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BERTRAND BOUARD LYNYRD SKYNYRD LE MOT ET LE RESTE

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BERTRAND BOUARD

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Fondé dans les années soixante en Floride, Lynyrd Skynyrd s’impose une décennie plus tard comme le groupe phare du rock sudiste. Pourtant, lorsqu’en 1976 Time Magazine lui consacre un article, la musique est effleurée en quelques mots, et les frasques décrites en profondeur (alcool, violence, scènes de mise à sac). Dans la trajec-toire de Lynyrd Skynyrd, l’image a souvent éclipsé la musique. Et les mal entendus ont souvent brouillé cette image.

Son histoire est ici racontée dans ses triomphes et ses tragédies constamment entremêlés, en restituant par ailleurs la consistance du réper toire. Avec des titres comme « Free Bird », « Sweet Home Alabama », « That Smell » ou encore « Simple Man », le groupe s’extirpe des quartiers durs de Jacksonville pour tutoyer la gloire, jusqu’à s’en retrouver brutalement dépossédé après un accident d’avion fatal à plusieurs d’entre eux.

Bertrand Bouard est né en 1977 dans le Val d’Oise. Il écrit depuis une quinzaine d’années sur les musiques, notamment pour Rock&Folk.

Collection publiée avec le concours financier de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Prix : 17 eurosISBN : 978-2-36054-456-1 LE MOT ET LE RESTE

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Note de l’auteur

Démêler les faits d’une reconstitution des événements enjolivée ou fantasmée n’est pas toujours aisé quand on se penche sur l’histoire d’un groupe, et particulièrement sur celle de Lynyrd Skynyrd. Les divergences abondent entre les différents protago-nistes et nombre ne sont plus là pour donner leur version des événements. Certains épisodes ont fait l’objet de récits si contra-dictoires, parfois par le même narrateur, qu’ils semblent brouillés à jamais, comme la question de l’état de conscience de Ronnie Van Zant lors du crash et des circonstances exactes de son décès. J’ai choisi de retenir la version qui faisait l’objet d’un consensus parmi les sources ou, à défaut de celui-ci, celle qui paraissait la plus probante (certaines sources étant plus fiables que d’autres), et de faire figurer en bas de page les récits « alternatifs » de certains événements.Au lecteur anglophone qui souhaiterait approfondir le sujet, je recommanderais l’ouvrage de Ron Eckerman, tour manager du groupe de janvier 1976 jusqu’au crash, témoignage le plus éclai-rant sur son fonctionnement (et ses dysfonctionnements) au jour le jour. Son récit est également le mieux écrit parmi ceux qui existent (les livres de Marley Brant et Mark Ribowsky sont en outre émaillés d’erreurs factuelles).

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That smell of death 1

En cette fin de matinée du 20 octobre 1977, la petite troupe qui s’extraie des taxis à l’aéroport de Greenville, en Caroline du Sud, affiche une mine plutôt maussade. Les excès consé-cutifs au concert de la veille n’y sont pas étrangers, de même que la séance d’alcoolisation à laquelle certains musiciens se sont adonnés au bar ou dans les chambres de leur hôtel, dès le petit-déjeuner. Longs cheveux blonds, jean et T-shirt comme chaque jour de l’année, le chanteur et leader du groupe, Ronnie Van Zant, a les yeux réduits à un trait séparant ses paupières gonflées, la gueule de bois particuliè-rement intense. La troupe rejoint le tarmac puis commence à se diriger vers le Convair 240 qui fait tourner ses deux moteurs à hélice sur la piste depuis près d’une heure – des limousines devaient récupérer les musiciens à l’hôtel mais ne se sont jamais matérialisées. Une inquiétude, surtout, se lit sur certains visages, celui de la choriste Cassie Gaines tout particulièrement. Lors du dernier vol entre Lakeland, en Floride, et Greenville, une détonation au niveau du moteur droit au moment du décollage a été suivie d’une traînée de flammes au moment où l’avion prenait de l’altitude, réitérée à plusieurs reprises. Résolue à ne plus remettre les pieds à bord de l’appareil, Cassie a cherché des billets sur un vol commercial pour rallier Baton Rouge, en Louisiane, lieu du prochain concert, avant de se raviser au matin, convaincue

1. « Cette odeur de mort » (extrait de « That Smell »).

