agir n°19 - 08/2015

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LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION INTÉGRATION Plongeon en eau froide IRAK DU NORD Aide humanitaire aux déplacés AGIR LE MAGAZINE DE L'ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE AOÛT 2015

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La Cooopération au développement en question Intégration - Plongeon en eau froide Irak du nord - Aide humanitaire aux déplacés

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LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

INTÉGRATION Plongeon en eau froide

IRAK DU NORD Aide humanitaire aux déplacés

AGIRLE MAGAZINE DE L'ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE

AOÛT 2015

AGIR N°19AOÛT 2015ISSN 2235-0772Paraît 4 fois par an

COUVERTURE PHOTO EPER / Christian Bobst

ÉDITEUREntraide Protestante Suisse (EPER)

RESPONSABLE Olivier Graz

RÉDACTION Joëlle Herren Laufer

RÉDACTION PHOTO Anne Geiger

GRAPHISME ET ILLUSTRATIONSsuperhuit.ch

IMPRESSIONJordi Belp

TRADUCTION Virginie Tisserand

TIRAGE15 100 exemplaires

ABONNEMENTCHF 10, déduitsune fois par an de vos dons

ADRESSEBd de Grancy 17 bis,Case postale 536, 1001 LausanneTéléphone 021 613 40 70Fax 021 617 26 [email protected]

CP POUR LES DONS 10-1390-5

Pour une ONG, garder le cap au milieu des attentes variées, voire franche-ment contradictoires des nombreuses parties prenantes à son travail exige une maîtrise consommée de l’équili-brisme. L’aide au développement, en-censée autant que décriée, offre une illustration exemplaire de ce défi. Ce numéro d’agir vous propose de par-courir quelques lignes de tension, en répondant aux critiques.

Encensée, l’aide au développement l’est assurément par les Suisses qui trouvent à une écrasante majorité les prestations de notre pays dans ce domaine « plutôt bonnes » et estiment, pour 30% d’entre eux, que la Suisse devrait renforcer encore son action dans le domaine. Ils n’étaient que la moitié de cet avis il y a quinze ans et ne sont que 8% à penser le contraire aujourd’hui. Considérant la générosité constante de ses donateurs, l’EPER peut confirmer ce constat à son niveau.

Pourtant, l’aide au développement est également régulièrement décriée, parfois sévèrement. La liste des critiques est impression-nante : inefficace, peu transparente (corruption, coûts adminis-tratifs), peu durable, voire, pire que tout, paternaliste et même néocolonialiste quand elle est instrumentalisée par des enjeux de politique étrangère…

Ce numéro d’agir fait face ouvertement à ces critiques. L’EPER se positionne ainsi doublement : par rapport à des défis de l’aide au développement bien sûr, mais aussi par rapport à vous. Sur la ligne de tension qui va de l’information à la séduction, la motivation d’un donateur naît certes de « success stories », mais a besoin aussi de confiance. Nous sommes convaincus que la transparence ou, pour reprendre un mot moins à la mode, l’hon-nêteté, contribue à nourrir cette confiance.

Merci de votre précieux soutien et excellente lecture.

DOSSIER THÉMATIQUE

4 Dossier spécial : la coopération au développement en question

5 Face à face : Ueli Locher et Luzi Stamm

9 Dans les coulisses d’un projet au Niger

8 Questions critiques

14 Evaluer et redresser le cap en Inde

DANS CE NUMÉRO

3 Nord de l’Irak Aide humanitaire aux

familles déplacées

16 Campagne DM-EPER L’histoire de Cido

18 Age et migration Plongeon en eau froide

20 Actuel et agenda

QUI AIME BIEN CHÂTIE BIEN

ÉDITORIAL

Philippe BoveySecrétaire romand

AIDE HUMANITAIRE

LES DÉPLACÉS EN IRAK SONT ACCUEILLIS MAIS DÉMUNIS

Les minorités déplacées au Nord-Est de l’Irak qui ont dû fuir l’Etat islamique sont accueillies à bras ouverts. Mais elles manquent de tout. L’EPER leur apporte un soutien de première urgence.

En Irak, des habitants de Mossoul et en-virons fuient par milliers l’Etat islamique et prennent le chemin de Souleimaniye, dans la région autonome kurde. Il s’agit essentiellement de minorités religieuses – Chrétiens, Yézidis ou Shabaks – des Chiites kurdes, mais aussi des Sunnites. La ville offre encore sécurité et protection grâce à ses forces armées, les Peshmerga. Elle a déjà accueilli environ 168 000 per-sonnes déplacées internes, et ce chiffre devrait encore augmenter. Sans compter les quelque 250 000 réfugiés en prove-nance de Syrie.

L’EPER offre une aide d’urgence avec le concours de ses partenaires locaux « Chris-tian Aid » et « REACH ». L’aide répond aux besoins élémentaires de 2280 familles. Elle consiste en produits alimentaires, articles d’hygiène, ustensiles de cuisine, matelas, poêles et couvertures en hiver. « Certaines familles qui n’avaient pas un centime en poche reçoivent un don unique de 400 dollars. Elles peuvent ainsi s’acheter l’essentiel. En outre, 40 personnes ont pu prendre part à un programme « cash for work » (travail contre rémunération), explique Simon Salman, responsable du projet pour l’EPER.

Solidarité localeSimon Salman est très étonné de voir à quel point la population sur place accueille les réfugiés à bras ouverts en mettant à leur disposition logement et nourriture. Le gouvernement local apporte égale-

ment son soutien aux déplacés internes du mieux qu’il peut. Il a mis des terres à disposition en bordure de la ville où les déplacés construisent des abris de fortune. « Ces gens ont avant tout besoin d’argent pour acheter ce qui leur manque, explique Simon Salman. Ces nouvelles zones ont par ailleurs un besoin urgent de disposer d’un accès à l’eau potable et d’installa-tions sanitaires. »

Ils ont fui l’Etat islamique La famille Shaba a reçu le soutien de l’EPER. Le 28 juillet 2014, à l’aube, elle a dû quitter en toute hâte sa ville au Sud-Est de Mossoul pour échapper à l’organisa-tion terroriste Etat islamiste (ISIS). Elias,

sa femme Fawzia et leur fils Anwar vivent depuis un an avec 24 autres familles dans une église catholique chaldéenne à Sou-leimaniye. Chacune dispose d’un espace réduit sans intimité. Fawzia Shaba se dé-sespère : « Je n’en peux plus. J’en mourrai si je ne peux pas retourner dans ma mai-son ». Et son mari d’ajouter : « Quand les combattants d’ISIS ont conquis la ville de Mossoul et capturé des fonctionnaires de police, des forces de sécurité et des soldats, nous avons eu peur. Les chrétiens n’avaient encore été victimes d’aucune attaque, mais ISIS leur a adressé un ulti-matum avec quatre options : se convertir à l’islam, payer un impôt, quitter la ville ou mourir ».

