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Rev Med Liege 2006; 61 : 12 : 812-819 812 Malgré les progrès du siècle des Lumières où Boerhaave et La Mettrie ont extrait la médecine du Moyen-Age, malgré la découverte et la pra- tique de l’antisepsie, le développement de l’anesthésiologie, et en dépit des remarquables rélisations obtenues dans le domaine médical et chirurgical à la fin du XIX ème siècle, nul n’aurait osé penser à s’attaquer au coeur au début du XX ème siècle. Comme l'aurait dit Billroth, figure monumentale de la médecine austro-hongroise, "tout chirurgien qui voudrait opérer le coeur per- drait aussitôt le respect de ses collègues". Com- ment, en effet, imaginer opérer une structure qui est tout le temps mobile et qui, si elle ne l’est plus, entraîne la mort du patient. Les premiers efforts du XX ème siècle ont d’abord été dirigés vers la chirurgie "para-car- diaque ", vers des structures essentielles, certes, mais qui n’exigent pas un arrêt ou une ouverture du coeur. D’abord ce qu’il y a autour du coeur, c’est le péricarde, une poche qui quand elle se rétrécit, peut entraîner des troubles graves et, finalement, le décès. C'est à un chirurgien allemand, Schmieder, que nous devons le premier enlève- ment de ce péricarde, responsable d'une péricar- dite constrictive. Schmieder publia son cas en 1921. Une autre structure para-cardiaque potentiel- lement responsable de bien des ennuis est le canal artériel. Le canal artériel est utile durant la vie du foetus pour faire communiquer l'aorte et l'artère pulmonaire puisque les poumons du foe- tus sont collabés, mais, normalement, quelque temps après la naissance, ce canal artériel se ferme et devient un ligament artériel. Il arrive que ce canal artériel ne se ferme pas; il entraîne alors un détournement du sang de l'aorte vers l'artère pulmonaire, ce qui provoque, à la longue, une diminution de la tolérance à l'effort. C'est le jeune chirurgien américain Gross (Fig. 1) de (1) Professeur, Service de Chirurgie Cardio-vascu- laire, CHU Sart Tilman, Liège. ABREGÉ DES DÉBUTS DE LA CHIRURGIE CARDIAQUE Conférence prononcée le 6 mai 2006, à l’occasion du 30 ème anniversaire de la chirurgie cardiaque à Liège RÉSUMÉ : La chirurgie cardiaque a commencé par s'attaquer aux lésions autour du coeur, c'est-à-dire la ligature du canal artériel persistant (Gross), la correction de la coarctation (Cra- foord); enfin Blalock créa le shunt artério-pulmonaire qui eut un succès universel. La première vraie chirurgie intra-car- diaque est due à Gibbon qui avait mis au point un appareil de circulation extra-corporelle. Lillehei, dans le même temps, avait développé le concept de circulation croisée à partir d'un parent perfuseur. A la moitié des années cinquante, l'activité cardiaque allait croissant dans deux centres, Mayo Clinic à Rochester et Minneapolis. Albert Starr donna un véritable départ à la pro- pagation des prothèses à bille encagée qui portaient son nom. Effler et Favaloro, à la fin des années 60, développèrent le concept de pontage aorto-coronaire. C'est le Russe Kolessov à Leningrad qui réalisa la première implantation d'une mam- maire sur l'interventriculaire antérieure. Hardy fut un innova- teur injustement oublié en matière de transplantation cardiaque; c'est à Barnard d'Afrique du Sud que revint l'hon- neur de réaliser les deux premières greffes cardiaques ayant une survie appréciable. MOTS-CLÉS : Histoire de la chirurgie cardiaque - Interruption du canal artériel – Coarctation – Prothèse à bille encagée – Trans- plantation cardiaque THE BEGINNINGS OF CARDIAC SURGERY SUMMARY : Beginnings of cardiac surgery were primarily pericardiac surgery : persisting ductus ligation (Gross), coarc- tation repair (Crafoord) and Blalock's seminal operation of arterio-pulmonary shunt. The first really open cardiac proce- dure is due to Gibbon who worked up an apparatus capable to assume heart and lungs function. In the same time, Lillehei operated on congenital cardiac lesions in children with the concept of "cross-circulation". For a long time confined in Min- neapolis and Rochester, cardiac surgery spread all over USA. Starr lead the valvular surgery with the use of caged ball pros- thesis (Starr-Edwards); Effler and Favaloro developed coronary surgery; outside USA, the Russian Kolessov used for the first time an internal mammary artery. As far as cardiac transplan- tation is concerned, a debt is due to Hardy, but the merit of the- first successful cardiac transplantation goes to South-African Barnard. KEYWORDS : Cardiac surgery story – Ductus ligation – Coarcta- tion repair – Caged ball prosthesis – Heart transplantation R. LIMET (1) Figure 1 : R.E. Gross