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par les autres. Les velléités de certains de ne pas revoler dans le Convair ont, de toute façon, été coupées court par Van Zant la veille au soir : « Celui qui n’est pas au concert demain pourra se considérer comme viré. » Le show de Greenville s’est bien déroulé, mais sitôt de retour à l’hôtel, les conver-sations ont vite convergé, de nouveau, vers le vol du lende-main, et les musiciens, qui avaient largement réduit leur consommation ces derniers temps après des années d’excès, ont débouché les bouteilles, réagissant comme souvent : face à une situation stressante, s’alcooliser. Gene Odom, le chef de la sécurité, qui avait embrassé le sol à l’atterris-sage à Greenville, incrédule d’être toujours de ce monde, s’est rendu, dès son réveil, encore sous le choc, auprès des deux pilotes, Walter McCreary et William Gray, affairés autour du moteur défectueux. « Un mécanicien viendra s’en occuper à Baton Rouge », s’entend-il répondre, sidéré que le problème ne soit pas résolu sur le champ. « C’est rien de méchant, renchérit McCreary. On doit juste réparer pour que le moteur tourne mieux, c’est pas si grave que ça a en l’air. Au pire, si un moteur venait à s’éteindre, ce qui n’arri-vera pas, on peut toujours voler avec un seul. »Effectuer ses tournées à bord d’un avion privé n’a rien d’inu-suel pour un groupe de rock dans les années soixante-dix. Les Stones ou Led Zeppelin en ont fait l’emblème de leur puissance. L’avion privé, flanqué du nom du groupe, parti-cipe de leur mystique : en vivant hors des règles, en partant de pas grand-chose, l’on pouvait parvenir très haut, littéra-lement. Pour Lynyrd Skynyrd, la solution s’est aussi imposée pour d’autres raisons : régulièrement éméchés, turbulents, les musiciens du groupe ont traumatisé des contingents d’hôtesses et de passagers – il est arrivé, à l’atterrissage, que des shérifs les attendent en bas des escaliers… Le groupe loue depuis quelques mois un Convair 240, pas exactement une

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première jeunesse – entré en circulation en 1947, l’appareil totalise plus de vingt-neuf mille heures de vol. Lors de son inspection pour une éventuelle utilisation, l’un des respon-sables d’Aerosmith, Zunk Buker, a menacé de démissionner si on l’obligeait à embarquer ainsi que son groupe à bord de cet avion en piteux état, dont les pilotes se partageaient une bouteille de whisky dans le cockpit. Le manager anglais de Lynyrd Skynyrd, Peter Rudge, préfère pour sa part rejoindre les villes où se produisent ses musiciens à bord des vols réguliers, en première classe.« Si c’est ton heure, c’est ton heure. Peu importe que tu sois dans un avion ou un bus », a déclaré Ronnie Van Zant à Ron Eckerman, le road manager venu le consulter ce matin. Eckerman a le sens de l’humour : il s’est confectionné la veille un T-shirt sur lequel est écrit « Travel at your own risk » (« voyager à vos propres risques »). Le chanteur grimpe maintenant dans la carlingue, parmi les vingt-quatre autres passagers. Il s’installe dans la première partie de l’habitacle, aménagée en un salon avec une banquette circulaire sur le côté droit, sur laquelle prennent place l’ingénieur du son Kevin Elson et les deux guitaristes Allen Collins et Gary Rossington – en face, sur deux fauteuils, s’assoient le tour manager assistant Dean Kilpatrick et Steve Gaines, le frère de Cassie.Le décollage a lieu à 16 h 02, après que le moteur droit s’est lancé dans un nuage de fumée noir. Il fait 16 °C, le ciel est bleu, seulement voilé de quelques nuages. Dans les premières minutes du vol, le moteur droit est à nouveau pris de secousses anormales qui finissent par s’estomper. Une fois parvenus à l’altitude de croisière, les musiciens et le manage-ment tiennent un conciliabule : ce vol sera leur dernier à bord de l’anxiogène coucou, un Learjet dernier cri le remplacera à leur prochaine étape, la chose est décidée. Voilà qui allège

