ses actes passés. 11 ne fait cependant que s'iden­tifier avec l'auteur historique ou imaginaire des actions qu'il réve, plus intimement, mais de la méme fac;:on que l'homme éveillé avec le personnage auquel il pense, l' acteur avec son role, le poete o u le lecteur avec le héros de son roman. « Si j' étais un tel! >> et aussit6t une imagination vive nous transporte a cette place et nous nous attribuons dans nos réveries comme dans nos réves le passé d' un personnage réel o u fabuleux 1

En niant toute différence essentielle entre le fou, le reveur et le poete, Lemoine réaffirme son postular fondamental : la personnalité est une unité. Bien qu'il ne parle pas précisé­ment de « dédoublement », le processus d ' identification en résulte.

Maury, selon son habitude, fournit des exemples précis. Dans l'un des reves les plus clairs et les plus rarionnels qu'il ait jamais eus, il débat la question de l'immorralité de l'fune. Les arguments de son contradicteur ne sont autres, nous dit­il, que les objections qu'il se fait a lui-meme. Une autre fois, le mot Mussidan lui vient a !'esprit, alors qu'il est éveillé. 11 sait que c'est le nom d'une ville franc;:aise, mais ignore ou elle se rrouve, o u plutót 1' a oublié. Plus tard, dans un reve, il ren­contre une personne qui vient de Mussidan. Il lui demande done ou se trouve cette ville. On lui répond qu'il s'agit d'un chef-lieu de canton, en Dordogne. A son réveil, il se souvient du reve, mais doute de 1' exactitude du renseignement. 11 consulte done un dictionnaire géographique et : «a mon grand étonnement, je constate que l'interlocuteur de mon reve savait mieux la géographie que moi, c'est-a-dire, bien entendu, que je m' étais rappelé en reve un fait oublié a 1' état de veille, et que j'avais mis dans la bouche d'autrui ce qui n'était qu'une mienne réminiscence 2 ».

l. !bid., p. 357. 2. Le Sommeil et les reves, op. cit., p. 120-121. Freud cite ce reve dans I'Inter­

tJrétation, p. 20.

194 Vies secondes

Les autres exemples donnés par Maury mettent tous en valeur le róle de la mémoire, ou plutót d'un certain type d'ou­bli dans lequell'information oubliée ese fournie par un per­sonnage du n~ve. Il s' agit la de « 1' attriburion a des individus distincts de pensées qui sont pourtant l'ceuvre d'une seule et meme intelligence ». Ces observations sont notées dans le chapitre «Des analogies du reve et de 1' aliénation mental e», dans lequel Maury parle de ce phénomene « qu'on peur appe­ler la scission de la personnalité » :

Le fou attribue alors a des interlocuteurs différents, par­fois meme a toute une assemblée qui siege dans sa tete, les pensées qui luí viennent a !'esprit, les paroles qu'il prononce. Un aliéné que j'ai connu se disait incommodé par les dis­putes de plusieurs démons qui l'entouraient. Il m'a cité les invectives qu'a son grand scandale, s'adressaient entre eux ces esprits malins. Or, ce colloque diabolique n' était autre que les paroles que l'aliéné prononc;:ait lui-meme, mentalement ou vocalement, paroles qu'il rapportait tantót a un démon, tantót a un autre 1•

11 n' est guere d' ouvrage sur 1' aliénation mental e o u ne se trouvent rapportés des faits analogues, nous dit Maury. Baillarger, par exemple, dans ses premieres recherches sur l'hallucination (1845), a mentionné des malades qui s'en­tendent interpeller a la deuxieme personne : (( C' est le fait de la dualité intellectuelle qu' on retro uve chez les inspirés, et aussi chez quelques aliénés qui n'ont point d'hallucina­tions 2• » Maury explique ce « fractionnement de la personna­lité qui s' opere dans l'imagination du fou » par les différents ordres d'idées dont il est alternativement agité. Assailli par des pensées contradictoires, (( entrainé ou reten u tour a tour par des motifs différents », le fou suppose que ces idées et ces

l. !bid. 2. Baillarger, Recherches sur les maladies mentales, 1, Masson, 1890 [1844),

p. 278. Le rexre cité se réfere aux conversarions de Lurher et du Tasse avec les démons.

Le réve et le dédoublement de la personnalité 195

motifs ne procedent pas tous de son propre esprit. Les objec­tions sont attribuées a des ennemis extérieurs a lui-meme, comme des démons, ou bien, éventuellement, ces ennemis s' expriment par sa bouche et agissent asa place. Des « concep­tions délirantes)) identiques peuvent etre présentes dans les reves, et Maury en a fait l'expérience lui-meme. Lorsque Baillarger analyse le livre de Maury pour les Annales médico­psychologiques, il admet cette analogie entre le reve et la folie :

Il [Maury] a surrout insisté sur ce fait curieux de dédou­blement de la personnalité qu' on observe, en effet, si souvent dans les deux états.

On voit alors l'intelligence se fractionner pour ainsi dire en deux parties. L'homme qui reve continue a reconna.ltre comme siennes certaines idées, et il attribue les autres a un etre étranger; de la, les conversations que nous avons si sou­vent pendant le sommeil. Cette perte de conscience, de l'unité intellectuelle, s' observe aussi tres souvent chez les alié­nés [ ... ] ]'observe dans ce moment une pauvre femme qui toute la journée s' accable d'injures, avec la conviction que ces injures sont dites par le diable 1•

Le phénomene de « dédoublement » de la personnalité se produit done dans les reves et la maladie mentale, et se pré­sente sous deux formes fondamentales : 1' attribution de pen­sées et de mots (Maury, Baillarger) \ de sentiments (Del­bceuf) a un ou plusieurs personnages, sans savoir, pour

l. Annales médico-psychologiques, 3' série, 8, 1862, p. 357. 2. Baillarger (Annales médico-psychologiques, 3' série, 7, 1861, p. 93) momee

qu'au cours de cerraines séances de spiritisme, de tels phénomenes peuvem se pro­duire; il donne l'exemple d'une femme do m la filie morte, évoquée tour d'abord par un médium, se rrouve désormais «avec~ elle de fas;on permanente, dirigeam ses actions et pouvam erre questionnée a tour momem. 11 commeme : « Il y a la un dédoublement de la personnalité analogue a celui qui se produit dans le reve; une fraction appartiem a l'individu, une aurre lui semble en dehors de luí. Il y a quelques jours, dans un reve, j'ai éprouvé ce phénomene du dédoublemem de la personnalité. Jeme figurais avoir été compromis dans une émeute; amené devant un magistrat, je luí demandai si mon affaire était grave? Non, me répondair-il, vous en aurez pour cinq a six mois de prison. ~

196 Vies secondes

l'instant, qu'ils appartiennent a soi-meme; l'identification a l'autre personnage (Delbceuf, Lemoine) et, poussé a !'ex­treme, l'oubli de sa propre identité.

Les écrivains se retrouvent parfois dans une position ana­legue. Alexandre Dumas, en 1853, affirme que Gérard de Nerval s'identifie aux personnages de ses histoires. Dans son introduction au poeme El Desdichado pour sa revue Le Mous­quetaire, il fait allusion aux acces de folie du poete. Dans cet esprit « charmant et distingué », un certain phénomene se produit de temps en temps :

Lorsqu'un travail quelconque l'a fort préoccupé, l'imagi­nation, cette folle du logis, en chasse la raison, qui n'en est que la mal'tresse; alors la premiere reste seule, toute-puis­sante, dans ce cerveau nourri de reves et d'hallucinations, ni plus ni moins qu'un fumeur d'opium du Caire, ou qu'un mangeur de haschisch d'Alger [ ... ] Tantot il est le roi d'Orient, Saloman, il a retrouvé le sceau qui évoque les esprits, il attend la reine de S aba; et alors, croyez-le bien, il n'est cante de fée, ou des Mille et Une Nuits, qui vaille ce qu'il raconte a ses amis [ ... ] tantot il est sultan de Crimée, comte d'Abyssinie, duc d'Égypte, baron de Smyrne. Un autre jour il se croit fou, et il raconte comment ill' est devenu 1•

Mettant l'accent sur le líen entre la folie de Nerval- ces moments ou la raison est chassée par l'imagination- et son talent de conteur, Dumas fait presque du second une fonc­tion de la premiere. Dans un passage que Nerval n'a pas reproduit, lorsqu'il cite ce texte dans sa préface aux Pilles du feu, Dumas avait écrit: «Alors notre pauvre Gérard, pour les hommes de science, est malade et a besoin de traitement, tandis que pour nous il est tout simplement plus conteur, plus reveur, plus spirituel, plus gai ou plus triste que jamais. » Nerval répond : «]e vais vous expliquer, mon cher

l. Repris dans Nerval, CEuvres completes, III, Gallimard, 1993, p. 449-450.

Le reve et le dédoublement de la personnalité 197

Dumas, le phénomene dont vous avez parlé plus haut. Il est, vous le savez, certains conteurs qui ne peuvent inventer sans s'identifier aux personnages de leur imagination. Vous savez avec quelle conviction notre vieil ami Nodier racontait com­ment il avait e u le malheur d' etre guillotiné a 1' époque de la Révolution; on en devenait tellement persuadé que l' on se demandait comment il était parvenu a se faire recoller la tete 1• » L'identification peut se produire de la meme maniere pour une histoire écrite : « Hé bien, comprenez-vous que l'entra1nement d'un récit puisse produire un effet semblable, que l'on arrive pour ainsi dire a s'incarner dans le héros de son imagination, si bien que sa vi e devienne la votre et qu' on brule des flammes factices de ses ambitions et de ses amours. »

leí nous touchons un autre theme implicite chez Del­bceuf : la fiction. Le « bourgeois » de son histoire était un « double »de lui-meme (brulant des flammes de l'ambition), tout comme l'acheteur potentiel de la maison dans sa reve­rie, et le propriétaire dans son reve. Ainsi qu'ille fait remar­quer, un nombre indéfini de personnages auraient pu etre inventés, et tous auraient été des« émanations » de lui-meme. Les romanciers créent-ils toujours leurs personnages, sciem­ment o u non, a partir de cette sorte de reverie? Bien qu'il soit difficile de généraliser - et je ne connais pas d' étude approfondie sur ce sujet -, le texte de Nerval et d'autres exemples déja rencontrés, comme celui de Balzac, semblent étayer cette hypothese. Pour Laure Surville, nous l'avons vu, « Louis Lambert et luí ne font qu'un, c'est Balzac en deux personnes 2 » et pour Gautier, le narrateur, le compagnon de classe de Louis, est un autre double de Balzac. Gautier évoque d' ailleurs la notion de « dédoublement » : « Dédoublant sa personnalité, il s'y peint comme ancien condisciple de Louis Lambert, tantot parlant en son nom, et tantot pretant ses

l. !bid, p. 450. 2. Cf. supra, chap.ll, note 1, p. 163.

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propres sentiments a ce personnage imaginaire 1• >> Gautier et Brierre de Boismont citent tous deux le début de Facino Cane, dans lequel « Balzac >> décrit le processus d'identifica­tion avec des personnes observées dans la rue. Que ce texte soit ou non autobiographique {le narrateur vit bien dans une rue ou Balzac a réellement habité, et sa femme de ménage, comme celle de Balzac, s'appelle «la mere Vaillant»), i1 s'agit sans conteste de la descriprion d 'un processus de transfor­mation de 1' « observation >> en « intuition >> : « Chez moi, 1' ob­servation était déja devenue intuitive [ .. . ] elle saisissait si bien les détails extérieurs, qu'elle allait sur-le-champ au-dela [ ... ]. En entendant ces gens, je pouvais épouser leur vie, je me sen­tais leurs guenilles sur le dos. >> Le narrateur se demande si cette faculté de devenir autre que soi-meme n'est pas dange­reuse : « C' était le reve d' un homme éveillé [ ... ] A quoi dois­je ce don? [ ... ] est-ce une de ces qualités dont l'abus mene­rait a la folie 2 ? »Un semblable glissement d'un point de vue extérieur («les personnages imaginaires [ .. . ] me poursui­vent») a un point de vue intérieur («ou plutót c'est moi qui suis dans leur peau ») se trouve dans la réponse de Flaubert a Taine, au sujet de l'hallucination artistique. L'identification - la faculté de partager les sensations des personnages (« je marchais les pieds dans leurs souliers percés », «le gout de 1' ar­senic»), leurs désirs, besoins, ambitions et amours- semble etre a tout le moins une phase possible du processus de dédoublement. H ugo 1' évoque en d' a u tres mots : « Quand un monde se meut dans le cerveau d'un homme 3• >>Un monde, mais aussi, du monde, image reprise dans un poeme de La Légende des siecles : Un poete est un monde enfermé dans un homme:

1. Gaurier, Le Moniteur (23 mars 1858), p. 371. 2. La Comédie humaine, IV, Le Seuil, 1966, p. 257-258. 3. Toute la lyre, Poésie, IV, op. cit., p. 352.

Le reve et le dédoublement de la personnalité

Mélésigene, aveugle et voyant souverain Dont la nuit obstinée attristait 1' reil serein, Avait en lui Calchas, Hector, Patrocle, Achille; Prométhée encha!né remuait dans Eschyle 1•

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La métaphore de la maternicé suggérée par « remuait dans >> se poursuit avec « Leur fruit cro!t sous leur front comme au sein de la femme >> puis se transforme en un mélange d' expé­rience visionnaire et de dialogue entre des personnages : «Cervantes pale et doux cause avec don Quichotte. >> A la fin du poeme, chacun des poetes évoqués converse avec un de ses « doubles >> : Shakespeare et Macbeth, Moliere et don Juan, Dante et Béatrice, et tous deviennent au dernier vers «Ces grands esprits parlant avec ces grands fantómes >> - mot significatif, a la date de la composition du poeme (1854), et qui fait écho a 1' étrange climat de terreur melée d' enthou­siasme et de réticence qui caractérise la période des tables par­lantes 2• Ce contexte, et en particulier le theme du crane contenant une population entiere (« Plaute en son crane obs­cur sentait fourmiller Ro me»), est plus précisément celui de la création poétique, et le mot « fantóme >> appara!t a nouveau dans William Shakespeare (1864). Hugo y décrit la «création divine indirecte, e' est-a-dire la création hu maine>> - la créa­tion de personnages. Un « type >> pour Hugo n' est ni un indi­vidu, ni une abstraction, mais condense la réalité d'une «famille de caracteres et d'esprits». S'il n'était qu'une pure abstraction, il serait une ombre sans vie. S'il était un indi­vidu, il serait limité :

Alcibiade n'est qu'Alcibiade, Pécrone n'est que Pétrone, Bassompiére n' est que Bassompiére, Buckingham n' est que Buckingham, Fronsac n'est que Fronsac, Lauzun n'est que

l. Ugende des siecles, Nouvelle série, 20; Poésie, III, p. 475. 2. La meilleure étude de cette période demeure celle de Jean Gaudon : • La

Saison en enfer de 1854», Le Temps de la contemplation, Flammarion, 1969, p. 192-240.

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Lauzun; mais saisissez Lauzun, Fronsac, Buckingham, Bas­sompiére, Pétrone et Alcibiade, et pilez-les dans le mortier du reve, il en son un fantome, plus réel qu' eux tous, donJuan 1•

De tels fantómes « ont plus de densité que l'homme », ils sont «une conception psychique qui a le relief du fait, et qui, si elle saigne, saigne du vrai sang 2 ». Dans Promontorium som­nii, Hugo dit de ces personnages : « C' est le monde qui n' est pas et qui est [ ... ] Cette cime du reve est sous le crane de tout poete comme la montagne sous le ciel 3• »

Pour Hugo, le processus de création prend racine dans le reve; a l' encontre de Balzac et de Flaubert, les personnages pour lui existent d'abord a l'intérieur du (( crane)} du poete et, plus tard seulement, a 1' extérieur. «A 1' extérieur », cepen­dant, ne signifie pas qu'ils apparaissent au poete, ou, selon l'image de Flaubert, qu'ils le « poursuivent », mais plutót qu'une fois créés, ils existent dans l'reuvre, et, partant, dans !'esprit des lecteurs. Hugo ne parle pas seulement du proces­sus, mais aussi du résultat, c'est-a-dire la création d'une troi­sieme réalité, intermédiaire entre le reve et le réel.

l. CEuvres completes, Critique, p. 355; c'est moi qui souligne. 2. !bid., p. 356. 3. !bid., p. 644.

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LE PROMONTOIRE DU SONGE

Víctor Hugo

Une vie autre que la notre s)grege et se désagreg<;¡.composée de nous-memes et ct'autre chose ...

Les Travailleurs de la mer

En dehors de Nerval, Víctor Hugo est l'écrivain de l'époque le plus familier du reve et de la folie. La folie, illa conna!t dans sa propre famille : son frere Eugene, dont 1' état mental ne cesse de se détériorer depuis 1818, est interné a Charenton o u il restera jusqu'a sa mort en 1838 1

; on conna1t I'histoire de sa fille Adele, dont la vie se termine en 1915 a la maison de santé de Saint-Mandé fondée par Brierre de Boismont 2• Hugo est conscient du danger qui menace celui qui s' approche trop des contrées du reve : « Il faut que le son­geur soit.plus ~songe3• » Dans ses carnets intimes, surtout entre 1855 et 1875, il note ses reves 4

• De nombreux poemes et plusieurs romans, comme Les Travailleurs de la mer

l. Cf. M. et D. Gourevitch, <<La folie d'Eugene Hugo», dans Victor Hugo, Comspondance familia/e et écrits intimes, II, Bouquins, Laffont, 1991, p. 755-783.

2. Cf. H. Guillemin, L 'Engloutie. Adele, filie de Víctor Hugo, 1830-1915, Le Seuil, 1985, et N. Gauffeny, ~Ade!e Hugo, filie indigne», Frénésie: Histoire, Psy­chiatrie, Psychanalyse, I, op. cit., p. 9-25.

3. CEuvres completes, Critique: Promotorium somnii, Bouquins, Laffont, 1985. p. 652.

4. Cf. H. Guillemin, « Victor Hugo et!e r~e», Mercurede France, 312 (1951) p. 5-32.

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(1866) et L 'homme qui rit (1869), puisent dans le reve leur substance. Ses écrits de réflexion et de critique publiés apres 1862 abordent également le lien entre reve et création.

A la différence de Nerval, pour qui reve et vie réelle SOnt deux domaines séparés bien que paralleles («les portes de come et d'ivoire », <d' épanchement du songe dans la vi e réelle »), Hugo les voir comme un continuum."\La frontiere entre I'un et l'autre n'escpasprécise, a t'íñstar de la grada­tion de la lumiere a l'obscurité. Un poeme de 1831, La pente de fa réverie, admiré par Baudelaire 1, contient déja cette idée. Le poere, a sa fenetre, commence par « regarder au loin » un paysage extérieur, avant d 'etre plongé dans une vision inté­Fieure, peuplée de ses amis absents, ses amis disparus. Puis ce sont des foules qui apparaissent, des voix, des villes, des peuples ... l'humanité entiere. Cette vision, qui n'est pas sans rappeler celle de Raphael dans le magasin d' antiquités (La Peau de chagrín), aboutit a l'évocation de la tour de Babel:

[ ... ] c'était comme un grand édifice Formé d' entassements de siecles et de lieux; On n'en pouvait trouver les bords ni les milieux A toutes les hauteurs, nations, peuples, races Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces, Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas, Parlant chacun leur langue et ne s' entendant pas; Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde, De degrés en degrés cette Babel du monde 2

_ Le vers suivant qualifie cette vision de « r~e ~x »; le poete y est venu progressivement («une pente insensible/ Va du monde réel a la sp~ invisible»)--; mais nulle part il -

l. • Qui ne se souvient de La Pente de la reverie, déja si vieille de date? Une ... "' _.grande partie de ses ceuvres récemes semble le développement aussi régulier

qu'énorme de la faculté qui a présidé a la génération de ce poeme énivrant. ,, Bau­delaire, CEuvres completes, Réjkxiom sur quelques-uns de mes contemporaím, • l. Víctor Hugo », Bibliotheque de la Pléiade, Gallimard, II, 1976, p. 137. •la Pente de la reverie, : Les Feuil!es d'automne, CEuvres completes, Poésíe, 1, p. 631-634.