Texte : Joëlle Herren Laufer Photo : EPER

3

La coopération au développement jouit d’une bonne réputation, et tout particuliè-rement en Suisse. Ainsi, selon les résultats d’une enquête représentative mandatée par la Direction du développement et de la coopération (DCC), 83% de la popula-tion helvétique estimait l’an dernier que le travail accompli par le pays en la matière était au moins bon. De même, la part de la population pensant que la Suisse devrait accroître ses efforts en matière d’aide au développement a progressé de moitié ces 15 dernières années pour atteindre 30% aujourd’hui. Seuls 8% étaient d’avis que l’aide helvétique devrait être réduite (contre 17% en 1999).

Toutefois, pas question pour la DCC et les œuvres d’entraide suisses de céder à l’autosatisfaction et de se reposer sur leurs lauriers. Car malgré tout, depuis quelques années, le débat public et les opinions liées à la coopération au développement – et aux œuvres d’entraide plus générale-ment – doivent compter avec un nombre croissant de critiques. Cette tendance est alimentée par les discussions sur l’effica-cité et la transparence de la coopération au développement et de ses acteurs. Des discussions qui ont gagné en intensité lorsqu’il a été question d’accroître les

fonds publics alloués à l’aide au dévelop-pement. Les politiciens ne sont d’ailleurs pas les seuls à s’interroger sur l’avantage de doter les œuvres d’entraide de moyens financiers supplémentaires.

Accroissement des exigencesLe scepticisme croissant à l’égard de la coopération au développement est exa-cerbé par la masse d’informations dispo-nibles sur Internet concernant le travail et les projets des œuvres d’entraide. Les donateurs, les bailleurs de fonds et les mandataires sont devenus plus exigeants et s’informent désormais en ligne. Il n’est pas rare qu’ils mettent le doigt sur un rap-port litigieux ou un projet avorté dévoilé et monté en épingle par les médias. Les réels bénéfices et la durabilité des projets sont remis en question ou critiqués, tout comme le manque de transparence dans l’octroi et l’usage de fonds. Autre point de litige, la corruption dans les pays d’action et les frais administratifs élevés de cer-taines œuvres d’entraide, sans oublier leur manque d’autocritique.

L’EPER (Entraide Protestante Suisse) se penche volontairement sur cette critique et y consacre un dossier spécial. Vous trouverez dans les pages qui suivent un

face à face entre Ueli Locher, directeur de l’EPER jusqu’à la fin juin, et Luzi Stamm, conseiller national UDC, opposant notoire à la coopération au développement. La parole est aussi donnée à des particuliers faisant part de leurs réserves en la matière auxquelles l’EPER répond sans détour. Nous avons aussi fait un zoom sur notre programme national consacré à l’Inde qui rend compte des réussites et des échecs de nos projets. Enfin, une chronologie il-lustrée détaille les différentes étapes d’un projet de coopération au développement de l’EPER au Niger : de la planification à la mise en œuvre.

S’il ne prétend pas répondre à toutes les interrogations liées à cette thématique, notre dossier spécial aborde de nom-breuses questions en suspens sur la coo-pération au développement.

DOSSIER SPÉCIAL

LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

Bien que les Helvètes soutiennent largement la coopération au développement de la Confédération et des œuvres d’entraide, des voix dissonantes se font entendre dans les médias, au niveau poli-tique ou parmi le grand public. Manque de transparence sur l’octroi et l’utilisation des fonds, corruption supposée dans certains Etats bénéficiaires, absence d’efficacité figurent parmi les critiques les plus répandues. L’EPER aborde ces critiques de front pour lever les malentendus.

Texte : Dieter Wüthrich Photo : EPER / Maman Elhadji Montari

4

M. Stamm, la coopération au déve-loppement est-elle plus utile que préjudiciable ? Luzi Stamm (LS) : A n’en pas douter, la coopération sert plus qu’elle ne dessert. Il serait présomptueux d’affirmer que les œuvres d’entraide suisses impliquées dans la coopération au développement causent du tort avec leur engagement.

Faites-vous la distinction entre la coo-pération au développement publique, comme celle de la Confédération, et privée, comme celle de l’EPER ?LS : Les différences sont réelles. Le principe d’efficacité doit régir l’aide de la Confédé-ration : chaque franc investi doit être maxi-misé. C’est bien plus important que dans le cas de la coopération d’organisations privées où vous pouvez faire ce que bon vous semble. Vous pouvez notamment apporter votre soutien à quelqu’un qui, objectivement, n’en a pas du tout besoin. La Confédération doit en revanche rendre des comptes à ses contribuables.

M. Locher, cela reviendrait donc à dire qu’en tant qu’œuvre d’entraide pri-vée, l’EPER est moins sous pression... ?Ueli Locher (UL) : (rires) Oh, je ne crois pas ! Nos bailleurs de fonds, qu’il s’agisse de personnes privées, de fondations ou de paroisses, par exemple, ont exactement les mêmes attentes. Ils espèrent bel et bien que les fonds mis à disposition amorcent une évolution positive des conditions de vie des bénéficiaires. En ce qui concerne

la coopération publique, on ne peut pas généraliser. Car tout dépend notamment de l’Etat qui mène à bien cette coopéra-tion. Des pays comme les Etats-Unis ou la Chine articulent leur aide selon leurs intérêts géopolitiques. La pression exercée sur la coopération pour que celle-ci vienne étayer l’orientation géopolitique du pays concerné est bien plus importante dans ces pays que dans de nombreux Etats eu-ropéens. La Suisse, elle, n’a aucun agenda géopolitique.

Pour revenir à la Suisse. M. Stamm, quelle note attribuez-vous à la coopé-ration au développement helvétique ?LS : En ma qualité de politique, le pro-blème que je critique est celui qui se pose dès qu’une part bien trop élevée des fonds injectés par la Suisse est utilisée sur sol helvétique. En effet, face aux terribles drames qui touchent les réfugiés, plutôt que d’employer directement ces fonds dans les régions en proie à des crises, des sommes considérables servent à financer de prétendus réfugiés en Suisse. A mon sens, le principal souci, c’est que beau-coup trop de fonds de coopération sont dépensés en Suisse pour des juristes, traducteurs, propriétaires de logements, travailleurs sociaux, etc.

UL : Vous mettez le doigt sur un éternel point de discorde parmi les politiques, mais aussi les acteurs de la coopération. A l’EPER, nous considérons cependant que les fonds que nous allouons en Suisse au

bénéfice des réfugiés ne peuvent être assimilés à des fonds de coopération au développement à proprement parler.

Ils comptent pourtant comme tels dans les statistiques…UL : Hélas oui, car cela permet d’augmen-ter le pourcentage des fonds alloués à la coopération au développement en regard du PIB. A mon sens, ce n’est pas une bonne manière d’appréhender ces fonds. Et surtout, il ne faut pas faire l’amalgame entre aide aux réfugiés et coopération au développement. L’efficacité de l’aide devrait bien plus être mesurée à l’aune des évolutions positives permises par les fonds injectés dans les pays du Sud.

