viollet_marion. thèse oeuvre et public pdf
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Universit Toulouse 2 Le Mirail (UT2 Le Mirail)
Arts, Lettres, Langues, Philosophie, Communication (ALLPH@)
Les comportements du spectateur comme enjeux de l'art contemporain
lundi 26 septembre 2011Marion VIOLLET
Arts Plastiques
Bruno PQUIGNOT, Christophe VIART
Dominique CLVENOT, Christine BUIGNET
LLA-CREATIS
Florent GAUDEZ
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5RESUME
En relation avec la pratique artistique de lauteur, cette recherche se dveloppe autour de la question des comportements du spectateur de lart contemporain dans lespace de luvre, en France.Lart intgre depuis les annes 1960 le spectateur, appelant sa participation ou le tenant volontairement distance. Les uvres ne ncessitent plus une attitude contemplative, esprent le visiteur actif voire acteur du droulement de la cration. Mais lobservation de ses comportements rvle galement un rapport indit lespace de lart : certains publics y voient une continuit de la rue, et leur rception sen ressent. Ltude de cette nouvelle figure du spectateur mne interroger les outils que lui proposent les structures, afin que sa rencontre avec luvre ne soit pas vaine : la mdiation est dveloppe, accompagnement ncessaire mais potentiel obstacle une interprtation personnelle. Elle est aussi une vitrine de la dmocratisation culturelle ; comme dautres missions des lieux dart, elle a pour fonction dattirer et de fidliser des publics peu sensibles lart actuel. Les espaces de consommation, de repos peuvent les inciter dpasser le seuil des lieux dexposition, qui doivent sadapter aux diverses attentes souvent contradictoires des artistes et du public, et aux exigences politiques. Lauteur donne forme plastique ces proccupations dans une installation traduisant, par une pratique du bricolage qui lui est propre, lenfouissement de luvre sous les discours de mdiation et les diverses proccupations concernant laccueil des spectateurs. Que devient luvre lorsque le contexte de lart occupe plus de place dans les discours que lart lui-mme ? Mots clefs : art contemporain, uvre, rception, spectateur, public, participation, interactivit, mdiation, scandale, muse, centre dart, white cube, bricolage, installation, photomontage __________________________ Title : The visitors behaviours as an issue of contemporary art
In conjunction with the creators artistic practice, this research develops the issue of the contemporary art spectators behaviors in art spaces in France. Art has integrated the visitor since the 1960s, calling upon his participation or voluntarily keeping him at a distance. The works do not require a contemplative attitude anymore, but would rather the visitor be active or even an actor in the creation process. But observing these behaviors equally reveals a new relationship with art spaces: certain publics consider them a continuation of the street, which plays out in their reception of the artwork. The study of this new type of spectator brings about an inquiry of the tools with which organizations provide him so that his encounter with the artwork is not in vain: mediation is developed, a necessary guide, but also a potential obstacle to a personal interpretation. It is also a showcase of cultural democratization. Like other arts centers missions, mediation is meant to attract and develop the publics loyalty, especially for those who are not aware of contemporary art. Consumption and leisure spaces can incite them to enter the exhibition space, which must be adapted to political requirements and to the often contradictory expectations of the artists and of the public. The creator gives his interests a visual form in an installation, using his own methods and thus translating the artworks meaning, hidden beneath mediation, and the different concerns around the publics reception. What does the work of art become once the context takes center stage in the discussion on art itself ?
Key words :contemporary art, artwork, reception, spectator, public, participation, interactivity, mediation, scandal, museum, arts center, white cube,do-it-yourself, installation, photomontage
traduction Anna Ciriani
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Doctorat de luniversit de Toulouse dlivr par luniversit Toulouse II-Le Mirail
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9SOMMAIRE DE LA THESE
Introduction
Pratique : premires approches
PREMIERE PARTIE- Quand lindividu-spectateur devient motif
1- Paradoxes de lindividu
A- Lindividu malgr la foule
B- Des silhouettes, ni plus ni moins
C- Premire approche du public et du spectateur
2 Esquisser les dmarches minimums : luvre estompe, le public surexpos
A- Un nouvel intrt pour le spectateur
B- La relation comme cration : fonctions dun spectateur de premier plan
3 - Mise en scne et direction du spectateur : une participation complique,
desobjectifsflous
A- Les dmarches Minimums : rythmes et contre-rythmes de la visite
B- Corps-dcor, corps daccord
C- . ou la mise en scne dune nouvelle figure du spectateur : lindividu-spectateur
DEUXIEME PARTIE- Entre luvre et le public, quelques mots sur lart
pour lindividu-spectateur
1- Des maux de lart et de leur apaisement
A- . et la distance respectueuse du spectateur
B- La place de lindividu dans les scandales et censures de lart contemporain
C- Dveloppement dintermdiaires
2- Le poids des mots et de la plume
A- Des mots pour le dire. Mais quelles oreilles pour les entendre ?
B- . ou lart de la formulation
C- Lintermdiaire crit : est-ce une mdiation ?
3- Une mdiation la carte pour lindividu-spectateur
A- Une mdiation libre et dlbile
B- Un change personnalis
C- La mdiation : un remde contre les problmes de rception ?
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TROISIEME PARTIE- Thtres de lart, thtres des publics :
les lieux de lart en construction permanente
1- Un espace pour les publics, pour le public
A- Du temple lespace du public : remises en question du muse dart contemporain
B- Plus proches du spectateur : mergence des centres dart contemporain
C- White Walls : espace matriel, espace matriau
2- Les lieux dart contemporain : des espaces culturels ?
A- Lart contemporain sous le joug de la culture
B- Souvrir aux publics : de nouvelles missions, de nouvelles approches
C- La mdiation culturelle dans les lieux dart contemporain : un enjeu politique et social
3- Etats intermdiaires du lieu
A- Bricolage et autres trucs
B- Une certaine approche du spectateur
C- Construire-agencer
Conclusion
Bibliographie
Table des illustrations
Table des matires
p. 265
p. 269
p. 270
p. 286
p. 292
p. 316
p. 316
p. 326
p. 345
p. 360
p. 361
p. 371
p. 379
p. 393
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INTRODUCTION
la complexit nous enjoint de bricoler pas seulement dans les disciplines mais aussi entre les disciplines.
A trop rifier les points de vue disciplinaires on en vient oublier que le monde nest pas disciplinaire
mais global, systmique et complexe. Quil faille bricoler longtemps pour en produire une intelligibilit
minimale cela ne fait, mes yeux, aucun doute mais nest-ce pas, aujourdhui, une ardente ncessit ? 1
Pascal Roggero (professeur de sociologie, lUniversit de Toulouse 1)
Nous sommes tous spectateurs, quel que soit le spectacle qui nous anime. Et cest en tant que spectatrice,
tout autant quen tant que chercheur ou plasticienne, que je rdigerai les lignes venir.
Les prmisses de la recherche apparaissent en filigrane au travers des proccupations qui jalonnent, depuis
plusieurs annes, mon parcours universitaire. Lindividu dans lespace public, puis dans lespace mdiatique,
revendiquant son individualit tout en ne parvenant pas se distinguer parmi la masse de ses semblables,
devient rapidement le sujet dinterrogation de mon travail artistique. Il habite alors mes animations,
photomontages ou espaces miniaturiss sous la forme dune silhouette dtoure, rpte, manipule,
dcontextualise, mle dautres personnages. La question de la perte dindividualit se pose bien sr :
comment les mdias de masse sadressent-ils cet anonyme, cherchant latteindre personnellement en
dpit dun discours uniforme ? Comment la figure de lindividu occupe-t-elle progressivement le devant
de la scne, travers lexposition de son intimit, la mise en valeur de la vie ordinaire, la diffusion de son
opinion ?
Comment de leur ct, les artistes contemporains se saisissent-ils de ce phnomne, mettent-ils en scne
dans leur uvre le spectateur en tant quindividu ?
Le croisement entre ces deux axes de recherche a men au dveloppement de la thse.
Depuis septembre 2007, le spectateur de lart contemporain est donc mon spectacle privilgi : je suis
devenue spectatrice des spectateurs, de leurs comportements. Comment agissent-ils aujourdhui dans
les lieux dexposition ? Les rflexions concernant lindividu, souleves dans mes recherches passes, se
vrifient-elles galement dans lespace des uvres actuelles ?
Ces questions peine formules, jentreprends de constituer une rserve dimages qui nourrira les objectifs
de ma pratique plastique : afin de filmer des spectateurs se dplaant dans les lieux dart contemporain puis
dobserver leurs agissements, je prends donc part au festival du Printemps de Septembre Toulouse. Cette
manifestation ouvre chaque anne les portes des lieux dart de la ville afin de permettre chacun un accs
gratuit et accompagn lart contemporain ; elle rpond en cela certaines attentes de la dmocratisation
culturelle, ainsi nomme par Andr Malraux ds 1959.
Laccs au public que mautorise cette exprience nouvelle de mdiation facilite galement lenregistrement
de courtes vidos : en groupe, isols, les spectateurs sattardent devant les uvres, les cartels. Bras croiss
derrire le dos, la fiche de salle roule entre leurs mains jointes ; le pas est lent, mesur, rapide, nonchalant,
press, occasionnellement ralenti par un appel tlphonique ou une rapide prise de vue photographique. Ils
ne parlent pas, ou si peu, ou un peu fort. Un banc : ils sy attardent, perdus dans leur observation, captivs
1 Pascal Roggero Bricolage, complexit et sciences sociales : quelques prolgomnes , compte-rendu du colloque Gnie(s) de la bricole et du Bricolage. Regards transdisciplinaires , 2008, organis par lESCHIL, Equipe des SCiences Humaines de lInsa de Lyon
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par leur lecture ou leur conversation.
