la notion mythique d'Λθεια

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Marcel Détienne La notion mythique d'λθεια In: Revue des Études Grecques, tome 73, fascicule 344-346, Janvier-juin 1960. pp. 27-35. Résumé Certains textes permettent d'établir qu'λήθεια est composé d'- privatif et de λήθη et que la notion de « vérité » dans la pensée mythique est un doublet de la notion de mémoire. Citer ce document / Cite this document : Détienne Marcel. La notion mythique d'λθεια. In: Revue des Études Grecques, tome 73, fascicule 344-346, Janvier-juin 1960. pp. 27-35. doi : 10.3406/reg.1960.3596 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1960_num_73_344_3596

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Détienne Marcel

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  • Marcel Dtienne

    La notion mythique d'In: Revue des tudes Grecques, tome 73, fascicule 344-346, Janvier-juin 1960. pp. 27-35.

    RsumCertains textes permettent d'tablir qu' est compos d'- privatif et de et que la notion de vrit dans la pensemythique est un doublet de la notion de mmoire.

    Citer ce document / Cite this document :

    Dtienne Marcel. La notion mythique d'. In: Revue des tudes Grecques, tome 73, fascicule 344-346, Janvier-juin 1960.pp. 27-35.

    doi : 10.3406/reg.1960.3596

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1960_num_73_344_3596

  • LA NOTION MYTHIQUE A

    A J. G.

    Mot-cl pour l'exgse philosophique d'une uvre aussi majeure que celle de Parmnide, ' n'est pas non plus sans importance dans la conscience philosophique de nos contemporains, depuis que Martin Heidegger (1) en a longuement explor les significations multiples, dans certains crits qu'une critique philologique (2), plus soucieuse d'intelligence immdiate, n'a pas manqu de soumettre des objections dont certains se plaisent souligner la pertinence. Notre propos n'est nullement d'intervenir en ce dbat, mais plus simplement d'attirer l'attention sur les dimensions mythiques de la notion en cause et peut-tre indirectement de projeter quelque lumire sur la figure souveraine qui se dresse l'entre du pome parmniden.

    Dans son commentaire des Vers dors, Hirocls fait une citation des d'Empdocle, que H. Diels a recueillie et place sous le numro 121, et qu'il a ensuite reproduite partiellement dans le fragment 158 sous l'tiquette svre Unechtes (3). A propos de la prairie d'"Ary], qui est l'image mythique du monde terrestre, Hirocls prolonge une citation littrale par les mots suivants :

    (1) M. Heidegger, Sein und Zeit, 1927, p. 32 sqq. et 219 sqq. et Platons Lehre von der Wahrheit, 1947. Cf. en dernier lieu Essais et confrences, Paris, (tr. f.), 1958, 278-341 (passim).

    (2) Surtout P. Friedlaender, Platon, 1*, 1954, p. 233 sqq. : chapitre XI, Aletheia. Eine Auseinandersetzung mit Martin Heidegger.

    (3) Diels, FVS7, I, p. 360, 4 sqq. = Hirocls, Ad carm. aur., 24 (cf. Id., ibid, p. 374 sqq.).

  • 28 MARCEL DETIENNE

    " ' , - . . Diels a prudemment admis qu'il tait fait allusion quelque expression tire de l'uvre d'Empdocle, encore que nulle citation littrale ne vienne apporter une confirmation. Dans un Anklang (4) qui explicite sa pense, le mme savant a marqu le rapport de l'expression avec le mythe du Phdre, o la notion d'>A est centrale, on le sait. C'est en effet un singulier cho que Platon nous permet d'entendre.

    Dans le mythe de l'attelage ail, que dveloppe le second discours prononc par Socrate, l'on se souvient de la procession cleste des mes et de leur course vers le lieu qui est au-dessus du ciel : elles cherchent toutes contempler les ralits qui sont extrieures au ciel (5). Elles ne le peuvent qu'en suivant les dieux aussi parfaitement que possible et alors quelques-unes seulement parviennent apercevoir les ralits et tre inities la contemplation du rel. Et voici le passage important : le motif de ce zle sans borne pour voir o la Plaine de Vrit se trouve, c'est que de cette prairie-l provient prcisment la pture qui, on le sait, convient ce qu'il y a dans l'me de plus parfait : c'est de cela que se nourrit la nature de ce plumage d'ailes auquel l'me doit sa lgret (6).

