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Victor Petit, Bertrand Guillaume. We have never been wild: Towards an ecology of the
technical milieu
Version française, non publiée, d’un article à paraître dans B. Bensaude-Vincent, X. Guchet, S.
Loeve (dir.), French Philosophy of Technology, Springer.
Introduction. Nous proposons dans ce chapitre, sans chercher à être exhaustifs, de questionner dans le champ
de la philosophie française une certaine approche de « l’écologie des techniques » ou « écologie
du milieu technique ». De façon apparemment paradoxale, aucun des philosophes que nous
allons mentionner n’emploie explicitement ces expressions. Pourtant, tous sont convaincus que
la question écologique et la question technique n’en font qu’une.
S’il doit y avoir une spécificité française de la philosophie de la technique, elle est selon nous
à rechercher dans le terme de « milieu technique ». Mais le propos de ce chapitre n’est pas tant
d’insister sur une spécificité française, que d’apporter un certain regard sur le lien qui unit
l’écologie politique et la philosophie de la technique en France1. La plupart des auteurs
mentionnés ici ne sont pas seulement philosophes de la technique, et c’est peut-être
effectivement une marque française que de ne jamais faire de la technique un questionnement
séparé.
Le terme d’écologie telle que nous l’employons est large à dessein. Il ne fait pas référence à la
science éponyme, mais plutôt à l’approche méthodologique qui part du couplage dynamique
entre l’homme et l’environnement (Ingold, 2001). En ce sens, l’écologie des techniques étudie
le couplage de l’homme et de l’environnement à travers le milieu technique.
Ecologie de la nature et écologie de la technique : deux traditions ? Lorsque le philosophe Hicham-Stéphane Afeissa se demande, dans un essai destiné au public
francophone (Afeissa, 2009), ce qu’est la philosophie de l’écologie, il distingue deux
approches : d’un côté un questionnement sur la bombe nucléaire et sur le statut nouveau de la
technique au XXème siècle (Anders, Jaspers, Arendt, Jonas) ; de l’autre les débats sur la valeur
de la nature et les communautés écologiques et éthiques (Leopold, Lynn White Jr., Naess,
Callicott). Une telle présentation suggère que la philosophie de l’écologie est scindée entre une
écologie de la technique et une écologie de la nature. Cette différence est essentielle pour
comprendre la tradition française, qui se place clairement du côté de la première. L’écologie de
la technique ne nomme pas tant ici un programme (étudier la technique comme un écosystème
à part entière) qu’un principe susceptible d’unifier la philosophie de l’écologie en France. Ce
principe est négatif, il se définit en quelque sorte par contraste avec l’éthique
environnementale : l’écologie n’est pas la question de la nature, de sa valeur, de sa préservation
ou de sa protection. Nous n’avons jamais eu de wilderness – ce qui est une autre manière de
dire qu’il n’y a pas, en France, de paysage sans paysan –, ce pourquoi la question de l’écologie
est d’abord venue d’un questionnement critique concernant la relation de l’homme à ses
techniques.
Kerry Whiteside a étudié cette tradition largement étrangère au débat sur l’écocentrisme et
l’anthropocentrisme, et la manière dont, en France, la tradition de l’écologie politique (Ellul,
de Jouvenel, Dumont, Moscovici, Gorz, Castoriadis, Guattari) apparaît fondamentalement
comme une critique de l’invasion des techno-sciences dans nos vies quotidiennes (Whiteside,
2002). Ces auteurs sont bien différents, mais aucun ne sépare la question écologique de la
1 Ce lien ne rentre pas dans le tableau de la philosophie française des techniques que propose Parrochia (2009).
2
question technique. À l’instar du parcours du philosophe Dominique Bourg, les philosophies
de la technique et de l’écologie semblent se donner la main2.
Michael Bess (2003) a décrit la pensée écologique française comme celle d’une light green
society, tiraillée entre l’attrait de la modernité et du progrès technique d’une part et la peur de
perdre le contact avec la nature paysanne de l’autre. Mais comme l’a très justement remarqué
Geneviève Massard-Guilbaud (2012), Bess assimile environnement et nature, ce qui fausse sa
lecture. À nos yeux, la singularité de l’approche française, s’il doit y en avoir une, est plutôt à
rechercher du côté du concept de « milieu », qui ne désigne ni la Nature (vierge de toute
technique), ni l’Environnement (vierge de tout sujet) ; et s’il y a une nostalgie, c’est celle de la
culture technique paysanne, c’est-à-dire du savoir-faire. Les révoltes contre la mécanisation ou
l’artificialisation ne signifient pas une sanctuarisation de la nature – y compris déjà chez
Rousseau, penseur naturaliste par excellence (Deneys-Tunney, 2000).
Mais cette opposition entre une écologie de la nature et une écologie de la technique a d’abord
une pertinence philosophique plutôt qu’historique et culturelle – elle se retrouve des deux côtés
de l’Atlantique3. Si l’« écologie de la technique » a notre préférence, c’est qu’elle résulte d’une
approche qui entend elle-même dépasser l’opposition entre nature et technique, une approche
qui ne séparerait pas la technique et la vie, ni les techniques de la matière des techniques du
vivant, ni l’éthique du vivant des politiques industrielles, ni la philosophie de l’environnement
de la philosophie de la technique. Ce que nous nommons écologie de la technique accompagne
la philosophie française du milieu. Il n’y a pas, traditionnellement, de philosophie de
l’environnement, en France : mais il existe des parallèles étroits et singuliers avec la philosophie
du milieu. Le relationnisme du milieu et de l’individu chez Simondon, par exemple, et sa
distinction entre rapport à l’environnement et relation au milieu, trouvent des échos dans la
philosophie environnementale d’Arne Naess ou de John Baird Callicott. L’originalité de
Simondon est d’avoir importé ce relationnisme dans le champ de la technique. Et, pour qui sait
lire entre les lignes, il a lui aussi proposé une interprétation de la crise écologique, son origine
n’étant pas à chercher dans l’anthropocentrisme, mais dans l’hylémorphisme4.
