a propos de l’auteurekladata.com/tlcovtnwee2hbcrnuiwetigmbfe/ebook_la... · 2016. 12. 15. · a...
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APROPOSDEL’AUTEUR
Auteur à succès d’une cinquantaine de romans, SusanMallery a le don de créer des ambiancespleinesdecharmeetd’émotionqui luivalentd’êtreplébiscitéepar lacritique.SusanMalleryestunehabituéedeslistesdemeilleuresventesduNewYorkTimes.
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Nulneseréveillaitensedisant:«Aujourd’hui,jevaisallermeperdreenforêt.»Pourtant,mêmesansl’avoirprémédité,ilarrivaitàcertainespersonnesdes’égarer.
Peut-être était-ce une conséquence du besoin inné qu’avait l’être humain d’explorer sonenvironnement.Amoinsqu’ilnes’agissed’unesimplequestiondemalchance…oudestupidité.CommeGrandma Nell avait coutume de dire : « La beauté est superficielle, mais les racines de la bêtises’enfoncentjusqu’àl’os.»
Destiny Mills n’était pas particulièrement portée sur la critique. Elle ne faisait qu’énoncer uneréalité:ilarrivaitquedesgensseperdent,etc’étaitsonboulotdes’assurerqu’onlesretrouverait.Elleétaitunpeucommeunesuper-héroïne,saufqu’aulieud’unevisionlaseroud’unecaped’invisibilité,elleavaitdanssamancheunprogrammeinformatiquedepointeetuneunitédesecoursparfaitemententraînée.
Enfin,àvraidire, l’uniténe luiappartenaitpas.Elleappartenaità lavilleouaucomtéquiavaitengagélasociétépourlaquelleelletravaillait,etquiavaitcrééleprogrammeinformatiqueenquestion.Elle était l’undes trois instructeursdont lamission était de conseiller lesorganismesqui souhaitaientl’utiliser.Ellearrivait,formaitl’unitédesecours,etrepartaitpoursamissionsuivante.
Onétait lundi,elleétaitàFool’sGold,Californie.Centvingt-cinqmillequatrecentquatre-vingt-deuxâmes,àencroirelepanneauqu’elleavaitvuenarrivant.NichéeaupieddesmontagnesdelaSierraNevada,lavilleattiraitlestouristesparmilliers.Ilsvenaientenhiverpourskier,enétépourcamperetfairedelarandonnée,ettoutaulongdel’annéepourassisterauxnombreuxfestivalsquiavaientfaitlarenomméedelaville.
Maisriendetoutcelanelaconcernait.Saprésencen’étaitmotivéequeparl’existenced’unenaturesauvageetinexplorée,quicommençaitàlasortiedelaville.Descentainesdemilliersd’hectarestruffésdepentes,deravins,decoursd’eauetdegrottes.Autantd’endroitsoùunpromeneurpouvaitseperdre.Etquandquelqu’unseperdait,quiappelait-on?
EllesourittandisquelamusiquedeGhostbusters résonnaitdanssonesprit.Ellenesavaitpascequ’il en était des autres,mais sa vie à elle était en permanence accompagnée d’une bande originale,comme un film. La musique était partout. Les notes s’enchaînaient pour former des mélodies… quifaisaientremonterdessouvenirs.
Elle entra dans son petit bureau provisoire, s’installa sur sa chaise et brancha son ordinateurportable.Ellen’avaitqu’unesemainepourseprépareravantquesontravailcommencevraiment.Pendantlestroismoisàvenir,elleallaitdresserunecarteduterrain,rentrerlesinformationsdansleprogrammeincroyablementintelligentqu’utilisaitsasociété,etformerl’unitédesecourslocale.Et,danstroismois,ellepartiraitpouruneautreville,etrecommenceraitàzéro.
Elleaimaitcetteviedebohèmequi l’amenaitàchangerperpétuellementd’endroit.Ellese faisaitfacilement des amis, qu’elle laissait tout aussi facilement derrière elle quand lemoment était venudepartir.Bien sûr, saviemanquaitunpeude stabilité,mais ilyavaitunboncôté : elleévitait ainsi lesdrames émotionnels qui accompagnaient généralement les amitiés durables. Qu’elle se rapproche desautresouquelesautresserapprochentd’elle,touterelationuntantsoitpeuintimepouvaitdevenirsourced’épuisement.
Acôtéduquotidiendelafamilleauseindelaquelleelleavaitgrandi,n’importequelleémissiondetélé-réalité aurait semblé aussi passionnante que la lecture de l’annuaire du téléphone ! Ses parentsn’avaientvraimentrienàenvierauxacteursdecegenredeprogrammes.Unefoisadulte,elleavaitdûchoisir:voulait-ellequesavieressembleelleaussiàunetragédieantique?Elleavaitdécidéquenon.Alors,elleavaitdélibérémentchoisiunmétieretunstyledeviequiluipermettraientdetoujoursresterenmouvement.
Mais,pendantquelquesmois,elleallaitpouvoirgoûterauxcharmesdeFool’sGold.Elleavaitdéjàfaitdesrecherchesausujetdelavilleetavaithâtededécouvrircequifaisaitsacouleurlocale.
Laportedesonpetitbureaus’ouvrit,àl’heurequiavaitétéconvenuepourlerendez-vous,etellereconnutaussitôtl’homme,grandetblond,auphysiqueagréable,quisetenaitsurleseuil.Pasqu’ilssesoient rencontrés auparavant— c’était lamaire de la ville qui l’avait engagée, pas lui—,mais ellel’avaitvusurlescouverturesdebeaucoupdemagazines,ainsiqu’àlatélévisionetsurInternet.
Elleselevaetsourit.—Bonjour.JesuisDestinyMills.—KiplingGilmore.Ses yeux étaient d’unbleuplus foncéqu’elle s’y serait attendue, et il se déplaçait avec la grâce
pleine d’aisance propre aux athlètes de haut niveau. Parce qu’il n’était pas n’importe quel KiplingGilmore.CethommeétaitleKiplingGilmore.Sportifderenom.Skieursuperstar.Médailléd’orauxjeuxOlympiques.Lesmédiasl’avaientsurnommé«ForceG»parceque,surlesskis,ilétaittoujoursenquêtedevitesse.Quelesloisdelaphysiqueaillentaudiable:ilpouvaitaccomplirdesperformancesquinel’avaient jamais été auparavant. Du moins jusqu’à son accident. Il avait touché le gros lot aux jeuxOlympiquesdeSotchi,quelquesmoisseulementavantquelacatastrophes’abattesurlui.Commeellenes’intéressaitpasausport,elleneconnaissaitpasl’histoiredanstoussesdétails.Maisapparemment, ils’étaitsuffisammentbienrétablipouraccepterlepostededirecteurdel’unitédesecoursdeFool’sGold.Ellesedemandas’ilavaiteudumalàseréhabitueràmenerunevienormale.Ellesavaitqu’ilpouvaitêtredifficile,quandoncroulaitsouslepoidsdelanotoriété,d’essayerdevivrecommeunsimplemortel.
Aprèsluiavoirserrélamain,illuitenditunepetiteboîterose,marquéedulogod’unepâtisserie.—Pourvousaideràvousinstaller.Ellesoulevalecouvercledelaboîteetdécouvritunedemi-douzainededonuts.L’odeurduglaçage
etdelacannelleluidonnaaussitôtenviedeseretrouverseulependantunquartd’heureafind’assouvirsonbesoindesucre.
—Merci,dit-elle.C’estbienmieuxquedesfleurs.—Jesuisraviquevoussoyezdecetavis.Quandêtes-vousarrivéeenville?—Hiermatin.—Vousêtesbieninstallée?—Oui,etj’aihâtedememettreautravail.—Alors,allons-y.Elleluiproposalasecondechaiseetfitpivotersonordinateurportabledesortequ’ilpuissevoir
l’écran.— Avant que le programme de recherche soit fonctionnel, il y a deux étapes, expliqua-t-elle.
D’abord,ilfautrentrerlesrelevésdelagéographiephysiquedelazoneet,ensuite,ilfautvousformer,
vousetvotreunité,pourquevoussachiezcommentl’utiliser.—Çan’apasl’airbiencompliqué.—Rienn’ajamaisl’aircompliquéjusqu’àcequel’onseretrouveconfrontéàlaréalité.Ilhaussaunsourcil.—Est-cequec’estundéfi?—Non. Jedis seulementque leprocessusprenddu temps.STORMSpeut s’adapter àn’importe
quellesituation.Lesuccèsd’unerecherchedépendgénéralementd’unecombinaisonderenseignementsetdechance.Monrôleestd’éliminerlefacteurchancedel’équation.
LerôledulogicielSTORMS—SearchTeamofRescueManagementSoftware—étaitdeseconderl’unitédesecours.Lesdonnéesnécessairesétaientrentréesdansleprogramme,quiprojetaitensuiteleszones dans lesquelles il semblait le plus logique de mener les recherches. Plus on avait rassembléd’informations au sujet de la personne disparue, du terrain, de l’époque de l’année et des conditionsmétéorologiques, plus les recherches se déroulaient rapidement. Chaque secouriste était équipé d’unsystèmeGPS,lui-mêmereliéauprogramme.Ainsi,laprogressiondesrecherchespouvaitêtreactualiséeentempsréel.Aufuretàmesurequedeszonesétaientéliminées,lechampderechercheserétrécissaitjusqu’àcequelapersonnedisparuesoitretrouvée.
—Jecommenceraiàcartographierlazonedemainouaprès-demain,poursuivit-elle.—Commentprocédez-vous?—D’abordparlesairs.L’équipementembarquédansnotrehélicoptèrenouspermetdecompléter
lesdonnéessatellitesquenousavonsdéjà.Maisleszonesfortementboiséesoutropaccidentéesdoiventêtrecartographiéesàpied.
—Etc’estvousquilefaites?Laquestionn’étaitpasàproprementparlerimpolie,maiselleavaitétéposéesuruntonclairement
dubitatif.«Quelidiot»,pensa-t-elleensouriant.—Maisoui,Kipling.Quandillefaut,jepeuxmarcherlongtemps,quitteàengagerunguidelocal
pourgagnerleszoneslesplusreculées.—Jepensaisquevousétiezunefilledesvilles.Onm’apourtantbienditquevousviviezàAustin?—C’estmabase,oui.Maisj’aigrandidanslesSmokyMountains.Jesaismedébrouiller,dansla
nature.Elleavaitvécupendantplusieursannéeschezsagrand-mèrematernelle,danslesSmokyMountains.
Et en plus de savoir se débrouiller en terrain accidenté, elle savait pêcher et connaissait trois façonsdifférentes de cuisiner un écureuil ! Mais ce n’était pas le genre de détails qu’elle allait révéler àKipling. Quand l’on dit à quelqu’un que vous savez sacrément bien faire griller un steak, il vousapplaudit.Mais sivous luiparlezde ragoûtd’écureuil aux racines, ilvous regardecommesivousnevaliezpasmieuxqu’uncannibale.Lesgensétaientvraimentbizarres.
—Danscecas,jemefieàvouspourvousoccuperdetout,dit-ilavecunpetitsourire.Quandest-cequevotrehélicoptèrevaarriver?
—Alafindelasemaine.Nousallonsêtretrèsoccupés,cetété.Unefoisquelatopographieauraété rentrée dans la base de données, nous devrons tester le système. Autrement dit, rechercher despersonnesquinesontpasvraimentperdues.
LabouchedeKiplings’arquaenundemi-sourirepleind’humour.—Jesais,dit-il.J’ailuladocumentation.—Jesuisraviedel’apprendre.Est-cequecelasignifiequevouslisezaussilesmodesd’emploi?Ilhésitajusteassezlongtempspourqu’elleéclatederire.—Jem’endoutais.Pourquoiest-cequeleshommesonttantdemalàlirelesmodesd’emploi?Ou
àdemanderleurchemin?
—Parcequenoussommesdeshommes.Quandnousnesavonspasquelquechose,nousn’aimonspaslereconnaître.
—C’estridicule.Personnenepeuttoutsavoir.—Maisonpeuttoujoursessayer.«Pasdesurprise»,pensa-t-elle.Sexemasculinet fanfaronnadessemblaientallerdepair.Cequi
était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle avait tant de mal à trouver l’homme qui luiconviendrait.Ellevoulaitunhommequis’abstiendraitdefanfaronner,etquiseraitdotéd’unegod’unetaillenormale.Etnonpassionné.Quandlesémotionssedéchaînaient,onpouvaittoujourss’attendreàcequeleshommessecomportentdefaçoninsensée.Et,danssavie,lesactesinsensésn’avaientpasdroitdecité.
—Est-cequecelavavousposerunproblèmedetravaillersousmesordres?demanda-t-elle.Parceque,sic’estlecas,nousallonsdevoirnousenoccupersansattendre.Jepeuxvousbattreaubrasdefer,sic’estlaseulefaçondevoussoumettre.
Kiplingéclataderire.—J’endoute!—Nesoyezpas trop sûrdevous.Magrand-mèrem’aapprispleindecoupsbas. Je sais àquel
endroitprécisd’unephalangeilfautappuyerpouramenerunhommeadulteàcriercommeunefillette.Etjevousgarantisquelescrisqu’ilpoussenesontpasdescrisdejoie.
—Parcequ’unefillettepeutpousserdescrisdejoie?Elleplissalenez.—Cen’estpaslapremièrefoisquej’airecoursàcettemenace.Certainshommespensentqueje
faisallusionausexe,maisjevousgarantisquecen’estpaslecas.LesyeuxdeKiplingserivèrentauxsiens.—Intéressant,murmura-t-il.—Alors,est-cequevousallezmeposerdesproblèmes?—Non.—Donc,l’étévabiensepasser.C’estlapremièrefoisquemontravailm’amèneenCalifornie.J’ai
hâtededécouvrirlarégion.—Lavilleestunpeu…bizarre.—Commentça?demanda-t-elle,intriguée.—Ici,toutlemondeestaucourantdevosmoindresfaitsetgestes.—C’estsouventlecas,danslespetitesvilles.—Peut-être,maispasautantqu’àFool’sGold.Lesgensd’icisont…disonsplusimpliquésdansla
viedelacommunautéquepartoutailleurs.Laissezpasserunequinzainedejours,etnousverronscequevousenpensez.Apartça,lesfestivalssontintéressants,etcen’estpaslapeinedefermervotreporteàclé lanuit.Sivoushabitezprèsducentre-ville,vousn’aurezpas trèssouventbesoindeprendrevotrevoiture.
—Çaal’airagréable.Bien que sa base soit à Austin, elle n’aimait pas vraiment les grandes villes. Elle préférait les
petitesbourgades,mêmeexcentriques.—Est-cequevousavezrencontréMarsha,lamaire?demandaKipling.—Non.C’est elle quim’a engagée,mais tout a été fait par l’intermédiaire demon patron. J’ai
rendez-vousavecelleplustarddanslajournée.L’étincelleamuséerevintdanslesyeuxdeKipling.—Jeserailà,moiaussi.Jepensequevousallezl’apprécier.C’estlamairedeCaliforniequiesten
exercicedepuislepluslongtemps.Elleal’aird’unevieilledameadorable,mais,enréalité,elledirige
savilled’unemaindefer.Elles’arrangepourquecequidoitêtrefaitsoitfait,etilm’arrivesouventdesortird’uneréunionenmedemandantcequivientdesepasser.
C’étaientlàdesqualitésauxquellesellepouvaitparfaitementadhérer.—Jel’appréciedéjà.—Jemedisaisqueceseraitlecas,répondit-ilenselevant.BienvenueàFool’sGold,Destiny.—Merci.Quandilquittasonbureau,ellelaissasonregards’attardersursoncorps.Ilétaitathlétique,etjuste
assezséduisantpourqu’ellesedemandesiellepouvaitenvisagerd’avoirunerelationaveclui.Ellesecoualatête,parcequ’elleconnaissaitdéjàlaréponse.Non.Horsdequestion.Jamaisdela
vie.Ellevoulaitdel’ordinaire.Dubanal.Unhommequin’aspiraitqu’àmeneruneexistencetranquille.KiplingavaitdévalédesmontagnesàDieuseulsavaitquellevitesse!C’étaituncasse-coudansl’âme,doncpasunhommepourelle.
Alors,elleallaitsimplementgarder lesyeuxouverts.Parcequel’hommedesesrêvesàelle,desrêvescalmesetrationnels,étaitlà,quelquepart,etqu’ellefiniraitbienparletrouver.
***
Toutenattendantquel’undesraresfeuxdeFool’sGoldpasseauvert,Kiplinglevalesyeuxverslesmontagnes.Maintenantqueleprintempstouchaitàsafin,ilpouvaitlesregardersansrienressentir.Laseuleneigequi restaitse trouvaitàunealtitudeoùskierétait impossible.Aussineressentait-ilaucuneimpressiondeperte.Riennevenaitluirappelerqueplusjamaisilnepourraitsemesureràlamontagneetlavaincre,qu’iln’auraitplusjamaislasensationdevolersurlaneige.
Ilsavaitcequesesamisetlesmédecinsluiauraientdit.Qu’ilavaiteuunesacréeveinedes’enêtreaussibiensorti.Qu’ilpouvaitmarcher,cequiétaitunmiracleensoi.Toutleresten’étaitquedubonus.
Biensûr, il était conscientde toutcela.Dans sesbons jours, ilycroyaitmême.Mais le restedutemps, il évitait de penser à ce qu’il avait perdu.Et quand cela devenait trop pénible, il s’interdisaitpurementetsimplementderegarderlesmontagnes.
Le feu passa au vert, et il traversa la rue. Tout en marchant, il se dit qu’il aurait été moinsdouloureuxdevivredansunendroitoùiln’yavaitpasdemontagnes.Dansunerégionplate,commeleMidwestoulaFloride.Saufqu’ilnepouvaits’imaginerleverlesyeuxetnerienvoir,sinonleciel.Larelation qu’il entretenait avec les montagnes était peut-être compliquée, faite de haine entremêléed’amour,maisilétaithorsdequestionpourluid’êtreloind’elles.Ellesfaisaientpartiedelui.Ilauraitpréférésecouperunbrasplutôtquedevivresanselles.
—Salut,Kipling!lançaunefemme,quipoussaitunlandau.Parréflexe,illasaluadelamain,sansvraimentpouvoirmettreunnomsursonvisage.Fool’sGold
était une ville à l’atmosphère très amicale, où les voisins se connaissaient et où les touristes étaientaccueillisàbrasouverts—etpasseulementparcequ’ilsvenaientdépenserleurargent.
Ilavaitl’habituded’êtrereconnupardesgensqu’iln’avaitjamaisrencontrés.Cetétatdefaitétaitindissociabledesonancienstatutdevedette.Saufqu’àFool’sGold,c’étaitdifférent.Plusintense,peut-être.Cettevilleétaitbienplusqu’unlieu.C’étaitunepersonnevivante.
Ilsecoualatêteensedemandantd’oùluiétaientvenuestoutescesréflexions.Entempsnormal,ilneréfléchissaitpastellement.Ilétaitdugenreactif,etpréféraitbougerplusquederesterassis.Cequiavaitfaitdesaconvalescenceunvéritableenfer.Maisc’étaitdel’histoireancienne,maintenant.S’iloubliaitses cicatrices, sa claudicationet lesdouleurs sourdesquine lequitteraient jamais, il était guéri.Et ilmarchait.
Ilpritladirectiondesonbureau,quiétaitsituéaucoind’EighthStreetetdeFrankLane,justeàcôtédel’unedescasernesdepompiersetducommissariat.
Toutenouvrantlaporte,ilsesouvintque,desannéesplustôt,ilauraitétéirritédesetrouveraussiprèsd’unequelconqueformed’autorité.Danssonesprit,lafacultédevolersurleflancd’unemontagneallait de pair avec le droit de faire la fête aussi bruyamment qu’il le voulait, et sans se soucier desconséquences.Aussilongtempsqu’ilbattaitlechronomètre,neserait-cequed’unmillièmedeseconde,ilétaitundieu.Dumoinsjusqu’àlacompétitionsuivante.
Maisavecletemps,toutlemondemûrissait,visiblement.Mêmelui.Ilétaitpassédel’adolescenceàl’âgeadulteensedébattantetenserebellant,etvoilàque,maintenant,ildirigeaitl’unitéderechercheetdesauvetagedelaville.Quiauraitpuprédireuntelchangement?
Maismêmesi,danssajeunesse,ilavaitnarguétouteformed’autorité,ilavaittoujoursrespectélamontagneetlesgensquisauvaientceuxquiétaientassezmalchanceuxouassezidiotspours’yperdre.Unjour,ilavaitétéprisdansuneavalanche.C’étaitlapatrouilleàskislocalequil’avaitsauvé.
La chance lui avait toujours souri… jusqu’à l’étédernier, qui avait étémarquépar son accident.Mais il savait, au fond de lui, que cela finirait par arriver. Alors il avait résolu le problème qui sedressaitdevantluiafind’entamerunnouveauchapitredesavie.Résoudredesproblèmes,voilàcequ’ilaimaitfaire.Etdanssonboulotactuel,lesproblèmesàrésoudrenemanqueraientpas.
Il alluma son ordinateur. L’odeur de la peinture flottait encore dans son bureau tout neuf, et lesplantesquiavaientétélivréesenguisedecadeaudebienvenueétaientencoreenvie.Ilpréféraitdeloinle contact avec les gens qu’avec les plantes…mais quand il aurait des employés, il arriverait bien àconvaincrel’und’entreeuxdesechargerdel’arrosageetautresdétails.
Ilfitpivotersachaisedefaçonàpouvoirétudierl’immensecartequioccupaitlaplusgrandepartiedumurprincipal.Ellemontraitlescenttrentekilomètrescarrésquis’étendaientautourdeFool’sGold.L’ouestétaitoccupépardesvignobles,etlesudparlaroutedeSacramento.Lazonequilepréoccupaitsetrouvaitdoncà l’estetaunorddelaville,sur lescontrefortsdesmontagnesdéchiquetéesdelaSierraNevada.Ilyavaitunmillierdefaçonsdifférentesdeseperdre,danscettezone,etilnedoutaitpasquelestouristescommelesgensducoinlesdécouvriraienttoutes.
Ilselevaetserapprochadelacarte.Leterraindevenaitaccidentéàquelqueskilomètresàpeinedela ville.On y trouvait des douzaines de sentiers de randonnée et de lieux de campement très courus.L’annéeprécédente,unecrueéclairavaitdévastéuncamp.Leseauxenfurieavaientbienfailliemporterungroupedejeunesfillesetleursmoniteurs.Ilallaits’assurerquecelanesereproduiraitplus.Quelespersonnesquiseperdraientseraientretrouvéesrapidement,etramenéesenvillesainesetsauves.
Ce nouveau programme informatique allait grandement faciliter les opérations de recherche. Laformationdel’unitéseraitlonguemais,aufinal,l’effortseraitprofitableàtous.
Dès queMarsha lui avait parlé du programme, il s’était renseigné. Les résultats obtenus étaientimpressionnants,etilavaithâted’apprendretouteslessubtilitésdulogiciel.
Etpeut-êtreaussicellesdeDestinyMills,pensa-t-ilensouriant.Elleétaitbelle.Grande,bienfaite,etrousse—sonpéchémignon.Ilavaittoujoursétéattiréparlacombinaisondecheveuxrouxetd’unepeau crémeuse. Et si la femme avait des taches de rousseur, c’était encoremieux.Un homme pouvaitpartiràlarecherchedetachesderousseuretnepasrefairesurfaceavantdesjours…
Elleétait songenredebiend’autres façons.Célibataire,d’après les rumeurs, et envillepourunlapsdetempslimité.Ilétaitadeptedelamonogamieensérieet,pourlui,unerelationparfaiteétaitunerelationdont il connaissait ladated’expiration.Si ladameétait intéressée…il était toutdisposéà lasatisfaire.Dumoinspouruntemps.
Parfois,ilsedemandaits’ildevraitdésirerplus.Letrucquiduretoujours,quelesautressemblaientrechercher. Il avait vu l’amour. Il avaitmême cru en l’amour.Mais il ne l’avait jamais ressenti. Pasl’amourromantique.Ledésir,évidemment.L’affection,biensûr.Ilaimaitsasœuretsonpays.Ilauraittoutfaitpourunami.Maistomberamoureux,follement,legenred’amourquimèneaumariage?Celanes’étaitjamaisproduit.
Et, à ce stade de sa vie, il pensait que cela ne se produirait jamais. Mais il pouvait s’enaccommoder.
***
La maire de Fool’s Gold, Marsha, approchait de la soixantaine. Elle avait les cheveux blancsramenésenunchignonlâche,etdesyeuxbleusauregardperçant.Elleportaituntailleurfaitsurmesureetunrangdeperlesétincelantes.ElleaccueillitDestinyd’unsourirechaleureuxquilamitaussitôtàl’aise.
—BienvenueàFool’sGold,Destiny.Jesuisraviedevousrencontrerenfin.—Demême.DestinyluiserralamaincommeGrandmaNellleluiavaitappris:fermement,enlaregardantdroit
danslesyeux.«Tuesunêtrehumain,pasunpoisson,mafille,avaitcoutumededireGrandma.Alorscomporte-toi
enêtrehumain.»GrandmaNell avait des conseilspour toutes les situations. Ilsn’étaientpas toujours adéquats,ni
mêmeutiles,maisilsétaientpresquetousinoubliables.— Je suis heureuse d’être ici, répondit-elle.Nous allons passer tout l’été àmettre STORMS en
place.—Votrepatron,David,m’aditquej’allaisaimertravailleravecvous,et jepeuxvoirqu’ilavait
raison,réponditMarsha.Votreattitudemeplaît.Ellejetauncoupd’œilverslaporteetajouta:—Ah!Voicilederniermembredenotrepetiteréunion.DestinyseretournaetvitKiplingentrer,commes’ilsepromenait.C’étaitlaseulefaçondedécrire
sa démarche pleine d’aisance et de décontraction. « Pas mal », pensa-t-elle. Elle remarqua alors salégère claudication, probablement une séquelle du terrible accident auquel il avait survécu l’annéepassée.Commentétait-ilavantcela?
Sielleavait étéuneautre femme, si elleavait cherchéquelquechosededifférent,Kiplingauraitreprésentéunetentationpourelle.Maiscen’étaitpaslecas.Ellesavaitquecethommeneluiconvenaitpas,etelleétaitbientropsagepours’engagersurlamauvaisevoie.Elleavaitassistéàtropdedésastresémotionnelspourcourirlemoindrerisque.
«Parfois, tu t’en prends à l’ours, et parfois, c’est l’ours qui s’en prend à toi.Alors,mieuxvautprendretesjambesàtoncou»,disaitaussiGrandmaNell.
Elleréprimaunpetitrire.Oui,sagrand-mèreavaittoujourseulatêtesurlesépaules.Sielleavaitétélà,illuiauraitsuffidejeterunseulregardàKiplingpourl’entraîneràl’écartetluidiresesquatrevérités. Après quoi, elle l’aurait envoyé balader. Parce que les tragédies relationnelles au milieudesquellesDestinyavaitgrandin’avaientpascommencéavecsesparents.Non.Lesmariagesmalheureuxetlescœursbrisésavaientcoursdesdeuxcôtésdelafamilledepuisdesgénérations.
KiplingembrassaMarshasurlajoueavantdefaireunpetitsignedetêteàl’adressedeDestiny.—Heureuxdevousrevoir,dit-il.—Moiaussi.Marshalesconduisitjusqu’àuncoinsalonaménagédanslapièce.Unefoisqu’ilsfurentinstallés,
elledéclaralaréunionouverte.— Destiny, tout le monde en ville est ravi que vous soyez ici pour nous aider à lancer notre
programmeHERO.—LeprogrammeHERO?—HelpEmergencyRescueOperations.C’estainsiquenousappelonsl’unitédesecoursdeFool’s
Gold.Nousavonsdemandéauxhabitantsdesuggérerdesnoms.Leconseilmunicipalaréduitlalisteà
dixnoms,etnousavonsvoté.C’estHEROquiagagné.—C’estunnomidiot,grommelaKipling.Destinyréprimaunsourire.—L’idéed’êtreunhérosnevousplaîtpas?demanda-t-elle.—Disonsseulementquejemefaisbeaucoupvanneràcausedecenom.—Cesontlesdéfisquiforgentlecaractère,murmura-t-elleenpensantquelesurnomde«Force
G»luiplaisaitsansdoutebeaucoupplus.—Jenemanquepasdedéfisàrelever.Il ponctua ces paroles d’un clin d’œil, qui lui donna envie de rire.Mais cette réunion était une
réuniondetravail,aussireporta-t-ellesonattentionsurlamairepourrépondre:—STORMSseraparfaitpourcequevousavezentête.—J’ycomptebien, réponditMarsha.Nousavonseubeaucoupdechanced’obtenir l’argentdont
nousavionsbesoin.Grâceauxsubventionsverséesparlepaysetl’Etat,etàunedonationimportantefaiteparunepersonnedelarégionquiapréféréconserverl’anonymat,leprogrammeestentièrementfinancépourlescinqannéesàvenir.Ycomprisletravailquevousallezaccomplir.
« Impressionnant ! » pensa Destiny. STORMS n’était pas donné. Si l’on ne comptait que leprogramme en lui-même, l’équipement nécessaire et les dépenses consacrées à la cartographie et àl’entraînementdel’unité,leprixdépassaitlemilliondedollars.Lesfraisqu’entraînaitlaconduited’uneopérationderecherchevenaientensus.
—Nousavonseubeaucoupdesuccèsavecnotreprogramme,dit-elle.Leterrainiciestparfaitementadaptéàcequenousfaisonsdemieux.
—Parfait.Avez-vousdéjàdécidéd’unagenda,Kiplingetvous?—Nous sommes en train d’y travailler, répondit Kipling. Destiny doit cartographier la zone et
rentrerlesinformationsdanssonlogiciel.Ensuite,noustesteronsleprogramme.Nousavonschoisile1eraoûtcommedatebutoir.
—Bien ! ditMarsha avant de se tourner de nouveau versDestiny. Pensez-vous que nous seronsprêtsavantcettedate?
—Leprogrammedevraitêtrefonctionnelàlami-juillet.J’aiajoutécesdeuxsemainesparsimpleprécaution,maisj’espèrequ’ellesneserontpasnécessaires.
Ellen’aimaitpasvoirunproblèmeapparaîtrelàoùellenes’yattendaitpas,parcequ’unepartiedeson travail consistait justement à prévoir les problèmes avant qu’ils surgissent. Jusqu’ici, elle pouvaits’enorgueillirden’avoirconnuquedeslancementssansaccroc.
—Etcommentest-cequeStarrsefaitàlavieàFool’sGold?enchaînaMarsha.Destiny la regarda, surprise ; elle ne s’attendait vraiment pas à ce qu’elle aborde ce sujet. Pire
encore,illuifallutquelquessecondespourserappelerquiétaitStarretpourquoi,pourlapremièrefoisdepuisplusdedixans,elledevaitsoudains’occuperdequelqu’und’autrequed’elle-même.
—Elle…Ehbien,jepensequeçava.Noussommesarrivéesenvillehier.Marshahochalatêted’unairentendu.—Oui…c’estsansdoutedifficilepourvousdeux.C’estvotredemi-sœur,c’estbiença?Vousavez
lemêmepère,maisdesmèresdifférentes?Destiny sentit sabouche s’ouvrir sous l’effetde la surprise.Elle se forçaà la refermer avantde
répondre,prudemment:—Oui,c’estbiença.Ellenevoulaitsurtoutpasparlerdesafamille,parcequ’ilvalaitbienmieuxquepersonnenesache
rien.Kiplingnesemblaitpastrèsintéresséparlaconversation.Savait-ildéjàquielleétait?Sic’étaitle
cas,iln’enavaitrienlaisséparaître.
—Quinzeansestunâgedifficile,repritMarshaensecouantlatête.C’estàpeuprèsàcetâge-làquemaproprefilleacommencéàmecauserdesennuis.Elleavaitlatêtedure…Maisc’étaitilyadesannées.PourcequiestdevousetdeStarr,j’espèrequevousvoussentirezchezvousàFool’sGoldaussilongtempsquevousyresterez.Sivousavezbesoindequoiquecesoit,adressez-vousàmoi.Oh!J’aiquelquechosepourvous.
Elleselevaetallaprendreunechemiseposéesursonbureau,qu’elleluitendit.—Nousavonsuncampdevacances,danslesmontagnes,EndZoneforKids,expliqua-t-elle.Ilya
tout un tas d’activités intéressantes pour les jeunes. Je pense que Starr aimerait suivre les cours dethéâtre,etdemusique,biensûr.Vousallezêtretrèsoccupée,etuneadolescentedequinzeansnedevraitpasresterseuleàlamaisontoutelajournée.
—Je…euh…merci.Elle ne savait pas quoi dire d’autre. CommentMarsha avait-elle découvert l’âge de Starr ? Ou
qu’elleétaitseuleàlamaison?Maispeut-êtrequecedernierpointcoulaitdesource.Aussitôt,elleressentitunassautdeculpabilité.ParcequeStarrétaitseule.Aquinzeans,elledevait
êtrecapabledesedébrouiller,maislàn’étaitpasleproblème.— Il y a de très bons festivals tout au long de l’été, poursuivit Marsha. J’espère que vous en
profiterezpendantquevousserezparminous.Fool’sGoldestunlieudeviemerveilleux.Sanssavoircomment,Destinyseretrouvasoudaindehors.Ellen’avaitaucunsouvenird’êtresortie,
nid’avoirditaurevoir.C’étaitunesensationdesplusétrange.Kipling,quiétaitsortienmêmetempsqu’elle,éclataderire.—Vousvousdemandezcequivientdesepasser?dit-il.—Oui.—Vousvousyferez.Marshaaeuunebonneidée,envousparlantducampdevacances.Ellehochalatête.Horsdequestionqu’elleexpliquequ’elleavaitrencontréStarrpourlapremière
foisdixjoursplustôtseulement.Qu’àeuxdeux,sesparentss’étaientmariésdouzeouquatorzefois,etqu’elleavaitdesdouzainesdebeaux-quelquechoseetquelquesdemi-frèresetsœursquisebaladaientunpeupartoutdanslepays.Personnenepouvaittenirlecompteet,poursapart,elleavaitdepuislongtempsrenoncéàessayerdelefaire.
Ellecrispalamainsurlachemisequicontenaitladocumentationetrépondit:—Enparlantdemasœur,jeferaissansdoutemieuxderentreràlamaisonvoircommentelleva.—Biensûr.Onsevoitplustard.Oui.Letravail.Elleseforçaàseconcentrer.—Donnez-moivotretéléphone,demanda-t-elle.Elleluitenditsonportablepourqu’ilyrentresonnuméro.—Maintenant,vouspouvezmecontactern’importequand,dit-ilen lasaluantavantdesediriger
versl’escalier.Machinalement, elle le suivit des yeux. Il représentait une distraction parfaite…Mais quand il
disparut à sa vue, elle resta seule avec la réalité : elle débutait une nouvellemission, dans une villeétrangère,etelleavaitlagarded’unedemi-sœurqu’elleconnaissaitàpeine.
—Unseulproblèmeàlafois,murmura-t-elle.Autrementdit,lemomentétaitvenupourelled’affrontersafamille.
2
Le travail deDestiny la contraignait à voyager en permanence.Quand elle était enmission, elles’activait vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept jusqu’à ce que le travail soit fini.Ensuite,elleprenaitquelquessemainesdecongéavantdeseprésenterdanslavillesuivante.HormisunétédanslenordduCanada,ellen’avaitjamaistravailléquepourdesclientsdesEtats-Unis.
Quandelleétaitencongé,elle retournaitdanssonappartementd’Austin,oùellerattrapait toutcequ’elleavaitpumanquerensonabsence.Lasolitudeétaitpourelleunétatnaturel.Unétatqu’elleaimait.Biensûr,samèrevenaitlavoirtouslestroisouquatremois,desamisoulesraresfrèresetsœursaveclesquelselleavaitgrandi l’appelaient,mais,pour l’essentiel,ellevivaitseule,desortequ’ellen’avaitpasàs’inquiéterdesdésirsoudespréférencesdequelqu’und’autrequ’elle-même.
Quandlesgensluidemandaients’illuiarrivaitdesesentirseule,ellesebornaitàsecouerlatêteensouriant.GrandmaNellluiavaitapprisàapprécierlasolitude.D’ailleurs,ilsuffisaitd’unbonlivreoud’uneguitarepournepass’ennuyer.Leslivresetlamusiqueétaientdescompagnonsfidèles.Al’inversedes gens, ils ne discutaient pas, n’exigeaient rien. Et, contrairement à l’adolescente de quinze ans quil’attendaitàlamaison,ilsn’étaientjamaisdesétrangers.
Destinys’arrêtaquelquesinstantsdevant lapetitemaisonqu’elleavait louéepourl’été.Elleétaitassez ancienne et possédait le charmedesdemeuresdans lesquelles il fait bonvivre.Elle comprenaitdeuxchambresetdeuxsallesdebains,avaitungarageetunecourdélimitéeparuneclôtureàl’arrière.C’étaitunemaisonconfortableet,selonsescritèreshabituels,immense.Jamaisellenel’auraitlouéesielleavaitétéseule.Maiscetété,c’étaitdifférent.Cetété,sademi-sœurétaitavecelle.
Ellegravitlesmarchesduperron,ouvritlaporteetentra.Starr, pelotonnée dans un coin du canapé, lisait sur sa tablette, et leva vers elle des yeux verts
semblablesàceuxqu’ellevoyaitchaquematindanslaglace,maishabitésparunecertaineméfiance.Cesyeuxverts,ainsiqueleurscheveuxroux,leurvenaientdeleurpère.Maisc’étaientlàleursseulspointscommuns.
Destiny était grande, à tel point qu’elle avait toujours eu l’impression d’être tout en bras et enjambes.Starrétaitpluspetiteetplusfine.Destinyétaitdroitière,etStarrgauchère.Destinyselevaittôt,etStarrsemblaitêtreunoiseaudenuit.Maisellesétaientsœurs,etcelienprenaitlepassurtoutesleursdifférences.
Deuxsemainesplus tôt,alorsqueDestinypréparait sonvoyageàFool’sGold,elleavait reçuuncoupdetéléphonedel’avocatdesonpère,qui,aussiloinqu’elles’ensouvienne,s’étaittoujourschargéderéparerlesdégâtsprovoquésparl’uneoul’autredesfrasquesdeJimmyDon,enéchanged’avancesrégulièressurhonoraires.Sonpèreétaitunelégende,etfaireleménagedanssonsillagereprésentaituntravailàpleintemps.
L’avocatluiavaitapprisquel’unedesfillesdeJimmyDon,quiétaiteninternat,n’avaitnullepartoùalleràlafindel’annéescolaire.JimmyDonavaitquittélepays,etlamèredelajeunefilleétaitmorted’uneoverdose l’annéeprécédente.Autrementdit, iln’yavaitpersonnepour s’occuperdeStarrMillspendantl’été.
Destiny n’avait ni le temps ni l’envie de tenir le compte des femmes de son père, mais elle sesouvenaitfortbiendelaliaisontorrideentreJimmyDonetcettefemme,liaisonquiavaitétésuiviedelanaissanced’uneénièmeenfantillégitime.D’aprèscequ’elleavaitentendudire,Starrétaitlittéralementseuleaumonde.Commentaurait-ellepudirenonàlarequêteimplicitementformuléeparl’avocat?
MaisbienqueStarretellesoientbiologiquementdemi-sœurs,ellesnes’étaientjamaisrencontréesavant le jouroùDestiny était allée chercher l’adolescente à l’aéroport d’Austin—mis àpart ce jourlointain oùDestiny était passée voir sa nouvelle petite sœur à lamaternité. Et depuis cette premièrerencontre,quiavaiteulieudixjoursplustôt,ellesn’avaienteuquedesconversationssuperficielles,dugenre«Salut,çava?».StarrétaitpluscalmequeDestinyl’auraitpensé.Ellenepassaitpassontempspendueautéléphone,quecesoitpourappelersesamisouselivreràdesséancesfrénétiquesd’échangesdetextos.
—Salut,dit-elleenrefermantlaportederrièreelle.Commentçava?—Bien,réponditStarrenreposantsatablette.J’étaisentraindelire.—Tuessortie,aujourd’hui?Starrsecoualatête.Même siDestiny n’avait pas encore fondé de famille, elle savait qu’il n’était pas sain pour une
adolescentedequinzeansderestercalfeutréependantplusieursjoursd’affiléedansunemaisoninconnue—mêmedansunemaisonfamilière,d’ailleurs.Lesjeunesavaientbesoindesortir,d’avoirdesactivités,desefairedesamis.
Ellelaissatombersonpetitsacàdosparterre,s’assitdanslefauteuilquifaisaitfaceaucanapéettenditàStarrlesdocumentsqueluiavaitremisMarsha.
—J’aieuunrendez-vousintéressant,cetaprès-midi,dit-elle.Elle s’abstint de préciser que la maire de la ville semblait en savoir beaucoup plus qu’elle ne
l’auraitdûsurleurvieprivée.—Ilsetrouvequ’ilyauncampdevacancesjusteendehorsdelaville,poursuivit-elle.Peut-être
danslesmontagnes.Jen’aipasencorelutouteladocumentation.Maisiln’estpasloind’ici,etj’aipenséquecelapourraitêtreamusantpourtoi.
Lalueurméfiantes’intensifiadanslesyeuxdeStarr.—Pourquoi?—Ilyadesjeunesdetonâge,là-bas.Etdesateliersdethéâtre,dechant,demusique.Tuseraisau
grandair.Ceseraitmieuxquederesterenferméeici.Quand elle pouvait choisir, elle préférait toujours être à l’extérieur—unepréférence qui s’était
affirméeaprèssonséjourchezGrandmaNell.Lecielsemblaitluifairesigne.Lesarbresétaientpourelledes amis à la silhouette élancée qui lui fournissaient ombre et protection par les journées chaudes etensoleillées.MèreNaturerecélaitdesmilliersdetrésorsquinedemandaientqu’àêtredécouverts,etlebruissementdesfeuillesetleschantsdesoiseauxsemêlaientpourcomposerunemusiquesanspareille.
Starrpritlabrochurequ’elleluitendaitetl’ouvrit.—J’aimeraissuivredescoursdethéâtreetdemusique,avoua-t-elle.M’amélioreràlaguitare.Il n’y avait nulle trace de reproche dans sa voix,maisDestiny se tortilla quandmême dans son
fauteuil,malàl’aise.Lejouroùelleétaitalléelachercheràl’aéroport,Starrluiavaitdemandésiellepourrait lui apprendre àmieux jouer de la guitare, précisant qu’elle était autodidacte et qu’elle savaitqu’illuifaudraitdesleçons.Destinyluiavaitmenti:elleluiavaitréponduqu’ellenejouaitelle-mêmepastrèsbienetnepouvaitdoncpasl’aider.
Deux semainesplus tard, lemensongepesait encore sur ses épaules.Lamusiqueavait faitpartieintégrantedesonéducation,etjouerétaitpourelleaussinaturelquederespirer.Sesparentsétantquiilsétaient,c’étaitsansdouteinévitable.Ellejouaitdelaguitareavantmêmedesavoirlireet,àsixans,lepianoétaitvenus’ajouteràlapanopliedesestalents.
Mais,presquedouzeansplustôt,elleavaitdécidédelaissercettefacettedesaviederrièreelle.Dese concentrer sur ce qu’elle jugeait être lemonde normal.Maintenant, elle ne jouait que rarement ets’efforçaitd’ignorerlesparolesdechansonsquijaillissaientparfoisdanssonesprit.Maisilluiarrivaitdes’avouervaincueetdepassertoutunaprès-midiàjoueretàcomposer.Cequisuffisaitgénéralementàlasevrer…jusqu’àcequel’envierevienneetprenneledessus.
Et, après tout, elle avait parfaitement le droit de prendre cette décision. Rien ne l’obligeait àdévoilercettefacetted’elle-mêmedevantStarr.Toutefois,mêmesiellesavaitqu’elleavaitraison,ellesavaitaussi…qu’ellen’auraitpasdûmentir.
—J’ai regardéunpeuleprogramme,dit-elleensouriant. Ilyadescoursdeguitare.Etaussidepiano,sicelat’intéresse.
—Tujouesdupiano?—J’enjouais,oui.—Maisiln’yenapas,cheztoi.Non,maiselleavaitunclavierportableetuncasquehautdegamme,rangéssoussonlit.—Jemedéplacetropsouventpouravoirunpiano,répondit-elleenhaussantlesépaules.Emporter
unpianoenbagageàmaindansl’avionn’estpasl’idéal.La bouche de Starr s’incurva légèrement.On ne pouvait pas appeler cela un franc sourire,mais
c’étaitcequeDestinyavaitobtenudemieux,jusqu’ici.—Jepenseque tu t’amuserais,danscecamp, reprit-elle.Jesaisquecen’estpas facilepour toi
d’êtreaussi loinde tescamaradesd’école.Maisondoitbien trouverunoudeuxjeunesbranchésdanscetteville,pasvrai?
—Jenetraînepasaveclesjeunesbranchés,réponditStarr.Maisj’aimeraismefairedesamis.—Super!Alors,regardecettebrochureetdis-moicequetuenpenses.Starrhochalatêtesanss’enquérirduprix.L’avocatdeJimmyDonavaitexpliquéàDestinyquela
mère de Starr avait souscrit une assurance vie, dont le produit avait été placé sur un compte enfidéicommisque leurpèrealimentait luiaussi.L’adolescentepensait sansdoutequeDestinycouvriraitsesfraisaveccetargent.
Mais,mêmesielleavaitparfaitementledroitd’utilisercecompte,Destinyrefusaitdelefaire.Elleavaitprévudecouvrirelle-même les fraisdeStarr,etelleallaitégalement financerson inscriptionaucamp de vacances. Elles faisaient partie de la même famille, en quelque sorte— enfin, apparentéesplutôt—,etc’étaittoutcequicomptait.
—Bien!dit-elleenselevant.Tuvienslirelabrochuredanslacuisine,pendantquejecommenceàpréparerledîner?Onpourraendiscuter.
Ellespassèrentdanslapièceàcôté,etStarrs’installaàlapetitetabletandisqueDestinysortaitlesingrédients dont elle avait besoin pour faire du poulet frit.Quand elle ouvrit le réfrigérateur, elle vitquelquesboîtesqu’ellenereconnutpas.
—C’esttoiquiasfaitlacuisine?demanda-t-elle.—Non.Cesontdeuxdamesquiontapportécesplats.Ellesontlaissédesconseilssurlafaçonde
lesfaireréchauffer.Çaal’airbon.Destiny regarda les étiquettes. L’une disait simplement « lasagnes », et il y était suggéré de
réchaufferleplatsoitaufour,soitaumicro-ondes.L’autreétiquetteindiquaitquelerécipientcontenaitla« tourte multicouche au tamale de Denise ». Destiny était à peu près certaine de n’avoir rencontrépersonne du nom de Denise, mais cela n’avait aucune importance. Dans les petites villes, les gens
veillaientlesunssurlesautres.Aumoindreévénementd’unequelconqueampleur,labrigadedesplatscuisinésbattaitlerappel.
—Nouspouvonslesgarderpourdemain,dit-elle.Situesd’accord.—Pasdeproblème.Destinymitdelafarine,dusel,dupoivreetdupaprikadansungrandsacplastique.Aprèsavoir
rincé lesmorceauxdepoulet, elle les séchaet lesplongeadans lebabeurrependantquelques instantsavantdelesmettredanslesac.Quelquessecoussesplustard,lepouletétaitenrobédefarine.Elleposalesmorceauxdansuneassiette.Le trucpourobtenirun superpoulet frit, c’était debien faire chaufferl’huile,cequilaissaitletempsàl’enrobagededevenirlégèrementgluant.
Toutenattendant,elleregardaStarr,quiétaitplongéedanslalecturedelabrochure.Ilémanaitdel’adolescentebeaucoupdecalme.Amoinsqu’ilnes’agissequedetristesse.Laviede
Starr n’avait pas été facile. Elle voyait rarement son père, et sa mère avait enchaîné les cures dedésintoxicationavantdemourird’uneoverdose.Maintenant,ellevivaitdansuninternat.Ellen’avaitpasde grands-parents, et tous lesmembres de sa famille étaient des beaux-parents ou des demi-frères ousœursqu’elleneconnaissaitnid’Evenid’Adam.
LaculpabilitédeDestinyrevintàlacharge,maispouruneautreraison,cettefois.Ilfallaitqu’elleconsacre du temps à Starr. Elles allaient passer tout l’été ensemble, autant qu’elles apprennent à seconnaître.
Dans beaucoup de familles, les demi-sœurs étaient sans doute amies…mais pas dans la sienne,parcequesonpèreétait incapablederésisteràunebellefemme,pensa-t-ellesombrement.JimmyDonaimaitlesdames,quileluirendaientbien.Ils’étaitmariéjeuneetn’avaitpastardéàdivorcerpourseremarier,encoreetencore.Samèren’étaitpasmoinsinstable.LaceyMillsenétaitàsonseptièmemari.Oupeut-êtreàsonhuitième.C’étaitdifficileàsuivre.
Destiny était le premier enfant de Jimmy Don et Lacey, et le seul. Elle avait été témoin despremières années de leur couple, et avait grandi au milieu des cris, des assiettes qui volaient, destragédies. Elle avait donc appris très tôt à s’écarter quand les disputes éclataient, et elle avait aussidécouvert que les moments de bonheur ne duraient jamais. Alors, elle s’était juré de ne pas leurressembler.Ellevoulaitfonderuncouplecalme,tranquille,pragmatique.Pasdehautsetdebaspourelle.Ellecherchaitunhommequ’ellepourraitrespecteretaveclequelellepourraitavoirdesenfants.Pasunhommequiferaitbattresoncœurunpeuplusvitequelanormale.
EtvoilàpourquoielleévitaittouslesKiplingGilmorequeportaitcetteterre.Oui,cethommeétaitundémontentateurauphysiqueagréable,ausourirefacile,auxmanièrescharmeuses.Elleétaitcertainequ’ilavaitdanssonsacunbonmillierdetoursquiauraientpul’ameneràlesupplierdeluiendonnerplus.Maisellenevoulaitsupplierpersonne.Ellenevoulaitpasconnaîtrel’attente,ledésir,lerêve.Ellenevoulaitmêmepasespérer.Cequ’ellevoulait,c’étaientdescertitudes.Unamoursolide,confortable,surlequelellepourraits’appuyer.
Lesexeétaitàlaracinedetoutmal.Voilàuneautreleçonqu’elleavaitapprisetrèstôt.Ellepouvaitse targuerdene jamaisavoirpermisàaucunhommede lui faireperdre la tête.Sadéterminationavaittoujoursétépluspuissantequen’importequellehormone,etelleleseraittoujours.
***
LaManCave,dansletemps,étaitunequincaillerie.QuandKiplingavaiteul’idéed’ouvrirunbaroùlesgarssesentiraientàl’aise,ilavaitaussitôtpenséaupas-de-portequiétaitàvendresurKatieLane.Commelevendeurse trouvaitégalementêtre l’undeses futursassociésdans lebar, ilavaitobtenu lelocalpourunprixintéressant.
Les rénovations avaient été effectuées rapidement et,maintenant, ils n’étaient plus qu’à quelquessemainesdel’ouverture.
Kipling, près de la porte d’entrée à deux battants, balaya la salle du regard. Un long comptoirs’étendaitcontreunmur, flanquéd’unréfrigérateuroùseraiententreposéesdesbièresen libreservice.Destablesétaientdisposéessurl’avantdelasalle.Aufond,ilyavaitdestablesdebillardetdesciblesdefléchettes.A l’arrière,uneautresalleétaitdestinéeàaccueillir lespartiesdepoker.Despostesdetélévision avaient été installés partout dans l’établissement, y compris dans les toilettes, de sorte quepersonnenemanqueuneseuleminutedumatchencours.
Il y avait aussi un premier étage enmezzanine qui surplombait le comptoir, avec de nombreusesplacesassises.
Lesmursétaientcouvertsdephotos,documentsetobjetsliésausport.Enplusdestraditionnellescouvertures des hors-série consacrés aux maillots de bain de Sports Illustrated, on trouvaitd’authentiques trophées. JoshGolden, l’ancien propriétaire du bâtiment, avait donné l’un desmaillotsjaunes qu’il avait portés sur le Tour de France. Il y avait aussi des ballons, des casques de footballaméricain et des trophéesofferts par d’anciens joueursprofessionnels—dontRaoulMoreno, célèbrequarterback —, qui travaillaient maintenant pour Score, une société de relations publiques locale.Kipling,poursapart,avaitoffertl’unedesmédaillesd’orqu’ilavaitdécrochéesauxjeuxOlympiquesdeVancouver,en2010.
Mais ce qui lui plaisait le plus dans son établissement, c’était la grande scène, qui accueilleraitbientôtlamachineàkaraokéultramodernequ’ilavaitcommandée.Biensûr,ilsengageraientparfoisdesgroupesmais,àsesyeux,riennevalaitunesoiréekaraoké.
Au temps où il voyageait tout au long de l’année, enchaînant les compétitions, il avait remarquécombienunesoiréekaraoképouvaitcontribueràsouderuneéquipe.Oùqu’ilssoientdanslemonde,sescoéquipierset lui trouvaient toujoursunendroitéquipéd’unemachineàkaraokéetpassaient la soiréeentièreàfairelesimbéciles.Ilnepouvaitguèrealignerquequelquesnotes,maisl’importantn’étaitpasdebienchanter.C’étaitdes’amuser.
L’idéed’ouvrircebarluitrottaitdanslatêtedepuisunmoment.QuandilétaitarrivéàFool’sGold,ilavaitcomprisquec’étaitlàqu’ilpouvaitréalisercerêve.LeJo’sBar,enville,attiraitessentiellementdes femmes. La décoration pastel et les télévisions réglées sur des chaînes dédiées à la mode et aushoppingl’avaientfaitgrincerdesdents.Oùallaientlesgarsquandilsvoulaientjustepasserunmomentensemble?Quelquesdiscussionsplustard,ilavaittrouvéunlocaletdesassociés.
Ilallumaleslumièresetinspectalasalle,oùilmanquaitencorequelquestablesetquelqueschaises.LalicenceIVleuravaitétédélivréelasemaineprécédente.Maintenant,ilss’occupaientdesélectionnerleursfournisseurs.
Laportes’ouvritsurNicketAidanMitchell.Aussigrandsetbrunsl’unquel’autre,lesdeuxfrèresétaientnésetavaientgrandiàFool’sGold.D’aprèscequeKiplingavaitentendudire,lesfrèresMitchellétaientcinq.Lesdeuxplusjeunes,desjumeaux,etl’aîné,Del,avaientquittélaville.
Surlesconseilsdesesassociés,ilavaitengagéNickpourgérerlebar.Aidan,quiavaitunoudeuxansdeplusqueNick,dirigeaitMitchellAdventureTours,unesociétéfamilialequiproposait touteunegammed’expéditionsauxtouristes,randonnéesd’unjoursansdifficultéparticulièrecommedescentesderapidesenrafting.
—Pasmal, fit remarquerAidanavecunpetit sifflementd’admiration.Vousallezbientôtpouvoirouvrir.
—Danstroissemainestoutauplus,réponditNick.J’aidéjàcommencéàengagerdesserveurs.Aidanfusillasonfrèreduregard.—Parcequetuengagesdesserveurs?LevisagedeNicksecrispa.
—Commencepasàmechercher…—Tun’envauxpaslapeine,répliquaAidan.Danslavoixdel’aînédesdeuxfrères,l’irritationledisputaitàl’affection.D’aprèscequeKipling
avaitpucomprendre,lafamilleMitchellétaitsoudée,maisn’enconnaissaitpasmoinsdesproblèmes.Lepère,CeallachMitchell, était unartisteverrier, célèbre à la foispour son talent etpour soncaractèreexécrable.Nickavaithéritédesondon,maispasdesapassionpourletravailduverre.Apparemment,ilpréféraittenirunbar.
Aidan lui reprochaitsouventdenepasmieuxexploiterson talent.CommeKiplingentretenaitdesrapports compliqués avec sa propre sœur, il faisait de sonmieux pour rester hors de ces dynamiquesfamiliales.
—Tuasrepenséàcedontnousavionsparlé?demanda-t-ilàAidan.Cedernierhaussauneépaule.—Tusaisbienquejen’aipasletemps.Nousavonsdutravail,enété.—Vous avez du travail toute l’année, lança gaiementNick.Et si c’est l’un de tes clients qui se
perd?Aidanlâchaunjuronetrépliqua:—Personnenet’ariendemandé!—Pasbesoin.Jesuisgénéreux,jesaisdonnersansqu’onmedemande.Kiplingréprimaunéclatderire,etAidan,furieux,luilança:—Ettoi,nefaispaspressionsurmoi!—Jamaiscelanemeviendraitàl’esprit,réponditKipling,trèscalme.Est-cequej’aipréciséque
c’estMarshaquim’asuggérédeteposerlaquestion?Aprèsunnouveaujuron,Aidangrommela:—Génial.Bon,jeserail’undetesfichusbénévoles.—Heureuxdel’apprendre.Jetedonnerailespapiersavantdemain.—Parcequ’enplus,ilyadelapaperasse?marmonnaAidan.Tumelepaieras.Nickluidonnaunetapesurl’épaule.—Tusaisbienqueoui,monfrère.—Ettoi,net’imaginesurtoutpasquetuserasailleursqu’avecmoi,rétorquaAidan.—Maisc’estbienlàquejecompteêtre.«Deuxpourleprixd’un»,pensaKipling,satisfait.L’unitédesecours,qu’ilserefusaittoujoursàappeler«HERO»,seraitessentiellementconstituée
devolontaires, et placée sous sa responsabilité. Il allait engagerunadjoint et deuxassistants,mais lereste de l’équipe serait composé de bénévoles.C’était la façon la plus simple de réduire les frais auminimum.
Lavilleétaittellementdésireusedes’impliquerdanslamiseenplaceduprogrammequ’iln’auraitsansdouteaucunmalàtrouverassezdevolontairesetàlesformer.Ilsavaitdéjàqu’ilpourraitcomptersurdesmembresdelapoliceetdespompiers.
Mais il voulait qu’Aidan fasse partie de son équipe. Grâce à son activité professionnelle, ilconnaissaitlarégionmieuxquequiconque.Quandunrandonneurseperdrait,ilvoulaitqu’Aidansoitsurleterrainetparticipeauxrecherches.
—Quandest-cequel’entraînementvacommencer?demandaNick.—Pas avant unmois.La conseillère deSTORMSest arrivée avant-hier. Il faut d’abord qu’elle
cartographielazoneetqu’ellemetteleprogrammeaupoint.—C’estlagrandefillerousse,c’estça?demandaAidan.Jel’aivueenville.Comments’appelle-t-
elle?—DestinyMills.
Kipling aurait voulu en dire plus. Par exemple, que le vert de ses yeux lui rappelait celui desfeuillesquiéclosentauprintemps,avantquelesdernièresneigesdel’annéeaientfondu.Maisiln’étaitpasdugenreàparlerainsi.Aucunhommeneparlaitainsi.Aucunhommedesaconnaissance,dumoins.
—Unefemmepourraittefairedubien,remarquaNickenpoussantsonfrèreducoude.—Ellen’estpasmongenre.—Commenttulesais?Tunel’aspasrencontrée.—Ellen’estpasmongenre,répétaAidan,levisagefermé.Laissetomber.Etsurunjuronmarmonné,ilquittalebar.Nicksecoualatête.—Ilnereste jamaisplusd’unquartd’heureavecunefille.Unjour, ils’enmordra lesdoigts.Et
toi?Quepenses-tudecetteDestinyMills?Kipling n’allait certainement pas partager ses pensées sur le sujet avec qui que ce soit, sinon la
demoiselleenquestion.—Jetravailleavecelle,jenesorspasavecelle.Pourquoicetintérêt?—Jesuisbarman.Ilfautquejesachedestrucs.Kipling envisagea brièvement de décourager Nick, mais se ravisa aussitôt. Si Destiny était
intéresséepar lamêmechoseque lui, il le sauraitbienassez tôt.Et siellene l’étaitpas, ilneverraitaucuninconvénientàcequeNicktentesachanceauprèsd’elle.Iln’avaitjamaiseubeaucoupdemalàtrouverunefemme,niàlagarder.Sonproblèmeétaitd’unetoutautrenature:enmatièrederelations,ilne recherchait que du temporaire.Mais en attendant le jour où leurs chemins se sépareraient, il étaitcurieuxdevoirquellerouteDestinysouhaitaitemprunter.
***
Destiny se réveilla plus tôt qu’à l’accoutumée.Quand elle fut douchée et habillée, il n’était pasencore6heures.EllefourrasonportefeuilledanslapochedesonjeanetsortitdelamaisonsurlapointedespiedspournepasréveillerStarr.
Pasunbruitnevenaittroublerlesilencequienveloppaitlequartier.Lecielétaitdégagéet,bienquelamétéoaitannoncéquelajournéeseraitchaude,ilfaisaitencorefrais.ElleremontalafermetureEclairdesonsweatàcapucheetpritladirectionducentre-ville.
Saviefaited’unesuccessiondedéplacements luipermettait,entreautresavantages,dedécouvrirlesboutiqueslocales.Jusqu’ici,elleavaitdénichédeuxvéritablestrésorsàFool’sGold:lefood truckstationné près de Pyrite Park, dont les sandwichs délicieux apportaient une solution idéale à sesproblèmesdedéjeuner,etlapâtisserieAmbrosia,quiallaitlacontraindreàajouterquelquesmouvementsàsaséancedesportquotidienne.
Lesruess’animèrentunpeuquandelleapprochaducentre.Ellecroisaquelquespassantsetdeuxvoitures,ainsiqu’unjoggeurquilasaluad’unsignedetête.
Elle aimait découvrir le rythme de chacune des villes dans lesquelles elle travaillait. Elles seressemblaient toutes un peu, avec toutefois juste assez de différences pour éviter la lassitude. D’unecertainefaçon,cesvillesétaientcommedesparolesdechanson.Ilyavaitdescouplets,quiracontaientunehistoire,etunrefrain,quiétaitlarépétitiond’unthème,l’épinedorsalequiconsolidaitl’ensemble.
Elle s’engagea sur Second Street. La pâtisserie était un peu plus loin, sur sa gauche. Les portesétaientgrandesouvertes.Elleentraetfutaccueillieparlesodeursdesucre,decannelleetdepaintoutjustesortidufour.Leparadis…
Unejeunefemmeblonde,assezpetite,se tenaitderrière lecomptoir ;sonbadge indiquaitqu’elles’appelaitShelby.Destiny était certainedene jamais l’avoir rencontrée,mais quelque chosedans sesyeuxbleusetsonjolivisageluisemblaitfamilier.
—Bonjour,ditShelbyensouriant.Vousêtesbienmatinale.—Pasautantquevous, réponditDestinyavecungestevers lavitrinepleinedeviennoiseries.A
moinsquecesgâteauxn’aientétéfaitshiersoir.Shelbyéclataderire.—Jen’aipaseucettechance!J’étaisicià3heures.Destinygrimaça.—J’aimemeleverdebonneheure,maislà,çafaitunpeutôt,mêmepourmoi.—Jem’endoute.Quandj’aiunjourdecongé,jemelèvetard.Autrementdit,à4heuresetdemie!
C’estunrythmebizarre,aucundoute.Qu’est-cequejevoussers?Destinyprit unedemi-douzainede pains aux raisins.Elle en emporterait peut-être unoudeux au
bureau,etlaisseraitleresteàlamaison,pourStarr.Shelbymit les viennoiseries dans une boîte en carton ornée de rayures blanches et argentées et
demanda:—Vousêtesnouvelleenville,ouseulementdepassage?— Nouvelle. Je suis venue passer l’été ici afin de mettre en place le programme informatique
qu’utiliseral’unitédesecours.Shelbyéclataderire.—LefameuxHERO!Jesuisaucourant.JesuislasœurdeKiplingGilmore.Jenesaispassivous
l’avezdéjàrencontré.C’estluiquidirigel’unité.Etilacenomenhorreur,soitditenpassant.Sivousvoulezletorturer,vousn’avezqu’àlerépéterdevantlui.
—Jel’airencontré,etmercipourletuyau,répondit-elle.Elle regarda la jeune femmeplus attentivement.Maintenant, elle comprenait pourquoi il lui avait
semblélaconnaître.Shelbyluitenditlaboîteetluisourit.—Voussavez,vousn’avezpasbesoindevenirachetervospainsauxraisinsici,dit-elle.N’allez
paspenserquejen’appréciepasvotrecompagnie,seulement,laplupartdenosclientsveulentuncafé,etnousn’enfaisonspas.Maisc’estcheznousqueleBrew-hahasefournitenviennoiseries.
—Jenesuispastrèscafé.Plutôtsucré.Ellerepensaàlaconversationqu’elleavaiteueavecKiplingetàcequ’avaitditMarshaausujetde
l’unité.— Est-ce qu’il y a longtemps que vous habitez ici ? demanda-t-elle. J’ai eu l’impression que
Kiplingétaitunajoutrelativementrécentàlapopulation.—Presqueunan,réponditShelby,dontlesourires’estompa.Jemesuisinstalléeicil’étédernier.
Ma mère est morte, et… pour tout dire, c’est une histoire un peu compliquée. Kipling est resté enrééducationjusqu’enjanvier,et…Oh!Mais…voussavezquiilest?Leski,ettoutlereste?
—Oui.C’étaitunaccidentplutôtsérieux.Jesuisheureusequ’ilsoitrétabli.Ellemarquauntempsd’arrêt.EllenesavaittropquedireàShelbyausujetdesamère.—Jesuisdésoléepourvotremaman,ajouta-t-elleenfin.— Merci. La douleur est toujours là, mais je fais avec. Et la présence de Kipling m’aide
énormément.Ilestabsolumentinsupportable,maisjel’aime.Ilestlaseulefamillequimereste.Sanslui,jeseraiscomplètementperdue.
—C’estagréabled’avoirdelafamilleauprèsdesoi,murmuraDestinyenpensantàStarr.Heureusementqu’ellesavaienttoutl’étépourapprendreàseconnaître.Deuxhommesentrèrentdanslapâtisserie.Ilsétaientgrands,solidementcharpentés,enshortetT-
shirt.Euxaussiluisemblaientfamiliers,mêmesielleétaitbienenpeinededirepourquoi.Est-cequetoutlemonde,danscetteville,avaitunliendeparenté?
—Onavaitditqueleperdantpaierait,ditlebrun.Donc,c’esttoiquirégales.
—Trèsbien,Sam.Attendsunpeucetaprès-midi.Jevaistebotterlesfessessurlescourts.Destinysedirigeaverslasortie.—Ademain,lança-t-elleàShelby.Enpassantàcôtédesdeuxhommes,elleremarquaqu’ilsportaienttousdeuxunealliance.Maisni
l’un ni l’autre ne l’attirait. Elle était forte, volontaire, et ne se laissait jamais embobiner par quelquechosed’aussifugacequel’attirancesexuelle.Elles’étaitfixédesbutsetdesrègles,etavaitélaboréunplan.Etsitoutéchouait…ellepourraittoujoursseconsoleravecdespainsauxraisins!
Ellereprit lechemindelamaison.Lesoleilcommençaitàmonterdansleciel,et lesruesétaientplusanimées.Despersonnesqu’elleneconnaissaitpaslasaluèrent,etelleleurréponditavecunsourireamusé.Décidément,l’atmosphèreamicalequirégnaitdanscettevilleluiplaisait.
Enarrivantaucoindelarue,elles’arrêtaetregardasursagaucheavantdetraverser.Unpeuplusloin,unhommefaisaitsonjoggingmatinal.Safouléeétaitlégèrementinégale,etsonallurepluslentequecelledelaplupartdesautresjoggeurs.Sesjambesétaientzébréesdecicatrices.Quandsoncerveaueuttraitécesinformations,ellecompritqu’ils’agissaitdeKipling.
Ellepensaàtoutcequ’ilavaitdûendureraprèssonaccidentetsedemandacombiendecourageilfallait pour guérir après avoir traversé une telle épreuve.Non, pas pour guérir. Pour se rétablir aussicomplètement.Saformeactuelleendisaitlongsursaforcedecaractère.
Unefoisrentréechezelle,elleposalespainsauxraisinssurlatabledelacuisineetretournadanssachambre.Ellefermalaportederrièreelle,sortitsaguitaredelapenderieets’assitsurleborddulit.
Desparolessebousculaientautourd’unemélodieàdemiformée.CommeStarrdormait,ellesemitàjouertoutdoucement,ens’interrompantdetempsàautrepournoterdesparolesouquelquesbribesdemélodie.
«Ilyatropderoutes,ilyatropdejournées.Quejepasseàtester,àsouffrir,àtevoirseul.Ilyabientropdenuitsquejepasseàsouhaiterquetoutaillebienetjemarche…»
Elleplaquabrusquementlamainsurlescordestoutencherchantlabonnefaçondeterminerlevers.C’étaitcommesicettechansonl’appelait.Lebesoindenepluspenseràrien,sinonàdécouvrirla
bonnecombinaisondenotesetdesyllabes,dephrasesetdesens,sefitpluspressant.Ellejetaunregardàsonpetitréveil.Ilfallaitqu’elleailletravailler,etellenevoulaitsurtoutpasqueStarrl’entendejouer.Mieuxvalaitenresterlà.
Elle inspira et opta pour un compromis : elle allait jouer encore un peu, disons… trois quartsd’heure.Elleréglal’alarmedesonportableet,quandellesonna,elleseforçaàremettresaguitaredanslapenderieetfourralecarnetusédansletiroirdesatabledenuit.
Elleavaitunvraitravail.Unevienormale.Leschansons,lamusiquen’étaientqu’unpasse-temps.Elleavaitfaitunchoix,motivéparuneexcellenteraison.Ilfallaitqu’ellegardelecontrôle;cen’étaitqu’ainsi qu’elle pourrait garantir sa propre sécurité. Elle devait rester vigilante. S’assurer que sadéterminationdemeuraitintacte.Elleétaitplusfortequelamatièredontelleétaitfaite,etelleleseraittoujours.
3
Une fois que Kipling eut installé les ordinateurs neufs sur les bureaux qui avaient été livrés lasemaine précédente, il tria les emballages qui les avaient contenus afin de séparer les matériauxrecyclablesdeceuxquidevaientêtrejetés,etallalesmettredanslespoubellescorrespondantes.QuandilrevintdanslesbureauxdeHERO,Destinypassaitlaporte.
—Pileàl’heure,murmura-t-il.Elleportaitunjean,desbottesetunT-shirtàmanchescourtes.Elleavaitattachéseslongscheveux
en queue-de-cheval, et son visage semblait vierge de tout maquillage. En guise de sac à main, elleutilisaitunpetitsacàdos.
Visiblement,ellenecherchaitàimpressionnerpersonne.Etellen’étaitcertainementpaslegenredefemmeàdemanderàunhommedel’attendre«justecinqminutes»pendantqu’ellesepomponnait.Autantdebonspoints,encequileconcernait.
— Je vois que les ordinateurs sont arrivés, fit-elle remarquer. J’en informerai mes gars de latechnique. Ils seront ici dans deux jours pour installer et tester le programme. Pendant ce temps, jecommencerai à cartographier la zone.Ensuite, nous vous formerons, vous et vos volontaires, afin quevousappreniezàutiliserSTORMS.
—Bonjour,dit-il.Comments’estpasséevotresoirée?Ellehaussalessourcils.— Je n’aurais pas pensé que vous étiez le genre d’homme à attacher autant d’importance aux
mondanités,maissicelapeutvousfaireplaisir…Bonjour,Kipling.Est-cequevousavezbiencouru,cematin?
—Commentsavez-vousquejesuisallécourir?—Jevousaivuenrevenantd’achetermonpetitdéjeunerenville.Jevousauraisbienappelé,mais
vousétieztroploin.Maisn’allezpascroirequejevousespionnais.—Loindemoicetteidée!répliqua-t-ilenretenantunsourire.Donc,ellel’avaitregardé…Unanplustôtencore,ilauraitpenséquec’étaitbonsigne.Unemarque
d’intérêt.Maisaujourd’hui,iln’enétaitplusaussisûr.Ellepouvaitavoirétérebutéeparsescicatricesousa claudication—même si, pour tout dire, elle ne lui semblait pas être femme à attacher beaucoupd’importanceàcegenrededétails.
— C’est le problème, avec les petites villes, poursuivit-elle. On ne peut vraiment échapper àpersonne.Jenedispasquevouscherchiezàvouséchapper,seulement…
Ellelaissatombersonsacàdossurlebureauetcroisalesbras.—Malàl’aise?demanda-t-il.—Affreusement.
—Vousvoulezchangerdesujet?—Vousnepouvezpassavoiràquelpoint.—Alorsmettons-nousautravail,conclut-ilensouriant.ContrairementaubureaudeMarsha,celui-cinecomportaitpasdecoinsalonconfortable.Justeune
tableenmétaletdeschaisespliantes.Ilss’installèrent,etDestinysortitunordinateurportabledesonsacàdos.Pendantqu’ildémarrait,elleluitenditdeuxfeuillesdepapier.
—Voilàl’emploidutempspréliminaire,expliqua-t-elle.Dresserlescartesettesterleprogrammevanousprendreenvironunmois.Nousferonsbeaucoupd’exercicesdesauvetage,quisetermineronttousmal.Pourcesentraînements,ilfaudraquelegroupedevolontairessoitaussiréduitquepossible.Commeça,ilsserontmoinsnombreuxàrisquerdeselaisserdécourager.
—Vousenvisagezlepire.—J’ai déjà fait ce travail.L’hommeet lamachinene travaillent pas bien ensemble sans unbon
entraînement.Une foisquenousaurons résolu les derniersproblèmes, nouspourrons élargir les zonesd’entraînementetfaireparticiperplusdebénévoles.
Elles’étaitassiseprèsdeluiafinqu’ilpuissevoir l’écrandesonordinateur, tellementprèsqu’ilpouvaitsentirleparfumdesonshampooing.C’étaitunarômedefleurs.Etonnant,comptetenudumanqued’intérêtqu’elleaffichaitpourtoutcequiétaitféminin,quecesoitauniveaudesesvêtementsoudesesaccessoires.
Maisontrouvaitdesfacettesinattenduescheztoutunchacun.Etiladoraitlesdécouvrir.QuecachaitDestiny, derrière sesmanières strictement professionnelles ?Etait-elle passionnée ?Et au lit ?Est-cequ’elle criait, ou était-elle plutôt silencieuse ? Les deux possibilités lui convenaient autant l’une quel’autre.
Ellesetournavivementpourprendrequelquechosedanssonsacàdos,cequifitvolersaqueue-de-chevalverslui.Sescheveuxd’unrouxfoncé,quibouclaientlégèrementaubout,semblaientlesupplierdelestoucher…Mêmesanslefaire,ilpouvaitpresquesentirleurdouceur.Pendantuninstant,ils’autorisaàfantasmer, à imaginer queDestiny ôtait l’élastique qui retenait ses cheveux et secouait la tête, commedansunepublicitéringardepourunparfum.Peut-êtrequ’elle l’inviteraitensuite,d’ungestedudoigt,àvenirverselle…
Ilréprimaunsourireàcettepensée.C’étaitpeuprobable.DestinyMillsneluisemblaitpasêtredugenrevoluptueux.Il lasentaitpluspragmatiquequeséductrice.Mais,encoreunefois,cen’étaitpasunproblèmepourlui.
Elle posa d’autres papiers sur le bureau et, tout en parcourant du regard la feuille du dessus,demanda:
—Est-cequevousallezrecruterunadjoint?—Oui. J’ai plusieurs entretiens d’embauche à venir, ces prochaines semaines. J’engagerai aussi
deuxassistantsrémunérés.Ilpoursuivittandisqu’elleprenaitdesnotes:—Nousavonsunnombreimpressionnantdevolontaires.Cesontessentiellementdespompierset
desflics,maisilyaaussiquelquescitoyensordinaires,et…Ellesetournasoudainversluietlança:—SamRidge!—VousconnaissezSam?—Quoi?Non.Jel’aiseulementcroisécematin,àlapâtisserie.Ilestarrivéavecunautretypeau
momentoùjepartais.Depuis,j’essayaisdelesituer.Maintenant,jemesouviens:iljouaitdanslaNFL,aupostedebuteur.Ilyabeaucoupd’ancienssportifsprofessionnelsdanscetteville,enplusdevous.Desfootballeurs,uncycliste…J’ailuunarticleàsonsujetsurlesiteWebdeFool’sGold.Vousêtesenbonnecompagnie.Est-cequec’estlaraisonquivousapousséàvenirvousinstallerici?
—Pasvraiment.LabouchedeDestinys’arquaenunsourire.—Laissez-moideviner…C’estàcausedeMarsha,lasupermaireàquiriennipersonnenerésiste.—Pourtoutdire,oui.ElleestvenuemerendrevisiteenNouvelle-Zélandeaprèsmonaccidentet
m’aproposéleposte.Unpostedontilsefichaitpasmalàl’époque,pensa-t-ilamèrement.Commeilsefichaitdepasmal
dechoses,d’ailleurs.Ilétaitjusteobnubiléparlasensationd’impuissancequil’accablaitalors:clouésur un lit d’hôpital, sans savoir s’il allait remarcher un jour, et terriblement inquiet pour sa sœur, quitraversaitunepériodesombre.Lesgensfaisaientgrandcasdel’amour.Maispaslui.L’amourneservaitàrien.Toutl’amourqu’ilavaitpourShelbyn’aidaitpascettedernièreàéviterlespoingsdeleurpère.
C’étaitalorsqueMarshaétaitapparueàsonchevet,porteused’unvéritablemiracle.Ilnesavaitpascommentelleavaitappriscequisepassait,maistoujoursest-ilqu’ellelesavait.Elleluiavaitpromisd’assurerlaprotectiondeShelby,etelleavaittenuparole.Lui,enretour,étaitvenus’installeràFool’sGold.
Il savait que c’était lui qui avait retiré les plus grands bénéfices de cemarché. Shelby était ensécurité,etilavaitunendroitoùrepartirdezéro.Unendroitoùiln’étaitpasle«ForceG»derenomméemondiale,maistoutsimplementKiplingGilmore.Beaucoupdegensauraientsansdoutepusecontenterd’êtrerétablis,etdepouvoirsefixer.Maisbienpeucomprenaientqu’ilpouvaitêtredifficiledesefixerpourunhommequiavaitétéunvéritabledieuvivantpendantplusieursannées.
— Ça fait un sacré voyage, juste pour aller engager quelqu’un, fit remarquer Destiny, un brinmoqueuse.
—Maisjelevauxbien.Elleéclataderire.—D’accord.Jevaisfairesemblantdevouscroire.Est-cequ’elleétaitvenuepasserdesvacances
enNouvelle-Zélande?— Je n’en sais rien, avoua-t-il. Je ne me suis jamais vraiment posé la question. J’étais plutôt
amochéetunpeuàl’ouest.Etj’avaisd’autresproblèmesentête.Il pouvait encore entendreMarsha,debout à côtéde son lit d’hôpital, lui assurerqu’ellepouvait
protégersasœur.Ilnel’avaitpascrue.Etpourtant,elleavaitfaitlenécessaire.Leurpèreavaitétéjetéenprison,etShelbyplacéeen lieusûr.Quantà lui,une fois rétabli, ilétaitvenuoccuper lepostequeMarshaluiavaitoffert.
—Et?demandaDestiny.Maisilnevoulaitconfierlavéritéàpersonne.—Ellem’afaituneoffreimpossibleàrefuseretmevoilà,conclut-ilsimplement.—Personnenepourraitêtreplusqualifiéquevouspourceposte.Vousconnaissezlamontagne.—Askis,oui.Apied,beaucoupmoins.—Etcelavousgêne?Ilpensaàcequ’iléprouvaitquandildévalaitunepenteneigeuse.Quandilallaitplusvitequetout
le monde. Il repensa à ce que lui faisaient ressentir le vent, les sons, ces quelques secondes durantlesquellesplusrienn’existait,sinonluietleschancesinfimesqu’ilavaitdegagner.
—Parfois,avoua-t-il.—Pourquoi?Parcequevousavezdûrenonceràvotrerêve?—Biensûr.Ceseraitarrivétôtoutard,maisj’auraisvoululedécidermoi-même.—Maiscequevousfaisiezétaitdangereux.Vousrisquiezdevousblesseràtoutinstant.—Jemesuisblessé,remarqua-t-ilenlaregardantdroitdanslesyeux.—Jeveuxdirequecelaauraitpuêtrepire.Est-cequecelaenvalaitvraimentlapeine?
Iln’eutpasàréfléchiràsaréponse.Ilsavaitcequel’onressentaitquandondéfiaitlagravité.Et,àcepetitjeu-là,ilavaitétélemeilleur.
—Toutàfait,assura-t-il.—Jamais jenepourraicomprendrecequipoussequelqu’unàprendredélibérémentcegenrede
risques.—Larécompense.Elleplissalenez.—Untrophéeetunejoliefille?—Non.Lefrissondelavictoire.Fairecequin’aencorejamaisétéfait.—Vouspouveztoujoursétablirunnouveaurecord,quelqu’und’autrefinirabienparlebattre,fit-
elleremarquer.Lagloireestfugace.—Peut-être,maislamontagneestéternelle…etquandjeskiais,jenefaisaisplusqu’unavecelle.
***
Toutenparlant,Kiplingfixaitunpointsituéderrièreelle,commes’ilregardaitquelquechosequelui seul pouvait voir. Elle ne parvenait pas à comprendre de quoi il parlait— ou du moins le sensprofondde sesparoles.Pourquoialler semettreendangerde sonpleingré?Maiselle avait souventdemandéàsesparentspourquelleraisonilsétaientprêtsàmettreleurcoupleetleurfamilleendangerpourquelquesnuitstorrides,etilsn’avaientpasétécapablesdeluifourniruneexplicationdignedecenom,euxnonplus.
Siellenecomprenaitpascetétatd’esprit,c’étaitsansdoutesafaute.Jamaisellenerecherchaitcefrissonquetoutlemondesemblaitvouloirvivre,quelquesoit leprixàpayer.Maismêmesielleétaitgénéralementcapabledenefaireaucuncasdeschoixdesesparents,ellesesurpritàavoirenvied’endécouvrirplusausujetdeKipling.Ellevoulaitcomprendrecequil’avaitpousséàprendrecesrisques.
—Donc,vousfaitespartiedelamontagne,dit-elle.Partiedequelquechosedeplusgrandquevous.—Onpeutdireça,oui.— Je peux comprendre. Quand je suis seule en pleine nature, j’éprouve une sorte de quiétude.