M. Locher, où positionnez-vous la col-laboration au développement de la Suisse ?UL : Avant de devenir directeur de l’EPER, j’ai moi-même travaillé cinq ans dans le domaine du développement en Afrique et en Asie. Durant mes voyages en tant que directeur de l’EPER, j’ai ensuite pu fréquemment comparer les projets d’aide suisses et ceux d’autres pays. Cette comparaison internationale per-met véritablement de voir les atouts de la Suisse en matière de coopération au développement. Bien entendu, nous affi-chons nous aussi un potentiel d’optimisa-tion : tous les projets de coopération ne se soldent pas par un succès.

LES INVITÉS : UELI LOCHER ET LUZI STAMM

IMPÉRATIF HUMANITAIRE OU GASPILLAGE ?

Face à face entre Ueli Locher, directeur de l’EPER, et Luzi Stamm, conseiller national UDC, critique envers à la coopération au développement.

Texte : Markus Mugglin* Photos : EPER / Sabine Buri

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LS : J’abonde, l’aide suisse est meilleure que celle de nombreux autres pays ou organisations internationales. Cela étant, il nous faut impérativement réduire le nombre de pays et de projets auxquels nous apportons notre soutien dans le cadre de la coopération. Car à s’enga-ger excessivement, on s’éparpille. Nous en faisons trop à l’heure actuelle : trop de projets dans trop de pays.

En quoi cette diversification repré-sente-t-elle un problème ?LS : Nous aurions par exemple dû re-noncer depuis longtemps à injecter des fonds d’aide dans les pays de l’Europe de l’Est qui font partie de l’UE. L’UE a assez d’argent ! Nous devrions par conséquent limiter notre coopération aux pays réelle-ment pauvres de la planète.

M. Stamm, vous avez réclamé, à l’oc-casion d’une intervention parlemen-taire, une augmentation des fonds

d’aide humanitaire immédiate au détriment de la coopération au déve-loppement. N’y a-t-il pas un risque à long terme ?LS : Lorsque seuls des moyens limités sont à disposition, l’argent fait toujours défaut ! C’est pour cette raison que la Suisse doit aussi établir des priorités au moment de choisir les pays et les projets où elle s’implique. En ce qui me concerne, j’apporterais par exemple mon soutien à des projets comme celui du pédiatre Beat Richner au Cambodge, qui sauve des vies dans son hôpital en soignant des patients qui ne peuvent se permettre financière-ment une aide médicale. Je parle là de succès concrets. Notre pays serait donc bien inspiré de promouvoir encore davan-tage de tels projets à l’avenir. Mais lorsque la Suisse injecte par exemple de l’argent dans ce qu’elle appelle la promotion de la démocratie, elle jette trop souvent l’argent par les fenêtres. Car ces résultats ne sont pas tangibles. Un engagement politique

peut même se traduire par des dépen-dances à des puissances mondiales qui peuvent tout balayer d’un battement de paupière.

UL : Je ne qualifierais pas l’exemple de Beat Richner d’aide humanitaire, mais plu-tôt d’un cas classique de coopération au développement. En effet, il met en place des infrastructures et embauche du per-sonnel garantissant une prise en charge médicale de la population. Il faut faire attention à ne pas mettre en concurrence l’aide d’urgence et l’aide au développe-ment à plus long terme. Toutes deux sont complémentaires. Après une catastrophe, c’est la survie qui prime dans un premier temps. La coopération au développement sert à modifier les bases et les conditions de l’existence de ces personnes, de telle sorte qu’elles puissent mener une meil-leure vie à plus long terme, sans devoir recourir à une aide extérieure.

Ueli Locher, directeur de l’EPER

« Il ne faut pas faire l’amalgame entre aide aux réfugiés et coopération au développement. »

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LS : C’est vrai que les deux sont néces-saires. Et il est évidemment positif que des œuvres d’entraide privées s’engagent en faveur du développement. S’agissant de la politique d’aide officielle de la Suisse, la Croix-Rouge reste pour moi l’exemple à suivre. Les circonstances de sa création par Henri Dunant, en réaction à la bataille de Solférino, nous rappellent à quel point il est important de garder son sang-froid et de ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre des belligérants, mais bien de se concentrer exclusivement au soulagement de la souffrance humaine. C’est pour cette raison que les organes officiels de la Suisse devraient surtout utiliser ces fonds pour intervenir dans le sillage de telles catas-trophes humanitaires.

Parler en toute transparence des pro-blèmes que rencontrent les projets d’aide au développement et admettre

ses erreurs risque de faire reculer les dons. Comment l’EPER gère-t-elle ce dilemme ?UL : A l’ère d’Internet et des médias sociaux, les problèmes et les erreurs ne restent pas longtemps secrets. De ce fait, j’envisage les avantages et les inconvénients d’une communication ouverte et honnête de manière tout à fait pragmatique. Concrè-tement, notre réputation risque nette-ment moins d’être durablement remise en question si nous communiquons spon-tanément et de manière proactive au lieu d’y être contraints par les publications des médias.

M. Stamm, compte tenu de sa richesse, la Suisse ne devrait-elle pas s’impli-quer davantage dans la coopération au développement ?LS : Ce n’est pas la quantité qui compte, mais la qualité. Il faut donc fixer des prio-

rités. Dans le cas de la crise des réfugiés syriens par exemple, c’est dans la région frontière du pays que j’injecterais sans hé-siter tous les fonds. De plus, j’associerais notre aide à la condition que les popula-tions restent dans leur région d’origine. Si les sommes faramineuses que nous déblo-quons pour l’asile en Suisse étaient utili-sées à l’étranger, nous pourrions résoudre bien plus efficacement de nombreux pro-blèmes dans ces pays.

UL : Mais M. Stamm, vous ne tenez pas compte du fait que la situation est insou-tenable pour les populations syriennes et que leur vie est en danger. Je comprends donc tout à fait qu’elles cherchent à se déplacer vers un endroit où leur existence n’est pas continuellement menacée.

M. Locher, vous aller quitter votre poste de directeur de l’EPER après huit ans. Quelle est la conclusion la plus essentielle que vous tirez en matière de collaboration au développement ?UL : J’ai surtout appris une chose : il faut savoir rester mesuré. Les objectifs que nous nous fixons doivent être réalistes. Avec nos moyens modestes, nous pou-vons faire une différence à petite échelle, mais nous ne pouvons pas révolutionner l’ordre mondial. Comme seconde conclu-sion plus que préoccupante, j’observe qu’il est de plus en plus difficile pour des organisations d’entraide comme l’EPER de s’engager à informer et à instruire la po-pulation civile dans des pays où les droits de l’homme sont bafoués par l’Etat. Les pauvres et les plus faibles sont les plus tou-chés par ce phénomène. Ils ont d’autant plus besoin de notre soutien.