'-----r.- !bid., p. 634.

«Le Promontoire du Songe >> 203

n'est question de sommeil. Tout a la fin du poeme, quand il J1J n'y a plus que ténebres, que toute forme a disparu et qu'il ne << voit » plus guere que des archétypes ou des abstractions ( « Dans 1' es pace et le temps les nombres entassés ») , le poete cherc_he a plonger ~re plus loin, mais revient épouvanté : il a enirevu l' éternité. ~e moment représente bien une rup-ture afors-que, jusqu'a présent, on était passé sans solution de continuité du verdoiement du mois de mai a París au cau­chemar d'une gigantesque et foisonnante tour de Babel ou ríen ni personne ne se comprend.

Le continuum de la lumiere a 1' obscurité, si souvent évo­qué pa;-Hugo, perrriet de mieux appréhender celui du reve ' au réel (ou vice versa). Des ténebres absolues a la lumiere l ave"Ugknte, le continuum existe, mais il est posé par 1' esprit, 1 plutót que rencontré dans la réalité. Dans la réalité, nous sommes en présence soit d'alternances, soit de mélanges d' ombre et de lumiere. La Pente iefa réverie permet de par- ' courir tourel~chelle de ce contiñuum du réel au reve. Le plus \ souvent, nous- ou tout au moins les personnages de Víc-tor Hugo - devons nous contenter de simples alternances ou composés. Lorsque Pierre Gringoire est pris comme mari par la Esméralda, il se croit encore dans le reve: « Gringoire ici crut fermement qu'il n'avait fait qu'un reve depuis le matin, et que ceci était la suite 1• »Un peu plus tard, craignant de perdre pied, il attache « obstinément son regard aux trous de son pourpoint, afin de se cramponner a la réalité et de ne pas perdre terre tout-a-fait ». Lorsque l'heure de se coucher finit par arriver, cette précaution n' est plus nécessaire; la réa-lité s' en charge : « Il n'y avait de meuble propre a u sommeil qu'un assez long coffre de bois; et encore le couvercle en était-il sculpté; ce qui procura a Gringoire, quand il s'y étendit, une sensation a peu pres pareille a celle qu'éprouverait Micro­mégas en se couchant de tout son long sur les Alpes.>> Ici le narrateur joue, de maniere ironique et anachronique, avec la

l. CEuvres completes, Roman, I, p. 561. '\

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fiction (Micromégas), le reve, le sommeil eda..ré_alité. L'iro­~ie ñ'est pa'Stocrjours- préseríte, mais le mélange de ces élé­mems se retro uve souvent. Ainsi la Esméralda, dans 1' obscu­rité de sa prison, se sent perdue elle aussi : « Depuis qu' elle était la, elle ne veillait ni ne dormait. Dans cette infortune, dans ce cachet, elle ne pouvait pas plus distinguer la veille du

_Jg.Inrneil, le reve de Taréalite, que le jour de la nuit. » Le mélange du reve et de 1' éveil est parfois teimé d'hu­

mour. Ainsi, dans Promontorium somnii (1863), ou Hugo juxtapose d'innombrables exemples de « somnambulisme » : « Souvent 1' état de reve gagne les hommes graves, les savants, les théologiens [ ... ] En 1516, l'official de Troyes rend cet arret : "[ . .. ] admonestons les chenilles de se retirer dans six jours, et a défaut de ce faire, Id dédarons maudites et excom­muniées '" », et diverses superstitions et fantaisies poétiques: « Tout le monde sait qu' on voit dans la lune un homme suivi d'un chien et portant un fagot. Qui ne voit pas cet homme sera changé en loup-garou. Pourquoi? C'est que cet homme est Ca1n.»

Le poete reviene sur la particularicé de cet état :

Ce sont la les songes. Promontorium somnii. Songes debout. Car, insistons-y, dormir n'est pas une for­

malité nécessaire. Les bestiom qu 'on voit pendant le sommeil, pour employer 1' expression d 'un vieux livre, l'homme les voit volontiers hors du sommeil. Le satyre est naturel au bois payen et le farfadet au marais chrétien. Berbiguier de Terre­neuve du Thym passait son temps a prendre des démons entre deux brosses qu'il appliquait l'une contre l'autre brus­quement2.

l. CEuvres completes, Critique : Promontorium somnii, Bouquins, Laffont, 1985, p. 646.

2. !bid, p. 662. Berbiguier est l'auteur de l'ouvrage Les Farfadets ou tous les dlmons ne sont pas de l'autre monde (1821) dont Journet et Roben ont pu dire qu'il était «évidemment l'a:uvre d'un anormah: cf. «Víctor Hugo, Promonto­rium somnii>>, Annales littéraires de l'Université de Besan~on, 42, Les Belles Lettres, 1961, p. 136.

«Le Promontoire du Songe » 205

Le sommeil « n' est pas une formalicé nécessaire » : e' est dire son peu d'importance dans le cominuum ...

Les personnages de Hugo dorment pourtant, et revent par­fois ', mais le plus souvent, ils vivent leur e~érience vision­naire tout en étant éveillés, o u dans u~ état imermédiair<0Sa réflexion sur le reve se poursuit dans ses text'és et "rOiñáñs des années 1860; dans Les Misérables, on note quelques exemples d'hallucinations et des commentaires sur la reverie, mais e' est dans Les Travailleurs de ·la- mer-(lBG6) etL 'h'omme qui rit (1869) que le theme du continuum s'incarne de maniere sui­vie chez les protagonistes. Dans Les Travailleurs de la mer, le reve est lié a la question de la création entiere, et done a 1' existence du mal. Ce reman appartient a toute une nébuleuse d'écrits sur la créativité et les problemes métaphy­siques, comme William Shakespeare (1864) et d'autres textes, contemporains mais publiés plus tard 2•

Dans Les Travailleurs de la mer, Gilliat est présenté comme 1'« homme du songe ». Dans le chapitre qui le nomme ainsi ~ («A maison visionnée, habitant visionnaire 3 »), trois états de conscience (hilluci.ñatiOñ, reverie et reve) sont comparés. L'hallucinatioñ, ou 1'-:'etat""Vtsionnair-e», est la premiere évo-quée : elle « hante tout aussi bien un paysan comme Martín qu'un roi comme Henri IV», et peut transformer celui qui la subit: «Ces visions sont quelquefois tra~guratrices; elles fom d'un chamelier Mahomet et d'u'ñe cñevriere Jeanne d'Arc. » Elles peuvent aussi rendre imbécile (« L'abrutisse-ment sacré existe»). Gilliat ne rentre dans aucune de ces caté­gories : « C' était un pensif. Ríen de plus. » Il voit «la nature un .RE:!-~txa,Q,gsru,e~t » : observan t des créatures du genre des méduses, qui ressemblem a du «cristal mou » et qui, replon-gées dans l'eau, s'y confondent, l'idée lui vient que l'air pour-

l. Par exemple, Jean Valjean (CEuvres completes, Roman, II, Les Misérables, p. 188-189) et Mess Lethierry (Roman, III, Les Travailleurs de lamer, p. 300).

2. «Proses philosophiques de 1860-1865», textes réunis dans CEuvres com­pletes, Critique, p. 467-712.

3. CEuvres completes, Roman, III, p. 66-67.

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rait bien etre habité par de semblables (( transparences vivantes » : « Gilliat imaginait que si 1' on pouvait mettre la terre a sec d' atmosphere, et que si 1' on pechait 1' air comme on peche un étang, on y trouverait une foule d'etres surpre-

"' nants. Et, ajoutait-il dans sa reverie, bien des choses s' expli-

(

queraient. » Cette forme de reverie, que le narrateur nomme ((la pensée a 1' qat de "'ñebuleuse !> fait déja surgir une certaine

• forme de ce qui n' est pas encore connu : «Ce serait le com­l-\''""'~ t. mencement de l'inconnu; mais au:.dela i offrt lavaste ouver­~ t~re du p Qssible. » Sorte de frQntiere~~er,i)le sommeil

est relié a une nouvelle forme de continuum : «Aucun sur-naturalisme, mais la continuation occulte de la nature infi­nie. Gilliat, dans ce désreuvrement laborieux qui était son existence, était un bizarre observateur. 11 allait jusqu'a obser­ver le sommeil. » Aller « jusqu'a » observer le sommeil est « bizarre », sans doute, mais on devine la complicité du nar­rateur. Hugo ne dit-il pas ailleurs : «Le probleme de la chair au repos a de tout temps sollicité et tourmenté les métaphy­siciens sérieux 1 » ?

Qui dit observation du sommeil dit observation du reve, mais ici le reve a un sens assez particulier :

[ Le sommeil est en contact avec le possible, que nous nom­

mons aussi l'invraisemblable. Le monde nocturne est un . monde. La nuit, en tant que nuit, est un univers. L' organisme

matériel humain, sur lequel pese une colonne atmosphérique de quinze lieues de haut, est fatigué le soir, il tombe de las­situde, il se couche, il se repose; les y,s_ux de chair se fer~ alors dans cette tete assoupie, moins inerte qu' on ne croit, d'autres yeux s'ouvrent; l'lnconnu apparait. Les choses sombres du monde ignoré deviennent voisines de l'homme, soit qu'il y ait communication véritable, soit que les lointains de l'abime aient un gro~sissement visionnaire; il semble que les vivants indistincss de l'espace viennent nous regarder et qu'ils aient une curiosité de nous, les vivants terrestres; une

l. CEuvres completes, Critique, p. 645. ()~í7~ ().!)~

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207

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«Le Promontoire du Songe »

' ' création fantóme monte ou descend vers nous et nous cótoie dans un ,.:répuscule; devant notre cop(~mE!:ti<~,n s..e.ectrale,

· une vie autre que la nótre s'agrege et se dés~grege, composée : ,ttr'\ de nous-memes et d' autre chose; et le dormeur, pas tout a

fait voyant, pas tout a fait inconscient, entrevoit ces anima­lités étranges, ces végétations extraordinaires, ces lividités ter-ribles ou souriantes, ces larves., cesJnasg~s~gures, ces tf.... hydres, ces confusions, ce. clair, de lune sans !une} ces obs- V cures décompositions du prodige, "'ces cro issances et ces décroissances dans une épaisseur trouble, ces flottaisons de formes dans les ténebres, tout ce mystere que nous appelons le songe et qui n'est aurre chose que-l'approche d'une réalité invisi~le. Le..f.eve est l'aquarium de la ñUit:=-

Ainsi songeait Gilliat 1•

En dépit du « nous », de tels songes sont tres éloignés de l'expérience nocturne habituelle, et il serait difficile d'en tirer un récit, meme fragmentaire. Ce qui frappe, en revanche, ce sont les énumérations qui ressemblent a des tentatives répé­tées d' épingler ce qui ne saurait s' épingler; ce so m l' es pece de demi-perception (« pas tout a fait voyant, pas tout a fait ' inconscient ») et la qu~ ambigue de la lumiere («ce clair de lune sans lune »); ce sont enfin les mots indiquant un flux et un reflux, des entités observées qui ne prennent pas iOUt a fait corps («animalités», «lividités»), qui s'approchent de 1' existen ce puis se défont ( « s' agrege et se désagrege » ; « décompositions du prodige » ; « croiss~ces et décrois­sances »). La création divine, pour Hugo - et plus précisé­ment dans Les Travailleurs de la mer la création de la p!Tu~e- est 1' entrée dans la matiere de ces entités flottantes.

-L' ordre m eme du récit mime ce processus. En effet, le « monstre » est entrevu d' abord, sans erre nommé, et ne devient « réel » que plus loin. Sa premiere apparition suit la description de la grotte sous-marine, nouvel « aquarium de la nuit », dans laquelle Gilliat arrive inopinément en cherchant

l. CEuvres completes, Roman, III. p. 67. (. ~, :ro- (p-. '.1-~

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208 Vies secondes

de quoi manger. Une lumiere étrange, provenant de dessous l'eau (« on ne sait quel resplendissement ténébreux») baigne également cette caverne. A une extrémité il y a «une pierre a pans carrés ayant une ressemblance d' autel », qui inspire au narrateur, et peut-etre a Gilliat, car les deux sont quasiment indissociables ici, une sorte de reverie mythologiqi.Je (« 11 sem­blait qu'une déesse v!nt d'en d~scendre»). L'éblouissement résultant de la disparition de cette figure féminine émeut le personnage : « Gilliat, qui était une espece de voyant de la nature, songeait, confusément ému. » Cette « divinité [ .. . ] présente », cependant, cede vi te la place a tout autre chose :

Tour a coup, a quelques pieds au-dessous de lui, dans la transparence charmante de cette eau qui était comme de la pierrerie dissoute, il ap~r~ut quelque chose d'inexprim~ble. Une espece de long hailloh se mouvait dans l'o,2cillarion des lames. Ce haillon ne flottait pas, il voguait; il avait un but, il allait quelque part, il était rapide. Cette guenille avait la forme d'une marotte de bouffon avec des pointes; ces pointes, flasques, O_!.J.doyaient; elle semblait couverte d'une poussiere impossible a mouiller. C' était plus qu'horrible, e' était sale. 11 y avait de la chimere dans cette chose; e' était un erre, a moins que ce ne fút une apparence. Elle semblait se diriger vers le coté le plus obscur de la cave, et s'y enfon­~it. Les épaisseurs d'eau devinrent sombres sur elle. Cette silhouette glissa et disparut, sinistre 1•

Ce haillon sinistre semble pr~venir d'un monde autre que celui de l'eau (« impossible a mouiller»); il ~est pas précisé­mentTn'_r!v~ mais participe a la nature du reve (« Il y avait de laféhimere d~s cette eh ose»). On n' est m eme pas sur qu'il existe?" réellement («e' était un etre, a moins que ce ne fUt une apparence >>). A ce stade, le lecteur ne peut attacher aucun noma cette créature- a supposer que e' en soit une- qui n'a pas encore pris véritablement forme. On ne dispose, pour

l. !bid.. p. 225.

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«Le Promontoire du Songe » 209

l'instant, que d'une {« entrevision -q correspondant bien au titre du chapitre, «Cequ'on y vóitet ce qu'on y entrevoit>>.

Plus tard, quand Gilliat se trouve face a face avec la pieuvre et emmelé dans des tentacules désormais bien réels, le récit cede la place a une digression sur «Le monstre ». Apres avoir déclaré « Pour croire a la pieuvre, il faut 1' avoir vue », le nar­rateur formule une premiere hypothese sur la maniere dont elle a pu venir a 1' existen ce :

A de cerrains moments, on serait tenté de le penser, l'in­saisissable qui flotte en nos songes rencontre dans le possible des aimants auxquels ses linéaments se prennent, et de ces obscures fixations du reve il sort des erres. L'Inconnu dispose . du prodige, et il s' en sert pour composer le monstre. Orphée, Homere et Hésiode n' ont pu faire que la Chimere; Dieu a fait la pieuvre 1• --..

L'hésitation et l' affirmation directe se cótoient, a l' avenant de 1' entrevision et de la nature lin:ite de ce ~~l.E2lr~. Plus loín;-leñarrateur fait une nouvellúentative pour rendre compte de la « création » du monstre :

\ G P~ssible ~;-~ne matric; formidabk'le mystere se concrete en monstres. Des morceaux d' ombre sortent de ce bloc, l'immanence, se déchirent, se détachent, roulent, flot­tent, se condensent, font des emprunts a la noirceur ambiante, subissent des polarisations inconnues, prennent vie, se composent on ne sait quelle forme avec l'obscurité et on ne sait quelle ame avec le miasme, et s' en vont, larves, al travers la vitalité. C'est quelque chose comme les ténebres faites beres 2• ...1

leí le « Possible » a acquis une majuscule et 1' énoncé a la forme d'une affirmation, mais l'énumération des verbes, la répétition de « on ne sait quelle », 1' expression « quelque chose

l. !bid., p. 278. 2. !bid., p. 282.

210 Vies secondes

comme », et le simple fait d'une deuxieme tentative, suivant de si pres la premiere, de décrire le meme processus, mon­trent qu'il n'est pas question ici d'une pensée organisée. 11 s'agit au contraire d'une écriture poétique qui tente de

...... mimer, de rendre par sa forme meme l'entrevision d'un autre monde, le mystere du processus qui aboutit a la concrétion, et le caractere hybride, fantasmagorique, des « monstres » qui en résultent 1•

Que le reve soit source de création est le theme majeur du texte presque contemporain Promontorium somnii. Ce nom d'un promontoire sur la lune, que Hugo avait pu observer en 1831, devient vite une métaphore:

Ce promontoire du Songe, dont nous venons de parler, il est dans Shakespeare. Il est daos tous les grands poetes.

.--... Daos le monde mystérieux de l'art, comme daos cette lune { OU notre regard abordait toUt a l'heure, il y a la cime du reve 2•

Hugo imagine l'échelle de Jacob appuyée a cette cime du reve; Jacob, alors, devient le poece observant ce qui se passe en lui:

Jacob couché au pied de l'échelle, c'est le poete, ce dor­meur qui a les yeux de !'ame ouverts. En haut, ce firmament, c'est l'idéal. Les formes blanches ou ténébreuses, ailées ou comme enlevées par une étoile qu' elles ont a u front, qui gra­vissent l'échelle, ce sont les propres créations du poete qu'il voit dans la pénombre de son cerveau faisant leur ascension vers la lumiere 3•

Cette « cime du reve » a deux versants, correspondant a deux types de poésie, le fantastique et «le fantasque, qui n'est

l. Sur le caractere mimétique de l'écriture de Vicror Hugo dans ce roman, cf. Jacques Neefs, « Penser par la fiction (Lts Travai/leurs de la mer) », Hugo le fobuleux, Colloque de Cerisy, Seghers, 1985, p. 98-107.

2. CEuvm completes, Critique, p. 644. Voir également «Víctor Hugo, Pro­montorium somnii», R. Journet er G. Roberr éd., op. cit., p. 16.

3. CEuvres completes, Critique, p. 644.

«Le Promontoire du Songe » 211

autre chose que le fantastique riant ». On ne la fréquente pas toujours impunément :

Ce promontoire du Songe quelquefois submerge de son ombre tour un génie, Apulée jadis, Hoffmann de nos jours . Il emplit une reuvre entiere, et alors cela est redoutable, c'est l'Apocalypse. Les vertiges habitent cette hauteur. Elle a un précipice, la folie. Ún des versants est farouche, l'autre est radieux. Sur l'un est Jean de Pathmos, sur l'autre Rabelais. Car il y a la tragédie reve et il y a la comédie songe 1•

Danger de la folic_représenté par le tableau d'un scara­bée dévorant urfha.nn~ton de mai : « Il y a des songeurs qui sont ce pauvre ~ qui n'a point su voler et qui ne peut marcher; le reve, éblouissant et épouvantable, se jette sur eux et les vide et les dévore et les détruit. » Comme dans La Pente de la reverie, des images de surface, de profondeur, ·J··

de spirales, apparaissent pour mettre en garde centre les périls : - ·

La reverie est un creusement [ ... ] Le moi, c'est la la spi­rale vertigineuse. Y pénétrer trop avant effare le songeur [ ... ] Ces .. empiétements sur l'ombre ne sont pas saos danger. La reverie a ses morts, les fous. On rencontre s:a et la daos ces obscurités des ca~res d'intelligences, Tasse, Pascal, Swe­denborg. c { fouilleurs de l'ame sont des mineurs tres ex.r.o­sés 2•

On peut, certe~r)a raison de réalité, mais le garde­fou essentiel reste la constance du « je » observateur. « Garder son libre arbitre» dans «les élargissements sans bords de la méditation infinie », dit Hugo ailleurs 3, e' est etre gran d. L'image emblématique de ce « je » observateur, qui ne se perd pas dans les spirales verrigineuses de la vision, est le regard_j

l. !bid 2. !bid, p. 652-653. 3. !bid., « William Shakespeare », p. 332.