D’osmose.Maisc’estunechosequel’onpeuttoutaussibienressentirenrestantassis.—Quevouspouvezressentir,rectifia-t-il.Moi,ilmefautdelavitesse.Ellerivasonregardausien,etlemondeluisemblasoudainrétrécirimperceptiblement.Ouplutôt…
perdredesanetteté.Lesbattementsdesoncœuretsarespirationsemblaientsoudainapparteniràunautreuniversqueceluiqu’ellevoyaitdanscesyeuxd’unbleuprofond…
Ilsétaientassisplusprèsl’undel’autrequ’ellel’auraitcru.Assezprèsentoutcaspourqu’ellesesentemalà l’aiseetunpeunerveuse.Il luiauraitsemblélogiquedesepenchervers lui,mêmesielleétaitbienenpeinededirepourquoi.Siellelefaisait,quesepasserait-ilensuite?
Au lieudecéder à cette impulsion, elle se recula légèrement et cherchaun sujetdeconversationneutre.
—J’airencontrévotresœur,cematin,reprit-elle.—Vousavezchoisilepetitdéjeunerdeschampions?—Non,j’aiachetédespainsauxraisinspourmasœur.Ilhaussaunsourcil.—Là,vousmentez.—D’accord.Jelesaiachetéspourmoi,maisjeluienailaissélaplupart,dit-elleendéplaçantles
papiers posés devant elle. Vous devez être heureux que Shelby aussi ait pu venir s’installer à Fool’sGold.Est-cequevousaveztoujoursétéproches?
— Assez, oui. C’était un peu compliqué parce que je voyageais beaucoup, mais nous sommestoujoursrestésencontact.Voussavezcequec’est.
—Pasvraiment,neput-elles’empêcherderépondre.Jesuisnéeneufmoisaprèslemariagedemesparents. Ils se sont séparés quand j’avais cinq ans.Mon père s’est remarié et a eu un enfant avec sanouvelle femme, pendant quemamère tombait enceinte d’un autre homme. Ensuite, ils se sont remisensemble.Lasituationn’étaitpasvraimentfacileàcomprendre.Niàvivre.
Et ilyavaiteutantd’autresmariages, tantd’autresséparations, tantd’autresdivorces…LaceyetJimmyDonvoulaientcroquerlavieàpleinesdents.QuandilsneconfiaientpasDestinyàdesmembresdelafamilleouàdesamis,ilsl’emmenaiententournée.Jusqu’aujouroùGrandmaNellétaitapparueetl’avaitarrachéeàcetteexistenceinsensée.IlavaitsuffiàDestinydepasserleseuildelapetitemaisonnichéedanslesmontagnespoursavoirqu’elleavaitenfintrouvésaplace.
—JeneconnaispasvraimentStarr,avoua-t-elle.Nousavonslemêmepèremais,ilyaencoredeuxsemaines,jenel’avaisjamaisrencontrée.
—Passimple,eneffet.Commentest-cequeçasepasse?—Bien,jesuppose.Entoutcas,jel’espère.Elleneparlepasbeaucoup,etc’estlapremièrefois
quejesuisresponsabled’uneadolescente.Elleal’airintéresséeparlecampdevacancesdontm’aparléMarsha.Jepensequeçaluiferadubiendesortirdelamaisonetdesefairedesamis.
Ellehésitauninstantavantd’ajouter:—Jenesaispascequ’elleattend,quecesoitdemoioudelavie.Quandj’avaissonâge…disons
seulementquej’étaisdifférente.—Commentça?Avantqu’elle ait pudéciderde cequ’elle allait répondre, ungrondement sourd et familier se fit
entendreau-dessusdeleurstêtes,puisenflaavantdes’estomper.—Jen’ycroispas!s’exclama-t-elleensouriant.C’estquoivotreproblème,àvousleshommes?
Vousnepouvezpastoutsimplemententrerdansunepièce?Ilvousfautuneentréefracassante?—Jenevoispasdutoutdequoivousparlez,ditKiplingenlafixantcommesielledélirait.Ellepointaledoigtversleplafond.—Ce bruit que vous venez d’entendre, c’estMiles qui survole la ville pour gagner l’aéroport,
expliqua-t-elle.Parcequ’ilpensequec’estcool.Monpiloted’hélicoptèreestl’undesmeilleurs,maisiladeuxansd’âgemental.Venez.Ilfautquevousfassiezsaconnaissance,etjedoisleprévenirdenepasfairedebêtisespendantqu’ilseraenville.
—Parcequ’ilenfait,d’habitude?EllepensaàlasériedecœursbrisésetderêvesenmiettesqueMileslaissaitdanssonsillage.Un
peucommelechemindemorceauxdepainduPetitPoucet,maisàl’envers.Parcequ’unefoisqueMilesétaitparti,ilnerevenaitjamais.
—Toujours.Ilditquecelafaitpartiedesoncharme.—Etvous,qu’est-cequevousenpensez?—Qu’unebonnetapesurlatêteluiremettraitlesidéesenplace!répondit-elleenriant.
***
IlsprirentlajeepdeKiplingpourserendrejusqu’aupetitaéroportoù,eneffet,unhélicoptèreétaitposésurletarmac.QuandKiplings’arrêta,unhommeendescenditetleurfitsigne.Destinysautadelajeepets’élançaverslui.
Miles, puisqueMiles il y avait, était à peuprès aussi grandque lui. Il était brun et coiffé d’unecasquettedebase-ballauxarmesdesLAStallions.Destinysejetaàsoncou,etill’étreignitavecforce.
Pendantuninstant,Kiplingsedemandas’ilallaitdevoirrivaliseraveccethommeafindevivrelarelation à court terme qu’il envisageait d’avoir avec Destiny. A moins qu’il ne se soit trompé en lacroyantcélibataire.Maislascènequisedéroulaitdevantluinedépassaitpasleslimitesdel’amitié.Iln’y avait aucune tendresse entre Destiny et Miles. Nulle trace de tension sexuelle. Pas la moindrealchimie.Amitiéexubérante,certes,maissimpleamitié.
QuandMiles la relâcha, Destiny recula d’un pas et lui lança quelques paroles véhémentes, queKiplingneputsaisir.CommeMilessecouaitlatête,l’airbuté,Destinyluidécochauncoupdepoingdanslebras.
—Parfait,murmuraKiplingensouriant.Ilssecomportaientpluscommefrèreetsœurquecommedeuxamants.Lanouvelleétaitexcellente.
IlavaithâtedeséduireDestiny,maisjamaisiln’auraittentésachancesielleavaitappartenuàunautrehomme.
Tousdeuxlerejoignirent,etDestinyfitlesprésentations.—KiplingGilmore,voiciMilesThomas.Excellentpilotemaisincorrigiblecoureurdejupons.S’il
vousplaît,dites-luidebienseconduiretantqu’ilseraenville.Lesdeuxhommesseserrèrentlamain.—Cettevilleaccordebeaucoupd’importanceauxvaleursfamiliales,etdenombreusesfemmesy
occupentdespostesàresponsabilité,ditKipling.Notrechefdelapoliceadeuxgrandsfils,etcen’estpaslegenredefemmeàselaisserembobiner.
Milesfitunclind’œilàDestinyetrépondit:—Danscecas,jeneluidemanderaipasdesortiravecmoi.Destiny,madouce,tuvasamenercet
hommeàpenserquejesuisledernierdessalauds.—Jesais.D’ailleurs,c’estexactementcequejeluiaidit.Dansleciel,tuesunas.Maisdanstavie
amoureuse, tuesun fumier. Jenepourraispasdirecombiendecoupsde fil larmoyants j’ai reçus,cesdeuxdernièresannées!
—Jen’aijamaisfaitpleureruntéléphone,protestaMiles.—Trèsdrôle!Nemeforcepasàtefrapperunefoisdeplus.Milessefrottalebrasengrimaçant.—Tusaiscogner,ça,c’estsûr,marmonna-t-il.Jesupposequec’estl’influencedeGrandmaNell.—Exactement.Etsiellet’avaitrencontré,ellet’auraitcastré,commeellecastraitsesverrats.Acesmots,labonnehumeurdeMilessedissipa.Ilfitunpasenarrièreetrépliqua:—Mercidemelefairesavoir.Elleestbienmorte,n’est-cepas?—Tuparlesdemagrand-mèrepréférée,répliquaDestiny.Unpeuderespect.—Oui,m’dame.Kipling,adosséàlajeep,profitaitduspectacleensouriant.—Combiendetempsallez-vousresterenville,Miles?demanda-t-il.—Aussilongtempsqu’ilyauraduboulot,réponditcedernierenregardantlesmontagnes.Jedirais
sixsemaines,plusoumoins.Avecunsoupir,ilajouta:—MaisDestinynemedonnepasassezdetravailpourremplirmesjournées.Est-cequeparhasard
vousconnaîtriezquelqu’unquivoudraitengagerunpiloted’hélicopourdespetitsboulots?—Non,maisjemerenseignerai.Ilyaunesociétéquiproposedesexcursions.Jevousdonneraile
numérodupropriétaire.Ilestpossiblequ’Aidanaitenviedeproposerdessortiesenhélicoàsesclients.Etilyenapeut-êtred’autres.Laissez-moiletempsd’yréfléchir.
—Merci.Ceseraitgénial.Milessortitunecartedevisitedesapochedechemiseetlaluitendit.
—Toutcequipourramechangerdeceboulotseralebienvenu,ajouta-t-il.Voussavez,survolerlazone,centimètreparcentimètre…c’estplutôtrasoir.
—Maisnoustepayonsbien,luifitremarquerDestiny.—C’estvrai,monamour,maisl’argentnerendpasleboulotplusintéressant.—Unevraiediva ! s’exclama-t-elle,moqueuse,avantdese tournerversKipling.Vousne frimez
pas,alorsquevousaurieztouteslesraisonsdelefaire.AvecMiles,c’estlecontraire:ilsecomportecommeunevedette,alorsqu’iln’enestpasune.
—J’aientendu!lançaMiles.— Nous allons devoir le ramener en ville pour qu’il puisse louer une voiture, enchaîna-t-elle.
J’espèrequecelanevousdérangepas,Kipling?—Elleesttoujourscommeça,marmonnaMiles.Ellemetraitecommesij’étaisson…—Soncasse-piedsdepetitfrère?suggéraKipling.—Ouais.Pourquoiellefaitça?—Aucuneidée.Toutcequ’ilsavait,c’étaitqueMilesneluibarreraitpaslaroute.Autrementdit,ilétaittempsqu’il
commenceàmettresonplanenœuvre.
***
DestinyetStarrserendaientenville,oùsetenaitunfestival.—Jenecomprendspas,avouaStarralorsqu’ellesattendaientpourtraverserunerue.QuiestRosie
laRiveteuse?—UnefemmequitravaillaitdansuneusinependantlaSecondeGuerremondiale,expliquaDestiny.
Elleestdevenuelesymboledetouteslesfemmesquiontparticipéàl’effortdeguerre.Avantleconflit,peud’entreellestravaillaientenusine.Maisquandleshommessontpartissebattre, ilabienfallulesremplacer.
Starrouvritdegrandsyeux.—Commentest-cequetusaistoutça?—Jel’ailu.Quelqu’unestpassédéposertouteunepiledebrochuressurlesdifférentsfestivalsde
laville,àmonbureau.Certainsontl’airvraimentintéressants.Et,cequiétaitencoreplusimportant,lavilleorganisaitdeuxfestivalsparmois.Autrementdit,elles
trouveraientunmoyend’occuperleursweek-ends!C’étaitaujourd’huiquedébutaientles«JournéesdeRosielaRiveteuse»,unfestivalparlequella
ville de Fool’s Gold souhaitait rendre hommage à ses citoyennes qui étaient allées s’installer à SanFranciscopendantlaguerreafind’ytravaillerenusine.
—Onpourraitpeut-êtretrouverunlivresurRosielaRiveteuseàlabibliothèque,suggéra-t-elle.Starrlevalesyeuxauciel.—Nonmerci.Sijeveuxlirequelquechosesurelle,jeregarderaisurInternet.—Biensûr.Ellestraversèrentlarueetprirentladirectionduparc.Lajournéeétaitchaudeetensoleillée,etles
trottoirs étaient noirs demonde.Des stands avaient été dressés dans le parc, où l’on pouvait achetertoutessortesdeproduits—del’huiled’oliveauxbijoux—et,àencroirelesaffiches,ilyauraitdelamusiquetoutaulongdel’après-midietdelasoirée.
Destinys’arrêtadevantl’unedecesaffiches.— On pourrait rester pour écouter quelques groupes, proposa-t-elle. Lesquels sont les plus
intéressants,d’aprèstoi?—Bonjour,lesfilles!
Destinyseretourna.Unefemmeauxcheveuxgris,quiportaitunsurvêtement,s’avançaitverselles.—Nemeditesrien,dit-elle.Laissez-moideviner.Ellemarquauntempsd’arrêtettenditledoigt.—Vous,vousêtesDestiny.Ettoi,tuesStarr.Est-cequejesuistombéejuste?Destinyhochalatête.—Oui.Bonjour.—Je suisEddieCarberry.Bienvenueenville, à toutes lesdeux.Nousaimonsvoirdenouvelles
têtes,aussilongtempsqu’ellessetiennentàcarreau.Levisagesoudainsévère,ellelevalamainetmenaçaDestinydudoigt.—Pasdetextosenconduisant,jeunedame.Vousm’entendez?C’estdangereux.—Je…oui.—Jeneconduispasencore,sehâtadedireStarrenfaisantunpasdecôtédefaçonàêtreàmoitié
cachéederrièreDestiny.Etjamaisjeneferaisunetellechose.— Ça vaudrait mieux pour toi, répliqua Eddie en souriant de nouveau. Amusez-vous bien au
festival.—Oui,madame!répondirent-ellesenchœur.QuandEddiesefutéloignée,StarrsetournaversDestiny,lesyeuxronds.—C’étaitquoi,ça ?Et comment sait-elle qui nous sommes ?Et pourquoi est-ce qu’elle était si
méchante?—Bonnesquestions,réponditDestiny.C’estuntrucdepetitesvilles.—Lapluspetitevilleoùj’aivécuestNashville.Ensuite,nousavonsdéménagéàAtlanta,puisà
Miami.Starrs’interrompituninstantavantdepoursuivre:—Papam’aemmenéeentournée,unefois.J’avaishuitans.Onestpassésdansdespetitesvilles,
maisc’étaitdifférent.Jenesaispassijevaismeplaireici.—Ilfautquetulaissesletempsautemps.Vivredansunepetitevilleestpeut-êtreplusintense,mais
onapprendaussiplusfacilementàconnaîtrelesgensparcequ’onlesvoitsouvent.—C’estgénial,saufsionnes’entendpasaveceux.Destinyéclataderire.—Tun’espasuneoptimiste,pasvrai?—Jecroisquenon.LesyeuxvertsdeStarrsemirentsoudainàpétiller.—Lessautesd’humeursontunsignedetalent,non?—Jepensequ’ellessontsurtouttypiquesdel’adolescence.—Tuétaislunatique,toiaussi?—GrandmaNelln’accordaitaucuneimportanceàmessautesd’humeur.Ellemedisaittoujoursque
lespoulessemoquaientpasmaldecequejeressentaisquandjelesnourrissais,aussilongtempsquejelefaisais.
—Elleal’air…euh,vraimentsuper.—Elle l’était, réponditDestiny en souriant,mais elle n’était pas facile tous les jours. Pourtant,
j’adoraisvivrechezelle.Ellesetournadenouveauversl’affiche.—Bien!Choisissonslesgroupesquenousvoulonsentendre.Toid’abord.Ellesétudièrentleprogrammeet,aprèsunediscussionenflamméed’unedizainedeminutessurles
méritescomparésdu rocketdubluegrass, leur emploidu tempspour la journéeétait établi,dumoinsmusicalement.Mais qu’allaient-elles faire en attendant les premiers concerts ? Il était encore trop tôtpourdéjeuner,etilleurrestaitdeuxheuresàtuer.
Destiny ne savait pas trop de quoi elles pouvaient discuter. De l’école ? Le sujet était-il sansdanger?Pourlesavoir…
—Est-cequeturestesencontactavectescamaradesd’école?demanda-t-elle.Starrhaussalesépaules.—Certains.—Situveuxinviteruneamiepourquelquesjours,pasdeproblème.Ilvaudraitmieuxquecesoit
pendantleweek-end,quandjenetravaillepas.—Merci,mais non. Ils ont tous prévu quelque chose avec leur famille.Becky va enEurope, et
Chelseadansuneécoledelangues,réponditStarrensoupirant.Sonpèretravaillepourlegouvernement,ouuntruccommeça,etilfautqu’elleapprennetoutuntasdelanguesétrangères.
—Çadoitêtreassezdifficile.—Sûrement.Maiselleestdouéepour les langues.EtBeckyestbonneenmaths.Moi, jenesuis
vraimentdouéepourrien.Jepensaisquepeut-être,lamusique…Ellehaussalesépaulessansterminersaphrase.Pendantuninstant,Destinyfutécraséesouslepoidsdelaculpabilité.Ellen’avaitentendusasœur
chanterqu’unefoisoudeux,maiscelaluiavaitsuffipoursavoirqu’elleavaitunetrèsjolievoix.Ellesesavait capable d’aider Starr à s’améliorer à la guitare,mais elle ne souhaitait pas s’aventurer sur ceterrain. Elle ne voulait pas s’impliquer dans le domaine de lamusique, ni voir une personne qu’elleconnaissaityentrer.Ellesavaitcequecetuniversavaitdeséduisantetdedangereux.Vudel’extérieur,lemondede lamusiquen’étaitqueglamour,mais,quandonypénétrait,ondécouvraitque laréalitéétaitbiendifférente.
Une grande femme, qui portait un bébé dans une écharpe, sur sa poitrine, s’approcha d’elles,souriante.
—Bonjour.VousdevezêtreDestinyetStarrMills,dit-elle.Jesuisraviedevousrencontrertouteslesdeux.JesuisFeliciaBoylan.C’estmoiquiorganiselesfestivalsdelaville.
Ellemarquauntempsd’arrêtavantdereprendre:—Ilestintéressantdevoirquenoussommestouteslestroisnaturellementrousses.Seulementdeux
pourcentdelapopulationenvironontlescheveuxroux.Legèneenlui-mêmeestrécessif.Jepensequecettecouleurvientd’unemutationduMC1R.C’estungènequi…
Elles’arrêtanetetgrimaçaavantdereprendre:—Désolée.Faitescommesijen’avaisriendit.Laplupartdesgensnetrouventpasmesaccèsde
culturetrèsintéressants,maisilssonttotalementinoffensifs,jevouslepromets.—C’estvrai?demandaStarr.Cequevousavezditsurlamutation?—Oui.Maiscen’estpasunemutationquidonnedessuper-pouvoirs,commedansXMen.Mêmesi,
assezétrangement, les cheveux rouxnedeviennentpasgris.Leur teinte s’estompeau fildes ans, c’esttout.
Feliciasouritdenouveauetconclut:— Tu t’en moques peut-être pour le moment, mais dans quarante ans, ce sera une pensée
réconfortante.MaisStarrsemblaitplusperplexequeréconfortée.—Jolibébé,ditDestiny.Quelâgea-t-il?—Huitmois,réponditFelicia,rayonnante.C’estmafille,Gabrielle-Emilie.Elletientsonnomde
Gabrielle-EmilieLeTonnelierdeBreteuil,unecourtisanefrançaisequiétaitlamaîtressedeVoltaire,etquiacollaboréavecluiàbeaucoupd’expériencesdephysique.Maissivousrencontrezmonbeau-frère,quis’appelleGabriel,neluiditespasquemafillenetientpassonprénomdelui,s’ilvousplaît.C’estcequ’ilatoujourscru,etnousn’avonspaslecœurdeledétromper.
Starrsemblaitencoreplusperplexe,maisellehochalatêteeteffleuralamaindubébé.
—Bonjour,Gabrielle-Emilie.—Nousl’appelons«Ellie»,pourfairecourt,expliquaFelicia.L’usagedessurnomscréedesliens
entrelesêtreshumains.C’estmonfils,Carter,quiachoisicesurnomenl’honneurdesamère.Destinylaregarda,étonnée.—Vousn’êtespaslamèredeCarter?—Non.C’estassezcompliqué,réponditFelicia.EllesetournaversStarretenchaîna:—Marsha,lamairedenotreville,m’aditquetupensaisalleraucampdevacances.D’aprèsmon
fils,ilestvraimentsuperettut’yamuserasbeaucoup.Ilaquinzeans,luiaussi.Destinyétait touteprête à accepterque tous leshabitantsdeFool’sGoldconnaissent sonnomet
celuideStarr,etpeut-êtremêmelesraisonsdeleurprésenceenville,maiselletrouvaitunpeuétrangequetoutlemondesembleconnaîtreleurâgeetl’histoireducampdevacances.
—Mercidurenseignement,répondittimidementStarr.—Derien.Quand tuesnouvelleaucamp,on tedésigneunbinôme.Quelqu’unquiadéjà fait le
camp.C’est ton binômequi te fera visiter les installations et qui te présentera à tout lemonde.C’estparfois difficile, d’être nouveau. Ou embarrassant. J’étais toujours mal à l’aise, quand j’étais petite.Maintenant, ça va mieux. Mon mari dit que je me suis beaucoup détendue quand je suis tombéeamoureuse,maisjepensequec’estsurtoutl’intensitédenosinteractionspersonnellesquim’apermisdedéveloppermasociabilité.
Feliciaposalamainsurl’épauledeStarretpoursuivit:— En tant qu’adolescente, il est normal que tu aies perpétuellement l’impression d’être
complètementendécalageaveclesautres.C’estunepartieduprocessusdeséparationquetutraversesquandtusorsdel’enfancepourrentrerdansl’âgeadulte.Etmêmesiceconceptpeutt’aideràdevenirunmembrefonctionneldelasociété,tupeuxfacilementêtreamenéeàtesentirseule.Jepensequ’alleraucampt’aideraitàdévelopperl’impressionquetucréesdesliensavectespairs.
—D’accord…,murmuraStarr.Sivousledites…—Bien ! Je dirai à Carter de veiller sur toi, conclut Felicia avant de se tourner vers Destiny.
PlusieursdesfemmesdelavilledéjeunentauJo’sBar,aujourd’hui.Votresœuretvousêtesinvitées.Jenepeuxpasyallerparcequejetravaille,maisjevousconseillevraimentd’accepterl’invitation.Quandonestnouveauquelquepart,sefairedesamisaideàsesentirchezsoi.
—Merci,ditDestiny.C’esttrèsgentil.—Derien.ShelbyGilmoreseradelapartie.Puisquevouslaconnaissez,vousn’aurezaucunmalà
latrouver.Etmaintenant,sivousvoulezbienm’excuser.J’aientendudirequ’ilyavaitunproblèmeavecles siègesdevant lapetite scène.Quelqu’unn’apas suivimesdirectives, et jen’aiplusqu’àaller luiexpliquerpourquoiilaeutort.
—Bonnechance,murmuraDestiny,abasourdieparledélugedemotsqu’ellevenaitdetraverser.Feliciaagitalamainets’éloigna.Starrlasuivitdesyeuxpendantquelquesinstantsavantdelâcher:—Ellem’afaitpeur.—Amoiaussi!Etenmêmetemps,j’aimeraisêtrepluscommeelle.Elleestsacrémentintelligente.—Toiaussi.Regardeletravailquetufais.—Jesuisassezintelligente,reconnutDestinyenriant,maiscen’estrienàcôtédeFelicia.Ellepassaunbrasautourdesépaulesdesasœuretajouta:—Maisleboncôtédetoutcela,c’estquenousn’avonsapparemmentpasànousinquiéterd’avoir
unjourdescheveuxgris.—Ahça,c’estcool!réponditStarrenriant.ElleseserracontreDestinypendantuninstantavantdes’écarterenlançant:—J’aifaim!
—Moiaussi.Apparemment,noussavonsquoifairepourledéjeuner,maisilnousresteencoredesheuresàattendre.Est-cequetuveuxalleracheterundonutàlapâtisserie?
—Biensûr.Elles contournèrent le parc et s’engagèrent sur SecondStreet, où elles durent slalomer entre des
famillesavecpoussettes.«Destouristes,oudeslocaux?»sedemandaDestiny.Lascèneluirappelasonprojet:unjour,elleferaitunmariageraisonnableetconnaîtraituneviedecouplesereineetharmonieuse.
Ceprojetdataitdesesannéesd’universitéet,àl’époque,elleauraitpenséqu’àl’âgequ’elleavaitmaintenant,elleauraittrouvéunmari.Maisentre-temps,elleavaitdécouvertqueleshommescalmesetraisonnablesétaientplusraresqu’ellenel’auraitcru.
Deuxhommessortirentdelapâtisserie,portantchacununeboîterayéed’argentetdeblanc.MilesetKipling.
Elles’arrêtasibrusquementqu’elletrébucha.Soudain,sacagethoraciquesemblaitluicomprimerlespoumons.Maisque…?
Et touts’arrêta.Elleseforçaàseconcentrersursarespirationavantd’autoriserprudemmentsonattentionàseportersur lerestedesoncorps.Outrecetteétrangeoppression,elleressentaitunfrissontrèsperceptibledansl’estomacetquelquechosequiressemblaitàunpicotementdanslescuisses.Siellenes’étaitpassentieparfaitementbienl’instantd’avant,elleauraitjuréqu’elleétaitentraindecouverunegrippe.Alors,sicen’étaitpaslagrippe,qu’est-cequecelapouvaitbienêtre?
Milesl’aperçutetluidécochaunsourireradieux.Ilsemblaittrèscontentdelui.End’autrestermes,ilvenaitdefairelacouràunefemmeetdevoirseseffortscouronnésdesuccès.Elleledévisagea,sansrienressentird’autrequ’unepitiésincèrepour la femmequiavaitété l’objetdesesattentions.Maisàvraidire, laplupart des conquêtesdeMiles semblaient semoquerde sesmanières.Beaucoupd’entreellespleuraientquandellesleperdaient,maisraresétaientcellesquiregrettaientlesquelquessemainesqu’illeuravaitfaitvivre.
Ellen’avaitjamaisététentéeparcetteexpérience.Donc,cen’étaitpasMilesquiétaitàl’originedesaréaction.
ElleposalesyeuxsurKiplinget,aussitôt,illuisemblasenoyerdanslebleuprofonddesonregard.Kiplingparaissaitbienmoinsheureuxquesoncompagnon—l’irritationselisaitauplideseslèvres.IltournalatêteversMilespourluidécocherunregardmeurtrier,cequioffritàDestinyunevueparfaitesursonprofilbiendessiné.
«Tesmotsétaienttelunphare,jecherchaisunfoyer…»Ellepritunegrandeinspiration.Non.Ellen’allaitpasécriredeparolesinspiréesparKipling.Elle
savaitoùmenaitcegenredechoses:enunlieusombreetmaléfique.Al’attirance,quimenaitelle-mêmeausexe,quimenaitàsontouràlajalousieetauxaccèsdecolère.Etl’amour?L’amournevalaitguèremieux!Ellen’étaitpasattiréeparKiplingGilmore.C’étaitimpensable.Horsdequestion.Onnepouvaitpasconstruireunerelationraisonnableavecundieuduski.
Quandlesdeuxhommess’approchèrentd’elle,elleentenditKiplinggronder:—Jet’aiditdenepast’approcherdemasœur.Quelestlemotquetunecomprendspas,danscette
phrase?Salut,Destiny.—Salut.Qu’est-cequ’ilsepasse?Mileshaussalesépaules.— Aucune idée. J’ai vu une belle femme et je lui ai fait un compliment. Et ce type-là a failli
m’arracherlatête.—Non,Miles,ditDestiny.PasShelby.Jel’aimebien.Net’approchepasd’elle.—Merci,murmuraKipling.IlsetournaversStarretluisourit.—Salut.JesuisKipling.
—Etmoi,Starr.—Lapetitesœur.Acequejevois,labeautéestuntraitdefamille.Starrrougitetbaissalatête.—Nousétionsentraindeparlerdemoi,intervintMiles.Shelbyestadulte.Ellepeutsortiravecqui
elleveut.—Non,ellenepeutpas,répliquaKiplingsèchement.Situluifaisdumal,jetebriseraijusqu’au
dernieros.C’estpigé?Milesouvritlaboîte,ensortituncookieetmorditdedans.—Tonattitude,vieux,dit-il,labouchepleine.Ilfautquetutravaillestonattitude.IlscrutalevisageimpassibledeKiplingavantdeconclure,dansunsoupir:—D’accord.Elleesttaboue.IltendituncookieàStarretpoursuivit:—Alors comment est-ce que je vais bien pouvoir m’amuser, dans cette ville ? Je ne peux pas
m’approcherdeShelby,ettoi,dit-ilenadressantunclind’œilàl’adolescente,tuestropjeunepourmoi.IlsetournaversDestiny.—Ettoi,jenet’intéressepas.—Exactement.Tunem’intéressespas,affirmaDestiny.Milesgémit.—Paslapeined’êtreaussicassante.Tupourraisaumoinsfairesemblantdemetrouverséduisant.
Nousavonstoujourseuceproblème,Destinyetmoi,expliqua-t-ilensetournantversKipling.C’estlecomplexedelaprincesse.
Jusque-là,Destinyavaitétéamuséeparl’échange.Maissoudain,ellesecrispa.Pourvuqu’ellesetrompe.PourvuqueMilesnepartepasdanscettedirection!Prisedepanique,ellecherchaunmoyendefairediversion.C’était toujourspareil : il suffisaitqu’unepersonnedécouvre lavéritépourqu’ellesepropageet,ensuite…toutchangeait.
—Destiny?Uneprincesse?demandaStarr.—Maisvousaussi,VotreAltesse,précisaMiles,avecunepetiterévérence.—Commentça?demandaStarr.Jen’airiendespécial.—Biensûrquesi,intervintKipling.MilessepenchaversDestiny.—Iln’estpasaucourant,c’estça?demanda-t-ilsurletondelaconfidence—Non,etiln’apasbesoindel’être.—Mais si, répliquaMiles.MoncherKipling,Destiny est la fille aînéede JimmyDonetLacey
Mills.Tulesconnais,pasvrai?L’espace d’un instant,Destiny regretta de ne pas être un hommepour flanquer son poing dans la
figuredesonami.Kiplingladévisagea.Pendantuninstant,sonregardfutassombriparlaperplexité.—Non.Impossible,dit-il.—Possible,rectifiaMiles.Etvrai.J’airencontréLaceyunefoisoudeux.Ellevientgénéralement
rendrevisiteàDestinysursonlieudetravail.Et…waouh!Elleestencoresexy.Etcettevoix!Jel’aientendueenconcert,unefois.LesparentsdeDestinyfontvraimentpartiedel’aristocratiedelamusiquecountry.Touscestubes,toutecettepassion…
«Ettoutescestragédies»,pensaDestiny,demauvaisehumeursoudain.Photosquis’étalaientdansles tabloïds, arrestations, divorces, promesses non tenues… Oh oui, elle avait eu une vie tellementmerveilleuse…Quin’auraitpasrêvéd’êtreàsaplace?
Ellebaissaostensiblementlesyeuxverssamontreetlança:—Regardel’heure,Starr!Nousdevonsyaller.
Ellecommençaàs’éloignerenespérantquesasœurlasuivrait.Cequ’ellefit,heureusement.Dèsqu’ellesfurenthorsdeportéedevoixdesdeuxhommes,Starrdemanda:—Pourquoiest-cequetunevoulaispasqueKiplingsachequiétaienttesparents?—Parcequecelachangetout.Quandilssontaucourant,lesgenssecomportentdifféremmentavec
moi.—Ilsneterespectentplus?—Cen’estpasça,non.Ilspensentqu’ilsmeconnaissent,àcaused’eux.Maisilssetrompent.Ilsne
meconnaissentpas.—Etc’estgrave?—Parfois,çapeutl’être.
4
Destinynesavaitpastropàquois’attendrequand,encompagniedeStarr,ellepoussalaporteduJo’sBar.Enrèglegénérale,ellenefréquentaitpaslesbars.Ellenebuvaitguère,etnecherchaitpasàsefaire draguer. Mais l’invitation à déjeuner transmise par Felicia lui offrait une chance de faire laconnaissancedecertainesdesfemmesdelaville,ainsiquederemplirunepartiedelajournéejusqu’àl’heureoùlesgroupescommenceraientàjouer.Autantdirequ’ellefaisaitd’unepierredeuxcoups.
EllefutsurprisededécouvrirqueleJo’sBarn’avaitriend’unbartraditionnel.Lasalleauplafondhautétaittrèslumineuse,etlesmursavaientétépeintsdansdesteintespastel.L’établissementétaitd’unepropreté irréprochable, les télévisionsdiffusaient cequi semblait êtreuneémissionde shopping, et lamusiqued’ambianceétaittellementbassequ’elleétaitàpeineaudible.
Quelquestablesétaientdéjàoccupées,essentiellementpardesgroupesdefemmes.DestinyrepéraShelby,quiétaitassiseavecplusieursautresfemmes,etsedirigeaverselle.
Shelbylevalatêteetagitaénergiquementlebrasenlesvoyant.—Vousêtesvenues!Super!Venez,jevaisvousprésentertoutlemonde.Elledésignalafemmeblondequioccupaitl’undesboutsdelatablerectangulaire.—VoiciMadeline.ElletravailleàPaperMoon.—Je fais dans la robedemariée, précisaMadelined’un ton joyeux.Si vous envisagezdevous
marier,venezmevoir.Destinyhochalatêteavecunrapidesourire.Si lemariage était une perspective attrayante, trouver l’hommequ’il fallait était particulièrement
difficile.Dumoinspourelle.—Bailey,quevousavezsansdouterencontréeaubureaudeMarsha,poursuivitShelby.—Non,ellenem’apasrencontrée,précisaladénomméeBailey,unejeunefemmerousse.J’étais
absentecejour-là.Chloeétaitrestéeàlamaisonparcequ’elleétaitmalade.C’estmafille.Elleaattrapélemicrobequitraînait.C’esttoujourscommeça,pasvrai?
Destiny hocha de nouveau la tête et essaya de retenir les prénoms des autres femmes que luiprésentaitShelby.IlyavaituneLarissa,uneConsueloetunePatience.
—JesuisDestiny.Etvoicimademi-sœur,Starr.Commevousdevezdéjà lesavoir,nousvenonstoutjusted’arriver.
Baileytiralachaiseàcôtédelasienne.— Starr, ma chérie, viens t’asseoir à côté de moi. Cela ne m’arrive pas souvent de rencontrer
quelqu’undontlescheveuxsontexactementdelamêmecouleurquelesmiens.Starr n’hésita qu’un instant avant de prendre le siège qui lui était offert. Destiny s’assit en face
d’elle,àcôtédeMadeline.
—Depuisquandêtes-vousenville?demandaMadeline.—Unesemaine.—Jen’arrivepasàimaginercequel’onpeutressentir,avouaMadeline.Jevisicidepuistoujours.
EtPatienceaussi.Patienceacquiesça.—Jesuisnéeetj’aigrandiici.Jenesuisjamaispartie.Maistoi,Madeline,tuasbienpasséunanà
SanFrancisco,non?—Oui.J’aitâtédeplusieursmétiersavantdetrouverceluiquej’aimaisvraiment.C’esttellement
gratifiantd’aiderunefuturemariéeàdécouvrirlarobequ’illuifaut.—PatienceestlapropriétaireduBrew-haha,expliquaShelby.—Lecoffee-shop,précisaStarr.J’ailudesarticlessurlaville.C’estunendroitintéressant.—Nousavonsunelonguetraditiondefemmesd’influence.LafemmequivenaitdeparlerdevaitêtreConsuelo.Malgrésapetitetaille,ellesemblaitrobuste.
Avec ses cheveux et ses yeuxnoirs, elle se démarquait nettement du reste du groupe.Destiny regrettapendantuninstantdenepasavoirunphysiqueplusexotique.Amoinsqu’ellenefassequ’espérerqu’elleneressemblaitpastropàsesparents…Jusqu’ici,personnen’avaitriendit.Peut-êtrequeKiplingn’étaitpasalléraconteràtoutlemondequ’elleétait lafilledeJimmyDonetLaceyMills.Ellel’espérait,entoutcas.
Ellen’auraitsansdoutepasdûconsacrerautantdetempsetd’énergieàs’assurerquesonidentitédemeuraitsecrètemais,franchement,ellen’avaitaucuneenviederépondreàtouteslesquestionsquelesgensnemanqueraientpasde luiposer.Commentétait laviequandongrandissaitauxcôtésdeparentscélèbres?Savait-ellechanter?Est-cequeLaceyétaitvraimentaussisexyenvraiqu’àlatélévision?
Cettedernièrequestionétait l’unedespluspénibles.Personnen’avaitenvied’entendrequelqu’unluidirequ’iltrouvaitquesamèreétaitsexy.Avecsonpère,c’étaitencorepire.Elleavaitrencontrédesgroupiesqui lui avaient donné leurnumérode téléphoneou leur adresse e-mail.ADallas, une femmed’un certain âge, et particulièrement insistante, avaitmêmevoulu lui laisser une photo d’elle nue afinqu’ellelaremetteàJimmyDon!Cequ’elleavaitrefusé,évidemment.
—Ilyadessièclesdeça,ungroupedefemmesmayasontémigréverslenord,jusqu’àcettepartiedu pays, expliqua Patience, la ramenant à la réalité. Les Máa-zib. Elles y ont instauré une sociétématriarcale. Je vais peut-être vous semblermystique,mais je pense que leur pouvoir, ou ce que vousvoulez,flottetoujourssurcetteville.
—Jesuissûrequec’estlecas,renchéritLarissa.Est-cequ’ilvousestdéjàarrivédesavoir,toutsimplement,qu’unendroitétaitparcourupardesondesbénéfiques?Oumaléfiques?
Plusieursd’entreelleshochèrentlatête.Laconversations’interrompitquandunefemmeapprochadelatable,unbloc-notesàlamain.
—Salut,toutlemonde,dit-elleavantderegarderDestinyetStarr.Vousdeux,vousêtesnouvelles.Sœurs?
—Demi-sœurs,précisaDestinyavantdelesprésenter.—JesuisJo.Bienvenue.Qu’est-cequejevoussers?Consuelosoupira.—Lasemaineaétélongue.Jevotepourdesmargaritas.EllejetaunregardversStarretajouta:—Fais-enunesansalcool.Touteslesautresfemmeshochèrentlatêteavecenthousiasme.—Monseulrendez-vousdelajournéeétaitcematin,ditMadeline.Jesuispour.—Etjenetravaillepasmoinonplus,ajoutaPatience.Portedoncunpichet,Jo.
Destinyétaittoutàlafoischoquéeetamusée—GrandmaNellauraitadorécegroupedefemmes—,mêmesiellesedemandait s’ilétaitbien raisonnabledeboireainsienmilieude journée.Maisonétaitsamedi,aprèstout,etellen’avaitpasàprendrelevolant.
—Pasdeproblème,réponditJo.Avecdesnachos?—Unemontagne!s’exclamaLarissa.Johochalatêteets’éloigna.Quandellefutpartie,Patiencesepenchaet,àmi-voix,demanda:—Est-cequequelqu’unavul’intérieurdelaManCave?— Il faut que tu arrêtes avec ça, lui reprocha Consuelo. Tout le monde a le droit d’ouvrir un
commerce.—Maiscelui-ciestdifférent.—Ilvayavoirdugrabuge,renchéritMadelineenhochantlatête.—Dequoiparlez-vous?demandaDestiny.Madelinejetaunregardpar-dessussonépauleavantdesetournerdenouveauverslegroupe.—Unnouveaubarvaouvrirenville.Destinyattenditlasuitedel’annonce,maisMadelinesemblaitnerienavoiràdiredeplus.—D’accord,dit-ellelentement.Etqu’est-cequ’ilyademalàça?—LeJo’sBarétaitleseulbardelaville.Etmaintenant,ilvayenavoirdeux.Cen’estpascomme
çaqueleschosessepassent,ici.—Mais pourtant, j’ai vu plus d’un restaurant, fit remarquer Destiny. Et plus d’un pressing, par
exemple.—Biensûr,réponditBailey.Etontrouveunbardanslaplupartdeshôtelsdelaville.MaislaMan
CavereprésenteuneconcurrencedirectepourleJo’sBar.Jenesaisvraimentpascommenttoutcelavatourner.Marshan’aencoreriendit,maisjesuissûrequ’ellefiniraparlefaire.
PatiencesetournaversMadeline.—Aufait,tuasentendulanouvelle?C’estNickquiseralegérant.Madelinesecoualatêteets’effondrasursachaise.—Neparlepasdeça,s’ilteplaît,gémit-elle.—Nick?lançaLarissa,taquine.Ilyaquelquechoseentrevous?Consuelolevalesyeuxauciel.—Est-cequetusaisseulementdequiils’agit?—DugérantdelaManCave,répliquaLarissaavecungrandsourire.—Est-cequetul’asdéjàrencontré?demandaConsuelo.Larissaéclataderire.—Non,etquelleimportance?S’ilsviventunebellehistoire,tun’aspasenviedel’entendre?De
savoircommentilssesontrencontrés,etcommentilssonttombésamoureux?Destiny s’attendait à une réplique cinglante, mais Consuelo, à sa grande surprise, se borna à
soupirer.— Tu sais quoi ? Oui, j’aimerais l’entendre, avoua-t-elle. C’est bien ça qui est affreux. Avant,
j’étaisunevraiedureàcuire,etlesfroufrousromantiquesnem’intéressaientpas.—Tumefaisencorepeur,detempsentemps,luiditBailey.—Vraiment?Tunedispasçapourmefaireplaisir?—Promis.—Est-cequenouspourrionsreveniràNicketMadeline,s’ilvousplaît?demandaPatience.Alors,
depuiscombiendetempsest-cequevoussortezensemble,touslesdeux?Madelineétenditlesbrassurlatableetyenfouitsonvisage.—J’abandonne,grommela-t-elle.Quequelqu’unm’abatte.Oul’abatte,elle.Çam’estégal.—Non,çanet’estpaségal,répliquaLarissa.Alors,àquoiressembleceNick?
ToutlemondeéclataderireetMadelineseredressa.—C’estl’undesfrèresMitchell,répondit-elle.Leurpèreestunartisteverrier.—CeallachMitchell,précisaBailey.Ilestconnudanslemondeentier.Sesœuvressontexposées
partout.EllesetournaversStarretajouta:—Jetravaillepourlamairie.C’estmonboulotdeconnaîtrecegenredechoses.—Est-cequ’ilvitici?demandal’adolescente.—Oui,avecsafemme.Etdeuxdesesfilssontencoreenville,réponditBaileyavantdefroncerles
sourcils.C’estbiença?—Oui,déclaraPatience.Del,quiestl’aîné,étaitàl’universitéquandilarencontréunefille,Maya.
Ilsétaientfousamoureuxl’undel’autre.Quandelleestpartie,ilestpartiluiaussi,maispasavecelle.Commej’aiàpeuprèsleurâge,jemesouvienstrèsbiendecettehistoire.Mayan’étaitpasdelarégion.AprèsDel,ilyAidan.IlvittoujoursàFool’sGoldetdirigelasociétéd’excursionsfamiliale.Ensuite,ily aNick. Il ahéritédu talent artistiquede sonpère,mais il a arrêtéde travailler leverre. Jene saisvraimentpaspourquoi,d’ailleurs.Etenfin,ilyalesjumeaux.
LatêtedeDestinyluitournaitunpeu—etellen’avaitpasencorebuuneseulegorgéedemargarita!—Commentest-cequevousarrivezàretenirtoutça?demanda-t-elle.—Quandonvit ici,cen’estpastropdifficile,réponditPatience.Maisdis-moi,Madeline,est-ce
quec’estàcausedetoiqueNickaperdul’inspirationartistique?Est-cequetuluiasbrisélecœur?—Maispasdutout!protestaMadeline.Nousnenoussommesfréquentésquependantunété,etça
faitdesannées.Nousétionsaulycée.Nousavonsvécuunehistoiretorride,maisellen’apasduré.Nicksouhaitaitcréerunegrandepiècedeverre,et jemesouviensque j’étais terrifiéeà l’idéequ’ilveuillefigurerlecouplequenousformions,oulemomentoùilm’avaitdéflorée,maiscen’étaitpaslecas.Ellereprésentaitdesarbres.Aucunproblèmeentrenous,donc.
MadelinerefermavivementlaboucheettoussotaensetournantversStarr,gênée.—Oh!Pardon.Jenedevraissansdoutepasparlerdeçadevanttoi.Nousétionsamoureux,maisce
n’estpasuneexcuse.Nousn’étionspasmariés.Jesuisunevilainefille.Excuse-moisijet’aichoquée.—Nevous excusezpas, réponditStarr en souriant.Et je ne suis pas choquée.Certainesdemes
copinesont unpetit ami et passent leur temps à se fâcher avec lui. Jenevois pas l’intérêt de tomberamoureux,danscecas.
Jomitfinàladiscussionenrevenantaveclesmargaritas.Tandisqu’ellelesservait,Destinyseditquecesfemmesétaienttrèsaccueillantes.Unpeufollespeut-être,maisungraindefolieétaitparfaitementacceptabledansunerelationd’amitié.
Et, surtout, elle était soulagée de voir que Starr n’était pas impatiente de tomber amoureuse oud’avoirdesrelationssexuelles.Voilàquileurépargneraitbiendescomplicationsàtoutesdeux.
Sincèrement, elle n’avait jamais compris quel était l’intérêt que trouvaient certaines femmes às’enticherd’unhomme—etviceversa,d’ailleurs—aupointdeperdrecomplètement la tête.Aquoicela servait-il ? Si elle prenait Kipling, par exemple… C’était un homme sympathique, au physiqueagréable.Mêmesiellenecomprenaitpasleplaisirqu’ilavaitpuprendreàvouloirskiertoujoursplusvite,ellerespectaitlefaitqu’ilaiteuunrêveetqu’ilsesoitdonnélesmoyensdeleréaliser.
Elle ne pouvait pas nier qu’elle aimait penser à lui, et que sa compagnie lui était agréable.Elleaurait trèsbienpu l’embrasser,aussi, sanspourautantavoirdes relations intimesavec lui.Carsurcepoint,elleétaitcatégorique.Ellepouvaitapprécier lacompagniedeKiplingetadmirersoncorpssansfairel’amouravecluipourautant.Elleétaitunêtrehumain,pasunanimal.
—Donciln’yapasd’étincellesentreNickettoi,repritLarissa.—Plusmaintenant,non.ShelbysetournaversDestinyetluisourit.
—Jesuiscomplètementperdue.Etvous?—Moiaussi,maiscen’estpasdésagréable.Lavieal’airpassionnante,ici.—Ellel’est,déclaraShelby.Etçameplaît.—Tonfrèreestàtomber!lançaPatience.Jenesuispaslemoinsdumondeintéressée,parcequeje
suismariée avec lemeilleur hommequi existe, et qu’il estmerveilleux. Je ne fais que remarquerqueKiplingestàtomber.J’aiencoreledroitd’admirerlesbelleschosesautourdemoi.
Consuelogémit.—Oh,Seigneur…Tunepeuxpasêtredéjàsoûle.Tun’asbuquedeuxgorgées.—Peut-être,maisjen’airienmangédelajournée.—Mauviette,bougonnaConsuelosuruntonpleind’affection.—Kiplingestpeut-êtreà tomber,ditShelby,mais ilpeutaussiêtre insupportable. Ilaunbesoin
irrépressibled’arranger leschoses,mêmecellesquin’enontpasbesoin.Maisàpartça,danslefond,c’estungentilgarçon.
Soudainrayonnante,elleajouta:—Etilestcélibataire.Quelqu’unveutsortiraveclui?ToutlemondesetournaversMadelineetDestiny—quiserenditsoudaincomptequ’ellesétaient
lesseulesfemmesadultescélibatairesdelatablée,endehorsdeShelby.Madelinelevalesdeuxmainsenl’air.—Jenesuispasintéressée,dit-elle.Nousnoussommesdéjàrencontrés,etiln’yaaucunealchimie
entrenous.Destinypensaàsesprojetsmarquésdusceaudelasagesse,maisellenevoulaitlespartageravec
personne.Elle avait découvert que la plupart des gens ne comprenaient pas son raisonnement—sansdouteparcequ’ilsn’avaientpasgrandiauprèsdeLaceyetJimmyDonMills!
—Jenesuisenvillequepourdeuxmois,déclara-t-elleprudemment.Patiencehaussalessourcils.—Vousremarquerezqu’ellen’apasparléd’absenced’alchimie.Shelbyéclataderire.—Vouspouvezquandmêmedirequemonfrèreesttrèsséduisant.Jen’entireraiaucuneconclusion.—Merci.Ehbien,oui,ilesttrèsséduisant.Patienceposasamargaritaavantd’ajouter:—Ilyabeaucoupd’hommessexyenville.C’estintéressant.Et,pournous,c’esttrèsagréable.—Monmariestabsolumentmagnifique,ditLarissadansunsoupir.Cecorps…Commetouteslaregardaient,elles’interrompit,étonnée.—J’endistrop?PatiencedésignaStarrethaussalessourcils.Larissahochalatête.—Ettoi,Starr,quelssontlesgarçonsquetutrouvessexy?Quelâgeas-tu?Dix-septans?Starrrougit.—Quinze.—Vraiment?Tuestellementélégantequejetedonnaisplus.C’estàcausedetescheveux,décréta
Larissa,unenoted’enviedanslavoix.Toutlemondepensequec’estcoold’êtreblonde,maisilyadesmillionsdeblondes,ici!Lesroussesontquelquechosed’unique.
—Destinyetmoivenonsjustededécouvrirquenousn’auronsjamaisdecheveuxgris,parcequelescheveuxrouxnegrisonnentpas,annonçaStarr.
—Etvoilà!Tum’asmisedemauvaisehumeur!lançagaiementPatience.Alors,quiest-cequetuaimes?PasJustinBieber,j’espère.Jem’inquiètevraimentpourcegarçon.
—OneDirection?demandaBailey.J’aimebienleurmusique.—Cequinesurprendpersonneici,lançaConsuelo.
—J’aimebienCodySimpson,ditStarr.Pourlapop.Maisjepréfèrelacountry.Destinymanquas’étrangleravecsamargarita.Starrallait-elledévoilerleuridentité?Maissasœur
neditriendeplus.Elleattenditalorsdevoirsiquelqu’und’autreallaitreleverl’allusionàlacountry,maisShelbyenchaîna:
— Je sais qu’il est un peu vieux,mais j’ai un faible pourMatt Damon. Il est tellement sexy etadorable.
Madelineéclataderire.—Et tellementmarié ! Jepréfèrecraquerpouruncélibataire.Tiens, au rayondeshommes sexy,
qu’est-cequetupensesdeJonnyBlaze?MonDieu,ilestincroyable…Cecorps,cesyeuxvertfoncé…safaçondebouger…
Elles’éventadelamain,etStarrpouffaderireavantdereconnaîtrequ’ilétaitplutôtmignon.—Jel’aimedanstoussesfilms,renchéritLarissa.Enfinunacteurdefilmd’actionquiauncerveau.
Etsesmusclesnegâchentrien…Consuelolevalepouceensigned’approbationetajouta:—En plus, il est crédible dans les scènes de corps à corps. La plupart des acteurs ne font pas
attentionàcegenrededétailsmaislui,si.MadelinesepenchaversDestinypourluiexpliqueràmi-voix:—ConsuelofaisaitpartiedesForcesspéciales,ouquelquechosecommeça.Elledonnedesuper
coursàl’écoledegardesducorps,icienville.Elleacommencéparl’autodéfensemais,maintenant,elledonne des cours de musculation absolument fantastiques. Je les suis depuis le début de l’année, etaujourd’huij’aidesmusclesdansdesendroitsoùjenesavaispasquel’onpouvaitenavoir!Maisdetempsentemps,ellemefaitpeur.Jesuissûrequ’ellepourraittuerquelqu’unavecuneservietteenpapier.
—Jesuisimpressionnée…etintimidée,avouaDestiny.—Sivousvoulez suivre lescoursavecmoi, ta sœuret toi, faites-le-moi savoir.C’estdur,mais
c’estamusant.—Merci.J’yréfléchirai.Jo revint avec deux grandes assiettes de nachos, ce qui souleva l’enthousiasme général fort
bruyamment.Auxautrestables,lesconversationssedéroulaienttoutaussifacilement,ponctuéesd’éclatsderire.
Destinydevaitreconnaîtrequ’elleétaitfranchementétonnéeparcequ’elleavaitvudeFool’sGoldjusqu’ici.Ellepassaitgénéralementdesmomentsagréables, lorsdesesdifférentesmissions,maiselles’était inquiétée au sujet de celle-ci. Surtout à cause de Starr. Mais Fool’s Gold était une villeaccueillante,etelleavaitdéjàl’impressiond’êtreicidepuisdesmois,etnonunesemaine.Elletrouvaitdanscettevilleuneatmosphèreà laquelleellen’étaitpashabituée,qui luidonnait l’impressiond’êtreliéeàlacommunauté,d’enfairepartieintégrante.Elleappréciaitlesfemmesqu’elleavaitrencontrées,etleurétaitreconnaissantedefairepreuved’autantdegentillesseenversStarretelle.Ellenecherchaitpasàsefixermais,letempsquedureraitsamission,elletrouveraitplaisiràvivreici.
***
LesiègedelaFamilyManAirCharterssetrouvaitdansungrandhangar,surl’aérodrome.AidanMitchelletsonassocié,FinnAnderson—unhommeàlahautestature,âgéd’environtrente-cinqans—,écoutaientKiplingleurfairepartdudésirdeMilesdetrouveruntravailletempsdesaprésenceenville.
— Un tour en hélico n’est pas donné, expliqua Kipling.Mais cela permettrait à vos clients dedécouvrirlarégionsousunangleunique.
AidanéchangeaunregardavecFinnavantderépondre:
—Intéressant.Finnetmoicherchonsdepuisunmomentuneactivitéquenouspourrionsproposerànosclientstoutaulongdel’année.Unhélicoseraitparfait.
—Exact,renchéritFinn.Onpourraitdéposerdesclientsenmontagne,oudanslestrousperdusquisonttropéloignéspourqu’onlesatteigneautrement.CombiendetempsMilesva-t-ilresterdanslecoin?
—Deuxmois,réponditKipling.Destinyetluidevraientavoirfinidecartographierlarégiond’icilami-juillet.Finjuillet,auplustard.
—Cequinouslaisseletempsdevoirsinosclientssontintéressés,ditAidan.Acheterunhélicoreprésenteraitunénormeinvestissement.
—Jepourraispassermonbrevetdepiloted’hélico,lançaFinnavecenthousiasme.Ilfaudraitquecelas’inscrivedansnotrelogiquecommerciale,biensûr,maisceseraitamusant.
Aidanlaissaéchapperunpetitrire.—Touslesprétextestesontbonspourvoler!Soudainpensif,ilajouta:—Etsilavilleinvestissaitdansl’hélicoptère?Enretour,onpourraits’engageràtenirl’hélicoà
leurdispositionencasd’urgence.IlfaudraitenparleràMarsha.—Etdemoncôté,jepeuxdemanderàDestinycommentintégrerunhélicodansleprojetSTORMS,
suggéraKipling.—Bonneidée,ditAidan.— Je suis d’accord, renchérit Finn.Nous aurions dû y penser nous-mêmes.Nous allons prendre
contactavecMilesetluiproposerdetravaillerpournous.—Jesuisravidevousaider,leurditKipling.J’espèrequeçamarchera.Une fois la réunion terminée, il regagna sa jeep tout en contemplant lesmontagnes.Aujourd’hui,
ellesluiparaissaientplusproches;ellessemblaientsedresserjustedevantlui,insistantes,enjôleuses.Tout son corps le faisait souffrir, surtout là où ses os avaient volé en éclats. La plupart de ses
articulationspouvaientprédirel’arrivéedelapluiedeuxjoursavantleprésentateurdelamétéo.Maisilavaitsurvécu.Etilmarchait,alorsquelesmédecinsluiavaientdonnépeudechancesdesortirunjourd’unfauteuilroulant.Ilauraitdûremerciersabonneétoileunpeuplussouventqu’ilnelefaisait.
Ilseglissaauvolantet jetaunderniercoupd’œilverslesmontagnes,lesimaginantcouvertesdeneige. Son estomac se contracta. Jamais il ne pourrait supporter ce spectacle tous les jours.Lesmoisd’hiverallaientêtreéprouvants…
***
—Ilssontsacrémentconcentrés,murmuraKipling.Destinyregarda lesdeuxingénieursqui,casquesur lesoreilles,pianotaientsur leclavierde leur
ordinateur.Elleauraitpariéqu’ilsnesedoutaientmêmepasqu’ilsn’étaientpasseulsdanslapièce.—Cesontlesmeilleurs,dit-elle.Ilsvonttoutmettreenplaceetrésoudrelesbugset,quandilsen
aurontfini,ilsdisparaîtrontaussivitequ’ilssontarrivés.Quandlaformationtoucheraàsafinetquenousauronsdéterminéquellesdonnéespersonnaliséesvoussontnécessaires,ilsreviendrontpourlesrentrerdanslelogiciel.Ensuite,noustesteronsdenouveauleprogramme,etvousserezfinprêts.
Ilsressortirentdubureau.Surlecôtédubâtiment,ilyavaitunpetitjardinagrémentédequelquestablesetbancs.L’endroitparfaitoùrassemblerlesbénévoles,pensaDestiny.Ici,ilspourraientrecevoirlesconsignesnécessairesetsereposeravantderepartirenmission.Surtoutparuneaussibellejournéequ’aujourd’hui.
Enrevanche,d’autresdispositionsdevraientêtreprisespourl’hiver.Peut-êtrequ’ilspourraientseréuniràlacaserne,quiétaittouteproche.Maisceneseraitpasàellederésoudreceproblème-là.Quand
elle en aurait fini avec ce travail, elle partirait. Et, quel que soit le plaisir qu’elle avait éprouvé àséjournerenunlieu,ellen’yrevenaitjamais.
Kiplings’installaàl’unedestables.Elles’assitfaceàlui.—J’aivuMilescematin,dit-elle.Ilm’aditquevousluiavieztrouvéunpetitjobàtempspartiel.—Ildisaitqu’ils’ennuyait.Etmoi, jeconnaisdeuxgarsquipouvaientsouhaiterdévelopper leur
affaireenutilisantunhélicoptère.Toutlemondem’asembléêtregagnant.—Shelbym’avaitbienprévenuequevousaimiezarranger les choses. Jevois cequ’ellevoulait
dire,maintenant.—Est-cequec’estundéfaut?—Non.Seulementuntraitdecaractèreintéressant.Est-cequ’ilyauneraisonpsychologiqueàcela,
ouest-cequec’estdenaissance?Iléclataderire.—Qu’enpensez-vous?— Je n’en sais rien.Mais je suis sûre que la façon dont nous avons été élevés influe sur notre
comportementd’adulte.Elleavaitbeaucoupapprisenregardantsesparents.Surtoutcequ’elledevraitéviterdefaire!Mais
ilyavaitaussieuquelquesleçonspositives.— Je suis d’accord avec vous sur ce point, dit-il avant de marquer un temps d’hésitation. Je
repensaisàcequeMilesadit,ausujetdevosparents…Votreenfancen’apasétéheureuse?Elle réprima l’envie de rentrer la tête dans les épaules et de prendre la fuite, et s’offrit un petit
tempsavantdelaissertomber:—Non.D’habitude,jen’enparleàpersonne.Lesgensposentdesquestionsauxquellesjeneveux
pasrépondre.—Ouilsontdespréjugés.—Commentlesavez-vous?—Ehbien…jenesuispeut-êtrepasunchanteurdecountryderenomméemondiale,maisj’aiété
souslesfeuxdesprojecteurs,moiaussi.Lacuriositéquegénèrelacélébritén’apastoujoursdeseffetspositifs.
—C’estvrai.J’oubliaisquevousétiezleskieurquiexcitaitlesfoules.Ilhaussaunsourcil.—Etvous,vousmetrouvezexcitant?Aussitôt,ellesentitsesjouess’enflammeretrépondittrèsvite:—Jeparlaisdevotrecarrière,pasdureste.—Donc,vousnemetrouvezpasexcitant.Illataquinait,c’étaitévident.Peut-êtremêmequ’illuifaisaitlacour.Maiscommeilétaitbienrare
qu’elleatteignecestadeavecunhomme,ellenesavaitpastropcommentréagir.Etsoudain,elleserenditcomptequeleplanqu’elleavaitconçu,quiétaitdetrouverunhommeraisonnableetd’ignorertouslesautres, avait un défaut majeur : malgré ses vingt-huit ans, elle ne savait pas vraiment comment secomporteravecunhommeendehorsd’uncontextestrictementprofessionnel.
Pourelle,Milesétaitcommeunfrère.Lesingénieursetsonpatronétaientdescollègues.Quantauxgens qu’elle rencontrait lors de ses déplacements, elle les tenait toujours à bonne distance. Elle nelaissaitjamaispersonnel’approcher,cequiluiévitaitdecourirlemoindredanger,mais…qu’allait-ilsepasserquandellerencontreraitl’hommedesavie?Commentallait-ellelelaisserveniràelle?
—Cen’étaitpourtantpasunequestionpiège,repritKiplingavecunpetitsourireencoin.— Vous êtes très beau, et vous le savez. Vous n’avez pas besoin que je vous fasse d’autres
compliments.
—Endisant«d’autrescompliments»,voussous-entendezquevousm’enavezdéjàfait.Pourtant,jusqu’ici,vousêtesplutôt…décevante,questioncompliments.J’enespéraisplusdevous.
—Lavraiebeautérésidedanslesactes.Ilfronçalessourcils.—Qu’est-cequeçaveutdire?—Jenesaispas.C’estunemaximequemaGrandmaNelldisaitsouvent.Maiselleal’airpleinede
sagesse.—Jelatrouvesurtoutassezénigmatique.Est-cequelecontraireest«lavraielaideurrésidedans
lesparoles»?—Aucuneidée.—EtquiestGrandmaNell?— Ma grand-mère maternelle. Elle a vécu dans les Smoky Mountains toute sa vie. Elle était
merveilleuse.Aimante,intelligente…Et,surleplanémotionnel,elleaétéunvéritableroc,pourmoi.Jesavaisquejepourraistoujourscomptersurelle,quoiqu’ilarrive.
Lessouvenirsaffluaient.Ellesouritetpoursuivit:—Mesparentsétaienttrèsjeunesquandjesuisnée.Mamèren’avaitquedix-huitans,etmonpère
étaitàpeineplusâgé.J’avaistoutjustequatresemainesquandilssontpartisentournéeenmelaissantavecelle.J’aipassélesdeuxpremièresannéesdemaviechezellemais,biensûr,jen’enaigardéaucunsouvenir. Ensuite, mes parents m’ont reprise. Quand je n’étais pas avec eux, je vivais avec d’autresmembresdelafamille.Mapetiteenfancen’apasvraimentétéstable.
—Est-cequec’étaitdifficile?—Parfois.Quandmesparentsm’emmenaiententournée,j’avaisunenounou.Etlesgarsdugroupe
veillaienttoujourssurmoi.—Mais j’ypense…Est-cequevousn’avezpasenregistréun tubequandvousaviezseptouhuit
ans?Ellesesentitrougirpourladeuxièmefoisdelajournée.—Oui,gémit-elle.UndertheWillowTree.J’avaishuitans.Lachansonatrèsbienmarché.Atelpointqu’elleavaitéténomméeauxGrammyAwards.L’expérienceauraitétémerveilleusesi,
lematinmêmede la cérémonie, sonpère ne lui avait pas annoncé qu’il divorçait de samère pour ladeuxièmefois.Lanouvellel’avaitanéantie,etelleavaiteubiendumalàseretenirdefondreenlarmessurletapisrouge.
Desjournalistesl’avaientinterviewée.Ilsluiavaientdemandécequel’onressentaitquandonétaitpleinedetalentàunaussijeuneâge.Maiselle,elleauraitaiméleurexpliquerqu’elleauraitvolontiersrenoncéàtoutcelasicelaavaitsuffipourquesesparentsrestentensemble.
—Mesparentssesontdenouveauséparésjusteaprèscettechanson,reprit-elle.Ilssesontbattuspouravoirmagarde,maisjenesuispascertainequ’ilstenaientautantàm’avoirqu’ilsleprétendaient.Nil’unnil’autre.Jepensequ’ilscherchaientsurtoutàsefairedumal.
Ellechassaquelquessouvenirsdésagréablesdecettepériodeetconclut:—Pendant deux ans, j’ai fait des allers-retours entremon père etmamère. Ils se sont remariés
plusieurs fois, tous les deux. Et un beau jour, GrandmaNell est apparue et a décrété que désormais,j’allaisvivreavecelle.J’avaisdixans.
—Etc’étaitmieux?—Beaucoupmieux.Elleavaitunepetitemaisondanslesmontagnes.Ilyavaitl’eaucourante,mais
c’était à peu près tout. L’électricité était régulièrement coupée.Nous nous chauffions avec un poêle àbois, et nous produisions l’essentiel de notre nourriture. Il m’arrivait de me sentir seule mais, dansl’ensemble,jeluiétaisreconnaissantedem’avoirrecueillie.
Depuisqu’elleavaitcommencéàparler,Kiplingnel’avaitpasquittéedesyeux.Quepouvait-ilbienpenserd’elle?Riendenégatif,sansdoute.D’aprèscequ’ellesavaitdelui, ilétaitgentil. Ilcherchaittoujoursàrésoudrelesproblèmes,cequiétaituntraitdecaractèreadmirable.Sisesparentsavaientétécommelui,s’ilsavaientfaitplusd’effortspourqueleurfamillerestesoudée…
Maisilneservaitàrienderevenirsurlepassé.—Parlez-moiencoredeGrandmaNell,demandaKipling.Ellesourit.Ellepouvaitenparlerpendantdesheures…— Elle était incollable sur les plantes, et elle savait faire des conserves et coudre. Elle lisait
beaucoup. Tous lesmercredis après-midi, nous allions au cinéma, en ville, et, avant de rentrer, nouspassionsàlabibliothèqueetnousempruntionsdestonnesdelivres.Jusqu’àmesseizeans,j’aisuividescours par correspondance. Grandma Nell se renseignait sur les programmes scolaires, me fixait unemploidutemps,ets’assuraitquejelerespectais.
—Etques’est-ilpasséquandvousavezeuseizeans?—Ellem’aditquejedevaisrejoindrelevraimonde.Quejenepouvaispasrestercachéejusqu’à
lafindemesjours.Jenevoulaispaspartir,maiselleavaitraison,commetoujours.J’aivécuavecmonpère le tempsdepasser lesconcoursd’admissionauxétudessupérieuresetdepostulerdansplusieursuniversités.
Elleavaitredoutédenepasêtreassezinstruite.MaiselleauraitdûfaireconfianceàGrandmaNell.—J’aiétéacceptéedanstoutes lesuniversitésoùj’avaisdéposémacandidature,poursuivit-elle.
Mesnotesétaientexcellentes,àtelpointquej’aipufairel’impassesurlamoitiédesmatièresdebase.Mais ces succès n’avaient pas suffi à compenser l’absence de la femme qui l’avait recueillie et
aiméecommeunemère…—GrandmaNellvenaitmevoiràl’universitéchaquesemestre.Toutlemondel’adorait.—J’aimeraislarencontrer.—Ellenousaquittés,réponditDestinyensentantsonsourires’estomper.Ilyatroisans,elleest
venuepasserquinzejoursavecmoi.Enrepartant,ellem’aserréedanssesbrasunlongmoment,cequin’étaitpasdansseshabitudes.Ettroisjoursplustard,elleestmorte.
—J’ensuistrèstriste.— Merci. Moi aussi. Il ne se passe pas un jour sans qu’elle me manque. Surtout maintenant.
GrandmaNellauraitsucomments’occuperdeStarr.—Vouslesavez,vousaussi.—Jen’ensuispassisûre…Ellesecoualatêteetconclut:—Désolée.Jenesaispaspourquoijevousairacontétoutcela.Jesuisplusréservée,d’habitude.—Vousn’avezfaitquerépondreàmesquestions.— Mais quand même, dit-elle en se levant. Eh bien… je ferais mieux d’aller rejoindre mes
ingénieurs.Illeurarrived’oublierqu’ilsdoiventmanger,detempsentemps.Jevaispeut-êtreallerleurchercheruncasse-croûte.
Kiplingseleva,luiaussi,etplongeasonregarddanslesien.—Ondiraitquevotregrand-mèrevousaimaitvraiment.—Ellem’aimait,oui.—Etcetamourvousaccompagneratoujours.—C’estcequel’ondit,oui.Maisellememanquequandmêmeénormément.Ilhochalatêtesansrépondre,etilssedirigèrentensilenceverslebâtiment.— La Man Cave va bientôt ouvrir, reprit Kipling. C’est le bar dont je suis propriétaire, avec
quelquesassociés.—J’enaientenduparler.Vousdevezavoirhâted’ouvrir.
—C’estvrai.Venezdoncà l’inauguration.Onvaavoirunemachineàkaraokédu tonnerre.Vouspourriezchanter.
—Jenechantepas,répliqua-t-ellefermement.—Jamais?—Pasenpublic.—Maisvousdevezavoirçadanslesang.—J’aibeaucoupdechosesdanslesang,etj’enrefuselaplupart.Celamefacilitel’existence.—Quiaditquelecheminleplusfacileétaitlebon?Peut-êtrequechantervous…—Kipling, je n’ai pas besoin que l’on s’occupe demoi, coupa-t-elle d’un ton sec. Shelbym’a
confiéquevousaimiezrésoudre lesproblèmesde tout lemonde,et jevoisqu’elleavait raison.Alorsécoutezbiencequejevaisvousdire.Jen’aipasbesoinquel’onm’aide.Jevaisparfaitementbien.J’aimaviebienenmain.Etjepréfèreéviterlessurprises.
Kiplingladévisageapendantquelquessecondesavantdesepencherverselle.Commeellen’avaitpaslamoindreidéedecequ’ilallaitfaire,ellefutcomplètementpriseaudépourvuquandellesentitseslèvreseffleurerlessiennes.
Lebaiserneduraqu’uninstant,maiscelasuffitàl’ébranlerdelatêteauxpieds.Elleressentitunechaleurintense,suivied’unfroidglacial.Sapoitrineparutsecomprimer.Etquelquepart,toutaufonddesonêtre,unlieusombreetdésertdontellerefusaitgénéralementd’admettrel’existenceseréchauffad’aumoinstroisdegrés.
Quandilseredressa,ellelefusilladuregard.—Pourquoiavez-vousfaitça?—Pour deux raisons, répondit-il avec un demi-sourire.D’abord, parce que j’en avais envie. Et
aussiparcequetoutlemondeabesoind’unebonnesurprise,detempsentemps.Elleauraitvoulurépondre,maisnetrouvarienàdire.Illuidécochaunclind’œilavantdes’éloigner.Ellelesuivitdesyeux,abasourdie.
5
Destinygrattaitdoucement lescordesdesaguitare.Cesoir, lamusique la fuyait.Commepour lanarguer,elleseprésentaitàellesousformedebribesdemélodiereliéesàdesmoitiésdevers.Maisdèsqu’elletentaitdecernerlesnotesoulesmots,ilss’estompaient.
«Tupourraisêtremonplusbeauregret.Jepourraisêtretasérénité.»Ellegriffonnaencorequelquesnotesavantdereposersaguitareetdeselaissertomberenarrière
sur son lit.Maiselle se redressaaussitôtet semità jouerquelquesmorceauxdehillbilly,unstyledemusiquequeGrandmaNelladorait.Laplupartdeschansonsneluiplaisaientpasvraiment,maisellelesvoyait comme un lien entre sa grand-mère et elle. Elles avaient toutes deux passé de longues soiréesd’hiverà joueretàchanteraucoindufeu tandisque,dehors, laneige tombait.Unvieuxpiano trônaitdans la pièce de devant. Tous les printemps, Grandma Nell faisait venir un accordeur. Le reste del’année,ellesessayaientdenepastropentendrelesfaussesnotes.
Après quelques chansons sur lamontagne,Dieu et la vie, elle sentit qu’elle se détendait un peu.Malheureusement,ellerepensasoudainaubaiserdeKipling…etsecrispaaussitôt.
—Quelidiot,murmura-t-elleenreposantsaguitare.Aussi idiot que ce baiser. Pourquoi avait-il fait ça ?Et comment avait-il pu partir après l’avoir
embrassée?C’étaitpeut-êtreunecoutumelocale?Fool’sGoldétaitunevilletellementétrange.Mais toute cette histoire n’avait pas lamoindre importance. Il l’avait embrassée. Et alors ? Ce
n’étaitpasellequi luiavaitdemandéde le faire.Etmêmesiun léger frisson la traversaitchaquefoisqu’elle repensait au contact de sa bouche sur la sienne, elle ne laissait pas ses hormones prendre ledessus.Elleavaitlasituationbienenmain,commetoujours.
D’ailleurs,àvraidire,elleauraitsansdoutedûêtreheureusequeKiplingl’aitembrassée.Commeelle s’en était récemment rendu compte, son manque d’expérience pourrait représenter un sérieuxhandicapdanslarecherchedel’hommedesrêvestrèscalmesqu’ellenourrissait.Kiplingneluisemblaitpas être le genre d’hommequi aimait voir une femme faire le premier pas,mais elle devait bien êtrecapabledesedéfendre.Donc,s’ill’embrassaitencore,ceseraitunetrèsbonnechose…aussilongtempsqu’ellegardaitlespiedssurterre.
Ellesoupira.Toutesceshistoiresentregarçonsetfillesétaientvraimentridicules.Pourquoilesgenscédaient-ilsaussifacilementàleursenvies?Pourquois’autorisaient-ilsàperdrelatête?Ilscédaientauxsimples désirs de leur corps et prenaient des décisions néfastes. Ce qui ne serait pas bien grave sid’autres qu’eux n’avaient pas à souffrir des effets de ces décisions. Mais, malheureusement, c’étaitrarementlecas.Papaetmamanfinissaientparseséparersanspenseràleursenfants…
Elle,elleferaittoutpourévitercegenrededrame.
Lepetit réveil posé sur sa table de nuit indiquait qu’il était presque 22 heures.Elle sortit de sachambrepourallerfrapperàlaportedecelledeStarr.
—Coucou!lança-t-elle.Jevoulaisjustetesouhaiterbonnenuit.—Tupeuxentrer.Starrétaitassiseàsonpetitbureau,satabletteposéedevantelle,surunsupport.—Tuenvoiesdese-mailsàtesamis?demandaDestiny.—Non,jeregardaisunfilm.Starrsetournaàdemiverselle.—Jet’aientenduejouer,ajouta-t-elle.Destinygrimaça.Elleétait tellementbouleverséequ’elleavaitoubliéd’aller jouerdanslegarage
oud’attendrequeStarrsoitendormie.Elleallas’asseoirsurlelit.—Tum’asbienentendue,eneffet,dit-elle.—Donc,tusaisjouer.Tum’asmenti.—Jesais.Jetedemandepardon.—Pourquoias-tufaitça?— Je n’aime pas jouer. Seulement, de temps en temps, je ne peux pasm’en empêcher.Mais la
musiquen’estpasmontruc.—Etsic’estlemien,detruc?demandaStarr.L’adolescenteramenasescheveuxenarrière,dévoilantsesjoueshumidesdelarmes,etlafusilladu
regard.—Tuvasbien?demandaDestiny,inquiètesoudain.Starrs’essuyalevisage.—Jevaisbien.Tun’aspasréponduàmaquestion.Destiny repensa à la vie qu’elle avait menée avec ses parents. Une vie où la musique régissait
chaqueinstant,oùelleétaitomniprésente,quecesoitenfondsonoreouàl’occasiondesjam-sessionsquise déroulaient dans le salon.Mêmedébarrasser la table devenait prétexte à un véritable concert danslequel lescasserolessemuaienten instrumentsdepercussiontandisquelamélodieétait jouéesurdesverresplusoumoinsremplisd’eau.Ellerepensaauxriresquiavaientponctuécetteexistence,desriresqui avaient ensuite laissé place aux larmes…Et elle repensa à l’impression qu’elle avait eue d’êtreabandonnée, encore et encore.L’impressionden’êtrequ’unpion sur l’échiquierqu’était laviede sesparents.
—Tusais,commença-t-elle,c’estcompliqué…—Non,çanel’estpas.Jeveuxapprendreàmieuxjouer,et turefusesdem’aider.Pourtant,nous
sommessœurs.Tudevraism’aimer.—Maisjet’aime.—Non,cen’estpasvrai.Lamusiqueestcequ’ilyadeplusimportantdansmavie,ettuneveux
pasm’apprendrecequetusais.—Ecoute…Jetedemandepardon.Jesuisvraimentdésoléedet’avoirmenti,etdésoléequetuen
souffres.Je…Elles’interrompit.Ellesavaitcequ’elledevaitdire,maisellenevoulaitpaslefaire.Ouplutôt…
ce n’étaient pas lesmots qu’elle s’apprêtait à prononcer qu’elle redoutait,mais les conséquences quis’ensuivraient.
—Jepeuxt’apprendreàjouer,dit-elleàmi-voix.Delaguitareetdupiano.J’aiunclavierdansmachambre.
Starrluitournaledos.—Jeneveuxrienapprendredetoi,laissa-t-ellesèchementtomber.
Destinysursauta,commesiellevenaitderecevoirunegifle.Qu’est-cequ’elleavaitditpourméritercetteréaction?
—S’il teplaît,Starr…N’essaiepasdemepunir en tepunissant toi-même.Cela tourne toujoursmal.Sionpassaitunpeudetempsensembleceweek-end,pourjouer?Jepourraistemontrerquelquestrucsqui…
—J’aiditnon,lacoupaStarr.Etmaintenant,ilesttard.Jesuisfatiguée.End’autrestermes:«Sorsdemachambre.»—Trèsbien,dit-elleenselevant.Bonnenuit.Ellequitta lachambreet referma laportederrièreelleensepromettantdemieuxs’yprendre, la
prochainefois.Lesujetn’étaitpasclos.ElleallaitlaisserStarrenpaixpendantdeuxoutroisjoursavantd’y revenir. Après tout, quel mal y avait-il à lui montrer deux ou trois accords ? La musique leurfourniraitpeut-êtreunsujetdeconversation.Etdelà,ellespourraientapprendreàmieuxseconnaître.
Destiny ne savait pas ce qu’aurait faitGrandmaNell si elle avait été à sa place,mais elle étaitcertaine d’une chose : sa grand-mère aurait tout mis en œuvre pour que Starr se sente la bienvenue,qu’ellesesenteaimée.Autantdechosesqu’elleallaitdevoirapprendreàfaire,elleaussi.
***
LerestaurantChezAngelooccupaitunbâtimentblanchià lachaux,agrémentéd’unpatiogarnidetables,quisedressaitde l’autrecôtéduparc.Kiplinggoûta levinrougeque leserveurvenaitde leurapporterethochalatête.
—Parfait.Leserveurremplitlesdeuxverres.Quandilfutparti,Shelbysepenchaverssonfrère.— Est-ce qu’il t’arrive de renvoyer le vin juste parce que tu en as envie ? demanda-t-elle en
souriant.—Non.Cen’estpasmongenre.—Jesais.Jenefaisquetetaquiner.Jesuissûrequetuattiresdéjàbienassezl’attentiondesgens
sansavoirbesoindetefaireremarquer.Attirerl’attention?Pascesdernierstemps,entoutcas,pensa-t-il.Celafaisaitbienlongtempsqu’il
n’y avait pas eu de femme, dans sa vie… Il avait été bien trop occupé par sa convalescence aprèsl’accident,puisparsondéménagementàFool’sGoldpourselaisserprendredanslesfiletsd’unefemme.Maissi toutsedéroulaitconformémentàsonplan, ilallaitêtrepris trèsbientôt…Toutefois,cen’étaitpasunsujetqu’ilsouhaitaitaborderavecsapetitesœur.
—Commentçasepasse,auboulot?demanda-t-il.—Bien.J’apprendsbeaucoupdechoses,etAmbermeconfiedeplusenplusderesponsabilités.Ily
a vraiment beaucoup de travail pendant la saison touristique. Je ne m’étais jamais rendu compte dunombre de vacanciers qui reviennent chaque année. Ils se souviennent de ce qu’ils ont commandé ladernièrefois,etsinousnesommespasenmesuredeleurproposerlamêmechose,malheurànous!
Ilhochalatêteensouriant.Iladmiraitl’enthousiasmedesasœur,saforcedecaractère.Unanplustôtencore,elleassistait à l’agoniede samère,atteinted’uncancerenphase terminale, tandisquesonpèreneseprivaitpasdeluiflanquersonpoingdanslafigureaussisouventquel’envieluiprenait.
—J’aisuggéréquenousinstallionsunstandsurledernierfestival,poursuivit-elle.Ambern’étaitpastropsûrequeçamarcherait,maisnousavonstoutvenduavantmidi!Etnousavonsgagnéunebellesommed’argent.
—Toutesmesfélicitations.Cen’estjamaisfaciled’impressionnersapatronne—Merci.Tusais,jedéborded’idées.Ellecontemplasesmainsuninstantavantd’ajouter:
—Amberetmoiavonsdiscuté…Kiplingconnaissaitceton,etcettestratégie.Ilsavaitqu’ilallaitdevoirentendredesmotsqu’ilne
voulaitpasentendre.— Quand son père va partir à la retraite, poursuivit Shelby, elle va reprendre la librairie.
Impossiblepourellededirigerdeuxmagasinsàlafois.Ellecherchedoncunassociépourlapâtisserie.J’aimeraisacheterdesparts.
Kiplinginspiralonguementpoursedonnerletempsderéfléchir.—C’estuneoccasionfantastique,dit-ilenfin.Mais…est-cequetuescertained’êtreprête?—Jesaiscequejefais.J’aimecemétier,etjeveuxresteràFool’sGold.— Je sais que tu es tout à fait capable de prendre seule une décision, Shelby.Tout ce que je te
demande,c’estdebienréfléchir.Iln’yapastrèslongtempsquetuesici.Tuviensdevivreunepériodedifficile,surleplanémotionnel.Acheterdespartsdansunesociétéentraîned’énormesresponsabilités.EtsiAmberettoin’êtespasd’accordsurlefonctionnementdelapâtisserie?Tuneserasplusunesimpleemployée.Tunepourraspasdémissionnerett’enaller.
—Jenem’eniraipas,répliqua-t-ellesèchement.Jenepartiraipas.Jeveuxresteroùjesuis.Il chercha à se convaincrequ’il nedevait pas se sentir personnellementvisépar cette remarque.
Quesasœurnefaisaitpasallusionàsondépartàlui.Parcequ’ilétaitparti.Ilavaitbondisurl’occasiondetravailleravecsonentraîneurdeski.Al’époque,iln’avaitquequatorzeans,sixdeplusqueShelby.Ilavaitpenséqu’ilpouvait la laisser,qu’elle serait ensécurité.Après tout, leurpèren’avaitpasencorecommencéàlabattre.
— Si je m’inquiète, c’est parce que tu écoutes ton cœur, lui dit-il gentiment. J’ai peur que tucherchesseulementàaiderAmber, sans réfléchiràceque tusouhaitesvraiment,pour toi-même.C’esttrèsbiendevouloiraideruneamie,mais,danscecas,n’oubliepasquetudeviendrasresponsabledelaboutique,defaçonpermanente.
