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Comment réagissent les consommateurs
face à des tentations d’achat répétées ?
Une application aux ventes privées en ligne
Nawel Ayadi
Maître Assistante, Chercheur CRM
ISG Tunis, EAC-CNRS 5032, IAE de Toulouse, Université de Toulouse 1 Capitole
Magali Giraud
Maître de conférences,
CRM, EAC-CNRS 5032, IAE de Toulouse, Université de Toulouse 1 Capitole
Christine Gonzalez*
Maître de conférences
CREM, UMR-CNRS 6211, IGR-IAE de Rennes, Université de Rennes 1
*11 rue Jean Macé ; CS 70803 ; 35708 Rennes Cedex 7 ; Email : christine.gonzalez@univ-
rennes1.fr; Tel. : 02 23 23 30 53
Comment réagissent les consommateurs face
à des tentations d’achat répétées ? Une application aux ventes privées en ligne
Résumé :
Lorsqu’ils sont exposés à des tentations d’achat, les consommateurs peuvent décider de mettre
en place avec plus ou moins de succès des mécanismes de contrôle. Cette recherche s’intéresse
à deux variables clés dans le processus qui conduit une impulsion d’achat à se transformer en
un achat impulsif : la capacité et la volonté du consommateur à se contrôler. Une étude
qualitative a été conduite auprès de 34 membres des sites de ventes privées afin de mettre en
évidence les processus de contrôle mis en place par des consommateurs face à tentations
d’achat répétées.
Mots-clés : achats impulsifs, processus de contrôle, ventes privées en ligne.
How do consumers react to repeated purchase temptations?
An application to the online private sales
Abstract:
When exposed to purchase temptations, consumers may decide to set up, with varying degrees
of success, control mechanisms. This research focuses on two key variables within the process
by which purchase impulse turns into an impulsive purchase: consumer’s ability and willingness
to control himself. A qualitative study was conducted with 34 online private sales members in
order to highlight the control processes established by consumers confronted with repeated
purchase temptations.
Key-words: impulsive purchase, control process, online private sales.
1
Comment réagissent les consommateurs face
à des tentations d’achat répétées ? Une application aux ventes privées en ligne
Introduction
Les achats impulsifs, très lucratifs pour les producteurs et les distributeurs, ont stimulé un
nombre conséquent de recherches dans les années 80 et 90 (Beatty et Ferrell, 1998, Rook,
1987, Weinberg et Gottwald, 1982). Le développement de la vente en ligne a revitalisé ces tra-
vaux, Internet étant en effet propice aux achats impulsifs, tant parce qu’il lève des frontières
physiques et temporelles à l’achat, qu’il élimine la pression sociale, ou qu’il favorise les promo-
tions, levier des achats impulsifs (Madhavaram et Laverie, 2004 ; Park & al., 2011). Toutefois,
il est difficile d’occulter le potentiel dysfonctionnel de ce type d’achats, souvent assimilés à des
décisions myopes ou inconsistantes dans le temps (Loewenstein, 1996; Thaler et Sefrin, 1981;
Wertenbroch, 1998). Les recherches sur les achats compulsifs pointent pour leur part très clai-
rement les dérives auxquelles s’expose un consommateur incapable de réprimer ses impulsions:
culpabilité, surconsommation, endettement etc. (D’Astous, Valence et Fortier, 1989 ; Faber et
Christenson, 1996 ; O’Guinn et Faber, 1989, Peters et Bodkin, 2007). Les travaux sur la résis-
tance, enfin, évoquent de possibles réactions agressives de consommateurs prenant conscience
des manipulations des entreprises (Roux, 2007). Les recherches sur les achats impulsifs se sont
ainsi, dans un second temps, focalisées sur les réponses des consommateurs à leurs impulsions
d’achat, en particulier, leur capacité à se contrôler (Dholakia, 2000 ; Hoch et Loewenstein,
1991 ; Rook et Fisher, 1995 ; Shiv et Fedorikhin, 1999 ; Vohs et Faber, 2007). Cette recherche
se fixe plus spécifiquement pour objectif d’identifier les mécanismes de contrôle mis en place
par les consommateurs lorsqu’ils sont exposés de manière répétée à des tentations d’achat. Le
cadre d’analyse choisi ici sera celui des ventes privées en ligne qui soumettent le consomma-
teur à un flux continu d’offres de marques prestigieuses proposées à prix réduit et en quantités
2
limitées. Ce modèle de vente vise à stimuler des impulsions d’achat, fondées sur le smart-
shopper-feeling1 (Schindler, 1989). Son dynamisme indéniable (un CA prévisionnel de
1 107 000 000 euros en 2011 pour le leader ventes-privées.com soit une croissance prévue de
14% de 2010 à 20112) et la fidélité de ses consommateurs (les consommateurs viennent en
moyenne neuf fois par mois sur le site Ventes Privées) suggèrent que le consommateur, soit se
laisse prendre au jeu, soit s’y prête. Cette recherche soulève une double interrogation : lors-
qu’il est conscient de risquer de s’exposer à des tentations d’achat, le consommateur ressent-il
ou non le besoin de se contrôler et a-t-il ou non la capacité de le faire ? Cet article développe,
dans une première partie, le cadre théorique mobilisé. La méthodologie est ensuite exposée
suivie de l’analyse des résultats. Enfin, la conclusion détaillera les implications théoriques et
managériales ainsi que les voies futures de recherche.
1. Cadre théorique
Les recherches se sont largement centrées sur une conceptualisation des achats impulsifs
comme des actes « myopes », où, en cédant à son désir immédiat, le consommateur agit à
l’encontre de ses intérêts à long terme (Hoch et Loewenstein ; Thaler et Shefrin, 1981). Le
consommateur, en proie à une impulsion, est tiraillé entre un bénéfice hédonique immédiat
certain et des intérêts supérieurs, à plus long terme, parfois incertains (épargner, se sentir
maître de soi etc.) (Ainslie, 1975; Baumeister, Heatherton et Tice, 1994; Dhar et Wertenbroch,
2000; Loewenstein, 1996). Dans cette vision des achats impulsifs, la réponse rationnelle du
consommateur à une impulsion serait de résister à son désir. L’objectif des recherches est
alors de comprendre comment un individu peut contrôler son désir pour lui résister. La
1 Ainsi, la page d’accueil d’un des principaux sites américains (Gilt) annonce "Gilt plays to our impul-
sive, thrill-seeking selves by putting up new enticements every day" et "Everyone agrees nothing's sex-
ier than a bargain.” 2 http://pressroom.vente-privee.com/PressKit/DP_10.aspx (chiffres datant d’Octobre 2011)
3
capacité tout comme la motivation à se contrôler jouent un rôle central et seront détaillées dans
cette partie théorique.
Dans cette recherche, nous retenons la définition du contrôle de McInnis et Patrick (2006)
sous la terminologie d’auto-régulation : il s’agit du « processus de contrôle des pensées,
comportements, attention et émotions destiné à mettre en œuvre une action corrective
permettant d’atteindre un but approprié en termes normatifs ou un but personnellement dési-
ré ».