L’écologie contre la nature ? Une constante, chez bien des intellectuels français, de gauche comme de droite, chrétiens ou
athées, est la peur d’une écologie prenant le nom de la Nature.
Bien sûr, un tel propos est à nuancer, surtout si on convoque Bernard Charbonneau, qui avec
Jacques Ellul, est indéniablement un pionnier de l’écologie politique en France (Roy, 1992), et
ce dès le « manifeste personnaliste » (1935), plaidoyer contre la civilisation technicienne.
Charbonneau transformera ce manifeste pour la personne en manifeste pour la nature
(« Le sentiment de la nature, force révolutionnaire » 1936) : la lutte pour la nature et la lutte
pour la liberté sont pour lui inséparables (Charbonneau, Ellul, 2014). La plupart des ouvrages
ultérieurs de Charbonneau reprendront ce sentiment révolutionnaire de la nature échappant au
2 Dominique Bourg est venu à l’écologie par la philosophie de la technique (Bourg, 1996), et ce n’est pas par
hasard que sa philosophie de l’écologie, initialement effrayée par la deep ecology, l’ait conduit à l’écologie
industrielle (Bourg, 2003). Son positionnement actuel, avec Kerry Whiteside (Bourg, Whiteside, 2010), l’en a
toutefois éloigné, pour le conduire vers une réflexion sur la démocratie écologique et la décroissance. 3 Il est tout à fait possible, par exemple, de lire Lewis Mumford comme acteur du mouvement écologique . 4 Est hylémorphique toute conception selon laquelle l’environnement serait la matière, dite première, dont
l’homme a besoin pour donner techniquement forme à sa vie, et se construire une économie. L’hylémorphisme,
comme l’a montré Simondon, est le schème qui permet au travail comme à la technique de fonctionner comme
une boîte noire. Pour penser notre milieu autrement que comme une matière neutre qu’on informe ou déforme, il
convient de penser par le milieu, de se situer entre l’entrée et la sortie du moule, là où la matière prend forme, là
où l’individuation s’opère.
3
diktat de l’accumulation (productivisme et consumérisme) et de la rationalité technocratique
(l’aménagement du territoire) (Charbonneau, [1969] 2002). Mais la nature de Charbonneau ou
d’Ellul n’est pas pour autant la nature purifiée de la technique. Charbonneau invitait à se méfier
de l’« intégrisme de la nature » et de l’« écofascisme » latent de l’écologie (Charbonneau,
1980)5, tandis que pour Ellul la nature n’est déjà plus qu’une image de la technique (Ellul, 1977,
p. 350) et l’écologie n’est en aucun cas la question de la nature, plutôt celle du milieu humain
(Ellul, 19826).
C’est contre l’attitude naturaliste ou technophobe que Serge Moscovici a écrit sur « l’histoire
humaine de la nature », contre le dualisme nature/société. Rompre avec l’idée de nature, c’est
rompre avec l’idée d’une nature définie contre la technique, les arts ou la société. Son recours
à la « technologie politique », comme science de l’ordre naturel et de son histoire, comme
l’évolution simultanée des forces matérielles et de l’espèce humaine, est une autre manière de
nommer l’écologie politique puisque son but est de résoudre le problème social en l’articulant
à la question naturelle, à travers la politisation des techniques de la nature (Moscovici [1968]
1977). Il ne s’agit ni de revenir à la nature, ni de se réconcilier avec elle, mais de se projeter en
son histoire. Moscovici distingue ainsi l’écologie naturelle de l’écologie historique, seule
véritablement politique, qui comprend que l’humanité s’adapte moins à des environnements
qu’elle ne crée son milieu, et que – ce faisant – elle a à choisir entre différents états de nature
(Moscovici, [1972] 1994, p. 386-387). Le lien entre l’engagement écologique de Moscovici et
sa psychologie sociale est profond, l’un et l’autre admettent que la réalité ou la nature est une
construction sociale ou politique et que le changement est à rechercher du côté de la minorité
agissante plutôt que de la majorité savante (Moscovici, 2002).
Pour faire comprendre la différence entre une écologie axée sur la nature et une écologie axée
sur la technique, on peut faire appel à une conférence que donna Georges Canguilhem en 1973,
c’est-à-dire au moment où le concept d’« environnement » entre en scène en France. Il y
explique que le milieu d’un organisme n’est pas l’environnement de l’homme, qui est en réalité
un « milieu technique », socialement et historiquement situé. Pour Canguilhem, la science
nommée « écologie » parle du premier, non du second ; le mouvement écologique ne dit rien ni
du premier, ni du second, du moins tant qu’il convoque de près ou de loin un retour à la nature
(Canguilhem, 2000). Les écueils de l’époque sont toujours les nôtres : il faut se méfier de la
croissance verte, parce que protéger l’environnement peut être un moyen de le vendre ; et
symétriquement, il faut se méfier des « îlots de pureté anti-technologique ». Canguilhem
renvoie dos à dos le discours libéral et le contre-discours anticapitaliste qui ne se défont pas
d’une conception de la technique comme application directe ou indirecte de la science, au lieu
de la concevoir comme une tactique de la vie. Quand Canguilhem questionne l’écologie, c’est
donc pour rappeler que la technique n’est pas qu’un effet de la science mais aussi un fait de la
vie, et son rappel entend contredire tous ceux qui invoquent un « retour à la nature ». Ainsi, la
5 La thèse de Charbonneau est que l’émancipation de l’homme vis-à-vis de la nature se paiera au prix d’un contrôle
social total, et donc d’une perte de liberté. Mais la sauvegarde la nature conduit selon lui à un écofascisme :
« L’écologisme est l’idéologie tout indiquée d’une poignée de savants et de fonctionnaires chargés de gérer le
minuscule secteur d’une nature chimiquement pure d’où l’homme – n’était-ce le naturaliste patenté – est exclu »
(Charbonneau, 1980, p. 92). « La sauvegarde la nature ne pouvant être assurée que par l’homme, la science
écologique ne lui fournit qu’une partie des cartes. L’écologiste risque de perdre de vue les réalité culturelles,
psychologiques, économiques et sociales – donc politiques » (idem. p. 95). 6 « L’Ecologie ne peut pas faire du ‘milieu naturel’ un système auquel il faudrait soit revenir soit se tenir. Et même
si l’on s’accorde pour interpréter la ‘nature’ (qui est déjà elle un concept artificiel crée par l’homme) comme un
système, il ne saurait être question ni de revenir purement et simplement à la nature, pour en laisser librement jouer
les lois, ni d’avoir recours à elle pour savoir ce qu’il ‘faut faire’ » (Ellul, 1982, p. 13). « Bernard Charbonneau
proposait aux écologistes d’employer plutôt le mot ‘campagne’ que celui de Nature, car l’important est précisément
cette association, cette correspondance entre l’homme et son milieu » (Ellul, 1982, p. 14).