Shelbys’effondrasursachaise,commevidéedetoutesacombativité.—Jesaisquetutiensàmoi,Kip.Etjet’aime,moiaussi.Maisilfautquetuarrêtesdeprendresoin
demoicomme tu le fais. Jenesuispas l’undesproblèmesque tupeux rencontrer. Jen’aipasbesoinque…quetumerépares!
—Tuasraison.Jen’essaieraipasdeteréparer,parcequ’ilestinutilederéparercequin’estpascassé.
Elletenditlebrasettapotalamainqu’ilavaitposéesurlatable.—Merci.Tuesunbonfrère.—L’undesmeilleurs.Elleéclataderire.—Est-cequetupensesquejenecoursaucunrisque,sijem’associeàAmber?—Jetefaisconfiance,petitesœur.—Tiens,enparlantdesœur,j’aidéjeunéavecDestinyetStarr,avant-hier.Nousétionsengroupe.
Destinyestgentille,maisj’aieul’impressionquesasœuretellen’étaientpastrèsproches.Ilpritunegorgéedevin,qu’ildégusta,histoiredegagnerunpeudetemps…Ilnesavaitpastrop
querépondreàcela.—JenesaispasexactementcommentStarretellesesont retrouvéesensemble,dit-ilenfin.Elle
m’alaisséentendrequ’ellesneseconnaissaientpas.Ellessontdemi-sœurs,par leurpère.LamèredeStarrestmorteilyapeudetemps.
Shelbyclignadesyeux.—Sérieux ?C’est exactement comme nous !Demi-frère et sœur par notre père, etmamère est
mortel’andernier.—Saufquenousavonsgrandiensemble,précisa-t-il.
—C’est vrai.Ça change tout. Pourmoi, il serait inimaginable d’avoir une sœur et de ne pas laconnaître.
Pourluiaussi,mêmes’ilcomprenaitquelesmembresd’unemêmefamillepuissents’éloignerlesunsdesautres.Encemoment,sonproprepèreétaitenprisonpourdiversdélits,enplusdesviolencescommisessurShelby.Ilallaitresterderrièrelesbarreauxpendantunboutdetemps,etiln’avaitaucuneintentiond’allerluirendrevisite.
Quandilétaitadolescent,ils’étaitinquiétédesavoirsilecôtésombredesonpèresommeillaitenlui,telunmonstreenhibernationsusceptibledeseréveillerunjoursanscriergare.Parcequ’unhommequibattaitsaproprefillenepouvaitêtredécritquecommeunmonstre.
Il avait craint de se réveiller un jour et de sentir enfler en lui cette même violence aveugle etdévastatrice.Ilavaitfiniparparleràsoncoachdesscènesauxquellesilavaitassistéchezlui,etdesesproprescraintes.
Commetoujours,soncoachluiavaitfaituneréponseempreintedesagesseetdefranchise.—Est-cequetuasdéjàeuenviedefrapperunefemme?avait-ildemandé.—Bonsang,biensûrquenon!—Siçat’arriveunjour,fais-toiaider.Trouveunpsy.Prendsuntraitement.Faiscequ’ilfaut.Tune
peuxpaschoisirtonhérédité,maistupeuxdéciderdelafaçondonttuvaslagérer.Kiplingavaitfaitlevœudenejamaiss’autoriseràdevenircommesonpère,quoiqu’illuiencoûte.
Lapromesses’étaitavéréefacileàtenir.Ilavaitdéjàétéprisdecolèresnoires,maisjamaisdel’enviedelever lamainsurquiquecesoit.Si laviolenceétaitenpartied’originegénétique, ilavaitréussiàpasser entre les gouttes. S’il s’agissait d’un comportement acquis, c’était sans doute le ski qui l’avaitsauvé,celienparticulierquisemblaitl’uniràlamontagne.Pourvolersurlaneigecommeillefaisait,ilfallait une discipline de fer, une parfaite emprise sur soi-même. Chaque action était suivie deconséquences immédiates. A la moindre erreur, le chronomètre était impitoyable — quand celan’entraînaitpasunevéritablecatastrophe.
IlsedemandaquellesétaientlesépreuvesqueDestinyavaittraverséesdurantsonenfance.Aquelsdémons avait-elle échappé ? Lesquels transportait-elle avec elle ? Peut-être aurait-elle suffisammentconfianceenluipourluienparler,unjour?
QuandShelbyetluieurentfinidedîner,ilrepritlechemindelamaisonqu’ilavaitlouéeenville.Ilfaisait encore jour, et beaucoup de flâneurs profitaient de la soirée pour se promener. Il répondit auxsalutsqu’onluilançait,maissanss’arrêter.Cesjours-ci,ilnesesentaitpasd’humeuràparleràquiquecesoit.
Il était perpétuellement en proie à une agitation familière, dont il connaissait la cause. Avantl’accident, le remède aurait été simple : il lui aurait suffi de sauter dans un avion et de trouver unemontagnecouvertedeneige.Unefoisausommet,ilauraitchaussédesskisetdévalélapente.C’étaittout.C’étaitsimple.
Quandildescenditdutrottoir,ilsentituntiraillementdanssondosetsajambe.Lesséquellesdesonaccident…
Tout s’était passé trèsvite—comme toujours enpareil cas. Il ne se souvenait de rien, sinondes’êtreréveillédansunmondededouleur.Ilauraitpuresterparalysé.Oumêmemourir.Ilnepouvaitplusskier?Etalors?Oùétaitleproblème?Ilétaitenvieetsedéplaçaitsursesdeuxjambes.
Saufque,certains jours…Certains jours, il sedisaitqu’il avaitperdu lameilleurepartiede lui-mêmeetqu’ilnelaretrouveraitjamais.
Ildépassaunefamille;unepetitefilleaccrochéeàlamaindesamère,lepèrepoussantunlandau.Ilyavaitbeaucoupdefamilles,àFool’sGold.Beaucoupdecouplesetdegensamoureux.Ilavait
toujourspenséqu’ilconnaîtraitunjourlamêmevie,maisjamaisiln’avaitpuallerau-delàdelaréalité.
Direquel’onaimaitquelqu’unnesignifiaitrien.Pasquandl’amournepouvaitrienchanger.Rienguérir.Rienarranger.
Sonpèreavaiteubeauaffirmerqu’ilaimaitsafille,ilnes’enétaitpasmoinsmisàlafrapper.Etl’amourqueportaitShelbyàsamèreagonisantel’avaitexposéeauxcoupsdepoingpaternels.Quelbienleuravaitfaitl’amour?
Maiscelanel’empêchaitpasdecroireàl’amour.Ilsavaitqu’untelsentimentexistait.Ilaimaitsasœuret,sielleavaitdesennuis,ilremueraitcieletterrepourl’aider.C’étaitclair,danssonesprit.
Il croisa d’autres couples. Des gens qui donnaient l’impression que tout était simple, qui nesemblaientpasdevoirfournird’effortsparticulierspourêtreheureux.
Lui,poursapart,n’avaitjamaispusecontenterdecroire.Desedirequeleschosesétaienttellesqu’ellesdevaientêtre.Depenserqu’unefemmeenparticulierpuisseêtrelabonne.Ilétaitincapablededéterminer enquoi il était différent des autres.Donc, il se contentait demener la viequi semblait luiconvenir.
Il aurait pu se décrire comme un monogame en série. Pour l’essentiel, la vie qu’il menait lesatisfaisait.Maisilluiarrivaitquandmêmedesedemanders’ilétaitendroitd’aspireràautrechose.
***
Silesexeétaitàlaracinedetoutmal,c’étaientleshommesquitenaientl’arrosoiretpermettaientàcetteracinedes’enfoncer.
Destinygémit.Elleétait incapablededéterminerquelétait le sensdecettepensée,cequi,d’unecertainefaçon,prouvaitqu’elleétaitfondée.Ilsuffisaitdelaregarder:elleétaitunefemmeraisonnable,qui exerçait un travail à responsabilités, et elle venait de passer vingt-cinqminutes à se demander cequ’elleallaitporterpouruneréunion.Vingt-cinqminutes!Quellepertedetemps!D’ailleurs,ellesavaittrèsbiencequ’elleallaitporter:satenuedetravail,c’est-à-direunjeanouunpantaloncargoetunT-shirt.Detoutefaçon,ellen’avaitpastellementlechoix.Horsdequestionqu’ellearriveensepavanantenrobefroufroutanteettalonshautsàuneréunionprofessionnelle.
Tout était la faute deKipling. Il l’avait embrassée.Cen’était pas la première fois qu’unhommel’embrassait,bien sûr,mais, cette fois, il s’étaitpasséquelquechose.Unepartiede soncerveauavaitlâchéprise—àmoinsqu’ellen’aitétévictimed’unaffluxd’hormonesd’unepuissanceinhabituelle.Illuifallaituntraitementanti-Kipling—etelledoutaitfortqu’untelmédicamentaitétémisaupoint.
Ellefermalesyeuxetrespiraprofondémentplusieursfoisdansl’espoirdereprendresesesprits.Envain.Quandellerouvritlesyeux…ellevoulaittoujourssefairebellepourcetteréunion…
«Non,sedit-elledansunaccèsd’honnêteté.Paspourlaréunion.PourKipling.»Toutensetrémoussantpourenfilersonjeanmoulant,elleregrettaden’avoirpersonneàquiparler.
Elleauraittantaimépouvoirdemanderconseilàunepersonneraisonnable,quiauraitpuluidirecommentsedébarrasserdeseffetssordidesd’uneattirancesexuellepersistante.Maisellen’avaitpersonne.Ellenerestaitpasencontactaveclesgensqu’ellerencontraitaucoursdesesmissions.Quantàsamère…Luidemandersonavissuruntelsujetauraitétéàpeuprèsaussiutilequededemanderàunpyromanedesconseilspouréviterl’incendie.Et,pourunefois,lesouvenirdesnombreusesmaximespleinesdesagesseénoncéesparsagrand-mèrene luiétaitd’aucunsecours.ParcequeGrandmaNellavaitsur lesujetunavisd’unelimpiditétotale:«S’ilestcélibataireetqu’iltebranche,laisse-toibrancher.»
— Je ne veux rien qui ressemble à un branchement,marmonna-t-elle en choisissant unT-shirt…moulant.
Elle s’étaitdéjà lavé les cheveuxet,bon sang ! elle avaitutiliséun sèche-cheveuxetunebrosserondepour leurdonnerduvolumeetunelégèreondulation.Pire,elleavaitmisdumascara!Elleétait
pathétique. Kipling n’était pas pour elle. Même s’il avait beaucoup de qualités, il n’était pas assezraisonnable.Et,apparemment,illuisuffisaitd’êtreensaprésencepourcesserdel’être,elleaussi…
Lefaitqu’unseulbaiseraitréussiàladéboussoleràcepointnefaisaitquesoulignerlebien-fondédesadécision.Ellen’auraitpasderelationssexuellesavantdesesentirprêteàavoirdesenfants.Lesexeétaitlapenteabrupteetglissantequimenaittoutdroitauxennuis.
Elleattrapasonsacàdos,s’assuraqu’ellen’oubliaitpassesnotesetsortitdesachambre.Starr,quilisaitdanslesalon,levalesyeuxdesonlivre.—Jefile,annonçaDestiny.Çanetedérangepasderesterseulecesoir?—Non,çaira.Lesmotssemblaientsincères,maisilyavaitquelquechosedanslesyeuxdel’adolescentequiles
démentait.Unecertainetristesse,àmoinsqueStarrneluienveuilleencoredeluiavoirmentiausujetdelaguitare.Ellen’ensavaittroprien.ElleavaithâtequelecampdevacancesouvreetdevoirStarrplusheureuse,maisilfallaitencoreattendrequelquesjours.
—Quandjerentrerai,jepourraitemontrerquelquesaccords,situveux,proposa-t-elle.Starrhaussalesépaulessansrépondreetsereplongeadanssonlivre.Destiny aurait tant aimé que sa sœur lui soit livrée avec unmode d’emploi…Mêmeune simple
noticededeuxpagesluiauraitsuffi.Mais,malheureusement,cegenredechosesn’existaitpas…—Jenerentreraipastard,ajouta-t-elle.Starrneréponditpas.Destinyquittalamaisonensepromettantdetrouverunmomentpouressayerderéglerleproblème
avecsasœur.Pourl’instant,elleavaituneréunion.Bienqu’ilsoitplusde18heures,ilfaisaitencorechaud.D’unpasvif,ellepritladirectiondela
mairie.C’étaitlà,dansunpetitauditorium,quelaréuniondesbénévolesdevaitsedérouler.Le programmeHEROallait employer un personnel permanent réduit,mais l’équipe de recherche
seraitconstituéepourl’essentieldebénévoles.Uncertainnombred’entreeuxallaientdevoirêtreformésafin d’apprendre à utiliser les équipements. Le but de la réunion de ce soir était de discuter duprogrammeavec lescitoyenset,dans l’idéal,d’enamenerquelques-unsà s’engager—oudumoinsàfairepreuved’unminimumd’intérêt.
D’après ce qu’elle avait vu de la ville, elle pensait que les volontaires allaient se présenter ennombre.L’objectif était de recruter lamajorité desbénévolesparmi les forcesdepolice locale et lespompiers, qui avaient déjà reçu la formation nécessaire. Elle était curieuse de voir combien de gensparmilerestedeshabitantssouhaiteraients’inscrireauprogramme.
Unefoisdanslamairie,ellesuivitlespanneauxquiindiquaientladirectiondel’auditorium.Quandelleentradanslasalle,elledécouvritqu’elleétaitarrivéelapremière…aprèsKipling.
Deboutprèsdel’estrade,ilrelisaitsesnotes.L’éclairagedesplafonnierslenimbaitd’unesortedehalo.Maiselleconnaissaitlesillusionsquepouvaientcréerleseffetsdelumière,etrefusadeselaisserimpressionner.D’ailleurs,ellen’étaitpasimpressionnée.Elleavaitdumalàreprendresonsouffle,riendeplus.
«Quecethommeailleaudiable!»pensa-t-elle,agacéeaupointdepresquefrapperlesoldupied.Etquecebaiserprennelemêmechemin,ainsiqueleshormones,etsoncorpsquilatrahissait!
Maiselleétait tropsagepourse laisserembobiner.Elleavaitvucettemêmehistoiresedéroulersous ses yeux ; elle l’avait vécue.Dévastée, elle avait regardé ses parents perdre la tête chaque foisqu’ilsrencontraientlenouvel«amourdeleurvie».Ellelesavaitvuslanégliger,l’ignorer,l’oublier.Et,aujourd’huiencore,c’étaitellequidevaitassumerlesconséquencesdel’aventurequ’avaiteuesonpèreseizeansplustôt:Starr.Alors,elleallaittenirbon.
Elleredressalesépaules,inspiravivementets’avançaversKiplingd’unpasdéterminé.—Quecesoitbienclair,lança-t-elleenguisedesalut.Jeneseraipastonjouet.
Illevalesyeuxverselleetsourit.—Etpourquoipas?Moi,jeseraisravid’êtreletien.Elleenrestabouchebée.Non.Iln’avaitpaspudireça.Personnenedisaitcegenredechoses.Mais
avantqu’elleaitpucommenceràexprimersonopinionassezfortpourcaptersonattention,deuxvieillesdamespénétrèrentdansl’auditorium.L’uned’ellesétaitEddieCarberry.
—Jen’enaipasfiniavectoi,murmura-t-elled’untonmenaçant.—J’espéraisbienquetuallaisdireça,répliqua-t-ilsurlemêmetonsanssedépartirdesonsourire.—Jeparledecetteconversation.Pasdetout…Elleserralesdentsuninstantavantdeconclure:—Pasgrave.Jem’occuperaidetoiplustard.—J’aihâted’yêtre.Cethomme ! Il était tellement agaçant !Elle lui tourna ledos et fouilladans son sac àdospour
essayerdesecalmer.Elleallaitl’ignorer,ainsiquelessensationsétrangesquifourmillaientdanssoncorps.C’étaitune
réunionprofessionnelle.Elleétaitlàpourfairesontravail.Kiplingn’étaitqu’unobstaclequ’elleallaitdevoirsurmonter.Outraverser.Eviterentoutcas,dequelquefaçonquecesoit.
Lasalleseremplissaitpeuàpeu.QuandMilesarriva,elleallas’asseoiràcôtédelui.Malgrésonphysiqueagréable,ellen’avaitpasàcraindred’êtreattiréeparlui.
—Qu’est-cequit’énerveàcepoint?demanda-t-il.—Jenevoispasdequoituparles.—Tuasl’airencolère.C’estassezsexy.Ellelevalesyeuxauciel.—Pourtoi,mêmeunboutdePlacoplâtreestsexy!—Seulementsic’estduPlacoplâtrefemelle,répliqua-t-il.Mais…tunedevraispasplutôtêtresur
l’estrade?L’heuredudébutdelaréunionapprochait.EnvoyantKiplings’avancerversl’escalierménagésur
le côté de la scène, elle comprit qu’elle devait le rejoindre. Après tout, elle allait s’adresser àl’assemblée.
Maintenant,lasalleétaitpresquepleine.ElleselevaàcontrecœuretrejoignitKiplingsurl’estrade.Ilsetournaverselle,unlégersourireauxlèvres.Ellesentitquelesyeuxdetouslesgensprésentsétaientbraquéssureuxetlemitengardeàvoixbasse:
—N’ypensemêmepas.Illaissaéchapperunpetitrire.—J’allaisseulementtedemandersituvoulaisparlerlapremière,ousitupréféraisquecesoitmoi.Commesiellelecroyait!Cethommeétaitdeceuxquifontnaîtretoutessortesd’ennuisdansleur
sillage.AutantdirequeGrandmaNelll’auraitadoré.—Présente-leur le programme, déclara-t-elle. Ensuite, je parlerai de l’aspect technique, et nous
pourronsrépondreensembleauxquestions.Ilhochalatêteetsepenchaverslemicro,qu’ilalluma.—Merciàtousd’êtrevenuscesoir,commença-t-il.J’appréciequelacommunauténoustémoigne
ainsisonsoutien.Pourceuxd’entrevousquinemeconnaissentpas,jesuisKiplingGilmore,etjesuisleresponsabledel’unitéderechercheetdesauvetagedelaville.
—VousvoulezdirequevousêtesnotreHEROenchef!criaEddie.Lavieilledamequiétaitassiseàsescôtésapplaudit.—C’est ça, réponditKipling, imperturbable.HelpEmergencyRescueOperations va sauver des
vies.Maisnoussommesunetoutepetitestructurequidébuteàpeine,etnousallonsavoirbesoind’aide.
Debénévoles.Laréuniondecesoirapourbutdevousexpliquerlefonctionnementduprogrammeetlafaçondontvouspouvezyparticiper.
Ilcommençaparpasserenrevuelesdétailsduprogramme.Destiny,quilesconnaissaitmieuxquelaplupartdesgens,n’écoutaqued’uneoreille.Quandceseraitàelledeprendrelaparole,elleexpliqueraitlafaçondontleprogrammeinformatiquefaciliteraitlatâchedeceuxquichercheraientlespersonnesquis’étaientégarées.
Elleaimaitsonboulot.Quandellerepartaitd’uneville,elleétaitcontentedesavoirqu’elleavaitcontribuéàgarantirlasécuritédeseshabitants.Elleaimaitaussilespersonnesqu’ellerencontrait,etlesentiment qu’elle avait d’appartenir à leur communauté,même si ce n’était que temporaire. Elle avaitcroisébeaucoupdepersonnesagréables…etplusd’unhommeséduisant.Maisaucunnel’avait jamaisautant troublée queKipling. Il fallait qu’elle comprenne pourquoi il la perturbait autant, et trouve unmoyendeluidevenirinsensible.Rapidement.
Quand Kipling eut fini de s’adresser à l’assemblée, elle s’avança vers le micro pour parler dulogicielmisaupointparSTORMSetexpliquerdequelle façon il aideraitHERO.Ensuite,Kipling larejoignitpourrépondreauxquestionsdupublic.
EddieCarberrylevalamain.—Gladysetmoivoulonsêtrebénévoles.Vousalleznousdirequenoussommestropvieilles?DestinysouritàKipling.—Jetelaisserépondreàcelle-là.Desriress’élevèrentdanslasalle.—Tropaimable,murmura-t-il.Ils’avançaettoussotaavantdedéclarer:—Tous les volontaires sont les bienvenus. Il y aura des emplois pour tous, quelle que soit leur
conditionphysique.Eddiegrimaça.—Vousalleznouscollerdansunbureau,c’estça?Onveutêtresurleterrain.—Nouspouvonsenparler,sivousvoulez,luiproposaKipling,visiblementdésolé.—Etvousdireznon,marmonnaEddie.Elleseleva,aussitôtimitéeparGladys,etlança:—Nousvoulonsvivreuneaventurecetété,avantd’êtretropvieilles.Sicen’estpasavecvousque
nous pouvons le faire, nous trouverons quelqu’un d’autre ! Ça vous montrera de quoi nous sommescapables!
Lesdeuxfemmesquittèrentlasalle.Quandellesfurentparties,unefemmeseleva.Elleétaitgrande,etsonT-shirtbleumarinebrodédeslettresSPFGmoulaitsonventrearrondiparlagrossesse.
—Nevouslaissezpasimpressionner,dit-elle.Cesdeux-làadorentsemerlazizanie.JesuisCharlieStryker, des sapeurs-pompiers de Fool’s Gold. Je souhaite être bénévole, comme la plupart de mescollègues de la caserne. Nous allons autoriser le département des ressources humaines à intégrer lesinformationsrelativesànostoursdegardedansvotrebasededonnées.Commeça,voussaurezquiestdisponible,etquand.Lesgensseperdentsouventaumomentoùcelaarrangelemoinslessecouristes.
Deux officiers de police firent la même offre que la jeune femme. Kipling nota les noms desresponsablesdes ressourceshumainesdesdeuxdépartements.Quand la réunionse termina, ilsavaientdesdouzainesdebénévoles.
—Tunevasavoir aucunmal àpourvoir lespostes, remarquaDestinyquand ilsdescendirentdel’estrade.
—Etj’ensuisravi,réponditKipling.Ilfautquej’ailleparleràCharlieavantqu’elleparte.Aplustard.
—D’accord.
Destinyétait fièrede l’attitude strictementprofessionnelle à laquelle elle s’était tenue.Elle avaitexposé ses sentiments de façon très claire et était satisfaite de voir que Kipling semblait l’avoircomprise.Mais elle était aussi légèrement irritée de constater qu’il paraissait n’avoir eu aucunmal àrenoncerà elle…etde savoirqu’ilne l’embrasseraitplus.Cequine faisaitqueconfirmercequ’ellepensait : l’attirance sexuelle avait le pouvoir de grignoter le cerveau d’une femme parfaitementrationnelle,aupointdelamenerjusqu’auborddugouffredelafolieetdel’ylaisserenéquilibre.
6
—Essaiedemettretesdoigtscommeça,ditDestinyendéplaçantlesdoigtsdeStarrsurlemanchede la guitare. Appuie assez fort sur les cordes, mais pas au point de te fatiguer. Tu n’essaies pasd’étranglerquelqu’un.
Starrdéplaçalégèrementlamainavantdedétendresesdoigts.—Commeça?—C’estça.Commentvonttesdoigts?Ilyavaitdéjàpresqueuneheurequ’ellesjouaient.Aprèsavoirrefusésapropositiondel’aiderà
apprendrelaguitarependantunesemaine,Starrétaitvenued’elle-mêmeverselle,à6h30cematin,cequil’avaitétonnéeetrempliedejoie.
—Ilsmefontmal,avouaStarr.—Çavaêtredepireenpire…etaprès,çairamieux,dit-elleenjetantunregardverslapendule.
Maismaintenant,nousdevonsyaller,sinontuarriverasenretardaucamp.Noustravailleronsencoreunpeucesoir.Tufinirasparavoirdescalsmais,d’icilà,tupeuxsoulagertesdoigtsenlestrempantdansdelaglace,oudansduvinaigredecidre.
Starréclataderire.—Jevaiscommencerparlaglace!Jen’aipasenviedesentirlevinaigre!—Etjetecomprends.Prête?Starrposalaguitareetacquiesça.—Tuasdelacrèmesolaireetdurépulsifpourlesinsectes?demandaDestiny.—J’aitoutcequ’ilfaut.S’ilmemanquequelquechose,jet’enverraiuntexto.—Parfait.J’auraimonportablesurmoi.Destinys’emparadesonsacàdos,ettoutesdeuxsedirigèrentverslavoiture.Ilétaitprévuqu’uncarprendraitlesjeunesenvillepourlesemmenerjusquedanslamontagnemais,
pourlesdeuxpremiersjours,ondemandaitauxparentsdelesaccompagner.Destinys’étaitinforméedelarouteàemprunter,maisellesupposaitqu’illuisuffiraitdesuivrelafiledevoituresquiserendraientàEndZoneforKids.
—Pastropnerveuse?demanda-t-elleens’engageantsurForestHighway.—Unpeu.Maismonbinômem’aideraàprendremesmarques.—Etenplus,lepremierjour,toutlemondeestnouveau.—Est-cequetuesdéjàalléedansuncamp?—Deuxoutroisfois.Maisc’étaitlegenredecampoùondortdansunecabane.—Commeuninternat.
—Exactement.Entre leurs tournées, leursmariageset leursdivorces,nimonpèrenimamèrenepouvaients’occuperdemoipendantl’été.
—C’estàcemoment-làquetuesalléevivrecheztaGrandmaNell?—Oui.J’avaisdixans.J’étaisterrifiéeàl’idéed’habiterdanslesmontagnes,maisheureused’être
avecelle.Quoiqu’ilarrive,elleétaittoujourslàpourmoi.—Tuaimaisvivreavecelle?LavieavecGrandmaNellsedéroulaitdansuncertainisolement,maiscen’étaitpasunemauvaise
chose.EtlesSmokyMountainsétaientsibelles…—J’adoraisça,répondit-elle.J’aimaisvivreaurythmedessaisonsetdestâchesàaccomplir.Faire
desconservesdefruitsetde légumesenétéet,à l’automne,sepréparerpour l’hiver…Lespremièresneigesétaienttoujoursmagnifiques.
—Est-cequetuaseudumalàpartirpourl’université?—Oui. J’avaispeurdenepas être aussi intelligenteou instruite que les autres.Et j’étais restée
éloignéedumondeordinairependantsi longtempsquel’idéed’yretournerm’effrayait.J’avaispeurdemalm’exprimer,oudenepassavoircommentm’habiller.
Ellerepensaàsespremiersjoursd’universitéetconclut:—EtGrandmaNellmemanquaittellement!—Oùest-cequetuasfaittesétudes?—J’aipassédeuxansàVanderbiltavantdepartirpourl’universitéduTexas.—Pourquoi?—C’étaittropdurd’êtreàNashville.L’industrieyétaittropprésente.Ellen’avaitpasbesoindepréciserdequelleindustrieelleparlait.Danssafamille,iln’yenavait
qu’une.—Ettuasfaitdesétudesdemusique?—Non,d’informatique.—Quoi?s’exclamaStarrenladévisageant.Maispourquoi?C’estencorepirequelesmaths!—Lesordinateursfontlaloi,jeunefille.Nousleurdevonslerespect.—Biensûr,maisonn’apasbesoinde…de lesétudier.Oh !Attends,murmuraStarrenhochant
lentementlatête.Tuvoulaist’éloignerdetesparentsetdecequ’ilsfaisaientdanslavie.Tuvoulaisêtredifférente.
«Ouensécurité»,pensaDestiny,maissansledire.—L’idéemesemblaitbonne, répondit-elle.Unefoisque j’aisuquellematière j’allaisétudier, il
m’aparulogiquedechangerd’université.J’aifinipardécrocherunstagedanslasociétéoùjetravaillemaintenant.Donc,jenem’ensuispastropmalsortie.
—Etqu’est-cequeGrandmaNellapensédetonorientation?Destinypréféradéformerlégèrementlavérité.—Ellem’a toujours soutenue, répondit-elle.Quoi qu’il arrive, je savais qu’elle était dansmon
camp.—C’estcool.J’aimeraisavoirquelqu’uncommeçadansmafamille.Oùest-elle,maintenant?—Elleestmorteilyaquelquesannées.—Oh!Jesuisdésolée.—Merci.Destinychassalatristessequilagagnait,commechaquefoisqu’ellerepensaitàsagrand-mère,et
tenditlebrasverslepanneauquiétaitapparudevantelles.—Nousysommes.Ellesegaradansleparkingetaccompagnasasœurjusqu’auxbureaux.Lesformalitésneprirentque
quelquesminutes.Starrenfilalebraceletdecouleurqu’onluiavaitremislorsdel’inscription,etDestiny
s’apprêtaàpartir.—Ehbien…àplustard,murmuraStarr,unpeuinquiètesoudain.Tutesouviensquec’estFelicia
quimeramèneraàlamaison?—Oui.Tuvasbient’ensortir,dit-elleenposantlamainsurlebrasdesasœur.— J’espère.C’est nul d’être nouvelle. Je sais ce qu’il faut faire quand on est nouvelle,mais je
déteste ça. Jamais je ne pourrais faire comme toi. Pas seulement parce que tu travailles avec desordinateurs,maisparcequetuvoyagessansarrêt.Tun’asjamaiseuenviedetefixerquelquepart?
—Unjour,jeleferaisûrement.Starr semblait sur le point de dire autre chose,mais elle se ravisa. Elle changea son sac à dos
d’épauleetrépéta:—Aplustard.—Amuse-toibien.Destinypensa laprendredans sesbras,mais, avantqu’elleaitpu le faire,Starr s’éloignaitdéjà.
Ellelasuivitdesyeuxpendantquelquesinstantsavantderetournerverssavoiture.Ellesprogressaient,touteslesdeux.Lentementcertes,maisellesprogressaient.Alors,elleallaits’encontenter.
Unefoisenville,ellegarasavoituredevantchezelle.Elleiraitàpiedjusqu’auBrew-haha,oùelledevaitretrouverKiplingafinderéglerquelquesdétails.Ensuite,ellemonteraitdansl’hélicoptèrepoursuperviserlesrepérages.Milesfaisaitdubonboulot,ilpouvaittrèsbiensepasserdesaprésence,maisellepréféraitl’accompagnersurquelquesvolspours’assurerquetoutsedéroulaitbien.
Elle traversa la rue et prit la directionduBrew-haha.Quand elle se rendit compte qu’elle avaitpressélepas,elleseforçaàralentir.Ellen’étaitpasimpatientederevoirKipling.Ellen’était…riendutout.Elleserendaitàunrendez-vousdetravailavecuncollègue.Riendeplus.
Tout en poursuivant son chemin avec une lenteur délibérée, elle pensa aux femmes qui cédaientfacilementauxsirènesdusexe.Après tout, leur façonde faireétaitprobablement lameilleure.Si l’oncédaitàl’attirance,peut-êtrequ’ellefinissaitparperdredesonpouvoir.
Sauf que pour ses parents, les choses ne s’étaient pas déroulées ainsi. Ils passaient leur temps àcéderàl’attirance,etlaissaientchaquefoislechaosdansleursillage.
Alors…peut-êtrequ’ellen’avaitpasfaitassezd’effortspourtrouverlecompagnonraisonnableetdignedeconfiancequ’ellesouhaitait.Ilyavaituntasd’hommescélibataires,danscetteville.Etsiellelespassaitenrevue?
D’abord,ilyavaitlesfrèresMitchell,AidanetNick,quiétaientdebeauxgarçons.Maiselleavaitentendu dire que Nick avait une âme d’artiste qu’il refusait de laisser s’exprimer. Si c’était vrai, undésastre se profilait à l’horizon, et elle ne voulait pas se retrouver aumilieu d’un désastre. Quant àAidan,ildirigeaitunesociétéquiorganisaitdesexcursionsd’aventure.Pasvraimentlegenredeboulotquepouvaitexercerlecompagnoncalmeetposédontellerêvait.
Pendant la réuniondesbénévoles,quelqu’unavaitévoquéuncertainZane, rancherdesonétat. Ilsemblaitêtreàpeuprèsdumêmeâgequ’elleet,puisqu’ilvivaitduproduitdelaterre,ilnepouvaitqueconnaîtrelesvertusdelapatienceetdelapondération.Ilfallaitqu’elletrouveunmoyendelerencontrer—fortuitement,bienentendu!
Maiselleoubliatoutduplanqu’elleéchafaudaitàl’instantoùellepoussalaporteduBrew-hahaetvitKipling,déjàassisàl’unedestables.Sespoumonscessèrentdefonctionner,soncœurs’emballaet,quelquepartaucreuxdesonventre,quelquechosesemblase tordre.«Sansdouteundébutdegrippeintestinale»,pensa-t-elle,légèrementmalàl’aise.
Maisellerefusaitdelaisserparaîtreunequelconquefaiblessedevantlui.Ellemarchadoncjusqu’àsatabled’unpasdécidé.
—Salut,dit-ilquandelles’assitfaceàlui.Jet’aicommandéuncafécrème.J’espèrequeçateva.—C’estparfait,merci,répondit-elleenenserrantsatassedesdeuxmains.
—TuasdéposéStarraucamp?C’estbienaujourd’huiqu’ilouvre,non?—Oui.J’espèrequ’ellevas’yplaire.—Moiaussi.Cen’estjamaisfaciled’êtrenouveau.—C’estcequ’elleadit.Est-cequetuasbeaucoupvoyagéquandtuétaisjeune?Pourskier?—Biensûr,maisjen’étaispasseul.J’avaismonentraîneuretmonéquipe.MaisStarrvasefaire
desamis,etçairamieux.Dommagequevouspartiezàlafindel’été.Sivousrestiez,elleretrouveraitsesamisàl’école.
—Starrfréquenteuninternat.Elleyretourneraàlarentrée.Kiplingfronçalessourcils.—Ellenevitpasavectoienpermanence?—Non.Seulementpourcetété.Jesuisdevenuesatutricelégale,maisc’estsurtoutpourréglerles
détailsmatériels.—Oh!Etcelaneladérangepas,denepasavoirdevraiemaison?—Maiselleenaune.—Oùça?Cettequestionlamitmalàl’aise.Starrn’avaitpasséquequelquesjourschezelle,àAustin,avant
leurdépartpourFool’sGold.L’appartementn’étaitpasvraimentassezgrandpourellesdeux.—Jecroisquejen’avaispasréfléchiàça,répondit-ellelentement.—Tudevraisluiparler,essayerdesavoircequ’ellevoudrafaireàl’automne.Ellen’estpeut-être
pasaussiimpatientederetourneràl’internatquetulepenses.—Pourquoiest-cequetudisça?Tunelaconnaispas.—Peut-être,maisjeconnaislesados.Quandl’occasiond’intégrerl’équipedeskis’estprésentée,
j’aibondidessus.J’adoraisvoyageravecmonéquipe,maisj’avaisdescamaradesquiauraientpréféréêtrechezeux.Personnen’aimeavoirl’impressionquel’onchercheàsedébarrasserdelui.
Cetteremarquefitnaîtreenelleunelégèreirritation.Elleavaitétéjeune,elleaussi.Etsesparentslui avaient rendu service en l’envoyant vivre ailleurs.Mais elle était partie pour vivre auprès d’unegrand-mère aimante. Starr, elle, retournerait à l’école. Il y avait une sacrée différence entre les deuxdestinations.
—Al’internat,elleretrouverasesamies,dit-elle.C’estimportantlesamies,àsonâge.Elleseplaîtsûrement,danscetinternat.
Maisqu’ensavait-elle?Ilfaudraqu’elleendiscuteavecStarr.Maisqueferait-ellesisasœurluidisait qu’elle ne voulait pas y retourner ? Elle aimait voyager, et jamais elle ne pourrait continuer àchangerdevilletouslestroismoissielleavaitlagarded’uneadolescentedequinzeans.
— Et voilà que tu essaies encore de tout arranger, marmonna-t-elle en secouant la tête. Il fautvraimentquetuarrêtes,avecça.
—Jenepeuxpasm’enempêcher,répliqua-t-ilavecunsourire.Çafaitpartiedemoncharme.—Situledis…Iléclataderire.—Ettun’espasimpressionnée?Jepeuxtefournirdesréférences,situveux.—Jen’osemêmepasimaginercequ’ellesdiraient!—Quedupositif,assura-t-il.Jesuisungarçondistrayant.Enparlantdeça,viensdoncavecmoià
l’inaugurationdelaManCave.Ilvayavoirunefiestad’enfer.—Jenesuispasdugenreàfréquenterlesbars.—Maiscen’estpasunbarcommelesautres.Allez…Viens…C’estlelancementdemonaffaire.
Commentpeux-tunepasavoirenvied’assisteràcedéferlementdemagie?Luiproposait-ilunrendez-vousgalant?Ilyavaituneéternitéqu’unhommenel’avaitpasinvitée.
Serappelait-elleseulementcommentilfallaitsecomporterenpareilleoccasion?
Ellen’étaitpasobligéed’accepter,biensûr,mais…pourquoiétait-ilaussiattirant?Elleavaitdéjàrencontrédeshommesquiétaientaussibeauxquelui—etd’autresquil’étaientpeut-êtremêmeencoreplus.Mais lui…Ilétait intelligent,maispasbrillant,etelle trouvaitcertainsdeses traitsdecaractèrelégèrementagaçants.Pourtant,l’attirancequ’elleressentaitpourluin’enétaitpasamoindriepourautant.
—Jenecoucheraipasavectoi,luidit-ellesoudain.— Je ne me souviens pas de te l’avoir demandé, mais merci du renseignement, répondit-il
calmement.Est-cequelamiseengardeestseulementvalablepourcesoir,oupourtoujours?Pour toujours ! Il fallait qu’elle dise « pour toujours ». Parce qu’il n’était pas l’homme qu’elle
recherchait.Lesbutsqu’ellepoursuivaitétaienttrèsnets,danssonesprit.Etellenecomptaitpasdévierducheminqu’elles’étaittracé.
—Pourtoujours,répondit-ellefermement.Ilselaissaallercontreledossierdesachaise.Uneétincelleamuséedansaitdanssesyeuxbleus.—Tumens,dit-il,sûrdelui.Tuasenviedemoi.Avoue-le.Illataquinait,riendeplus.Sielleéclataitderire,sielleplaisantaitaveclui,toutiraitbien.Mais
elleenétaitincapable.Parcequ’ill’attirait,bienplusqu’ellenel’auraitsouhaité.Elleouvritlaboucheetlarefermaaussitôt.Ensentantsesjouess’enflammer,ellefitlevœud’être
miraculeusement transportée ailleurs. Dans un autre hémisphère, de préférence. Comme cela ne seproduisaitpas,elleattrapasonsacàdos,selevaetmarmonna:
—Jedoisyaller.Kiplingselevad’unbond.—Destiny,non…Neparspas.Jetetaquinais.Ellesecoualatête,fitvolte-faceetpritlafuite.Asongrandsoulagement,Kiplingnecherchapasàlasuivre.Propulséeparunmélangedegratitude
etdepeur,elleallaseréfugierdanssonbureau.Lacachettelaplusridiculequisoit,pensa-t-elle.Commes’ilnesavaitpasoùelletravaillait!Maisoùaurait-ellepuallerd’autre?
Elle referma la porte derrière elle et s’y adossa. Tout ce qu’elle demandait, c’étaient quelquesminutesdesolitude.Disonsuneheure,afindedéterminerquelétaitsonproblème,etcommentyremédier.Yremédierrapidement.
***
A17heures,DestinyavaitréussiàchasserleproblèmequereprésentaitKiplingdesonesprit.Lerépitn’étaitsansdoutequetemporaire,maiselles’encontenteraitbienvolontiers.
MaissielleavaitplusoumoinsréussiàoublierKipling,ellesemblaitincapabled’effacerdesonespritlesremarquesqu’ilavaitfaitessurStarr:l’adolescenten’avaitpasdemaison,nulendroitqu’ellepuisseappeler«chezelle».
Destinynesavaitpascommentrésoudreceproblème,maisellesavaitcommentchangerlesidéesdesa sœur : en perpétuant l’antique tradition qui se transmettait dans sa famille depuis des générations,c’est-à-direensemettantauxfourneaux.
D’abord,elle fitune tarteauxmyrtilles.GrandmaNell luiavait appriscommentobtenirunepâteparfaite.Quandellefutcuite,ellelasortitdufouretlamitàrefroidirsurlatabledelacuisine.
Elleavaitaussiachetédequoifairedupouletfritetunesalade.Unbonplatdepouletfritrésolvaittouslesproblèmes…oupresque.
—Jesuisrentrée!lançagaiementStarr.Destinylarejoignitdanslesalon.—Alors,commentc’était?demanda-t-elle.Pourvuquelecompterendusoitpositif!
Avecunsourireradieux,Starrselaissatombersurlecanapéetrépondit:—Super ! Je suis vannée,mais c’était super.Le camp est immense. Il y a plein d’ateliers et de
zonesd’activitésdifférentes.Jesuisdansungroupequiétudielethéâtreetlamusique.Ilvaaussiyavoirdescoursd’informatiqueetdusport.Ilyabeaucoupdebruitetd’agitation,maisc’estvraimentamusant.Ilyaplusieursservicespourledéjeuner,parcequ’onesttellementnombreuxqueceseraitimpossibledetousmangerenmêmetemps.
Elles’arrêtaletempsdereprendresonsouffleetpoursuivit:—Ilyades jeunesquivontvivreaucamppendantquinze jours.L’undesmoniteursaditqu’ils
venaientdescitésdeLosAngeles.J’aiparléavecunefillequin’étaitjamaisalléeàlamontagne.Ellem’a dit que c’était la première fois qu’elle voyait une forêt ! Les seuls arbres qu’elle connaissait,c’étaientceuxqu’ilyadansunparcminuscule,toutprèsdechezelle.Ilyenahuit.Ellelesacomptés.
—Elleestsympa?demandaDestinyens’installantdanslefauteuil,enfaced’elle.—C’est lapremière foisque je rencontrequelqu’uncommeelle.Elleestmarrante,etelleaune
voixincroyable.Maissavieesttellementdifférente!Safamillen’apasd’argent.Jenesavaispasqu’ilyavaitdesgensquivivaientvraimentcommeça.
—Jesuisheureusequ’elleaitpuveniraucamp.—Moiaussi.J’aiégalementrencontrépleindejeunesquiviventenville.Ilyenaquelques-unsde
monâge.Ellebaissalesyeuxpendantquelquessecondesavantd’ajouter:—LefilsdeFeliciaestplutôtsympa.Ils’appelleCarter.Ilvoudraitmeprésenteràsesamis.Ila
ditquel’onpourraitsevoir.Destinysefigea.—Ungarçon?—Engénéral,unfils,c’estungarçon,réponditStarrenlaregardantd’unairmoqueur.Onestamis.
C’estchouette,non?Ilestsympa.Jel’aimebien.—Tul’aimesbiencomment?Starrlevalesyeuxauciel.—Dequoituaspeur?J’aiquinzeans.J’ailedroitdebienaimerungarçon.Touteslesfillesde
monâgeaimentbiencertainsgarçons.Destinys’exhortaaucalme.Ellepouvaitgérer la situation.Certes,c’était toutnouveaupourelle,
maisellepouvaitgérer.—Jecomprends,dit-ellelentement.Maistudoisêtreprudente.Nousdevonsl’êtretouteslesdeux.—Prudente?Dequoiest-cequetuparles?—Dequelquechosequiestdansnosgènes.Tiens,regardenoscheveuxrouxetnotredonpourla
musique.Nouslestenonsdenotrepère,pasvrai?—Oui,réponditStarrsuruntonméfiant.MaisjenevoispaslerapportavecCarter.—Lesparentspeuvent transmettrecertainesparticularitésà leursenfants.Tomberamoureuxsans
arrêt,parexemple.Tuasbienvucequ’avécunotrepère.Est-cequetuveuxvivrelamêmechose?C’estunequestionàlaquelletudoisréfléchiravantdeprendreunedécision.Situneréfléchispas,tupourraispasseràl’acte,avecungarçonsympa,justement.Etl’actesexuelestquelquechosededangereux.
—Nemeparlepasdeça!répliquaStarr.Jeneveuxpasparlerdeça.J’aiquinzeans.Jesaisqu’ilyadesjeunesquifont…ça,maispasmoi.Pourquiest-cequetumeprends?
—PourlafilledeJimmyDon.Crois-moi,j’airencontrélemêmeproblèmeetj’aidûlutterpourlesurmonter.Tudoisêtreprudenteaveclesgarçons.
—C’estpourçaquetun’espasmariée?Parcequetuesprudente?—Non.C’estparcequejesaiscequejecherche,etquejenel’aipasencoretrouvé.Starrfronçalessourcils,dubitative.
—Qu’est-cequetuveuxdireparlà?Tuasfaitunelistedecequedoitêtreunhomme?—Oui,j’enaifaitune.Jeveuxchoisirdefaçonraisonnablel’hommeaveclequeljevaispasserle
restedemavie.—Mais l’amour n’est pas raisonnable,murmuraStarr, toujours aussi perplexe.Mêmemoi, je le
sais.—Tuasraison.L’amour,cenesontquedesmotsetdelachimie.Iln’apasbeaucoupdevaleur.
Mieuxvautsefondersurdescritèreslogiquesetraisonnables.C’estlameilleurefaçondeconstruireunerelationdurable.
Ellene savaitpas siStarr allait comprendre sonpointdevueou la traiterd’idiote,mais ellenes’attendaitvraimentpasàvoirlesyeuxdel’adolescentes’emplirdelarmes.
—Tucroisvraimentça?lançaStarrenselevant.Tucroisquel’amourn’existepas?Quemamèrenem’aimaitpas?
Destinyretintunjuron.Maisqu’est-cequiluiavaitprisdedireça?Elles’adressaitàunegaminedequinzeans,pasàuneadulte.
—Non!répliqua-t-elleenselevantd’unbond.Biensûrqu’ellet’aimait.Jeneparlepasdel’amourquiunitdesparentset leurenfant.Jeparlede l’amourentreunhommeetunefemme.Tamère t’aimaitplusquetout.
—Etqu’est-ceque tu en sais ? hurlaStarr.Ellen’aimait quemonpère et sesdrogues !Elle nem’aimaitpas!Ellem’abandonnaitsansarrêt,etelleafiniparmourir.Etj’aibiencomprisquemonpèresefichaitdemoi.Ilsaitàpeinequijesuis,etjevoisbienqu’ilneveutpasdemoi.Jenesuisiciqueparcequetun’aspaspufaireautrement.J’aipigé!
Retenantseslarmesàgrand-peine,elleajouta,criantplusfortencore:—Jesaisquejen’ainullepartoùaller!Jesaisquepersonneneveutdemoi!T’inquiètepas,j’ai
pigé!Etelles’élançaverssachambre,dontelleclaqualaportederrièreelle.Destiny se laissa retomber dans son fauteuil et enfouit son visage dans ses mains. Il y avait un
gouffre entre ce qu’elle avait voulu dire à sa sœur et lesmots qui étaient sortis de sa bouche.Alorsqu’ellecherchaitàprotégerStarr,ellen’avaitréussiqu’àlablesser.
Elleselevaetallafrapperàlaporteclose.—Starr,machérie?dit-elle.Jesuisdésolée.—Va-t’en!—Ilfautquenousparlions.—Paslapeine.Jetedéteste,Destiny.Puisquetunecroispasàl’amour,çadoitt’êtreégal.Fiche-
moilapaix!Ilyeutunclaquementsec,celuiduverrou,puisunsilencedequelquessecondes,suividesanglots
déchirantsquifirentàDestinyl’effetd’uncoupdepoignardenpleincœur.Elleselaissaglisserjusqu’ausol,devantlaportedelachambredesasœur,etessayadereprendresonsouffle.QueDieuluiensoittémoin,ellen’avaitpaslamoindreidéedecequ’elledevaitfaire.
***
Avantdevenirs’installeràFool’sGold,Kiplingnesavaitriendelafaçondontunpays,oumêmeuneville,étaitadministré. Ilpartaitduprincipeque l’administrationquotidienned’unecommunautésefaisait toutnaturellement.Commelaplupartdesgens, ilpestaitcontre les loisquisemblaientn’existerquepour créerdes interférences inutiles. Il n’avaitpas lamoindre idéedesprocessuscompliquésquipréludaientà lamiseenœuvredetouteunesériedeservicesquichangeaientdrastiquement laviedescitoyens.
Mais depuis qu’il était arrivé à Fool’s Gold, il assistait chaque mois à la séance du conseilmunicipal.D’abord, il avait craint de s’ennuyer,maismaintenant, il était toujours impatient de savoirdans les moindres détails ce qui se cachait sous chacune des décisions deMarsha. Et force était dereconnaître…quelamairedirigeaitsavilleavechabiletémalgréladifficultédelatâche.
Leflotininterrompudetouristesquisedéversaitdanslavilleàlongueurd’annéeavaitentraînésonexpansion.On y trouvait une université de premier plan et des douzaines demagasins prospères, quiavaienttousdesintérêtsetdesbesoinsdifférents.Parconséquent,chaqueconseilmunicipalétaitponctuéd’aumoinsunecrise…maisaussid’unmomentd’uncomiqueachevé.
A la réunion du jour, l’intermède comique fut fourni par Eddie et Gladys, les deux dames d’uncertain âge qui avaient voulu s’engager comme bénévoles lors de la récente réunion de HERO.Maintenant,ellesexigeaientdeprésenteruneémissionsurlachaînedetélévisionparcâbledelaville,etMarshafaisaitdesonmieuxpourlesendissuader.Entempsnormal,Kiplingauraitmisésurelle,maisEddie et Gladys, qui étaient aussi déterminées l’une que l’autre, lui tenaient farouchement tête. Ledialogueencoursluifitregretterdenepasavoirapportédepop-corn.Ça,c’étaitduspectacle!
—Vousnepouvezpasnousenempêcher!lançaEddie.Noussommesdansunpayslibre.Jeconnaismes droits. La chaîne municipale publique est, comme son nom l’indique, une chaîne destinée à lamunicipalité.Dansnotreémission,nousparleronsdetoutlemonde.
—Surtoutdeshommes,précisaGladysdansungloussement.—C’estbiencequim’inquiète,réponditMarshaenlesdévisageanttoutesdeux.Ilyadesloistrès
strictesencequiconcernelanudité.Eddiehaussalessourcilsavectantdeforcequ’ilsrejoignirentpresquesescheveux.—Est-cequevoussous-entendezquedespersonnesnuesapparaîtrontdansmonémission?—Onn’aurapascettechance,marmonnaGladys.—Oui,répliquafermementMarsha.Oudesphotosdéshabillées.J’aipriscontactavecmesamisde
laCommissionfédéraledescommunications.Ilsvontvoussurveiller,touteslesdeux.PatienceGarrett,lapropriétaireduBrew-haha,étaitassiseàcôtédeKipling.Ellesepenchavers
luietmurmura:—QuandMarshacommenceàparlerdesesamis,c’esttoujoursmauvaissigne.Sij’étaisEddieet
Gladys,j’auraislatrouille.—Ellesmettraientvraimentdeshommesnusàl’antenne?—Sanshésiter. Il y adeuxans, nous avonspubliéun calendrierpour leverdes fonds.Plusieurs
modèlesmasculins sont venus en ville pour une séance de photos de nu. Eddie etGladys étaient auxmeilleuresplacesetn’ontpasperduunemietteduspectacle.
—Ellesontpourtantl’airsiinnocentes.Patienceeutunsourirenarquois.—Neconfondspas«vieux»et«innocent».Ellespourraienttebotterlesfesses,etenbeauté.—Cesdeux-là?—Biensûr.Etcommetuesungentilgarçon,tunetedéfendraispas.—Jeprendsnote.Il reporta son attention sur l’échange en cours, avant de s’autoriser à jeter un coup d’œil sur sa
gauche.Destiny,quiétaitarrivéeenretard,avaittrouvéunsiègequelquesrangsdevantlui.Elleluiavaitsembléunpeutendue.D’abord,ils’étaitdemandésiellel’évitait.Aprèsleurdernière
conversation,aucoursdelaquelleelleluiavaitinvolontairementrévéléqu’ill’attirait,peut-êtrequesaprésencelamettaitmalàl’aise.Maismaintenant,ilcommençaitàpenserquesanervositén’avaitpaslemoindrerapportaveclui.Depuissonarrivée,ellen’avaitpasjetéunseulregarddanssadirection.
Soninstinctluisoufflaitquequelquechoselabouleversait.Certainementpassontravail,carlamiseàjourqu’ilrecevaitpare-mailchaquematinl’informaitqu’ilsétaientdanslestemps.Donc,ils’agissait
d’autrechose.D’unproblèmefamilial,peut-être?IlsetournadenouveauversMarshaetfitdesonmieuxpourécoutercequ’elleétaitentraindedire,
toutengardantunœilsurDestiny.Ilvoulaitluiparleravantqu’elleparte.Sielleavaitunsouci,peut-êtrequ’ilpourraitl’aider.
Laréunionpritfinauboutd’uneheure.Contrairementàcequ’ilauraitpensé,Destinys’attardapourparleràquelquespersonnes.Ilsedirigeaverselle.Quandillarejoignit,touslesautresavaientquittélasalle,etilsétaientseuls.
—Commentçava?demanda-t-il.—Mal,répondit-elleengrimaçant.JemesuisdisputéeavecStarr,hiersoir.Toutestmafaute.Je
mesuiscomplètementplantée.Elleaparléd’ungarçonqu’elleaimebien,etj’aieulamauvaiseréaction.—Ellesortaveclui?—J’espèrebienquenon!Jeluiaiditquel’amourn’étaitfaitquedechimieetdeparoles,maiselle
amalinterprétémespropos.Jeparlaisdel’amourentreunhommeetunefemme.Etelle,elleacruquejevoulaisdirequepersonnenel’aimait.
Ellesedétournaetpoursuivit:—J’aimeraispouvoirluidirequ’ellesetrompe,maiscommentest-cequejepourraisenêtresûre?
Notre père ne l’a pas vue depuis des mois, et sa mère est morte. Et moi, je ne suis que sa tutricetemporaireetjelaconnaisàpeine.Elleestcomplètementperdue,etpersonnenepourraitêtreplusmalplacéquemoipoursavoircequ’ilfautfaire.
Ilpassaunbrasautourdesesépaulesetlaserracontrelui.—Cen’estpasvrai.— Nous avons le même père, insista-t-elle. Quand je te dis que je sors d’une famille
émotionnellementinstable,tudoismecroire.—MaistuavaistaGrandmaNell.Elleétaitstable,elle.Ellet’aimaitet,auprèsd’elle,tutesentais
protégée.FaispourStarrcequ’elleafaitpourtoi.Destinyselaissaallercontreluipendantquelquessecondesavantdes’écarter.—Tuasraison,murmura-t-elle.IlfautquejepensecommeGrandmaNellauraitpensé.Cematin,
Starrnem’amêmepasadressé laparole.Elleest trop jeunepouraffronter toutça. Jedois trouverunmoyendel’aider.
—Etvotrepère?Ellesoupira.—Jel’aiappeléjusteaprèsquesonavocatm’ademandédem’occuperdeStarr.Ilestentournéeen
Europe,cetété.Iln’apasl’intentionderevenird’icioctobre.Etilnes’enfaitpaspourStarr.Ilestsûrquetoutsepasserabien.
Kipling sentit une colère familière s’éveiller en lui. La violence pouvait revêtir des formesmultiples;l’agressionphysiquen’étaitquel’uned’elles.
—Ensomme,ils’encontrefout.—Jenel’auraispasditencestermes,mais…oui,reconnutDestiny.Lescélébritésn’ontpasbesoin
deréparerlesdégâtsqu’ilscausent.Ilyatoujoursquelqu’unquiestprêtàs’enchargeràleurplace.Biensûr,jeneveuxpasdirequemasœurestundégât,mais…tumecomprends.
—Jecomprends,oui.Alors,quevas-tuluidire?Ellelevaversluisesgrandsyeuxvertsemplisd’émotion.—Jen’enaiaucuneidée,murmura-t-elle.Lavérité,jesuppose.Quej’aimalréagi.Quejetiensà
elleetquejeveuxqu’ellelesache.—Elleabesoindecomprendrequ’elleauratoujourssaplaceauprèsdetoi.—Jesais,répondit-elleenhochantlentementlatête.Maiscommentfaire?Monmétierexigequeje
medéplacecontinuellement.Jepeuxtoujourstrouverunemissionquidurerapendantlaplusgrandepartie
del’été,mais,ensuite,jedevrairepartir.—D’oùl’intérêtdel’internat.Est-cequ’elles’yplaît?—Ellenemel’apasdit.Tuasraison.Ilfautquenouscommuniquionsdavantage,afinqu’ellese
senteensécurité.ToutecettehistoireavecCarterm’acomplètementdéboussolée.—Jesuissûrqu’ilsnesontqu’amis.— C’est ce qu’elle a dit. Dire qu’il y a six semaines, je savais à peine qui elle était et que
maintenant…C’esttroppourmoi.D’instinct,illaserracontrelui.Ellen’opposaaucunerésistance;bienaucontraire,elleseblottit
contresontorseetnoualesbrasautourdesataille.Ils’enivraduparfumdesescheveuxetgoûta lachaleurdesoncorpsquis’emboîtaitàmerveille
contrelesien.Maisquandellesedégagea,ilnecherchapasàlaretenir.Ilsavaitqu’ilnedevaitpasfondertropd’espoirssurlafacilitéaveclaquelleelles’étaitrapprochée
de lui.Elle souffrait, et il représentaitpourelleuneépaule sur laquelle s’appuyer.Mais il aimaitêtrel’épaulesurlaquelleellesereposait.Dumoinspourlemoment.Parcequ’ilétaitcommeelle:ilnetenaitpasenplace.Pasphysiquement,maisémotionnellement.
—C’estensefaisantdesamisdesonâgequ’ellepourraenfinsesentiràsaplace,reprit-il.—Jesais.Quandelleestrentréeducamp,hiersoir,elleavaitl’airvraimentheureuse.—Ethan,l’undemesassociés,aunefilledumêmeâge.Jepourraisl’appeleretluiproposerque
Starr et Abby aillent au cinéma toutes les deux le soir de l’inauguration de laMan Cave. Et toi, tupourraisveniravecmoi.Vousvousamusereztouteslesdeux,etcelavousferadubiendeprendreunpeudereculaveclasituationquevousvivezàlamaison.
Elleluisourit.—Tuesencoreentraindetoutvouloirarranger.—Maistunetrouvespasquec’estunebonneidée?Ellehésitaquelquessecondesavantd’acquiescer.—Unetrèsbonneidée,même.
7
Destinys’était installéedans lesalonpourattendre leretourdeStarr.Elleavait réfléchiàcequin’allaitpasentresasœuretelle,etsadiscussionavecKiplingl’avaitbeaucoupaidée.Elleappréciaitvraimentlagentillessedontilavaitfaitpreuve.Avant,elleavaitGrandmaNell.Etendehorsdesagrand-mère… personne. Le constat était simple et terrifiant : elle n’avait pas d’amis. Les relations qu’ellenouaitn’étaientjamaisquetemporaires.
Normal.Jamaisellenerestaitnullepartplusdetroismois.Unenouvellemissionfinissaittoujourspar l’appelerailleurs.Alors,pourquoi trops’attacher?En théorie,c’étaitunmodedevie fantastique,mais,enpratique,elledevaittoujourstoutreprendreàzéro.Saviemanquaitdecontinuitéémotionnelle,cequin’étaitpasvraimentsain,etlacontraignaitàmeneruneexistenceassezsolitaire.IlavaitfallucettedisputeavecStarrpourqu’elles’enrendecompte.
Ellen’avaitpersonneàappelerpourdiscuterdelasituation.Ilyavaitbiensamère,maisdemanderconseilàLaceyMillsausujetdelafillequesonex-mariavaiteueavecl’unedesesmaîtressesn’étaitpeut-êtrepasunetrèsbonneidée…
Laportes’ouvritenfinsurStarr.Contrairementàlaveille,l’adolescentenesemblaitniheureusenienthousiaste.Elle jeta un regard rapide versDestiny avant de détourner les yeux.Mais, au lieu de sediriger vers sa chambre, elle vint s’asseoir sur le canapé et s’absorba dans la contemplation de sesmains.
—Comments’estpasséetajournée?demandaDestiny.—Bien.—Lecampteplaîttoujoursautant?L’adolescentehochalatêtesansrépondre.Destiny chercha les paroles empreintes de sagesse qui s’imposaient,mais ne les trouva pas.Les
conseilsdeKipling,pourexcellentsqu’ilssoient,nel’aidaientenrien.Ellen’avaitpaslamoindreidéedecequesagrand-mèreauraitpudirenonplus—essentiellementparcequeGrandmaNellneseseraitjamaisretrouvéedanscegenredesituation:elleétaitbientropfutée.
—Jetedemandepardonpourhier,Starr.Pourcequej’aidit.JemesuisfaittouteunemontagnedetonamitiéavecCarter.Jesaisquej’aiprojetésurtoimespropresinquiétudesetmesproprespeurs.Jenedevraispasfaireça.
Starrrelevalatête.—Tuaspeurdeshommes?— Non. Seulement peur de me tromper. De perdre la tête. Mais ce n’est pas le sujet. Pour le
moment,jeveuxparlerdetoi.Denous.Starr,tuesmasœur.—Tademi-sœur,rectifial’adolescente.C’esttoujourscommeçaquetumeprésentes.
Destinysentitsesyeuxs’écarquiller.Ellevoulutprotestermais,aprèstout,Starrdisaitvrai…—Pardonne-moi,dit-elleenfin.Jeneleferaiplus.Parcequenoussommessœurs.Nidemi-sœurs
nitroisquartssœurs.Justesœurs.Starrlafixapendantunlongmomentavantdemurmurer:—D’accord.—Sinotresituationestdifficile,c’estsurtoutparcequenousnenousconnaissonspas.Etjeveux
queçachange.Jeveuxquetusoisheureuseici.Avecmoi,jeveuxdire,puisquenousquitteronsFool’sGoldquandmamissionseraterminée.
—Etoùest-cequetuiras?—Jenesaispasencore.—Tuchangesd’endroittouslesdeuxmois?—Apeuprès,oui.Jepeuxessayerdepassertoutl’étédanslamêmevillemais,lerestedel’année,
jedevraichangerdevilletouslesdeuxmoispourmontravail.—Donc,pourmoi,c’estl’internat,conclutStarrenbaissantdenouveaulesyeuxverssesmains.Je
supposequec’estcommeçaqueçavasepasser.Onnepouvaitpasdirequ’elleexprimaitbruyammentsahâtede retrouver l’internatet sesamies,
pensasombrementDestiny.Maisquelleautresolutionavait-elle?—Nousseronsensemblepourlesvacancesetpendantl’été,dit-elle.Situesd’accord.—Tudisçaparcequetuescoincéeavecmoi.—Jen’aipasl’impressiond’êtrecoincéeavectoi.Enfait,c’estmêmeplutôtsympadet’avoiravec
moi.Tuasraison,jesuistoujourslanouvellepartoutoùjevais,etmavieestassezsolitaire.Alorsc’estvraiment agréable d’avoir ma petite sœur auprès de moi. Au cas où tu penserais le contraire, je neregrettepasquetusoisici,Starr.
Sasœurladévisagea.—Vraiment?—Jetelepromets,répondit-elleensouriant.Etmaintenant,jevaisallerpréparerdupouletfrit.J’ai
toutcequ’ilfaut.J’avaisprévudelefairehiersoirmais,avectoutcequis’estpassé,jenel’aipasfait.J’aimeraist’apprendrelavieillerecettefamiliale.Tuesd’accord?
—Biensûr.Laisse-moijusterangermesaffaires.Ellequitta lesalonetDestiny lasuivitdesyeuxheureuseetsoulagéequecettediscussionsesoit
bienpassée.Cesoir,après ledîner,ellespourraient jouerunpeudeguitareensemble.Ellemontreraitd’autres accords à Starr et lui apprendrait à jouer une ou deux des chansons de leur père. Si ellesfaisaienttoutesdeuxdesefforts,ellespouvaientarriveràdevenirunevraiefamille—danslesfaits,etpasseulementenparoles.
***
Lastatued’hommedescavernes installéeà laporte remportaplusdesuccèsqueKipling l’auraitpensé.Presquetouteslespersonnesquipassaientlaportes’arrêtaientpourlaprendreenphoto,oupourêtreprisesenphotodevantelle.Ilyeutaussiquelquesselfieshilarants.
Cesphotosétaient ensuite envoyéespar textoaubar etprojetées sur les écransde télévision.Lediaporamaprovoquaitlesapplaudissementsetlesriresdesclients.
Kipling déambulait parmi la foule. Sans aller jusqu’à compter les clients, il avait l’impressionqu’ils approchaient de la capacité maximale du bar. Peut-être que les pompiers attachaient del’importanceàcegenrededétails,maisiln’étaitpasdésagréabledevoirlesclientsfairelaqueuedevantlaportedel’établissement.
Tout en souhaitant la bienvenue aux nouveaux arrivants et en gardant unœil sur les serveurs, ilattendaitqueDestinyarrive,etilvoulaitêtresûrdelavoiràl’instantoùellepasseraitlaporte.
«L’anticipation»,pensa-t-ilavecunsourire.Voilàqui laissaitprésagerunebellesoirée.Destinyétait une femme compliquée, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Seules lesmauviettes préféraient lafacilité.Travaillerdurpourobtenirceque l’onvoulait rendait la récompenseplusdouceencore.Et ilauraitsarécompense.Destinyétaitpeut-êtreunpeu…nerveuse,maisellefiniraitparsedétendre,illesavait.Elleavaitseulementbesoindesesentirensécurité.
Ilsedirigeaverslecomptoirens’arrêtantpourparlerauxclients.Ilyavaitmoinsdesixmoisqu’ilétaitenville,maisilconnaissaitàpeuprèstouteslespersonnesprésentes.
Nickluifitsigne.Ils’excusaauprèsdesoninterlocuteuretrejoignitsongérant.—Qu’est-cequ’ilya?—C’estofficiel.Ceweek-end,Jofermelesoir.—LaJoduJo’sBar?—Elle-même.—Etqu’est-cequeçaadetellementextraordinaire?UneexpressiondepitiésepeignitsurlevisagedeNick.—Tunepigestoujourspas.Lesfemmesdecettevilleontbeaucoupd’influence.LeJo’sBarestleur
endroit.Sinousvolonsunepartiedesesbénéfices,Joneserapascontente…etcesdamesneleserontpasnonplus.
MaisKiplingrefusaitdeprendrecetteinformationenconsidération.—Nousvisonsuneclientèledifférente, fit-il remarquer.Laplupartdenosclientsne sont jamais
alléschezJo.Nousneluiprenonsrien.Etd’ailleurs,lamoitiédenosclientsserontdestouristes.Pour lui, cela ne faisait aucun doute. Ses associés et lui avaient discuté de leur plan de
développementlorsdenombreusesréunions.Touspensaientqu’ilsferaientplusd’affairesenété,quandles touristes seraient là. Et en hiver, c’étaient les types qui regardaient le sport à la télé qui leurpermettraientdetenirlecoup.QuantàJo,ellegarderaitsaclientèleféminine.
—Nousrépondonsàunbesoin,poursuivit-il.Quandjesuisarrivé,j’aientendulesgarsseplaindrequechezJo,ilsétaientreléguésdanslasalledederrièreetquelestélésn’étaientpasassezgrandes.
—C’estunefaçondevoirleschoses.—Tut’inquiètespourrien.Nickhaussalesépaules.—Jevoulaisjustequetusoisaucourant.Tiens…,ajouta-t-ilentendantlebrasverslaporte.Tuas
delacompagnie.Kipling se retourna et vit Destiny. Aussitôt, le brouhaha ambiant s’estompa et les lumières se
réduisirentàununiqueprojecteurbraquésurelle.Lajeunefemmeétaitd’unebeautéàcouperlesouffle.Elles’étaitfrisélescheveuxetmaquillée.C’étaitlapremièrefoisqu’illavoyaitainsipomponnée,
et le résultat était impressionnant. Ses yeux verts semblaient immenses, ses cheveux n’étaientqu’ondulations,etsabouched’unrosebrillantesquissaitunemouedélicieusequiappelaitlebaiser.
Ilsefrayauncheminparmilafoulepourlarejoindre,sansadresserlaparoleàquiquecesoit.Elleétaittoutcequiluiimportait.Toutcedontilavaitbesoin.Ens’approchant,ilvitqu’elleportaitunevestecourtepar-dessusunchemisierajustéfaitd’uneespècededentelleblanche,ainsiqu’unjeanétroitetdesbottes. Le mariage parfait du pratique et du sexy. C’était le genre de tenue que seules les femmespouvaientporter,etilpensaitpouvoirdire,aunomdetousleshommesquipeuplaientcetteterre,quelerésultatétaitfantastique.
—Salut,dit-il.Ellelevitetluisourit.
—Saluttoi-même.Félicitations!Ilyatouteunefiled’attentequipiétinedevantlaporte,etlerestedelavilleestétrangementvide.C’estuneréussite.
—Dumoinspourcesoir.Ilpritsamainetl’attiracontreluiavantdel’embrassersurlajoue.—Mercid’êtrevenue.—Çavaêtreamusant.Illadévisageaavecattention.—Tuasmeilleuremine.Tut’esréconciliéeavecStarr?—Commentas-tudeviné?—Tuesplusdétendue.—Tulistropfacilementenmoi.Jen’aimepasvraimentça.Laplupartdesgensontdumalàsavoir
cequejepense.—Dis-toiquej’aiundon.—Jenesuispassûred’avoirenviedem’engagersurceterrain.—Alors,nousallonstefaireboireetvoiroùçanousmène.Elleéclataderire.—Aumoins,tuaslafranchisedenepasdissimulertesintentions!Ilsepenchaverselleetmurmura:—Mesintentionssontmauvaises.Elledétournalesyeuxetrougitlégèrement.—C’est bien ce que je soupçonnais, répliqua-t-elle. J’ai bien peur que cette soirée ne soit une
déceptionpourtoi,alors.Illâchasamainpourpasserlebrasautourdesesépaules.—Cequim’intéresse,c’estdetravaillerpourparveniràmesfins.Net’enfaispaspourmoi.—Parcequecequetuaimes,c’estlaconquête?Tuesbienunhomme.—J’aimetout.Et…oui,jesuisbienunhomme.Ilsretournèrentverslecomptoir.Lesclientss’ypressaientsurtroisouquatrerangs,maisKipling
savait que s’il se mettait tout au bout, les serveurs le verraient. Etre associé dans un bar avait desavantages.Entreautres,onn’attendaitpaspourêtreservi.
—Qu’est-cequetubois?demanda-t-ilàDestiny.—Nerispas,maisj’adoreraisprendreunOldFashioned.—Çanem’étonnepasdetoi.TuesunevraiefilleduSud.Il commanda le cocktail et une bière pour lui. Il y avait tellement demonde qui se pressait aux
abordsducomptoirqueDestinyétaitcontraintedesecollercontrelui…cedontiln’allaitsurtoutpasseplaindre.
Quand ilseurent leursverres, il l’entraînavers la salledu fond. Ilyavaitmoinsdemonde,et laportedederrièreavaitété laisséeouverteafinde faireentrerunpeud’air.Enchemin, il s’arrêtaà latablequ’occupaientlesfrèresHendrixpourlessaluer.
—Destiny,jeteprésenteEthan,KentetFordHendrix,dit-il.VoiciDestinyMills.Elleesticipourmettre l’unité de secours sur pied.Mais vous étiez sans doute à la réunion de présentation du projetHERO.
Ethanlevasabière.—Ravidevousrencontrer,Destiny.VousêteslasœurdeStarr,c’estbiença?Vousavezrencontré
mafemmeLiz,toutàl’heure.—C’est vrai, réponditDestiny en se tournantversKipling. J’ai suivi ton conseil.Starr passe la
soiréeavecAbbyetsesamies.—J’ensuisheureux.
Il se demanda si ce n’était que la soirée…ou aussi la nuit.Voilà qui serait pratique,même s’ildoutaitqueDestinysoitdugenreàcoucherlepremiersoir.Maiscen’étaitpasgrave.Ilseraitravidedevoirattendre,sic’étaitcequ’ellevoulait.
—Bonboulot,Kipling,fitremarquerEthan.Cetendroitestsuper.—Merci.Oùsontvosdames?—Ellesontditquecen’étaitpasleurtruc,réponditFord.Ellespassentlasoiréeàfairedesgâteaux
avecnotremère.—Etoùenestvotrepari?FordetKentéchangèrentunlongregard.—Toutvabien,réponditKent.C’estmoiquigagne.Fordpoussasonfrèreducoudeetlança:—Qu’est-cequetuensais?Kentluirenditsabourrade.—J’aitouteconfianceenmafemme.Ethan,quiétaitassisdel’autrecôtédelatable,secoualatêted’unairnavré.—Vousêtesdesidiots,touslesdeux.Vouslesavez?KiplingsetournaversDestiny.—FordetKentsesont lancéundéfi,expliqua-t-il.C’estàceluiquimettra lepremiersa femme
enceinte.—Vouspariezvraimentlà-dessus?s’exclamaDestiny.Kenthaussalesépaules.—Oui,maiscelan’ariendevraimentsérieux.—Etc’estbienpourçaquejevaisgagner,lançaFordd’unairsuffisant.Attendez,etvousverrez.—Etqu’est-cequevosfemmespensentdecepari?demandaDestiny.—Ehbien, elles…ah, elles ne sont pas vraiment au courant, avouaKent àmi-voix.Nous vous
serionsreconnaissantsdenepasenparler.—ParcequesiIsabell’apprend,toutcequiarrivera,c’estqu’elleserafollederage,avouaFord.
EtsiConsuelodécouvrecettehistoire,elleesttoutàfaitcapabledetetuer.—C’estvrai,reconnutKent,amusé.Ethanlevalesyeuxauciel.—Mesfrèressontdesidiots.Jen’ensuispasfier,maisilfautbienquejefinisseparregarderla
véritéenface.Desidiotsfinis.Kiplingéclataderire.—J’aihâtedesavoircommenttoutecettehistoirevaseterminer!IlpassadenouveausonbrasautourdesépaulesdeDestiny,etilstraversèrentlasalledufondpour
sortir sur la terrasse. Là, il n’y avait pas beaucoup demonde, et l’air frais de la nuit… était un vraibonheur.Avecunpeudechance,peut-êtrequeDestinyauraitfroidetqu’elleseblottiraitcontrelui…
Elles’assitàl’unedestables,etils’installafaceàelle.—JesuisheureuxqueleschosesaillentmieuxavecStarr.—Moiaussi.Pendantquelquesinstants,ellesirotasoncocktail,sansleregarder.—Kipling,qu’est-cequetuveuxdemoi?demanda-t-ellesoudain.—Cesoir,ouengénéral?—Lesdeux.—Cesoir,j’aimeraisquetut’amuses.Etensuite,j’aimeraisvoiroùmènentleschosespournous.Ilauraitpusemontrerplusexplicite,maisquelquechoseluidisaitqueDestinynel’auraitpasbien
pris.Pourquelqu’unquiaffichaitautantd’assurancedanssontravail,elleétaitétonnammentcoincéeen
cequiconcernaitsavieamoureuse,visiblement.—Tusaisquejenevaispasresterici,dit-elle.—Oui,jesais.Jenechercheriendedurable.Jesuisunadeptedelamonogamieensérie.—Trouverplusnet’intéressepas?Biensûrquesi,queçal’intéressait.Seulement,ilsemblaitincapabled’atteindrelestade«Waouh!
jesuisamoureux».Surtoutparcequ’ilnepouvaitpassefaireà l’idéeque l’amouravaitbeaucoupdevaleur.Fairecequ’ilfallaitétaittellementplusproductifqued’yréfléchir.
—Biensûr,répondit-il.J’aimeraismemarier,fonderunefamille…Maisilexprimaitplusunrêvequ’uneréalité.—Unjour,conclut-il.Ettoi?—Pareil.Unjour.—Ah,vousêteslà!lançasoudainlavoixdeShelby.Elles’assitàleurtable,àcôtédelui,etl’embrassa.—Tuasréussi,grandfrère.Cetendroitaunsuccèsd’enfer.Félicitations!
***
L’arrivéedeShelbyfournitàDestinyuneoccasiondes’éclipser,sousprétexted’allerdirebonjouràquelquesamis.Ellen’avaitvupersonnequ’elleconnaissaitvraiment,maisilluifallaitunmomentloindeKiplingpour reprendre ses esprits.Siroterdubourbonen regardant cethommedroit dans lesyeuxavaituneffettroublantsursonéquilibremental.Amoinsquecenesoitcetteconversationsurlemariageetlesenfantsquil’aitperturbée.
Biensûr, ilnes’étaitpasproposépourêtre lepèredesesenfants.Maisunefemmeavaitbien ledroitde rêver,non?EtKiplingGilmoreétait indubitablement à classerdans la catégoriedeceuxquipeuventsusciterdesrêvesagréables.
Elleretournaàl’intérieuretseheurtaaussitôtàunevéritablemuraillesonore.Ilyavaitencoreplusdemondequetoutàl’heure!Sitoutefoisc’étaitpossible.
Lamusiquen’étaitpastropforte,desortequel’onpouvaitteniruneconversationsansavoirbesoindecrier.Lalumièreidéale.L’alcoolcoulaitàflots,etlesphotosprisesàlaported’entréedéfilaientsurlesécransdetélévision.Plusieursclientsjouaientaubillard.Etsilasalledepokerservaitencemomentàfournirplusdeplacesassises,ilyavaituneaffichequiindiquaitlejouroùlespartiescommenceraient,accompagnéed’unefeuilled’inscription.
Si elle fermait les yeux, elle avait l’impression d’avoir de nouveau entre cinq et huit ans, l’âgequ’elleavaitquandellevoyageait avec sesparents.Mêmes’ils étaientd’immensesvedettesquine seproduisaientpasdanslesbars,ilsaimaientyalleraprèslesconcerts,etl’emmenaient.Ilyavaittoujoursunesalleoùl’onpouvaitl’installerconfortablementsurunlitdemanteaux.
Ellesesouvenaitencoredesbruitsetdesodeurs,éclatsderireetrelentspersistantsdetabacetdefriture.Pastrèsédifiantcommeenvironnement,maisc’étaitainsiqu’elleavaitgrandi.
Cen’étaitqu’après s’être séparésque sesparents avaient eud’autres enfants.Desdemi-frèresetsœurs qu’elle n’avait pas tous rencontrés. Que se serait-il passé si Lacey et Jimmy Don avaient eud’autresenfantsensemble?Seseraient-ilsvuscontraintsderessemblerunpeuplusauxautresparents…ouprenait-ellesesdésirspourdesréalités?
Unserveurs’avançaverselle,ladébarrassadesonverrevideetluientenditunautre.—Voilàpourvous,dit-il.Nickm’ademandédevousdirequ’ilfaituntrèsbonOldFashioned,et
quetroppeudegensenboivent,denosjours.—Merci.
Ellesetournaverslecomptoiretlevasonverreàl’adressedeNick,quiluiréponditd’unsignedela main. Juste comme elle prenait une première gorgée, Madeline surgit devant elle, une coupe dechampagneàlamain.
—Oh,monDieu!TuesvraimentlaseulefilledeLaceyetJimmyDonMills?CettefamilleMills-là?Maistufaispartiedel’aristocratiedelacountry!
Heureusement,Madelinenesemblaitpas luienvouloirdenepasavoirdivulguél’information—elle avait surtout l’air intriguée—,mais ce fut avec une certaine prudence que Destiny lui demandacommentellel’avaitsu.
—ParMiles,réponditMadelineavecungrandsourire.Onestallésprendreunverre,hiersoir.C’étaitduMilestoutcraché,ça.Ilfourraittoujourssonnezlàoùiln’auraitpasdû.Unefoisdeplus,
ilallaitfalloirqu’ilsaientunepetitediscussion,touslesdeux.—Tunenousavaisriendit,ajoutaMadeline.—Jen’enparlepassouvent.—C’estcequejevois.Madelinelapritparlebrasetl’entraînajusqu’àunepetitetable,dansuncoin.—Etjecroisquejecomprendspourquoi,poursuivit-elle.Toutlemondevoudraitquetuneparles
quedetescélèbresparents,pasvrai?Maisbonsang!J’ensuisrestéebaba.Elles s’assirent l’une en face de l’autre et, avant que Destiny ait trouvé un autre sujet de
conversation,Madelineenchaînait:—Ettudoissavoirchanter,toiaussi.Alorspourquoiest-cequetufaiscemétier?Tun’aimespas
lemilieudelamusique?Destinypritunegrandegorgéedesoncocktailetsedemandaparoùcommencer.Maintenantquele
sujetétaitlancé…—Jen’ai jamaisvoulude laviequemenaientmesparents, avoua-t-elleenfin.De l’extérieur, le
milieu de la musique ressemble à un conte de fées. Mais quand tu es dedans… c’est un universimpitoyable.Touscesvoyages,toutecettefolie…Cen’estpaspourmoi.
—Donctuesunepersonnenormale,répliquaMadelineenriant.Ducoup,jet’aimeencoreplus.—Merci.Est-cequetusaissiMilesenaparléàquelqu’und’autre?—Aucuneidée.Ecoute,jevoisbienqueçat’embête,toutça.Jenedirairienàpersonne,jetele
promets.MaissiMilesm’enaparlé,ilenparlerasansdouteàd’autres.—Jesais. Je luiaidéjàdemandéd’êtrediscretausujetdemafamille,mais ilnem’écoutepas.
Quandils’agitdelaviedesautres,ilestaussibavardqu’unjournalpeople!—Oh,ça,pourêtrebavard!répliquaMadelineenriant.—Attends…Est-cequevoussortezensemble,touslesdeux?Parcequejeneveuxpasmemontrer
indiscrète.—Non.Onestallésprendreunverreensemble,maisiln’estpasmongenre.—Pourtant,ilestbeau,etc’estunvraidonJuan.—Vraiment ?Alors, jedevrais tomberamoureusede lui.Mais… jene saispas. Iln’yapas eu
d’étincelle.Etmaintenantquejesaisquetuluiasdemandéd’êtrediscretetqu’ilnel’apasété,jamaisjenepourrailuifaireconfiance.Jeveuxunhommeintègre.Quelqu’unquisesouciedemafamille.
Ellesirotaunpeudechampagneavantd’ajouter,songeuse:—C’estplutôtmarrant.Jepassemesjournéesàaiderdesfuturesmariéesàchoisirlarobedeleurs
rêves,etjen’arrivepasàtrouverl’amourdemavie.—Est-cequetulecherches,aumoins?—Bonne question !En fait…non.Ça fait unmoment que j’ai arrêté.Comme j’ai grandi ici, je
connaislaplupartdeshommesdemonâge.Soitjesuissortieaveceux,soitl’unedemesamiesl’afait.Etquandjeregardemesparents…Ilssontmariésdepuisuneéternité.Quandjesuisnée,leurvieaété
chamboulée. Ils essayaient d’avoir un enfant depuis des années, et c’est juste au moment où ilsrenonçaientquejesuisarrivée.Ilssontadorables,ettoujoursaussiamoureuxaprèsquarante-cinqansdemariage.
