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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIX - n° 4 - avril 2015 104 104 dossier d d d do o do d d d d d d d d d d d d d d d d ss ss ss s ss s s s s s s i ie ie ie i i ie e e r r r Infections virales et endocrinopathies Virus et diabète de type 1 Viruses and type 1 diabetes Enagnon Kazali Alidjinou*, Didier Hober* points forts Highlights » En plus des facteurs génétiques, des facteurs environnementaux contribuent à la survenue du diabète de type 1 (DT1). » Les virus sont les facteurs environnementaux les plus incriminés dans le développement du DT1. » Les données disponibles sont en faveur d’une relation entre les entérovirus et le DT1. » Les entérovirus infectent les cellules β du pancréas et induisent une réponse inflammatoire qui participe au développement de processus auto-immuns vis-à-vis des cellules β. » Des travaux sont nécessaires pour comprendre davantage la pathogenèse entérovirale du DT1. Mots-clés : Diabète de type 1 – Virus – Entérovirus – Auto- immunité – Pancréas. Beyond genetic predisposition, environmental factors contribute to the pathogenesis of type 1 diabetes ( T1D). Viruses are the most incriminated exogenous agents in the development of T1D. Current available data support a strong relationship between enteroviruses and T1D. Enteroviruses can infect islet beta cells and induce an inflammatory response that contributes to the autoimmune process leading to the destruction of beta cells. Further investigations are needed for a better understanding of the enteroviral pathogenesis of T1D. Keywords: Type 1 diabetes – Virus – Enterovirus – Auto- immunity – Pancreas. L e diabète de type 1 (DT1) est une maladie chronique survenant après une phase pré- clinique asymptomatique et caractérisée par un défaut de production d’insuline, consécutif à une destruction ou une altération de la fonction sélective des cellules β du pancréas d’origine auto- immune. Il survient chez des individus génétique- ment prédisposés, et les gènes les plus importants prédisposant à la maladie sont situés au niveau du locus HLA-DQ, sur le bras court du chromosome 6 (1). Néanmoins, la maladie ne se déclare que chez une faible proportion d’individus ayant ce patrimoine géné- tique, suggérant le rôle de facteurs exogènes. Plusieurs arguments sont en faveur de l’implication de facteurs environnementaux dans le développement du DT1. Ainsi l’étude de jumeaux homozygotes a montré des différences dans la pénétrance et dans l’âge de survenue de la maladie. De même, l’augmentation rapide ces dernières décennies de l’incidence du DT1 ne peut être attribuable qu’à des changements environnementaux. En Europe, les différences d’incidence de la maladie d’un pays à l’autre sont liées à l’environnement (2). Très tôt, en raison de l’épidémiologie et notamment de la distribution dans le temps et dans l’espace des cas, l’implication des virus dans le développement du diabète de type 1 a été évoquée. Des virus sont-ils associés au diabète de type 1 ? Le risque de développer un diabète après une infection congénitale par le virus de la rubéole est une obser- vation ancienne. Il a été rapporté que des infections virales pouvaient provoquer l’apparition d’auto-anti- corps anti-insuline, anti-glutamate acide décarboxylase (GAD), anti-insuline (IA2) et même un diabète de type 1. Différents virus ont ce pouvoir, des virus à ARN, le virus de la rubéole, des oreillons, les rotavirus, des rétrovirus endogènes, des paréchovirus, mais aussi des virus à ADN, cytomégalovirus et parvovirus B19 (tableau I). Cependant, il s’agit d’observations rares et controver- sées et l’association entre ces virus et la maladie est faible (3). Il faut néanmoins noter que les rotavirus, virus * Université Lille 2, faculté de médecine, CHRU de Lille ; laboratoire de virologie EA3610 “Pathogenèse virale du diabète de type 1”.

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Page 1: Virus et diabète de type 1 · Picornaviridae – Cardiovirus* – Parechovirus* – Enterovirus* Virus de la rubéole Rotavirus Virus des oreillons Rétrovirus endogènes Coxsackievirus

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIX - n° 4 - avril 2015104104

d o s s i e rdddd ood odddddddddddddddd s ss ss sss sss sss s ii ei ei eiii eee rrr

Infections virales et endocrinopathies

Virus et diabète de type 1Viruses and type 1 diabetesEnagnon Kazali Alidjinou*, Didier Hober*

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» En plus des facteurs génétiques, des facteurs environnementaux contribuent à la survenue du diabète de type 1 (DT1).