212 Vies secondes

« fixe » ou « tranquille >> du poere, image fréquente dans la poésie de 1850-1856 1. Ce regard permet au poete d'obser­ver ou d'entrevoir ce qui flotte ou s'ébauche dans le monde

....du reve; par la suite, certains de ces etres peuvent prendre corps dans son reuvre. La création divine se fait de la meme fa<_;:on.

_f:n effet, « Dieu crée dans l'intuition; l'homme crée dans l'inspiration, compliquée d' observation 2 ». C' est ce que Hugo appelte"(da création divine in di recte». L' analogie des deux le ramene, a la fin de Promontorium somnii, a la création des monstres, et a leurs rapports avec le réel et le possible. La nature, jadis, n'a-t-elle pas revé aussi? se demande-t-il. Dans les monstres préhistoriqucs n'y a-t-il pas « toute l'incohérence du reve))?

Nier ces etres est difficile. Les ossements g~s songes sont dans nos musées. Quelle extravagance que~ fougere de cinq cents pieds de haut! les houilleres la constatent. L'impossible \ d 'aujourd'hui a été le possible d'autrefois 3• D

Ainsi pourraient s' expliquer certaines betes fabuleuses. Quoi qu'il en soit, le reve est étroitement melé aux débuts de la création :

Oui, selon notre optique humaine, le tatonnement ter­rible du reve est melé au commencement des choses, la créa­tion, avant de prendre son équilibre, a oscillé de !'informe

Cau difforme, elle a été nuée, elle a été monstre, et aujour­d'hui encare, 1' éléphant, la girafe, le kangourou, le rhinocé­ros, l'hippopotame, nous montrent, fixée et vivante, la figure de ces songes qui ont traversé l'immense cerveau inconnu.

Tu reves done aussi, ó Toi! Pardonne-nous nos songes alors 4

l. Cf. Jean Gaudon, Le Temps de 14 contempkltion, op. cit. , p. 316-318. 2. CEuvres completes, Critique,« William Shakespeare•, p. 353. 3. !bid., p. 668. 4. !bid.

«Le Promontoire du Songe » 213

Qu'il soit humain ou divin, un processus de création cor­respond toujours a une sorte de solidification, de coalescence ou de concrétion du reve. Plus encore que chez Nodier ou Nerval, le reve est la dé de la création, amenant a l'existence et dotant de vie des etres qui ne possédaient auparavant qu'une existence potentielle. Hugo formule plus clairement aussi le statut de l'reuvre d 'art, sa position quelq~ E<;.~ .~r_9 doxale: \

4 production, c'est l'entrée de la matiere dans l'idée, lui ' donnant corps, la rendant palpable et visible, la dotant de la forme, du son et de la couleur, lui fabriquant une bouche pour parler, des pieds pour marcher et des ailes pour s' envo­ler, en un mot, faisant l'idée extérieure au poete en meme temps qu' elle lui reste intérieure et adhérente par l'idiosyn­crasie, ce cordon ombilical qui rattache les créations au créa-teur1. ~ · -~

L' reuvre existe dans le monde, elle est extérieure a u poete, mais continue d ' appartenir a sa substance intime. A lire un peu vite, on pourrait croire que l'reuvre ressemble a un nou­veau-né dont on n ' aurait pas coupé le cordon ombilical. A regarder de plus pres, on s'aper<_;:oit qu'elle est réellement « extérieure au poete », tout en demeurant « intérieure » et que le texte ne désigne pas seulement un lieu spatio-temporel, mais évoque l'idée d'un amalgame quasi-physique, une « adhérence 2 ». Cette position paradoxale de 1' reuvre n' est pas sans ressembler a u statut d'Aurélía, un SJ).tr:.e-deux : ni réalité\ psychique, ni catégorisation psychiatrique ou sociale. Hugo, •

l. CEuvres completes, Critique, «Les T raducteurs » (1863-1864 ?), p. 620. 2. Cf. Notre-Dame de París : • Il y avait entre la vieille église et lui [Quasi­

modo] une sympathie insrincrive si profonde, tant d'affinités magnétiques, tant d'affinités matérielles, qu'il y adhérait en quelque sorte comme la tortue a son écaille "• CEuvres completes, Roman, I, p. 600; et « Ainsi, chez les grands poetes, ríen de plus inséparable, ríen de plus adhérent, ríen de plus consubstantiel que

I/J l'idée et l'expression de l'idée >>, CEuvres completes, Critique, « Littérature et philo-f' sophie melées• (1834), p. 52.

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214 Vies secondes

cependant, semble vouloir enlever la négation et dire que 1' reuvre continue dans un sens a subsister dans les deux lieux a la fois. Cette métaphore spatiale, bien entendu, a des limites, mais le paradoxe de la localisation de 1' reuvre entraíne le paradoxe de sa réalité. L'espace transitio)lDel ou se situe 1' reuvre d' art, adhérant a u monde intime de son créateur et pourtant existant réellement dans le monde matériel, lui donne une réalité d'un ordre a part. Elle est plus réelle que

, le réel et pourtant toujours songe. Ce qui ne veut pas dire f que dans 1' reuvre il y ait un mélange o u une série de juxta­

positions du reve et du réel, ni m eme que 1' reuvre appartienne aux deux mondes a la fois. Hugo soutient que l'reuvre d'art est pleinement réel et pleinement reve; opposés en appa­rence, les deux extremes du continuum s'y rejoignem et deviennent identiques. JYunis, ils réalisent une plénitude que leur séparation interdisait.

IV

A l'horizon du siecle: Freud

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1

CHANGEMENTS DE PAYSAGE

Sur la nature du travail inconscient, on ne trouve que désaccord et obscurité.

THJOODULE RIBOT

En philosophie, le tournant de 1870 est marqué par De l'intellígence de T aine; par ailleurs, les idées de Hartmann -La Phílosophíe de l'inconscíent avait vu le jour en Allemagne 1' année précédente - , ne vont pas tarder a circuler en France. En littérature, 1869 ese l'année des Chants de Mal­doror de Lautréamont et deL 'homme quí rít de Victor Hugo, reuvres qui toutes deux ébranlent les positions de l'auteur et du lecteur. Rimbaud, en 1870, a seize ans. Aussi inou!s que soient «La lettre du Voyant» (1871), Une saíson en enfer et Les Illuminatíons, ils restent en résonance avec les textes médicaux et philosophiques de 1' époque. Il est difficile de parler d'influences précises car, a 1' exception peut-étre de Brierre de Boismont, elles ne sont pas vérifiables, mais il est cercain que Rimbaud donne une forme poétique inédite aux themes de la pathologie mentale qui stimulent la réflexion philosophique dans les années qui suivent 1870. Des liens plus explicites entre psychopathologie et littérature apparais­sent chez Maupassant, tant dans des texres courts (Fou?, Luí?, Unfou, Fou, Quí saít? ... ) que dans Le Horla (1887). Bien averci, co~me le tout-Paris, des modes médicales, de la

218 Vies secondes

vogue de Charcot et de l'hypnotisme, Maupassant dose savamment ces themes, la question des limites de nos sens et l'angoisse devant l'invasion croissante, apparente ou réelle, de ce qui peut les outrepasser. Cette angoisse, ces états seconds, Maupassant les connalt. La préoccupation des erres invi­sibles, «nos successeurs », nous parait cependant moins fon­damentale, en cette fin de siecle, que les questions de 1' ou­bli, de l'identité et du dédoublement. En effet, ce que nous appelons le reve - 1' ensemble des phénomenes du som­meil- garde son importance, mais les questions que l'on se pose a son propos changent. La médecine rétrospective a évo­lué, et la notion d'« inconscient » commence a se frayer un chemin.

Si, en 1856, Lélut réédite son Démon de Socrate, par la suite le líen entre reve et médecine rétrospective tend a s' af­faiblir. En 1859, Moreau publie son deuxieme livre, La Psy­chologie morbide 1, ou il continue de poser l'identité entre 1' état de reve et 1' état de folie. A présent, il a lu Aurélia, et se félicite d'avoir découvert dans l'reuvre de Nervalla confir­mation de théories qu'il avait avancées des 1845 2• Mais sa these principale n' est plus la meme. Il soutient a présent que «les dispositions d' esprit qui font qu'un homme se distingue des autres hommes par 1' originalité de ses pensées et de ses conceptions [ ... ] prennent leur source dans les memes condi­tions organiques dont la folie et 1' idiotie sont 1' expression la plus complete 3 ».Son livre représente, en France, le point cul­minant du courant de pensée né avec Lélut 4• Moreau conclut par une longue liste hétéroclite d'hommes ou de femmes

l. Moreau de Tours, La Psychologie morbide dam ses rapports avec Ú1 philoso­phie de l'histoire, ou De l'influence des névropathies sur le dynamisme intelfectuel, Masson, 1959.

2. !bid., p. 429-431. La citation • L' épanchement du songe dans la vi e réelle »

est en majuscules et une longue note attire l'attemion sur le fait que Moreau a utilisé • presque les memes termes~ en 1845.

3. •Argument», placé en tete du livre. 4. A noter que, lorsque le premier livre de Lélut est réédité, en 1887 ou 1888,

son titre a changé : Le Génie, Ú1 raison et Ú1 folie : Le Démon de Socrate , Biblio­theque sciemifique comemporaine, Bailliere, s.d.

Changements de paysage 219

illustres qui ont souffert d'hallucinations ou qui ont eu des aliénés dans leur proche famille. La liste évite de citer des per­sonnages bibliques, mais comprend Lucrece, Jules César, Dante, Cromwell, Mirabeau, Chateaubriand, Balzac, et George Sand, sans oublier Shelley, curieusement dédoublé en « Shelly » et « Percy Bishee 1 ». En 1861, dans De la raison, du génie et de la folie, le physiologiste Pierre Flourens cherche a réfuter cette these : « Du jour ou il serait établi que le génie n'est qu'un cas donné de l'idiotie, de la folie, tout, en fait de dignité humaine, serait perdu 2• » Quant a Hugo, qui aurait pu figurer sur la liste mais a été épargné, e' est certainement a Moreau qu'il fait allusion quand il remarque ironiquement, dans « William Shakespeare » : «Un médecin a récemment découvert que le génie est une variété de la folie 3

• » La psychiatrie doit désormais compter avec une nouvelle

notion, l'hérédité. En 1857, More! avait publié son Traité des dégénérescences, terme auquel il donne un nouveau sens. Pour les naturalistes, la « dégénérescence » n' était que le retour des variétés, obtenues par sélection, au rype ancien, en somme une déviation naturelle de 1' es pece. Pour More!, elle est une « déviation maladive d'un type primitif» rransmissible héré­ditairement et conduisant a une déchéance toujours accrue. Les idées de More! ont été reprises et systématisées, entre autres, par Magnan et, a la fin du dix-neuvieme siecle, la « dégénérescence >> est devenue un concept fondamental, censé éclairer non seulement la folie mais aussi la criminalité et le génie 4• A l'heure ou le críminologiste italien Cesare Lombroso devient une célébrité (son L 'uomo di genio [1888]

l. La Psycholcgie morbide, op. cit., p. 518-565. Les deux notations sur Shelley SOnt p. 539.

2. P. Flourens, De Ú1 raison, du génie et de Ú1 folie, Garnier, 1861, p. 6. 3. Op. cit., p. 375. 4. Cf. F. Bing, • La Théorie de la Dégénérescence•, J. Poste! etC. Quétel éd.,

Nouvelle histoire de Ú1 psychiatrie (Toulouse, Privar, 1883), p. 351-356. A. Maury a rendu compre du livre de Moreau, par mi d' autres, sous le titre «Des dégéné­rescences de I'espece humaine », Revue des Deux Mondes, 1" janv. 1860, p. 75-101.

220 Vies secondes

est traduit en frans;ais en 1889 1) , Moreau de Tours est encore tres influent. Un auteur aujourd'hui oublié, Regnard, écrira meme : <<En dépit de Platon, d'Aulu-Gelle et de Schopen­hauer [ ... ] Moreau (de Tours) est bien l'inventeur de la théo­rie du génie-névrose : c'est lui le Dieu et Lombroso est son prophete 2

• » Ces discussions ne concernent plus directement le reve.

Moreau garde un certain intéret pour le travail créateur mais, chez ses successeurs, cet intéret semble peu évident. Ce n' esr plus le processus créateur proprement dit ni le role du reve dans ce processus qui les préoccupent, mais plutót comment bien intégrer le génie dans les schémas de classificarion d'une psychiatrie toujours plus influente 3• En 1884, lorsque Moreau de Tours meurt, a l'age de quatre-vingts ans, sa notice nécrologique dans les Annales médico-psychologiques ne fait meme pas mention de sa réflexion sur le reve 4•

Le substantif « l'inconscient » n' apparait en frans;ais qu'apres la publication, en 1869, de la Philosophie des Unbe­wussten de Hartmann 5. Cette notion, née de la physiologie, remonte a la découverte de l'action réflexe (1833) : une

l. L 'uomo di genio in rapporto alfa psichiatria, alfa storia td all'estetica (Bocea, Turin, 1888) - cinquieme édirion, roralement révisée, de Genio e follia - est traduit en frans;ais par Colonna d'Istria, L 'Homme de génie, en 1889 (Alean), avec une préface de C. Richet.

2. Annales médico-psychologiques, 8• série, 7 (1898), p. 195. Regnard cherche a réfurer I'idée selon laquelle folie et génie auraient la meme origine.

3. Cf. l. Dowbiggin, Inheriting Madness : Professionalization and Psychiatric Knowledge in Nineteenth-Century France, Universiry of California Press, Oxford, 1991, p 73-75.

4. A. Ritti, • Éloge de Moreau de Tours •, Annales médico-psychologiques, 6• série, 12 (1884), p. 188-191.

5. Cet ouvrage a été traduit en frans;ais en 1877, mais ses idées commencent a circuler bien avant. Hartmann lui-méme donne un article a La Revue scienti­fique en 1876 ( • L'Origine de la conscience •, La Revue scientifique, 21, p. 481-492) et des aureurs comme Dumont, Renouvier et Paul Janet participent a la dif­fusion de ses idées. Celles-ci sont d'ordre métaphysique : l'inconscient est pour Hartmann ce que la volonté est pour Schopenhauer. Voir, par exemple, P. Janet, • La Méraphysique en Europe depuis Hegel, III. La Philosophie de la volonré et la philosophie de l'inconscient », Revue des Deux Mondes, 21, 1877, p. 615-635; L. Dumont, • Conscience et lnconscience », Revue scientifiqut, 28 déc. 1872, p. 601-606.

Changements de paysage 221

impulsion nerveuse, transmise a la mrelle épiniere, déclenche une action immédiate que le cerveau n' a ni choisie ni approu­vée. C' est la premiere étape importante dans la découverte que le moi conscient n' est pas toujours le maitre chez lui 1•

Hartmann mentionne les manifestations physiologiques de l'inconscient: par exemple, la larve d'un cerf-volant ma.Ie, de la meme taille que la femelle, se creuse pourtant une cavité plus grande en entrant dans la phase chrysalide, prévoyant ainsi la place nécessaire pour ses futures mandibules. Puisque rien dans les circonstances immédiates ne laisse présager que ces mandibules vont pousser, cette action doit etre le résul­tat d'une « idée inconsciente». Puis il traite de 1' esprit humain, sous le titre de «La phénoménologie de l'incons­cient 2 >>. Hartmann est a u courant des travaux récents sur la physiologie du systeme nerveux : un appendice a la sixieme édition actualise l'ouvrage en discutant Maudsley et Wundt.

La physiologie et la psychologie se rencontrent lorsque le su jet sait qu'un travail « inconscient >> a eu lieu. Ce phéno­mene, fréquemment rencontré dans la résolution de pro­blemes, a été nommé « cérébration inconsciente>> par un médecin anglais, Carpenter 3• L'idée que le cerveau puisse éla­borer des résultats intellectuels, dit Carpenter, « sans aucune conscience de notre part, est considérée par de nombreux Métaphysiciens, et surtout en Grande-Bretagne, comme une doctrine tout a fait indéfendable et meme hautement répré-

l. La portée de cette découverte, et de ceiies qui ont suivi, sur la conception contemporaine du «su jet» est soulignée avec clarté dans le court ouvrage de M. Gauchet, L1nconscient cérébral (Le Seuil, 1992).

2. La division de 1' ouvrage en << Phénoménologie de l'inconscient>> et << Méta­physique de l'inconscient» apparait dans la 7' éd. (1876); les éditions précédenres comporraient trois parties : •A. Die Erscheinung des Unbewussten in der Leib­lichkeit »; «B. Das Unbewusste im menschlichen Geiste »; <<C. Metaphysik des Unbewussten "·

3. Dans Principies o[ Mental Physiology (1874), le chap. XIII a pour titre • De la cérébration inconsciente». Une note (p. 516) précise que Carpenter a évoqué cene théorie des 1852, dans la quauieme édition de son livre Human Physiology. 11 revendique la priori té sur Laycock, se basant sur l'argument que, dans son essai sur 1' « Action réflexe du cerveau », Laycock ne précise pas que cette action réflexe peut erre inconsciente.

222 Vies secondes

hensible 1 ». C'est pounant cette meme doctrine qu'il pro­pose, déclarant poser ainsi un fondement physiologique ame phénomenes observés par de nombreux métaphysiciens alle­mands depuis Leibniz, et par Sir William Hamilton. Ceder­nier, dans un passage célebre, avait attiré l'attention sur le fait qu'une idée A peut suggérer directement une idée C, sans que celle-ci ait de rapport avec elle : une idée intermédiaire B, présente antérieurement, a complerement disparu de la conscience. Il est difficile toutefois de proposer une analyse précise de ce qui se passe dans 1' esprit; d' o u la préférence manifestée par Carpenter pour une explication physiolo­gtque:

Mais si l'on considere les opérations automatiques de !'es­prit a la lumiere des « actions réflexes » du cerveau, il n' est pas plus difficile de comprendre que de telles actions réflexes puissent se produire a notre insu [ . .. ] que de comprendre que des impressions puissent provoquer des mouvements musculaires grace a 1' acrion « réflexe » de la moelle épiniere sans l'intervention nécessaire de la sensarion 2•

Ribot, en France, synthétisant tous les courants précédents (Taine, Hanmann, Hamilton, Carpenter), adoptera l'idée de la cérébration inconsciente. Elle lui servira d'un coté a étayer son idée que la conscience n'est pas une instance fondatrice, mais un épiphénomene, et de l'autre a discuter le fonction­nement de l'imagination créatrice.

l. Principies, p. 515, c'est Carpenter qui souligne. 2. !bid., p. 517.

2

MÉMOIRE ET IDENTITÉ

L 'homme qui rit

L'oubli n'est autre chose qu'un palimpseste. Qu'un accident survienne, er tous les efface­ments revivent dans les interlignes de la mémoire étonnée.