—C’estmerveilleux.Elle savait qu’unpetit nombredepersonnes connaissaient cegenred’amour romantique,mais ne
l’avaitjamaisvuelle-même.Pasdeprès,dumoins.—Donc, çamet la barre assez haut, poursuivitMadeline. Et comme je ne veux surtout pasme
tromper…Mamèrem’atoujoursditqu’elleatoutdesuitesuquemonpèreétaitl’hommedesavie.Qu’ilyaeucommeunéclair. Ila ressenti lamêmechosepourelle.Moi, j’attendsencore.Mais je jurequequandjeverraicetéclair,jemejetteraisurletype,enmemoquantpasmaldequiilest!conclut-elleenriant.
Elles’interrompituninstantetgrimaça.—Amoinsqu’ilsoitmarié.Sic’estlecas,ilnemeresteraplusqu’àdevenirbonnesœur.—Tuescatholique?—Non,réponditMadelineensouriant.Maisjenepensepasquecesoitunobstacleinsurmontable,
si?Elles éclatèrent de rire, et la conversation— surtout alimentée parMadeline !— se poursuivit.
Bientôt,Shelbylesrejoignitetlesinvitatoutesdeuxàdéjeunerlelendemain.Destinyfutcontented’êtrecomprise dans l’invitation. C’était bien différent des relations superficielles qu’elle nouait d’habitudedanssontravail.Bienplusagréable,aussi.
D’autresverres leurfurentapportés,etellesentitsanervositésedissiperpeuàpeu,d’autantqueMadelineneparlapasdeLacyetJimmyDon.Ellepassaitunebonnesoirée,sedit-ellesoudain.Etcelafaisaitlongtempsquecelaneluiétaitpasarrivé.
Et sa soirée fut encoremeilleurequandKiplingvint lachercherpour l’entraînerdansunbox. Ilss’assirentcôteàcôte,etilpassatoutnaturellementlebrasautourdesesépaules.Ellenesedégageapas;elleaimaitlesentirtoutprèsd’elle.Envoyantquelquescouplesdanser,ellesedemandacommentilétaitavantl’accident.Passurleplanphysique,maissurleplanémotionnel.Avait-ilchangéenfrôlantlamort,puisenapprenantqu’ilneremarcheraitpeut-êtrejamaisplus?Sûrement.C’étaitpeut-êtremêmeàcausedesonaccidentqu’ilvoulaittoujoursrésoudrelesproblèmesdesautres.Amoinsquecelaait toujoursfaitpartiedesoncaractère.
Auxenvironsde22heures,quelqu’unallumalamachineàkaraokéetlesvolontairescommencèrentàchanter.
Soudain, l’introduction familière de Friends in Low Places, de Garth Brooks, s’éleva. Elle setourna vers la scène. Bien sûr,Miles était là, et s’apprêtait à entonner la seule chanson qu’elle l’aitjamais entendu chanter. Elle ne voyait aucun inconvénient à ce qu’il interprète sa version, mais elleredoutaitcequiallaitsepasserquandilauraitfini.
—Jeferaismieuxdepartir,dit-ellesoudainenselevant.Ellesortitdubox,maisKiplinglasuivitetluipritlamainavantqu’elleaitpus’enfuir.—Pasdéjà.Ilestencoretôt.Reste.—Non,jedoisyaller,dit-elle.Milesétaitpresquearrivéàlafindelachanson…—Jedoisvraimentyaller,répéta-t-elle,auborddelapanique,soudain.—Maisnousn’avonspasencoredanséensemble.Destiny,tunepeuxpasmelaissertombercomme
ça.—Cen’estpastoi.Seulement,ilyadeschosesqui…Lachansonsetermina,etdesapplaudissementséclatèrent.Milesremerciasesfans,etDestinysentit
soncœurbattreunpeuplusfort.Ellen’avaitpasbesoinderegardersonamipoursavoirqu’iljubilaità
l’idéedecequiallaitsepassermaintenant.—Jesais,dit-ild’unevoixfortepoursefaireentendremalgrélevacarme.C’étaitsacrémentbien,
pasvrai?Maissivouspensezquec’étaitimpressionnant,attendezd’entendrenotreprochainechanteuse.Destiny,machérie,oùes-tu?
Ellesefigea.—Tuchantesenpublic?luidemandaKipling,étonné.Jepensaisquetuvoulaisquepersonnene
sachequituétais.—Non,jenechantejamaisenpublic.Maiscen’estpaslapremièrefoisqueMilesmefaitcecoup-
là.Lesprojecteursbalayèrentlasalleavantdesefixerenfinsurelle.—Tevoilà!lançaMiles.Viens,Destiny.Chante-nousunechanson.Commeellesecouaitlatête,ilpoursuivit:—Oh!maisc’estqu’elleesttimide!Allez!Encourageons-launpeu!Destinysentitquelafoules’ouvraitdevantelle,luidégageantuncheminquimenaitdroitàlascène.
Ellenebougeapas.Maisbrusquement…ellefutsurlascène.Ellen’avaitpassouvenird’avoirmarchéjusque-là et, pourtant, la preuve était irréfutable.Une fois de plus, elle avait cédé et,maintenant, elleallaitdevoirchanter.
Sisamèreavaitétélà,elleluiauraitditquelebesoindeseproduireétaitdanssonsang,danssesgènes.Qu’ellepouvaitrésisterautantqu’ellelevoudrait,ellefiniraitparseretrouverexactementlàoùelledevaitêtre.
Elleprit lemicroqueluitendaitMiles,et lafoulel’acclama.Milesavançaverslamachineetfitdéfilerleschansons.Ilenchoisitune,l’interrogeaduregard,etelleacquiesça.«Autantyaller»,pensa-t-elletandisquelamélodiefamilièrerésonnait.
Toutlemondesetut.Lesparolescommencèrentàdéfilersurl’écran,maisellen’avaitpasbesoindeles lire.Elleserappelaitencore le jouroùsamèreavaitcomposédevantelle lachansonquiallaitdevenirsonplusgrostube.
AccidentallyYoursavaiteneffetvaluàLaceyunGrammy,ainsiqueleCMAAwarddusingledel’année.Elleavaitégalementéténomméepourletitred’interprètefémininedel’année.
Tandisquelamusiquel’enveloppait,lessouvenirsaffluèrent.Ellerevitsesparentsensemble…Lesdisputesquilesavaientopposés…Leslarmes,etlaterreurqu’elleavaitressentie…
Elles’abandonnaitsitotalementàlamélodiequelesparolesluivenaientsansqu’elleaitbesoinderéfléchir.Ellechantaitdelaseulefaçonqu’elleconnaissait:avecsoncœur.Commesielleétaitseule.Alors,quandladernièrenoteeutfiniderésonneretquelesapplaudissementséclatèrent,ellefutramenéesansdouceuràlaréalité.
Déboussolée,ellefixalafoulesanslavoirpendantquelquesinstants,avantdefourrerbrusquementlemicrodanslesmainsdeMilesetdesedirigerverslesmarches.
—Encore!criaquelqu’un.Uneautre!Ellenes’arrêtapas.Elledescenditdelapetiteestradeetsedirigeaverslasortielaplusproche,
quiétaitlaportedederrière.—Tusavaisqu’ellepouvaitchantercommeça?Ellen’ajamais…—Quiest-ce?Jene…—…etdeLaceyMills,etensuiteilsontdivorcé.—MamèreadoreJimmyDon.Jemedemandesiellepeutm’avoirunautographe.Tucroisque…Toutàsonévasion,ellefitlasourdeoreille.Plusquequelquesmètres…Enfin,ellepoussalaporteetsortitentrébuchantdansl’obscurité.Ellesesentaitprisedevertiges,
sansdouteautantàcausedesverresqu’elleavaitbusquedecettechanson.
Ellen’auraitpasdûfaireça.Jamaisellen’auraitdûcéder.Maismêmesi,laplupartdutemps,ellepouvaitignorercettefacetted’elle-même,illuiarrivaitparfoisdenepaspouvoirluirésister.Samèreluiaurait dit qu’ellenepouvait pas échapper à sonhérédité.Que si elle s’abandonnait tout simplement àl’inévitable,savieenseraitgrandementsimplifiée.
Laportes’ouvrit,etKiplingapparutàsescôtés.—Çava?demanda-t-ild’unevoixinquiète.Elle se borna à hocher la tête. Elle avait encore dumal à respirer, et elle savait qu’il lui serait
impossibledeparler.Illaregarda.—Tuasmispasmaldegenssurlecul,cesoir.—Onpeutdireçacommeça.Elleinspiraprofondément,heureused’avoirretrouvél’usagedelaparole.—Jen’avaispasl’intentiondelefaire,précisa-t-elle.Dechanter.J’auraisdûrefuser.—Tuasunevoixmagnifique.—Merci.—Derien.Ettantpispourtonsecret.Soudain,unpetitrireluiéchappa.—Çavasesavoir,forcément,dit-elleavecunepetitegrimacefataliste.—Tuveuxrevenirchanteruneautrechanson?—Ohnon!—C’estbiencequejemedisais.Ilfitunpasdanssadirection,posantsurelleunregardd’uneintensitétellequ’ellesesentitattirée
paruneforcepresqueaussiirrésistiblequecellequil’avaitpropulséesurscène.Saufquecettefois,cetteforceneluiordonnaitpasdebouger,maisderesterlàoùelleétait.
QuandKiplinglapritdanssesbrasetl’attiracontrelui,ellefutheureused’avoircédéàcetteforce,etelleselaissafairebienvolontiers.
Ellenesavaitpassic’étaitàcausedecettechansonouparcequ’ilfaisaitnuit,maiselleétaitbien,danslesbrasdeKipling.Elleavaitbesoindesaforceetdesachaleur,besoindedécouvrircequ’ellesluiferaientressentir.
—Destiny.Ilneditquesonnom.Uneseulefois.Avoixbasse.Ensuite,ilplaquasabouchesurlasienne,pour
unbaisertoutàlafoisréconfortantetterriblementexcitant.Elle s’abandonna contre lui et répondit à la pression de ses lèvres sur les siennes. D’habitude,
quand un homme l’embrassait, elle était assez passive. Mais pas ce soir. Pas avec cet homme. Ellevoulaitexplorerseslèvres,ledécouvrir,s’abandonneràlachaleuretàlatensionqu’ilfaisaitnaîtreenelle.
Elle posa les mains sur ses larges épaules et pressa ses seins contre son torse. Elle se laissaenvelopperparsonodeuravecunfrissondeplaisiret,quandileffleurasalèvreinférieuredelalangue,elles’ouvritaussitôtàlui.
Il se glissa en elle, lui faisant perdre tout contrôle.Mais l’espèce de décharge électrique qui latraversavalaitbienqu’elleluilaissel’initiative.Parcouruedefrissonsdélicieux,ellesetortillacontrelui,torturéeparledésir.Quandileffleurasalanguedelasienne,elleluirenditlacaresse.Etquandilseretira,ellefitdemême.
Ils s’embrassèrent, encore et encore. Il fit glisser lesmains sur ses hanches, puis sur ses fesses,pétritsachair.D’instinct,ellesetenditverslui.
Lebasdesoncorpsluisemblaitlourd,etsesseinspalpitaientd’unedouleursourdequiluidonnaitenviedeprendre lesmainsdeKiplingetde lesposer là.Parcequ’ellesavaitques’il la touchait, tout
iraitmieux.Cettepenséeauraitdûlachoquer,maistoutcequ’elleétaitcapabledesedireétaitqu’elleaurait
aiméquecesbaisersnefinissent jamaisetqu’ilserait tellementbondesentirsesdoigtssurses tétonsdurcis…
Laportedederrières’ouvritbrusquement.Elleentenditunrire,puisunrapide:—Pardon,vieux!Laporteserefermadansunclaquement.Kiplingreculad’unpasettoussota.—Jeferaismieuxde…ah…deteramenercheztoi.Elle secoua la tête sans répondre. Maintenant que ses idées étaient un peu plus claires, elle
comprenaitque,cesoir,elleavait faitbienplusquechanter l’unedeschansonsdesamère.Elleavaitaussiflirtéavecsonmodedevie,etellesavaitquec’étaitunechoseànepasfaire.
— Ne t’inquiète pas pour ça, répondit-elle, soulagée d’être capable de s’exprimer en phrasescomplètes.Tuferaismieuxderester ici.Après tout,c’est tasoiréed’ouverture.Jevaisrentreràpied.NoussommesàFool’sGold,jenerisquerien.
— D’accord. Mais si je n’ai pas de tes nouvelles par texto d’ici vingt minutes, je pars à tarecherche.
Elleesquissaunrapidesourireets’éloigna.Laperspectivedenepasenvoyerletextodemandéétaitalléchante.
Mais, dix-sept minutes plus tard, elle était dans sa chambre et écrivait les quelques mots quipermettraientàKiplingd’oubliersonexistencepourlerestantdelanuit.
Ilétaittard,maiselleneparvenaitpasàsedétendre.Soncorpsgardaitencorel’empreintedeceluideKipling—etenréclamaitplus!—,etsonespritn’étaitqu’unmaelströmdemotsetd’images.Commeellenesavaitpasquefaired’autre,elleattrapasaguitareetsoncarnetpleindechansonsàmoitiéécrites.Ellelefeuilletajusqu’àentrouverunequiavaitdusenspourelle,etcommençaàjouer.
«Tum’asparléd’untonprudent.Tesmotsétaienttelunphare,jecherchaisunemaison.»Elle s’interrompit le temps de noter quelques paroles et reprit la chanson au tout début. Tout en
jouant,ellerevécutlebaiserdeKipling,encoreetencore,jusqu’àcequ’ilsoitgravédanssonesprit.
8
DestinyhésitauninstantavantdepousserlaporteduJo’sBar,etpasàcausedesagueuledebois.Elles’étaitréveilléeaveclamigraineetlebesoindeboirequatrebonslitresd’eau,maislessymptômesavaientfiniparsedissiper.Non,cequilaretenaitainsidevantlaporteétaitcettebonnevieillegêne.
Elleserappelaittrèsbiencequis’étaitpassélaveille.Toutcequis’étaitpassé.Sonrendez-vousavecKiplings’étaitbienmieuxdérouléqu’elles’yétaitattendue,lebaiserqu’ilsavaientéchangél’avaitfait tomber à la renverse— et le fait que quelqu’un les ait vus enlacés ne la gênait pas lemoins dumonde.Maiscequ’elleétaitincapabledechasserdesonesprit,c’étaitlereste:cemomentoùelleétaitmontéesurscèneetavaitchantélachansondesamère.
Ellesavaittrèsbiencequ’ilsepassaitquandellesemettaitàchanter.LelienquiexistaitentreelleetLaceyMillscrevaitlesyeux.Impossibledecacherquielleétait.
Une foisque lesgens savaientqui étaient sesparents, ils remarquaient les similitudesphysiques,entendaientdes éléments familiersdans savoix.Les comparaisons étaient inévitables,mais celane ladérangeaitpas.Cequ’ellenepouvaitpasdigérer,c’étaitdes’êtreelle-mêmeinfligécettepunition.Ellepouvaittoujoursdirequ’ellen’avaitfaitqu’obéiràuneforcequ’ellenecomprenaitpas,maislavéritéétaitlà:elleétaitmontéesurscènedesonpleingré,personnenel’yavaitpoussée.Elleavaitouvertlaboucheetchoisidechanter.MêmesiellecomptaitavoirunepetiteexplicationavecMiles,c’étaitelle,etelleseule,quiavaitfaitcechoix.
Cequ’ellen’arrivaitpasàcomprendre,c’étaitpourquoielle l’avait fait.Biensûr,elleavaitdéjàchantédevantunpublic,quandelleétaitpetite.Maisdepuisqu’elleétaitadulte,elleavaittoujoursévitélesfeuxdelarampe.SiMilessavaitqu’ellepouvaitchanter,cen’étaitqueparcequ’ill’avaitentendue,unjouroùelleavaitouvert lafenêtredesachambred’hôtelsanssavoirqu’iloccupait lachambred’àcôté.Ill’avaitinterrogéesansrelâchejusqu’àcequ’elleluiavouequielleétait.Depuiscejour,ilavaitrefuséd’oubliercetteinformation.Iladoraitlarévélerauxplusmauvaismoments.Etl’encourageràseproduire.
Jusqu’àlaveille,elleavaittoujoursrefusé.Alors,qu’yavait-ileudedifférent,cettefois?Commeellesavaitqu’ellenetrouveraitpasderéponseàcettequestion,elleinspiraprofondément
poursedonnerducourageetpoussalaporteduJo’sBar.Plusieursde ses amies étaientdéjà installées àune table, dontMadeline etBailey.Elle reconnut
aussiIsabel,l’associéedeMadeline,etTaryn,lagrandefemmeauxcheveuxnoirsquidirigeaitScore,lasociétéderelationspubliques.Enlavoyant,Shelbyluifitsignedelesrejoindre.
—Bonjour,toutlemonde!lança-t-elleens’asseyantentreMadelineetunefemmenomméeDellina.Touteslasaluèrentnormalement,sansunmotpourlasoiréedelaveille—peut-êtresefaisait-elle
unemontagnedepasgrand-chose,aprèstout.Etlaconversationreprit.
—Dellina,ilfautquetum’aidesàorganisermonmariage,ditBailey.Sincèrement,jen’arrivepasàdéciderdecequejeveuxfaire,etKennycommenceàs’impatienter.
—Quelestleproblème?demandaDellina.MadelinesepenchaversDestinypourchuchoter:—Dellinaestnotreorganisatricedefêtes.Situasbesoindepréparerunmariage,c’estellequ’ilte
faut.Ellepeutpresquetoutfaireenuntempsrecord.Dellinaéclataderire.—J’aientendu!Etn’exagèrepasmesmérites,s’ilteplaît.Jenefaispasdemiracles.EllesetournadenouveauversBaileyetpoursuivit:—Lapremièrequestion,c’est:quelgenredemariageveux-tu?Grandoupetit?Elégantoupas?—Jen’ensaisrien,avouaBailey.— J’avais le même problème, intervint Taryn. En secret, je désirais la belle robe et le grand
mariage,mais,commej’avaisdéjàétémariée,jen’étaispasvraimentsûredemonchoix.—Etmoi,ajoutagaiementDellina,jenevoulaispasmeprendrelatête.Alors,nousnoussommes
mariésensecret.Cenesontpaslespossibilitésquimanquent.Destiny regarda tour à tour ses compagnes. Presque toutes étaient soitmariées, soit fiancées. En
dehorsd’elle,iln’yavaitquedeuxcélibataires:MadelineetShelby.Tarynétaitenceinte,Isabelétaitaucœurd’unparidontelleignoraitpeut-êtretout,ettouteslesautresavaientdesenfants.
Unevienormale,enquelquesorte.Avecunbrindenostalgie,elleserappelasonenfance.Commeelle aurait aimémener une vie normale, quand elle était petite ! Si d’autres rêvaient de fortune et decélébrité,elle,ellevoulaithabiterdansunepetitemaison,dansunerueordinaire,etmeneruneviedontle rythme aurait été dicté par l’alternance des saisons ou le calendrier scolaire, et non parl’enregistrementd’unalbumouunetournée.
—Jepensequ’ilvafalloirquej’aieunepetitediscussionavecKenny,ditBailey.Maisunechoseestsûre:nousnepouvonspasnousmarierensecret.Chloeveutêtredemoiselled’honneur.
PatienceGarrettentradanslebaretcourutpresquejusqu’àleurtable,oùellepritlederniersiègelibre.
—Désolée,dit-elle,unpeuessoufflée.JediscutaisavecZaneNicholson.IsabeletMadelinesoupirèrentenchœur,pourlaplusgrandeperplexitédetouteslesautres…sauf
deBailey,quilevalesyeuxauciel.—Vousêtescomplètementfolles,touteslesdeux!lança-t-elle,moqueuse.Vouslesavez,aumoins?—Jem’enfiche,réponditpensivementIsabel.Zaneestàtomber.—Cen’estqu’unhomme,précisaBailey.Ilenfilesonpantaloncommetoutlemonde:unejambe
aprèsl’autre.—Cequiimpliquequ’illuiarrivedel’enlever,intervintPatienceavantdepoufferderire.Baileygémit.—Nefaitespasattention,dit-elleaurestedugroupe.Ellesontcinqansd’âgemental.—Pascinqans,seize,rectifiaIsabel.Ilyaunedifférence.Etc’estjustepourrire,detoutefaçon.—QuiestZane?demandaDestiny,intriguéeparlascène.—ZaneNicholsonagrandiici,réponditIsabel.Ilpossèdeunranch,àunetrentainedekilomètres
deFool’sGold.Ilestsacrémentbienfichu.Taciturne.Viril.Elles’éventadelamainetajouta:—Est-cequ’onétouffeici,ouc’estjustemoi?—Tun’espasmariée?neputs’empêcherdelancerDestiny.EllesavaitbienquetoutecettediscussionsurlemystérieuxZanen’étaitqu’uneplaisanterie,maisla
situationluisemblaitquandmêmeétrange.
—Jesais,réponditIsabel,sanslamoindretracederemords.J’aimeForddetoutmonêtre,maisjecraquaissurZanequandj’étaisaulycée.C’estamusantdeserappelercetemps-là,riendeplus.
—EtZanen’estpasJonnyBlaze,lançaShelbyavecunlargesourire.Madelineéclataderire.—Tuasraison.MonamouréternelpourZaneabiendumalàrésisterdevantlefaiblequej’aipour
JonnyBlaze.Oh,Seigneur!Celafaitdemoiunedévergondée…Jo arriva pour prendre leurs commandes aumilieu de l’hilarité générale.Cette fois, personnene
parlademargaritas,augrandsoulagementdeDestiny.Elleavaitl’intentiond’éviterl’alcoolpendanttrès,trèslongtemps.
QuandJofutrepartie,TarynposalescoudessurlatableetsouritàDestiny.— Nous n’avons pas encore eu l’occasion de vraiment faire connaissance. D’où viens-tu, et
commentes-tuarrivéeici?Autourdelatable,toutlemondesefigea,etDestinys’exhortaaucalme.Cen’étaitqu’unequestion
toutesimple,entouteamitié.Tarynnecherchaitpasàobtenirdesinformationssursafamille.Maisilluifallutplusieurs secondespourparvenir à répondre, secondespendant lesquelles elle se sentit prise aupiège,d’autantplusquetouslesregardsétaientbraquéssurelle.
—Quoi?demandaTarynense redressant.Qu’est-ceque j’aidit ?Mesquestionsn’avaient riend’indiscret.
Elles’interrompitetfrappalatableduplatdelamain.—Ils’estpasséquelquechosehiersoir,c’estça?Jelesavais!Jevoulaisalleràl’inaugurationde
laMan Cave, mais Angel a tenu à rester à la maison parce que j’étais fatiguée. Depuis que je suisenceinte,jeloupetoutcequiestamusant.
Baileyluientouralesépaulesavecunsourirecompatissant.—Jen’yétaispas,moinonplus,mabelle.Etilnes’estrienpassé.—Maissi,insistaTaryn.Dites-moi.—J’aichanté,ditcalmementDestiny.Tarynfronçalessourcils.—Tu as chanté ?Et c’est tout ?Qu’est-ce que ça a de tellement exceptionnel ?Tu es très très
douée,outrèstrèsnulle?—Trèstrèsdouée,murmuraMadeline.Destinysavaitqu’ilétaitinutiled’essayerd’éluderlesujet.D’abord,presquetoutlemondeétaitau
courantetensuite,sielleenparlait,ellespourraientpasseràunsujetplusintéressant.—Mesparentssontdeschanteursdecountry,reprit-elle.LaceyetJimmyDonMills.LevisagedeTaryns’illumina.—J’aientenduparlerd’eux!Ettuesleurfille?—Ilssesontmariésquandilsavaientdix-huitetdix-neufans,etjesuisarrivéeneufmoisplustard.—Maistutravaillesavecce…ceprogrammederechercheparordinateur.—STORMS,précisaDestiny.—C’estça.Pourlesgarsdel’unitédesecours.Pourquoifaireçasitusaischanter?Etvoilà!Laquestiondiabolique…—Jen’aimepascemilieu,répondit-ellesuruntonqu’elleespéraitdénuédetouteagressivité.Jene
veuxpaspassermontempsentournéeetvoirmavieexposéeaupublic.—Jecomprends,ditShelbyavecunsouriredesympathie.Çadoitêtredifficile.—Ehbien…,murmuraTaryn.Jesuisdésoléed’avoirratétaprestation.—Moiaussi, intervint Joen revenantavec leursverres. J’aientendudireque laManCaveétait
bondée.Heureusementquej’avaisfermépourlasoirée.Sinon,jemeseraisretrouvéetouteseule.—Tuauraispum’appeler,ditTaryn.J’airatél’événement,moiaussi.
—Parcequec’étaitunévénement?répliquaJo,sèchement.Ledéjeunerserabientôtservi.Quandellefutrepartie,Destinyespéraqu’ellesallaientchangerdesujet,maisTarynsetournade
nouveauverselle.—Laprochainefoisquetuchanteras,préviens-moi.Jeveuxêtrelà.—Jedoutequecelasereproduise.—Maistuasunevoixincroyable!lançaMadelineavantdeplaquerlamainsursabouche.Pardon.
C’esttonchoix.Jen’insistepas.Destinyluisourit.—Merci.—EtStarr?demandaShelby.Est-cequ’elleveutfairepartiedumilieu?Destinypritunegorgéedethéglacéavantderépondre:—Plusquejelevoudrais.Ellen’apasgrandidedans.Ellen’aaucuneidéedelasommedetravail
àfourniretdutempsquel’onpassesurlaroute.Ellenevoitquelecôtéglamour.—Elleestbeaucoupplusjeunequetoi,non?demandaBailey.—Detreizeans.Noussommesdemèresdifférentes.Shelbysourit.—C’estlamêmechosepourKiplingetmoi!Noussommesdemèresdifférentes,nousaussi.Destiny l’observaun instant, surprise. Jamaisellen’auraitdevinéqueShelbyetKiplingn’étaient
quedemi-frèreetsœur.Maiscen’étaitsansdoutepoureuxqu’undétailbiologique.Dansleurcœur,ilsfaisaientpartiedelamêmefamille.Starretelleallaientdevoirtravaillersurcepoint.
—EtoùestlamèredeStarr?demandaTaryn.—Elleestmorte,ilyaàpeuprèsunan.Starrétaiteninternat.Quandlesgrandesvacancessont
arrivées,iln’yavaitpersonnepours’occuperd’elle.JimmyDonestentournéeenEurope,etStarrn’aplus aucune familleducôtéde samère.Commeses autresdemi-frèresou sœurs sont tous trop jeunespours’occuperd’elle,j’aiacceptédelaprendreavecmoi.
Madelineouvritdegrandsyeux.—Commec’esttriste!Pasquetul’aiesrecueillie,biensûr.Ça,c’estgénial.Maistoutlereste…
Ma famille n’est pas très grande, mais j’ai toujours su quemes parents m’adoraient. Je ne peux pasimaginercequedoitressentirStarr.Elleestsijeune…Jesuistellementheureusequ’ellesoitavectoi,maintenant.
LagentillessedecesparolesfitgrimperlaculpabilitédeDestinyenflèche.Onnepouvaitpasdirequ’elleavaitdébordéd’enthousiasmeenapprenantqueStarrallaitdébarquerdanssavie…
Maintenant,elles’attendaitàcequequelqu’uncritiquesonpère.Dieusaitqu’ill’auraitmérité,maiselleseseraitretrouvéedansunepositiondesplusinconfortable,contraintedeprendresadéfense.Mais,étonnamment,personneneditmot.Laconversationdéviasurlefestivaldeskinautiqueextrêmequiallaitbientôtavoirlieu.Asongrandsoulagement.
Elle se laissa envelopper par les voix de ses amies sans participer à la conversation— sansvraimentlasuivrenonplus.Elleétaitépuisée,commesiellevenaitdecourirplusieurskilomètres,maiscet épuisement était plus mental que physique. Il était bien difficile de trouver sa place dans unecommunauté,etbeaucoupplussimplederesterendehors,denejamaiss’impliquer.Etpourtant,elleneregrettaitpasdes’êtrefaitdesamis.Les liensqu’elleavaitnoués ici,mêmes’ilsn’allaientpasdurer,étaientagréables.Bienréels.Voire,cequiétaitencoreplusimportant,normaux.
***
Kipling avait attendu avec impatience l’heure de son rendez-vous avecDestiny. Il ne l’avait pasrevuedepuisl’inaugurationdelaManCave,deuxjoursplustôt.Etmêmes’ilavaitenvisagédepartirà
sarecherche,soninstinctluiavaitsouffléqu’elleavaitbesoind’unpeudetempspourréfléchir.Pas à leur baiser, même s’il espérait qu’elle avait été aussi frappée que lui par l’alchimie qui
existait entre eux. Non. Ce dont elle avait besoin, c’était de trouver un moyen d’affronter la véritémaintenantquesonsecretavaitétééventé.Oùqu’ilaille,lesgensneparlaientquedeDestinyetdesonrapidepassagesurscène,etsedemandaientpourquoielle travaillaitcommeconseillèreinformatiqueàFool’sGoldaulieud’enregistrerdesdisquesquiluirapporteraientdesmillions.
Il ne savait pas combien de ces discussions remontaient jusqu’à elle. Les gens allaient peut-êtreresterdiscrets.Maisellefiniraitparcomprendrequetoutlemondeétaitaucourant,etilsentaitquecelal’ennuierait.
Elle arriva à l’heure dite, aussi belle que d’habitude, le visage vierge de tout maquillage, enpantaloncargoetT-shirt.Cequi,àsonavis,étaittoutaussisexyetattirantquesatenuedel’autresoir.Ilaimait sonvisage frais et le côtépratiquede sagarde-robe.Commeça, lemomentvenu, il froisseraitmoins de tissu… Mais bien sûr, ce qu’il avait en tête ne demandait pas de tenue particulière. Nedemandaitpasdetenuedutout,même.
—Commentçasepasse?lança-t-ilquandelleentradanssonbureau.—Bien.Elleposalesyeuxsurlemur,derrièrelui,etrestabouchebée.—Paspossible,dit-elleenfin.—Possible.Ilmarcha jusqu’aux immenses cartes qui tapissaient lemur. Des cartes extrêmement précises où
figuraient les courbes de niveau, et largement plus détaillées que toutes celles qu’ils avaient pour lemoment.
—Marshaafaitlenécessaire,dit-il.—Jenedoispasoublierqu’ilnefautjamaisdouterd’elle.Elles’approchadelacarteet,duboutdudoigt,suivitletracéd’uncoursd’eau.—Cescartessontmagnifiques,murmura-t-elle.Etellescoûtentcher.Ellesnesontpasdecellesque
l’oncommandechezunrevendeurenligne.Ellessontétabliesàlademande.—Marshaaseulementditqu’elleavaitobtenuunesubventionetutilisél’argentpourleprogramme,
dit-ilenluitendantunecléUSB.Etvoicilaversionnumériquepourtoi.Elleéclataderire.—Merci,dit-elleenprenantlaclé.Unbonusinattendu.Ellesortitsonordinateurportabledesonsacàdosetleposasurl’undesbureaux.Unefoisqu’ileut
démarré,ellebranchalacléUSBetcommençaàchargerlesdonnées.—J’ailelogicielnécessairepourcomparercescartesaveclesrésultatsdessurvolsquej’aifaits
avec Miles, expliqua-t-elle. Une fois que nous aurons combiné les informations, nous pourronsdéterminerquelleszonesdoiventêtrecartographiéesàpied.Plusnousauronsdedétails,mieuxcesera.Et,grâceàtonbudgettrèsconfortable,nousauronsbienassezdetempspourlefaire.
Ellepressaquelquestouchesavantdeselever.—Bien ! Ilva falloirunmomentavantque l’ordinateurait finide travailler.Enattendant,autant
passeràautrechose.Ilsparlèrentdel’emploidutempsetdesbêta-testsquicommenceraientdansquelquessemaines,et
il fut heureux de voir que Destiny semblait détendue. Donc, cela ne l’avait pas dérangée qu’ilss’embrassent.
Uninstant,ilpensarecommencermaintenant.Ilenavaitenvie.Ilavaitaimélecontactdeseslèvressur les siennes. Mais, contrairement à certains hommes qui aimaient que tout aille très vite, lui, ilpréféraitprendre son temps.Bien sûr, ladestinationà atteindreétaitmerveilleuse,mais le trajetquiymenaitpouvaitêtretrèsamusant,ettoutaussimerveilleux.
Ils’accordaquelquessecondesdefantasmeavantdeserappelerqu’ilsétaiententraindetravailler.Cen’étaitnilelieunil’heure.
—JenesavaispasqueShelbyettoin’étiezquedemi-frèreetsœur,dit-ellesoudain.—Mêmepère,mèresdifférentes.—Maisvousavezgrandiensemble.—Pourl’essentiel.Elleaquelquesannéesdemoinsquemoi,maisnousavonstoujoursétéproches.
Quand je suispartipour travailleravecmonentraîneurde ski, jemesuisassuréquenousgardions lecontact.Jerentraisàlamaisondèsquejelepouvais,etShelbyvenaitmevoir.
Ilneditmotdeleurpère.C’étaitàShelbydedévoilercesecretet,contrairementàMiles,ilsavaitsetaire.
—Lesfamillessontcompliquées,murmuraDestiny,songeuse,ens’asseyantsurl’undesbureaux.J’aidéjeunéchezJohieravecungroupedefemmes,dontShelby.Est-cequetusaisqueplusdelamoitiéd’entreellessontmariées,etquelaplupartontdesenfants?
—Non.Etjenevoispasoùtuveuxenvenir.Est-cequec’estanormal?—Jesupposequeoui.Ilestlogiquequel’onaccordebeaucoupd’importanceàlafamille.Quand
ilsfontpartied’unecommunauté,laplupartdesgensressententlebesoinbiologiqueousociologiquedeprocréer.
—Maintenant,tumefaispeur.Unbesoinsociologiquedeprocréer?—Jenesaispasquelautretermeemployer.Ons’attendàcequetugrandisses,quetutemarieset
quetuaiesdesenfants.C’estcequefaitpresquetoutlemonde,non?Pourquoinel’as-tupasfait?—Grandir?—Maisnon,idiot!lança-t-elleenriant.Tusaiscequejeveuxdire.Est-cequec’estparcequ’ilya
tellementdefemmesquetunevoispasderaisond’enchoisiruneseule?Soudainsérieuse,elleajouta:—Jeteposelaquestionpourdevrai.Passeulementpourfairelaconversation.—Tuveuxdoncsavoirpourquoijenesuispasmarié?demanda-t-ilenhaussantlesépaules.Pour
pleinderaisons.C’estvraiquej’aipasmaljouéaupetitjeudu«plusilyenaetmieuxc’est»,pendantuntemps.Lesfemmesseproposaient,etjen’allaispasrefuser.Maisauboutd’unmoment,jem’ensuislassé.
—Etc’estlàquetuespasséàlamonogamieensérie?—Onpeutdireça.—Etçamarchepourtoi?—Généralement,çamarcheassezbien,oui.Jepensequejepourraisvouloirplus.Maisjen’arrive
pasàtrouverlemoyendegérerlecôté«amour».L’amourn’estqu’unsentiment.Ilnefaitpasleboulot.Commentpouvait-ilfaireconfianceàl’amouraprèscequ’ilavaitvu?Sionavaitposélaquestionà
sonpère,ilauraitjuréqu’ilaimaitShelby,cequinel’avaitpasempêchédelarouerdecoups.Etreamoureuxneprotégeaitpersonne,nesignifiaitpasquetoutallaitbiensepasser.Cen’étaient
quedesmots.Pasfaciledes’enthousiasmerpourdesmots.—L’amour…,dit-elledansunsoupir.Toutlemondeveutêtreamoureux.—Pastoi?—Jenesaispastrop.L’amourromantiquemesemblesuperficiel.Jepensequ’ilvautmieuxqueles
gens fassent le vœu d’être là l’un pour l’autre, pour toujours.Que ce ne soient pas les hormones quiparlent,maisdessentimentsvrais.Commeceuxquiunissentdesparentsnormauxàleursenfants.Oudespersonnesquisontamiesdepuissoixanteans.Voilàcequejeveux.
Ilyavaituneminederenseignementsdanscesquelquesphrases.Déjà,lefaitqu’elledéfinisseunecatégoriedeparents«normaux».Parcequelessiensnel’étaientpas?
Ilpartageaitsesdoutesausujetdel’amourromantique.Ilavaitdécouvertquelesfemmesvoulaiententendre desmots qu’il refusait de dire parce que, au final, les paroles n’étaient rien. Seuls les actesavaientdel’importance.
—Est-cequ’unhommet’abrisélecœur?demanda-t-ildoucement.— Pas de la façon que tu crois. J’ai vu ce que traversaient mes parents. Ils juraient qu’ils
s’aimaient,ettoutleurexplosaitauvisage.Ilsseséparaientavantderevenirensembleensepromettantquec’étaitpourtoujours…etl’undesdeuxfinissaitinvariablementparrepartiroupartromperl’autre.Quandcen’étaientpaslesdeuxàlafois.Ilsselaissaientdominerparleurshormones.C’estridicule.
—Leshormonessontpuissantes.Ellelaissaéchapperunpetitrireméprisant.—Non. Je pense que les hormones ne sont qu’un prétexte. Nous sommes parfaitement capables
d’agir rationnellement,mais nous choisissons de ne pas le faire.C’est comme pour le sexe. Les gensdisentqu’ilsontétéentraînés.Vraiment?Est-cequ’ilssontvraimentincapablesdesecontrôler,ouest-cequ’ilsneveulenttoutsimplementpaslefaire?Oh!Jet’enprie!Toutlemondeconnaîtcettechanson-là.Si tu veuxmon avis, c’est le sexe qui est à la racine de tout mal. Si les gens arrêtaient de coucherensemble,toutiraitmieux.
—Pourqui?demanda-t-il,incrédule.—Tusaistrèsbiencequejeveuxdire.—Pasvraiment,non.Ellelevalesépaules,puisleslaissaretomber.Sonregardétaitfixe,commesielleavaitlonguement
réfléchiausujetetdétenaittouteslesréponses.—Commejetel’aidit,j’aivucommentsecomportaientmesparents,reprit-elle.J’aivud’autres
membresdeleurgroupe,hommesetfemmes,seconduirecommedesimbécilesàcausedusexeetdecequ’ilsprenaientpourdel’amour.Jepensequ’ilyaunmeilleurmoyendeconstruiresavie.
—Lequel?—Etablirunplanraisonnable.Jeveuxtrouverunhommequicomprendraqu’ilnes’agitqued’un
jeuetquirefuseradelejouer.Nousnousmarieronsetnouséviteronstouteslestragédies.Nousseronssimplement deux personnes qui tiendront l’une à l’autre, qui resteront fidèles, et qui voudront vivreensembleunevieémotionnellementstable.
Commesic’étaitpossible!Kiplingnesavaittrops’ildevaitéclaterderireouprendresesjambesàsoncou.
—Yaura-t-ildusexedanscemariagederaison?serisqua-t-ilàdemander.—Uniquementenvuedeprocréer.Sinon,iln’yapasvraimentbesoindelefaire.Illaregardafixement.—Sic’estcequetucrois,c’estquetut’yesmalprise.Elleagitalamain.— Bla-bla-bla…Oui, je sais. C’est une révélation. Un acte qui vous transfigure. Qui n’a pas
d’équivalent.—Tun’aspasl’airconvaincue.—Parcequejenelesuispas,décréta-t-elle,sûred’elle.Jepensequemafaçondevoirleschoses
estbienmeilleure.—Unmariagederaison,sanssexe,entredeuxpersonnesauxvuessemblables,donc.Dansl’intérêt
général.Soudainradieuse,ellelança:—Exactement!—Ehbien,bonnechance.Elledétournalesyeux.
—Jesavaisquetuneseraispasintéressé,murmura-t-elle.Iljurasilencieusement.—Parcequetumeconsidéraiscommeuncandidatpotentiel?—Jenesavaispastrop.Jetetrouvebeaucoupdebellesqualités.Maisjemedisaisbienquecette
histoiredusexeseraitunproblème.Ilrestasilencieuxunmoment.Ilnesavaitpasquepenserdecettediscussion.Nidelaremarquede
Destinyàsonsujet,sinonqu’ildevaityavoiruncomplimentenfouiquelquepartdanscesparoles.—Tun’esvraimentpasdutoutintéresséeparlesexe?demanda-t-il.Parceque,quandilss’étaientembrassés,ilavaitsentibeaucoupd’intérêtdesapart.Lesyeuxrivésàsesbottes,elleéludalaquestion.—Jepensequ’ilestimportantdegarderlecontrôledesoi,répondit-elle.C’estbienplussain.Je
refusedecéderàmesémotionsprimitives.Leshormonesnesontpaspluspuissantesquemavolonté.Il tourna et retourna ce renseignement dans sa tête jusqu’à ce que tout devienne clair.D’accord,
maintenant, il comprenait. Un crétin, ou peut-être deux, avait fait sa petite affaire et avait filé sansl’emmenerauseptièmeciel.Siellen’avaitjamaiseud’orgasme,elleavaitétélaisséedansl’expectative,sansavoir lamoindre idéedecequ’elle ratait. Il étaitunpeuétonnéqu’ellenes’ensoitpasoccupéeelle-même,maiselles’étaitimposétantderègles,elletenaittantàvivreunerelationfondéesurlaraisonetànepascéderàsespulsions,quec’étaitpeuprobable.
Il se trouvait devant un problème qui devait être résolu. Et s’il ne faisait pas confiance auxémotions,ilcroyaitdurcommeferenl’efficacitéd’unbonplan.
—Ilyaquelquesfaillesdanstastratégie,dit-ilsoudain.—Jesaisbien.D’ailleurs,jecontinueàfignolerlesdétails.—Pourcommencer,ilfaudraquetutrouvesunpartenairequipartagetesidées.Ellesourit.—Oui,c’estl’undesplusgrosdétails.—Etcettehistoiredusexe…Ellegémit.—Maispourquoiest-cequeleshommesveulenttoujoursdusexe?—Parcequ’onaimeça.—C’estcequej’aientendudire.Plusvousenavezetplusvousenvoulez.Elleledévisageapendantuninstantavantdeplisserlesyeux.—Tunemeferaspaschangerd’avis,Kipling.Jeneveuxmêmepasquetuessaies.—Moi?Essayerdetefairechangerd’avis?Pourquoidis-tuça?—Parcecequetuadoresvolerausecoursdesgens.Iln’yarienquiailledetraverschezmoi.Je
n’aipasbesoinquel’onmeguérisse,ouquoiquecesoit.—D’accord.Maiscequejetrouveintéressant,c’estquetucroissavoirdequoituparlesalorsque
cen’estpaslecas.Unjour,tuvastomberdehaut,etj’aihâtedevoirça.—Etc’estcequiarriveraitsitufaisaiscequetuvoulais?Iléclataderire.—EtlepremierpointvaàMlleMills.Elleselevaetallaconsultersonordinateur.—Etj’enmarqueraibienassezpourgagner,dit-elle.Attends,ettuverras.Ilsavaitqu’ellesetrompait,maisilseraitamusantdelalaisserledécouvrirparelle-même.Parce
qu’il n’était plus seulement un homme intéressé par une femme :maintenant, il était un hommechargéd’unemission.
Destinyetluipartageaientenquelquesortelemêmepointdevuesurleproblèmequ’étaitl’amour.Ilsavaienttousdeuxvudesgensquiaffirmaients’aimerfairedeschoseshorribles,etdécidédenepas
faire confiance aux sentiments. Ils voulaient tous deux une réponse rationnelle à un impondérablepotentiel.Maisilyavaitentreeuxuneénormedifférence:alorsqu’ilcroyaitfermementaupouvoirdelapassion, elle était convaincue que c’était précisément là qu’était la source du problème. Or elle setrompait.Etilfallaitqu’unhommeluimontrecequ’elleavaitraté.Etcethomme,ceseraitlui.
***
Destinymarchaitd’unpasvifverslapâtisserieAmbrosia.Elleavaiteul’intentiondefaireunetartepour le dîner,mais n’avait pu quitter son travail à temps— surtout parce qu’elle avait discuté avecKiplingpendantassezlongtemps…EtmêmesiniStarrniellen’avaientvéritablementbesoind’unetarte,elleavaitpenséqu’ilseraitagréabled’enmangerune.D’oùsavisiteàlapâtisserie.
Elle aimait beaucoup parler avec Kipling. Passer du temps avec lui. Et il était très agréable àembrasser.Autredétailintéressant,quandelleluiavaitditcequ’elleattendaitdelavie,iln’avaitpasditnon.Iln’avaitpasfaitpreuved’unenthousiasmedébordantnonplus,maisilavaittenujusqu’auboutdeladiscussion.Cequi l’amenait à sedemander s’ilpouvait envisagerdemener legenredeviequ’ellesouhaitait.Parcequeplusellepassaitdetempsaveclui…pluselleavaitenvied’enpasserencoreplus.
C’était sans doute un signe. Même s’il était encore trop tôt pour qu’elle en sache assez sur lecaractèredeKiplingousursespropressentiments,pourlapremièrefoisdesavie,ellesedisaitque…peut-être…peut-êtrequ’ellepouvait trouvercequ’elle recherchait.Unhommebienquivoulait fonderunefamilleetqueceshistoiresdesexenerendraientpasdingue.
Kiplingavaitdéjàeubeaucoupdesexe,illeluiavaitlui-mêmeavoué.Alorspeut-êtrequ’ilenavaitassez.Aprèstout,personnen’avaitbesoindefaireçapendanttoutesavie.
Arrivéedevantlapâtisserie,elles’arrêta.Unpetitclipvidéopassaitdanssatête.Lachansonétaitcelle qu’elle avait composée, et les images étaient toutes d’elle et de Kipling. Ils discutaient, sepromenaient en forêt, se tenaient la main. A la fin, elle imagina qu’ils s’embrassaient. Parce qu’elleaimaitvraimentbeaucoupl’embrasser.Siellen’avaitaucuneenviedefairel’amouraveclui,ellevoulaitdesbaisersquotidiens.Etdescâlins.
EllechassacesimagesderêveetentradanslapâtisserieoùShelbyl’accueillitd’unsourire.—Hé, jenem’attendaispasà tevoir aussi tarddans la journée.Tues l’unedemesclientesdu
matin.—Salut,Shelby.J’espéraisquetuauraisunetarte.Maistutravaillesbientard,aujourd’hui.Tune
t’espaslevéeà4heures?Shelbyéclataderire.—Ohsi !Et la journéeaété longue.MaiscommeAmberavaitdes tasde rendez-vous, je luiai
proposédefairedesheuressupplémentaires.Elleaengagédupersonnelàmi-tempspourl’été,maisilsn’ontpasencorecommencé.
Elleétouffaunbâillementetconclut:—Jevaismecouchertôt,cesoir.—Tuenaurasbesoin.—Mais pour lemoment, occupons-nous de ta tarte.Tu la veux froide ou chaude ? Il nous reste
quelquestartesàlacrème,etdestourtesauxfruits.—Alacrème.Shelby luiproposadifférentesoptions, et elle sedécida finalementpour la tarte à lamousseaux
deux chocolats, faite d’une couche de chocolat au lait et d’une de chocolat noir, et garnie d’une dosegénéreusedecrèmefouettée.
—Je saisque tuneveuxsansdoutepasenparler,mais il fautque je tediseque tuasunevoixextraordinaire,déclaraShelbytoutenencaissant.
Destinyfitdesonmieuxpourcontinueràsourire.Elleavaitattirél’attentionsurelleenchantantet,maintenant,elledevaitensubirlesconséquences.
—Merci,répondit-ellesimplement.—Tun’aimesvraimentpaschanterenpublic?—Non.—Maistuavaisl’airtellementàl’aise!Elleluitenditlatarteemballéepar-dessuslecomptoir.—Milesettoidevezvousconnaîtredepuislongtemps,ajouta-t-elle.—Noustravaillonsensembledepuisdeuxans.—Vousn’êtespasensemble,si?—Non.Noussommesjusteamis.Iln’estpas…ElleserappelasarencontreavecMilesetKipling,unequinzainedejoursplustôt.—Tusorsaveclui?demanda-t-elle.—Onestsortisensembledeuxfois,oui,réponditShelby,quisemblaitàlafoisheureuseetsurla
défensive.Ilestsympa.Trèssympa,oui.Etaussitrès«coureurdejupons».Destinyhésitauninstant—,lesfréquentations
deShelbynelaregardaientpas—,maisjugeapréférabledelamettreengarde.—Ilvoitaussid’autresfemmes,dit-elle.Milesn’estpasintéresséparunevraierelation.Ilaimeles
dames.Etillesaimebeaucoup.—Oh!Ettupensesqu’ilsort…avecquelqu’und’autreenville?—Jesaisqu’ilavuMadelineilyaquelquesjours.Pourprendreunverre.LevisagedeShelbyseferma.—Jenesavaispas,dit-elled’unevoixunpeutremblante.Elleesttellementamusanteettellement
jolie!—Vousêtesadorablestouteslesdeux,assuraDestiny.Etleproblèmenevientnid’ellenidetoi.
Ecoute,j’aimebeaucoupMiles.Cen’estpasunmauvaisgarçon.Maisquandils’agitdesfemmes…ilneleurdonneriendeplusqu’unpeudebontemps,etcelanedurejamais.Sic’estcequeturecherches,vas-y.Maissituveuxplus,Milesn’estpasl’hommequ’iltefaut.
—Merciduconseil.—Derien.Destinysortitdelapâtisserieetrepritlechemindechezelle.Toutenmarchant,ellesedemandasi
Shelbyallaitsuivresesconseils,ousiellepensaitpouvoirchangerMiles.Elleavaitvubeaucoupdefemmesamoureusestenircegenredediscours,surtoutparmicellesqui
fréquentaient son père. Elles avaient beau connaître ses antécédents, elles pensaient toujours pouvoirl’ameneràchanger.Maistoutesavaientéchoué.
Elle, elle posait sur le sujet un regard très lucide. Rationnel. Bien sûr, elle manquait peut-êtrequelques moments d’extase, mais si c’était le prix à payer pour éviter les crises de larmes et lesdéprimes,elleétaitpartante.
9
—Jenesaispas,ditStarrenquittantlesgradinsdresséssurlesbergesdulac.Ellesétaientbien,ettoutça,mais…
Destinypritsasœurparlebrasetsemitàrire.—Oh!Jecomprendsparfaitementcequetuessaiesdenepasdire.Lespectacleétaitsuper,mais…
unpeubizarre.Starréclataderire.—C’estça.Parcequ’ellessont,tusais…vieilles.Evidemment. Aux yeux d’une adolescente de quinze ans, des femmes qui avaient dépassé la
soixantainenedevaientpasseulementêtrevieilles,maiscarrémentantiques!Le X-treme Waterski Festival avait débuté la veille et se poursuivrait jusqu’au lendemain. Il
comprenait plusieurs démonstrations et compétitions, et les spectateurs pouvaient même prendre desleçonsdeskinautiquesurunezonedulacprévueàceteffet.DestinyetStarrvenaienttoutjusted’assisterau spectacle des célèbres Ne m’appelez pas mémé, un groupe de skieuses synchronisées qui avaienttoutesplusdesoixanteans.
—Cesfemmessontensuperforme,fitremarquerDestiny.Sinousavonsaussibelleallureàleurâge,nouspourronsnousestimerheureuses.
—Jesuppose.—Tunepeuxpast’imagineravoircetâge-làunjour,c’estça?—Pasvraiment.Maisjesaisqueçafinirabienpararriver.—Ehoui!Quetuleveuillesounon.Starrsourit.—Tuas raison.Çameferabizarredeneplusêtre impatientedefêtermonanniversaire.Pour le
moment,j’aihâted’avoirseizeanspourpouvoirpassermonpermis.— Si les gens n’attendent plus leur anniversaire avec autant d’impatience à mesure qu’ils
vieillissent,c’estpeut-êtreaussiparcequeleurâgeestliéàmoinsd’événementsimportants.—Tun’espasfolledejoieàl’idéed’avoirbientôtvingt-huitansetdemi?demandaStarrenriant.—Pasautantquetupourraislecroire!Ellesétaientarrivéesdanslecentre-ville.Desstandsavaientétédressésunpeupartout.Selonce
qu’ilsproposaient—artisanat,restaurationoudémonstrations—,ilsétaientdansunesectiondifférente.La foule des badauds s’écoulait sans lemoindre heurt. Aucun doute : la personne qui avait organisél’événementavaitunebonnemaîtrisedelagestiondesfoules.
—Jedevraisproposeràmamèredenousrendrevisitependantunfestival,dit-elle.
—Laceyvavenirici?s’exclamaStarr,d’unevoixoùl’excitationledisputaitàlanervosité.Cetété?
—D’habitude, elle vient toujoursme voir surmesmissions. Elle dit que ces séjours l’aident àgarderlecontactavecsesfans,parcequ’ilslarendentréelleàleursyeux.
Starrhochavigoureusementlatête.— C’est logique. Quand elle vient te voir, elle n’est ni dans un bus ni dans un avion. Elle est
entouréedegensnormaux,etelleestcommeeux.Destinysourit.—Tusaisquec’estdesbobards,pasvrai?Mamèreneserajamaiscommesesfans.ElleestLacey
Mills,lasuperstar.—Maisquandiln’yaqu’elleettoi?Ellen’estpascommetouteslesautresmères?—Si,reconnutDestiny.Enfin,jesuppose.Pour la première fois, elle se rendit compte qu’elle n’avait jamais pensé aux moments qu’elle
passaitseuleavecLaceycommeàdesmomentsentreunemèreetsafille.—D’habitude,ellenesebaladejamaisseule,reprit-elle.Elleatoujoursuneescorte.Ellesortle
grandjeuetattendquelafouledesesfansl’assaille.Généralement,ilsneladéçoiventpas.Maisquandellevientmevoir,ellen’aqu’unseulgardeducorps.Etmêmesipersonnenepourrajamaislaprendrepourunebanalemamandebanlieue,elleestplusdiscrète.
—Unseulgardeducorps?—Oui,etilsetientàdistance.—Jepourrailarencontrer?— Bien sûr. Elle est géniale. Tu vas l’adorer. Et comme elle n’aime rien tant que parler de
musique…préparetesquestions.Starrladévisagea,bouchebée.—Oh,monDieu!Vraiment?Tuessérieuse?— Tout à fait. Elle peut parler toute la nuit du monde de la musique. Et comme elle déborde
d’énergie,elleresteraréveilléebienpluslongtempsquetoi!Starrs’agrippaàsonbras.—Ilfautquejecommenceàplustravailler!dit-elle,toutexcitée.Jedoismieuxjoueravantqu’elle
arrive.Etsiellemedemandedejouer?Oh,monDieu…Jeveuxpasmetaperlahontedevantelle.—Respire.Tunetetaperaspaslahonte.Laceynejugejamais.Et,pourêtrehonnête,ellepréfère
êtrelameilleuremusiciennedelapièce.—Maispourtant,papajoue,luiaussi.Destinysoupira.—Jesais.D’ailleurs,c’étaitunesourceperpétuelledefrictionentreeux.Ilsinvitaientdesamisàla
maison, jouaient touslesdeux,etdemandaientquiétait lemeilleur.Engénéral,celase terminaitplutôtmal.
Elletenditledoigtversunstanddefriandisesetajouta:—Sionachetaitdesoreillesd’éléphant?—D’accord!Elless’avancèrentverslestandpourfairelaqueue.—Çadevaitêtresuperd’avoirtoutecettemusiqueàlamaison,fitremarquerStarr.Depouvoirles
écouterjouer,euxetleursamismusiciens.—J’aibeaucoupappris,reconnutDestiny.Maisleurvien’avaitriend’unejam-sessiongéante.Ils
voyageaient sans arrêt. Parfois, je les accompagnais en tournée, mais la plupart du temps, ils melaissaientàlamaison.J’aibeaucoupmanquél’école,etj’aitoujourseudumalàmefairedesamis.Jepartais,jerevenais,jerepartais…
Ellesedemandasoudainsic’étaitàcetteépoque,alorsqu’elleétaitplusjeunequeStarr,qu’elleavaitcesséd’avoirdesamis.Elleavaiteuunemeilleureamie,quandelleavaitseptouhuitans,unefillequi habitait dans la même rue qu’elle et s’appelaitMandy.Mais il y avait eu un problème avec sesparents—commetoujours…Ellen’avaitjamaissusic’étaitJimmyDonquiavaitfaitdesavancesàlamèredeMandyouLaceyquiavaitflirtéavecsonpère,maistoujoursest-ilqu’uneviolentedisputeavaitéclatéentrelesdeuxcouples,etqueMandyetellen’avaientplusjamaiseuledroitdejouerensemble.
Aprèsquelquesautres incidentsdumêmegenre, elle avait tout simplementcesséd’essayerde sefairedesamis.Ilétaittropdouloureuxdeserapprocherdequelqu’un,deseconfieràlui,decroirequ’ilseraittoujourslà,etdetoutperdreàcausedesadultes.
Lorsqu’elle était allée vivre avec Grandma Nell, il n’y avait pas de filles de son âge dans lesenvirons.Etquandelleétaitentréeàl’université,elleavaittoutoubliédel’artdesefairedesamis.Etvoilà que, pour la première fois depuis une éternité, elle passait du temps avec d’autres femmes etappréciaitleurcompagnie.Ellesluimanqueraienttoutesquandellepartirait.
—Mesdames…Ellesursautaetseretourna.Kiplingvenaitverselles.Aussitôt,ellesentitsapoitrineseserrerd’une
façonétrangeetressentituneenvieridiculedefairevolersescheveuxenarrièreengloussantcommeunegamine.
—Salut,Kipling,ditStarr.Onallaitacheterdesoreillesd’éléphant.Tuenveuxune?—C’estuneidéegéniale.Commeellesétaientlesdernièresdelafiled’attente,ilsejoignitàelles.—Commentçasepasse,aucamp?demanda-t-ilàStarr.— Bien. Les ateliers me plaisent vraiment beaucoup. Avec une autre fille, on pense former un
groupeacapella.Tusais,justedesvoix,pasd’instruments.Çapourraitêtremarrant.Starr bavardait avecKipling avec une telle aisance queDestiny dut se retenir de taper du pied
commeunegamine capricieuse.Comment s’yprenait-il ? Il lui avait suffi deposerunequestion toutesimple pour que Starr semette à parler. Pourquoi sa sœur lui parlaità lui de ce projet de groupe acapella?Pourquoipasàelle?
Bien sûr, elles faisaientdesprogrès, elles apprenaient àmieux se connaître.Maisunobstacle sedressait toujours entre elles, queDestiny était bien en peine d’identifier. Pour des raisons qu’elle nepouvaitexpliquer,sasœurrefusaitdeseconfieràelle.
—Justedesvoix,sansinstrumentsdemusique?demandaKipling.C’estambitieux.—C’estplusdurqueçaenal’air,reconnutStarr.Maisonvaessayer.Deuxfamillesse joignirentà lafiled’attente,derrièreeux,cequiamenaKiplingàserapprocher
d’elles. Destiny fut traversée par l’envie de s’appuyer contre lui et de lui demander de l’aider às’occuperdesasœur.Parcequ’ellenes’ensortaitpasaussibienqu’ellel’avaitcru,c’étaitévident.
—Tutefaisdesamis?demandaKipling.—Ohoui!Plein!CertainsviennentdeLosAngeles,maisd’autresviventici,enville.—C’estsympa.Commeça,tupourraslesvoirleweek-end.—Biensûr!intervintDestiny.Tupeuxlesvoirquandtuveux.Tupeuxaussieninviterquelques-uns
àvenirdîneràlamaison.Jeferailacuisine,àmoinsqu’oncommandedespizzas.Starrlaregarda,visiblementétonnée.—Vraiment?Çanetedérangeraitpasquedesamisviennentmevoir?—Biensûrquenon.Jeveuxquetut’amuses,cetété.—Super.Merci.Ils avancèrent, et Starr s’absorba dans la lecture de la carte. Destiny se tourna vers Kipling et
articulasilencieusement:«Merci.»Ilsouritethaussalesépaules,commepourdirequecen’étaitrien.
Etd’ailleurs, cen’était probablement rienpour lui. Il avait le contact facile.C’était unvéritabledon,qu’elleauraitaiméposséder,elleaussi.
Maispourlemoment,elleallaitsecontenterd’êtresatisfaitedel’améliorationdesesrelationsavecsasœur,etprofiterdechacunedespetitesvictoiresqu’elleremportait.EtsiStarrpassaitunétéagréable,ceseraitunegrandevictoire,quilesrendraittoutesdeuxtrèsheureuses.
***
Destinysuivaitletrajetaffichésurl’écrandesatablette,cequi,pensa-t-elleencontournantunautrearbretombéausol,étaitplusfacileàdirequ’àfaire.
AidanMitchelletellesetrouvaientdansunezoneaccidentéequis’étendaitàunecinquantainedekilomètresaunord-estdeFool’sGold,justeaprèsunepetitevalléeoùdeséoliennestournaientdansleventquiysoufflaitsansrelâche.
Ilsavaientlaissélesdernierssignesdecivilisationderrièreeuxdepuisplusieurskilomètres,etlebruit des éoliennes s’était estompé depuis longtemps. Ici, le seul bruit que l’on entendait était lebourdonnementdelanature.
—Jepensaisàcetendroit,là-haut,suggéraAidanentendantlebras.Elle leva les yeux de sa tablette et étudia la saillie relativement plane qu’il désignait. L’endroit
semblaitassezgrand,etl’emplacementétaitbon.—Çameplaît,dit-elle.Elleétudiauninstantlapentequilesséparaitdelasaillie.—Est-cequel’onpeutyallerdepuisici?s’enquit-elle.—Jesuispartant,situl’es.Elleluitenditsatabletteetsetournadesortequ’ilpuisselarangerdanssonsacàdos.Quandileut
refermélerabat,ellelevalepouce.—Jetesuis.Aidan partit d’un bon pas, mais elle n’eut aucune difficulté à le suivre. Cette forêt n’était pas
tellementdifférentedecelledesSmokyMountains. Ilyavaitdesarbres,des taillisetdesanimauxquidétalaient à leur approche. Elle sourit en se disant que Grandma Nell aurait été horrifiée de la voirréduireainsisesSmokyMountainsbien-aiméesàunepoignéedegénéralités.
Aidan escalada un arbre tombé au sol et se tourna pour l’aider à franchir l’énorme tronc.Lorsqu’elleposa lepiedde l’autrecôté,elledérapasurunecouchede feuillesmouillées,etAidan laretintaussitôtparlataille.Quandelleeutreprissonéquilibre,illalâcha.
Pendantcebrefcontact,elles’étaitattendueàressentirquelquechose.Unfrisson,parexemple,ouuneenviedeserapprocherdelui.Maisiln’yeutrien.Paslemoindrefrémissementousoupçond’intérêt.
Ilneleurrestaitplusqu’unedizainedemètresàgravirpourarriversurlasaillie.Quandilsyfurent,Aidansortitdeuxbouteillesd’eaudesonsacàdosetluientenditune.
—Qu’est-cequetuendis?demanda-t-il,àpeineessouffléparleurascension.Ellebalayalagrandezoneplaneduregard.—Jedoisprendredesmesures,etilfaudrafairefaireuneétudegéologique,maisjediraisquenous
avonsdécrochélejackpot.Lecontratquelavilleavaitpasséavecsasociétécomprenaitl’installationd’antennes-relaisdans
les zones les plus reculées. Non seulement elles permettraient aux personnes égarées d’appeler pourdemanderdel’aide,maisencoreellesaideraientlesvolontairesenleurpermettantdecommuniquerentreeux,etaveclepostedecommandedeHERO.
Une antenne-relais coûtait environ cent cinquantemille dollars. Ici, parce que les zones où ellesseraientinstalléesétaientdifficilesd’accèsetqu’ilfaudraitprocéderàdesétudesgéologiques,leurcoût
approcheraitlesdeuxcentmilledollars.Maispuisquel’argentétaitdisponible,Destinyétaitdécidéeàplacerlesantennesdanslesmeilleursendroitspossible.
Elleôtasonsacàdosetensortitunmètreruban.Aidanl’aidaàmesurerlalongueuretlalargeurdela saillie.Elle rentra les informations sur sa tablette avantdeprendreplusieursphotos, dont ellenotal’emplacementexact.Ensuite,elles’assitàcôtéd’Aidanpouradmirerlavue.
Ilssetrouvaientàenvironmilletroiscentsmètresd’altitude.L’airétaitplusfraisquedanslavallée,maisilfaisaitencorechaud.Ellepouvaitdistinguerl’endroitoùuneavalancheavaitemportétoutunpandemontagne,deuxsièclesplustôt.Ilyavaitdesarbres,desmontagnes…maispaslamoindretracedecivilisation.
—Jeculpabiliseunpeuàl’idéedeplanteruneantenne-relaisdanscepaysagemagnifique,dit-elle.—C’estdansl’intérêtgénéral.—Jesais,maisc’estquandmêmedommage.—Jepensequelescerfsetlesoursnes’enformaliserontpas.Aidans’allongeasurlesol,lesmainsnouéesderrièrelatête,etcontemplaleciel.Ilétaitbelhomme.Enbonneformephysique,intelligent,habileenaffaires.Etsielleenvisageaitde
l’intégrer dans son plan raisonnable ? Mais elle savait qu’elle n’en ferait rien, pour deux raisons.D’abord,quelquechoseenluiluirappelaitlesgarsquivoyageaientavecsesparents,lesroadiesetlesmusiciensquin’étaientpasseulementlàparcequ’ilsadoraientlamusique,maisaussipourattraperdesfilles,Pleindefilles.Etensuite,ellesemblait incapablederessentir lemoindreenthousiasmeà l’idéequ’Aidansoitl’hommequ’illuifallait.Elleavaitbeauessayer…Non.EllenevoyaitqueKipling.
—Aufait,oùenestKiplingdanssarecherched’unadjoint?demanda-t-il.—Jesaisqu’ilafaitpasserplusieursentretiens,maisilnem’apasdonnédedétails.—Jeluiaibienproposéquelquesnoms,maisbiensûr,ilrefusedelaisseràquelqu’und’autreque
luilesoinderésoudreceproblème.Ellesourit.—Ah,tuasremarquéqu’ilétaitcommeça,toiaussi?—Qu’ilveuttoujourstoutarranger?Difficiledenepaslevoir!C’estunequalitéintéressantechez
uncollèguedetravail…aussilongtempsqu’ilestd’accordavectoisurlafaçondefaireleschoses.—Donc,tunetravailleraisjamaispourlui?—Horsdequestion.J’aimetropêtrelepatron.—Enparlantdepatron,plaisanta-t-elle,letiennevapasêtrefâchédetapetit-balade?—Non.Ilestcool,commegars.Ettoi?Personnenevat’appelerpourt’ordonnerderentrerillicoà
tonbureau?—J’aibesoindemonguidepourretrouvermavoiture.—Non,tun’aspasbesoindeguide.Cetterandonnéenet’apasposélemoindreproblème.Cen’est
paslapremièrefoisquetumarchesenmontagne.—J’aipassémonenfancedans lesSmokyMountains.Ellessontdifférentesdecesmontagnes-ci,
maistoutaussibelles.—Jesuisd’accord.Pourquoies-tupartie?—Onm’aditqueceseraitunebonneidéed’alleràl’université.—L’undesavantagesdelavieàFool’sGold,c’estqu’ilyaunIUTetuneuniversité.Jen’aipaseu
àpartirpourfairemesétudes.—Tun’asjamaiseuenvied’essayerdevivreailleurs?Lestraitsd’Aidansecrispèrentpendantunefractiondeseconde.—Auneépoque,oui,répondit-il.Quandj’étaisjeune,ilétaittenupouracquisquec’étaitmonfrère
aîné,Del,quireprendraitlasociétéfamiliale.Celanemedérangeaitpas.Jen’avaispaslamoindreidéedecequejevoulaisfaire.Etpuis,pendantmapremièreannéed’université,Delaquittélaville.Ettoutle
mondes’estattenduàcequecesoitmoiquireprennel’entreprisefamiliale.Donc,jesuisrestédanslecoin.
Lesfamillesetleursattentes…MaisAidans’étaitconforméàcequel’onattendaitdelui.Elle,aucontraire,avaitdéçusesparentsendécidantdenepassuivrelamêmevoiequ’eux.
—Desregrets?demanda-t-elle.—Aucun,assura-t-ilenfermantlesyeux.J’ailabellevie.Jepassebeaucoupdetempsdehors.Je
suispayépouralleràlapêche,fairedelarandonnéeetskier.Etilm’arrivedepasserdesaprès-midiencompagnied’unejoliefemme.Qu’est-cequipourraitmedéplaire,danscettevie?
Commeelleéclataitderire,ilrouvritlesyeux.—Qu’est-cequ’ilyadedrôle?—Toncompliment.Ilétaittrès…instinctif.Tunemeregardaismêmepas.—Jet’aidéjàvue.Jepeuxcomplimenterdemémoire.—C’estsansdoutevrai,maisjecroissurtoutquetuesunCasanova,AidanMitchell.Avecundemi-sourire,ilrépliqua:—Là,jesuisblessé.—Est-cequejemetrompe?—Non.Ellesourit.—C’estbiencequejemedisais.Laisse-moideviner…Ilyabeaucoupdetouristescélibatairesqui
viennenticietquinedisentpasnonàuneaventuretorrideavecleurbeaugossedeguide.Ilgrimaça.—Jepréféreraisquetunedisespasquejesuisbeaugosse.—Maissurlereste,j’airaison?—Disonsquejem’ensorsplutôtbien.Commentas-tudeviné?— Tu me rappelles les gars qui partaient en tournée avec mes parents. Quand ils arrivaient à
Wichita,ilsallaientforcémenttrouverunenouvelleoccasiondes’amuserunpeu.—Maisj’établistrèsclairementlesrèglesdujeu,précisa-t-il,surladéfensive.Etjesuisprudent.—Oh!Maisjenetejugepas.Jepenseseulementquec’est…intéressant.—Mamèremedittoujoursqu’unjourjetomberaiamoureux,etqueçasepasseratellementviteque
jeneverrairienvenir.—Etcelat’inquiète?—Pasdutout!Commejet’aiexpliqué,jesuisprudent.Elleauraitvoululuidirequ’ilnepourraitjamaisêtreassezprudent.Ques’illaissaitseshormones
régirsavie,ilfonçaitdroitversdemauvaisessurprises.Maiselleavaitdéjàessayédemettred’autrespersonnesengarde,etlaplupartd’entreellesnel’avaientpasécoutée,ounes’étaientpasprivéesdeluidirequ’elleétaitvraimentbizarre.Entoutcas,ças’étaittoujoursmalterminé.
Toutencontemplant lanaturemajestueusequi lesentourait,ellesepritàregretterqueKiplingnesoitpaslà,avecelle,àlaplaced’Aidan.Cedésird’êtreensacompagnien’avaitrienàvoiraveclecôtéisolédel’endroit.Seulement,elleauraitétéheureusedepouvoirpasserunmomentàdiscuteraveclui.
Adiscuter.Etriendeplus.
***
Kiplingauraitpenséquelacommanded’uneantenne-relaisétaitunvéritableparcoursducombattantmais,apparemment,cen’étaitpaslecas.Unefoisqu’ileutimprimélaconfirmationdecommande,ilallaconsulterlalonguelistedechosesàfairequiétaitpunaiséeauseulmurànepasêtreentièrementtapissé
de cartes. Il avait commandé trois antennes-relais destinées à être posées sur les sites qui avaient étéchoisis.Quantauxétudesgéologiques,ellesseraientfaitesendébutdesemaineprochaine.
Destinylerejoignitetposaledoigtsuruneautreentréedelaliste.—Lematérieldepistageaétéexpédié,dit-elle.Ilarriveradansdeuxjours.Etnouspourronsalors
commencerànousentraînersérieusement.Mêmes’ilsavaitqu’ellenecherchaitpasdélibérémentà le tenter,ellese tenaitassezprèsde lui
pourcaptertoutesonattention.Ilsentitlesangaffluerdansdeszonesbienprécisesdesoncorpsetperdittoutintérêtpourlesujetquilesoccupait.Soudain,iln’avaitplusqu’uneenvie:larenversersurlebureauleplusprocheetluifairel’amour.Etcetteréactionluirappelaqu’ilétaitbond’êtreenvie.Ilaimaitlachasseet,danslecasprésent,larécompensequil’attendaitseraitencoreplusdouce,parcequ’ilavaitlafermeintentiondemontreràDestinycequ’elleavaitraté.
Maisils’enoccuperaitplustard.Pourlemoment,ilsavaientdutravail.—Commentsedéroulentlesentretiens?demanda-t-elle.—Pastropbien.Jusqu’ici,jen’aitrouvéaucuncandidatquiveuillevraimenttravailler.Ellelevaversluiunregardchargéd’inquiétude.—Qu’est-cequinevapaschezeux?—L’und’euxm’aposéplusdequestionssurlescongésqu’ilauraitquesurlepostelui-même.Un
autren’avaitaucuneexpérience.—Maistoinonplus,tun’enaspas,luifit-elleremarquerensouriant.—C’estbienpourçaquenousavonsbesoindequelqu’unquisachecequ’ilfait.Jesuissûrequela
personnequ’ilnousfautestquelquepart,etjefiniraibienparlatrouver.Il connaissait la valeur de la patience. Si son instinct le poussait à foncer et à s’occuper des
conséquences quand elles surviendraient, il avait appris à ses dépens que l’audace avait un prix. Etc’étaitlamontagnequiluiavaitdonnécetteleçon.
Parréflexe, ilsetournaverslafenêtre,quiavait l’avantaged’êtreorientéeaunord-estetd’offrirunevueparfaitesurlesmontagnes.Aussitôt,ilsesentitgagnéparuneagitationfamilière.Lebesoinétaittoujours là, en lui, comme il l’était chezDestiny pour lamusique.Mais la différence, c’était que sonbesoinàluineseraitjamaisplussatisfait…
Jamais plus il ne sentirait lamorsure du vent sur sa peau. Jamais plus il ne planerait dans l’airpendantquelquessecondesavantderetombersansdouceursurlaneigeetdedévalerlamontagneàtoutevitesse.Jamaisplusilneverraitlesarbresetlafoulecommeunvaguetourbillondecouleurstandisqu’ildéfiaitlesort.
Jamaisplusilneserait«ForceG».Sondosluifaisaitmal,songenoulelançaitet,chaquematin,illuifallaitcinqbonnesminutespour
dérouillertoussesmuscles.Autantdirequ’ilavaiteudelachance.Unesacréechance,même.Maisilluiarrivaitparfoisdefermerlesyeuxetd’imaginerquetoutétaitencorelà.Asaportée.Jusqu’aumomentoùilserappelaitquecen’étaitpaslecas.
—Kipling?Il revint à l’instant présent et se tourna vers Destiny, qui posait sur lui un regard inquiet. Il se
remémora le dernier fragment de leur conversation. Comme si ses pensées ne l’avaient pas entraînéailleurs,ilreprit:
—La personne que nous recherchons finira par se présenter.Mon coachm’a inculqué certainesleçons:«Neforcepasleschoses.Laisse-lesveniràtoi.Ettiens-toiprêtàprendretonenvol.»
—Lamétaphoreestbizarre.Maissiellefonctionne…—Ellefonctionne,affirma-t-ilens’adossantàsonbureau.Ettoi?Commentçava?—Qu’est-cequetuveuxdire?—Tusaisbien.Unenouvelleville,unenouvellesœur,unemaisonavectoutleconfortmoderne…
—Est-cequetutemoquesdesannéesquej’aipasséesàlacampagne?—Ilyadeça,avoua-t-ilenesquissantunpetitsourire.—Laisse-moitedirequej’yaiapprisbeaucoup,etqu’uneviesimpleasesavantages.—Etleconfort?Elles’assitsurlebureau,faceàlui,etéclataderire.—J’avouequej’aimevraimentbeaucoupça.Surtoutl’eauchaude!Etlestoilettesavecunechasse
d’eau.Quelleinventionmerveilleuse!—Jesuisbiend’accordavectoi.Illaregardapendantquelquessecondes,ens’attardantsurlesendroitsintéressants,etpoursuivit:—Jen’arrivepasàt’imaginercourantpiedsnusdanslespréspourramasserdesfleursdeschamps.—Sansdouteparcequejenel’aijamaisfait.Jenevivaispasdansunmondeidylliquecommeon
envoitdanslesdessinsanimés.Magrand-mèrevivaitsimplement,c’esttout.C’est-à-direqu’elledevaitfairel’essentieldutravailelle-même.Lesfruitsetleslégumesnesemettentpastoutseulsenconserve.Etquandtuesbloquéparlaneigependantdessemainesd’affilée,pasmoyendefaireunsautàl’épicerieducoindelarue.
Ellesouriaitenparlant,commesilessouvenirsqu’elleévoquaitétaientdebonssouvenirs,etilenfutheureux.D’aprèslepeuqu’ilsavaitsurlaviequ’elleavaitmenéeavecsesparents,ellen’avaitpaseuuneenfancefacile.Etsagrand-mèreluiavaitvisiblementapportél’amouretlastabilitédontabesoinunenfant.
—J’aimeraisqueGrandmaNellsoitencoreparminous,murmura-t-elle,unpeutristesoudain.Passeulementparcequ’ellememanqueenpermanence,maisaussiàcausedeStarr.Jepensequemasœurestheureuse,maisjen’ensuispassûre.Nousarrivonsmieuxàcommuniquer.J’essaiedel’écouterplusquedeluiparler,et…c’estplusdifficilequeçaenal’air.
—Etvospointscommuns?Tuasforcémentlamusiquedanslesang,etelleadoreça,elleaussi.Ellefitpassersatressepar-dessussonépauleetlalissaavantdelarejeterdanssondos.—Pourlemoment,jeluiapprendsàjouerdelaguitare.Ensuite,nouspasseronsauclavier.Ellea
dutalent,etelleapprendvite.Maisellevoudraitaussiquejeluiparledumilieudelamusique,etc’estquelquechosequejenepeuxpasfaire.J’aitoujoursfaitdemonmieuxpourresterloindecemilieu,etellenecomprendpaspourquoi.
—Tun’asjamaisététentéed’enfairepartie?Mêmeenchantantcommetuchantes?—Jamais,non.Lavied’unmusicienn’estpaslapartiedeplaisirquetoutlemondeimagine.On
passe son temps sur la route, on est constamment sous pression. Il faut tout à la fois être vu et êtreproductif.Etcelanemeconvientpas.Quandj’écrisdeschansons,ilmefautducalmeetdusilence.
—Tuécrisdeschansons?Ellegrimaça,puisrougit.—Oubliecequejeviensdedire.—Impossible.Tupeuxm’enchanterune?—Non.Ellessonttroppersonnelles.Elleavaitdoncdessecrets.Sinon,pourquoiaurait-elleétéaussiréticente?Ilnesavaitriendela
façondontonécrivaitunechanson,mais ilsedoutaitbienque lesparolesdevaient facilementdevenirpersonnelles. Après tout, un auteur-compositeur devait s’inspirer de sa propre expérience, oud’événements auxquels il avait assisté. En d’autres termes, il exposait une partie de son âme. IlconnaissaitassezDestinymaintenantpoursavoirqu’elleaimaitmettreunecertainedistanceentreelleetle restedumonde.C’étaitpeut-êtreausside làquevenaient lesproblèmesqu’elle rencontraitdans sarelationavecStarr.
—Tuécrisceschansonspourtoi?demanda-t-il.—Non.Jelesécris,c’esttout.Jen’aipaslechoix.
Lesmotsétaientsimples,maisilyavaitquelquechosedanssavoix…Delatristesse,peut-être?Oudelarésignation?
Sansréfléchiràcequ’ilallaitfaire,ilselevaetlapritparlamain.Elleselevalentementetfitunpasverslui.Illaserratendrementdanssesbras.
—Net’enfaispas,murmura-t-il.Jeteprotégerai.—Jen’aipasbesoinquel’onmeprotège.—Biensûrquesi.Toutlemondeabesoind’êtreprotégédequelquechose.—Alors,qu’est-cequitefaitpeur,àtoi?—Denepasêtrecapabledeveillersurlesgensquicomptentpourmoi.Acausedudramequi s’était jouéentre sonpère, sabelle-mèreetShelby. Iln’avait toujourspas
oubliéleterriblesentimentd’impuissancequ’ilavaitressentialorsqu’ilétaitclouésurunlitd’hôpital,séparédesasœurpardesmilliersdekilomètres.
—Tuesvraimentuntypebien,Kipling.Tuessûrdenepasvouloiressayermonprojetderelationraisonnable?
Unmariagesanssexe?Nonmerci.Trèspeupourlui.—Pasavantquetuaiesessayédefaireleschosesàmafaçon,répliqua-t-il.Ellepouffaderireetlevalesyeuxverslui.—Çan’arriverajamais.—Tusaisquej’aiparticipéàdescompétitionsprofessionnelles?Tuessûredevouloirtemesurer
àmoi?Ellesouritetleregardauninstantd’unairmoqueur.—Jeprendslerisque,affirma-t-elle.—Alors,c’estparti!
10
—Jem’appelleCharlieStryker,etc’estmoilaresponsable.Kipling reconnut la femmequivenaitdeparler.Elleétaitgrandeet larged’épaules.Bienqu’elle
soit enceinte, elle se déplaçait avec beaucoup d’aisance, sans doute parce qu’elle faisait du sportrégulièrement.Elleétaitfemmepompier,etKiplingseditquelesvictimesdevaientsesentirbeaucoupmieuxenlavoyantapparaîtresurleslieuxd’unecatastrophe.Charlieirradiaitlaconfianceenelleetlacompétence.
Debout,lesmainssurleshanches,elleposaitsurl’assembléeunregardempreintdefermeté.Ellesemblaitparfaitementcapablederéglertoutproblèmequipourraitsurvenir.
— Je vais vous diviser en plusieurs groupes, poursuivit-elle, et vous attribuer des tâchesspécifiques. Que ce soit bien clair : ici, nous ne sommes pas en démocratie. Vous vous êtes portésvolontairespournousaider,etvousalleznousaider.Selonmestermes.
—Tusaisquetuessexyquandtucommandes?lançaunevoixmasculine.Kiplings’attendaitàcequeCharliesejettesurl’insolentpourlemettreenpiècesmais,àsagrande
surprise,illavitrougir.—Cen’estquemonmari,dit-elleaugroupequisetenaitfaceàelle.Nefaitespasattentionàlui.Quelquesriress’élevèrent.De l’avis de Kipling, ce mélange d’autorité et de timidité chez cette femme était très attirant.
