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MASTER 2 DROIT DES AFFAIRES ET DES CONTRATS
L’interdépendance
contractuelle
Charline Mathé
2013-2014
Mémoire dirigé sous la direction de Madame Sandrine Chassagnard-Pinet
2
SOMMAIRE
PREMIERE PARTIE
LA DEMONSTRATION DE L’INTERDEPENDANCE
CONTRACTUELLE
TITRE I – NOTION ET RECEPTION DE L’INTERDEPENDANCE
CONTRACTUELLE
Chapitre I – La réception de la notion d’interdépendance contractuelle
Section 1 : La réception de la notion d’interdépendance par le législateur
Sous-section 1 : Le contrat de crédit mobilier à la consommation
Sous-section 2 : Le contrat de crédit immobilier à la consommation
Section 2 : La réception de la notion d’interdépendance par la jurisprudence
Sous-section 1 : Les opérations comportant un contrat de location financière
§1 : Le contrat de diffusion d’images publicitaires
§2 : Le financement d’une cession de fonds de commerce
§3 : Le cas particulier du contrat de crédit-bail
Sous-section 2 : Les manifestations jurisprudentielles en dehors de la location
financière
§1 : L’opération portant sur la réalisation d’un logiciel informatique
§2 : Le contrat d’exploitation d’un vidéoclub
§3 : Le contrat d’administration commerciale
§4 : Le double contrat d’édition
3
Chapitre II – La notion d’interdépendance contractuelle
Section 1 : L’absence de définition légale
Section 2 : Une notion dualiste
Sous-section 1 : L’interdépendance, objective ou subjective
Sous-section 2 : Le mouvement d’objectivisation de l’interdépendance
TITRE II : LES FONDEMENTS JURIDIQUES DE L’INTERDEPENDANCE
Chapitre I : Le recours à des fondements « classiques »
Section 1 : Le recours à la condition
Section 2 : Le recours à la notion de cause
Chapitre II : L’économie générale, entre indice et source d’interdépendance
Section 1 : L’économie générale, un instrument de l’interdépendance en l’absence de
volonté explicite
Section 2 : L’économie générale, un instrument de l’interdépendance en cas de volonté
contradictoire
4
DEUXIEME PARTIE
LA MISE EN ŒUVRE DE L’INTERDEPENDANCE
CONTRACTUELLE
TITRE I : LES CONSEQUENCES DE L’INTERDEPENDANCE CONTRACTUELLE
Chapitre I : les effets de l’interdépendance sur les parties et sur l’ensemble contractuel
Section 1 : les effets sur les parties
Sous- section 1 : La charge de la répartition des risques
Sous-section 2 : L’action des parties
§1 : Action en inexécution contractuelle
§2 : Action en réparation
Section 2 : Les effets sur l’ensemble contractuel
Sous-section 1 : Les effets salvateurs de l’interdépendance contractuelle
Sous-section 2 : Les effets destructeurs de l’interdépendance contractuelle
Chapitre II : La sanction de l’interdépendance
Section 1 : les sanctions ayant un effet rétroactif
Sous-section 1 : Les notions de nullité et de résolution
§1 : Les causes de l’annulation et de la résolution
§2 : La question des restitutions et indemnités percevables
5
Sous-section 2 : Application jurisprudentielle de la nullité ou de la résolution en cas
d’interdépendance contractuelle
§1 : La nullité, une sanction adaptée à l’interdépendance mais rare en
pratique
§2 : La résolution, une sanction inadaptée à l’interdépendance
Section 2 : La disparition des contrats de l’ensemble pour l’avenir
Sous-section 1 : La résiliation
§1 : La notion de résiliation
§2 : La résiliation, une sanction inadaptée à l’interdépendance
contractuelle
Sous-section 2 : la caducité
§1 : Les contours séduisants de la caducité
§2 : Les contours incertains de la notion, une sanction aux définitions
multiples
TITRE II : LA MISE EN ŒUVRE DE L’INTERDEPENDANCE FACE AUX
PRINCIPES CLASSIQUES DU DROIT COMMUN DES CONTRATS
Chapitre I : L’interdépendance contractuelle face à la théorie de l’effet relatif
Section 1 : Le principe de l’effet relatif
Section 2 : L’articulation de l’interdépendance avec la théorie de l’effet relatif
Chapitre II : L’interdépendance contractuelle et la prévision juridique
Section 1 : La théorie de l’imprévision
6
Section 2 : Le remède à la l’imprévision: la connaissance par les parties de l’opération
globale
7
« Le culte de l’ensemble parait dominer le XX siècle vieillissant ».1 Criant de vérité,
ces quelques mots de J.-M. Mousseron mettent en exergue un droit teinté de dispositions
désuètes, parfois laconiques, que le droit prétorien peine à enrichir. Notre Code civil et la
jurisprudence sont en décalage. La notion d’interdépendance contractuelle fait partie de la
longue liste des notions délaissées par le législateur, mais pourtant tant usitées par les acteurs
du droit. L’interdépendance contractuelle, qui ne s’exerce qu’à travers la notion d’ensemble,
domine un siècle2 marqué par un droit des contrats qui n’a que peu changé depuis 1804.
Cette notion semble pourtant connaitre un tournant décisif depuis ces dix dernières années.
Bien que la réforme du droit des contrats débute avec difficultés,3 le droit prospectif promet
une place « de premier choix »4 à l’interdépendance contractuelle. Ainsi pouvait-on découvrir
dans l’avant projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription élaboré en
2005 un paragraphe 5 intitulé « De l’effet des contrats interdépendants ». Quatre articles
furent consacrés à cette notion jusqu’alors prétorienne.5 De cet avant projet naquît celui de la
chancellerie. à la fin de l’année 2008 la chancellerie établit un projet de réforme dont l’article
13 définissait l’interdépendance contractuelle.6 L’avant projet Terré, élaboré sous l’égide de
l’Académie des sciences morales et politiques, accordait lui aussi une place à
l’interdépendance.7 Enfin, le 23 octobre 2013, le gouvernement proposait un ultime avant-
projet de réforme du droit des obligations.8 Sa divulgation partielle
9 ne nous permet pas de
1 J.-M. MOUSSERON, préface de la thèse de B. TEYSSIE, Les groupes de contrats, L.G.D.J, Bibliothèque
de droit privé, 1975, t. 139 2 Un XXIème siècle dirions-nous 3 Le gouvernement a déposé un projet de loi en vue d’être habilité à réformer le droit des obligations par
ordonnance. Le Sénat s’y est opposé à plusieurs reprises estimant que, au regard de son importance, la
réforme ne pouvait être réalisée que par voie parlementaire. Le 16 avril 2014, l’Assemblée nationale a
renvoyé l’ensemble du projet de loi d’habilitation à une Commission mixte paritaire. Cette dernière a
conclu le 13 mai 2014 à un désaccord sur l’article 3. Le projet est donc renvoyé pour nouvelle lecture
devant les deux chambres. Il est actuellement en discussion, il verra cependant le jour puisque le dernier
mot sera donné à l’Assemblée nationale qui est favorable. 4 Le projet de réforme du droit des contrats de 2008 consacre la notion d’interdépendance contractuelle et
l’insère dans le Code civil 5 Article 1172 à 1172-3 de l’avant projet de réforme du droit des obligations et de la prescription présenté
au garde des sceaux en 2005 et élaboré sous la direction de P. CATALA 6 Article 13 du projet de réforme du droit des contrats déposé par le gouvernement en 2008, il mentionne
que « sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs dont l’exécution est nécessaire à la
réalisation de l’opération d’ensemble à laquelle ils appartiennent » 7 F. TERRE, Pour une réforme du régime général des obligations, Dalloz, 2013 8 Avant –projet de réforme du droit des obligations du 23 octobre 2013. Cet avant projet est disponible sur
le site : http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/document/0203242436733-document-avant-
projet-de-reforme-du-droit-des-contrats-643031.php. 9 Son contenu à été dévoilé par le site les échos, cependant les pages 4 et 5 sont manquantes et restent
encore aujourd’hui introuvables. Si cet avant projet se différencie des travaux précédents notamment sur
la notion de cause qu’il ne nomme non plus « intérêt » mais « contenu », il n’en reste pas moins que celui-
ci est largement imprégné par ces derniers travaux.
8
connaitre avec certitude l’intention du gouvernement.10
Néanmoins, l’article 94, relatif à la
caducité, indique que « Le contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments
constitutifs disparaît. Il en va de même lorsque vient à faire défaut un élément extérieur au
contrat mais nécessaire à son efficacité. Il en va encore ainsi lorsque des contrats ont été
conclus en vue d’une opération d’ensemble et que la disparition de l’un d’eux rend
impossible ou sans intérêt l’exécution d’un autre […]. »11
Alors comment expliquer ce regain d’intérêt pour une notion qui a toujours dû s’astreindre à
un rôle effacé ? La notion d’interdépendance contractuelle est relativement récente. Un retour
en arrière est donc nécessaire pour cerner les enjeux et les difficultés qui lui sont attachés. Il
nous conduit inévitablement au célèbre ouvrage de Dumoulin : « Extricatio labyrinthi dividui
et individui ».12
L’auteur y dénonce, alors même que la notion « d’ensemble contractuel » n’a
pas encore vu le jour, toutes les difficultés présentes et à venir, « dans l’immense océan du
droit, il n’y a pas de mer plus profonde et plus périlleuse que la théorie de la divisibilité et de
l’indivisibilité ».13
Avait-il raison ? Convenons d’une part, qu’il serait fort déplacé de remettre
en cause les paroles de cet éminent juriste et dressons un constat simple : quatre siècles plus
tard, cette notion révèle toujours de nombreuses difficultés tant dans sa définition, sa
démonstration, son application que dans ses effets. L’auteur vise « la divisibilité » et
« l’indivisibilité ». Ces notions sont inévitablement liées à l’interdépendance contractuelle qui
prend parfois le nom « d’indivisibilité des obligations ». Conçue tout d’abord pour répondre
aux enjeux de l’obligation plurale présentant plusieurs créanciers ou débiteurs, l’indivisibilité
a, par la suite, visé le lien unissant plusieurs obligations issues d’un même contrat.
L’exécution partielle d’une obligation indivisible devient impossible, « on passe ainsi
subrepticement de l’indivisibilité de l’obligation à un véritable lien d’indivisibilité entre deux
éléments ».14
L’indivisibilité a cependant connu un second envol avec le développement des ensembles
contractuels, notion connue, elle aussi, depuis quelques années mais utilisée dans un
10 Néanmoins, les motifs principaux sont connus par tout un chacun. Compétitivité, attractivité et
accessibilité sont les maîtres mots de cette réforme. 11 C’est nous qui soulignons 12 Ch. DUMOULIN, Extricatio labyrinthi dividui et individui, 1658, t. IV, n° 289 cité par S. BROS,
L’interdépendance contractuelle, Thèse Paris II, 2001 13 Idem 14 J.-B. SEUBE, L’indivisibilité et les actes juridiques, Litec, 1999, n°15
9
contentieux jusqu’alors très isolé.15
Il ne faut plus la circonscrire aux « simples obligations »
mais au contrat tout entier. En effet, la notion d’interdépendance ou d’indivisibilité va de
paire avec l’ensemble contractuel. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer au propos tenus
par la Professeur S. Amrani Mekki « l’indivisibilité joue un rôle essentiel tant pour
l’admission d’ensemble contractuel que pour les conséquences qu’il peut emporter ».16
Les montages contractuels qualifiés d’ensembles répondent à une réalité économique de plus
en plus complexe. La vision parcellaire du contrat – celle du Code de 1804 – semble n’être
aujourd’hui qu’une fiction ou tout du moins, qu’un modèle. Le contrat a toujours été présenté
comme un accord de volontés entre plusieurs parties. Il comprend une cause, ce pourquoi les
parties se sont engagées, ainsi qu’un objet – le contenu de leurs obligations.
Or, la notion d’indivisibilité ne peut s’appréhender que face à une pluralité d’éléments. Si le
contrat est « un »,17
il renferme plusieurs obligations. C’est l’indivisibilité de ces obligations
qui a donc, dans un premier temps, été prise en compte par le législateur.
Mais voilà qu’aujourd’hui apparait une nouvelle vision du contrat, plus complexe. Le mot
« contrat » serait même dépassé, l’intitulé « ensemble contractuel », quant à lui, préféré. Ces
ensembles répondent à une réalité économique, certes, mais leur origine émanerait de ce qui
pourrait être dénommé « l’imagination contractuelle ». Cette imagination n’a de limites que
dans le respect des bonnes mœurs et de l’ordre public. A l’heure où la liberté contractuelle a
été reconnue comme droit constitutionnel,18
la logique voudrait que ces ensembles se
multiplient, que les montages contractuels, qu’ils soient ingénieux ou inutiles, se développent.
Le temps du contrat unitaire et hermétique est révolu, il faut faire place à un contrat plural, à
un ensemble dont les composants sont susceptibles d’interagir les uns avec les autres.
Le contrat plural serait matérialisé par un « ensemble contractuel ». Cet ensemble se présente
verticalement ou horizontalement. Verticalement il annonce une chaîne de contrats,
horizontalement il fait référence à un groupe de contrats. Le groupe de contrats ou encore
15 La notion d’ensemble contractuel et d’indivisibilité entre contrats à d’abord été utilisée dans le
contentieux des donations déguisées : Cass. req. 11 mars 1862, D, 1892, I, 277 16 S. AMRANI MEKKI, « Invisibilité et ensemble contractuels : l’anéantissement en cascade des contrats »,
Defrénois, 2002, art 37505 17 Comprendre une unité 18 Voir Conseil constitutionnel, 10 juin 1998, n° 98-401DC; 19 décembre 2000, n° 2000-437 DC ; 17
janvier 2013, n°2012-660 DC
10
contrat complexe est un contrat présentant une pluralité d’objets. Il diffère ainsi de « la chaine
de contrats », qui présente un objet unique. Dans un groupe de contrats, les contrats sont liés
et « s’organisent à propos d’une même chose, autour d’une même prestation essentielle »,19
les contrats sont liés par une « cause »20
commune et coordonnés par un personnage central.
Au contraire, la chaîne de contrats est une succession de contrats sans qu’aucune des parties
en présence « ne cherchent à atteindre un résultat global grâce à la combinaison de plusieurs
contrats ».21
Alors que la notion de groupe de contrats est une conjonction de contrats, la
chaine de contrats est une succession de contrats. Cette première approche permet de mettre
en évidence qu’un simple lien entre plusieurs contrats n’est pas suffisant pour caractériser une
interdépendance. Ainsi la notion d’interdépendance contractuelle permet de préciser la nature
du lien qui s’inscrit entre plusieurs contrats.
Les notions sont différentes, à chacune d’elles leurs effets. La chaine de contrats permet
principalement d’appréhender la responsabilité des différents intervenants, tandis que le
groupe de contrat répond à la question du sort des différents contrats appartenant au groupe.
Cependant, la pluralité des acteurs de l’obligation n’est pas une problématique dist incte de
l’interdépendance contractuelle, puisque l’interdépendance a vocation à déployer ses effets
sur le droit d’action des intervenants à l’ensemble.
L’interdépendance de certains contrats ne fait aujourd’hui plus aucun doute. Et pour cause, le
législateur l’ayant lui-même consacrée.22
L’origine de cette consécration ne s’explique pas
tant par la prise en compte d’une réalité juridique, mais essentiellement par la protection
d’une partie : le consommateur. C’est donc par le droit de la consommation que la notion
d’interdépendance a été réceptionnée par le législateur. Mais que dire des autres ensembles
contractuels ? Leur nombre ne cesse de s’accroitre. La réponse est donnée au fil du
contentieux par la jurisprudence. Celle-ci contribue depuis une vingtaine d’années à alimenter
le débat autour de la notion d’ensembles contractuels et d’interdépendance. Le travail
fastidieux des juges qui relevaient chaque indice pour tantôt réfuter, tantôt apprécier
l’interdépendance contractuelle, laisse place à une démonstration juridique de plus en plus
19 TEYSSIE B., Les groupes de contrats, L.G.D.J., 1975, Bibliothèque de droit privé, t. 139, préface J.-M.
MOUSSERON 20 Au sens commun 21 S. PELLE., La notion d’interdépendance contractuelle, Dalloz, 2007, Nouvelle Bibliothèque de Thèses,
préface J. FOYER, M.-L. DEMEESTER 22 Sont ici visés les ensembles contractuels relatifs au crédit mobilier à la consommation encadrés par les
articles L 311-20 et s. du Code de la consommation, issus de la loi SCRIVENER I du 10 janv. 1978
11
épurée – peut être « trop épurée ». La construction d’un nouveau droit commun des contrats
semble être en marche.
L’interdépendance contractuelle n’est définie par aucun dictionnaire juridique. De toute
évidence, l’article 13 du projet de réforme du droit des contrats proposé par le gouvernement
manque de précision. Il ne gagnerait pas nécessairement à être précisé, puisqu’il en retire le
gain de la souplesse. Cet article nous indique que « Sont interdépendants les contrats
concomitants ou successifs dont l’exécution est nécessaire à la réalisation de l’opération
d’ensemble à laquelle ils appartiennent ».23
A « ensemble contractuel » est préféré
« opération d’ensemble ». L’appartenance des contrats à une opération d’ensemble est une
condition préalable à l’existence de l’interdépendance contractuelle entre eux ; mais elle n’est
pas suffisante. Il faut que l’exécution de ces contrats soit nécessaire à la réalisation de
l’opération d’ensemble, peu important leur caractère concomitant ou successif. Cette dernière
précision tient au fait que la jurisprudence tirait jusqu’à présent de la concomitance des
contrats un indice d’interdépendance.24
La date de conclusion des contrats ne serait donc plus
un facteur déterminant de l’interdépendance. Mais alors, comment démontrer que l’exécution
de contrats appartenant à une même opération soit nécessaire à sa réalisation ?
Le sujet de ce mémoire ne consistera pas à relever tous les cas d’interdépendance connus.
Cette démarche serait extrêmement laborieuse et sans intérêt certain. L’idée est de retracer le
raisonnement juridique établi par le législateur et les juges pour démontrer l’interdépendance
juridique entre plusieurs contrats issus d’un même ensemble. L'accent sera alors mis sur les
notions de cause, d'économie générale du contrat ou encore sur l'imputation des risques sur les
parties. Sera inévitablement analysée en filigrane, l'évolution de la place laissée à la volonté
des parties dans le choix, ou non, de cette interdépendance.
Au-delà de la stricte démonstration, la notion d’interdépendance peine à être mise en œuvre.
L’interdépendance contractuelle instaure un lien entre les contrats. Cette imbrication décuple
les effets de chacun des contrats participant à l’ensemble. Ils vont se propager à l’intérieur de
l’opération globale entrainant dans certains cas, la survie de l’ensemble, dans d’autres, sa
23 Projet de réforme de 2008, op. cit. n°4 24
Sur ce point, il convient de préciser que depuis les arrêts du 17 mai 2013 (Cass., Ch. mixte, 17 mai 2013,
n° 11-22.768 et n° 11-22.927), la Cour de cassation ne fait plus de la concomitance un des facteurs
principaux de l’interdépendance. Cependant ces arrêts sont intervenus après le projet de réforme et tout
laisse à penser que le droit prétorien s’est aligné sur le droit prospectif
12
suspension et dans la majorité, sa disparition. Ces effets sont nombreux et interviennent tant
au stade de la formation qu’au stade de l’exécution du contrat.
Bien plus destructeurs que salvateurs, les effets de l’interdépendance devraient pouvoir être
connus des parties. La connaissance et l’acceptation de l’opération d’ensemble par chacun des
intervenants est un des enjeux du droit prospectif. En effet, la mise en œuvre de
l’interdépendance révèle des difficultés et bouleverse nos acquis civilistes. Il est vrai que
l’anéantissement en chaine des contrats – principal effet de l’interdépendance contractuelle -
semble poser des difficultés, eu égard à l’effet relatif des contrats ou encore, au rejet de la
théorie de l’imprévision par le droit positif. Ce travail nous conduit à examiner la
démonstration de l’interdépendance contractuelle (Partie I) et étudier la mise en œuvre de
l’interdépendance contractuelle (Partie II).
13
PREMIERE PARTIE
LA DEMONSTRATION DE L’INTERDEPENDANCE
CONTRACTUELLE
14
TITRE I – LA MANIFESTATION DE L’INTERDEPENDANCE
CONTRACTUELLE
La manifestation de l’interdépendance contractuelle est d’une ampleur considérable.
Les hypothèses sont multiples, aussi le législateur et la jurisprudence sont intervenus pour
réceptionner cette notion et l’insérer dans notre système juridique. Cependant, l’intervention
du législateur ne reste que très partielle. Il semble que cette réception incomplète soit à
l’origine des nombreuses difficultés et interrogations quant à la définition même de
l’interdépendance contractuelle. Il convient donc d’analyser la réception légale et
jurisprudentielle de l’interdépendance (Chapitre I : La réception de l’interdépendance),
puis de définir les contours de la notion (Chapitre II : La définition de l’interdépendance).
15
CHAPITRE I : La réception de la notion d’interdépendance
La notion d’interdépendance a été réceptionnée par le législateur (Section 1) mais dans des
cas très précis seulement. Que dire alors des autres ? La jurisprudence va intervenir et
répondre ponctuellement au fil du contentieux (Section 2).
Section 1 : La réception de la notion d’interdépendance par le législateur
La réception du concept d’interdépendance reste en construction. Pour cause, la notion semble
difficilement s’insérer dans la vision civiliste du contrat que nous connaissons actuellement.
Le législateur a cependant eu un vif intérêt pour l’interdépendance, notamment parce qu’elle
offre une protection au consommateur. C’est par le droit de la consommation que la notion a
connue sa première « percée » dans la loi. Cette réception directe de l’interdépendance dans
les textes législatifs témoigne cependant d’un certain paradoxe ; ce n’est que par le biais d’un
droit dérogatoire que la loi accorde à l’interdépendance une place dans le droit positif.
On distingue le contrat de crédit mobilier à la consommation (Sous-section 1) du contrat de
crédit immobilier à la consommation (Sous-section 2).
Sous-section 1 : Le contrat de crédit mobilier à la consommation
Le contrat de crédit mobilier à la consommation est issu de la loi Scrivener I du 10 janvier
1978. Codifiée aux articles L.311-1 et suivants du suivants du Code de la consommation et
modifiée par la loi du 1er
juillet 2010,25
cette loi a pour objet d’assurer l’information et la
protection des consommateurs dans les opérations de crédit mobilier. Les crédits proposés par
les professionnels doivent toutefois être inférieurs à 21 500 euros et destinés à financer une
activité extra-professionnelle.
Cette opération combine un contrat de vente portant sur un meuble et un contrat de prêt
affecté à l’acquisition de ce dernier. Parce que le prêt est affecté à l’acquisition du meuble, le
contrat de vente et le contrat de prêt vont s’imbriquer, l’article L.311-11 du Code de la
consommation utilise le terme « contrat commercial unique ». Cette condition est
primordiale, il faut que tous les participants à chacun des contrats soient au courant de
25 Loi n°2010-737 du 1er juillet 2010
16
l’opération finale. Ainsi, chaque contrat doit comporter une mention relative au crédit
affecté.26
L’interdépendance n’est pas « figée ». Elle naît au stade de la formation du contrat
et perdure tout le long son l’exécution. Ainsi, selon l’article L.311-23 du Code de la
consommation : « Aucun engagement ne peut valablement être contracté par l’acheteur à
l’égard du vendeur tant qu’il n’a pas accepté l’offre préalable du prêteur. Lorsque cette
condition n’est pas remplie, le vendeur ne peut recevoir aucun paiement ». L’offre du prêteur
devient une condition de validité du contrat de vente. L’article L.311-20 dispose que « les
obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de la livraison du bien ou de la
fourniture de la prestation ». On constate par ces deux textes que d’une part,
l’interdépendance est effectivement continue dans le temps et que, d’autre part, elle ne profite
réellement qu’au seul consommateur. Parce qu’il revêt la double casquette
emprunteur/acheteur, le consommateur lorsqu’il contracte un contrat de crédit mobilier à la
consommation doit être protégé au-delà des dispositions de protection dites « classiques » du
droit de la consommation.
Ces dispositions trouvent un semblant d’équivalent en matière de crédit immobilier à la
consommation.
Sous-section 2 : Le contrat de crédit immobilier à la consommation
C’est par le biais de la loi Scrivener II du 13 juillet 1979, dont l’objet était d’assurer
l’information et la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, que les articles L.
312-1 et suivants du Code de la consommation ont été codifiés. Ces dispositions instaurent
un cadre pour les opérations de crédit immobilier à la consommation. Ces opérations sont
d’une autre envergure que les contrats de crédit mobilier à la consommation. Deux
raisons expliquent cette différence. Le contrat de crédit immobilier à la consommation porte
sur une opération économiquement plus importante que le contrat de crédit mobilier à la
consommation. L’autre raison n’est qu’une conséquence de la première. Alors que le contrat
de crédit mobilier est fortement déconseillé, le contrat de crédit en vue d’acquérir un bien
immobilier est quant à lui indispensable. Les revenus moyens et même élevés devront eux
aussi souscrire un prêt pour acquérir leur maison.
26 Y.PICOD, H. DAVO, Droit de la consommation, Sirey, 2ème éd., 2010
17
Les dispositions de la loi Scrivener II concernent les prêts affectés à l’acquisition, la
réparation ou encore la construction d’immeuble à usage d’habitation d’une valeur supérieure
à 21 500 euros. A première lecture, nous retrouvons les traces d’une interdépendance, mais
dont les effets seraient limités au stade de la formation.