1.1. La capacité de contrôle du consommateur sur ses impulsions d’achat
Les déterminants du contrôle personnel : La capacité à contrôler ses impulsions dépend tant
de l’individu que de la situation dans laquelle il s’y trouve confronté. Parmi les principaux
antécédents individuels se trouve le niveau personnel de contrôle de soi (Baumeister et
Heatherton, 1996 ; Schmeichel et Zell, 2007). Celui-ci peut se renforcer sous l’effet de
l’expérience (Fishbach, Friedman et Kruglanski, 2003, Muraven, Baumeister et Tice, 1999).
D’autres variables jouent un rôle, parmi lesquelles le niveau d’impulsivité (Shiv et Fedorikhin,
1999), la capacité à considérer les conséquences futures de ses actes (Nenkov, Inman et Hul-
land, 2008 ; Strathman & al., 1994) ainsi que l’orientation régulatrice des individus (promotion
vs prévention) (Dholakia & al., 2006).
La capacité de contrôle dépend également de la situation (Hoch et Loewenstein, 1991). Ainsi,
plus la tentation est proche physiquement ou temporellement, plus il est difficile à l’individu
d’y résister (Hoch et Loewenstein, 1991 ; Loewenstein et Prelec, 1992 ; Metcalfe et Mischel,
1999 ; Shiv et Fedorikhin, 1999). Par ailleurs, un individu a plus de mal à résister à ses
impulsions lorsque ses ressources cognitives sont déjà concentrées sur une autre tâche (Shiv et
Fedorikhin, 1999), lorsqu’il est stressé ou dans un état affectif désagréable (Fry, 1975 ;
Baumeister et Heatherton, 1996 ; Klohnen, 1996 ; Tice, Bratslavsky et Baumeister, 2001) ou
4
bien dans un état de fort éveil (Fedorikhin et Patrick, 2008). Plus généralement, s’appuyant sur
la théorie du contrôle comme ressource limitée, plusieurs travaux ont montré que toute
situation consommatrice de contrôle personnel diminuait la capacité de contrôle des impulsions
(Baumeister et Heatherton, 1996, Vohs et Faber, 2007).
Les techniques de contrôle des impulsions d’achat : De nombreuses recherches ont étudié les
méthodes de contrôle des impulsions (Hoch et Loewenstein, 1991; Hofmann, Friese et Roefs,
2009) et les classent en deux groupes : les stratégies visant à éviter la tentation ou à la rendre
moins intense et celles visant à renforcer le contrôle (Ainslie, 1992; Schelling, 1984; Thaler et
Shefrin, 1981, Wertenbroch, 1998). Ainsi, pour diminuer son désir en cas d’exposition à une
tentation, le consommateur peut détourner son attention soit vers d’autres stimuli physiques
(s’éloigner), soit vers des pensées associées à des objectifs « supérieurs » (être maître de soi
etc.) (Rook et Hoch, 1985). Des effets d’apprentissage peuvent même apparaître au point que
le consommateur en vient à associer inconsciemment à chaque impulsion d’achat un objectif à
long terme (économiser pour partir en vacances) inhibant ainsi le passage à l’achat impulsif
(Fishbach, Friedman et Kruglanski, 2003). Le consommateur peut également reporter toute
décision d’achat (ne jamais se décider à la première visite) ou substituer une petite récompense
à la tentation initiale. Une seconde manière de mieux maîtriser son désir face à la tentation est
d’augmenter son niveau de volonté (Hoch et Loewenstein, 1991 ; McInnis et Patrick 2006). Il
s’agit de contrebalancer le désir en mettant en relief ou en associant artificiellement des coûts à
l’acte impulsif. Pour cela, les consommateurs peuvent mettre en œuvre une stratégie de « pré-
engagement» de manière à, soit rendre l’achat impossible (ne pas avoir d’argent sur soi), soit
augmenter suffisamment les coûts associés pour qu’ils dépassent les bénéfices anticipés. Ces
coûts peuvent être matériels (ne pas négocier d’autorisation de découvert) (Hoch et
Loewenstein, 1991 ; Wertenbroch, 1998) ou psychologiques (s’engager publiquement à ne pas
reproduire un comportement). Les consommateurs peuvent également se forcer à mieux
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anticiper les coûts (en liant une action isolée à des conséquences à long terme en cas de répéti-
tion) ou garder des traces écrites de chacune de leurs dépenses pour prendre conscience de
leur poids total. Anticiper un sentiment de culpabilité ou de regret s’avère également efficace
pour se contrôler (McInnis et Patrick 2006).
L’ensemble de ces recherches insiste sur le rôle central du contrôle dans la résistance à une ten-
tation. Toutefois, Muraven et Slessareva (2003) montrent que, même lorsque leurs ressources
en contrôle sont faibles, certains individus arrivent à se motiver pour résister. Ce résultat met
l’accent sur le rôle de la volonté.
1.2. La volonté de contrôle du consommateur sur ses impulsions d’achat
Remise en cause de l’irrationalité des achats impulsifs : En élargissant le cadre d’analyse des
actes impulsifs au-delà de l’approche dysfonctionnelle, des auteurs ont souligné les bénéfices
liés aux actes impulsifs (Puri, 1996). L’idée selon laquelle la réponse la plus rationnelle à une
tentation est de lui résister a alors été nuancée. En effet, si certaines décisions impulsives cor-
respondent effectivement à des décisions inconsistantes dans le temps, où les coûts surpassent
les bénéfices, elles ne le sont pas toutes. Deux éléments rendent plus particulièrement difficile
l’évaluation a priori du caractère rationnel ou non d’une décision impulsive : d’une part, le ca-
ractère multidimensionnel des conséquences de la décision (à court terme et à plus long terme,
positives et négatives, psychologiques et matérielles); d’autre part, leur caractère incertain
(Green, Fry et Myerson, 1994). Il est donc envisageable que, chez certains individus et dans
certaines situations, céder à une impulsion soit une réponse raisonnable. Thompson, Locander
et Pollio (1990) décrivent ainsi les achats impulsifs comme des actes de liberté où l’acheteur
s’affranchit de la nécessité de se contrôler et d’évaluer de manière analytique le bien-fondé de
la décision d’achat, parce qu’il ressent de manière holistique et directe le bien-fondé de la déci-
sion. Dans certains cas et chez certains individus, les décisions impulsives s’avèrent satisfai-
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santes autant à court qu’à long terme (Burroughs, 1996 ; Hausman, 2000). Le consommateur
n’a alors pas de raison de résister à son désir (Dickman, 1990). Par ailleurs, parce qu’ils ont
tendance à toujours réfréner leurs impulsions et qu’avec le temps se développe chez eux le re-
gret de ne pas s’être fait assez plaisir durant leur vie, certains individus « sur-contrôlés »
s’obligent à relâcher leur contrôle et à suivre leurs impulsions (Kivetz et Keinan, 2006). Ainsi,
alors que l’enjeu, pour certains individus impulsifs réside dans une meilleure maîtrise de leurs
impulsions, à l’inverse, pour les individus « hypermétropes » (Kivetz et Keinan, 2006), l’enjeu
est d’apprendre à céder à la tentation, à la fois pour les bénéfices hédoniques liés au plaisir im-
médiat de l’acte impulsif mais également pour le bénéfice économique lié à certaines décisions
immédiates (bonne affaire qui ne se représentera pas, décision rapide à prendre) (Kivetz et
Keinan, 2006 ; Keinan et Kivetz, 2008; Kivetz et Simonson 2002). Pour cela, ces individus
peuvent mettre en place des mécanismes pour s’obliger à se faire plaisir. Enfin, dans certaines
situations, céder à une impulsion peut correspondre à un acte « d’auto-indulgence » délibéré.