» Les virus sont les facteurs environnementaux les plus incriminés dans le développement du DT1.

» Les données disponibles sont en faveur d’une relation entre les entérovirus et le DT1.

» Les entérovirus infectent les cellules ββ du pancréas et induisent une réponse infl ammatoire qui participe au développement de processus auto-immuns vis-à-vis des cellules ββ.

» Des travaux sont nécessaires pour comprendre davantage la pathogenèse entérovirale du DT1.

Mots-clés : Diabète de type 1 – Virus – Entérovirus – Auto-immunité – Pancréas.

Beyond genetic predisposition, environmental factors contribute to the pathogenesis of type 1 diabetes (T1D).

Viruses are the most incriminated exogenous agents in the development of T1D.

Current available data support a strong relationship between enteroviruses and T1D.

Enteroviruses can infect islet beta cells and induce an infl ammatory response that contributes to the autoimmune process leading to the destruction of beta cells.

Further investigations are needed for a better understanding of the enteroviral pathogenesis of T1D.

Keywords: Type 1 diabetes – Virus – Enterovirus – Auto-immunity – Pancreas.

L e diabète de type 1 (DT1) est une maladie chronique survenant après une phase pré-clinique asymptomatique et caractérisée par

un défaut de production d’insuline, consécutif à une destruction ou une altération de la fonction sélective des cellules β du pancréas d’origine auto-immune. Il survient chez des individus génétique-ment prédisposés, et les gènes les plus importants prédisposant à la maladie sont situés au niveau du locus HLA-DQ, sur le bras court du chromosome 6 (1).Néanmoins, la maladie ne se déclare que chez une faible proportion d’individus ayant ce patrimoine géné-tique, suggérant le rôle de facteurs exogènes. Plusieurs arguments sont en faveur de l’implication de facteurs environnementaux dans le développement du DT1. Ainsi l’étude de jumeaux homozygotes a montré des diff érences dans la pénétrance et dans l’âge de survenue de la maladie. De même, l’augmentation rapide ces dernières décennies de l’incidence du DT1 ne peut être attribuable qu’à des changements environnementaux. En Europe, les diff érences d’incidence de la maladie d’un pays à l’autre sont liées à l’environnement (2).

Très tôt, en raison de l’épidémiologie et notamment de la distribution dans le temps et dans l’espace des cas, l’implication des virus dans le développement du diabète de type 1 a été évoquée.

Des virus sont-ils associés au diabète de type 1 ?

Le risque de développer un diabète après une infection congénitale par le virus de la rubéole est une obser-vation ancienne. Il a été rapporté que des infections virales pouvaient provoquer l’apparition d’auto-anti-corps anti-insuline, anti-glutamate acide décarboxylase (GAD), anti-insuline (IA2) et même un diabète de type 1. Diff érents virus ont ce pouvoir, des virus à ARN, le virus de la rubéole, des oreillons, les rotavirus, des rétrovirus endogènes, des paréchovirus, mais aussi des virus à ADN, cytomégalovirus et parvovirus B19 (tableau I). Cependant, il s’agit d’observations rares et controver-sées et l’association entre ces virus et la maladie est faible (3). Il faut néanmoins noter que les rotavirus, virus

* Université Lille 2, faculté de médecine,

CHRU de Lille ; laboratoire de virologie EA3610

“Pathogenèse virale du diabète de type 1”.

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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIX - n° 4 - avril 2015 105105

Tableau I. Virus impliqués dans le diabète de type 1 chez l’Homme et les animaux.

Familles et genres de virus Virus humains Virus animaux

Virus à ADN

Herpesviridae Parvoviridae

CytomégalovirusParvovirus B19 Virus kilham du rat

Virus à ARN

TogaviridaeReoviridae ParamyxoviridaeRetroviridaePicornaviridae – Cardiovirus* – Parechovirus* – Enterovirus*