Comme lillustrent certaines squences, le spectateur exprime parfois son individualit, impose sa prsence
dans un espace o luvre est invite se dployer dans toute sa force. De quelle manire le lieu dexposition
accueille-t-il ce nouveau personnage auquel lhistoire ne la pas habitu ? Soumis aux contraintes de la
culture pour chacun, il conjugue sa fonction dexposition aux exigences dlargissement, daccueil et de
fidlisation dindividus devenus spectateurs. Comment luvre contemporaine trouve-t-elle sa place dans
cette conjugaison pleine de paradoxes ?
Ces proccupations nous mnent la problmatique de la thse : dans quelle mesure les comportements
du spectateur ne sont-ils pas devenus des enjeux majeurs de lart contemporain ? Condition dexistence de
lieux dexposition incits linviter et le fidliser, le visiteur est galement important pour les plasticiens,
au point de devenir sujet et/ou acteur de leur production.
Au cours de cette thse en arts plastiques, des uvres, essentiellement produites au XXme sicle et plus
particulirement partir des annes 1960, seront analyses, interroges. Nous ferons appel lhistoire de
lart afin de contextualiser les proccupations artistiques des plasticiens contemporains cits en exemple.
Les tudes concernant la rception des uvres dart, leur mdiation, retiendront galement notre intrt.
Nous nous attarderons enfin sur les missions actuelles des lieux dart, et leur volution face aux attentes
politiques croissantes de dmocratisation culturelle.
Mais comme le laissent deviner ces premires lignes, la dimension sociologique occupera une place
particulirement importante dans la recherche tout autant que dans les ralisations plastiques ; il est
important de clarifier la position quelle occupera dans la thse.
Des artistes tels que Hans Haacke ou Fred Forest 2, accordent dans leur uvre une place importante la
sociologie. Cet intrt ne fait bien sr pas deux des scientifiques, car ils semparent des outils des sociologues
sans ncessairement se soumettre aux rgles rgissant les tudes. Selon Daniel Vander Gucht, docteur en
sciences sociales, ils traduisent en langage plastique les questions, observations, critiques que les sociologues
dveloppent dans le domaine du concept 3 : [les uvres] donnent voir et penser mais ne prtendent rien
prouver ; elles ne nous convainquent pas mais nous meuvent et nous perturbent 4 .
Toute lambition de cette thse est l : non prouver, mais mettre en relief une situation, interroger ses causes,
supposer ses consquences sous une forme plastique, sans prtendre divulguer une vrit que le plasticien ne
dtient pas plus que ses concitoyens.
Hans Haacke explore les rapports de lart avec le pouvoir et les affaires. Il sempare librement des outils des
sociologues, et malgr ses entorses aux procdures, obtient des rsultats trs proches de ceux des scientifiques,
qui peuvent tre soumis leurs analyses 5. Quant aux scandales que ses uvres peuvent occasionnellement
soulever, ils ont pour intrt dattirer les regards et ainsi de les rendre plus visibles que bien des articles
scientifiques ; tel est lun des intrts de cette utilisation de la sociologie dans lart.
2 Il fonde en 1974 le Collectif dArt Sociologique en partenariat avec un sociologue et un psychologue, Herv Fischer et Jean-Paul Thvenot
3 Daniel Vander Gucht, cours de sociologie de lart, anne acadmique 2008-09, Facult des sciences sociales, politiques et conomiques, Facult de Philosophie et Lettres, Universit libre de Bruxelles, p. 44, http://www.vdg.lettrevolee.com/pdfsite/cours%20socio%20art.pdf, 02-2011
4 Idem, p. 595 Howard Saul Becker, John Walton, Limagination Sociologique de Hans Haacke, 2010, Bruxelles, Ed. La Lettre Vole, p. 16
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Daniel Vander Gucht formule avec clairvoyance la relation des plasticiens avec la sociologie :
Une intuition partage par beaucoup de sociologues de lart est que les artistes peuvent
se rvler des sociologues en acte. Ce qui ne signifie nullement que les artistes soient des
auxiliaires de la sociologie, pas plus que de la psychanalyse ou de la philosophie politique
du reste. Ils nont vrai dire pas besoin du secours de ces disciplines dont ils nont au
demeurant le plus souvent quune connaissance de seconde main pour proposer un travail
de critique sociale [] La philosophie de cette entreprise est, me semble-t-il, magistralement
formule par Robert Filliou qui dclarait que lart est ce qui rend la vie plus intressante que
lart 6
En dveloppant une pratique artistique en relation avec une recherche universitaire, je lai envisage comme
libre de semparer des domaines enrichissant son propos, ignorant dventuelles frontires. Dun point de
vue gnral, une uvre est ouverte aux interprtations de lartiste et des regardeurs. Lartiste est donc libre
de solliciter les domaines qui lui semblent ncessaires llaboration dun concept, ou dune construction
du sens. Sans tre experte dans un domaine particulier (et nous verrons que cette affirmation est galement
revendique dans les diffrentes propositions pratiques), les croisements oprs au long de la thse me
mneront formuler des hypothses relatives aux tats actuels de lexposition et de la rception de lart
contemporain.
La rflexion se droulera suivant trois axes successifs ; le premier sintresse aux particularits du spectateur
de lart contemporain, et la place quil occupe dans ma pratique. La deuxime partie interroge les outils
mis sa disposition afin de laccompagner dans sa visite. Enfin, la dernire partie explore les efforts des lieux
dart contemporain invits largir et diversifier les publics, en favorisant le confort de leur visite.
Dune manire relativement chronologique, le lent et fastidieux travail de dtourage de visiteurs qui moccupe
depuis les balbutiements de la recherche inspire la premire partie de la thse. Ainsi, les spectateurs qui ont
travers le champ de ma camra au cours du festival du Printemps de Septembre vont, lun aprs lautre, tre
isols de leur contexte par informatique, puis transfrs sur fond blanc, et enfin diffuss par vido-projection
sur un fond neutre. La mise en valeur des comportements classiques ou atypiques du spectateur dicte cette
dmarche.
Le public ; idal ou simplement attendu, bienvenu car il est venu, et que cest dj bien. La technique du
dtourage, sollicite depuis plusieurs annes, implique de nombreux questionnements. Elle permet disoler
un personnage de ses semblables, et donc a priori de lidentifier, de souligner son individualit. Pourtant, la
manire dont elle est utilise ici natteint pas cet objectif : les personnages, dcontextualiss, redeviennent
sitt des spectateurs parmi un public anonyme. Mais que viennent-ils voir ? Lors du dtourage, le dcor de
leurs dplacements a disparu, mais galement lobjet de leur visite : luvre. Que reste-il alors du visiteur, qui
lidentifie comme tel, au-del des signes plus manifestes de son individualit ?
Le public mis en scne dans ses errances et ses automatismes, est objet de recherche pour les muses et
centres dart. la diffrence de ces derniers, je peux me satisfaire dune ralit difficile accepter : le
6 Daniel Vander Gucht, cours de sociologie de lart, op. cit., p. 42
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public est et demeurera une donne abstraite et indfinie. Pourtant cette notion si flottante est lobjet
dinvraisemblables qutes, tant de la part des structures que de celle des plasticiens.
Conscients de sa passivit face aux uvres, les artistes ds le XXme sicle tentent en effet de faire appel
lindividu qui seffaait jusqualors sous le masque du spectateur, habitu un comportement musal
plus traditionnel 7. Leur qute saffine progressivement : dun appel la participation physique du visiteur,
invit toucher les pices, les plasticiens le font intervenir dans la cration mme de luvre, voire dans le
dveloppement de la dmarche. Si les formes qui en rsultent sont effectivement le produit de laction des
participants, dans quelle mesure leur individualit sexprime-t-elle rellement lors de ces expriences ?
Au cours des annes de recherche, jai effectu plusieurs voyages dtude afin de mimprgner de latmosphre
de diffrents lieux dexposition franais ; la politique culturelle est en effet singulire en France et engendre
une exposition, une production et une rception spcifiques des uvres. Jai recueilli de manire informelle,
les commentaires des professionnels de lart contemporain au sujet des spectateurs, de leur accueil, de leur
accompagnement et bien sr des comportements qui les caractrisent. De nouveaux films enregistrs dans les
divers centres et muses dart ont rvl la particularit des trajets quimposent les uvres contemporaines.
Suite leur dtourage, les attitudes des spectateurs interrogent la manire dont ils interagissent avec ces
crations protiformes.
La rflexion concernant cette volution du statut du spectateur, nous mnera enfin interroger la relation
des spectateurs aux uvres dans le lieu dart contemporain : les recherches des artistes ont-elles incit
les publics prendre leur visite en main, se dpartir dune attitude passive et contemplative ? Le visiteur
nest-il pas davantage dissip qumancip 8 ? Comment agit-il face aux uvres ou en dpit delles, dans les
expositions ?
Lors du Printemps de Septembre, je ne me contente pas de filmer des visiteurs, faisant fi du droit limage.
Il sagit galement dune premire rencontre avec la mdiation culturelle, dveloppe lors du festival. En
compagnie dautres tudiants peu expriments, nous tentons, arms de notre faible exprience, dintresser
les spectateurs aux uvres et de les inciter partager leur interprtation. La complexit de cette tche
soulvera de nouvelles questions.
La seconde partie de la thse se concentre sur les dispositifs dvelopps en direction des publics, afin
dorganiser leur rencontre avec luvre tout en loignant les conflits qui pourraient les opposer.