L’article L.312-12 du Code de la consommation indique que « L’offre est toujours acceptée
sous la condition résolutoire de la non-conclusion dans un délai de quatre mois à compter de
son acceptation, du contrat pour lequel le prêt est demandé ». Autrement dit, si le contrat de
vente n’est pas conclu dans un délai de 4 mois suivant le contrat de prêt, le contrat de prêt
n’est pas considéré comme accepté. La notion de prêt affecté est encore présente puisqu’il est
question du sort du contrat pour « lequel le prêt est demandé ». Toujours au stade de la
formation, nous trouvons une autre disposition : l’article L.312-16 que le contrat de vente
« est conclu sous la condition suspensive de l’obtention du ou des prêts qui en assurent le
financement ». Le législateur instaure une opération formée par plusieurs contrats dont chacun
constituerait la condition de l’autre. Que l’on y voit une condition, une interdépendance ou
encore une interdépendance dont la source est une condition, ces dispositions permettant de
protéger le consommateur. Elles sont efficaces mais insuffisantes : si le contrat de vente vient
à être résolu, le contrat de prêt à vocation à perdurer. Face à cette protection succincte, la
jurisprudence est venue compléter les textes d’un législateur trop réservé.27
Ainsi, la première
chambre civile, dans un arrêt du 16 décembre 1992, admet que la résolution du contrat de
vente entraine de plein droit celle du contrat de prêt. Si l’on comprend l’intérêt protecteur de
cette décision, il est judicieux de s’interroger sur l’aspect technique de l’arrêt. Il y aurait un
lien fort entre les contrats de prêt et de vente au moment de la formation de l’opération de
crédit immobilier à la consommation. Chacun des contrats est, selon les articles L.312-12 et -
16, une condition de l’autre. Dès lors, si en cours d’exécution l’un vient à être annulé ou
résolu, la rétroactivité attachée à cette sanction rejaillit et efface le contrat pour l’avenir, mais
aussi pour ses effets antérieurs à sa résolution. Le contrat de vente est réputé n’avoir jamais
existé. Or, conformément à l’article L.312-12 du Code de la consommation, la conclusion du
contrat de vente est nécessaire pour que l’offre du contrat de prêt soit réputée acceptée. S’il
n’y a pas de contrat de vente il n’y a donc jamais eu d’acceptation au contrat de prêt. Mais
l’inverse est-il aussi vrai ? L’interprétation extensive de l’article L.312-12 du Code de la
consommation opérée par la jurisprudence peut-elle être transposée à l’article L.312-16 ? La
27 Nous pouvons citer les arrêts suivants : Cass.civ. 1ère, 16 décembre 1992, n° 90-18151, Bull. civ. I,
n°316 ; 1er décembre 1993, n° 91-20539, Bull. civ. I, n°355, 13 février 1996, n° 93-20894, Bull. civ. I,
n°82 ; 7 juillet 1998, n° 96-15098, Bull. civ. I, n°242 ; 10 mai 2005, n° 02-11759, Bull. civ. I, n° 205.
18
notion même d’interdépendance veut que des interférences naissent et partent indifféremment
d’un contrat à un autre. Ainsi, si l’annulation du contrat de vente crée un effet destructeur sur
le contrat de prêt, il serait logique et attendu que l’annulation du contrat de prêt produise des
effets destructeurs similaires sur le contrat de vente. Chaque élément doit être réciproquement
dépendant, sans quoi nous ne pourrions parler de véritable interdépendance. Il semblerait
donc que le contrat de prêt et le contrat de vente du bien immobilier soient liés sans pour
autant être interdépendants.
Chaque élément, participant à l’opération globale, doit être réciproquement dépendant. Or, le
contrat de crédit immobilier à la consommation est nécessairement accompagné d’un contrat
d’assurance, dit « assurance emprunteur ». Généralement, le consommateur va adhérer à un
contrat d’assurance sur la proposition du prêteur. Ce n’est qu’à la suite de l’adhésion à un
contrat d’assurance déterminé par le prêteur que ce dernier accepte de libérer les fonds. Ainsi,
le contrat de vente dépend du contrat de prêt qui lui-même dépend du contrat d’assurance.
Chacun de ces contrats serait nécessaire à l’opération globale de crédit immobilier à la
consommation. Sans surprise, le législateur tient compte de ce troisième contrat et indique que
« lorsque l’assureur a subordonné sa garantie à l’agrément de la personne de l’assuré et que
cet agrément n’est pas donné, le contrat de prêt est résolu de plein droit à la demande de
l’emprunteur sans frais ni pénalité d’aucune sorte »28
. Cependant, si le contrat de prêt est
résolu ou annulé, sa résolution ne devrait pas entrainer l’anéantissement du contrat de vente.
En effet, l’article L312-16 n’a pas nécessairement vocation à jouer puisque, comme il a été
évoqué précédemment, la jurisprudence n’interprète pas de façon extensive cet article.
Cependant, le contrat de prêt pourrait être annulé ou résolu avant l’expiration du délai de la
condition suspensive d’obtention du prêt défini par l’article L312-16 du Code de la
consommation. Si tel est le cas, alors le contrat de vente ne sera pas conclu. Mais le jeu des
articles L.312-9 et L.312-16 du Code de la consommation restreint quelque peu cette
hypothèse. En effet, conformément à l’article L.312-9 du Code de la consommation,
l’emprunteur dispose d’un délai d’un mois, à compter de la notification du refus d’agrément,
pour présenter sa demande en résolution de prêt. Or, selon l’article L.312-16 du même Code,
le contrat de crédit de consommation immobilière est conclu sous la condition suspensive
d’obtention du prêt qui en assure le financement dans un délai d’un mois au minimum à
compter de la signature de l’acte de vente immobilière ou de son enregistrement. Le risque est
28 Article L.312-9 3° du Code de la consommation
19
donc présent. La notification du refus d’agrément et – par conséquent – la demande en
résolution du prêt pourrait se faire après l’expiration du délai de la condition suspensive. Le
contrat de prêt sera alors résolu mais n’entrainera pas la résolution de la vente. Cette
hypothèse ne se pose que très rarement et tout laisse à croire que face à une telle espèce, la
jurisprudence aurait une approche de l’article L.312-16 du Code de la consommation
identique à celle de L.312-12. Le défaut d’agrément entrainerait la résolution du prêt,
résolution dont l’effet rétroactif empêcherait de considérer que la condition suspensive visée
par l’article L.312-16 ait pu être réalisée, tout comme la vente. Mais ni la jurisprudence, ni le
législateur ne l’affirme ; seule une lecture souple de l’article L.312-16 permettrait de parler de
véritable interdépendance en matière de contrat de consommation immobilière. Notons que
dans un arrêt du 6 janvier 1998, la Cour de cassation a refusé de déclarer interdépendants les
contrats de prêt et de vente motif pris que les acheteurs « avaient conservé la disposition de la
somme prêtée après restitution par le vendeur en conséquence de la résolution de la vente, en
disposant des fonds ainsi reçus à des fins autres que le remboursement de la banque, et […]
que celle-ci n'avait pas été attraite par eux à l'instance relative à cette résolution du contrat
de vente ».29 Cependant, dans la majorité de ces décisions la Cour applique l’article L312-12
du Code de la consommation sans se référer à « l’interdépendance contractuelle des
convention ».30
L’opération de crédit immobilier à la consommation peut aussi prendre la forme du contrat de
vente d’immeuble à construire prévue par le Code de la construction et de l’habitation. Une
promesse unilatérale de vente avec faculté de dédit est conclue. Cet avant contrat prévoit la
réservation de l’immeuble à un futur acheteur en contrepartie d’un dépôt de garantie.31
Un
contrat de prêt doit lui aussi être conclu en vue du financement de l’immeuble. Le futur
acheteur va conclure un contrat de prêt avant la vente définitive de l’immeuble. Il dispose
donc d’une réservation tout en étant assuré de ne pas être prisonnier de la vente s’il n’obtient
pas son prêt. Toujours est-il qu’il a, pour le besoin de la réservation, versé un dépôt de
garantie. Si le prêt n’est pas obtenu, il souhaitera nécessairement récupérer cette somme. Il
pourra effectivement se prévaloir de la non-conclusion du contrat de prêt pour récupérer son
29 Cass. civ. 1er, 6 janvier 1998, n° 95-21205, Bull. civ. I, n°6 30 Cass. civ. 1er, 7 juillet 1998, n° 96-15098, Bull. civ. I, n°242, Rev. Lamy dr.aff. 1998, n°8, p. 23, obs.
STORRER P ; Cass. civ. 1ere, 16 décembre 1992, n° 90-18151, Bull. civ. I, n° 316 ; Cass. civ. 1ere, 1er
décembre 1993, n° 91-20539, Bull. civ. I, n° 355 ; Cass. civ. 1ere, 13 février 1996, n° 93-20894, Bull. civ.
I, n° 82 31 Article L.261-15 al 1 du Code de la construction et de l’habitation : « La vente prévue à l'article L. 261-
10 peut être précédée d'un contrat préliminaire par lequel, en contrepartie d'un dépôt de garantie
effectué à un compte spécial, le vendeur s'engage à réserver à un acheteur un immeuble ou une partie
d'immeuble »
20
dépôt de garantie puisque l’article L.261-15 du Code de la construction et de l’habitation
indique que les fonds déposés en garantie seront restitués au réservataire dans un délai de trois
mois si la condition suspensive visée par l’article L.312-16 du Code de la consommation n’est
pas réalisée.
C’est donc par le droit de la consommation que la notion d’interdépendance a été
réceptionnée par la loi. Les cas cités sont circonscrits au droit de la consommation mobilière.
Chaque fois que le montant sera supérieur à 21 500 euros, les dispositions protectrices du
Code de la consommation ne s’appliqueront pas. Parce que l’interdépendance est sans lien
avec la valeur du bien acheté ni même avec la qualité des parties, la jurisprudence va
intervenir pour régler des questions similaires face à des montages contractuels différents ou
de même nature, sans pour autant remplir les conditions des lois Scrivener I et II.
Si la notion n’est que timidement réceptionnée par le législateur – soit parce qu’elle ne
s’applique que dans des cas restreints, soit parce que celui-ci a laissé quelques zones d’ombres
sur le prisme de l’indivisibilité (comme l’illustrent les articles L.312-12 et L.316-12 du Code
de la consommation) – la jurisprudence va intervenir massivement pour régler ces questions.
Section 2 : La réception de la notion d’interdépendance par la jurisprudence
Les illustrations jurisprudentielles sont nombreuses et diversifiées. Principalement intervenus
dans le contentieux comportant un contrat de location financière (Sous-section 1), les juges
ont aussi tiré les conséquences du phénomène d’interdépendance dans des situations
différentes (Sous-section 2).
Sous-section 1 : Les opérations comportant un contrat de location financière
§1 : Le contrat de diffusion d’images publicitaires.
Les exemples jurisprudentiels en la matière sont nombreux. Parmi les plus connus, on
retrouve l’arrêt Sedri rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation du 4 avril
1995.32
32 Cass. com., 4 avril 1995, n° 93-15671, Bull. civ. IV, n°116
21
Le contrat de diffusion d’images publicitaires se scinde nécessairement en deux contrats. En
effet, le commerçant doit adhérer à un réseau télématique pour pouvoir diffuser des images
publicitaires. Cependant, ne disposant pas du matériel adapté pour diffuser les images, ce
dernier va passer, au-delà du contrat d’accès réseau, un contrat de location financière. Dans le
contexte précis de l’opération de diffusion publicitaire, les deux contrats apparaissent
complémentaires pour le commerçant. La plupart du temps, il contracte ces conventions
auprès d’une seule et même entité, une société d’exploitation de réseau télématique. La
société est à la fois co-contractante du commerçant mais forme aussi l’intermédiaire entre le
commerçant et le bailleur. Elle organise un « processus de collaboration » avec le bailleur
dont elle peut devenir le mandataire. A ce stade, trois indices participent à la démonstration de
l’interdépendance : la complémentarité des deux contrats pour le commerçant, un
intermédiaire unique qui contracte en son nom pour son propre compte, mais aussi pour le
nom d’une autre partie et enfin une concordance entre le point de départ de chaque contrat
puisque conclus le même jour. Parfois même, le commerçant perçoit une redevance de la part
de la société d’exploitation qu’il impute sur les loyers que lui demande le bailleur. Face à de
tels indices, la Haute juridiction a considéré que ces deux contrats participaient à la réalisation
d’un résultat global. Dans l’arrêt Sedri, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui « a
fondé sa décision relative à l’indivisibilité des conventions sur la considération de chacune
d’entres elles par les parties comme une condition de l’existence des autres ». S’en suit une
série d’arrêts conservant le même esprit.33
Chaque fois, la Cour reprend chacun de ces
indices : la connexité temporelle, celle de chacun des coûts, l’intermédiaire unique,
l’adéquation entre le matériel loué et le réseau en question. Autant d’indices qui permettaient,
selon elle, de faire tomber l’autonomie de chacun des contrats participant au contrat de
diffusion de réseau publicitaire. Elle va même jusqu’à qualifier d’interdépendantes les
obligations de chacune des parties.34
Ce contentieux est important, tant par ses nombreuses manifestations jurisprudentielles que
par l’intérêt qu’il a suscité au sein de la doctrine. En effet, la Haute juridiction a depuis une
vingtaine d’années posé le principe d’interdépendance contractuelle dans le domaine des
contrats d’images publicitaires, et justifiait sa position en prenant soin de relever chacun des
indices permettant de démontrer légitimement une interdépendance contractuelle.
33 Cass. com. 28 mai 1996, n° 94-11766 ; 16 décembre 1997, n° 95-12244 ; 15 juin 1999, n° 97-12122 ; 5
octobre 1999, n° 97-15170 ; 26 octobre 1999, n° 96-19148; 16 novembre 1999, n°97-14084, n° 97-16338
et n° 97-16993 ; 23 octobre 2001, n°99-11.432 ; 15 février 2000 n°97-19793 34 Cass. Com., 15 octobre 1996, n° 94-18903 : « les contrats ainsi conclus constituaient […] une opération
globale générant des droits et obligations interdépendants ».
22
Une autre manifestation de l’interdépendance contractuelle dans un contrat comportant une
location financière est le contrat permettant de financer une cession de fonds de commerce.
§2 : Le financement d’une cession de fonds de commerce
Voici un autre exemple présentant une opération globale comportant une location financière.
Alors qu’une partie souhaite acquérir un fonds de commerce, celle-ci va avoir besoin d’un
financement. Dans cette hypothèse, un contrat de prêt s’adjoint à un contrat de cession de
fonds de commerce. Si les règles du droit de la consommation règlent les questions
d’imbrication entre un contrat de vente et un contrat de prêt, elles sont inapplicables en
l’espèce. La Cour a donc dû répondre à la question de l’interdépendance de ces contrats en se
rattachant à des mécanismes divers. Dans un arrêt du 1er juillet 1997, la première chambre
civile indique que « les deux actes, de vente et de prêt, qui avaient été passés le même jour
par devant le même notaire étaient intimement liés ». Ce sera au regard de la notion de cause
qu’elle démontrera l’indivisibilité de ces deux contrats. Mais au-delà de la démonstration, qui
sera consacrée dans une autre partie de ce présent mémoire, la Cour de cassation admet donc
l’indivisibilité du contrat de cession de fonds de commerce et du contrat de prêt.
La location financière peut prendre la forme d’un crédit-bail.
§ 3 : Le cas particulier du contrat de crédit-bail
Le contrat de crédit-bail est une « opération de location de biens d’équipement ou de matériel
d’outillage, d’immeuble, de fonds de commerce, de parts sociales ou d’actions, achetés en vue
de la location à un crédit preneur par une entreprise, le crédit-bailleur, et donnant au crédit
preneur la faculté d’acquérir les biens loués ».35
Le crédit bailleur va donc acheter du
matériel à un vendeur en vue de le louer avec promesse unilatérale de vente à un crédit
preneur qui aura la faculté de lever l’option d’achat. Le contrat de crédit-bail est donc un
mécanisme de financement qui suppose pour le crédit bailleur de participer à deux contrats.
Notons par ailleurs que dans les contrats précédemment cités comme le contrat d’image
publicitaire, le contrat de prêt peut prendre la forme d’un crédit-bail. Il en est de même pour
35 Article L. 313-7 du Code monétaire et financier
23
les contrats de consommation immobilière ou mobilière. Dans ce cas les règles du droit de la
consommation auront vocation à s’appliquer et l’interdépendance sera démontrée avec
facilité. En effet, lorsque le contrat de crédit-bail a été conclu par un consommateur, ce
contrat sera de plein droit résolu ou annulé en cas d’annulation ou de résolution du contrat de
vente par le jeu de l’article L. 311-21 du Code de la consommation.
L’hypothèse est cependant différente lorsqu’il s’agit d’un contrat de crédit-bail professionnel.
Le contrat de vente que souscrit le crédit bailleur et le contrat de crédit-bail sont-ils eux aussi
liés ? Sur ce point les avis divergeaient largement. Alors que la première chambre civile
retenait l’indivisibilité des deux contrats au point de déduire de la disparition du contrat de
vente celle du contrat de crédit-bail – la résolution de la vente ayant pour effet « de priver de
cause le contrat de crédit-bail portant sur le bien vendu »36
- la chambre commerciale rejetait
l’hypothèse de l’indivisibilité optant ainsi pour le maintien du contrat de crédit-bail.37
Face à ces oppositions, la chambre mixte va intervenir et estimer que lorsque le contrat de
vente vient à disparaitre, le contrat de crédit-bail doit être résilié « la résolution du contrat de
vente entraîne nécessairement la résiliation du contrat de crédit-bail, sous réserve de
l’application des clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation ».
Les effets de la résiliation seront étudiés dans la partie II du présent mémoire, mais à ce stade
il convient de montrer que la jurisprudence retient l’indivisibilité de ces deux contrats.38
Par la
suite, la chambre commerciale s’est alignée sur la décision de la chambre mixte puisque dans
un arrêt du 15 mars 1994, elle indique que « l’annulation de la vente entraîne nécessairement
la résiliation du crédit-bail ».39
Si l’annulation de la vente entraîne nécessairement la résiliation du crédit-bail, la réciproque
n’est pas vraie. C’est du moins ce que semble admettre la 3ème
chambre civile de la Cour de
cassation dans un arrêt rendu le 17 novembre 2004. Celle-ci retient que « si la résolution ou
l’annulation de la vente des biens donnés en crédit-bail affectait la validité du contrat de
crédit bail, privé de sa cause, l’annulation de ce contrat n’avait pas d’incidence sur le contrat
de vente qui, même s’il constituait un préalable nécessaire à l’exécution du contrat de crédit-
36 Cass. civ., 1ère 3 mars 1982, n°79-17.149, Bull. civ. I, n° 97 ; Cass. 1ère civ., 11 décembre 1985, n°84-
12.253, Bull. civ. I, n°351 37 Cass. com., 15 mars 1983, n°81-14.467, Bull. civ., IV, n°103 38 Cass. ch. mixte, 23 novembre 1990, n° 87-17.044 et n° 88-16.883, Bull. civ. ch. mixte, n° 2 et 3, JCP E
1991, I, n° 111, obs. LEGEAIS D.; D. 1991, p. 121, note LARROUMET Ch. 39 Cass. com., 15 mars 1994, n°92-12.926, Bull. civ., IV, n°109, JCP G 1994, II, n°22339, note F. Labarthe.,
Contrats concurrence consommation 1994, comm. 135, note L. Leveneur
24
bail, était un contrat distinct, conclu avec un tiers et dont la cause résidait dans le paiement
du prix de vente dû à ce tiers, la cour d’appel […] a pu en déduire que la nullité de la vente
ne pouvait résulter de la nullité du contrat de crédit-bail ».40
Peut-on alors raisonnablement
parler d’interdépendance entre le contrat de crédit-bail et le contrat de vente alors que seule
l’annulation du second affecte la validité du premier ?
Chacun des contrats ci-dessus présentés ont un point en commun : la présence d’un contrat de
location financière. Or, par deux arrêts du 17 mai 2013,41
la Cour de cassation va poser, selon
une partie de la doctrine, « un principe objectif » d’interdépendance qu’elle conditionne
toutefois à la présence d’une opération globale dont l’un des contrats constitue une location
financière. La première décision portait sur la conclusion, par deux sociétés, de deux
conventions d’installation d’un ensemble informatique et vidéo avec diffusion de spots
publicitaires. Une convention portait sur l’installation du matériel et avait pour contrepartie
une redevance mensuelle. Un contrat de location du matériel informatique est lui aussi signé.
Une clause d’interdépendance entre le contrat de location et le contrat d’installation avait été
prévue par les parties. La seconde affaire porte sur des faits similaires. En l’espèce une société
avait conclu un contrat de télé-sauvegarde de fichiers auprès d’un premier partenaire. Elle
conclu ensuite un contrat de location comportant une clause d’indépendance avec le contrat de
télé-sauvegarde auprès d’un second partenaire. La distinction qui peut être faite avec la
première espèce est que cette fois-ci, les conventions n’étaient pas conclues auprès du même
partenaire. La Cour de cassation fait abstraction de l’intention des parties de rendre divisible
leur convention. Elle indique que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent
dans une opération incluant une location financière, sont interdépendant ».
Le contentieux des contrats d’images publicitaires, du contrat de crédit-bail ou plus
généralement de tout ensemble contractuel comportant un contrat de prêt ayant pour objet de
financier l’opération sont directement touchés par cette décision. La location financière
devient un critère de l’interdépendance. Les autres indices sont balayés. Notons que cette
position a été réaffirmée plusieurs fois par la chambre commerciale,42
nous pouvons
notamment citer l’arrêt du 14 janvier 201443
ou encore celui du 8 avril 201444
rendu au visa
de l’article 1134 du Code civil. En l’espèce une société de transport avait conclu deux contrats
40 Cass., civ. 3ème, 17 novembre 2004, n° 03-10.622 41 Cass., Ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768 et n° 11-22.927 42 Cass., com., 9 juillet 2013, n°11-14.371 43 Cass,. com., 14 janvier 2014, n°12-20.582 44 Cass., com., 8 avril 2014, n°13-11454
25
de prestations, un contrat de fourniture de système de géo-localisation embarqué et un contrat
de prestations de maintenance. Quelques jours plus tard, la même société concluait auprès
d’un autre partenaire deux contrats de location de longue durée correspondant aux matériels
désignés dans les contrats de prestations. Les contrats de location mentionnaient une clause
selon laquelle ils avaient été conclus « sans maintenance intégrée » et stipulait que « si le
locataire avait recours à un prestataire assurant la maintenance, celle-ci était librement
déterminée avec le prestataire de services qu’il avait choisi, que le locataire faisait son
affaire exclusive de toute action utile à l’égard du prestataire de services pour obtenir
l’exécution de la maintenance sans l’intervention du bailleur et qu’il renonçait à tout recours
contre ce dernier en cas de défaillance quelconque du prestataire de services et s’interdisait
notamment tout refus de paiement des loyers à ce titre ». Cette clause, considérée comme
inconciliable par la haute juridiction fût donc réputée non écrite. Le visa utilisé par les juges
ne saurait passer « inaperçu », tout comme dans la première espèce des arrêts du 17 mai 2013,
il est fait référence à l’article 1134 du Code civil. Cependant, les interrogations tirées de ce
fondement seront développées lors de l’analyse de la démonstration juridique de
l’interdépendance (cf : Partie I, titre II : Les fondements juridiques de
l’interdépendance). Par ces arrêts, le contentieux gravitant autour des opérations incluant une
location financière massivement ponctuée par les contrats d’images publicitaires va
certainement tendre à se restreindre et ce, alors même qu’aucun texte légal ne prévoit
directement cette interdépendance.
La Cour s’est aussi prononcée dans d’autres situations beaucoup plus effacées dans le sillage
jurisprudentiel, mais comportant elles aussi un intérêt certain.
Sous-section 2 : Les manifestations jurisprudentielles en dehors de la location financière
Les manifestations jurisprudentielles de l’interdépendance en dehors de la location financière
sont moins nombreuses. Le contentieux en la matière n’a pas fait l’objet de décisions
identiques à celles qu’a pu rendre la Cour de cassation le 17 mai 2013. Ces décisions sont
donc ponctuelles et portent sur divers montages contractuels comme la réalisation d’un
logiciel informatique. Pour pouvoir réaliser ce logiciel, il convient de solliciter une société
informatique aux fins d’acheter un ordinateur et un logiciel. Une fois le matériel nécessaire
entre nos mains, il faut alors se tourner vers une deuxième société qui programmera un
26
logiciel d’application adéquat. La situation devient complexe si le tout ne fonctionne pas
correctement. Les deux contrats sont-ils interdépendants ? Dans un arrêt du 8 janvier 1991, la
Cour de cassation approuve l’action en résiliation des deux contrats opérée par la société
civile professionnelle qui désirait, tant bien que mal, s’équiper d’un logiciel adapté aux
besoins de son entreprise.45
Le contrat d’exploitation de vidéoclub peut lui aussi être cité au titre des exemples de la
réception de l’interdépendance contractuelle en dehors de la location financière.