VICTOR HUGO

L 'homme qui rit est un roman profondément onirique. Cet onirisme tient aux paysages et aux décors gothiques ou baroques, mais il fait aussi panie intégrante de la « méta­morphose » de Gwynplaine car, dans la transformation qui fait d'un saltimbanque un pair d'Angleterre, toutes sones d'hésitations sur ce qui est reve ou ce qui est éveil viennent a la fois tramer le récit et troubler la conscience du protago­niste. Cet enfant défiguré, recueilli par Ursus et élevé avec la jeune aveugle Dea et le loup Horno, doit sa métamorphose a des circonstances extérieures, a sa propre psychologie et aux ambigu'ités liées au reve.

Le « Commencement de la felure », qui co'incide avec la visite de la duchesse J osiane a la « Green-Box » pour assister au spectacle Chaos vaincu, releve du hasard, cenes, mais aussi des machinations humaines. Le vocabulaire employé est celui du reve et de l'hallucination :

'

224 vtes secondes

Quel que fllt son air de reve, pour ceux: qui étaient pres d'elle, elle était réelle. C'était une femme. C'était peut-etre meme trop une femme [ ... ] Et [ ... ] une implacable volonré d'etre belle. Elle l'était au point d'etre farouche. C'était la panthere, pouvant erre chatte, et caresser. Un de ses yewc était bleu, l'autre était noir.

Gwynplaine, comme Ursus, considérait cette femme. [ ... ] Pour eux [ ... ] dans la brume lumineuse que fait la

pénombre théatrale, les détails s' effac;:aient; et e' était comme une hallucination. C' était une femme sans doute, mais n'était-ce pas aussi une chimere 1 ?

Josiane est la seule a ne pas rire a l'apparition du visage de Gwynplaine, a la fin de Chaos vaincu. Son statut ambigu­réalité et pourtant vision- est réaffirmé lorsqu'elle revient dans les pensées de Gwynplaine. D'un coté, il a vu «la Femme, bien réelle » plutót que 1'« ame>> de la femme dans Dea. De l'autre, 1'« ame» esta sa portée, et la femme « réelle» hors de sa portée, a une distan ce infinie. Ses pensées sont per­turbées quelque temps par cette visite, qu'il croit ensuite avoir oubliée meme si, plus tard, ayant devant les yeux la lettre que Josiane lui a écrite, il devient dair que cet « oubli » était super­ficie!. L'agitation revient, et lui fait passer une nuit sans sorn­meil. La se clót la premiere série d' événements, réels rnais ernpreints d' ambigu!té.

Une deuxieme série d'événements s'ouvre avec l'arrivée d'un officier, le« wapentake ». Ils sont marqués par des dépla­cements physiques. Gwynplaine est obligé de quitter son foyer de fortune -la Green-Box, hébergée par l'auberge de T adcaster - et se retro uve dans les profondeurs de la geóle de Southwark; plus tard il revient a luí, apres un évanouis­sement, dans le palais de Corleone-Lodge. La encore la réa­lité cede peu a peu la place a des scénarios de reve ou de cau­chemar.

Une troisieme suite d'événements surviennent a l'insu de

l. CEuvres completes, Roman, III, op. cit., p. 589.

Mémoire et identité 225

Gwynplaine : tout d' abord 1' arrivée «par hasard » de la bou­teille contenant le parchemin o u son histoire véritable est ins­crite. Ensuite, la bouteille est ouverte par le sinistre Barkil­phedro, désireux de voir s' accomplir la métamorphose de Gwynplaine en Lord Clancharlie. T out cela déclenchera la premiere visite du Wapentake a la Green-Box.

Les dispositions psychologiques de Gwynplaine sont pré­sentées par un narrateur qui est souvent a peine distinct du protagoniste. L' éveil de sa sexualité, son désir physique, le fait que son amour pour Dea devienne de moins en rnoins « éthéré)) le rendent vulnérable a la visite de la duchesse Josiane et, plus tard, a l'impression faite par l'étonnante lettre qu'elle lui adresse. Mais, parallelement a cette agitation, le narrateur note de plus subtiles modulations psychologiques, liées a ce qu' on pourrait appeler la (( rnémoire inconsciente». Lorsque Josiane assiste au spectacle Chaos vaincu, son mousse se tient derriere elle, dans une derni-obscurité. Le narrateur remarque:

La mémoire prend des notes souvent a notre insu; et, sans que Gwynplaine s' en doutat, les joues rondes, la mine sérieuse, la calotte galonnée et le bouquet de plumes du mousse de la dame laisserent une trace quelconque dans son esprit 1•

Quand le rnousse apporte la lettre de Josiane, une nuit ou Gwynplaine se pro mene dehors, il apparaít comme «une sil­houette de reve », rnais Gwynplaine le reconnaít irnmédiate­rnent. Une fois la lettre ouverte et lue, il devient dair que 1' « oubli » de la visite de J osiane était illusoire.

Le pécillement de l'incendie commenc;:ant éclatait en luí de toutes pares [ ... ] Et ses premieres pensées tumultueuses sur cette femme reparaissaient, comme chauffées a tour ce feu sombre. L'oubli n'est autre chose qu'un palimpseste. Qu'un

l. !bid., p. 590.

226 Vies secondes

accident survienne, et tous les effacements revivent daos les interlignes de la mémoire étonnée 1•

Le désir de Gwynplaine n' a pas été oublié, mais enseveli. La mémoire peut « prendre des notes» sans que nous en ayons conscience et la strate d'« écriture » que nous croyons avoir oubliée peut « revivre ». Ces strates d' écriture ensevelies peu­vent s' étendre aussi au-dela du passé récent.

Cette lettre et les réflexions sur la mémoire et 1' oubli qui en découlent sont pour Gwynplaine la premiere vague de l'inattendu. Ils préludent aussi a trois nuits d'insomnie. Le sommeil est remplacé par des événements oniriques, et par la perte de connaissance que subit Gwynplaine, au point cul­minant de la scene dans la geóle de Southwark. Quand il revienta lui et se réveille dans une salle immense, éclairée par deux candélabres, l'attention est concentrée sur ses percep­tions et ses sensations. La scene est décrite presque entiere­ment d'un point de vue visuel et tactile. Daos une descrip­tion qui rappelle ceUe de la caverne sous-marine des Travailleurs de la mer, le narrateur et Gwynplaine sont tan­tót confondus, tantót distincts : « Gwynplaine était daos un fauteuil au milieu d'une vaste chambre toute tendue de velours pourpre, murs, plafond et plancher. On marchait sur du velours. » La premiere impression est surtout visuelle, mais une sensation tactile suit : «De son fauteuil, en étendant le bras, il pouvait toucher deux tables, portant chacune une girandole de six chandelles de cire a1lumées. » Comme Gwyn­plaine est encore «mal éveillé », les sensations s'imposent a

l. !bid., p. 604. Le palimpseste est selon toute vraisemblance un écho de Sus­piria de profondis (1845) de De Quincey, repris et partiellement traduit par Bau­delaire. Hugo écrit a Baudelaire en 1860 pour le remercier de lui avoir envoyé Les Paradis artificiels : « ]' ai done en fin lu, grace a vous, ce fameux mangeur d'opium. Vous faites revivre puissammem cene ceuvre», CEuvres completes, éd. chronologique, XIII, Club Fran,.ais du Livre, 1969, p. XXIX. Cf. Les Paradis arti­ficiels , Folio, Gallimard, 1961, p. 221-224. Le mot lui-meme n'apparait que deux fois dans L 'homme qui rit, mais la figure du palimpseste est disséminée a travers tout le roman.

Mémoire et identité 227

lui avant toute tentative pour saisir leur seos et, lorsqu'il demande ou il se trouve, Barkilphedro, qui pendant tout ce cemps se tenait pres de luí, répond «Vous etes daos votre mai­son, mylord ».

Ces mots marquent un temps d' arret. Le narrateur se met a distan ce et réfléchit a l'impact sur le psychisme d' événements aussi inattendus et lourds de portée : «Le plus difficile, e' était de parvenir a mettre un certain espacement entre tant de sen­sations accumulées. » Meme lorsque les mots seront répétés, e' est la sensation qui permettra a Gwynplaine de prendre conscience qu'il a changé: sa premiere réaction est de se pin­cer, et le narrateur réitere l'alternance entre la vue et le tou­cher : «Daos la surprise, on regarde, pour s' assurer que les eh oses existent, puis on se tate, pour s' assurer qu' on existe soi­meme. C'était bien a lui qu'on parlait, mais lui-meme était autre [ ... ] on lui avait changé ses vetements. » Toutes les sen­sations de Gwynplaine étant autres, luí aussi doit l'etre. Et, alors qu'il vient d'etre en proie a un bouleversement, composé d'un mélange d'acceptation, d'orgueil, de désir de vengeance et de lurte avec l'idée que son moi est double, c'est a nouveau par la sensation qu'il retro uve 1' assurance de son identité, «a travers le somnambulisme ou il était comme anéanti » :

11 allait, venait, regardait le plafond, examinait les cou­ronnes, étudiait vaguement les hiéroglyphes du blason, pal­pait le velours du mur [ ... ] constatait les statues, comptait avec une patience de somnambule les colonnes de marbre, et disait : Cela est.

Et il touchait son habit de satin, et il s'interrogeait : - Est-ce que c'est moi? Oui 1•

La vue et le toucher viennent avant les mots, comme déja pour 1' enfant Gwynplaine traversant la plaine et apercevant le gibet. \__

Les mots jouent tout de meme un role crucial dans le réta-

l. CEuvres completes, Roman, III, p. 649-650.

228 Vies secondes

blissement de 1' « autre » identité de Gwynplaine. Le palimp­seste est une métaphore de l'oubli et ce qui est recouvré par Gwynplaine, e' est avant tout la mémoire des mots. Lorsque Hardquanonne, le chirurgien qui l'avait défiguré dans son enfance, s' écrie « C' est luí! C' est luí!», Gwynplaine, qui jusque-la n'avait ríen compris a ce qui se passait, prononce un discours incohérent pour se défendre, se terminant par : «Vous avez devant vous un pauvre saltimbanque. ».A quoi le shériff répond: «J'ai devant moi [ ... ] lord Fermain Clan­charlie, baron Clancharlie et Hunkerville, marquis de Cor­leone en Sicile, pair d'Angleterre. » Se levant, et montrant son fauteuil a Gwynplaine, le shériff ajouta : « Mylord, que votre seigneurie daigne s'asseoir. »Fin du chapitre. Le suivant com­mence ainsi : « La destinée nous tend parfois un verre de folie a boire [ ... ] Gwynlaine ne comprit pas. >> Lorsqu'il prend place dans le fauteuil du shériff, le parchemin trouvé dans la bouteille est lu a voix haute, et comble les !acunes impor­tantes de la vie de Gwynplaine. Le narrateur note alors : «Un homme a qui il vient de tomber sur la tete une tuile du palais des reves, e' était la Gwynplaine. » Du reste, la liste de signa­cures gravées sur le parchemin réveille d' obscurs souvenirs; Gwynplaine répete cette suite de noms, se souvient d'une bouteille «sur laquelle il y avait un no m écrit en rouge » -celle-la meme dans laquelle le parchemin a été trouvé.

Une autre série de mots est tout aussi importante. Dans sa cahute, Ursus avait écrit deux placards : « Seules choses qu'il importe de savoir » - les privileges et les coutumes de 1' aris­tocratie - et « Satisfactions qui doivent suffire a ceux qui n' ont ríen» - les revenus et propriétés des Lords - se ter­minant par ceux de Lord Clancharlie. Lorsque Barkilphedro répete a Gwynplaine qu'il est dans sa propre demeure, il énu­mere les autres propriétés qui sont en sa possession :

Pendant que Barkilphedro parlait, Gwynplaine, dans un crescendo de stupeur, se souvenait. Le souvenir est un engloutissement qu'un mot peut remuer jusqu'au fond. Tous

Mémoire et identité 229

ces noms prononcés par Barkilphedro, Gwynplaine les connaissait. lis étaient inscrits aux dernieres lignes de ces deux placards qui tapissaient la cahute o u s' était écoulée son enfance, et, a force d'y avoir laissé machinalement errer ses yeux, illes savait par ca:ur 1•

Les éléments clés de la seconde identité de Gwynplaine sont déja présents dans sa mémoire, attendant, comme les mots effacés du palimpseste, qu'un «accident» les fasse rev1vre.

Dans la métamorphose de Gwynplaine, les métaphores du sommeil et de l'éveil tiennent une place importante. Il est souvent fait allusion au reve, mais il est rare que les frontieres entre le reve et la réalité soient clairement posées. Dans la geóle de Southwark, apres la lecture du parchemin, tous les officiers s' agenouillent, J comme un seul homme, devant Gwynplaine, alias Lord Clancharlie. S'ensuit ce dialogue:

- Ah, '?, cria Gwynplaine, réveillez-moi! Et il se dressa debout, tout paJe. - ]e viens vous réveiller en effet, dit une voix qu'il n'avait

pas encore entendue. Un homme sonit de derriere un des piliers [ ... ]. - Oui, dit-il, je viens vous réveiller. Depuis vingt-cinq

ans, vous dormez. Vous faites un songe, et il faut en sortir. Vous vous croyez Gwynplaine, vous etes Clancharlie [ ... ] Vous vous croyez pauvre, vous etes opulent. Vous VOUS

croyez petit, VOUS etes gran d. Réveillez-vous, mylord 2!

Barkilphedro, car e' était lui, caché dans 1' ombre, ajoute de nouvelles explications : la bouteille luí a été apportée, la reine a ordonné que toutes les formalités nécessaires soient accom­plies avec discrétion, Gwynplaine est un pair du royaume, destiné a épouser une duchesse, filie d'un roí. Le chapitre se

l. !bid., p. 653. 2. !bid., p. 641.

../

230 Vies secondes

termine : « Sous cette transfiguration croulant sur lui a coups de tonnerre, Gwynplaine s' évanouit. »

Le « verre de folie» dont il a été question est d'une pan le retournement de sa position sociale et son incapacité stupé­faite a saisir ce qui lui arrive. Mais aussi, a un niveau plus profond, l'impossibilité d'etre deux personnes en meme temps, la dénégation par Barkilphedro que Gwynplaine est cclui qu'il croit etre, l'assimilation de tout le passé connu a un reve, et 1' élévation a la réalité d' un destin qui lui est resté caché pendant des années et que la liste de signatures lui remet obscurément en mémoire. Les notions de « reve » et d' « éveil» restent ambivalentes : pour Gwynplaine, ce qui se passe maintenant est un reve; pour Barkilphedro, le présent est réel, e' est le passé de Gwynplaine qui est un reve. En réa­lité, les explications de Barkilphedro prolongent le reve dont Gwynplaine voudrait etre réveillé. Ainsi la « transfigurarían» du défiguré - restitution métaphorique de son visage d' avant 1' opération ? - conduit non pas a un réveil mais a 1' oblitération de toute « réalité » comme de tout « reve » : la pene total e de connaissance. Gwynplaine n' est plus ni lui­meme ni Clancharlie. Les mots- ceux des officiers, ceux lus sur le parchemin, ceux prononcés par Barkilphedro - sont si insensés, en apparence, que la seule réponse possible est de perdre connaissance.

Dans la scene ou Gwynplaine se réveille, et ou Barkilphe­dro lui annonce qu'il est dans sa propre maison, les images sont celles de 1' éparpillement, de la dispersion : « On se sent en quelque sorte épars. On assiste a une bizarre dissipation de soi-meme » ; celle-ci devient nuage de poussiere : « Il per­cevait tour a travers ce brouillard qu'une commotion pro­fonde laisse dans l'intelligence comme la poussiere d'un écroulement » et ensuite, quelque chose qui ressemble a un reve:

Gwynplaine étair comme quelqu'un qui aurair l'ceil ouvert er fixe dans un songe, er qui tacherait de voir ce qu'il y a

Mémoire et identité 231

dedans. 11 décomposait ce nuage, puis le recomposait. 11 avait des inrermittences d' égaremenr 1•

C' est ici que Gwynplaine fait 1' expérience d' etre « autre » : la seule prise sur la réalité est celle que lui offrent les sensa­tions présentes; le passé ne sera évoqué qu'au moment ou il se souviendra des inscriptions.

Enfin, dans un chapitre intitulé « Réveil », la situation semble se renverser. A. l'aube, la pensée de Dea vient a !'es­prit de Gwynplaine; il se rend compre qu'il n'avait encare jamais été sé paré d' elle; a présent, e' est le passé immédiat qui est vu comme un reve. La parole de Barkilphedro : «une porte qui s' ouvre signifie qu'une autre porte se ferme » -autrement dit : pas de retour possible vers Ursus et Dea­lui avait été dite trap tót : « Il me disait cela pendant que je n'étais pas encare réveillé [ ... ] Il me parlait avec le sombre sourire du reve. Ah! voici que je redeviens moi! » A présent, redevenir lui-meme signifie etre d'une certaine maniere indé­pendant de sa nouvelle identité, tout en 1' acceptant. Le mot dé est liberté : « J e ne suis pas lord pour etre es clave. J' entre libre dans la puissance », et son pro jet utopique est de faire entrer Ursus et Dea dans sa nouvelle existence. Gwynplaine tente de refuser l' assimilation faite par Barkilphedro de son passé a un reve dont il doit s' éveiller; il est éveillé a présent. Et pourtant, lorsqu'il ne retrouve plus ríen ni personne, la ou la Green-Box aurait du se trouver, ce sont les mots «écrits» par Barkilphedro dans son esprit - «Le destin n' ouvre pas une porte sans en fermer une autre »-qui reviennent le han­ter. Ils sont devenus vrais paree que, alors qu'il n' était pas encare éveillé, il a accepté 1' offre qui lui était faite, au lieu de la refuser.

La position du narrateur, qui s'identifie soit au protago­niste soit au lecteur, nous fait éprouver la maniere dont le « moi », apparemment stable, peut etre ébranlé, secoué jus-

l. !bid. , p. 652 . ./

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qu'a la racine, et transformé. La transformation résulte de sensations nouvelles, de reviviscence de traces mnésiques ensevelies, de circonstances et de choix. V écue comme une sorte de reve, elle aboutit a des ambigu"ités fondamentales, a l'impossibilité de discerner si l'on est réellement éveillé. Phi­losophes et médecins vont tenter a leur tour d' éclairer ces ambigu"ités.

3

LES AVATARS DU MOl _., 1;1-v \() Ca..?

Je vais raconter l'histoire d'une jeune femme done l'existence est tourmentée par une alréra­tion de la mémoire qui n'offre pas d'analogue dans la science; cette altération est telle qu'il est permis de se demander si cette jeune femme n'a pas deux vies.

DOCTEUR AZAM

La réflexion philosophique sur la nature du moi a été sus­citée autant par la pathologie mentale que par la physiologie de la « cérébration inconsciente». Des 1826, Bertrand avait émis l'idée que les cas anormaux pouvaient aider a la com­préhension des processus normaux, idée chere a Taine. Une maladie particuW:re, la « névropathie cérébro-cardiaque »,

dans laquelle la sensation et la mémoire sont perturbées, vien­dra a 1' appui de sa théorie de la formation du moi; certains troubles de la mémoire, qui n' entra1nent pas d' altération de la sensation, vont poser de maniere aigue un probleme déja soulevé par le somnambulisme au début du siecle. Un cas célebre d'« amnésie périodique » ou de « dédoublement de la personnalité », rapporté par le docteur Azam, deviendra das­si que a la fin du siecle. Enfin, le dernier avatar du « som­nambulisme artificiel » -lequel, grace a Braid et Azam, avait retrouvé ses lettres de noblesse - ouvrira la voie aux expérieyces de Charles Richet : des personnalités suggérées

234 Vies secondes

sont extériorisées par des sujets en transe hypnotique. En dépit de leurs différences, tous ces cas ont en commun le theme de la mémoire, et quand Ribot formulera sa théorie de la personnalité, non seulement il prendra en compte la notion contemporaine de l'inconscient, mais il fera appel aux exemples décrits par Taine, Azam et Richet.

