au carrefour de la tradition culturelle et de l'Économie sociale: la trajectoire de coopÉratives...

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This article was downloaded by: [The University of British Columbia] On: 29 October 2014, At: 14:15 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Canadian Journal of Latin American and Caribbean Studies/Revue canadienne des études latino-américaines et caraïbes Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/rclc20 Au Carrefour De La Tradition Culturelle Et De L'ÉConomie Sociale: La Trajectoire De CoopÉRatives Autochtones Au Mexique Maroine Bendaoud a a Université de Montréal Published online: 06 May 2014. To cite this article: Maroine Bendaoud (2012) Au Carrefour De La Tradition Culturelle Et De L'ÉConomie Sociale: La Trajectoire De CoopÉRatives Autochtones Au Mexique, Canadian Journal of Latin American and Caribbean Studies/Revue canadienne des études latino-américaines et caraïbes, 37:73, 173-207, DOI: 10.1080/08263663.2012.10817032 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/08263663.2012.10817032 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and

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    Canadian Journal of LatinAmerican and CaribbeanStudies/Revue canadienne destudes latino-amricaines etcarabesPublication details, including instructions for authorsand subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/rclc20

    Au Carrefour De La TraditionCulturelle Et De L'ConomieSociale: La Trajectoire DeCoopRatives Autochtones AuMexiqueMaroine Bendaoudaa Universit de MontralPublished online: 06 May 2014.

    To cite this article: Maroine Bendaoud (2012) Au Carrefour De La TraditionCulturelle Et De L'Conomie Sociale: La Trajectoire De CoopRatives AutochtonesAu Mexique, Canadian Journal of Latin American and Caribbean Studies/Revuecanadienne des tudes latino-amricaines et carabes, 37:73, 173-207, DOI:10.1080/08263663.2012.10817032

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  • AU CARREFOUR DE LA TRADITION

    CULTURELLE ET DE L'CONOMIE

    SOCIALE : LA TRAJECTOIRE DE

    COOPRATIVES AUTOCHTONES AU MEXIQUE

    MAROINE BENDAOUD Universit de Montral

    Rsum. Historiquement associes la paysannerie, les nations autochtones du Mexique ont depuis longtemps dpass le stade de la production agricole autosuffisante. Aujourd'hui, plusieurs coopratives ont pignon sur rue, offrant maints produits dont du caf bio , icne du commerce quitable de plus en plus estim en Occident. Cet article vise dterminer si la cooprative, en tant qu'lment central de l'conomie sociale, est rellement la continuit d'une tradition ou reprsente un changement culturel chez les Autochtones du Mexi-que. Pour y rpondre, nous examinerons en fonction de quoi se dfinissent et s'articulent les rapports sociaux chez les communauts autochtones mexicaines, selon les principales tendances anthropologiques. Afin d'avoir un portrait plus juste de la prsence des coopratives dans ces communauts et de leur volu-tion travers le temps, nous comparerons trois coopratives dans les tats du Chiapas et de Puebla. Ainsi, notre analyse documentaire portera sur trente ans d'observations de terrain par les auteurs consults.

    Abstract. The Indigenous nations ofMexico are historically associated with the peasantry, despite having long surpassed the stage of self-sustaining agricultural production. Today, several cooperatives have found success in offering products such as organic coffee, which is emblematic of the fair trade trend increasingly valued in the West. This article aims to examine whether the cooperative--cen-tral to the social economy--can best be understood through the lens of tradition

    Canadian Journal of LatinAmerican and Caribbean Studies, Vol. 37, No. 73 (2012): 173-207

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    or through a representation of more modem cultural shifting in and among lndigenous communities of Mexico. 1 analyze the basis of the structured social relations within these communities and the process of defining them according to major anthropological trends. 1 also explore the evolution of cooperatives in lndigenous communities of Mexico through the comparison ofthree sites in the states ofChiapas and Puebla. Ultimately, my documentary research will cover three decades of field observations by the authors 1 consulted.

    Introduction

    De tous les pays d'Amrique latine, le Mexique n'est pas celui qui compte le plus grand pourcentage d'Autochtones par rapport au reste de sa population, mais il ne fait nul doute qu'il est celui qui en com-prend le plus numriquement. 1 Sans surprise, la majorit des manuels scolaires mexicains dpeint ceux-ci comme tant fortement attachs la Terre. Ds 1' cole primaire, les enseignements relatifs 1 'histoire font explicitement rfrence aux progrs techniques agricoles pour expliquer 1' volution et les distinctions entre les diffrentes nations autochtones depuis les cultures prhispaniquesjusqu' l're contem-poraine.2 Historiquement associes la paysannerie, les nations autochtones ont depuis longtemps dpass le stade de la production agricole autosuffisante.3 Aujourd'hui, plusieurs coopratives ont pi-gnon sur rue, offrant maints produits dont du caf bio , icne du commerce quitable de plus en plus estim en Occident (Mndez et al. 2010, 237-238).

    Cet article caractre anthropologique vise dterminer si la cooprative, en tant qu'lment central de l'conomie sociale et du commerce quitable, est la continuit d'une tradition ou reprsente un changement culturel chez les Autochtones du Mexique. Cette figure de proue de l'conomie sociale a-t-elle consolid ou contredit les rapports sociaux existants ? Partant du point de vue que les peuples autochtones dtiennent une longue histoire d'organisation commu-nautaire, ce texte dfend l'hypothse que les coopratives constituent la continuit d'une tradition culturelle. Nous nous appuyons gale-ment sur le fait que 1 'administration de ces dernires tend trancher avec le style de gestion autoritaire et individuel occidental, misant davantage sur le consensus et le travail collectif.

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    Afin de vrifier notre hypothse, nous devrons d'abord exami-ner les liens unissant une organisation et une culture, pour ensuite nous concentrer sur les courants anthropologiques qui ont tudi les rapports sociaux au sein des communauts autochtones du Mexique. Cette revue de littrature offrira un clairage prcieux pour nous attaquer, par la suite, 1' analyse plus dtaille de trois coopratives, soit deux dans 1 'tat du Chiapas mais dans des zones gographiques diffrentes et une dans 1 'tat de Puebla. Pour nous permettre de rpondre notre question de recherche, nous utiliserons 1' analyse documentaire provenant de sources varies telles les monographies, articles scientifiques, mmoires, etc.

    Organisation et culture, pourquoi les coopratives autochtones ?

    Initialement admise comme une science axe sur l'tude de l'tre humain, 1' anthropologie a fait une intrusion dans le domaine de 1' ad-ministration depuis prs de trente ans. Plus prcisment, la culture, comme objet d'analyse, a attir l'attention de chercheurs de diffren-tes coles en science humaine, sur le terrain des entreprises. En fait, la mthode ethnographique qui consiste observer les habitudes, valeurs, schmes de pense, d'une population donne, a permis des recherches savantes dressant des comparaisons entre plusieurs grou-pes de gestionnaires et d'employs l'chelle plantaire (Hofstede 1980; Iribame 1989; Laurent 1983).

    Ainsi donc, dans les annes 80, le milieu de travail devient un laboratoire o sont analyss les traits d'une culture, selon laper-ception des rgles, de la structure et de la hirarchie. Il devient alors clair qu'une organisation n'est pas culturellement neutre, car elle est porte par un personnel humain lequel agit selon son propre environ-nement, ses mmoires collectives, bref sa culture intrinsque. Si un des objectifs de l'engouement pour la organizational culture tait de mieux la comprendre pour 1' amliorer et atteindre, en bout de ligne, de meilleures performances- surtout conomiques (Deal et Kennedy 1982; Peters et Waterman 1982), le ntre sera plutt de vrifier si les coopratives que nous prsenterons sont bel et bien le reflet de la culture autochtone mexicaine.

    Or, dans la mouvance actuelle de 1' conomie sociale allier au concept de dveloppement durable (Crtineau 2010), le commerce

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    quitable s'est rig comme nouveau modle d'changes conomi-ques. l're de la mondialisation et sous une impulsion de solidarit internationale, il a t imagin pour rquilibrer les rapports mar-chands transnationaux, entre les producteurs de 1 'hmisphre Sud et les consommateurs du Nord (Renard 2003). Ainsi, diffrentes fdrations4 accordent le label quitable des produits ou 1' or-ganisation productrice, si ceux-ci satisfont des critres d'thique et de respect des conditions de travail de la main-d'uvre, des pratiques agricoles cologiques, etc. (Raynolds et al. 2007).

    Ds lors, il n'est pas tonnant que les coopratives figurent parmi les organisations revendiquant ce label, car les objectifs de celles-ci sont similaires. Pionnier du mouvement des coopratives, Robert Owen avait le souhait de mettre fin 1' exploitation capitaliste do-minante au 19e sicle au Royaume-Uni (Morton 1969, 44--45). En-core aujourd'hui, la cooprative est dfinie comme une organisation possde et dirige par ses membres, laquelle repose sur des valeurs communes d'entraide, de solidarit, de dmocratie et d'galit. Elle est forme par un regroupement de gens unis sur une base volontaire, dans le but de rpondre des besoins de nature conomique, sociale, culturelle, etc. (MacPherson 1996, 1 ).

    Puisque le Mexique se hisse dans le peloton mondial des pays producteurs de caf et que beaucoup de coopratives intgres au commerce quitable sont constitues de petits producteurs autoch-tones (Murray et al. 2006, 182-183; O'Connell 2003-2004, 142; Milford 2004, 43--44), ces observations ont stimul notre intrt de recherche. Toutefois, afin d'analyser le mouvement des coopratives dans son ensemble, nous ne limiterons pas notre tude la production de caf. Mais avant de nous pencher sur l'observation des coopra-tives autochtones elles-mmes, nous devons d'abord faire un tour d'horizon des principaux courants anthropologiques ayant tudi les communauts autochtones mexicaines.