Le consommateur peut volontairement se laisser aller à acheter impulsivement par exemple
pour mettre fin à un état affectif indésirable ou pour se récompenser d’avoir atteint des objec-
tifs (Thompson, Locander et Pollio, 1990 ; Tice, Bratslavsky et Baumeister, 2001). L’ensemble
de ces expériences illustre les achats impulsifs « consonants » avec les intérêts du consomma-
teur (Dholakia, 2000), où céder à son désir d’achat est une décision rationnelle, au moins à
court terme et où le relâchement de contrôle n’est pas subi mais délibéré.
Les déterminants de la volonté de contrôle : Le consommateur consentira ou non à contrôler
ses comportements d’achat impulsif sur la base de paramètres individuels ou contextuels. Rook
et Fisher (1995) ont ainsi mis en évidence le caractère explicatif de l’évaluation normative par
les individus des achats impulsifs qui peut être sous-tendue par des normes ou des valeurs indi-
viduelles (Zhang et Shrun, 2009) ou par des éléments culturels (une société individualiste to-
lère mieux les actes impulsifs qu’une société collectiviste (Kacen et Lee, 2002 ; Zhang & al.,
7
2010). Enfin, certains consommateurs ont confiance dans leurs impulsions parce que
l’expérience leur a montré que les décisions qu’ils prenaient de manière impulsive s’avéraient
satisfaisantes et représentent ainsi un signal fiable pour agir (Burroughs 1996 ; Dickman 1990 ;
Thompson, Locander et Pollio, 1990).
La volonté des consommateurs de résister ou non à une impulsion varie également selon la si-
tuation. Ainsi, Dholakia (2000) met en évidence le processus cognitif qui suit l’impulsion. En
fonction de l’évaluation qu’il a du caractère « consonnant » ou « dissonant » de l’impulsion
avec ses intérêts, le consommateur souhaitera ou non maîtriser son désir. Les éléments « disso-
nants » peuvent être situationnels (besoin de contrôler ses dépenses, son temps passé dans les
magasins etc.). L’environnement personnel au moment de l’achat est également important.
Ainsi Luo (2006) montre que le fait d’être accompagné par des proches favorise les achats im-
pulsifs, alors que la présence de membres de la famille les freine.
2. Méthodologie
2.1. Choix du terrain d’application: les ventes privées en ligne
Les sites de ventes privées en ligne constituent actuellement des lieux de visite et d’achat
propices au déclenchement d’achats impulsifs. Les tentations y sont en effet nombreuses et
variées. Il s’agit en premier lieu d’attirer le visiteur par le couple marques à forte notoriété –
promotions importantes. L’aspect tentant de cette combinaison est renforcé par deux
contraintes, l’une temporelle consistant à limiter la durée de l’offre à quelques jours et l’autre
quantitative résidant dans la limite des stocks disponibles. Ces sites exercent donc une double
pression parfois accentuée par des éléments d’affichage tels que le nombre de visiteurs présents
au même moment, le nombre d’articles restants etc. La combinaison de ces moyens est de
nature à déclencher et faciliter la naissance d’impulsions et par conséquent maximiser les achats
impulsifs.
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2.2. Méthodologie de la recherche
Trente-quatre entretiens semi-directifs ont été réalisés afin de mieux comprendre les compor-
tements du consommateur sur les sites de ventes privées en ligne. Les auteurs ont sollicité uni-
quement des personnes membres depuis au moins un an d’un site de ventes privées en ligne. 30
femmes et 4 hommes ont été interviewés. En effet, les femmes, qui représentaient, en 2006,
59% des acheteurs de vêtements et d’accessoires sur Internet3, sont majoritaires parmi les
clients des sites de ventes privées en ligne4. Le profil des répondants (annexe 1) est varié en
termes d’âge (l’âge moyen est de 32 ans, il varie entre 22 et 60 ans) et de catégories socio-
professionnelles.
Le guide d’entretien a été structuré autour de trois thèmes extraits du cadre conceptuel : (1) le
comportement de visites et d’achat sur les sites de ventes privées en ligne, (2) les risques et les
bénéfices associés à la consommation sur ces sites et (3) le comportement de contrôle ou de
résistance face aux tentations de ces sites. Les trente-quatre entretiens, d’une durée de 40 mi-
nutes à 1h15, ont été intégralement retranscrits. Ils représentent un corpus de 432 pages.
Une analyse de contenu manuelle a été conduite. Les entretiens ont été lus de façon attentive
par les auteurs. Suite à cette lecture, une grille d’analyse a été construite par une comparaison
entre les données et la théorie. Cette grille d’analyse a fait l’objet de nombreuses discussions
jusqu’à obtenir un consensus entre les auteurs. Une analyse verticale (comment se manifeste la
volonté et la capacité à se contrôler ?) et horizontale (existe-il différents profils?) a été réalisée.