En 1873, un certain Krishaber publie un traité intitulé «De la névropathie cérébro-cardiaque 1 » qui serait demeuré obscur si Taine ne l'avait pris comme point de départ pour son article : «Sur les éléments et sur la formation de l'idée du moi 2 » publié en 1876 dans La Revue philosophique, et ajouté en 1878 en appendice a la version révisée de De l'in­telligence. Krishaber a recensé trente-huit cas d'une maladie qu'il appelle névropathie cérébro-cardiaque. Selon lui, elle est causée par« une contracture des vaisseaux qui nourrissent la région sensitive cérébrale ou se produisent les sensations brutes 3 ». Ce qui conduit a d'importantes perturbations de la sensation : par exemple, les objets sont vus comme a travers le mauvais bout d'un télescope; les patients ne reconnaissent pas leur propre voix; un journal a la main, ils constatent qu'ils n' en comprennent pas le sens; ils ne trouvent plus le chemin pour rentrer chez eux; certains ont la sensation qu'une atmosphere obscure, épaisse, les coupe du reste du monde. Ces patients ont tendance a tirer deux conclusions : dans un premier temps «]ene suis plus», et dans un second temps «]e suis un autre».

T aine ne se contente pas de lire Krishaber : il lui rend visite, consulte le manuscrit original des observations, et questionne un patient guéri. Il compare la situation repré­sentée par cette maladie a celle (( d'une chenille qui, gardant

l. Masson, 1873. 2. La Revue philosophique, 1, 1876, p. 289-294. De l'intel!igence, Hachette,

1878, 11, p. 461-470. 3. La Revue philosophique, p. 289. Les recherches sur le cerveau ont fait un

bond entre les deux éditions. Taine cite deux hypotheses (celles de Luys et Four­nié) concernant cette région cérébrale; dans De l'intel!igence, il se réfhe aux Lerons sur les localisatíons cérébra!es de Charcot (u, p. 46, note 2).

Les avatars du moi 235

toutes ses idées et tous ses souvenirs de chenille, deviendrait tout d'un coup papillon. Entre l'état ancien et l'état nouveau, entre le premier moi, celui de la chenille, et le second moi, celui du papillon, il y a scission profonde, rupture com­plete 1 ».

La maladie décrite par Krishaber illustre a la fois la maniere dont la pathologie peut etre utile a la psychologie, et l'idée que Taine se fait de la nature du moi. Le moi nait de la répétition des sensations, qui commencent a former des ensembles cohérents ou des séries dans la mémoire. Ainsi, dans la premiere phase de la maladie, il y a souvenir d'un état précédent, mais les impressions sensorielles ne correspondent plus a cet état et les nouvelles sensations n' ont pas encare été assez souvent répétées. D' o u la conclusion « Je ne suis plus».

Le second stade est souvent comparé au reve : « Quelque­fois il me semble n'etre pas moi-meme ou bien je me crois plongée dans un reve continuel. » « Il m' a semblé rever et ne plus etre la m eme personne; il m' a littéralement semblé que je n'étais plus moi-meme. »Un patient décrit en détail com­ment un « second moi » s' est développé : « Lorsque par un long usage j' eus appris a me servir de mes sensations nou­velles, j'avais moins l'effroi d'etre seul et dans un pays queje ne connaissais pas; je pouvais, quoique avec difficulté, me conduire; j'avais reformé un moi; je me sentais exister, quoique autre 2

• »

T aine commente : « Il faut du temps pour que la chenille s'habitue a etre papillon; et, si la chenille garde, comme e' était le cas, tous ses souvenirs de chenille, il y a désormais un conflit perpétuel et horriblement pénible entre [ ... ] l'an­cien moi qui est celui de la chenille, et le nouveau moi qui est celui du papillon. » Ce qui vient a 1' appui de sa these : «Ainsi le moi [ ... ] est un produit dont les sensations sont les premiers facteurs; et ce produit, considéré a différents

_)

l. La Revue philosophique, p. 289. 2. !bid., p. 293.

illl

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) 1 A ) A 1 A moments, n est e meme et ne s apparatt comme e meme que paree que ses sensations constituantes demeurent toujours les m emes. » L' expérience est venue conforter la théorie déja exprimée dans De l'intelligence 1, et reprise plus tard par d'autres psychologues comme Ribot 2

• Taine décoche une fleche a 1' adresse de la psychologie classique, en terminant sa Note par l'affirmation que le petit traité de Krishaber est «plus instructif qu'un volume métaphysique sur la substance du moi».

Dans le paradigme du sommeil et de la veille qui sous-tend les conceptions du dix-neuvieme siecle, la mémoire fonc­tionne de maniere asymétrique. Pendant le sommeil, il peut y avoir so u venir involontaire o u réminiscence, comme 1' ont montré Maury et Hervey, mais il y a rarement souvenir volontaire. Dans 1' état éveillé, le rappel volontaire de nom­breux événements vécus a 1' état de veille et de certains reves est possible et normal. Le somnambulisme est une perturba­tion de ce paradigme. Les événements survenant pendant le somnambulisme sont certes oubliés, normalement, a !'instar des reves nocturnes; par contre, d'un épisode somnambu­lique a l'autre, il y a souvenir. De plus, les sujets soumis au « somnambulisme artificiel », ou hypnose, non seulement se souviennent des transes passées, mais aussi des événements de leur vi e éveillée. L' anomalie représentée par le somnam­bulisme est done la co"incidence, o u 1' apparente co"incidence, des deux états supposés distincts et alternatifs du reve et de 1' éveil; mais le somnambulisme est aussi le m oyen d' acces a une gamme de souvenirs bien plus étendue que celle qui est normalement accessible a l'état de veille.

Les cas de« dédoublement de la personnalité » sont comme le prolongement de ces anomalies de la mémoire. L'un des cas les plus célebres est celui de Félida.

Le rapport du docteur Azam sur Félida a été publié en

l. Livre III, chap. 1, ~La connaissance de !'esprit •, De l'intel!igence, II, p. 221-245.

2. Les Mabulies de la personna!ité, Alean, 1888. Cf. infra, p. 247.

Les avatars du moi 237

1876 1, la meme année que l'article de Taine, mais Azam a continué, jusqu'en 1893, a tenir la chronique des événements de la vie de Félida et de ses hypotheses a son propos. Il pré­sente tout d' abord le cas comme «une altération de la mémoire qui n' offre pas d' analogue dans la science ». Le su jet, qui est « presque ou meme entierement nouveau », justifie son hésitation au sujet du titre (Amnésie périodique ou Dédouble­ment de la vie 2) et Azam préfere laisser le choix au lecteur. n se veut avant tout observateur et narrateur : «]e raconte de mon mieux une observation qui appartient plus a la psycho­logie qu'a la médecine [ ... ] je borne mon ambition a porter ma faible contribution a la connaissance de l'homme. » En 1859, il s'est retenu de publier l'observation de cecas, paree que tous ses collegues ou presque avaient cru qu'il avait été mystifié 3• Au début de l'année 1873 pourtant, le docteur Warlomont, dans un rapport a l'Académie de Médecine de Belgique, a insisté sur «la réalité scientifique du phénomene dit doublement de la vie, double conscience, condition seconde4

»,

l. «Amnésie périodique ou dédoublement de la vie», publié une premiere fois dans La Revue scientifique, 47, mai 1876, p. 481-489, ensuite dans les Annales médico-psychologiques, 5' série, juillet 1876, p. 1-35. Ce dernier texte contient éga­lement (p. 264-271 et 448-462) une correspondance relative a cecas, reprise de La Revue scientifique, 3 (15 juillet 1876, p. 69-71) et 50 (10 juin 1876, p. 574-575).

2. Il est intéressant de no ter que le mot « personnalité • remplacera celui de «vie• dans l'édition de l'année suivante: Amnésie périodique ou Dédoublement de la personnalité (extrait du compre rendu de l'Académie des Sciences morales et politiques, Féret, Bordeaux, 1877).

3. !bid., p. 12. Les exceptions sont le célebre aliéniste Parchappe, Bazin, pro­fesseur a la Faculté des Sciences de Bordeaux et consultant a !'asile public des femmes, et ~M. Gintrac, pere, directeur de l'École de médecine et correspondant de l'Institut •·

4. !bid., p. 16. Le rapport de Warlomont concerne une «stigmatisée», Louise Lateau, examinée par une commission de l'Académie Royale de Médecine de Bel­gique. Ayant tour d'abord été tenté de rejeter entierement les phénomenes d 'hyp­nose, son opinion change et il écrit, dans un chapitre intitulé : « Doublement de la vie sous l'influence de certaines manceuvres (magnétisme, hypnotisme) • : « Reconnaissons [ . . . qu'] il est une puissance susceptible de se développer soit spontanément, soit par des moyens d'une grande simplicité, et qu'il appartenait a notre époque de préciser, en vertu de laquelle un erre huma in peut erre momen­tanément amené dans l'état de condition seconde >> (Louise Lateau. Rapport médi­ca! sur la stigmatisée de Bois-d'Haine, Muquarde, Bruxelles, 1875, p. 98).

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et c'est en prenant connaissance de ce rapport qu'Azam a décidé de reprendre contact avec sa pariente et de présenter ses propres observations •.

Née a Bordeaux en 1843, Félida a été élevée par sa mere seule, son pere étant mon pendant son enfance. Vers l'age de treize ans, apres la pubené, elle a présenté divers symptómes physiques sans cause apparente, qui dénotent, pour Azam, une « hystérie commens;ante ». C' est un an plus tard que le phénomene apparaít : apres une vive douleur aux tempes, elle tombe dans un accablement profond, semblable au sommeil. Quelques minutes plus tard, elle se réveille spontanément, et commence alors «le deuxieme état qu' on est con ven u de nommer condition seconde ». Cet état dure une heure ou deux, puis 1' accablement et le sommeil reparaissent, et Félida rentre dans 1' état ordinaire. Lorsque les symptómes hysté­riques s' aggravent, et que Félida est sujette a des convulsions, Azam, alors médecin adjoint de 1' asile public des femmes alié­nées, est consulté.

Il la trouve intelligente, travailleuse, assez instruite pour son état social; « d'un caractere triste, meme morose, sa conversation est sérieuse et elle parle peu », ses sentiments affectifs paraissent peu développés. Son état maladif la pré­occupe: presque chaque jour elle est prise de ce qu'on appelle sa crise, phénomene dontAzam dit avoir été témoin «des cen­taines de fois ». Il est sunout frappé par le fait que lorsqu' elle « s' éveille », son état est profondément modifié : elle sourit aux nouveaux venus, « sa physionomie s' édaire et respire la santé [ ... ] Son caractere est complecement changé: de triste elle est devenue gaie; d'indifférente a tout, elle est devenue sensible a 1' exces 2 ».

Les moments de transition d'un état a l'autre deviennent au fil des années si courts qu'ils sont presque imperceptibles,

l. Il présente des observarions directes (1858-1859); indirectes, provenant du rnari de Félida (pour les seize années suivames); et de nouvelles observations directes, de 1875 au rnornent de la rédaction de son rapport.

2. Annales médico-psychologiques, 5' série, 16, 1876, p. 8.

Les avatars du moi 239

sauf pour ceux qui la connaissent bien, et 1' état «normal» se fait de moins en moins fréquent. Félida vit désormais presque entierement dans 1' « état second ». Les retours a 1' état premier peuvent etre fort genants : un jour, dans sa (( condition seconde », elle se rend a des funérailles, s' assoupit un instant, et se réveille dans 1' autre état, sans que personne autour d' elle ne s'apers;oive de ríen, « ignorant absolument pourquoi elle était dans une voiture de deuil, avec des personnes qui, selon l'usage, vantaient les qualités d'une défunte dont elle ne savait pas le nom».

L' exemple de Félida est resté, jusqu'a la fin du siede, le prototype des cas de « double conscience », de plus en plus nombreux a partir de 187 6 •. Ainsi Binet, dans Les Altérations de la personnalité (1892), reprend, presque intégralement, le rappon d'Azam et considere le cas comme « typique 2 ». Mais il pose aussi une nouvelle question de psychologie: que signi­fie avoir deux « personnalités » différentes? et que devient alors 1' unité du moi? L' éditeur de La Revue scientifique, Émile Alglave, juge bon de demander a Paul Janet un anide sur le cas Félida. Janet (1823-1899), philosophe de l'école spiri­tualiste et édectique, membre depuis 1858 de la Société médico-psychologique 3, est alors professeur de philosophie a la Sorbonne. D' a u tres engagements 1' empechent d' écrire cet anide, mais il rédige une lettre, publiée dans La Revue scien­tifique, puis dans les Annales médico-psychologiques, sous le titre «La notion de la personnalité ».

Janet soutient d'abord que, aussi frappant soit-il, le cas de

l. Tour de suite apres 1' anide d'Azarn, un cerrain Dufay écrit a La Revue scien­tifique pour cirer un cas. De nombreux cas sont cités dans les Annales médico-psy­chologiques et ailleurs entre 1876 et la fin du siecle, rnais celui de Félida esr indis­cutablement un focus cfassicus.

2. Breuer et Freud parlent a leur tour de "division de la conscience • et font allu­sion a Binet, Pierre et Jules Janet dans les Etudes sur f'hystérie (PUF, 1956, p. 8).

3. Dans son éloge funebre, A. Rirti (Annales médico-psychowgiques, 8' série, 10, 1899, p. 508-509) dira que Paul Janet a rejoim la Société en 1858 et joué un role imporram dans cerrains des débats. En 1867, il en deviene le présidem. Cependant, a partir de 1870, il participe peu aux réunions de la Sociéré, la pra­tique clinique ayam pris le pas sur les « questions générales ».

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Félida « n'offre pasen définitive une difficulté de plus que le reve ou le somnambulisme, dont il n'est qu'une extension ». Le « fait de la double personnalité », cependant, se trouve mis en relief dans un cas comme celui-ci et présente une diffi­culté qu'il résume ainsi : «Si le moi peut se sentir double, en quoi consiste son unité, que les psychologues spiritualistes considerent comme la base fondamentale de leur doctrine' ? » En réfléchissant a cette difficulté, il est conduit a décompo­ser le fait de la conscience en deux éléments : « Il y aurait, dans la conscience, deux affirmations distinctes : 1) Je suis moi; 2) Je suis un tel moi [ ... ] Lorsque Descartes dit: Cogito, ergo sum, il n'ajoute pas: sum Cartesius. Peu lui importe, qu'il soit Descartes ou un autre. C'est son existence pure qu'il affirme et rien de plus.» Nous pouvons done distinguer entre le sentiment fondamental de l'existence, qui est indivisible, et ne peut varier que par l'intensité, et le sentiment de l'in­dividualité, lequel est un fait complexe et peut varier dans ses éléments, sans que le sentiment fondamental soit atteint. Il détermine le sentiment du moi, mais ne le constitue pas. Ainsi mon nom peut etre pensé comme une partie intégrante de moi, mais peut en etre séparé; de meme mon corps, mes vetements, ma position sociale. Janet revient a Descartes : « Dans l' abstraction que faisait Descartes du monde extérieur, il comprenait tout cet ensemble de choses; il citait par exemple ceux qui croient avoir un corps de verre 2

• »

Le sentiment de l'individualité peut varier : « Qui etes­vous? disait M. de Ferrus a une aliénée. - Vous savez bien queje suis Marie-Louise.- Oui, mais auparavant?- Mar­chancle de poissons 3

• » Pourtant, c'est de toute évidence le meme moi qui croit etre Marie-Louise, et se souvient avoir été marchande de poissons. Cette distinction peut se produire

l. Annales médico-psychologiques, 5' série, 16, 1876, p. 448. 2. Janet cite ce passage tres célebre sans donner la référence: Descartes, CEuvres

et Lettres, « Premiere méditation ~. Bibliotheque de la Pléiade, Gallimard, 1953, p. 268. Le contexte est celui du lien entre reve, folie et vérité.

3. Annales médico-psychologiques, 5' série, 16, 1876, p. 449.

Les avatars du moi 241

dans la vie normale : si je me concentre sur les propriétés du carré de l'hypoténuse, j' oublie completement qui je suis en tant qu'individu. Lorsque les psychologues parlent de l'iden­tité du moi, ils parlent du moi fondamental, hérité de Des­cartes.

Dans sa réponse, Azam ne réfute pas directement les argu­ments de J anet, mais en choisissant le mot « subtil », il donne a son éloge un sens tout relatif: « J e n' ai pas a m' étendre sur cette explication ingénieuse et subtile. » T outefois, comme Taine le laissait entendre dans sa remarque finale sur le traité de Krishaber, ces arguments représentent une tradition qui est en train d'etre supplantée. En demandant son opinion aJanet, Alglave, en tant qu' éditeur de La Revue scientifique, indique que cette tradition est encore tenue en estime, attitude emblé­matique du moment de transition que représentent les années 1870. La « substance pensante» - le « moi » de la philoso­phie cartésienne, le fondement du pronom personnel dans le cogito - est en passe de devenir un épiphénomene : un agré­gat d'associations basées sur la sensation et la mémoire. Le dis­tinguer de la personnalité n' a plus guere de sens.

Le cas Félida se distingue par un fonctionnement tout a fait particulier de la mémoire, et on voit que le somnambu­lisme est devenu une variation tellement classique du para­digme du sommeil et de la veille qu'il sert de critere pour déterminer ce qui est normal et ne 1' est pas. Dans son état second, Félida non seulement semble fonctionner normale­ment, mais elle se souvient de ce qui a eu lieu dans son état premier. Dans son état premier, pour rare qu'il soit vers la fin, Felida oublie tout des événements ou des circonstances de 1' état second. Ce qui aboutit a un curieux paradoxe. Pour­quoi Azam persiste-t-i! a appeler ((normal)) un état qui, bien que premier chronologiquement, montre une Félida aussi diminuée? Sa personnalité normale ne serait-elle pas plutót 1' état « second ~~. lorsqu' elle est agréable, efficace, et sans amnésie? Azam répond brievement et die pouvoir affirmer I'identité entre 1' état accidente! d' autrefois et celui dans lequel

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Félida passe aujourd'hui la plus grande partie de sa vie. De plus, continue-t-il, « 1' absence de so u venir est un mince cri­térium de l'intégrité des fonctions intellectuelles » - ne pas se so u venir n' est pas lié a un état pathologique de 1' esprit : « On n' oublie pas, paree qu' on ne peut pas se souvenir; on oublie paree que le fait oublié n'a fait qu'une impression insuffisante. » Ainsi un homme qui a traversé un état de délire peut, une fois guéri, n' en avoir aucun so u venir. Et cela sim­plement paree que le délire a pour effet de rendre le cerveau incapable de recevoir des impressions durables. Ce parallele avec le délire souligne a quel point Azam considere 1'« état second » de Félida comme anormal. En conclusion, a !'instar de Krishaber, il essaie d ' expliquer la condition de sa patiente en se référant aux travaux récents sur la localisation des fonc­tions cérébrales : « Cette altération de la mémoire et les phé­nomenes qui 1' accompagnent ont pour cause une diminution dans 1' apport du sang a la partí e du cerveau encare inconnue ou doit etre localisée la mémoire 1.))