Il s’agit ici du triptyque contrat de vente / contrat d’approvisionnement / convention
d’installation. Ce contentieux s’est développé autour d’une affaire portant sur la distribution
au public de DVD et cassettes vidéo. Il est vrai que cette situation semble quelque peu
dépassée aujourd’hui mais l’hypothèse pourrait porter sur un tout autre objet. Un vendeur et
un acheteur concluent un contrat de vente et un contrat d’installation portant sur des
distributeurs de cassettes et DVD. Cependant, l’acheteur ne peut se contenter d’acheter des
distributeurs de DVD sans DVD. Ainsi, lorsqu’il a obtenu son matériel, il va souscrire un
contrat d’approvisionnement en cassettes et DVD auprès d’un fournisseur. Si un des contrats
fait défaut, l’exploitation du vidéoclub semble fortement compromise. Ainsi, par un arrêt du 3
décembre 2002, la Cour d’appel de Toulouse indique que « le contrat d’approvisionnement en
cassettes est indissociable du contrat de vente de matériel, comme d’ailleurs celui relatif à
son installation ». Dès lors, l’interdépendance contractuelle conduit à l’annulation de
l’ensemble lorsque le consentement d’une des parties a été obtenu par des manœuvres
dolosives.46
Autre exemple, le contrat d’administration commerciale. Il se compose parfois d’un contrat de
commercialisation d’un bien et d’un contrat de mandat en vue de procéder à la vente dudit
bien. Ces deux contrats forment tous deux une opération globale, de sorte que le contrat de
vente suppose le « parfait accomplissement de la mission définie par le contrat
d’administration ».47
Enfin, la réception de l’interdépendance contractuelle s’est aussi faite par le biais du contrat
d’édition. C’est par le très célèbre contentieux émanant d’une des chansons de M. Polnareff
45 Cass. com., 8 janvier 1991, n° 89-15439, Bull. civ., IV, n°20 46 CA. Toulouse, 3 décembre 2002, JCP G, 2004, IV, n°1179. 47 Cass. civ. 1ère ., 13 novembre 2003, D., 2004, p. 657, note I. Najjar ; Cass. civ. 1ère, 16 novembre 2004, n°
02-11138
27
que l’imbrication de plusieurs contrats d’édition participant à l’élaboration d’une seule et
même chanson a été retenue. Lorsqu’une chanson suppose la réalisation de deux contrats
d’édition, l’un portant sur l’écriture des paroles, l’autre portant sur la composition de la
chanson. La Cour, dans un arrêt du 3 avril 2001, estime que la résiliation du contrat d’édition
portant sur l’écriture de parole entraine la résiliation de celui portant sur la composition
musicale. On voit ici la percée juridique du phénomène de l’imbrication contractuelle à
travers une chanson, musique et parole constituent deux contrats distincts permettant la
réalisation d’une seule et même opération : une chanson. Si l’un des deux contrats est résilié,
alors la chanson ne pourra pas être réalisée.48
Si le législateur a consacré une réelle interdépendance entre le contrat de vente et le contrat de
consommation mobilière, la réception de l’interdépendance contractuelle reste principalement
prétorienne. La réception de l’interdépendance contractuelle se singularise par son
hétérogénéité. Le législateur semble en retrait, les juges ne réservent pas le même sort aux
ensembles comportant une location financière. Il ne faut pourtant pas s’étonner de cette
réception désarticulée, la définition même de l’interdépendance ne dispose d’aucune assise
légale.
48 Cass. civ. 1ère, 3 avril 2001, n° 98-18476, Bull.civ., I, n° 94 ; RTD civ., 2002, p. 96, obs. J. Mestre et B.
Fages
28
Chapitre II – La notion d’interdépendance contractuelle
La notion d’interdépendance contractuelle paraît difficile à appréhender. Contradictoire avec
la vision unitaire du contrat, celle-ci ne fait l’objet d’aucune définition légale (Section 1 : L’
absence de définition légale). La notion semble cependant pouvoir être perçue de deux façons
différentes. Objectivement elle serait déduite de l’opération économique poursuivie par les
parties, subjectivement, elle naitrait de la volonté des parties. Cette division a-t-elle réellement
un sens ? La jurisprudence semblerait vouloir unifier cette notion en effaçant ce dualisme
(Section 2 : Une notion dualiste).
Section 1 : L’absence de définition légale
L’interdépendance contractuelle est une notion qui, sans être nouvelle, est absente du Code
civil français. Comment expliquer que ce mécanisme ne soit défini par aucun Code ? Que la
notion soit absente du Code de commerce, cela n’étonne en rien. Le droit commercial n’a pas
le monopole de l’interdépendance contractuelle. Cette notion pourrait se développer dans
diverses branches du droit, pourvu qu’elle soit constituée d’au moins deux contrats. Pour cette
même raison, personne ne pourra non plus s’étonner de son absence au sein du Code de la
consommation. Ceci étant, plusieurs dispositions dudit Code renvoient à la notion
d’interdépendance contractuelle. Il est ainsi regretté de n’y trouver aucune définition légale.
L’interdépendance contractuelle se manifeste sous diverses formes, en concevoir une
définition unitaire susceptible de s’appliquer à n’importe quel contrat spécial se révèle
impossible. Cependant, convenir de définitions différentes, chacune propre aux contrats dans
lesquels la notion d’interdépendance serait susceptible de s’appliquer risquerait de
complexifier toujours plus la notion. Il semble donc nécessaire de dégager une définition
commune qui trouverait sa place dans le droit commun des obligations. Le Code civil devrait
donc réceptionner cette notion qui apparait comme un mécanisme de droit commun des
contrats.
Cette étape a été franchie pour la notion d’indivisibilité. Polymorphe, cette notion est évoquée
dans de nombreuses branches du droit et s’applique à de nombreuses situations. Le professeur
J.-B. Seube en donne plusieurs exemples : l’indivisibilité de l’instance, de l’aveu, de la
filiation, du patrimoine ou encore des suretés réelles. Les illustrations sont nombreuses et
variées mais cet auteur reprend le même constat que J. Boulanger et J. Moury : « c’est dans le
29
domaine des actes juridiques que la notion d’indivisibilité a obtenu ses plus nombreuses
conquêtes ».49
Aussi poursuit-il, « loin de l’admirable simplicité du droit romain, le droit
moderne se caractérise en effet par la multiplication et l’extrême enchevêtrement des
rapports juridiques […] ».50
C’est donc dans le domaine des actes juridiques que la notion
d’indivisibilité a connu ses plus nombreuses conquêtes et pour cause, le Code civil ayant
consacré cette notion aux articles 1217 et 1218.51
En effet, les premières manifestations des imbrications contractuelles se sont faites
indépendamment de la notion d’interdépendance. Seule l’indivisibilité visée par les articles
1217 et suivants du Code civil étaient visées. L’article 1217 dispose que « l’obligation est
divisible ou indivisible selon qu’elle a pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un
fait qui dans l’exécution, est ou n’est pas susceptible de division, soit matérielle, soit
intellectuelle ». L’article 1218 indique quant à lui que « L’obligation est indivisible, quoique
la chose ou le fait qui en est l’objet soit divisible par nature, si le rapport sous lequel elle est
considérée dans l’obligation ne la rend pas susceptible d’exécution partielle ».
Ces deux articles font état de l’indivisibilité de l’obligation pour laquelle il existe plusieurs
créanciers et/ou débiteurs. En ce sens, ils semblent sans rapport direct avec la notion
d’interdépendance contractuelle qui se développe au sein des obligations plurales par leur
objet – sauf à traduire une situation complexe et dépourvue d’unité. Dès lors, ces deux articles
ne pourraient être perçus comme la réception légale de l’interdépendance contractuelle, ni
même comme son fondement.52
L’indivisibilité des obligations est donc à distinguer de
l’indivisibilité des conventions.
Pourtant, certains arrêts relatifs à l’interdépendance contractuelle ont été rendus au visa de
l’article 1218 du Code civil.53
Dans un arrêt du 13 mars 2008,54
la Cour reprochait aux juges
du fond, ayant écarté l’interdépendance contractuelle entre un contrat de location de matériel
téléphonique et un contrat d’abonnement de téléphonie, de ne pas avoir recherché si la clause
49 J.-B. SEUBE, L’indivisibilité et les actes juridiques, Litec, 1999, n°15 50 Idem 51 Article 1217 du Code civil : « l’obligation est divisible ou indivisible selon qu’elle a pour objet ou une
chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l’exécution, est ou n’est pas susceptible de division, soit
matérielle, soit intellectuelle » ; Article 1218 du Code civil : « L’obligation est indivisible, quoique la
chose ou le fait qui en est l’objet soit divisible par nature, si le rapport sous lequel elle est considérée
dans l’obligation ne la rend pas susceptible d’exécution partielle ». 52 Ce point sera développé dans le titre II de la partie I du présent mémoire 53 Notamment l’arrêt suivant : Cass. civ. 1ère, 13 mars 2008, n° 06-19339 54 Cass. civ. 1ère, 13 mars 2008, n° 06-19339
30
du contrat d’abonnement de téléphonie prévoyant que « lorsque le matériel est mis à la
disposition de l’utilisateur dans le cadre d’un contrat de location avec un organisme de
financement, la redevance due comprendra le montant des loyers mensuels revenant au
bailleur » ne caractérisait pas une indivisibilité entre ces deux contrats. Celle-ci ajoutait
d’autre part « et ce, malgré les constatations de l’utilisateur d’où il se déduisait que la
location souscrite n’avait aucun sens sans les prestations d’installation ». Aucune référence à
la cause ni à l’économie générale du contrat n’est faite. La seule piste reste tout de même
l’expression « n’avait aucun sens » qui renvoie à la cohérence du contrat et donc ferait écho à
l’économie générale de celui-ci. Mais pourtant, le visa de cet arrêt est l’article 1218 du Code
civil. Or, comme nous l’avons vu, l’article 1218 du Code ne fait pas référence à
l’interdépendance contractuelle. Faut-il considérer alors que les juges se sont trompés ? Ou
encore faut-il en déduire que la source de l’interdépendance contractuelle est la même que
l’indivisibilité de l’obligation ? Après tout, elle n’en serait que la simple traduction à une
échelle différente, plus vaste, celle d’un ensemble. C’est ce que soulève S. Amrani Mekki qui,
en parlant de l’indivisibilité subjective rejette le fondement de l’article 1134 pour accoler à la
notion d’indivisibilité subjective ou objective les articles 1217 et 1218 : "l’indivisibilité est un
fondement juridique autonome qui peut se fonder sur les articles 1217 et 1218 du Code civil,
étendus des obligations au contrat".55
Il convient de ne retenir aucune de ces deux hypothèses et simplement de constater la
difficulté avec laquelle la notion d’interdépendance s’inscrit dans le champ juridique. Elle ne
dispose d’aucun réceptacle, aucune disposition légale n’y fait ne serait-ce qu’une brève
allusion. Dès lors, si les juges renvoient à l’article 1218 c’est certainement pour donner plus
de corps à leur décision, la justifier un tant soit peu puisque les conséquences qui en
découleront seront fondamentales pour le consommateur et l’opérateur. J.B Seube disait « on
est alors contraint de regretter cette survivance anachronique d’une mentalité légaliste qui se
croit tenue de rattacher toute institution juridique à une disposition légale. A tout prendre le
lien d’indivisibilité entre ces deux conventions est plus proche de la théorie de la cause que
des articles 1217 et suivants du Code civil. »
La notion d’interdépendance se distingue de l’indivisibilité des obligations mais, au besoin, se
justifie par celle-ci. Si la référence à l’article 1218 s’est faite plusieurs fois, elle semblerait
quelque peu dépassée. Les juges ayant recours à d’autres fondements juridiques. Sur ce point,
55 S. AMRANI MEKKI, « Indivisibilité et ensembles contractuels : l’anéantissement en cascade des
contrats », Defrénois, 2002, art. 37505
31
il est intéressant de mentionner l’arrêt du 7 mars 2012 rendu par la Cour d’appel de Paris.56
Dans cet arrêt, la cour d’appel rejette, au visa de l’article 1218, l’interdépendance d’un contrat
de location financière et d’un contrat de prestation de services consistant à louer un ordinateur
et créer un site internet aux motifs que « le contrat de location financière ne fait pas référence
aux prestations auxquelles s’était engagée la société Idep [société chargée de créer le site
internet] et que l’usage du matériel loué ne se réduit pas à la création d’un site sur le réseau
internet, un tel matériel pouvant être utilisé à d’autres fins, de sorte que l’indivisibilité des
contrats n’est pas démontrée ».57
Sans surprise, la Haute juridiction casse l’arrêt. Il faut dire
que la décision des juges du fond ne pouvait pas s’inscrire dans la lignée jurisprudentielle
suivie par la Cour depuis mai 2013. Ainsi, la Cour casse l’arrêt et indique que « les contrats
concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location
financière, sont interdépendants, la Cour d’appel a violé le texte susvisé».58
Reste une question, si l’article 1218 du Code civil n’est pas une source de l’interdépendance
contractuelle et n’envisage pas sa définition, comment appréhender cette notion ?
L’interdépendance contractuelle ne trouve pas sa place dans le Code. Comme il a été dit
précédemment, la conception hermétique et unitaire du contrat présentée par le Code de 1804
empêche la réception des obligations plurales par leur objet. Il est donc préféré l’abstention à
la contradiction. Mais si la contradiction n’a pas lieu au sein même du Code civil,
l’incohérence aura lieu dans les tribunaux. Lorsque le juge ne dispose pas d’outils adaptés aux
situations qu’il rencontre, il risque de justifier une décision par des textes qui ne sont pas
réellement applicables à celle-ci ou encore de devoir faire face à des décisions totalement
disparates, aux fondements incertains, augmentant toujours un peu plus l’imprévisibilité
juridique.
Ainsi, si le droit moderne se caractérise en effet par la multiplication et l’extrême
enchevêtrement des rapports juridiques, le droit positif59
ne semble plus adapté à leur parfaite
réception.
56
CA Paris, 7 mars 2012 57 Idem 58 Cass. com, 14 janvier 2014, n°12-20582 59 La jurisprudence intervenant au fil du contentieux pour combler les dispositions laconiques du Code civil
32
La diversité des illustrations de l’interdépendance et la difficulté à rattacher à cette notion un
fondement juridique ne semble être que les conséquences d’une absence de prise en compte
par le législateur de ces phénomènes d’imbrications contractuelles présentant des obligations
plurales par leur objet.
Si l’absence de définition légale pose une première difficulté pour appréhender la notion
d’interdépendance contractuelle, il en est une autre – et non des moindres – de la dualité entre
l’interdépendance dite objective et l’interdépendance subjective.
Section 2 : Une notion dualiste
Tout manuel qui consacre une partie sur l’interdépendance distingue deux natures.
L’interdépendance objective d’une part et l’interdépendance subjective d’autre part. Il
convient d’analyser la place laissée à la volonté des parties de recourir ou non à
l’interdépendance. Face à ce dualisme, la jurisprudence semble prendre un tournant et opter
pour un mouvement d’objectivisation de l’interdépendance contractuelle.
Sous-section 1 : L’interdépendance objective ou subjective
Selon certains auteurs, la source de l’indivisibilité entre contrats serait tantôt objective, tantôt
subjective. Dans un cas elle se déduirait de l’opération économique poursuivie par les parties,
dans un autre elle serait déduite de la volonté des parties.
Cette distinction semble dépassée, en témoignent les arrêts récents de la chambre mixte du 17
mai 2013 précédemment cités.
La prise en considération de la volonté des parties est un facteur important de la notion
d’indivisibilité. Cette volonté est d’ailleurs au cœur de la définition donnée par le professeur
J.Moury, « il y a indivisibilité entre les éléments homogènes d’un ensemble lorsque ceux-ci, a
priori autonomes et placés sur un pied d’égalité, sont unis par un lien permanent
d’interdépendance préservant leur individualité mais tel que, chacun d’eux ayant été envisagé
33
par les contractants comme une condition sine qua non de l’existence d’ensemble, ils ne
peuvent subsister isolément ».60
Cette définition nous invite à comprendre comment les parties envisagent cette « condition
sine qua non de l’existence d’ensemble ». Autrement dit, comment les parties peuvent-elles
créer une interdépendance au sein de leur relation ? L’interdépendance serait-elle
contractualisée, modélisée par une clause d’indivisibilité ? De nombreux cas jurisprudentiels
viennent illustrer ces propos au moment même où d’autres viennent les contrecarrer. Dès lors,
l’idée consistant à affirmer que l’interdépendance naîtrait de la seule volonté des parties
apparaît insatisfaisante. Pourtant, les difficultés avérées à dégager un critère objectif à
l’interdépendance contractuelle devraient influencer les praticiens à accorder toute leur
attention sur la volonté des parties. Deux constats nous poussent à penser le contraire :
D’une part, la recherche de l’intention des parties est, elle aussi, une tâche des plus délicates.
Le critère subjectif de l’interdépendance est difficile à mettre en œuvre. Les parties ne
sauraient tout prévoir et négligent souvent de faire connaître leur intention sur leur choix de
lier ou non les contrats qui appartiendraient à un même ensemble. Lorsque, au contraire, les
parties font connaître leur intention mais que les conséquences d’un tel choix n’ont d’intérêt
que pour l’une - précisément celle qui aura imposé la clause de divisibilité -, ne faut-il pas
faire prévaloir le critère objectif de l’opération économique ?
D’autre part, la difficulté à percevoir et dégager un ou des critères objectifs à
l’interdépendance contractuelle n’est pas une raison suffisante pour retirer tout critère objectif
à l’interdépendance. Cela reviendrait à contourner une difficulté et prendre le risque de passer
à côté d’un fondement adéquat de l’interdépendance contractuelle. Ce serait négliger une des
caractéristiques de l’interdépendance et ainsi remettre dans les mains des parties un pouvoir
qu’elles ne maîtrisent pas forcément : le choix de lier ou non leur contrats.
L’interdépendance ne devrait pas être seulement subjective, le juge devrait pouvoir garder un
pouvoir d’appréciation sur la réalité économique de l’opération lui permettant ainsi de rejeter
60 J. Moury, De l’indivisibilité entre les obligations et entre les contrats, RTD civ. 1994, p. 255 et s. spéc.
P.274.
34
une prétendue clause de divisibilité ou d’indivisibilité. Ces éléments nous laissent penser que
l’interdépendance est mêlée d’objectivité et de subjectivité.
Les juges devraient donc pouvoir mettre en œuvre ces deux critères. Pourtant, ce travail
semble lui aussi trouver ses limites. Que devra faire le juge qui, procédant à une double
analyse, consistant à dégager des critères objectifs et subjectifs, en déduit deux influences
contraires ? Autrement dit, l’étude de l’interdépendance au regard de l’économie de
l’opération serait dégagée alors même que le contrat contiendrait une clause de divisibilité. Si
les deux critères sont indispensables, lequel devra faire prévaloir le juge ?
Dire que l’interdépendance subjective doit céder face à la réalité économique de l’opération,
revient à placer l’intention des parties au rang de la subsidiarité. Mais dire que l’intention des
parties prévaut sur la réalité économique de l’opération ouvre la porte à des relations
contractuelles qui, tant d’un point de vue juridique qu’économique, ne sauraient sainement
perdurer dans le temps.
Face à toutes ces interrogations, il convient d’analyser la jurisprudence pour en tirer des
réponses, que l’on espère plus précises. Celle-ci semble fortement sensible au critère objectif
de l’opération mais n’évince pourtant pas l’intention des parties de ses critères. Pour une
partie de la doctrine un mouvement d’objectivisation de l’interdépendance serait en marche.
Sous-section 2 : Le mouvement d’objectivisation de l’interdépendance
Lorsque les parties souhaitent créer un lien juridique entre les contrats participant à une même
opération, elles vont, la plupart du temps, insérer une clause d’indivisibilité. Dans le cas
contraire, celles-ci inséreront une clause de divisibilité. Il s’agit principalement d’une
répartition des risques, sur la tête d’une personne en cas de divisibilité, sur celle d’une autre
en cas d’indivisibilité. Les conséquences semblent fondamentales et pourtant… Le législateur
et les juges nous conduisent à y mettre de la nuance.
En effet, les rares dispositions légales connues procédant à la prise en compte d’une réelle
interdépendance contractuelle sont celles issues de la loi Scrivener relative au crédit mobilier
à la consommation. Ce texte est d’ordre public. Ainsi la clause de divisibilité insérée dans un
35
contrat de « consommation mobilière » serait vaine, quant à la clause d’indivisibilité elle ne
serait d’aucune utilité.
De plus, lorsque le 17 mai 2013, la Cour déduit des ensembles contractuels comportant une
location financière, une interdépendance entre les différents contrats issus du même groupe,
elle le fait alors même qu’une clause de divisibilité était insérée dans un des contrats. La
répartition des risques61
pour le législateur et les juges, semble alors de plus en plus se
soustraire à la volonté des parties.
Nous pouvons alors distinguer deux cas :
D’un côté des ensembles contractuels pour lesquels l’intérêt d’y insérer une clause de
divisibilité ou d’indivisibilité existe. La répartition des risques appartient aux parties. Encore
faut-il ajouter que les juges gardent un œil et viennent tantôt faire prévaloir la volonté qu’ils
estiment « réelle » à la volonté que les parties auront « déclarée ». En l’absence de clause, le
contrôle laissé aux juges est plein. Reste dans ce cas de figure une réelle difficulté tenant au
fondement juridique qu’utiliseront les juges pour apprécier cette interdépendance. Cause,
économie générale, volonté réelle ? Les démonstrations se bousculent avec plus ou moins de
pertinence. Il est par ailleurs probable que de nouvelles verront le jour avant que la Cour et le
législateur trouve un consensus sur la démonstration de l’interdépendance.
D’un autre, se développent des ensembles contractuels diverses pour lesquels la répartition
des risques est totalement soustraite à la volonté des parties. La clause de divisibilité insérée
dans un ensemble contractuel composé de contrats que le législateur ou le juge ont définis
comme interdépendants perd de son intérêt. Il convient cependant à ce stade d’admettre que
l’interdépendance puisse toujours se déduire de l’intention des parties.
Face à ce constat, d’autres définitions semblent préférables. D’abord celle de Carbonnier « Il
y a divisibilité lorsque chaque contrat, mécanisme clos, se suffit à lui-même, est indifférent
aux contrats qui peuvent être conclus à côté, fût-ce en même temps et entre les même
personnes ».62
Complétée par Libchaber « il y a indivisibilité lorsque chacun des contrats
étant dépourvu d’utilité une fois séparé des autres il est interdit de poursuivre les effets de
61 Lorsque les parties insèrent une clause de divisibilité ou d’indivisibilité elles répartissent les risques
tenant à la fin du contrat. 62 CARBONNIER J., RTD civ. 1950, p. 69 et s.,
36
l’un d’eux si ceux d’un autre sont interrompus » […] « Se dégage alors la nécessité de
constater la convergence d’éléments distincts nécessaires à la réalisation d’un tout ».63
Cette
convergence constatée emporte nécessairement des effets dont le plus connu, ou en tout cas
redouté, est l’anéantissement dit « en chaîne des contrats ». Mais là encore, nous en revenons
toujours au même point. Comment constater cette convergence ? Quels sont les critères, sont-
ils objectifs, subjectifs ? Nous remarquerons que la volonté des parties est absente de ces deux
définitions. Ceci ne veut pas dire qu’elle n’existe plus ou qu’elle n’est plus prise en compte,
mais qu’elle serait un élément parmi d’autres susceptible de faire jouer cette indivisibilité.
Comme les autres éléments, elle n’aurait pas à faire partie de la définition de
l’interdépendance. La raison est simple, la liste est en constante mouvance, les démonstrations
juridiques de l’indivisibilité, elles, en pleine « prolifération ».
Face à cette « prolifération » qui tend à complexifier la notion d’interdépendance, la
démarche adoptée par la Haute juridiction serait d’éviter l’étape laborieuse de la
démonstration.
Il convient de revenir sur les deux arrêts rendus par la Haute juridiction le 17 mai 2013. La
Cour de cassation pose la règle selon laquelle « les contrats concomitants ou successifs qui
s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ». Elle
ajoute que « sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette
interdépendance. » Pour rappel, la première décision porte sur une deux sociétés ayant conclu
deux conventions aux fins d’installer un ensemble informatique et vidéo avec diffusion de
spots publicitaires. L’une portant sur l’installation du matériel, l’autre sur la location du
matériel informatique. Les parties avaient pris soin d’insérer une clause prévoyant
l’interdépendance du contrat de location par rapport au contrat d’installation. La seconde
affaire concernait un contrat de télé-sauvegarde et un contrat de location nécessaire au
premier, mais conclu avec un partenaire différent. Le contrat de location prévoyait ici encore
une clause de divisibilité. Ce n’est que dans la seconde espèce que la demande en paiement
des loyers par le bailleur a été accueillie par la cour d’appel. Il est d’ailleurs surprenant que
les juges du fond n’aient pas pris en considération la clause d’indépendance pour la première
espèce. Certes, les partenaires étaient les mêmes mais dans les deux cas la clause
d’indépendance est bien présente, dès lors, les parties qui ont réparti les risques, ne devraient
63 Cass.com., 13 février 2007, n° 05-17.407, Defrénois, 2007, art 38624, obs. R.LIBCHABER.
37
plus pouvoir se prévaloir de l’inexécution d’un des contrats pour demander l’anéantissement
de l’autre.
La Cour de cassation va trancher et mettre à l’écart la clause de divisibilité. Elle s’interfère
dans le contrat pour poser la règle de l’interdépendance des contrats concomitants ou
successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière. Le critère de
l’interdépendance contractuelle se trouverait dans la location financière. Les indices
d’interdépendance jusqu’alors utilisés par les juges – la date de conclusion des contrats, la
concordance de leur durée d’exécution ou même des divers montants, l’identité des parties,
l’unicité de l’instrumentum, les clauses d’indivisibilité – sont balayés par ces deux arrêts mais
seulement lorsqu’il s’agit d’analyser des ensembles contractuels comportant une location
financière.