3. Résultats
3 http://www.journaldunet.com/cc/04_ecommerce/ecom_cyberconso_fr.shtml 4 En juin 2011, 60% des acheteurs du site ventes-privées étaient des femmes,
http://www.journaldunet.com/ebusiness/commerce/audience-femmes-e-commerce/mode.shtml
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Nous proposons d’étudier les réponses des consommateurs aux impulsions ressenties sur les
sites de ventes privées selon deux variables : la volonté ou non de se contrôler et la capacité ou
non à le faire (annexe 2). Trois profils apparaissent : (1) les consommateurs « myopes » : ils
voudraient se contrôler mais en sont incapables, ce qui les conduit à faire des achats dysfonc-
tionnels, à surconsommer ; à l’extrême, ils peuvent sombrer dans des pratiques addictives. (2)
les consommateurs « auto-régulés » : ils veulent contrôler certaines de leurs impulsions et y
arrivent ; ils tentent de concilier le plaisir d’acheter impulsivement et leurs intérêts à long terme
(3) les individus « hypermétropes » (Kivetz et Keinan, 2006) ; ils aimeraient ne pas toujours se
contrôler, mais sont incapables de lâcher prise
3.1. Volonté de se contrôler et incapacité à le faire (les myopes)
Certains individus sont incapables de contrôler leurs achats et de résister au « smart-shopper-
feeling » : ils achètent des produits dont ils n’ont pas besoin «J’achète aussi beaucoup, beau-
coup de cosmétiques, alors que je ne m’en sers pas beaucoup, c’est ça qui est marrant. J’ai
des kilos de maquillage» (Femme 9). Dans des cas extrêmes, ces achats peuvent devenir com-
pulsifs (O’Guinn et Faber, 1989 ; Peters et Bodkin, 2007). Ainsi l’achat sur les sites de ventes
privées est décrit par certains consommateurs comme une drogue dont on doit se désintoxiquer
: après l’achat, le consommateur ressent d’abord de l’excitation et du plaisir avant d’être sub-
mergé de sentiments négatifs : «Comme c’est un peu comme une drogue, c’est un peu comme
une descente d’un drogué qui souffre de sa dépendance et au final va se dire : « Et bien je
vais arrêter », parce qu’il y a la montée, mais il y a la descente » (Femme 9). Les sentiments
de culpabilité et de remords émergent prenant ainsi le dessus : « Mais quand on achète trop et
qu’au final ça finit par être plus désagréable qu’agréable, parce que la culpabilité est forte,
tellement forte que ça gâche le plaisir» (Femme 9). Des problèmes matériels et sociaux appa-
raissent également : « Question : Donc, le seul problème, ce serait un problème de place… ?
10
Réponse : Et puis financier forcément » (Femme 9), «alors ma sœur elle me dit ça suffit parce
qu’à un moment je n’achetais que des fringues, ma sœur elle me dit là ça suffit » (Femme 10).
Conscients de ces différents risques associés à l’achat impulsif, ces consommateurs tentent sans
succès de mettre en place des stratégies pour contrôler leurs achats: « Et du coup, quand tous
les jours on reçoit des mails, par presque dizaines, de marques qu’on aime bien, on va juste
jeter un œil en se disant « bon j’achète pas, et puis en fait, quand tu es face à une offre gé-
niale, une robe super, un achat à un prix imbattable et bien on commande quand même. »
(Femme 9), «J’essaie de me dire que cet argent je peux l’utiliser pour quelque chose de plus
utile, mais au final je cède car je n’aurais pas deux fois l’opportunité…oui je me fixe une
barre à ne pas dépasser mais des fois je la dépasse » (Femme 20). Pour atténuer leur culpabi-
lité, ils tentent de rationaliser leurs décisions « je me dis qu’au pire, je renverrai » (Femme 7).
3.2. Volonté de se contrôler et capacité à le faire (les auto-régulés)
Pour nombre de ces consommateurs, c’est l’expérience qui semble leur avoir permis de mettre
en place des outils de contrôle, alors que dans les premiers temps de leur relation, ils avaient
tendance à dépenser sans limites : «Au départ, tu te dis que tu vas faire une bonne affaire et tu
le prends. Mais si je m’amuse à faire 100 euros d’achats sur Ventes-Privées tous les mois… »
(Femme 1). Il semble en effet que l’expérience leur a fait prendre conscience des désagréments
auxquels ils risquent de se heurter s’ils cèdent d’une manière répétée à leurs impulsions. Trois
types de stratégies de contrôle identifiées par Hoch et Loewenstein (1991) ont émergé. Les
premières sont mises en place avant la naissance de l’impulsion d’achat. Certains consomma-
teurs évitent de se retrouver exposés à la tentation, en limitant le nombre de mails reçus ou lus
: « Les offres sont très tentantes, alors, pour me limiter, je préfère n’être inscrite que sur un
site » (Femme 25), ou en s’interdisant la visite du site, spécialement lorsque la tentation est
grande : « si une vente me plait vraiment, souvent je me dis qu’il vaut mieux ne pas aller voir,
11
puisque souvent je sais que j’achèterais pas quand même. Je me dis je ne vais pas me faire
râler pour rien » Femme 25), ou lorsqu’ils ont la certitude que les stocks ont fondu, « j’y vais
plus à sept heures. Maintenant, j’y vais dans la journée parce que je me dis qu’il y a plus de
chances que je ne trouve plus ma taille » (Femme 12). Cette volonté de contrôle semble par-
fois donner lieu à des manifestations de résistance (Roux, 2007) : « Si c’est quelque chose à
laquelle je suis pas inscrite, je regarde même pas ce qu’il y a dedans… ; ça m’énerve en fait
de recevoir des choses pour lesquelles j’ai rien demandé… ; je vais direct cocher et suppri-
mer, j’ouvre même pas » (Femme 28).
Chez d’autres individus, c’est au stade du passage de l’impulsion à l’achat impulsif que se met
en place le contrôle. Avant de conclure l’achat, il arrive au consommateur de ressentir une
« alerte » qui lui indique que l’achat présente des risques (Dholakia, 2000). S’ensuit une éva-
luation approfondie du bien-fondé de l’achat et le consommateur en vient à résister à la tenta-
tion si l’évaluation est négative : «…parce que des fois, il y a une euphorie, et puis quand on
regarde le panier, on se dit : « ça sert à rien, je le mettrai pas », et puis on le valide pas »
(Femme 5). Plusieurs répondants procèdent même à une recherche d’information complémen-
taire sur Internet afin de vérifier que le produit n’est pas proposé à un prix inférieur sur un
autre site : « il suffit que tu tapes la référence de l’objet qu’ils ont soit disant en ventes pri-
vées, et tu t’aperçois que sur n’importe quel site de ventes normales sur Internet, c’est au
même prix. » (Homme 1). Certains consommateurs se forcent à anticiper les conséquences de
l’achat : « Ce que je fais, en général, pour me dissuader d’acheter, c’est que je vais faire un
tour sur mon compte bancaire et, en général, c’est fatal » (Femme 12), à mettre en perspec-
tive cette dépense avec d’autres dépenses : « … ça s’accumule, ça va être cette petite dépense,
plus une autre, plus une autre, donc oui t’as fais des affaires, mais au final ton argent il est
perdu, donc ça pour moi, oui c’est un risque » (Femme 29). Une autre tactique consiste à an-
ticiper les regrets et la culpabilité: « Je me dis : « C’est n’importe quoi. T’achètes trop de
12
trucs que tu ne mets pas. Tu as trop de fringues »… Donc, au bout d’un moment, je ferme la
fenêtre » (Femme 3). La stratégie qui consiste à se concentrer sur la récompense future liée au
fait de ne pas avoir cédé à la tentation immédiate apparaît également : « Pour résister à une
tentation, je pense à mes projets » (Femme 26).
Les discours font également apparaître des outils de contrôle post-achats impulsifs. Céder aux
impulsions est ainsi envisagé puisqu’il y a la possibilité de « corriger » la décision d’achat, soit
en se faisant rembourser l’article, soit en le revendant sur Ebay.: « Passé un délai, si je porte
pas le vêtement, je le remets en vente sur Ebay … j’arrive à revendre un peu plus cher, quand
il s’agit de pièces un peu recherchées» (Femme 13). On peut considérer ces consommateurs
comme des « opportunistes ». Certains s’auto-financent en n’achetant quelque chose de nou-
veau qu’après avoir revendu un produit : « Je les revends sur Ebay, en mettant « neuf ». Je
revends parce que j’ai envie de faire un autre achat impulsif » (Femme 14).