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Page 1: ABREGÉ DES DÉBUTS DE LA CHIRURGIE CARDIAQUE ...ABRÉGÉ DES DÉBUTS DE LA CHIRURGIE CARDIAQUE Rev Med Liege 2006; 61 : 12 : 812-819 813 Boston qui réalisa, en 1938, la première

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Malgré les progrès du siècle des Lumières oùBoerhaave et La Mettrie ont extrait la médecinedu Moyen-Age, malgré la découverte et la pra-tique de l’antisepsie, le développement del’anesthésiologie, et en dépit des remarquablesrélisations obtenues dans le domaine médical etchirurgical à la fin du XIXème siècle, nul n’auraitosé penser à s’attaquer au coeur au début duXXème siècle. Comme l'aurait dit Billroth, figuremonumentale de la médecine austro-hongroise,"tout chirurgien qui voudrait opérer le coeur per-drait aussitôt le respect de ses collègues". Com-ment, en effet, imaginer opérer une structure quiest tout le temps mobile et qui, si elle ne l’estplus, entraîne la mort du patient.

Les premiers efforts du XXème siècle ontd’abord été dirigés vers la chirurgie "para-car-diaque ", vers des structures essentielles, certes,mais qui n’exigent pas un arrêt ou une ouverturedu coeur.

D’abord ce qu’il y a autour du coeur, c’est lepéricarde, une poche qui quand elle se rétrécit,peut entraîner des troubles graves et, finalement,le décès. C'est à un chirurgien allemand,Schmieder, que nous devons le premier enlève-

ment de ce péricarde, responsable d'une péricar-dite constrictive. Schmieder publia son cas en1921.

Une autre structure para-cardiaque potentiel-lement responsable de bien des ennuis est lecanal artériel. Le canal artériel est utile durant lavie du foetus pour faire communiquer l'aorte etl'artère pulmonaire puisque les poumons du foe-tus sont collabés, mais, normalement, quelquetemps après la naissance, ce canal artériel seferme et devient un ligament artériel. Il arriveque ce canal artériel ne se ferme pas; il entraînealors un détournement du sang de l'aorte versl'artère pulmonaire, ce qui provoque, à la longue,une diminution de la tolérance à l'effort. C'est lejeune chirurgien américain Gross (Fig. 1) de

(1) Professeur, Serv ice de Chirurg ie Cardio-vascu-laire, CHU Sart Tilman, Liège.

ABREGÉ DES DÉBUTS DE LA CHIRURGIE CARDIAQUE

Conférence prononcée le 6 mai 2006, à l’occasion du30 ème anniversaire de la chirurgie cardiaque à Liège

RÉSUMÉ : La chirurgie cardiaque a commencé par s'attaqueraux lésions autour du coeur, c'est-à-dire la ligature du canalartériel persistant (Gross), la correction de la coarctation (Cra-foord); enfin Blalock créa le shunt artério-pulmonaire qui eutun succès universel. La première vraie chirurgie intra-car-diaque est due à Gibbon qui avait mis au point un appareil decirculation extra-corporelle. Lillehei, dans le même temps, avaitdéveloppé le concept de circulation croisée à partir d'un parentperfuseur. A la moitié des années cinquante, l'activité cardiaqueallait croissant dans deux centres, Mayo Clinic à Rochester etMinneapolis. Albert Starr donna un véritable départ à la pro-pagation des prothèses à bille encagée qui portaient son nom.Effler et Favaloro, à la fin des années 60, développèrent leconcept de pontage aorto-coronaire. C'est le Russe Kolessov àLeningrad qui réalisa la première implantation d'une mam-maire sur l'interventriculaire antérieure. Hardy fut un innova-teur injustement oublié en matière de transplantationcardiaque; c'est à Barnard d'Afrique du Sud que revint l'hon-neur de réaliser les deux premières greffes cardiaques ayantune survie appréciable.MOTS-CLÉS : Histoire de la chirurgie cardiaque - Interruption ducanal artériel – Coarctation – Prothèse à bille encagée – Trans-plantation cardiaque