    La prairie d"A est devenue dans ce contexte une plaine. Mais ce , que l'on interprte communment par plaine de Vrit , n'est qu'une partie d'un paysage mythique que nous pouvons complter. En effet, Socrate continue son propos en ces termes : Un dcret d'Adraste est le suivant : toute me qui, ayant appartenu la compagnie d'un Dieu, a vu quelque chose des ralits vritables ( ) est saine et sauve jusqu' la rvolution suivante ; ... mais lorsque, ayant t incapable de suivre de prs le Dieu, elle n'a point vu et que, victime de quelque disgrce, gorge d'oubli et de mchancet (

    (4) Diels, FVS7, I, p. 374, 16 sqq. (5) Platon, Phdre, p. 247 c : . (6) Platon, Phdre, p. 248 : '' '

    [] , , , .

  • LA NOTION MYTHIQUE ' 29

    ), elle s'est appesantie , alors elle est prise dans la roue des naissances (7).

    L'opposition est donc trs explicite entre ou d'une part et d'autre part . Elle nous permet de restituer dans la pense mythique dont le Phdre ne nous livre qu'un fragment une opposition du mme type entre le ' et le . Nous avons mme pour y atteindre la garantie de Proclus, qui dans un Commentaire la Rpublique noue fortement les deux reprsentations (8) ; et c'est prcisment dans une exgse de la plaine d'Oubli qui est mise en scne dans le mythe d'Er l'Armnien, cette plaine o coule le fleuve Amels dont J.-P. Vernant a montr les alunites avec la mme pense mythique (9). Ce ne sont pas l des reprsentations nes dans l'esprit de Platon ; car, par exemple, Aristophane dans certain vers des Grenouilles fait rapidement allusion un (10) ; preuve, comme l'a not E. Rohde (11), qu'il s'agit d'une reprsentation trs commune. Nous connaissons encore des , des , ' , toutes expressions d'une mme gographie infernale dont les tablettes d'or de Grande Grce, de Crte et de Thessalie nous livrent la forme la plus connue dans la reprsentation de deux eaux qui coulent : l'une est la source de , l'autre celle de (12).

    Avant de prolonger le parallle entre - d'une part et d'autre part -, nous voudrions insister sur un

    (7) Platon, Phdre, p. 248 c : ' , , , ' - , , ...

    (8) Proclus, In Plal. Ftempublicam, II, p. 346, 19 d. Kroll : " ' " ' , , , , [248 ] " , . .

    (9) J.-P. Vernant dans une tude paratre dont il a fait la matire d'un expos l'cole des Hautes-tudes.

    (10) Aristophane, Grenouilles, V. 186. (11) E. Rohde, Psyche10, (tr. fr.), Paris, 1952, p. 260, n. 2. (12) Cf. J. P. Vernant, Les aspects mythiques de la mmoire en Grce, Journal,

    de Psychologie, 1959, fasc. I, p. 7. Voir aussi W. Kroll, s.v. Lethe in R.-E. (1924), c. 2141-2144.

  • 30 MARCEL DETIENNE

    mythe rapport par Plutarque, qui nous conduira marquer les affinits de Vrit et de Mmoire . Un des interlocuteurs du De defeclu oraculorum rapporte le rcit suivant : II disait donc que les mondes ne sont pas en nombre infini, qu'il n'y en a pas qu'un, ni cinq, mais cent quatre-vingt-trois. Ils sont assembls en forme de triangle, raison de soixante mondes par ct, les trois qui restent sont placs chacun un angle. Les mondes voisins se touchent donc les uns les autres au cours de leurs rvolutions comme dans une danse. La surface intrieure du triangle sert tous ces mondes de foyer commun et s'appelle le Champ de Vrit. C'est l que gisent immobiles les principes, les formes, les modles de tout ce qui a t, et de tout ce qui sera. Autour de ces types se trouve l'ternit, de laquelle le temps s'chappe comme un flot, en se portant vers les mondes. Tout cela peut tre vu et contempl une fois tous les dix mille ans par les mes humaines si elles ont bien vcu ; et les meilleures initiations de cette terre ne sont qu'un reflet de cette initiation et de cette rvlation-l. Les entretiens philosophiques ont pour raison d'tre de nous remettre en mmoire les beaux spectacles de l-bas, ou autrement ils ne servent rien (13).

    Si les critiques qui se sont occups de ce mythe y ont presque toujours dnonc un produit de la fabulation de Plutarque (14), ils y ont toutefois reconnu des traits plus anciens. En effet la cosmologie qui sert de cadre ce rcit peut tre identifie sans ambigut aucune, puisque dans le mme dialogue Plutarque la rapporte expressment au vieux pythagoricien Ptron d'Himre (15).