* Markus Mugglin a été rédacteur à la radio suisse SRF, et a notamment dirigé le prestigieux magazine politique « Echo der Zeit ». Spécialiste de la politique suisse du développement, il est aujourd’hui jour-naliste indépendant et économiste expert dans le domaine de la mondialisation.

Luzi Stamm, conseiller national UDC

« A trop vouloir s’engager, on s’éparpille. Nous en faisons trop à l’heure actuelle : trop de projets dans trop de pays. »

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LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

DANS LES COULISSES D’UN PROJET AU NIGER

Comment fonctionne en réalité la collaboration au développe-ment ? Quelle est la genèse d’un projet, et par quelles étapes transite-t-il ? Décodage des phases d’action de l’EPER dans les coulisses d’un projet concret au Niger visant la protection des éleveurs nomades.

Texte : Corina Bosshard Photos : EPER / Sabine Buri

Dans le Sahel, au Niger, les familles pay-sannes sédentaires et les éleveurs nomades cohabitent. Par le passé, ces derniers par-couraient des centaines de kilomètres avec leurs troupeaux, du nord à la zone agricole du sud, pour faire paître leur bétail dans les champs où la récolte avait déjà eu lieu. Au début de la saison des pluies, ils repar-taient vers le nord, afin que les paysans puissent cultiver leurs champs. Mais en rai-son des sécheresses à répétition et d’une croissance démographique importante, la cohabitation de ces deux secteurs éco-nomiques complémentaires est devenue problématique. Le sol étant moins fertile, les agricultrices et agriculteurs ne mettent plus des voies de passage à disposition du bétail et s’approprient toujours plus de terres autrefois réservées au bétail des nomades. Par conséquent, les éleveurs de bétail sont contraints de faire passer leur troupeau par des champs cultivés. Chaque année, de grands troupeaux de bétail transitent par la zone du projet, ce qui provoque des conflits sanglants pour la possession des pâturages ou des terres cultivées.

Un code rural difficile à mettre en œuvrePour éviter ces conflits, le gouvernement du Niger a adopté en 1993 le Code Rural, une loi cadre régissant les droits d’utilisation des terres des populations rurales locales et garantissant, dans le même temps, des terres pour l´élevage du bétail. Un aspect important du Code Rural est l’instauration de commissions foncières composées de représentantes et représentants du gouvernement et des

différents groupes d’utilisateurs à tous les niveaux administratifs. Ces commis-sions certifient les droits d‘utilisation des terres, contrôlent que les ressources sont utilisées conformément aux objectifs et arbitrent les conflits. Mais comme la mise en œuvre du Code Rural et la constitu-tion de ces commissions ne progressent que lentement, les commissions foncières sont encore loin d’être établies partout. Et lorsqu’elles existent, leur fonctionnement n’est souvent pas optimal.

Objectifs du projetLe projet de l’EPER vise à garantir une cohabitation pacifique des éleveurs nomades de bétail et des familles pay-sannes sédentaires dans les départements

de Mayayi et Dakoro. Les points de pas-sage des troupeaux sur les pâturages sont négociés entre les parties, puis délimités par des piquets et des haies. Des commis-sions foncières veillent au respect de ces passages, arbitrant et réglant les conflits. L’accès à l’eau est également une source permanente de conflits entre paysans et éleveurs de bétail. Afin de les désamorcer, il est prévu de construire des fontaines le long des corridors de passage et de répa-rer celles qui sont défectueuses.

La double page ci-après représente gra-phiquement et année après année le déroulement du projet, de l’idée initiale à l’état actuel.

9

LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

ORIGINE DU PROJET

PREMIÈRE PHASEMISE EN PLACE

ÉTUDE PHASE I

L’idée du projet est à mettre au crédit d’El-hadji Maman Mansour Moutari, directeur pays de l’EPER au Niger. Quand ce géologue de 53 ans travaillait pour la Direction du développement à la coopération (DDC), il était très impliqué dans la mise en place du projet PASEL (programme d’appui au secteur de l’élevage) qui garantissait l’exis-tence de voies de passage dûment mar-quées pour les nomades. Il a donc suggéré de le prendre pour modèle pour créer un projet pilote de l’EPER dans une autre ré-gion géographique.

• Forums de négociation du tracé et des ac-cès aux pâturages avec les différents groupes d’utilisateurs.

• 5 corridors négociés et délimités (531 km).• Localisation et signalisation des corridors et

pâturages garantis avec poteaux de bétons et haies.

• 32 commissions foncières créées. • 20 ateliers de formation.• 26 fontaines construites ou réparées le long

des corridors et dans les pâturages.• Campagnes de sensibilisation (caravanes de

la paix dans les villages, émissions radio).• Soutien agricole à env. 500 familles paysannes

sédentaires installées le long des corridors.

L’équipe du bureau de coordination de l’EPER au Niger a effectué plusieurs mis-sions d’évaluation dans la zone du projet auprès de tous les acteurs. Les routes de transhumance des éleveurs de bétail ont été analysées et les conflits documentés. Les corridors de passage prévus et les pâturages à disposition ont été localisés géographiquement. Une équipe de projet expérimentée en matière de mobilité pas-torale a été recrutée. Le projet a été bap-tisé ZAMTAPO – une contraction des mots « Zaman Tare » (cohabitation) en langue haoussa et « Potal » (pacifique) en peul.

2009

2011-2013fin 2010

DÉROULEMENT D’UN PROJET

LE PROJET AU NIGER EN CHIFFRES

24 170 km2

Superficie couverte par le projet

env. 1 millionNombre d’habitants dans la région du projet

300 mm/anPrécipitations dans la région du projet

CHF 142 000Budget du projet en 2015

3,8 %Croissance de la population par an au Niger

12 %Proportion de nomades dans la population

10

7°20' 7°40' 8°00'

14°

14°20'

0 10 km

Echelle

G O U L B I N K A B A

7 6 HEKS

6.2 CTB

3 HEKS

4 CTB

5

4

21

Gondama

TESSAOUA

Dadin Tamro

Guidan Issa

Dan Gado

Rapka

Tobana

Azarori

Guidan Bawa

Kabirgui

Koufan Agoua

Djibbi Inkidi

Zongon Kankaré

GuidanKoussaw

Rouga Mai Layou

Rougar Moussa (kaka)