Conclusion qui provoque la réaction d'un médecin anglais, Robertson 2

: une telle diminution dans l' apport du sang au cerveau étant un « phénomene morbide », comment alors admettre que 1' état qui le caractérise soit normal? Azam répond qu'il ne 1' a nommé «normal » que par comparaison avec le second, et que Félida doit etre considérée comme malade dans ses deux états. 11 développe longuement cette idée, utilisant les exemples du reve et du somnambulisme, deux états ou les évé­nements qui ont eu lieu sont plus tard oubliés (dans la vie « normale »). Les différences, comme Paul Janet l'avait déja noté, ne sont que de degré. De nombreux somnambules jouis­sent d'une acuité exceptionnelle d'un sens ou d'un autre. Félida est exceptionnelle car sa vue reste fonctionnelle et ses yeux sont ouverts - elle offre un exemple de « somnambu­lisme total», impossible a distinguer de la vie ordinaire :

l. !bid, p. 35. 2. !bid, p. 451. (Cf. Prof. Robertson, Mind, juillet 1876, p. 414.)

Les avatars du moi 243

J'y insiste malgré la singularicé d'une assertion qui renverse l'idée qu' on se fait d' ordinaire des somnambules, lesquels sont des gens qui marchent les yeux fermés [ ... ] Félida n'en ese pas moins une somnambule, mais done tous les seos et toutes les facultés fonctionnent d'une fa<;on normale. Pour tout le monde elle est éveillée, car elle a tous les caracteres de la veille. Cependant, en fait, elle ne veille point : e' est, je le répece, une somnambule parfaite, o u mieux, totale 1•

Un point de vue aussi paradoxal illustre bien aquel point les themes combinés du somnambulisme et de 1' amnésie en sont arrivés a influencer de maniere puissante les jugements sur ce qui est ou n'est pas «normal».

Cette influence se manifestera a nouveau en 1887. Cette année-la, Azam publie un ouvrage, préfacé par Charcot, ou il fait le point sur le cas Félida: Hypnotisme, double conscience et altérations de la personnalité 2• Il exprime 1' opinion selon laquelle Félida pourrait tres bien vivre et meme mourir dans le second état et pourrait etre considérée, dans un certain sens, comme « guérie ». Pour le philosophe Víctor Egger, qui rend compte de ce livre dans La Revue phílosophíque, Azam enleve du poids a son principal argument. Egger écrit ces lignes stupéfiantes :

L'age qui, chez les femmes, guérit tant de névroses, gué­rira Félida du mal dont elle ne souffre pas, et le retour a la saneé amenera chez elle de terribles souffrances morales, car avec son mal elle aura perdu le souvenir de la plus grande partie de sa vie; elle commencera, pour ainsi dire, vers l'age de cinquante ans, une existence nouvelle; guérison purement théorique, qui, par ses effets pénibles, semblera condamner les définitions des médecins, mais qui, au point de vue de la science pure, sera l'éclatante confirmation de leurs chéories 3

l. !bid., p. 455. 2. Bibliotheque scientifique contemporaine, Bailliere, 1887. 3. La Revue phi/osophique, 24, 1887, p. 308.

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Un tel ensemble de paradoxes et !'incapacité apparente de ces médecins et de ce philosophe a admettre la santé d'une personne vivant normalement 1 montrent a nouveau quel modele puissant le somnambulisme, avec les états d' oubli «normal» qui lui sont associés, est devenu pour les états men­taux. Oublier est «normal», trop se souvenir est patholo­gique.

Oublier est normal également dans l'hypnotisme, dernier avatar du « somnambulisme artificiel ». Depuis les années 1820, le magnétisme animal et son rejeton le somnambu­lisme artificiel ont subsisté sous des formes variées, mais ne font plus en général l'objet d'un intéret médica! sérieux. L'Académie des Sciences morales et politiques, les partici­pants a son concours en 1856, et Lélut dans son mémoire avaient pris soin de montrer qu'ils n'accordaient pas le moindre crédit aux idées « magnétiques » ; le su jet était devenu tellement synonyme de charlatanisme que les esprits sérieux devaient s' abstenir d'y porter un quelconque intéret. Mais cette situation bientót se transforme, et les principaux responsables de ce changement sont un chirurgien de Man­chester, James Braid, Azam et Charcot.

En novembre 1841, James Braid, qui a étudié la médecine a Édimbourg et exerce a Manchester, se rend a une démons­tration publique de « mesmérisme », donnée par un Fran~s itinérant, Lafontaine, disciple du marquis de Puységur. La démonstration ne convainc pas Braid; néanmoins il essaie la méthode sur un ami et sur sa femme. Les résultats obtenus l'enthousiasment a tel point qu'il forge un nouveau mot­« hypnotisme » - et écrit un livre : Neurypnology or the Ratio­na/e of nervous Sleep considered in relation with Animal Magne­tism (1843). 11 modifie légerement la technique traditionnelle en demandant au sujet de fixer son regard sur un objet brillant qu'il tient au-dessus des yeux, a un pied de distance.

l. Egger dira en 1887 que personne n'avait contesté le point de vue d'Azam sur ce cas (ibid) .

Les avatars du moi 245

Le « strabisme convergent » qui en résulte est ten u pour un facteur important dans le changement de 1' état mental et de fait, remplace a la fois le fluide magnétique et le pouvoir de la volonté des théories précédentes. Le livre de Braid n' a été traduit en franc;ais qu' en 1883, mais le terme « braidisme » est devenu courant en France aux alentours de 1860 1

• Azam affirmera : «Le premier, en France, j' ai répété les expériences de Braid, et j'ai ainsi arraché l'hypnotisme a la crédulité et au charlatanisme 2• »

L'hypnotisme donne lieu a de nouvelles observations qui permettent de reproduire le « dédoublement », et d' a u tres phénomenes, dans des conditions de laboratoire. Charles Richet, en 1883, publie un article important sur ce sujet dans La Revue philosophique3• Sous le titre «La personnalité et la mémoire dans le somnambulisme », il décrit des exemples d'un phénomene pour lequel il crée un néologisme : « objec­tivation des types 4 ». Certains sujets, sous hypnose, sont capables d'assumer des personnalités suggérées, et cela d'une maniere si complete qu'ils oublient leur identité de tous les jours. Pour croire a de telles transformations, il faut les voir; elles ne ressemblent aucunement aux formes ordinaires du jeu théátral ou de la simulation. Pour temer de faire com­prendre ce phénomene - « encore que le récit de ces scenes soit tout a fait terne et incolore comparé a ce que donne le spectacle de ces subites et étonnantes transformations ». 11 rapporte les discours tenus par deux femmes, qui sont « deve-

l. JI existe, par exemple, un Cours théorique et pratique de braidisme, par Durand de Gros (Bailliere, 1860).

2. Hypnotisme et double conscience (Alean, 1893, p. 3). Il avait !u et utilisé le livre de Braid en 1858, alors qu'il cherchait des moyens de soulager l'état singu­lier de Fétida, et fait ses premieres expériences d'hypnotisme avec !'une des amies de Fétida.

3. La Revue philosophique, mars 1883, p. 225-242. (Binet cite de longs pas­sages de cet arricle dans Les Altérations de la personnalité, Alean, 1902, p. 225-231.)

4. « C' est un phénomene curieux et complexe, que j' appellerais volontiers objectivation des types, si je ne redoutais ce mot barbare» (ibid., p. 226). Ce mot n'apparalt pas dans le TLF.

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nues » successivement une petite filie, une paysanne, une actrice, un général, un pretre et une religieuse :

Voici quelques-unes des objectivatiom de M. En paysanne. Elle se frotte les yeux, s' étire. « Quelle heure

est-il? quatre heures du matin! » (Elle marche comme si elle faisait tra1ner ses sabots ... ) « Voyons, il faut queje me leve! Allons a l' étable. Hu e! la rousse! allons, tourne-toi ... » (Elle fait semblant de traire une vache ... ) « Laisse-moi tranquille, Gros-Jean. Voyons, Gros-Jean, laisse-moi tranquille, queje te dis! ... Quand j'aurai fini mon ouvrage. Tu sais bien que je n'ai pas fini mon ouvrage. Ah! oui, oui! plus tard ... »

En actrice. Sa figure prend un aspect souriant, au lieu de l'air dur et ennuyé qu'elle avait tout a l'heure. «Vous voyez bien ma jupe. Eh bien! e' est mon directeur qui l' a fait ral­longer ... Ils sont assommants, ces directeurs. Moi je trouve que plus la jupe est courte, mieux <;a vaut. Il y en a toujours trop. Simple feuille de vigne. Mon Dieu, c'est assez! » [Une note précise :] « C' est une femme, tres respectable mere de famille, et tres religieuse de sentiments, qui parle '. »

Entrer ainsi dans la peau d'un personnage suggéré suppose de toute évidence que l'on puise dans sa mémoire, dans ses réserves de clichés au su jet d' a u tres professions o u classes sociales, mais implique aussi un processus d' association (par exemple, de la jupe courte a la feuille de vigne). En meme temps, l'identité normale, quotidienne, est laissée au vestiaire et l'incarnation du personnage suggéré est, tout au moins pour les spectateurs, d'une vitalité remarquable. Ces « objec­tivations » ressemblent beaucoup aux « altruisations » de Delbreuf, mais elles ne sont plus limitées au monde onirique, et Richet dira a leur su jet : «Ce n' est pas un simple reve : c'est un reve vécu 2

.))

l. !bid., p. 228-229. 2. !bid., p. 230.

Les avatars du moi 247

Dans Les Maladies de la personnalité (1888), Ribot s'ins­pire de T aine, Azam et Richet, et fait également référence a Hartmann et Carpenter: «]e voudrais essayer de rechercher ce que les cas tératologiques et morbides [ ... ] peuvent nous apprendre sur la formation et la désorganisation de la per­sonnalité 1• » Il refuse la « psychologie métaphysique [ qui] se contente de supposer un moi parfaitement un, simple et identique [ ... ] Malheureusement, ce n'est la qu'une fausse clarté et qu'un semblant de solution. A moins de conférer a ce moi une origine surnaturelle, il faut bien expliquer com­ment il nait et de quelle forme inférieure il sort. » Cette ancienne théorie métaphysique rencontre plusieurs objec­tions : elle n' est capable d' expliquer ni la vi e inconsciente de l' esprit, ni l'intermittence de la conscience, a moins de faire appel a des expressions confuses comme « idées latentes» o u « états inconscients ». Mettant de coté des états tels que le coma ou le vertige épileptique, Ribot mentionne l'exemple le plus fréquent, «l'état psychique pendant le sommeil». Fai­sant indirectement référence a Jouffroy, il affirme que l'as­sertion selon laquelle « il n' existe pas de sommeil sans reve »

est purement théorique et basée sur la présupposition que « l'ame est toujours en train de penser >>. On a récemment induit le sommeil de maniere expérimentale, par l' adminis­tration de substances dérivées du cerveau, comme le lactate de soude. Le sommeil sans reve est peut-etre une exception, mais un seul exemple suffit pour établir la nature intermit­tente de la conscience, et certains auteurs ont observé des cas ou une personne qui s'est endormie n'a pas conscience qu'un temps s' est écoulé et relie directement le moment de son réveil a celui précédant son sommeil, comme si aucune inter­ruption n'avait eu lieu. L'hypothese physiologique rend mieux compte de ces phénomenes que l'hypothese métaphy­sique. L'inconscient est en relation avec des états du systeme nerveux, plutót qu'avec des idées latentes ou des «sensations

l. Les Maladies de la personnalité, 2' éd., Alean, 1888, p. 2.

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non semi es», et la donnée fondamentale est 1' état du systeme nerveux:

11 faut considérer que tout état de conscience est un évé­nement complexe qui suppose un état particulier du systeme nerveux; que ce processus nerveux n' est pas un accessoire, mais une partie intégrante de 1' événement; bien plus, qu'il en est la base, la condition fondamentale; que, des qu'il se produit 1' événement existe en lui-meme ; que, des que la conscience s'y ajoute, 1' événement existe pour lui-meme; que la conscience le complete, l'acheve, mais ne le constitue pas.

Dans cette hypothese, il est facile de comprendre com­ment tomes les manifestations de la vie psychique, sensa­tions, désirs, sentiments, volitions, souvenirs, raisonnements, inventions, etc., peuvent etre tour a tour conscientes et inconscientes 1•

Ribot tente une définition du mot « inconscient » : «Le terme inconscient peut toujours etre traduit par cette péri­phrase: un état physiologique qui, étant quelquefois et meme le plus souvent accompagné de conscience ou l'ayant été a !'origine, ne I'est pas actuellement. » II est impossible, admet­il, de spécifier les conditions dans lesqueiles la conscience peut ainsi « accompagner », mais cela n' empeche pas cette these physiologique d' avoir un plus grand pouvoir explicatif que les autres 2•

Cette these est ensuite appliquée a un certain nombre de troubles, pour démontrer que k moi, autrefois supposé simple, est en fait une organisation complexe. Les cas cités par Krishaber sont repris, avec référence a l'article de Taine. Ils tendent a montrer que les sens (a I'exception du toucher) « déterminent, circonscrivent la personnalité, mais ne la

l. !bid., p. 6-7. 2. Dans ces pages, cerraines réflexions peuvenc erre lues comme annonc;:ant

Freud: par exemple, Ribot met l'accenc sur le fait que la conscience n'est qu'une partie de norre vie psychique, et que nos volitions plongenc dans les profondeurs de notre etre; les motivations qui les accompagnenc et qui les expliquent en appa­rence n'étant qu'une infime partie de leurs causes réelles (ibid., p. 14).

Les avatars du moi 249

constituent pas ». Cependant, des modifications de l'un des sens désorganisent réeilement la personnalité :

Nous voyons surgir, brusquement et d'un bloc, un groupe de sensations internes et externes marquées d'un caractere nouveau, liées entre elles par leur simultanéité dans le temps et plus profondément encore par l' état morbide qui en est la source commune. 11 y a la tous les éléments d 'un nouveau moi : aussi, parfois il se forme 1•

Ce n' est cependant pas toujours le cas et, de plus, ce nou­veau moi disparait avec le trouble sensoriel. Le « moi normal» n' est jamais totalement évincé; en général il y a alternance, de la I'illusion qu'a le patient d'etre « double ».Le mécanisme psychologique en jeu ici est la mémoire, non pas la mémoire que Ribot appeiie intellectuelle ou objective (la remémora­tion des perceptions, des images, des informations dont nous nous souvenons), mais plutot la « mémoire subjective, celle de nous-meme, de notre vie physiologique et des sensations o u sentiments qui 1' accompagnent 2 ». C' est cette mémoire subjective qui nous procure l'«idée» de notre personnalité:

La personnalité réelle, avec sa masse énorme d' états sub­conscients et consciems, se résume dans notre esprit en une image o u ten dance fondamentale que nous appelons l' idée de notre personnalité. Ce schéma vague qui représente la per­sonnalité réelle a peu pres comme [ ... ] le plan d'une ville représente cette ville, suffit aux besoins ordinaires de notre vie mentale 3•

Chez certains patients, il peut y avoir alternance de deux images; selon 1' état physiologique, ce sera 1' ancienne o u la nouvelle personnalité qui prédominera. Le patient se croira

l. !bid., p. 107. 2. !bid., p. 126. Distinction artificielle, Ribot le sait, mais illa juge utile. 3. !bid., p. 109.

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double pendant la transition d'un état a 1' autre. Le (( cas d'Azam >> en est un excellent exemple.

Les haHucinations également sont instructives. Ribot considere qu'un grand nombre d'entre elles sont des troubles de la raison, plutót que de la personnalité. Il ne considere que celles qui affectent la personnalité et qui sont plutót des alié­nations: « Presque toujours tout se borne a une aliénation (au sens étymologique) de certains états de conscience que le moi ne considere pas comme siens, qu'il objective, qu'il place en dehors de lui et a qui il finit par attribuer une existence propre, mais indépendante de la sienne. » Les « voix », dans la manie religieuse, en sont le principal exemple, bien que le sens visuel puisse aussi intervenir et créer «de toutes pieces un personnage imaginaire ». Par exemple, un Américain, resté sans connaissance un mois entier a la suite d'une insolation, a tout d' abord entendu une voix lui demander comment il se sentait, sans voir personne. Plus tard, il a vu quelqu'un, qui s' est présenté comme un Mr Gabbage, dont 1' aspect et les vetements étaient chaque fois les memes. Mr Gabbage petit a petit est devenu tyrannique, et a fini par lui ordonner de sauter par la fenetre du troisieme étage.

Pourquoi ces voix et ces visions, qui émanent du malade, « ne sont-elles pas siennes pour lui? ». Ribot suppose des causes anatomiques ou physiologiques, malheureusement inconnues. Il propose une explication provisoire : cet état de conscience « n' a que des connexions rares et précaires avec le reste de l'individu : il est en dehors, a la maniere d'un corps étranger, logé dans l'organisme, qui ne participe pasa sa vie [ ... ]. C'est un phénomene cérébral presque sans soutien, ana­logue aux idées imposées par suggestion dans l'hypno­tisme 1 ».

Somnambulisme artificiel, sommeil et reve, dédoublement de la personnalité, hallucination : Ribot aborde tous ces themes, mais dans un contexte nouveau. 11 ne s' occupe pas

l. !bid, p. 116.

Les avatars du moi 251

de personnages historiques, ne se pose pas la question de savoir si l'hallucination est pathologique, ne s'intéresse pas aux processus de réminiscence ou de combinaison qui font les reves, mais il insiste sur la nature complexe de la « per­sonnalité » et ses fondements dans le systeme nerveux. La conscience n' est plus considérée comme une donnée : elle est « ajoutée », sous certaines conditions encore mystérieuses.

260 Víes secondes

autre. On évite difficilement la tentation d'associer ce pro­cessus a u célebre « J E est un autre » de la « Lettre du voyant ». I1 faut dire, cependant, qu' aussi bien le « est » que le contexte vont a l'encontre d'une telle interprétation. Dans la« Lettre du voyant», Rimbaud parle d'une pensée qui nait d'un ailleurs («J'assiste a l'éclosion de ma pensée») et cette forme d' observation ressemble davantage a une « hallucination simple» qu'a un dédoublement. Ces deux processus, appa­rentés au reve et a la folie, font partie intégrante de la poésie de Rimbaud : dans l'hallucination, provoquée ou subie, le poete est spectateur; dans le dédoublement, il est a luí seul plusieurs acteurs sur une sd:ne peuplée de voix.

5

LE LABORATOIRE OBSCUR

Ribot et Flournoy

En jaillissant de notre fond caché, en met­tant en lumiere la nature intrinseque de nos émotions subconscientes et la pente instinctive de nos associations d'idées, le reve est souvent un instructif coup de sonde dans les couches inconnues qui supportent notre personnalité ordinaire.

TH~OOORE FLOURNOY

En 1900, Freud publie Die Traumdeutung. Mais 1900 est également l'année de parution de l'lmagination créatrice 1

, de Ribot, et Des Indes a la planete Mars 2, de Flournoy. Ces deux ouvrages sont en quelque sorte 1' aboutissement des recherches psychologiques du dix-neuvieme siecle. Le travail de Flournoy, consacré a l'observation d'un médium particu­lierement inventif, esta la fois retour au début du dix-neu­vieme, et passerelle vers le vingtieme; quant a Ribot, il est le premier philosophe franc_;:ais a consacrer un livre entier aux questions de la créativité 3• Mais l'Imagination créatrice n'a pas

l. T. Ribot, Essai sur l'imagination créatrice, Alean, 1900. Les citations pro­viennent de la troisieme édition (1908).