Ces deux décisions ont fait couler beaucoup d’encre, mais ne serait-ce pas ce qui était
recherché par la Haute juridiction ? Le contentieux sur la question était jusqu'à présent en
constant mouvement, les juges du fonds retenant tantôt la divisibilité des contrats d’un même
ensemble, tantôt leur indivisibilité par diverses justifications. Voilà que la Cour de cassation
clos ce débat en rendant deux arrêts le même jour sans véritablement justifier la règle qu’elle
pose. Selon Y. –M. Laithier le juge s’est comporté en législateur.64
Il reprend d’ailleurs les
propos de T. Revet « Lorsqu’une prescription juridique est directement produite aux fins de
constituer une règle générale et qu’elle peut mobiliser, dès son entrée en vigueur, toutes les
sanctions qui sont attachées à son respect ou à son irrespect, cette prescription est législative,
quel qu’en soit l’auteur ».65
Il est vrai que la méthode utilisée par la Cour de cassation étonne.
La Cour s’est en effet substituée au législateur pour poser la règle de l’interdépendance
contractuelle des ensembles comportant une location financière. Il ne s’agit pas d’éclairer les
parties ou d’interpréter un texte législatif ayant crée un contentieux, mais d’une pure création
juridique. Effectivement, cette solution a l’avantage d’être claire, précise, puisqu’elle va
jusqu'à en prévoir la sanction. Elle est aussi de grande envergure, les contrats de location
financière forment le plus gros du contentieux de l’interdépendance contractuelle. Enfin, elle
donne à la notion d’interdépendance contractuelle une véritable autonomie puisqu’elle ne
nécessite plus de recourir à d’autres notions. La Cour a apporté une réponse là où
64 Y. - M. LAITHIER, La marche forcée vers l’interdépendance contractuelle, RDC, Octobre 2013, p. 1331 65 T. REVET, « La Légisprudence », in Mélanges en l’honneur de Philippe Malaurie, Defrénois, 2005,
p.377
38
l’intervention du législateur était attendue depuis une vingtaine d’année. Mais est-ce
seulement suffisant pour justifier l’entorse à la règle selon laquelle seul le législateur crée la
loi ?
La diminution de la volonté des parties ne serait pas le seul effet de cette objectivisation.
Lorsque le législateur et la Cour posent des cas objectifs d’indivisibilité, le pouvoir
d’appréciation des juges du fond diminue considérablement. Ces derniers n’ont plus à
apprécier la volonté des parties. Est-ce une pour autant une mauvaise chose ? Moins de
flexibilité, plus de prévisibilité. Moins de flexibilité pour les juges et pour les parties mais
cette baisse s’associe à l’augmentation de la prévisibilité juridique. Les parties contractent
alors en connaissance des risques qu’elles devront ainsi chacune supporter.
Ces deux arrêts du 17 mai 2013 peinent à se justifier. Comment expliquer que la présence
d’une location financière suffise à poser un principe d’indépendance et évince la volonté des
parties ? Si ces décisions ont l’avantage d’imposer une ligne directrice et d’éviter que
continue de se dessiner dans le sillage du contentieux des décisions contradictoires, que faire
pour les ensembles contractuels ne comportant pas de location financière ?
La doctrine apparait divisée sur un point. Certains auteurs dénoncent une véritable
objectivisation de l’interdépendance, parmi lesquels on retrouve Yves-Marie Laithier. Sa
position transparait largement dans sa note « la marche forcée vers l’interdépendance
contractuelle » faisant suite aux arrêts du 17 mai 2013. L’auteur y fait état des méthodes
utilisées par la Haute juridiction pour « édicter » une règle dépourvue de fondement légal.
Ajoutons que la majorité des fascicules juridiques qui consacrent une partie à
l’interdépendance comportent une partie propre à ce qu’ils dénomment « l’objectivisation de
l’interdépendance ». D’un autre côté, certains auteurs66
voient dans les arrêts du 17 mai 2013
une règle surpassant le dualisme de l’interdépendance.
Ces deux approches, presque opposées, semblent pour chacune contenir de réelles fondements
juridiques appropriés à la situation.
D’un côté l’interdépendance serait objective. L’attendu de principe des deux arrêts du 17 mai
2013 sont posés à la manière d’une loi, il y aurait alors une objectivisation poussée au
maximum et non un dépassement du dualisme objectivisme / subjectivisme.
66 Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22768 et 11-22927, Petites affiches, 2013, n° 214, p.7, note S.
CHASSAGNARD-PINET
39
L’interdépendance se déduirait de la nature du contrat. L’élément déclenchant
l’interdépendance serait la location financière. Ainsi, de façon générique on déduit de
l’ensemble contractuelle s’il y a ou non la présence d’une location financière. Chaque fois
qu’il y en aura une, l’interdépendance entre les contrats issus de ce même ensemble sera
activée. Cette réflexion comporte ses limites, que doit-on faire de tous ces ensembles
contractuels ne comportant pas de location financière ? Doit-on dès lors en déduire la
divisibilité de chacun des contrats formant l’ensemble ? Ceci semble impossible puisque
l’attendu ne mentionne pas que « seuls les contrats concomitants ou successifs qui
s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants ».
La réserve semble de rigueur, et il apparait préférable de considérer que d’autres critères
doivent être pris en compte et seront, au fil du contentieux mis en évidence par la Cour.
D’un autre côté, l’interdépendance ne pourrait se définir de façon binaire. C’est d’ailleurs, ce
qui transparait tout au long de ce travail de recherche. L’interdépendance ne saurait être
seulement objective ou subjective. Dès lors, si le 17 mai 2013 la Cour déclare non écrite la
clause stipulant la divisibilité des contrats d’un même ensemble ce n’est pas pour « anéantir »
l’interdépendance subjective. Le premier indice est évidemment le visa de l’arrêt, l’article
1134. Quel fondement juridique illustre mieux la volonté des parties ? Mais alors, comment
expliquer que les juges utilisent la règle selon laquelle « les conventions légalement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » pour écarter la loi67
des parties. L’utilisation de
l’article 1134 par les juges ne peut s’expliquer que d’une façon. Elle consisterait à rejeter tout
mouvement d’objectivisation de l’interdépendance : si les juges écartent la clause tenant lieu
de loi entre les parties au motif que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à
ceux qui les ont faites » c’est certainement parce qu’une « loi supérieure » - toujours au sens
de l’article 1134 – est incompatible avec cette clause. Autrement dit, l’interdépendance ne
saurait se déduire d’une simple clause, mais serait déduite du contrat dans son ensemble.
Doit-on alors parler d’objectivité ou de subjectivité de l’interdépendance ? L’analyse du
contrat dans son ensemble correspond-t-elle à la « simple » prise en compte de la volonté des
parties ou doit-elle inclure les caractéristiques objectives du contrat ? Cette analyse consiste
subrepticement mais indéniablement à s’opposer à une vision purement binaire de
l’interdépendance et admettre que celle-ci puisse être mêlée d’éléments objectifs et subjectifs.
Il est parfois évoqué une « subjectivisation de l’objectivité de l’interdépendance ». Si ce
lexique a pour effet de placer une hiérarchie entre les éléments objectifs et subjectifs de
67 Comprendre le mot « loi » au sens de l’article 1134 du Code civil
40
l’interdépendance et de faire primer ces premiers sur les derniers, il est, à notre sens,
aucunement question de cela. Aucun rapport hiérarchique ne devrait se déduire de ces deux
arrêts. Reste toutefois une question : comment apprécier cette interdépendance
« polymorphe » ? Quels critères doivent être pris en considération ? Sur quel fondement se
rattacher ? Là encore les interrogations subsistent. Si une notion permet effectivement de
mettre en œuvre cette forme d’interdépendance – la notion « d’économie générale du
contrat » -, il n’en reste pas moins que celle-ci, tout comme l’interdépendance contractuelle,
ne dispose pas d’une véritable assise juridique.
Finalement, on peut se demander si ce n’est pas la méthode utilisée par la Cour de cassation
qui tend à ce que le lecteur y voit la prédominance de l’interdépendance objective. En posant
cette règle sans réelle démonstration, la Haute juridiction sème le trouble.
Pour autant, la démonstration de l’interdépendance est nécessaire ne serait-ce que parce que
ses effets emportent des conséquences redoutables pour les parties. Une justification juridique
– et non factuelle – doit permettre de démontrer l’interdépendance des contrats. L’enjeu de
cette étude consistera donc à analyser les divers instruments juridiques permettant de
démontrer et d’appliquer l’interdépendance des contrats issus d’un même ensemble.
La notion d’interdépendance semble intuitive, ainsi pourrait-on se passer d’une définition
« officielle » ou tout du moins bénéficiant d’un véritable consensus. Il n’en reste pas moins
flagrant qu’elle nécessite une réception par le droit ou qu’elle se rattache à une notion déjà
connue et réceptionnée en droit.
La notion d’interdépendance révèle des difficultés particulières dans sa définition et sa
réception. Il est néanmoins une tâche bien plus laborieuse, celle de sa démonstration. Le titre
II de ce présent mémoire aura pour objet d’analyser les différents fondements juridiques
utilisés par le législateur, la jurisprudence et la doctrine pour démontrer l’interdépendance des
différents contrats issus d’un même ensemble.
41
TITRE II : LES FONDEMENTS JURIDIQUES DE
L’INTERDEPENDANCE
La jurisprudence est venue éclaircir certaines zones d’ombre. Cependant, l’analyse
jurisprudentielle montre que la notion d’interdépendance souffre d’une réception non
homogène. Le dualisme marqué par la conception tantôt subjective, tantôt objective de
l’interdépendance creuse des disparités de décisions. Les fondements juridiques utilisés par
les juges sont tout aussi nombreux et disparates : cause, économie générale, indivisibilité de
l’obligation… La jurisprudence permet une réception indirecte de l’interdépendance mais
laisse planer un doute : sur quel fondement doit être appréciée l’interdépendance ? Comment
accorder aux parties une certaine forme de prévisibilité juridique ?
Par moment la jurisprudence tend à recourir à des fondements « classiques » du droit des
obligations (Chapitre I). Cependant, si ces sources tendent à renforcer la démonstration des
juges – parce qu’elles se trouvent dans le Code civil et restent inchangées, apportant ainsi une
arme de taille contre les parties se prévalant d’une divisibilité de l’ensemble –, elles semblent
relativement éloignées du phénomène tel qu’il a été défini. Aussi, les juges préfèrent parfois
recourir à des fondements ayant une assise plus faible dans le monde juridique mais paraissant
convenir plus exactement à la situation. Tel est le cas de l’économie générale du contrat
(Chapitre II).
42
CHAPITRE I : Le recours à des fondements « classiques »
Comme nous l’avons vu, la notion d’indivisibilité des obligations a longtemps été utilisée par
la jurisprudence pour démontrer l’interdépendance d’un ensemble. Aussi, d’autres
« fondements classiques » ont été utilisés par la jurisprudence et la doctrine pour justifier
l’interdépendance entre plusieurs contrats. La notion de condition a été plusieurs fois
rattachée à l’interdépendance des obligations (Section 1 : La condition). Fortement contesté,
le recours à la condition s’est vu concurrencer par un autre fondement classique, la cause
(Section 2 : La cause).
Section 1 : La condition
La condition est un « évènement incertain, aléatoire, dont la réalisation (ou la non
réalisation) affecte l’existence même de l’obligation : tant que l’incertitude sur la condition
n’est pas levée, c’est-à-dire tant que l’évènement ne s’est pas réalisé, il existe une incertitude
sur l’existence de l’obligation ».68
On distingue la condition résolutoire qui frappe une
obligation où le débiteur est déjà engagé, de la condition suspensive qui retarde l’engagement
du débiteur à sa réalisation.
La condition est une modalité de l’obligation, dès lors elle va avoir des incidences directes
sur l’existence de la seule obligation qui la contient. Or, il apparait que certaines opérations
peuvent être conclues sous la condition suspensive de la réalisation d’autres opérations. Le
Code de la consommation prévoit qu’en cas de crédit mobilier à la consommation,69
« Aucun
engagement ne peut valablement être contracté par l’acheteur à l’égard du vendeur tant qu’il
n’a pas accepté l’offre préalable du prêteur. Lorsque cette condition n’est pas remplie, le
vendeur ne peut recevoir aucun paiement ».70
L’offre du prêteur serait donc une condition de
validité du contrat de vente.
68 FABRE-MAGNAN M., Droit des obligations, PUF, 3e éd., 2012, coll. Thémis, p. 167 69 Le contrat de crédit mobilier à la consommation est issu de la loi Scrivener I du 10 janvier 1978 il est
codifié aux articles L.311-1 et suivant du suivants du Code de la consommation et modifiée par la loi du
1er juillet 2010 (Loi n°2010-737 du 1er juillet 2010). Il vise l’opération qui combine un contrat de vente
portant sur un meuble et un contrat de prêt affecté à l’acquisition de ce dernier 70 Article L.311-23 du Code de la consommation
43
Dès lors, il apparait que l’interdépendance entre le contrat de prêt et le contrat de vente dans
l’opération de crédit mobilier à la consommation ne serait que la conséquence du choix du
législateur de placer le contrat de prêt comme une condition du contrat de vente.
Ce raisonnement semble faussé. En effet, l’interdépendance n’est pas « figée » à un stade
précis mais est continue dans le temps. Elle naît au stade de la formation du contrat et perdure
tout le long de l’exécution, contrairement à la condition. Dans les contrats de consommation
mobilière il y a une véritable interdépendance continue dans le temps. La jurisprudence
rattache à cette opération les conséquences de l’interdépendance des contrats. Elle ne retient
pas deux opérations dont l’une serait la condition de l’autre. En effet, si l’on considère que le
prêt est une condition de la vente alors la disparition du contrat de vente ne doit pas conduire
à la disparition du prêt. Or si l’on prend l’exemple du contrat de crédit-bail et du contrat de
vente, il est admis que la résolution du contrat de vente entraine la résiliation du contrat de
crédit-bail.71
Un autre indice vient au secours de cette thèse ; l’attendu selon lequel « les contrats
concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une opération
financière sont interdépendants semble impropre à qualifier la condition comme un
fondement de l’interdépendance.
La condition ne se confond pas avec l’interdépendance. C’est par ailleurs pour cette raison
que l’opération de crédit immobilier à la consommation72
n’est pas réputée comme un
ensemble constitué de contrats interdépendants. L’article L.312-12 du Code de la
consommation indique que « L’offre est toujours acceptée sous la condition résolutoire de la
non-conclusion dans un délai de quatre mois à compter de son acceptation, du contrat pour
lequel le prêt est demandé ».
71 Cass. ch. Mixte, 23 novembre 1990 ; Cass. Com., 4 avril 1995, n° 93-14585 et 93-15671, Bull. civ. IV, n°
115 et 116 ; Cass. com., 16 janvier 199, n° 94-12679 : RJDA 1996, n° 870 : « Mais attendu qu'après
avoir, par motifs adoptés, non critiqués par le moyen, retenu, en se référant au "montage" unique élaboré
par M. Z..., en vue de la conclusion et l'exécution coordonnées des contrats de mandat et de financement
du matériel, que ces contrats étaient indivisibles, la cour d'appel a pu déduire de l'inexécution de l'un la
résiliation de l'un et de l'autre, indépendamment de toute considération, non déterminante, sur l'absence
de réserve lors de la réception des matériels, sur la désignation de celui des contrats qui était principal,
ou accessoire, par rapport à l'autre, et sur l'intérêt d'une éventuelle demande complémentaire en
résolution du contrat de vente » 72 Issu de la loi Scrivener II du 13 juillet 1979
44
Toujours au stade de la formation nous trouvons une autre disposition : l’article L.312-16
dispose que le contrat de vente « est conclu sous la condition suspensive de l’obtention du ou
des prêts qui en assurent le financement ».
L’exécution du contrat de prêt est une condition suspensive du contrat de vente et la « non
conclusion » du contrat de vente est une condition résolutoire de l’acceptation de l’offre. Soit
l’on considère que le législateur passe par l’utilisation d’une obligation à modalité pour
réceptionner l’interdépendance, soit il ne s’agit tout simplement pas d’interdépendance mais,
comme le texte l’indique, d’obligations à modalité. Sur ce point il semblerait que ces articles
opèrent une protection du consommateur et relient fortement le contrat de prêt et de vente
immobilière sans pour autant créer une véritable interdépendance entre les deux conventions
(cf : le contrat de crédit immobilier à la consommation). La Cour de cassation s’est
d’ailleurs refusé à admettre la résolution du contrat de prêt consécutivement à l’annulation de
la vente immobilière sur le fondement de la cause. Or, et comme nous le verrons, la cause est
un instrument largement utilisé par les juges pour admettre ou rejeter l’interdépendance.73
La condition est un évènement futur et incertain74
qui ne peut se confondre avec
l’interdépendance ni être constitutive de celle-ci. Si certains auteurs voient dans la condition
un fondement de l’interdépendance,75
il est à notre sens préférable de distinguer ces deux
notions. La condition déploie des effets durant la phase précontractuelle, elle permet au
contrat de se former. L’interdépendance ne se limite pas à la phase précontractuelle et crée un
lien, une interaction durable entre les contrats.
A côté de la condition, un autre fondement est largement usité par la jurisprudence, la cause.
Section 2 : le recours à la notion de cause
Le fondement de l’interdépendance contractuelle trouverait-il sa source dans la notion de
cause ?
73 Cass. civ. 1er, 16 déc. 1992, n° 90-18.151, Bull. civ. I, n° 316 « Le financement de l'acquisition
immobilière recherchée par les emprunteurs n'était pas la cause de leurs obligations au sens de l'article
1131 du Code civil, il résulte de l'article 9 de la loi du 13 juillet 1979 que le contrat de prêt s'est trouvé
résolu par l'effet de l'annulation rétroactive de la vente en vue de laquelle il avait été accordé, vente qui
est censée n'avoir jamais été conclue » 74 Article 1168 du Code civil 75 S. BROS, L’interdépendance contractuelle, Thèse Paris II, 2001
45
Il convient de revenir sur la définition de la cause, les différents points de vue doctrinaux en
présence, ainsi que sur les différentes décisions jurisprudentielles au cours desquelles le juge
s’est appuyé sur la notion de cause pour démontrer l’interdépendance contractuelle entre
différents contrats.
Difficulté de taille. D’une part, car la cause est une notion qui est, à elle seule, des plus
complexes. D’autre part, car cette notion a plusieurs fois été utilisée comme la justification
juridique de l’interdépendance. Autrement dit la démonstration de l’interdépendance, mais est
parfois vue comme une notion concurrentielle à celle-ci ; la cause et la notion
d’interdépendance seraient assimilables.
La cause objective est la cause de l’obligation, ce pourquoi les parties s’engagent, la
contrepartie attendue. La cause subjective ou cause du contrat, correspond aux mobiles
poursuivis par les parties. Souvent méconnue par l’autre cocontractant, elle trouve sa source
dans le contrat mais déploiera ses effets au-delà du contrat. Associées, ces deux notions
permettent de contrôler l’équilibre des obligations et la licéité du contrat.
Classiquement, seule la cause objective devrait être appréciée par le juge au moment de la
formation du contrat. Cela signifie d’une part que les mobiles des parties ne sauraient être pris
en considération et d’autre part que la disparition de la cause en cours d’exécution du contrat
n’aurait aucune incidence.
La cause est utilisée dans de nombreuses hypothèses. Lorsqu’il s’agit de démontrer
l’indivisibilité d’obligations contractuelles, comme dans le cas du contrat synallagmatique, la
cause est le mécanisme utilisé par la jurisprudence. Cette indivisibilité tient au fait que la
cause de l’engagement d’une partie réside dans celle de l’autre. L’article 1102 du Code civil,
qui définit le contrat synallagmatique, vise des obligations réciproques et non pas
indivisibles.76
Mais la jurisprudence a affirmé que « le contrat synallagmatique se caractérise
par une interdépendance des obligations réciproques ».77
Les obligations se servent
réciproquement de cause, de cette réciprocité causale naît leur interdépendance.
76
Article 1202 du Code civil : « Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants
s’obligent réciproquement les uns envers les autres » 77 Cass. civ., 3ème , 13 février 1973, Bull. civ. III, n° 125
46
Mais si la cause est parfaitement adaptée à la démonstration de l’interdépendance des
obligations, l’est-elle pour celle des contrats ?
Tirée du Code civil, la conception de la cause en vient à nier toute interdépendance
contractuelle. Elle ne pourrait s’envisager que dans une opération nécessitant qu’un seul
contrat. Paradoxalement, la cause à longtemps été utilisée par la jurisprudence pour démontrer
l’interdépendance contractuelle. Nous pouvons notamment citer un arrêt de la première
chambre civile du 1er juillet 1997 où elle déduit de l’interdépendance de deux contrats une
cause unique : « C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel a
constaté que les deux actes de vente et de prêt, qui avaient été passés le même jour devant le
même notaire, étaient intimement liés, et en a déduit que les parties avaient entendu
subordonner l’existence du prêt à la réalisation de la vente en vue de laquelle il avait été
conclu, de sorte que les deux contrats répondaient à une cause unique ».78
Parfois, la jurisprudence se prononce sur les effets de l’interdépendance tout en rendant son
arrêt au visa de l’article 1131 du Code civil selon lequel « L'obligation sans cause, ou sur une
fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ».79
Dans un arrêt rendu le 15 février 2000, la Cour de cassation n’hésite pas à utiliser la cause
pour démontrer l’interdépendance de deux contrats. Le différend portait sur la conclusion par
un pharmacien de deux contrats, l’un de diffusion d’images publicitaires, l’autre de location
du matériel nécessaire à l’exécution du premier contrat. Le premier contrat à pris fin
prématurément. Le pharmacien a donc naturellement souhaité résilier le contrat de location,
moyen pris de l’interdépendance des deux contrats. Le crédit-bailleur l’a alors assigné en
paiement. Il y avait concrètement peu de chance que la Haute juridiction rejette sa demande,
une clause prévoyait en effet que les loyers seraient dus même si le contrat de diffusion
78 Cass. civ.1ère, 1er juillet 1997, n°95-15642 ; Ou encore Cass. civ. 1ère, 4 avril 2006, n° 02-18277, Bull. civ.
I, n°190 : « Attendu que l'arrêt attaqué (Metz, 30 janvier 2002), qui a rejeté la demande, a relevé, d'une
part, que les conditions tant générales que particulières de la convention liant la société et Gaz de France stipulaient l'affectation du combustible commandé à son utilisation par l'hôpital, d'autre part, que
la réalisation de l'exploitation de la chaufferie constituait la seule cause du contrat de fourniture du
produit dont Gaz de France a le monopole, et que les deux contrats conclus par la société, l'un avec le
gestionnaire, l'autre avec l'établissement public, de durées différentes pour des raisons propres à la
qualité et à la puissance économique et juridique du partenaire, concouraient sans alternative à la même
opération économique ; qu'ayant souverainement retenu que les deux conventions constituaient un
ensemble contractuel indivisible […]». 79 Cass. com., 5 juin 2007, n° 04-20380 ; D. 2007, p.1723 , obs X. Delpech ; RTD civ. 2007, p. 569; obs. B.
Fages
47
d’image publicitaire prenait fin. La Cour rejette pourtant sa demande en indiquant que « la
seule cause du contrat de crédit-bail était constituée par le contrat de prestations d’images,
ce dont il déduit que les deux contrats étaient interdépendants et, par suite, que l’exploitation
devenant impossible du fait de la défaillance de la société de publicité, la résiliation du
contrat de crédit-bail devait être prononcée ».80
Le recours à la notion de cause s’explique certainement pour deux raisons assez évidentes.
D’une part, la cause est un élément incontournable du contrat. C’est sur elle que repose toute
la nomenclature contractuelle. Sans elle le contrat n’existe pas.
Dans d’autres arrêts on peut cependant constater que les juges refusent de se référer à la cause
du contrat. Ainsi, en 1999 celle-ci se réfère à la commune intention des parties pour en
déduire l’indivisibilité de deux conventions et rajoute que dès lors, elle n’a pas à s’interroger
sur leurs causes respectives.81
Certains auteurs dont S. Pellé, sont hostiles à l’utilisation de la cause comme fondement de
l’interdépendance contractuelle : « nul n’ignore que la théorie de la cause traverse
aujourd’hui [2007] une crise profonde dont le dépassement constitue un préalable
indispensable à la pleine reconnaissance des contrats imbriqués ».82
Sur ce point il ne fait nul
doute que la cause traverse une crise. En droit prospectif la notion de cause a été mise de côté.
Les différents projets européens, à commencer par la proposition de règlement sur le droit
commun européen de la vente du 8 octobre 2011, ne font pas référence à la notion de cause.
Quant aux projets français, l’avant projet Catala fait référence à la « cause de l’engagement »,
le projet de 2008 établi par le gouvernement vise non plus la cause mais « l’intérêt ». Ce
dernier indique en effet que « la clause qui vide le contrat de tout intérêt doit être réputée non
écrite ». Que l’on parle de la cause de l’engagement ou de l’intérêt, il ne fait nul doute que
cela renvoie à la notion actuelle de « cause de l’obligation » ou encore de cause objective.
L’objectif étant de faciliter l’accessibilité et la compréhension du droit français. A ce titre,
l’avant projet de réforme du gouvernement en date du 23 octobre 2013 propose lui aussi une
80 Cass. com., 15 février 2000, Bull. civ., IV, n° 29 81 Cass. com., 15 juin 1999, n° 97-12093, JCP G 2000, I, obs. A. Constantin 82 S. PELLE, La notion d’interdépendance contractuelle – contribution à l’étude des ensembles de contrats,
Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de Thèses, préface J. FOYER, M.-L. DEMEESTER.