    Les courants anthropologiques se rapportant aux Autochtones du Mexique

    Dans cette section, nous nous attarderons aux trois principaux cou-rants anthropologiques dvelopps dans la littrature. Bien videm-ment, le domaine de l'anthropologie est trs vaste. Nous n'avons donc

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    pas la prtention de faire une recension complte de toutes les tendan-ces dans les lignes qui suivent. Nous porterons plutt notre attention sur celles qui sont pertinentes 1' tude des Autochtones du Mexique, en les situant sur une ligne chronologique. Grce cette revue, nous pourrons mieux apprhender les analyses des coopratives faites par les chercheurs, lesquelles seront prsentes plus loin dans ce texte.

    En premier lieu vient 1' anthropologie amrindienne culturaliste, qui a domin les deux premiers tiers du 20e sicle. Celle-ci soutenait que les Autochtones taient avant tout porteurs d'une culture. Dans le culminant ouvrage Handbook of Middle Americans Indians, D 'Olwer et Cline (1973, 187-188) affirmaient que les Autochtones disposaient d'une culture et d'un riche pass, mais que diffrents observateurs avaient constat une disparition progressive de la culture et des lan-gues vernaculaires ds les premiers contacts avec les colonisateurs europens. Plus tt, en 1941, dans The Folk Culture of Yucatan, Red-field ( 1941, 86-1 09) relevait que la fusion des cultures espagnole et maya avait cr son propre corps de croyances et de rituels, trs ancr dans la population autochtone, c'est--dire celle loigne des grands centres urbains. Ce courant est dcrit comme une conception essentialiste culturaliste , o 1' on considrait que chaque ethnie amrindienne tait dote de sa culture et de son organisation so-ciale; [que] les reprsentations de soi et des autres (bases cognitives de 1' appartenance) faisaient partie de la "vision du monde" de chaque groupe (Beaucage 2001, 9). 5

    Pour comprendre la logique de Redfield, il faut remonter ses pre-miers travaux publis dans les annes 30, o il dfinissait l'volution des socits comme passant par plusieurs stades d'entit administra-tive. Cette volution prend place dans un folk-urban continuum qui va comme suit : du tribal village au peasant village, puis de town jusqu' city (Redfield 1934, 57-69; 1930). Aprs avoir tudi l'tat mexicain du Yucatan, il a remarqu que les entits les plus isoles tel-les le tribal village et le peasant village, taient plus attaches au sa-cr et au religieux, au collectivisme et disposaient d'une culture propre plus minente.6 Le concept de closed corporate community ou communaut corporative ferme est aussi associer au courant culturaliste. Pour rsumer les propos de Wolf tirs du Southwestern Journal of Anthropology de 19577, disons simplement que les tran-gers n'taient pas les bienvenus dans les communauts autochtones

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    et que chacune de celles-ci incitait ses membres ne pas entrer en contact ni participer aux socits extrieures plus dveloppes. En revanche, plusieurs observateurs ont not que la dynamique cultu-relle-identitaire tant tellement forte et sens unique, l'horizon ne pouvait qu'annoncer une acculturation des socits autochtones, sous le poids et l'influence de la socit urbaine moderne, dfinie par la prdominance du march, la rationalit, la technologie, etc. (Beaucage 2001, 9; Redfield 1941, 19-57). Bref, ce n'tait qu'une question de temps avant que les Autochtones, contenus dans l'unit spcifique socioculturelle dtermine qu'est leur village, finissent par adopter une identit d'agriculteur moderne (Roy 2005, 13 et 15).

    En deuxime lieu, les annes 60 et surtout 70, ont t marques par la tendance anthropologique marxiste, qui dfinissait la spcificit autochtone principalement par 1' exploitation conomique dont taient victimes les Autochtones (Wolf 1969; Durand 1975; Deverre 1980). Dans Nanacatlan : socit paysanne et lutte des classes au Mexique, Durand (1975, 241) abordait les communauts autochtones de la Sierra Norte de Puebla sous l'angle du matrialisme historique, afin de rendre compte de leur ralit sociale en tant que socits paysannes. Selon son analyse, la communaut autochtone, prise comme une totalit isole de son contexte rgional ou national, est impensa-ble (ibid.). Le courant marxiste se distingue du courant culturaliste, dans la mesure o ce dernier s'attardait davantage l'aspect culturel et ethnographique des communauts autochtones, en annonant une acculturation progressive voire dfinitive. De leur ct, les observa-teurs marxistes les tudient dans un prisme bien diffrent. Ils font fi des rites et codes propres aux villages autochtones, pour considrer les Indiens comme une classe en soi, le proltariat rural, dnue de sa singularit ethnique, mais traverse de toutes parts par des forces capitalistes nationales et mondiales (Roy 2005, 15).

    Dans Indiens ou Paysans, Deverre (1980, 14) est all jusqu' ngliger les particularits autochtones et considrer les descendants des premires nations simplement comme des producteurs agricoles exploits, semblables leurs homologues mtis. C'est--dire que pour lui, les Indiens sont avant tout des producteurs agricoles, tant dans leurs relations avec 1 'extrieur que dans leur mode de produc-tion interne. Deverre ne niait pas les particularits autochtones dans les domaines de 1' organisation sociale ou religieuse, mais il rejetait

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    les thories qui se bornent leur description ethnographique, et les courants qui veulent que l'indianit ait eu un impact plus fort au ni-veau normatif que la colonisation (ibid., 15). Il croyait que l'Indien tait depuis fort longtemps intgr la socit nationale mexicaine, que ce soit par les forces du march ou les relations salariales (ibid., 11-13). cette poque o la production pour la subsistance, jadis pri-mordiale, disparaissait sous la production commerciale et le salariat, un autre vestige de la culture autochtone tait attaqu par les cher-cheurs marxistes. leur avis, le systme des charges religieuses ou civiles- un lment central de l'identit communautaire autoch-tone- n'avait pour fonction que de reproduire la subordination des Autochtones (Beaucage 2001, 9). En somme, Durand et Deverre blmaient ouvertement l'indignisme et l'indianisme et considraient leur influence comme un frein leur conscience sociale, la lutte des classes (Roy 2005, 17). Selon Deverre (1980, 158), l'Indien ne pou-vait pas tre la base du mouvement de bouleversement des rapports de production; seul le paysan peut prtendre de telles aspirations. Car au moins lui ne divisait pas 1 'unit possible avec toutes les autres couches agraires exploites (ibid., 14)

    En troisime lieu, 1' anthropologie indianiste a pris le relais dans les annes 80 et cess de dfinir les Autochtones sans leur donner une voix au chapitre, cess de prdire leur avenir selon des conceptions occidentales (Roy 2005, 18). Il n'tait plus question d'influencer les discours et ralits autochtones dans l'objectif d'une assimilation au reste de la population mtisse du Mexique, comme l'auraient voulu les courants anthropologiques antrieurs. De faon abstraite, Morin (1982, 5) dira que l'indianit est l'expression du re-fus par l'Indien de ce modle intgrationniste, sa volont de rupture avec cette relation coloniale, sa revendication d'une ethnicit . Si bien que le discours indianiste est venu nuancer la reprsentation des Autochtones strictement en tant que paysans, subissant le capitalisme agraire (Roy 2005, 20; Mejia-Pineros et Sarmiento-Silva 1987; Barre 1983). En fait, les Indiens des hautes terres (Andes, Msoamrique) ont d'abord dvelopp la lutte pour des terres cultiver, laquelle se sont ajoutes celles pour de meilleurs prix agricoles et pour un ap-provisionnement stable en denres de base. De leur ct, les Indiens des basses terres (Amazonie, Mosquitia) revendiquaient la juridiction sur des territoires ethniques. L'union ne s'est faite qu'aprs le sou-

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    lvement nozapatiste de 1994, les diverses organisations intgrant progressivement des revendications spcifiquement ethniques telles la langue, 1' ducation et la culture (Beaucage 1992, 71; Bonfil Batalla 1982; Garduno-Cervantes 1983).

    En 1987, Mejia-Pineros et Sarmiento-Silva faisaient tat de 1' closion de nouveaux regroupements ou associations indiennes uni- ou pluri-ethniques l'chelle nationale (Beaucage 1992, 71), valorisant l'identit indienne. Toujours en vie, cette dernire est maintenant dfinie par les sujets eux-mmes; ils deviennent d'or et dj les acteurs de leur reprsentation (Laclau 2000, 66). Selon Beau-cage (2005, 6-7), la problmatique de l'indianit renvoie alors des systmes de reprsentations du Soi, de 1 'Autre, du Monde, que nous rejoignons travers les discours et qui sont en rapport avec des pratiques. En clair, nous assistons une rappropriation identitaire. Beaucage nous met par contre en garde contre toute gnralisation. Il prcise que le dernier quart du 20e sicle a vu apparatre une di-versit d'orientations culturelles, politiques et religieuses en contraste avec le consensus relatif qui rgnait antrieurement. 8 Il interprte ce phnomne comme la fragmentation identitaire autochtone. Selon l'appartenance de chacun un groupe religieux, un groupe politique prnant la lutte arme, ou encore une organisation paysanne dmo-cratique (incluant les coopratives), les rapports sociaux et l'influence normative varieront.