2. T. Flournoy, Des !mies lJ 14 pf<lnete Mars : Étude sur un cas de somnambu­lisme avec g/osso/4/ie, Alean, 1900. Cet ouvrage a été réédité avec une introduc­tion et des remarques de M. Yaguello et M. Cifali (Le Seuil, 1983).

3. Cf. A.-P. Chabaneix, Essai sur le subconscient dans les amvres de !'esprit et chez leun auteurs, Bordeaux, lmprimerie du Midi, 1897 ouvrage qui ne tient pas les promesses de son titre.

il

1¡1

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les qualités incisives de son livre précédent, Les Maladíes de la personnalíté. Ribot se contente de classifier : il distingue sept types d 'imagination - de l'imagination mystique a l'imagination « commercie 1 ». L'intéret est ailleurs : Ribot établit un lien entre travail créatif et inconscient, et dégage deux mécanismes propres a l'inconscient 2•

Ribot soutient a présent que l'inconscient n'est autre que l'inspiration. Apres le « facteur intellectuel » et le « facteur émotionnel », il aborde le « facteur inconscient » et précise : «]e désigne sous ce nom [ ... ] ce que le langage ordinaire appelle l'inspiration 3• » Il s'agit d'une « manifestation parti­culiere de 1' esprit, un état singulier, demi-inconscient, demi­conscient », qui ne dépend pas de la volonté. Ses deux marques essentielles sont la soudaineté - une irruption brusque dans la conscience, apres une période de latence ou d'incubation- et l'impersonnalité, souvent exprimée ainsi par 1' artiste : « J e n'y suis pour rien. » Cette « poussée » incons­ciente affecte les individus de maniere différente : « Mais, quelques caracteres qu'elle revete, l'inspiration restant imper­sonnelle, dans son fond, ne pouvant venir de l'individu conscient, il faut (a moins de lui assigner une origine surna­turelle) admettre qu' elle dérive de 1' activité inconsciente de !'esprit.»

Si sa nature est encare une « énigme de la psychologie », Ribot pro pose de prendre l'insconscient comme un « fait », et de se borner a rapprocher l'inspiration de quelques (( états mentaux ». L'hypermnésie, qui peut se produire sous hypnose et dans de nombreux états maniaques, consiste en «un afflux extraordinaire de souvenirs totalement dénué de la marque essentielle de la création : les combinaisons nouvelles ». Elle

l. D ans l'ordre : !'imagination púzstique, l'imagination diffluente, l'imagination mystique, l'imagination scientifique, l'imagination pratique et mlcanique, l'imagi­nation commercie, l'imagination utopique.

2. L 'inconscient sera sans guillemers, éranr enrendu qu'il désigne dans ce cha­pitre une sorce d'amalgame entre les définirions d 'Harrmann er Carpemer, 1' « inconscienr physiologique ~. en relarion avec le cerveau plurót qu' avec 1' esprit.

3. Essai sur /'imagination créatrice, op. cit., p. 42.

Le laboratoire obscur 263

ne peut done ríen nous apprendre sur l'inspiration. Certains ont rapproché 1' inspiration de 1' état d' excitation qui précede l'ivresse :

Cependant, combien cela est incolore comparé a l'action des poisons imellectuels précités, surrout du hachich! Les « paradis artificiels » de Quincey, Moreau de T ours, Th. Gau­tier, Baudelaire et autres ont fait connaitre a tous un prodi­gieux débridement de l'imagination lancée dans une course verrigineuse, sans limites quant au temps et a 1' es pace 1•

Mais ces courses vertigineuses ne sont pas l'inspiration au sens propre; elles sont seulement instructives quant a « cer­taines de ses conditions psychologiques ». On peut les consi­dérer comme « un essai, un embryon, une ébauche, analogues aux créations quise produisent dans les reves et se trouvent fort incohérentes au réveil >>. Il manque un élément essentiel: «le príncipe directeur qui organise et impose l'unité ».

La comparaison de l'inspiration a certaines formes de som­nambulisme se justifie davantage. « L'inspiré ressemble a un dormeur éveillé, il vit dans son reve. ». On observe ici un double retournement de 1' état normal : tout d' abord, la conscience est monopolisée par le nombre et l'intensité des représentations, et fermée aux actions du dehors; le monde extérieur est exclu, ou doit entrer dans la trame du reve; ensuite, «l'activité inconsciente (ou subconsciente) passe au premier plan, joue le premier role, en conservant son carac­tere d'impersonnalité ». L' existence d'un travail inconscient est hors de do u te, mais quelle est sa nature? Il est difficile de répondre a cette question, et Ribot se voit obligé de retour­ner a la psychologie de 1' association des idées. Car la nature fondamentale de ce travail inconscient est la production de nouvelles combinaisons d'idées, production qui peut emprunter deux voies : la premiere est celle de 1' « association

l. !bid, p. 46.

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médiate », sur laquelle Sir William Hamilton avait attiré 1' at­tention. Un exemple tiré de son expérience personnelle est devenu célebre : le loch écossais Ben Lomond luí rappelle le systeme prussien d' éducation - une « idée intermédiaire >>

s'est formée entre les deux, car c'est en visitant ce loch qu'il a discuté d' éducation avec un Prussien. Cette sorte d' asso­ciation, suggere Ribot, peut faire naitre de nouvelles combi­naisons, et i1 peut exister plus d'un « intermédiaire latent » au­dessous du seuil de la conscience. Nous voyons les << deux anneaux extremes d'une chaine», mais les maillons intermé­diaires nous restent cachés. La seconde voie est celle de la « constellation », terme emprunté au psychologue allemand Ziehen. L' évocation de toute image o u gro u pe d'images peut etre le résultat d'une somme de tendances prédominantes. Les images sont tissées en lacis inextricables. Le mot «Ro me», par exemple, peut susciter des centaines d'associations, dont certaines seront fondées sur la contigu'ité, d' autres sur la res­semblance. Mais pourquoi certaines surgissent-elles a un moment donné, et pas les autres? « C'est que chaque image est assimilable a une force de tension qui peut passer a 1' état de force vive et, dans cette tendance, elle peut etre renforcée ou entravée par d'autres images. » La richesse dans l'inven­tion dépend plus de l' imagination subliminale 1 que de l'«imagination superficielle», et Ribot attire l'attention sur un ouvrage qui, a ses yeux, illustre cette théorie : Des Indes a la planete Mars, de Flournoy :

Son médium, Hélene S. [ ... ] est l'auteur de trois ou quatre romans donr l'un au moins est inventé de toutes pieces (révé­larions sur la planete Mars, ses paysages, ses habitants et habi­tations, etc.) [ ... ] il y a une richesse d'invention rare chez les médiums; l'imagination créatrice sous sa forme subliminale (inconsciente) engloutit l'autre dans son éclat. On sait coro­bien les cas de médiumnité instruisent sur la vie inconsciente

l. Le mot ~subliminah a été popularisé par F. Myers, de la Society for Psy­chical Research (fondée en 1882).

Le laboratoire obscur 265

de l' esprit. Ici, e' est dans le laboratoire obscur de l'invention romanesque qu'il est permis de pénétrer par exceprion er l' on peut apprécier l'importance du travail qui s'y accomplit 1

Pénétrons avec Ribot dans ce « laboratoire obscur ». Théo­dore Flournoy (1854-1920), médecin, philosophe et psy­chologue, connait bien des travaux récents, comme Les Études sur l'hystérie (1895) de Breuer et Freud 2• En 1900, le« som­nambulisme », pour lui comme pour beaucoup d' autres, est encore un terme dé. Flournoy est, a bien des égards, com­plice de sa médium de prédilection, Hélene Smith (« ma charmante visionnaire») et passe a coté des problemes de transfert et de contre-transfert qu'un lecteur moderne peut lire entre les lignes.

Dans son état de somnambule, Hélene Smith invente des épisodes situés en Inde et sur Mars - dans un langage censé correspondre a ces lieux - et a Versailles. Flournoy parlera de trois cycles ou romans : « hindou », « martien » et «royal». Son « guide » o u «controle» dans le monde des esprits, Léo­pold, est un exemple on ne peut plus accompli de dédou­blement de la personnalité. Avant lui, Hélene Smith avait comme guide «Víctor Hugo », qui se contentait de campo­ser quelques vers médiocres. Flournoy distingue trois phases dans «la psychogénese du guide de Mlle Smith : une phase initiale de cinq mois, ou V. Hugo regne seul; une phase de transition d' environ un an, o u 1' on voit la protection de V. Hugo impuissante a défendre Hélene et son groupe spi­rite contre les invasions d'un intrus nommé Léopold, qui réclame et manifeste une autorité croissante sur le médium» ; enfin, la troisieme phase: l'« intrus» a définitivement évincé Víctor Hugo, et révélé que, derriere ce nom de Léopold, se cache en réalité la personnalité de Joseph Balsamo, alias Cagliostro. Au moment ou Flournoy rédige son livre,

l. Ribot, Essai sur l'imagination créatrice, p. 287. 2. Son influence sur Freud a été discutée; cf. M. Cefali, «Les Chiffres de l'in­

time » in Des Indes ... , Le Seuil, 1983, p. 371-385.

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Cagliostro-Léopold est le principal guide d'Hélene depuis env1ron s1x ans.

Léopold n' est pas de commerce facile. Les conseils, o u meme les ordres qu'il donne parfois a Hélene vont souvent a 1' encontre des propres désirs de la jeune femme. Il deviene facilement ombrageux et irritable des qu'elle engage une innocente et amicale conversation avec un homme. Il prend la défense de gens qu'elle n'aime pas. Illui dicte de la poésie qu'elle n'aurait pas pu écrire elle-meme. Il appara!t dans les trois cycles, hindou, martien et royal, et entame de vigou­reuses discussions avec Flournoy, lequel reste souvent scep­tique, par exemple au sujet du langage des Martiens. De nature tres indépendante, Léopold a de nombreuses autres missions a remplir et ne peut etre toujours présent, meme lorsqu' on !'invoque. Ses absences peuvent durer des mois. Il est sans conteste un personnage autonome et énergique, qui ne ressemble en rien a Hélene Smith.

D' o u vient cette personnalité? Pour Flournoy, son origine est double : apparente et réelle. L' origine apparente est la séance du 26 aout 1892, pendant laquelle !'esprit nommé Léopold fait sa premiere apparition. Mais 1' origine réelle est a rechercher dans 1' enfance d'Hélene. A l'age de dix ans, elle a été attaquée par un énorme chien : « On se représente la terreur de la pauvre enfant, qui fut heureusement délivrée par un personnage vetu d'une grande robe foncée a larges manches avec une croix blanche sur la poitrine, lequel se trouva la tout a coup et comme par miracle, chassa le chien, et disparut soudain avant qu'elle eut pule remercier 1• »

Dans une séance, le 6 octobre 1895, cette scene est revé­cue, alors qu'Hélene est dans un état de somnambulisme. Léopold explique que e' était alors la premiere fois qu'il se manifestait. Flournoy commente :

l. Des Indes ... , op. cit., Alean, 1900, p. 85.

Le laboratoire obscur 267

Il ne semble pas [ ... ] que [ ... ] la sphere des sentiments de pudeur ait du etre spécialement en jeu; mais si 1' on songe [ ... ] qu'il s'agit, en somme, d'une sorte d'attentat, et que la puissance désagrégeante des chocs physiques et moraux chez les individus prédisposés est un fait aujourd'hui banal, on ne fera pas de difficulté de souscrire a cette affirmarion de Léo­pold, en la prenant, il est vrai, en un autre sens que lui, et de voir dans cet épisode la premiere origine de la division de conscience et des manifestations hypno·ides de Mlle Smith 1•

Que le sauveur d'Hélene ait été un passant, en chair et en os, ou une vision imaginaire, Flournoy ne peut le décider, mais il penche plutot pour la premiere supposition. Pendant 1' adolescence, son protecteur en robe noire se manifestera a plusieurs occasions. Flournoy suggere que « 1' origine réelle et primordiale de Léopold se trouve dans cette sphere délicate et profonde o u 1' on a tant de fois rencontré les racines des phénomenes hypno!des ». Que ces tendances émotionnelles aient abo u ti a un « produit aussi complexe et perfectionné »

que 1' est la personnalité de Léopold s' explique par «un pur effet d'auto-suggestion ». Il s'agit la d'une vérité empirique: les pensées « tendent a une forme personnelle » - Flournoy cite ici William James 2 - et les éléments subliminaux, chez une personne suggestible, auront tendance a se grouper, a s' ordonner, et a ressembler, enfin, a une vraie personnalité : « Léopold n'existait pas nécessairement a titre de personna­lité latente avant qu'Hélene s' occupat de spiritisme », mais il s' est peu a peu formé, jusqu'a devenir un etre en apparence indépendant. Une fois constitué, ce second moi ne fera que croltre, embellir, en s'assimilant une foule de nouvelles don­nées et il reconna!tra comme siens «les faits subconscients tirés de la meme sphere fondamentale que lui, teintés des memes dispositions », attirant a lui tour matériau, du passé ou du présent.

l. !bid., p. 85-86. 2. Flournoy se réfere, dans une note, aux Príncipes de psychologie, de W. James

(1890). \.._

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Pourquoi cette personnalité une fois constituée s' est-elle « crue Cagliostro plutot que de prendre un tel autre nom célebre o u de rester simplement 1' ange gardien anonyme de Mlle Smith »? Répondre a cette question demanderait «une connaissance tres complete des mille incidents extérieurs qui ont enveloppé Hélene au début de sa médiumité 1 et ont pu la suggestionner involontairement ».

Léopold parcourt toute la gamme qui va de l'hallucina­tion visuelle a l'incarnation complete. Ainsi, les apparitions du personnage protecteur semblent avoir été des hallucina­tions visuelles. Mais d' a u tres seront a la fois visuelles et auditives : un jour, alors que Flournoy souffre d'une infec­tion pulmonaire, Hélene consulte Cagliostro, qui répond a ses questions, et dans une scene qui rappelle Puységur, pres­crit un remede a base de plantes. Les moyens de commu­nication utilisés par Cagliostro évoluent : mots entendus, mots dictés par la table, utilisation de la main de la jeune femme; il introduit des noms a 1' orthographe archa"ique, et son écriture est différente de celle d'Hélene, mais aussi, comme le montre Flournoy, de celle du Cagliostro histo­rique. Cette évolution ne s'accompagne d'aucune docilité de la part d'Hélene qui, au contraire, semble lutter contre cette « invasion ». Le climat de combat s'accentue encare lorsque Léopold cherche a utiliser sa voix. Il faut une année a Léopold pour arriver a« parler lui-meme, et tenir un dis­cours de son chef par la bouche de Mlle Smith » qui, « com­pletement intrancée », ne garde au réveil aucun souvenir

l. Flournoy prend la liberté de modifier l'orthographe de ce mot et justifie cene liberté ainsi : "En anendant qu' automatiste soit rec;:u en franc;ais, j' ai conservé le terme de médium, mais abstraction faite de son sens étymologique et de toute hypothese spirite. A médium se ranachent médianimique, médiani­misme, qui suggerent encore plus fortement cen e idée d 'ames intermédiaires (media anima) ayant la faculté d 'entrer en rapport avec les habitants de l'autre monde, et médiumnité, médiumnisme, etc. qui conservent jusque dans leur n un vestige étymologique de cene meme doctrine. Il m' a paru préférable, puisque je prenais le mot de médium en le dépouillant de son sens dogmatique, d 'en for­mer directement (c'est-a-dire sans l'introduction de cene n grosse de sous-enten­dus spirites) les dérivés médiumique, médiumité, etc. » (ibid., p. XI).

Le laboratoire obscur 269

de cette prise de possession. Léopold finit par s'incarner complerement.

Flournoy fait référence a deux autres cas célebres : le médium Mrs Piper, dont les deux personnalités semblent etre completement séparées, et Félida, dont la seconde personna­lité « enveloppe, en la débordant 1 » la premiere. Léopold, lui, « est lo in de posséder tous les souvenirs d'Hélene » mais il « connalt, prévoit, et se rappelle beaucoup de choses dont la personnalité normale de Mlle Smith ne sait absolument ríen, soit qu'elle les ait simplement oubliées, soit qu'elle n'en ait jamais eu conscience ». Il est toujours présent lorsque les inté­rets vitaux d'Hélene - organiques, moraux, sociaux, reli­gieux- sont en jeu. De plus, Hélene a parfois l'impression de devenir ou d'etre momentanément Léopold; ce phéno­mene se produit « surtout la nuit o u le matin au réveil ».

Les relations entre Hélene et Léopold permettent d' ob­server l'hallucination, le dédoublement, et un certain nombre de degrés intermédiaires entre les deux. Uopold donne l'impression d'etre une personnalité énergique, avec ses idées a lui. Il entretiene avec Flournoy une relation par­ticuliere, et aurait pu sortir des pages d'un roman. A.lui seul, il est un abrégé de nombreux processus créateurs du reve, et Flournoy termine le chapitre qu'il lui consacre en écrivant que «ces cas extremes, propres a certaines natures, ne sont apres tout que l'exagération de ce quise passe dans le simple reve nocturne du vulgum pecus ». Les trois cycles d'histoires sont aussi, selon Flournoy, tres semblables aux reves. Flour­noy cherche a démontrer que certains détails du cycle hin­dou ne peuvent provenir que d'un livre précis, qu' elle a du avoir un jour entre les mains, puis oublier. Sa mémoire sub­liminale l'a retenu et, par un mécanisme semblable a celui des reves, a récupéré, ravivé et utilisé des éléments de ce sou­venir enfoui. La principale différence entre les communica­tions médiumniques et les reves ordinaires est que les pre-

l. !bid. ,'p. 114.

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mieres sont étudiées, scrutées pour alimenter les croyances spiritistes, alors que les reves sont le plus souvent considérés comme dépourvus de sens:

Parfois elle [l'incohérence] retient un peu plus longtemps 1' attention du psychologue qui cherche a démeler la trame embrouillée de ses songes et a retrouver, dans les caprices de l' association o u les rencontres de la veille, l' origine de leurs fils enchevetrés. Mais, au total, cette incohérence reste sans influence sur le cours ultérieur de nos pensées, paree que nous ne voyons dans nos reves que des effets du hasard, sans valeur en soi et sans signification objective 1•

Il serait difficile de caractériser plus exactement 1' attitude du dix-neuvieme siecle vis-a-vis du reve : le psychologue peut démontrer le role de la réminiscence et de la mémoire subli­minale, il peut voir la maniere dont ces réminiscences s' as­semblent; mais il s' arrete au seuil des «portes du reve )).

Comme le somnambulisme demeure un concept dé, Flournoy rappelle a sa fa<;on les débuts du dix-neuvieme siecle. Mais, alors que les somnambules de Puységur s' occu­pent de guérisons, le médium de Flournoy s' occupe de fic­tion. Le personnage de Léopold s' est formé, construit par l'áme subliminale qui progressivement s'approprie un maté­riau provenant de la mémoire (ou d'ailleurs), matériau qui s'accorde avec certaines tendances du médium. Flournoy mentionne les ressemblances entre ce processus, les « objecti­vations » de Richet et le travail des reves ordinaires. Il démontre aussi comment les trois cycles d'histoires, en par­tie du moins, sont recomposés, a partir de souvenirs qui ne sont pas reconnus comme tels, en de nouvelles combinaisons. Cependant, il se préoccupe plus de rechercher les sources de ces souvenirs latents que de montrer comment ils en vien­nent a se combiner et a s'amalgamer. Comme la plupart de ceux quise sont intéressés au reve au dix-neuvieme siecle, la

l. !bid., p. 145.