48
vision nouvelle de la cause. A « cause » est préféré le « contenu ».83
A vrai dire, la
modification semble principalement littérale et évite tout amalgame entre la « cause
objective » et la « cause subjective ». Néanmoins, il n’est pas certain que cette nouveauté
emporte l’intérêt espéré de nos homologues étrangers.
J. Ghestin quant à lui, estime que la cause ne pourrait servir de fondement à l’anéantissement
en cascade des contrats issus d’un même groupe. En effet, si seule la cause objective doit être
prise en compte, alors elle ne sera appréciée qu’à la seule formation du contrat. Ainsi, la cause
objective ne pourrait valablement justifier pourquoi la disparition d’un des contrats du groupe
anéantisse les autres. D’autres auteurs comme D. Mazeaud, y sont plus favorables et voient
dans l’indivisibilité l’adaptation concrète de la cause dans un ensemble de contrats.
La disparition d’un des contrats de l’ensemble contractuel entrainerait l’impossibilité pour les
cocontractants restant d’atteindre l’opération. Dès lors, l’opération serait privée de cause.
Le recours à des fondements classiques a l’avantage de recevoir une assise juridique.
Pourtant, l’indivisibilité des obligations et la cause portent leurs limites dans leurs propres
définitions. S’ils ont une assise juridique incontestable, leur utilisation est, quant à elle,
fortement contestée lorsqu’il s’agit de démontrer l’interdépendance de différents contrats
issus d’un même ensemble. Les articles 1217 et suivants du Code civil, ainsi que la cause sont
des instruments du contrat unitaire, hermétique. Ils ne permettent pas d’appréhender les
interactions du contrat avec des éléments extérieurs à celui-ci. Aussi, convient-il de mettre de
côté ces deux mécanismes impropres à s’appliquer aux contrats interdépendants.
Une autre notion permettrait d’appréhender ce phénomène. Plus récente, malléable et surtout
éloignée de la vision unitaire du contrat, l’économie générale pourrait constituer un
instrument au service de l’interdépendance contractuelle.
83 Article 35 de l’avant projet de réforme du droit des obligations du 23 octobre 2013 : « Sont nécessaires à
la validité d’un contrat : 1°Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu
licite et certain ». Cet article regroupe les notions de cause et d’objet sous l’appellation « contenu du
contrat ». L’article 69 de l’avant projet, qui remplacerait l’article 1131 du Code civil indique que « Le
contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par son contenu, ni par son but, que ce dernier ait été connu
ou non par toutes les parties »
49
CHAPITRE II : L’économie générale, un nouvel instrument au service de
l’interdépendance
Utilisée pour la première fois par la Cour de cassation en 1959 dans le très célèbre arrêt
« Fourrures Renel »,84
cette notion a été définie par la doctrine comme « l’ensemble des lois
qui régissent la structure du contrat ».85
Souple et intuitive, cette définition permet une
malléabilité de la notion sans pareil.
Véritable guide d’interprétation en cas de clause obscure ou d’absence de volonté exprimée,
la notion d’économie générale devrait donc pouvoir se détacher totalement de la notion de
« cause ». Pour appuyer ces propos, nous pouvons nous référer au propos de X. Lagarde : « à
l’intérieur d’un contrat il y a des éléments nommés et innomés ». Ces derniers sont ceux que
« les parties désignent à l’occasion d’un contrat et qui n’ont pas leur place dans les
nomenclatures de valeur légale […]. L’économie d’un contrat intègre ainsi des éléments
innomés et convenus qui correspondent aux attentes des parties. La terminologie est heureuse
car elle marque la différence avec la notion de cause, construite sur la base d’éléments
nommés, constitutifs d’autant d’invariants contractuels ». Ainsi « lorsque l’économie d’un
contrat incorpore des attentes tournées vers la bonne exécution d’une autre convention, elle
est source d’interdépendance ».86
Cependant, l’économie générale du contrat n’est pas, contrairement à la cause, une condition
de validité du contrat. Mais encore une fois, cette notion surprend : distincte de la cause, elle
permet de l’apprécier dans sa dimension objective. Dans un groupe de contrats, la référence à
la notion d’économie générale permet de mettre en évidence la contrepartie en tenant compte
de l’ensemble contractuel. Autrement dit, l’économie générale du contrat permet d’apprécier
la cause objective d’une obligation plurale. Mais cela va plus loin : la notion d’économie
générale permettrait de recourir à la cause objective au stade de l’exécution du contrat.
84 Cass. civ. 1ère, 6 juillet 1959, Sté des fourrures Renel c/Allouche 85 Ph. JESTAZ, L’obligation et la sanction : à la recherche de l’obligation fondamentale, Mélanges
Raynaud, Dalloz-Sirey, 1985, p. 273 et s. 86 X. LAGARDE, « Economie, indivisibilité, et interdépendance des contrats », JCP G n° 48, 25 novembre
2013, doctr. 1255
50
Il faut partir ici d’une idée simple : le contrat renferme l’accord de volonté des parties. Cet
accord est plus ou moins bien exprimé, parfois simplement sous-entendu, parfois totalement
absent sur certains points pourtant nécessaires à l’exécution de l’ensemble. Cela n’a rien
d’anormal car les parties ne sauraient tout prévoir. L’étude de la nomenclature contractuelle,
de la structure juridique de l’accord permet de retranscrire la volonté des parties là où elle
n’est pas claire.
L’absence de volonté explicite peut être illustrée dans deux cas, soit lorsque la volonté est
insuffisamment exprimée, soit lorsqu’elle est exprimée de façon contradictoire.
Section 1 : L’économie générale, un instrument de l’interdépendance en l’absence de
volonté déclarée
La volonté n’est pas claire. Les parties n’ont pas exprimé clairement qu’elles souhaitaient
rendre divisible ou indivisible plusieurs contrats. Aucune clause de divisibilité ou
d’indivisibilité n’a été insérée dans l’ensemble. Comment déterminer s’il y a ou non
interdépendance ? Doit-on nécessairement admettre que lorsqu’elle ne transparait pas
explicitement de l’accord de volonté, l’interdépendance – si elle existe – est nécessairement
objective ?
Pour répondre à cette question il convient de se tourner vers les instruments juridiques
existant. Nous l’avons vu, la notion de cause semble trouver ses limites pour appréhender
l’interdépendance. Il est donc nécessaire de recourir à une notion qui permet de dépasser la
vision unitaire du contrat. Ainsi, la notion d’économie générale permettrait de déceler, en
pareil cas, une forme d’indivisibilité. Déceler et non justifier. La différence est de taille
puisqu’ici la notion d’économie générale serait utilisée comme un guide. A travers l’étude de
son économie, les parties ont montré implicitement, pour ne pas dire maladroitement, qu’elles
souhaitaient rendre interdépendant leurs contrats.
Section 2 : L’économie générale, un instrument de l’interdépendance en cas de volonté
contradictoire
Il s’agit du contrat incohérent. Deux situations sont possibles. Il y a contradiction parce que
les parties ont inséré une clause de divisibilité mais l’instrumentum est rédigé de telle sorte
51
qu’une réelle contradiction apparaît. Ainsi, hormis la clause de divisibilité, les parties ont
laissé sous-entendre qu’elles souhaitaient imbriquer chaque élément de l’ensemble. Cela peut
s’envisager lorsque chacun des contrats fait référence à un autre, conditionne son exécution à
un autre etc. … Il y a une contradiction flagrante ; finalement on ne sait pas réellement ce que
souhaitent les parties.
Autre hypothèse – plus souvent rencontrée –, les parties ont inséré une clause de divisibilité
mais cet accord de volonté serait contradictoire avec « l’esprit même du contrat ».
Prenons pour /par exemple un contrat de crédit immobilier à la consommation qui contiendrait
une clause de divisibilité. Le futur propriétaire doit tout d’abord s’assurer d’avoir les fonds. Il
doit donc conclure un contrat de crédit. Les sommes qui lui seront prêtées seront affectées à
l’acquisition de l’immeuble. Ainsi, le contrat de crédit immobilier se décompose
nécessairement en deux contrats : un contrat de crédit et un contrat de vente. Notons que
l’acquisition d’un immeuble peut aussi prendre la forme d’une location-accession. Quoi qu’il
en soit, il paraît évident que dans cette hypothèse, l’acheteur ne pourra pas acquérir
l’immeuble sans les fonds. Il est tout aussi vrai que la conclusion du seul contrat de prêt
n’aurait aucune utilité pour lui.
La clause de divisibilité insérée dans ce contrat aura vocation à jouer lorsque l’un des deux ne
serait finalement pas conclu – ou valablement conclu –, viendrait à disparaitre. Elle permet
ainsi de faire perdurer un seul des contrats. Le risque pèserait alors sur le seul
acheteur/emprunteur qui se verrait dans l’obligation de rembourser un prêt dont les fonds
n’auraient été affectés à aucun immeuble, ou encore devoir financer un immeuble sans prêt
affecté.
Cette situation serait très risquée pour l’acheteur mais serait en outre, en contradiction totale
avec l’esprit du contrat de crédit immobilier à la consommation. L’intervention du législateur
a permis d’éviter cette situation. Cependant, sa démarche a bien plus consistée à retirer aux
parties la faculté de répartir les risques liés à l’interdépendance contractuelle, qu’à assurer une
cohérence structurelle de l’ensemble. Il y a fort à parier que le recours à la notion d’économie
générale aurait conduit au même résultat. Le contrat de crédit immobilier à la consommation,
s’il est affecté de clauses de divisibilités serait déséquilibré, mais aussi « dénaturé » par les
parties.
Si la volonté déclarée est celle de la division, la volonté réelle est celle de l’imbrication
puisque les parties ne sauraient s’entendre sur un contrat incohérent. Il ne s’agit pas de rendre
figée la structure du contrat, des clauses peuvent toujours l’aménager. Mais certains points ne
52
peuvent l’être car ils renverseraient toute la structure contractuelle. Une notion juridique se
trouve derrière ce qui semble n’être qu’une intuition : « le contrat de crédit immobilier perd
de sa cohérence si le contrat de prêt disparait », il s’agit de l’économie générale du contrat.
Finalement il convient ici d’analyser la volonté réelle des parties à travers l’étude de
l’économie du contrat. Le cas échéant, si cette volonté ne correspond pas à celle déclarée,
alors la volonté déclarée devra être écartée. On ne regarde que ce que les parties ont voulu
réellement et non ce qu’elles ont déclaré. La prévisibilité juridique en prend pour son grade,
mais la cohérence ne saurait être que renforcée.
La volonté déclarée est, pour notre cas, la clause de divisibilité insérée dans un contrat qui au
fond – et c’est d’ailleurs sa vocation – ne trouve de cohérence que par le biais d’un autre
contrat. Les parties le savent et souhaitent ainsi y faire échec. Elles choisissent ainsi de
répartir les risques. Mais cette répartition n’est réellement faite qu’à l’avantage d’un des co-
contractants. En effet, la clause de divisibilité permet de faire perdurer un contrat qui pour une
des parties n’a plus aucune raison d’exister. Pour l’autre, l’intérêt est toujours présent.
Lorsqu’une clause de divisibilité est insérée dans un contrat - avec location financière –, le
prêteur a intérêt à toujours pouvoir percevoir son montant, que le contrat pour lequel le prêt a
été contracté soit ou non existant.
L’économie générale du contrat est donc un indice d’interdépendance. La nomenclature de la
structure contractuelle précisément étudiée permet de déduire avec plus ou moins de
certitudes, comme l’affirmait à juste titre J.B Seube, une forme d’interdépendance. Deux
contrats participant à une même opération ne sont pas nécessairement interdépendants, leur
homogénéité et leur cohérence doivent être indiscutables.87
Comme il a été précédemment mentionné, la notion d’économie générale paraît être
largement adaptée à la démonstration de l’interdépendance et permet une analyse complète de
celle-ci car elle mobilise tant des indices objectifs que subjectifs. Cependant, si cette notion
permet effectivement de mettre en œuvre l’interdépendance, il n’en reste pas moins que celle-
ci, tout comme l’interdépendance contractuelle, ne dispose pas d’une véritable assise
juridique. Les raisons en sont par ailleurs semblables. Le Code civil de 1804 a une vision du
contrat unitaire et centrée sur sa cause. L’intérêt primordial de l’économie générale est, au
87 L’indivisibilité des conventions : objective ? subjective ?, Revue des contrats, 01 juillet 2008, n°3, p. 841,
J.B SEUBE
53
contraire de la cause, d’interagir avec des éléments extérieurs au contrat stricto sensu. Des
éléments extérieurs au contrat sont susceptibles d’avoir des conséquences sur celui-ci. Or, une
vision parcellaire du contrat ne permet pas leur prise en compte.
Si la jurisprudence semble constante concernant les contrats présentant une location
financière, il paraît cependant difficile de définir l’avenir des autres montages contractuels
existant ou en devenir. Tomberont-ils eux aussi sous le coup de l’interdépendance ? Comment
même à travers l’économie générale du contrat pourrons-nous définir s’il y a ou non
interdépendance ?
La répartition du risque paraît de plus en plus soustraite à la volonté des parties. Elles
disposent d’une marge de manœuvre plus restreinte pour des raisons de protection ou plus
généralement dans une optique de laisser intègre l’essence-même du contrat.
Ce mécanisme aurait pour une part majoritaire de la doctrine un autre atout. Il permettrait
d’aller au-delà du clivage tiré du dualisme de l’interdépendance. L’économie générale du
contrat renfermerait à la fois les caractéristiques objectives du contrat mais aussi la volonté
des parties. En effet, si le contrat est un accord de volonté il ne peut qu’émaner de l’intention
des parties. Ainsi, l’interdépendance qui se déduit de l’opération économique découle
nécessairement de l’intention des parties. Ce raisonnement nous permettrait d’ailleurs de
donner amplement raison au professeur J. Moury lorsque ce dernier indique que « il y a
indivisibilité entre les éléments homogènes d’un ensemble lorsque ceux-ci, a priori
autonomes et placés sur un pied d’égalité, sont unis par un lien permanent d’interdépendance
préservant leur individualité mais tel que, chacun d’eux ayant été envisagé par les
contractants comme une condition sine qua non de l’existence d’ensemble, ils ne peuvent
subsister isolément ».88
Nous pouvons comprendre que l’analyse de l’économie du contrat
entraîne nécessairement la prise en compte de l’intention des parties. Finalement, la notion
d’interdépendance serait une notion faussement dualiste puisque l’intention des parties se
déduit du contrat. Mais l’intention des parties peut-elle se déduire d’un contrat non négocié ?
Ce sera possible si l’économie du contrat permet d’aller au-delà de la simple lecture de
l’instrumentum pour en déduire le negocium et ainsi comprendre ce qu’on réellement voulu
chacune des parties au moment de la signature du contrat.
88 J. MOURY, De l’indivisibilité entre les obligations et entre les contrats, RTD civ. 1994, p. 255 et s. spéc.
54
Il semblerait que la jurisprudence prenne le pas sur les projets de réforme. En effet, l’attendu
de principe des arrêts du 17 mai 2013 ressemble fortement à ce qui a été proposé par les
différents projets. La différence – de taille – est que le droit prospectif ne fait pas
expressément de la location financière une cause de l’interdépendance.
Dès lors, il semble permis de se demander quel sera l’avenir de la jurisprudence du 17 mai
2013 une fois le Code civil réformé. Pourrait-elle n’être qu’une application, aux contrats
présentant une location financière, de l’article 13 du projet de réforme de 2008 qui indique
que « sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs dont l’exécution est
nécessaire à la réalisation de l’opération d’ensemble à laquelle ils appartiennent » ?
La démonstration de l’interdépendance contractuelle reste encore très floue. Elle souffre de
textes laconiques, d’une jurisprudence versatile, de projets de réforme sans réforme. La
démonstration de l’interdépendance passée, l’étape laborieuse de sa mise en œuvre s’ouvre.
55
DEUXIEME PARTIE
LA MISE EN ŒUVRE DE L’INTERDEPENDANCE
CONTRACTUELLE, APPLICATION PRATIQUE
56
TITRE I – Les conséquences de l’interdépendance contractuelle
Quels sont les effets de l’interdépendance ? Plusieurs pistes peuvent être dès à présent
proposées. Voilà un contrat de vente pour lequel le prêt a été refusé. Sans même parler
d’interdépendance, il convient de se demander quelles sont les conséquences du refus du prêt
sur l’acte de vente immobilière.
Nous savons que si le prêt nécessaire au financement de l’acquisition immobilière n’est pas
obtenu dans le délai de réalisation de la condition suspensive, alors la vente n’est pas réalisée
puisque la condition ne l’a pas été.89
Dès lors, l’acte de vente devient caduc. Les parties
doivent alors être remises dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant la signature du
compromis de vente. Nous l’avons vu, en matière de crédit immobilier à la consommation
cette clause ne peut pas être inférieure à un certain délai.
Autre effet conséquent au défaut de réalisation de la condition suspensive d’obtention du prêt,
la restitution des sommes versées par l’acquéreur. Conformément à l’article L312-16 du Code
de la consommation, les sommes versées à l’avance par l’acquéreur sont immédiatement et
intégralement remboursables sans retenue ni indemnité. Pour favoriser l’effet immédiat du
remboursement le législateur a prévu, au sein du même article, qu’à compter du quinzième
jour suivant la demande de remboursement, les sommes sont productives d’intérêts au taux
légal majoré de moitié.
Dans la majorité des cas, un contrat de mandat d’achat ou de recherche de bien immobilier
aura été conclu avec un agent immobilier.90
Puisque l’opération ne s’est pas réalisée, l’agent
immobilier ne peut prétendre à sa commission et devra rembourser à son mandant les sommes
perçues au titre de celle-ci prévue dans le contrat.91
Cette remarque prend toute son
importance puisque, lorsque la condition suspensive d’obtention de prêt est réalisée et que par
conséquent l’acte de vente est signé, l’agent aura droit à une commission,92
nonobstant la
résiliation de la vente.
89 Article L312-16 du Code de la consommation 90 Notons que dans la plupart des cas cette question se pose pour le contrat de mandat de vente ou de
recherche d’acquéreur donné à un agent immobilier 91 Cass. civ. 1ère, 10 mars 1987, n° 85-15839, Bull. civ. I, n°90 92 Encore faut-il que la rémunération ait été prévue dans le contrat de mandat et figure en caractère très
apparents conformément aux dispositions de la loi Hoguet du 2 janvier 1970 et du décret du 20 juillet
1972
57
Ces effets s’appliquent sans même qu’il soit nécessaire de démontrer une quelconque
interdépendance, ni même que les articles du Code de la consommation parlent
d’interdépendance ou d’indivisibilité des obligations.93
Ces effets s’appliquent sans même qu’il soit nécessaire de démontrer une quelconque
interdépendance ni même que les articles du Code de la consommation parle
d’interdépendance ou d’indivisibilité des obligations.94
Par intuition, nous pouvons légitimement penser que la mise en œuvre de l’interdépendance
va nécessairement reprendre la plupart de ces effets. Cependant, les effets de
l’interdépendance contractuelle ne sauraient se résumer à une caducité et un remboursement
des sommes versées, ne saurait se limiter à la simple formation des contrats. Il convient donc
de revenir sur chacun des effets de l’interdépendance contractuelle.
Par intuition, nous pouvons légitimement penser que la mise en œuvre de l’interdépendance
va nécessairement reprendre la plupart de ces effets. Cependant, les effets de
l’interdépendance contractuelle ne sauraient se résumer à une caducité et un remboursement
des sommes versées, ni à se limiter à la simple formation des contrats. Il convient donc de
revenir sur chacun des effets de l’interdépendance contractuelle.
Leur grande diversité nécessite l’analyse approfondie de chacun de ces effets, (Chapitre I :
les effets de l’interdépendance contractuelle) mais aussi la sanction rattachée à
l’interdépendance (Chapitre II : La sanction rattachée à l’interdépendance contractuelle).
93 Le contrat de prêt serait ici vu comme une condition et non comme un contrat interdépendant du contrat
de vente 94 Le contrat de prêt serait ici vu comme une condition et non comme un contrat interdépendant du contrat
de vente
58
Chapitre I : Les effets de l’interdépendance sur les parties et sur l’ensemble contractuel
L’interdépendance déploie ses effets sur les acteurs et fondateurs de l’ensemble - les parties -
(Section 1 : les effets sur les parties), mais sur l’ensemble contractuel indivisible (Section 2 :
Les effets sur l’ensemble contractuel).
Section 1 : Les effets sur les parties
Lorsque les parties prévoient l’interdépendance de leurs contrats, celles-ci effectuent une
répartition des risques (Sous-section 1). La qualification de l’interdépendance peut avoir un
effet sur les actions respectives des parties (Sous-section 2).
Sous- section 1 : La charge de la répartition des risques
L’interdépendance contractuelle est un instrument qui permet de définir le risque encouru par
chacune des parties. Or, lorsque l’interdépendance est démontrée, le contractant pivot – celui
à l’origine de la demande – est soulagé d’un risque : devoir exécuter un contrat qui pour lui
n’a plus aucun intérêt. Mais que dire de ses partenaires qui devront chacun supporter les
risques liés à l’inexécution de l’un d’entre eux, risques dont ils n’ont pas la maîtrise.
Les différents partenaires contractuels vont donc avoir un intérêt certain à être mis en contact
avec les différents intervenants de l’ensemble contractuel pour calculer et gérer au mieux
leurs risques respectifs.
Ce calcul du risque à un coût qui pourrait, selon Y.-M. Laithier,95
renchérir le coût des
différentes prestations. Mais au-delà de cet effet, le simple fait pour les différents partenaires
de rentrer en contact est un indice d’interdépendance. En voulant restreindre leurs risques liés
à une éventuelle interdépendance des contrats issus d’un même ensemble ils en créent un
autre : que l’interdépendance soit plus qu’éventuelle. Le calcul des risques devrait donc être
mis en place pour tous les cas où l’interdépendance est avérée : les contrats comportant une
clause d’indivisibilité, les ensembles contractuels contenant une location financière et les
contrats de crédit à la consommation mobilière.
95 Y.-M. LAITHIER, La marche forcée vers l’interdépendance contractuelle, RDC octobre 2013, p. 1335
59
L’interdépendance contractuelle des contrats rend inefficace la clause de divisibilité entre les
contrats. L’idée est de restaurer la cohérence du contrat au détriment de la volonté des parties.
La clause, incohérente avec l’économie du contrat en sera évincée. L’auteur Y.-M. Laithier
regrette cette approche qui selon lui est biaisée. Pour lui, cela revient à « confondre le concept
d’opération avec la notion d’interdépendance contractuelle, confondre une réalité
économique avec une situation juridique ». La globalité et la finalité de l’opération
demeuraient inchangées. Il ajoute que « stipuler une clause de divisibilité, c’est uniquement,
sur le terrain juridique, répartir entre les parties les risques inhérents à la présence d’un
contrat distinct ». Il est vrai que lorsque les parties insèrent une clause de divisibilité, elles
opèrent une répartition du risque, mais est-ce réellement le seul effet ? La finalité de
l’opération reste-elle réellement inchangée ? N’y a-t-il pas une différence entre un contrat
prévoyant l’installation de matériel informatique loué et le contrat prévoyant l’installation de
matériel informatique inexistant car le contrat de location a cessé d’être ? Si l’économie du
contrat n’est pas bouleversée, elle n’en reste pas moins touchée.
L’économie du contrat se définit notamment par un facteur : celui des liens d’obligations
entre chaque partenaire. C’est l’ensemble de ces liens qui participe à l’opération unique. Dès
lors, si l’un d’eux vient à disparaitre, la finalité de l’opération est nécessairement touchée.
Quand bien même l’opération aboutirait, les coûts pourraient être revus à la hausse ou
inversement, le terme d’un des contrats allongé. Ainsi, l’opération économique sera différente
de celle initialement prévue par les parties. Prévoir une clause de divisibilité n’est donc pas
une « simple » répartition des risques mais aussi un parti pris sur l’économie du contrat.
L’interdépendance contractuelle produit aussi des effets sur les actions respectives des parties.
Sous-section 2 : L’action des parties
Lorsqu’une opération nécessite l’exécution de plusieurs contrats, le nombre d’intervenants à
l’opération a vocation à augmenter. Il y a nécessairement un contractant « pivot » qui va
solliciter un ou plusieurs partenaires afin de réaliser une opération. L’interdépendance
contractuelle va avoir des effets sur la pluralité d’intervenants. L’arrêt du 22 mars 2012,96
rendu à propos d’une opération formée par plusieurs contrats interdépendants met en scène
96 Cass. civ. 1ère, 22 mars 2012, n° 09-72792, Bull. civ., I, n°62
60
une pluralité de créanciers. Dans cette affaire, une femme nue-propriétaire, sa mère
usufruitière et son fils mineur participent à une opération constituée d’un contrat
« d’occupation » d’un logement, de terres et de bâtiments agricoles, ainsi que d’un accord
verbal de mise à disposition des chevaux compris dans ces bâtiments avec un cavalier. Le fils
mineur n’est partie qu’à la seconde convention. La mère usufruitière décède, rendant sa fille
propriétaire des lieux. Celle-ci souhaite se voir restituer la totalité des lieux. Elle saisit alors le
Tribunal de grande instance d’une action en résolution de cette opération qu’elle qualifie de
« prêt à usage » et d’une demande d’indemnité d’occupation. Le cavalier invoque
l’irrecevabilité de cette demande pour défaut de qualité à agir de la propriétaire. Les juges
sont donc contraints de se demander dans quelle mesure la propriétaire, partie aux deux
contrats de l’opération, peut exercer son droit d’action alors que son fils mineur, partie à un
seul des deux contrats, ne forme pas de demande.