THE BEGINNINGS OF CARDIAC SURGERY

SUMMARY : Beginnings of cardiac surgery were primarilypericardiac surgery : persisting ductus ligation (Gross), coarc-tation repair (Crafoord) and Blalock's seminal operation ofarterio-pulmonary shunt. The first really open cardiac proce-dure is due to Gibbon who worked up an apparatus capable toassume heart and lungs function. In the same time, Lilleheioperated on congenital cardiac lesions in children with theconcept of "cross-circulation". For a long time confined in Min-neapolis and Rochester, cardiac surgery spread all over USA.Starr lead the valvular surgery with the use of caged ball pros-thesis (Starr-Edwards); Effler and Favaloro developed coronarysurgery; outside USA, the Russian Kolessov used for the firsttime an internal mammary artery. As far as cardiac transplan-tation is concerned, a debt is due to Hardy, but the merit of the-first successful cardiac transplantation goes to South-AfricanBarnard.KEYWORDS : Cardiac surgery story – Ductus ligation – Coarcta-tion repair – Caged ball prosthesis – Heart transplantation

R. LIMET (1)

Figure 1 : R.E. Gross

Page 2: ABREGÉ DES DÉBUTS DE LA CHIRURGIE CARDIAQUE ...ABRÉGÉ DES DÉBUTS DE LA CHIRURGIE CARDIAQUE Rev Med Liege 2006; 61 : 12 : 812-819 813 Boston qui réalisa, en 1938, la première

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Boston qui réalisa, en 1938, la première ligatured'un canal artériel perméable. Gross avait àl'époque 33 ans, il était assistant senior du Pro-fesseur Ladd et c'est durant l'absence de sonpatron qu'il réalisa cette première. Mais, cettepremière n'était pas un saut dans l'inconnu.Comme la plupart des chirurgiens cardiaquesque nous allons rencontrer dans cette revue,Gross avait une importante formation de labora-toire, tant sur le plan fondamental que manuel.Ceci lui permettait d'anticiper les risques d'hé-morragie catastrophique, qui aurait pu survenirlors d'une telle manoeuvre.

Un peu plus loin sur l'aorte, nous avons le sited'une autre maladie qui s'appelle la coarctation.Il s'agit en fait d'un rétrécissement provoquantun excès de travail pour le coeur et un risqued'hémorragie pour le cerveau. Bien que distantedu coeur, c'est encore une complication cardio-vasculaire. C'est le suédois Crafoord (Fig. 2) quiréalise la première correction de coarctation en1944. La guerre avait paralysé tout progrès enEurope, mais la Suède, restée en dehors duconflit, avait gardé des contacts avec les Etats-Unis, notamment avec le groupe de Gross. Cra-foord est un des grands noms de la chirurgiecardiaque et l'on utilise encore journellement lesclamps vasculaires de Crafoord.

Même si nous ne sommes pas encore dans lecoeur, nous affrontons maintenant des pro-blèmes cardiaques complexes puisqu'il s'agit desenfants bleus. Sans entrer dans des détails super-flus, disons que ces enfants étaient bleus en rai-son d'un défaut de perfusion des poumons. Leurespérance de vie pouvait être variable, mais, engénéral, le pronostic était très mauvais. L'his-

toire se passe à Boston où la cardiologuepédiatre, Helen Taussig remarque que l'état deses jeunes patients bleus, s'aggrave lorsque lecanal artériel se ferme. Cette excellente observa-tion clinique lui permet d'entrevoir une possibi-lité thérapeutique : "créer un autre canalartériel". Elle s'adresse à Gross, qui n'a pas letemps de s'en occuper, et enfin à Blalock (Fig. 3). Blalock était le très jeune chirurgienthoracique du Johns Hopkins Hospital où tra-vaillait Helen Taussig. Fort de l'idée d'HelenTaussig de créer un canal artériel artificiel, Bla-lock cherche donc un moyen d'augmenter ledébit dans l'artère pulmonaire, mais toujourssans entrer dans la cavité cardiaque. Il y parvinten disséquant l'artère sous-clavière et en l'abou-chant sur l'artère pulmonaire. Blalock était unchirurgien de formation éclectique sans orienta-tion spécifique marquée, mais il était doté d'uneimportante expérience de laboratoire, et l'on saitqu'il n'a pas réalisé l'opération qui devait lerendre célèbre avant d'avoir expérimenté surdeux cents chiens. Mais, laissons la parole à sonrésident de l'époque, Longmire, témoin de lapremière opération de "Blalock" : " Un après-midi de 1945, le Docteur Blalock vint pour voirun enfant extrêmement bleu, cyanosé à l'ex-trême, qui était sous une tente à oxygène. Il indi-qua que l'enfant pouvait être un candidat pourune nouvelle procédure chirurgicale qui amène-rait un débit supplémentaire de sang au poumon.Lors de l'opération, nous manquions de tous lesoutils modernes que connaît maintenant la chi-rurgie cardio-vasculaire et nos moyens étaientvraiment très rudimentaires, mais la détermina-