4
philosophie biologique de la technique de Canguilhem condamne-t-elle à la fois le
« technicisme » et le « naturisme »7. S’il existe un héritier de Canguilhem qui a cherché quelque
chose comme une écologie des techniques, c’est bien François Dagognet, qui a fait sienne cette
thèse de Canguilhem : à la question de l’écologie qui a été formulée comme celle de « la
technique ou la vie ? », il faut répondre « la technique et la vie » (Canguilhem, 2000)8.
L’aversion pour tous ceux qui, de près ou de loin, se revendiquent de la nature, et la peur
corrélative d’un écofascisme est un invariant du paysage intellectuel français, une constante
protéiforme à laquelle on a pu donner bien des noms, comme celui « d’écologie grise » de Paul
Virilio, par exemple, écologie du temps et de la vitesse qui s’oppose à l’écologie verte de
l’espace qui vient à manquer (Virilio, 1995). Cette crainte d’une morale de la Nature ou celle
d’une technocratie de l’environnement se retrouve chez tous les « écologistes » français, de
Charbonneau à Gorz en passant par Moscovici, qui refusent non seulement tout appel à la
nature, ou tout retour à celle-ci, mais se méfie de sa protection et de sa gestion et ils voient tous
dans les alertes scientifiques sur la destruction de l’environnement un risque d’expertocratie et
une menace pour la démocratie. Comme l’analyse Floran Augagneur méditant cette tradition
française en la distinguant de la tradition allemande (de Jonas à Beck) : « La déviation de
l’écologie politique, son péché originel, serait d’avoir cru en la nécessité d’une gestion politique
du risque, et au fait que cette motivation soit liée à une insuffisance de connaissance »
(Augagneur, 2015, p. 335)
L’écologie « contre la nature » ne signifie en aucun cas une écologie « pour la technique », cela
signifie d’abord que la nature ou la technique n’ont de sens que comme milieu. Comme ne cesse
de le rappeler André Gorz, les racines du militantisme écologique sont moins la pure nature que
le monde vécu ; il s’agit de défendre un milieu de vie, dépossédé de sa culture du quotidien, de
son savoir-faire, de son savoir-vivre (Gorz [1992], 2008, p. 49-51). « La défense du milieu de
vie au sens écologique et la reconstitution d’un monde vécu se conditionnent et se soutiennent
l’une l’autre » (ibid. p. 68).
La distinction environnement/milieu. Plutôt que l’opposition nature/technique qui est à dépasser, il faudrait partir de l’opposition
entre environnement et milieu qui demeure à approfondir.
Le terme français « milieu » désigne à la fois le centre et l’autour, l’entre-deux (mi-lieu,
médiateur ou intermédiaire) et l’ambiance, le medium et l’environnement. Le milieu dit à la fois
plus et moins que l’environnement. Il dit plus, car il n’est pas à l’extérieur, mais entre l’intérieur
et l’extérieur. Il dit moins, car il est relatif à la singularité vécue de l’être vivant qui s’y déploie,
quand l’environnement, est identique pour tous les êtres qui s’y trouvent, et qui ont en ce sens
un rapport d’extériorité à lui. Tandis que l’environnement est objectif, le milieu est trajectif
(Berque, 2014)9.
Dans la philosophie française d’Auguste Comte à Georges Canguilhem, le concept de milieu
est le corolaire inséparable de l’organisme : parler de « milieu social » ou de « milieu
technique » revient à ancrer le social ou la technique dans la vie. Pour cette raison, le terme
de milieu ne succombe pas aux critiques contemporaines qui ne cessent de répéter que
7 Cf. Hoquet dans ce volume. 8 Dans un article intitulé « Nature dénaturée, nature naturante » (1976), largement consacré à la philosophie de
François Dagognet Canguilhem s’en prend avec virulence au « naturisme » qui secoue son époque. L’œuvre de
François Dagognet, philosophe des sciences et des techniques, comporte toute une part qu’on pourrait qualifier de
philosophie des objets et des déchets, une philosophie qui n’a jamais douté de la compatibilité de la pensée
écologique avec la pensée industrielle (cf. Dagognet, 1989 ; 1997 ; 2000 ; 2002). 9 La mésologie d’Augustin Berque (2014) nomme trajectif, ce qui se situe au mi-lieu de l’objectif et du subjectif.