Par cet arrêt, la première chambre civile donne des réponses quant à l’effet de l’imbrication
des contrats sur les actions des parties, notamment l’action en résolution et la demande en
dommages-intérêts.
§1 : L’action en résolution
La Cour de cassation retient que : « la résiliation de l'une ou l'autre des conventions, qui
constituaient un ensemble interdépendant et indivisible, emportant anéantissement des obligations
souscrites en faveur [du fils mineur de la demanderesse] créancier d'une obligation d'entretien au
titre du cheval lui appartenant, la cour d'appel en a exactement déduit que [la demanderesse] ne
pouvait agir seule en rupture de ces deux contrats ; D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable,
n'est pas fondé pour le surplus ».
L’action de la mère doit être restreinte car elle emporterait de lourdes conséquences pour son
fils qui n’a « rien demandé ». L’interdépendance contractuelle réduit le droit d’action des
parties. Comment comprendre le raisonnement de la Cour ici ? Il semblerait qu’il faille dans
un premier temps distinguer les deux contrats.
Si la mère demande la résiliation du contrat auquel le fils est partie, il faut nécessairement que
ce dernier agisse en résolution contractuelle. Le fait, en l’espèce, est que ce dernier était
mineur, il fallait donc que la mère agisse en son nom mais aussi en tant que représentant
légale de son fils. C’est d’ailleurs ce qu’elle avait fait valoir devant la cour d’appel, qui a
61
rejeté sa demande à défaut de pouvoir établir le lien de filiation entre la demanderesse et son
fils. La Haute juridiction confirme la décision des juges du fond au motif que la demanderesse
ne justifie pas de sa qualité à intervenir seule au nom du mineur pour pouvoir « représenter la
partie contractante dans sa globalité ». Ainsi, si la mère avait effectivement pu établir le lien
de filiation entre elle et son enfant, sa demande aurait été reçue. Mais dans le cas contraire, il
est impossible, dans l’hypothèse d’une pluralité de créanciers, que l’un d’eux seulement
résilie un contrat alors que les autres ne sollicitent pas cette résiliation.
Si la mère demande la résiliation du contrat auquel elle est partie et dont son fils est absent, a
priori il ne devrait pas y avoir de difficultés. En cas d’inexécution par le cavalier de son
obligation, la demande de la propriétaire devrait pouvoir aisément être admise. Mais
intervient l’interdépendance des deux conventions. Dès lors, la Cour explique que, par le jeu
de l’interdépendance, la demande en résiliation du premier contrat entrainerait nécessairement
la résolution du second. En quelque sorte la demande en résiliation conduirait à la résolution
du contrat d’une partie qui n’en a pas fait la demande. Dès lors, la demande en résiliation ne
peut pas être reçue. La demanderesse distinguait dans son pourvoi l’indivisibilité des
conventions de celle des créanciers. Par cette décision, la Première chambre civile montre que
l’indivisibilité des conventions conduit nécessairement à rendre indivisible l’action en
résiliation/résolution des créanciers. Selon l’auteur E. Savaux, la Première chambre civile
opère une distinction entre « l’intérêt à l’exécution et sanctions de l’inexécution ».97
Il ajoute
que « puisque chaque créancier peut réclamer l’exécution de l’obligation indivisible, il est
pareillement en droit de se plaindre de l’inexécution et de mettre en œuvre les sanctions qui
l’assortissent ». Cependant, l’auteur remarque à juste titre que l’opération comprenant une
pluralité de créanciers fait naître des droits sur la tête de chacun d’eux. Dès lors, l’action de
l’un en résiliation risquerait de priver les prérogatives des autres.
L’interdépendance restreint le droit d’agir en cas de pluralité de créanciers. Cependant, il
semble que les juges ne réservent pas le même sort à chaque demande des créanciers. Le 22
mars 2012, la demande en dommages-intérêts est favorablement accueillie.
97 Cass. 1ère civ. 22 mars 2012, n° 09-72792 : Bull.civ., I, n°62, RDC, octobre 2013, p. 1337, obs. E.
SAVAUX
62
§2 : La demande en réparation
« L'indivisibilité entre plusieurs conventions ne saurait priver un des cocontractants de la
possibilité d'agir seul en réparation de ses préjudices personnels ».98
Par cet attendu, la
première chambre civile casse la décision des juges du fond qui estimaient que la demande en
réparation formée par la mère, au titre du préjudice tiré de la mauvaise exécution de la
convention,99
supposait nécessairement que son fils, créancier d’un autre contrat de
l’opération, soit représenté dans la procédure. Les juges du fond ont donc déclaré irrecevable
la demande de la mère pour défaut de qualité pour agir. Or, s’il est évident qu’en l’absence de
représentation la mère ne puisse agir pour le préjudice subi par son fils, il serait étonnant que
celle-ci ne puisse pas agir pour le préjudice qu’elle a personnellement subi. L’interdépendance
ne restreint pas la demande en réparation puisque la demande en réparation ne déclenche pas
l’effet destructeur de l’interdépendance.
Les effets de l’interdépendance contractuelle vont se développer au sein de l’ensemble
contractuel. Il convient d’analyser les interactions entre les contrats interdépendants.
Section 2 : Les effets sur l’ensemble contractuel
Qu’il s’agisse de permettre la réalisation de l’opération globale ou, au contraire, de provoquer
sa disparition, les effets de l’interdépendance contractuelle sont multiples.
Ils pourraient être scindés en plusieurs catégories. A cet égard, nous retrouvons dans la
plupart des ouvrages les distinctions effets contractuels/ effets processuels, effets destructeurs
/ effets salvateurs.
Au contraire des effets processuels – que nous avons pu développés en analysant les effets de
l’interdépendance contractuelle sur les parties – les effets contractuels sont multiples. En
effet, la reconnaissance d’un ensemble contractuel aura nécessairement des effets sur
l’appréciation de la validité de chacun des contrats du groupe. L’indivisibilité peut avoir un
effet destructeur ou salvateur au stade de la formation, de l’exécution ou de la cessation du
contrat.
98 Cass. civ 1ère. 22 mars 2012, n° 09-72792 99 La convention mettant à disposition du cavalier les chevaux et mettant à la charge de ce dernier
l’obligation de s’en occuper
63
Nous distinguerons les effets salvateurs (Sous-section 1 : Les effets salvateurs de
l’interdépendance contractuelle) des effets destructeurs de l’interdépendance (Sous-section
2 : Les effets destructeurs de l’interdépendance contractuelle).
Sous-section 1 : Les effets salvateurs de l’interdépendance contractuelle
Lorsque sont évoqués les effets de l’interdépendance, le juriste pense presque instantanément
à la théorie des anéantissements en cascade. Il est vrai que l’interdépendance se conçoit
particulièrement bien dans sa portée « autodestructrice ». La perception première des effets de
l’interdépendance, c’est le virus qui infecte tout l’organisme ou encore le domino qui fait
chuter tous les autres. Cette thématique est effectivement incontournable mais il serait bien
peu scrupuleux d’en oublier ses effets salvateurs. L’interdépendance des contrats ne détruit
pas tout sur son passage, elle permet parfois de construire ou encore de faire perdurer les
relations contractuelles des parties.
Les interférences entre les contrats peuvent être positives. Cet effet positif qu’il soit
créateur, ou protecteur peut se manifester dès le stade de la formation du contrat. Prenons
pour exemple la promesse unilatérale de vente insérée dans une transaction. Cette
promesse doit à peine de nullité être enregistrée.100
Pourtant, la Haute juridiction a
plusieurs fois admis la validité d’une promesse unilatérale de vente alors même que son
enregistrement n’avait pas été effectué par les parties. Dès lors que celle-ci est insérée
dans une transaction, l’enregistrement n’est plus une condition de validité de la promesse.
Elle a en premier lieu raisonné sur la nature synallagmatique de la transaction pour écarter
le caractère unilatéral de la promesse.101
En second lieu celle-ci a raisonné en termes
d’interdépendance.102
La transaction stipule des engagements réciproques interdépendants.
Ainsi, la promesse de vente n’est qu’un de ses éléments. Ceci justifie que l’on écarte le
régime juridique classique du contrat spécial inséré dans la transaction. La Cour s’était par
ailleurs déjà prononcée sur cette question à l’occasion d’une promesse unilatérale de vente
insérée dans un contrat de crédit-bail. Elle avait confirmé l’arrêt des juges du fond en
indiquant que « l’arrêt énonce à bon droit que le contrat de crédit-bail immobilier est un
100 Article 1589-2 du Code civil. Cet enregistrement était anciennement imposé par le Code général des
impôts (article 1840) pour éviter fraude 101 Cass. civ. 3ème, 26 mars 2003, n°01-02140 102 Ass. plen., 24 février 2006, n°04-20525
64
contrat d’une nature complexe dans lequel la promesse de vente ne constitue qu’un
élément d’une technique juridique permettant aux parties de réaliser une opération
globale leur offrant des avantages réciproques ».103
L’interdépendance aura aussi des effets sur l’appréciation de la licéité du contrat. Chaque
contrat peut être isolément licite mais pris indivisiblement ils deviennent prohibés. Nous ne
disposons que de très peu d’exemples dans ce domaine.
L’effet positif peut se développer lors de l’exécution du contrat. La Cour, dans un arrêt du 22
janvier 1997,104
la troisième chambre civile admet que le renouvellement d’un bail puisse
entrainer le renouvellement d’un second, motif pris que les deux baux conclus puis reconduits
aux mêmes dates et pour des durées identiques n’étaient pas dissociables. Ainsi lorsqu’un des
contrats du groupe atteint son terme, celui-ci pourrait être renouvelé du fait de
l’interdépendance contractuelle.
L’interdépendance contractuelle peut faciliter la reconnaissance de la compensation. Si les 4
conditions105
de la compensation ne sont pas remplies, la Cour prévoit que la connexité des
deux dettes suffit à admettre la compensation. Cette connexité est avérée pour les dettes nées
d’une même convention.106
La Cour tire le même constat des dettes nées de contrats distincts
mais interdépendants.107
Les effets salvateurs sont en pratique très peu nombreux. Ce constat est renforcé au regard de
la multiplicité des cas où le lien d’interdépendance contractuelle conduit à l’anéantissement
en cascade de l’ensemble des contrats du groupe.
103 Cass. civ. 3ème, 3 novembre 1981, n° 79-15671 104 Cass. civ. 3ème, 22 janvier 1997, n° 94-19554 : « Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et
adoptés, que les deux baux avaient été conclus puis renouvelés aux mêmes dates, pour des durées
identiques, que peu de temps après leur renouvellement, la bailleresse avait écrit [aux locataires]... que
les chambres étaient destinées à recevoir la clientèle de l'hôtel, et qu'elle avait plus tard, par lettre, à
l'occasion d'un autre renouvellement, lié le sort de ces contrats, qui avaient trait à des locaux
complémentaires, la cour d'appel, qui a pu en déduire que les baux n'étaient pas dissociables, a
légalement justifié sa décision; » 105 Conformément à l’article 1291 du Code civil, les dettes doivent être exigible et liquide et résulter
d’obligations réciproques dont l’objet est fongible. 106 Cass.com., 19 décembre 1989, n°88-13789, Bull. civ. IV, n° 327 107 Cass. com., 9 mai 1995, n° 93-11724, Bull. civ. IV, n° 130 : « Attendu qu'à défaut d'obligations
réciproques dérivant d'un même contrat, le lien de connexité peut exister entre des créances et dettes nées
de ventes et achats conclus en exécution d'une convention ayant défini, entre les parties, le cadre du
développement de leurs relations d'affaires, ou de plusieurs conventions constituant les éléments d'un
ensemble contractuel unique servant de cadre général à ces relations » ; Cass. com., 15 mars 2005, n°
02-19129, Bull. IV, n° 62
65
Sous-section 2 : Les effets destructeurs de l’interdépendance contractuelle
Les juges tirent motif de l’interdépendance pour étendre les effets de l’anéantissement d’un
contrat à l’ensemble des contrats participant à l’opération globale. Rien d’étonnant, quelle
serait l’utilité de l’interdépendance contractuelle si la cessation de l’un d’entre eux
n’emportait aucune conséquence sur les autres ni même sur l’ensemble ?
Lorsque l’indivisibilité de l’ensemble contractuel est admise, la question de ses effets est
nécessairement attendue. Toute entité se définit par ses effets, pour la raison suffisante, que
les acteurs du contrat ne l’ont conclu que pour voir se produire lesdits effets. Lorsque
l’indivisibilité entre plusieurs contrats issus d’un même ensemble est admise, l’annulation, la
résiliation ou encore la résolution de l’un deux, anéantie corrélativement les autres contrats de
l’ensemble.
L’anéantissement en cascade est-il automatique ? L’intuition nous conduit à répondre
affirmativement. Quel intérêt y a-t-il à démontrer l’interdépendance d’un ensemble si ce n’est
pour en déduire l’anéantissement de cet ensemble dès lors que sa pérennité est vouée à
l’échec ? Et pourtant, l’interdépendance n’est pas en soi un outil de destruction massive.
Inspirons-nous du contrat de crédit immobilier à la consommation. Cet ensemble n’instaure
entre ses contrats aucune interdépendance à proprement parler, mais fait du contrat de prêt la
condition du contrat de vente. Le législateur a prévu à l’article L312-19 du Code de la
consommation une suspension judiciaire du prêt en cas de crédit immobilier affecté au
financement d’ouvrages ou de travaux immobiliers au moyen d’un contrat de promotion, de
construction, de maîtrise d’œuvre ou d’entreprise. Ainsi, en cas de contestation ou d’accident
compromettant l’exécution des contrats, le tribunal peut suspendre l’exécution du contrat de
prêt sans préjudice éventuel du droit du prêteur à indemnisation. Le prêteur doit être intervenu
à l’instance ou doit avoir été mis en cause par les parties. Ce procédé est prévu par l’avant
projet de réforme du droit des obligations en date du 23 octobre 2013. L’article 128 vise
« l’exception d’inexécution par anticipation ». Il stipule que « Une partie peut suspendre
l’exécution de sa prestation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera
pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour
elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »
Ce mécanisme s’applique déjà en cas d’interdépendance contractuelle. Dès lors que
l’exécution d’un des contrats du groupe serait ou deviendrait difficile, l’interdépendance
66
pourrait suspendre les effets de chacun d’eux. Cet effet suspensif devrait évidemment être
limité dans le temps et son but serait de rétablir la pérennité de l’ensemble. Malheureusement
la demande en résiliation ou résolution a bien plus de succès. Ainsi, si l’application de
l’exception d’inexécution n’est pas un effet destructeur elle n’annonce rien de bon. Dans
l’affaire Sédri,108
le litige ayant donné lieu à l’anéantissement en cascade des contrats
constituant l’ensemble avait débuté par l’application de l’exception d’inexécution.
Si l’anéantissement en cascade est l’effet le plus significatif de l’interdépendance comment
celui-ci est-il mis en œuvre ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur la sanction
rattachée à l’interdépendance.
108 Cass. com. 4 avril 1995, n° 93-14585 et 93-15671, Bull. civ. IV, n° 115 et n°116
67
Chapitre II : La sanction rattachée à l’interdépendance
Dans cette partie seront analysés les différents outils juridiques utilisés pour mettre en œuvre
la notion d’interdépendance contractuelle. Seront principalement développées les notions de
caducité, de nullité, résolution, résiliation. La nature juridique des contrats imbriqués dans
l’ensemble influence-t-elle la nature de la sanction ?
La sanction doit-elle s’apprécier en fonction de la gravité ? Doit-on sanctionner l’inexécution
de l’obligation d’un des contrats de l’ensemble ou sanctionner l’inutilité de l’opération
provoquée par cette inexécution ? La sanction doit-elle avoir un « effet miroir » ? Autrement
dit, la nullité d’un contrat de l’ensemble entraînerait celle des autres, la résolution de l’un
d’eux entrainerait celle des autres, idem pour la résiliation ? D’après Ph. Reigné, la réponse
est bien plus complexe et « [l]a jurisprudence n’a pas su dégager un principe général
permettant de déterminer le mode de disparition des contrats qui sont liés à un contrat résolu
ou résilié pour inexécution ».109
Les juges offrent effectivement un panorama très large des différentes sanctions rattachées à
l’interdépendance. Quatre mécanismes peuvent être envisagés : l’annulation, la résolution, la
résiliation et enfin la caducité du contrat. Ces notions peuvent être scindées en deux groupes :
celles conduisant à une fin rétroactive du contrat (Section 1 : les sanctions ayant un effet
rétroactif), de celles conduisant à la disparition du contrat pour l’avenir (Section 2 : les
sanctions dépourvu d’effet rétroactifs).
Section 1 : Les sanctions ayant un effet rétroactif
Comme il a déjà été mentionné, les principaux effets de l’interdépendance sont des effets
dévastateurs. Dévastateurs car la disparition d’un des contrats remet en cause la pérennité de
l’opération globale. A ce titre, pourraient être des sanctions de l’interdépendance l’annulation
ou la résolution des autres contrats du groupe. Il convient d’analyser chacune de ces notions
et leurs différences en dehors du phénomène de l’interdépendance contractuelle (Sous-section
1) puis d’en déduire leur compatibilité avec la mise en œuvre de l’interdépendance
contractuelle (Sous-section 2)
109 Ph. Reigné, La résolution pour inexécution au sein des groupes de contrats, in la cessation des relations
contractuelles d’affaires : PUAM 1997, P. 151 et s., spéc. n° 32
68
Sous-section 1 : Les notions de nullité et de résolution
Les déclenchements de l’annulation et de la résolution sont différents (§1), aussi les
conséquences de chacune de ces deux sanctions semblent être appréciées différemment par les
juges (§2).
§1 : Les causes de l’annulation et de la résolution
L’annulation d’un contrat ou sa résolution correspondent à l’anéantissement rétroactif de
celui-ci.
La plus grande distinction opérée entre ces deux mécanismes, l’annulation et la résolution, est
leur condition de déclenchement. Alors que l’annulation correspond à l’anéantissement
rétroactif d’un contrat dont l’une des conditions essentielles de formation n’est pas remplie, la
résolution vient sanctionner le cocontractant qui n’a pas rempli l’une des ses obligations
principales en mettant un terme au contrat de façon rétroactive. A ce titre, certains auteurs
dont F. Garron relèvent que la nullité n’est pas une cause d’extinction du contrat puisque
celui-ci n’a jamais pu être valablement formé. La nullité serait « une cause d’inexistence du
contrat »,110
contrairement à la résolution puisque celle-ci suppose que le contrat ait
valablement été formé mais « n’est rétroactivement anéanti que par une fiction juridique ne
correspondant à aucune réalité juridique ».111
§2 La question des restitutions et indemnités percevables
Une autre différence entre la résolution et l’annulation peut être citée : la question de la
restitution. A priori, si le contrat est réputé n’avoir jamais existé, les parties devront
nécessairement se retrouver dans une situation similaire à celle dans laquelle elles se
trouvaient avant le contrat. La restitution du bien et du prix n’est que la conséquence du
caractère rétroactif de l’annulation ou la résolution du contrat. Il ne devrait donc pas y avoir
d’autres effets et ni l’annulation ni la résolution du contrat ne devraient pouvoir enclencher
une quelconque indemnité112
. Cette question s’est pourtant posée et a révélée au sein de la
110 F. GARRON, La caducité du contrat (Etude de droit privé), P.U.A.M., 1999, préface J. MESTRE, p. 24 111 Idem 112 L’effet rétroactif n’empêche pas l’octroi de dommages-intérêts conformément à l’article 1184 du Code
civil
69
jurisprudence des opinions largement contradictoires. Les réponses apportées par la
jurisprudence sont difficiles à appréhender. Ses approches semblent se distinguer en fonction
que le contrat soit annulé ou résolu. Tout d’abord, la Première chambre civile de la Cour de
cassation, après avoir constaté l’annulation d’une vente de machines agricoles pour infraction
à la réglementation des ventes à crédit, a estimé que « en raison de la nullité dont la vente est
entachée dès l'origine, le vendeur n'est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant au
profit qu'a retiré l'acquéreur de l'utilisation de la machine ».113
La réflexion est tirée à son
paroxysme mais paraît pour le moins logique. Si le contrat n’a pas existé, aucun profit n’a pu
être réalisé par l’utilisation du bien.
En cas de résolution, sa réflexion est inverse, pourtant le contrat n’est pas plus considéré
comme ayant déjà existé. La résolution de la vente n’empêche pas l’octroi d’une
indemnisation pour dépréciation de la chose. Elle indique ainsi que « la cour d’appel aurait
dû rechercher si la voiture restituée plus de deux ans après la vente, n’avait pas subi une
dépréciation due à son usage dont la charge devait incomber à l’acquéreur »114
ou encore
que « l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige l’acquéreur à indemniser le
vendeur de la dépréciation subie par la chose à raison de l’utilisation qu’il en a faite ».115
Alors que la première chambre civile opère un revirement en estimant finalement que « en
raison de l’effet rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n’est pas fondé à obtenir
une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule par l’acquéreur »116
(on peut
d’ailleurs se demander si l’indemnité de jouissance ou l’indemnité de dépréciation est visée
ici), la troisième chambre civile s’aligne sur l’ancienne position de la première chambre.117
Face à ces divergences, la chambre mixte rend un arrêt le 9 juillet 2004 en faveur du refus
d’indemnité en cas d’annulation de la vente, elle indique que « le vendeur n’est pas fondé, en
raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant
à la seule occupation de l’immeuble ».118
Mais la question n’est pas tranchée pour la
résolution du contrat, comme en témoigne l’arrêt du 8 mars 2005 rendu par la première
chambre civile, laquelle indique que « l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige
113 Civ. 1re, 2 juin 1987, Bull. civ. I, n° 183 114 Civ. 1re, 4 oct. 1988, Bull. civ. I, n° 274 115 Civ. 1re, 6 juill. 2000, pourvoi n° 97-18.495 116 Civ. 1re, 11 mars 2003, Bull. civ. I, n° 74 117 Cass. civ. 3e, 12 mars 2003, n° 01-17207, Bull. civ. III, n° 63 118 Cass., ch. mixte, 9 juill. 2004, Bull. civ. ch. mixte, n° 2
70
l’acquéreur à indemniser le vendeur de la dépréciation subie par la chose à raison de
l’utilisation qu’il en a faite ».119
Finalement, la solution semblerait se situer non sur la nature du mécanisme utilisé mais sur la
nature de l’indemnité. L’indemnité de dépréciation est prise en compte, et ce malgré le
caractère rétroactif de la sanction, alors même que l’indemnité d’utilisation est refusée.
Pourtant, il semblerait que l’octroi d’une indemnité devrait être accordé en fonction du
caractère non rétroactif de la sanction. La mauvaise foi du possesseur, qui savait au jour de la
conclusion qu’une des conditions de formation du contrat n’était pas remplie, serait quant à
elle sanctionnée sur le terrain délictuel.
Ces arrêts ont été rendus en dehors de la question relative à l’interdépendance des obligations.
Mais il n’en reste pas moins que l’effet de la rétroactivité rattachée à l’annulation ou la
résolution du contrat suppose de se poser ces questions dont les réponses restent pour le moins
controversées. La difficulté inhérente à l’effet rétroactif de ces deux sanctions, nous pousse à
penser que ni la nullité, ni la résolution ne semble être - sur le plan économique tout du moins
- des sanctions adaptées à l’interdépendance.
Qu’en est-t-il lorsqu’un des contrats de l’ensemble interdépendant vient à être annulé ou
résolu ?
Sous-section 2 : Application jurisprudentielle de la nullité ou de la résolution en cas
d’interdépendance contractuelle
En cas d’annulation ou de résolution d’un des contrats de l’ensemble, les juges admettent
tantôt l’annulation,120
tantôt la résolution121
des contrats qui lui sont interdépendants. On ne
retrouve pas de réelle justification quant à l’intérêt d’adopter l’une ou l’autre. Les deux ont
pour effet « d’activer un retour en arrière » et ont donc chacune des conséquences
relativement lourdes et similaires. Cela n’a pas empêché les juges de faire, pendant un temps,
prévaloir ces deux mécanismes. Prenons l’exemple de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le
119 Cass. civ. 1re, 8 mars 2005, n° 02-11594, Bull. civ. I, n° 128. 120 Cass. com., 18 juin 1991 : RJDA 1991, n° 878 121 Cass.com., 25 novembre 1997 : JCP G 1998, n° 4, 1088
71
16 décembre 1992 en matière de crédit immobilier à la consommation. Comme il a déjà été
dit, l’interdépendance entre le contrat de prêt et le contrat de vente disparait lors de
l’exécution du contrat. Ainsi, si l’un des contrats venait à disparaitre il serait logique que
l’autre perdure. Même dans le cas où le législateur a limité cette interdépendance, la
jurisprudence fait perdurer ses effets. Elle indique que le contrat de prêt est résolu de plein
droit en raison de l’effet rétroactif de la nullité de la vente.122
Dans deux autres espèces, elle
applique la nullité123
. Encore une fois, aucune justification n’est donnée si ce n’est « qu’en
raison de l'effet rétroactif attaché à la nullité de l'acte de vente immobilière, [le contrat de
vente ] était réputé n'avoir jamais été conclu et donc ne pas l'avoir été dans le délai de quatre
mois fixé par l'article L. 312-12 du Code de la consommation, de sorte que la convention de
prêt souscrite pour en assurer le financement se trouvait annulée de plein droit par
application de ce texte ».124
Il apparait dans des décisions récentes que la Cour opère une toute autre approche face à
l’annulation d’un des contrats de l’ensemble contractuel. Elle indique ainsi que « la nullité du
contrat de prestation entraine non pas la nullité, mais seulement la caducité du contrat de
location financière, qui laisse subsister les clauses ayant pour objet de régler les
conséquences de cette résiliation ».125
Ainsi une clause d’indemnité de résiliation pourra
subsister. L’approche opérée par la Cour est différente et permet d’éviter l’effet rétroactif de
l’annulation.