    (13) Plutarque, De defeclu oraculorum, 22 p. 422 d. et trad. R. Flacelire : ... - ' , - " , " ,

    (14' Cf. le commentaire de R. Flacelire. (15) Ptron d'Himre, ap. Diels, FVS7, I, p. 106, 13 sqq. (= Plut.. De defeclu

    oraculorum. 22, p. 422 H\ Cf. A. Rivaud, Le problme du devenir cl la notion de matire dans la philosophie grecque, Paris, 1905, p. 100 et n. 216; ainsi que R. Eisler, Wellcnmanlel und Himmelszell, 1910, II, p. 461, n. 6 et p. 722, n. 6.

  • LA NOTION MYTHIQUE ' 31

    Plutt que d'insister sur le caractre de farrago de thmes platoniciens, nous voudrions faire saillir les traits spcifiquement pythagoriciens, car ils nous donneront un contexte pour la reprsentation centrale de la plaine de Vrit .

    C'est en premier lieu que les mondes sont disposs dans l'ordre d'une figure gomtrique : le dtail qui mentionne la prsence d'un monde chacun des angles de ce triangle fait mme songer ces tranges dodcadres ajours, surmonts chaque angle d'une petite boule (16). Or cette figure gomtrique signifie, en particulier dans le Time, le tout entier (17) ; elle est une reprsentation du monde, comme le triangle de Ptron.

    L'allusion la danse qui meut les divers mondes sphriques est aussi de couleur pythagoricienne (18) : elle suppose la thorie de la rvolution des sphres, fondement de l'astronomie de l'cole italique.

    La mention d'un foyer commun tous ces mondes, d'une (19) place au centre du tout est encore une doctrine des mmes philosophes ; et tous ces traits s'harmonisent assez heureusement avec la thorie du vieux Ptron. C'est ce foyer commun qui porte prcisment le nom de '.

    La description que nous en donne le mythe peut plaider en faveur de l'opinion (20) qui tient ce rcit pour un faisceau de rminiscences platoniciennes qu'un lecteur de la qualit de Plutarque peut facilement avoir fait converger dans un cadre galement emprunt. Il est en effet question de principes, de formes, de modles de tout ce qui a t et de tout ce qui sera (21) et la ressemblance est grande avec le monde des Ides. Notons que ce monde transcende le temps humain, et qu'il chappe aux limites du prsent, puisqu'il englobe le pass et le futur, tous deux placs sur le mme plan.

    L'image mythique qui se dveloppe ensuite n'est pas moins

    (16) L. Saint-Michel, Situation des dodcadres cello-romains dans la tradition symbolique pythagoricienne, Bulletin de Association G. Bud, Suppl. Lellres d'Humanits, fasc. X, 1951, p. 92 sqq.

    (17) Platon, Time. p. 55 c. (18) Cf. Zeller-Mondolfo. La filoso/ia dei Greci, I. 22 (1950), p. 532 sqq. (19) Cf. Zeller-Mondolfo, La filuso/ia dei Greci, I, 2- (1U50), p. 522 sqq. ^20) Cf. K. Ziejrlcr, Plularchos in R.-E. (1951!, c. 831 sqq. (21) . . .

  • 32 MARCEL DETIENNE

    trangre, semble-t-il, une rflexion aussi ancienne que celle du pythagoricien d'Himre. Autour de ces types se trouve l'ternit, de laquelle le temps s'chappe comme un flot en se portant vers les mondes (22). Si le temps qui coule et fuit est une reprsentation qui domine toute la pense des potes lyriques (23), la notion d'aitov en tant qu'ternit ne peut prtendre une haute antiquit (24) ; elle voque plutt les reprsentations figures que nous connaissons, par exemple, par les mosaques de l'Isola Sacra, o a la forme du cercle (25).

    C'est qui enserre la plaine d"At., d'o s'chappe le fleuve de : ' n'a donc aucune dimension temporelle ; elle transcende le temps humain, puisqu'en elle se trouvent pass et futur.

    Or les derniers mots du mythe introduisent expressment une autre notion, celle de mmoire : Les entretiens philosophiques ont pour raison d'tre de nous remettre en mmoire les beaux spectacles de l-bas (26). Et sans doute n'est-ce que dont parle le Phdre : la remmoration de ces ralits suprieures que notre me a vues jadis, quand elle cheminait en compagnie d'un dieu (27). C'est la relation que nous voulions dnoncer ; car elle nous livre la cl de l'opposition - dont nous avions marqu le paralllisme avec celle de - dans la pense mythique.