    Analyse ethnographique de trois coopratives

    la lumire de la revue de littrature prsente plus haut, nous pou-vons maintenant passer l'analyse proprement dite des trois coopra-tives autochtones en sol mexicain. Dans les sous-sections qui suivent, nous aurons principalement recours aux crits de trois chercheurs, lesquels ont chacun observ une cooprative prcise, les rapports sociaux entre ses membres, son environnement interne et externe, etc. En plus d'exposer le fruit de leurs recherches ethnographiques, nous tenterons de situer celles-ci en utilisant l'approche interprtative dveloppe par Skinner (1978a; 1978b) de l'cole de Cambridge.

    Ds lors, nous examinerons chaque ouvrage en prenant soin d'informer le lecteur sur le contexte idologique qui l'a vu natre. Cette prcaution s'impose, car les trois textes ont t publis dans les

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    annes 80, 90 et 2000 respectivement. D'un autre ct, cette distance temporelle nous permet d'avoir une meilleure vue d'ensemble sur l'volution des coopratives. C'est d'ailleurs la premire raison qui a orient la slection de ces ouvrages plutt que d'autres. En second vient le fait que malgr la quantit de textes traitant des coopratives depuis 1' engouement pour le commerce quitable, trs peu analysent aussi bien leur place comme organisation au sein de communauts autochtones du Mexique, d'un point de vue anthropologique. Ainsi, nous prsenterons les trois textes choisis de faon chronologique, pour achever avec une dernire sous-section livrant notre analyse finale en ce qui a trait notre question de recherche.

    La premire observation se trouve dans livre de Deverre (1980) cit plus haut, o ce dernier commente les coopratives d' approvi-sionnement qui avaient merg dans la Selva Lacandona, la fort tropicale de 1 'tat mexicain du Chiapas. La deuxime est le travail de Nigh (1997) sur l'lndigenas de la Sierra Madre de Motozintla, une cooprative aussi au Chiapas, mais qui est situe dans une zone plutt loigne de celle tudie par Deverre. La troisime observation est l'uvre de Beaucage (2009), se rfrant la cooprative nahua dans la rgion de la Sierra au Puebla. Nous porterons davantage d'at-tention au texte de Nigh, puisque celui-ci traite spcialement d'une cooprative et de son fonctionnement intrinsque, alors que les deux autres abordent notre sujet l'intrieur de monographies englobant des problmatiques beaucoup plus vastes.

    Coopratives embryonnaires dans la fort du Chiapas

    Dans Indiens ou Paysans paru en 1980, Deverre a comment les coopratives d'approvisionnement qui avaient merg dans la Selva Lacandma, la fort tropicale du Chiapas, tat mexicain situ au Sud du pays. Il estime que prs de 50 000 personnes ont abandonn leur village d'origine pour former les 91 nouvelles colonies qu'il a tudies, principalement dans l'objectif d'accder de nouvelles terres, libres du contrle des grands exploitants (Deverre 1980, 162). Prs de 85 % des migrants viennent de la zone des Hautes Terres au Chiapas ou d'autres villages de la fort chiapanque. La langue la plus employe est le tzetltal, suivie du chol et du tzotzil. Le reste a migr des autres tats mexicains. Une constante se traait quant au

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    profil des migrants : la majorit tait constitue de jeunes adultes ( 18 20 ans), maris pour la plupart et d'origine indienne (ibid., 161 et 163). Concrtement, les colons avaient mis sur pied ces coopratives d'approvisionnement de divers produits, pour s'affranchir du pouvoir des grossistes d'Ocosingo, la ville voisine. Or, Deverre parle de quel-ques coopratives, n'avanant malheureusement aucun chiffre pour ventiler leurs activits et leur nombre d'adhrents.

    Grce l'aide financire et surtout technique des missionnaires religieux, plusieurs colons autochtones ont tent d'organiser des achats groups et d'assurer eux-mmes le transport des marchandises vers les colonies (ibid., 188). Deverre raconte que ces initiatives se sont attir les foudres des grands commerants, lesquels usrent de tous les moyens en leur pouvoir pour saborder leurs efforts de dve-loppement. Ils ont, par exemple, refus de vendre de la marchandise aux reprsentants de la cooprative, ce qui poussa ces derniers aller s'approvisionner chez des fournisseurs plus loigns gographique-ment. Disposant de plusieurs leviers d'influence, les riches commer-ants ont fait interdire les vols d'avion en direction des colonies o se trouvaient les coopratives. Outre le refus d'accorder des crdits, Deverre signale que les contraintes sont alles jusqu'aux menaces et voies de fait contre les producteurs et missionnaires (ibid.).

    Au point que 1' auteur semble attribuer, en grande partie, l'chec des coopratives l'opposition des capitalistes locaux. Nombre de coopratives, sous ces pressions, avortrent, d'autres virent le nombre de leurs adhrents diminuer, mais quelques-unes subsistent (ibid.). Deverre n'est malheureusement pas plus prcis quant au nombre de coopratives ayant ferm boutique et celles ayant tenu le coup. Au final, celui-ci a plutt insist sur l'chec qu'elles reprsentaient, considrant qu'elles n'avaient pas russi dpasser le niveau d'appro-visionnement en marchandise de la consommation courante, sans non plus russir largir leur champ d'action aux moyens de production et aux ventes groupes (ibid.). Deverre souligne que le manque de disponibilit financire des producteurs et la structure monopoliste du march rgional y sont dfinitivement pour quelque chose. Ajou-tons que les moyens de communication, soit les routes ou les terrains d'aviation, taient assez limits en raison l'loignement des colo-nies, en plus d'avoir fait l'objet de pression de la part des marchands tel que mentionn plus haut (ibid.). En fait, Deverre ne voyait dans

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    ces initiatives que l'appropriation conomique d'une partie de la pro-duction, sans jamais y dceler la poursuite d'une tradition culturelle quelconque.

    Rupture avec la tradition culturelle

    Dans son chapitre intitul "Preuve": L'affaiblissement de l'indianit dans la colonisation de la Selva Lacandona , Deverre souligne que la dsintgration des liens unitaires traditionnels est un phnomne commun aux principaux villages d'origine des colons de la Selva Lacandona. L' anomie ethnique , comme il 1' appelle, peut tre le rsultat de causes diverses, mais demeure une motivation considra-ble dans la dcision d'migration des Autochtones vers les nouvelles colonies. Seule parmi les alternatives au manque de subsistance agricole, la colonisation marque une rupture dfinitive la fois spa-tiale et sociale avec la communaut d'origine (ibid., 165). L'auteur va jusqu' dire que la colonisation a fait perdre ses acteurs leurs traits constitutifs d'Indiens" (ibid.).

    Selon lui, les coopratives sont de belles initiatives, accueillies avec enthousiasme par les producteurs. Toutefois, elles traduisent la volont des Autochtones des colonies de se dgager des domi-nations traditionnelles, au besoin par des entreprises collectives qui ne reposent pas sur l'intgration culturelle, mais sur les rapports conomiques >> (ibid., 188). Concrtement, Deverre croit que les colons tentent du mieux qu'ils peuvent de rompre avec la misre et l'exploitation des anciennes formes conomiques qu'ils ont quittes dans les Hautes Terres du Chiapas (ibid.), en faisant fi de leur identit autochtone. Car, comme 1 'hypothse de son ouvrage en tmoigne, Deverre tend dmontrer que ce sont les conditions et rapports de production agraire propres la rgiori qui ont permis la reproduction de l'indianit (ibid., 15).9 Et inversement, que les formes ethniques ne reprsentent qu'un obstacle la conscience sociale des paysans et qu'elles contribuent du mme coup reproduire les formes d'exploi-tation (ibid., 14).

    Fidle l'cole anthropologique marxiste, Deverre ne percevait les rapports sociaux que par le mode de production dominant. Utili-sant ce cadre conceptuel, il soutenait que les normes de comportement des agents sociaux taient le rsultat d'un certain type de structure

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    foncire, bas sur des rapports de production particuliers, mais que ces normes ne pouvaient tre amenes se dformer ou s'adapter, la venue d'une nouvelle forme d'organisation sociale issue d'un bouleversement des bases de la production (ibid., 22). Au demeurant, 1' auteur a prouv sa thorie en constatant que 1 'migration vers la fort et la construction des colonies ne se sont pas accompagnes de la reproduction des formes d'organisations politico-religieuses tradi-tionnelles de la rgion. Il a insist sur la sparation des appareils politiques et religieux et une relle dmocratisation de la vie sociale, marquant une nette fracture avec les socits conservatrices que les Autochtones avaient laisses derrire eux (ibid., 189-190). 10

    De l'tude de Deverre, retenons qu'il a constat une volution des rapports sociaux depuis 1' mergence des colonies et des nouvelles formes d'conomie agricole, mais que cela s'est produit en dpit de l'tablissement des coopratives, encore peu dveloppes cette poque. Selon lui, la coopration releve chez les Autochtones s'est accrue grce au travail collectif de dfrichage pour btir la colonie et dans les plantations. Par consquent, nous n'laborerons pas da-vantage sur ces nouveaux rapports sociaux, simplement parce que l'auteur ne les attribue pas aux coopratives elles-mmes.

    L'influence du mouvement nozapatiste sur la socit et les coopratives

    Entre la naissance des coopratives dans les annes 70 et leur succs remarqu dans les annes 90, un mouvement autochtone insurrection-nel a surgi la hussarde. Le nozapatisme s'est brusquement taill une place dans le paysage politique mexicain. Avant d'en arriver ce mouvement controvers, nous devons d'abord expliquer les condi-tions socioconomiques dans lesquelles il a vu le jour.