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les cœurs. Et, après tout, les musiciens ont de quoi se réjouir. Leur nouvel album, Street Survivors, sorti trois jours plus tôt, a été précommandé à un demi-million d’exemplaires et marque un accomplissement créatif dont peu d’obser-vateurs les pensaient capables. Symbole du rock du Sud, le groupe s’en éloigne subtilement, grâce à des arrangements de guitares fins et à certains des meilleurs morceaux depuis le début de sa carrière, entamée une douzaine d’années plus tôt. L’un d’eux, tout particulièrement, se détache, « That Smell », dont les paroles, lugubres, ont été inspirées à Van Zant par une série d’accidents de voiture survenus à Collins, Rossington et Powell : « Can’t you smell that smell? / The smell of death surrounds you?» 1 Leur tournée, baptisée Tour of the Survivors, vient de débuter et s’annonce triomphale. Les quatre premiers concerts ont conforté la dynamique du groupe, sur la lancée de son triomphe dans le stade d’Anaheim, en Californie, qui les a vus acclamés par cinquante-sept mille fans le 27 août. Enfin, rêve de Ronnie Van Zant sur le point de devenir réalité, Lynyrd Skynyrd se produira dans deux semaines au Madison Square Garden de New York, consé-cration suprême pour des gamins des faubourgs populaires de Jacksonville, en Floride, dont le music business n’a jamais vraiment su s’il s’agissait de hippies, de rednecks, ou d’un mélange des deux.Le soleil commence à rougeoyer et imprime sur le ciel les premières couleurs du crépuscule. Baton Rouge n’est plus qu’à une petite centaine de kilomètres. Une trentaine de minutes de vol à peine. Certains, tels Gene Odom, Craig Reed, un roadie, ou Ron Eckerman disputent une partie de poker à l’arrière de l’appareil ; Artimus Pyle, le batteur, et Dean Kilpatrick esquissent des pas de disco dans l’allée centrale, provoquant quelques rires dans l’assemblée. Dans

1. « Sens-tu cette odeur ? Celle de la mort qui rôde autour de toi ? ».

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la partie avant, Ronnie Van Zant est affalé au sol, un coussin en guise d’oreiller, le visage calme, plongé dans le sommeil suite à l’absorption de somnifères. Soudain, une puissante détonation, suivie de quelques cris. Une large boule de feu, jaillie du moteur droit, qui se dissipe dans un épais nuage de fumée noire. Les hélices continuent de tourner quelques secondes, puis s’arrêtent. Seconde détonation, quelques secondes plus tard : une nouvelle boule de feu, plus petite, et la même traînée noirâtre qui s’échappe du second moteur. Quelques révolutions d’hélices puis elles se figent à leur tour. Odom se précipite dans le cockpit – McCreary vient de plonger une jauge dans le réservoir pour évaluer le niveau de fuel. Il la ressort, livide. « J’espère que vous allez survivre à ça, enfoirés, histoire que je puisse tuer chacun d’entre vous », jette Odom aux deux pilotes, juste avant que l’appa-reil, qui n’est plus propulsé, effectue une brusque embardée. Les lumières de l’habitacle clignotent, le plongeant dans une alternance de lumière et d’obscurité. À 18 h 39, les pilotes contactent la tour de contrôle de Houston, qui les détourne vers l’aéroport le plus proche, celui de McComb-Pike County, dans le Mississippi. Ils entament un virage et commencent à faire descendre l’appareil. À 18 h 45, les pilotes déclarent à Houston être en panne de fuel. « Préparez-vous pour un atterrissage d’urgence », intime la voix de McCreary dans les haut-parleurs. Gray, les yeux exorbités, sort de la cabine et répète la consigne aux passagers en la hurlant. À l’arrière, Craig Reed a arraché du mur la tablette sur laquelle se tenait la partie de poker. Jetons, cartes, pièces et billets se répandent dans l’allée, sous les sièges. À l’avant, Allen Collins pense au coup de fil qui l’a tiré de son profond sommeil, ce matin : JoJo Billingsley, l’une des trois choristes, censée les rejoindre à Baton Rouge, lui conseillait de ne pas monter à bord de l’appareil. Elle avait rêvé que l’avion se crashait. Artimus Pyle