Figure 3 : A. BlalockFigure 2 : C. Crafoord

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tion de Blalock permit de réaliser la procédure".D'où venait donc le jeune Blalock ? Natif de laGéorgie, il doit interrompre ses études, en raisond'une atteinte de tuberculose. Il est traité pendantplus de deux ans par la méthode des pneumo-thorax provoqués. Pour réservé que fut soncaractère, Blalock avait le sens de la communi-cation de l'enthousiasme. Quand il vint enEurope, en 1947, il réalisa, avec d'Allaines etDubost, la première opération de ce genre enEurope. C'est après l'avoir vu et entendu queCharles Dubost, alors résident interne à l'HôpitalBroussais, prit la décision d'abandonner la chi-rurgie générale pour se consacrer à ce nouveaudomaine. Cette opération à qui l'on donne trèsjustement la dénomination de Blalock-Taussig, apermis de sauver des dizaines de milliers d'en-fants, et est encore utilisée aujourd'hui pour cer-tains cas particuliers. Blalock est donc l'une despersonnalités les plus importantes de cette his-toire de la chirurgie cardiaque à ses débuts.S'adressant en 1956 au congrès de l'AssociationChirurgicale Américaine, il put dire : "Heureuxceux qui ont la chance de combiner en eux l'en-thousiasme, le jugement critique et un espritouvert". Blalock, plus que tout autre, a eu cettebonne fortune.

Si même l'histoire de Blalock représente unpas en avant important, gigantesque même, il n'ya toujours pas de méthode pour arrêter le coeuret pouvoir pénétrer ses cavités en toute sécurité.Mais des tentatives se font jour pour pénétrer le coeur battant : en 1914 déjà, Alexis Carrel(Fig. 4), qui sera le seul chirurgien à obtenir lePrix Nobel de Médecine, avait publié un article

intitulé Chirurgie des orifices du coeur. Carrelécrivait de façon prophétique que ses expéri-mentations avaient démontré que la sténosemitrale, aussi bien que certains cas de sténoseaortique et pulmonaire (ce qui est plus discu-table) pourraient bénéficier d'une interventionchirurgicale. Je ne peux pas citer le nomd'Alexis Carrel sans souligner son apport essen-tiel dans le domaine de la chirurgie vasculaire etde la transplantation d'organes. Après sa forma-tion chirurgicale à Lyon, dans les années 1890, ilquitta définitivement la France pour mener untravail de laboratoire aux Etats-Unis, au Rock-feller Institute. Il ne quitta les Etats-Unis quedeux fois en 1914 et en 1939. En 1914, il s'en-gagea activement dans le service médical de l'ar-mée Française et la solution de Dakin-Carrel afait beaucoup pour sauver de l’infection des mil-liers de blessés. En 1939, la guerre fut trop brèvepour lui permettre d'exercer ses talents de méde-cin, par contre, il eut l'imprudence d'accepterd'être nommé par Vichy, directeur d'un centredédié à l'eugénisme. En 1944, il fut traduitdevant la justice populaire mais acquitté, il mou-rut quelques semaines plus tard. Il connaît main-tenant une deuxième mort puisqu'il est victimedu zèle des "politiquement corrects" qui ontdébaptisé plusieurs institutions et cliniques"Alexis Carrel" en France, on va sans doute lesrebaptiser Che Guevara. Mais revenons à notresujet : onze ans après la suggestion de Carrel,l'Anglais Souttar en 1925, réussit la premièreopération d'ouverture de la valvule mitrale enpratiquant une bourse dans l'oreillette gauche eten y introduisant le doigt jusqu'à l'orifice valvu-laire. Ce succès resta sans écho et il n'y eutjamais de deuxième tentative. Il faut attendre lafin de la guerre pour voir renaître l'intérêt decette chirurgie fermée de la valvule mitrale. Pourcomprendre l'importance de cette thérapeutique,il faut rappeler qu'à l'époque, les antibiotiquesn'ont pas encore été découverts et que le rhuma-tisme articulaire aigu, conséquence de l'infec-tion par le streptocoque hémolytique estépidémique dans nos régions. Une des consé-quences les plus redoutées du rhumatisme arti-culaire aigu est précisément cette fermeture, cerétrécissement de la valvule mitrale. En 2006, detels cas sont devenus rares chez les sujetsautochtones, mais à l'époque ils étaient vérita-blement légion. C'est ainsi que Harken et Bailey(Fig. 5, 6), réalisèrent respectivement le 10 et le16 juin 1948 la première opération fermée poursténose mitrale depuis Souttar. Mais cetteméthode aveugle n'était pas dépourvue derisque, et libérer l'obstacle mitral avait sespropres dangers. Bailey (Fig. 6) perdit ses deux

Figure 4 : Alexis Carrel

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patients suivants; mis à l'index par les médecinsde Philadelphie, il perdit le droit d'opérer dans laplupart des hôpitaux de cette ville.