Au-delà des divergences jurisprudentielles sur la question de l’octroi d’une indemnité en cas
de résolution ou nullité, des effets dévastateurs de l’effet rétroactif de ces sanctions –
brouillant toujours un peu plus la prévision des parties – le recours à la nullité ou la résolution
dans le cadre de l’interdépendance contractuelle ne semblent pas être approprié.
122 Cass. civ. 1re, 16 décembre 1992, no 90-18.151, Bull. civ. I, no 316 123 Cass. civ. 1re, 18 juin 1996, no 94-16.456 , Bull. civ. I, no 262 ; D. Affaires 1996. 1122 ; Gaz. Pal. 20-
21 juin 1997. Somm. 35, obs. S. Piedelièvre. ; 10 mai 2005, no 02-11.759 , RTD com. 2005. 577, obs.
Legeais ; RTD civ. 2005. 596, obs. Mestre 124 Idem 125 Cass. com., 12 juin 2012, n°11-15365 ; Cass. com., 5 juin 2007, n° 04-20380
72
§1 : La nullité, une sanction adaptée à l’interdépendance mais rare en
pratique
La nullité sanctionne le défaut du respect des conditions essentielles de formation du contrat.
Lorsqu’un des contrats d’un ensemble contractuel interdépendant vient à disparaitre peut-on
réellement estimer que cette disparition conduit à priver le contrat restant d’une de ses
conditions essentielles au moment de sa formation ? Il faudrait tout d’abord estimer que
chaque contrat est une condition essentielle de formation de l’autre. Or l’article 1108 du Code
civil nous indique que « [q]uatre conditions sont essentielles pour la validité d'une
convention :
Le consentement de la partie qui s'oblige ;
Sa capacité de contracter ;
Un objet certain qui forme la matière de l'engagement ;
Une cause licite dans l'obligation. »
De nouveau, ce raisonnement ne peut convenir à la notion d’interdépendance contractuelle
puisqu’il ne peut qu’être raisonnablement tenu que sur le terrain d’un contrat isolé.
L’annulation d’un contrat ne pourrait donc être envisagée puisque le contrat que l’on veut
anéantir par ricochet remplit ses propres conditions de formation. Si l’on apprécie
extensivement l’article 1108 du Code civil et que l’on fait rentrer dans le champ contractuel
l’existence du premier contrat (notamment sur le fondement de l’économie générale à travers
le prisme de la cause ou directement sur le fondement de la cause), l’effet rétroactif de
l’annulation du premier contrat doit rayonner sur le second et conduire à sa nullité. La
sanction de la nullité semble donc tout à fait adaptée. Elle est adaptée mais devrait rarement
trouver application. Au-delà des difficultés tirées de la rétroactivité, l’annulation par ricochet
du contrat ne peut s’envisager que si le premier a été annulé ou résolu. Or en pratique, la
première cause d’extinction des contrats est due à l’inexécution par l’une des parties de ses
obligations. Le cas de la nullité est le plus souvent envisagé dans l’hypothèse du recours au
crédit immobilier à la consommation. Or dans cette hypothèse, nous ne nous trouvons pas au
sens de l’article L312-16 du Code de la consommation, dans un cas d’interdépendance
contractuelle. Le contrat de prêt étant envisagé non comme la cause du contrat de vente mais
comme une condition suspensive de la vente.
73
§2 : La résolution, une sanction inadaptée à l’interdépendance
La résolution vient sanctionner le cocontractant qui n’a pas rempli l’une des ses obligations
principales par un fait qui lui est imputable. Or si l’annulation du premier contrat empêche
l’exécution du second, aucun fait n’est imputable au débiteur de l’obligation du second
contrat. Seule la disparition du premier contrat conduit à l’inexécution du second. Il ne devrait
donc, à notre sens, pas avoir lieu d’appliquer la résolution du second contrat en cas de
disparition du premier. Cette remarque est valable quelque soit la cause de disparition du
premier contrat.
La nullité et la résolution semblent être des sanctions peu propices à la mise en œuvre de
l’interdépendance contractuelle. De plus, le rayonnement de la rétroactivité au sein de
l’ensemble contractuel est extrêmement difficile à appréhender et entraîne des conséquences
lourdes pour les parties. Pour ces raisons, la Cour de cassation a fait, petit à petit, prévaloir
des sanctions consistant à éviter le déclenchement de toute forme de rétroactivité par le jeu de
deux autres mécanismes : la résiliation et la caducité.
Deux autres mécanismes peuvent être envisagés, la restitution (Sous-section 1) et la caducité
(Sous-section 2).
Sous-section 1 : La résiliation
La résiliation intervient en cas d’inexécution contractuelle par l’une des parties. Si cette
sanction contient de nombreux atouts, elle ne semble pas être adaptée à l’interdépendance
contractuelle.
§1 : La notion de résiliation
Contrairement à la résolution, elle est plus largement mise en œuvre dans le cadre des contrats
à exécution successive. La jurisprudence a plusieurs fois appliqué la résiliation comme
sanction de la disparition d’un des contrats d’un ensemble interdépendant. La plupart des
exemples dont nous bénéficions se placent principalement sur le terrain du crédit-bail. La
Cour de cassation estime que la résolution du contrat de vente entraine la résiliation du contrat
74
de crédit-bail.126
Mais elle a aussi fait application de cette sanction dans d’autres cas,
notamment dans un arrêt rendu le 15 juin 1999127
où elle prononce la résiliation d’un contrat
de location de matériels et logiciels informatiques suite à celle d’un contrat d’accès au réseau
télématique.
Cette solution est toujours constante puisque dans un arrêt beaucoup plus récent celle-ci
indique que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération
incluant un opération financière sont interdépendants ; qu’après avoir relevé que les contrats
d’installation et de maintenance du matériel étaient indivisibles des contrats de locations de
ce matériel, l’arrêt retient que, faute d’exécution des prestations permettant à celui-ci de
fonctionner, la résiliation du contrat de prestations entrainait la résiliation du contrat
indivisible de location ».128
§2 : La résiliation, une sanction inadaptée à l’interdépendance contractuelle
La résiliation évite, contrairement à la résolution, les effets dévastateurs de la rétroactivité.
Cependant, admettre la résiliation d’un contrat suite à la disparition d’un contrat qui lui est
interdépendant est, sur le plan juridique, difficile à concevoir. Dans l’arrêt du 9 juillet 2013
précité, la Cour de cassation justifie la résiliation du premier contrat motif pris de
l’inexécution par l’une des parties de ses obligations. Elle applique ensuite cette même
sanction au second contrat, interdépendant du premier, au motif que l’inexécution du premier
ne permet pas à l’opération globale de fonctionner. Que l’interdépendance lie les contrats
entre eux et ne puisse faire perdurer un seul des deux contrats est une chose, mais que celle-ci
provoque un effet miroir entre eux en est une autre. Sur le plan juridique, cela revient à
admettre qu’un contrat puisse disparaitre suite à l’inexécution d’un tiers sans que les parties
puissent se prévaloir de la parfaite exécution de leur propre contrat. Or, il est tout à fait
126 Cass. ch. Mixte, 23 novembre 1990 ; Cass. com., 4 avril 1995, n° 93-14585 et 93-15671
; Cass. com., 16 janvier 1996, n° 94-12679 : RJDA 1996, n° 870 : « Mais attendu qu'après avoir, par motifs adoptés, non critiqués par le moyen, retenu, en se référant au "montage" unique élaboré par M.
Z..., en vue de la conclusion et l'exécution coordonnées des contrats de mandat et de financement du
matériel, que ces contrats étaient indivisibles, la cour d'appel a pu déduire de l'inexécution de l'un la
résiliation de l'un et de l'autre, indépendamment de toute considération, non déterminante, sur l'absence
de réserve lors de la réception des matériels, sur la désignation de celui des contrats qui était principal,
ou accessoire, par rapport à l'autre, et sur l'intérêt d'une éventuelle demande complémentaire en
résolution du contrat de vente » 127 Cass. civ. 1ère, 15 juin 1999, n° 97-12122 128 Cass.com., 9 juillet 2013, n°11-19-634
75
possible de tirer les conséquences de la disparition du premier contrat sans recourir à la notion
de résiliation – inadaptée dans le cadre de l’espèce.
Ainsi, certains auteurs estiment que cette résiliation est en réalité une caducité.129
La caducité
emprunte les effets de la résiliation mais elle ne se déclenche que lorsqu’une des conditions
essentielles de formation du contrat vient à disparaitre.
Sous-section 2 : la caducité
La caducité semble aujourd’hui incontournable, les avant-projets y font référence. Elle semble
pouvoir s’adapter à toutes situations.
§1 : Les contours séduisants de la caducité
Le recours à la notion de caducité ne suscite pas le seul avis favorable de la doctrine, la
jurisprudence paraît elle aussi séduite par ce mécanisme aux contours hybrides.
Elle juge que « l’annulation du contrat de vente avait entrainé la caducité du prêt »130
ou
encore que c’est à bon droit que « la résiliation du contrat d’exploitation avait entrainé la
caducité du contrat d’approvisionnement, libérant la société des stipulations qu’il
contenait qu'ainsi la décision est légalement justifiée».131
Ce mécanisme est prétorien. Paradoxalement, son absence dans le Code civil peut être
rassurante puisque, comme nous le savons, l’esprit de ce dernier reste majoritairement ancré
sur une vision isolée du contrat. Cependant, dans les deux arrêts cités ci-dessus la Cour avait
eu recours à la notion de cause pour démontrer l’interdépendance des obligations et déduire
de la disparition de la première, la caducité de la seconde. Quoi de plus normal, puisque la
caducité trouve à s’appliquer lorsqu’une des conditions essentielles de formation du contrat
vient à disparaitre ? Il faudrait alors qu’un des éléments mentionnés par l’article 1108 du
Code civil « manque à l’appel ». Dans ce cas, le recours à la notion de cause pour démontrer
l’interdépendance des deux conventions permet de déclencher le jeu de la caducité et évite
tout effet rétroactif. La caducité ne vient pas sanctionner une faute ni l’absence d’un élément
essentiel à la constitution du contrat au moment de sa conclusion. En ce sens, elle paraît
129 F. GARRON, La caducité du contrat (Etude de droit privé), P.U.A.M., 1999 ; S. BROS,
L’interdépendance contractuelle, Thèse Paris II, 2001 130 Cass. civ. 1ère, 1er juillet 1997, n° 95-15642 131 Cass., civ. 1ère, 4 avril 2006, n° 02-18277
76
largement adaptée au phénomène de l’interdépendance contractuelle. Lorsque les parties ont
prévu que l’indivisibilité de leurs conventions était un élément substantiel de chacune d’elles,
il est certain que la disparition d’une des deux s’analyse en la disparition d’une condition
essentielle de l’autre, cette condition essentielle ayant été contractualisée. De plus, même en
dehors de l’interdépendance subjective, nous savons que l’économie du contrat est
appréhendée à travers le prisme de la cause.
Cependant, nous ne pouvons qu’être étonnés par l’arrêt du 1er juillet 1997 précité. La Cour
indique que « l’annulation du contrat de vente avait entrainé la caducité du prêt ». Comment
l’extinction rétroactive d’un contrat peut-elle conduire à la caducité d’un contrat qui lui est
interdépendant ? Cet arrêt peut être analysé de deux façons. Soit les juges ont souhaité
restreindre l’effet rétroactif de l’annulation du premier contrat en son seul sein. Cette
approche pose nécessairement un problème puisque le premier contrat constitue un élément
essentiel de la formation du second. Sa disparition rétroactive ne peut qu’entrainer
l’annulation du second car sa condition essentielle n’a pas simplement « disparue pour
l’avenir ». Soit les juges ont voulu faire de la caducité le mode spécifique de sanction de
l’interdépendance. Dès lors que le premier contrat est annulé, résilié ou résolu, le second
contrat qui lui est interdépendant sera nécessairement caduc.
§2 : Les contours incertains de la notion, une sanction aux définitions
multiples
La caducité n’est pas définie par le Code civil. Il faut donc se tourner vers la doctrine pour en
donner une définition plus précise. A ce titre nous pouvons citer C. Pelletier pour laquelle
« un acte juridique est caduc de plein droit et sans rétroactivité lorsque, pleinement valable à
sa formation et avant qu’il n’ait pu produire ses effets juridiques, il est privé d’un élément
essentiel à sa validité par la survenance d’un élément postérieur à sa formation et
interdépendant de la volonté de son auteur ».132
D’après C. Pelletier, l’acte juridique ne doit
pas avoir produit d’effets avant que ne soit prononcée sa caducité. De plus, la caducité serait
automatique.
132 C. PELLETIER, La caducité des actes juridiques en droit privé français, L’harmattan, 2004, coll.
Logiques juridiques, préface Ph. Jestaz, n°14
77
Pour F. Garron – qui a consacré une thèse à ce sujet – la caducité du contrat est « la situation
juridique d’un contrat valablement formé qui cesse d’exister à la suite de la disparition de
l’un des éléments essentiels à sa survie ».133
Pour des définitions plus récentes, nous pouvons citer l’article 1131 de l’avant projet de
réforme du droit des obligations et du droit de la prescription134
qui indique que « la
convention valablement formée devient caduque par la disparition de l’un de ses éléments
constitutifs ou de la défaillance d’un élément extrinsèque auquel était subordonné son
efficacité ». Cette définition, pour le moins large, a fait l’objet d’un commentaire de Ph.
Simler selon lequel « La caducité existe et comporte de nombreuses facettes : caducité des
libéralités, dans diverses circonstances, caducité d’un acte dépendant d’un autre qui est lui-
même annulé ou résolu, caducité du mariage, même, en cas de changement de sexe d’un
époux… Elle ne peut être assimilée à aucun autre concept, tel que la nullité ou la résolution.
Elle mérite donc une place dans le Code civil. Sa définition est cependant difficile. S’il est
aisé de la différencier de la nullité ou de la résolution, ce l’est moins de la définir
positivement. Ses causes son très diverses. Ses effets, au surplus, sont variables, puisqu’elle
est tantôt rétroactive, tantôt non. Elle apparaît en quelque sorte comme une forme résiduelle
d’inefficacité pour toute autre cause que l’absence d’une condition de validité ou
l’inexécution. Aussi est-il proposé de n’inscrire dans le Code civil qu’une définition, en des
termes suffisamment larges pour permettre d’embrasser des hypothèses diverses. »135
Ainsi, selon l’article 1131 de l’avant projet de réforme du droit des obligations, celle-ci
n’aurait pas nécessairement un effet rétroactif. De plus, cet avant-projet de réforme qui
prévoit la prise en compte de l’éventuelle interdépendance de plusieurs contrats réalisant un
ensemble,136
indique à l’article 1172-3 comme l’explique Jean-Luc Aubert, que « la nullité de
133 F. GARRON, La caducité du contrat (Etude de droit privé), P.U.A.M., 1999, préface J. MESTRE.
134 Article 1131 de l’avant projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription dirigé par
P. CATALA 135 Rapport à Monsieur Pascal Clément Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, avant-projet de réforme du
droit des obligations (Articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (Article 2234 à
2281 du Code civil), commentaire de Ph. SIMLER, 22 Septembre 2005, p.32 136 Article 1172 à 1172-3 de l’avant projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
dirigé par P. Catala
78
l’un des contrats interdépendants autorise les parties aux autres contrats de l’ensemble à se
prévaloir de la caducité de ceux-ci ».137
La caducité ne serait donc pas de plein droit.
Le projet de réforme des obligations et des quasi contrats de la chancellerie de 2008 indique à
son article 101 que « Le contrat valablement formé devient caduc par la disparition de l’un de
ses éléments constitutifs ou la défaillance d’un élément extrinsèque auquel était subordonnée
son efficacité. Sauf exception, la caducité ne produit effet que pour l’avenir. »138
C’est donc
globalement la même définition de la caducité qui est reprise par le gouvernement. Il faut dire
qu’il s’est largement appuyé sur les travaux académiques. L’article 101 admet aussi que la
caducité puisse produire des effets rétroactifs, cependant elle en fait une exception.
La caducité est une notion malléable, peut être trop. A notre sens, l’intérêt de cette notion est
d’éviter un anéantissement rétroactif du contrat. Or, la doctrine n’est pas la seule à voir dans
la caducité la possibilité d’activer un effet rétroactif. La jurisprudence, notamment, admis
après avoir prononcé la caducité d’un contrat de vente (et pourtant expressément exclu sa
résolution) la restitution du bien vendu et celle du prix. Elle donne donc un effet rétroactif à la
caducité : « La résiliation des contrats de location et de maintenance n’entraîne pas, lorsque
ces contrats constituent un ensemble contractuel complexe et indivisible, la résolution du
contrat de vente mais seulement sa caducité, l’acquéreur devant restituer le bien vendu et le
vendeur son prix, sauf à diminuer celui-ci d’une indemnité correspondant à la dépréciation
subie par la chose en raison de l’utilisation que l’acquéreur en a faite et à tenir compte du
préjudice subi par l’acquéreur par suite de l’anéantissement de cet ensemble contractuel ».139
En plus de la restitution du prix et de la chose, elle fait référence à une indemnité pour
dépréciation. La jurisprudence exclut la résolution du contrat mais semble appliquer à la
caducité des effets étrangement similaires.
La Cour ajoute enfin qu’il faille « tenir compte du préjudice subi par l’acquéreur par suite de
l’anéantissement de cet ensemble contractuel ». Le préjudice subi serait donc imputé sur le
prix de vente. Le vendeur, en plus de voir son contrat de vente caduc du fait de l’inexécution
137 Rapport à Monsieur Pascal Clément Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, avant-projet de réforme du
droit des obligations (Articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (Article 2234 à
2281 du Code civil), commentaire de Jean-Luc Aubert, 22 Septembre 2005, p.50 138 Article 101 du projet de réforme du droit des contrats et des quasi contrat de 2008 139 Cass. com., 5 juin 2007, n° 04-20380
79
de la société de location et de maintenance – tiers à son contrat –, devrait se charger
d’indemniser l’acquéreur ?
Par ailleurs, l’avant projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
semble faire prévaloir la caducité comme sanction de l’interdépendance puisqu’il indique que
« lorsque l’un des contrats interdépendants est atteint de nullité, les parties aux autres
contrats du même ensemble peuvent se prévaloir de leur caducité ».140
Le projet de réforme de la chancellerie fait aussi de la caducité la sanction de
l’interdépendance « Lorsque l’un des contrats Lorsque l’un des contrats interdépendants est
atteint de nullité, les parties aux autres contrats du même ensemble peuvent se prévaloir de
leur caducité si la nullité rend leur exécution impossible ou prive le contrat de tout intérêt
pour l’une des parties ».141
Le jeu des articles 13 et 100 de ce projet de réforme font
nécessairement de la caducité la sanction privilégiée en cas d’interdépendance contractuelle.
Le projet de loi relatif à la modernisation et la simplification du droit et des procédures dans
les domaines de la justice et des affaires intérieures enregistré à la présidence de l’Assemblée
nationale, toujours en discussion, rappelle dans son article 3 l’intention du gouvernement de
« Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de
validité et de forme du contrat ».142
Pour rappelle, l’objectif de ce projet serait d’habiliter le
gouvernement à réformer le droit des obligations par ordonnance. Le dernier avant projet de
réforme du droit des obligations connu est celui du 23 octobre 2013. On y trouve une
définition de la caducité à l’article 94 : « Le contrat valablement formé devient caduc si l’un
de ses éléments constitutifs disparaît. Il en va de même lorsque vient à faire défaut un élément
extérieur au contrat mais nécessaire à son efficacité. Il en va encore ainsi lorsque des
contrats ont été conclus en vue d’une opération d’ensemble et que la disparition de l’un d’eux
rend impossible ou sans intérêt l’exécution d’un autre. La caducité de ce dernier ne peut,
toutefois, avoir lieu que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait
l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. » Autrement dit ce
dernier avant projet de réforme fait de la caducité la sanction de l’interdépendance. Ce n’est
140 Article 1172-3 de l’avant projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription de 2005
dirigé par P. Catala 141 Article 100 du projet de réforme du droit des contrats et des quasi contrats de 2008 142 Article 3 du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans
les domaines de la justice et des affaires intérieures, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale
le 14 mai 2014
80
d’ailleurs que part le biais de la caducité que l’interdépendance est évoquée, contrairement
aux autres travaux qui lui accordaient un ou plusieurs articles. Quant aux effets de la caducité
elle « mettra fin au contrat entre les parties » et pourra « donner lieu à restitution […] ».143
Conclusion : Une sanction s’adaptant à la nature de la disparition du premier contrat.
Concrètement, il n’existe pas de sanction spécifique à l’interdépendance. Cependant,
l’extension considérable de la notion de caducité opérée par la doctrine et voulue, semblerait-
il, par le législateur laisse à penser que la caducité puisse s’ériger en sanction autonome de
l’interdépendance. L’intérêt d’une sanction spécifique est, pour les parties, primordiale
puisque cela renforcerait leur sécurité juridique et principalement leurs prévisions. Or, une
sanction déterminée mais malléable voire réversible ne remplit pas cette fonction. Les parties
ne seront pas plus avancées et continueront à s’inquiéter de la disparition rétroactive de leur
contrat à la suite de l’extinction d’un contrat de l’ensemble interdépendant.
Pourtant une sanction spécifique « figée » ne semble pas non plus convenir à l’hypothèse d’un
anéantissement en chaîne de contrat interdépendant.
La sanction devrait s’adapter à la nature de la disparition du premier contrat. Il n’y aurait donc
pas une sanction à privilégier – si ce n’est qu’en pratique, la caducité144
semble être celle qui
devrait être la plus usitée. Il est certain qu’une disparition rétroactive du premier contrat ne
pourra qu’entrainer l’extinction rétroactive des autres. Au contraire, lorsque le premier contrat
disparait pour l’avenir, la disparition des autres ne pourra qu’intervenir elle-même pour
l’avenir. Il ne s’agit pas d’appliquer « un effet miroir » dans la sanction par souci de
simplicité, puisque ce raisonnement permet d’adopter les schémas suivant : résolution /
annulation ; résiliation / caducité ; annulation / annulation. Il n’y a aucune raison juridique de
cantonner les effets de la rétroactivité à un seul des contrats de l’ensemble, bien que d’un
point de vue économique il faut reconnaitre que cette solution présente de nombreux
avantages, notamment celui de ne pas radier les effets déjà produits par le contrat.
La mise en œuvre de l’interdépendance soulève des questions notamment face au rejet de la
théorie de l’imprévision ou encore face à l’effet relatif des contrats. Comment peut-on
concilier l’interdépendance contractuelle avec ces principes directeurs du droit des contrats ?
143 Article 95 de l’avant projet de réforme du droit des obligations du 23 octobre 2013 144 La caducité au sens classique, celle dépourvu d’effet rétroactif
81
TITRE II
LA MISE EN ŒUVRE DE L’INTERDEPENDANCE FACE AUX
PRINCIPES CLASSIQUES TIRES DU DROIT COMMUN DES
CONTRATS
Le Code civil ne procure plus une vision claire et précise de l’état du droit positif. Ce droit
devenu en grande partie prétorien, a changé depuis 1804.
Il faut prendre en compte les mutations du droit des contrats observées par la pratique au
risque de se retrouver avec une quantité de règles très bien pensées certes, mais inapplicables
à de nombreux cas (qui tendent par ailleurs à devenir une majorité).
Cette évolution est réceptionnée par le droit prétorien mais la jurisprudence donne lieu à des
divergences tant dans la démonstration, l’application que dans la sanction de
l’interdépendance contractuelle. Ceci n’est donc pas suffisant.
D’ailleurs, il serait malaisé de restreindre la désuétude du droit des obligations au seul
phénomène de l’interdépendance, mais l’interdépendance contractuelle étant notre sujet
d’étude il convient de s’atteler principalement à cette tâche.
Ajoutons, que l’idée n’est pas d’éradiquer le droit civil posé par le législateur de 1804. Pour
deux raisons principales. La première c’est que bon nombre de règles dudit Code sont
toujours adaptées à certaines relations contractuelles actuelles. La seconde, c’est que toutes
les règles proposées par la réforme s’inspirent nécessairement des anciennes. Il n’est donc pas
question de modifier l’intégralité du droit civil des affaires mais de prendre en compte les
évolutions nées des contrats d’affaire, la diversification des sources contractuelles, des
montages de contrats pour en tirer les conséquences en droit.
Que ceux qui voient derrière ces montages une ultime fraude se réjouissent de la réception de
l’interdépendance contractuelle, puisque c’est par elle qu’ils pourront contrôler et encadrer
ces montages. Que ceux qui voient derrière ces montages l’épanouissement de l’inventivité
contractuelle se réjouissent de la naissance de textes légaux aux côté du droit prétorien venant
encadrer et protéger cette inventivité.
Ne serait-il pas excessif et presque totalitaire de s’opposer à toute nouveauté alors même que
les changements semblent économiquement et surtout juridiquement nécessaires ?
82
Concrètement, il n’y a vraisemblablement aucune raison qui explique pourquoi la notion
d’interdépendance contractuelle n’est aujourd’hui pas réceptionnée en droit français si ce
n’est son incompatibilité avec le droit des obligations actuel.