En effet, lart contemporain est rput litiste et complexe. Les publics nophytes pensent son accs difficile ;
la dfiance voire la colre quil suscite chez certains, nest peut-tre pas sans rapport avec lvolution des
comportements dans les lieux dart contemporain. Lmergence de formes htroclites quils nassimilent pas,
la mdiatisation dune crise de lart contemporain dans les annes 1990 ainsi que des nombreux scandales
qui lui sont associs, ont mnag une distance entre lart et le public de son poque. Face cette crise, qui
est peut-tre davantage celle de la rception, des outils ont t dvelopps afin de servir dintermdiaires
entre les uvres incomprises et les visiteurs rticents. On les nomme depuis 1992 environ les mdiations
culturelles.
Cest essentiellement le regroupement massif des spectateurs autour des cartels ou lomniprsence des
7 Bien quoccasionnellement boulevers par les scandales quont pu provoquer certaines uvres, tel que le Djeuner sur lherbe de Manet, pour ne citer que ce clbre exemple.
8 Selon lexpression de Jacques Rancire, Le spectateur mancip, 2008, Paris, Ed. La Fabrique, 145 p.
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fiches de mdiation, observ lorsque je visionnais les films enregistrs dans les lieux dart, qui ma mene
rechercher les raisons, revendiques ou dissimules, du dveloppement des aides linterprtation. Destines
communiquer les dmarches artistiques, elles prennent forme dcrits accessibles dans les expositions
ou sincarnent en la personne des mdiateurs ; dans quelle mesure les uns et les autres parviennent-ils
accomplir leur mission ?
Depuis 2009, dans lobjectif daffiner ces questions et de prendre en compte leurs chos dans la vie quotidienne
dune structure dart, joccupe un poste de mdiatrice dans un lieu dart contemporain toulousain. La rencontre
avec dautres acteurs, confronts la ralit du comportement des spectateurs et leurs attentes en termes
daccompagnement, a contribu dvelopper mon propos et orienter mes interrogations.
Au cours des diffrentes expositions parcourues dans les lieux dart contemporain franais, jai galement
rcolt de nombreux documents daide la visite. La lecture a posteriori de ces derniers a rvl la rcurrence
de termes, de formulations que lon pourrait dsigner comme propres la mdiation de lart contemporain.
Face cette matire riche et rvlatrice, la tentation fut grande de dvelopper une seconde pratique
artistique, consistant une nouvelle fois en une dcoupe/dcontextualisation. Mais la diffrence du dtourage
de silhouettes, il sagissait cette fois de slectionner dans les crits de mdiation des extraits refltant la
spcificit du vocabulaire de lart contemporain, en excluant toute rfrence des uvres ou des artistes
prcis. Une fois rorganiss, ces fragments forment finalement un texte grammaticalement cohrent mais
pour le moins sibyllin. Grotesque, il condense des propos offerts la lecture de spectateurs nophytes, ne lui
apportant sans doute que peu dlments sur les expositions quil accompagne.
Ce type de mdiation est-il obstacle ou passeur ? La mdiation sadapte-t-elle au spectateur, na t-elle pas
principalement pour objectif de servir de rempart protgeant les uvres des critiques spontanes ? Ne
figure-t-elle pas avant tout une rponse visible aux exigences politiques de dmocratisation culturelle ?
Cette dernire question donne lieu la troisime partie de la thse. Le spectateur, les aides la visite, les uvres
galement bien que ces dernires aient, dans mon travail artistique, disparu des dtourages de visiteurs et du
texte recompos se rencontrent en un mme lieu : lespace dexposition dart contemporain.
Les voyages dtudes ont t loccasion dobserver les spcificits de ces lieux : les muses bien sr, mais
galement les centres dart. Prenant souvent place dans des btiments rhabilits, ceux-ci dploient une
varit darchitectures intrieures venant contredire le principe du white cube : thorise ds les annes 1930,
cette salle blanche dexposition se veut neutre afin de ne pas influer sur les uvres. Pourtant aujourdhui, le
cube blanc sest considrablement rduit, se rsumant souvent des cimaises, ces parois amovibles servant
de support aux uvres.
Ces murs partiels qui rvlent plus quils ne masquent les traces du patrimoine, mettent en relation les
uvres contemporaines avec une histoire locale ou nationale : les centres dart prennent place dans des
chteaux, anciennes fermes, maisons, usines Pourquoi ce dialogue du pass avec la cration prsente ? Dans
quelle mesure la dimension patrimoniale quincluent ces rhabilitations, na-t-elle pas galement pour fonction
de resituer lart contemporain dans lhistoire, de tisser les liens qui lunissent dsormais la culture dans un
sens large ?
En effet, luvre doit galement accepter dautres compromis, dautres mariages interculturels. Le lieu
dart contemporain doit dsormais intgrer dans sa structure matrielle les diffrentes missions qui lui
sont imparties : accueil des publics, des artistes, nouvelles missions rpondant aux directives dune politique
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culturelle dsireuse de voir se dvelopper lidal de dmocratisation.
Comment lart est-il associ la culture, se devant de rpondre des rgles communes quil a parfois du
mal sapproprier ? Quelle place peut-il mnager la mdiation culturelle, qui au-del dtre un outil daide
la visite, rpond une attente politique dlargissement et de fidlisation des publics ? Comment lespace
se fait-il plastique, lastique, assimilant les attentes et les modelant en fonction de celles des responsables de
structures ?
Jai eu loccasion de photographier de nombreux espaces en choisissant de ne pas diriger lobjectif de
lappareil vers les uvres, mais en privilgiant les marques de leur histoire et leurs diverses missions. Ces
clichs ont t associs et organiss en un photomontage, qui cre limage dun lieu fictif. Celui-ci a servi
de support la ralisation de trois maquettes dployant les caractristiques de ces espaces htroclites.
Fabriques de bric et de broc, fragiles et bancales, elles figurent ces bricolages des structures contraintes
de soumettre la monstration de lart diffrentes attentes politiques et sociales. Les exigences propres des
espaces dexposition en termes de programmation et la volont de se construire une identit travers les
uvres quils prsentent, les incitent construire un terrain dentente partir de matriaux incompatibles et
doutils encore rudimentaires ; un espace en accord avec tous, mais qui ne satisfait pas ncessairement chacun.
Quelle place le bricolage et ses approximations occupent-t-ils dans ma pratique, qui interroge ladaptation de
lart une culture au sens large ? De nombreux artistes contemporains semparent du bricolage dans leurs
uvres : quelle porte critique parvient-il leur insuffler, sous des apparences modestes et souvent naves ?
Mes pratiques plastiques sont protiformes ; nous en avons dcouvert plusieurs aspects sous la forme de
projection de visiteurs dtours, construction dun texte partir de fragments de mdiation ou encore
maquettes ralises sur la base de photomontages. Malgr leur varit, elles ont pour point commun de faire
disparatre luvre, tantt efface, tantt dcoupe, tantt hors-cadre. Elles tournent autour des crations
contemporaines, semparant des dispositifs qui lenveloppent (mdiation, organisation du lieu dexposition)
afin de mieux figurer son absorption potentielle par les nombreuses proccupations des structures.
Mais les animations, texte et maquettes sappuient galement sur toutes sortes de rcuprations et
daccumulations : images de lieux dart contemporain, stockage et dissection de documents de mdiation ;
engrangement de matriaux susceptibles dtre exploits dans les maquettes. Et avant tout, glanage de
comportements de spectateurs dans les expositions, sous forme de vidos.
Ma pratique est celle du bricoleur que Franoise Odin, docteur en esthtique, sciences et technologies des
arts, et Christian Thuderoz, sociologue dfinissent ainsi : Son astuce est transgressive ; cest en ignorant,
contournant, ou subvertissant ces rgles de lart, ou les normes techniques ou dassemblage, ou les manires
usuelles de faire, quil russit ses entreprises. Non diplm, il souvre tous les champs de comptence 9 .
Le bricolage est ainsi omniprsent dans ce libre espace du doute quest la pratique, et jusque dans les recherches
thoriques dont la forme ne rpondrait sans doute pas la rigueur des tudes dun historien de lart ou dun
sociologue ; pourtant, A bien des gards les sociologues bricolent. La coexistence de plusieurs paradigmes
dans la discipline les conduit mobiliser et, quelquefois, tenter de concilier des thories diffrentes voire
9 Franoise Odin, Christian Thuderoz, Des mondes bricols ? Arts et sciences lpreuve de la notion de bricolage, 2010, Lausanne, Ed. Presses polytechniques et universitaires romandes, p. 19
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contradictoires et des mthodes trs dissemblables.10 affirme Pascal Roggero. Et dajouter que ce passage
par le bricolage est invitable, le monde social tant excessivement complexe au regard du monde physique.
Le bricolage ma conduite imaginer une installation, qui regroupe et homognise en un mme espace les
diffrentes pratiques cites jusqu prsent. Elle sintitule :
. le Public Manifeste la Possibilit dEsquisser les Dmarches Minimums
Avant daborder la premire partie de la recherche, il convient de prsenter en dtail cette installation et la
place quelle occupera dans les rflexions venir, et dexpliquer lorigine de ce titre qui nest, lui non plus,
pas sans rapport avec le bricolage.
10 Pascal Roggero Bricolage, complexit et sciences sociales : quelques prolgomnes , op. cit.
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PRATIQUES : PREMIERES APPROCHES
Les pratiques regroupes dans linstallation intitule . sont protiformes ; la varit des techniques utilises
pour leur laboration reflte lvolution de la rflexion, qui permit de ressourcer et de diversifier les formes
plastiques, et dviter tout carcan quimpose le recours un procd trop spcifique. Chacune des pratiques
dpend de plusieurs tapes de construction. Cette premire approche ne sera et ne saura tre exhaustive,
mais sattachera avant tout expliquer leur conception, le cadre de leur mergence, et dlivrer quelques
pistes concernant linterprtation de leurs titres respectifs.
Descriptions
Le titre de linstallation et de son contenu, est donc :
. le Public Manifeste la Possibilit dEsquisser les Dmarches
Chaque lment de ce titre global sapplique une pratique spcifique.