    Tout au long du 20e sicle, le pouvoir fdral mexicain occupait une place prpondrante dans la vie conomique et sociale du pays. Un tat fort parfois qualifi d'autoritaire, qui d lcher du lest devant son incapacit grer les crises financires des annes 80-90. Le modle de gouvernance a fait peau neuve et les cercles de dcision se sont dmocratiss, recevant leur table des acteurs non traditionnels (firmes prives, groupes citoyens, ONG, etc.) pour dterminer des nouvelles orientations (Loaeza 2005, 149-152). Si certains auteurs

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    parlaient jadis d'un consensus autour des rformes nolibrales im-plantes pour revitaliser le pays (Armijo et Faucher 2002), d'autres ont soulign la rpression de leurs opposants.

    Un peu auparavant, durant les annes 70, le gouvernement f-dral avait mis sur le dveloppement rural en initiant de nouveaux programmes d'assistance de crdit de production, notamment pour les coopratives. 11 Or, 1' austrit no librale dans laquelle se sont inscrites les politiques fdrales des annes 80 devant les situations conomiques difficiles, s'est raffermie avec l'arrive de Carlos Sali-nas de Gortari aux commandes du pays en 1988:

    L'abolition des agences d'aide, la rduction des droits d'im-portation sur les crales et 1' abolition du programme de re-distribution des terres ont des consquences dramatiques pour les petits producteurs. Combins la rpression croissante du mouvement paysan, ces changements amnent, dans les an-nes 90, de nombreux autochtones se radicaliser. (Saumier 2001, 74)

    Au Chiapas, 1 'Arme zapatiste de libration nationale (EZLN) a accueilli plusieurs d'entre eux. l'origine, la prsence de l'ELZN dans l'tat chiapanque remonte au milieu des annes 80, tant prin-cipalement base dans la Selva Lacandona. En prservant son tat d'esprit, le groupe a repris le patronyme d'Emiliano Zapata, l'un des grands leaders autochtones de la Rvolution mexicaine du dbut du 20e sicle, qui luttait pour 1' octroi de terres aux paysans pauvres soumis au rgime des grandes proprits (Guimont Marceau 2006, 72).12

    Le coup d'clat mdiatique de l'ELZN s'est produit le 1er jan-vier 1994, lorsqu'elle a dclar la guerre au gouvernement fdral et occup plusieurs villes de l'tat du Chiapas, dont sa capitale San Cristobal de las Casas. Cette date avait t choisie, car elle reprsen-tait l'entre en vigueur de l'Accord de libre-change nord-amricain, parangon du capitalisme moderne. Quelques semaines plus tard, le sous-commandant Marcos dira : Nous ne sommes pas entrs en guerre le 1er janvier pour tus ou pour tre tus. Nous sommes entrs en guerre pour qu'on nous coute. C'est ce qui est clairement exprim par le Ya Basta! des camarades du comit . 13 Mais que rclamaient-

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    ils exactement? La rponse contenue dans la premire Dclaration de la Selva Lacandona Aujourd'hui nous disons: Assez ! tait franche : travail, terre, toit, nourriture, sant, ducation, indpendance, libert, dmocratie, justice et paix. 14

    Mme si elle croyait au dpart renverser le pouvoir par la force, l'ELZN a rapidement adopt une autre approche, en prenant conscience du vaste potentiel du mouvement populaire de soutien aux zapatistes qui se [formait] au Mexique et l'tranger (Saumier 2001, 7 4 ). Ds lors, la lutte indienne s'est articule la lutte natio-nale, entranant la recherche d'alliances avec d'autres groupes de la socit. En fait, l'ELZN est devenue la branche arme alors qu' une partie du mouvement de solidarit s'est transforme en organisation politique (zapatisme civil), et le reste est demeur une nbuleuse de sympathisants non organiss qui s'expriment selon les occasions; enfin, le zapatisme international [s'est regroup] autour de valeurs universelles telles que la critique du nolibralisme (Nada! 2005, 20).

    Sans se prononcer sur l'atteinte des rsultats projets par l'organi-sation, force est de constater que le mouvement nozapatiste a eu un impact vident sur la dynamique sociale et aussi sur les coopratives. Dans son mmoire o elle fait tat de ses observations et entrevues dans les Hautes Terres du Chiapas, Roy soutient que le soulvement a divis les villages voire les familles, o chaque individu a opt pour une identification politique. Il n'tait malheureusement plus possible d'tre neutre ... partir de la rbellion de 1994 et dans les annes qui suivirent, trois groupes aux contours dfinis se sont rigs : les prozapatistes, les progouvernementaux et les partisans de la socit civile, ces derniers tant parfois proches de groupes religieux (Roy 2005, 105).

    Dans les zones dclares autonomes , les zapatistes ont cr leurs propres coles, principalement de niveau primaire, ainsi que des cliniques et dispensaires (Guimont Marceau 2006, 119). Pour le dire simplement, les membres de la communaut zapatiste n'ont pas ac-cs aux tablissements tatiques et en contrepartie, les Chiapanques loyaux au gouvernement ne sont pas les bienvenus dans les tablis-sements aux couleurs de l'ELZN (Beaucage 2007, 90-91). Dans le mme ordre d'ides, chaque cooprative a rejoint un des trois camps, affichant ainsi son allgeance (Roy 2005, 133).

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    Mentionnons en terminant que la rsistance autochtone , qu'elle mane des nozapatistes ou des groupes de la socit civile, n'est gure apprcie par le gouvernement. Pour preuve, la guerre de faible intensit mene par ce dernier envers toute rsistance a dbouch sur le massacre de la municipalit d'Acteal en 1997, bles-sant 26 personnes et en tuant presque le double. Plusieurs versions s'affrontent, mais la plupart des observateurs s'accordent pour dire qu'il a t perptr par un groupe de paramilitaires, la solde du gouvernement, pour mater la dissidence (ibid., 110-111 ).

    Une cooprative chiapanque succs

    Sur un ton plus positif, la deuxime cooprative analyse est un modle de russite : l'Indigenas de la Sierra Madre de Motozintla (ISMAM). Dans son article intitul Organic Agriculture and Glo-balization: A Maya Associative Corporation in Chiapas Mexico paru dans Human Organization en 1997, Nigh la dcrit comme une organisation fonde la toute fin des annes 70, qui a su combiner des aspects de 1' organisation sociale indienne traditionnelle et 1' en-treprise capitaliste moderne [notre traduction]. 15 Outre la certifi-cation biologique, le caf de la cooprative se distingue, car il mise sur l'origine et l'identit maya de ses producteurs. Anciennement originaire du Guatemala, la communaut Maya Mam du Mexique vit dans la chane de montagnes de la Sierra Madre au Chiapas. La ville de Motozintla, d'o est ne la cooprative, est situe la frontire guatmaltque dans une zone prs du Pacifique, connue pour sa tradi-tion de commerce maritime- notamment avec le Prou (Nigh 1997, 429). Selon Nigh, la sympathie grandissante de l'glise catholique envers les Mams, au nom de la Thologie de la libration, a beaucoup contribu la cration de l'ISMAM (ibid.).

    Dans son article, l'auteur affirmait que l'ISMAM tait devenue la principale exportatrice de caf gourmet biologique au monde, avec des points de distribution en Europe, aux tats-Unis et au Japon (ibid., 428 et 431 ). Regroupant plus de 1 000 petits producteurs de caf- de type arabica pour la plupart -, elle avait atteint des chiffres de vente annuels de 1 'ordre de 7 millions de dollars amricains. Qui plus est, l'ISMAM a remport un prix national offert des mains du Prsident mexicain Zedillo pour ses exportations dans le secteur agricole.

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    Elle commenait diversifier ses activits agricoles (vanille, cacao, cannelle, hibiscus, miel) et envisageait le dveloppement d'un projet d'cotourisme avec des investisseurs autochtones canadiens (ibid., 428 et 434).

    Selon Nigh, la spcificit de l'ISMAM, en tant qu'organisation, est son ct hybride. Elle joint l'identit maya de dmocratie com-munautaire, 1' entrepreneuriat capitaliste comme on le connat en Occident. Nigh dsigne ce type d'organisation comme une asso-ciative corporation (ibid., 428). Il affirme que 1 'associative corpo-ration a beaucoup de points communs avec la cooprative tradi-tionnelle , en ce sens qu'elle est une organisation collective base sur des coutumes autochtones telles la rciprocit, les relations de travail volontaires et la prise de dcision horizontale. En dpit de cela, elle s'en distance toutefois en instaurant des structures admi-nistratives de type occidental et en ayant comme objectif de fournir des produits de qualit un prix comptitif, et ultimement d'en tirer un certain profit (ibid.). Notons que dans son article, Nigh semble permuter les termes associative corporation et cooprative lorsqu'il aborde l'ISMAM. Pour viter toute confusion et faciliter la lecture du texte, nous utiliserons exclusivement la dnomination cooprative.

    Continuit de la culture autochtone : La gestion

    Au moment o Nigh crivait son article, l'ISMAM regroupait 1328 membres, issus de 80 communauts autochtones. Bien que les Mams soient l'ethnie majoritaire, d'autres communauts y participaient (ibid., 431 ). Selon l'auteur, l'approche de gestion se veut hautement dmocratique. De faon schmatique, disons qu'elle se structure en au moins trois niveaux de reprsentation. D'abord, la communaut locale o les membres disposent de beaucoup d'autonomie. Ensuite, dans chacune des 34 zones gographiques o rsident des membres, deux dlgus sont lus pour siger l'assemble mensuelle. Enfin, 1' assemble gnrale annuelle, tous les membres sont convis slectionner des membres pour pourvoir aux postes des comits de direction, inspection, finance, ducation, soutien technique, et diff-rentes autres formes de comits ad hoc (ibid., 431-432). Selon Nigh, ce style de gestion prend contre-pied le modle autocratique des

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    pays du Nord, qui ont plutt tendance dnigrer ce procd comme tant inefficace et impraticable (ibid., 428). Il avance que tout ce processus de dmocratie communale a un ancrage profond dans le pass et la culture autochtones, ce qui reprsenterait donc la continuit d'une tradition culturelle (ibid., 432).