3.3. Volonté de ne pas se contrôler mais exercice du contrôle (les hypermétropes)
Selon Kivetz et Keinan (2006), ces consommateurs prudents, économes, ressentent un blocage
psychologique lorsqu’ils sont confrontés à la tentation. Ils culpabilisent tellement à l’idée de se
laisser aller, de se faire plaisir spontanément, qu’ils ont tendance à résister à toutes leurs impul-
sions d’achat, même s’ils ne courent aucun risque. Pour se justifier, ils invoquent des raisons
« objectives » - risque d’erreur, financier…, même si le véritable blocage est le besoin de se
contrôler : « c’est grave parce que des fois j’ai vraiment besoin du produit, je regarde et là je
me dis est-ce que j’en ai vraiment besoin, non, allez hop je zappe, ça est-ce que c’est vraiment
joli, j’essaie de regarder je me dis oui mais non, et j’ai encore cette appréhension ou plutôt
cette idée selon laquelle finalement ils essaient de nous refourguer leurs invendus qui revient,
et je me dis non, et du coup je suis là à retirer les articles un à un et je me dis non » (Femme
13
6). En revanche, ces comportements génèrent, a posteriori, le regret d’avoir raté des opportu-
nités, de ne pas avoir s’offrir des moments de plaisir : « Et après je suis déçue » (Femme 6).
3.4. Disparition des impulsions d’achat (les dépassionnés)
L’objectif de la recherche était d’étudier l’évolution des réactions des consommateurs face aux
impulsions d’achat. Même s’il sort de ce cadre, il est intéressant de constater l’existence d’un
quatrième type d’acheteurs qui, avec l’expérience, en viennent à ne plus éprouver d’impulsions
sur les sites de ventes privées. La question de se contrôler ne se pose plus dans la mesure où la
relation devient utilitariste. Leurs achats sont motivés par des raisons économiques ou de
commodité et dépourvus de toute excitation : « C’est de l’achat de commodité, pour tous les
jours. Pour s’habiller pour aller au boulot, pour du renouvellement. Ce n’est pas un truc
d’expérience» (Homme 3). Certains reconnaissent avoir réalisé, au début, des achats impulsifs
sur ces sites, mais l’excitation de départ a progressivement disparu : « À la longue, tu
t’aperçois que c’est toujours les mêmes ventes qu’il y a. C’est toujours les mêmes marques, ils
ont toujours les mêmes références, c’est toujours les mêmes trucs, et ils jouent avec ça en
fait » (Homme 1). D’autres « détournent » même les ventes à leur profit, en achetant des
stocks qu’ils revendent à des prix supérieurs : « Thierry Mugler j’en ai pris 12 pour femme, 7
pour homme, j’avais pris des bracelets aussi. J’en avais eu pour 800 € donc bonne commande
quoi » (Femme 24).
Conclusion
L’objectif de cette recherche était d’analyser les réponses des consommateurs confrontés à des
tentations d’achat répétées. Les répondants semblent avoir pris conscience du risque d’acheter
impulsivement sur les sites de ventes privées. A l’exception des « hypermétropes », ils en vien-
nent à éprouver, plus ou moins rapidement, la volonté de se contrôler. Ceci signifie qu’il leur
14
arrive à tous d’éprouver des impulsions dissonantes avec leurs intérêts. Il n’apparaît pas, dans
cette recherche, d’individu n’ayant aucun besoin de se contrôler. Les individus impulsifs fonc-
tionnels (Dickman, 1990), dont les achats impulsifs s’avèrent rationnels, pourraient être, non
pas des individus dont les impulsions s’avèrent toujours consonantes, mais des individus qui
savent ne céder qu’aux impulsions consonantes.
Si la plupart des personnes interrogées ressentent le désir de se contrôler, en revanche, leur ca-
pacité à traduire cette volonté en contrôle effectif varie. Lorsqu’ils sont confrontés à une im-
pulsion d’achat, les « myopes » ont du mal à dépasser leur plaisir immédiat et à prendre en
compte leurs intérêts à long terme. Ils peuvent réaliser des achats impulsifs dysfonctionnels et,
dans les cas extrêmes, en viennent à surconsommer, voire deviennent dépendants de l’achat.
Kukar-Kinney, Ridgway et Monroe (2012) montrent que les acheteurs compulsifs sont particu-
lièrement sensibles aux promotions et aux marques prestigieuses, sur Internet. Notre étude cor-
robore ce résultat en soulignant la difficulté qu’ils ont à résister aux offres sur les ventes pri-
vées en ligne, jouant justement sur ces deux leviers. Toutefois, la plupart des consommateurs
ne sombrent pas dans l’addiction, soit en raison de l’essoufflement du désir d’achat, soit grâce
à l’apprentissage du contrôle. Cette recherche valide empiriquement l’existence des stratégies
de contrôle des impulsions par le consommateur mises en évidence par Hoch et Loewenstein
(1991). Les consommateurs ayant la volonté de résister à une impulsion d’achat peuvent ainsi
mettre en œuvre trois procédures : (1) essayer d’éviter la tentation, (2) rendre saillants les
coûts associés au passage à l’acte et (3) tenter de rationaliser le passage à l’acte d’achat. Ce
travail met en évidence également l’existence d’un « effet d’expérience » : les consommateurs
deviennent moins impulsifs avec le temps sur les sites de ventes privées parce qu’ils apprennent
à mieux se contrôler mais également parce que leur désir d’acheter diminue du fait de la répéti-
tion des offres. Le smart-shopper-feeling largement sous-jacent à ce type d’impulsions d’achat
repose en effet sur un sentiment d’urgence (offre limitée dans le temps et en quantité) (Ayadi,
15
Giraud et Gonzalez, 2010). Or, le consommateur dont la boîte mail est inondée d’offres de ce
type ne peut que constater une banalisation des ventes privées. Les acteurs du marché de-
vraient développer de nouveaux formats d’offres, pour relancer l’intérêt, à l’image des ventes
« OneDay » de Ventes Privées5. Restaurer le « smart-shopper-feeling » pourrait passer par un
certain nombre de tactiques visant à exacerber le sentiment d’urgence (des stocks très limités -
quelques dizaines d’unités uniquement de produits mis à la vente ; des offres flash qui ne du-
rent qu’une heure ; des prix dynamiques qui favorisent les premiers acheteurs…). Des contrats
d’exclusivité avec les marques, associés à une faible fréquence de mise en vente restaureraient
également l’impression de rareté.