Virus de la rubéoleRotavirus

Virus des oreillonsRétrovirus endogènes

Coxsackievirus B

Virus de l’encéphalomyocardite (EMCV) Virus ljungan

Virus et diabète de type 1

à tropisme intestinal, responsables de gastro- entérites, peuvent déclencher ou exacerber l’autoimmunité anti-îlots par mimétisme moléculaire (4). Par ailleurs, des virus animaux – le virus de l’encéphalomyocardite (EMCV) et le virus ljungan (famille des Picornaviridae), le virus kilham du rat (famille des Parvoviridae) –, peuvent induire un diabète chez des rongeurs (tableau I). Pour une analyse détaillée concernant chaque virus, nous invitons le lecteur à se reporter à la référence biblio-graphique 5, en accès libre. Étant donné la nature auto-immune du DT1, le rôle des virus dans la pathogenèse de la maladie, et notam-ment l’altération de la fonction des cellules β pro-ductrices d’insuline, ne se limite probablement pas à une infection cytolytique de ces cellules. L’eff et des virus dans cette maladie est plus vraisemblablement la conséquence d’une interaction entre ces agents infectieux et le système immunitaire, sur un terrain génétiquement prédisposé (1, 5).Des modèles animaux (rats BB, souris NOD, souris trans-géniques) ont permis d’étudier diff érents mécanismes susceptibles d’intervenir dans l’initiation ou l’accélération de l’auto-immunité vis-à-vis des cellules β du pancréas provoquée par des virus humains. Au total, ces modèles ont permis de dégager diverses hypothèses relatives à la pathogenèse virale du DT1 : l’infection des îlots à l’origine de la libération d’auto-antigènes, le mimétisme molé-culaire entre des constituants viraux et des protéines des cellules β, l’altération de la tolérance vis-à-vis des antigènes de cellules bêta par le biais notamment de l’inhibition de cellules T régulatrices (T reg) [5]. D’autres mécanismes encore ont été proposés au décours de l’étude des entérovirus dont le rôle dans la maladie est fortement suspecté. Nous consacrerons donc la suite de cet article à ces virus et aux arguments en faveur de leur implication dans le développement du DT1.

Les entérovirus et le diabète de type 1

Les entérovirus sont des petits virus à ARN, non enve-loppés, ubiquitaires, à transmission orofécale, impliqués en pathologie humaine dans de nombreux tableaux cliniques bénins ou plus sévères. En 1979, J.W. Yoon et al. (6) isolèrent un coxsackievirus B4 à partir du pancréas d’un patient décédé d’une acidocétose diabétique, et le transfert de cet isolat à une souris s’accompagna de l’apparition d’un diabète auto-immun. Depuis, des données se sont accumulées concernant l’impli-cation des entérovirus (EV), et plus précisément des Coxsackievirus B (CVB), dans la pathogenèse du DT1 (7). L’association la plus convaincante et la plus documentée entre le DT1 et les virus reste à ce jour celle avec les EV.

Des marqueurs d’infection entérovirale détectés plus fréquemment chez les patients diabétiques de type 1S’il est vrai que la fréquence des marqueurs d’infection à EV varie largement à travers la littérature, et dépend de la technique utilisée et de la nature du prélèvement, la majorité des données disponibles convergent vers une détection plus fréquente chez les patients DT1 de composants viraux, ARN et protéines, à l’aide de techniques moléculaires ou immunologiques. Une méta-analyse (4 500 patients) a confi rmé une asso-ciation statistiquement signifi cative entre l’infection à EV, principalement à CVB, et l’auto-immunité associée au DT1 (odds-ratio : 3,7) et le développement du DT1 (odds-ratio : 9,8) [8]. La détection de l’ARN entéroviral dans le sang périphérique a été associée de façon signifi cative au DT1 et à l’auto-immunité anti-îlot. Une équipe a rapporté la présence de constituants entéro-viraux chez les patients avec un DT1 au niveau de l’intestin, site de réplication primaire du virus (9, 10).

* Genres de la famille Picornaviridae.

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Infections virales et endocrinopathies

Figure. Pathogenèse entérovirale du diabète de type 1. Interaction entre les entérovirus, le terrain génétique et le système immunitaire. CMH : complexe majeur d’histocompatibilité ; IFIH1 : Interferon-Induced Helicase 1.

Infections répétéesInfection persistante

Entérovirus

Diabète de type 1

Immunité innée

• Inflammation• CMH1• Présentation d’antigènes

Immunité adaptative

Lymphocytes T CD8+autoréactifs

Prédisposition génétique

Système immunitaireIFIH1

Cellules ßîlot de pancréas

Tableau II. Détection des entérovirus dans les prélèvements de patients avec un diabète de type 1.