    Continuit de la culture autochtone : La production

    L'auteur identifie un lien de continuit entre les procds biologi-ques modernes et les anciens systmes de production alimentaire mayas (ibid., 430). tonnamment, celui-ci nous explique qu'il fal-lut quelques annes avant que la cooprative adopte des procds biologiques, selon les normes en vigueur, tant occidentales que mexicaines. vrai dire, cette rorientation ayant trait la production et la stratgie mercaticienne a t le fruit de palabres dans les as-sembles locales et gnrales. Au cours des dbats, l'argument que les mthodes biologiques taient plus en harmonie avec 1' agriculture traditionnelle indienne a t mis de l'avant [notre traduction]l 6, ce qui rallia la majorit.

    Au surplus, Nigh allgue que l'arrive d'immigrants guatmalt-ques fuyant la rpression dans les coopratives autochtones de leur pays d'origine, a men un accroissement des connaissances techni-ques ayant trait la culture biologique. En effet, maints agronomes guatmaltques ont fait profiter 1 'ISMAM de leur expertise, mais ont aussi apport avec eux une mthode participative et collective de travail. Selon Nigh, cette contribution a b~aucoup influenc l'agricul-ture biologique chiapanque et mexicaine en gnral, favorisant un dveloppement de rapports horizontaux farmer to farmer (ibid., 432), en concordance avec l'esprit fraternel autochtone.

    Continuit de la culture autochtone : La reprsentation

    l'avis de Nigh, l'identit indienne est constamment affirme lors d'vnements sociaux parrains par la cooprative, o s'observent des lments de la culture traditionnelle tels la musique, la danse, la nourriture, etc. (ibid.). Outre la promotion de la culture maya, la cooprative contribue galement des activits de reprsentation

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    ou de reprsentation pour les communauts autochtones, et ce, dans toute l'Amrique latine. Tel qu'nonc par le courant indianiste, Nigh avance que les groupes autochtones se chargent dsormais de cette reprsentation eux-mmes, peu importe qu'il s'agisse de faire la promotion des droits de l'homme, d'obtenir des fonds pour leurs projets, de trouver des marchs pour vendre leur production ou encore de prendre part aux activits politiques transnationales (ibid., 428).

    Continuit de la culture autochtone : La redistribution

    En 1993, l'assemble gnrale annuelle a pris l'initiative de redistri-buer une partie des profits de la cooprative travers un fonds rgio-nal. Concrtement, les profits amasss sont rpartis entre les comits locaux de chaque communaut selon la quantit de caf qu'ils ont fournie. Cet argent doit cependant servir des fins de travaux publics, mais ces derniers sont dtermins par la communaut elle-mme, soustraite au pouvoir central de la cooprative (ibid., 434). Nigh ajoutait que peu avant la parution de son article, l'ISMAM s'tait porte acqureuse de 280 hectares de plantations de caf, ce qui devait permettre 120 familles sans terre de s'tablir et travailler (ibid.). Ces exemples sont la preuve des valeurs autochtones de rciprocit et de partage avances par Nigh, videntes dans les actions de l'ISMAM.

    Du local au global

    en croire Nigh, l'analyse anthropologique culturaliste n'est dfini-tivement plus approprie. En quelques mots, rappelons que ce cou-rant tudiait les peuples de Msoamrique sur la base territoriale ou de l'entit administrative , comme une communaut corporative ferme (ibid., 431 ). Il rejoint les thses de Beaucage sur le courant indianiste lorsqu'il affirme que dans le Mexique contemporain, l'af-filiation un groupe religieux, politique ou de la socit civile peut

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    opposer les membres d'une mme ethnie et diviser la communaut (ibid.). Pour ce qui est de l'ISMAM ou mme pour l'ELZN, deux or-ganisations de niveau rgional, Nigh soutient qu'elles reprsentent plusieurs communauts, mais que ce n'est pas tous les membres de ces communauts qui y participent activement [notre traduction] .18 En somme, il est d'avis que les communauts locales comme uni-ts dfinies sur des bases territoriales et ethniques ont encore un rle d'organisation, mais que des entits avec un bassin d'adhrents large et diversifi, comme des coopratives, des groupes religieux ou politiques, ont une influence de plus en plus marque au niveau rgional (ibid.). Il croit que le futur du Mexique rural devra composer avec cette nouvelle donne.

    Or, Nigh observe le comportement des petits producteurs agrico-les mexicains et y voit le reflet des nouvelles ralits. Outre l'ISMAM, les paysans font partie de divers groupes ou associations, se mlent d'autres gens qui n'ont pas leur profil socioconomique. Selon Nigh, ce phnomne de mixit et de participation est trs reprsentatif du Mexique rural moderne o les clivages ethniques et territoriaux s'tiolent, de mme pour les organisations politiques et conomi-ques associes chaque clan (ibid., 431 et 434). Les organisations panautochtories aspireraient davantage rayonner au niveau rgional, national voire transnational, crant des liens entre toutes les identits ethniques (ibid., 434).

    Cooprative dans l'tat de Puebla

    La cooprative Tosepan Titataniske dcrite par Beaucage a sa base dans le village de Cuetzalan, au Nord de l'tat de Puebla. Cet tat est situ au Mexique central et compte plus de 850 000 Autochtones, soit le quart de sa population (Beaucage 2009, 106). Un peu moins que le Chiapas tout de mme, qui en compte plus d'un million. L'ouvrage de Beaucage Corps, cosmos et environnement chez les Nahuas de la Sierra Norte de Puebla, paru en 2009, prsente une synthse de plus de 30 ans de recherches au Mexique. Celui-ci s'est particulirement intress aux Nahuas de la Sierra Norte de Puebla, qui formeraient prs de la moiti des Autochtones de Puebla. L'auteur a pratiquement vu natre cette cooprative qui fut la conscration d'efforts conjoints entre un groupe de chrtiens engags (PRADE) et de jeunes agrono-

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    mes progressistes pour fonder l'Union de Pequenos Productores de la Sierre (UPPS) en 1976 (ibid., 34). Elle proposait d'autres voies d'approvisionnement et de commercialisation et a mme reu un accueil plutt favorable des autorits fdrales qui voyaient dans ce genre d'organisation un moyen de poursuivre la politique de moder-nisation de la caficulture entreprise par 1 'Institut mexicain du caf (INMECAFE). On exigea cependant la transformation de 1 'UPPS d'union paysanne en cooprative rgionale : c'est ainsi qu'en 1980 fut fonde la Socit cooprative rgionale Tosepan Titataniske (ibid., 35).

    Avant mme de penser la commercialisation des produits locaux, le vritable attrait de la cooprative pour les Autochtones tait, ds 1976, d'acheter du sucre, du mas ou des haricots un prix beaucoup moins lev que celui des commerants de la rgion. En fait, elle s'tait allie l'agence fdrale de fournitures de denres de base prix subventionns, la Compagnie Nationale de subsistance populaire (CONASUPO) (ibid., 45). Progressivement, la Tosepan a attir de plus en plus de membres. Selon Beaucage, 1' adhsion des paysans dcoulait d'une perception nette qu'ils y trouvaient ou trouveraient trs bientt leur avantage (ibid., 4 7).

    Une continuit ... nuancer

    Dj au milieu des annes 80, la cooprative qui comptait quelques milliers de membres avait tabli son sige social Cuetzalan, le chef-lieu, et disposait d'une influence assez grande pour lire un de ses membres comme maire du village (ibid., 38). C'est aussi Cuetzalan que se trouvaient le conseil de direction et les conseillers, et c'est l que se runissait chaque semaine l'assemble rgionale, forme de reprsentants de diffrents comits locaux : de production, d' ap-provisionnement (abasto) et d'assistance (prevision social) (ibid., 44). En fait, les Autochtones participaient allgrement aux comits qui se multipliaient, sur le plan local et rgional : pour la production (vannerie, puis caf, miel, volaille, porcs ... ), pour l'eau potable, le pr-scolaire, la clinique, l'cole secondaire alternative (ibid., 48). Beaucage explique qu'ils considraient la participation ces comits comme un prolongement des structures traditionnelles, civiles et religieuses (ibid.).

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    De mme, la cooprative rcupra la corve communautaire gratuite ifaena), la rebaptisant labor social: il incombait aux membres lus des comits locaux d'approvisionnement et de production de recruter la main-d'uvre pour dcharger les denres des camions et y placer les sacs de caf et de quatre-pices; tout comme ceux du comit d'cole de trouver les volontaires pour dfricher la cour envahie par la vgtation aprs les vacances d't. Sur le plan communautaire, la coo-prative tait devenue 1' organisation populaire de base et 1' on y traitait pratiquement de toute la vie sociale autochtone. (ibid., 48-49).

    vrai dire, Beaucage affirme que les lus accomplissaient leurs tches sans rmunration au dbut, selon le modle des fonctions ou charges ralises pour le compte de la mairie ou de l'glise- celles que critiquait Deverre -, comme c'tait la tradition en Msoamri-que (ibid., 49 et 98). C'est lorsque les reprsentants permanents au niveau rgional ont commenc tre rtribus pour leur travail que la logique sous-jacente a bifurqu. Cette nouvelle lite autochtone a cr un soubresaut dans les murs de la rgion, allguant ne plus pouvoir s'occuper de leur champ, tant contrainte de demeurer la cooprative pour vaquer leurs nouvelles responsabilits de gestion ou de comptabilit. Elle se serait aussi attir la critique populaire, note Beaucage (ibid., 49). Selon ce dernier, cette tendance s'est propage et d'autres membres de la cooprative tels les terrassiers employs la rfection des routes, ont exig un salaire en change des services rendus. Ces changements ont fait l'objet de dbats o s'affrontaient diverses tendances, jusqu' l'obtention de l'indispensable consen-sus, aprs lequel le vote n'tait qu'une formalit (ibid., 50). De telle sorte que la tradition consensuelle tait visible, et ce, mme lors de situations tranchant avec d'autres aspects de l'hritage nahuat: la gratuit du travail pour le compte de la communaut.