Kahin Kossaou

Barkégé

Loda

Kadakay

Araourayé

Mai Douma

Guidan Kata

Guidan Tanko

Sarkin Hatsi

Dan Tsountsou

Toulou Bouché

Rougga Hamadi

Tchaké Batchiri

Guidan Magagi Bara

MaygizonAréwa

Dalawa

Zongon Dédé

MAYAHI

May Bagay

Guidan Koré Tossa

Al Moktar

Guidan Maga

Malamawa

Sirdawa

Guidan Ranaou

May Yara

KowaGwani Gangara

Tambarawa

Dan Bakoy

Ita Sofoua

Dan Mairo

Maché Jambaouchi

Malamawa

Maissakari

Korén Abjia

SERKIN HAOUSSA

Wakasso

Atchi lafia

Dan Maimouna

GuidanMeyda

Guidan BaraIn Gawa

Labara

KankaléMajikay

Kotya

DaboubouSansamé

Samia Andi

Dan Baou

Guidan Tanko

Serkin Aréwa

Janrwa

SalifawaMayléllé Baba

Hassane

Zarso

Oura

Karoubini

Dan Koulou

Baja

Gidan Assaka

Soké Soké Saboa

Kouka Dan BakoGuidan Ato

Dan Gao

May Kiéléwa

Algoum

Koudou Baro

Farou Bakey

Gisgué

Djali

Guidan Antou

GuidanIbrahim Djilguigé

Gakwey

GuidanAtchié

Litao

DanGaladima

Dan Goulbi

KANAN BAKATCHÉ

Danko

Guidan Kibia

Dan Kori

Gourjougou

ISSAWAN

Aytaden

Karé Dahaouka

Wala

Sarékou

Inyélwa

Kago

Boultou

Dan Ila

Guidan Nakaora

Mallamawa

Guidan Gagéré

El Mayahi

May Gachi

Dan Zao

Garin Wari

Toukounda

Garin Agali

ATANTANÉ

TCHAKYÉ

Dan Amaria

NwalaMaydoubou

Garin Galadima

Mayrakouma

Garin Nanaya

Moforawa

Gourbabo

Guidan Bara

Sakawa

Linkidim

Bantacha

Garin BalaKatoley

SaidawaKonkorma

Dan Albawa

Dan Askya

Garin Bizo

ÉVALUATIONPar deux consultants externes

Réussites• Les cinq corridors ont été acceptés par la popula-

tion locale et appliqués dans une large mesure. La transhumance s’est faite sans conflit (20 conflits recensés au début du projet).

• Grâce aux fontaines, les éleveurs de bétail nomades recourent moins aux fontaines des vil-lages (source de conflits).

• La commune de Sherkin Haoussa a financé la mise en place de dix commissions foncières jusqu’alors prises en charge par l’EPER. Cela prouve la dispo-sition des instances locales à poursuivre le projet initié par l’EPER avec leurs propres moyens.

Leçons apprises• Le besoin des éleveurs nomades en points d’eau

le long des corridors de passage a été sous- estimé.

• Les surfaces où les troupeaux paissent le long de ces voies de passage n’ont pas été ressemées.

La phase II du projet devra s’atteler à construire en priorité des fontaines et des latrines et à renouveler l’ensemencement.

2013

DEUXIÈME PHASE

PHASE II

Résultats intermédiaires depuis le début de la phase II :• 14 forums pour négocier et délimiter

environ 300 km de voies de passage.• 6 campagnes de sensibilisation me-

nées et 73 émissions radio diffusées.• 35 commissions foncières créées et

leurs membres formés.• 13 nouvelles fontaines construites

et 4 réparées.• 480 hectares de pâturages ressemés le

long des corridors.

2013-2016

PERSPECTIVESLe projet pilote « ZAMTAPO » de l’EPER est jusqu’ici un succès. Il pourrait se transfor-mer en pôle de compétences pour la garan-tie de la mobilité pastorale dans la région de Maradi et apporter un soutien important de conseils aux structures du Code Rural au Niger. Le projet pourrait être géogra-phiquement étendu et se pencher sur les épineuses questions de la transhumance des éleveurs de bétail à la frontière Niger-Nigeria, où la sécurité fragile met en péril le projet et la région.

2016 +Couloirs pré-identifiés

Couloirs en cours de balisage

Aires de pâturage identifiées non balisées

Aires de pâturage balisées

11

LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

QUESTIONS CRITIQUES

Réponse de l’EPER :L’EPER dispose du label de qualité de la fondation ZEWO. Celui-ci certifie que ses membres poursuivent un objectif d’intérêt public et qu’ils utilisent efficacement les dons reçus pour l’atteindre. Ce label n’est octroyé que si l’organisation concernée affiche une attitude économe et responsable avec ses frais administratifs. Dans le cas de l’EPER, la part des frais administratifs (autrement dit, les coûts d’administration, de communication et de recherche de fonds) atteignait 13,4% en 2014. Cette valeur est bien infé-rieure à la moyenne des organisations certifiées.

Toutefois, un minimum de fonds doit être alloué à l’administra-tion, notamment pour une gestion de la qualité. Si un projet ou un programme veut avoir une portée aussi vaste que possible, il

doit en effet être mis en œuvre de manière optimale. Cela requiert des contrôles et des évaluations. Et pour que les donateurs ap-prennent ce qu’il advient des fonds versés, des rapports annuels détaillés et quantités de statistiques doivent être préparés.

Dans la même veine, l’EPER a publié un codex complet axé sur la transparence. Celui-ci doit permettre de faire toute la lumière sur la définition, les principes et la pratique d’une communication transparente. Et en parallèle, l’EPER procède chaque année à une évaluation de manière à identifier des lacunes existantes en matière de transparence et qui permet d’introduire les mesures d’amélioration correspondantes.

Réponse de l’EPER :L’EPER est aussi de l’avis que certaines questions peuvent être réglées en Suisse. C’est la raison pour laquelle nous réalisons un travail de plaidoyer auprès du grand public en Suisse pour amé-liorer les conditions de vie à l’étranger au travers de campagnes auxquelles nous sommes associés, telles que l’Alliance climatique ou Droits sans frontière.

Pour ce qui est de l’approche impérialiste des ONG sur le terrain, l’EPER est très soucieuse de ne pas entrer dans cette catégorie.

Un des principes de notre action est le « Do no arm », autrement dit de ne pas produire des effets pervers en croyant résoudre des problèmes. Un autre principe important est que nous n’envoyons généralement pas d’expatriés sur le terrain, mais collaborons étroitement avec des organisations locales. Ces ONG, qu’on appelle aussi nos partenaires, sont à même de mieux cerner les besoins des bénéficiaires sur place et les projets à monter avec leur participation dans un souci constant de rendre autonomes et dignes ces personnes vulnérables.