Décidément,Fool’sGoldétaitunevillepleinedegenspassionnants.Lecalmerevenu,Charlieleurexpliquacommentilsallaientdonneruncoupdejeuneauxairesde
jeuxdelaville.—Commejeledisais,vousallezêtrerépartisenéquipes.Chaqueéquipeseraaffectéeàuneaire
dejeuxdifférente,avecunelistedechosesàyfaire.Suivezcettelisteàlalettre.N’enfaitespasplus.N’utilisezquelematérielquivousauraétéfourni.Ilyadesraisonsàtoutescesrègles,maisjenevaispasperdredetempsàvouslesexpliquer.Contentez-vousseulementdefairecequel’onvousdemande,ettoutiracommesurdesroulettes.
Elle continua à donner ses directives, mais Kipling n’écoutait plus qu’à moitié. Il regardait legroupedepersonnesquis’étaientportéesvolontairespourvenirtravaillerdès8heures,unsamedimatin.Ellesétaientbienplusnombreusesqu’ils’yseraitattendu.Parmielles,onvoyaitbeaucoupdecouples;lesfemmessepressaientcontreleurmarioucompagnon,ettousavaientungobeletdecaféàlamain.
Destiny aussi était là, en compagnie d’une autre femme. Toutes deux écoutaient Charlie, et unecertaineinquiétudeselisaitsurleurvisage.
Lajeunefemmeblondeétaitassezjolie,maisKiplingnes’intéressaitqu’àDestiny.Ilfitunpasverselle,maisShelbylerejoignitaumêmeinstant.
—Salut,grandfrère,dit-elleenl’embrassant.—Qu’est-cequetufaislà?—Parfois, c’est bien d’aider son prochain, répondit-elle en souriant.Charliem’a promis deme
trouverdestâchesadaptéesàmonniveaudecompétences.—Quiest?—Bas!réponditShelbyenriant.Trèsbas.— Ecoutez-moi tous ! lança Charlie en les regardant, Shelby et lui. Ceux d’entre vous qui ont
apporté des outils, vous formerez le premier groupe. Vous allez être affectés à deux aires de jeux etchargés de réparer les équipements. Les autres, en file indienne. Je vous mettrai dans vos équipesrespectives.Sivousavezunepréférence,dites-le-moi. Ilvanousfalloirdescostaudspourenlever lesvieuxtapis.L’écorcesaledevraêtreratisséeetévacuée.Ilfaudraaussiponcertouteslespiècesdebois,etilyaassezdepeintureàfairepourtoutlemonde.Etmaintenant,auboulot!Ilcommenceàsefairetard.
—Est-cequ’elleétaitdansl’armée?chuchotaShelby,faisantmined’êtreeffrayée.—Ondirait bien, répondit-il sur lemême ton.Viens, allonsnousmettre dans le rang, c’est plus
prudent.QuandCharliearrivaàsahauteur,elleluijetaunseulregardavantdedésignersagauche.—Vaaveclescostauds.C’estunboulotdemacho,çadevraitteplaire.—Oui,m’dame.Charlie,d’ungeste,dirigeaShelbyversungroupedefemmes.—Ratissageetpeinture.—Taméthodedesélectionneseraitpasunpeusexiste?luidemandaShelby.—Si.Çateposeunproblème?—Pasdutout,réponditShelbyensouriant.Cen’étaitqu’unequestion.Kiplingrejoignitungrouped’hommes,parmilesquelssetrouvaientGideon,l’undesesassociésà
laManCave,etsonfils,Carter.—Salut,ForceG!ditCarter.Jesuiscontentd’êtreavecvous.Kiplingfitdesonmieuxpourgarderunvisageneutreenentendant l’adolescent l’appelerparson
surnom.Cesurnomqu’ilneméritaitplus…—Salut,Carter.Salut,Gideon.Commentçava?—Bien.Ilestunpeutôtpourmoi,maisFeliciaaditquec’étaitimportantd’aiderlacommunauté.Pourunhommequi,commelui,travaillaitde22heuresaupetitmatin,ilnedevaitpasêtrefacilede
commenceràcetteheure-là,eneffet.—Mamanexigequenousrendionsàlacommunautéautantqu’ellenousdonne,expliquaCarteravec
ungrandsourire.Elleditquetouslesprimatesressententlebesoininnéd’établiruneconnexionaveclecœurdugroupe.Ellesaitpleindetrucs.
—C’estcequejevois,réponditKipling,retenantunsourire.Iln’avaitrencontréFeliciaquedeuxoutroisfois,maisillasoupçonnaitd’êtrelapersonnelaplus
intelligente de toute la communauté. Il se demandait commentGideon et elle, qui semblaient tellementdifférentsl’undel’autre,avaientfiniensemble.Maisaprèstout,certainespersonnesauraientsansdouteétéétonnéesd’apprendreque,detouteslesfemmescélibatairesquel’ontrouvaitdanscetteville,ilavaitfixésonchoixsurDestiny.
Lesmécanismesdel’attiranceétaienttoujoursintéressantsàobserver,etparfoisbiencomplexes.PenseràDestinyl’amenaàpenseràStarr.—Tuesaucampdevacances,pasvrai?demanda-t-ilàCarter.—Oui,pourledeuxièmeété.Jesuislebinômedetoutpleindenouveaux.C’estplutôtsympa.—TuconnaisStarrMills?
—Bien sûr.On traîne unpeu ensemble.Elle préfère lamusique et le chant,mais on a quelquesateliersencommun.
—Bien.Elleestnouvelle,etjesaisquesasœurapeurqu’ellen’arrivepasàtrouversaplace.—Jevois, réponditCarter.Mamères’inquiétaitde lamêmechosequand je suisvenuvivre ici.
MaisStarrs’ensortbien.—Tugardesunœilsurlapetitesœur?demandaGideon,jetantàKiplingunregardentendu.Après
tout…touslesmoyenssontbons.AvantqueKiplingaitpurépondre, ilsfurentpriésderejoindre lescamionsqui lesemmèneraient
jusqu’auxdiversterrainsdejeu.Cequ’ilsfirentsansattendre.—Tun’asrienentendu,surlebar?repritGideon.—Entenduquoi?—Desplaintes,ouautrechoses.—Non.Ons’ensortbien.Onfaitdesaffaires.Pourquoi?Gideonhaussalesépaules.—J’entendsdesrumeurs,c’esttout.LeJo’sBarn’estpasbienloin.—Biensûr,maislaclientèleestdifférente.Joviselesfemmes,tandisquenousvisonsleshommes.
Etilyabeaucoupdesdeuxenville.—Cen’estpasaussisimple,marmonnaGideon.Maisjepensequepourlemoment,çavaaller.—Tut’inquiètestrop.Gideonhochalatête.—Sansdoute.Avant,c’étaitcequimegardaitenvie.Maisjesuissûrquetuasraison.Quetoutira
bienpournous.—Toutirabien,déclara-t-il.Tuverras.
***
Destiny découvrit qu’une matinée passée à peindre les équipements d’un terrain de jeu étaitexactement ce dont elle avait besoin pour se remettre les idées en place. Elle avait invité Starr àl’accompagner,maissasœuravaitpréféréfairelagrassematinée.
L’air se réchauffait vite. Le soleil brillait dans un ciel que ne traversaient que quelques nuages.C’était là une façon agréable de passer un samedi. Jamais elle ne s’était retrouvée impliquée dans cegenre d’événement avant d’arriver à Fool’s Gold, et elle découvrait qu’il était vraiment amusant detravaillerainsienéquipe,aubénéficedelacommunauté.
—Danscombiendetempspenses-tuqueCharlievavenirinspecternotretravail?demandaShelbydansunrire.
—Jen’ensaisrien,maisjem’appliquepourquechacundemescoupsdepinceausoitbienrégulier.—Moiaussi!Elletravaillauninstantensilenceavantdereprendre:—C’estsympa.D’habitude,lesamedimatin,jesuisàlapâtisserie.C’estvraimentagréabled’avoir
pudormirjusqu’à6heuresetdemeretrouverdehors,aulieud’êtreenfermée.— Je te plains de parler de grasse matinée quand tu te lèves à 6 heures… mais j’adore mes
viennoiseriesdumatin.—Ilfautbienquequelqu’unlesfasse.Etj’aimeça.—Jet’enremercie.—Enretour,tumeretrouverassijemeperdsdanslamontagne.Destinyhochalatête,mêmesiellesavaitqu’elleneferaitpaspartiedel’équipederecherche.Pour
lemoment,onne luiavaitpasencoreattribuédenouvellemission,maiscen’étaitqu’unequestionde
temps.Pour une fois, quand elle partirait, elle regretterait beaucoup de choses.Certaines personnes. La
villeelle-même.Ici,elleavaitétabliuneroutineàlaquelleelles’étaitattachée.Elleaimaitlesdéjeunersentrecopinesetlesfestivals.Ellecommençaitmêmeàs’attacheràsapetitemaisondelocation.
Elles’étaitfaitdesamis,pensa-t-elleenregardantMadeline,quipassaitlerâteauàl’autreboutduterraindejeu.Madeline…quiétaitalléeprendreunverreavecl’hommequiétaitaussisortiavecShelby.
Elleplongeasonpinceaudanslepotdepeinturerouge,hésitauninstantetdemanda:—CommentçasepasseavecMiles?—Jel’aivudeuxfois.Ilestvraimentamusant,réponditShelbyenluisouriant.Maisnet’inquiète
pas.Jesuivraitesconseils.Jenem’attacheraipasàlui.—Dumomentquetusaisqu’ilneseraitpasraisonnabled’attendrequelquechosedelui…—Oui.JesaisqueMilesnechercheriendepermanent,etdemoncôté,jesuisd’accordpourque
notrerelationnedépassepaslestadedel’aventure.Nousavonsdiscutédetoutça.Ilmeserafidèletantqu’ilseraiciet,quandilpartira, toutserafinientrenous.D’habitude,j’enattendsplusdelapartd’unhomme,mais il y a quelque chose de spécial chez lui. J’aime les hommes quime font tout oublier, ycomprismoi-même.
—Pourquoi?Shelbyéclataderire.—Parcequel’amourdevraitêtrequelquechosed’imprévisibleetd’amusant.Jetravailletousles
jours,et je travailledur.J’aiuneroutinebiendéfinie,cequiest trèsbien,mais ilm’arrivedevouloirplus.Jeveuxressentirlepetitfrissondel’attente.Jeveuxêtresurprise.J’adorelessurprises.
—Mais seulement les bonnes, j’espère, lui fit remarquer Destiny en riant. Tout le monde veutgagner à la loterie, mais personne ne veut avoir d’accident de voiture. Pourtant, les deux sont dessurprises.
—Tusaisquoi?Tuesquelqu’undegénial,maisparfois,tuesunpeubizarre.—Onmel’adéjàdit,oui.Elleposasonpinceausurlepotdepeintureetserelevapoursedégourdirlesjambes.—J’aiassistéàbeaucoupdetragédiesémotionnelles,dansmavie,expliqua-t-elle.Jerecherchele
calme.—L’ennui,tuveuxdire.— Je suis une adepte de l’ennui. Je préfère savoir que demain ressemblera trait pour trait à
aujourd’hui.Elle voulait être certaine que la personne qui comptait le plus pour elle serait encore là le
lendemainmatin.Combiendefoiss’était-elleréveillée,quandelleétaitenfant,pourdécouvrirquesesparentsn’étaientpasrentrésàlamaison?Ouqu’ilsavaientsautédansunavionpourNewYorkouLasVegas?Parfois,ilsdemandaientàquelqu’undevenirs’occuperd’elle.Maispastoujours.
Elleavaitpasséplusd’uneannéechezGrandmaNellavantdepouvoirseréveillersansunnœudàl’estomac.Desonpointdevue,lessurprisesnevalaientpastoutlebattagequel’onfaisaitautourd’elles.
***
Quand les équipesde travail eneurent fini avec les tâchesqui leur avaient été assignées, il était14 heures. Les amies deDestiny l’invitèrent à se joindre à elles pour un repas de nachos arrosés demargaritas,chezJo,maiselledéclinal’invitation.Ellevoulaitrentreretpasserlerestedel’après-midiavec Starr. Elles avaient prévu de jouer de la guitare avant de préparer le dîner ensemble. Riend’extraordinaire,maiselleavaithâtedepasserdutempsavecsasœur.
Arrivéechezelle,elleentraenlançant:
—Jesuislà!Starr était dans le salon, son téléphone portable à l’oreille. Quand Destiny entra dans la pièce,
l’adolescenteluitournaledos.QuelquechosedanssapostureamenaDestinyàs’arrêternet.—Ouais,marmonnaStarr.Pasdesouci.Salut.Ellepressaunetouchedesonportableetlejetasurlecanapé.—Qu’est-cequ’ilya?demandaDestiny.—Rien,réponditStarrd’unevoixétranglée.Commesasœurneseretournaitpas,Destinys’approcha.—Hé…dis-moi,s’ilteplaît.Starrsetournalentementverselle.Sesyeuxétaientemplisdelarmes.—Papaaappelé.Ilvoulaitmesouhaiterunbonanniversaire.Acesmots,Destinyfutgagnéeparunsentimentd’horreur.—C’esttonanniversaire?Ohnon!Pardonne-moi.Jenesavaispas.Elleauraitvoulusegifler.Commentavait-ellepuoublierdedemanderàStarrquand tombaitson
anniversaire?Quellesœurindigneellefaisait!—Leproblème,expliquaStarrenessuyantseslarmesd’ungesterageur,c’estquecen’estpasmon
anniversaire.Quandjeluiaidit,ilaréponduquecen’étaitpasbiengrave.C’estmonp…monpère,etilnesaitmêmepasquandjesuisnée!
Destiny s’assit à côté de sa sœur et lui ouvrit les bras.Starr ne résista qu’une seconde avant des’effondrercontreelle.
—Jesuisdésolée,murmuraDestiny.Ellesavaitquec’étaientlàdesmotsstupidesquineseraientd’aucunsecours.Maisquepouvait-elle
dired’autre?—Çaluiarrived’êtrecommeça,reprit-elle.Tusaisqueleproblèmevientdelui,pasvrai?Etpas
detoi?—Parcequ’ilestleseulquicompte?—C’estunpeuça.—C’estmonpère. Pourquoi…pourquoi est-ce qu’il nem’aimepas ?murmuraStarr entre deux
sanglots.—Ilt’aime.—Non.J’aivucommentsecomportaientd’autrespères.Lui,ilsefichedemoi.Destinylaserratrèsfortetréfléchitquelquessecondesavantderépondre:—JimmyDonn’estpascommelesautrespères.Jesuisdésoléequ’ilt’aitfaitça.Elle garda Starr tout contre elle jusqu’à ce que l’adolescente cesse de pleurer. Enfin, elle se
redressa,essuyasesyeuxrougesetsonvisagebouffiparleslarmesetesquissaunpâlesourire.—Merci,dit-elled’unepetitevoix.Maisc’estvraimentnul,d’avoirunpèrecommeça.—Jesais.—Onpeuttoujoursjouerdelaguitareensemble?—Biensûr.Etaprès,onferadescookies.Cetteréponseluivalutunpetitrire.—Jen’aipluscinqans,luifitremarquerStarr.Cen’estpasavecuncookiequetuvasmechanger
lesidées.—Peut-êtrepas,maisjepeuxtoujoursessayer.Starrrenifla.—Ilfautquejememouche.Jereviens.Quandelleeutquittélapièce,Destinys’envoyaunmémentopare-mailpoursesouvenirdeprendre
contactavecl’avocatdesonpère.ElledevaitconnaîtrebeaucoupplusdechosessurStarrqu’ellen’en
savait.Acommencerparladatedesonanniversaire.Parceque,quandcejourviendraitvraiment,ellevoulaits’assurerqu’ildemeureinoubliable…delafaçonlapluspositivepossible.
***
Ledimanchemidi,Starrreçutuntextod’Abbyquil’invitaitàvenirpasserlasoiréeetlanuitchezelle.DestinyappelaLiz,lamèred’Abby,eutlaconfirmationqu’aucungarçonneseraitprésentetquelesfillesneseraientpaslaisséessanssurveillance,etdéposaStarrchezsonamieà16heures.A18h30,ellefaisaitlescentpaschezelle.
Elle ne savait pas où était son problème,mais elle était tout simplement incapable de rester enplace. Elle avait nettoyé les deux salles de bains et fait deux machines de linge avant d’essayer detravaillersurl’unedeschansonsnotéesdanssoncarnet.Envain.Alors,elleavaitallumélatélévisionetzappéd’unechaîneàl’autre,puisfaitunpeudeshoppingsurInternet.Mais,à19h18,ellecompritqu’illuifallaittrouverunmoyendesedistrairesouspeinededevenirfolle.
Elle fourra son portable et sa carte de crédit dans les poches de son jean, ferma la porte à cléderrièreelleetpritladirectionducentre-ville.
Lesoleiln’étaitpasencorecouché,etune tiédeuragréable régnaitdans les rues.Ellecroisabonnombredepromeneurs,etnotaque les terrassesdes restaurantsétaientbondées.Pasdedoute :Fool’sGoldétaitunevilleanimée.Plusieurspersonneslasaluèrentquandellelescroisa.Elleleurréponditd’unsourire—maiselleauraitétéincapabledelesappelerparleurnom—etcontinuasonchemin.C’étaitcommesielleavaitunbut,mêmesiellen’avaitpaslamoindreidéedecequ’ilpouvaitêtre.
Elles’arrêtaenfacedelaManCaveetcontemplalonguementl’enseigneetlastatued’hommedescavernesquisedressaitàcôtédelaporteavantdeserésoudreàl’inévitable.
Unefoisà l’intérieur,elleeut l’impressionderespirerplusfacilement.Deuxmatchsdebase-ballpassaientsurlesécransinstallésau-dessusducomptoir.Laplupartdessiègesétaientoccupés.Lefracasdes boules qui s’entrechoquaient sur les tables de billard se mêlait aux rires et aux éclats de voix.L’odeurconjuguéedupop-corn,delabièreetdesburgersluidonnaaussitôtl’impressionqu’elleétaitàsaplace.Chezelle.
Peut-êtreparcequ’elleavaitgrandidansdesbarsdetroisièmeordre,ouqu’ellepouvaitseperdreaumilieud’unefoule,cequiluiétaitimpossibledanslesilencedesamaison.Amoinsquecenesoitàcausedelascènequisedressaitàl’autreboutdelasalle…
L’afficheindiquaitquelasoiréekaraokécommençaità20heures,touslessoirs,maiselles’obligeaàneluijeterqu’unrapideregardets’avançaverslecomptoir.
—UnLongIslandIcedTea,commanda-t-elle.Undouble.Labarmaid,unefemmequ’elleneconnaissaitpas,laregarda.—Vousêtesàpied?Destiny sourit. Ainsi se déroulait la vie, à Fool’s Gold. C’était une ville où l’on s’assurait que
personneneprendraitlevolantaprèsavoirbuavantmêmequ’ilaitcommencéàboire!—Jevisàmoinsdesixruesd’ici,répondit-elle.—Danscecas,unLongIcedTea.Çamarche.Ellesejuchasuruntabouretlibre,aucomptoir,regardatoutautourd’elleetcomptalenombrede
personnes qu’elle connaissait. Il y en avait une douzaine. Peut-être même plus. Amis, et simplesconnaissances.
AidanétaitassisavecNick,Milesetdeuxautresgars.Ellelessaluad’unmouvementdelatêteet,d’ungeste, ils l’invitèrentàse joindreàeux.Maiselle ignora l’invitation.Ellen’étaitpasd’humeuràdiscuteravecaucund’entreeux,cesoir.EtsurtoutpasavecMiles,quisortaità lafoisavecShelbyetavecMadeline.
Elleespéraitvraimentqu’aucunede sesdeuxamiesne tomberait amoureusedecethomme.Ellesméritaientmieux, l’unecomme l’autre.ToutcequeMiles ferait,ceserait leurbriser lecœuretpartir.MieuxvalaitqueMadelinecraquepourl’acteurdefilmsd’action,JonnyBlaze,etqueShelbytrouveunhommequisoitbienplusgentilqueMiles.Ellelesavaitbienprévenues,touteslesdeux,maisellesavaitquenil’unenil’autrenesuivraitsesconseils.Etaprèstout,ellesétaientadultes.
CequenesemblaitpasêtrelecasdesfrèresHendrixavecleurpariincroyablesurceluiquimettraitlepremiersafemmeenceinte.Puisellepensaàsonpère,quiavaitanéantiStarrensetrompantsurlejourde sonanniversaire.Etunepenséeenamenantuneautre, elle sedemandacequ’elle allait fairede sasœur quand sa mission à Fool’s Gold se terminerait. C’était un vrai problème, et elle ne devait pasdécidern’importequoi;elleavaitcharged’âme,àprésent.
L’agitationqui l’habitait grandit encore et, quand labarmaid luidonna sonverre, elle enbutunelonguegorgée.Ellesavaitl’effetquel’alcoolauraitsurelle:illaforceraitàrelâcherlecontrôlequ’elleexerçaitenpermanencesurelle-même,et…ellecéderaitàl’impensable,parcequ’illefallait,parcequec’étaitleseulmoyenpourqu’ellesesentemieux.
Quandelleeutterminésonverre,elleencommandaunautre.A19h55,elles’approchadelascène,oùKiplingétaitentraindebrancherlamachineàkaraoké.
Comme iln’avaitpas remarquésaprésence,elleput l’étudier sansqu’il s’en rendecompte.Ellenotalalégèrehésitationquimarquaitcertainsdesesgestes,gâchantunpeusagrâceathlétique.Quelqu’unluiglissaquelquesmots,auxquelsilréponditd’unrapidesourire.Ellesavaitquesesyeuxétaientd’unjoli bleu, que, quand il l’embrassait, elle oubliait tous ses plans d’avenir, et qu’il aimait sa sœur etveillaitsurelle.
Sielleavaitétéuneautre femme,sielleavaitétéenquêted’autrechose,elleauraitdéjàcouchéaveclui.Peut-êtremêmequ’elles’autoriseraitàtomberamoureusedelui,cequiseraitencorepire.Maiscommeelleavaitapprisàseprotéger,ellerestaitprudente.Dumoinsencequiconcernaitsesrelationsaveccethomme.Pourlereste…ellel’étaitbeaucoupmoins.
Parcequecesoir,elleallaitchanter.Illevalatêteetlavitenfin.—Salut,Destiny!Jene…Ils’interrompit,soudainsoucieux.—Qu’est-cequ’ilya?—Rien,toutvabien.—Non,c’estfaux.Ilyaquelquechose.Quoi?Mais elle était incapable demettre desmots sur cemalaise qui tourbillonnait en elle, sur cette
impressiondenepasêtreàsaplacedanssaproprepeau,d’avoirbesoindequelquechosedeplus.Elleétaitcommeprisonnièred’unétaud’impatience.Elle tremblaitsous l’effetde la tensionnerveuse.Elleétaittraverséeparbientropd’émotions,etnesavaitpascommentlesgérer.
—Ilfautquejechante.Elle s’attendait àcequ’il éclatede rireou lapasseà laquestion,parcequecettephrasen’avait
aucunsens.Maisilnefitriendetoutcela.Aucontraire,illuitenditlamainetl’aidaàmontersurscène.—Tuveuxfairetoutelasoirée?demanda-t-il.—Siçanetedérangepas.Illuisourit.—Laisse-moiréfléchir…Tumeproposesuneanimationgratuitepourmesclients,etdet’entendre
chanterplusd’unechanson…Jecroisqueçapeutaller.Ensemble, ils passèrent les chansons en revue.Elle en choisit unedeTumpyShanks.Unevieille
chanson,maisquiétait l’unedesespréférées.Under theWillowTree serait suiviepar le tubede son
père,Barstool’sBlues.Ellerajoutaquelques-unesdeschansonsdesamère,puisWhatHurts theMost,untubedesRascalFlatts,etterminaparComeOver,deKennyChesney.
Elleposasonverresurlapetitetable,àcôtédelamachineàkaraoké.—Ilvam’enfalloirunautredansunequinzainedeminutes,dit-elle.Kiplingluijetaunregardinquiet.—Tuessûredevouloirfaireça?—Illefaut.—Onpeutallerailleurs,situveux.Parler.Prendrelavoiture.Trouverunarbreetletraiterdetous
lesnoms.—Non.Jedoischanter.C’estlaseulefaçon,chuchota-t-elle,touchéemalgrétoutdelasollicitude
dontilfaisaitpreuve.Celanem’arrivepassouvent.Unefoistouslesdeuxans,peut-être.Maisquandçaarrive,jenepeuxrienfaired’autre.Aumoins,cettefois,jen’aipaseuàcherchertrèsloinpourtrouverunkaraoké.Letienesttellementbiensitué!
—Jefaiscequejepeux,répondit-ild’untonléger.Maisl’inquiétudeselisaittoujoursdanssesyeux.Elle prit le micro, qui était d’un poids parfait. Il tenait bien en main sans être trop lourd. En
revanche, l’éclairage laissait à désirer, mais, après tout, il ne s’agissait pas d’un tour de chantprofessionnel.Ellefrottalasemelledesesbottessurlesoldebois,commepours’yancrer.
Kiplingquittalascène,etelleseretrouvaseule.Petitàpetit,àmesurequelesclientsremarquaientsaprésence,lesilencesefitdanslasalle.Ellepressaleboutonafindelancerlapremièrechanson,prituneprofondeinspirationetselaissaemporterparlamusique.
—« Je t’ai laissé là, sous le saulepleureur, chanta-t-elle.Tuétais en larmes, et je temanqueraitoujours.»
Ellen’avaitpasbesoinderegarderl’écranpourserappelerlesparoles.Elledevaitavoircinqousixansquandelleavaitappriscettechanson,qu’ellechantaitsurscèneenaccompagnantsesparentsentournée.
Amesurequeleschansonsdelalistesesuccédaient,elleperdittoutenotiondutemps,dunombredeverresqu’ellevidait,del’endroitoùellesetrouvait.Elles’abandonnaitentièrementàlamusique,lâchantprisedelaseulefaçonqu’elleconnaissait,laseulequiétaitsanslemoindredangerpourelle.Lenœudquiluienserraitleventreserelâcha,sonagitationsecalma.Ellepassaitsavieàrenierquielleétait,cequ’elleétait.Mais,detempsentemps,ellen’avaitpaslechoix:ilfallaitqu’ellelaissecettepartied’ellesortiret,cesoir,c’étaitlecas.Alafindesontourdechant,elleétaitépuisée,maisenpaix.
Elleposalemicrotandisqu’untonnerred’applaudissementsmontaitdelasalle.Ellehochalatête,uneseulefois,etmarchajusqu’auborddelascène.Kiplingl’attendaitpourl’aideràdescendre.
—Tutrembles,murmura-t-ilenpassantunbrasautourdesesépaules.—Çavaaller.Aulieudelaconduireverslecomptoir,ill’entraînaverslefond,oùsetrouvaitunpetitbureau.Elle
selaissatombersurlachaiseetposalesyeuxsursesmainsagitéesdetremblements.—Est-cequetuasmangé,aujourd’hui?demanda-t-il.—Pasdepuismidi.—Cen’estjamaisunebonneidéedeboirel’estomacvide.Attends-moiici.Jevaistechercherun
sandwich.Ellesebornaàhocherlatête,parcequ’illuiétaitsoudaintroppénibledeparler.Quandilfutparti,
elle regarda l’horlogemuraleet fut surprisedevoirqu’il étaitplusde23heures.Est-cequ’elle avaitvraimentchantépendanttroisheuresd’affilée?Pasétonnantqu’ellesoitépuisée!
Kiplingrevintavecunebouteilled’eauetunsaladierdepop-corn.
—Jevaisbientôtfermer.Tonsandwichseraprêtdansdeuxminutes.Quandtul’aurasterminé,toutlemondeserapartiettupourrassortir.
—Commentsais-tuquejeneveuxvoirpersonne?—Parcequetunesouhaitespasparlerdecequivientdesepasser.Tuneveuxpasrépondreaux
questions.Sansqu’ellepuissedire comment, il avait compris cequ’elle ressentait à cet instantprécis.Elle
étaitdoncsiprévisible?Quoiqu’il en soit, il avait raison.Elleavaitbesoindechanter,maisellenevoulaitpasenparler.Ellenevoulaitpass’expliquer.
Quandellefutdenouveauseule,ellebutlabouteilled’eaud’untraitetseleva.Lapiècetournaitunpeu.Cen’étaitpasvraimentunesurprise.Elleavaitbutantdeverresqu’elleenavaitperdulecompte.
Ellequittalebureauetretournadanslasallequi,maintenantqu’elleétaitvide,luiparutplusgrande.Il restaitencoredesverressur les tables.Kiplingetsesemployésfaisaientsansdoute leménage
avantdefermer,d’habitude,maiscesoir,ellelesoupçonnaitd’avoirpressétoutlemondedepartir.Pourelle.Pourqu’ellenesoitpasmalàl’aise.Parcequ’ilavaitundonpourréparercequiétaitcasséchezlesgens.Commeellel’était.
Ilsortitdescuisines,uneassietteàlamain.—Mangeça,etjeteramèneraicheztoi.Leprogrammeparaissaittrèsraisonnableet,àtoutautremoment,elleauraitvolontiersacceptédele
suivre.Maispascesoir.Pasalorsquelebartournoyaitautourd’elle,quesoncœurgalopaitetquesondésirenflait.
Elles’avançaverslui,luipritl’assiettedesmainsetlaposasurunetable.Ensuite,ellesepressacontreluietl’embrassa.
Ellenesavaitpasvraimentcequ’elleétaitentraindefaire.Ellesavaitjustequ’elleavaitbesoindesentir sa bouche sur la sienne, besoin de se perdre, d’une autre façon. Sans paroles, cette fois. Ellevoulait retrouver la chaleur, la tension, tout ce qu’elle avait ressenti la dernière fois qu’il l’avaitembrassée.Saufquemaintenant,ellevoulaitplusqu’unsimplebaiser.
Alasecondeoùleursbouchessetouchèrent,elleentrouvritleslèvres.Sanssefaireprier,ilcaressasalanguedelasienne.Ledésirfusaaussitôtenelle,faisantnaîtredesétincellessursonpassage.Elles’efforçadeserapprocherencoredelui.Confusément,elleserendaitcomptequechanterneluiavaitpastoutàfaitsuffi.Elleavaitbesoindeplus.BesoindeKipling.
Ellefitglisserlesmainssursesbras,puisdanssondosmince,maismusclé,exploralalargeurdeses épaules.Quand il l’embrassa plus passionnément, quand il taquina sa langue de la sienne, elle seplaquacontrelui,laissantsoncorpsfondre.Sescuisseseffleurèrentlessiennes.Sesseinsseplaquèrentcontresontorse.
Elle ressentait chacun de ses gestes, chacune de ses caresses avec une acuité extraordinaire. Lechemindebaisersqu’ilsemasursajoue,lecoupdelanguequ’ildonnasurlapeausensible,justesoussonoreille.Lachaleurdesonsouffle.Lebruissementdu tissudesonT-shirtsoussesdoigts.Toussessenssemblaientexacerbés.C’étaitpeut-êtreàcausedesLongIslandIcedTea…etpeut-êtreàcausedecethomme.Maisquoiqu’ilensoit,ellevoulaittoutcequ’ilavaitàluioffrir.
Ellesaisitsespoignetsetposad’autoritésesmainssursesseins.Quandileffleurasestétonsdespouces,ellegémit.
***
Kiplings’exhortaaucalme.Ilnefallaitpasqu’ilprécipiteleschoses.Ilétaithorsdequestionqu’ilfassel’amouravecDestinydansunbar.Ilavaitlafermeintentiondefairel’amouravecelle,mais,pour
leurpremièrefois,ilvoulaitprendresontemps.Etreromantique.Luidonnerduplaisirdeux,voiretroisfoisavantdecéderlui-même.
Saufquesonsexenesemblaitpasd’accord.C’étaitpeut-êtreunmanqued’affluxsanguin…àmoinsquecenesoitlafaçondontDestinyletouchaitets’offraitàlui.Achaquebaiser,ilsesentaitattirédeplusenplusirrésistiblement…etiladoraitça.
Enl’entendantgémir, ilfaillitbienperdrelatête.Soussesmains, ilsentait lepoidsdesoncorpsauxcourbesvoluptueusesetsestétonsdurcis.Soudain,ilperdittoutàfaitlatête.IlluiretirasonT-shirtetlejetasurlatable,derrièreelle.Ensuite,cefutletourdesonsoutien-gorge,etenfin,ilvitsesseinsetsestétonsquipointaientverslui,commepourlesupplierdelesaimer.
Ilbaissalatêteetposaleslèvressursapoitrine,toutdoucement.Ellegémitdeplusbelle.Quandilattiralepetitbourgeondanssabouche,illasentitvacillercontreluietlaretintavantqu’elles’effondre.
—Encore…,souffla-t-elleens’accrochantàlui.Oh!S’ilteplaît,fais-leencore…Ilaspira son tétonet le taquinaduboutde la langue, lui arrachantunnouveaugémissement.Elle
crispaitlesdoigtsdanssescheveux,commepourluiinterdiredes’arrêter.Ilpassaàsonautreseinetfitlamêmechose.Maintenant, elle respiraitplus fort en se tortillantcontre lui, la tête rejetéeenarrière,gémissantencontinu.
Cettefemmeétait l’incarnationdudésir.Commentunhommeavait-ilpucoucheravecellesanslasatisfaired’abord?S’ilsuffisaitdeluitoucherlesseinspourl’exciteràcepoint,iln’étaitsansdoutepasbiendifficiledel’amenerjusqu’àl’orgasme.Leshommesétaientdesidiots,pensa-t-ilgaiementenôtantseschaussures,puissachemise.Ehbien…tantmieuxpourlui!
Ilpoussalatabledel’undesboxetinstallaDestinysurlabanquette.Elleretirasesbottesavantdel’aideràluienleversonjeanetsaculotte.Dèsqu’ellefutnue,ellepritdenouveausesmainspourlesposersursesseins,cequil’empêchad’ôterlerestedesespropresvêtements.Mais,enremplaçantsesdoigtsparsabouche,ilparvintàsedéshabiller.Enfin!
Ellecaressasontorseetluisourit.Sesyeuxétaientunpeuvitreuxet,pendantquelquessecondes,ilsedemandaàquelpointelleétaitsoûle.
—Embrasse-moi…,murmura-t-elled’unevoixrauque.Etilperditlatête.Leurslanguessemêlèrent.Labanquetteétaitjusteassezlonguepourqu’ilpuisses’allongersurelle.Elleaccueillitlepoidsdesoncorpssurlesien,bougealégèrementetl’enserradesesbras.—Je savais que ça serait commeça,murmura-t-elle contre ses lèvres.L’ADN finit toujours par
gagner.—L’ADN?—Non,rien,dit-elleensouriant.Cetrucquetum’asfait,surlesseins…çamarchevraiment.—Tuasaimé?—Beaucoup.Quil’auraitcru?—Etlereste?Qu’est-cequetuaimesd’autre?Commentest-cequetuvoudraisquejetedonnedu
plaisir,Destiny?Avecmabouche?Mesmains?Oucommeça?Toutenparlant,ils’enfonçaunpeuenelle.Justeunpeu.Justelebout.Elleétaitchaude,humideetétroite.Sesyeuxs’écarquillèrent,etelleouvritlabouche.Pensantqu’il
s’agissaitdesignesdeplaisir,ilpoussaencoreunpeu.S’enfonçauntoutpetitpeuplusloin,untoutpetitpeuplusprofondément.
Cequis’avéraêtreunegrossièreerreur,parcequecelafaisaitdesmoisetdesmoisqu’iln’avaitpastouchéunefemme.Déjà,ilressentaitlapressionfamilières’accumuleràlabasedesonsexe.Prisdepanique,ilcherchaunmoyend’éviterlacatastropheimminente.
Iln’étaitenellequedepuisdeuxsecondes.Bonsang!Qu’est-cequ’ildevaitfaire,maintenant?Seretireretéjaculersursacuisse,commeunadolescent?Ous’enfoncer totalementenelleet…éjaculer
commeunadolescent?Quellequesoitl’optionqu’ilchoisisse,iln’échapperaitpasàl’humiliation.Iljuratoutbas.—Destinyje…jeteprometsqued’habitude,cen’estpascommeça.Jem’occuperaidetoidans
uneseconde.C’estjusteque…Parréflexe,seshanchessecontractèrentetils’enfonçaenelle.Troischosessepassèrent,simultanément.Destinyposalesmainssursesépaulesetdit:—Kipling,jesuis…Ilsentitunebarrièrequisedressaitentreluiet lelieuhumideetsecretoùildésirait leplusêtre.
D’instinct,ilpoussaplusfort,etl’obstaclecéda.Etiljouit.Saisid’unmauvaispressentiment, il se retiraaussivitequepossible,mais ilétaitdéjà trop tard.
Sonmalaiseaugmentaquandilbaissalesyeuxverssonpénisetyvitdusang.Lespiècesd’unpuzzletrèssurréalistesemirentenplacedanssonesprit.
Mais non. C’était impossible. Il y avait forcément une autre explication. Elle approchait de latrentaine.Elleétaitmagnifique.Etelleétait…
—Tuesvierge?
11
—Jel’étais,réponditDestiny.Etsoudain,ellelaissaéchapperunpetitrire.Ellevenaitdeperdresavirginitédansunbar,surune
banquette.Logique.Elle était la fille de sesparents, après tout.Et quandon s’appelaitDestiny, onnepouvaitéchapper…àsadestinée.
Ellepouffadenouveauderireetseditqu’elleétaitpeut-êtreunpeuplussoûlequ’ellel’avaitcru.Kiplingserelevapéniblement,ladévisageaetrépéta:—Tuétaisvierge?Non.C’estimpossible.Elleseredressaàsontouretessayadedéterminercequ’elleressentait.Unelégèredouleuret,pour
êtrehonnête,uneréelledéception.Aprèstoutcetemps,malgrétoussesprojets,alorsqu’elleavaittantespérénepasêtrecommesesparents,ellel’avaitfait.Elleavaitcouchéavecuntypedansunbar.Biensûr, elle avait passé un très bon moment quand il l’avait embrassée, et elle avait vraiment aimé lessensationsqu’ilavait faitnaîtreenelleen touchantsesseins.Mais la fin,enrevanche,n’avaitpasététellementintéressante.
Décidément,lesexeétaitcommelaplupartdeschosesdéfendues.Onenfaisaittouteunehistoire,alors qu’il n’y avait vraiment pas de quoi. Et c’était pour çaque ses parents avaient délaissé leursenfants, dévasté leursmariages successifs et failli sedétruire eux-mêmes?Pourunepressionde troissecondes,suivied’unelégèredouleur?Ellepréféraitmangerunbrownie!C’étaitplusagréable.
Oùétaientletremblementdeterreettoutescesconneriesdontparlaientleschansons?Lemomentintensequichamboulaitunevie?Tuparlesd’unedéception!
—Destiny.LavoixdeKiplingétaittranchante.Peut-êtremêmeunpeuaffolée.—Toutvabien,lerassura-t-elle.—Tuétaisvierge?Ellehochalatêteetseleva.Autourd’elle,lapiècenetanguaitpresqueplus.Tantmieux.Parceque
maintenant,ilfallaitqu’elle…Ellebaissalesyeuxetserenditcomptequ’elleétaitnue.Entièrement,complètementnue.Dansun
bar.Qu’est-cequ’illuiavaitpris?—Meshabits,dit-elle.Kipling lui tendit sa culotte, qui était toujours prise dans son jean. Elle l’en dégagea et l’enfila.
Pendantqu’elleremettaitsonjean,illuitenditsonT-shirtetsonsoutien-gorgeetcommençaàserhabillerluiaussi.
—Destiny,nousdevonsparlerdetoutça.Cequiest…—Paslapeine.Toutvabien.Jesuisadulte.Jel’aifait.Nousl’avonsfait.
Ilyavaittellementlongtempsqu’elleavaitattenducemoment…—Jemedemandaiscommentc’était.Ehbien,maintenant,jelesais,conclut-elle.—Cen’estpassisimple.—Biensûrquesi.Net’inquiètepas:jevaisbien.—Non,tunevaspasbien.Tunepeuxpasallerbien.Elleenfilasesbottesets’assuraquesesclés,sonportableetsacartedecréditétaienttoujoursdans
lespochesdesonjean.Sacartedecrédit…—Jen’aipaspayémesconsommations.—Jem’enoccuperai.—Tun’aspasàlespayerpourmoi.Illasaisitparlebras.—Nousdevonsparlerdecequivientdesepasser.Dans ses tempes palpitait une douleur sourde, qui laissait présager une belle migraine. Alors,
discuter…—Demain,dit-elle.Jenemesenspasbien.Kiplinghésita,commes’ilétaitsurlepointd’insister,avantdehocherlatête.—Demain.D’accord.Ellenesavaitpassic’étaitunepromesseouunemenaceet,pourlemoment,elles’enmoquait.Illaraccompagnajusquechezelle,etilsn’échangèrentpasunmotpendanttoutletrajet.Quandilsfurentarrivés,ellesouritetlança,avecunegaietéforcée:—Jevaisparfaitementbien!Jesuistoutautantresponsablequetoidecequis’estpassé.Jen’ai
aucunreprocheàtefaire.N’ypenseplus.Illaregardauninstantsansrépondre.Sonexpressionétaitindéchiffrable.—Nousparleronsdemain,répéta-t-il.—Jevaiscompterlesheures.Unefoisrentrée,ellealladroitàsachambre.Quelquessecondesplustard,elleétaitenpyjamaet,
uneminute après, elle dormait profondément. Sa dernière pensée consciente fut que non, vraiment, cen’étaitpasbiengrave.
***
Destinyseréveillaavecunegueuledeboisd’anthologie.Satêtesemblaitavoirgagnédeuxtaillesaucoursdelanuit,toutsoncorpsétaitendolori,etelleétaittaraudéeparl’impressionquequelquechoses’étaittrèsmalpassé.Maiselleétaitincapabledemettredel’ordredanssespensées.
HeureusementquesasœuravaitpassélanuitchezAbbyetpartiraitpourlecampavecelle,carellen’avaitqu’unemission:survivreauxdeuxprochainesheures.«Hydratationetaspirine»,pensa-t-elleensetraînantjusqu’àlasalledebains.Ensuite,ellesesentiraitmieux.
Lasoiréedelaveilleneluiapparaissaitquecommeunesuccessiond’imagesunpeuflouesetdebruitsdivers.Elleserappelaitquesonmoralétaitauplusbaset,qu’aprèsavoirchanté,elles’étaitsentieunpeumieux.Elleserappelaitaussiqu’elleavaitforcésurleLongIslandIcedTea.
Elleouvritlesrobinetsdeladoucheetsebrossalesdentsletempsquel’eauseréchauffe.Elleôtasonpyjamaetlelaissatomberparterre.Elleentraitdanslebacdedouchequandtoutluirevint,d’unseulcoup.
Lesbaisers.Lescaresses.Lesexe.—Oh,monDieu!J’aicouchéavecKipling!Elle resta plantée là, le pied en l’air. Les souvenirs se pressaient dans son esprit, en couleurs
éclatanteseten3D.LecorpsdeKiplingcontrelesien.Sescaresses.Cemomenttellementagréable,qui
avaitdébouchésuruneinterrogation:pourquoitoutlemondefaisait-ilaussigrandcasdusexe?Ellesesentaità la foisgênéeet résignée.Elle s’étaitposébeaucoupdequestionset,maintenant,
elle avait les réponses.Elle avait sansdoutevécuune sortede rite depassage.Et, pour être franche,maintenantqu’elle l’avait fait, sonplan raisonnable lui semblait encoreplus logique.Qui aurait voulufaireçaplusd’uneoudeuxfoisdanssavie?
Ellepassasousladoucheetlaissaunlongmomentl’eauchauderuisselersursoncorps.Oui,c’étaitbienmieuxcommeça,pensa-t-elleenselavantlescheveux.Iln’yavaitplusdemystères.Etmaintenant,elleétaitcommelaplupartdesfemmesdesonâge.Aumoins,quandellerencontreraitl’hommequiluiconviendrait,ellen’auraitpasàleurimposeràtousdeuxuneconversationembarrassantepourl’informerdesavirginité.ParcequeKiplingavaitétéchoqué,celanefaisaitaucundoute.
Ellesouritenrepensantàsonexpressionabasourdie.Unpeuplus,etelleauraiteupitiédelui!Ellese demanda si sa virginité avait changéquelque chosepour lui,mais ne s’attarda pas sur la question.Aprèstout,ellenepouvaitrienyfaire.
Elle sortit de la douche et s’habilla, tout en continuant à réfléchir.Décidément, elle neparvenaittoujourspasàcomprendrepourquoilesexeamenaitlesgensàfairetoutcequ’ilsfaisaient.Celan’avaitvraimentriend’extraordinaire.Mais,aprèstout,biendeschosesdanslavieétaientsurprenantes,voireincompréhensibles.
Ellepritsonsacàdos,envoyaun«bonjour»àStarrpartextoetpritladirectionduBrew-haha.Elle n’était pas une grosse buveuse de café, mais, cematin, il lui fallait le plus grand café de toutel’histoiredel’univers,suiviparquatrebonslitresd’eau.Après,ellesesentiraitsansdouteunpeumieux.Oh!Etelleallaitsegarderdeboirependantplusieurssemaines…
Alorsqu’elleattendaitquelefeupasseauvertpourtraverser,ellevitunhomme,dansleparc.Riend’inhabituelàcela.Sicettevisionétaitde l’ordredumémorable,c’étaitparcequ’il tenaitdesplumesbizarres à lamain et s’était peint des rayures sur le visage. Et qu’il semblait se livrer à une versionétrangedetai-chi.
QuandelleentraauBrew-haha,ellevitquetoutlemonderegardaitl’hommedansleparc.—Qu’est-cequ’ilsepasse?demanda-t-elle.Patience,lapropriétaire,secoualatête.—NousavonscrucomprendrequeFordessayaitdeselivreràunancienritueldefertilitéMáa-zib.—Oh!Jevois.Pourleparigrossesse.—Tuesaucourantdupari?demandaPatience,ensedirigeantverslacaisse.—Oui.Leshommessontvraimentbizarres.—C’estriendeledire!s’exclamaPatienceenriant.Pourquoiest-cequ’ilnesecontentepasde
suivrelabonnevieilleméthode?Enluifaisantl’amour?Oh!Etaprèstout,cen’estpasmonproblème.Qu’est-cequejetesers?
—Undoublecrèmeàemporter,répondit-ellemachinalement,sentantungrandfroidl’envahir.La bonne vieille méthode ? En faisant l’amour ? Ce qu’elle avait fait la veille… et sans
protection…ElletenditsonargentàPatiencequicontinuaitàparler,ethochaitmécaniquementlatête.Maissans
l’écouter.Lemondequil’entouraittournoyaitautourd’elle.Sapoitrineétaitcommeprisedansunétau,soncorpsluisemblaitglacé,etlapaniquecommençaitàladévorer.
Enceinte?Enceinte?Nonetnon.Ellenepouvaitpasêtreenceinte.Ilsnel’avaientfaitqu’unefois,etelleétaitvierge.Est-cequ’ellen’avaitpasdroitàuntourgratuit,ouquelquechosecommeça?Ellenes’était jamais vraiment intéressée à la biologie,mais elle était sûre d’avoir lu quelque chose dans legenre.
—Destiny?Elleclignadesyeuxets’aperçutquePatienceluitendaitungobelet.
—Pardon.TropdeLongIslandIcedTea,hiersoir,dit-elleavecunpetitrirenerveux.Jesuisencoredanslegaz.
Patiencehochalatêted’unairentendu.— Je suis passée par là,moi aussi.Mais… tu étais à laManCave ?Est-ce que tu as chanté ?
J’adoreraist’entendrechanterdenouveau.—Laprochainefois,promit-elle.Maisiln’yauraitpasdeprochainefois.Plusjamaiselleneboirait,plusjamaisellenechanterait,et
plus jamaisellen’auraitderelationssexuelles.Quandellesesentiraitgagnéepar l’agitation,elle iraitfairedujoggingoufendredesbûches.Parcequ’ellesavaitfendredesbûches,etquec’étaituneactivitébeaucoupmoinsdangereusequecellesauxquelleselles’étaitlivréelaveilleausoir.Lepirequipouvaitluiarriverétaitjustedesetrancherunpied.Unmoindremal.
—Bonnejournée!lança-t-elle.Elletournalestalonsetgagnalasortieàlahâte.Ilfallaitqu’elleboivesoncaféetqu’elleramène
sonrythmecardiaqueàlanormale.Enceinte?C’étaitimpossible.Une fois rassurée, elle se dirigea vers son bureau, à pied, tout en sirotant son café bien chaud.
C’étaitunebellejournée,etsielleparvenaitàchasserlessouvenirsquisepressaienttoutautourd’elle,elleiraitbien.Mieuxquebien.Elleirait…
Elletournaàuncoinderue…etrentradroitdansKipling.Commeellecommençaitàchanceler,illasaisitparlesbraspourlaredresser.
—Jevenaispourtevoir,annonça-t-il.Tandisqu’elle,elleavaitsouhaiténepas levoir.Plus jamais.Mais ellegardacettepenséepour
elle,etsecontentad’unepetiteexclamation,qu’elleespéraamicale.Ilssefixèrentpendantunmomentensilence.LesmainsdeKiplingenserraienttoujourssesbras.Ellesentaitlachaleurdesespaumesainsiquela
pressiondechacundesesdoigts.Ilavaitdejoliesmains.Grandesethabiles.Trèshabiles.Ilavaitposécesmainssursoncorps.Ill’avaitvuenue.Oh,monDieu!Cethommel’avaitvuenue!
Elleréprimaàgrand-peineunpetitcri.«Calme-toi»,sedit-elle.Non,ellen’étaitpascommesesparents,quihurlaient,sejetaientdesassiettesauvisageetlaissaientlibrecoursàleursémotionslesplusviolentes.Uneseulerelationsexuellenesuffisaitpasàrendrequelqu’uncomplètementcinglé.ElleétaitplusfortequesonADN,plusfortequeseshormones,plusfortequetoutcequ’elledevaitsurpasser,quoiquecesoit.
Kipling l’attiraversunbanc.Elleenvisageade s’échapper,maiselle savaitqu’il l’aurait suivie.S’ilssecouraientaprèsdanstoutelaville,lesgensparleraient.Alors,commeellenevoulaitsurtoutpasquetoutFool’sGoldselancedansdesspéculationsàleursujet,elles’assit.
Ils’assit,luiaussi,etsetournaaussitôtverselle.Sesyeuxbleusétaientassombrisparl’inquiétude.—Jevaisbien,luidit-elledansl’espoirdecourt-circuiterladiscussion.Parfaitement,totalement
bien.—Jenetecroispas.Il était vraiment beau, pensa-t-elle distraitement. Il semblait fatigué, comme s’il n’avait pas
beaucoupdormicettenuit.Sesyeuxétaientcernés.Maisquandmême,ilyavaitquelquechoseenlui…peut-êtrelaformedesabouche.Ilavaitunetrèsjoliebouche,qu’elleavaitadoréembrasser.Quandill’avaitmordilléedanslecou,elleenavaiteulachairdepoule.Etquandilavaitposésesgrandesmainssursesseinsetavaitléchésestétons,elle…
«Arrête!»Mais qu’est-ce qui lui prenait ? Elle était une personne raisonnable et rationnelle. Et les gens
raisonnablesetrationnelsnepensaientpasaumot«téton»à8h15lematin!
—Jenesavaispassijedevaist’appeleroupassertevoir,avoua-t-il.Tum’assacrémentchoqué,hiersoir.
Ellebutunegorgéedecafé.Bien.Pasmoyend’ycouper:ilsallaientparlerdecequis’étaitpassé.Elle pouvait le supporter. Ils allaient en discuter et, quand ce serait fait, ils pourraient passer à autrechose.
—Hiersoir,répéta-t-elle.—Oui,hiersoir.Nousdevonsenparler.—Pourquoi?Illadévisagea.—Destiny,tuétaisvierge.Tuauraisdûm’avertir.—Jenesavaispasquoidire,avoua-t-elle.—Quepenses-tude:«Kipling,c’estlapremièrefoispourmoi»?—Rétrospectivement,c’estlogique.Maisellenesavaitpastropàquelmomentelleauraitpumentionnerlefait.Toutephrasecontenant
lemot«vierge»devaitrendrecegenredesituationextrêmementembarrassante.—J’avaisbeaucoupbu,etjen’aipasréfléchi,reconnut-elle.Touts’estpassétellementvite…Ilsecrispa.—Acesujet…Ils’interrompit.Elleattendit.—Je…jen’aipaseudepetiteamiedepuisunmoment,reprit-ilenfin.Tusais…d’abordilyaeu
l’accident,puismaconvalescence.J’aipassédesmoisàl’hôpital,puisenrééducation.Etjesuisarrivéici.
Ellebutunegorgéedecafé.—Ça,jelesavais,dit-elle.Ilsefrottalevisage,gêné.—Je…jeparledemaperformance.D’habitude,çan’estpascommeça.—Quellepartie?demanda-t-elle.Parcequepourêtrefranche,toutelasoiréed’hierestassezfloue
dansmonesprit.Jeneboispassouventmais,quandj’aicommencéàchanter…jevoulaisseulementmelaisseremporterparlamusique,jusqu’àmeperdre.
Ilouvritlabouche,avantdelarefermerbrusquement.—Quoi?demanda-t-ilenfin.Dequoiest-cequetuparles?— Je ne sais pas trop. Je suis désolée que tu aies passé autant de temps à l’hôpital après ton
accident.Illâchaunjuron,selevaetlança:—Cen’estpasdeçaquejeveuxparler!—Maisc’esttoiquiassoulevélesujet!Illuisemblabienqu’ilgrinçaitdesdents.Iljuradenouveauetserassit.—Jeteparledenotrerelationsexuelle,reprit-il.Jenesavaispasquetuétaisvierge.Ent’entendant
parler,j’aipenséquetuavaisdéjàfaitl’amouretquecelan’avaitpasététrèsbon.—Oh!Non,jenel’avaisjamaisfait.Acausedemonplan.Jemeréservaispourlemariage.Sur le visage de Kipling se succédèrent toutes sortes d’émotions. Sans pouvoir les déchiffrer
précisément,ellevoyaitbienqu’iln’étaitpasravi.—Maistunedoispastesentircoupable,sehâta-t-elled’ajouter.Jen’avaisenviedecoucheravec
personne,c’esttout.Paspourunequelconqueraisonspirituelleoureligieuse,maisparcequej’aiobservécequisepassaitautourdemoi.J’aivuuntasdegensprendredetrèsmauvaisesdécisionsparcequ’ilsfaisaientl’amour,ouvoulaientlefaire.
—Lesexeestàlaracinedetoutmal?
—C’estça!s’exclama-t-elleensouriant.Maintenant,tucomprendspourquoijepréféraisattendre.Maisd’unecertainefaçon,tum’asrenduservice.Quandjerencontrerail’hommequimeconviendra,jepourraiévitertoutediscussionembarrassante.Enfin…j’aivingt-huitans.Ilétaittemps.
Illafixapendantunlongmoment,visiblementsurpris.—Tuespluscalmequejem’yattendais,murmura-t-il.—J’aimelecalme.Quandonalterneleshautsetlesbas,çaneseterminejamaisbien.Mieuxvaut
resterstable,émotionnellement.C’estplusfacile.—Donc,tun’espasbouleversée?—Non.Maisj’avouequetoutecettesituationestassezbizarre.Jesuisunpeugênée.Tum’asvue
toutenue.—Tuesjolie,toutenue.Ellerougitsouscecomplimentinattendu,enmêmetempsqu’elleressentaitunepointedefierté.—Merci.Et,euh…toiaussi.—Pourparlerdecequenousavonsfaithiersoir…Ellelevalamainpourlefairetaire.—Toutvabien,Kipling.Jeneveuxplusenparler.Cequiestfaitestfait.Maintenant,passonsà
autrechose.—ParcequetucherchestoujoursM.Raisonnable?Pourconstruireavecluiunerelationdénuéede
toutcontactphysiqueetfonderunefamille?Enl’entendantrésumersesprojetsencestermes,ellesesentitunpeuridicule,maiselleacquiesça
quandmême.Parcequ’elleavaitmûrementréfléchiàsonplan,etqu’ellesavaitavoirraison.Ilpritsamainlibre.—Destiny, la soirée d’hier ne s’est pas passée comme je l’avais prévu. Je ne veux pas que tu
pensesqu’iln’yariendeplus.Surleplandusexe,jeveuxdire.Elleretirasamainetseleva.—Jesais.Toutvabien.Tuesgentildet’inquiéter,maiscen’estpasbiengrave,jetelepromets.
Nousallonsfairecommesiriennes’étaitjamaispassé.Arrêted’ypenser,c’esttout.
***
KiplinglaissapartirDestinyparceque, trèsfranchement, ilnesavaitplusquoiluidire.Elleétaitl’imperturbabilité faite femme. A sa place, une autre qu’elle aurait sans doute hurlé ou pleuré, voirel’auraitmenacéavecuncouteau.Maiselle,ellesecomportaitcommesicequis’étaitpassén’étaitpasbiengrave.
Pourtant,c’étaitgrave.Celanepouvaitqu’êtregrave.Denosjours,lagrandemajoritédesfemmesde son âge avaient eu au moins un petit ami sérieux, avec lequel elles avaient découvert l’intimitéphysique.Maispaselle.Vingt-quatreheuresplustôt,elleétaitvierge.Maintenant,ellenel’étaitplus,etc’étaitsafaute.
Voilàunproblèmequidevaitêtrerésolu.Maiscomment?Ilposalescoudessursescuissesetsepritlatêtedanslesmains.Ilauraitpresquepréféréqu’elle
luibrandisseuncouteausouslenez.Aumoins,c’étaituneréactionqu’ilauraitpucomprendre.Maissonacceptationtotaleetsereinedecequis’étaitproduitlelaissait…décontenancé.
Amoinsqu’ilnes’agissed’unefaçade.Maisellesemblaitsisûred’elle!Cequiletracassaitplusquetout,c’étaitqu’ilnel’avaitpassatisfaite.Maintenant,ilétaitdevenule
genredefumierqu’ilavaittoujourstoiséavecsuffisance.Etmêmesiceproblème-làpouvaitêtreréglé,ilnesavaitpasparoùcommencer.
Il se leva et regarda sa montre. Il avait rendez-vous dans quelques minutes avec Marsha et unnouveau candidat au poste d’adjoint. Il allait s’occuper d’abord de son travail, et ensuite deDestiny.Parceque,mêmesiellepouvaitavoiracceptétoutcequis’étaitpassé,lui,poursapart,essayaitencoredecomprendre.Etunefoisqu’ilauraitcompris,ilallaittoutarranger.
Ilgagnalamairieàpiedetmontajusqu’aubureaudeMarsha.Lasecrétaireluifitsigned’entrer.—Justeàl’heure,ditMarshaavecunsourirechaleureux.D’ungeste,ellel’invitaàs’asseoir.—Notrecandidateestentrainderemplirdespapiers.Ellem’afaituneexcellenteimpression.—SonCVestimpressionnant,reconnut-il.Il repensa au dossier qu’il avait consulté pendant leweek-end.CassidyModene, trente-neuf ans,
avaitgrandidansleWyomingettravaillépourleWyomingStatePark.Elledressaitdeschevauxetdeschienspourdesmissionsderechercheetdesauvetage.
—Elleaplusàproposerquecequenousrecherchons,ajouta-t-il.—Vouspensezauxchevauxetauxchiens.—C’estça.— Comme il semble que notre subvention soit plus importante que prévu, j’ai pensé que nous
pourrionsélargirnotredéclarationdemission.Encetteépoqueoùlesbudgetsdesadministrationslocaleschutaient,Marshaavaitlancéunnouveau
programmequicoûtait trèscher.Avait-elleuneréserved’argentsecrètedissimuléequelquepart,ouderichesbienfaiteurs?Peut-êtrevalait-ilmieuxnepasposerdequestions.
Maislaperspectived’utiliserdeschevauxetdeschiensl’intéressaitauplushautpoint.—Nous pourrions donc disposer de ressources supplémentaires, dit-il. Je ne sais pas comment
ellespourraients’intégreraulogicielquenousutiliserons.—JesuissûrequevouspouvezenparleràDestiny.Sasociétésembles’enorgueillirdefournirdes
solutionspersonnalisées.Illaissaéchapperunpetitrire.—Descolliersdepistagespéciauxpourchiens?demanda-t-il.—Quelquechosecommeça.LeregarddeMarshasefitpensif.—Jesupposequecelanevousposerapasdeproblèmedetravailleravecunefemme.Ilfaillitéclaterderire.Vingt-quatreheuresplustôtencore,ilauraitaffirméàMarshaqu’ilsavait
trèsbiens’yprendreaveclesfemmes.Maintenant,ilenétaitbeaucoupmoinssûr.Maisellen’avaitsansdoutepasenviequ’illuifassepartdesesproblèmespersonnels.
—Pasdutout,assura-t-il.Aussi longtemps qu’il ne se hasardait pas en dehors des limites du domaine professionnel, les
femmesneluiposaientaucunproblème.—C’estbiencequejepensais.Onfrappaàlaporte.—Cassidyestprête,sivousl’êtesaussi,annonçalasecrétaire.—Faites-laentrer,ordonnaMarshaenselevant.Kiplingl’imita,espérantquecettefois,iltrouveraitlacandidateidéale.LeCVqu’ilavaitluétait
impressionnant,certes,maisilaimaitavoirlesgensenfacedelui,enchairetenos.CassidyModenemesuraitunpeumoinsd’unmètresoixante-dix.Elleavaitdescheveuxblonds,une
coupe hérissée, et des yeux noisette. Elle portait un ensemble bleumarine et des chaussures de sportbleues.Habituéàjaugersesadversairesd’unseulregard,ilvitqu’elleétaitsportiveetrobuste.Cequin’étaitpasétonnant,comptetenudesonmétier.Ellesemblaittrèscompétente.
Elleleurserralamainàtousdeux.Elleportaitunanneaud’ortoutsimpleàl’annulairedelamaingauche.Commelamanchedesonchemisierremontaitlégèrement,ilentrevitunerosetatouéeàl’intérieurdesonpoignet.
—MadameModene.Mercid’êtrevenuejusqu’àFool’sGold,ditMarsha.Ellelesconduisitjusqu’aucanapéetauxfauteuilsinstallésdansuncoindelapièce.—Leplaisirestpourmoi,réponditlajeunefemme.C’estunejoliepetiteville.Ilss’assirent,etKiplingneputqu’admirerlafaçondontMarshalesinstalla.Luiàsescôtés,surle
canapé,etCassidyen face,dansun fauteuilclub.Deuxcontreun. Ilavaitapprisbeaucoupde tous lesentretiensauxquelsilavaitparticipéauxcôtésdeMarsha,etsavaitqu’ilenseraitdemêmeaveccelui-ci.
Marshaendormaitsesinterlocuteursenselivrantàunpapotaged’apparencetotalementinoffensiveavantdepassersansheurtàuneconversationplusconsistante.Souventsans lemoindreavertissement.Elle avait amenéuncandidat, qui semblait pourtantparfait, à admettrequ’il était plus intéressépar letempsqu’ilpasseraitsurlespistesdeskiqueparleposte.IlsedemandasielleallaitpousserCassidyàdévoilerdessecretssimilaires.
—Ainsi,vousavezgrandidansleWyoming,déclaraMarsha.—Oui.J’aidoncl’habitudedespetitesvilles,réponditCassidyavecunrapidesourire.Jenesais
pastropcequejeferaisdansunegrandeville.J’aimeêtreàl’extérieur.—J’airemarquélarose,survotrepoignet.Unesignificationsentimentaleparticulière?LesyeuxdeCassidys’assombrirent.—Elleestàlamémoiredemamère.Marshanefitaucuncommentaire.Kipling pensa que Cassidy poursuivrait afin de combler le silence, mais elle n’en fit rien. Elle
marquaitunpoint.—Est-cequevotremariestd’accordpourdéménager?repritMarsha.—JeffpasseladernièredesesvingtannéesdanslaNavy.Ilm’aditqu’ilvoulaitquejeluitrouve
uncoinagréablepourlesecondactedesavie.NouspensonsqueFool’sGoldpourraitconvenir.Marshahochalatête.—Ehbien,encecas,parlez-nousdoncdevoschiensdesauvetage.
12
SiKiplingavaitdûécrirecequ’ilsavaitdelafaçondontsedéroulaitunevisitedansuncabinetdegynécologie, une simple fiche aurait suffi. Et encore, il y serait resté assez de place pour noter unerecette!Pourtant, ilavaitprisunrendez-vousetse trouvaitmaintenantdanslesbureauxduDrCeciliaGalloway.
Cettedernièredevaitapprocherdessoixante-dixans.Sescheveuxgrisacierétaientcoupéscourt,etelle portait des lunettes. Elle était grande, avec une ossature solide et, quand elle haussa les sourcilscommepourluidemandercequil’amenait,ilnesutquoidire.
—Cen’estpaspourmoi!répondit-iltrèsvite.—Voilàquimesoulage.Ladernièrefoisquej’aiexaminéunhomme,j’étaisenécoledemédecine.
Même si je suis certainequ’aucunepartiede l’anatomiemasculinen’a changédepuis cette époque, jedoutedemerappelerlafaçondontons’enoccupe.
Ellehochalatêted’unairencourageantetdemanda:—Enquoipuis-jevousaider,monsieurGilmore?—Appelez-moi«Kipling».Et…euh…jesuisvenupouruneamiequi…euh…Bonsang!Quepouvait-iletnepouvait-ilpasrévéler?Destinynesavaitpasqu’ilétaitici,etson
petitdoigtluidisaitquesiellel’avaitsu,ellen’auraitpasappréciésadémarche.—Jedoutequevouspuissiezdirequoiquecesoitquejen’aiepasdéjàentenduunebonnedouzaine
de fois, lui assura le Dr Galloway. Respirez un bon coup et dites-moi tout. C’est généralement lameilleurefaçondes’yprendre.
—D’accord.J’aiuneamie.Etnous…Non,cen’étaitpastoutàfaitça.—Ceshistoiresdevirginité…,marmonna-t-il.Maisilregrettaaussitôtsesparoles.—Aprèsunactesexuel…Ilseraclalagorgeetreprit:—Quandunefemmeviergeaperdusavirginité,est-cequ’onpeutlaluirendre?LeDrGallowayclignadesyeux.—Pardon?—Est-cequ’ellepeutredevenirvierge?La réactionduDrGallowayfut toutà sonhonneur.Sonexpressionnechangeapresquepas, sauf,
peut-être, les coins de sa bouche qui retombèrent quelque peu, comme si elle désapprouvait cetteconversation.
—Quelâgeavez-vous,monsieurGilmore?
—Trente-deuxans.— Si vous fréquentiez des femmes d’un âge plus… approprié, vous n’auriez pas ce genre de
problème.—Quoi?Non!Merde!C’estcequevouscroyez?Non.Ellen’estpasjeune.Elleapprochede…MaisilnedevaitpasdonnerdedétailstropprécisausujetdeDestiny.—Cen’estpasuneadolescente.Jenem’intéressepasauxjeunesfilles.Ilselevaetmarchajusqu’àlafenêtreavantdeseretourner.—Ecoutez,cen’estpascequevouscroyez.Jenesavaispasqu’elleétaitvierge,vouscomprenez?
Ellem’avaitseulementditquelesexenel’intéressaitpas.Etmoi,j’aipenséqu’ellen’avaitconnuquedesidiotsquinel’avaientjamaismenéeàl’orgasme.Maisenfait,elleétaitvierge.Etcommejen’avaispaseuderelationsdepuisdesmois,je…Enfin,toutaététrèsvite.J’aibiensentiunobstacle,j’aiessayédem’arrêterparcequej’aivaguementdevinécequec’était,maisilétaittroptard.Et…
Ildéglutitavantdedemander:—Est-cequevouspouvezluirendresavirginité?Les lèvres du Dr Galloway frémirent de nouveau, mais son expression n’avait plus rien de
désapprobateur,cettefois.Elleessayaitplutôtderéprimerunéclatderire.—Jecomprendsmieux,dit-ellelentement.Jesuisraviedevoirquevousnevousenprenezpasaux
jeunesfilles.—Non!Jamais.C’esthorrible.—Oui, c’est horrible.Pour en revenir àvotre amie, l’obstacle quevous avez senti est l’hymen.
Même s’il peut être reconstitué, je déconseille cette intervention.D’après ce que vousm’avez dit, cen’étaitpaspourdesraisonsreligieusesqu’elleévitait lesrelationssexuelles.Ellenerisquepasd’êtrepunieparsafamille?
—Non.—Danscecas,mieuxvautlaisserleschosescommeellessont.Est-cequevousl’avezplaquée?
Abandonnéeenpleurs?Ilgrimaça.—Vousdétestezvraimentleshommes,pasvrai?—Pasdutout.J’essaieseulementdedécouvrirquelgenred’hommevousêtes.D’aprèscequeje
vois,vousêtesungentil.Alors,voicicequejevousconseille:parlez-lui.Essayezdesavoirpourquoivousavezétélepremier,etpourquoielleachoisicejour-là.Pourcequiestdel’orgasmequ’ellen’apaseu, rattrapez-vous. Je suppose que vous savez comment on fait. Sinon, je peux vous remettre de ladocumentation.
—Jesaiscommentonfait,oui.Pasdedocumentation.S’ilvousplaît.LeDrGallowaysourit.—Toutsepasserabien.Maislaprochainefois,jevousconseilled’enapprendreunpeuplussur
votrepartenaireavantd’avoirdesrelationssexuellesavecelle.Est-cequevous…Ellefutinterrompueparlasonneriedesontéléphone.—Excusez-moi.Jedoisprendrecetappel.—Biensûr.Pasdeproblème.Mercidem’avoiraccordéunpeudevotretemps.Ilprofitadecettediversionpourseglisserhorsdelasalledeconsultationetquittalecabinetsans
traîner.Unefoisqu’ilfutsurletrottoir,ilregrettaquelajournéenesoitpasplusavancée,parcequ’ilaurait
eu bien besoin d’un verre.Alors, puisqu’il était trop tôt pour un petit remontant, il prit le chemin dubureaudeDestiny.
Quandilarriva,illatrouvaentraindepianotersurleclavierdesonordinateur.Pendantquelquessecondes,ils’offritleplaisirdelaregarder.Seslongscheveuxondulésd’unrouxfoncéretombaientsur
ses épaules. Elle portait un T-shirt et un jean, avec des bottes de randonnée. Rien de sexy, rien deglamour,maisilluisuffisaitdelaregarderpouravoirdesidées…
Maisilsn’allaientpasrefairel’amouravantunbonmoment.D’abord,ilsallaientdevoiréclaircirquelquesdétails.
Ellelevalesyeuxetlevit.—Oh!Salut.—Salut,toi-même.Commenttutesens?Ellefronçalessourcils.—Bien.Pourquoi?Est-cequej’ail’airmalade?—Non.Jeneparlaispasdeça.L’autresoir…Elleselaissaallerdanssonfauteuiletpoussaungémissement.—Nerecommencepas.Kipling,nousenavonsdéjàparlé.Ilfautquetupassesàautrechose.Ils’assitsurlachaiseréservéeauxvisiteursetsepenchaverselle.—Non, il ne le faut pas, et je ne le ferai pas.Destiny, la perte de ta virginité est un événement
important.Jenesaispaspourquoituaschoisicemoment,nipourquoitum’aschoisi,moi,maisc’estfait.Cequejeveuxmaintenant,c’estarrangerleschoses.
Sesyeuxvertssechargèrentd’émotion.—Onnepeutpasrevenirenarrière,Kipling.Etmêmesic’étaitpossible,jenelevoudraispas.Ça
meplaît,deneplusêtrevierge.—C’estvrai.ÇafaciliteraleschosesquandturencontrerastonM.Coincé.—Paslapeinedeledirecommeça,maugréa-t-elle.Tuasl’airdemeprendrepouruneidiote.—Pasdutout.Jepenseseulementquetusous-estimeslepouvoird’uneententesexuelle.Ellelevalesyeuxauciel.—C’estvrai.C’estpuissant,excitant,etçafaitquelaviemérited’êtrevécue,énuméra-t-ellesurun
tonpleind’ennui.J’aidéjàentendutoutça,etçam’estégal.—C’estparcequetun’aspaseud’orgasme.—Celanem’intéressepas.C’étaittrèsbien,Kipling,jet’assure.Maintenant,laissetomber.Laissertomber?Certainementpas.—Jen’étaispasprêt,et j’ai tout foiré.Je tedoisunorgasme.Etquandceserafait,si tupenses
toujoursquelesexeestquelquechosededangereuxetdemalsain,jen’enparleraiplusjamais.Jetelepromets.
Ellepoussaunprofondsoupir.—Pourquoi est-ce que c’est tellement important pour toi ? Je ne suis pas une poupée que tu as
cassée,jen’aipasbesoind’êtreréparée.—Non,maistuasbesoind’apprendre.Ilréfléchitquelquessecondesavantd’opterpourunautreangled’attaque.—Tuétaismerveilleusesurscène,cesoir-là.Tavoix, lesparoles…Quandtuchantes, tuymets
tantdepassion.Aulieudesegonflerdefierté,elles’affaissasursachaise.—Jesais.C’étaithorrible.—Non!C’étaitbrillantetpuissant.Pourquoiest-cequetuneveuxpasfaireçatouslesjours?—Parcequec’estépuisant.Pourchantercommeça,ilfautquejelaissetombertoutesmesdéfenses.
Çafaitmal.Aussimalqu’uneplaieàvif.Quandellechantait,ellecessaitdeseprotéger,donc.D’aprèslepeuqu’ilsavaitdesonpassé, il
avait deviné qu’elle avait grandi avec un sentiment d’insécurité. Avec l’impression que son universpouvaitêtrebouleverséous’effondreràtoutmoment.
—Tun’esplusuneenfant,dit-ildoucement.Maintenant,tupeuxcontrôlercequit’entoure.
—Pasassez.Jepréfèreéviterdeprendredesrisques.—Se contenter d’exister sans vivre vraiment est affreusement rasoir. Incolore.Quel est l’intérêt
d’unetelleexistence?Tuasundon,Destiny.Tupourraisvivreunvrairêve.Cettefois,iln’eutaucunmalàdéchiffrerlesémotionsquitraversèrentsonregard:ilyavaitsurtout
del’irritation.—Nemeparlepasdemesrêves,rétorqua-t-elle.Tunesaisriendemesrêves.J’aifaitmonchoix.
Jeneveuxpasêtrecommemesparents.Tun’aspaslamoindreidéedelaviequej’aipumeneraveceux.AvecGrandmaNell,c’étaitdifférent.Auprèsd’elle,lavieavaitunsens.C’étaituneexistencepaisible,quisedéroulaitaurythmedessaisons,enharmonieaveclanature.Voilàlegenredeviequejeveux.
— La nature est tout sauf paisible. Elle est violente et belle. Et surtout, elle est incontrôlable.Commentpeux-tureniertoutcequetues?Tuesd’unnaturelpassionné.Situignorestavraienature,tuignoreslapersonnequetuesvraiment.Maistuasencoreunechance.
—Kipling,je…Elles’interrompitetlefixa.—Est-cequenousparlonstoujoursdemoi?demanda-t-elle.—Biensûr.Vivresonrêve…iln’yariendemieux.Crois-moi,jesaisdequoijeparle.Ettupeux
encorelefaire.—Etpastoi.C’étaitabrupt,maisc’étaitvrai.Ilrefoulaunepointedenostalgieenpensantàcequiavaitété.Ace
qu’ilavaitété.—J’aiconnudebonsmoments,danstouslessensduterme,dit-ilsimplement.—Pardonne-moi,murmura-t-elle,soudaingênée.Jecomprendscequetuveuxdire.Jedevraisêtre
reconnaissanteàlaviedemelaisserencoreunechance.Maisletruc,c’estquejeneveuxpasdecettechance.
Ellementait.Pasdélibérément,maisparcequ’elleavaitpeur.—Mais ce n’est pas ton problème, ajouta-t-elle. Laisse tomber. Maintenant, je veux seulement
parlerboulot.Il se borna à hocher la tête parce qu’il n’avait plus d’arguments.Et pas de plan. Pas encore, du
moins.Mais il en trouverait un, et résoudrait le problème.Pas seulement parce qu’il lui avait pris savirginité,maisparcequ’ildevait le faire.Etpeut-être aussiparcequequelquechoseen luivoulait lefaire.Etlevoulaitvraimentbeaucoup.
***
Destinyfitdesonmieuxpours’absorberdanssontravail.Elleavaitfinidecartographierlazone,etlesdonnéesrécoltéesavaientétérentréesdansleprogrammederecherche.Ilspouvaientpasseràl’étapesuivante:l’organisationd’exercices.
Elle avait beaucoup à faire,mais ne pouvait empêcher son esprit de revenir toujours àKipling.Impossible de l’éviter, puisqu’ils devaient travailler ensemble. Jusqu’ici, son attitude était demeuréestrictement professionnelle. Mais quand ils se trouvaient dans la même pièce, elle sentait qu’il laregardait.Pasd’unefaçonmalsainenieffrayante,maiscommes’iljaugeaitlasituation.Etcelalarendaitnerveuse.
Elleauraitaimésedirequ’ellesefaisaitdesidées,maisellesavaitquecen’étaitpaslecas.Cethomme aimait arranger les choses, et ce n’était pas en lui expliquant qu’elle n’avait aucun problèmequ’elleledissuaderaitdesepenchersursoncas.Toutecettehistoiredesexel’avaitvraimentperturbé,même si elle était bien en peine de comprendre pourquoi. Ils l’avaient fait. Point. Elle allait bien.Maintenant,ilspouvaientpasseràautrechose.Maisnon!Maintenant,ilvoulaitqu’elleaitunorgasme!
Comme si cela allait changer quoi que ce soit, pensa-t-elle en poussant la porte de son bureau.Franchement,unorgasmenepouvaitpasêtresibonqueça,si?
Ellechassatoutescespenséesdesonespritquandellevitunejeunefemmeblonded’unetrentained’années,assiseaubureauquifaisaitfaceàceluideKipling.Larumeurcirculaitquel’adjointqu’ilavaitengagéétaitunefemme.Cedevaitêtreelle.
Lajeunefemmelavitetsourit.—DestinyMills?demanda-t-elleenselevantetenluitendantlamain.JesuisCassidyModene.
J’ailubeaucoupdechosessurvotrelogicielSTORMS,etj’aihâtedetravailleravec.—BienvenueàFool’sGold,réponditDestinyenluiserrantlamain.Quandavez-vouscommencéà
travailler?—Cematin,réponditCassidy,radieuse.Commejesuisd’unnatureloptimiste,j’avaisdéjàchargé
toutesmesaffairesdansmoncamion.Heureusementque jenesuispas legenredepersonnequi gardetoujourstout!OnapprendviteàsedébarrasserdusuperfluquandonaunmaridanslaNavy.LamaireetKiplingm’ontproposé leposte, j’aiaccepté,etmevoilà !Meschevauxmerejoindrontdansquelquessemaines.Etmonmari,Jeff,devraitarriverd’icilafindel’année.
— J’ai appris que le programme allait être élargi afin d’intégrer des chevaux et des chiens derecherche et de sauvetage, en effet. Les ingénieurs frémissent d’excitation à l’idée de toutes lesmodificationsqu’ilsvontdevoirapporterauprogramme.Ilsadorentqu’onleurdonneundéfiàrelever.
—Surcepoint,jesuiscommeeux.Destiny faillit luidemanderoùétaitKipling,mais se ravisa ; celan’avaitpasd’importance.Elle
n’étaitpaspresséedelevoir.Pourtant,commemalgréelle…—Kiplingn’estpaslà?demanda-t-elle.—Ilestpasséàlamairiepourunrapideentretienaveclamaire.Ilreviendrasouspeu.Elle se borna à acquiescer, comme si ce renseignement n’offrait qu’un intérêt limité, avant de
proposeràCassidydepasserlesbasesdulogicielSTORMSenrevue.Ensemble,ellesallèrentjusqu’àlagrandecartepunaiséeaumur.
Ensuivantleslimitesdelavilleduboutdudoigt,Cassidyremarqua:—Ilyabeaucoupdezonesaccidentéesdanslarégion.Meschevauxnousserontd’unegrandeaide.
Ilspeuventallerplusloinetmarcherpluslongtempsqu’unhommeàpied.Ettransporterdel’équipement.Destinypritquelquesnotessursatablette.—Vousavezraison,dit-elle.Avecplusd’équipement,lesrecherchesserontmoinslimitéessurle
plangéographique.Si les secouristespeuventdresser un campet rester là où ils sont pour la nuit, ilspeuventreprendrelesrecherchesdèslelendemainmatinàlapremièreheure.Laprésencedeschevauxn’aura que des avantages.Grâce à eux, il sera aussi plus facile de transporter les blessés jusqu’à unendroitoùunhélicoptèrepourravenirleschercher.
Cassidysetournaverselleetsourit.—Enparlantd’hélicoptères,j’airencontréMiles.—Jepensaisquevousn’étiezenvillequedepuisdeuxjours?—C’estlecas,maiscegarsestunrapide.NousnoussommesrencontrésàlaManCave.C’estun
dragueurdepremière.Jesuismariéeetplusvieillequeluidequelquesannées,maiscelan’apaseul’airdeledéranger.
Elleéclataderireetconclut:—Quelidiot!Maisjel’aiviterecadré.—Etvousavezbienfait.—Unechoseestsûre,iln’estpasmongenre.Jesuisamoureusedemonmaridepuisl’instantoùje
l’ai rencontré. Mais je dois reconnaître queMiles a une façon de baratiner une femme qui force lerespect.
—C’estunCasanova.—Et,commejel’aidit,pasdutoutmongenre.Maissinon,cettevilleal’airamusante.J’aihâtede
lavisiteretdefairelaconnaissancedeseshabitants.—Ilyrègneuneatmosphèretrèsamicale,vousverrez.Jeconnaisungroupedefemmesabsolument
merveilleusesquejeseraisraviedevousprésenter,sivousvoulez.J’aidéjàdéjeunéavecellesdeuxoutroisfois.C’estunbonmoyenderencontrerlesgensetd’êtreaucourantdesdernierspotins.
—J’adorelesrumeursquicirculentdanslespetitesvilles,déclaraCassidyavecungrandsourire.Jesaisquec’estundéfaut,mais…tantpis!
AvantqueDestinyaitpurépondre,sonportablesonna.D’aprèsl’indicatif,ils’agissaitd’unappellocal,maiselleneconnaissaitpascenuméro.
—Allô?—DestinyMills?—Oui.—Bonjour.JesuisDakotaAnderson.LadirectricedeEndZone.Jesuissûrequejem’inquiètepour
rien,maisStarrn’estpasvenue,cematin,etpersonnen’aappelépournousprévenirqu’elleétaitmaladeetrestaitàlamaison.Jevoulaisprendrecontactavecvouspourm’assurerqu’elleallaitbien.