La méthode de commissurotomie mitrale(c'est le nom que lui a donné le cardiologue deHarken fig. 5) fermée fut perfectionnée par leFrançais Dubost. Dubost conçut l'appareilappelé commissurotome qu'il introduisait parl'oreillette gauche. L'américain Tubbs conçutaussi son propre commissurotome qu'il introdui-sait, lui, par la pointe du ventricule gauche.Quels que soient les succès de cette méthode(encore utilisée à l'heure actuelle dans le tiers-monde), elle a ses imperfections. On peut trans-former un rétrécissement mitral en insuffisance

majeure, provoquer une ouverture de la paroi, etune hémorragie, presque toujours fatale. Donc,l'inaccessible idéal restait quand même de voircette valvule mitrale et de pénétrer dans les cavi-tés cardiaques, autant par l'oeil que par le doigt.

Les chirurgiens n'avaient pas oublié les obser-vations historiques de Larrey, le chirurgien de Napoléon, qui durant la retraite de Russie,utilisait la glace et la neige pour diminuer la sen-sibilité du membre qu'il allait amputer. L'hypo-thermie était une voie possible. Elle eut sonheure de gloire éphémère : grâce à un refroidis-sement de surface du patient, on pouvait fairetolérer un arrêt cardiaque de 6 à 10 minutes, cequi était le temps nécessaire pour une opérationintra-cardiaque simple et rondement menée.C'est Lewis à Minneapolis, le 2 septembre 1952,assisté par Varco, élève de Wangensteen quenous retrouverons plus loin, qui fut le premier àfermer une communication inter-auriculaire eninterrompant momentanément le flux des veinescaves sous hypothermie. Mais le temps passe etla chirurgie cardiaque attend toujours la venuedu messie.

Et le messie de la chirurgie cardiaque s'appel-lera John Gibbon (Fig. 7). Gibbon raconte quelorsqu'il était jeune assistant chercheur dans leservice de Churchill, en 1931, il avait eu la tâchebien ingrate de surveiller un patient victimed'embolie pulmonaire, que Churchill devait opé-rer in extremis le lendemain, avec un insuccèscomplet. Gibbon écrit, dans ses mémoires,"Durant cette longue nuit, l'idée m'est venue quela vie du patient aurait pu être sauvée si ses fonc-

Figure 6 : C.P. Bailey

Figure 5 : D.E. Harken

Figure 7 : J. Gibbon

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tions cardio-respiratoires avaient pu être tempo-rairement suppléées par un circuit extra-corpo-rel". Ce circuit extra-corporel, il va travailler durpour le mettre au point, aidé en cela par ladécouverte relativement récente de l'héparinedont il peut obtenir quelques quantités. Enfin, ilrencontre, durant ses vacances, le présidentd'IBM qui accepte de soutenir financièrement leprojet. Grâce à cet appoint financier qui consti-tue, en 1951, le début du lobby médico-indus-triel, promis à une belle carrière, Gibbon est enmesure de rapporter une série de 7 chiens qui ontsurvécu à un by-pass prolongé. La transition del'animal à l'homme se fit un peu plus tard, et le 6mai 1953, fut réalisée, par Gibbon, la premièreopération à coeur ouvert, grâce à une circulationextra-corporelle. Sa patiente présentait une com-munication inter-auriculaire et elle fut réparéemoyennant un by-pass cardio-pulmonaire de 26minutes. Ce 6 mai 1953, s'est donc déroulé l'évè-nement fondateur de la chirurgie cardiaquemoderne.

Si Gibbon est justement célébré comme lepère de la chirurgie cardiaque, peu savent qu'il aperdu tous ses patients suivants. Sous la pressioninterne que l'on imagine, il mit fin à ses travauxcliniques et se retira très tôt de la salle d'opéra-tion, retournant à son travail de professeur. Maisla trouée avait été faite et d'autres allaient s'yengouffrer. John Kirklin, chirurgien thoracique àMayo Clinic, obtint l'autorisation de Gibbonpour adapter la Gibbon-IBM machine avec l'aidedu secteur d'ingénierie de Mayo Clinic. Ainsinaquît le Mayo-Gibbon-IBM, prototype qui, en1955, était la meilleure machine de circulationextra-corporelle. Donc, à partir du 12 mars1955, Mayo Clinic à Rochester devint un desdeux centres réputés accomplissant la chirurgieà coeur ouvert, le deuxième étant Minneapolis

où travaillait Lillehei (Fig. 8) que nous allonsprésenter.

A ce moment indécis où la chirurgie car-diaque oscille entre les premiers succès timideset les premiers échecs, Lillehei a pris une voietotalement originale : la circulation croisée.