. pour commencer, est le titre de linstallation dans son ensemble : installe dans un lieu dart
contemporain, idalement destine entrer en communication avec diffrents types duvres, elle se compose
de trois parois de deux mtres de hauteur sur deux mtres de large, formant une petite cellule dans laquelle
un seul spectateur peut sintroduire. Le revtement de sol gris est destin matrialiser lespace de . ,
signifier au visiteur quil ne parcourt plus tout fait la salle dexposition.
A lextrieur, les murs laissent distinguer les matriaux qui les composent, querres qui les stabilisent, structure,
vido-projecteurs et autres lments agissant lintrieur de . 11.
A lintrieur, les parois sont blanches, forment un white cube. Les diffrentes pratiques sont exposes sur ou
contre ces cimaises. Elles sont accompagnes de petites tiquettes Ne pas toucher conventionnelles, mais
qui appartiennent linstallation.
Enfin, un cartel, sur le mur voisin de la salle dexposition, indique le titre de linstallation puis le titre de
chaque pratique, les matriaux qui les composent en une liste exhaustive, les dates de cration.
La composition du titre est relativement fidle lorganisation des pratiques dans lespace de . .
Le Public pour commencer, est une projection vidographique diffuse en boucle ininterrompue. Elle est
visible sur la paroi de gauche, lorsquon se situe face linstallation.
11 Le signe . sera utilis sous cette forme tout au long de la recherche, dsignant linstallation dans son ensemble.
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Des silhouettes humaines se dplacent sur un fond blanc. Initialement, il sagissait de groupes de visiteurs
films dans divers lieux dexposition, qui ont ensuite t dtours laide de logiciels informatiques 12 et
transfrs sur un fond blanc. Mais ils ne sont pas reconnaissables : en traversant lespace de la projection, leurs
corps laissent en effet apparatre un espace : elles se prsentent comme des fentres qui souvriraient sur
un lieu dexposition aux parois blanches, dnu duvres mais parsem de fauteuils et indications murales.
Limage de ce lieu est tire dune autre pratique, lun des photomontages des Minimums.
Plus les silhouettes sont nombreuses, plus le lieu se dvoile ; mais sa vision nest quphmre. Quand elles
disparaissent, seul demeure le cadre blanc de la projection.
Manifeste est une seconde projection vido. Il sagit dun texte qui dfile essentiellement sur la paroi
formant le fond de linstallation. Cependant, il recouvre partiellement les maquettes qui font obstacle son
passage. Il est diffus en boucle ininterrompue.
Ce texte est compos de fragments, tirs de documents de
mdiation rcolts au cours de mes visites dexposition.
Dans le Manifeste, ce vocabulaire et ces formes spcifiques
se rassemblent en un collage grammaticalement cohrent, mais
sans signification particulire relative . , quoique parfois des
concidences troublantes apparaissent. Les fragments prlevs
dans les textes de mdiation ont galement pour particularit de
traiter duvres sans jamais les citer, ni en citer lartiste ou en
dlivrer des descriptions prcises. Le Manifeste apparat comme un
crit gnrique, qui pourrait sadapter toute cration actuelle sans
pourtant lenrichir de son propos 13.
La Possibilit est une maquette expose sur la paroi de droite, faisant face au Public. Sa ralisation a
galement ncessit plusieurs tapes de cration.
Lors de visites rgulires et des voyages dtude, jai engag une srie de photographies sur les lieux
dart contemporain. Les images reprsentent des plans intrieurs cadrs sur des espaces dnus duvres,
couloirs, escaliers, parcelles de cimaises nues, plafonds ou sols, mais aussi magasins, signalisation,
Puis ces photographies numriques de qualit ingale, qui ne devaient initialement tre utilises qu titre
documentaire, sont apparues comme les pices dun puzzle : laide du logiciel Adobe Photoshop elles ont
t associes, accoles, superposes en fonction de la continuit de leurs lignes, de leur teintes, de leur
composition.
Lors de ces assemblages, linstar de la logique relative qui dirige la composition du Manifeste, des rgles
ont t suivies : les images ntaient ni dformes, ni coupes, et respectaient quand le fragment tait
reconnaissable, langle de prise de vue : les lments darchitecture primordiaux conservaient leur fonction
12 Plusieurs logiciels ont t sollicits dont Adobe Photoshop, Adobe ImageReady, Adobe After Effects.13 Le gnrateur de langue de bois cr sur la base dun cours de lENA (Ecole Nationale dAdministration), permet ainsi, par-
tir de fragments de phrases associs entre eux en des ordres varis, de construire des discours politiques ineptes et cohrents. Nous le verrons, cette rfrence nest pas totalement loigne dune certaine conception de la mdiation crite : http://www.presidentielle-2007.net/generateur-de-langue-de-bois.php, 05-2011
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dans le montage final (mur, sol, plafond). En revanche, les photographies pouvaient changer de taille de
manire homothtique, et
tre superposes.
Suite cette tape de
photomontage, une seconde
tape de modlisation a t
ralise laide du logiciel
Sketchup : le lieu fictif auquel
donnait lieu le photomontage
a t reconstitu et dbarrass
de ses dtails superflus, afin
de donner forme un modle
pertinent et ralisable en
trois dimensions.
Enfin, une maquette a
t ralise partir de cette
modlisation informatique
et du photomontage. Il sagit
dune maquette bricole, qui
sollicita les matriaux ac-
cessibles au moment de la
cration, quels quils soient :
papier, bois, carton, mtal,
plastique, mousse, etc.. Leur
htrognit rpond la
diversit des photographies
associes : des plafonds
caissons jouxtent des poutres
mtalliques, des sols en bton
se fondent dans un carrelage
ocre
DEsquisser dsigne deux autres
maquettes plus petites, moins
abouties mais construites suivant
les mmes rgles que La Possibilit,
quelles encadrent. Chacune met
laccent sur certains dtails des lieux
dart : leur signaltique, leurs espaces
de divertissement ou de repos par
exemple.
La Possibilit, technique mixte, longueur :102,5 cm. / largeur : 79,8 cm. / hauteur : 32 cm.
DEsquisser #1 : technique mixte, long. : 56,5 cm. / larg. : 43 cm. / haut. : 20 cm.DEsquisser #2 : technique mixte, long. : 39 cm. / larg. : 55 cm. / haut. : 13,5 cm.
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La rduction, la miniaturisation permettent dapprhender une situation, de se lapproprier avec plus de
prcision. Elles sont une manire de crer un microcosme, de lexprimenter tout en conservant un recul
sur les rsultats. Afin de rompre la monotonie du dtourage, jai trs tt confectionn de petites maquettes
qui si elles navaient pas pour fin dtre exposes, me permettaient de donner forme une certaine vision
du muse et de ses visiteurs. Quelques temps plus tard, la maquette sest impose comme le seul lieu
propice accueillir les animations des Dmarches, dont la description suit.
Les Dmarches composent une troisime et dernire projection vidographique anime. Elle est diffuse
sur les cimaises miniaturises de la maquette la Possibilit. Il sagit des mmes silhouettes que celles de la
projection le Public : des visiteurs films dans des lieux dart, puis dtours image par image et transfrs sur
fond blanc. Mais leur apparence gnrale est cette fois discernable malgr leur petite taille.
Cette pratique est particulire : elle est chronologiquement
la premire avoir t envisage.
Ces seules silhouettes humaines devaient initialement
tre projetes lchelle 1 :1, sur le mur blanc dune salle
dexposition. Jenvisageais de la sorte de mettre en relief les
comportements musaux, et les marques de lindividualit ;
poser la question de labsence de luvre galement.
Au fil des visites, la collection de dmarches a augment :
les festivals dart contemporain ou les journes gratuites,
les jours de semaine moins frquents offrent un panel
diversifi de personnages et dattitudes, que je filme. Nous
le verrons, la ncessit de discrtion qui accompagne cette
action a influenc la qualit des vidos, devenues images
voles.
Ce fait nest pas sans rapport avec lvolution de la pratique, qui a emprunt plusieurs formes avant dacqurir
son visage actuel.
Les personnages traversent le cadre de la projection, semblent se mouvoir dans lespace de la
Possibilit. Toute rfrence leur contexte dorigine a disparu. Ainsi, il arrive, lorsquils passent devant une
uvre ou un lment architectural dsormais invisible, que ce dernier dcoupe leur silhouettes. Certains
sont donc tronqus, partiels.
Minimums enfin, dsigne une vitrine accole
la paroi du fond de linstallation. Dans celle-
ci, des images sont exposes, sans notes : les
photomontages et modlisations qui ont
donn lieu aux maquettes, des fragments du
Manifeste, quelques clichs et croquis en lien
avec lvolution des pratiques. Ces donnes
minimums semblent divulguer des indice sur
le processus de cration, elles attirent Vitrine des Minimums : bois, verre, papier. Long. : 70 cm. / larg. : 32 cm. / haut. : 20 cm.
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galement lattention sur la diversit des espaces dart contemporain.
Malgr leur apparente diversit, ces pratiques se rejoignent sur plusieurs points : il sagit toujours de
collages ou de montages.
Le Manifeste est compos de bribes de textes, le Public et les Dmarches sont des dcoupes de silhouettes ;
les maquettes sont issues de photomontages.
Le bricolage est galement commun plusieurs pratiques : il est vident concernant les maquettes, qui
associent les matriaux varis en un ensemble fragile et instable. Cette pratique, nous le verrons, entre en
rsonance avec mon apprhension du sujet, et correspond lvolution chaotique des recherches. Mais le
bricolage, dans son approximation, est galement prsent travers le dtourage des silhouettes, parfois
maladroitement extraites des vidos initiales
Enfin, les pratiques ont pour caractristique commune deffacer les uvres prsentes dans les documents
initiaux, tous directement issus des visites de lieux dexposition : images de spectateurs, crits de mdiation,
clichs despaces intrieurs. Le Manifeste vince toute rfrence prcise aux pices dcrites dans les textes ; le
dtourage les supprime, les photographies sen dtournent. Mais ces hors-cadre ne rendent que plus vidente
leur absence, et la dsignent comme ligne conductrice du propos de . .