Milieux biologiques et tissus Composants viraux détectés

Sang total ARN

Sérum ARN

Cellules mononucléées ARN

Selles et écouvillon rectal ARN

Biopsie muqueuse intestinale ARN, protéine de capside (VP1)

Nécropsie pancréatique ARN, protéine de capside (VP1)

Biopsie pancréatique ARN, protéine de capside (VP1)

Une donnée pertinente serait certainement la détec-tion d’entérovirus ou de leurs composants au niveau du pancréas, siège de la maladie, mais l’accès à cet organe reste limité, les biopsies étant invasives et risquées. Ainsi, chez l’homme, la preuve de la présence des EV dans le pancréas au moment du diagnostic du DT1 et au cours de l’évolution de la maladie est diffi cile à obte-nir. Néanmoins, des données provenant de nécropsies démontrent une fréquence signifi cativement plus élevée de détection de protéines entérovirales dans le pancréas des patients DT1, limitée aux îlots et associée à un infi ltrat infl ammatoire (insulite) constitué princi-palement de lymphocytes T CD8+ (11, 12). L’étude de biopsies pancréatiques de patients a été récemment publiée (The Diabetes Virus Detection study [DiViD]). Les auteurs ont retrouvé de l’ARN entéroviral dans les îlots de 4 patients sur 6 et chez aucun des 6 sujets contrôles (13). Le tableau II regroupe les don-nées relatives à la détection de composants entéro-viraux dans les échantillons biologiques de patients.

Ces données épidémiologiques montrent une détection plus fréquente des EV chez les patients diabétiques récents ou anciens. De plus, des études prospectives confi rment que la détection d’ARN entéroviral dans le sang est associée à un risque accru de développer une auto-immunité anti-îlot et un DT1 (14).

Interaction entre les entérovirus, le système immunitaire et des facteurs génétiquesLe DT1 est une pathologie auto-immune qui ne semble pas résulter d’une infection lytique massive du pan-créas par les EV. Un tel scénario peut en revanche être impliqué dans le diabète fulminant provoqué par les EV et observé chez des patients asiatiques. L’hypothèse actuellement admise de la pathogenèse entérovirale du DT1 repose sur l’induction d’auto-immunité, à travers l ’activation de processus infl ammatoires par le virus (fi gure). Une infection à entérovirus persistante non cytolytique est capable d’induire une inflammation locale au niveau des îlots (production d’interféron α et d’autres cytokines pro-inflammatoires), et une hyperexpression des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I. Cette inflammation pourrait s’accompagner d’une présentation d’antigènes des cellules β et de leur destruction par des lymphocytes T cytotoxiques autoréactifs (1). Il a été démontré que de tels lymphocytes T, spécifiques des cellules β sont préexistants chez des sujets génétiquement prédisposés (15). Par ailleurs, la réponse infl ammatoire locale induite par les EV pourrait dépendre du patrimoine génétique. Certains polymorphismes

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Virus et diabète de type 1

du gène Interferon-Induced Helicase 1 (IFIH1) ont été associés de façon signifi cative à un risque élevé de DT1. Ce gène code pour la protéine MDA5, un récepteur intracytoplasmique responsable d’une activation de l’inflammation en réponse aux entérovirus et notamment aux CVB qui sont les sérotypes les plus incriminés dans le DT1 (1).Des résultats expérimentaux, obtenus in vitro et dans des modèles animaux, permettent d’étayer au moins en partie l’hypothèse d’une implication des entérovirus dans le DT1. Les cellules β des îlots pancréatiques humains peuvent être infectées in vitro par les CVB, et peuvent supporter en outre une infection persistante. L’infection persistante des cellules β s’accompagne d’une production d’interfé-ron α (16). Il a été montré de plus que CVB4 peut infecter de manière persistante les cellules ductales du pancréas, ce qui altère leur capacité à se diff érencier en îlots (17). Il a été démontré in vitro que l’infection par CVB pouvait être potentialisée par la présence d’anticorps facilitateurs, susceptibles de participer à la dissémination du virus dans l’organisme (18). Par ailleurs, le rôle de l’infection à CVB dans l’apparition des lymphocytes T autoréactifs ne peut être exclu. Il a été notamment rapporté que CVB4 peut infecter le thymus, ce qui peut contribuer à une perte de la tolérance du soi, et participer ainsi à l’initia-tion du processus auto-immun (1, 5). In vivo, l’induction d’un diabète chez la souris par l’EMCV, un virus murin du genre Cardiovirus appartenant, comme les entérovirus, à la famille des Picornaviridae, met en évidence le pouvoir infectieux pour les cellules β et le pouvoir diabétogène de ce virus lorsqu’il subit une mutation (3).