    En lisant les observations de Beaucage, force est d'admettre que le dveloppement conomique trane avec lui son lot de valeurs capitalistes ou plutt pcuniaires. Par contre, l'auteur prcise qu'en dpit de la privatisation des terres communales au 19e sicle et l'adoption de la caficulture aprs la Seconde Guerre mondiale, le rapport fondamental la Terre est demeur et que les Nahuas sont

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    toujours respectueux de ses richesses (ibid., 128-130). Lorsqu'il parle de la Tosepan, il affirme que le travail communautaire qui fut l'une des bases culturelles du dveloppement de l'organisation rgionale19, semble aujourd'hui en rgression et s'insre dornavant dans l'conomie de march et l'individualisme qui y est associ (ibid., 104). De la coopration traditionnelle sur une base volontaire l'organisation cooprative, la Tosepan a d composer avec la mul-tiplication des dmarches bureaucratiques, la ncessit d'une comp-tabilit moderne et bien sr, la main-d' uvre qualifie embaucher, comme nous 1' avons soulev plus haut. Cette nouvelle lite accdait des postes nagure rservs aux trangers, reprsentant ds lors une appropriation presque totale de cette institution conomique par les Autochtones. Les jeunes cadres intermdiaires sont scolariss et bilingues, alors que le nahuat est devenu la langue d'usage de l'orga-nisation (ibid., 101).

    Enfin, nous pouvons clore cette section avec une citation de Beau-cage qui rsume la trajectoire de la Tosepan et clarifie, du mme coup, son analyse :

    [U]n mouvement revendicatif paysan qui est devenu, progres-sivement, une organisation autochtone. Ses revendications ont dpass rapidement le niveau conomique pour passer au po-litique puis, de faon diffuse, au niveau culturel et identitaire, tant sur le plan linguistique que culturel. (ibid., 104)

    La cooprative autochtone, continuit ou rupture d'une tradition?

    Si l'on se fie Deverre, les coopratives qu'il a observes dans la Selva Lacandona au Chiapas ne reprsentaient pas la continuit d'une tradition culturelle. Elles constituaient bien une forme d'conomie sociale, en tant qu'appropriation conomique d'une partie de la pro-duction par les Autochtones au dtriment des marchands capitalistes, mais celles-ci n'avaient qu'un trs faible impact sur les nouveaux rapports sociaux. De son point de vue, la coopration et le caractre collectif du procs du travail comme Deverre l'appelle, se sont dvelopps sur d'autres bases que la cooprative. Ils seraient dus

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    aux difficults de dfrichage de la vgtation intense auxquelles tous les Autochtones ont pris part lors de 1' dification de la colonie, ainsi qu'aux plantations secondaires telles la canne, le caf ou les bananes qui requirent un travail plus collectif, depuis les semailles la r-colte, contrairement la production plus individuelle ou familiale des haricots et du piment (Deverre 1980, 181 ). Toutefois, la position de Deverre est placer dans contexte. Pour ce chercheur de tendance marxiste, dans l'tat des rapports conomiques existants dans les Hau-tes Terres du Chiapas la fin des annes 70, l'indianit ne faisait que maintenir le capitalisme agraire et son cortge d'iniquits. Il croyait fermement que le systme de charges politico-religieuses, attribues des individus en fonction de leur respect des traditions, entretenait un conservatisme inflexible marqu par la religion. Cet tat de fait privait les Autochtones d'galit et de libert, les condamnant une position d'exploits.

    notre avis, mme si l'ouvrage de Deverre est souvent cit car il est reprsentatif d'une conception intellectuelle voire d'une certaine poque, nous pouvons aujourd'hui, avec du recul, en reconnatre les limites. Force est d'admettre que sa grille d'analyse marxiste l'a amen ngliger plusieurs aspects dans sa recherche ethnographique. Dans les plus importants, nous pouvons mentionner la dimension ethna-politique que possdait dj le mouvement des ejidos de la Selva Lacandona, qu'il a totalement vacue. Puis, pour en revenir aux coopratives autochtones, nous retiendrons que sa vision ngative de 1 'indianit et le faible niveau de dveloppement des coopratives qu'il a tudies ce moment prcis, minent son raisonnement. Mme si Deverre semble les avoir omises, notons que les formes tradition-nelles de coopration dans les communauts autochtones - notam-ment celles releves par les auteurs culturalistes tels Redfield -, nous poussent croire que les coopratives s'inscrivent plutt dans une continuit des rapports sociaux endognes.

    En effet, les textes de Nigh et de Beaucage conoivent les coo-pratives autochtones mexicaines comme des organisations cono-miques reprsentant la poursuite d'une tradition culturelle, au point de mme stimuler celle-ci. Brivement, rappelons que Nigh adhre au courant indianiste qui soutient que le mouvement autochtone est aujourd'hui all plus loin que les revendications agraires et territo-riales. Dans le cas de l'ISMAM, cette cooprative situe au Chiapas

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    prs du Pacifique, le mouvement ne s'est pas seulement appropri le processus de production et de mercatique, il s'est aussi rappropri son identit et son image.

    Selon l'analyse que Nigh fait de l'ISMAM, cette cooprative in-came tout fait les murs autochtones en valorisant la rciprocit, les relations de travail volontaires et la prise de dcision horizontale. Avec non moins de trois niveaux de gestion (communaut locale, assemble rgionale mensuelle et assemble gnrale annuelle), la tradition de dmocratie communale autochtone est manifeste. Elle se dmarque nettement du style de gestion favoris en Occident. Plus important en-core, le lien entre les modes traditionnels de production et les coopra-tives est indniable. Les membres de l'ISMAM ont d'ailleurs adopt les procds biologiques modernes en misant sur un plan de fertilisa-tion long terme, car ils s'apparentent au modle agricole traditionnel maya. Outre 1' absence de produits chimiques synthtiques dans sa production, la cooprative s'est engage maintenir une diversifica-tion des cultures en gnral et des arbres d'ombrage, faire usage de compost et de produits de lutte antiparasitaire qui sont cologiques et non toxiques, etc. Des mesures de contrle ont t implantes, o les agronomes de l'ISMAM visitent mensuellement chaque producteur pour assurer le respect des normes cologiques (Nigh 1997, 433).

    En outre, Nigh a soulign que l'identit maya n'est pas seule-ment visible sur le matriel promotionnel de 1 'ISMAM (images sur 1 'emballage des produits, photos de la cooprative, identification de celle-ci travers divers mdias imprims ou virtuels, etc.). Bien au contraire, elle est constamment mise de l'avant lors d'activits par-raines par la cooprative, o 1' on peut remarquer divers lments de la culture traditionnelle tels la musique, la dance, la nourriture, etc. Sans compter le soutien de la cooprative d'autres nations autoch-tones du Mexique et des mouvements de solidarit de plus grande envergure l'chelle continentale. Or, si l'on ajoute ces activits celles de redistribution des profits de l'ISMAM aux comits locaux de chaque communaut- pour des travaux publics bnficiant toute la communaut -, il est clair que les valeurs autochtones de partage et d'entraide sont tangibles. L'achat de terrains destins la planta-tion qui permettra, entre autres, d'accueillir plus d'une centaine de familles sans terre, est un autre exemple contemporain de la frater-nit autochtone.

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    Ainsi, que ce soit au chapitre de la gestion, production, reprsen-tation, redistribution et mme de la mercatique, tous les exemples cits plus haut sont la dmonstration de tous les aspects tradition-nels de la culture autochtone qui sont repris par l'ISMAM, dans un contexte moderne. Si Nigh affirme que l'ISMAM est une rponse aux politiques tatiques nolibrales d'une part, il la conoit comme une plate-forme cre par et pour les Autochtones d'autre part. Dans le cadre d'activits de brokering ou tout autre moment, elle parle pour tous les Autochtones paysans dit-il, en leur offrant les moyens d'tre productifs tout en protgeant leur environnement naturel, voire en revitalisant leurs traditions culturelles (Nigh 1997, 435).

    Dans la foule des constatations de Nigh une dizaine d'annes auparavant, Beaucage soutient que la cooprative Tosepan relve de la continuit des rapports sociaux traditionnels, mais qu'elle a modifi ou actualis ces derniers. Aujourd'hui, elle est devenue une institution immanquable Cuetzalan au Puebla, au point d'tre prsente dans plusieurs sphres de la vie des Autochtones. Ne serait-ce qu'en ce qui a trait l'administration des affaires de la Tosepan, au niveau local ou rgional, dans les comits ou les assembles, la gestion participative et dmocratique tmoigne du lien de continuit avec l'hritage culturel nahuat. Quoi qu'on en dise, les Nahuas sont demeurs attachs la Terre, ne sont pas devenus les agriculteurs modernes dnus d'identit autochtone comme l'envisageait l'cole culturaliste, mais ont bel et bien travers 1 'poque marxiste d~s reven-dications paysannes purement conomiques. Revenons brivement sur la trajectoire de cette cooprative produisant du caf biologique, mais aussi du miel et des vanneries.