En somme, alors que la forme mme de la proposition plastique tait en gestation, le travail premier de rcolte
signalait dores et dj une proccupation constante : peut-on parler dart sans parler des uvres ?
Etat de linstallation, juin 2011
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Simulation de linstallation . , 2011
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Les titres, le titre
Le titre complet : . le Public Manifeste la Possibilit dEsquisser les Dmarches Minimums, est linstar du
Manifeste ouvert aux interprtations. Les suggestions que nous allons formuler parsmeront les pages
venir, et permettent dintroduire le propos de la thse.
. Signe minimum et nanmoins catgorique ; tymologiquement issu du punctum latin, il signifie
piqre, point , espace infime ou encore point, coup de ds 14 .
Quest donc le point de . ? Simple signe de ponctuation, est-il alors final, point la ligne ? Point sur un
i ? Est-il point faible ou fort ? Se veut-il uniquement point de vue ou mise au point, un moment donn dune
situation ? Point culminant qui annoncerait une suite invitable et diffrente ? point de fuite ?
Bien ou mal en point, positif ou ngatif, le point se ferme sur lui-mme et pourtant, souvre sur de multiples
possibles. Plac au dbut de la phrase que forme le titre de linstallation, il laisse entendre que son statut est
prpondrant. Les guillemets soulignent sa prsence, lui vitent de passer inaperu, telle une erreur de frappe
glisse dans un texte. Nommer linstallation . rvle de multiples pistes, dont toutes ne seront sans doute
pas empruntes. Linstallation fonctionne en boucle, les animations projetes sont sans fin ni dbut ; petit
espace une seule ouverture, elle incite le spectateur marquer une pause, demeurer quelques instants
enferm dans une voie sans issue. Tout semblerait indiquer une situation irrmdiable.
Pourtant le titre se poursuit, et suppose dautres points, de suspension cette fois, il ne peut en tre autrement
dans une phrase aux innombrables sens.
Le Public, cette composition de spectateurs, est rsum dans . ltat de silhouettes. Mconnaissables,
leur principale fonction est de se faire les crans dun lieu, invisible quand elles sortent du cadre de la
projection. Le public se rvlera au fil des pages, un inconnu pourtant lorigine dune qute permanente
visant le satisfaire.
Le public est important dans . et dans le titre de linstallation : il Manifeste. Mais le plus manifeste chez lui,
est sa dpersonnification. Il nest personne en particulier. Juste une image, un idal trac dans ses grandes
lignes, vaguement esquiss, grossirement cern par des institutions qui nont pas les moyens de lidentifier.
A linstar du point de . , il est pourtant mis en lumire malgr sa taille drisoire ; une paroi de linstallation
lui est consacre, tandis que le halo de la projection attire le regard dans sa direction.
Ce public, tout comme les autres pratiques de linstallation, est muet. La dimension sonore des lieux dexposition,
pourtant prsente dans les vidos avant le dtourage, a t mise de ct. Lattention se concentre ainsi sur les
images, sur la lecture du texte, le Manifeste.
Ce Manifeste est un texte droulant. Nous dvelopperons limportance de ce terme dans lart du
XXme sicle, qui dsigne alors un expos dans lequel les artistes posent les jalons dun nouveau mouvement.
Choisir cet intitul rvle une contradiction ; manifeste est issu du latin manifestus, manifeste, palpable,
vident ou encore convaincu de 15, pris en flagrant dlit. Malgr ces dfinitions, lcrit dans . ne vient
14 Les lignes qui suivent sappuient en grande partie sur la riche dfinition de point dans le dictionnaire en ligne du Centre Natio-nal de Ressources Textuelles et Lexicales (CNTRL) : http://www.cnrtl.fr/definition/point, 05-2011
15 Dictionnaire latin-franais Gaffiot, 1934
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justement pas dnoncer quoi que ce soit ; il nannonce pas non plus, linstar des manifestes artistiques,
des exprimentations plastiques, de nouveaux concepts venir. Au contraire, il se fonde sur le recyclage
de documents ayant servi dcrire dautres pratiques. Muet lui aussi, dfilant en boucle sans dbut ni fin,
insens, il tempre plus quil ne manifeste une quelconque volont.
Il couvre la cimaise formant le fond de linstallation. Au passage, il saffiche galement sur les pratiques
faisant obstacle la projection, notamment sur les maquettes. Attnuant leur lisibilit, le Manifeste les
enveloppe : protection contre les critiques ? cueil loignant le public ? Cest la nature mme du document
de mdiation qui se pose travers cette projection.
La Possibilit est une possibilit sous forme de maquette, de taille relativement importante dans
lespace restreint de . . Construite sur un photomontage, issue de plusieurs tapes de cration, la maquette
aurait pu adopter une toute autre forme si un autre plasticien avait suivi les mmes rgles, utilis le mme
fonds dimages. Elle est possibilit dune forme, de cette forme. Tout comme les maquettes dEsquisser, elle
propose une combinaison mlant les caractristiques des diffrents lieux dart contemporain visits. Bien
loigns du traditionnel white cube, ces espaces rduits, soumis lapproximation du bricolage, rvlent les
particularits architecturales des muses et centres dart ; quels bnfices ces derniers peuvent-ils tirer
des rhabilitations dans lesquelles ils prennent place ? En quoi des lieux initialement sans rapport avec lart
peuvent-ils avantager lexposition duvres souvent protiformes ?
On retrouve effectivement ces interrogations dans les deux maquettes dEsquisser. Chacune met
en valeur un aspect particulier des lieux dart contemporain : marquages au sol et aux murs, dveloppement
de lieux de confort ou de consommation, ...
La forme dEsquisser, peut savrer un infinitif de narration, utilis pour signifier une action rapide : et le
public desquisser les dmarches minimums, par exemple. Utilise hors du contexte du titre complet de
. , cette dimension dynamique de la forme verbale convient la pratique du bricolage : en effet esquisser
provient de litalien schizzo, lui-mme issu du latin schedius, fait la hte, bcl 16. Lesquisse est une
premire bauche sur laquelle se construit la peinture, la sculpture finale ; or cette dfinition convient
galement la maquette, terme issu du latin macchietta, esquisse. Daction rapide il est bien question dans
les modles dEsquisser, bricols partir dlments immdiatement accessibles, approximativement ajusts.
Leur ralisation vasive laisse percevoir de possibles ragencements. Elle suggre que les lieux dart, leur
exemple, sadaptent continuellement des exigences qui ne leur appartiennent pas, mais auxquelles ils
doivent se soumettre : nous dvelopperons plus largement ce propos en troisime partie de la thse.
Les Dmarches qui parcourent la grande maquette la Possibilit, dsignent lanimation de spectateurs
dtours ; ils se dplacent dans un lieu vide duvres, o ils sont seuls sexposer aux regards des visiteurs
rels de . .
La dmarche peut dsigner une attitude, une manire de marcher ; lanimation prsente ainsi une collection
de dplacements, marche, course, hsitation, bavardage, dfiance, recherche, arrt, lecture, etc. : quel est
le comportement actuel des publics dans les lieux dart contemporain ? Peut-on deviner la nature de
leur visite, uniquement en observant leur dmarche sur les murs de la maquette ? Ici, les personnages se
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rsument la manire dont ils se dplacent, ils sont dsindividualiss.
Cependant, la dmarche peut galement dsigner la dtermination accomplir une action : la dmarche
artistique est le droulement des tapes qui mnent luvre, elle occupe une place particulire dans
lart contemporain et notamment dans le dveloppement de la mdiation : la forme des pices, souvent
htroclites, ne cherchant pas sduire lil, ncessite une explication. Le regardeur doit pouvoir se
familiariser avec le processus qui a men le plasticien cet aspect final, afin que luvre ne lui demeure pas
insignifiante.
Une dmarche peut galement tre administrative, scientifique, Nous le verrons, son sens, comme celui des
autres titres, est nuanc dans le contexte du titre complet de . .
Les Minimums dsignent la vitrine situe sur le mur accueillant la projection du Manifeste. Elle
protge des indices de la dmarche artistique, des esquisses en deux dimensions : photomontages ayant
donn lieu aux maquettes, modlisations informatiques, photographies, bribes de collages sans annotations.
Le minimus est le plus petit 17, le minimum dinformations que lon peut octroyer au public afin, sil le
souhaite, quil reconstitue en partie le processus artistique.
La phrase que forme le titre peut ainsi tre dcompose, et sadapter chacune des pratiques
dsignes, ou considre comme un ensemble. Le sens global sen trouve bien sr modifi.
. le public manifeste la possibilit desquisser les dmarches minimums :
cette affirmation rsonne trangement lorsquon considre les minuscules spectateurs, dpersonnaliss,
manipuls, dtours, qui parcourent linstallation. Que manifestent-t-ils alors mme que . est muet, tout
aussi muet que le signe qui le dsigne ? Le manifeste peut ici se rfrer la manifestation, au fait dexprimer
ouvertement une opinion ; ou plus probablement, au fait de rendre visible un fait. Le public rend donc visible
une possibilit, celle desquisser les dmarches minimums.
Esquisser les dmarches minimums,
cela laisse supposer une volont dagir,
son niveau, sur un phnomne qui ne
nous convient pas, ou qui mrite que
lon sy attarde. Mais quelle peut tre la
dmarche minimum des publics de lart
contemporain (si ce nest dj celle de
visiter lexposition ?) ? Nest-ce pas de
simplement sexprimer, de partager son
opinion, ses critiques ?