GERHARD ITEN, 65 ans, Zürich

« Je ne fais jamais de don, parce que les frais administratifs sont

trop élevés. L’engagement d’une organisation doit être désintéres-

sé et personne ne doit s’enrichir au fil du processus. En outre, la

comptabilité et la communication doivent être transparentes, car en

tant que donateur, je souhaite savoir comment un projet est mis en

œuvre, et si l’argent arrive à bon port. Plus une organisation est de

grande taille, moins je peux en suivre la structure et plus j’hésite à

faire un don. »

THOMAS FERON, 24 ans, Palézieux

« Je ne fais pas de dons à des projets de développement. Je préfère être actif politiquement

en Suisse et soutenir des ONG qui ont une action locale. En agissant en Suisse, on peut

avoir un impact à l’étranger. Ce qui me dérange dans la coopération internationale, c’est

l’approche impérialiste au niveau économique, culturel et idéologique des ONG. Certaines

paient leurs expatriés aux normes suisses et exploitent les collaborateurs locaux sans leur

donner des droits syndicaux, la liberté d’expression ou des avantages sociaux équivalant

aux normes suisses. Mais elles imposent aussi des manières de faire et de penser qui ne

conviennent pas aux contextes locaux. »

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Réponse de l’EPER :Bien des donateurs se laissent guider par leurs émotions. Beau-coup veulent faire une bonne action, surtout à l’approche des fêtes de fin d’année. Ils ne veulent pas uniquement gâter leurs proches, mais aussi contribuer, par un don, à améliorer l’exis-tence de personnes défavorisées. Et bien entendu, les œuvres d’entraide profitent de ces circonstances et proposent des offres en conséquence. L’EPER ne déroge pas à cette règle. A nos yeux,

la sensibilisation et l’information sont capitaux lorsque nous sollicitons des dons. Car, vous avez raison, seules une évolution du comportement à l’égard des plus démunis de notre société et l’aptitude de ces personnes à devenir acteurs de leur vie permettent un développement ancré dans la durée – et pas seulement à Noël.

Réponse de l’EPER :Naturellement, la coopération au développement doit toujours être motivée par les besoins réels des bénéficiaires. C’est pourquoi l’EPER travaille sur le terrain avec des organisations partenaires dont les collaboratrices et collabo-rateurs connaissent les conditions de vie, les problèmes et les besoins de la population. Ils peuvent ainsi définir au mieux les besoins réels et l’étendue de l’aide nécessaire. L’un des piliers centraux du travail de coopération au développement de l’EPER est le plaidoyer. Nous soutenons les personnes dans leur effort pour prendre part aux processus de décision des gouvernements et d’autres organes d’importance. C’est un des facteurs essentiels du renfor-cement des compétences des bénéficiaires prôné par l’EPER.

Votre avis compte !

VOUS AUSSI VOUS SOUHAITEZ RÉAGIR ?

La coopération au développement a beaucoup évolué ces dernières décennies et il n’est pas rare qu’un malentendu entrave la compréhen-sion d’un projet.

Si vous avez des questions ou des critiques à formuler, n’hésitez pas à nous les adresser. Nous nous ferons un plaisir de vous répondre person-nellement.

Contacter la rédaction : [email protected]

REINHARD MARGELISCH, 41 ans, Diessbach bei Büren

« J’ai du mal avec la charge émotionnelle qui accompagne la coopération au développe-

ment. Bien souvent en effet, les organisations d’entraide dramatisent les choses pour doper

autant que possible leurs dons. C’est flagrant pour les collectes de fonds pendant la période

de Noël où l’on cherche à profiter de l’émotion saisonnière des personnes pour les inciter

à donner. La fidélité dans les dons devrait être encouragée. Les organisations d’entraide

devraient fournir un savoir bien solide aux gens, afin de modifier leur comportement et

les amener à s’investir toute l’année pour aider les personnes défavorisées et apporter leur

soutien après des catastrophes. »

NAOMI JONES, 44 ans, Berne

« Je ne fais pas souvent des dons pour des

projets de coopération. Je préfère soute-

nir l’aide aux réfugiés, une thématique

qui me touche plus personnellement. Je

trouve que l’aide au développement s’ap-

parente souvent à une mise sous tutelle.

Beaucoup d’organisations croient savoir

ce qui est bien pour leurs bénéficiaires

sans les concerter et cerner leurs besoins réels. Les œuvres d’aide

devraient renforcer leur action politique afin que les gouvernements

instaurent les mesures nécessaires pour que les populations puissent

se prendre en main. »

LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

ÉVALUER ET REDRESSER LE CAP

Le programme de l’EPER en Inde arrivait en fin de cycle. L’évalua-tion des chaînes de création de valeur par un consultant externe, suivie d’un atelier avec les différents protagonistes du projet a permis de tirer profit des succès et d’apprendre des échecs pour adapter, en conséquence, le programme national 2015-2018. Adrian Scherler, chargé de programme, détaille les enjeux.

Texte : Corina Bosshard Photo s : EPER / Christian Bobst

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Adrian Scherler, quel est le résultat général de ces évaluations ?Les forums sur les droits fonciers ont été la plus belle réussite de l’EPER en Inde : entre 2009 et 2014, les organisations partenaires de l’EPER ont pu mobiliser des terres pour quelque 69 000 familles marginalisées de Dalits et d’Adivasis. De ce fait, dans la prochaine phase de son programme en Inde, l’EPER veut princi-palement se concentrer sur le travail de ces forums et leur apporter son soutien, pour qu’ils puissent continuer à oeuvrer de manière durable et indépendante.

Et qu’est-ce qui a moins bien marché ? A l’évidence, le soutien agricole dans le cadre du programme « SEASON » n’a pas eu la portée escomptée : seul un tiers des bénéficiaires a pu tirer parti durablement des interventions. En outre, il manquait des synergies et une coordination entre les différentes composantes du programme.

Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?De nombreuses familles qui ont participé au programme « SEASON » ne possé-daient aucune terre. Et certaines familles qui avaient obtenu des terres grâce à l’EPER n’ont pas été intégrées aux acti-vités de « SEASON » ; elles n’ont pas plei-nement – voire pas du tout – pu profiter de leurs terres. Une composante de suivi faisait également défaut pour savoir ce qu’il advenait des nouveaux propriétaires de terres après quelques années.

Cela devrait toutefois changer dans la nouvelle phase du programme ?Absolument. L’accent principal devra être l’accompagnement, tout au long de leur parcours, des familles qui luttent pour une parcelle de terre : de l’acquisition à l’ex-ploitation durable de la terre acquise, en passant par la vente des produits agricoles cultivés. La commercialisation de la noix de cajou par exemple sera importante.

En tant que puissance émergente, l’Inde a-t-elle encore besoin d’aide au développement ?Effectivement, ce pays vit un boom éco-nomique significatif. Mais seule une petite partie de la population profite de cet essor. Un tiers de la population vit toujours sous

le seuil de la pauvreté. Cet essor éco-nomique attise par ailleurs des conflits autour de la terre et des ressources. Et c’est justement dans cette phase que les familles de petits paysans ont besoin de notre soutien. Dès que nos organisations partenaires et les forums sur les droits fonciers seront suffisamment renforcés, nous pourrons définitivement leur passer le flambeau de la responsabilité du projet et nous retirer progressivement du pays.

L’EPER a débuté son action par un ate-lier d’apprentissage mécanique pour des jeunes des régions rurales du Kera-la. Elle a ensuite ciblé son action sur les populations défavorisées et margina-lisées que sont les hors-castes (Dalits) et les femmes ou aborigènes indiens (Adivasis).