Conclusion et perspectives

Une relation de causalité entre les EV et le DT1 est for-tement suspectée, mais n’est pas encore formellement établie ; plusieurs questions restent en suspens.

À quel moment précis les entérovirus interviennent-il dans le développement du DT1 ?Les virus peuvent initier le processus auto-immun, à la faveur d’infections successives ou persistantes. Par ailleurs, dans la mesure où il a été observé une pro-gression de l’auto-immunité anti-îlot vers le DT1 au décours d’infections à EV, il ne peut être exclu que les virus jouent un rôle aggravant dans le développement de l’auto-immunité. Ainsi les virus sont susceptibles d’intervenir à la fois en tant que facteurs initiateurs et aggravants dans la pathogenèse de la maladie.

La maladie est-elle associée à un ou plusieurs entérovirus particuliers ?Parmi les entérovirus, les CVB sont particulièrement incriminés, même si le rôle des autres entérovirus ne peut être formellement exclu. Parmi les 6 sérotypes de CVB, aucune association absolue n’a été établie à ce jour, même si CVB4 est suspecté, et qu’une étude européenne de séroprévalence plaide en faveur du rôle de CVB1 (1, 19). La mise au point de marqueurs spécifi ques permettrait d’apporter des éléments de réponse à cette question.

Quelle est la relation entre les entérovirus et le diabète de type 1 ?Dans la plupart des pays occidentaux, il existe une corrélation inverse entre l’incidence du DT1 et la fréquence des infections à EV. Cette observation, a priori paradoxale, est en réalité compatible avec la théorie de l’hygiène, évoquée pour rendre compte de l’incidence accrue des pathologies auto-immunes et des vagues d’épidémies de poliomyélites anté-rieures aiguës, qui étaient provoquées par les polio-virus (virus du genre entérovirus) [20]. Selon cette théorie, l’amélioration des conditions sanitaires dans les pays développés entraîne une diminution de la circulation des entérovirus et donc de l’immu-nité vis-à-vis de ces virus dans la population. Le maintien d’une immunité anti-entérovirus optimale dans la population pourrait avoir un effet bénéfique sur l’incidence du DT1, et constitue un argument pour la mise au point de stratégies vaccinales contre les entérovirus. La relation entre les entérovirus et le DT1 s’inscrit dans le cadre de la notion de virome humain. Dans ce modèle, les individus sont exposés fréquemment à des virus banals comme les entérovirus, provoquant des infections des muqueuses, des intestins en l’occurence, qui sont asymptomatiques ou modérées dans la plupart des cas. Le virome est un composant de l’environnement interagissant avec les gènes de l’hôte qui peut être impliqué dans la pathogenèse de maladies telles que le DT1 (21).Finalement, l’hypothèse du rôle des virus dans la pathogenèse du DT1 continue de faire l’objet de multiples investigations. Des arguments épidémiolo-giques et expérimentaux sont en faveur d’une relation entre les EV, surtout les CVB, et la maladie, mais des travaux sont encore nécessaires pour en préciser tous les contours, afi n de mettre en place des stratégies de prévention optimales. ■

RemerciementsLes travaux réalisés par les auteurs ont été soutenus par EU FP5 VIRDIAB Project (Contract QLK 2-CT-2001-01910), EU FP6 Integrated Project EURO-THYMAIDE, (Contract LSHB-CT-2003-503410), EU FP7 PEVNET Project (FP7-HEALTH-2010-single-stage N° 261441), par la région Nord Pas-de-Calais (ArCir convention 2004/018; BBS 2006), CHRU Lille, ministère de l’Éducation nationale de l’Enseignement supé-rieur et de la Recherche, Université de Lille 2. Didier Hober est lauréat de la Fondation pour la Recherche Médicale 2008 et il est membre de VIrus in Diabetes International Study group (VIDIS group).

Enagnon Kazali Alidjinou déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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R é f é r e n c e s

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R é f é r e n c e s ( s u i t e )

Virus et diabète de type 1