Danscesquelquesphrases, ilyavaitunemined’informations.Lepersonnelducampprenait sesresponsabilités très au sérieuxet s’assurait que les jeunes étaientbien làoù ils étaient censés être.EtStarrmanquaitàl’appel.
Soudain,unfroidglaciall’envahit.—Ellen’estpasmalade,répondit-ellelentement.Pasquejesache.Jeluiaiparlécematin,etelle
m’aditqu’elleallaitmonteraucampavecAbby.C’étaitentenducommeçaaveclamèred’Abby.Al’autreboutdufil,Dakotagardalesilencependantquelquesinstantsavantdereprendre:—Pourtant,Starrn’estpasici.Nousavonsvérifiédeuxfois.Ellen’estpasvenuecematin.Destiny serra plus fort le téléphone dans sa main. La panique qui s’était emparée d’elle avait
quelquechosedetranchant.Depointu.Ellen’avaitjamaisconnucettesensation,cemélangedepeuretd’horreur. Il pouvait s’être passé n’importe quoi. Il s’était passé quelque chose.Mais quoi ?Où étaitStarr?
—Commentpouvons-nousvousaider?demandaDakota.Soninterlocutricesemblaits’attendreàcequ’elleprennelatêtedesopérations.Gèrelasituation.Son profil professionnel faisait peut-être d’elle la personne la mieux placée pour retrouver une
adolescentedisparue,mais, très sincèrement,ellenesavaitpasparoùcommencer.Elle sesentaità lafoisbrûlanteettransiedefroid,etàdeuxdoigtsdevomir.
Laportedubureaus’ouvritsurKipling.Destinys’élançaverslui,lepritparlebrasets’yagrippadetoutessesforces.
—Starr a disparu, dit-elle, la gorge serrée, le cœur battant à se rompre.Elle n’est pas allée aucamp.
Kiplingpritletéléphoneets’identifiaavantdeparlerpendantquelquesinstantsavecDakota.Sondébitétaitrapide,maissavoixrestaitcalme.Quandilraccrocha,ilrenditsontéléphoneàDestinyetluipritlamain.
—Starraunportable,sansdoute.Appelle-la.Destinyobéit,lesmainstremblantes.—Jetombedirectementsurlamessagerie.Kiplingl’entraînaaussitôtàl’extérieur,verssoncamion.—Oùest-cequ’onva?demanda-t-elle.Jenesaispasparoùcommencer.Iln’yapas longtemps
qu’elleestici.Jepensaisqu’elleallaitbien.Ets’ils’étaitpasséquelquechosed’horrible?Etsionnelaretrouvaitpas?
—Nousallonslaretrouver.Ellen’apasdisparudepuisbienlongtemps.Ellenepeutpasêtrealléetrèsloin.Appellelamèred’Abby.Demande-luisielleaemmenéStarraucamp.Nouspasseronscheztoipournousassurerqu’ellen’yestpas,avantdemonterjusqu’aucamppourinterrogersesamis.
Ilavait raison.C’étaitpar làqu’il fallaitcommencer.Destinymontadans lecamionetattachasaceinture.Ensuite,elle reprit son téléphoneet,d’unemain tremblante, fitdéfiler la listedesescontactsjusqu’àtrouverlenumérodeLiz.Deuxminutesplustard,elleavaitlaréponseàl’unedesesquestions.
—Starramenti.Cesmots n’étaient pas réels.Dumoins, ils ne semblaient pas l’être. Ils ne pouvaient pas l’être.
CommentStarravait-ellepufaireça?Commentavait-ellepuluimentirenluidisantqueLizl’amèneraitaucamp,puisdisparaître?Commentsasœurpouvait-elleêtrepartie?
Quand ils arrivèrent chez elle, ils se précipitèrent à l’intérieur, mais Starr n’était pas là. IlsretournèrentàlajeepdeKipling.LapeurquihabitaitDestinyallaitgrandissant.Lesyeuxluibrûlaient.Ellepouvaitàpeineréfléchir,àpeinerespirer.
—Jenelaconnaispasassezbien,murmura-t-elleenluttantpourretenirseslarmes.Celanefaitquequelquessemaines.J’auraisdûfaireplusd’efforts.Maisj’étaistroppriseparmontravailetpard’autreschoses.Jel’ailaisséeseuletroplongtemps.Jen’étaispaslàpourelle.
—Depuiscombiendetempsest-cequetuconnaistasœur?—Sixsemaines.—Pasassezlongtempspourluifairedumal.Destiny,cen’estpastafaute.—Jesuisresponsabled’elle.Iln’yapersonned’autreàblâmer.—Ettoutcequ’elleavécuavantqu’elleviennehabiteravectoi,c’esttafaute?Elleneréponditpas.Ellepensaaucoupdefildeleurpère,quiavaitconfondul’anniversairedeStarravecunautre.Elle
pensaaussiàl’internat,queStarrnesemblaitavoiraucuneenviederetrouveràlarentrée.Etàsondésirdefairedelamusique.
—Sijet’écoute,beaucoupd’événementsetdegenssontàblâmer,reprit-elle.Trèsbien.Jeparleraidetoutcelaavecellequandnousl’auronsretrouvée.Maispourlemoment,toutcequiimporte,c’estdelarameneràlamaison.
Ilsarrivèrentaucampenuntempsrecord.KiplingavaitàpeineralentiqueDestinysautaitdéjàdelavoiturepoursedirigerverslesbureaux.
DakotaAndersonl’attendait,encompagniededeuxdesamiesdeStarr.Lesdeuxfillessemblaientterrifiées.
—Pardon,ditAbby,lesyeuxbrillantsdelarmes.Elleaditqu’ellevoulaitalleràNashville.Onluiadonnél’argentpourprendrelecar,touteslesdeux.
Dakotaposalamainsurl’épauledelajeunefille.—J’aidéjàappelélebureaudushérif,dit-elle.Ilsontenvoyéunevoituredepatrouilleàlagare
routière.Iln’yaqu’unseulcaraudépart,cematin.Jepensequ’ilsvontlatrouverlà-bas.Destinysentitlesolsedérobersoussespieds.—Nashville?Ainsi, Starr avait choisi de s’enfuir. La situation était-elle à ce point catastrophique ?Elle avait
recueilli sa sœur, avait accepté d’être sa tutrice et,moins de deuxmois plus tard, Starr avait préférécourirlerisquedepartirseulesurlesroutesplutôtquedevivreavecelle…
Commentleschosesavaient-ellespuaussimaltourner,etaussirapidement?
***
Destinynesavaitpassielledevaithurler,pleurerousemettreàboire.Elleauraitpuplaiderenfaveurdetoutescespossibilités.
LesprédictionsdeDakotas’étaientavéréesexactes.LapoliceavaitretrouvéStarrsurunbanc,àlagareroutière.CommeelleavaitratéleGreyhounddeLosAngeles,elleavaitachetéunbilletpourSanFrancisco.Delà,d’aprèscequ’elleavaitditaupolicierquil’avaitretrouvée,ellecomptaitprendreunavionpourNashville.
Elleavaitcinqcentsdollarsenliquide,unepetitevaliseetsaguitare.Destiny,soulagéeetàcourtdemots,n’avaitsuquoiluidire.Kiplinglesavaitramenéestoutesdeuxàlamaisonetlesavaitlaisséesseulespourqu’ellespuissent
discuterduproblème.Ilavaitpromisderepasserplustardpourprendredeleursnouvelles.Destinyavaitfaillilesupplierderester,maisellen’avaitriendit,etilétaitparti.Maintenant,elle
étaitseulepouraffronterunproblèmequiladépassaitunpeu.Starr et elle étaient assises face à face dans le petit salon, silencieuses, Destiny essayant
désespérémentdetrouvercequ’elledevaitdire.Aprèstout,labonnenouvelle,c’étaitqu’ilnes’étaitrienpassédegrave.Peut-êtrequ’ellesdevaienttoutesdeuxsimplementretenirlaleçon.Maisellen’étaitpassûredebiensavoircequ’étaitcetteleçon…
Elleregardasasœur,quifixaittouràtoursesmainsetlesol.Sescheveuxmasquaientsonvisage,commesiellecherchaitàtenirlemondeàdistance.
Unprofondsilencerégnaitdanslapièce.Quelquepartdanslamaison,onentendaitletic-tacdelapenduleaccrochéedanslacuisine.Unevoiturepassadanslarue.Etcesilence,lourd…
Destinyétaittaraudéeparl’indécision.Quefallait-ilqu’elledise?Commentarrangerleschoses?Le plus gros problème, c’était sans doute qu’elle n’avait pas deviné qu’il y en avait un…Ou tout aumoinspasdenatureàjustifierunefugue.
Elleprituneprofondeinspiration.—Starr,je…Sasœurrelevavivementlatête.—Je sais, j’aimenti ! lança-t-elle.C’est pas la findumonde.Tuaurais fait pareil, àmaplace.
Qu’est-cequejedevaisfaire?Attendrequetuenaiesmarredemoi?Jeneretourneraipasàl’internat!Tunepeuxpasm’yforcer!
Toutecettecolère…Toutcechagrin…LecœurdeDestinyseserraquandellepensaàtouteslessouffrancesqu’avaitdûendurerStarr.Et
direqu’ellen’enavaitjamaisriensoupçonné…—Tucroisquejenelesaispas,poursuivitStarrenselevant,lespoingsserrés.Maisjelesais!
C’estpasdifficileàcomprendre.Personneneveutdemoi!Nipapanitoi!Personne!Deslarmesjaillirentsoudaindesesyeux.—Ilneconnaîtmêmepaslejourdemonanniversaire!Pourtant,jesuissafille.Alors,pourquoiil
lesaitpas?Destinyselevaets’avançaversellepourlaprendredanssesbras,maisl’adolescentesedégagea
d’unmouvementd’épaules.—Faispassemblantdem’aimermaintenant!lança-t-ellesèchement.Destinyreculad’unpas,lecœurdéchiré.—Jenefaispassemblant,Starr.Jet’aimevraiment.Jet’aiaccueilliechezmoi.Jet’aiamenéeici.
Jecroyaisquel’ons’ensortaitbien,touteslesdeux.—Ouais,c’estça.C’estsuper.Tucompteslesjoursjusqu’àlarentréetellementtuespresséequeje
parte.Onadéjàparlédeça.Tuasditquec’étaitmieuxquejeretourneàl’internat.Parcequetuashâted’êtredébarrasséedemoi.
—Montravail…
Maiselles’interrompit.Cen’étaitpaslesujet.—Starr,est-cequel’onpeutparler?Justes’asseoiretparler?Starressuyaseslarmesetselaissaretombersurlecanapé.Destinypritlefauteuil,faceàelle,etessayadetrouverlesmotsjustes.—Tum’asfaitpeur,commença-t-elle.QuandDakotam’atéléphonépourmedirequetun’étaispas
arrivéeaucamp,j’aiététerrifiéeenimaginantcequiavaitpusepasser.—Jepensaisqu’ilsn’appelleraientpas,grommelaStarr.—Commeça,tuauraiseutoutelajournéepourdisparaître,c’estça?Etaprès?Tun’aspaspensé
quej’allaiscomplètementpéterlesplombs?Sasœurhaussalesépaulessansrépondre,leregardfixésurseschaussures.—Starr,ilfautquetusachesquejetiensàtoi.—Ahbon?Vraiment?Est-cequetupeuxsincèrementdirequetuasétéraviequandtuasreçule
coupdefildel’avocatdepapa?—J’aiétésurprise,maisjen’aipashésité.Jevoulaisquetuviennesvivreici.—Tuparles…Tutefichestoujoursdetout.Tuesunvrairobot.Tunetemetsjamaisencolère,tu
n’esjamaisheureuse.Tuestoujourslamême.Lesgensnormauxnesecomportentpascommeça.«Mais ceux qui ne voulaient pas subir les conséquences d’une vie pleine de hauts et de bas et
dominéeparlessentiments,si»,pensaDestiny,blesséeparleportraitd’ellequevenaitdefairesasœur.—Jesuisdésoléequetucroiesquejenetienspasàtoi,dit-elledoucement.Parcequec’estfaux.Je
tiensbeaucoupàtoi.—C’estça,oui.Destinysentitquesonirritationétaitenpassedeprendrelepassursoninquiétude.— Tu refuses de voir la vérité parce qu’elle ne te plaît pas, lança-t-elle d’une voix dure. Tout
comme tu allais fuguer sans te soucier des conséquences.Tu as quinze ans, Starr.Tun’es pas prête àvivre seule. La vie est compliquée, difficile, dure parfois. Tu ne peux pas fuir tes problèmes. Ils tesuivent,oùquetuailles.
—Tuauraisdûmelaisserlecomprendretouteseule,rétorquaStarr.Çat’auraitfacilité lavie,etc’esttoutcequicomptepourtoi,pasvrai?
—Cequetudisn’aaucunsens.Acesmots,Starrexplosa.—Tusaiscequin’aaucunsens?cria-t-elleenlafusillantduregard.Toi!C’esttoiquin’asaucun
sens!Tumedisquejenedoispasm’enfuir,maisc’estcequetufaissansarrêt.Tufuistontalent,tufuisla personne que tu es. Je t’ai entendue chanter, Destiny, et tu es la meilleure. Mais tu refuses de teproduire.Tu refusesmêmed’admettreque tuasundon.Pourquoi tu fais ça?Moi, jeveuxécriredeschansonsetleschanter.Jeveuxquelamusiquefassepartiedemavie.Ettoi,tuveuxfuirtoutça!
Sonnéeparcetteavalanchedereproches,Destinynesutquedire.Elleseforçaàrespirercalmementetàanalyserlasituation.Uneseulechoseluiapparutclairement:sasœursouffraitetelleétaitperdue.Mais comment l’aider ? Que lui dire pour gagner sa confiance ? Peut-être se comporter en adulteresponsable.EllenedevaitpasoublierqueStarravaiteudesparentsplusqu’irresponsables.
—Nousnesommespasentraindeparlerdemusique,dit-elled’untonferme.Noussommesentraindeparlerdenous.
—Iln’yapasde«nous».—Alors,j’aimeraisqu’ilyenaitun.Tuesmasœur,etjeveuxquenousformionsunefamille.— Jusqu’à la rentrée ? répliqua Starr d’un tonmoqueur. Et après, tu voudras que je retourne à
l’internat.Ehbien,jen’yretourneraipas!Jamais!Jem’enfuiraietjevivraidanslaruejusqu’àcequejesoisassezvieillepourretirerdel’argentsurmoncompteenbanque.Jepeuxlefaire.Jepeuxallerdansunendroitoùtunemeretrouverasjamais.
Sielles’yprenaitcommeaujourd’hui,elleavaitpeudechancesderéussir,songeaDestiny,quecediscoursnerassuraitpasdutout.Starravaitquinzeans;elleétaitincapabledesedébrouillerseule,etencoremoinsdesurvivredanslarue.Etsielleétaitvraimentmontéedanscecar?Sielleavaitdisparu?
Ellefrissonnaàcetteidée.Desimagessesuccédèrentdanssonesprit,toutesplushorribleslesunesquelesautres.Starrauraitpurencontrerunhommequi l’auraitbattue,ouviolée.Soncheminauraitpucroiserceluid’un fou.Elleauraitpu tombermalade,deveniraccroà ladrogue,êtreblessée…etelleauraitpumourir.
Ellesentitsesyeuxs’emplirdelarmes.Lapeurlagagnadenouveau,doubléededétermination.—Non!dit-elleavecforce.Non.Tunet’enfuiraspas.Jeneteperdraipas.Tum’entends?Jeme
fiche de ce que nous allons devoir faire, mais je jure devant Dieu que nous allons y arriver. Je nerenonceraipasàtoi,etjenerenonceraipasànous.Tuesmasœur.Tufaispartiedemafamille.Puisquenosparentssontcomplètementdingues,nouslesommesforcémentnousaussi.Etalors?Noussommeslàl’unepourl’autre.
Starr la dévisagea, stupéfaite, et, pendant un instant, une lueurd’espoir brilla dans sesyeux…etdisparutaussitôt.
—Tudisçajustepourquejenem’enfuieplus.Tunelepensespas.—Jet’aime,Starr.Jet’aiaiméedepuislejourdetanaissance.Parcequej’étaislà,quandtuesnée.
Est-ceque tamère te l’adit?J’aiété ladeuxièmeà te tenirdansmesbras.Etaujourd’hui, je te tiensencoredansmesbras.Etjenetelâcheraipas.Jamais.
Endisantcela,lessouvenirsaffluèrentdanssonesprit…Elleserevoyaitàdixans,deboutdanslesalon modeste de Grandma Nell. Elle était seule et terrifiée, et ne savait pas où était sa place.Certainementpasauprèsdesesparents,quiétaientdepuislongtempspassésàunnouveauchapitredeleurvie.Etpasailleursnonplus.
Mais Grandma Nell l’avait accueillie à bras ouverts. Elle l’avait inscrite à des cours parcorrespondance, elle l’avait fait étudier, elle l’avait aiméeet, quand lemoment étaitvenu, elle l’avaitenvoyéepoursuivresaroutedanslemonde.
Elleessuyad’ungesterapideleslarmesquiroulaientsursesjoues.—Pardonne-moi,Starr.Tuasraison.Maissijepartaisduprincipequeturetourneraisàl’internat
enseptembre,c’estuniquementparcequejepensaisquetut’yplaisais.Situnet’yplaispas,turesterasavecmoi.Jeveuxvraimentquenousformionsunefamille.
Lesyeuxvertssisemblablesauxsienss’écarquillèrent.—Et ton travail ? demanda Starr. Tu déménages tous les troismois. Tu disais que ça serait un
problème.—Jesais.C’enestun,etnousallonsdevoirtrouverunesolution.Ellepensaà son travailqui l’amenait à sedéplacer sanscesse. Jamaisellene s’était fixéenulle
part.Ellevoulaitn’entretenirquedesrelationsquisedéroulentselonsespropresdésirs.MaissiStarrvivaitavecelle,elleallaitdevoirchangerdemodedevie…
—On dirait que je vais devoir démissionner et trouver un travail qui ne m’obligera pas à medéplacer,dit-elle.Onauraunemaison,touteslesdeux.Avecunjardin.
Commelesgensnormaux.Elle retint sa respiration en attendant le hurlement qui allait forcément résonner en elle,mais ce
hurlement ne vint pas. Tout ce qu’elle ressentait, c’était une légère appréhension devant l’inconnu,doubléedel’impressionquelemomentdesefixerétaitpeut-êtrevenu.Siellen’avaitpasencoretrouvél’hommede ses rêves, si elle n’avait pas encore fondé de famille, c’était probablement parce qu’ellen’étaitjamaisrestéeassezlongtempsaumêmeendroit.Maissesplansd’avenirnerentraientpasenlignedecompte.Toutcequiimportaitpourlemoment,c’étaitsasœur.
—Starr,jet’aime.Jenecroispastel’avoirdéjàdit,maisc’estlavérité.Tu…
Elle aurait voulu poursuivre, mais sa sœur se leva d’un bond et s’élança vers elle, les jouesruisselantesdelarmes.DestinyeutàpeineletempsdeseleverelleaussietdesecamperfermementsursesjambesafindenepasbasculerenarrièrequandStarrsejetasurelleets’agrippaàellecommesiellenedevaitjamaislarelâcher.
Toutenserrantsajeunesœurcontreelle,Destinyserenditcompteque,mêmesiellen’avaitpaslamoindreidéedelafaçondontelleallaits’yprendre,lesdétailsn’avaientaucuneimportance.Starretelleétaient ensemble, et elles le resteraient toujours. Starr avait besoin d’elle et, ce qui était tout aussiimportant,elle-mêmeavaitbesoindeStarr.
13
Kipling observaitDestiny.Ce soir, elle était différente.Comme…plus fragile. Pour la premièrefois,ilserendaitcomptequ’ilavaittoujourstenusonassuranceetsoncontrôlepouracquis.Maiscesoir,ilsavaientdisparu,etellesemblaitpresquebrisée.
Elleétaitassiseauboutducanapé,sespiedsnusramenéssouselle.Sescheveuxétaientdétachés,sonvisageavaitunepâleurinhabituelle.
Elle étaitbelle et l’attirait sexuellement, c’étaitun fait établi,mais il ressentait surtoutunbesoinintensedelaprotéger.Ilvoulaittrouverlesdragonsquilaharcelaientetlesabattre.Saufquecen’étaitpas si simple.Elle avait été fragiliséeparquelque chosequ’il nepouvait ni attaquerni vaincre : sonproprecœur.
Il tendit lamainverselle,etellemêlasesdoigtsauxsiensavecunsourirequinegagnapassesyeux.
—Mercid’êtrepassé,Kipling.Désoléedenepasêtredemeilleurecompagnie.—Jenesuispasenquêtededistraction.Jevoulaism’assurerquetuallaisbien.Ilavaitappelédeuxfoisaucoursdelajournée,maisn’étaitarrivéqu’aprèsledîner.Starrétaitdéjà
alléesecoucher.—Tudevraism’engueuler,dit-elle.Jelemérite.—Non,tuneleméritespas.—Si.Jen’enaipasassezfait,quandStarrestarrivée.Jeneluiaipasdonnél’impressionqu’elle
étaitlabienvenue.Jepensaisqu’elleseplaisaitdanssoninternat.Maissijevoulaisqu’elleyretourne,c’étaitsurtoutparcequecelam’auraitfacilitélavie.
Ilserapprochad’elle.—Hé,cen’estpasent’autoflagellantquetuarrangerasleschoses.—Jel’aiblessée,murmura-t-elle.Sesgrandsyeuxvertss’emplissaientdelarmes.—Jesuisunesœuratroce.—Tul’asrecueillie.Tuluiasdonnéunfoyer.—Unfoyer temporaire.Celanesuffitpas. Il lui fautquelquechosedepermanent.Jenesaispas
pourquoijenel’aipascomprisdèsledébut.Cequiposaitunproblème,vuletravailqu’ellefaisait…—Tudémissionnes,dit-il.Elleleregarda,surprise.—Commentest-cequetulesais?
—C’est la seule chose à faire.Tu as dit toi-mêmequeStarr avait besoin d’un foyer permanent.Donc,tuvasleluifournir.Alors,qu’est-cequetuvasfaire?
—Franchement,jen’enaiaucuneidée.Jesuisencoresouslechocdetoutecettehistoire.Commentest-cequej’aipunepasmerendrecomptequ’elleétaitàcepointmalheureuse?Jesupposequejen’aivu que ce que je voulais voir. Et en plus, nous ne nous connaissons pas depuis très longtemps.Franchement,jesuiscomplètementlarguée.
—Alors,fais-toiaider.Elleluidécochaunpetitsouriremoqueur.—Encoreentraind’arrangerleschoses?—Horsdequestion.Tuesau-delàdemonniveaudecompétences,etdebeaucoup.Fais-toiaider
parquelqu’unquisaitcequ’ilfait.Commesituétaisuneathlètequis’estblesséeetquisefaitsoignerparunprofessionnel.
—Tuparlesd’unethérapiefamiliale?Jen’avaisjamaispenséàça.Avecunrirebref,ellepoursuivit:— Pourtant, vu notre historique familial, on pourrait faire l’objet d’une étude complète ! Un
psychologue…C’estunebonne idée.Starr abesoindeparler àunepersonne enqui elle a confiance.Biensûr,jesuislà,maisjesuissûrequ’elleabesoindeparlerdemoiavecquelqu’un.Etmoiaussi,ilfautquejepuisseconfiermessentiments.
Il s’abstint de tout commentaire afinde l’amener à trouver elle-même la solution.Laplupart desfemmesqu’ilconnaissait seseraient sansdouteconfiéesà l’unede leursamies.MaispasDestiny,quitenait le reste du monde à bonne distance. Il comprenait certaines de ses raisons, mais d’autres lelaissaientperplexe.
—Mercidem’avoirécoutée,dit-elledansunsoupir.—C’estnormal.—Etdem’avoiraidée,toutàl’heure.J’aipaniqué.Jenecomprendspas.C’estmoiquiconnaisles
critèressurlesquelsilfautsefonderquandonmèneunerecherche.C’estmoil’experte.Maislà…j’enétaisbienincapable.
— Ce n’était ni un exercice ni un entraînement, lui rappela-t-il. La personne disparue était unmembredetafamille.
—GrandmaNellseraittellementdéçueparmoncomportement…Ilseleva,laforçaàfairedemêmeetl’attiracontrelui.Ellen’opposaaucunerésistancelorsqu’il
l’enserradesesbras.—Elletediraitquel’onn’ajamaistortd’aimerquelqu’un,répondit-il.Elletediraitquelaseule
erreurimpardonnable,c’estdebaisserlesbras.Saufqu’elletelediraitavecsonbelaccentduSud.Destinyritavantdesemettreàpleurer.Ilcontinuaàlaserrercontreluienluifrottantledoseten
lui chuchotantque tout sepasseraitbien.Et,pourdes raisonsqu’ilnecherchapasà comprendre, ellesemblalecroire.
***
DestinyetCassidyarrivèrentauJo’sBarpourledéjeuner.Destinyavaithâtedepasserunmomentavec ses amies. Emotionnellement, elle était vidée, et elle n’avait jamais eu autant besoin du soutienqu’elle savait trouver auprès de ces femmes qu’elle avait rencontrées à Fool’s Gold. Ces dernièresquarante-huitheuresavaientétéunvéritablemarathonémotionnel.LafuguedeStarr.Leurdiscussionàcœurouvert.Et,danslafoulée,elleavaitposésadémission!
Et il lui restait encore des douzaines de décisions à prendre. Allaient-elles s’installer à Fool’sGold?Qu’allait-ellefairedesavie?Ettantd’autreschosesencore…dontelles’occuperaitplustard.
Pour lemoment, elle voulait seulement passer une heure à parler et à rire avec un groupe de femmesqu’elleappréciait.Etàmangerdesnachos!
Depuis quand ne s’était-elle pas sentie aussi liée à des amies ? Sans doute depuis ses annéesd’université.Commec’était triste…Enrefusantdese lieraveclespersonnesqui l’entouraient, toutcequ’elleavaitgagné,c’étaituneexistencesolitaire.Elleavaitvécusanssoutien,sansamour,sansjamaisavoirl’impressiondes’intégrerquelquepart.Maispourquoiavait-ellechoisicettevie-là?
—C’estuntrucrégulier,cessoirées?demandaCassidyquandellesentrèrentdanslebar.—Plusoumoins.Lesinvitationssontlancéespartexto,etcellesquipeuventselibérerviennent.EllebalayalasalleduregardetvitMadelineetFelicia,déjàinstalléesàunegrandetable.DestinyleurprésentaCassidyets’assitàcôtédeMadeline.—Commentvas-tu?luidemandaMadeline.Moi,jesuissurlesrotules.APaperMoon,c’estdela
folie.Nousvenonsjustederecevoirlesrobesdemariéequenousavionscommandées.Lesgenspensentsansdoutequ’ellesarriventdansd’énormesmalles,bien repasséesetprotégéespardeskilomètresdepapierdesoie.Maisenvrai,ellessontfourréesdansdesboîtesminusculesetilfautlesdéfroisseràlavapeur!Çaprenddesheures…
Ellefitjouersesépaulesetgémit:—J’aimalpartout.Ilmefautdesglucides.Destinysepenchaverselleetlapritdanssesbras.—Merci,dit-elle.—Pourquoi?—Parcequetuesnormale.Ilmefautdunormal,aujourd’hui.—Tuveuxdunormal?s’exclamaMadelineenriant.Est-cequetutesentiraismieuxaprèsunpeu
derepassage?Parcequej’enaidestonnesàteproposer!—Tun’asqu’unmotàdire,etjeserailà,répondit-elle.Larissa lesrejoignit,accompagnéedePatience.Jovint lessalueretprendre leurscommandes.Et
lesconversationsrepartirentdeplusbelle.—J’ai entendudire quevous aviezdressédes chevaux et des chiens et quevous allez les faire
venirenville,ditFelicia,s’adressantàCassidy.Patienceouvritdegrandsyeux.—Dresséscomment?Pourdesspectacles?ParcequeLillieetmoiserionsvraimentintéressées.
Lillie,c’estmafille.J’adorelesfestivals,maisiln’yapasassezd’animauxdanslesspectacles,conclut-elleensoupirant.
—NousavonsPriscilla,fitremarquerFelicia.Mêmesijenepensepasqu’ellefassequoiquecesoitquisortedel’ordinaire.
—C’estuneéléphante,précisaMadeline.Illuisuffitd’êtrelà.Cassidyclignadesyeux,commesiellepeinaitàsuivrelefildelaconversation.—Jevois,dit-elleenfin.Non,cenesontpasdesanimauxdecirque.Meschevauxetmeschiens
sontdresséspourletravail.Ilsaidentauxopérationsderechercheetdesauvetage.—HERO,ditPatienced’unairentendu.J’adoreça.Commeellesoupiraitdenouveau,Feliciasetournaverselle.—Tuesd’unehumeurbizarre,aujourd’hui.Ettuassoupiréplusieursfois.C’estrévélateur.Ellefronçalessourcilsetpoursuivit:—Bienquemaremarquen’aitaucunsens.Unsoupirn’estqu’uneréponse,volontaireounon,à…—Jesuisenceinte.Latabléesetutpendantuninstantavantd’exploserenriresetenfélicitations.—Jesais!s’exclamaPatience,rayonnante.Jesuissurprise,moiaussi.Enfin…non,pasvraiment,
en fait.On essayait d’avoir un enfant depuis quelque temps, après avoir pasmal hésité. Je crois que
Justicepensaitque jenevoulaispasd’autreenfant.Mais j’envoulaisun, et lui aussi, etmaintenant…nousvoilàenceints!
Destinyadressa toussesvœuxdebonheurà lafuturemaman,maissesurpritàpenserquesielleavaitapprislanouvelledeuxjoursplustôt,elleauraitétéraviepourPatience,biensûr,maisellen’auraitpasconnusonbébé—aumomentdesanaissance,elleauraitétéDieusaitoù.Maisdepuis, toutavaitchangé.Sonaveniravaitchangé.Elleallaitsefixer.Autrementdit,elleaurait tôtoutarddesamiesdelongue date, qui se marieraient, tomberaient enceintes et auraient des bébés… et elle serait là pourpartagertouscesmomentsavecelles.Cetteperspectivelaréjouitplusqu’ellenel’auraitpensé.
Elleavaitbienfaitdedémissionner,etl’avenirquisedessinaitdevantellelarendaitheureuse.Jo apporta plusieurs bouteilles de champagne et, pour Patience, un verre d’eau pétillante garnie
d’unetranchedecitronvert.Quand elles eurent fini de déjeuner, Cassidy retourna travailler, tandis que Destiny et Felicia
prenaientladirectionduparc.— Je me sens particulièrement perspicace aujourd’hui, dit Felicia. Alors, je vais te poser une
question.Est-cequetoutvabien?Jet’aitrouvéepluscalmequed’habitude,pendantledéjeuner.—Jevaisbien.Quelquessoucisfamiliaux,riendeplus.Feliciatenditledoigtversl’undesbancsquifaisaientfaceaulacetdemanda:—Tuveuxenparler?Elle faillit refuser, mais se surprit à acquiescer. Une fois qu’elles furent assises, elle hésita un
moment,sanstropsavoirparoùcommencer.—Tuconnaismafamille,dit-elleenfin.Tusaisquisontmesparents.—Oui.Ce sont des chanteurs de country. J’aime bien lamusique country. Les paroles racontent
toujoursunehistoire. J’ai apprisbeaucoup sur laviegrâce à lamusique country.Tesparentsont tousdeuxunsensmusicaltrèsdéveloppé.
—Ehbien…merci.Lecomplimentétaitbizarrementtourné,mais,venantdeFelicia,celanel’étonnaitpas.—Starrestmademi-sœur,poursuivit-elle.Nousavonslemêmepère.Ilyadeuxmois,l’avocatde
monpèreapriscontactavecmoi.ElleluiracontacommentelleavaitrecueilliStarr,etlesdifficultésquiétaientapparues.Ellefiniten
luirelatantlafuguedel’adolescenteetlapromessequ’elless’étaientfaitededevenirunevraiefamille.— J’ai l’expérience des fugues d’enfant, lui confia Felicia. Même si Carter a seulement fait
semblantdefuguer.Maisquandmême,jamaisjen’aieuaussipeurdetoutemavie.Cen’estpaslegenred’expériencequejeveuxrevivre.
—Moinonplus!— J’ai fait des recherches sur les comportements adolescents dans l’espoir de mieux gérer les
situations qui pourraient se présenter,mais il ne semble pas y avoir de véritable école de pensée. Etbeaucoupdesthéoriessecontredisententreelles.Voilàpourquoijepréfèrelessciencesexactes.Jeveuxqu’unfaitsoitunfait.Qu’ilnebougepas.Lesgensnesontpascommelagravité.
Destiny acquiesça. C’était une comparaison qu’elle n’aurait jamais utilisée elle-même,mais ellen’enétaitpasmoinsvraie.
—Carteravaittreizeansquandilestvenuvivreavecnous,repritFelicia.Ilétaittellementnormal,tellement centré sur lui-même. Je respectais et j’admirais cet état d’esprit. Ilm’a appris beaucoup dechoses sur les gens et la vie. En regardant le cerveau d’Ellie se développer à chaque nouvelleexpérience,jedécouvredenouvelleschosessurl’essencedel’êtrehumain.Cequejepeuxtedire,c’estqu’iln’est jamaismald’aimer l’enfantquipartage tavie.Biensûr, tuvas te tromper,c’est inévitable.Nousnesommesquedeshumains.Maislàoùtupeuxfaireladifférence,c’estdanslafaçondonttugèresteserreurs.
—Ça,jel’aicompris.Jen’aipasétéassezprésentepourStarr.Jepensaisquelemieuxpourelleétaitdelarenvoyerdanssoninternat,alorsquecen’étaitquelasolutionlaplussimplepourmoi.
EllerepensaàsaconversationavecKipling,hésitaàenparler,puis…—Jepensaisàunethérapiefamiliale,dit-elle.—Nousenavonsfaitune,réponditFelicia.—Vraiment?Sonamiehaussalesépaules.—Lapsychologieestunedisciplinesurlaquellej’aiunavismitigé,avoua-t-elle.Tropdevariantes
entrentenjeu.MaisGideonavaittraversétropd’épreuves,moi,jemanquaisderepèrespourtrouvermaplaceauseind’uneunitéfamilialetraditionnelle,etCarteravaitperdusamèrel’annéeprécédente.Nousavionsbesoind’aide.Lathérapienousarapprochés.Untiers,attentifmaisnonconcerné,nousaaidésàfixerdesrèglesàlamaisonetàdéterminertoutunprocessusquiacontribuéàétablirunlienfortentrenoustous.Jepeuxtedonnersonnom,situveux.
—J’aimeraisbeaucoup.Merci.Felicialuisourit.—Starrestunefillevraimentadorable.Jepensequetuvasdécouvrirqu’ennouantdesliensplus
étroitsavecelle,tuvivrasunvéritableenrichissement.—C’estcequejepenseaussi.Toutaumoinsjel’espère.Plustard,quandelleeutregagnésonbureau,elledécouvritqu’ellesesentaitpluslégère.Commesi
lepoidsdufardeauqu’elletransportaitluiavaitétéretiré.Et,enunsens,c’étaitsansdoutelecas.Sesamisl’aidaientàportercefardeau:ilslaconseillaientet,quandelleauraitbesoind’eux,ilsrépondraientprésents.
Jamaisellen’avaiteucegenredesoutien.Etdirequec’étaitparcequ’ellel’avaitchoisi…
***
Kiplingregardatoutautourdeluipourapprécierlerésultatdesontravail,etdutreconnaîtrequ’ilavaitfaitunsacréboulot.LaManCaveétaitexactementcommeill’avaitimaginée.Deladécorationàlacomposition dumenu, tout était cent pour centmasculin.Même si les dames allaient toujours être lesbienvenuesdans sonétablissement, il s’agissait avant toutd’un lieuoùungarspouvait venir avec sespotes,prendreunebièreetunburger,etregarderunmatchtranquille.
Il regarda les hommesqui avaient pris place autour de la table.Ses associés et lui s’étaientmisd’accord:pendantlesdeuxpremiersmoisaprèsl’ouverture,ilsseréuniraienttouslesquinzejourspourfairelepoint.Ensuite,unefoisquel’affairetourneraitbien,iln’yauraitplusqu’uneréunionparmois.
Jusqu’ici, ilsn’avaientabordéquedes sujets sans surprise.La fréquentationétait régulièreet lesplaintesétaientrares.
Il jetauncoupd’œilàsamontre.Dansuneheure, ilserait libre,cequi lui laisserait le tempsdepasservoirDestiny.
Apparemment,leplusgrosdelacrisequil’avaitopposéeàStarrétaitpassé.Elleavaittrouvéunepsychologueetdéjàprisrendez-vous.Autrementdit,elles’inquiétaitbeaucoupmoinspoursasœur.Cequis’accordaitparfaitementavecleplanqu’ilavaitpréparé—iln’avaitpasoubliéqu’illuidevaitunorgasme.
Leproblème,c’estqu’ilnesavaittoujourspascomments’yprendre.Passurleplantechnique—lemomentvenu, ilsesavaitparfaitementcapablede lafairebasculer.Leproblème,c’étaitde trouverunmoyend’arriveraumomentenquestion. Ilnepouvaitpas toutsimplementprendrerendez-vous,passerchezelleetfairecequ’ilavaitàfaire.
SamRidgepoussalesportesdelaManCaveet,d’unpasnonchalant,vints’asseoiràlatable.
—Onn’attendaitplusquetoi,luifitremarquerGideon.Bien.Laréunionpeutcommencer.Kiplings’installaconfortablementsursachaiseetattendit leconcertde louanges.Lebar tournait
bien,lasoiréekaraokéquotidienneavaitunsuccèsfou,etc’étaitgrâceàlui.Ilavaitdéceléunproblème,etill’avaitrésolu.Certainsjours,ilsedisaitquesonsortétaitenviable.
—Onaunproblème,annonçaSam.—Commentça?demandaFordHendrix.—Lesrecettessontenbaisse.—Impossible,ditKipling.C’estpleintouslessoirs.—Moinsqu’avant.Samallumasatabletteetlatournaverslesautresoccupantsdelagrandetable.—Lapremièresemaineaétébonne,expliqua-t-il.Maisdepuis,lesrecettesdiminuentsanscesse.—Nousn’avonsplusl’attraitdelanouveauté,c’estvrai,reconnutKipling.Maisilyadumonde
chaquesoir.JoshGoldensecoualatête.—Nousn’avonsrienànousreprocher.C’estJo.Lesautreshommesacquiescèrent.Kiplingfronçalessourcils.—QuiestJo?—JoTorelli,réponditSam.Tusais,duJo’sBar.—Cebardefilles?Impossible,répondit-ilendésignantlasalled’ungeste.Nousn’avonsrienen
commun.Sonbars’adresseàuneclientèledefemmes.C’estpourçaquenousavonstousvouluouvrirlaManCave.Pouravoirunendroitoùregarderlesportàlatélé.Unlieuoùonn’auraitpasàsupporterdesémissionsdeshoppingetdesmurspeintsenrose.
—Pasenrose,rectifiaFord.Enmauve.C’estdifférent.—Situledis…Kiplingdévisageasesassociésl’unaprèsl’autreavantdedemander:—Vousêtessérieux?—C’est grave, lui dit Gideon. On aurait dû parler de tout ça avec Jo avant d’ouvrir. Sans son
soutien,onestfoutus.—Quel soutien?demandaKipling.C’est Joquidonne lesautorisationsd’ouvrirunbar? Ilya
largementassezdeclientsenvillepournousdeux.—En théorie,oui, répondit Josh.Maiscen’estpas si simple.Nous sommes tousmariés.Sinos
femmesveulentquenousapportionsnotresoutienauJo’sBaretpasà laManCave,c’estcequenousferons.
Kiplingcrutavoirmalentendu.—Quoi?s’exclama-t-il,s’efforçanttoutefoisderestercalme.Maisvousêtestouscopropriétaires
decetendroit!Vousenavezpourtantparléavecvosfemmes,pasvrai?Ellesétaientd’accord?Leshommeséchangèrentdesregardsgênés.CefutFordquipritlaparole:— En théorie, oui. Mais maintenant que notre bar est ouvert, Jo n’est pas contente. Son
établissementabeaucoupd’importancepournosfemmes.Jofaitpartiedeleursamies.Elleesttoujourslàquandellesontbesoindeparlerdetrucsdefemmes.
Kiplingregardasesassociéstouràtour,avecl’impressionqu’onl’avaitcatapultédansununiversparallèle.
— Je ne comprends pas, dit-il, très calme. Vous vous plaigniez tous qu’il n’y avait pas un seulendroitdanscettevilleoùuntypepouvaitallerboireunverreavecsesamis.Nousnoussommesréunispourréfléchirtousensembleauproblème,etc’estainsiqu’estnéelaManCave.Noussommesassociés,àpartségales.Nousavonstousinvestidanscebar.Etmaintenant,vousvenezmedirequevousavezpeurparcequeJon’estpascontente?
Samhochalatête.—Tuasassezbienrésumélasituation,reconnut-il.—Maiscommentest-cequetupeuxavoirpeur?Tuétaisfootballeurprofessionnel!—Etalors?Tupeuxmedireoùestlerapport?
***
Lelendemainmatin,Kiplingfulminaittoujourscontresesassociés.Ilsluiavaientfaitpartdeleurproblème, et il leur avait fourni une solution : la création de laManCaveEtmaintenant, ils venaientpleurnicher commedes fillettes ! Franchement, leur attitude le confortait dans son idée que cette villeavaitbesoind’unlieuoùleshommespouvaientseréuniretsecomporterenhommes.Quellebandedepoulesmouillées,franchement!
Toutenmarmonnant,ilroulaitsurMotherBearRoadpourgagnerl’endroitoùCassidy,Destinyetluidevaientmenerleurpremierexercicederecherche.
Cassidyétaitpartieenavancepouravoirletempsdeseperdredanslaforêt.Ilétaitprévuqu’elles’yenfonced’unkilomètreetqu’elleattende.Destinyetluipartiraientàsarecherche.S’ilsnel’avaientpastrouvéeà11h30,ellereviendraitaupointdedépart.
Quandils’engageadanslepetitparkingaménagéàcôtédelaprairie,ilvitqueDestinyétaitdéjàlà.Illuisuffitdelavoirdeboutàcôtédesavoiture,penchéesurunecarte,pourquelatensionquil’habitaitbaissedeplusieurscrans.
Elleseretournaenl’entendantarriveretluisouritquandildescenditdevoiture.Cequifitnaîtreenluiuntoutautregenredetension…qu’ilignora.Cen’étaitpaslemoment.
—Salut,dit-ellequandillarejoignit.Prêtpournotrepremieressai?Elleavaitbonnemineetétaitnettementplusdétenduequelorsdeleurdernièrerencontre.—Aussiprêtquepossible.Ettoi?Commenttuvas?—Mieux.Starretmoiessayonsencorededémêlernotrerelation,maistoutsepassebien.Mercide
tonaide.Jenesaispastropcommentj’auraispum’ensortirsanstoi.—Jesuisheureuxd’avoirput’aider.Ilsseregardèrentpendantquelquessecondessansriendire.La route voisine était déserte.Le silencequi les enveloppait n’était troublé quepar le chant des
oiseauxetlebruissementdesfeuilles.Kiplingsavaitqu’ilétaitdanslamontagne,mais,aujourd’hui,celane le gênait pas. Il n’y avait pas de neige. En plus, quand il était auprès de Destiny, toutes sespréoccupationsdisparaissaient.
Ilposalesyeuxsursabouchecharnue,viergederougeoudegloss.Ilpouvaitcompterlestachesderousseurquiparsemaientsonnez.Quandilinspirait,ilpouvaitsentirleparfumdesonsavonetpeut-êtreunsoupçond’elle.
Commeiln’avaitrienprévu,sinonderetrouverCassidy,ilnes’attendaitpasàfaireunpasenavantpourprendreDestinydanssesbras.Etpourtant,cefutcequ’ilfit,goûtantlachaleurdesoncorpscontrelesien.Elleétaittoutàlafoisrobusteetdouce,commeseuleunefemmepeutl’être.
Malgrél’enviequ’ilenavait,ilnelaserrapascontrelui,luilaissantlapossibilitédesedégagersielleenressentaitlebesoin.Parcequ’ellen’étaitpasaussiexpérimentéequ’ill’avaitpensé,etqu’ilavaitlafermeintentiondeluifairepasserquelquesinstantsagréables.Etilallaitprendretoutsontempspournepasl’effaroucher.Maisilavaitquandmêmeunbesoinpressantdel’embrasser…
***
Destiny s’abandonna à l’impression de sécurité qui l’enveloppait. Quand elle était auprès deKipling, tout semblait aussitôt rentrer dans l’ordre, peut-être à cause de sa détermination à régler lesproblèmes.Cetraitdecaractèreauraitpuêtreagaçantpourcertains,mais,pourelle,ilnel’étaitpas.Elleaimaitsafaçondeprendreleschosesenmain,elleaimaitl’impressionqu’ildonnaitdetoujourssavoircequ’ilfallaitfaire.Parcequ’elle,lamoitiédutemps,ellefaisaitseulementsemblant.
Ilposaitsurelleunregarddontl’intensités’apparentaitpresqueàcelled’unprédateur.Maisilnelaplaquapascontrelui,necherchapasàlacaresser.Ilsecontentaitdelatenirdanssesbras.Pourtant,ellesentitaussitôtquelquechosesemettreàbouillonnerdanssonventre.Soncorpstoutentierétaittraversédedrôlesdepetitesdéchargesélectriques,etelleavaitbiendumalàreprendresonsouffle.
Elle avait posé lesmains sur ses bras. Lentement, elle les fit glisser jusqu’à ses larges épaules,savourantdesentirlesmusclesjouersoussapeau.
Toutdanscetinstantétaitagréable.Toutsemblaitnaturel.Etquandilbaissaenfinlatêtepourposerseslèvressurlessiennes,ellechangeadeposition,justeassezpourluifaciliterleschoses.
Ses lèvresétaientchaudeset fermes,maisdouces.Elleaimait la façondont ils s’accordaient.Lafaçondontilcaressaitsabouchedelasienne,sansêtrepressant.Elleaimaitsentirsescuissesnichéesentre les siennes, le contact léger de ses seins contre son torse.Elle se sentait…chérie.Lemot étaitridicule,maisc’étaitleseulquiconvenait.
Elleenfonçalesdoigtsdanssescheveuxsoyeux.Ilfitglisser lesmainsdanssondos, jusqu’àseshanches.Etpourtant,leurbaiserdemeuraitchaste.
Ilabandonnases lèvrespoursa joue,puissoncou,qu’ilmordilladoucement.Elle frissonna.Sesseinscommencèrentàluifairemal,etelleserappelacombienelleavaitaimélemomentoùillesavaittouchés,cesoir-là…
Seslèvresseposèrentjustesoussonoreille,làoùsapeauétaittellementsensible,etillamordilladenouveau,avantdedonnerunrapidecoupdelangue.Ellesemitàrespirerunpeuplusfort,etd’autressouvenirsdecettefameusesoiréeremontèrentenelle…
Elle voyait denouveau le corpsmagnifiquedeKipling, sentait sonpoids sur elle.Tout avait étévraimenttrès,trèsagréable.Etlemeilleur…c’étaitquandilavaitsucésesseins.
La chaleur et la tension qui l’habitaient augmentèrent. Maintenant, son corps était traversé desensations inattendues, presque douloureuses. Elle sentait ses seins gonfler et se tendre, et son sexesemblaitgagnéparunelourdeurétrange.Cen’étaitpasvraimentdeladouleur,maisplutôtuneimpatiencequin’avaitrienàvoiraveclebesoindechanterquilaprenaitparfois,maisplutôtavecl’hommequilatenaitdanssesbras.
—Kipling,murmura-t-elle.Avantqu’elleaitpuluidirecequ’ellevoulait—cequin’auraitpasétéfacile,étantdonnéqu’elle
n’enavaitaucuneidée—,ill’embrassadenouveau.Al’instantoùellesentitsabouchesurlasienne,elles’ouvrità lui.Ellevoulait…non,elleavait
besoindelesentirenelle.Elleavaitbesoindeladansedesalanguecontrelasienne.Ilneladéçutpas.Ilplongeadanssabouchecommes’ilavaitautantqu’ellebesoindecelien,etelle
lui rendit chacunede ses caresses.Elle envoulait plus, toujoursplus.Enmême temps, elle seplaquacontreluipoursentirtoutelalongueurdesoncorpscontrelesien.Elleserapprochadelui…etperçut,contresonventre,unearêterigidequ’ellenes’attendaitpasàtrouver.
Cettedécouverte ladésarçonnapendantuninstant,avantqu’ellecomprennecequec’était. Ilétaitexcité.
Etc’étaitellequiavaitfaitça!Grâceàelle,Kiplingavaituneérection.Ellefuttraverséeparunfrisson de puissance féminine et faillit éclater de rire.Comme elle ne savait pas trop quoi faire, ellel’embrassa plus passionnément encore enmême temps qu’elle ondulait des hanches pour plaquer plusfermementsonventrecontresonsexe.
Illasaisitaussitôtparleshanchespourl’empêcherdebouger.Ellesentitsesdoigtssecrisperdanssachairetentenditungémissementsourd,dontellenesuts’ilvenaitd’elleoudelui.Maiscelan’avaitaucune importance. La douleur, la chaleur, la tension s’unirent pour ne plus former qu’une seulesensation:ledésir.
ElledésiraitKipling.Ellesouhaitaitqu’ilsrecommencentcequ’ilsavaientfaitdanslebar.Mêmesilafinavaitétébizarreet,pourtoutdire,décevante,ellevoulaitrecommencer.Ellelevoulaitvraiment.Etc’étaitinsensé.
Pendantquelquessecondes,ellepensaqu’ilspouvaientsedéshabillerets’allongerici,surl’herbe.Lesoleilseraitchaudsurleurscorpsnus.Ilspourraientprendreplusdetemps,et…
Kiplingserecula.—Pour quelqu’un qui était vierge il n’y a pas si longtemps, tu assures,murmura-t-il d’une voix
rauque.Il respirait avec force et posait sur elle des yeux légèrement vitreux.Mais ce fut tout ce qu’elle
remarqua,parcequ’ellefutdéçuedelevoirfaireunpasenarrière.Ilsenavaientfiniaveclesbaisersdélicieuxetlescaressesexcitantes?
—C’esttout?demanda-t-elle.Illuidécochasonsouriresexy.— Nous sommes ici pour travailler, ma belle. Cassidy va se demander pourquoi nous ne la
cherchonspas.—Oh!C’étaitvrai. Ilsavaientdu travail.Et ilsétaientenpleinenature,surunparkingoùn’importequi
pouvaitvenirsegarer.Qu’est-cequinetournaitpasrondchezelle?Ilsnepouvaienttoutdemêmepassedéshabillerici!Oùavait-ellelatête?
Mais, pour tout dire, elle avait la désagréable impression que l’essentiel de son problème…nevenaitpasdesatête.
—Tuasraison,dit-ellevivementenseretournantpourallercherchersesaffaires.Elle fit quelquespas en trébuchant, comme si ses jambesne lui obéissaient plus.Et ses joues la
brûlaient,commequandellecouvaitlagrippe.Ellevitvolte-face.—C’esttoi,luidit-elle.C’esttoiquim’asfaitça.—Quit’afaitquoi?—Jenesaispas.Quelquechose.Jenemesenspasbien.—Pourtant,moi,jetetrouvetrèsbien.Ilarboraituneexpressionoùselisaitunesuffisanceinsupportable.Etsoudainellecomprit.—Tuveuxtoujoursrésoudretouslesproblèmes.Tupensesquequelquechosenetournepasrond
chezmoi,c’estça?lança-t-elle.Tuveuxquej’aieunorgasme.Tuessaiesdemefairechangerd’avissurlesexe.Tuveuxquej’aimeça.
Cettedernièrephraseétaituneaccusationplusqu’unesimpleaffirmation.—Tum’attiresverstoi,poursuivit-elleenredressantlesépaules.Maiscelan’arriverapas.Jesuis
plusfortequen’importequelbesoinbiologique.Il ne parut pas le moins du monde découragé par sa tirade. Au contraire, son sourire s’élargit
encore.—Vraiment?—Absolument,affirma-t-elleavecforce.—Tunecoursaucunrisque?—Paslemoindre.—Bien!Danscecas,viensdînervendredi.Chezmoi.
Commeelleallaitrépondre,illevalamain.—Aucunvêtementneseraretiré.Tuasmaparole.Quelledéception…Ellenesavaitpasd’oùluiétaitvenuecettepensée,maisellechoisitdel’ignorer.—Trèsbien.Jeviendraidîner,ettuverras.Maintenantquejesaiscequetuasderrièrelatête,je
vaisêtreforte.Commeunroc.Lesexenem’intéresseabsolumentpas.Niavectoiniavecquiquecesoitd’autre.
Kiplingallaprendreunsacàdosdanssajeep,etrevintverselleensouriant.— Ces dernières paroles rentreront dans l’histoire, répliqua-t-il. Et maintenant, partons à la
recherchedeCassidy.
14
—Essaie commeça, ditDestiny en jouant l’accord sur sa guitare.Le rythme est plus difficile àsuivreparcequ’iln’estpasrégulier.Unjour,j’aidemandéàpapapourquoiilavaitécritcettechansoncommeça,etilaétéincapabledemerépondre.Jepensequ’ilétaitsoûl.
Starrpouffaderire.—Ilboitbeaucoup.J’ailudestrucssurlui,surInternet.— Tout ce qu’on lit sur papa n’est pas vrai, répondit Destiny. Beaucoup d’anecdotes ont été
inventéesdetoutespièces.Sansdouteparcequeçafaitvendrelesmagazines,ouqueceluiquilesraconteespère ainsi faire croire qu’il est un proche d’une aussi grande vedette que JimmyDonMills. Deuxbiographiesnonautoriséesontétéécritessurlui.L’uned’ellesestassezfidèleàlaréalité,situveuxlalire.
—J’aimeraisbien,oui.Starrrepritsaguitare,cettefoisenchantantlachanson.—Bien,murmuraDestiny.Si sa sœur se concentrait assez sur lamusique, elle ne saisirait peut-être pas l’horreur de cette
conversation.JamaisStarrn’auraitdûavoiràlireunebiographiepourdécouvrirlaviedesonpère,alorsqu’ilétaittoujoursenvieettoutàfaitcapabledeluiconsacrerunpeudesontemps.Maiscen’étaitpasainsi que fonctionnait Jimmy Don. Quand il aurait fini sa tournée européenne, dans deux mois, ils’envoleraitpourl’Asie,entraînéparsaquêteperpétuelledel’adulationqueluidispensaientsesfansendélire.
Elle comprenait le besoin qu’il avait de se sentir toujours dans le coup, bien sûr, et, pour autantqu’elle sache, il avait aussi des motivations financières. Jimmy Don avait toute sa vie dépensé sanscompter,quecesoitpourluioupourlesautres,d’ailleurs—etellen’avaitpasàseplaindre:lecompteenbanquequ’ilavaitouvertàsonnométaitlàpourentémoigner.Maisparfois,ilselaissaitdépasserparsagénérosité.
Ellejoignitsavoixàcelledesasœurpourlesderniersversdelachanson.—«Etdanslanuit,jemesouviensdemespromessesdedenim.»C’estbien.Tuasrépété.— Et j’apprends beaucoup de choses au camp, ajouta Starr en souriant. Les leçons m’aident
vraiment.Jem’exerceàjouerduclavier.—Quandlecampfermera,nouspourronstetrouverunprofesseurenville.Jeveuxbient’apprendre
toutcequejesais,maisjen’aijamaisprisdecoursdemusique.Starrlaregarda,surprise.—Jenecomprendspas.Tuestellementdouée.TuaséténomméepourunGrammyquandtuavais,
quoi?Huitans?Tuauraispufairecarrière,etplutôtdeuxfoisqu’une.Pourquoiest-cequetuasrefusé
desuivrelamêmevoiequetesparents?Deuxsemainesplustôtencore,Destinyn’auraitpasacceptéderépondreàcettequestion,oupourle
moins essayé de changer de sujet. Mais depuis, elle avait compris que la meilleure façon de serapprocherdesasœurétaitdeparleravecelleàcœurouvert.Ellen’étaitpasencoreuneexperte,mais,endeuxséancesdethérapiefamiliale,elleavaitdéjàbeaucoupappris.
—Jeneveuxpaspassermaviesurlaroute,expliqua-t-elle.Tunevoispasgrand-chosedesvillesoùtuteproduis.Dèsqueleconcertestfini,tureprendslaroute.Turoulestoutelanuit,tuarrivesdanslavillesuivante,ettuastoutjusteletempsdetepréparerpourleconcertdusoir.Avecunpeudechance,tuasquelquesheurespourtepromenerenville.
—Commentes-tualléeàl’école?— Quand j’étais en tournée avec mes parents, je n’y allais pas. Parfois, ils emmenaient un
professeur particulier. A d’autresmoments, ils me laissaient à la maison avec une nounou et j’allaisnormalementàl’école.
Starrjouaquelquesnotessursaguitareavantdereprendre:—Maistun’asjamaisétécheztoinullepart,c’estça?Aveccettevie-là,çadevaitêtredifficilede
sefairedesamis.—Çal’était,oui.—Tucroisquec’estpourçaquetuaschoisiunmétieroùilfallaittoujoursbouger?Parcequetu
n’asjamaisapprisàresterquelquepart?C’étaitunequestionperspicace,àlaquelleDestinynes’étaitpasattendue.— Je n’en sais rien, avoua-t-elle. Peut-être que je n’ai fait que revivre ce que j’ai connu quand
j’étaispetite.Starrlaregardaavantdedétournerlesyeux.—Est-cequetutesensseule,detempsentemps?demanda-t-elle.—Parfois.Etquandçam’arrive,jejoueoujecomposeunechanson.Maisici,c’estdifférent.Jeme
suisfaitdesamis,etc’estlapremièrefoisquecelam’arrive.Ici,ons’intègrefacilement.—J’airemarqué,ditStarrensouriant.Aucamp,c’estpareil.Jefaispartiedugroupe,commeles
autres.C’estchouettedetrouversaplace.—Oui,c’estchouette.Maintenant,nousallonsdevoirdéciderdel’endroitoùnousvoulonsvivre.Il
y a bienmon appartement d’Austin,mais c’est une location, et il est trop petit pour nous deux. Il y alongtempsquejen’aipaseudevraifoyer.Maisjepensaisvraimentcequejet’aiditl’autrejour.J’aidonnémadémission.Onvaprendreunemaison,ouunappartement.
Starrladévisageaavecattention.—Tuasvraimentdémissionné?—Biensûr.Nousdevonsnousfixerquelquepart.Lelycéeestuneétapeimportantedanslavie.—Pourtant,tun’yespasallée.—Jesaisbien,etparfoisjeleregrette.Jemedisquecelam’auraitfaitdubien.Commeunritede
passage,enquelquesorte.Maisnousn’avonspasànousdécidertoutdesuite.Tupeuxyréfléchir.—Etsijeveuxresterici?AFool’sGold?Starrsemordillalalèvreinférieureavantd’ajouter:—Onatouteslesdeuxdesamisici,pasvrai?Ilyaunlycée,lavillenousplaît,ettusorsavec
Kipling.Çapourraitmarcher,non?Elleavaitparléàtoutevitesse,suruntonpleind’espoir.Destiny ne répondit pas, troublée. Rester ici ? Elle n’était jamais restée nulle part depuis des
années,etmêmesiellecomprenaitlanécessitéd’établirunfoyerpermanentpourlebien-êtredeStarr,ceprojetrelevaitencorebienplusdelathéoriequedelaréalité.
Bien sûr, elles auraient des avantages de s’installer à Fool’s Gold. Comme Starr l’avait faitremarquer, elles s’étaient fait des amis et commençaient toutes deux à trouver leur place dans lacommunauté. Ce qu’elle avait vu de la ville jusqu’ici lui plaisait. Elles pouvaient trouver une joliemaison,peut-êtreunemaisonancienne,dansunquartieragréable,qu’ellesretaperaientensemble.Ellenesavaitriendelafaçondontonrénoveunemaison,maisellepouvaitapprendre,enmêmetempsqueStarr.
PourcequiétaitdeKipling,ilsnesortaientpasensemble.Ilsétaientjusteamis.Etilsavaienteuune relation sexuelle. Et elle allait dîner chez lui. Mais quand même, ils ne sortaient pas ensemble.Kiplingne s’intégrerait jamaisdans sonplan raisonnable. Il était impossiblequ’ilpuisseenvisagerunmariagesanssexeet,pourêtrefranche,quandelleétaitaveclui,ellenel’envisageaitpas,ellenonplus.Commentauraient-ilspuvivrepaisiblement,dansuneparfaitecommuniond’esprits,sileurshormonessedéchaînaient?Etd’ailleurs,Kiplingne luidemandait rien.Entreeux, iln’yavaitquede l’amitié.Pasd’amour,niunquelconquesentimentquis’enrapproche.
—Destiny?—Pardon,murmura-t-elleensecouantlatêtedansl’espoirdes’éclaircirlesidées.Fool’sGoldme
vatrèsbien.Sic’estcequetuveux,jeseraisraviederesterici.—Vraiment?Starrposasaguitareetsejetasurellepourl’embrasser.—C’estvraimentsuper!s’exclama-t-elle.Parcequejemedisaisquejevoulaisformerungroupe.—Quoi?—Ungroupedefilles,expliquaStarrenregagnantsaplace.Lesgarçonscompliquenttoujourstout.
Onvafairedelamusiqueetécriredeschansons,etçavaêtregénial.—Je…jenesaispasquoidire.Starréclataderire.—Tut’yferas,assura-t-elle.Maispourlemoment,ilfautquejecommenceàécriredeschansons,
etjenesaispascommentonfait.Tupeuxmemontrer?Destiny essayait encore de digérer l’annonce de la création d’un groupe.Mais elle décida qu’il
valaitmieuxgarderlesinquiétudes—ilauraitétéplusjustedeparlerdefrayeurs!—qu’elleressentaitàl’idéequeStarrpuissefairepartied’ungroupepourlaprochaineséancedethérapiefamiliale.
—Attends-moiici.Elleallachercherlevieuxcarnetqu’ellerangeaitdansletiroirdesatabledenuitetrevints’asseoir
àcôtédesasœur.—Jevaistedirecommentjefais,dit-elle.Jesuisdelavieilleécole.D’abord,j’écrislesparoles,
ensuite,jetrouvelamélodie.Parfois,lesdeuxmeviennentensemble,maisc’estrare.Ellefeuilletalecarnetjusqu’àtrouverlachansonqu’ellepréféraitparmicellesqu’elleétaitentrain
d’écrire.—Encemoment, je travaillesurcelle-là.J’ysuispresque,maisellen’estpasencore toutà fait
terminée.Starrsepenchasursonépauleetlut:—«Nousnepouvonsmêmepasaccordernotreconfiance,etnousnesavonspascommentvivre.»Ellepritsaguitareetplaquadeuxaccords.—Qu’est-cequetuavais,commeidée?s’enquit-elle.—Jenesaispastrop.Destinyjouaquelquesaccordsettournalapage.—Voicilamélodiequej’essayaisdetravailler.Tusaislirelamusique?Starrregardalesnotesetlesjoua.Destiny ferma les yeux et écouta. Il ne lui fallut que quelques secondes pour comprendre ce qui
manquait.
—Qu’est-cequetudisdeça?demanda-t-elle.Ellechangeal’undesaccordsetretournaàlapageoùfiguraientlesparoles.—«Del’autrecôtédelapièce,etmalgréladistance,jetevoisàtraverstoncœurbrisé,tumevois
àtraversmespeurs.»Starrhochalatêteetsejoignitàelle.—«Letempsquenouspassonsensemble,laviequenouspourrionstrouver.Tupourraisêtremon
plusbeauregret,jepourraisêtretasérénité.»Elles’arrêtanetetdemanda:—Est-cequetuvoiscettechansoncommeunechansond’amour?Parceque,d’unecertainefaçon,
elleparlepresquedenous.—Jenel’avaisjamaisvu,maistuasraison,réponditDestiny,aprèsuninstantderéflexion.—Etsituchangeaislafin?Deux heures plus tard, elles avaient fini d’écrire la chanson.Destiny commanda une pizza et, en
attendantlelivreur,revints’asseoiràcôtédeStarr.Ellebranchasonmicrosursatabletteettoutesdeuxenregistrèrentensemblelaversiondéfinitive.Quandelleseurentterminé,Destinyéclataderire.
—Onaécrituntube!s’exclama-t-elle.—Tucrois?Jen’aipasfaitgrand-chose.C’esttachanson.—C’estnotrechanson.Tuesunetrèsbonnecollaboratrice.Ilfaudraqu’onrecommence.Starrlafixacommesiellevenaitdeluipromettrelalune.—Çameplairaitvraiment,murmura-t-elle.
***
Kipling sortit les steaksdu réfrigérateuret lesposa sur lecomptoir.Destinyn’allaitpas tarderàarriver,etilvoulaitquelaviandeseréchauffependantunepetiteheureavantdelamettresurlegril.
Commegarniture,ilavaitprévuunesaladecomposée.Destinyapporteraitunesaladedepommesdeterre,ainsiqueledessert.
Ilnesavaitpasencorecommentsedérouleraitlasoirée.Mêmes’ilavaitdansl’idéedelaséduire,illuiavaitpromisdeneluiretireraucundesesvêtements.Ilsouritenpassantdanslesalon.Ilsesavaitparfaitementcapabledelaséduiresansladéshabiller.Mêmes’ilétaitencoreembarrasséenrepensantàlapiètrequalitédesapremièreperformance,ilsavaitqu’ilavaitdestalentscachés.
Maiscesoir,iln’étaitpasseulementquestiondeséduction.Parceque,pourtoutdire,ilappréciaitlacompagniedeDestiny.Ilaimaitparleravecelle,plaisanteretrire.Elleétaitintéressanteetamusanteet,quandilétaitauprèsd’elle,lemondegagnaitenbeauté.
Ellearrivajusteàl’heure,tenantdeuxgrandssaladiersdanslesbras.—Salut,dit-elle,avecunsourirelégèrementhésitant.—Rentre.Ils’effaçapourlalaisserpasser,etladébarrassaduplusgranddessaladiers.—SaladedepommesdeterrerôtiesetS’moresBars!annonça-t-ellecérémonieusement.Est-ceque
tusavaisqu’ilexistaitunLivredecuisinedeFool’sGold?Jel’aitrouvéchezMorgan’sBooks,l’autrejour.J’aidéjàtestéquelquesrecettes.Ellessontdélicieuses.
La rapidité de son débit, la façon dont elle le regardait avant de détourner rapidement les yeuxtrahissaientsanervosité.Ildevaitsûrementêtresadique,maisilaimaitlavoirunpeudéstabilisée.Ainsi,ilsseretrouvaientàégalité.Parcequ’illuisuffisaitdeposerlesyeuxsurellepourperdrel’usagedelaparole.
Elleavaittroquésatenuehabituelle—jeanoupantaloncargoetT-shirt—pourunerobed’étéàbretellesajustéeà la tailleetdont la jupeévaséedécouvraitsesgenoux.Letissuvertpâles’accordait
parfaitementavecsesyeux.Ses cheveux légèrement ondulés retombaient librement sur ses épaules, et elle s’était légèrement
maquillée.Ilnevoyaitlàquedebonssignes.Mêmesilemotn’avaitjamaisétéprononcé,Destinys’étaitpréparéecommepouruntête-à-têteenamoureux.
Ilspassèrentdanslacuisine.Ilmitlasaladedepommesdeterreaufraisavantdesetournerverselle.Elleavaitposésonsaladiersurlecomptoir.
Ils’approchad’elle,pritsesmainsdanslessiennes,sepenchaetdéposaunbaisersurseslèvres.—Tuestrèsbelle,murmura-t-ilcontresabouche.—Merci.—Onvapasserunebonnesoirée.—Jel’espère.—Fais-moiconfiance,luiassura-t-ilensouriant.Elleleregardadroitdanslesyeux.—C’estlecas.Jetefaisconfiance,Kipling.Quand il était plus jeune, beaucoup de femmes s’étaient offertes à lui, et il n’en avait repoussé
aucune.Enprenantdel’âge,ilavaitcommencéàaccorderplusd’importanceàlaqualitéqu’àlaquantité,maissansjamaisavoirlamoindredifficultéàtrouverunefemme.
Certainesl’avaientcharmé,d’autresl’avaientépoustouflé,d’autresencorel’avaientfaittomberàlarenverse.Mais jamais aucuned’entre ellesn’avait su, enquelquesmots, luidonner l’impressionqu’ilvenaitderecevoiruncoupdepieddansleventre.
IlauraitvouludireàDestinyqu’elleavaitraisondeluifaireconfiance.Qu’illaprotégerait,qu’ilserait là pour s’occuper de tout. Sauf qu’ils ne faisaient que dîner ensemble. Ils ne semariaient pas.C’étaitsansdoutecettevillequi luimontaitàla tête.Amoinsquecenesoitcettefemme.Elleétaitsibelle,danscetterobe,avecsesyeuximmenses…
—Unelimonade?suggéra-t-il.—Oh…oui.C’estparfait.—Tut’attendaisàautrechose?Unverredevinauraitconstituéunapéritifplustraditionnel,maisilnevoulaitpasqu’elles’inquiète
ensedemandantcommentévolueraitcettesoirée.Enévitantdeproposerdel’alcool,ilespéraitlamettreenconfiance.
Illeurservitunverredelimonadeàchacun,etlaconduisitjusqu’àlaterrasse,oùsetrouvaientlebarbecueetdeuxchaiseslongues,toutprèsdelaporte.Ilss’assirentettrinquèrent.
—CommentvaStarr?demanda-t-il.—Mieux.Nousavonseuquelquesséancesdethérapie.Çaneressemblepasàcequej’imaginais,
précisa-t-elleensouriant.—Tunetecouchespassurundivanpourracontercequeturessens?Elleéclataderire.—Non!Noussommesassises,nousparlonsdenosproblèmes,etlapsychologuenousfournitdes
suggestionstrèspragmatiquesquantàlafaçondelesaborder.Starrauradescorvéesménagèresàfairechaque semaine, et recevra de l’argent de poche. Nous avons fait une liste des règles qu’elle doitrespecteràlamaisonetdespunitionsencasd’infraction.
Commeellesemblaitétonnée,ildemanda:—Etc’estbien?— C’est bizarre mais… oui, je pense que c’est bien. Un adolescent doit avoir certaines
responsabilités.L’attitudedeStarresttrèscohérente.Ellesaittoutautantquemoicequej’attendsd’elle,et quelles seront les conséquences si elle enfreint une règle. Comme ça, je n’ai pas àm’inquiéter de
devenir laméchantede l’histoire.Nousavons toutnégociéà l’avance,desortequ’elleaprisunepartactiveauprocessusdedécision.
Il pensa à sa propre enfance. A son père, qui s’en prenait à eux sans raison apparente, et auxconséquences,souventdestructrices.
—Mesparentsauraienteubienbesoind’unsystèmedecegenre,poursuivit-elle.Alamaison,iln’yavaitaucunerègle.Cequejepouvaisounepouvaispasfairechangeaitd’unjouràl’autre.Beaucoupdemesamism’enviaient,maiscen’étaitpasaussiamusantqueçaleparaissait.
—Tunesavaisjamaissituavaisledroitdefairecequetufaisais,c’estça?—C’esttoutàfaitça.JeneveuxpasqueStarrconnaisselamêmechose.J’aimeraisqu’ellesesente
ensécurité.Ellebutunegorgéedelimonadeetluisourit.—Ettoi?Tuasquittétamaisonquandtuétaisencoreassezjeune,non?Pourleski?—C’estça. Jesuisallévivredans la familledemonentraîneur. Ilyavaitbeaucoupde règlesà
suivre,etjen’avaispasintérêtàlesenfreindre.—Lesquelles,parexemple?— Eh bien… je devais faire mes devoirs, m’entraîner régulièrement, avoir une alimentation
correcte,dormirassezlongtemps.Pourfairedelacompétition,jedevaisêtreaumieuxdemaforme.Ilclignadel’œiletajouta:—Moncorpsestunsanctuaire.Elleéclataderire.—Biensûr!Ellerepritsonsérieuxpourajouter:—J’allaisplaisantersurlessanctuairesetlesvierges,maisilvautmieuxpas.—Sic’estcedonttuveuxparler…—Devierges?—Detavirginité.Ellepritquelquesgorgéesdelimonadeavantderépondre:—Cen’estpasmonsujetdeconversationpréféré.Nilesien,maiscertaineschosesdevaientêtredites.—Pardonne-moidet’avoirfaitmal,dit-il.— Tu ne m’as pas fait mal. Enfin… un peu, mais sans plus, répondit-elle avant de soupirer.
Maintenant que j’apprends à trouver ma place dans une unité familiale, je vois que tu avais raison.J’auraisdût’enparler.Sijenel’aipasfait,c’estparcequejen’avaispaslesidéestrèsclaires,etaussiparceque…
Ellehésitaavantdeconclure:—Jen’iraipas jusqu’àdireque j’étaisembarrassée,mais jesavaisqu’êtreencoreviergeàmon
âgefaisaitdemoiquelqu’undedifférent.Maisbiensûr,beaucoupdechosesfontdemoiquelqu’undedifférent…
Elleparlaitsansleregarder,commesiellecraignaitsaréaction.—Pourquoit’inquiéterpourça,Destiny?Tuesbelle,pleinedetalent,tuveillessurlespersonnes
quit’entourent.Pourquoiest-cequetuauraisl’impressiondenepasêtreàtaplace?—On ne peut pas dire que j’aie eu une enfance normale. J’ai dumal àmemettre sur lamême
longueurd’ondequelesautres.Asuivrelesmêmesrèglesdujeu.Plusieurspenséesluivinrentàl’espritenmêmetemps.D’abord,elleavaitcomplètementignoréses
compliments. Parce qu’elle ne croyait pas à leur sincérité ? Ensuite, il trouvait qu’elle les suivaitparfaitement,lesrèglesdujeu.Surtoutaveclui.Etilauraitaimépouvoirjouerunpeuplusavecelle…Maislàn’étaitpaslesujetdeleurdiscussion.
—Est-cequetuveuxvraiment fairecommetout lemonde?demanda-t-il.Parceque je trouve tarègleanti-sexeplutôt…extrême.
—Jesais.C’estàcausedetoutcequej’aipuvoirautourdemoi.Lesexeamènevraimentbeaucoupdegensàprendredesdécisionscatastrophiques.Asecomporterd’unefaçonquin’arienderationnel,nidejuste.Lameilleuresolutionsembleêtred’éviterleproblème.
—Maispourunepersonnequifaitn’importequoi,ilyenadesmilliersquiarriventàavoiruneviesexuelle sans cesser pour autant de se comporter en adultes responsables, tu sais. C’est comme si tudécidaisdenepasavoird’enfantsparcequetuasvuungaminfaireuncapriceàl’épicerie.
—Pourquoileshommessont-ilstellementférusdelogique?demanda-t-elleensouriant.—Fie-toiàtaforceintérieure.—Maisjepensetoujoursquelesexeestàlaracinedetoutmal.—Tusaisquec’estfaux,répliqua-t-ilgentiment.Ilyaplusd’unefaçondemalsecomporter,etle
sexen’estquel’uned’entreelles.—Tuneseraispasentraind’essayerdemeséduire?Illaissaéchapperunpetitrire.—Non.Quandjeteséduirai,tunetedemanderaspassic’estcequejesuisentraindefaire.—J’ail’intentionderésister.Ilretintuncridevictoire.Parcequ’elleavaitseulementparléderésister.Ellen’avaitpasditnon.
Elle ne lui avait pas interdit d’essayer de la séduire. Autrement dit… elle le désirait, plus oumoinsconsciemment.
—Tuesunefemmebiencompliquée.—Etc’estunebonnechoseoupas?—C’estunetrèsbonnechose.
***
Lasoiréepassatrèsvite.CommeStarrdormaitchezAbby,Destinyn’avaitpasbesoindesurveillerl’heure.Mais,quandilseurentfinidedîner,ellefutétonnéedes’apercevoirqu’ilétaitplusde23heures.Ilyavaitcinqheuresqu’elleétaitlà,etellenelesavaitpasvuespasser!
Bien sûr, Kipling était un homme de compagnie agréable,mais quandmême ! Ils auraient dû setrouverdepuislongtempsàcourtdesujetsdeconversation.Etpourtant,cen’étaitpaslecas.
Acontrecœur,elleposasaserviettesurlatable.—Ilesttard.Jeferaismieuxderentrer.Elleleregardaenespérantqu’ilallaitluidemanderderester,ouqueceregardsexy,ceregardde
prédateur,allaitapparaîtredanssesyeuxetqu’ilallaitlaprendredanssesbras.Maisilsebornaàjeteruncoupd’œilàlapenduleavantdehocherlatête.
—Tuasraison.Jevaisteraccompagner.—Merci.Et c’était tout ?Qu’étaientdevenues ses intentionsde la séduire ? Il lui avaitpromisqu’ilne se
passeraitriencesoir,etilavaitditlavérité.C’étaitdoncunhommedeparole,cequiétaitunetrèsbonnechose.Toutefois…ellenepouvaits’empêcherderegretterqu’ilsesoitmontréaussisage.L’intensitédesadéceptionlatroubla.
Elleselevapourapportersoncouvertdanslacuisine.—Net’enfaispaspourlavaisselle,dit-il.Jem’enoccuperaienrentrant.—Commetuveux.Lesoleilétaitcouchédepuisdéjàquelquesheures,maisilfaisaitencorebon.Desvaguesdechaleur
montaient des trottoirs. L’air embaumait l’herbe coupée et les fleurs. La plupart des maisons étaient
plongées dans l’obscurité. Hormis le chant des cigales et le bruit de sa propre respiration, tout étaitsilencieuxdanslesrues.
Kiplingmarchaitàcôtéd’elle,assezprèspourqu’ilsoitévidentqu’ilsétaientensemble,maissanslatoucher.Elleeutenviedeserapprocherdeluijusqu’àfrôlersonbras.Cequiétaitdéroutant.Oùétaitpassé son plan, qui était de rencontrer un homme raisonnable avec lequel elle vivrait une relationharmonieuse,unevéritablecommuniond’esprits?Danscegenrederelation,onn’avaitpasbesoindesefrôlerlebras.Etpourtant,c’étaitcequ’ellevoulait.
Et…ellevoulaitaussidesbaisers.Quelquesbaisersseraienttellementagréables…Aveclalangue.Etpeut-êtrequelquescaresses.ParcequelecontactdesmainsdeKiplingsursesseinsluimanquait.Etceluidesabouche…Elleauraittantaimélessentirdenouveau…
Ellechassavivementcespenséesdesonesprit.—Lesétoilessontvraimentmagnifiques,dit-elle.J’aimel’idéequ’onpeutlesvoir,ici.—Moiaussi.Lesétoilesmemanquentquandjesuisdansunegrandeville.Ellepensasoudainàlaviequ’ilavaitmenéeavantsonaccident.—Çatemanque,leski?demanda-t-elle.—Touslesjours.—Parcequecen’estpastoiquiasdécidéd’arrêter?—Enpartie.Etaussiparcequejenepeuxpasrevenirenarrière.Jepourraissansdoutedescendre
unemontagnesic’étaitnécessaire,maisçaneseraitpasbeauàvoir. Il faudraitquej’ailledoucement,sansprendrederisques.
Ilavaitperduunepartiedel’hommequ’ilavaitété.Ellen’avait jamaispenséàça.Iln’avaitpasseulementperdu lacélébrité,mais l’essencemêmequi faisaitde luiceluiqu’ilétait.C’étaitcommesielledevenaitsoudainincapabledechanter,oud’apprécierlamusique.
—Jesuisdésolée.Ilhaussalesépaules.—Jefaisavec.—Mieuxqueça.Tut’estoi-mêmeconstruittouteunenouvellevie,Kipling.C’estimpressionnant.Ilsétaientarrivéschezelle.Ilmontalesmarchesduperronavantdesetournerverselle.—Maisnemevoispascommeunhéros.Jenesuisqu’untypecommelesautres,quiessaiedevivre
savieaumieux.Ilyadevraishéros,surterre.C’esteuxquetudoisvoir.Cesparoleseurentpourseuleffetdedécuplerl’admirationqu’elleavaitpourlui.Elleserapprocha
deluietattenditqu’ill’embrassepourluisouhaiterbonnenuit.Elleespéraitqu’ilprendraitsontemps,qu’ils’attarderait.Qu’illamettraitenappétitavantdecaressersalanguedelasienne.Qu’ilyaurait…
Ilsepenchaetl’embrassasurlajoue.—Mercipourcettemerveilleusesoirée,murmura-t-il.Elleledévisageapendantquelquesinstantsavantderetrouverl’usagedelaparole.—Euh…oui.J’aipasséuntrèsbonmoment.Elleattendit.Illuisourit,tournalestalonsetdisparutdanslanuit.
***
Destinyfaisaitrageusementdéfilerl’écrandesonordinateur,parcequelaseulealternativeétaitdel’envoyer voler à l’autre bout de la pièce. Il n’était jamais recommandé de passer ses nerfs sur unemachine innocente et sans défense, surtout quand elle coûtait aussi cher que son ordinateur.Mais elleavaitunefurieuseenviedejeterquelquechose.
Kipling ne l’avait pas embrassée. Il n’y avait eu ni caresses de sa langue ni corps tendus parl’impatience. Où était passée sa promesse de la séduire ? Est-ce qu’il avait changé d’avis ? Décidéqu’ellenevalaitpaslapeinedefairedesefforts?Pourquoisecomportait-ilainsi?Elleétaittellementagacéequ’elleauraitpufrapperdupied!Etpeut-êtremêmeboudercommeunepetite fille,pourfairebonnemesure.
Maisaulieudecela,elleprituneprofondeinspiration,puisuneautre,etramenasonattentionsurl’écran,devantelle.
Les informations qui avaient découlé de l’exercice de recherche étaient affichées. Elle pouvaitréglerlesmisesàjourdesortequ’ellesaientlieutouteslesminutes,outouteslesheures.Kiplingetelleavaient retrouvé Cassidy en quarante minutes. Ce n’était pas un record mais, pour un premier essai,c’étaituntempscorrect.Laprochainefois,ilsrendraientlesrecherchesplusdifficiles,etCassidyferaitpartiedessecouristes.Leurtroisièmeouquatrièmesimulationferaitappelàdesvolontaires.
Ilsétaientdanslestemps.Samissionprendraitfind’iciquatreàcinqsemaines.Entempsnormal,elle aurait déjà été en train de discuter de sa prochaine affectation.Mais pas cette fois. Starr et elleallaients’installeràFool’sGold,etellen’avaitpaslamoindreidéedecequ’elleallaitfairedesavie.