    Dans le mythe du De defedu oraculorum et dans celui du Phdre mmement, la notion d"A apparat comme le contraire de la notion de et comme un doublet de la notion de ou . Nous sommes donc au cur de la pense mythique que

    (22) .

    (23) Cf. ce qu'en dit J.-P. Vernant, Les aspects mythiques de la mmoire en Grce, Journal de psychologie, 1959, fasc. I, p. 6 sqq.

    (24) Sur , cf. Benveniste, Bulletin de la Socit de linguistique, XXXVIII, 1937, p. 103 sqq. et Festugire, Parola del Passalo, XI, 1949, p. 189 sqq.

    (25) Cf. Doro Levi, Ain et les quatre Saisons sur une mosaque de V Isola Sacra, Hesperia, XIII, 1944, p. 285 sqq. et Ain et les trois Chronoi sur une mosaque d'Anlioche, ibid., p. 269 sqq.

    (26) . . . .

    (27) Platon, Phdre, p. 249 c : , ' ...

  • LA NOTION MYTHIQUE ' 33

    J.-P. Vernant a tudie dans son important article : Aspects mythiques de la mmoire en Grce (28).

    S'il semble vrai que, comme le soutenait P. Friedlnder (29), les Grecs n'ont plus senti, ds une poque ancienne, la prsence d'un - privatif dans le morphme , il reste que la corrlation de ces deux reprsentations religieuses, le et le ' nous restitue un plan de la conscience o - privatif avait sa pleine valeur ; et c'est un plan mythique. Nous croyons qu'une telle signification de la notion d"A n'est pas sans clairer le visage de la desse qui accueille Parmnide dans le prologue du .

    Dans sa Thologie der friihen griechischen Denker (30), W. Jaeger a propos un parallle suggestif entre le Prologue de la Thogonie hsiodique et celui du pome de Parmnide. Mais la comparaison peut tre davantage pertinente si l'on dresse face face les deux reprsentations majeures des deux prambules, d'une part la notion de , d'autre part la notion d"A.

    Depuis l'tude de J.-P. Vernant, il est dfinitivement acquis que la Muse est une reprsentation de la mmoire. Il sullira de rappeler que les muses d'Hsiode savent tout, le pass, le prsent et le futur, qu'elles transcendent le temps (32), exactement comme '.

    (28) Paru dans le Journal de Psychologie, 1959, fasc. I, p. 1 sqq. (29) P. Friedlaender, Platon, l2, 1954, p. 235 : Denn und

    haben mit und ' wenigstens unmittelbar und bedeutungmssig nichts zu tun und werden in der lebenden Sprache nicht als zu ihnen gehrig empfunden .

    (30) W. Jaeger, Die Thologie der friihen griechischen Denker, Stuttgart, 1953, p. 110 sqq., cf. aussi sur un parallle entre la Muse et l'Aletheia, H. Fraenkel, Dichlung und Philosophie des friihen Griechenlums, New York, 1951, pp. 455-456.

    (31) Parmnide, , frgt, , . 22 sqq. (Diels, FVS'', I, p. 230, 22 sqq.

    (32) Hsiode, Thogonie, 38, d. P. Mazon : ', '- ' . . Cf. Hsiode, Thogonie, 27, d. P. Mazon : ,' '' L'on voit par ce passage que l'identit de la et de ' n'tait plus sentie consciemment par Hsiode encore que la relation des deux notions ne soit pas compltement ignore. Mais l'opposition consciente est celle de et ' que l'on trouve dj chez Homre : c'est, croyons-nous, un indice de la haute antiquit de la valeur ' dans la pense mythique, moins qu'on ne prfre y trouver une preuve du cheminement parallle de deux penses distinctes o la mme notion aurait connu une double laboration.

    REG, LXXIII, 1960, n08 344-346. 2

  • 34 MARCEL DETIENNE

    Dans un autre essai sur le passage du Mythe la Raison (33), le mme savant avait dj insist sur la continuit d'un mode de connaissance de la posie la philosophie. Un certain type de pote-devin vit dans un monde dualiste o le visible s'oppose l'invisible, et il possde le pouvoir de passer de l'un l'autre. C'est la mmoire, pour nous fonction psychologique, qui lui ouvre l'accs un savoir total que le temps ne limite plus.