Le laboratoire obscur 271

question fondamentale pour Flournoy reste la relation du reve a la mémoire, et les mécanismes de son élaboration mais, par 1' étonnante minutie de son analyse des matériaux du reve, il fait un pas vers le vingtieme siecle.

e

Conclusion

Depuis ses commencements et tout au long, le dix-neu­vieme siecle s' est passionnément intéressé aux états seconds. La connaissance du somnambulisme, rebaptisé extase pen­dant un court moment dans les années vingt, est nécessaire, dit Bertrand, pour que la psychologie, la pathologie et la phy­siologie atteignent le degré de perfectionnement que connais­sent déja les sciences physiques. Le temps est venu d'agran­dir le champ des observations et de considérer l'homme « dans ces états singuliers qui nous le montrent sous une face nouvelle ». Taine reprendra cette exigen ce d' étude des « cas singuliers et extremes observés par les physiologistes et les médecins », lesquels permettent le « grossissement » que la conscience normale est incapable de réaliser. Ces états sin­guliers - somnambulisme, extase, hallucination, dédouble­ment de la personnalité - sont assurément hétéroclites. Si le dix-neuvieme siecle les regroupe, c'est qu'a ses yeux ils se rattachent tous au reve, étant en somme des états de reve déplacés ou anormaux. Soit le reve est venu contaminer de quelque maniere la vie éveillée, soit une forme apparente d'éveil vient se meler au sommeil. La mémoire fonctionne, dans ces états, d'une maniere qui rappelle le reve : pendant la vie seconde on accede a ces souvenirs non reconnus appe­lés réminiscences ; revenu a 1' état normal, a certaines excep­tions pd:s, on oublie la vie seconde. Une meme personne peut

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se montrer sous un autre jour, tenir des propos différents ou meme contradictoires selon qu' elle se trouve dans sa condi­tion premiere ou dans une vie seconde. Pinel et Deleuze avaient déja fait cette constatation au début du siecle. Se pose en conséquence la questíon de l'uníté du moi. D'ou vien­nent, dans l'hallucinatíon, ces voix qui nous soufflent des remedes pour nos maux, nous poussent a des actions héro!ques ou suicidaíres, semblent parler par la bouche des disparus et pourtant, selon Maury ou Baillarger, ne peuvent que procéder « d'une seule et meme intelligence »? L'analo­gie- ou, pour Moreau de Tours, l'identíté- de ces phé­nomenes avec ceux du reve aide a démonter certains méca­nismes de part et d' autre, mais du m eme coup conserve a u reve le statut de «folie passagere » que lui avait accordé Vol­taire. Résultat de « 1' automatisme de l'intelligence », sans l'in­tervention de ce que Pierre Janet appellera «les formes plus élevées de l' activité humaine 1 », le reve ne peut avoir ni sens ni valeur. A plus forte raison, il se distingue radicalement de toute actívité créatrice. Tartini ne peut erre qu'une exception ranss1me.

T outefois la nature m eme de certains des processus décrits semble en porte-a-faux avec cette dépréciation du reve et des phénomenes du sommeil, leur assimilation, totale ou par­tielle, a l'aliénation mentale. Une chose est d'avoir acd:s a des réminiscences indisponibles a 1' état d' éveil - la situation géographique de Mussidan ou la vision d'une boutique de bonnetier a Francfort -, une autre de s' émerveiller devant les capacités de juxtaposition, de combinaison ou d'amal­game dont l'imagination fait preuve. Ces « objets jamais contemplés », ces mélodies inou·ies, suffit-il de les cantonner dans le domaine de l'aliénation? Et l'acte créateur par excel­lence, celui qui consiste a insuffler la vie a un personnage ­dramaturgie selon Hervey, « hallucination artistique » selon

l. P. Janet, L'Automatisme psychologique, essai de psychologie expérimentale sur les fonnes inférieures de l'activité humaine, Bibliotheque de philosophie contem­poraine, Alean, 1889, p. 1-2.

Conclusion 275

Flaubert -, doit-on le reléguer avec la folie sous le prétexte que bien des fous entendent des voix ou subissent des ordres émanant de personnages imaginaires? C' est le paradoxe do m un Maury, pour ne citer que lui, n' arrive pas a sortir. Et Flournoy, a la fin du siecle, tour en admirant la capacité créa­trice de l'imagination « subliminale » de sa « charmante visionnaire », finira par 1' assimiler aux reves nocturnes dénués de sens.

Moins encha!nés au paradigme que les médecins ou les philosophes, certains écrivains accordent un statut autre aux états seconds. Nodier opere un renversement en déclarant que le sommeil est 1' état «le plus lucide de la pensée », mais aussi par la mise en forme narrative de certains processus oni­riques et 1' utilisation de la folie comme matiere de 1' reuvre littéraire: la vie seconde du fou, devenu protagoniste, occupe quasiment tout le récit de La Fée aux miettes et les sympa­thies du narrateur sont vísiblement de son coté. La valeur accordée aux phénomenes du sommeil est plus ambigue chez Balzac car, s'ils sont responsables en grande partie du génie d'un Louis Lambert, ce dernier devient incurable, et le nar­rateur de Facino Cane se demande si son don d'identification o u de dédoublement, ce « reve d' un homme éveillé », ne serait pas susceptible de le mener a la folie. Inspiré par le haschisch, Gautier fera co!ncider reve et fiction, tandis que la réflexion de Baudelaire sur les reves procurés par la confiture verte sera de la philosophie morale, sans pour autant cesser d'etre de la poésie. L'ambigu·iré chez Nerval est d'un autre ordre : vic­time, pour ainsi dire, des catégorisations psychiatriques, se reconnaissant « malade » tout au moins par le passé, il ne sait que faire de la valeur certaine que le reve lui parait malgré tout avoir, si ce n'est l'écríre. Víctor Hugo saít bien le dan­ger de la folie, attaché pour luí a la perte du regard tranquílle sur les formes ou les vísions entrevues ou contemplées, maís il ne reconnait aucun seuil entre reve et éveil et fait du reve le modele tant de la créatíon divine que de la création artis­tíque. Rimbaud, enfin, fera ce travail extraordinaire qui

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consiste a cultiver folie et hallucination en lui-meme jusqu'a « tenir le systeme)) et a proférer une parole poétique inou"ie qui en redise tous les « sophismes ». En dépit des différences que l'on a pu constater, chemin faisant, les deuxieme et troi­sieme points du paradigme (pathologie des états mixtes et déni de toute valeur au reve) sont mis a mal par les memes écrivains, bien souvent, qui ont marqué le surréalisme et le reste du vingtieme siecle.

Au seuil du vingt et unieme siecle, il est clair que nous vivons sous un paradigme tout autre. Ce changement est dú en partie a des écrivains et des artistes, mais il n' est pas sur qu'a eux seuls ils auraient pule produire. L'autre facteur capi­tal est venu du domaine qui, au dix-neuvieme siecle, avait été le plus résistant, la médecine, et surtout d'un médecin tres ouvert a la littérature et aux beaux-arts, meme si son goút était plutót conservateur. Tous les germes du changement sont présents en effet dans Die Traumdeutung, publié en 1900 (les Franc;ais, on le sait, ont du attendre quelques années avant de pouvoir en prendre une connaissance directe). Un changement d' orientation se lit dans le choix du champ d'étude: «]usqu'a ces temps derniers, la plupart des auteurs étudiaient ensemble le sommeil, le reve et les états psycho­pathologiques analogues au reve, comme les hallucinations, visions, etc.», alors que Freud se propase, conformément aux travaux les plus récents, de se limiter au reve 1

, Mais l'inno­vation la plus radicale se lit des les toutes premieres lignes :

La recherche psychologique reconna!t [ ... ] dans le revele premier terme d'une série de formations psychiques anor­males, parmi lesquelles la phobie hystérique, les représenta­tions obsessionnelles et délirantes doivent, pour des motifs pratiques, intéresser le médecin. Le revene peut prétendre a une importance de cette sorte, mais sa valeur théorique comme paradigme n'en est que plus grande. Celui qui ne

l. L 1nterprétation des réves, p. 15.

\

Conclusion 277

peut expliquer l' origine des images du reve cherchera vaine­ment a comprendre les phobies, les obsessions, les idées déli­rantes et a exercer évemuellement sur elles une influence thé­rapeutique 1•

Avec Freud, e' est le reve lui-meme qui fait fonction de paradigme, et e' est de lui que viendra la compréhension des névroses et des délires; le troisieme point de l' ancien para­digme est renversé. Meme si son premier point (alternance du sommeil et de la veille) demeure, et meme si Freud conti­nue de soutenir l'analogie entre reve et folie, ce renversement bouleverse de fond en comble les relations entre tous les termes. Les états mixtes ne seront plus une sorte d' alternan ce manquée, ils seront expliqués par leur nature de reve, inter­prétés de la meme maniere que 1' on interprete un reve. A leur origine il y aura des « pensées de reve »; le travail inconscient et la lutte avec la censure expliqueront la forme perceptible, o u mieux écoutable, du mal. Le reve n' est plus a la périphé­rie mais au centre.

Du m eme coup s' écroule la prima u té accordée a la conscience. « L'inconscient est le psychique lui-meme et son essentielle réalité. » T out fait conscient suppose un « stade antérieur inconscient », un « premier degré [ Vorstufi] incons­cient». En conséquence, l'opposition que posait l'ancien paradigme entre la vie consciente et la vie du reve n'a plus COUrs; les « étonnantes productions >> du reve SOnt a mettre au compte de la meme pensée inconsciente qui ceuvre égale­ment pendant la veille :

Quand le reve poursuit et acheve les travaux de la veille et découvre des idées de quelque valeur, nous n'avons qu'a reti­rer le déguisement du au reve, qui est le résultat du travail du reve et la marque de l'assistance de forces obscures venues du fond de l'ame (cf. le diable dans le reve de la sonare de Tartini). Le travail intellectuel lui-meme est 1' ceuvre des

l. !bid., p. l.

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forces psychiques qui en accomplissent un semblable pen­dant le jour 1•

Certes, « 1' activité consciente collabore » quand « toutes les forces intellectuelles sont nécessaires pour résoudre une ques­tion », mais elle a tendance a masquer toute autre activité que la sienne. Et quand il s'agit de créations artistiques et intel­lectuelles, « il semble que nous soyons portés a trop suresti­mer [leur] caractere conscient ». Le coté tant soit peu hési­tant de cette derniere phrase cédera la place, dans la suite de son ceuvre, a l'étonnement de Freud devant les connaissances sur le délire que possede 1' auteur de Gradiva et la constata­tion que l'analyste et l'écrivain, meme si leurs méthodes dif­ferent, puisent a la meme source et travaillent sur le meme objet.

Est-ce a dire que ce que nous avons nommé paradoxe n' en est plus un? Il n' est plus question d'une opposition allant de soi entre le reve et 1' ceuvre d' art. Mais que la m eme so urce nourrisse les deux, que les memes matériaux et le meme tra­vail servent aussi bien a la construction d'un reve nocturne qu'a celle d'un roman, ne laisse pas de poser la question du rapport entre ces deux formes de « création ». Qu' est-ce qui les distingue? Baudelaire cite De Quincey disant que sous 1' effet de 1' opium un marchand de bceufs ne reverait que bceufs et paturages; Aragon dit : « Si vous écrivez, suivant une méthode surréaliste, de tristes imbécillités, ce sont de tristes imbécillités. » Que faut-il pour que le travail des « forces obs­cures venues du fond de l'ame» se transmue en ceuvre d'art? Répondre a une telle question a 1' aide de trois écrivains et de Freud ne pourra, bien entendu, que lever un coin du voile.

l. Tour ce que nous disons ici renvoie au dernier chapirre de l'Interprétation, noramment p. 520-521.

Conclusion 279

Un reve raconté ou écrit se situe dans un entre-deux qui n'est ni le monde interne du reveur, ni le monde des choses. Nous avons vu Nerval aux prises avec le probleme de la valeur intime du reve et de son rejet par des médecins et des com­missaires qui ne tenaient pas a ce que la poésie empiete sur la voie publique. Un de ses gestes -l'inscription sur le mur de sa cellule de «Tu m'as visité cette nuit » - est comme l'embleme du statut du reve, situé dans un espace tiers. Freud dira, en 1913, que l'art «forme un royaume intermédiaire entre la réalité qui interdit le désir et le monde imaginaire qui réalise le désir, et dans lequel les aspirations de toute­puissance de l'humanité primitive sont restées pour ainsi dire en vigueur 1 ». Winnicott, on le sait, fera plus amplement la théorie de cet es pace « intermédiaire », royaume de 1' « illu­sion » o u 1' enfant joue, o u se joue le transfert (« cour de récréation 2 » [Tummelplatz], dit Freud), et aussi, apres l'en­fance, 1' expérience des arts, de la religion et de la créativité scien tifiq u e.

f.tre inscrit dans cet espace intermédiaire est une condi­tion nécessaire pour que le reve soit une ceuvre. Nécessaire, mais insuffisante. «Tu m'as visité cette nuit » n'est, en soi, ni poeme ni roman, car s'il y a matiere, il n'y a guere forme. Or, si pour beaucoup la forme demeure un accident et non une substance, les écrivains savent qu' elle est essentielle. Víc­tor Hugo distinguait déja le prétexte d'un écrit, sa surface, appelée a tort «le fond », de sa forme qui est le véritable fond, les deux ne pouvant etre disjoints. Ils arrivent ensemble au moment de la création et ensuite on ne saurait changer un mot du texte sans 1' altérer; forme et fond ont atteint un point de fusion qui est en meme temps un point de non­retour.

l . L 7ntéret de la psychanalyse, éd. Assoun, Les Classiques des Sciences Humaines, 1980, p. 91. (C'esr moi qui souligne.)

2. La Technique psychanalytique, Bibliorheque de psychanalyse, PUF, 1967, p. 113. Qe reu aduis.)

280 Vies secondes

L' expression sort comme l'idée, d' autorité; non moins essentielle que l'idée, elle fait avec elle sa rencontre mysté­rieuse dans les profondeurs, l'idée s'incarne, l'expression s'idéalise, et elles arrivent toutes deux si pénétrées l'une de l'autre que leur accouplement est devenu adhérence. L'idée, c'est le style; le style, c'est l'idée. Essayez d'arracher le mot, c'est la pensée que vous emporcez 1•

Cependant, il est dair que l' écrivain ne pourra pas comp­ter a chaque instant sur une telle « rencontre dans les pro­fondeurs ». « L'inspiration, disait Baudelaire, est la sceur du travail journalier. )) Cela suppose, pour l' écrivain comme pour tout artiste, une maitrise toujours accrue de l'instrument. Yvette Guilbert conseillait a un jeune chanteur de s' exercer a dire « Prenez place, Madame », d'une vingtaine de fas;ons dif­férentes. Et elle était persuadée que, lorsqu' elle chantait, elle mettait sa propre personnalité a 1' écart a la faveur d'une per­sonnalité d'emprunt. En 1931, Freud a tenté en vain de la convaincre que « certains éléments, par exemple des prédis­positions qui ne sont pas parvenues a se développer ou des motions de désirs réprimés, sont utilisés pour composer le personnage choisi et parviennent ainsi a s' exprimer et a lui donner un caractere d'authenticité2». C'est ce que nous avons pu observer dans les « objectivations » de Richet, quand une « respectable mere de famille », dans sa vie seconde, vou­lait remplacer sa jupe par une feuille de vigne. Qui oserait assurer cependant qu'il y a une situation d'enfance derriere chacune des intonations de <~ Prenez place, Madame », sauf dans la mesure o u l' exercice dans son entier peut, une fois de plus, s' apparenter a un jeu? F reud aurait reconnu la part du jeu et du travail technique, lui qui, en dépit de son incom­préhension du surréalisme, reconnaissait 1'« indéniable mai-

l. Victor Hugo, CEuvres completes, Critique, op. cit., p. 584. 2. Comspondance (1873-1939), lettre du 8 rnars 1931, Connaissance de l'In­

conscient, Gallimard, 1966, p. 441.

Conclusion 281

trise technique 1 )) de Salvador Dali. Cela nous aide a dire plus

précisément de quelle maniere « 1' activité consciente colla­bore» quand il s'agit d'une réalisation artistique. Non pasen portant sur l'ceuvre obscure le regard froid du jugement, de la raison, en un mot des «formes plus élevées de 1' activité humaine )) - ce qui équivaut a la (( corriger )) a la maniere d'un surmoi- mais bien plutot en affinant le jeu et la tech­nique du langage de maniere a combler les !acunes de l'ins­piration et a favoriser les (( mystérieuses rencontres dans les profondeurs ». C' est de la dialectique entre cette maitrise et le travail inconscient que sortira 1' ceuvre.

Freud accordera aussi une place essentielle a la forme, mais en se pla<;:ant du point de vue du lecteur. Dans le court essai qu'il consacre, en 1908, au « Créateur littéraire et [a] la fan­taisie », il apparente les phantasmes de la reverie aux jeux de l'enfant d'une part et aux créations littéraires de l'autre. La « fantaisie )) corresponda une expérience in tense dans le pré­sent et accomplit un désir dans 1' ceuvre littéraire; mais elle plonge aussi ses racines dans 1' enfance du créateur. Dans le tout dernier paragraphe il s'interroge sur !'origine du plaisir ressenti par le lecteur, et esquisse une explication. Un reveur diurne quelconque, dévoilant ses fantaisies, ne nous procu­rerait aucun plaisir. L'hypothese de Freud (« nous pouvons soup<;:onner ») est que le créateur littéraire « atténue le carac­tere du reve diurne égo!ste par des modifications et des voiles )) et qu' en nous présentant ses fantaisies il nous offre «un gain de plaisir purement formel ».

Je pense que tout le plaisir esthétique que le créateur lit­téraire nous procure, pone le caractere d'un tel plaisir préli­minaire, et que la jouissance propre de l' reuvre littéraire est issue du relachement de tensions siégeant dans notre ame 2

l. Lettre a Stefan Zweig du 20 juillet 1938, ibid., p. 490. 2. L 1nquiétante .Strangeté et autres essais, Folio, Gallimard, 1985, p. 46.

282 Víes secondes

Baudelaire avait parlé de la « magie suggestive » o u de la « sorcellerie évocatoire » qui consiste a faire remonter des sou­venirs enfouis, nous faisant voir, par exemple, De Quincey sous l'influence de 1' opium allant écouter la cantatrice Gras­sini : «La musique entrait alors dans ses oreilles comme une série de memoranda, comme les accents d'une sorcellerie qui évoquait devant 1' ceil de son esprit toute sa vi e passée 1

• » Mais Freud ne parle pas seulement d'une montée de représenta­tions accompagnée d' affects. L' avant-plaisir marque une res­semblance de structure entre le mot d'esprit d'un coté et l'acte sexuel de l'autre : l'acces a un certain plaisir est obs­trué; une prime de séduction - o u un avant-plaisir - est procurée par la forme o u la technique; celle-ci permet 1' ou­verture d'une porte qui sans elle fut restée fermée et provoque une libération de plaisir profond. Il ne développera pas lui­meme cette intuition («la plus audacieuse de toute 1' esthé­tique psychanalytique 2 », selon Paul Ricceur), mais, rappro­chée de Die Traumdeutung, elle nous permet de mieux comprendre a la fois la gen ese et la réception de 1' ceuvre d' art.

Car e' est grace a la forme que les vi es secondes franchis­sent les portes d'ivoire et de come pour remonter dans ce royaume intermédiaire d' o u elles ne cesseront de nous ques­tionner : «La carte de l'univers imaginable n' est tracée que dans les songes. L'univers sensible est infiniment petit. »

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