Elleavaitundiplômed’informatique,maisnedébordaitpasd’enthousiasmeàl’idéederechercherunpostedanscedomaine.Ellen’étaitpasdinguede technologie.Sontravaildeformatrice luiplaisaitsurtoutparcequ’illuipermettaitd’aidersonprochain.
Maisellen’avaitpasvraimentbeaucoupdecompétencestransférables.Elle étaituneprivilégiée, et elle le savait.L’argentn’étaitpasunproblème.Grâceaucompteen
banquequesonpèreavaitouvertpourelleetalimenté,ellen’avaitpasbesoindetravailler,àconditiondesecontenterd’uneviesimple.
Maisjamaisellenepourraitresterassiseàsetournerlespouces.Etsecontenterd’uneviesimplequandonélevaituneadolescentesemblait releverde l’impossible.De toutefaçon,ellevoulaitacheterunemaisonet,pourobteniruncrédit,ilfallaitunemploi.
Ilyavaituneagencepourl’emploi,enville.Ellepouvaittoujoursyalleretpasserquelquestestspour cerner ses domaines de compétences. Mais elle doutait que ses talents de compositrice et dechanteusedekaraokéluisoientd’ungrandsecoursdanssarecherched’unemploi.
Elle reposa les yeux sur son écran et se remit à étudier les résultats de leur premier exerciced’entraînement.Ellevoulaittermineravantderentrer.ElletouchaitpresqueaubutquandCassidypénétradanssonbureauets’assitsurlachaiseréservéeauxvisiteurs.
—Jamaisjen’aivuunendroitaussibizarrequecelui-là,annonça-t-elle.—Bizarreenbien,ouenmal?demandaDestiny.—Enbien,essentiellement.JeviensdesuivreuncoursdegymàCDS.Destinyfronçalessourcils.—Oùça?—L’écoledegardesducorps.—Ah,oui.J’enaientenduparler.Commentc’était?L’unedemesamiesnejurequeparcequ’elles
fontlà-bas.—C’étaitmortel.LaprofestConsueloHendrix.Petite,maiscostaude.Cen’estquemonsecond
cours,mais,après lepremier, j’avaismaldansdesendroitsoù jenesavaismêmepasque j’avaisdesmuscles!
—Ettuasadoréça.Cassidysourit.—Ehoui!Quoiqu’ilensoit,jemesuisinscritepourdeuxcoursparsemaine.LemarideConsuelo,
Kent, participait au cours d’aujourd’hui. Il avait une drôle de façon de la regarder. C’était vraimentbizarre.
—Net’inquiètepas.Kentn’estpasuntueurensérie.Ilaseulementfaitunpariavecsonfrère.—Etqu’est-cequ’ilaparié?Qu’ilpourraitsurvivreàl’undescoursdesafemme?—Rien d’aussi simple. Les deux frères sont en pleine compétition : c’est à celui quimettra le
premiersafemmeenceinte.JenepensepasqueConsueloetIsabelsoientaucourant.KentdevaitsansdoutegarderunœilsurConsuelo,aucasoùelleseraitenceinte.
Cassidyclignadesyeux.—Etqu’est-cequ’ilacrupouvoirfaire?Elledonnedescours.Etelleestenexcellentecondition
physique. Elle devrait pouvoir continuer normalement ses activités, à moins que sa grossesse ne sedéroulemal.Etilnesaitmêmepassielleestenceinte!
—Jesais.Jenefaisquerépétercequel’onm’adit.Cassidyselaissaallersursachaiseetgémit.—C’estvraimentlavillelaplusbizarrequej’aiejamaisvue.AvantqueDestinyaitpurépondre,sonportablesonna.C’étaitsasœur.—Hé,Starr!lança-t-elle.Tuesrentréeavantmoi.—Jenesuispas restéeaucamp, jevoulais répéter.Euh…jesaisque tu travaillesgénéralement
jusqu’à17heures,mais…euh…quelqu’unestpasséàlamaison.DestinypensaaussitôtàKipling.Pourtoutdire,elleauraitvraimentbeaucoupaimépasserlasoirée
aveclui.Maissic’étaitlui,Starrleluiauraitdit,toutsimplement.—Quiestpassé?demanda-t-elle,soudaininquiète.—Tamère.
15
LaceyMills devait approcher de la cinquantaine, mais elle semblait plus jeune d’une quinzained’années.Del’avisdeKipling,elleétaithabilléecommeunereinedebeautédesannéessoixante.Acôtéd’elle,desamassedecheveux,desarobemoulanteetdesestalonshauts,DollyPartonauraiteul’airguindée.LacheveluredeLaceyétait rousseau lieud’êtrebondplatine,commecelledeDollyParton,mais tout aussi imposante, avec beaucoup de boucles. Quel était le sens de cette coiffure ? Plus lescheveuxsontbouffants,plusonestprochedeDieu?Auquelcas,LaceyetleTout-Puissantdevaientêtretrèstrèsproches.
KiplingétaitpassévoirDestinyàsonbureausousprétextedeluiposerquelquesquestionssur leprogramme,mais ce qu’il voulait vraiment, c’était savoir ce qu’elle avait pensé de leur soirée—ouplutôt, de la façondont leur soirée s’était terminée.Parcequ’il était àpeuprès certainqu’elle s’étaitattendueàunpeud’action…Cequiétaitprécisémentl’effetescompté.Plutôtquedelapresser,ilvoulaitqu’ellesoitgagnéeparl’impatience.Ainsi,quandilpasseraitvraimentàl’action,elleseraitréceptive.
Maisaulieudeseleverd’unbondquandilétaitentrédanssonbureau,elleavaitpressélatouchedefind’appelsursonportable,pâlecommeunlinge.Quandelle luiavaitannoncéquesamèrevenaitd’arriverenville, il avait senti s’éveillerà la fois sacuriositéet ses instinctsprotecteurs. Il lui avaitproposédevenirdîneravecelles,etelleavaitaussitôtaccepté.
EtvoilàpourquoiilétaitmaintenantdanslapetitecuisinedeDestiny,oùilpréparaitdescocktails.Starrtournaitenrondàcôtédelui,sanstropsavoirsielledevaitounonrejoindreDestinyetLaceydanslesalon.
—Elleestvraimentcélèbre,chuchotaStarr.Etelleestbelle.Enfin,jeveuxdire…elleestbelleàlatélé,maisjenesavaispastropàquoielleressembleraitenvrai.Elleesttoutaussibelle.Maiselleestvraimentpetite.Jel’auraiscrueplusgrande.Etc’estmarrantdevoirqu’elleestrousse,commemonpère.Cen’estpassicourant.
Lacey mesurait une dizaine de centimètres de moins que sa fille. Elles avaient les mêmesmagnifiquesyeuxvertsetlesmêmescheveuxroux,mêmes’ilsoupçonnaitlesmèchescouleurordeLaceyd’êtreunecréationdesoncoiffeur.
—Tuasvusonmaquillage?demandaStarr,toujoursàvoixbasse.J’aimeraistellementqu’ellememontrecommentonfait.
— Je suis sûr qu’elle adorerait t’apprendre deux ou trois trucs, répondit-il, amusé de voirl’adolescenteaussiimpressionnée.
Ilversaunedosedevermouthdouxetunedevermouthsecdansleshaker,oùsetrouvaientdéjàleginetlaglacepilée.Laceyluiavaitclairementexpliquécequ’elledésiraitboire:«Unmartiniginavecdeuxsortesdevermouth.Etjeleveuxbienfrais.»
Elleavaitponctuécesparolesd’unsourireséducteurquidevaitavoiramenédeshommesbienplusfortsqueluiàtomberàgenoux.Lui,poursapart,étaitimmunisé.Oui,Laceyétaitbelle.Etmêmesielleétait petite, elle avait une personnalité hors du commun.Mais une autre femme retenait déjà toute sonattention.
Toutenagitantleshaker,ilsedemandacommentsesentaitDestiny.D’aprèscequ’elleluiavaitdit,elleentretenaitdesrelationscomplexesavecsesparents.
—Ilmefautdesolives,dit-ilàStarr.Ellesdoiventêtredansleréfrigérateur.Elleluitenditunpetitbocald’olivesfourréesaupoivron.IlservitlemartinideLacey,ajoutaune
olivedanssonverre,etremplittroisverresdesodapourStarr,Destinyetlui.IlnedevaitpasêtretrèssagedeboireenprésencedeLacey.Detoutefaçon,Destinyluiavaitdemandéunsoda.
—Est-cequej’aidroitàuneolive,moiaussi?demandaStarrensouriant.—Tuenveuxune?Elleplissalenez.—Pasvraiment,non.Elleluitenditunplateau,surlequelilposalesverresavantderetournerdanslesalon.Laceyprit
sonmartini,fermalesyeuxetlegoûta.—Ilestparfait,dit-elledesavoixunpeutraînante.Etbienfrais.Vousêtesunpetitfuté.—J’aitoujoursétédouépourpréparerlesmartinis.IltenditleurverreàDestinyetàStarravantdes’asseoirsurlecanapé.—Jesuiscertainequevousêtesdouépourbeaucoupdechoses,repritLaceyenledétaillantavec
gourmandise.Ilneprêtaaucuneattentionausous-entenduquerenfermaitcetteremarque.Quelquechoseluidisait
quecettefemmeflirtaitcommeellerespirait:parpurréflexe.—Vousêtesvenueenvoiture?demanda-t-il.—Jusqu’ici?MonDieu,non!J’aifaitposermonjetprivésurl’aéroport.Ellesetournaverssafilleetajouta:—Jedoisdirequej’aimebeaucoupcetteville.Elleesttrèsjolie.Ettouscesfestivals!—Commentsais-tuqu’ilyadesfestivals,maman?—J’ailudesarticlesàcesujetdansl’avion.J’aimebienmerenseignersurlesendroitsoùtuvis.
Ma fillebouge tout le temps,expliqua-t-elleà l’adressedeKipling.Un travail ici,unautreailleurs…Certainesdesvillesoùelleséjournesontagréables,maisd’autres…
EllefitminedefrissonneravantdesetournerversStarr.—Et toi, tu es tellement adorable ! Je suis désolée, pour tamaman.Tu vas vivre avecDestiny,
maintenant?—Euh…oui,m’dame,réponditStarrenrougissant.—Onpeutsereposersurelle.Tudoisluiobéir,c’estbiencompris?Destinyatoujoursétéunroc.—Oui,m’dame,répétaStarr.Unroc?KiplingsesouvintdelasoiréeoùDestinyavaitchantéàlaManCave,delafaçondontelle
avait déversé toutes ses émotions. Elle semblait calme et posée, mais ce n’était qu’une façade souslaquellefrémissaitsanaturepassionnée.Sielleavaitdûapprendreàêtreaussisolide,c’étaitpeut-êtreenpartieparcequ’elleavaitsouventdûtenir lerôledel’adulteresponsable.Laceysemblait trèsgentille,maisellen’avaitpasl’aird’êtrefemmeàtenircomptedepointsdevueautresquelesien.
Laceysetournaverslui.—Ilmesemblevousconnaître,Kipling.Commentçasefait?—J’étaisskieur.J’aiparticipéauxjeuxOlympiques.Ellehaussalessourcils.
—Maisoui!ASotchi.Vousêtes lefameux«ForceG».Vousavezremportédesmédaillesd’oravantungraveaccident.Ondiraitquevousêtesbienremis.Tantmieuxpourvous.Tuastrouvéunhommecélèbre,machérie,enchaîna-t-elleenlevantsonverreversDestiny.Çamefaitvraimentplaisir.Lesgensont toujours plus de respect pour unhommequi a tutoyé le danger.Bien !Maintenant que nous avonséchangé lesdernièresnouvelles, il fautque jevousparledemonalbum.Ilvasortirà l’automne.Monlabelvoulaitquej’enregistremesplusgrandssuccès,maisj’airefusé.Moi,jevoulaisfaireunalbumdereprises.Nousnoussommespasmaldisputés,maisj’aifinipargagner.
—Jesuiscertainquevousfinisseztoujourspargagner,fitnégligemmentremarquerKipling.Laceybattitdescils.—Evidemment.
***
—Ellen’estpascommejel’auraiscru,ditStarràvoixbasse.Destinys’assitsurlelitdesasœur.—Ellen’estjamaiscommeonlecroit.Mamèreressembleplusàunetornadequ’àunêtrehumain.
Mieuxvautgarderunœilsursatrajectoireetresterhorsdesonchemin.Starréclataderire.—Tamèreestgentille,maisunpeueffrayante,c’estvrai.—Ellemefaitlemêmeeffet,situveuxmonavis.Starrremontalesgenouxsoussonmentonetenserrasesjambesdesesbras.—Ellevarestercombiendetemps?—Deuxjours.Commechaquefoisqu’ellevientmevoirquandjesuisendéplacement.Samère débarquait généralement sans crier gare, de sorte qu’elle avait fini par s’attendre à ces
visites, sans sedonner lapeinedepréparerquoiquece soit.LaceyMills avait sonpropreemploidutempsetsespropresrègles.Elles’étaitarrogélachambredeDestinysansmêmeluidemandersicelaladérangeait—mais,lelendemainmatin,elleselèveraitsansdouteavanttoutlemondepourpréparerlepetitdéjeuner.
—Tu pourras discuter avec elle, si tu veux, suggéraDestiny. Elle adore parler de son passé etraconteràquelpointleschosesontchangédansl’industriedudisque.Tuapprendrasbeaucoup,avecelle.
—Tuneseraspasfâchée?—Non.Pasdutout.Bien au contraire. Cela l’occuperait. Quand on la laissait seule trop longtemps, sa mère avait
tendance à avoir des idées bizarres — elle se souvenait encore du jour où elle avait essayé de laconvaincredepartirentournéeavecelle.Sanscompterqu’ellepouvaitêtreuneminedeconseilsutilespourStarr.
—Oh…ettupeuxluiposertouteslesquestionsquetuveuxsurlafaçondecomposerunechanson,précisa-t-elle.Elleestdouée,etelleadoreécrireavecd’autrespersonnes.
LevisagedeStarrs’illumina.—Vraiment?Tucroisqu’elleseraitd’accordpourécrireunechansonavecmoi?—J’ensuiscertaine.—Ettoi?Pourquoitun’écrispasavecelle?—Parcequel’onfinittoujoursparsedisputer.Chaquefoisqu’ellesavaientessayédecomposerensemble,Laceyluiserinaitqu’ellegâchaitsavie
etsontalent.Qu’ellenesesentiraitjamaissatisfaitedesonsortàmoinsdetirerpleinementprofitdesesdons.EtDestinyn’avaitaucuneenvied’abordercegenredesujet.
Cequiétaitamusant,c’étaitqueKiplingluiavaitfaituneremarquesimilaire,maisque,venantdelui,elleavaitétéplusfacileàentendre.Peut-êtreparcequ’elleavaitconfianceenlui,etqu’ellesavaitcequ’il avait traversé.A cause de son accident, il avait dû renoncer à l’activité qu’il aimait le plus aumonde.Celan’avaitpasétéfacile,maisilavaitacceptélaterriblevéritéetreprislecoursdesavie.
Elleessayaitdefairelamêmechose.Desuivrelecoursdesavie,dumoins.—Laceyveutquejesoiscommeelle,expliqua-t-elle.Çadoitêtrelegenredetrucsquesouhaitent
touteslesmamans.Maiscelan’arriverajamais.—Mamèremedisaittoujoursquej’étaisexactementcommeelle,murmuraStarr.Saufquejen’ai
jamaisvouluêtrecommeelle.Tusais…lesdroguesettoutlereste…Jeneveuxpasdeça.—Est-cequecequetedisaittamèret’inquiète?—Jesaispas.Detempsentemps.Jeneveuxpastomberlà-dedans.Jerefusedevivrequepourla
drogue.Jeveuxchanteretcomposer.Jeveuxêtrefièredemoi.Destinylapritdanssesbrasetlaserratendrementcontreelle.—J’espèrequetul’esdéjà,Starr,parcequetuesquelqu’undemerveilleux.Moi,jesuisfièrede
t’avoircommesœur.—Merci.Jet’aime,moiaussi.Starr ajoutaquelquechose,maisDestinyne l’entenditpas.Quelquechosede trèsdouxvenaitde
s’ouvrirenelle.Starretelleétaientsœursdecœur,etellesleseraienttoujours.
***
Destiny savait qu’il était inutile, et ridicule, d’espérer fuir l’inévitable. Le surlendemain, elledéposaStarrchezAbby,passachezAngelo,oùelleachetadeuxrepasàemporter,etrentrachezellepourpasserunesoiréeseuleavecsamère.
Elle trouvaLacey assise en tailleur sur le tapisdu salon, aumilieudu contenudeplusieurs sacsprovenant de diverses boutiques. La masse de ses cheveux retombait sur ses épaules, elle s’étaitmaquilléeavecsoinetportaitunjeanmoulant.
DestinycontemplalesT-shirts,porte-clésetmugsauxarmesdeFool’sGold,ainsiquelespilesdevêtements,dechaussuresetdelivres.
—Jevoisqu’aucunmagasinnet’aéchappé,fit-elleremarquer.Samèreéclataderireetattrapasonmartini.—J’aimesoutenir leséconomies locales.J’aidénichéuneboutiquedemodequis’appellePaper
Moonetvenddestrucsplutôtchic.J’yaidépenséunefortune.Lereste,c’étaitpourm’amuser.Ellehumal’aird’unairgourmandetajouta:—Çasentdivinementbon.Qu’est-cequetunousasapporté?—Des lasagnesetdupainà l’ail.Etune saladepourpouvoirdirequenousavons faitun repas
équilibré.—Tuesmafilleaînéepréférée.Tulesais?Laceyselevagracieusement,sansrenverseruneseulegouttedumartiniqu’elletenaitàlamain,la
serrafortdanssesbras,avantdelarelâcherpourpasserdanslacuisine.—Quandest-cequeStarrvarentrer?demanda-t-elle.—Elleestchezuneamie.Cesoir,noussommesseules.Samèreéclataderire.—Voilàcommentj’aimepassermessoirées!Tuestellementgentilleavecmoi,machérie.Jesuis
mortedefaim,etjemeursd’enviedepasserunpetitmomententrefilles.DestinyposalesacdechezAngelosurlecomptoiretselavalesmainsavantdemettrelatable.Sa
mèresortitunpichetdemartiniduréfrigérateur.
—Tuenveuxun?—Nonmerci.Destinyavaitdécidédeneboirequedel’eaujusqu’audépartdesamère—quibuvaitpourdeux…
voirepourvingt.Ellecomprenait les inquiétudesdeStarr.Toutcommel’adolescente,ellecraignaitdereproduire certains aspects de la personnalité de sa mère. D’ailleurs, il lui arrivait aussi d’utiliserl’alcool commebéquille. L’autre soir, à laManCave, il lui avait fallu unLong Island IcedTea pourparveniràmontersurscène.
Samèreluiauraitditqu’elleétaitnéepourchanterdevantunpublic,quec’étaitdanssonsang,etque,sielleavaitbesoind’alcoolpourmontersurscène,c’étaitmoinspouratténuersanervositéquepourrelâcherlecontrôlequ’elleexerçaitsurelle-mêmeenpermanence.
Ilfallaitsansdoutequ’elleabordecesujetaveclapsychologue.Quandelleeutfinidemettrelecouvert,elless’installèrent.—Ces lasagnes sententmerveilleusementbon,machérie.Tu te souviens,quand je te faisaisdes
hamburgersaufromage?Quisortaientd’uneboîte,biensûr.C’étaitleseulgenredecuisinequejesavaisfaire.Jen’étaispasunemèretraditionnelle.
—Situenavaisétéune,tuneseraispasLaceyMills.—EtjeveuxêtreLaceyMills.—Mamère,lagrandevedette…Quandelleétaitpetite, sesparentséveillaient enelleunmélangede fascinationetde frustration.
C’étaitsansdouteencorelecas.Maisaprès tout, elleavaitcarrément tourné ledosà leurmodedeviepourchoisirunedirection
diamétralement opposée. Ils lui avaient tous deux clairement fait comprendre qu’ils voulaient qu’elleappartienneaumêmemilieuqu’eux,etelleavaitrefusé.
Elleneputretenirlaquestionquiluibrûlaitleslèvres.—Est-cequejetedéçois?—Quoi?Biensûrquenon.Nesoispasbête.Tuesmafille,Destiny.Jet’aime.—Jet’aimeaussi,maman.Maiscen’estpascequejet’aidemandé.Jenesuispascommetoi.Samèreposasafourchette,etsonregardsefitsérieux.—Situparlesdelamusique,alorsoui,j’auraisaiméquetumeressemblesplus.Onauraitpupartir
entournéeensemble.Onseseraittellementamusées!Parfois,jemesensseule.Maistudoisfairecequiestlemieuxpourtoi,machérie.
Ellepritunegorgéedemartiniavantdepoursuivre:—Toutestnotrefaute,àtonpèreetàmoi.Jelecomprends,maintenant.Quandtuétaispetite,on
t’emmenaitpartoutavecnous.Certainsenfantsseseraientépanouisdanscetteviedechaos,maispastoi.Toi, tuauraispréféré la routineduquotidien.Vivre toujoursaumêmeendroit.Tusais,quandmamèrem’aditqu’elleallaitteprendreavecelle,j’aipleurépendantunesemaine.Maisjesavaisquec’étaitlameilleurechoseàfaire.
LesyeuxdeLaceysebrouillèrentdelarmes.—Tum’asmanqué,maisj’aifaitcequiétaitlemieuxpourtoi.J’espèrequetulesais.—Jelesais,maman.—Etmaintenant,tuasrecueilliStarr.Tuprendssoindetafamille.—Celanetedérangepas,qu’ellesoitlafilledepapaetd’uneautrefemme?—Quoi?Biensûrquenon!JimmyDonn’ajamaisétéfaitpourresteravecuneseulefemme.On
était jeunes et amoureux fous l’unde l’autre, et tu es arrivée.C’était une époquemagique.Maisnotrecouple ne pouvait pas tenir. On se ressemblait trop. Les gens qui s’aiment devraient êtrecomplémentaires.
—Est-cequetuesamoureuse?
—Pasencemoment,mais j’espère l’êtredenouveau, répondit samèredansun soupir.C’est lameilleuresensationquiexisteaumonde.Trouverl’hommequiestfaitpourtoi.Mêmesijen’aijamaiscruàl’amourquiduretoujours,commetulesais.
—Ce n’est pas ce que tu voudrais ? Trouver un homme sur lequel tu peux compter ?Qui seratoujourslàpourtoi?
—Peut-être.Maisalors,jedevraisrenonceràtouslesautres.Etilyenabeaucoup…,précisa-t-elleavecunsouriregourmand.
Elleredevintrapidementsérieuseetreprit:—Jeneveuxpasquetut’inquiètesausujetdecequejeressenspourtoi.Tum’astoujoursapporté
énormémentdejoie,etj’espèrequeStarrt’enapporteraautant.Est-cequetul’asadoptée?—Jesuisseulementsatutricelégale.—Peut-êtrequejedevraisadopterunenfant,murmurapensivementLacey.Aprèstout,lemondeest
pleind’orphelins,pasvrai?Destinydutprendresurellepourmasquersonirritation.Etvoilà!Lechangementdesujetquiallait
la rendre dingue avait eu lieu. Il allait déboucher sur des paroles acerbes, puis une dispute, dont ellesortirait avec l’impression qu’elle était coincée dans une boucle sans fin de conflits émotionnels. Etc’étaitépuisant.Absolumentépuisant.
— Il m’en faut deux, poursuivit rêveusement Lacey. Pour qu’ils puissent se tenir mutuellementcompagnie.
—Nousparlonsd’enfants,maman.Pasdechiots.—Maislesmêmesprincipess’appliquent.—Tunepeuxpaspensercequetudis.—D’accord,ilyasansdoutedesdifférences,reconnutLacey.Tunepeuxpasenvoyerlesenfants
dans un refuge de la SPA s’ils te tapent sur les nerfs. Mais je pense quand même que je seraisparticulièrementadorableavecdeuxbébésdanslesbras,conclut-elleavecungrandsourire.
—Tucherches toujoursdesdistractions,maman.Est-cequ’ilest tellementdésagréabled’être toipourquetucherchestoujoursàêtrequelqu’und’autre?
Laceysefigea,sonverreenl’air.Ensuite,elleleposasurlatable,selevabrusquementetdisparutdanslesalon.Ellerevintquelquessecondesplustard,sontéléphoneportableàlamain.
—Répètecequetuviensdedire,ordonna-t-elle.—Quetucherchestoujoursdesdistractions.—Non!Pasça.L’autre.Ilmefautlaphraseexacte.Ouplutôt,c’estàtoiqu’illafaut.Ilyatoute
unechansondanscettephrase,Destiny.Répète-moicequetuasdit,motpourmot,etjet’enverraileMP3pare-mail.
Destinyenvisageadesecognerlatêtecontrelatable,maisellesavaitquecelan’auraitserviàrien.Samèrenechangeraitjamais.—Est-cequ’ilest tellementdésagréabled’êtretoipourquetucherchestoujoursàêtrequelqu’un
d’autre?répéta-t-elle.Laceypianotasursontéléphone.—Jel’ai!MonDieu,tuasundecestalents!Jel’aitoujourssu.TudevraisparleravecRichard.—Jenecroispas,non.Destinyn’avaitrienàdireaudirecteurcommercialdesamère.—Ilconnaîtdesgens.—Nousconnaissonstousdesgens.—Oh ! tu sais ceque jeveuxdire !Et c’est toiquim’accusesde tout fairepour essayerd’être
quelqu’und’autre?Ettoi?Tureniescellequetues.Tunemedéçoispas,Destiny,maistum’inquiètes.Unjour,tuvasteréveilleretterendrecomptequeturefusesdepuistoujoursdevoirlafemmequetues
vraiment. Et plus tôt cela se produira, plus tôt tu exploiteras pleinement ton talent. Et plus tu serasheureuse.Quedittonpetitamidetoutça?
Elle devait parler deKipling.Destiny envisagea de lui dire qu’il n’était pas son petit ami,maisLacey ne l’aurait pas crue. Et, d’ailleurs, elle-même ne savait pas ce queKipling était pour elle. Ilsétaientamis,ilsavaientcouchéensembleet,quandelleétaitprèsdelui…
—Tuesvraimentaccro, lançasamèred’un ton taquin.Tuascette lumièredans lesyeuxquinetrompepas.C’estbond’êtreamoureuse,non?
—Jenesuispasamoureuse.Jel’aimebien.C’estunhommebien,etjepeuxcomptersurlui.—Etlesexe?Ellelevaaussitôtlamainetajouta:—Oublieça!Jesuistamère.C’estunequestionembarrassante,etjelaretire.Simamèrem’avait
posélamêmequestionquandj’étaisavecJimmyDon,jeseraismortesurplace,devantelle.MaissituveuxmonavissurKipling,jel’aimebien,moiaussi.Ilestd’unebeautédiabolique.Vouspourriezfairedebeauxbébés,touslesdeux.
Elleécarquillalesyeuxetlança:—Maisc’estça,Destiny!Voilàcequ’ilmefaut:despetits-enfants!J’auraitouslesbonscôtés,et
aucundesmauvais.Tuvast’ymettretoutdesuite.Tum’entends?—Oui,m’dame.Lesmotsétaient sortisautomatiquement,mais lecerveaudeDestinyavait rapidementexaminéun
point,puisunsecondetuntroisième,avantdeprendreunbrusquevirageàgauche.Unbébé?Commentfaisait-onunbébé?Enfaisantl’amour.ElleavaitcouchéavecKipling.Etilsnes’étaientpasprotégés.
Aucun de ces points ne l’avait inquiétée jusqu’ici parce qu’il s’était agi de sa première fois, etqu’elleétaitcertainequesoncorpsl’avaitprotégée,d’unefaçonoud’uneautre.Saufqueplusdetroissemaines s’étaient écoulées depuis cette soirée-là, et qu’elle n’avait toujours pas eu ses règles. Ellen’avait jamaisété très forteenmathsmais,mêmepourelle, l’opérationétait facileà résoudre.Sielleadditionnaitunesoiréeoùelleavaiteudesrelationssexuellesetunesemainederetarddanssesrègles…lerésultatétaitlimpide:ilétaitfortpossiblequeKiplingetelleaientfaitunbébé.
***
Kiplinglevalesyeuxdespapiersposésdevantlui.—Tuauraispuvenirmedemanderdeteprêtercetargent,Shelby.Jetel’auraisdonnésanshésiter.Shelbysecouvritlevisagedesdeuxmains.— Ne me fais pas culpabiliser, s’il te plaît. Je voulais tout faire moi-même. Je voulais me
débrouillertouteseule.Ellelaissaretombersesmainsetlefusilladuregard.—Quand je t’ai dit que tun’avaispas le droit demedicter la façondont jedoisvivremavie,
j’étaissérieuse,Kipling.Mêmes’ilcomprenaitsonpointdevue,ilnepouvaitoublierqueShelbyetluifaisaientpartiedela
mêmefamille.Biensûrqu’illuiauraitdonnél’argentdontelleavaitbesoinpouracheterdespartsdanslapâtisseried’Amber.Maisellenes’étaitpasadresséeàlui.Non.Elleétaitalléedemanderunprêtà labanque.
—S’ilnet’avaitpasfalluuncosignataire,est-cequetum’enauraisparlé?Ellehésitajusteassezlongtempspourqu’ilcomprennequelaréponseétait«non».—Jeneveuxquecequiestlemieuxpourtoi,poursuivit-ilenprenantlestylopoursigner.—Kip,s’ilteplaît,nesoispasfâchécontremoi.Jetedemandepardon.J’apprécievraimenttoutce
quetufaispourmoi.Seulement,parfois,jesouhaiteêtreindépendante.Jeneveuxpastoujoursmetourner
verstoipourtedemanderquelquechose.Est-cequetupeuxlecomprendre?—Biensûr.Illuitenditlespapiers.Ellelespritmachinalementsanslequitterdesyeux.—Tuesfâché,dit-elle.—Nemedonnepas lemauvais rôle. Jen’ai rien faitdemal. Jecherche seulementà t’aider,de
touteslesfaçonspossibles.Sipourt’aiderjedoiscosignertonprêt,voilà,jel’aifait.—Tum’aimestoujours?—Shelby,tuesmasœur.Jet’aimeraitoujours,quoiqu’ilarrive.J’aisignélespapiers,non?—Jet’aime,moiaussi.Mercid’avoirfaitça.UnefoisShelbypartie,ilseremitautravail,maisfutincapabledes’intéresseraudocumentquiétait
affiché sur l’écran de son ordinateur. Il voyait à peu près ce que sa sœur avait cherché à lui fairecomprendre,maisilpensaittoujoursquec’étaitàluiqu’elleauraitdûs’adresser,etnonàunebanque.Ilpensaitaussiqu’ellen’avaitpasassezréfléchiavantdedéciderd’acheterdespartsdansuncommerce,alorsqu’ellen’étaitinstalléeàFool’sGoldquedepuisquelquesmois.D’ailleurs,illeluiavaitdéjàdit.Etc’étaitsansdoutepourcelaqu’elleavaitpréférés’adresseràunebanque.
Il ferma le document et ouvrit samessagerie. Il avait un courriel deGideon, qui l’informait quetouteslesfemmesqu’ilrencontraitvoyaientlaManCaved’untrèsmauvaisœil.Maisiln’avaitpasenviedes’attardersurlesujet.Ilarchival’e-mail,selevaetsemitàfairelescentpas.
Tropdeproblèmesluitombaientdessusenmêmetemps,etc’étaientdesproblèmesqu’ilnepouvaitrésoudre.LeconflitlarvéquiopposaitleJo’sBaretlaManCavel’agaçaitauplushautpoint.Quandilétaitarrivédanscetteville,quelquechosemanquait.Ilavaitréponduàunsimplebesoin.Etmaintenant,onauraitditqu’ilétaitdanssontort.
Leshommesdecettevilleétaient-ilsincapablesdetenirtêteàleurépouseoupetiteamie?Ilyavaitbienassezdeclientspourfairevivrelesdeuxétablissements.Lestouristesauraientlechoix.Qu’yavait-ildemalàça?
Quant à Shelby… il ne pouvait pas faire grand-chose. Il avait fait de sonmieux et, maintenant,c’étaitàelledeprendresespropresdécisions,etdesubirlesconséquencesdeseschoix.Parceques’ilavaitraison,sitoutfinissaitpar…
Laportedesonbureaus’ouvritsoudainsurDestiny.Il sedétenditaussitôt.Lavoir lui fitoublier touscesévénements sur lesquels iln’exerçait aucun
contrôle.Et,enplus,quandelleétaitàsescôtés,ilsesentaitplusfermementancréausol.Ilétaitbienincapabled’expliquerpourquoiilavaitcetteimpression,maisilneregrettaitcertainementpasdel’avoir.
—Salut!lança-t-iljoyeusement.Tu…Mais il s’interrompit aussitôt, en voyant combien elle semblait bouleversée. Un maelström
d’émotionstourbillonnaitdanssesyeux.Sesjouesétaientrouges,sonexpressiontendue.Ilfitquelquespasverselle.
—Qu’est-cequ’ilya?Dis-moicommentjepeuxt’aider.Elleledévisageaetéclataderire,unrireoùilperçutbienplusdenervositéquedegaieté.—Tuenasdéjàbienassezfait,répondit-elle.Est-cequetusavaisquemoncorpssefichaitpasmal
quejesoisvierge?J’airegardésurInternet.J’auraisdûlefaireplustôt,d’ailleurs.Maisjepensaisquej’avaisdroitàuntourgratuit.Justepourlapremièrefois.Ouquemonhymenmeprotégerait,d’unefaçonoud’uneautre.Maisnon.Iln’yariendetoutça.
Ill’observaattentivement,étonnéetinquiet.Dequoiparlait-elle?Ellen’étaitpaselle-même,aucundoute.
—Destiny,dit-ilcalmement.Respireunboncoupetexplique-moiclairementcequ’ilsepasse.—Jerespiretrèsbien,répliqua-t-elleenexpirantpourleluiprouver.Tuvois?Voilà,jerespire.
Quantàcequisepasse…ehbien,justement,ilnesepasserien.Etçafaitunesemainequ’ilnesepasse
rien.Jesuisenceinte.Quandjepensequejemesuispréservéependantdesannéesparcequejevoulaisconstruireunerelationsurdesbasesrationnelles,parcequejerefusaisdedevenircommemesparents…D’ailleurs,mamèrem’aditcematinqu’ilsavaientattendud’êtremariéspourfairel’amouretavoirunbébé.Quil’auraitcru?
Enceinte?Destinyallaitavoirunbébé?Sonbébé?Ilavaitunpeudemalàassimilerl’information.Illatournaetlaretournadanssonesprit,maissans
parveniràdéterminercequ’ilenpensaitvraiment.Unechoseétait sûre : ilaimait lesenfants. Ilavaittoujours espéré en avoir un jour. S’il avait un enfant, il pourrait faire en sorte d’être là pour lui, detoujours toutarranger.Oui, ilpouvait lefaire.Unenfant…Ilsentitunsourirenaîtresurses lèvres.UnminiForceG…
—Jenecomprendspas,reprit-elle.Ildevraityavoirunmécanismedeprotectionàusageunique.Commeunerépétition.Maisnon.Lesviergesn’ontpasdeprivilèges.C’estmêmetoutlecontraire:ellesdoiventsubirdesconséquences.Etc’estçaquim’embête.J’aitoujoursmenémaviedefaçonànejamaisdevoirmesoucierdesconséquences.Maiscesoir-là,aprèscequis’estpassésurcettebanquette,danstonbar,voilàquejesuisenceinte.
—Tuvasbien?—Non!hurla-t-elle.Elleinspiraavecforceavantdereprendre,pluscalmement:—Non. Jenevaispasbien. Jecommence tout justeàdécouvrircommentorganisermavieavec
Starr.Nousnesavonsmêmepasencoreoùnousallonsvivre.NousavonsdécidéderesteràFool’sGold,maisjen’aipasdetravailenvue,etjenesaismêmepasdansqueldomainechercher.Jenesaispascequejevaisfairedemavie.Etenplus,jevaisavoirunbébé?
Ellemarchajusqu’àlafenêtre,seretournaetluidécochaunregardassassin.—Toutesttafaute.Avantdeterencontrer,j’étaisquelqu’undecalmeetderationnel.Etmaintenant,
jesuisenceinte.Etj’aidessentiments.Tiens,l’autrejour,aprèsnotredîner…ehbien,j’avaisenviequetum’embrasses,maistunel’aspasfait,etçam’abouleversée.Qu’est-cequeçaveutdire?Jusqu’ici,jen’avais jamais eu besoin qu’un homme m’embrasse. La vie est bien plus calme quand personne net’embrasse,tupeuxmecroire.
Ils’adossaaubureauetréprimaunsourire.Ohoui!Enfin,illavoyait.LavraieDestiny,cellequisecachaitderrièrecetteapparencedecalmeetderationalité.Lafemmepassionnéequimettaittoutesonâmedansseschansons.
—Nemeregardepascommeça!lança-t-elle.—Commequoi?—Jenesaispas.Tuasl’airamuséetfierdetoi.Jenesuispasunpetitchien.—Jen’aijamaisditquetuenétaisun.Elletapadupied.—J’aienviedelancerquelquechose!Tusaiscequeçaveutdire?Quejesuisvraimentcomme
mesparents.J’aitravaillésidurànepasêtrecommeeux,etvoilàquej’aienviedetejeteruneassietteàlafigure!
Ils’approchad’elle,lapritparlesbras,l’attiracontreluietplaquasabouchesurlasienne.Quandillarelâcha,illaregardadroitdanslesyeuxetsutexactementcommentilallaitrésoudreleproblème.
—Epouse-moi.
16
Destinyétaitassisesursonlit.EllesesouvenaitqueKiplingl’avaitdemandéeenmariage,maispasdecequis’étaitpasséensuite.Elleétaitàpeuprèssûrequ’elleluiavaitrépondunon,qu’elleavaitfonduenlarmesetqu’elleavaitprislafuite.Maiselleavaittoutaussibienpuleremercierpolimentdeluifaireuneoffreaussigénéreuseetrepartirchezelled’unpasserein.
Ellen’enavaitvraimentpaslamoindreidée.Detoutefaçon,onaccordaitbientropd’importanceauxsouvenirs.
Elleattrapasaguitare.Aussitôt,sesdoigtstrouvèrentdesaccords.Ellenecherchapasàjouerunemélodieenparticulier,maislesimplefaitdelaissercourirsesdoigtssurlescordesl’aidaàsedétendre.
La journéeavaitquandmêmeétémarquéeparunévénementpositif : ledépartdeLacey,dans lamatinée.Samèreavaitconclusavisiteéclairenluipromettantderevenird’icideuxmoispourvoirsitoutsepassaitbienavecStarr.
Etquandelleapprendraitqu’elleseraitbientôtgrand-mère,elledeviendraitunehabituéedeFool’sGold,avaitsongéDestiny,nesachantpassielledevaits’enréjouiroupas.Ceneseraitpasforcémentunemauvaise chose, finalement.La perspective d’avoir un bébé l’effrayait un peu.La présence de samèrelaréconforteraitsansdoute.
Elle continua à jouer, en se disant qu’elle allait devoir renoncer à boire du vin le temps de sagrossesse.Autrementdit, toutà l’heure,quandelle irait sepelotonner sur lecanapé,ce seraitavecunverredelaitetquelquescookies.Lesproduitslaitiersétaientdesalimentssains,non?Etsielleprenaitdescookiesauxfloconsd’avoineetauxraisinssecs,ellepourraitpresquedirequ’elleavaitmangéunfruitetunecéréale.
Quelquesheuresplustôtencore,elleavaitunevie,unbut.Uneviepeut-êtreunpeuétrange,maisuneviequi luiappartenait.Etcettevie,maintenant, avaitquelquechosede risible.Unegrossessenondésiréeàsonâge?C’étaitridicule.Elleauraitdûsemontrerplusraisonnable.Pendantdesannées,elleavait cherchéà échapper et à sa famille, et à sonhérédité, et elle se retrouvaitdansune situationquemêmesamèreétaitarrivéeàéviter:bientôttrentenaire,célibataireetenceinte.
Ellecontinuaà jouer touten regardant lapendule.Lemomentvenu,elleposa saguitareetpassadanslesalonpourattendreleretourdeStarr.
Quelquesminutesplustard,l’adolescentedébouladanslapièce.— Le camp monte une comédie musicale pour la dernière semaine de l’été ! s’exclama-t-elle,
radieuse.Jeveuxpasseruneauditionpouressayerdedécrocherl’undesrôlesprincipaux.Tucroisquejepeuxyarriver?
—Biensûr.Tuasunetrèsjolievoix.—Jesuismortedetrouille,avouaStarrdansunrire.Etsijepètecomplètementlesplombs?
—Tuveuxque jedemandeàKiplingd’ouvrir laManCaveunsamediaprès-midi?Tupourraisvenirrépéteravectesamis,et inviterquelquesmembresdeleurfamilleàassisteràlarépétition.Vousserezdansunenvironnementsûr,avecmoinsdepressionquedansunevraieaudition.
—C’est une idée géniale !Merci ! On nous a donné une liste de chansons pour l’audition. Tupourrasmedirelaquellejedevraischoisir,d’aprèstoi?
—Onpourraregarderça,cesoir.—Super!Starrl’observauninstantetdemanda:—Qu’est-cequetuas?—Quoi?—Çava?Tun’aspasl’airbien.Tonvisageestcomme…chiffonné.Ils’estpasséquelquechose?Siellen’arrivaitmêmeplusàfaireillusiondevantunegaminedequinzeans…—Assieds-toi.Ilfautqu’onparle.LajoiedeStarrretombaaussitôt.—C’est…grave?demanda-t-elled’unepetitevoix—Non.Jenesuispasmalade,tun’espasmalade.NousrestonsàFool’sGold.C’estautrechose.Elles’assitauprèsdesasœur.Bonsang,commentallait-elleprésenterlachose?Elleallaitpasser
pouruneimbécile.Cequ’elleétait,enquelquesorte.Elle voulut sourire,mais sentit son visage se tordre en ce qui devait être une affreuse grimace.
Pourtant,Starrnesemitpasàhurler.Elleouvrit labouche,puis la referma, avantdedéciderque lameilleure façondeprocéder était
d’annoncersimplementlanouvelle.Alors,elleselança.—Jesuisenceinte.Kiplingestlepère.—Oh!Waouh! lançaStarr.Super!Jesavaisquevous…vousvoyiez, touslesdeux,mais jene
savaispasque…Waouh!Alors,tuvasgarderlebébé?—Oui.Jamaisellen’avaitenvisagélecontraire.—Ettoi,tuvasdevenirtante.Starreutunsourireradieux.— Tu as raison. C’est super ! Je pourrai t’aider. Je ne connais rien aux bébés, mais je peux
apprendre.Destinynonplusneconnaissait rienauxbébés,mais jugeapréférabledegardercerenseignement
pourelle.Ilneleurauraitétéd’aucunsecours.—Kiplingm’ademandéeenmariage,ajouta-t-elle.—Vraiment?C’esttropgénial!Quandest-cequevousallezvousmarier?Parcequec’estceque
fontlesgens,pasvrai?Ilssemarientetilsfontdesenfants?Çafaitd’euxunefamille.Destinyfaillitluidirequenon,ilsn’allaientpassemarier.Quebeaucoupdegensnesemariaient
pas.Ensuite,ellesesouvintqueJimmyDonn’avaitjamaisépousélamèredeStarr,etqu’ilnel’avaitpasrecueilliequandelleavaiteubesoind’unendroitoùaller.Ilnes’étaitmêmepasrappelélejourdesonanniversaire.
ElleserralesmainsdeStarrdanslessiennesetchuchota:—Çanesuffitpasàfaireunefamille.C’estl’amourquiformeunefamille,paslemariage.—Maissemarieraide,non?Décidément, le rebondissement qui venait de se produire dans sa vie était des plus inattendus.
Kiplingneressemblaitenrienàl’hommequ’elleauraitchoisiensefondantsurdescritèresraisonnables.Bientropd’étincellesfusaiententreeux.Oui, ilavaitbeaucoupdetrèsbellesqualités.Ilétaitgentilet
attentionné, et il serait toujours là pour la soutenir.Malgré sa carrière, qui lui avait valu le statut devedettedusport,iln’avaitpaslagrossetête.Ilétaitpratiquementnormal.
Cequil’inquiétait,c’étaientceshistoiresdesexe.Lesémotionstropintensesnepouvaientêtrequesourced’ennuis.Dececôté-là,elleétaittranquille:ellenel’aimaitpas,etluinonplus.C’étaitdéjàça.Mais l’amitié qui les liait suffirait-elle à faire durer leur couple ? Et que devait-elle penser de sademande enmariage ?N’avait-elle étéqu’une réaction réflexe à lanouvelle, ou souhaitait-il vraimentl’épouser?
Avantquesasœurposesurelleunregardchargéd’espoir, l’idéed’accepternel’avaitmêmepaseffleurée.Maismaintenant…ellesedemandaitsielleavaitencorelechoix.
***
Kiplingavaitdécidédenepas fairepression surDestiny. Il savaitqu’elle l’évitait,mais commeleurtravaillesforçaitàsevoir…
Elleallaitavoirbesoindetempspourvraimentsefaireàl’idéequ’elleétaitenceinte.Poursapart,iln’yétaitpasencorearrivé.Maisellen’avaitpaslechoix:elleallaitl’épouser.Parcequ’elleportaitsonbébé,etqu’ilétaitbiendécidéàfairepartiedelaviedesonenfant.
Cesderniersjours,iln’avaitdoncpascherchéàlavoir.Ilsavaitqu’illaretrouveraitlejourdeleurdeuxièmeexercicede recherche,auquel ilétait impossiblequ’elleneparticipepas.Alors le jourJ, ilavaitmistoutsonéquipementdanssajeep,s’étaitrendujusqu’àlazonederechercheet,maintenant,ilattendait.
Elle arriva quelquesminutes après lui. Quand elle descendit de voiture, il vit qu’elle portait satenuehabituelle : jean,T-shirt et chaussuresde randonnée.Ses cheveuxétaient ramenésenune simplequeue-de-cheval.Ellen’étaitpasmaquillée.
VoilàlaDestinyqu’ilavaitapprisàconnaître,pensa-t-ilavecunsourire.Francheetnaturelle.Lescernessoussesyeuxtémoignaientdesonmanquedesommeil.Ladécouvertedesagrossessedevaitavoirchamboulésavie,surbeaucoupdeplans.
—Salut,dit-elle,posantsurluiunregardlégèrementméfiant.—Non.—Nonquoi?—Non,jeneparleraipasdenotresituationpersonnellesurnotrelieudetravail.Ellesemblasoulagée.—Oh!Trèsbien.Parfait.Tuesprêt?Ilbranditsatablette,surlaquelleétaitinstalléleprogrammedepistage.—Jesuisprêt.Cettedeuxièmerecherchedevaitsedéroulerdelamêmefaçonquelapremière.Cassidydevaitdéjà
se trouver àdeuxkilomètresde la route.Elle allait s’enfoncerdans la forêt d’encoredeuxkilomètresavantdeprendreunedirectiondifférenteetdecommenceràmarcherendécrivantdelargescercles.Unschémaclassiquechezunepersonnequis’étaitperdue.
Si cet essai se déroulait bien, ils passeraient à l’étape suivante. Ce seraient des volontaires quitiendraient le rôledespersonnesdisparues.Cassidyet luimèneraient les recherches.Quant àDestiny,elledeviendraitsimpleobservatrice.Aprèschaqueexercice,c’estellequidirigeraitledébriefing.
—Oùveux-tucommencer?demanda-t-elle.Iltenditledoigtverslesentier.—Prenonsd’abordlecheminleplusévident.Ils étaient tous deux équipés d’un système GPS qui enverrait des données en temps réel au
programmeinformatique.Destinyrentralesdonnéesqu’ilsavaientdéjà:l’heurededépartapproximative
deCassidyetlestatutderandonneusenovicequiluiavaitétéattribuépourlesbesoinsdel’exercicedujour.
Kiplingl’observaavecattention,notantsarapiditéetsonprofessionnalisme.Quandelleluiannonçaqu’ilspouvaientsemettreenroute,ill’invitad’ungesteàpasserlapremière.
Ilsmarchèrentensilencependantquelquesminutes,suivantlesentiersurenvironcinqcentsmètresavantd’arriveràunembranchement.Ildésignalecheminquipartaitverslagauche,sanssavoirsic’étaitceluiqueCassidyavaitchoisi,maiscelafaisaitpartiedujeu.
Unelégèrebrisesoufflait,faisantbruisserlesépaistaillisetleurapportantleparfumdesfleurs.Ilfaisaitdéjàchaud,etlethermomètreallaitcontinueràgrimperaufildesheures.
Etdirequ’unanplustôt,ilétaitallongésurunlitd’hôpitalenNouvelle-Zélande,bourrédedrogueset brisé de partout, et queMarsha lui offrait de venir occuper un poste dans une ville dont il n’avaitjamaisentenduparler…Etmaintenant, ilétait làetmarchaitsanssouffrir.Beaucoupdechosesavaientchangé,danssavie.Ilavaitrenoncéauskipourdebonet,mêmes’illuiarrivaitd’avoirdesregrets,laplupartdu temps, il était capabled’accepter cequi s’étaitpassé.Bien sûr, cen’étaitpas luiqui avaitdécidédemettreuntermeàsacarrière.Pourtant,ilavaitréussiàtournerlapage.Ilavaittoujoursenviedesemesurerà lamontagne,mais ilsavaitqu’ilne leferaitplus jamais.Alors…ilne luirestaitplusqu’àchoisir:soitilacceptaitsonsortetmenaitunevieheureuse,soitilpassaitlerestantdesesjoursdansl’amertume.Etcechoix-là,c’étaitàluietàluiseuldelefaire.
Depuisdeuxmois, ilsentaitqu’ilcommençaitàsedirigervers lapremièreoption,sanssavoirsic’étaitl’œuvredutempsoudeDestiny.Parceque,quandilétaitavecelle,ilsesentaitmieux.
Cen’étaitpasdel’amour.Ilnevoulaitpasréduirelesentimentquilesunissaitàunsimplemot,videdesens—pourlui,seulslesactesavaientunsens.Mais,enrevanche,ilcommençaitàserendrecomptequ’ilvoulaitêtrelàpourelle.Veillersurelle.Etilsavaitquecedésirétaitréciproque.Toutcommelui,Destinycroyaitaupouvoirdel’action.Iln’yavaitqu’àvoirlafaçondontelleavaitgérélacrisequ’avaittraversée Starr. Alors… ils n’avaient pas besoin d’amour. Ils étaient là l’un pour l’autre, et serespectaientmutuellement.Et,cequiétaitencoreplusimportant,ilsallaientavoirunbébé.
—Ons’ensortiraitbien,touslesdeux,dit-ilsoudain.A cesmots,Destiny se retourna si brusquement qu’ellemanqua tomber. Il tendit le bras pour la
retenir.—Jecroyaisquel’onneparleraitpasdeça.—J’aichangéd’avis.—Tun’espasobligédem’épouser.—Maisjeveuxlefaire.—Pourquoi?—Parcequenousallonsavoirunbébé,Destiny.Noussommesassezconventionnelstouslesdeux
pourvouloirformerunefamille.Onpourraitfaireensortequeçamarche.Iln’avaitpaslamoindreidéedecequ’ellepouvaitpenser.Aumoins,ellen’avaitpasdétournéles
yeux,etellen’avaitpasditnon.—J’aiStarr,luirappela-t-elle.—Jesais.Ellefaitpartieducontrat.Sinousnousmarions,elleaurauneimpressiondestabilité.Tu
n’auraspasàtechargerdetouttouteseule.Tupeuxcomptersurmoi,Destiny.Ellegrimaçaavantderépliquer:—Tunevasquandmêmepasessayerdemefairecroirequetum’aimes.—Non.Enrevanche,jevaistedirequenousavonsbeaucoupencommun.Jecomprendspourquoi
tumuselles ta nature passionnée comme tu le fais, et çameva.Et quand tu auras besoin de jeter uneassiettepourtedéfouler…j’esquivetrèsbien.
—Jamaisjenetejetteraid’assiette.
—Tuasparlédelefaire.—Jen’aifaitqu’enparler.Elleinspiraprofondémentavantdedemander:—Tuvoudrasdusexe,pasvrai?Ilfitdesonmieuxpournepassourire.—Oui,j’envoudrai.—Beaucoup?—Toutdépenddetadéfinitionde«beaucoup».Ellehochalatête,commesielles’étaitattendueàcetteréponse.—Jen’aimeraipasça,maistupourraslefairechaquefoisquetuvoudras.Jenediraipasnon.Maintenant,ilsouriait.—Jet’enremercie.Ellen’avaitpaslamoindreidéedeceàquoielles’exposaitenluipromettantunaccèsillimitéàson
corps.Unefoisqu’ilsseraientmariés,ils’assureraitqu’ellecomprennepourquoilesgensfaisaientaussigrandcasdusexe.S’ilsefondaitsurcequ’ilavaitvud’ellejusqu’ici,Destinyétaitd’unenatureencorepluspassionnéequ’ellen’enavaitconscience.Libredetouteentrave,onnepourraitplusl’arrêter.Etilavaithâtedeseretrouversursatrajectoire.
—Situveuxtoujoursm’épouser,lâcha-t-elledansunsoupir,alorsjedisoui.PourlebébéetpourStarr.
—Bien.Leplustôtserasansdoutelemieux,alors.Disons…verslafindelasemaine?—D’accord.Etmaintenant,onferaitpeut-êtremieuxderetrouverCassidy.Iltenditlebrasverslesentier.—Vas-y.Jetesuis.
***
Destinyn’auraitjamaiscrupossibled’organiserunmariageenmoinsdequarante-huitheures,maisellesetrompait.Toutavaitétémisenplacetrèsrapidement,parcequ’iln’yavaitpasd’invitésetquelacérémoniedevaitsetenirdanslebureaudeMarshaavecBailey,sasecrétaire,etShelbypourtémoins.Avantqu’elleaitpudire«ouf»,elleétaitmariée.
Tout au long de la cérémonie, elle n’avait rien ressenti. Emotionnellement comme physiquement,elle était insensible.Etmême après le traditionnel «Vous pouvez embrasser lamariée », elle avait àpeine senti les lèvres de Kipling se poser sur les siennes. Elle s’était prêtée de bonne grâce auxfélicitationsd’usage,etelleétaitàpeuprèscertained’avoirsourietprononcélesmotsquiconvenaientàlasituation,maissanspouvoirsedéfairedelasensationqu’elleétaitsimplespectatriced’unescènequisedéroulaitàdesannées-lumièredelà.
Lesdeuxheuressuivantesn’étaientguèreplusqu’unfloudanssonesprit.Shelbys’étaitproposéepourpasser lanuitchezelle,avecStarr, tandisqueKiplingetelleallaientauRonan’sLodgepourunemini-lunedemiel.ElleavaitjetéquelquesaffairesdansungrandsacetembrasséStarr.Ilneleuravaitpasfallubienlongtempspourarriveràl’aubergeetprendreunechambre.Etmaintenant,elleétaitdeboutaumilieud’unejoliesuite,ensedemandantpourquoielleavaitfaitça.Toutça.
Lesalonétaitlumineuxetjolimentdécoré,enunmariageheureuxd’éléganceetdeconfort.Laportede la chambreétaitouverte.De làoùelle se tenait, ellen’apercevaitque le lit.Mais ellen’avaitpasbesoind’envoirplus.Parcequ’ellesavaitcequiallaitsepassermaintenant.
Leprixduseulfauxpasmoralqu’elleaitcommisaucoursdetoutesonexistencebrillaitàsamaingauche.C’étaitunanneaud’or tout simple,queKipling lui avaitpasséaudoigtpendant la cérémonie.Ellenes’étaitpasattendueàça,parcequ’ellen’avaitpaspenséqu’ilfallaitdesalliances.Enfait,depuis
qu’elleavaitacceptécettedemandeenmariage,onnepouvaitpasdirequ’elleaitpenséàquoiquecesoit.
Kiplingluisouritetmarchajusqu’àelle,avantdeprendresamaingauchedanslasienne.—Jeveuxt’acheteruneautrebague,dit-il.Maisilfaudraquetum’aidesàlachoisir.J’aipenséque
celle-ciseraitparfaite,pourcommencer.Leclassiqueestpresquetoujourslemeilleurchoix.—Elleestparfaite.Jen’aibesoinderiend’autre.—Ilnes’agitpasdecedonttuasbesoin,Destiny,maisdecequiestjuste.Riendanstoutecettehistoiren’était juste,sedit-elle.Biensûr,elleétaitmariéeetenceinte,etsa
sœur était auprès d’elle. Elle était donc bien engagée sur la voie qui lamènerait à la famille idéalequ’elleavaittoujoursvouluavoir.Maistoutluisemblaitétrangementdistant.Commesielleassistaitaudéroulementdesavieàtraversunépaispanneaudeverre.Ousousl’eau.Oudepuisuneautreplanète.Ellepouvaitvoircequisepassait,l’entendre,letouchermême.Maisrienn’étaitréel.
Sonattentionseportasurlegrandlit,etsurl’ombremenaçantequ’ilprojetaitsursonavenir.MonDieu…Ilsallaientdevoirlefaire,pasvrai?
—Sion fait le trucsexuel toutdesuite,est-cequ’onpourrane rien fairependant lesdeux joursd’après?demanda-t-elleenfuyantleregarddeKipling.
—Est-cequeceseraitmieuxpourtoi?—Oui.Jenepasseraispasmontempsàmedemandersic’estmaintenantqu’ilfautlefaire.LabouchedeKiplingsetorditdansunsourire.—Biensûr,répondit-il.Finissons-entoutdesuite.Çasemblaitbientropfacile.—Etaprès,onneferarienpendantdeuxjours?—Jeteprometsdenepastedemanderdesexependanttouteladuréedenotreséjouràl’hôtel.En
revanche,situenasenvie,neteprivepasdemeledire,etonpourrafaire…Illâchasamain,dessinadesguillemetsdansl’airetconclut:—Letrucsexuel.Commesil’initiativepouvaitvenird’elle!—Trèsbien,dit-elle.Laisse-moiquelquesminutesavantd’entrer.Ellepritsonsacetpassadanslachambre.Aprèsavoirrefermélaportederrièreelle,elleserendit
danslasalledebainssansunregardpourlelit.Commeellenesavaitpascommentsepréparer,ellesebrossalesdentsavantdepasserunechemise
denuitencotontoutesimple.Ellen’enavaitpasd’autre.D’habitude,elledormaitenculotteetT-shirt.Puiselleattendituninstant—espérantsansdoutequ’elleallaitêtretéléportéedansuneautreville,
ouquel’alarmeincendieallaitsedéclencheretlesobligeraitàquitterl’hôtel—avantderetournerdanslachambre.Elleouvritlelit,s’yallongeaetposalatêtesurl’oreilleravantdelancer:
—Entre!Laportes’ouvrit.Kiplings’avançadanslapièce,s’arrêtaetlaregarda.Ilhaussaunsourcil.—Prêtepourlesacrificeultime?demanda-t-il.Elle n’arrivait pas à déterminer ce qu’elle entendait dans sa voix.On aurait dit de l’amusement.
Pourtant,ellenevoyaitpascequelasituationpouvaitavoirdesidrôle.—Oui,jesuisprête.Il avança vers le lit. Il avait ôté ses chaussures et ses chaussettes, mais gardé le reste de ses
vêtements,heureusement.S’ilétaitentrénu,elleauraitsansdouteétéchoquée.Ilrivasesyeuxbleusauxsiensets’allongeasurlelit,maisplusprèsdumilieuqu’elle.Ensuite,il
tapotalematelaspourl’inviteràserapprocherdelui.Elleavaitpenséqu’illuidiraitquelquechose,ouqu’ilsecontenteraitdevenirsurelleetdefaire
sontruc.Maisnon.Ilcaressasajoueduboutdesdoigtsetl’embrassatendrement.
Lecontactdeseslèvressurlessiennesétaittoutàlafoisfamilieretexcitant.Ellesavaitcequ’étaitunbaiser.ElleaimaitceuxdeKipling.Donc,ellen’eutaucunmalàfermerlesyeuxetàsedétendre.Toutencaressantseslèvresdessiennes,ilposaunemainsursataille.Cegestemittoussessensenalerte.Maiscommesamainnebougeaitpas,elleputselaisserallerdenouveauetnepluspenseràrien,sinonàcebaiser.
Lachambreétaitsilencieuseetlelitconfortable.Ellesavaitquepersonneneviendraitlesdéranger.Ellen’avaitaucunehâtedefairecequ’ilss’apprêtaientàfaire.Maisellenepouvaits’empêcherd’avoirenviequ’ilposeunenouvellefoislesmainssursesseins.Parcequec’étaitcequ’elleaimaitpar-dessustout.
Ilagaçasalèvreinférieureduboutdelalangue,etelleentrouvritleslèvrespourl’accueillir.Unepremièreétincellefusadanssonventre,luiarrachantunsoupir.Ellepassalesdeuxbrasautourdelui.Ilétaitrobuste.Viril.Illaprotégeraittoujours.
Leurs langues s’engagèrent dans une danse provocante, se touchant, s’écartant, se caressant denouveau…Ellesentitsestétonssetendresousletissudesachemisedenuit,etunedouleursourdenaîtredanssesseins.
Kiplingsedéplaçalégèrementpoursemerunchemindebaiserssursa joue,puisdanssoncou.Ileffleuralecreuxdesonépauledeslèvresavantdedescendreplusbasencore,maissansallerplusloinqueledécolletédesachemisedenuit.Lamainqu’ilavaitposéesursataillenebougeapas.Ensuite,ilrevintàsaboucheetl’embrassadenouveau.
Elleselaissaroulerversluienfaisantglisserlesdoigtslelongdesondos.Leurbaiserdevintplusardent,pluspressant.Achaquecaressedesalanguesurlasienne,ellesesentaitfondre,enmêmetempsqu’unetensiontrèsparticulièrenaissaitetenflaitendiverspointsdesoncorps.Danssesseins,qui luifaisaientplusmalchaqueseconde,maisaussientresescuisses.Là,elleressentaitunepesanteurétrange,commedespulsations.
Sonesprit s’emplitd’images.Elle se souvintde la façondontKipling l’avait touchée,ce fameuxsoir.Commentils’étaitglisséenelle.Ellevoulaitqu’ilrecommence.Elleavaitditqu’elleétaitd’accordpourfaireletrucsexuelaveclui.Alors,pourquoimettait-ilautantdetemps?
Denouveau,ilabandonnasabouchepourposerseslèvresdanssoncou.Et,cettefois,ilnes’arrêtapas à son décolleté. Il plana au-dessus de sa poitrine pendant une poignée de secondes, puis deux…Gagnéeparl’impatience,ellefaillitappuyerdetoutessesforcessursesépaulespourleforceràbaisserlatête.
Enfin,ilsepenchaetpritsontétondroitentreseslèvres.Elleexpiravivementquandlachaleurhumidedesabouchel’enveloppaàtraverslefincotondesa
chemise de nuit. Et quand sa langue semit à virevolter sur sa peau tendue et tellement sensible, desrubansdechaleurscintillanteondulèrentjoyeusementdanssonventre.
Elleétaittoujoursenchemisedenuit,maisletissuétaitlégerqu’ilnereprésentaitpasunobstacle.EllesentaitchacundescoupsdelanguedeKipling,etuneondedeplaisirlaparcouraittoutentièrequandilaspiraitletétondanssabouche.Quandilabandonnasonseindroitpoursepenchersurlegauche,ellesentitlafraîcheurdel’airsurletissumouillé.
Ellen’auraitsudirependantcombiendetempsilpassaainsid’unseinàl’autre.Quandsaboucheétaitsurl’un,ilcouvraitl’autredesamain.Elledécouvritqu’ilnepouvaitpasfairelamêmechoseavecsa langue et avec ses doigts… mais que les deux sensations, bien que différentes, étaient très, trèsagréables…
Elleavaitfiniparselaisserroulersurledos.Maintenant,sesmainsallaientetvenaiententrelesépaulesetlatêtedeKipling.Ellepassaitlesdoigtsdanssescheveuxet,quandilaspiraitprofondémentsontéton,luiarrachantungémissement,ellelescrispaitsursesépaules.
Il faisaitmaintenant très chaud dans la chambre. Elle s’agitait sans relâche, habitée par un désirqu’ellen’auraitsudécrire.Ellebougeaitlesjambessurledrap,pressaitsescuissesl’unecontrel’autre,maisrienn’yfaisait.Ellesentaitsesmusclessetendre,sansvraimentsavoirpourquoi.
EndevinantqueKiplingsedéplaçait,elleouvrit lesyeuxetvitqu’il retirait sachemiseblanche.Elleposa sur luiun regardavideet impatient.Ellevoulaitvoir son torse, le caresser…Quand il jetaenfinsachemisedecôté,elleposaaussitôtlesmainssurlesmusclesbiendessinés.
Soussespaumes,sapeauétaitdouceetchaude.Enremarquantquesestétonspointaientlégèrement,ellefrottadoucementl’und’euxduboutdesdoigts.
—Est-cequeçatefaitlamêmechosequ’àmoi?demanda-t-elle.Ilsourit.—Jenesaispascequeçatefaitàtoi,maismoi,j’aimebien.L’anatomieétaitunescienceintéressante.Kiplingetelleavaientbeauêtredifférentsl’undel’autre,
ilsétaientsimilairessurcertainspoints.Ilsepenchasurelleetl’embrassa,toutenremontantsachemisedenuit.Ellelaretroussajusqu’àsa
taille,etillaluiretira.Elleserappelaque,quelquesminutesplus tôtencore, laperspectivedese trouvernuedevant lui
l’aurait rendue terriblementnerveuse.Maismaintenant,ellenepouvaitpluspenserqu’àunechose : ledernierobstaclequi la séparait de lui avait disparu. Il allait la toucher, et ce serait délicieux.Elle selaissaretombersurlematelasetnoualesbrasautourdelui.Illuisouritavantdel’embrasser.
Ellefermalesyeuxetselaissaemporterparlessensationsqu’éveillaitlecontactdesabouchesurla sienne. Quand la paume de sa main épousa la courbe de l’un de ses seins, elle soupira. C’étaittellementagréable.Ellepouvait…
Mais soudain, elle sentit samainbouger.Glisser le longde sapoitrine, sur sonventre, avant des’immobiliserenhautdesacuisse.Biensûr.Maintenant,c’étaitlàqu’ilallaitlatoucher.
Elle ne savait trop ce qu’elle en pensait. Elle avait toujours aussi chaud et, maintenant, elle sesentaitgagnéeparlanervosité.MaiscommeKiplingcontinuaitàl’embrasser,sansbougerlamain,ellesedétenditdenouveau.Jusqu’ici,toutcequ’ilavaitfaitavaitétéagréable.Pastranscendantcommeonleprétendait,mais agréable. Si c’était ça, le sexe, et si c’était tellement important pour lui, elle pouvaitcertainementenvisagerdelefaire…disonsunefoisparmois.
Ellesentitsamainglisserdenouveausursonventrepuisregagnersahanche,enunmouvementsilentetfluidequ’elleneleremarquapresquepas.Puisilremontajusqu’àsesseinseteffleurasestétonsdelapaume.Souslacaresse,l’agitationlagagnadepàlusbelle.
Quand sa main glissa de nouveau vers le bas, elle écarta légèrement les cuisses, sans savoirpourquoi. Alors il posa les doigts sur ses parties intimes. Sans exercer la moindre pression, sansvraimentchercheràlestoucher.Sesdoigtsétaientlà,toutsimplement.
Ilrelevalatêteetmurmura:—Situn’aimespascequejetefais,sijetefaismal,ouquetutesensmalàl’aise,jeveuxquetu
meledises,d’accord?Elleouvritlesyeuxetplongeadanssonregardchargéd’intensité.—Etsituveuxmedired’allerplusviteoupluslentement,poursuivit-il,netegênesurtoutpas.—Pourquoiest-cequejeferaisça?Ilsourit.—Parcequelemomentviendraoùtuaurasenviedemedonnerdesdirectives.—J’endoute.Sonsourires’élargitencore.—Fais-moiconfiance.—D’accord.
Ildéplaçasesmainssurelle,enexerçantunetrèslégèrepression.Chacundespointsqu’iltouchaitsemblaitaussitôtgagnéparunechaleurétrange,quiluidonnaitenviedesetendreverslui.
—Qu’est-cequetusaissurl’anatomie?demanda-t-il.Surcettezoneenparticulier?—Lestrucsdebase.Ill’embrassadoucement.—Fermelesyeux.Elleobéit.Desdoigts,ilécartasachairetlatouchaàl’endroitleplusintimedesoncorps.Rienàvoiraveccequ’ilavaitfaitcefameuxsoir,aubar.Cesoir-là,ils’étaitglisséenelle,maisil
ne l’avait pas touchée. Pas comme ça. Pas avec des doigts qui semblaient trouver chacune de sesterminaisonsnerveusesetleséveilleràlavie.
Ilglissaundoigtenelleet,d’instinct,ellesecambra.C’étaitcomme…commes’ill’emplissait,etelle aimait cette impression. Sous l’effet du léger mouvement de va-et-vient qu’il avait commencé àexercer,elletenditencoresoncorpsverslui,écartaunpeupluslesjambes.Illacaressaitàl’intérieur,s’enfonçaitenelle,ressortait,et…
Cequiétaitbondevintdélicieuxquandil trouvacequidevaitêtreunnœuddenerfs.Dudoigt, ilfrottalachairsensibledel’intérieurdesoncorps,etelleeneutlesoufflecoupépendantuninstant.
—PointG,murmura-t-il.—Jecroyaisquec’étaitunmythe.Ilbougealégèrementledoigt.—Atoidemeledire.Ellel’auraitfaitsielleavaitpurespirer.D’instinct,ellesedéplaçadefaçonàluifaciliterl’accès.Soudain,ilretirasondoigt,manquantluiarracherungémissementdefrustration.Maisavantqu’elle
aitpuseplaindre,ilposatroisdoigtsjusteaucentredesonsexe,etentreprit,trèslentement,d’ydécrireunpetitcercle.
—Leclitoris.Elleneputluirépondre;elleétaitincapabledeprononcerlemoindremot.Riendecequ’ilsavaient
faitjusqu’icinel’avaitpréparéeauxassautsdechaleuretdedésirquisesuccédaientenelle.Elle était à sa merci. Elle se laissa engloutir tout entière par la sensation qu’éveillait le lent
mouvement de ses doigts.Les cercles se succédaient sansqu’il changede rythme,mais la tensionquil’habitaitnefaisaitquecroître.
Ellefaillitgémir.Lesupplier.Plusrienpourellen’existaitsinoncettezoneminuscule,aucentredesoncorps.EtcequeKiplingétaitentraindeluifaire.
Maintenant,ellehaletait.LesdoigtsdeKiplingsemirentàbougerunpeuplusvite,etellesetenditversquelquechosequ’ellenepouvaitvoir,nepouvaitatteindre,nepouvait…
Etsoudain,elleexplosa.Ellesedispersaenunmilliarddemorceaux.Elledevintl’essencemêmedecequ’elleavaittoujoursété.Jamaisellenesauraitsielleavaithurlé,ousiellen’avaitpasémislemoindreson.Elleavaitcommedisparu,engloutiedansdepuissantesondesdeplaisirquilaréduisirentàl’étatdemétalenfusionavantdeluipermettredes’assemblerdenouveauenunenouvelleversiond’elle,uneversionmétamorphosée.
Quandellefutdenouveaucapabledepenser,quandelleputenfinrespireretparler,elleouvritlesyeux.Kiplinglaregardait,unpetitsourireaucoindeslèvres.
—Etça,dit-il,çam’atoutl’aird’êtreunorgasme.
17
Lamaison était jolie et très lumineuse. Elle s’étendait sur deux niveaux et comprenait une cavepartiellementaménagéeet,à l’arrière,ungrand jardin.A l’étage,on trouvaitquatrechambres.Destinysavait qu’elle aurait dû inspecter les espaces de rangement et la taille de la cuisine, se demander sil’agencementdelamaisonluiconvenait,ets’illuifallaituncoupdepeinture.Aprèstout,c’étaitlegenrededétailsquientraientenconsidérationquandons’apprêtaitàachetersapremièremaison.Mais, trèsfranchement, les frissons et les picotements qui continuaient à parcourir son corps l’empêchaient deréfléchirdefaçonrationnelle.
Quelqu’unauraitdûprendrelapeinedeluiexpliquerbeaucoupplusclairementtoutecettehistoiredesexe.
Kiplingrevintdanslacuisineetluisourit.—Lejardinestjoli,dit-il.Assezgrandpourinstallerdesbalançoiresetavoirunchien.Ilyaun
arbremagnifique,avecdesbranchesassezgrosses.Quedirais-tud’yconstruireunecabane?Elleleregardaparlerbienplusqu’ellenel’écoutait.Ilavaitunesijoliebouche…Etilsedéplaçait
avec tantdegrâcemasculine…De tempsen temps, sesmouvements étaientmarquésd’une très légèrehésitation,séquelledesonaccident,sansdoute.Ilavaitaussidescicatricessurlesjambes.L’uned’elless’enroulaitautourdesahanchepoursetermineraumilieudesondos.
Maintenant,ellesavaittoutcela,ainsiquebeaucoupd’autreschoses.Elleconnaissaitl’odeurdesapeau, l’intensité de son regard quand il la pénétrait. Elle savait qu’il aimait l’entendre gémir et crierlorsqu’ellejouissait.Etelleconnaissaitletonexactdesavoixquandill’yencourageait.
Ils’approchad’elleetl’attiracontrelui.—Fatiguée?demanda-t-il.—Unpeu.Ilsn’avaientdorminil’unnil’autre.Ilsavaientpassélanuitàfairel’amour.Sonpremierorgasme
l’avaitlaisséedansunvéritableétatdestupéfaction.Rienqued’yrepenser,elleétaitencoreabasourdie.Etensuite,ils’étaitglisséenelle,etelleavaitjouiunesecondefois.
Ilsétaientdescendusletempsdedîneravantderegagnerleurchambrepourrefairel’amour,encoreetencore.Cematin,toutsoncorpsétaitendolori,maiscelaenvalaitlapeine.Chaquepasqu’ellefaisaitluirappelaitleurnuitettouscesplaisirsquelleavaitdécouverts…
Ilcaressasescheveuxetsepenchaverselle.Elleselaissaallercontreluietluioffritaussitôtseslèvres.Tandisque leurs langues semêlaient, elledéfit lesboutonsde sonchemisier.Puisdégrafa sonsoutien-gorge,etposad’autoritélesmainsdeKiplingsursesseins.
Ill’embrassaavecuneintensitédécupléeavantdes’écarter.—Nebougepas,dit-il.Jeveuxvérifierquelaporteestbienfermée.
Parcequ’ilsétaientseulsdanslamaisonvide.L’agentimmobiliers’étaitcontentédeleurconfierlesclés des quelquesmaisons en ville qui étaient inhabitées et en vente. Apparemment, la rumeur qu’ilsétaientàlarecherched’unlogements’étaitrapidementrépandue.
Ilquittalacuisined’unpasvif,etelleenprofitapourenleversonjeanetseschaussures.Quandilrevint,elleétaitnue.
Illaregarda,quelquepeusurpris,etsemitàrire.—Tuvasnoustuertouslesdeux,mabelle.Ellesourit.—J’endoute.Ils’approcha,lapritparlataille,lasoulevaetl’assitsurlecomptoir.Elle tendit lamainvers la
braguettedesonjeanetlelibéra.Ilétaitdéjàdur.Elleécartalescuisses,etillapénétraaussitôt.Ellenoualesjambesautourdeses
hanchespourl’attirerauplusprofondd’elle.Ilneleurfallutqu’uncoupdereinsoudeuxpourtrouverlebonrythme.Kiplingposadenouveauses
lèvressurlessiennes,tandisquesesmainsencoupepressaientsesseins.Ellefitglisserlesmainssurson torse et son dos, se délectant de la sensation, se rapprocha de lui… et l’attira encore plusprofondémentenelle.
Il l’emplissaitcomplètement,àprésent,etellesentaitdéjàses terminaisonsnerveuseshurlersousl’effetdufrottement.Alaminute1,ellerespiraitavecforce.Alaminute2,elleapprochaitdel’orgasme.Et,àlaminute3,elleouvritlesyeuxetdécouvritqu’illaregardait.
D’avantenarrière…D’avantenarrière…D’unmouvementfermeetrapide,il lapoussaitverslegouffre,encoreetencore…
—Oui…,murmura-t-il,lesyeuxrivésauxsiens.Lanuitdernière,ilss’étaienttousdeuxrenducomptequ’ilsentaitl’instantprécisoùelleapprochait
de la jouissance. Tandis que son corps tout entier se tendait vers l’orgasme, il s’enfonça plusprofondémentencoreenelle.Etiln’enfallutpasplus.
Ellesentitlespremierstremblementsintérieursgronderenelle,préludeàunorgasmequilabalaya.Tremblante,gémissante,ellejouitsanscesserunseulinstantdeleregarderdroitdanslesyeux.Pourqu’ilpuissetoutvoird’elle.
LerythmedeKiplingnefaiblissaittoujourspas.Dansl’effortqu’ilfaisaitpourseretenirjusqu’àcequ’elleaitatteintl’ultimeplaisir,ellelesentittrembler.Quandellesetutenfin,ilpressasesfessesdanssesmainsets’enfonçaenelleunedernièrefoisavantdejouiràsontour.
Ilsrestèrentainsi,liés,unis,laissantleurrespirationreprendreunrythmenormal.Ilss’embrassèrentlentement,paresseusement,jusqu’àcequetoutelatensionquiavaitfaitvibrerleurcorpssesoitdissipée.Ensuite,ilseretiraetl’aidaàserhabiller.
Ilagrafasonsoutien-gorgeavantdel’enlaceretdeposerlespaumesdesesmainssursesseins.Cesimplegestesuffitàfairedenouveaufuserledésirenelle.Jamaisellenepourraitselasserdelui,pensa-t-elle, sans tropsavoir sic’étaitunebonnenouvelleounon.Onauraitditquequelquechosedanssoncorpsàluietquelquechosedanssoncorpsàelles’unissaientpourcréerunedynamiqueirrésistible.
—Jesuisentraindedevenircommemesparents,murmura-t-elleenseglissantdanssesbras.—Jenecroispas,non.Jenet’aipasencorevuelancerd’assiette.Elleéclataderire.—Sic’estqueça…Maiscetrucdusexe.Jamaisjen’auraiscru…Ilcaressatendrementsajoue.—D’habitude,cen’estpascommeça,reconnut-il.C’estmoinsintense,etmoinsfréquent.Mêmeau
début.Ilsouritetajouta:
—Jenem’yattendaispas,moinonplus.Pendantquelquessecondes,ellesedemandas’ilyavaitautrechose.Silaréactionqu’ilprovoquait
chez elle venait autant de son cerveau que de son corps. Parce que, quand elle dressait la liste desqualitésqu’elleattendaitchezunhomme,elleserendaitcompte…queKiplinglespossédaittoutes.Maisilyavaitaussienluiquelquechosequil’effrayait.C’était l’undeshommeslesplusgentilsqu’elleaitjamaisrencontrés,maisilluisuffisaitdeposerlesyeuxsurluipoursentirlesangserueravecforcedanssesveines.C’était làunecombinaisonassez irrésistible.Legenredecombinaisonque, justement, elleavaittoujourscherchéàéviter.
Illaretournadanssesbrassanslalâcheretluidésignalacuisined’ungeste.—Tuveuxparlerdel’agencementdelapièce?demanda-t-il.Elleéclataderire.—J’aimeassezcecomptoir.—Ilestpratique,oui, répondit-ilavantdedéposerunbaisersursa tête.Trèsbien.Comportons-
nousenadultes.Nouscherchonsunemaison.Est-cequecelle-cinousconvient?Voyons…Ilyalaplacedemettreunetableetdeschaises,ici.Etleparcpourraitallerlà.
Le parc ? Il continua à parler, mais elle ne l’écoutait plus. Elle posa lamain sur son ventre etattenditque la réalités’imposeàelle.Elleétaitenceinte.Elle lesavaitdéjà,biensûr.Maiscen’étaitencorepourellequ’unconceptquin’avait rienderéel.Etpourtant,elleétaitmariéeet,encemomentmême,ellevisitaitunemaisonencompagniedesonmari.Parcequ’ilsallaientavoirunbébéensemble.Déjàqu’elleétaitresponsabledesasœuradolescente…
N’importe qui aurait eu dumal à supporter une telle accumulation d’événements. Elle aurait putitubersous lepoidsde toutesces responsabilités,maiscelan’arriveraitpas,parcequ’ellen’étaitpasseuleàdevoirleporter.Kiplingétaitlà,àsescôtés.
***
Destiny hésita un instant avant de pousser la porte du Jo’s Bar. D’habitude, elle attendait avecimpatience l’heure de retrouver ses amies pour leur rendez-vous déjeuner hebdomadaire mais,aujourd’hui,elleappréhendaitunpeucemoment.Elleavaitl’impressionqu’àl’annoncedesonmariage,aussirécentqu’inattendu,elleallaitdevenirlecentredelaconversation.
Etpourtant,impossibledepassersoussilencelesévénementsdecesderniersjours.D’abord,elleétaittombéeenceinte,etmaintenant,elleétaitmariée.Rienàvoiravecleplanqu’elles’étaitdonnépourmissiondemeneràbien,maisellefaisaitavec.Ellesecomportaitenadulteresponsable—àconditiond’oublierlemomenttorrideoùelleavaitfaitl’amouravecKiplingdanslamaisonvide…
Elleinspiraprofondément,poussalaporteetsouritenvoyantplusieursdesesamiesassisesautourd’unetable.
ShelbyetDellinaluifirentsigne.Madelineseretourna,souritetdésignalachaisevide,àcôtédelasienne.Cassidyaussiétaitlà.Ens’asseyant,elleremarquaqu’ilrestaitencoredeuxchaisesinoccupées.Ellesallaientêtrenombreuses,aujourd’hui.
—J’essaiedeconvaincrelesfillesdeveniravecmoivendredisoirvoirlenouveaufilmdeJonnyBlaze,annonçaMadelinequandellefutinstallée.Dis-moiquetuvasvenir.Çavaêtregénial.
Shelbyplissalenez.—Lesfilmsviolents,c’estpasmontruc.—Ce n’est pas de la vraie violence, déclaraMadeline, très sérieuse. Plutôt de la violence de
dessinanimé.Lesgensmeurenttrèsproprement,etonpasseàautrechose.—Tuesvraimentbizarre!lançagaiementCassidy.Çadoitêtrepourçaquejet’apprécieautant.—Merci,réponditMadeline,rayonnante.Alors,est-cequetuteplais,àFool’sGold?
—C’estsuper,oui.Lesgenssonttellementaccueillants.Peut-êtremêmeunpeutrop,ajouta-t-elleavecunegrimace.