Depuis 2003, l’EPER a concentré son travail sur l’accès à des terres pour ces populations marginalisées en abordant toute la chaîne de création de valeur, de la production à la distribution, en pas-sant par la transformation. Elle a fondé des forums sur les droits fonciers dans trois Etats, afin de coordonner la lutte pour la terre de ses différentes organisa-tions partenaires. Ces dernières aident les petits paysans sans terre à s’extirper

des méandres administratifs et légaux pour obtenir leur propre terre.

Puis, dans un deuxième temps, le pro-gramme « SEASON » aide ces nouveaux propriétaires à cultiver leur terre de ma-nière durable en privilégiant les céréales traditionnelles et l’utilisation de fertili-sants et pesticides organiques dans des potagers et centres de semences.

Une autre composante du programme est la « Local Ressource Mobilisation ». Il s’agit d’informer les bénéficiaires de leur droit d’exiger que l’Etat installe des trous de sondage pour des fontaines ou qu’il mette à disposition de l’élec-tricité, et de les amener à obtenir ces prestations.

57 ANS D’ACTIVITÉ EN INDE

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CAMPAGNE DM-EPER

AUJOURD’HUI CIDO A SA PROPRE TERRE, UN REVENU, UN AVENIR

Cap sur le Cerrado au Brésil dans le cadre de la campagne DM-EPER « La Terre en partage ». Cido et sa famille ont réussi à sortir de la misère en obtenant leur propre terre au sein d’une coopérative.

Texte : Joëlle Herren Laufer Photo : EPER / Christian Bobst

Quand Cido était jeune, il vivait avec ses six sœurs et ses parents sur un tout petit lopin de terre, proche de Montes Claros. Trop petit pour qu’il puisse y tra-vailler, il était obligé d’offrir ses services à de grands propriétaires terriens pour un salaire de misère. Sa vie a changé quand, il y a 15 ans, il a occupé un lopin de terre à Americana, sur le terrain d’une grande entreprise redistribué dans le cadre de la réforme agraire. Cette action soutenue par l’EPER faisait partie des actions me-nées par le « Movimendo Sim Terra », le mouvement des sans-terres.

A l’époque, le responsable foncier de la commune prétendait que la terre n’y était pas fertile et que l’on ne pouvait pas la faire fructifier. Mais les nouveaux occupants ont démontré le contraire en utilisant des méthodes écologiques et traditionnelles pour travailler la terre. La défense du droit à la terre et le recou-vrement de la propriété foncière est un axe important du travail de l’EPER dans le Cerrado au Brésil. Le Centre d’agricul-ture écologique forme des organisations partenaires locales et des petits paysans. L’accent est aussi mis sur la promotion des semences locales traditionnelles.

Culture indigène écologiquePour Cido et les autres hommes du camp d’occupation des terres, l’« acampamen-to », il a fallu commencer de zéro. Les

hommes sont d’abord venus sans leurs familles. Ils ont construit des routes, des huttes et des citernes. Ce n’est qu’après que leur familles les aient rejoints qu’ils ont construit des maisons en dur. Toutes les familles sont réunies en collectif ; l’entraide prédomine. L’un des principes qui les guide est de respecter leurs tra-ditions de Geraizeiros. Ils cultivent donc de manière écologique en n’utilisant que des fruits et des légumes indigènes qui supportent le climat local principalement aride. Pas moins de 60 espèces différentes sont cultivées, parmi lesquelles des ananas et des mangues.

La coopérative de Grande Sertao, sou-tenue par l’EPER, collabore avec environ 3000 familles. Elle crée des filières pour la canne à sucre, les fruits sauvages ou les plantes médicinales. Cette collaboration permet aux familles de petits paysans du Cerrado d’obtenir un meilleur revenu et donc une meilleure qualité de vie. L’EPER a contribué à ce que le cycle du dévelop-pement durable puisse se mettre en place et bénéficie non seulement aux petits pay-sans, mais aussi aux organisations parte-naires qui ont tous augmenté et amélioré leur savoir-faire.

Il a fallu six ans à la communauté pour se structurer. Aujourd’hui, 15 ans plus tard, les familles de petits paysans sont fières de ce qu’elles ont réussi à accomplir. Les

enfants sont poussés à aller à l’école et à entreprendre une formation pour avoir de vraies perspectives d’avenir. L’accès à la terre constitue le point de départ d’une vie meilleure pour les familles qui peuvent produire et assurer leur sécurité alimen-taire. Cido rêvait depuis toujours d’avoir sa propre terre. Avec l’aide de l’EPER, son rêve est devenu réalité. Cido est apaisé et il souhaite maintenant pouvoir soutenir ses enfants à réaliser leurs projets de vie.

LA TERRE À CEUX QUI LA CULTIVENT Le mouvement des sans-terres, partenaire de l’EPER, réunit quelque 900 « acampamento », des camps d’occupation des terres de pay-sans pour le compte d’environ 50 000 familles. Celles-ci produisent des denrées alimentaires pour leur propre consommation ainsi que pour le marché local. « La terre doit revenir à ceux qui la cultivent ! » est leur slogan. 175 millions d’hectares de terres pourraient être distribués à des paysans sans terre en vertu de la loi agraire de 1990.

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Faites un don !

AIDEZ LES PETITS PAYSANS À OBTE-NIR UNE TERRE…

A travers le monde, l’EPER soutient des milliers de familles dans leur lutte pour la terre.

Avec un don de CHF 70, vous per-mettez à une famille de s’organiser et de bénéficier du soutien juridique nécessaire pour obtenir une parcelle dans le cadre de la réforme agraire. CP 10-1390-5, mention : « Brésil »

… ou mobilisez-vous pour vendre des sachets de sel à CHF 5 ! www.eper.ch/dm-eper,[email protected], 021 613 40 83

76%

24%

Industrie agroalimentaire

Répartition des terres agricoles

Contribution aux denrées consommées

Petites exploitations

LA SITUATION AU BRÉSIL

70%

30%

Cido a réalisé son rêve en acquérant une terre

AGE ET MIGRATION

PLONGEON EN EAU FROIDE : LES VERTUS DE LA MISE À NU

A côté des séances d’information sur les assurances maladie et sociales, Age et migration propose aux personnes vieillissantes des communautés ex-yougoslaves et lusophones des activités pour sortir de l’isolement. Zoom sur une relation de confiance avec un groupe de femmes portugaises qui leur permet de se jeter à l’eau, au propre comme au figuré.

Texte : Joëlle Herren Laufer Photos : Yves Leresche et EPER / Joana da Silva

Quand l’animatrice d’Age et Migration, a créé le Café-rencontre au centre des Alizés à Yverdon, c’était pour donner aux femmes portugaises l’occasion de se ren-contrer. Les hommes avaient leur Café portugais où ils pouvaient jouer aux cartes ou regarder des matchs de foot. Mais les femmes n’y trouvaient pas leur place. Le Café-rencontre a palié à ce manque. Lors des premières séances, les participantes buvaient simplement du café avec des pâtisseries. C’était déjà un véritable plaisir pour elles de pouvoir échanger sur leur vie au Portugal, leurs douleurs corporelles – elles pratiquent toutes un emploi pénible – ou leur éventuel retour au pays.