La dmarche minimum peut se rvler
un commentaire dans un livre dor
ou auprs dun mdiateur. Le livre
dor , dclarent Jacqueline Eidelman,
Mlanie Roustan et Bernadette
17 http://www.cnrtl.fr/definition/minimum, 05-2011
Extrait du livre dor du Centre Photographique dIle-de-France, Pontault-Combault , 2008
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Goldstein, apparat bien comme un premier niveau daccs la figure de lAutre et son incroyable
tranget dans lunivers dentre-soi parfois bien clos des conservations. 18 Souvent rclam lorsquil est
absent, il apparat comme un objet scurisant appartenant au public, lespace dans lequel il peut faire jaillir
sa joie, sa colre, sa dception, mme sil devine que ses commentaires et suggestions ne seront pas dcisifs.
Il est un outil de recherches pour des sociologues telle que Nathalie Heinich, qui tudie les ractions
spontanes des spectateurs, dfaut de les interviewer ou dlaborer des statistiques.
Objet-arne, le livre dor est aussi objet-mdiateur. [] Il se montre capable de dtacher,
en les matrialisant, les opinions exprimes des personnes qui les noncent. Ce faisant, il runit
les conditions de lingestion de leur affirmation identitaire dans des rfrents collectifs. 19
Mdiateur des conflits, le livre lest aussi des visiteurs qui travers lui, prennent symboliquement place dans
lexposition. Le livre dor donne un substrat didentit au public. Le livre dor a pratiquement disparu.
En revanche, cest de vive voix que le public peut manifester, se manifester, esquisser les dmarches
manifestant sa prsence. Il peut consulter les mdiateurs, dsormais prsents dans les lieux dart. Est-ce
ce quil souhaite ?
Les dmarches minimums 20 posent question. Le fait de partager son opinion est-il une dmarche minimum,
dans le contexte de . , alors que le son est vinc de linstallation ? Quelles dmarches accomplissent ou
esquissent, ou encore souhaitent esquisser, les visiteurs dtours ? La rponse est suggre par leffacement
des uvres : les dmarches parcourent des lieux vides, dont les uvres ont disparu. Elles ne sont pas tout
fait absentes : lors du dtourage, leur disparition a parfois morcel les corps qui taient cachs derrire
elles. Invisibles, elles demeurent.
La dmarche minimum des individus composant le public, en ce sens, nest-elle pas de choisir ce quils ne
veulent pas voir dans le lieu dart contemporain, dfaut dimposer ce quils souhaiteraient contempler ?
En ce sens le titre de . , savrerait assez ironique : en multipliant les prcautions de langage (la possibilit,
esquisser, minimums rvlent une attnuation du message, presque une redondance : le public nimpose
rien, il suggre, exprime prcautionneusement une modeste possibilit), il signifie au contraire une action
franche et destructrice des publics : le Public en est lexemple le plus frappant : bien que mconnaissables,
les visiteurs modlent le lieu leur silhouette. Sont-ils rellement moteurs de cette action ? Sans doute
pas ; mais les dsirs quon leur prte, la volont daugmenter la frquentation des expositions, incitent les
responsables des structures adapter lespace aux potentielles attentes de potentiels publics.
Et la question essentielle que pose . est sans doute la suivante : o parviennent se situer les uvres
dans cette qute ?
. est un dispositif qui se droule, tourne en boucle sans que nulle intervention extrieure ne soit
ncessaire ni souhaitable. Lespace de linstallation est rduit, le visiteur gne, met mal le bon droulement
des projections. Tout est fragile, instable. Papier, carton, verre, lumire.
. est limpossible remise en question. Il ne peut fonctionner que selon ces rgles, sans queue ni tte,
18 J. Eidelman, M. Roustan, B. Goldstein (ss. d.), La place des publics, De lusage des tudes et recherches par les muses, 2007, Paris, Ed. la Documentation Franaise, p. 211
19 Nathalie Heinich, Les rejets de lart contemporain , in Publics et Muse n. 16, Le regard au Muse , 1999, Arles, Ed. Actes Sud, p. 153
20 Expression assez populaire, quutilisent par exemple les concepteurs de site web. Ici, lassociation de fragments dans le titre rend pertinente son utilisation, que lon peut traduire par dmarches minimales
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ne peut atteindre des buts quil se refuse fixer. Cest un univers qui se ferme lextrieur ou qui sil
souvre, le renie. . est le manifeste dune action dauto-complaisance, presque un Chut , un Sans
commentaire ; un silence .
Les lignes venir enrichiront cette premire interprtation des lments de linstallation. Chronologiquement,
les spectateurs dtours ont t les premiers apparatre dans ma pratique. Moteurs des recherches qui
suivirent, ils ouvrent galement la rflexion : nous allons dsormais nous interroger sur la nature de ces
visiteurs qui peuplent . , la fois minuscules et mconnaissables, mis en lumire et influents.
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PREMIERE PARTIE
QUAND LINDIVIDU-SPECTATEUR DEVIENT MOTIF
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Chaque tre tant unique, irrductible, il se trouve forcment plus ou moins en conflit avec cette
entit anonyme quon appelle la collectivit. Cest oublier que, si chacun est unique, cest dans la
mesure o les autres sont uniques aussi. Si les autres ne ltaient pas, son unicit lui ne serait quune
bizarrerie, bonne mettre dans la vitrine dun muse. 21 Franois Cheng, pote et romancier
Mes recherches se sont engages en septembre 2007, simultanment une premire exprience de
mdiation auprs des publics du Printemps de Septembre, festival dart contemporain toulousain 22. Alors
que depuis plusieurs annes javais vaguement connaissance des actions de mdiation dveloppes lors de
cet vnement, jamais encore je navais envisag exprimenter et tudier cette volont de faciliter laccs
de lart contemporain au public. Ce nest quau cours de lvolution de la pratique plastique, puis suite
quelques recherches sur la question, que ce domaine encore en construction est apparu dans toute sa
complexit, ses paradoxes et son intrt.
Les missions au Printemps de Septembre ont avant tout t loccasion de filmer le comportement des
spectateurs, leurs errances dans les salles dexpositions, leurs remarques concernant les uvres. Par la
suite, partir de ces squences vidos, les silhouettes des visiteurs seraient dtoures et transfres sur
fond blanc afin que leurs dplacements apparaissent plus clairement. Lintrt de la mdiation ntait alors
encore quune proccupation laquelle il conviendrait de sintresser.
La maquette intitule la Possibilit est ainsi traverse de fantmes dambulant sans but apparent ; ceux-l
mme que lon se permet sans les connatre, de nommer public, public au singulier, public de singuliers. De
tous ges, pour autant quen laissent juger leurs tailles rduites ; arborant des tenues classiques, lgantes
ou estivales, les petits visiteurs flnent, courent, sarrtent. Et leur prsence ponctuelle sur les murs blancs,
na de cesse dinterroger ; qui sont ces personnes venues visiter les expositions, noyes dans cette foule
dite le public ou les publics ? De quel(s) public(s) parle-t-on ? Du public des touristes [] ? Du public
scolaire ? Du public de proximit, le seul susceptible dtre form ? 23 sinterrogent Bernadette Dufrne,
Michle Gellereau, auteurs dune tude sur la mdiation culturelle. Ce nest pas aux publics obligs, auxquels
appartiennent les lves et tudiants dont les visites accompagnent un projet scolaire, que je mintresserai.
Bien consciente que lcole peut inciter les enfants sintresser ensuite lart contemporain, cest pourtant
lactualit des visites adultes, effectues de plein gr, qui retiendra notre attention.
Les attentes taient claires ds le principe des recherches, et sans risque den dvoiler le dnouement, on
peut affirmer qu quelques dtails prs ces lignes ne nous en apprendront pas beaucoup plus sur lidentit
des publics. Qui sont-ils ? Il nexiste aucune rponse cette question. Et pourtant, que de fois la question
se pose-t-elle
. la pose sous une forme plastique, il sinterroge sur son statut de cration actuelle, sur la place quil peut
en ce sens mnager au spectateur, incluant ou rejetant ses attentes supposes.
21 Franois Cheng , in Yves Quere (Sous la direction de), La culture, 2006, Paris, Ed. Odile Jacob, p. 2722 Initialement, le Printemps de Septembre tait install Cahors sous le nom de Printemps de la Photographie. Depuis 2001, ce festival gratuit est organis Toulouse, dans diffrents lieux de la ville. Plusieurs vnements ( nocturnes, spectacles, etc.) rythment les trois semaines au cours desquels les visiteurs peuvent dcouvrir gratuitement les diffrentes expositions. 23 Bernadette Dufrne, Michle Gellereau, La mdiation culturelle : Enjeux professionnels et politiques , Revue Herms numro
38, 2004, Paris, CNRS Editions, p. 202
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Cette premire partie va sintresser aux habitants de linstallation, minuscules et essentiels. Le public est
compos dindividus auxquels la socit contemporaine accorde une place ambigu. A la fois omniprsents
dans les discours et mconnus par les institutions, les visiteurs proccupent le monde de lart actuel, les
structures mais galement les plasticiens.
Tout au plus peut-on tenter de rendre plus subtile lindcision mme dont se nimbe le public, et en laquelle
rside peut-tre toute sa substance
Je mappliquerai dans les lignes qui suivent interroger les raisons dune volution des postures musales,
en explorant les effets de lindividualisme sur les visites des lieux dexposition. Les caractres de lhomme
social quest avant tout le visiteur, partag entre la possibilit croissante de sexprimer et la dsindividuation
quil subit en toutes occasions, clairent la modification de son comportement face aux uvres actuelles.