5
l’environnement n’est pas un décor, un cadre extérieur dans lequel seraient placés les êtres
vivants et les comportements humains. Les philosophes français qui conceptualisent le
« milieu » après-guerre (Merleau-Ponty, Canguilhem, Simondon, Deleuze) le distinguent tous
de l’environnement (à la manière dont von Uexküll distinguait Umwelt et Umgebung) et tous
élaborent une pensée du milieu (environnant) par le mi-lieu (intermédiaire et relationnel)10.
Le terme français de milieu apparaît au XVIIe siècle, il est successivement physique, physico-
moral (XVIIIe siècle) ; biologique, sociologique et géographique (XIXe siècle) ; et devient
technique au XXe siècle, après 1945. Le concept de « milieu technique » est introduit par André
Leroi-Gourhan et Georges Friedmann d’abord, puis Jacques Ellul et Gilbert Simondon
ensuite11. Depuis Leroi-Gourhan, parler de « milieu technique » c’est affirmer que les
techniques sont un milieu intérieur aussi bien qu’extérieur. Quant à Georges Friedman, non
seulement il contribua à développer le concept de culture technique (et son enseignement), mais
il prit aussi conscience d’une rupture dans la philosophie marxiste, selon qu’elle considère ou
non le milieu technique comme tel.
Du milieu technique à l’écologie politique (1945-1970) Après-Guerre, Georges Gurvitch, alors professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg,
organise un colloque pour débattre de la « technocratie » et de son sens (Gurvitch, 1949).
Friedmann y affirme sa crainte du « technicisme » (qui consiste à ne regarder tous les problèmes
humains que sous l’angle de la technique) et appelle de ses vœux un humanisme technique, une
culture du milieu technique pour éviter « le conditionnement anarchique de l’homme moderne
par le milieu technique qui s’épaissit de plus en plus autour de lui » (Friedmann, 1949, p.58). La technique est questionnée par toutes les disciplines, et son image progressiste commence à
ternir. De fait, la période dite des « Trente Glorieuses » (1945-1973) a suscité plus de débats
écologiques et techniques qu’on ne le croit souvent (Pessis, Topçu, Bonneuil, 2013). La France
du Général de Gaulle lance certes de grands programmes technoscientifiques œuvrant au
progrès de la nation, mais s’accompagne de ce qu’on pourrait nommer une « techno-critique »
(Jarrigue, 2014), qui jette les bases de l’écologie politique avant 1968.
Avec Friedmann l’opposition entre milieu naturel et milieu technique vient remplacer celle
entre communisme et capitalisme. L’itinéraire de Friedmann le conduit en effet du
communisme (défendant à ce titre le « machinisme ») à l’humanisme (inquiet de la domination
du « milieu technique »). Entre les années 1940 et les années 1960, il passe ainsi « d’une
critique marxiste de l’“illusion capitaliste” à une critique morale de l’illusion techniciste et du
“travail déspiritualisé” » (Bidet, 2011, p. 52). Dans La Puissance et la Sagesse (1970),
Friedmann critique son propre livre (marxiste) La Crise du progrès (1936) : il a compris depuis
que le milieu technique ne s’arrête pas aux frontières du monde capitaliste12. L’erreur de Marx
serait selon lui de négliger la puissance du milieu technique, et avec elle la sagesse et la liberté
10 Merleau-Ponty thématise le milieu du début à la fin de son œuvre, de La Structure du Comportement (1943) ;
Le Visible et l’Invisible), et le comprend d’abord comme milieu de l’organisme ou umwelt (Merleau-Ponty, 1942),
puis comme mi-lieu du monde ou chair (Merleau-Ponty, 1964). Le concept de milieu est le corollaire de la
philosophie de l’individu vivant chez Canguilhem (« Le vivant et le milieu » est une conférence prononcée en
1947 et publiée en 1952) et de celle de l’individuation (physico-biologique, psycho-sociale, et technique) chez
Gilbert Simondon qui soutient ses thèses devant Canguilhem en 1958 (Simondon, 1958, 2005). Tous ces
philosophes, et on pourrait ajouter aussi Deleuze, ont compris que penser le milieu – l’Umwelt d’Uexküll – c’est
penser par le milieu – au milieu de la relation (Petit, 2013). 11 La naissance du terme, et le lien qui unit les concepts de « milieu technique » et de « culture technique » ont
déjà été mentionnés dans ce recueil (Beaubois et Petit, ce volume). 12 C’est bien parce que le milieu technique est homogène que « la dichotomie entre le milieu ouvrier (ou
d’exécution) et le milieu d’organisation (ou de décision) se retrouve, en fin de compte, partout » (Friedmann,
Naville, 1961, p. 377).
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individuelle susceptible d’y résister (Friedmann, 1970). Entre l’analyse du « machinisme » et
celle du « milieu technique », l’hétéronomie économique se trouve in fine absorbée par
l’hétéronomie technique (Vatin, X ; Bidet, 2011).
Friedman en vient à parler de « travail en miettes » (Friedmann, 1956) parce qu’il analyse le
milieu technique d’un point de vue à la fois biologique, psychologique et sociologique. Il y a
chez lui une critique de la vision technicienne (ou mécaniste) du travailleur et de sa relation au
milieu technique (Friedmann, 1946) que l’on retrouve aussi chez Canguilhem (1947, 1955). Il
existe toute une tradition de sociologie du travail ou d’ergologie qui pense le travail à partir du
couple organisme-milieu (Schwartz, 1988 ; Clot, 1995) et qui soutient qu’il ne peut y avoir de
véritable travail que là où il y a individuation, c’est-à-dire création d’un « milieu associé »
(Bidet, 2011).
Le concept de « milieu technique » accompagne l’œuvre de Georges Friedmann depuis la
seconde guerre mondiale. C’est à travers ce concept que le sociologue du travail devient
sociologue des loisirs (Friedmann fonda le Centre d'étude des communications de masse en
1961). Jusqu’à la fin de son œuvre il justifie la notion de « milieu technique », qui ne désigne
ni un déterminisme extérieur, ni un moyen extrinsèque, ni un écran entre l’homme et la nature.