Un jour, Joana, l’animatrice, a suggéré une sortie aux bains d’Yverdon, les parti-cipantes lui ont avoué qu’elles ne savaient pas nager. Elle a donc mis sur pied des cours de natation. « Cela semble banal, mais quand on n’est jamais allé à la pis-cine, c’est toute une aventure », témoigne Joana. « On ne va jamais y arriver ! » s’est exclamée l’une d’elles. « J’ai arrêté l’école à la quatrième année, je ne sais pas faire du vélo, comment veux-tu que j’apprenne vite à nager ? » a déclaré une autre.

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Elles trouvent la force dans le groupeLes cours de natation constituent une sa-crée étape pour ces femmes qui ont peu l’habitude d’être en situation d’apprendre ou de pratiquer des loisirs. « C’est une mise à nu à tous points de vue, raconte Joana. D’abord, il y a la peur à gérer. Il n’est pas rare qu’elles sortent de l’eau en tremblant. Rien n’est naturel, même souf-fler dans l’eau est nouveau. Ensuite, il faut dévoiler son corps en maillot de bain puis être à nu au sens propre du terme sous la douche. » Charlotte, la professeure, passe son temps à encourager ces femmes qui ne cessent de se dévaloriser. Et qu’elles le croient ou non, elles font des progrès tout en rigolant.

Avides d’apprendreCette plongée en eau froide n’est pas seulement bénéfique pour le corps. Les vestiaires sont un lieu idéal de papotage. Pour cette population très pudique, cette intimité permet une complicité nouvelle. Et puis ces femmes découvrent non seule-ment qu’elles sont capables d’apprendre, mais aussi qu’elles sont avides d’apprendre de nouvelles choses. Joana surfe sur la

vague. Elle a invité une nutritionniste au Café-rencontre, elle organise une sortie champignons. L’effet de groupe est un vé-ritable moteur. Ces femmes ont tellement de plaisir à participer aux cours de nata-tion qu’elles ont décidé de les poursuivre à leurs propres frais et ont déjà agendé leur propre sortie morilles. « Pourrait-on apprendre autre chose ? »

« Ces femmes ont pris conscience qu’elles pouvaient organiser des activités. »

Lancé en 2012, le projet Age et Migration a démarré auprès des communautés vieillissantes ex-yougoslaves et s’est étendu aux communautés lusophones du canton de Vaud, toutes deux très vulnérables, isolées et souvent en mauvaise santé. Ces per-sonnes au parcours migratoire difficile et qui ne pensaient pas rester en Suisse sont peu intégrées et maîtrisent mal le français. Il en résulte une méconnaissance du système socio-sanitaire, rai-son pour laquelle le projet organise des séances d’information sur les assurances maladie et sociales et leur gestion financière personnelle en collaboration avec Pro Senectute Vaud. Chaque séance est encadrée par un médiateur interculturel pour que les informations soient compréhensibles dans les cinq langues des communautés.

Des permanences d’écoute et d’orientation individuelles sont aussi organisées à Lausanne et Yverdon. Elles permettent aux bénéficiaires de mieux prendre conscience des cartes qu’ils ont en main pour s’approprier leur situation et revendiquer des prestations auxquelles ils pourraient prétendre.

Une fois qu’une relation de confiance est établie, les différents groupes de migrants seniors sont ouverts à participer à des acti-vités culturelles ou sportives proposées par le projet. Outre les cafés-rencontres, la soirée musicale et la visite de la Fondation gentiana pour la connaissance des plantes médicinales à Leysin ont été fort appréciées.

AGE ET MIGRATION COMBLE UN VIDE

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ANDREAS KRESSLER NOUVEAU DIRECTEUR

Dès le mois d’août, Andreas Kress-ler succède à Ueli Locher au poste de directeur de l’EPER. Elu par le Conseil de fondation, il sera basé au siège de Zurich. Ce comptable de formation dispose d’une vaste expé-rience de l’administration publique.

En tant que membre de la direction de la mission des Frères moraves suisses durant plusieurs années, il a participé à des projets de développement en Tanzanie. Il est également membre du Conseil de fondation d’une organisa-tion offrant un accompagnement au logement ambulatoire et stationnaire, et membre de la commission d’experts pour le développement et la coopéra-tion du canton de Bâle-Ville. Il bénéficie aussi de plusieurs années d’expérience en matière de management dans un environnement de travail complexe. Il a dirigé jusqu’alors l’organisme en charge de la gestion du parc immobilier du canton de Bâle-Ville et était antérieure-ment secrétaire général du département cantonal des finances de Bâle-Ville.

L’EPER lui souhaite la bienvenue !

NOUVEAU BUREAU DU SAJE À YVERDON

Le Service d’Aide Juridique aux Exilé-e-s (SAJE) a ouvert en avril une nouvelle antenne à Yverdon.

Ce centre s’occupera d’offrir un conseil juridique gratuit aux per-sonnes requérantes hébergées dans les Centres d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, des Rochats (VD) et de Perreux (NE), les deux derniers récemment ouverts par le Secrétariat d’Etat à la migration.

Une juriste à 60% tient une permanence sans rendez-vous les lundis et jeudis de 14h30 à 16h30. Un groupe de béné-voles de la région du Nord vaudois, le Tempak, accueillent les requérants pendant les heures de permanence.

Coordonnées : Quai de la Thiele 3, 079 928 03 05

ACTUEL AGENDA

Stand d’infos sur les paysannes du Congo et l’EPER

Thierry Pleines, chargé de projet, présent de 10h-12h

29 AOÛT 2015, DE 9H À 16HAutour ou dans l’Eglise française de Berne. Contact : Thierry Dominicié, 078 715 46 52

Campagne DM-EPER 2015La terre en partage

SOIRÉES DE LANCEMENT Neuchâtel (NE), 1er septembre,maison de paroisse, 19hTramelan (BE-JU), 3 septembre, maison de paroisse, 19hMartigny (VS), 8 septembre,salle de paroisse, 19h30Môtier-Vully (FR), 10 septembre,maison de paroisse, 19h30Lausanne (VD), 11 septembre,Centre de Bois-Gentil, 19h30

Contact : [email protected], 021 613 40 83,

Fête interculturelle de Renens

3 OCTOBRE 2015, DÈS 14H Eglise catholique St-François de Renens. Contact : Abbé Thierry Schelling 076 542 05 31

Marché d’automne à Champoz

Vente de chèvres et de savons par la paroisse de Bévilard au profit de l’EPER

3 OCTOBRE 2015, DE 9H À 18H Champoz. Contact : Claudine Bassin, 032 358 51 85

ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE

Secrétariat romandBd de Grancy 17 bisCase Postale 5361001 Lausanne

Tél. +41 21 613 40 [email protected] CP 10-1390-5