Une autre manière efficace pour le consommateur de se contrôler est de ne plus s’exposer à la
tentation, en se désinscrivant par exemple des mailing listes. Ce type de rupture peut refléter
une forme de résistance du consommateur, susceptible de se sentir agressé, dominé, par les sol-
licitations très nombreuses auxquelles il est soumis plusieurs fois par jour. L’entreprise pourrait
tenter d’instaurer une relation plus équilibrée où le consommateur aurait l’impression de rega-
gner du pouvoir dans la relation et ce en lui proposant de moduler son exposition aux offres
(choix des marques, du type de produit, de la période ou de la fréquence de réception de mails)
ou en récompensant sa fidélité (bonus fidélité, offres réservées aux meilleurs clients, frais
d’envoi offerts, etc.).
Concernant de futures voies de recherche, une question intéressante serait de savoir si les outils
que le consommateur met en place pour se contrôler dans ses relations avec les sites de ventes
privées lui servent pour mieux se contrôler dans d’autres circuits de distribution. Il serait aussi
intéressant d’analyser, dans le cadre des comportements de résistance du consommateur, les
comportements opportunistes identifiés dans cette recherche (revente avec marge sur Ebay).
5 En Octobre 2011, Ventes Privées a lancé les ventes One Day : tous les jours une marque est mise à la
vente, pour une journée seulement. La vente n’est pas annoncée par mail pour inciter les
16
Enfin, pour ce qui est des principales limites de ce travail, il ne s’agit que d’une étude explora-
toire portant sur une trentaine d’individus. Par ailleurs elle repose sur du déclaratif, il est pos-
sible que les répondants aient sous-estimés leurs comportements dysfonctionnels, soit parce
qu’ils n’en ont pas conscience soit par un effet de désirabilité sociale. Une enquête quantita-
tive, portant sur l’observation de comportements réels (de visites, d’achat et d’abandon
d’achat) aurait le double avantage de confirmer ces résultats et de réduire ce biais.
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22
Annexe 1. Profils des trente-quatre répondants
Répondants CSP Age Durée de l’entretien Membre depuis
Femme 1 Étudiante en doctorat 27 1h05 minutes 3 ans
Homme 1 Chef d’entreprise 37 1h05 minutes 10 ans
Femme 2 Enseignant chercheur 30 47 minutes 3 ans
Femme 3 Cadre 37 40 minutes 8 ans
Femme 4 Orthodontiste 29 45 minutes 1 an
Homme 2 Enseignant chercheur 30 36 minutes 3 ans
Femme 5 Infirmière 34 33 minutes 2 ans
Femme 6 Étudiante en doctorat 29 1h05 minutes 1 an et demi
Femme 7 En recherche d’emploi 38 45 minutes 5 ans
Homme 3 Dentiste 29 50 minutes 1 an
Femme 8 Étudiante 30 1 heure 2 ans
Femme 9 Cadre d’entreprise 35 1h04 minutes 6 ans
Femme 10 Statisticienne 30 1h09 minutes 7 ans
Femme 11 Assistante dentaire 40 28 minutes 6 ans
Femme 12 Administrative 42 55 minutes 7 ans
Femme 13 Brocanteuse 33 55 minutes 6 ans
Femme 14 Employée au rectorat 43 58 minutes 5 ans
Femme 15 En recherche d’emploi 35 41 minutes 2 ans
Femme 16 En recherche d’emploi 28 1h10 minutes 3 ans
Femme 17 Avocate 43 39 minutes 4 ans
Homme 4 En recherche d’emploi 43 55 minutes 5 ans
Femme 18 Étudiante 22 56 minutes 5 ans
Femme 19 Étudiante 23 51 minutes 2 ans
Femme 20 Salariée 24 42 minutes 4 ans
Femme 21 Secrétaire de direction 51 53 minutes 4 ans
Femme 22 Étudiante 21 54 minutes 3 ans
Femme 23 Étudiante 21 56 minutes 5 ans
Femme 24 Étudiante 22 1h10 minutes 3 ans
Femme 25 Retraitée 60 44 minutes 2 ans
Femme 26 Salarié 26 1h02 minutes 1 an
Femme 27 Étudiante 22 1h14 minutes 1 an
Femme 28 Étudiante 22 1h10 minutes 4 ans
Femme 29 Salariée 29 50 minutes 3 ans
Femme 30 Assistante dans un cabinet
d’avocat 35 35 minutes 4 ans
23
Annexe 2. Quatre exemples d’acheteurs de ventes privées en ligne
Profil Description Verbatims
Les consommateurs
« myopes »
Femme 10
Elle a toujours aimé acheter.
Elle est membre de plusieurs sites de ventes privées. Elle achète
toutes les semaines sur ces sites. Elle achète des produits qu’elle
n’utilise pas. Elle est consciente d’acheter trop mais aucune
technique de contrôle ne semble fonctionner. Elle peut acheter
sur plusieurs sites différents le même jour.
Elle réalise ses achats depuis son domicile ou son lieu de travail.
Elle débute sa journée par la consultation de ses mails
d’invitation à des ventes privées et par le repérage des ventes
à ne pas manquer. Elle reçoit ses mails d’invitation depuis son
compte personnel qu’elle consulte sur son BlackBerry.
Depuis qu’elle est inscrite sur des sites de ventes privées, elle
achète moins en magasin. Par contre, les soldes passent avant
les ventes privées. Elle préfère pouvoir essayer le produit, tou-
cher la matière et surtout l’obtenir tout de suite.
Il lui est déjà arrivé d’avoir oublié certaines commandes et
donc d’être surprise par une livraison.
Quand elle est déçue par un produit, elle le renvoie ou plus sou-
vent le donne.
Elle a découvert des marques par l’intermédiaire des sites de
ventes privées en ligne, marques qu’elle n’achète pas en dehors
des ventes privées.
Sa famille et ses collègues l’incitent fortement à acheter
moins.
Elle utilise VENTES-PRIVEES pour les vêtements et les acces-
soires et elle vient de découvrir GROUPON pour les services,
qu’elle utilise de manière intense
« Répondant : oui j’ouvre tout, oui. Enquêteur : et tu utilises à peu près tout ?