Lillehei est né à Minneapolis, il a fait sesétudes dans la même ville où il était l'élève dufameux Wangensteen. Pendant la guerre, il estmobilisé comme médecin militaire et reste enAfrique du Nord et en Italie jusqu'en 1948. En1948-49, son entraînement chirurgical est inter-rompu par la survenue d'un lympho-sarcomecervico-médiastinal qu'il faudra opérer et qu'ilfaudra irradier. Après sa guérison, il effectue 2années de recherche dans le célèbre laboratoirede physiologie de Maurice Visscher et lesconclut par une thèse de PhD, qui constitue unimportant soutien dans sa carrière future. Il estanimé d'une véritable rage d'agir, après avoirsurmonté la mort; son comportement fait penserà Lance Armstrong qui gagna 7 tours de Franceaprès avoir vaincu la même maladie. Lillehei,lui, se jette à corps perdu dans la chirurgie car-dio-vasculaire qui vient de naître. Il a l'idée,géniale, mais, forcément limitée, d'utiliser unperfuseur humain comme machine de circula-tion extra-corporelle; après exclusion des veinescaves, le retour azygos était dirigé vers la veinedu parent perfuseur qui, en retour, envoyait unequantité équivalente de sang oxygéné dansl'aorte du jeune patient (Fig. 9 ). Moins d'un anaprès Gibbon, en 1954, Lillehei et son associéVarco ont déjà réalisé 44 opérations, dont la pre-mière fermeture de communication interventri-culaire sous circulation. Nous sommes loin destentatives prudentes et limitées du début. Mais,on ne triomphe pas impunément. Lillehei s'attirebien des critiques et des phrases perfides,

Figure 9 : Circulation croiséeFigure 8 : CW. Lillehei

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notamment celle connue par tous les chirur-giens, et disant "Monsieur Lillehei doit être cré-dité d'avoir imaginé une opération originale dontla mortalité opératoire est potentiellement de200% puisqu'aussi bien la mère et l'enfant décè-dent". Cette remarque que je croyais due à uncardiologue est, en fait due, à un chirurgien car-diaque, Pott. Quoi de plus normal, c'est de soncamp qu'on reçoit les coups de couteau. Les opé-rations deviennent de plus en plus complexes;Lillehei et Varco réalisèrent la première correc-tion d'une tétralogie de Fallot. Pour qualifier cetévènement, le grand Alfred Blalock déclara : "Jedois dire que je n'avais jamais pensé que jevivrais assez vieux pour voir le jour où ce typed'opération pourrait être réalisé. Je veux féliciterles docteurs Lillehei et Varco pour leur imagina-tion, leur courage et leur ingéniosité". Pourautant, Lillehei ne perdait pas de vue qu'il leurfallait un oxygénateur applicable aux adultes oùla méthode de circulation croisée était inappli-cable. Alors que la Mayo-IBM machine semontre à la fois trop coûteuse et trop complexepour un usage général, De-Wall et Lillehei ima-ginent un modèle simplifié, utilisé cliniquementpour la première fois en 1955, qui allait conqué-rir le monde et aider beaucoup d'équipes à s'en-gager dans la correction des malformations àl'intérieur du coeur. L'infatigable Lillehei doitêtre considéré comme un des innovateurs lesplus productifs en chirurgie cardiaque, dévelop-pant plus de techniques nouvelles et assurant laformation d'un nombre de chirurgiens car-diaques supérieur à ce qu'on a pu faire n'importeoù ailleurs.

La correction des malformations congénitalesa donc été le premier travail de la chirurgie car-diaque. Puis, elle s'est tournée vers les adultes,nombreux à l'époque, à souffrir des valvulopa-thies créées par le rhumatisme articulaire aigu. Ilfallait envisager de trouver, pour remplacer la

valvule déficiente, une prothèse offrant lesmêmes garanties d'ouverture simple et de ferme-ture directe. Hufnagel, de Boston, fut le créateurde la prothèse à bille encagée, qu'il implanta enposition hétérotopique; Harken, qui travaillaitaussi à Boston au Peter Bent Brigham Hospital,fut le premier chirurgien à insérer une prothèse àbille dans la position aortique normale subcoro-naire. En dépit de ce succès initial dû à Harken,c'est Albert Starr qui allait lancer véritablementla prothèse valvulaire à bille encagée. Starr pro-fesseur à l'université de l'Oregon, et un ingénieurà la retraite, Edwards, ont construit leur propreprothèse avec une bille encagée. Starr l'implantapour remplacer une valve mitrale le 25 août1960. Il ne fallut que quelques années pour quela prothèse de Starr ait été implantée dans lemonde entier, à un point tel que Starr-Edwardsest devenu presque synonyme de prothèse val-vulaire mécanique.