La pratique du dtourage tend souligner ce paradoxe, trahissant les effets de ces changements sur la
cration ; les plasticiens prennent avec plus dintrt que jamais en compte la rception de leurs travaux,
dveloppent des dmarches et des dispositifs permettant limplication du regardeur.
Jenvisage dans un premier temps de dgager les caractristiques de ce public contemporain. Non pas en
tentant de finaliser une nime tude des publics, ; cela nest pas le propos ni le lieu.
En revanche, jai pu en observant les publics noter des rcurrences dans les comportements, qui en tant
que spectatrice rgulire des lieux dexposition mapparaissent la fois tranges et assez logiques. Quelles
volutions dans les postures des artistes, des lieux dart, ont provoqu ces changements ? Lindividu possde
t-il une responsabilit dans lvolution du public et lmergence de nouvelles figures du spectateur ?
A travers . , cest ainsi le bouleversement des lieux dart qui est mis en scne, provoqu par un public
jusqualors marginal vhiculant bien des interrogations.
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1- Paradoxes de lindividu
Suivre les contours dune personne filme, sparer sa silhouette de son contexte, la coller (au sens propre)
dans un nouvel espace ne sont que des gestes maintes fois ritrs dans lhistoire de lart. Pourtant cet acte
si simple quapprennent excuter les plus jeunes enfants laide dune paire de ciseaux, nest pas neutre
lorsquil est excut par un plasticien. On ne dtoure pas par simple plaisir esthtique.
Dans . , le choix du sujet, celui des outils, des supports rpondent une volont de sapproprier afin de
les mieux comprendre, des dtails qui semblent tranges, noys dans un contexte des plus familiers.
La pratique du dtourage et celle de la miniaturisation sont ainsi rcurrentes dans . . Elles mapparaissent
comme des vidences lorsque jaborde la question de lindividu contemporain et de ses paradoxes. Jai il
y a plusieurs annes ralis une bote. Rectangulaire, elle permet dobserver la scne quelle renferme
par lintermdiaire dilletons, situs sur deux des faces opposes. Par lune des ouvertures, le spectateur
distingue des personnages photographis, dtours et installs dans une salle que dj jassimilais un
espace dexposition. La seconde fentre permet dobserver le verso de ces silhouettes ; la diffrence
prs quaucun verso ne correspond la personne visible au recto. Deux individus sans rapport mais aux
contours rigoureusement identiques, composent les deux faces.
Cette bote prfigure un grand nombre de proccupations que nous allons aborder dans ces pages. Jy fais
ici allusion car elle donne voir une image paradoxale de lindividu, qui bien que parfaitement reconnaissable
savre inscrit dans un moule.
Dans . , les spectateurs dun certain nombre expositions dart contemporain, films au cours de leur
visite, ont t victimes de dtourage. Les Dmarches rsultent de cette opration. Si leur visage nest pas
reconnaissable, chaque silhouette nen est pas moins dcoupe et mise en valeur sur le fond blanc de la
maquette, support de leur projection. En manipulant limage dindividus par lintermdiaire du dtourage,
. propose une reprsentation des publics contemporains, que lon ne peut apprhender quen sintressant
dans un premier temps limage quils donnent voir, celle de groupes dindividus.
1. Alain Bublex, Tentative # 15 - Garde-robe, 1996
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A- Lindividu malgr la foule
Bien quexploitant limage de lindividu depuis plusieurs annes, je me questionne seulement aujourdhui sur
la complexit de cette notion, particulirement lorsquelle est aborde sous langle de lindividualisme. Or
cest cet -isme qui mintresse plus particulirement, pour les excs quil rvle et qui, sans aucun doute,
trouvent une rsonance dans le contexte de lexposition dart contemporain.
Les Dmarches sont une pratique essentielle de . . La mise en scne de linstallation est destine attirer
lattention sur leurs dplacements. Niches dans les recoins de la maquette la Possibilit, elles parcourent
les cimaises, prsences phmres et divertissantes. Elles sont les images dindividus rels, de visiteurs qui
linstar de celui de linstallation, ont t confronts des crations contemporaines.
Une certaine ambigut caractrise ces silhouettes. SItues la croise des regards et pourtant anonymes,
elles rappellent les candidats aux missions tlvises profitant quelques minutes dune clbrit ponctuelle,
avant de sombrer dans lanonymat sans laisser le moindre souvenir au spectateur.
Cela mne reconsidrer les paradoxes de lindividu contemporain, partag entre le besoin de se diffrencier
et le confort de se laisser guider. Cette premire approche instinctive de la notion dindividu est essentielle,
car lorigine de . . Cest la raison pour laquelle je souhaite aborder une rflexion sur le spectateur-
contemporain, en approfondissant dans un premier temps certaines caractristiques de lindividu et de
lindividualisme.
a- Sur lindividualisme
Sans lavoir observ, on peut imaginer que le premier contact du spectateur avec
linstallation . ne lui rvle pas immdiatement les proccupations qui laniment.
Il distingue des maquettes et, dans la lumire des vido-projecteurs, des silhouettes
humaines en mouvement.
Le doute persiste quant la nature de leur action, mais il sagit sans doute possible
dimages dindividus.
Avec les Dmarches, la perte didentit des silhouettes due leur petite taille et la
qualit de limage se confronte, se heurte la notion dindividualisme.
Alors que la mondialisation, la gnralisation, la globalisation conomique et marchande ne cessent de
stendre, lindividu rappelle son existence de manire virulente. Plus que jamais il soppose aux regroupements,
classifications par familles, affinits, ressemblances dont il est lobjet. Lindividualit nest pourtant pas une
invention de lpoque contemporaine : elle est ne avec la philosophie, chez les prsocratiques, quoique
lindividu ne soit devenu un problme que dans la socit moderne. 24 Ds 1825 lindividualisme apparat en
24 Philippe Soual, Visages de lindividu, 2008, Paris, Ed. PUF, p. 9
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tant que thorie affirmant la prminence de lindividu sur la socit 25 ; paralllement, il dsigne galement
une tendance saffirmer indpendamment des autres, ne pas faire corps avec un groupe 26 , parfois
jusqu lgosme. Il ne sagit pas de prner, dans ce cas de figure, le bien de chacun mais plutt son propre
bien. Oscar Wilde observe en son temps les effets nfastes de cette conception dtourne par lexacerbation
du besoin de possder :
la reconnaissance de la proprit prive a vraiment nui lindividualisme, la obscurci, en
confondant lhomme avec ce quil possde. Elle la compltement fourvoy. Lui a assign pour
objectif le gain, non llvation de soi. Lhomme a cru quil importait davoir, ignorant quil importait
dtre. 27
Au cours du XIXme sicle, un individualisme thorique se manifeste encore travers les droits et les
principes politiques tandis quau quotidien, les caractristiques traditionnelles telles que la hirarchie ou
lappartenance un groupe sont maintenues 28 ; ce nest que trs progressivement au cours de ce sicle et
du suivant, selon le philosophe Marcel Gauchet, que va se mettre en place un nouveau comportement ; les
individus vont cesser dtre des individus abstraits de droit ou de la politique pour devenir des individus
concrets. 29 Lhistoire sociale de lindividualisme fait son apparition.
La question de lindividu se pose avec plus dinsistance depuis les annes 1970 ; elle revt alors pleinement
les traits quesquissait Oscar Wilde la fin du XIXme sicle.
nous avons vu en effet apparatre un nouvel individualisme pour toute une srie de raisons qui
sont trs concrtes. Elles tiennent lmergence de la socit de consommation, lacquisition
dune aisance, dune protection, dun systme gnralis de garantie pour les personnes et pour
des raisons qui tiennent lducation qui est une dimension trs importante dans lhistoire de
lindividu concret 30 ,
constate Marcel Gauchet. Lalphabtisation du peuple fut un moteur essentiel de lindividualisme, chacun
acqurant dsormais son autonomie, la libert de sinstruire, de se renseigner dans les textes et dexprimer
son opinion en sen sentant la lgitimit.
Cependant, depuis plusieurs sicles les ncessits coexister ne sont plus celles dun pass commun ; vivre
ensemble ne signifie plus garantir la survie de ses semblables linstar de certaines tribus pour lesquelles
aujourdhui encore, se regrouper rpond une ncessit. Ainsi, note Philippe Soual,
Avant lEtat, dans ltat de nature, il ny a que des individus dlis, mais dj obligs
intrieurement la paix avec autrui et la conservation deux-mmes en tant quhommes
raisonnables. Ces individus sont une multitude, une multiplicit indtermine de semblables,
sans lien objectif, et non pas un peuple. Lhomme nest pas en socit par nature, mais par
25 P.-J. Rouen, Le Producteur t. IV, pp. 296-298 in C. Bougl et E. Halvy, Doctrine de Saint-Simon, 1924, p. 378, note 248, in http://www.cnrtl.fr/etymologie/individualisme, 03-2010
26 Nouveau Larousse Encyclopdique, 2003, Paris27 Oscar Wilde, Lme humaine, 2004, Paris, Ed. lArla, p. 2128 France culture, mission Les chemins de la connaissance , entretien de Marcel Gauchet avec Pascale Werner, Aux sources
de lindividualisme. Les mtamorphoses contemporaines , vendredi 7 juin 200229 Idem30 Idem
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volont, il fait socit avec les autres, en sassociant avec eux. 31
Naturellement, la race humaine ne coexisterait que par ncessit et non par got. Marcel Gauchet dcrit
de la manire suivante les caractristiques de lindividualisme actuel :
ce qui fondamentalement caractrise cet individualisme contemporain cest la dsinscription
davec les autres et davec la socit. En ce sens-l, on peut dire que lune des choses les plus
profondes auxquelles nous sommes en train dassister aujourdhui cest la privatisation de
lindividu 32
Lindividualisme contemporain se traduit essentiellement par la volont dattirer soi lattention, le confort,
les soins, les avantages. Ce modle se dessine rellement dans les annes 1980, selon le sociologue Vincent
De Gaulejac : la production nest plus seule dterminer les rapports sociaux, La consommation,
linformation, les nouvelles technologies, la sphre culturelle sont tout aussi porteurs de transformation que
le systme productif. 33 Les dsirs et besoins de lindividu orientent la marche du systme.