C’est, dit-il, un « milieu humain » (Friedmann, 1970, note 1, p. 444). Que le « milieu
technique » soit par définition un « milieu humain », c’est ce qu’oublie Jacques Ellul.
Pour Ellul, comme pour Friedmann, le « milieu technique » est une manière de ne pas tomber
dans l’opposition Est/Ouest ; toutefois l’œuvre d’Ellul, contrairement à celle de Friedmann, ne
connaît pas de revirement. Entre les années 1940 et les années 1960, le concept de « milieu
technique » s’est peu à peu éclipsé au profit du « système technique » (Triclot, 2012). C’est
dans l’œuvre de Jacques Ellul que le phénomène technique a fini par tuer l’idée même d’un
couplage entre l’individu et le milieu technique, cessant d’interroger la continuité entre le
technique, le psychique et le social. Entre La Technique ou l’enjeu du siècle (1954) et Le
système technicien (1977), Ellul affirme qu’aux concepts de « société technicienne » et de
« milieu technique », il faut ajouter celui de « système technique ». Dire du milieu technicien
qu’il constitue un système semble signifier sa parfaite autonomie : « Ce système paraît donc
très indépendant de l’homme (comme le milieu naturel était aussi indépendant) » (Ellul, 1977,
p.103). En réalité, le contre-sens d’Ellul est énoncé dès le départ, quand il affirme que le milieu
technique n’est plus notre milieu : « La technique a déjà pénétré profondément dans l’homme.
Non seulement la machine tend à créer un nouvel environnement de l’homme, mais encore elle
modifie déjà son être même. Le milieu dans lequel vit cet homme n’est plus son milieu » (Ellul,
1954, p.293). Il conçoit l’homme comme séparé du milieu technique, ce qui est, à nos yeux,
aussi erroné que de le séparer de la Nature ! Si bien que la compréhension de la technique
comme « milieu » cède le pas à un plaidoyer anti-technicien. Comment la technique pourrait-
elle être le milieu de l’homme si l’homme (l’art, l’éthique, la culture, etc.) en est absent ? Après
1968, Ellul médite l’incapacité de la classe ouvrière à faire une révolution, dans la mesure où
le prolétariat a été absorbé, dévoré, par la société technicienne jusqu’à partager ses objectifs et
ses aspirations (Ellul, 1969). Il prolongera toute sa vie sa critique du « bluff technologique »,
en condamnant tout espoir d’y échapper collectivement.
Comme il l’affirme lui-même, Ellul était bien seul dans le paysage français des années 1950,
ce qui n’est plus le cas en 1980, où la technique est désormais devenue un objet philosophique
à part entière. Ellul cite ainsi Jean Chesneaux (1983), Dominique Janicaud ([1985] 1994) et
Gilbert Hottois (1984) dont il a préfacé le livre (Ellul, 1988, p. 11). Son héritage est pluriel
(Rognon, 2012), et il est par exemple possible de lire Ellul comme critique de la « protection
7
environnementale » ou « modernisation écologique » (Lamaud, 2013), en s’appuyant sur son
« Plaidoyer contre la défense de l’environnement » (Ellul, 1972).
Cependant, nous préférons ne pas suivre Ellul, non pas tant parce qu’il fait de la technique un
système (ce qu’elle est effectivement), que parce ce que son « milieu technique » n’est pas un
milieu, précisément ; c’est un joug contraignant qui nous est extérieur.
Le terme d’« écologie politique », dans son sens actuel, date de 1957 et a été introduit par le
politologue, économiste et prospectiviste Bertrand de Jouvenel13. L’écologie politique vient
répondre aux défaillances de l’économie politique en réintégrant dans les flux mesurés par la
science économique les échanges de matière et d’énergie entre la société des hommes et la
planète. Jouvenel critique le culte et la « civilisation de puissance » (1976), et le renversement
des valeurs où les moyens justifient les fins. Il se bat, au contraire, pour une détermination
démocratique des fins (par exemple pour une discussion politique de la dépense publique en
Recherche & Développement) ; mais son propos n’est pas tant de critiquer le pouvoir de la
technique en soi, que d’orienter la recherche vers des énergies renouvelables et un écosystème
technique cyclique14.
Cette ambivalence de Jouvenel à l’égard du phénomène technique se retrouvera chez René
Dumont qui fut agronome et premier candidat « écologique » à une élection présidentielle
(1974). René Dumont connaît un revirement de position comparable à celui Friedmann ; en
effet, à la libération, il soutient activement la dynamique modernisatrice et productiviste de
l’agriculture française ; mais au cours des années 1960, il change radicalement de position et
condamne les technologies agricoles fondées sur la chimie et les énergies fossiles, ne croyant
plus alors au « développement » du Tiers Monde si celui-ci prolonge notre modèle industriel.
Pourtant, si Dumont condamne les techniques productivistes à court terme, il demande qu’on
examine chaque technologie au cas par cas et milite pour des « technologies intermédiaires »
(Dumont, 1974, p. 68).