Répondant : j’utilise, non pas tout le temps tout, oui j’ouvre tout je regarde
je suis contente voilà quoi. »
«non, au contraire, quand il y a les soldes, je délaisse un peu les ventes pri-
vées. … non, parce que pendant les soldes ce qui est bien du coup c’est que,
on peut essayer, on peut toucher la matière, on peut vraiment voir, donc il y
a moins…et en plus on l’a tout de suite surtout. Parce que, des fois, avec les
ventes privées, il faut attendre deux mois. Attendre deux mois quand on veut,
par exemple, acheter une paire de baskets !... On attend deux mois pour une
paire de baskets alors que j’ai envie de commencer à faire du sport la se-
maine prochaine. Les soldes, par contre, je les fais et ça passe avant parce
que j’essaie et j’ai tout de suite le produit : c’est bien. Je trouve que les délais
d’attente sur les ventes privées c’est abusé »
« Surtout que je culpabilisais parce que je me disais j’ai beaucoup de
choses, je fais beaucoup d’affaires »
« ah oui ! Pour moi ces sites c’est comme un cadeau. C’est super »
« alors ma sœur elle me dit : « ça suffit ». Parce qu’à un moment je
n’achetais que des fringues, ma sœur elle me dit : « là ça suffit » … Elle me
disait de me calmer. Mon copain me disait de me calmer. »
« non, non ! De toute façon mes collègues me disent tout le temps : « oui t’es
tout le temps en train d’acheter ». Oh là là ! Mais bon, après, cela ne me
dérange pas, c’est ma vie après »
« ah oui oui !…Je rentre chez moi ; soit je le dis à ma sœur soit à mon copain,
je leur dis : « oh là là, j’ai fait une folie encore aujourd’hui ; j’ai acheté ça,
ça, sur internet », et ils me répondent : « ah ! T’abuses, arrêtes, quand
même t’es pas riche ! » Voilà »
Les consommateurs
« auto-régulés »
Son premier achat (une paire de lunettes Dolce & Gabbana)
a été anxiogène : elle avait peur de se faire arnaquer.
Elle décrit son comportement comme étant très raisonnable,
c’est-à-dire qu’elle déclare aller voir uniquement les ventes des
marques qui l’intéressent.
Lorsqu’un produit lui plait mais qu’elle ne peut pas l’acheter,
« J’y allais plus pour le produit, que dans un autre état d’esprit, de con-
sommer autrement, ou de faire une bonne affaire. C’était vraiment une his-
toire de prix. »
« Non, j’ai toujours eu un rapport très raisonnable à ce genre de sites. C'est-
à-dire que j’ai les alertes et je vais uniquement voir les marques qui
m’intéressent »
« Non. Je suis assez sérieuse avec ça. Par contre, j’enregistre la photo et le
24
Femme 13
elle enregistre sa photographie et son nom dans un fichier
spécifique pour pouvoir le retrouver plus tard, que ce soit (1)
lors d’une autre vente sur un site de ventes privées ou (2) sur
eBay.
Elle achète uniquement des marques qu’elle connaît car elle sait
quelle est la qualité des produits. Elle achète des belles pièces
plutôt que des basiques pour pouvoir éventuellement les re-
vendre sur eBay. Plus précisément, quand un produit la déçoit,
elle le renvoie. Quand elle s’aperçoit qu’elle ne l’utilise pas, elle
le vend sur eBay, parfois plus cher que le prix payé sur le site de
ventes privées.
Les ventes privées lui permettent d’acheter sans remords des
produits dont elle trouvait le rapport qualité-prix déséquilibré.
Elle aime bien recevoir les produits, décrit la réception des colis
comme un cadeau. Elle préfère acheter dans des vides-
greniers parce qu’elle peut toucher l’objet … Sur Internet
l’achat est beaucoup plus utilitaire, plus rapide. Elle considère
qu’acheter au prix fort c’est se faire arnaquer et que les autres
consommateurs paient le prix fort pour des produits qui se déva-
luent dans le temps. Elle considère qu’il n’y a pas un rapport
gagnant-gagnant sur ces sites car les entreprises « s’y retrou-
vent » en vendant des stocks d’invendus à un prix encore inté-
ressant pour eux.
Elle affirme avoir un rapport plus serein à la consommation,
consommer moins mais mieux.
nom du produit qui me plaît, en me disant que je le retrouverai plus tard,
soit lorsque j’aurais plus de sous, ou a un prix encore plus intéressant sur un
autre site. … Oui. Elle se représente de toute façon. … Donc, j’enregistre le
nom du modèle qui me plaît, je vais voir sur Ebay ou sur d’autres sites. Mais
je sais que l’occasion peut se représenter sur le site de Ventes Privées. »
« Quand j’achète un produit… pas qui me déçois parce que sinon je le ren-
voie… mais que finalement je ne vais pas utiliser. Moi, c’est surtout des vê-
tements, une belle robe. Je vais la mettre dans ma penderie, je laisse
l’étiquette avec le prix dessus, et puis je vois si je l’utilise ou pas. Passé un
délai, si je ne porte pas le vêtement, je le remets en vente sur eBay. »
« Et puis moi, ce qui me tient à cœur, c’est d’engager vraiment le prix réel
de la marchandise, parce que je trouve qu’aujourd’hui, tout est surévalué,
c’est pour ça que je n’aime pas acheter. Au moins, là, j’ai le sentiment que
les choses se rééquilibrent un peu »
« Moi, j’aime bien recevoir. Ça fait un peu Noël. C’est un cadeau. … le fait
de réceptionner cette boîte, de l’ouvrir, de déballer, de découvrir, de voir s’il
y a pas des petits trucs, des échantillons qui ont été rajoutés… , toutes cette
phase, elle est extrêmement plaisante. »
« Moi, je préfère les vide-greniers. Parce que t’as pas l’objet, tu peux pas
toucher, parce que t’as pas la lumière qui va le mettre en valeur. On est
peut-être plus, sur le coup, sur des critères très conscients, très matériels.
Moi, je vais très vite quand je vais sur Internet parce que je sais ce que je
cherche. Dans les vides-greniers, je sais moins ».
Les consommateurs
« hypermétropes »
Femme 6
Elle est membre du site ventes-privées depuis un an et demi,
elle le visite tous les jours mais n’a jamais fait un achat. Elle
se justifie par la peur de l’arnaque, le risque perçu par rapport à
l’achat sur Internet, les frais de livraison, les délais de livraison
…
Ces raisons s’avèrent n’être que des prétextes : elle reconnait
plus tard (1) qu’elle sait que ses craintes ne sont pas justifiées
et (2) qu’elle ne peut pas faire d’achats impulsifs.
Elle évoque même « un petit bonhomme qui est à côté de sa
tête » et qui lui dit, lorsqu’elle ressent une impulsion d’achat,
qu’elle n’a pas besoin du produit.
Elle affirme être déçue de ne pas avoir fait certains achats
« Et donc c’est un site que je fréquente très régulièrement. J’ai tapé ventes
privées sur google et j’arrive sur ventesprivées.com. après, c’est vrai qu’il y
avait un moment où je m’étais aussi inscrite sur d’autres sites mais tu vois
c’était pour une utilisation ponctuelle. »
« Par contre c’est vrai que j’y passe du temps. Il y a eu un moment où je
passais énormément de temps à regarder les différents produits. Mais en tout
cas c’est vrai que pour le début c’est comme ça que j’ai regardé. »
« je crois que ça doit être mon esprit tordu mais à chaque fois que je flashe
sur un truc, c’est épuisé, tu vois, ou alors ma taille ou n’importe quoi, je te
jure c’est épuisé. Et je me dis aussi si c’est encore disponible un jour ou deux
jours après, c’est que les autres ne veulent pas acheter, et donc c’est que c’est
nul. »
25
sur Internet, par exemple des bottes vendues 50 euros sur ventes
privées qu’elle a finalement acheté 120 euros en magasin.