En revanche, la figure de lindividu qui merge dans les annes 1990 est moins celle dun tre dcisionnaire
et influent, que celle dun individu incertain 34 ainsi nomm par Alain Ehrenberg. Il est tourment, inquiet.
Pourtant prcise le journaliste, quels que soient les caractres quon lui prte, goste, volontariste, dpressif,
lindividu nest jamais aussi clairement dfinissable ; cest notamment ce qui fait sa richesse.
Ainsi la diversit de lindividu est-elle mise en scne dans les Dmarches ; elle rend la lecture de lanimation
plus complexe, mais sa prsence se justifie dans une
installation plastique qui ne cherche pas construire
une rponse univoque leur propos.
Cohabitant avec le fonctionnement politique et
conomique gnral, lexigence de lindividualisme
est celle du cas par cas. Lindividu social note
Marcel Gauchet, est un individu qui ne cesse jamais
dtre un individu dans la totalit de son activit
et de ses rapports avec les autres individus. Cet
individu prend encore des formes accentues
lge contemporain. Cest lindividu que vous appelez
hypercontemporain. 35 Cette conception est essentielle et dvoile une premire particularit essentielle
du visiteur contemporain. Mme au muse ou dans un centre dart, il ne cesse dtre un individu.
Laccs lindividualit ne satteint ainsi pas sans peine ; libr de la religion, de la tutelle de ltat, du travail
ou de la famille, lindividu est dsormais face lui-mme. Mais il paye cette autonomie au prix fort. Lindividu
serait en effet dracin, dsocialis, et dans une perptuelle et prouvante qute de soi. 36 constate Franois
31 Philippe Soual, Visages de lindividu, op. cit., p. 14032 Entretien de Marcel Gauchet avec Pascale Werner, op. cit.33 Vincent De Gaulejac, Lexigence dtre sujet , in Lindividu aujourdhui, 2010, Ed. Presses Universitaires de Rennes, pp. 265-26634 Alain Ehrenberg cit par Jean-Franois Dortier, Du Je triomphant au Moi clat , in Lindividu contemporain, 2006, Auxerre, Ed.
Sciences Humaines, p. 935 Entretien de Marcel Gauchet avec Pascale Werner, op. cit.36 Jean-Franois Dortier, Du Je triomphant au Moi clat , op. cit., p. 5
2. Isabelle Grosse, Beaubourg, 2000
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Dortier, rdacteur scientifique. Enjoint dtre libre et responsable, il doit pourtant se couler dans des modles,
des contraintes, des cadres, ajoute le sociologue Vincent De Gaulejac.37 Lhomme libre et individuel nest-il pas
finalement un de ces modles ?
Lorsquil actualisa la fin des annes 1980 son ouvrage La socit du spectacle, Guy Debord entrevoyait dj
lchec probable de cette qute permanente : Lindividu, paradoxalement, devra se renier en permanence,
sil tient tre un peu considr dans une telle socit. Cette existence postule en effet une fidlit toujours
changeante, une suite dadhsions constamment dcevantes des produits fallacieux. 38
b- Linvitable nivelage
Je singulier, identique avec tout autre Je singulier. 39 Philippe Soual, docteur en philosophie
La mdiatisation, linformation grande chelle, la mondialisation politique, sont autant de vhicules dimages
tendant uniformiser les comportements. A la figure idale dune galit entre les citoyens, sinterpose celle
de lgalisation, du nivellement , dune uniformisation rvoltante ou inconsciemment intgre. Ce sont ces
particularits que met en scne la plasticienne Isabelle Grosse qui surligne, (et non dtoure) suivant des rgles
strictes les fragments qui composent un tout, notamment ce tout quest la foule, le groupe dans les activits
commerciales, les loisirs, les dplacements dans lespace public. Elle agit tonnamment de mme en cernant
les objets, les paysages, rvlant des modles de composition.
Vus distance, les personnes, les vhicules, les outils, les contenants, les immeubles sont rduits
une accumulation de formes. Isabelle Grosse semble vouloir restaurer lindividualit de chacun
des petits territoires aussitt refondus dans la masse par leur nombre, mis en valeur par cette
mme stratgie du surlignement. 40
Elne Tremblay, artiste, observe la rcurrence dvoile par Isabelle Grosse dans la manire de construire,
dorganiser les espaces mais aussi dans les dplacements collectifs qui uniformisent les actions de chacun. A
linstar des Dmarches o chaque spectateur est isol tout en tant par la suite rintgr une masse, Isabelle
Grosse surligne gomtriquement les parties dune foule, dune file, qui demeurent malgr tout des ensembles
aux dtails indistincts.
Lindividualisme forcen est-il autre chose quune uniformisation ? La libert dexpression prtendue dont
Internet a ouvert les portes laisse penser que la parole personnelle peut acqurir un poids et influer sur
des dcisions suprieures. Or, les deux dcennies passes prouvent quil nen est rien, bien au contraire. Cet
hyper-individualisme est autoris car le nivelage des commentaires sopre de lui-mme, par la quantit de
37 Vincent De Gaulejac, Lexigence dtre sujet , in Lindividu aujourdhui, op. cit.,, pp. 265-26638 Guy Debord, Commentaires sur la socit du spectacle, 1988, Paris, Ed. Grard Lebovici, p. 4039 Philippe Soual, Visages de lindividu, op. cit., p. 1640 Catalogue de lexposition Quick Mode , 2002 Montral, http://copresences.synesthesie.com/swf/index.php?rub=rub_
arti&page=21%20-, 03-2011
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donnes simultanment actualises. Les informations les plus spectaculaires sont aussitt chasses de notre
esprit par de nouveaux apports, et un vnement qui aurait passionn la presse plusieurs jours durant il y
a quelques annes, ne fait plus lobjet que dune brve apparition dans les journaux.
coup sr, tout ne date pas daujourdhui. Depuis des sicles, les socits modernes ont
invent lidologie de lindividu libre, autonome et semblable aux autres. [] Cela tant, dans
la vie quotidienne, le mode de vie, la sexualit, lindividualisme jusqu une date rcente sest
trouv barr dans son expansion par des armatures idologiques dures, des institutions, des
murs encore traditionnelles ou disciplinaires-autoritaires. Cest cette ultime frontire qui
seffondre sous nos yeux une vitesse prodigieuse. Le procs de personnalisation impuls
par lacclration des techniques, par le management, par la consommation de masse, par les
mdias, par les dveloppements de lidologie individualiste, par le psychologisme, porte son
point culminant le rgne de lindividu, fait sauter les dernires barrires 41 .
La premire partie de la citation de Gilles Lipovetsky signale un fait en apparence vident, mais qui
semble pourtant peu li lindividualisme : lhomme autonome est, par cette galit, semblable aux autres.
Cela semble indiquer que ltre humain nest peut-tre pas apte vivre sans modle, ainsi que lindique
luniformisation des comportements. Simplement, ses modles ne sont plus moraux, politiques ou religieux.
Ce sont des modles dapparence, dattitude et de consommation. Les notions didentification, dassimilation
font alors surface car lindividu, qui nest jamais totalement isol, sapplique ne pas tre rejet par ses
semblables. Il est libre de choisir le groupe qui laccueillera, mais doit oprer ce choix sil ne souhaite pas
tre marginalis.
Arnaud Thval uvre principalement dans lespace urbain, en rsidence auprs de populations diverses
(lycens, habitants dun quartier, ouvriers, etc.). Le rsultat de ses actions est principalement expos dans le
lieu de leur ralisation, bien quil se prte galement, parfois, une monstration dans des cadres institutionnels.
Lartiste esquisse en 1998 des recherches plastiques sur lindividu en mouvement dans lespace public ;
dcontextualiser les silhouettes quil photographie, les regrouper sur une mme scne sont autant dactions
qui lui permettent de souligner luniformisation ou la variation des comportements et des apparences. Son
utilisation du dtourage et le transfert des silhouettes sur fond blanc ne sont pas sans rapport avec
lopration qui donna lieu aux Dmarches.
Arnaud Thval fait appel pour la srie Reconstitution
des employs de lIUFM Launay-Violette de Nantes.
Se tenant une certaine distance de ses modles, il les
photographie aprs leur avoir donn pour seule consigne
deffectuer un parcours, quelques pas dans une direction
ou une autre. Ainsi ils doivent rflchir ces actions
quils oprent quotidiennement, se concentrer sur leur
gestuelle ; tous ny parviendront pas sans rticence, gns
dtre observs par lartiste ainsi que le prcise Bruno
Nourry (responsable de la division des affaires gnrales
de lIUFM des Pays de la Loire) :
41 Gilles Lipovetsky, Lre du vide. Essais sur lindividualisme contemporain, 1989, Paris, Ed. Gallimard, pp. 38-36
3. Arnaud Thval, Reconstitution, 1999
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Arnaud Thval met en place, travers cette action, un point de entre lextrme banalit
du quelconque et lextrme caractrisation du singulier (cette posture et ces gestes qui sont
propres chacun dentre nous). Le traitement de limage en srie (les mmes corps apparaissent
souvent plusieurs fois dans la photographie finale) et la disparition du contexte par leffacement
du fond accentuent encore cette ide dun suspens entre le diffrenci (chaque individu est
reconnaissable) et lindiffrenci (ce qui apparat est limage dune communaut). 42
Plus quun corps, cest une posture quArnaud