Pour comprendre la manière dont la technologie a mobilisé les sciences sociales en France
durant les « Trente Glorieuses », il faudrait vraisemblablement parcourir les deux revues de la
nouvelle gauche et du marxisme critique qu’étaient Arguments (1956-1962) et Socialisme ou
Barbarie (1949-1967). Ce dernier groupe, incarné en particulier par Cornelius Castoriadis ne
considère plus la technique comme un facteur neutre, mais bien comme un instrument
d'exploitation de classe. À Marx, Castoriadis répond : « en fait, il n’y a ni autonomie de la
technique, ni tendance immanente de la technique vers un développement autonome »
(Castoriadis, [1964] 1975, p. 28). Comme cela est très net dans son article « Technique » pour
l’Encyclopædia Universalis Castoriadis fait partie des penseurs qui reconnaissent en Marx le
père d’une conception non instrumentale (mais social-historique) de la technique tout en lui
reprochant de ne pas avoir été assez loin dans sa critique, et de n’avoir finalement pas vraiment
dépassé Platon : la technologie elle-même n’étant pas questionnée, la séparation des moyens et
des fins, ou la séparation du social et du technique, n’est pas dépassée (Castoriadis [1973]
1978). Il n’y a pas, et il ne peut y avoir, d’autonomie du système technique dans la mesure où
« ni idéalement, ni réellement on ne peut séparer le système technologique d’une société de ce
que cette société est » (Castoriadis, 1986 [1974], p.181). Pourtant, Castoriadis s’inquiète de la
13 Dès 1957, Jouvenel a publié deux articles au sujet de l’écologie politique : « De l’économie politique à l’écologie
politique » (repris dans Jouvenel, 1976) et « L’économie politique de la gratuité » (repris dans Jouvenel, 2002). 14 Il défend ce que nous nommerions aujourd’hui une « écologie industrielle », ou une « économie circulaire » :
« Voilà de quoi nous rendre soucieux de fermer les circuits ; soit en substituant à nos matériaux d’autres digérables
par les agents naturels, soit en suppléant à l’action de ceux-ci par les agents artificiels » (« Pour une conscience
écologique » [1965], Jouvenel, 2002, p. 246)
8
fantastique « autonomisation » de la techno-science (Castoriadis, 1990 [1987], p. 87-124). Il
n’y a pas là, à proprement parler, de contradiction, pourvu que l’autonomie de la technique soit
comprise pour ce qu’elle est, à savoir un imaginaire socialement institué, qui peut donc être
destitué. Castoriadis, philosophe de l’autonomie démocratique, s’est attaqué à la pseudo-
autonomie de la technoscience. Et c’est par le biais de sa critique de l’autonomie (de la
technique, du scientifique, de l’économique) qu’il faut aborder son engagement écologique
(Castoriadis, Cohn-Bendit, 1981). De son point de vue, le projet écologique et le projet
démocratique n’en font qu’un, qui ne pourra se réaliser qu’à travers une nouvelle institution
imaginaire de la technique en société.
L’écologie politique, comme la pensée « techno-critique », n’ont pas de contour bien délimité,
ni en France, ni à l’étranger. Les auteurs cités ici, tous acteurs de l’écologie politique française,
indiquent que la perspective écologique engage nécessairement une philosophie du « projet
technique », qui quoi qu’on en dise, reste à imaginer : « Si les techniques particulières sont des
‘‘activités rationnelles’’, la technique elle-même (nous utilisons ici ce mot avec son sens
restreint courant) ne l’est absolument pas. Dans sa réalité historique la technique est un projet
dont le sens reste incertain, l’avenir obscur, et la finalité indéterminée, étant évidemment bien
entendu que l’idée de nous rendre “maître et possesseurs de la nature” ne veut strictement rien
dire » (Castoriadis, 1975, p.111)
Vers une écologie des techniques (1970-1990) Le mot d’environnement et celui de design sont importés au même moment en France
(Beaubois et Petit, ce volume). Le colloque Aspen de 1970 est intitulé Environment by design.
Jean Baudrillard y participe, et il commente : au « concept théorique d’‘‘environnement’’
correspond le concept pratique de ‘‘design’’ – qui s’analyse en dernière instance comme
production de la consommation (de l’homme aux signes, des signes entre eux, des hommes
entre eux) » (Baudrillard, 1972, p. 251). « Le contrôle social de l’air, de l’eau, etc. sous le signe
de la protection de l’environnement, », écrit-il, « ce sont évidemment les hommes eux-mêmes
qui entrent un peu plus profondément dans le champ du calcul social. Que la nature, l’air, l’eau,
après avoir été de simples forces productives, deviennent des biens rares et entrent dans le
champ de la valeur, ce sont les hommes eux-mêmes qui entrent le plus profondément dans le
champ de l’économie politique » (Baudrillard, 1972, p. 255). Méditer l’héritage de Baudrillard,
ce serait méditer le design des objets comme système de signes et le design de l’environnement
comme media. Baudrillard s’éloignera ensuite de l’« écologie des médias » pour penser la
technique comme part maudite, impossibilité de faire machine arrière : « Car si le propre de
l’homme est de ne pas aller au bout de ses possibilités, il est de l’essence de la technique
d’épuiser les siennes, et d’aller même largement au-delà » (Baudrillard, 2007, p. 13).
Le mariage du design et de l’environnement n’est ici qu’une autre manière de nommer le
« tournant technique » de l’écologie, qui se joue par exemple avec Buckminster Fuller outre-
Atlantique. Mais ce tournant prend en France des allures différentes, et semble, d’ores et déjà,
diviser l’écologie politique de gauche : l’une serait représentée par André Gorz et conduirait à
la sobriété heureuse, à la simplicité volontaire, à la décroissance ; l’autre serait représentée par
Felix Guattari et conduirait une écologie machinique, plutôt techno-optimiste.
Gorz, tout comme Friedmann, Dumont, etc., a changé d’appréciation à l’égard de la technique
et de son évolution15. Le point de départ de son écologisme fut une critique de la société de
15 « À l’époque, je pensais, un peu comme Radovan Richta, que l’évolution technique allait éliminer
progressivement le travail non qualifié et répétitif au profit d’un travail de plus en plus intellectualisé,
techniquement avancé, et donc potentiellement favorable à l’épanouissement des capacités d’autonomie. Mais à
partir de 1969, je me suis aperçu que c’était là attendre de l’évolution technique une efficacité politique qu’elle ne
9
consommation avant la lettre16. Gorz incarne le tournant écologique des années 1970 :
initialement proche de Sartre, il infléchit sa critique du capitalisme (inspirée par Marx) vers une
critique du travail et de son milieu technique (inspirée par Illich). Pour lui, comme pour
Castoriadis, écologie et autonomie sont un seul et même combat ; mais c’est chez lui à travers
la définition du travail, du salariat, du revenu, etc., que cette question est posée.