EllesetournaversDestiny.—ÇafaitdeuxfoisquejedoisdireàtonamiMilesdemelaissertranquille.Genre:«Salut,jesuis
mariéeetpersonnenem’intéressesauflebeaumecquej’aiépousé.»Etiln’apasl’airdecomprendre.—Désolée,murmuraDestinyenjetantuncoupd’œilàShelby.Cettedernière,trèspâle,seleva.—Jerevienstoutdesuite,dit-elle.Nem’attendezpaspourcommander.Aprèsavoirhésitéquelquessecondes,Destinylarattrapa.—C’estàcausedeMiles?demanda-t-elle.—Oui!J’aideuxmotsàluidiresurunepromessequ’ilm’avaitfaite,etqu’iln’apastenue.—Est-cequetuveuxquejevienneavectoi?—Non.Jepeuxl’engueulertouteseule.Larissa etTaryn, qui approchait du termede sagrossesse, entrèrent à cet instant.CommeShelby
n’avaitpasbesoind’elle,Destinyretournas’asseoir.Machinalement,elleobservalafaçondontTarynsedéplaçait,etsedemandasielleauraitl’airaussimalàl’aisequandsagrossesseauraitatteintlemêmestade.
Dedos,Tarynsemblaitmince,mais,vuedeprofiletdeface,elleétaiténorme.Ellen’avaitgrossiqued’unendroit :duventre.Destinyavaitdéjàvudesfemmesenceintesquiavaientgrossidepartout.Leur silhouette était plus équilibrée, mais cela les contraignait à perdre plus de poids aprèsl’accouchement.
Sonmédecinluidiraitsansdoutecombiendekiloselledevaitprendre.D’ailleurs,ilfallaitqu’elletrouveungynécologueetqu’elleprennerendez-vous.
CassidytiraunechaisepourTaryn.—Commenttutesens?—Enorme.C’estaffreux.Labiologie,c’estvraimentnul.Cassidyluitapotalebras.— Je reconnais bien là ton courage.Toujours garder toutes tes émotions pour toi afin de ne pas
perturbertonentourage.—Vatefairevoir,marmonnaTaryn.CassidyéclataderirealorsqueJoarrivaitpourprendreleurscommandes.Tarynposaun regardnoir sur la listedesboissonsdu jour,qui était affichéeaumur.Lepremier
cocktaildelalisteétaitunemargaritaauxfruitsrouges.—Vousnedevriezpasmetenter,marmonna-t-elle.C’estméchantdevotrepart.Jejurequequand
cetenfantserané,jenedessoûleraipaspendanttroisjours.—Impossible!répliquagaiementCassidy.Ilfaudraquetul’allaites.Tarynlafusilladuregard.—Nemecherchepas.Jepourraismebattrecontretoi.Tunemefaispaspeur.—Commesij’allaismebattreavecunefemmeenceinte!s’exclamaCassidyenriant.—Trèsbien,murmuraTaryn.J’attendraidoncquecetenfantaitquatremoispourm’offrirlacuite
demavie.D’icilà,jevaisprendrecettesaletédethéglacéauxplantes.Iln’estpastropinfect.—Justement, jepensaisfairede lapubà la télé, répliquaJo, imperturbable.Jedevraispeut-être
t’engagercommeporte-parole.—Trèsamusant,grommelaTaryn.D’accord,excuse-moi.Jesuisénorme,jen’arrivepasàdormir,
etmes pieds sont tellement gonflés que je ne rentre plus dans aucune paire de chaussures.Est-ce quequelqu’unpeutm’achever?
Elleséclatèrenttoutesderireavantdecontinueràpasserleurscommandes.QuandcefutletourdeDestiny,elleregardaTaryn,puisJo.
—AentendreTaryn,lethéglacéauxplantesestdélicieux.Jevaisenprendreun.— Tu vas l’adorer, affirma Jo. Et pour toi, Taryn, j’ai une nouvelle salade au menu. Tous les
ingrédients sont bio, de production locale, et cueillis du jour. Et il y a du quinoa pour l’apport enprotéines.
Tarynfitminedevomir.Joéclataderireets’éloigna.—C’estlafaçondontJoexprimesonamour,ditMadeline.Elleprendsoindenous,etc’estpourça
quenousl’aimons.—Jesais,reconnutTaryn.—Cettesaladeal’airdélicieuse,renchéritCassidy.Tuvasadorer.—Oh,toi,çava,grommelaTaryn.Destinysourit.Lesdeuxfemmessemblaients’êtrerapidementliéesd’uneamitiéassezimprobable,
maisquiparaissaitsolide.Autour d’elle, la conversation s’engagea sur les sujets habituels : les festivals à venir, le temps
splendide, les dernières bêtises des touristes. Jo leur apporta leurs verres, prit leurs commandes etrepartit.Destinysentitsonestomacsecontracter.Ilfallaitqu’elleannoncelanouvelleàsesamiessanstarder,car,siellesl’apprenaientdequelqu’und’autre,ellesauraientdumalàluipardonner.
Toutenhésitantsurlafaçondontelleallaits’yprendre,elleposalamaingauchesurlatable.Sonalliance étincela sous la lumière. Elle la regarda tout en cherchant les mots justes, avant de déciderqu’elleallaitsimplementdire…
— Oh, mon Dieu ! s’exclama Madeline. C’est une vraie ? Destiny Mills, est-ce que c’est unealliancequejevoisàtondoigt?
Toutlemondesetutetsetournaverselle.Ou,plusprécisément,verssamain.Ellesesentitrougir.—Je…euh…Taryntouchalabagueduboutdudoigt.—Çam’al’aird’êtreunevraie,oui.Destinys’éclaircitlavoix.Lemomentn’étaitplusàchercherlesmotsjustes.—Kiplingetmoinoussommesmariésilyadeuxjours,annonça-t-elled’untrait.Jesaisquec’est
rapide,maisnousavionsdebonnesraisons.Unebonneraison,dumoins.Jesuisenceinte.Sesamiesposèrentsurelleunregardahuri.Certainesd’entreellesétaientmêmebouchebée.—Ehbien,c’estdurapide,murmuraTaryn.Pardon!Jenevoulaispasavoirl’airaussicritique.— Je suis heureuse pour toi, dit Cassidy. Kipling est un type génial. Quand est-ce que ça s’est
passé?Etoù?—Oui,renchéritLarissa.Ilnousfauttouslesdétails.—Félicitations!lançaMadelineenl’embrassant.Ilestbeaucommeundieu,etvousêtestellement
mignonsensemble.Etunbébé!C’estmerveilleux.Est-cequeStarrestaucourant?Elleestcontente?—Elleditqueoui,réponditDestiny.Ellen’arrêtepasderépéterqu’ellevafairepartied’unevraie
famille.Etpuis,elleesttoutexcitéeàl’idéed’avoirunneveuouunenièce.—Jelacomprends,avouaLarissa.Sij’avaisétéfilleunique,jemeseraisenfuie.Mesparentssont
merveilleux,maisassez…intenses.Avecunsourire,elleajouta:—Vousavezde lachancedevousêtre trouvésaussirapidement.Moi, j’étaisamoureusedeJack
depuisdesannéesetjenem’enétaisjamaisrenducompte.C’estmamèrequiadûmeledire.Tuparlesd’unehumiliation!
—Jeffetmoi l’avons sudès lepremier jour, intervintCassidy. Je suisalléem’installerchez luialorsquenousnenousconnaissionsquedepuisunesemaine.Sixmoisplustard,nousétionsmariés.
Ellesoupiraetconclut:—J’aimelesbelleshistoiresd’amour.Tarynrenifla.—Moiaussi.Cesfichueshormonesmetransformentenfille.Madelinesepenchaverselle.—Taryn,machérie,tuesunefille.Tulesais,pasvrai?Parceque,situnelesaispas,ilvafalloir
quequelqu’unaillediredeuxmotsàAngel.—Trèsamusant.Joarriva,avecleursassiettes,etMadelines’empressadelamettreaucourant—Félicitations,dit-elle.Décidément,cethommeestunrapide.Ilouvreunbarenvillealorsqu’il
n’estlàquedepuisdeuxmois,etilmeprendlamoitiédemaclientèle.Quelquessemainesplustard,levoilàmarié,avecunenfantenroute.Cetype-làestnésousunebonneétoile.
Elles’interrompitetgrimaça.—Pardon.Jen’auraispasdûdireça.Jesuisvraimentheureusepourtoi,Destiny.C’estlamaison
quit’offrelerepas.—Merci,réponditDestiny.QuandJofutrepartie,MadelineposalamainsurlebrasdeDestiny.—NefaispasattentionàJo.Toutvabien.Destinyhochalatête,maisellesentaitbienqueJoétaitplusirritéeparl’existencedelaManCave
qu’heureusedelasavoirmariée.Maisqu’ypouvait-elle?TaryngoûtasasaladeetladéclaracomestibletandisqueCassidyexigeaitd’avoirdesdétailssurle
mariage. Ensuite, la conversation dériva vers d’autres sujets, et Destiny put se détendre. Elle voyaitmaintenantqu’ellen’avait euaucune raisonde s’inquiéter.Sesamiesne la jugeaientpas.Ellesétaientouvertesd’esprit,ettoutesprêtesàluiapporterleursoutien.
Même si elle était enceinte, et qu’elle devait affronter les nombreux changements qui s’étaientproduitsdernièrementdanssonexistence,ellen’étaitpasseule.Kipling,Starretcesfemmesseraientlàetl’aideraient.Aprèsavoirmenéuneexistencesolitairependanttantd’années,ellesevoyaitcontraintedereconnaîtrequ’ilétaitagréabledenouerdesliensd’amitiéavecd’autrespersonnes.
***
Kiplingsegaradansl’alléedelamaisonquelouaitDestiny.Ilsavaientdécidéqu’ilviendraitvivrechezelleenattendant laconclusionde laventede lamaisonqu’ils avaientchoisie.Sapropremaisonn’étant pas plus grande que celle de Destiny, il n’y avait aucune raison pour contraindre Starr àdéménagerunefoisdeplus.
Ilpassalaporte,posalescartonsquil’encombraient,etlança:—Starr?C’estmoi!L’adolescentene réponditpas.Pourtant,quand il avait appeléunpeuplus tôtpourprévenirqu’il
allaitpasser,elleluiavaitditqueDestinyétaitsortiefairequelquescourses,maisque,poursapart,elleseraità lamaisontout l’après-midi. Ils’engageadanslecouloir.LaportedelachambredeStarrétaitouverte,mais lapièceétaitvide.Peut-êtrequ’elleétait sortie.Danscecas,elle luiavaitcertainementlaisséunmot.
Mais il n’y avait rien dans le salon, rien sur la table de la cuisine. Son œil fut attiré par unmouvement,dehors. Il regardapar la fenêtreau-dessusde l’évier etvitStarr, assise sur lebancde laterrasse,avecungarçon.
Ilconnaissaitcegamin.C’étaitlefilsdeGideon.Carter.
Les deux adolescents étaient plongés dans une conversation animée. Ils étaientmignons, tous lesdeux, pensa-t-il en souriant. Il ouvrait la porte de derrière pour aller leur dire qu’il était là lorsqu’ils’arrêtanet.
Ilss’embrassaient.D’unbond,ilfutprèsd’eux.—Qu’est-cequevousfichez,touslesdeux?cria-t-il.Lesadolescentsseséparèrentvivement.Carterse levad’unbondets’interposaentreStarret lui.
Mais Kipling était habité par une rage bien trop intense pour voir ce que ce geste protecteur avaitd’admirable.Ilsavaientquinzeans,bonsang!C’étaittropjeunepours’embrasser,non?Ilsavaitbienquelesadolescentsfaisaientcegenredechoses,maisilétaithorsdequestionqu’illesregardefairesansintervenir.
—Starr,est-cequetasœursaitqueCarterestici?—Neluicriezpasdessus,répliquaCarter.—Jenecriepas,gronda-t-il.Starr, qui était toujours derrière Carter, se pencha pour lui couler un regard moins effrayé
qu’intrigué.—Si,dit-elle.Tucries.C’étaitjusteunbaiser.—Vousn’avezquequinzeans.—Onlesait,réponditCarter.Etonaledroitdes’embrasser.—Non,vousn’avezpas ledroit, riposta-t-ilens’approchantdugarçon.Ceque tuas ledroitde
faire,enrevanche,c’estdequittercettemaison.Etautrot.—Quoi?lançaStarrenselevantàsontour.Tun’aspasàluidonnerd’ordres,pasplusqu’àmoi.
Cen’estpasparcequetuesmariéavecmasœurquetueslechef.Destinyseraitfollederage.—Tuveuxparier?répliquaKipling.Ettoi,sorsd’ici.Carternebougeapas.—PasavantquevousayezpromisdenepasfairedemalàStarr.—Quoi?Luifairedumal?Tumeprendspourqui?Illâchaunjuronetpoursuivit:—Starr, va dans ta chambre jusqu’à ce queDestiny revienne à lamaison.Carter, fiche le camp
d’ici.C’estcompris?Carter et Starr échangèrent un regard et hochèrent tous deux la tête avant de se diriger vers la
maison,toutenparlantàvoixbasse.Illessuivitpours’assurerqu’ilsallaientfairecequ’illeuravaitdit.
***
Destiny rentra aussi vitequepossible.Pour la première fois de savie, elle avait abandonné sonCaddiepresque remplienpleinmilieudusupermarché.Mais jamaisKiplingne luiavait sembléaussiinquiet.
Quandellearriva,ill’attendaitsurleseuil.—Ilss’embrassaient?demanda-t-elleendescendantdevoiture.Jen’arrivepasàycroire.—Moinonplus,jen’ycroyaispas.—Starrm’avaitbienditqueCarterpasserait lavoir,mais jen’ai rien trouvéàyredire. Ilssont
amis.—Trèsbonsamis,même,ironisaKipling.Unpick-updéboula au coin de la rue et s’arrêta devant lamaison, dans un crissement de pneus.
Gideonendescenditets’avançaverseuxd’unpasdécidé.
—Qu’est-cequ’ilt’apris,bonsang?lança-t-il.Feliciadescenditàsontouretrejoignitsonmarid’unpasvif.—Gideon,nousavonsparlédetoutça,dit-elle.Tacolèrepeutêtrejustifiée,commeellepeutne
pas l’être. J’ai aussi envie de flanquer un coup de poing dans le nez de Kipling, mais nous devonsd’abordexaminerlesfaits.
Elles’interrompitetadressaunsourirecrispéàDestiny.—Salut.Nousavonsunproblème.—Apparemment,répondit-elle.Etnousdevonslerésoudre.—Jesaistrèsbiencequej’aivu,grondaKiplingenjetantunregardnoiràGideon.Tonfilsétaitici
etilembrassaitStarr.Elleaquinzeans.Sijen’étaispasarrivé,quisaitcequiauraitpusepasser!Destinyauraitvouludirequ’ellefaisaitconfianceàsasœur,maiselleétaitaussileproduitd’une
hérédité instable. Et donc bien placée pour savoir combien il pouvait être difficile de résister auxpulsionssexuelles.
Feliciasoupira.—Al’adolescence,leshormonesontunepuissanceincroyable,expliqua-t-elle.Ledésirsexuelpeut
prendrelepassurlejugementchezunepersonnedetoutâge,mais,quandlespersonnesimpliquéessontenpleineadolescence,ilestinsensédes’attendreàlesvoiradopteruncomportementrationnel.
Gideonsetournaverssafemme.—Je t’aime, luidit-il.Et je saisbienque tuas raison.Mais j’ai toujours enviede lui casser la
figure.Kiplingfitunpasverslui.—Essaieunpeu.Destinylepritparlebras,tandisqueFeliciavenaits’interposerentreGideoneteux.—Cen’estpascommeçaque tuvasaider à résoudre leproblème,monchéri, lança-t-elle avec
fermeté.—Jemefichepasmald’aiderounon!—MaistunetefichespasdeCarter,répliquaFelicia.GideonregardaKiplingdroitdanslesyeux.—Tun’avaispasledroitd’engueulermonfils.—Jeluiaiditdepartir.SiStarrétaittafille,qu’est-cequetuauraisfait?—Arrêtez!Maisarrêtez!criaunevoix,derrièreeux.Aquelquespasdelà,Starr,lesyeuxpleinsdelarmes,lesregardait.—Vousn’allezpasvousbattrepourça.C’étaitjusteunbaiser.Destinyseprécipitaverselle.—Nousnousinquiétonsàtonsujet.—C’étaitjusteunbaiser,répétaStarr.Arrêtezdevousdisputercommeça.Arrêtezdecrier.Qu’est-
cequenousavonsfaitdemal?Vousn’avezjamaisétéamoureux?—Vousnepouvezpasêtreamoureux,décrétaGideond’untonsansréplique.Vousêtestropjeunes.Feliciaposalamainsursonbras.—Enfait,ilyadesétudesquisuggèrentquel’âgen’estpas…Ellerefermavivementlaboucheavantdereprendre:—Maislemomentestpeut-êtremalchoisipourcegenred’information.Amoureux?Soudain,Destinyeutdumalàrespirer.StarrsetournaversKipling.—Tuesamoureux,pasvrai?lança-t-elle.Alors,tusaiscequejeveuxdire.CommeKiplingposaitsurelleunregardvidedetouteexpression,ellefronçalessourcilsetreprit:—TuesforcémentamoureuxdeDestiny,puisquetul’asépousée.
Lesilence leplus insoutenablequeDestinyait jamaisentendus’abattit sureux, lesenveloppa,ets’étira,encoreetencore,jusqu’àcequeplusriend’autren’existe.Voilàcequel’onressentaitquandonétaitsurscèneetquel’onoubliaitlesparolesd’unechanson.Encoreque…non.C’étaitpirequ’untroudemémoire.
Lentement,ellefutgagnéeparunesensationbrûlanted’humiliation,quienflaenmêmetempsqu’ellesetransformaitenhonte.Elleauraitvouluprendrelafuite,maiselleétaitcommeparalysée.Biensûr,ellesavait que sonmariage avecKiplingn’était que le fruit d’unedécisionpragmatique,mais elle n’avaitjamaispensédevoirmettrelerestedumondeaucourantd’uneréalitéaussipeudénuéederomantisme.Ellen’avaitjamaisditàpersonnequ’ilsétaientamoureuxl’undel’autre.Elleavaitseulementévitédedétromperceuxquipensaientqu’ilsl’étaient.
GideonetFelicialesdévisagèrent,l’unaprèsl’autre,avantd’échangeruncoupd’œil.MaiscefutleregarddeStarrquiluifutleplusinsoutenable.—Quoi?s’exclamacettedernière.Tul’asmiseenceinte,ettunel’aimesmêmepas?Destiny,tule
savais?—Onenreparleraplustard,réponditDestinyàvoixbasse.Starrfitunpasenarrière.—D’accord.Quandellefutrentréedanslamaison,Feliciatoussota.—NousparleronsàCarter,promit-elle.NousluiferonscomprendrequeStarretluisontpeut-être
unpeujeunespours’embrasser.Kiplinghochalatête.—Jesuisdésolédeluiavoircriédessus.C’étaituneréactioninconsidérée.—Uneréactioncontoutcourt,marmonnaGideon.Faisensortequecelanesereproduisepas.Etje
retiremesbillesdelaManCave.Trouve-toiunautreassocié.Feliciaetluiremontèrentdansleurpick-upetrepartirent.Quandilsfurentdenouveauseuls,Destinys’aperçutqu’elleétaitincapablederegarderKiplingen
face.—Il fautque jem’occupedeStarr,dit-elle.Si tunous laissaisunpeude tempspour réfléchirà
toutecettehistoire?Ellepensaitqu’ilallaitrefuserdes’enaller,maisilsebornaàacquiescerettournalestalons.Starrl’attendaitdanslesalon,saguitareàlamain.Sansunmot,ellelaluitenditetretournadanssa
chambre,dontellefermalaporte.Destinys’assitsurlecanapé,posalaguitareàcôtéd’elleetlaregardafixement.L’insinuationétait
limpide.Elleallaitavoirbesoindemusique,parcequ’iln’yavaitqu’unmoyenpourelledeparveniràcontrôlersesémotions:enlestransformantenchanson.Saufqu’elleallaitbien.Parfaitement,totalementbien.
Donc,Kiplingnel’aimaitpas.Cen’étaitpasunscoop.Maisilss’entendaientbien.Ilsétaientamis.Quand elle était tombée enceinte, ils avaient décidé ensembled’unplan raisonnable sur lequel fonderleuravenir.Ensomme,aveclui,elleavaittrouvécequ’elleavaittoujoursvoulu.
Kiplingétaitunhommequiaimaitrésoudrelesproblèmesdesunsetdesautres.Elleétaitsamissiondumoment.Etalors?Ilyavaitdessortsbienpires.
Ellepritsaguitareetcommençaàpincerlescordes,pensive.L’amournefaisaitquevouscompliquerl’existence.Ellen’enavaitjamaisvoulu,n’enavaitjamais
eu besoin. Comment pouvait-on avoir envie d’être le point central autour duquel gravitait la vie dequelqu’und’autre?Desoncôté,Kiplingn’étaitpasamoureuxd’elle.S’ill’avaitété,ilauraitditquelquechose. Du moins, il l’aurait laissé entendre.Mais non, il n’avait rien dit. Il avait seulement eu l’airchoqué.Peut-êtremêmehorrifié.
Donc,Kiplingnel’aimaitpas…Etalors?C’étaitparfait,non?Aprèstout,ellenel’aimaitpas,ellenonplus.Parceque,siç’avaitétélecas,elleauraitplustenuàluiqu’àelle-même.Elleauraitremerciélecielchaquejourd’êtretombéeenceintedelui,ledestindel’avoirfaitentrerdanssavie.Siellel’avaitaimé,elleauraiteulacertitudequedansquaranteans,soncœursemettraitencoreàbattreunpeuplusvitechaquefoisqu’elleposeraitlesyeuxsurlui.
Ellenel’aimaitpas,ellenonplus…Autourd’elle,lapièceétaitdevenueunpeufloue.Elleclignadesyeux,etdeslarmesroulèrentsur
sesjoues.Ellelesessuya,maisd’autreslesremplacèrent.Sagorgeseserra,etelleréprimaunsanglot.Parce que, pour la première fois, elle ouvrait les yeux sur cette vérité qui, pourtant, l’avait toujoursaccompagnée.Quelque part en chemin, elle était tombée amoureuse deKipling et, pour autant qu’ellesache,iln’avaitpaslamoindreintentiondel’aimerenretour.
18
Lasemaineavaitbienmaldébuté,etKiplingsentaitqu’elleallaitencoreempirer.Ils’assitàl’unedestableslesplusprochesducomptoiretregardalerestedesesassociésprendreplace.Ilsétaienttouslà:JoshGolden,RaoulMoreno,KennyScott,JackMcGarryetSamRidge,ainsiquelesfrèresStryker—Rafe, Shane etClay. SeulGideonmanquait à l’appel, sans doute parce qu’il s’était déjà retiré dupartenariat.
CefutKennyquilançaladiscussion.—On comprend ta réaction dans l’histoire avecCarter,Kipling. S’il s’était agi de l’une de nos
filles, on aurait eu la même.Mais nous avons un problème bien plus important que ta bagarre avecGideon.
—Laisse-moiquandmême te féliciterde l’avoirdéfié, intervintRaoul.Tu sais sûrementqu’il asuivil’entraînementdesForcesspéciales.
Non, il ne le savait pas.Mais cela ne changeait rien. Si Starr avait besoin de sa protection, iln’allaitpassedéfilersousprétextequel’adversaireétaitdangereux.
Rafesoupira.—Sinouspouvionséviterdenouséloignerdusujet…—Jen’étaispashorssujet,réponditRaoul.Jedisaisjustequ’ilfallaitenavoir.—Etdesgrosses,répliquaKipling.Maintenant,pourquoicetteréunion?Ses associés échangèrent un regardqui lui confirmaqu’ils avaient tous discuté du sujet avant de
venir.Ilseraitdoncledernieràêtremisaucourant…Cequiluifitcomprendrequelanouvellequ’ilétaitsurlepointd’apprendren’étaitpasbonne.
—Nosfemmessontfollesderage,déclaraKenny.LaManCavetournebien.Pasaussibienqu’àl’inauguration,maisencoreassezbienpourqu’elless’inquiètentdel’impactquenotresuccèspeutavoirsurJo.Pourmapart,jepensequeJoestassezgrandepours’occuperdesonbartouteseule,maiscen’estpasmoiquidécide.C’estBailey.
Kenny Scott était un grand gars baraqué, musclé, ancien joueur de la NFL. Si Kipling avait dûdésigneruntypequineselaissaitpasmeneràlabaguetteparlafemmedesavie,ilauraittoutdesuitepenséàlui.Etilauraiteutort.
—Laisse-moivoirsijecomprendsbien,dit-ilcalmement.NousavonsouvertlaManCaveparcequ’iln’yavait aucunendroit envilleoùungarspouvait allerprendreunebière. Joviseuneclientèleféminine,etlesbarsdesrestaurantsn’ontrienàvoiravecunvraibar.Donc,nousavonscréécetendroitensemblepourcomblerunmanque.Etmaintenant,vousvenezmedirequevousvoulezvousretirerparcequel’affairetournebien?
Leshommess’agitèrentsurleurchaise,malàl’aise.
—Ce n’est pas aussi simple,marmonnaRafe.Mais oui, c’est à peu près ça. Ecoute, ce bar estvraiment super. J’aime venir ici. Quand un client potentiel vient en ville, c’est exactement le genred’endroitoùjeveuxl’emmener.MaiscelaneplaîtpasàHeidi,etelleesttrèsprochedeJo.
—Joaparléàtoutesvosfemmes?Commetousacquiesçaient,ilpoursuivit:—EtvousavezdécidédevousretirerparcequeJon’estpascontente?—Non,rectifiaSam.Joestgéniale,maisc’estpourDellinaquejelefais.InutiledefaireremarqueràSamquec’étaitsafemmequiportaitlaculotte.—Alors,partez,dit-il.Lebarsurvivrasansvotresoutien.Jeferailesdémarchesnécessairespour
rachetervosparts.—Cen’estpaspressé,réponditRafe,soudaingêné.Unesociétéquidémarreabesoindefonds.Tu
pourrasmerembourserplustard.—Moiaussi,renchéritJack.IlfautjustequejepuissedireàLarissaquejemesuisdésisté.—Pareilpourmoi,ajoutaRaoul.Quelquesminutesplustard,ilsétaienttousrepartis.Kiplingalla s’accouderaucomptoirenessayantdecomprendrecequivenaitde sepasser.Deux
joursplustôt,ilavaittoutdétruitavecDestiny.Etmaintenant…ça.Nicklerejoignit,l’aircompatissant.—Jesupposequetulesasentendus,marmonnaKipling.—J’enaientenduassez.—Jepensaisquel’onfaisaitquelquechosedebien,ici.D’ailleurs,commentvontlesaffaires?—Lesrecettessontenbaisse.Lafréquentationdestouristesestrégulière,maisçanesuffitpas.Ce
n’estpasvraimentlegenred’endroitoùl’onpeutemmenerdesenfants,etlaplupartdesgensquiviennentenville sonten famille.Donc,pour survivre,nousavonsbesoind’uneclientèle locale.Si les femmesdisentàleurmaridenousboycotter,onestfichus.
—Tuasvécutoutetavieici.Dessuggestions?—VaparleràJo.—Pourluidirequoi?—J’ensaisrien…C’estunefemme.Excuse-toi.—Horsdequestion!Ilpensadéfoncerlecomptoird’uncoupdepoing…maisseravisa.Iln’étaitplusunadolescenten
révolte.—Jenevaispasm’excuseralorsquejen’airienfaitdemal,marmonna-t-il.Soudain,ilrevitl’expressionquiétaitapparuedanslesyeuxdeStarrquandilavaitétéincapablede
dire qu’il aimait sa sœur.Parcequemême s’il avait l’impressiondevivre unvéritable cauchemar enpensantàlasituationdélicatequetraversaitsonbar,cen’étaitrienàcôtédel’enferqu’ilsubissaitquandilrepensaitàlapeinequ’ilavaitinfligéeàDestiny.
—Non,tun’asrienfaitdemal,convintNick.Maisilfautquandmêmequetufassesquelquechose.Sinon,onvadevoirfermer.
***
KiplingserenditauJo’sBarenfaisantunlégerdétour,afindepasservoirsasœuràlapâtisserie.Ilnesavaittoujourspascequ’ildevaitpenserdesévénementsquivenaientdeseproduire,etencoremoinscequ’ilétaitcensédireàlapuissanteetmystérieuseJo.Peut-êtrequeShelbysauraitleconseiller.
Quand il arriva, l’adolescente qui tenait la caisse l’invita d’un geste à passer dans l’arrière-boutique.C’estlàqu’iltrouvaShelby,deboutdevantdeuxdouzainesdecupcakesquin’attendaientplus
queleurglaçage.Mais,aulieud’égaliserlesnappages,ellefixaitlemur,devantelle.Sesépaulesétaientaffaissées,sestraitsempreintsdetristesse.
—Qu’est-cequ’ilya?demanda-t-il,aussitôtgagnéparl’inquiétude.Dis-moicequis’estpassé.Ellesursauta,s’essuyalesjouesetsecoualatête.—Désolée,grandfrère.Ilyadesproblèmesquetunepeuxpasrésoudre.—Jepeuxrésoudrecelui-là.—J’endoute.—Dis-moi.Ellelevalesyeuxauciel.—C’estmavieamoureuse,Kip.Oumonmanquedevieamoureuse,plutôt.Leshommessonttous
dessalauds,ilyenaunquim’afaitsouffrir.Etavantquetumeposeslaquestion:non,tunepeuxrienyfaire.
Elleluiadressaunsourireunpeutremblantetajouta:—Jet’aime,maisjeneveuxpasquetutemêlesdecettehistoire.—Dis-moitoujours.—Non.Jefréquentaisunhomme,maisilfréquentaittoutuntasd’autresfemmesenmêmetempsque
moi.Ilestparti,etc’estmieuxcommeça.Jevaisl’oublier.Etjetrouverail’hommequ’ilmefaut.—Est-cequ’ilt’a…Latristessequihabitaitsesyeuxfutremplacéepardelatendresse.Ellelepritdanssesbras.—Non,chuchota-t-elle.Ilnem’ajamaisfrappée.Elleseredressaetposaunemainsursajoue.—Kipling,tousleshommesnesontpascommenotrepère.Certainssontdessalaudsenparoleset
enactes,pasengestes.Tusais,tunepeuxpasmeprotégerdetout.Tuesgentild’essayerdelefairemais,s’il teplaît…oubliecettehistoire.Jem’ensuisremise.Oujem’enremettraibientôt.J’avaispeut-êtrebesoin de cette leçon pour arrêter de craquer pour des don Juan.Maintenant, il faut que je trouve unhommesolideetfiable,quim’aimerapourmoi-même.
—Unhommeraisonnable?Elleaussi?IlpensaaussitôtàDestinyetàsonplanridicule.Destiny,quinevoulaitpasd’amour.Elleavaitété
trèsclairesurcepoint:ellerefusaittouteémotionforte.Elleauraitdoncdûêtreheureused’apprendrequ’il n’était pas amoureuxd’elle. Pourtant, elle avait eu l’air tout sauf heureuse.Et ces deuxderniersjours,ellen’avaitréponduàaucundesescoupsdefil.
— Pas exactement raisonnable, reconnut Shelby en souriant. Je veux quelque chose de plusromantiquequeça.Maisunhommestable,surquijepourraicompter.
Sonsourires’élargitetelleajouta:—Etquinesoitpasmonfrère !Cette fois, tunepeuxrienarranger.Etd’ailleurs,mêmesi tu le
pouvais,ceneseraitpasàtoidelefaire.Ilfautquetucomprennesquetouslesproblèmesn’ontpasunesolution.Toutcequetupeuxfaire,c’estmelaisserguériretreprendrelecoursdemavie.
—Lemessageestclair.—Parfait.Ettoi?Quoideneuf?—Pasgrand-chose.—CommentvaDestiny?—Trèsbien.—Jesuisheureusequevoussoyezensemble,touslesdeux.Elleestlafemmequ’iltefaut.Ça,iln’enétaitpassisûr.—Commentlesais-tu?
—Elle est aimante, et tu as besoin de quelqu’un qui veille sur toi. Sa famille est un peu folle.Autrementdit, il y aura toujoursune criseouune autre, et tu aimesdénouer les crises.T’occuperdesgens.Vousavezlamêmevisiondumonde,touslesdeux.Jenesaispas.J’aimevousvoirensemble.Vousêtesparfaitementassortis.
Ill’embrassasurlefront.—Merci,petitesœur.Onsevoitbientôt.Situasbesoindemoi,appelle-moi.—Toujours.IlavaitquittélapâtisseriedepuisunmomentetlesparolesdeShelbycontinuaientàtournerdanssa
tête.«Elleestlafemmequ’iltefaut.»«Vousêtesparfaitementassortis.»Ilavaittoujourspenséqu’iln’avaitcouchéavecDestinyqueparcequ’elleétaitsexy,qu’ilnel’avait
épouséequeparcequ’elleétaitenceinte.Mais…s’ilyavaitplusquecela?Mais il se pencherait sur cette question plus tard. Pour le moment, il devait avoir une petite
discussionavecJoausujetdesonbar.
***
—Quandtuvoudraspartirenmontagne,préviens-moi.Jeviendraiavectoi,ditCassidy.—Jenesuispassoustaresponsabilité,réponditDestinyavantdereposerlesyeuxsursonécran.—Onfaitceboulotensemble.Etenplus,j’adoremarcherenmontagne.—D’accord.Merci.Ladernière séanced’entraînement,à laquelleavaientprispartdesvolontaires,avait révéléqu’il
restaitquelqueszonesnoncartographiéesdansplusieursdesgrillesderecherche.SecondéeparMiles,elle avait pourtant cartographié le plus de terrain possible depuis les airs, avant de couvrir lesnombreuses zones qui devaient être faites à pied. Elle pensait les avoir toutes couvertes mais,apparemment,cen’étaitpaslecas.D’ailleurs,c’était laraisonpour laquelleellerestait toujoursaussilongtempssurchaquesite.
Elleéteignitsonordinateuretpritsonsac.—Tutravaillestard?demanda-t-elleàCassidy.—Non.J’airendez-voussurSkypeavecJeffdansuneheure.Lalumièreestmeilleureiciquechez
moi.Jesais,jesais.Aprèspresquevingtansdemariage,onsedemandepourquoijemesouciedelatêtequej’aietpourtant,c’estlecas.
—L’amournaissant…,plaisantaDestiny.—Exactement,réponditCassidydansunsoupir.J’espèrequeKiplingettoiresterezamoureuxaussi
longtempsqueJeffetmoi.Biensûr,nousavonsdeshautsetdesbas,commedanstouslescouples,maissans cet homme… je serais complètement perdue. Et ce n’est pas avec ton logiciel de luxe que l’onpourraitmeretrouver.Surce,bonnesoirée.
—Merci.Toiaussi.Toutenretournantchezelle,ellesedemandapendantcombiende tempselleseraitamoureusede
Kipling. Deux jours s’étaient écoulés depuis leur dernière conversation. Depuis, il avait essayé del’appeleràdeuxreprises,maiselleavaitlaissélamessagerieprendresesappels.Illuiavaitenvoyéuntexto,etelleluiavaitréponduenluidemandantdeluilaisserunpeudetemps.Jusqu’ici,ilrespectaitsademande.
Desjeunesmariésquinevivaientpassouslemêmetoit,c’étaitpeucommun!Commentavait-elleputoutfairecapoterainsi?Elleétaittombéeamoureused’unhommequinela
voyait que comme un projet. Et, pour tout compliquer, elle portait son enfant. Autrement dit, ils nepouvaientpastoutsimplementrompreetpartirchacundesoncôté.Ilsseraientliésl’unàl’autrepourlerestantdeleurexistence.
Cetteperspectiveétaittoutàlafoismerveilleuseetterrifiante.Sielledevaitresterencontactaveclui,commentpourrait-ellecesserdel’aimer?Parcequ’ilfallaitqu’ellecessedel’aimer.Ellelevoyait,maintenant.Elleseretrouvaitcoincéedanslegenredesituationqu’elleavaitpassétoutesavieàfuir:undésastreémotionnel.Pendantdesannées,elleavaitétéconvaincuequ’ellefaisaitlesbonschoix,mais,enréalité,ellen’avaitrienchoisidutout.Elles’étaitbornéeàsecacher.Afuirlavie.Asefuirelle-même.Afuirlesdésirsdesoncœur.
EllearrivaàlamaisonenmêmetempsqueStarretagitalamain.—Alors,comments’estpasséetajournée?—Bien.—Tuasembrasséquelqu’un,aujourd’hui?Starrlevalesyeuxauciel.—Tunelaisserasjamaistomberl’affaire,pasvrai?—Sansdoutepas.Ellesrentrèrentdanslesalonetselaissèrenttombersurlecanapé.—Tun’espaslegenredefilleàembrassern’importequelgarçon.Donc,tudoisvraimentbeaucoup
aimerCarter.Starrrougit.—Jel’aimebeaucoup,oui.Ilesttellementgénial.Jesaisbienqu’onestjeunes,etjeneveuxpas
queçadeviennesérieux,maisquandjesuisaveclui…—C’estmagique?—Oui.Justecommeilsledisentdansleschansons.Tusais,commepourtoiavecKipling.ElleespéraitsincèrementqueStarrneressentaitaucundessentimentsauxquelselleétaitenproie!—Maisonareparlédetoutça,poursuivitStarr.Onnes’embrasseraplus.Quandonseverra,ça
seraavecd’autresamis.Onseraensemble,maisiln’yaurariendesérieux.—C’estunedécisiontrèsintelligente.—Tu trouves?Je faisdemonmieux.J’aibeaucouppenséàceque tum’asdit.Tusais,surnos
parentsetlafaçondontilsagissaient,sansréfléchir.—Maisilfautquandmêmequetut’amuses.Quetusoisuneadolescentenormale.—Jesais,etc’estcequejevaisfaire.Seulement,je…jen’iraipasaussiviteaveclesgarçons.Tu
vois?J’apprends,avectoi.—C’estvrai.MaisDestinysedemandaitsicetteleçonétaitvraimentbénéfique…Parcequ’illuisemblaitqu’elle
étaitalléebien troploindanssaquêted’uneexistenceréfléchieetpondérée.Après tout,savieprivéeétaitloind’êtregéniale…
SonmariageraisonnableavecKipling…nel’étaitplus.Maintenant,ellevoyaitcequesonattitudeavaiteudestupide.Elleétait intelligenteetparfaitementcapabled’éleverseuleunenfant.Ellen’avaitpasl’intentiond’exclureKiplingdesavie,nidel’empêcherdevoirsonbébé.Maisdelààêtremariéeaveclui…
—Ilfautquejeteparledequelquechose,dit-ellebrusquement.—Dequoi?—EssentiellementdeKipling.Starrselaissaallercontreledossierducanapé.—Jemedemandaisunpeucequ’ilsepassait.Iln’habitepluslà.—Ilaappelé,maisjen’aipasvoululuiparler.J’aibesoind’êtreseule.—Parcequ’ilt’ablessée?—Oui,etparcequejesuisperdue.Quandj’avaistonâge…
Elle ne savait pas trop comment elle allait pouvoir expliquer une attitude qui lui semblait assezillogique.
—Quand j’avais ton âge, j’étais décidée à ne pas être commemes parents. Je voulais un foyerstable.Quelque chose de sûr.C’est ce que j’ai trouvé chezmaGrandmaNellmais, quand jeme suisretrouvéeseule, j’ai eupeur.Et si je tombais follementamoureuseetque jememettaisàparcourir lepayspourchanterdansdesbarsdetroisièmeordre,avecunbuspourtoutemaison?
Starréclataderire.—Çaal’airamusant.—Paspourmoi.Celaauraitétéuncauchemar.Elles’arrêtaetcherchalesmotsjustes.ElledevaitsemontrerclairepourStarr.—J’avaistellementpeurdecequejepouvaisdevenirquej’aicommencéàignorerlapersonneque
j’étais réellement. C’était plus sûr,mais je finis par pensermaintenant que ce n’était peut-être pas labonnedécision.
Ellesouritàsasœuretajouta:—Jamaisjenemeseraispermisd’embrasserungarçoncommetul’asfait.J’auraiseutroppeurde
cequisepasserait.J’aifuitantdechoses.—Commetamusique?—Oui.Commemamusique.Elleinspiraprofondémentetlâcha:—Jepensequecequejesuisentraindedire,c’estquejesuisladernièredesratées.—C’estfaux.Tuesmerveilleuse.Tum’aspriseavectoi.—Etj’aibiendelachancequetumesupportes!Tuesmasœur,etjesuistellementcontenteque
nousconstruisionsunevieensemble.—Moiaussi,réponditStarravantdesemordillerlalèvreinférieure.Tunevaspasrestermariée
avecKipling,c’estça?—Jenepensepas.Nousn’attendonspaslamêmechosedelavie.Quandj’aidécouvertquej’étais
enceinte, j’ai paniqué. Ce qui n’était pas trèsmalin dema part.Mais je veux quandmême que nousrestionsàFool’sGoldetquenousformionsunefamille.Justetoietmoi.
—Etlebébé.Jet’aiderai.Jepeuxfairepleindetrucs,àlamaison.—Maisj’espèrebien!Starréclataderire.—Onvaacheterunemaison,poursuivitDestiny.Onlachoisiraensemble.MaispascelleoùKiplingetelleavaientfaitl’amour.C’étaitlàdessouvenirsqu’ellevoulaitéviter.—Est-cequetuvasprendreunautreemploi?demandaStarr.Tupeuxtravailler,avecunbébé?C’était une excellente question. Il leur faudrait un revenu. Elle ne doutait pas que Kipling
proposerait de verser une pension alimentaire,mais c’était de l’argent qu’elle voulaitmettre de côté.Entre-temps,elleseraitparfaitementcapabledegagnersavie.
—L’agentdemamanm’atoujoursditqu’ilvoulaitmefaireécriredeschansons,murmura-t-elle.Jevaisl’appelerpourvoirs’ilestencored’accord.Etd’ailleurs,jepensaisregarderleschansonsquej’aidéjàécrites,aprèsdîner.Tuvoudrasm’aider?
Starrouvritdegrandsyeux.—Tuveuxrire?J’adoreraisça!—Parfait!Alors,allonsvoircequiestentraindedécongelerdansleréfrigérateur.Ellesselevèrentetpassèrentdanslacuisine,maisl’espritdeDestinyétaitailleurs.Ellenepensait
qu’auxcarnetsqu’elleavaitrangésdansuneboîte,danssapenderie.Descarnetsremplisdedouzainesdechansonsqu’elleavaitécritesaufildesannées.Certainesd’entreellesferaientdetrèsbeauxduos.LeslabelspourraientfortbienêtreintéressésparundisquechantépardeuxdesfillesdeJimmyDonMills.
Elle ne voulait pas partir en tournée, ni donner des concerts, mais peut-être qu’elle pouvaitenregistrerunalbumenstudio.
—Qu’est-cequ’ilyadesidrôle?demandaStarr.Tusouris.—Vraiment?Jemedisaisjustequelavieaquelquechosed’ironique.J’aipassédesannéesàfuir
lafemmequej’étaisvraiment,pourdécouvrirquec’estprécisémentcellequej’aibesoind’être.
***
Pour une femme qui tenait une affaire en plein centre-ville, Jo Torelli était bien difficile àdébusquer. Kipling s’était rendu trois fois à son bar et lui avait laissé plusieursmessages, vocaux etécrits,mais il n’était pas encoreparvenuà établiruncontact avecelle.Onauraitdit qu’elle l’évitait.C’étaittrèsàlamode,cesjours-ci.Destinyl’évitait,elleaussi.
Cen’étaitpasainsiqu’ilavaitprévudepasser lesdeuxpremièressemainesdesonmariage!Lapremièrenuitavaitététellementprometteuse,pensa-t-ilsombrement.Maiscequ’iltrouvaitencoreplusexcitant que l’alchimie physique qui se produisait entre eux, c’était le plaisir qu’ils prenaient à êtreensemble.Lui,dumoins,avaittoujoursappréciélacompagniedeDestiny.Maisàenjugerparlafaçondontellel’évitait,ceplaisirn’étaitpasréciproque.
Cequ’ilnecomprenaitpas,c’étaitcommenttoutavaitpuchangeraussirapidement.Ilss’étaientjuréfidélité jusqu’à ce que la mort les sépare et, l’instant d’après, il ne pouvait même pas la joindre autéléphone!
Ilsavaitprécisémentàquelmomenttoutavaitchangéentreeux:justeaprèsl’incidentavecStarretCarter.Ildevaitabsolumentlavoir.Ilsavaientunproblèmeàrésoudre,etcen’estpasenjouantàcache-cachequ’ilslerésoudraient.
Il traversa le centre-ville, où le festival du 4 Juillet battait son plein. Exposants, artisans etmusiciensavaientinvestileparc.Plustard,ilyauraitundéfilé,etunfeud’artifice.Entempsnormal,ilaimaits’arrêteretregardercegenredespectacle,maispasaujourd’hui.Aujourd’hui,ilfallaitqu’ilvoieDestiny,etqu’ilcomprennepourquoiilsesentaitcomplètementdéboussolé.
LaManCaveétaitunepartieduproblème.S’ilnepouvaitpasarrondirlesanglesavecJoetquesesex-associés ne revenaient pas, le bar coulerait. Nick lui avait montré les comptes, et il avaitimmédiatementcomprisquesilebarpouvaitfonctionnercahin-cahapendantquelquesmois,lafinétaitinévitable.Sanslesoutiendeslocaux,ilsétaientcondamnés.
Maiscen’étaitpastantl’échecdesonentreprisequiletaraudaitquelasignificationdecetéchec.EncréantlaManCave,ilavaitsurtoutcherchéàs’intégreràlacommunauté.Aluirendrecequ’elleluioffrait,àsamanière.Etils’étaitplantédanslesgrandeslargeurs.Safiertéenavaitprisuncoup.
Ils’arrêtaetsetournaversleparc.Iln’étaitpasencoremidi,maisilyavaitdéjàfoule.Lesoleilbrillaitdansuncield’unbleuéclatant.
A peine plus d’un an plus tôt, il skiait sur unemontagne de Nouvelle-Zélande et se préparait àcommencerunentraînementpoussé…Ilsortait toutjustedesavictoireauxjeuxOlympiques,etriennipersonnenepouvaitl’arrêter.C’étaitdumoinscequ’ilpensait,àl’époque.
Aprèsl’accident,ils’étaitmoinsinquiétédelafindesacarrièrequedesavoirs’ilremarcherait.Et,unbeaujour,Marshaétaitapparueàsonchevet,commesortiedenullepart.Elleluiavaitoffertuntravailetpromisdes’occuperdeShelby.
Il se rappelait encore de son scepticisme. Il se rappelait aussi lui avoir promis qu’il la suivraitjusqu’enenfersielleprotégeaitsasœur.Etilsesouvenaitmotpourmotdesaréponse:«Vousn’avezpasàtraversercetteépreuvetoutseul,Kipling.Etvousn’avezpasbesoind’allerjusqu’enenfernonplus.VenezseulementàFool’sGoldquandvouslepourrez.Nousvousattendrons.»
Et elle avait tenuparole.Maintenant, il savait queFordHendrix etAngelWhittaker avaient prisl’avionpourleColoradolemêmejour.IlsavaientramenéShelbyàFool’sGold.Kiplingl’avaitrejointedèsqu’ill’avaitpu.Et,enjanvier,ilavaitacceptélepostededirecteurduprogrammeHERO.
Quandils’étaitrenducomptequeleshommesn’avaientaucunendroitoùseréunirdanscetteville,l’idée d’ouvrir laMan Cave lui était venue. Il avait trouvé plusieurs associés et, tous ensemble, ilsavaientengagéNick.
Ilavaitététellementsûrdefairecequ’ilfallait.Tellementsûrderésoudreunproblème.Ilauraitaimé dire qu’en épousantDestiny, il n’avait cherché qu’à régler un autre problème,mais c’était faux.Parcequ’elleétaitplusimportanteàsesyeuxquetouslesproblèmesdumonde.
Iltournaledosauparcetparcourutlesquelquescentainesdemètresquileséparaientdechezelle.Quandlaportes’ouvritetqu’elleapparutdevantlui,soncorpstoutentiersedétendit.Etreavecelleétaitnaturel,juste.
—Salut,dit-ilensouriant.Jevoulaisvoircommenttuallais.—Jesuisheureusequetusoispassé.ElleportaitunshortenjeanetunT-shirt.Sescheveuxétaientattachésenqueue-de-cheval,etelle
étaitpiedsnus.Riend’ouvertementsexy,maiselleluifaisaitdel’effet.Ilavaitenviedel’attirercontreluietdel’embrasser.Ilavaitenviedeluifairetoutessortesd’autres
choses,biensûr,maissurtoutdelatenirdanssesbras.Ellelefitentrer,etilss’installèrentsurlecanapé.Elleavaitbonnemine.Ellesemblaitpeut-êtreun
peufatiguée,maisentièrementelle-même.Ilbaissalesyeuxversl’anneaud’ortoutsimplequ’elleportaitàl’annulaire.Ilsemblaitbienseul.Il
voulaityajouterunejoliebaguedefiançailles.Undiamantétincelant.—Tum’asmanqué,dit-il.Toutsepassebien,avecStarr?—On s’entend bien, ça va. En cemoment, on fait un tri dans les chansons que j’ai composées.
L’agentdemamanvavenirlasemaineprochainepourparlerdemusique.—Tantmieuxpourtoi.Tuasbientropdetalentpourlerenier.Commenttutesens?—Bien.J’airendez-vousavecungynécologuelasemaineprochaine.—AvecleDrGalloway?Pourvuqu’ellerépondeparlanégative!—Commentlesais-tu?Ilhaussalesépaules.—Jel’airencontrée.Nulbesoinderapporterlaconversationétrangequ’ilavaiteueavecleDrGalloway.—Est-cequejepourraiveniravectoi?demanda-t-il.—Biensûr.Jeveuxquetuvivesmagrossesseàmescôtés,autantquetulevoudras.Soudain,l’incongruitédelasituationlefrappa.Ilsétaientmariés.Ilsauraientdûmarcher,enlacés,
vers la chambrepour faire l’amour.Avoir une conversation facile et naturelle, au lieud’échangerdesinformationsdecettefaçonguindée.C’étaitDestinyquiétaitassiseàcôtédelui.Safemme.Ilsavaientfaitl’amourplusieursfois.Etpourtant,àcetinstant,ilavaitl’impressionqu’ilsétaientdesétrangersl’unpourl’autre.
—Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-il. Tu voulais du temps, et je t’en ai laissé. Est-ce quej’auraisdûplusinsisterpourteparler?
—Non.Tuasfaitcequ’ilfallait.J’aibeaucoupréfléchiàtoutça,etje…Kipling,jet’aime.Sonpremierréflexefutdesauterenl’airetdehurlerlabonnenouvelleaussifortqu’illepourrait.
Destiny l’aimait. Destiny, qui était si douce, si amusante, tellement sexy et toujours pleine dedétermination.Sasecondepenséefutquesiellel’aimait,elleauraitbesoindebienplusquecequ’ilavait
àluioffrir.Ilavaitétéincapabledeprotégersapropresœurdescoupsdepoingdesonpère.Commentpouvait-ilprotégerquelqu’und’autre?Etsurtoutelle?
—Jesais.Jenem’yattendaispas,moinonplus,poursuivit-ellesuruntonsarcastique.Vraimentpas.J’aitoujoursessayéd’abordertouteslessituationsquejerencontraisdefaçoncalmeetrationnelle,maiscen’estpasmavraienature.Jen’aipasderéponseàapporteràlagrandequestionsurl’importancerespectivedel’innéetdel’acquis,maiscequejesais,c’estquejenepeuxplusfairesemblant.Jepeuxdevenirunpeucinglée,detempsentemps.Peut-êtrequejenejettepasd’assiettesàlafigure,maisjenesuispasaussirationnellequetulepenses.Jeressensleschoses.Jelesressensprofondément.Etjeneveuxpluslenier.
—J’aimesavoirqueturessensleschoses.Ellesourit.— Parfait ! Parce que nous allons avoir un bébé ensemble, et que nous avons beaucoup de
problèmesàrésoudre.Ilpritsesmainsdanslessiennes.—C’estcequejeveux.Jeveuxquenousformionsunefamille,Destiny.Quandj’aiprononcémes
vœux,j’étaissincère.Jesuislàpourunbonboutdetemps.LesouriredeDestinys’estompa.— Je te crois,murmura-t-elle. Parce quema grossesse n’est pour toi qu’un problème de plus à
résoudre.Iltressaillit.Ellenecomprenaitpas?—Ilyaplusqueça,Destiny.—Jenepensepas,non.Tunem’aimespas.Cen’estpasgrave.Riennet’obligeàm’aimer.Jesais
quetum’aimesbienetquenoussommesamis,etj’aivucommenttuveillaissurtasœur.Tuserasunbonpère. Comme je viens de te le dire, je veux que tu puisses partager ma grossesse autant que tu lesouhaiteras.Jenet’excluraijamaisdemavie,maisjeneveuxpasêtremariéeavectoi.Pascommeça.Jen’aipasbesoinquel’onsoignemesbobos.J’aibesoinquel’onm’aime,ettoi…soittunelepeuxpas,soittuneleveuxpas.
Ellepressadoucementsesdoigtsavantdelesrelâcher.—Kipling,jeveuxdivorcer.
19
—Çava?demandaCassidy.«Non!Jesuisenceinte,entraindedivorcer,responsabledemasœuradolescenteetjedémissionne
dansquinzejours!»Destinyseforçaàrespirerunboncoupetàsourire.Levieuxdicton«Faiscommesienattendantdepouvoirfairecommeça»n’avaitjamaissembléplusapproprié.
—Çava,oui.Prêteàaffronterlamontagne.Cassidyetelles’apprêtaientàallercartographierlesdernièreszonesdelagrillequinel’avaient
pas été. Elles avaient déjà divisé la carte en plusieurs parties, dont chacune devait pouvoir êtrecomplétéeenmoinsd’unejournée.Sitoutsepassaitbien,ellesenauraientfiniàlafindelasemaine.
C’était le samedi duweek-end du 4 Juillet,mais elle n’avait aucune raison de ne pas travailler.Starr passait la journée avec des amis, et elle n’avait aucune envie de rester seule à lamaison à setournerlespouces.Cartographiercesdernièreszonesétaitunexcellentmoyendesedistraire.
—Contacte-moi par radio toutes les deuxheures, ditCassidy en prenant son sac à dos. Je feraipareil.Sil’unedenousdeuxvenaitàseperdre,ceseraitunevéritablehumiliation,ajouta-t-elleenriant.
Destinyluiréponditd’unsourireetpritsesaffairespoursortir.Quelquesminutesplustard,elleétaitauvolantdesavoitureetsedirigeaitverslasortiedelaville.
Cetravailtombaitpileaubonmoment.Avectoutcequ’ilsepassaitdanssaviecestemps-ci,elleavaitbienbesoindequelquesheuresseuledans lanaturepours’éclaircir les idées.Ellepouvait rentrer lesdonnéesdansleprogrammeetpleurerunboncoupenmêmetemps.Parcequ’elleallaitpleurer,c’étaitinévitable.
Ellepouvaitaccepter l’amourqu’elleportaitàKipling.Ellepouvaitaccepterque lesentimentnesoit pas réciproque. Elle posait sur l’ensemble de la situation un regard parfaitement rationnel. Leproblème,c’étaitquetoutecettehistoirel’avaitanéantie.
Avant de lui dire qu’elle voulait divorcer, elle ne s’était pas rendu compte à quel point ellesouhaitait qu’il soit secrètement amoureux d’elle, lui aussi. Elle avait espéré qu’il lui avouerait sessentiments, et qu’ils vivraient heureux jusqu’à la fin de leurs jours.Mais ce n’était pas ainsi que lesévénements s’étaient déroulés. Elle avait dit qu’elle voulait divorcer.Kipling avait hoché la tête, uneseulefois,promisdecontactersonavocat,etilétaitparti.Sanslamoindretentativedediscussion,sanslemoindresoupçond’émotion.Rien.
Même si elle savait que ce mariage était une erreur qu’elle devait rectifier, elle ne pouvaits’empêcher de regretter que les choses ne se soient pas terminées autrement.Après toutes ces annéespasséesàfuirlessentimentstropintenses,elleavaitfinipartomberamoureuse…etn’avaitréussiqu’àsecasserlafigureémotionnellement.Tuparlesd’uncomportementrationnel!
Ellequitta l’autoroute, segara surune airede repos et consulta sa carte.Quandelle fut certained’êtrebienlàoùelledevaitêtre,elledescenditdevoiture,ajustasonsacàdos,allumasonsystèmeGPSetquelquesautresinstruments,etsedirigeaverslaforêt.
Le tempsfiniraitparguérir sesblessures.Elleavaitune famillemerveilleuse,etelleattendaitunbébé.Bientôt,elleappellerait samèrepour luiannoncerquesonvœud’avoirunpetit-enfantavaitétéexaucé. Ceweek-end, avec l’aide de Starr, elle continuerait à faire le tri dans ses chansons pour enchoisir une vingtaine, qu’elle interpréterait devant l’agent de sa mère. Et ensuite, elle achèterait unemaisonetsaviesuivraitsoncours.
Elleétaitentouréedegensquitenaientàelle.Elleavaitdesamis,quiluiapportaienténormémentdesoutien. La seule chose qui luimanquait, c’était l’amour de l’homme qui avait gagné son cœur. Celafaisaitmal,maisellesurvivrait.
Pendantdesannées,GrandmaNellavaitété l’étalonauquelellemesuraitsesactes.Est-cequesagrand-mère aurait agi ainsi ? Est-ce qu’elle aurait été fière de la décision de sa petite-fille ? Maisaujourd’hui,mêmesil’amourqu’elleavaitportéàsagrand-mèreétaitdemeuréintact,ellesavaitqu’elledevait changer sa façon de penser. L’important n’était plus que Grandma Nell soit fière d’elle.Maintenant,c’étaitellequidevaitressentirounoncettefierté.
***
L’arbredanslequelilavaitfoncéàcentvingtàl’heureluiavaitbriséplusd’osqueDestinyquandellel’avaitquitté,seditKiplingavecuneironieamère.Maislaperspectivedenepluslavoirétaitbienplus douloureuse que l’accident. Il ne savait toujours pas quoi faire de l’information qu’elle lui avaitlancéeauvisageavantdeluiannoncerqu’ellevoulaitlequitter.
Ellel’aimait,etellelequittait.Justecommeça.«Jet’aime.Jeveuxdivorcer.»Onauraitditlafind’unmauvaisfilm,unfilmtellementnulqu’ilendevenaitdrôle.Maisquinelefaisaitpasrire.Pasriredutout.D’ailleurs,ilnedormaitpasnonplus,etilavaitperdul’appétit.Etc’étaitàpeines’ilpouvaitcontinueràrespirer.
Ça faisaitmal. Trèsmal.Rien dans sa vie ne lui avait jamais fait aussimal. Et dire qu’il avaittoujours été convaincu que lesmots n’avaient aucune importance, que seuls les actes comptaient ! Enquelquesmots,Destinyluiavaitarrachélecœur.Oui,lesmotspouvaienttuer.
Ilfallaitqu’illuiparle!Ilsortitdechezlui,maiss’arrêtanetsurleseuiletrevintsursespas.Quepouvait-illuidirepourla
convaincredenepasdivorcer?Ilvoulaitqu’ilsrestentmarietfemme.Ilvoulaitvivreavecelleetavoircetenfantavecelle.Ilpensaitpourtantluiavoirsuffisammentmontrécombieniltenaitàelle.Ilavaitétélàpourelle,s’étaitoccupéd’elle.
Il y avait forcément une solution à ce problème.Mais quelle qu’elle soit, elle lui échappait. Enesprit, ilavaitpassédifférentsscénariosen revue. Ilavaitécritdes lettres, sansenenvoyeraucune. Ilavaitmêmeenvisagédelouerunpanneaupublicitaire,maisqu’aurait-ilpuyafficher?
«Nemequittepas»étaitbanal.«Nedivorçonspas»,troptordu.Cequ’ilnecomprenaitpas,c’étaitcequiavaitchangéentreeux.Sielle l’aimaitmaintenant,elle
l’aimaitsansdoutedepuisunmoment.Alors,pourquoinevoulait-ellepasresteraveclui?Onfrappaàsaporte.Ilseprécipita,espérantvoirDestiny.Cen’étaitqueShelby.Sasœurmitlesmainssurseshanchesetsecoualatête.—Franchement,Kip,tupourraisaumoinsessayerdemasquertadéception.—Désolé,marmonna-t-il.—TuespéraisvoirDestiny?
Ilhochalatêteets’effaçapourlalaisserentrer.—Qu’est-cequ’ilsepasse?demanda-t-il.—J’airéfléchi.—Aquoi?— A ce que tu m’as dit l’autre jour, sur la pâtisserie et sur nous deux. Tu es un grand frère
merveilleux,etjet’aime.Commeilvoyaitbienqu’elleavaitautrechoseàannoncer,ilattendit.—Etjesuisdésolée,ajouta-t-elle.—Aquelsujet?— Je t’ai envoyé desmessages contradictoires. Je viens te demander conseil et, quand tum’en
donnesun,jemefâchecontretoi.Jeveuxquetuviennesàmonsecours,maisjustedetempsentemps.Déjàquetoutcelan’estpastrèsclairpourmoi,çadoitl’êtreencoremoinspourtoi.
Ilesquissaunrapidesourire.—D’accord.Alors,oùest-cequ’onenest?—J’aimeraist’emprunterl’argentdontj’aibesoin,maisceneseraqu’unprêt.Jeterembourserai,
aveclesintérêts.—Etsijeneveuxplusteprêtercetargent?Elleéclataderireavantdel’embrasser.—Tuesunpetitrigolo!—Toutlemonden’estpasdecetavis.—C’estparcequ’ilsneteconnaissentpasassezbien.Destinyleconnaissait.Dumoinsillecroyait…Shelbyledévisageauninstantavantdedemander:—Tuveuxenparler?—Iln’yarien.Toutvabien.—Alors,pourquoiest-cequetuvisencoreiciaulieud’habiteravecDestiny?Evidemment…—C’estcompliqué,marmonna-t-il.Elleest…Fâchée?Déçue?Blessée?—…bouleversée.— Est-ce que tu as essayé de trop bien arranger les choses ? Tu es comme ça, Kipling. Tes
intentionssontbonnes,maisparfois,lesgensveulentêtreplusqu’unprojetpourtoi.—Jenevoispaslesgenscommedesprojets!protesta-t-il.Ellehaussalessourcilsetneréponditpas.—Bon.Parfois,si,reconnut-ilàcontrecœur.— Assez en tout cas pour que nous ayons du mal à savoir avec certitude si nous avons de
l’importanceàtesyeuxoupas.Regarde.Mêmemoi,quisuistasœur,jemedemandeparfoissituveuxsincèrementm’aider,ouseulementrésoudreunproblèmedeplus.
Et si c’était pour ça que tout était allé de travers avec Destiny ? S’il ne lui avait pas assezclairementfaitcomprendrequ’iltenaitàelle?Qu’il…l’aimait?
—Est-cequecequejefaisn’apasplusd’importancequecequejedis?demanda-t-il.—Pastoujours,réponditShelbyenleserrantdanssesbras.Tuesvraimentuntypebien,Kipling.Si
Destinynelevoitpasmaintenant,donne-luiunpeudetemps.Tuasraisondeteniràelle.—Merci.Pourtant, il savait qu’il devait bien avoir tort sur quelque chose, puisqueDestiny ne voulait pas
restermariéeaveclui.—Ettoi?Çava?
—Ça va. Je suis sortie avecMiles pendant un temps. Ça n’a pas duré, ça a été horrible,maismaintenant,j’aiofficiellementtournélapage.
—Quoi?Miles,lepilote?C’estunCasanova.«Etd’icipeu,ceseraitunCasanovamort»,pensa-t-ilsombrement.—Merci,jel’aibienvu,réponditShelbydansunsoupir.Maissurtout,necherchepasàréglerle
problème.Jemesuislaisséprendreàsoncharme,jem’ensuismordulesdoigts,etj’airetenulaleçon.Jem’enremettrai.
—Tuesmasœur,et…— Je suis sérieuse, Kipling. Il faut que je trouve seule la solution. Ne t’occupe pas dema vie
privée,d’accord?Ilhochalentementlatête.—D’accord.Tuviensmevoirpourmedemanderdel’argent,maistuneveuxpasdemesconseils.Elleluidécochaunsourirenarquois.—Tuastoutcompris!
***
Pasdechance:onétaitenpleinweek-end,lestouristesaffluaientàFool’sGold,maispersonneneseperdait.Alors,commeilnesavaitpasquoifaired’autre,Kiplingdécidad’allerfaireuntourenville.
Danslecentre,l’odeurdelaviandeaubarbecuesemêlaitàcelledesbeignets.Ilsaluad’unsignede tête les personnes qu’il connaissait, s’écarta du chemin de quelques petits enfants à la démarchechancelante,etsauvaunballondebaudruchequimanquaits’envoler.
Ilauraitdûsesentirmieux.Ilfaisaitpartiedecetteville—denombreusespersonneslesaluaient.Maiscen’étaitpaslecas.
Destinyluimanquait.Sanselle,ilsemblaitincapabledemettresesidéesenordre,dedormiretdecomprendrecequ’ilsepassaitautourdelui.Ilauraitpuallerlavoir.IlsavaitqueCassidyetelleétaientpartiescartographierlesdernièreszonesdemontagne.Ilauraitpul’accompagner.Etaprès?
Iltraversalarueetsedirigeaversleparc,oùungroupeseproduisaitsurlascène.Lamusiqueluirappela Destiny, le soir où elle avait chanté à la Man Cave, et il revit la façon dont elle s’étaitentièrementperduedanslachanson.
Elleétait incroyable.Forte,etpleinedetalent.Belle.Elleavaitaffirmél’aimer,avantdeluidirequ’ellevoulaitdivorcer.Quedevait-ilpenserdetoutça?
Lavérité,c’étaitqu’ilvoulaitqu’ellerevienne.Elleluimanquait,et…Derrièrelui,desadolescentséclatèrentderire.IlseretournaetvitqueCarterfaisaitpartiedupetit
groupe.Ils’approchadugarçonqui,enlevoyant,seredressa.—Salut,Carter.Jevoulaism’excuserpourl’autrejour.Jen’approuvepasquetuembrassesStarr,
maisjecomprendspourquoitul’asfait.LesfemmesdelafamilleMillssontassezirrésistibles.Ilhaussauneépauleetconclut:—Quandjet’aiengueulé,celan’apasvraimentétémonheuredegloire.Cartersourit.—Pasgrave.Mamèrem’atoutexpliquésurlemâlealphaduclanetsesinstinctsprotecteurs.Peut-
êtrequevousn’ycomprenezrien,maiselleparletoujourscommeça.Elleestvachementintelligente,etellearaison.Starrestpresquecommevotrefille.Vousdevezlaprotéger.Jesuiscontentquequelqu’unsoitlàpourveillersurelle,voussavez.Parcequeçan’apastoujoursétélecas.
Kiplingledévisageauninstant,surprisparcediscours.—Tun’espasunidiot,reconnut-il.
—Merci!Vousnonplus.Kiplingneputs’empêcherderire.—Non.Cequejeveuxdire,c’estquetuesunbongarçon.—Jel’aitoujoursété,m’sieur.Est-cequeçaveutdirequejepeux…—Non ! répondit fermementKipling.Mes instincts protecteurs demâle alphademeurent intacts.
Maismaintenant,j’aiplusderespectpourlechoixdeStarr.—Jesupposequec’estuncompliment,doncmerci.—Derien.Carterrejoignitsesamis,tandisqueKiplingregardaittoutautourdeluienessayantdedéciderdece
qu’ilallaitfairemaintenant.Soudain,unefemmebrunesematérialisadevantlui.—Onm’aditquevousmecherchiez?lança-t-elle.Elleapprochaitdelaquarantaine.Ellesemblaitenpleineforme,etsesgestesétaientempreintsde
justecequ’ilfallaitdedésinvolturepourqu’unhommecomprennequ’elleétaitparfaitementcapabledesedébrouillertouteseule.
Maisquiétait-elle?Iln’enavaitpaslamoindreidée.—Madame?Ellehaussalessourcils.— Ce n’est pas une très bonne entrée en matière, Kipling. J’ai entendu dire que vous étiez un
charmeur.Nemedécevezpas.Elle laissa passer quelques secondes, sans doute pour qu’il trouve une réponse intelligente— à
défaut,uneparade—,mais,commeriennevenait…—JesuisJoTorelli.DuJo’sBar.—Vous!s’exclama-t-il.Cen’estpastroptôt!Voilàdesjoursquej’essaiedevouscontacter.Vous
nerépondezpasquand jevousappelle,etvousnemerappelezpas.Etvousn’êtes jamais làquand jepasse.
Ellesemblaplusamuséequegênée.—Qu’est-cequevousvoulezquejevousdise?répliqua-t-elleJesuisinsaisissable.—Acausedevous,monaffaireestentraindecouler.—Jevousretournelecompliment.Ilssedévisagèrentpendantquelquesinstants.KiplingsesouvintalorsqueJovivaitdanscetteville
depuispluslongtempsquelui.—Jesuiscertainquenouspouvonstrouverunesolutionàceproblème.—C’estvrai. J’aientendudirequevousadoriez résoudre lesproblèmes.Alors…résolvezdonc
celui-là.Danscetteville,nousveillonstouslesunssurlesautres.Vousauriezdûvenirdiscuteravecmoiavantd’ouvrirunbarquiferaitdirectementconcurrenceaumien.Maisvousnel’avezpasfait.Vousn’enavezdiscutéavecpersonne.Vousavezdébarquéenvilleetvousavezmontévotreaffairesanspenseràquiquecesoitd’autre.
—Hé,uneminute !Celane s’estpaspassécommeça.Lesgars icin’avaientnullepartoùallerprendreunverre.Votrebarviseuneclientèledefemmes.
Ellerelevalementon.—Etdites-moicequ’ilyademalàça?—Euh…rien.Lesfemmesdoiventavoirunbaroùellessesententàl’aise.Maisleshommesaussi.
Jeleurenaifourniun,riendeplus.Maisjen’aipaspenséàvenirvousenparler.Jenesuispasd’ici.—Cen’estpasuneexcusevalable.Voussavez,vousdevriezapprendreà teniruneconversation.
Lesmotsontleurimportance.Il commençait à s’en rendre compte… Il venait de voir combien ils en avaient pour Carter et,
maintenant,ilvoyaitcombienilsenavaientpourJo.Donc…ilsenavaientaussisansdoutepourDestiny.
Quandelleluiavaitditqu’ellel’aimait,queluiavait-ilrépondu?Riendutout.—Jem’excusedenepasêtrevenuvousvoir avantd’entreprendrequoiquece soit, reconnut-il.
J’auraisdûlefaire.Pourcequeçavaut,vousavezgagné.Mesassociéssesontretirés,etNickditquel’argentdestouristesnesuffirapasàfairevivrelebar.
Joluijetauncoupd’œilgênéavantd’avouer:—Oui…àcepropos…j’aipeut-êtreunpeutropparlé.Jecherchaisjusteàsemerunpeulazizanie.
Jamaisjen’auraispenséquemesamiesprendraientmesinquiétudesautantausérieux.—Vousvouliezmemeneràlafaillite?—Bonsang,non!J’allais justementvenirvousvoirpourdiscuteravecvous.LeJo’sBar tourne
bien,maisj’enaiassezdetravaillerseizeheuresparjour.J’aiunmariàlamaison,etj’aimeraispouvoirpasserplusdetempsaveclui.Jevaisrappelerlameutedecesdames.Vosassociésreviendront,laqueueentre les jambes. Désormais, le Jo’s Bar n’ouvrira plus que cinq jours par semaine, et fermera à19heures.Lessoiréesseronttoutesàvous.
L’affaireétaitdoncréglée?Commeça?Fool’sGoldétaitvraimentunevilleétrange.Joluitenditlamain,etils’empressadelaserrer.—Rappelez-moideneplusjamaism’opposeràvous,dit-il.—Vousaveztoutcompris.Etmaintenant,prévenezNickqu’ilyaurafouleàlaManCave,cesoir.
Jevaispasserquelquescoupsdefil.
***
Destinytraversauncoursd’eaupeuprofondet,unefoisdel’autrecôté,s’assuraquelesignalGPSétaitencorepuissant.Mêmesielleaimaitpasserunejournéeàmarcherenmontagne,ellenevoulaitpasavoiràrevenirsursespas.
Elle s’arrêta pour boire un peu d’eau. Les grands arbres offraient une ombre généreuse etconservaientl’airàunetempératureagréable,maisellemarchaitdepuisdéjàtroisheuresetcommençaitàêtreunpeufatiguée.
Elleavaitperdu laforme,songea-t-elleenrepartant.Ellenefaisaitplusautantdesportqu’avant.Elleallaitdevoirchangerça.Maintenant,ilfallaitqu’ellesoitenbonnesantépourdeux.Ensouriant,elleseditqu’ilnefallaitsurtoutpasqu’ellepartagecespenséesavecKipling.Avantqu’elleaitseulementfinideparler,illuiauraitdéjàpréparéunprogrammed’entraînementetluiauraittrouvéuncoach!
Sonsouriresedissipaquandellecompritqueriendetoutcelaneseseraitproduitdetoutefaçon,parcequ’ilsn’étaientplusensemble.Depuisqu’elleavaitmisuntermeàleurrelation,ellen’avaitplusaucunenouvelledelui.
Elledevaitreconnaîtrequ’illuimanquait.Illuimanquaitmêmebeaucoup.Maintenant,ilyavaitunvidedanssavie.Etdanssoncœur.UnvidedelatailledeKipling.Tantdechosesluimanquaient…Lesourirequi illuminait sonvisagequandellepénétraitdans lapièceoù il se trouvait, la façonattentivedont il l’écoutaitavantde luidonnerunconseil,qu’elle leveuilleounon.Elleaimaitaussi la facilitéaveclaquelleils’étaithabituéàvivrecommeunsimplemortelaprèsavoirpassédesannéesdanslapeaud’undieuduski.
C’était un homme bon, pensa-t-elle avec nostalgie. Amusant, charmeur, attentionné. Au lieu dedevenirfouderageendécouvrantqu’elleétaitvierge,ilavaitvoululuiapprendreàapprécierlesexe.Ilétaittendre,etonpouvaitcomptersurlui.Siseulementill’avaitaimée…Parceques’ilnel’aimaitpas,siellenepouvaitpas…
Elles’arrêtanet,etfutprised’unlégervertige.Voilà qu’elle recommençait. Une fois de plus, elle fuyait quelque chose— comme elle l’avait
toujoursfait.Quandelleétaitplusjeune,elleavaitfuisesparents,leursémotionsetleurspassions,renié
letalentqu’ilsluiavaientlégué.Elleavaitconstruitdesmursderrièrelesquelselles’étaitcachée,etellecontinuaitàlefaire.Encetinstantmême.
Commentpouvait-elleêtrecertainequeKiplingne l’aimaitpas?Ellene luiavait jamaisposé laquestion,etelleneluiavaitjamaislaisséaucunechancedeparler,des’expliquer,oumêmederéfléchir.Ilsn’avaient jamaisdiscutéde leurcouple, jamaischerchéàdéterminercequ’ilsenattendaient,oucequ’ilsdevaientfairepourqueleurrelationfonctionne.Elleluiavaitditqu’ellevoulaitdivorcer,etc’étaittout.
Courirpourfuirquelquechoseétaitbiendifférentdecourirpourgagnerquelquechose.Elleavaitpassé une si grande partie de sa vie à réfléchir à ce qu’elle ne voulait pas qu’elle avait oublié dedéterminer ce qui était important à ses yeux. Elle était tellement inquiète à l’idée d’êtremalheureusequ’elle n’avait jamais pris la peine de chercher ce qui pourrait la rendre heureuse. Ce qui… ou lapersonnequi.
ElleaimaitKipling.Elleenétaitcertaine.Maislui,l’aimait-il?Peut-êtrequec’étaitlemomentdeluiposerlaquestion.
—Qu’est-cequej’aifait?Laseuleréponsequ’elleobtintfutlebourdonnementdesinsectesetlecrid’unfaucon.
***
Celafaisaitdessièclesqueleshommesperdaientlatêtepourdesfemmes,pensaKipling.Iln’étaitquel’und’eux.Ets’ildevaitperdreDestiny,ilallaitlaperdreavecstyle.Enposanttoutsurlatable.
Au cours de l’heure qui venait de s’écouler, cinq de ses ex-associés l’avaient appelé pour luiannoncerqu’ilssouhaitaientfairedenouveaupartiedelaManCave.IlavaitégalementreçuuntextodeNick qui l’informait qu’il s’attendait à ce que le bar soit plein à craquer. Felicia, lamère deCarter,l’avaitcroiséetembrassé,etluiavaitditqu’elleétaitraviequ’ilaitdonnéàCarterunexempleducyclecompletselonlequelsedéroulaitunéchangeentrehommes:lemalentendu,lesmenaces,lesexcusesetlarésolutionduconflit.Ilavaitbienessayédeluiexpliquerquetellesn’avaientpasétésesintentions,maiselleavaitbalayésesremarquesd’ungeste.
Unefoisseul,ilétaitrestédeboutaumilieudelafouledesfestivaliers,avecuneseuleidéeentête:racontertoutel’histoireàDestiny,lapartageravecelle.
Mais cequ’il voulait surtout, c’était lui parler.D’elle.De lui.D’eux.Parceque lesmots étaientimportants.Lesmots…Onenrevenaittoujoursàcesfichusmots.
L’importancedesactesnefaisaitaucundouteàsesyeux.Aquoiservaitdejurerfidélitéàquelqu’unsic’étaitpourletromperensuite?EtlescoupsquesonpèreavaitinfligésàShelby,n’avaient-ilspaseuplusdesens,plusd’importancequelesfoisoùilavaitditl’aimer?Maispeut-être…oui,peut-êtrequ’ilavait appliqué avec un peu trop de rigueur la leçon qu’il avait apprise. Peut-être qu’il avait troprapidementdédaigné l’importancedesmots.Et si c’était le cas, il avait éventuellementune chancedereconquérirDestiny.
Ilneluifallutquequelquesminutespourrentrerchezluiencourantetattraperlesclésdesajeep,maiscelaluisuffitpourserendrecomptedeplusieursautreschoses.D’abord,cen’étaitpasparcequ’iln’avait jamais été amoureux auparavant qu’il était nécessairement imparfait. Il ne s’était pas retenud’aimerparcequ’ilnevoyaitpasl’utilitédedireàunefemmequ’ill’aimait.Pendanttoutescesannées,ilavaitseulementattendu.Attenduderencontrerlafemmequiluiconviendrait.Laseulefemme.
Destiny avait dit qu’elle l’aimait. Maintenant, tout ce qu’il voulait, c’était le lui dire aussi. Etensuitelaconvaincredelasincéritédesesparoles.
Destiny l’aimait, il aimait Destiny, et il était hors de question qu’il la laisse partir. Pas sans sebattre,entoutcas.Ets’ildevaitserendreridicule…tantpis!
IlsortitdelavilleetpassaunrapidecoupdefilàCassidy,quiluiindiqualazoneoùsetrouvaitDestiny.Ilavaitprissonmatérieldepistage,etilmaîtrisaitassezbienlelogicielSTORMS,maintenant,pourpouvoirêtreconsidérécommeunspécialistedelarechercheetdusauvetage.Ilétaitgrandtempsdevoirs’ilméritaitcetitre.
Il arriva bientôt à l’aire de repos et gara sa jeep à côté de la voiture deDestiny. Il alluma sonmatériel et commença à entrer des données dans le programme. Destiny était une randonneuseexpérimentée,partiepouruneexcursiond’unejournée.Ilsavaitquelleétaitlagrillequ’elleavaitprévudecouvrir,maispasdansquellezoneexacteellesetrouvaitencetinstant.
—Tucherchesquelqu’un?IllevalatêteetvitDestinyquisedirigeaitverslui.Ilouvritsaportièreets’avançaverselle, le
cœurbattant.Il y avait tant de choses à dire,mais aucune d’entre elles n’avait lamoindre importance en cet
instant.Ilencadrasonvisagedesesmainsetpritses lèvres.Aussitôt,elle l’enlaçaets’accrochaà luicommesiellenedevaitjamaislerelâcher.
Quandilsseséparèrentpourreprendreleursouffle,ilmurmura:—Jet’aime.—Jen’avaispasledroitdetedirequejevoulaisdivorcer…Quoi?Sesyeuxvertss’agrandirent.—Qu’est-cequetuasdit?—Je t’aime.Alafolie.Etdepuisunmoment.Nousn’allonspasdivorcersansendiscuteravant,
Destiny.Etaprèscettediscussion,jetejurequejet’auraiconvaincuederesteravecmoipourtoujours.— J’aime les hommes qui savent ce qu’ils vont faire, dit-elle, les lèvres un peu tremblantes.Tu
m’aimes?Tum’aimesvraiment?—Oui.Etdugenred’amourquidure toujours, affirma-t-il avantde l’embrasserdenouveau.Du
genred’amourquiveutdirequejen’irainullepartsanstoi.Alors…ilvafalloirquetut’habituesàmevoiràtescôtés.
Illaserracontreluiets’enivraduparfumdesescheveux.Elleluiavaittellementmanqué…—Epouse-moi,chuchota-t-il.Pasparcequetuesenceinteouquec’estcequenousdevonsfaire.
Epouse-moiparceque tunepeuxpas t’imaginerpasseruneseule journéesansmoi.Epouse-moiparcequenoussommesunefamille: toi,moi,Starret lebébé.Epouse-moipourquenouspuissionstoujoursresterensemble.
Elleleregardadroitdanslesyeux.—Jet’aidéjàépousé,Kipling.Illapritdanssesbras,l’installadanssajeepetdémarra.Il ne ressentait pas lamême chose que quand il dévalait unemontagne à cent vingt kilomètres à
l’heure.Cequ’ilressentaitmaintenantétaitmieux.Centfoismieux!—Jevaisécrireunechansonàcesujet,dit-elle.Avecungrandsourire,elleprécisa:—Unefoisquenousauronsfaitl’amour.Ilriaitencorequandilsarrivèrentenville.
***
Sivousavezaiméceroman,
nemanquezpaslasuitedansvotrecollection:
Lacaressed’unbaiser,àparaîtreenavril2016Lefrissondel’amour,àparaîtreenjuin2016
TITREORIGINAL:HOLDME
Traductionfrançaise:DOMINIQUETRUFFANDIER
HARLEQUIN®
estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin
SAGAS®
estunemarquedéposéeparHarlequin.
©2015,SusanMalleryInc.
©2016,Harlequin.
Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:
Couple:©MANDYERSKINE/ARCANGELIMAGES
Réalisationgraphiquecouverture:E.COURTECUISSE(Harlequin)
Tousdroitsréservés.
ISBN978-2-2803-5935-1
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.
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