Mais l’interdépendance est-elle réellement incompatible avec le droit des obligations ?
Il y a deux grands principes en droit des obligations qui risqueraient d’être bouleversés par la
notion d’interdépendance contractuelle et plus largement avec la notion d’économie générale :
le principe de l’effet relatif et le rejet de l’imprévision. Que disent ces principes, pourquoi
existent-t-ils encore et surtout sont-ils véritablement incompatibles avec la notion
d’interdépendance contractuelle ?
L’interdépendance contractuelle a-t-elle une chance de s’imposer face à la théorie de l’effet
relatif ? (Chapitre I), l’interdépendance contractuelle est-elle réellement compatible avec le
rejet de la théorie de l’imprévision en droit français ? (Chapitre II)
83
Chapitre I : L’interdépendance contractuelle face à la théorie de l’effet relatif
L’analyse de l’impact de l’interdépendance contractuelle sur la théorie de l’effet relatif
nécessite de revenir sur le principe directeur du droit des contrats (Section 1 : le principe de
l’effet relatif). Nous pourrons alors mettre en exergue l’adéquation entre l’interdépendance
contractuelle et la théorie de l’effet relatif (Section 2 : L’articulation de l’interdépendance
avec la théorie de l’effet relatif.)
Section 1 : Le principe de l’effet relatif
Le principe de l’effet relatif est un des principes directeurs du droit des contrats. Pour
comprendre sa portée il faut se référer à l’article 1165 du Code civil selon lequel « Les
conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ». Ainsi, seules les parties qui ont
consenties au contrat doivent en subir les effets ; seules elles l’ont voulu, seules elles s’y
obligent. Il est tout à fait possible de contracter pour un tiers - le tiers en subira alors les effets
mais uniquement lorsqu’il y aura valablement consenti.
Si le principe de l’effet relatif est un principe directeur, il existe pourtant de multiples
exceptions en droit qui existent sans même la présence d’ensembles contenant des contrats
indivisibles.
Au titre de ces exceptions nous pouvons relever la cession de créance : le consentement du
débiteur cédé n’étant pas requis. Il en est de même en cas de subrogation.
La stipulation pour autrui entraine quant à elle des effets pour le bénéficiaire sans qu’il ne
donne son accord. Cette situation est différente de la convention contractée pour autrui dont la
parfaite illustration est le contrat de mandat et qui elle, requiert le consentement du mandant.
L’action oblique et l’action paulienne sont elles aussi des exceptions à l’effet relatif des
contrats. Alors que la première offre aux créanciers le pouvoir d’exercer « tous les droits et
actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la
personne »,145
la seconde consiste, pour les créanciers, à « attaquer les actes faits par leur
débiteur en fraude de leur droit ».146
Chacune de ces dispositions offre à des tiers – les
145 Article 1166 du Code civil 146 Article 1167 du Code civil
84
créanciers chirographaires – l’exercice d’une action qui aura nécessairement un impact sur un
contrat auquel ils ne sont pas parties.
L’ensemble de ces mécanismes fragilise le principe de l’effet relatif et pourtant nul ne saurait
revendiquer l’anéantissement de l’un d’entre eux au seul titre de ce principe directeur.
Ce ne fût pourtant pas le cas des chaînes de contrats (qui, nous le rappelons, se distinguent des
groupes de contrats). Une controverse est apparue relativement tôt. Les chaînes de contrats
ont pour principal intérêt la question de la responsabilité des intervenants. Lorsque la chaîne
est translative de propriété, l’action de l’acquéreur à l’égard du fournisseur sera
nécessairement contractuelle alors même qu’il n’existe aucun lien de nature contractuelle
entre ces deux personnes.147
Entorse au principe de l’effet relatif des contrats, qui a été limitée
en cas de chaîne non translative de propriété.148
Limitée en ce que l’action de l’acquéreur ne
pourra être que délictuelle à l’égard du sous-traitant mais il n’empêche que par définition, le
principe de l’effet relatif des contrats devrait s’opposer à la possibilité pour un tiers de se
prévaloir de l’inexécution contractuelle d’une partie pour engager sa responsabilité
délictuelle. Des arrêts bien plus récents vont dans ce sens, notamment celui du 6 février
2014149
, où la deuxième chambre civile estime à propos d’un contrat d’assurance, qu’un
manquement contractuel peut constituer une faute délictuelle et un préjudice à l’égard des
tiers.
Il ait alors paru nécessaire d’adapter la notion de partie et de tiers notamment en présence
d’un ensemble contractuel. Très tôt, les juges ont écarté le jeu de l’article 1165 pour retenir
l’existence d’un lien entre deux contrats d’édition de nature à écarter l’application de l’article
1165 du Code civil à l’égard des cocontractants.150
Isolé, cet arrêt sera déclencheur. Le lien
contractuel devrait permettre d’élargir la notion de partie. La notion de partie est plus large
car elle s’apprécie au regard non plus de chacun des contrats mais de l’ensemble. La notion de
tiers prend alors une tournure positive. Les tiers ne sont plus seulement « ceux qui ne sont pas
des parties ». Cette théorie dite « des groupes de contrats » s’est finalement déployée dans le
cas des chaînes de contrats. Mais les incertitudes sur les conséquences de l’effet relatif face
aux ensembles contractuels à pluralités d’objets demeurent. Or comme le relevait le
professeur Ph. Jamin, « si les contrats n’ont d’effet qu’entres les parties contractantes, la
147 Ass. Plén., 7 février 1986, n° 83-14631 et n° 84-15189, Bull.civ. n°II 148 Ass. Plén., 12 juillet 1991, Bull. civ.n° V 149 Cass. civ 2ème, 6 février 2014, n° 13-10540 et 13-10745 150 Cass. com., 4 octobre 1961, Bull. civ. III, n°341
85
résolution du contrat de vente continuera-t-elle à entrainer la résiliation du contrat de crédit-
bail ? »151
Une autre possibilité consisterait à préciser la notion d’effet relatif sans même se cantonner à
l’hypothèse des ensembles contractuels. S. Pellé a alors distingué la notion d’opposabilité à
celle d’effet relatif. Selon lui « [i]l est vain de chercher dans l’interdépendance contractuelle
une atteinte à l’effet relatif du contrat dans la mesure où les effets de cette notion ne relèvent
pas du domaine de la relativité contractuelle mais de celui de l’opposabilité ». Il définit le
principe de l’effet relatif comme le principe selon lequel un tiers ne peut pas devenir créancier
ou débiteur en vertu d’un contrat auquel il n’a pas participé. Cette vision nous semble trop
restrictive puisque le principe de l’effet relatif ne distingue pas les effets du contrat. Il ne
faudrait pas différencier les effets qui créent des obligations des autres. Mais comment alors
distinguer le principe de l’opposabilité et le principe de l’effet relatif si ce n’est en scindant
les effets directs et indirects du contrat ? L’effet relatif empêcherait l’action directe du crédit
preneur à l’encontre du vendeur dans un ensemble contractuel composé d’un contrat de vente
et d’un contrat de location. Pourtant, les effets indirects se propageraient à l’égard de tous les
intervenants de l’ensemble sans qu’il soit question de se demander s’ils détiennent ou non la
qualité de parties. Alors faudrait-il dire que le principe de l’effet relatif reste intact dans une
opération contractuelle composée d’obligations plurales, tandis que la notion d’opposabilité
trouve à s’appliquer ? Si elle s’applique elle est toutefois aménagée puisqu’elle touche chacun
des contrats ainsi que l’opération globale.
L’opposabilité serait ainsi complémentaire de l’interdépendance, « l’interdépendance est une
notion qui permet d’établir un lien. L’opposabilité est une notion qui permet d’assurer la
diffusion des effets d’un acte isolé. Ainsi, sans interdépendance il n’est pas d’opposabilité.
Sans opposabilité, il n’est pas d’interdépendance possible ».152
A en lire les travaux de S. Pellé, le principe de l’effet relatif ne serait pas une opposition à la
mise en œuvre de l’interdépendance. Le contraire est plus majoritairement admis, la doctrine
n’étant que peu divisée sur le sujet. Cependant, le principe de l’effet relatif souffre de
plusieurs exceptions, la notion d’interdépendance n’en serait qu’une des plus légitimes.
151 Ph. JAMIN, « Une restauration de l’effet relatif des contrats », D., 1991, p. 257 et s. 152 S. PELLE, La notion d’interdépendance contractuelle – contribution à l’étude des ensembles de contrats,
Dalloz, 2007, coll. Nouvelle Bibliothèque de Thèses, préface J. FOYER, M.-L. DEMEESTER, p. 293
86
Sans parler d’un « prétendu principe de l’effet relatif des contrats »,153
nous pouvons affirmer
que le principe de l’effet relatif n’est pas inébranlable. En effet, une application trop
rigoureuse de celui-ci priverait le contrat d’efficacité. Une lecture stricto-sensu de l’article
1165 du Code civil retire toute force au contrat à l’égard des tiers. Ces derniers pourraient
consciemment l’ignorer puisqu’il n’est censé produire aucun effet sur eux. Or, l’effet relatif
du contrat n’est pas d’empêcher son insertion au sein de la vie des affaires.
Comment alors pourrait-on adapter ce principe à l’interdépendance contractuelle ?
Section 2 : L’articulation de l’interdépendance avec la théorie de l’effet relatif
La question est de savoir si ce principe pourrait ou non faire « profil bas » face à un groupe de
contrats indivisibles ? Et doit-il nécessairement faire exception ?
Tout d’abord, pourquoi le principe de l’effet relatif et l’hypothèse de l’interdépendance
contractuelle paraissent-ils presque antagonistes ? L’opération globale suppose que les effets
de chacun des contrats du groupe se diffusent dans l’ensemble. Or, l’effet relatif attribué à
chaque contrat empêche cette diffusion. Le phénomène de l’imbrication contractuelle serait
alors impossible.
Le principe de l’opposabilité permet cependant de réduire à néant cette lecture biaisée de
l’article 1165 du Code civil. L’idée est simple, le contrat crée des liens d’obligations entre les
parties mais rayonne au-delà. Le contrat est opposable aux tiers. Ils doivent le respecter154
, en
tenir compte. Que serait le droit de propriété sans cela ? L’auteur S. Pellé rejette
l’isolationnisme contractuel et distingue le contenant du contenu. Les parties s’obligent au
contenu du contrat, tandis que les tiers s’obligent à l’existence du contrat qui crée sur eux une
obligation de ne pas faire. Il indique par ailleurs que « contrairement aux idées reçues, les
effets de l’interdépendance contractuelle sont une manifestation du principe de l’opposabilité
des actes juridiques ».155
153 Propos tenus par R. SAVATIER dans son article « Le prétendu principe de l’effet relatif des contrats »,
RTD civ., 1934, p. 525 ; D’autres auteurs ont aussi fait connaître leur perplexité à propose de l’effet relatif
et de son utilité tels que Ph. Malinvaud, J. Bigot 154
Cette idée transparait dans l’article 109 de l’avant projet de réforme du 23 octobre 2013 selon lequel
« Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat » 155 S. PELLE, La notion d’interdépendance contractuelle – contribution à l’étude des ensembles de contrats,
Dalloz, 2007, coll. Nouvelle Bibliothèque de Thèses, préface J.FOYER, M.-L. DEMEESTER, p. 268
87
Chapitre II : L’interdépendance contractuelle et la prévision juridique
L’interdépendance est-elle une porte ouverte à l’imprévision ? Avant de pouvoir affirmer ou
rejeter cette hypothèse, il convient avant tout de définir cette notion (Section 1 : La théorie de
l’imprévision), puis d’analyser la position du droit français face à cette notion (Section 2 : Le
remède à la sécurité juridique : la connaissance par les parties de l’opération globale)
Section 1 : La théorie de l’imprévision
La théorie de l’imprévision consiste à autoriser les parties et parfois le juge à modifier le
contrat en cas de changement imprévisible. L’idée est la suivante : la survenance d’une
circonstance, imprévisible au jour de la conclusion du contrat, met en difficulté le débiteur de
l’obligation d’honorer son engagement. Le débiteur souhaite être soulagé en revenant sur son
engagement, ce qui se traduit le plus souvent par une révision du contrat ou une résiliation du
contrat pour cause d’imprévision.
Admise par le droit allemand, italien et anglais, le droit français ne consacre pas la théorie de
l’imprévision. L’explication est historique, le législateur de 1804 a choisit, pour assurer la
sécurité contractuelle et favoriser l’essor des transactions tant sur le plan interne
qu’international, de faire de la force obligatoire du contrat une de ses priorités. A la règle
« Pacta sunt servanda », la théorie de l’imprévision cède et ne trouve pas sa place dans le
Code civil.
Le rejet de l’imprévision comporte toutefois ses limites. Il existe en effet des cas précis où le
législateur admet la révision de certains contrats.156
Toutefois, les exemples en la matière
restent minces et ne se placent qu’au titre des exceptions. Il est donc strictement exclu de
parler de reconnaissance par le législateur de la théorie de l’imprévision.
Il convient alors de s’intéresser à la jurisprudence puisqu’il semblerait que le rejet de la
théorie de l’imprévision ne puisse s’assouplir que par son biais.
La jurisprudence française est difficile à cerner puisqu’elle semble en constante mouvance.
156 Peuvent être cités les articles L.145-33 et suivants du Code de commerce qui admettent la révision des
loyers
88
Les juridictions du fond étaient dans un premier temps favorables à la révision du contrat,
notamment au vu des circonstances économiques imposées par la guerre. A partir de 1876, la
jurisprudence française refuse catégoriquement de consacrer cette théorie au nom de la force
obligatoire du contrat. En effet, elle estime que « dans aucun cas, il n’appartient aux
tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en
considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et
substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les
contractants».157
Pendant plus d’un siècle, la règle tirée de l’arrêt Canal de Craponne sera appliquée… Jusqu’à
ce que les débats ne reprennent avec l’affaire Huard.158
Cette dernière concerne un contrat d’approvisionnement exclusif de pétrole auprès d’un
distributeur. Tout se passe au mieux jusqu’à ce qu’un évènement vienne chambouler la
relation contractuelle des parties : le prix de vente des produits pétroliers au détail est levé.
Les distributeurs peuvent alors consentir à des rabais, sauf Monsieur Huard car son
cocontractant l’empêche de pratiquer des prix concurrentiels. C’est sur le terrain de la bonne
foi que la Cour de Cassation intervient. Elle estime qu’en privant M. Huard des moyens de
pratiquer des prix concurrentiels, son cocontractant n'avait pas exécuté le contrat de bonne foi
et ouvre droit à des dommages et intérêts à l’égard du premier. Si certains y voient une
application de la théorie de l’imprévision, d’autres considèrent que la révision du contrat n’est
que la sanction de la mauvaise foi du cocontractant dans l’exécution du son contrat.159
En effet, les changements imprévisibles des circonstances du contrat pourraient être
appréhendés autrement. Les juges infléchissent la décision « Canal de Craponne », désormais
célèbre, par le recours à d’autres notions et non des moindres puisque sont visées la bonne foi
et l’équité.160
Mais d’autres arrêts ont été rendus par la suite allant clairement dans le sens de la théorie de
l’imprévision en obligeant les parties à renégocier les termes du contrat.161
C’est par exemple
157 Arrêt Canal de Craponne du 6 mars 1876 158 Cass. com., 3 novembre 1992 (Société française des pétroles BP c/ Michel Huard) 159 Flour J., Aubert J.-L. et Savaux E., Les obligations, T : I, L’acte juridique, Armand Colin, 15ème ed., 2012 160 Lorsque la modification des circonstances rend le contrat ruineux pour l’une des parties (Cass. Com. 3
novembre 1992 précité) ou du moins, l’expose à des difficultés sérieuses (CA Nancy, chambre
commerciale, 26 septembre 2007). 161 Cass. civ. 1ère , 16 mars 2004, n° 01-15804 où la Cour reproche à une société d’avoir rompu brutalement
son contrat au moyen que celui-ci présentait un déséquilibre financier existant dès sa conclusion alors
qu’elle aurait pu se prévaloir du « refus injustifié [de ses cocontractants] de prendre en compte une
89
le cas dans l'arrêt de la Chambre Commerciale du 29 juin 2010. Les juges, en s’appuyant sur
la notion de cause, ordonnent la résolution d’un contrat suite à l’apparition de circonstances
nouvelles et imprévisibles. Dans cette espèce, deux sociétés, SEC et Soffimat, concluent un
contrat de maintenance de matériel industriel moyennant le paiement d’une redevance
annuelle. Le coût des pièces de rechange qu’utilise la société Soffimat pour effectuer la
maintenance va augmenter de façon considérable. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel
qui accueillait favorablement la demande de la société SEC en exécution forcée. Elle estime
que les juges du fond auraient dû rechercher si « l’évolution des circonstances économiques
[…] n’avait pas eu pour effet […] de déséquilibrer l’économie générale du contrat […] et de
priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société Soffimat ».
Ainsi, si le législateur français ne consacre toujours pas la théorie de l’imprévision en droit
français la jurisprudence semble sur ce point adopter une politique dite des « petits pas ».162
Il
faut cependant noter que l’arrêt de la chambre commerciale du 29 juin 2010 n’a pas été publié
au Bulletin officiel, sa portée fait donc l’objet de discussions.
Autre point évidemment incontournable, le projet de réforme de la chancellerie de 2008
consacre la théorie de l’imprévision, sous quelques conditions toutefois. Il faut que le
changement soit dû à des circonstances imprévisibles et insurmontables qui rendent
l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour l’une des parties. De plus, il est prévu
non pas une obligation de révision mais une faculté de révision. Le juge dispose toutefois de
la possibilité de résilier le contrat en cas de désaccord des parties. L’article 104 de l’avant
projet de réforme du 23 octobre 2013 consacre lui aussi la théorie de l’imprévision qui
s’exercera dans les mêmes conditions que celles prévues cinq ans plus tôt.163
La question de la théorie de l’imprévision est foncièrement incontournable lorsque l’on étudie
la notion d’interdépendance contractuelle. Les parties vont subir les effets d’un contrat auquel
elles ne sont pas elles-mêmes parties. Il faut alors se demander si l’annulation d’un des
contrats de l’ensemble doit s’analyser en une circonstance nouvelle qui déséquilibre le rapport
modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité » ; Cass. com. 29 juin 2010, n° 09-67.369
162 A.-S. CHONE, Vers la consécration de la théorie de l'imprévision ? La Cour de cassation
engagée dans une politique des petits pas, Petites affiches, 256,2010, p.7, PA nº 201025604 163 Article 104 du projet de réforme du 23 octobre 2013 : « Si un changement de circonstances imprévisible
lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas
accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant.
Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la
renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du
contrat. A défaut, une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »
90
des cocontractants nécessitant, au mieux, une renégociation de l’opération globale, au pire,
l’anéantissement de chacun des contrats.
Si la théorie de l’imprévision n’est toujours pas retenue, il est tout à fait possible pour les
parties d’insérer une clause de hardship dans leur contrat. Cette clause prend différentes
formes mais son objet est d’obliger les parties à renégocier le contrat qui, suite à une
circonstance imprévisible, devient déséquilibré. Si celles-ci ne trouvent pas d’arrangement, le
juge (étatique ou arbitre) peut prononcer la révision du contrat ou la caducité de ce dernier.
Or, l’insertion d’une clause de d’interdépendance (qui est, il faut l’admettre, bien plus rare
que les clauses de divisibilité) n’est-elle pas tout simplement une émanation de la clause de
hardship ? Elle se déclenche lorsqu’une circonstance imprévue intervient (la résiliation ou
l’annulation d’un des contrats de l’ensemble) et elle emprunterait au moins un des effets de la
clause de hardship : la caducité. Les deux clauses comportent de fortes ressemblances. Encore
une fois, le rejet de la théorie de l’imprévision ne semble pas être un réel obstacle à la mise en
œuvre de l’interdépendance et celle de l’interdépendance ne saurait être une porte ouverte à la
théorie de l’imprévision qui l’est depuis bien longtemps.
Cependant, il pourrait être intéressant de pousser le rapprochement encore plus loin. Il y aurait
un réel intérêt à ce que la clause d’interdépendance oblige, tout comme la clause de hardship,
à une obligation préalable de renégociation du contrat. Si l’un des contrats vient à disparaitre,
le contractant « pivot » devrait être obligé dans un premier temps de trouver un nouveau
cocontractant pour que l’opération globale puisse être maintenue. Ce raisonnement est
d’autant plus vrai lorsque l’ensemble contractuel est composé d’une multitude de contrats et
donc d’une pluralité de cocontractants qui souffriront de l’anéantissement en cascade. Il y a
donc un intérêt certain à éviter l’annulation de l’opération globale tout en s’assurant de
maintenir la condition du cocontractant pivot. Une renégociation devra nécessairement porter
sur les durées respectives de chacun des contrats du groupe. Mais en pareil cas, le contentieux
risque simplement de se déplacer. En effet comment pourra-t-on apprécier si le cocontractant
pivot a respecté son obligation de trouver un nouveau cocontractant pour la survie de
l’opération globale ?
L’interdépendance contractuelle met à mal la sécurité juridique des parties. En concluant
plusieurs contrats nécessaires à la réalisation d’une opération unique, chacun des intervenants
décuple les risques d’anéantissement de son contrat. Si cette sécurité juridique est levée,
91
compte tenu de la complexité de l’opération, il apparaît nécessaire que chacun des
intervenants ait eu connaissance de l’opération globale.
Section 2 : Le remède à la sécurité juridique : la connaissance par les parties de l’opération
globale
Pour que l’interdépendance soit acceptée, sa mise en œuvre doit être justifiée. Si « […] les
effets de l’interdépendance contractuelle se caractérisent par une propagation des effets de
chaque contrat au-delà de la sphère naturelle de ses parties contractantes »,164
il serait
préférable que chacune des parties aient connaissance de cet ensemble. Elles vont subir les
effets d’un contrat auquel elles ne sont pas parties sans pouvoir arguer le principe de l’effet
relatif puisque l’imperméabilité des contrats de l’ensemble est levée entre eux.
P. Ancel indique que « L’indivisibilité, entrainant l’anéantissement en cascade, ne sera
admise en effet que si les parties aux autres contrats avaient conscience ou auraient dû avoir
conscience de l’interdépendance des différents éléments de l’opération globale ».165
Il faut
tout de même admettre qu’il existe une distinction de taille entre le fait d’avoir conscience et
le fait de devoir avoir conscience. Comment prouver l’un ou l’autre ? Le projet de réforme de
la chancellerie indique quant à lui que « les clauses organisant les relations des parties à l’un
des contrats de l’ensemble ne s’appliquent dans les autres conventions que si elles ont été
reproduites et acceptées par les autres contractants ».166
Il y a donc une double condition pour
que l’interdépendance produise effet, reproduction de la clause d’interdépendance dans
chacun des contrats et acceptation de celle-ci par les parties. Mais dans certains cas, il
semblerait que nous puissions « nous en passer ». En effet, l’avant projet pose une
présomption d’acceptation à certaines clauses. Il s’agit des clauses limitatives de
responsabilité, des clauses compromissoires et enfin des clauses d’attribution de compétence
dans l’un ou l’autre des contrats interdépendants. Le but est de faire rayonner ces clauses au-
delà du contrat. La limite de cette présomption est la connaissance de ces clauses par les
parties et qu’elles n’aient pas formulé de réserves.167
Cet effet élargi se justifie par son aspect
164
S. PELLE., La notion d’interdépendance contractuelle, Dalloz, 2007, Nouvelle Bibliothèque de Thèses,
préface J. FOYER, M.-L. DEMEESTER, p. 265 165 P. Ancel, La rétroactivité du contrat et la sécurité des tiers : RDC 2008, p. 35 à 51 166 Article 1172-1 et 1172-2 de l’avant projet de réforme du droit des obligations 167 Article 1172-1 de l’avant projet de réforme du droit des obligations
92
pratique. Les clauses compromissoires et les clauses d’attribution de compétence encadrent,
d’un point de vue processuel, le contrat. L’avant projet de réforme du 23 octobre 2013 quant
à lui prévoit que la caducité d’un des contrats de l’opération d’ensemble est subordonnée à la
connaissance de l’existence de l’opération par le cocontractant contre lequel elle est invoquée.
Ce dernier doit avoir eu connaissance de l’opération globale au moment de la conclusion du
contrat.168
Cette connaissance est aussi nécessaire en droit de la consommation. Le législateur consacre
l’interdépendance du contrat de prêt et du contrat de vente lorsque le contrat de prêt est
« affecté à la vente ». Le crédit est dit affecté lorsque l’emprunteur indique dans l’acte de prêt
l’utilisation qu’il fera des sommes prêtées. Dans le contrat de prêt, l’opération projetée doit
être mentionnée. De même que dans le contrat de prestation de service ou de vente l’origine
du financement doit être indiquée, à défaut l’interdépendance ne joue pas.
L’anéantissement en cascade du contrat de vente et du contrat de prêt est effectivement
circonscrit à certaines hypothèses. Il faut établir une « action de concert ». C'est-à-dire la
connaissance par le deuxième partenaire contractuel de l’existence et de la dépendance de son
contrat avec le premier. Selon J.B Seube « l’action de concert consiste à nouer un lien
indivisible entre deux contrats distincts, ce qui explique que l’anéantissement ou la cessation
des effets de l’une des conventions se répercute sur l’autre ».
L’interdépendance pourrait alors facilement être levée, il suffirait, pour le contractant
« pivot » de l’opération, de rester muet. Toutefois, ce serait un choix assez surprenant puisque
c’est à son égard que l’interdépendance contractuelle fait œuvre de protection.
168 Article 94 de l’avant projet du 23 octobre 2013
93
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