    Selon Beau cage, lorsque la Tosepan s'est implante, elle s'est appuye sur une longue tradition de travail pour la collectivit. son avis, la rgion de la Sierra Norte n'est pas diffrente des autres de Msoamrique : [ ... ] si l'essentiel de la production de subsistance et de march se fait dans le cadre de la famille, il existe une tradition de travail collectif (Beaucage 2009, 98). Historiquement, les valeurs de rciprocit et d'entraide taient notamment visibles dans l'change de journes de travail avec des voisins lors d'activits agricoles telles les semailles, mais aussi pour construction et la rparation des chau-mires. En prenant exemple sur la culture du mas, Beaucage (ibid., 98-99) nous apprend que le bnficiaire avait coutume d'offrir un

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    repas copieux aux gens qui l'avaient paul pour les semailles. gale-ment, comme nous l'avons dj voqu, les autorits civiles commu-nales, municipales et ecclsiastiques commandaient aux habitants de prendre part la corve communautaire, par exemple pour la rfection de chemins et btiments publics, civils ou religieux. Or, puisque la Tosepan a rcupr la corve, il est vident que sa lgitimit en tant qu'organisation sociale et communautaire tait tablie. Cette action dmontre son lien de continuit avec la tradition culturelle nahuat de faon irrfutable.

    En dernire analyse, Beaucage (ibid., 102-103) dira que la coo-prative a aujourd'hui dvelopp une ba~e conomique modeste mais relle et permis la raffirmation de l'identit autochtone. Pour l'anecdote, il affirme que les jeunes cadres bilingues (espagnol et na-huat) de la Tosepan s'empressent d'intensifier leur participation aux activits rituelles locales, lors des ftes villageoises, histoire de mon-trer qu'ils n'ont rien perdu de leur identit autochtone. Comme quoi mme si le travail bnvole tend disparatre et que la qualification de la main-d'uvre de mme que la complexification de l'organisa-tion s'accroissent, la Tosepan entend bien continuer de prserver la richesse du patrimoine culturel nahuat.

    Conclusion

    Comme nous 1' avons expos dans la premire partie de ce texte, toute organisation quelle qu'elle soit, n'est pas culturellement neutre. Nous nous sommes attards aux coopratives mexicaines compo-ses d'Autochtones, en cherchant dterminer si ces organisations refltaient les cultures autochtones, et ce, dans diffrentes sphres de leurs activits. Car ce n'est pas parce que des gens d'un certain profil ethnique intgrent voire fondent une organisation, une compagnie prive, etc., que l'on pourra forcment y reconnatre des lments tirs de leur culture ancestrale. Il revient chacun, du producteur au gestionnaire, de choisir s'il veut prendre part une organisation qui promeut cette culture, ou de la crer selon ses prfrences et ses aspirations entrepreneuriales.

    En l'occurrence, 1' analyse qui se dgage des textes que nous avons tudis tend confirmer notre hypothse de dpart. Les coopratives autochtones que nous avons examines, en tant qu'organisations de

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    l'conomie sociale, semblent constituer la continuit d'une tradition culturelle chez les peuples autochtones du Mexique, dans deux textes sur trois. Rappelons que tous les auteurs sont Occidentaux- respecti-vement Franais, Amricain et Qubcois -, mais ont recueilli leurs donnes sur le terrain, parfois aprs de longues annes de recherches et d'accompagnement auprs de ces organisations. Il est certain que nous ne pouvons prtendre arriver cette conclusion pour toutes les coopratives du pays, mais il n'empche qu'au moins deux cher-cheurs sur trois vont dans ce sens. Selon ceux-ci, la cooprative a consolid les rapports sociaux existants, en les modernisant divers gards.

    La position de Deverre, le seul observateur n'y adhrant pas, s'explique en grande partie par sa vision de la culture autochtone et aussi par le fait qu'il a tudi le phnomne des coopratives ses tout premiers dbuts. Selon cet auteur, les analyses culturelles ou ethniques sont presque un cran de fume , dtournant la vraie nature de l'Indien, soit le paysan. Visiblement, il ne tient pas compte des recherches anthropologiques culturalistes qui soutenaient que les communauts autochtones recelaient une tradition de travail collectif, tel que l'avait expos Redfield ds les annes 30. Au contraire, l'ap-proche marxiste de Deverre tend expliquer la cration des nouvelles colonies et 1' conomie agricole qui y est rattache comme une rupture avec la tradition ingalitaire et trop hirarchique des charges po-litico-religieuses. Tenant du paradigme marxiste, Deverre explique la cooprative en des termes strictement conomiques, ngligeant toute forme d'indianit quelconque. Il soutient que les rapports sociaux ont volu pour le mieux dans ces nouvelles colonies, justement parce qu'elles ont rompu avec la tradition culturelle, mais ce n'est pas d aux coopratives, encore peu fcondes.

    Prs de 20 ans plus tard, le tableau tait tout autre. Malgr la pr-sence grandissante de l'ELZN dans les affaires autochtones du Chiapas voire du pays, certaines organisations ont russi dvelopper leur autonomie et attirer 1' attention mdiatique, sans toutefois se re-beller contre 1 'tat. Rcompense des mains du Prsident mexicain, la cooprative dcrite par Nigh avait de quoi pavoiser. Selon cet auteur, le succs de 1 'ISMAM repose en grande partie sur la continuit de la tradition culturelle des Mams. Celle-ci est visible tant au niveau de la gestion, production et reprsentation de l'organisation, qu'au niveau

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    de la redistribution des profits. Nigh nuance toutefois cette influence, en prcisant que 1 'ISMAM est un hybride entre 1' organisation sociale maya traditionnelle et l'entreprise capitaliste moderne. Pour cette rai-son et surtout pour sa certification biologique, les consommateurs oc-cidentaux opteraient pour son caf, se dmarquant de la concurrence par la forte symbolique qu'il entretient. En dernire analyse, Beau-cage adhre la mme nuance que Nigh, o la gestion et les relations de travail de la Tosepan illustrent bien 1' esprit de conciliation entre le dveloppement conomique capitaliste, le soin pour la biodiversit et la protection voire 1' exaltation des traditions culturelles nahuas lors des ftes villageoises. Au mme titre que l'ISMAM au Chiapas, Beaucage affirme que la Tosepan de Puebla doit tre comprise dans une perspective analytique indianiste, c'est--dire une institution co-nomique qui leur permet d'afficher haut et fort leur identit culturelle autochtone.

    Mme si l'ISMAM ne s'est pas associe directement au mouve-ment de l'ELZN, certains auteurs affirment que la forte prsence de celui-ci a permis un rapport de force l'avantage des petits produc-teurs de caf et des coopratives au Chiapas, mais pas au Puebla. cet effet, Snyder (1999, 196-198) qui s'est longuement pench sur la situation de la production caficole aprs les rformes nolibrales et le dmantlement de l'INMECAFE, soutient que la situation in-surrectionnelle du Chiapas amena les fonctionnaires fdraux plutt rformistes- dans un objectif de maintien de la stabilit politique et conomique- s'allier aux producteurs paysans pour faire chec au capitalisme de connivence ( crony capitalism) favoris par les oligarques du caf et le gouvernement chiapanque. Contrairement au Chiapas, les coopratives de l'tat de Puebla, dans leur ensemble, n'auraient pas tellement dpass le stade de la production brute, lais-sant du coup la transformation et la mercatique aux firmes agroindus-trielles, et perdant ainsi du terrain quant leur place dans la nouvelle rgulation du secteur du caf dans cet tat.

    Au demeurant, quelques questions mritent d'tre poses quant aux objectifs et la dmarche des coopratives autochtones mexi-caines, particulirement celles productrices de caf. Nous pouvons lgitimement nous demander si elles ne profitent pas un peu du fait que la culture autochtone est la mode sur la scne mondiale ? Surfent-elles sur la vague du commerce quitable et de la produc-

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    ti on biologique parce qu'elle plat beaucoup aux consommateurs du Nord? S'agit-il uniquement de moyens plus efficaces pour ne pas dire rentables d'couler leur production? Changeront-elles de stratgies dans vingt ou trente ans si elles y voient un avantage quelconque ? Ces questions sont pertinentes et les points qu'elles soulvent ont sans doute, qu'on le veuille ou non, influenc dans une certaine mesure les mthodes de production agricole, la stratgie mercaticienne voire le succs gnral des coopratives. Mme pour Nigh et Beaucage, deux auteurs dressant un bilan positif des coopratives, ces lments sont prendre en considration. Toutefois, suffisamment d'lments tirs de la culture autochtone tels la rciprocit, le respect de la nature, la gestion horizontale, la redistribution dans la communaut, etc., sont visibles au sein des coopratives tudies pour relativiser le poids de ces influences. Au final, nous nous voyons bien mal placs pour blmer les coopratives autochtones mexicaines qui tout en tant fi-dles leurs traditions culturelles, russissent tirer leur pingle du jeu dans un commerce international qui rapproche de plus en plus les consommateurs du Nord aux producteurs du Sud.

    Notes

    Si l'on considre que sont Autochtones les personnes qui disent parler une langue indienne ou qui vivent dans un foyer dont au moins l'un des membres parle une langue indienne, on obtient un volume de population indienne suprieur 10 000 000 (environ 10% de la population totale) (Le Bot 2009, 16; Lartigue et Quesnel2003).