Pendant ce temps, d'autres se préoccupaientde construire des valvules bioprothétiques parcrainte d'une intolérance biologique des pro-thèses mécaniques. Dans ces efforts, il faut sou-ligner le travail de Ross, Hancock, Binet etsurtout celui d'Alain Carpentier. Ce dernier, àl'hôpital Broussais, en 1967-68, introduisit laglutaraldéhyde pour préparer les xénogreffes. Labioprothèse de Carpentier est devenue mainte-nant aussi célèbre que celle de Starr-Edwards;elle est commercialisée par la firme Edwardssous le nom de Carpentier Edwards. Nous vou-lons évoquer ici uniquement les grands évène-ments fondateurs, et nous ne parlerons donc pasdes améliorations ultérieures qui ont conduit à laproduction de valvules univalvulaires, bivalvu-laires. Ceci relève simplement de la technologie.

Les adultes ne souffrent pas seulement de vicesvalvulaires, mais bien plus encore d'insuffisancescoronaires. Voilà une maladie dont la sinistreréputation a largement investi le monde nonmédical. Tout le monde sait maintenant que lecoeur est nourri par les coronaires, que si celles-ci ne peuvent plus remplir leur rôle de nutrition,le coeur va souffrir de façon intermittente, c'estl'angine de poitrine, ou de façon définitive, c'estl'infarctus du myocarde. Mais pour pouvoir éven-tuellement corriger ces artères coronaires, il fal-lait disposer non seulement d'une circulationextra-corporelle, ce qui était acquis à l'époque,mais aussi d'une mise en évidence des coronaires.Cette visualisation, ce qu'on appelle maintenant lacoronagraphie sélective, nous la devons à un car-diologue de Cleveland, Sones, qui, presque paraccident, lors d'une angiographie, met en évi-dence la coronaire droite. Ceci fut la base dudéveloppement des coronarographies et c'est àFigure 10 : R. Favaloro

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Cleveland, bien évidemment, que Donald Effleret son résident René Favaloro (Fig. 10) réalisè-rent le premier pontage aorto-coronaire. Effler etFavaloro restaient les maîtres incontestés du ter-rain totalisant 4.000 by-pass réalisés sur 1.573patients seulement dans la seule année 1973. Lamortalité était réduite à 1%. A des milliers dekilomètres de là, dans un pays pas spécialementréputé pour la qualité et les moyens de sa méde-cine, Kolessov réalisa à Leningrad la premièreimplantation d'une artère mammaire interne surune coronaire sans le secours d'une circulationextra-corporelle et sans l'apport préalable d'unecoronarographie. Effler a rendu l'hommage quiconvenait à ce pionnier isolé, dont le travailallait se montrer particulièrement fertile. Peut-on rappeler qu'Alexis Carrel, avait déjà suggérécette technique dès 1910? Suivant l'exemple deKolessov, c'est Bailey qui réalisa le premier cetype d'opération aux Etats-Unis en 1968 et c'estSpencer et son élève, Green, qui développèrentle plus, le concept de pontage avec l'artère mam-maire interne.

La personnalité et la vie de Favaloro méritentun peu plus qu'une notice brève. Rene Favaloroest né en Argentine de parents pauvres mais pasau point de ne pouvoir envoyer leur fils à l'uni-versité. Il obtint son diplôme de docteur enmédecine et pratiqua la médecine générale par-mis les populations démunies d'Argentine. C'està l'âge de 40 ans seulement qu'il entreprit unerésidence en chirurgie thoracique et se lia d'ami-tié avec Sones. Connu dans le monde entier,après le succès des pontages aorto-coronaires, ilrevint dans son pays natal où il occupa sontemps et son argent pour fonder un institut derecherche et s'occuper d'autres projets de santépublique. Pour des raisons que nous n'avons puidentifier, la plupart des biographies de Favaloroétant rédigées en espagnol, il se suicida en setirant une balle dans le coeur, un organe qu'ilconnaissait bien.