Elle ne se désabonne pas parce qu’elle aime bien visiter le site
ventes-privées.com. Elle y passe énormément de temps, selon
ses propres termes. Elle le consulte au moment de prendre son
petit déjeuner, le soir quand elle est fatiguée ou quand elle
s’ennuie et qu’elle est au travail. Elle regarde toutes les ventes,
regarde ce qu’il y a … Elle y accède depuis Google car elle a mis
les mails provenant de ventes privées en courrier indésirable.
Elle ne savait pas que les sites de ventes privées étaient des sites
de déstockage.
« c’est grave parce que des fois j’ai vraiment besoin du produit, je regarde et
là je me dis : « est-ce que j’en ai vraiment besoin ? Non ». Allez hop je zappe.
Ça est-ce que c’est vraiment joli ? J’essaie de regarder je me dis oui mais
non, et j’ai encore cette appréhension ou plutôt cette idée selon laquelle fina-
lement ils essaient de nous refourguer leurs invendues qui revient, et je me dis
non, et du coup je suis là à retirer les articles un à un et je me dis non. Et
après je suis déçue ».
« et bien tu vois, je pense que je ne peux pas, en fait c’est ça, c’est l’achat
impulsif que je ne peux pas en fait…même sur des sites de ventes privées,
c’est ultra paradoxal, des fois tu as des promotions qui sont assez impor-
tantes et pourtant non, je ne peux pas, parce que oui c’est vrai moi je suis
quelqu’un de très, on va dire, j’aime bien que ça soit bien carré, et pourtant
j’essaie de me forcer, dans le sens où je t’ai dit je visite très régulièrement
donc ça peut paraître fou de se dire elle n’achète pas alors qu’elle y va. Il y a
moment où c’est tous les jours, tous les matins, je vais faire un tour sur ven-
tesprivées.com … et bien, au début voilà ça me saoulait, mais après je
prends l’habitude quoi »
« a posteriori, effectivement par exemple bon pour l’histoire des bottes oui
(rires). C’est vrai que pour l’histoire des bottes finalement j’en avais besoin.
Oui c’est vrai que j’en avais besoin, donc ça, ça m’est resté…tu vois ça m’est
resté là dans le sens où j’ai… oui, oui, oui, j’ai regretté, je me suis dit :
« tu aurais pu les avoir vachement moins cher ». En plus je me suis réveil-
lée tôt tout de même pour aller le visiter. »
« non même pas, même pas, je sais que je ne rentrerais pas de toute façon
dans un cercle vicieux parce que je pense que je…oui, je…je contrôlerais
assez le truc …en regardant, en me disant ce n’est pas mal mais tu n’en as
pas besoin XXX. Oui c’est ça, je me dirais…J’ai toujours le petit bonhomme
qui est à côté de ta tête et qui te dit oui finalement XXX tu n’en as pas vrai-
ment besoin. Certes le prix est bien mais regardes, t’en as plein, tu regardes
ok mais ce n’est pas parce que, en gros, les autres achètent au taquet du ma-
chin, mais toi tu n’en as pas besoin donc tu n’achètes pas. Et là effectivement
c’est plus le…moi je ne me fais pas avoir. »
« alors moi ce que je pense, c’est que pour moi, des dérives, sincèrement
non, parce que, je t’ai dit, j’ai d’autres mécanismes qui font que je me con-
trôle vachement et qui font que je sais que je ne pourrais pas tomber dans
ça. »
Il a un rapport dépassionné avec les ventes privées. Il y a « J’ai ventes privées, je vais regarder un peu ce qui s’y passe, c’est bien, mais
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La disparition des
impulsions
Homme 4
quelques années, il avait tendance à ne pas laisser passer une
vente, mais aujourd’hui il sait que s’il laisse passer une vente,
elle reviendra dans quelques mois et il est plus sélectif : il faut
vraiment que le produit l’intéresse, réponde à un besoin pour
qu’il achète.
Il trouve l’achat sur Internet confortable, mais il est découra-
gé par le fait que les produits partent vite, il n’est pas assez mo-
tivé pour se connecter à l’ouverture de la vente pour être sûr de
pouvoir acheter.
Il renonce plus facilement à une vente sur Internet qu’à une
vente en magasin. En magasin, le produit lui tend la main, il
peut l’essayer, le toucher, il y a l’odeur, la texture du produit, le
contact avec le vendeur, l’ambiance qui favorise l’achat impul-
sif.
Il n’aime pas aller « trifouiller » sur les sites de ventes privées, il
trouve que le site impose ses conditions: tel produit est vendu à
tel moment.
je suis pas quelqu’un, je ne suis pas un acheteur, un gros consommateur,
ventes privées c’est de l’opportunisme et encore aujourd’hui je m’en dé-
tache assez bien »
« D’accord. Parce que. Je l’ai été de façon plus assidu ces trois dernières
années … je le suis un peu moins maintenant parce que je trouve qu’il y a
de plus en plus de d’offres, enfin cela devient pléthorique et elles reviennent
régulièrement. Donc avant, il y a deux ans, j’avais envie de dire on sautait
sur l’occasion en disant : « ben voila tiens il y a cette marque elle
m’intéresse. Ben c’est l’occasion de faire une bonne affaire ». Aujourd’hui je
sais qu’elle repassera dans trois ou quatre mois. Donc je suis moins … main-
tenant j’achète si j’ai vraiment un besoin. »
« Aujourd’hui je suis plus sélectif, il faut vraiment que je trouve le produit
qui m’intéresse. »
« Finalement, de moins en moins. Parce que je l’ai beaucoup, enfin beau-
coup, je l’ai fréquenté de façon régulière. Heu, aujourd’hui, je trouve cela
moins attractif »
« il va falloir être là à 7h et se battre et puis vous savez que le.., enfin je sais
moi en tous cas que le nombre est vraiment limité donc que la probabilité de
réussir est faible, heu…, et ça cela me décourage. … Parce que j’ai jamais
été confronté à un produit où je me suis dit : « il me le faut impérative-
ment ». Je n’ai pas cette consommation-là. J’arrive à me détacher par rap-
port à cela. »
« Ah non en magasin ! je renonce plus facilement à une vente sur une vente
en ligne, ventes privées ou autre, qu’en magasin, parce que là j’ai à l’esprit
dans l’exemple que je cite, c’est un achat de vêtements, là vous avez le vête-
ment en main, en magasin vous touchez le tissu, vous vous rendez compte que
le truc est super qu’il est bien coupé, il vous va bien, vous avez pu l’essayer et
là, renoncer, je trouve c’est beaucoup plus compliqué, c’est plus difficile que
sur un écran. … Oui. Il y a son odeur, il y a sa texture, il y a tout cet envi-
ronnement qui est très vrai, la sympathie du vendeur, l’environnement du
magasin et aujourd’hui après plusieurs années de pratiques de ventes privées,
je suis en train de faire marche arrière , je reviens vers le contact humain. »
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