Dans Ecologie et liberté (1977), Gorz écrit que la différence entre l’écologisme et le socialisme
porte précisément sur les présupposés technologiques des questions économiques. La
conviction de Gorz, héritier d’Illich, est que : des choix de société n’ont cessé de nous être
imposés par le bais de choix techniques ; sans la lutte pour d’autres technologies, la lutte pour
une société différente est vaine ; l’inversion des outils est une condition même du changement
de société, d’une hétérorégulation capitaliste vers une autorégulation conviviale (Gorz, 1977).
« Le socialisme n’est pas immunisé contre le technofascisme » et il « ne vaut pas mieux que le
capitalisme s’il se sert des mêmes outils » (Gorz, 1977, p.35), écrit-il. L’écologie politique de
Gorz est, pour cette raison fondamentale, avant tout une discussion des outils à adopter pour
favoriser une relation autonome à notre milieu sociotechnique, ce pourquoi, à la fin de sa vie,
il s’intéresse aux hackers, digital fabricators ou fabbers (Gorz, 2008)
Il y a chez Gorz, comme chez Friedmann, un mouvement vers une nouvelle culture technique
reposant sur l’unité de la production et de la consommation. Mais il y a aussi, tout au long de
son œuvre, la peur d’une écologie ingénierique et autoritaire, d’un techno-fascisme, d’un géo-
pouvoir. Lorsqu’il écrit « la technique (technology) doit être comprise comme la nature se
créant elle-même par l’intermédiaire de l’homme » (Gorz, 2003, 131), ce n’est pas pour en
cautionner l’idée, mais pour résumer une idéologie qu’il condamne, celle du transhumanisme.
Depuis Gorz, il y a deux écologies : l’une accomplit le capitalisme, l’autre tente encore d’y
échapper.
En accolant écologie et machine, Guattari redéfinit l’une et l’autre dans une « écosophie » « qui
aurait pour perspective de ne jamais tenir pour séparées les dimensions matérielles et
axiologiques des problèmes considérés » (Guattari, 2013 [1994], p. 408). L’écologie n’est plus
réduite à la question de l’environnement, puisqu’il y a désormais « trois écologies »
environnementale, mentale, et sociale (Guattari, 1989). La machine n’est plus l’objet technique,
mais un nouvel agencement producteur de subjectivité. Dans son texte « Ecologie et
mouvement ouvrier. Vers une recomposition écosophique » Guattari semble vouloir réconcilier
les luttes sociales d’hier avec les luttes machiniques de demain :
« Sur tous ces terrains [comme celui de l’écologie du travail en milieu
informatisé], le dialogue entre l’écologie et le mouvement ouvrier et paysan
me paraît essentiel. Il existe toujours un risque de voir l’écologie basculer
dans le conservatisme, le retour au statu quo ante, dans des conceptions
possède évidemment pas. J’ai commencé à thématiser cet aspect à la suite d’un séjour aux Etats-Unis pendant
lequel j’avais beaucoup discuté avec Stephen Marglin, Herbert Marcuse – j’avais été le premier, en 1964, à rendre
compte longuement dans The Nation de L’Homme unidimensionnel – et avec des ingénieurs ou médecins
contestataires » (Gorz, 2000, 222-223) 16 « C’est par la critique du modèle de consommation opulent que je suis devenu écologiste avant la lettre. Mon
point de départ a été un article paru dans un hebdomadaire américain vers 1954. Il expliquait qu e la valorisation
des capacités de production américaines exigeait que la consommation croisse de 50% au moins dans les huit
années à venir, mais que les gens étaient bien incapables de définir de quoi seraient fait leurs 50% de consommation
supplémentaire. […]. Mon intérêt pour la technocritique doit beaucoup à la lecture, en 1960, de la Critique de la
raison dialectique de Sartre ; à dix jours passés en Allemagne de l’Est, à la même époque, à visiter des usines à la
vaine recherche de germes de pouvoir ouvrier ; puis à partir de 1971 ou 1972, à la découverte d’Illich qui avait
intitulé Retooling Society une première ébauche de La Convivialité » (Gorz, 2008, 14-16)
10
systémiques réductionnistes, incapables d’être articulées aux mutations
rhyzomatiques des phylums évolutifs du machinisme ». (Guattari 2013
[1994] p. 419).
Guattari a adhéré puis quitté le parti « Vert » pour inspirer l’écologie des médias (Goddard,
2011) mais aussi le mouvement contemporain pour l’accélérationnisme17 (Mackay &
Avanessian, 2014). De tous les écologistes militants, Guattari fut probablement en France, le
moins techno-sceptique. Il a cru jusqu’au bout à la possibilité machinique d’une société post-
médiatique ; et l’ensemble de ses questions tournaient autour du « vieux problème de la
technique ».
« La subjectivité n’est pas seulement humaine. Elle est également
machinique. Pour moi, il n’y a pas de frontière entre l’homme, la société, la
technè, l’appropriation de l’environnement, la constitution de territoires
existentiels » (Guattari, 2013 [1992], p. 332). « Je qualifierai l’objet
politique comme écosophique. [C’est] un objet à quatre dimensions : les flux
matériels, économiques traditionnels, les machines ou les écosystèmes qui les
concernent, les univers de valeurs (politiques, moraux) et les territoires
existentiels. […]. La tâche proprement intellectuelle est de penser le vieux
problème de la technique. » (ibid. p. 337-338)
Philosophies du « milieu technique » Tous les auteurs invoqués jusqu’ici sont bien différents et relativement indépendants les uns
des autres. Mais il existe pourtant une continuité forte dans la philosophie française du « milieu
technique ». Comme l’exprime Jean-Claude Beaune, « Seul un recours au concept de milieu
technique permet de faire sortir l’objet de son extériorité » (Beaune, 1980, p. 61) et de faire
émerger une technologie « non-réductive ». Cela suppose, là-encore, de ne pas succomber à la
séparation de la technique ou de la vie, qui serait un autre moyen de reproduire la séparation de
la culture et de la nature18.