    Or ce que la Muse reprsente pour la pense potique, elle le signifie galement pour une pense philosophique comme celle d'Empdocle, qui dans son (34) adresse une invocation la Muse la mmoire grande . Mais, avec Parmnide, la vieille reprsentation potique est clipse par une nouvelle venue, que nous connaissions seulement comme le nom d'un paysage de l'au- del. ' apparat en effet comme la forme spcifiquement philosophique de la notion de mmoire que les potes se reprsentaient sous les traits des .

    ' est la connaissance, elle est . Et l'opposition de l'tre et du Non-tre n'est peut-tre pas sans rapport avec la distinction que la pense mythique trace entre l'Invisible et le Visible. Pour le pote comme pour le philosophe, le vrai savoir s'oppose un faux savoir, comme la Ralit aux Apparences.

    On voudrait suivre la mme notion d"A dans la pense des autres philosophes prsocratiques ; mais un tel cheminement dpasserait largement la brve indication d'une notule. pinglons seulement quelques citations sans contexte, qui montreront, s'il en est besoin, la prcellence de la notion d"A dans certaines thories de la connaissance.

    Ainsi, un fragment de Xnophane, que Heidel tient pour une citation littrale et qui est. pour le moins, une expression assez prcise de la pense du philosophe de Colophon, nous livre que : Dieu a vision de (35). Ce qui signifie qu' Dieu est rserve la connaissance totale qui est de l'ordre du , tandis qu' l'homme est chu le plan du (36).

    V33l J.-P. Yernant. Du Mythe la Raison, Annales t. XII 1957, p. 193. ,34! Empdocle. frtrt. 3, v. 3 ap. Diels. FVS7, I, p. 310, 2 : ,

    . L'interprtation de J. Zafiropulo qui traduit par aux nombreux prtendants ne semble pas devoir s'imposer.

    (35) Arius Didyme, ap. Stob. Ed., II, 1, 18 p. 6, 14 \Y. : . Cf. note ap. Diels, FVS, 1922, t. I, p. 44, note la ligne 41.

    (36) Xnophane, frgt. 34 Diels.

  • LA NOTION MYTHIQUE ' 35

    Chez Dmocrite galement la notion d"A n'est pas insignifiante. Une notice doxographique, par exemple, l'oppose au ' A , l'on accde par le ; au , par la (37).

    Dans le prologue du , Alcmon de Crotone adressait son propos trois pythagoriciens ; il leur apprenait que les dieux seuls ont le privilge de la (38), c'est--dire de la vision totale, celle-l mme que seuls les vrais philosophes peuvent atteindre et qui est, dans la pense mythique dont le Phdre se fait l'cho, la vision du '. Telle est l'importance d"A- , dont Philolaos dclarait qu'elle tait consubstantielle la gense du nombre (39), ce qui n'tonne pas dans la pense d'un Pythagoricien, o l'importance majeure de la notion de mmoire justifiait amplement une place centrale pour '.

    Ces rflexions n'ont d'autre ambition que de marquer le passage d'une pense mythique une pense rationnelle , propos d'une notion dont l'importance philosophique exige que nulle lumire ne soit voile si elle peut clairer sa prhistoire. Si notre hypothse mrite quelque crdit, elle aura russi consolider la relation d'oCki]- et de (40) et marquer sa valeur dans la pense mythique. Mais il reste un problme majeur, et ce peut tre le point de dpart d'une recherche sur la notion d"A chez les Prsocratiques : l'tude des mcanismes qui ont dtermin la mutation de ' mythique en la desse du Trait sur la Nature et aussi en ce morphme de la langue quotidienne, , qui dj chez Homre s'oppose (41).

    Marcel Dtienne.

    (37) Dmocrite, A 113 Diels ap. Philopon, De Anima, p. 71, 29. (38) Alcmon de Crotone, ap. Diels, FVS7, I, p. 214, 23 sqq. Kpo-

    " , , - .

    (39) Philolaos ap. Diels, FVS7, I, p. 412, 13 sqq. : ' .

    (40) Cf. Etymologicum magnum, p. 62, 51 - ' .

    (41) Ces pages taient rdiges avant que nous ayons pu prendre connaissance de l'ouvrage de W. Luther, Wahrheit und Luge im ltesten Griechentum, Leipzig, 1935. Mais nous reviendrons ailleurs et trs bientt sur ce problme.

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