On est donc en mesure de réparer les valves,de corriger les lésions coronaires, mais que fairequand le muscle cardiaque lui-même ne marcheplus? C'est ici que commence l'histoire de latransplantation cardiaque. Il faut à nouveau sou-ligner le rôle visionnaire de Carrel qui, au débutdu siècle passé, avait réalisé lui-même unegreffe cardiaque chez le chien en position hété-rotopique, c'est-à-dire qu'il avait greffé le coeurd'un petit chien dans le cou d'un chien beaucoupplus gros. Le phénomène du rejet n'était pasconnu de Carrel; mais ce phénomène commençaà être élucidé beaucoup plus tard grâce à l'expé-rience accumulée en matière de greffe rénale. Lapremière transplantation rénale avait été réalisée

en 1952 au Peter Bent Brigham Hospital à Bos-ton, et ceci donna des espoirs aux chirurgienscardio-vasculaires. Le précurseur fut véritable-ment Hardy. En 1964, Hardy, qui avait derrièrelui une importante expérience de greffe car-diaque chez l'animal, s'est vu confronté au casd'un de ses patients de 64 ans, mourant, et pourlequel seule une transplantation cardiaque enurgence était l'issue possible. Hardy ne disposaitpas de donneur, et le concept même de mortcérébrale n'avait pas encore été admis aux USA.Il eut donc le courage insensé de greffer sur cepatient mourant un coeur de singe, en attendantde trouver un coeur humain. Mais, le singe don-neur était de taille trop petite et le coeur serévéla incapable d'assurer un débit cardiaquecorrect. Le patient mourut, bien sûr, et Hardy futconfronté immédiatement à l'opposition de sesconfrères et de l'opinion publique. Bien queHardy se sentit justifié, dans son for intérieur,car sa tentative désespérée s'adressait à unpatient sans espoir, il fut en butte à l'ostracismede ses confrères et ceci brisa le développementde sa carrière. Il revint à un jeune chirurgiend'Afrique du Sud, Barnard, dépourvu de touteactivité de laboratoire préalable dans cedomaine, de réaliser la première transplantationchez l'homme le 3 décembre 1967. Il utilisa lecoeur d'un donneur en mort cérébrale et sonpatient vécut encore douze jours pour finale-ment décéder, après avoir abondamment ali-menté les media du monde entier. Mais Barnardrevint à l'ouvrage et un mois plus tard, le 2 jan-vier 1968, il faisait une deuxième greffe car-diaque qui allait survivre presque deux ans. Tousles centres de l'époque pratiquèrent des greffescardiaques, avec des résultats si désastreux, quebeaucoup d'équipes abandonnèrent l'aventurespontanément tandis que, dans certains pays ouétats, la greffe cardiaque était tout simplementproscrite. Un homme continua le travail patiem-ment à l'ombre des media: il s'agit de NormanShumway. A San Francisco, Shumway et sonassocié Lowrie définirent petit à petit les condi-tions pour que la greffe cardiaque fût une réus-site grâce à une meilleur sélection des receveurset des donneurs. Shumway, dont il faut soulignerqu'il est aussi un élève de Wangensteen et de Lil-lehei, était donc mieux préparé que quiconquepour profiter des perspectives qu'apportait ladécouverte de la cyclosporine par Borel, et dèslors, la transplantation cardiaque se répanditpour une deuxième fois, mais avec un succèsplus assuré dans l'ensemble des centres. En cequi concerne précisément le centre universitairede Liège, la première transplantation cardiaqueeut lieu le 9 février 1983.

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Nous nous sommes abstenus de rapporter lesprogrès des techniques de la chirurgie cardiaquedans les vingt années suivantes, il importe main-tenant de conclure : deux leçons ressortent decette histoire, pleine de bruit, de fureur etd'éclairs de la chirurgie thoracique.

La première leçon est que tous les progrèssont redevables à des hommes qui avaient uneformation scientifique solide et dont beaucoupavaient aligné un travail de laboratoire tout à faitsignificatif. Faut-il rappeler le PhD de Lillehei?Faut-il rappeler les 20 ans de travail de Gibbon?Une fois de plus, mais cela a déjà été dit dansd'autres domaines, l'amélioration des pratiquesde l'art de guérir doit être précédée par un travailde recherche incessant.

La deuxième leçon, c'est de constater com-bien la personnalité des hommes a été détermi-nante dans ces progrès de la chirurgie. Il fallaitavoir des épaules solides pour résister aux pres-sions morales dues aux échecs et aux influencesexternes. Comparons les destins de Gibbon etLillehei : le premier n'a pas pu supporter l'échecde ses décès consécutifs et il se retira définitive-

ment dans son laboratoire et dans son travail deprofesseur, tandis que Lillehei, lui, était un fon-ceur, toujours prêt à plonger dans la mêlée et àtransformer l'essai. Il fallait donc aussi deshommes de cette trempe-là. Et pour rendre hom-mage à l'un et à l'autre, je terminerai cet exposépar une réflexion du biologiste Jean Rostand :"La vérité se discute à froid, mais elle se crée àchaud".

Les demandes de t i rés à par t sont à adresser auProf . R. L imet, Serv ice de Chirurg ie Cardio-vasculaire, CHU Sart Tilman, 4000 Liège, Belgique.email : r l [email protected]