La philosophie du milieu technique (ni moyen, ni environnement), reste aujourd’hui une réalité
bien vivante. La tentative de considérer la technique comme un milieu de connaissance, à la
fois Umwelt et intermédiaire, est l’autre nom de la « technoscience » de Gilbert Hottois
(Hottois, 1984, p. 60-61 ; Bensaude-Vincent, 2009, p. 44-46). La tentative de considérer ce
qu’on appelle (depuis 1950 en France) nos « médias » comme un milieu, et non pas simplement
comme un moyen de communication, était la base de l’enseignement de la médiologie de Régis
Debray (Debray, 1994). La tentative de penser le milieu technique sous l’espèce d’une relation
qui reconfigure les termes qu’elle met en relation est à la base de la théorie de l’acteur-réseau
(Akrich, 1993). Rappelons que pour Latour, le non-moderne c’est « l’empire du milieu »
(Latour, 1993). Quant à Isabelle Stengers elle fait jouer ensemble la question écologique et la
pensée par le milieu qu’elle hérite de Guattari et Deleuze (Stengers, 2014).
C’est à nos yeux dans l’œuvre foisonnante de Bernard Stiegler qu’il faut rechercher l’héritage
le plus complet et le plus abouti de la philosophie française du milieu technique ; car son milieu
technique fait écho à celui de Leroi-Gourhan décrivant l’évolution de notre exosomatisme; à
17 Ce jeune mouvement intellectuel de gauche, qui prône l’accélération des contradictions du capitalisme comme
celle des disruptions technologiques, est susceptible d’interprétation diverses mais suppose dans tous les cas
d’admettre l’échec de l’éco-socialisme, celui de Gorz par exemple. Alex Williams et Nick Srnicek ont publiés en
2013 un manifeste de ce mouvement, essentiellement prométhéen, qui a fait débat. 18 Tandis que « le point de vue du milieu culturel tend toujours à reconsidérer la référence à la nature », « le point
de vue du milieu technique approfondit la nature et la dépasse dans le sens de la vie » (Beaune, 1999, p. 18).
11
celui de Friedmann, psycho-technicien du travail et des loisirs, scrutant le psychopouvoir ; à
celui de Simondon (et à travers lui Canguilhem) tentant de penser le « milieu associé » de
l’individuation ; à celui de Derrida, déconstruisant le mi-lieu indécidable pour le penser comme
« supplément originel » ; à celui de Guattari œuvrant pour une écologie véritablement générale ;
mais aussi à celui de Gorz militant pour un milieu de travail non-salarié. L’œuvre de Bernard
Stiegler est un long déploiement de la question technique (pharmacologique) qui accompagne
progressivement celui des technologies numériques, à tel point que sa philosophie prend le nom
de digital studies et semble au service d’une nouvelle politique industrielle du numérique. Son
association Ars Industrialis, milite pour une nouvelle économie politique du numérique, qu’elle
nomme « économie de la contribution » et qui suppose la création d’un milieu technique
associé.
Conclusion Au regard des auteurs cités dans ce chapitre, il est clair que ce qui est questionné, en France,
depuis les années 1970, derrière le vocable « écologie », ce n’est pas la valeur intrinsèque de la
nature, mais le statut de la technique. C’est généralement une écologie non-naturaliste ou non-
environnementaliste. C’est souvent une philosophie écologique du milieu (meson & oïkos), par
opposition à l’environnement, philosophie qui nous conduit à rejeter les alternatives technique
ou nature, et homme ou environnement.
Il est cependant difficile de délimiter le champ de l’écologie des techniques, qui oscille entre
une « histoire et économie écologiques » (Jouvenel), des « techniques écologiques » (Gorz), et
une « écologie machinique » (Guattari). Chaque auteur accouche d’une pensée différente et
toujours d’actualité : Jouvenel nous conduirait du côté de l’« économie circulaire », Gorz vers
les makers et leur « open technology », et Guattari vers l’« écologie des médias » et
l’accélérationnisme. De surcroît, nous n’avons bien évidemment pas été exhaustifs, ayant par
exemple omis ici la voie phénoménologique, celle que Jean-Luc Nancy a pu appeler
l’« écotechnie » (Nancy, 2000)19. Si la dernière tendance, celle de l’écologie machinique,
semble actuellement s’exporter le mieux, c’est dans la perspective d’une écologie du sujet plutôt
que de l’environnement (Conley, 1997a, 1997b). Erich Hörl, travaille et prolonge cette écologie
du milieu technique disséminée dans la philosophie française qu’il définit comme la quatrième
époque de l’encyclopédisme simondonien (Hörl, 2012, 2013). Dans un recueil à paraître qu’il
dirige autour de l’écologie générale des techniques, Bernard Stiegler redit avec ses mots ce qui
était le présupposé de cet article : l’écologie générale est une « organologie », autrement dit,
une philosophie du milieu technique, mi-lieu du psychique et du social. L’écologie des
techniques et le concept de milieu continuent de se nourrir l’un l’autre.
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19 Pour Derrida, cette écotechnie constitue la singularité de Nancy, « la prise en compte de la technique et de
l'exappropriation technique dès le seuil “phénoménologique” du corps propre » (Derrida, 2000, p. 70).
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