    2 Le lien est tabli d'emble entre le pass et le prsent, o partir de 1' apparition de la culture du mas, les apprentissages et progrs techniques successifs [ ... ] ont produit les cultures humaines diffrencies des Ol-mques, Teotihuacans, Toltques, pour aboutir aux Mexicas, Zapotques et Mixtques . L'auteure a procd l'analyse du manuel de Vazquez Tres intentas de cambio social a travs de la educacion (tapuscrit) paru en 1980. Enseign la troisime anne du primaire, ce manuel est, selon Covo, un de ceux qui fut le plus publi avec un tirage plus de trois mil-lions d'exemplaires (Covo 2005, 87).

    3 Ce dpassement s'est effectu il y a plus d'un sicle avec les grandes r-formes librales, qui ont oblig les Autochtones produire pour le march ou devenir ouvriers agricoles dans les haciendas (exploitations agricoles de grande chelle). Pour une explication plus dtaille des haciendas, voir la note 9.

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    4 Voir notamment Fairtrade Labelling Organizations International et World Fair Trade Organization.

    5 Les parenthses sont de 1' auteur, les crochets sont de nous.

    6 Redfield parle du critre d'organization of culture ou de well-organized cultures dans le cas des entits isoles, telles celles o rsident majoritaire-ment des Autochtones (Redfield 1941, 357). En contrepartie, il avait dclar que moins l'entit administrative est isole, ou en d'autres termes, plus elle se rapproche du dernier stade (city), plus elle est htrogne, prsente une division du travail complexifie et une conomie base sur 1' argent, se spare du religieux, connat un recul des traditions culturelles et tend vers l'individualisme (1934, 57-69; 1941, 338).

    7 Wolf a dfini les termes closed corporate community en parlant des communauts paysannes de Msoamrique et de la province indonsienne du Java central :They are similar in that they strive to prevent outsiders from becoming members of the community, and in placing limits on the ability of members to communicate with the larger society. That is to say, in both areas they are corporate organizations, maintaining a perpetuity of rights and membership; and they are closed corporations, because they limit these privileges to insiders, and discourage close participation of members in the social relations of the larger society (1957, 2).

    8 Avec la formation d'une plthore d'organisations ou de mouvements en milieu autochtone, chaque groupe affiche des objectifs conomiques, poli-tiques ou idologico-culturels distincts voire opposs. Selon les tendances idologiques, les rapports sociaux et les interactions entre les membres de chaque communaut diffreront, que l'on soit evangelico (protestant) ou cooperativista, "traditionnaliste" ou membre de la "communaut ecclsi-astique de base" voire "base d'appui zapatiste" (Beaucage 2001, 10-11 ).

    9 L'auteur retient trois principales formes de production concernant les Au-tochtones chiapanques. Les communauts paysannes o les producteurs sont attachs institutionnellement et idologiquement au sol. L'avantage de cette forme est que les Autochtones possdent les moyens de travail et de production, mais que cette autonomie ne permet pas de dgager un surplus suffisant pour assurer l'ensemble de leur subsistance (Deverre 1980, 151 ). Les plantations cafires capitalistiques, lesquelles utilisent la main d'uvre autochtone saisonnire, toujours abondante. Les plantations savent qu'elles attireront toujours des paysans, et ce, mme en offrant un bas salaire estime Deverre, car les Autochtones y auront toujours recours pour pallier les dficits de la communaut. Selon lui, les Autochtones sont trop attachs cette dernire et leurs parcelles de terres insuffisantes, insiste-t-il, pour rejeter compltement le capitalisme agraire et ses travers. La solidarit communautaire et ethnique aurait pouss les Autochtones accepter cette situation, car elle leur permet de se maintenir, sans toutefois

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    rellement s'enrichir voire s'affranchir de leurs conditions prcaires ( 157). En troisime viennent les haciendas traditionnelles. Exploitations agricoles de grande chelle, ces proprits sont l'hritage encore visible de l'poque coloniale et du 19e sicle ( 151 ). Nous pourrions ajouter 1' ejido, une com-munaut cre par la loi de la rforme agraire mexicaine, pour encadrer la rpartition des terres. Les lopins, de superficie fort variable (de deux dix hectares), sont gnralement exploits par chaque famille, mais le titre est collectif (Beaucage 2009, 94). Alors que l'ejido rsulte de l'octroi de terres un groupe paysan nouveau, form dans ce but, la communaut paysanne est constitue par la restitution des terres un groupe rsidant sur le territoire en question depuis une priode ancienne (53). La Rvolution mexicaine de 1910 a fait basculer la prpondrance des haciendas, ce qui a permis au capitalisme agraire de s'implanter comme figure dominante des relations conomiques. Deverre prcise que la Rvolution a entran un bouleversement complet des rapports de forces- cependant moins brusque dans le Chiapas que dans le Nord et le Centre du pays (153).

    10 Deverre note que dans les socits des Hautes Terres, le systme ancestral des charges politico-religieuses, fonctionnant sur la base de la communaut (8 000 10 000 personnes en moyenne), a comme tradition d'attribuer certains membres l'organisation de la vie religieuse, culturelle, de la justice, du mode de travail, ainsi que des ftes communautaires. Comme les membres n'taient pas choisis en fonction du mrite ou de leur dyna-misme, mais bien en fonction de leur respect de la tradition, ceux-ci sont incits maintenir une socit adapte aux structures de domination et d'exploitation externes. Plutt critique, Deverre semble croire qu'aucun changement rvolutionnaire ne pourra jamais voir le jour en ces circon-stances. Il parle davantage de conservatisme rituel que de dmocratie communautaire. Qui plus est, il affirme que la domination de l'instance religieuse est manifeste ( 1980, 189). 1' oppos, dans les colonies, le commissaire jidal soit l'excutif du village, est un membre lu qui veille la rpartition des terres et au respect de 1' application des lois foncires. Le commissaire jidal est contrl, conseill, surveill rgulirement par 1 'Assemble gnrale des colons [oprant un rel contrle insiste Deverre] dont la frquence de runion est hebdomadaire, parfois quotidienne et o la participation est massive ( 190).

    11 Notons que la nouvelle prsence des femmes dans ces coopratives a permis celles-ci de faire leur premire exprience politique , ouvrant lentement d'autres portes vers leur participation sociale en gnral (Saum-ier 2001, 73-74).

    12 la fin de la Rvolution, en 1917, Zapata russit faire adopter une Constitution avant-gardiste, voire rvolutionnaire, quant la distribution des terres qui devaient tre en majorit de proprits collectives (Guimont Marceau 2006, 72).

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    13 Interview du sous-commandant Marcos, La Jornada, 5 fvrier 1994; cit dans Nadal ( 1994, 17).

    14 Communiqu lu le 1 janvier 1994, San Cristobal de las Casas; cit dans Nadal (1994, 142).

    15 Dans le texte : combining aspects of traditional ln di an social organization and modern capitalist enterprises (Nigh 1997, 427).

    16 Dans le texte: In the discussions, the argument that organic methods were more harmonious with Indian traditional agriculture was emphasized (Nigh 1997, 433).

    17 Nigh se rfre au concept de cultural broker ,qu'il dfinit comme des individus qui servent d'agents de liaison ou de communication entre les communauts locales et les structures rgionales voire nationales (Nigh 1997, 428). De prime abord, la notion de broker signifie davantage une profession d'intermdiaire pour le compte de tiers, dans des oprations boursires ou commerciales. L'auteur tend ici cette dfinition la sphre culturelle dans un contexte de mondialisation, o les cultural brokers cher-chent faire le pont entre les communauts locales et le monde extrieur. Trs honntement, Nigh dclare avoir lui-mme particip ces brokering activities, en tant que cofondateur d'une ONG mexicaine valorisant le dveloppement cologique et durable de l'agriculture et de la fort (430). Ceci dit, nous ajouterons que ces brokering activities, comme celles abor-dant l' cologisme par exemple, contribuent modifier la culture autochtone et le discours sur celle-ci.

    18 Dans le texte : represent many communities but not ali members of tho se communities actively parti ci pate. Such is the case for many different kinds of organizations, from agriculture marketing coops such as ISMAM to in-dependent poli ti cal coalitions to the Zapatista army (ELZN) (Nigh 1997, 431).

    19 Voir Beaucage et al. 1982, 131-173; Aguilar A yon et Mora 1991.

    Ouvrages cits

    Aguilar Ayon, A. et S. Mora. 1991. Participacion de la Cooperativa agrope-cuaria regional Tosepan Titataniske en la estructura regional de poder y su influencia en el desarrollo rural : El caso de la region de Cuetzalan, Sierra Norte de Puebla, Mexico. Tesis de maestria, UniversidadAutonoma Metropolitana-Xochimilco, Mexico.

    Armijo, Leslie Elliott et Philippe Faucher. 2002. "We have a consensus": Explaining political support for market reforms in Latin America. Latin American Politics and Society 44.2 : 1--40.

    Barre, Marie-Chantal. 1983. ldeologias indigenistas y movimientos indios. Mexico : Siglo XXI.

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    Beaucage, Pierre, Mariette Gobeil, Maria Elisa Montejo, et Franoise Vity. 1982. Dveloppement rural et idologie paysanne. Ce qui se passe au vil-lage. Anthropologie et Socits 6.1 : 131-173.

    Beaucage, Pierre. 1992. Crise des subsistances ou crise des modles explica-tifs? propos d'un mouvement indigne et de ses interprtations. Anthro-pologie et Socits 16.2 : 67-90.

    --. 2001. Fragmentation et recomposition des identits autochtones dans quatre communauts des rgions caficoles du Mexique. Recherches am-rindiennes au Qubec 31.1 : 9-19.

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