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va et vient le long de l’allée centrale, de chaque côté de laquelle ont été aménagés des espaces de quatre fauteuils, en vis-à-vis. Puis le batteur s’assoit à même le sol, dans l’allée centrale, à côté des toilettes, le plus en arrière possible dans l’appareil. Odom, les traits du visage déformés par l’effroi, passe de passager en passager, s’assure que chacun a bouclé sa ceinture, attise les frayeurs ce faisant. Il réveille Van Zant, le place sur la banquette, entre Allen et Gary, et boucle sa ceinture – « Mec, laisse-moi juste dormir », lui répond son ami d’enfance, qui l’avait engagé quelques mois plus tôt pour assainir l’environnement du groupe, jusqu’alors si toxique. La cabine baigne maintenant dans l’obscurité, parcourue d’un silence sépulcral. « C’est la dernière tournée low cost que je fais », maugrée un roadie en tentant à moitié de plaisanter. Les yeux braqués sur un as de pique qui a glissé sous le siège devant lui, Ron Eckerman visualise l’embarras de sa petite troupe à faire du stop une fois que l’appareil se sera posé sur l’autoroute qu’il peut apercevoir – la I-10, qui court sur toute la largeur des États-Unis, surélevée en cette région par-dessus des terres parmi les plus marécageuses du pays. Il pense aussi, un peu coupable, à la publicité que va leur apporter pareille aventure. Plus personne ne pourra dire qu’il n’a pas entendu parler de Lynyrd Skynyrd. Les visages sont pâles, comme si le sang en avait été drainé. Les yeux écarquillés. Des prières se murmurent. Tout est calme. Sous les ailes du Convair, étendues agricoles, routes goudron-nées, forêts sombres et rares habitations commencent à se dessiner. Le soleil a pâli et le crépuscule naissant enveloppe la campagne du vieux Sud dans un voile gris clair, irréel.

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Raised on southern land 1

Fichée dans le nord-est de la Floride, à quarante kilomètres de la frontière avec la Géorgie, Jacksonville est assise dans l’estuaire de la Saint John’s Rivers, qui se jette dans l’Océan Atlantique. En ce milieu des années soixante, la deuxième ville la plus peuplée de l’État, avec environ deux cent mille habitants, possède pour principal moteur économique deux bases de l’US Navy, des ports civils par lesquels elle exporte fruits, légumes et bois, des chantiers navals, une aciérie, une papeterie et la brasserie Anheuser-Busch. C’est une ville qui abrite une large population ouvrière, désignée sous le nom de « blue collar ». Comme d’autres cités portuaires, Liverpool, Hambourg ou La Nouvelle-Orléans, et pour les mêmes raisons – abondance de bars et d’un public avide de se défou-ler, opportunités pour les groupes locaux de se produire –, Jacksonville va bientôt voir fleurir une scène musicale efferves-cente, berceau ou point de ralliement de nombre de musiciens appelés à jouer un rôle de premier plan dans l’essor du rock sudiste. Situé à la périphérie ouest de la ville, le quartier du Westside, surnommé Shantytown (« bidonville ») par ses habitants, traîne une réputation peu flatteuse. Toutes les rues n’y sont pas bitumées, certaines maisons, construites en béton pour la plupart mais en bois pour d’autres, présentent un espace vide là où devraient figurer une fenêtre ou une porte, toutes ne sont pas reliées à l’électricité. C’est un quartier

1. « Élevé sur les terres du Sud » (extrait de « Poison Whiskey »).

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de la classe ouvrière, où se mélangent des familles noires et blanches, une singularité dans une ville dont le maire a été félicité par le Ku Klux Klan pour sa gestion des émeutes de 1964, lors desquelles de nombreuses églises noires furent incendiées… Un quartier dur, où l’usage des poings sert de précieux viatique pour se faire respecter.« Il y avait beaucoup de durs à Shantytown, mais Ronnie était le pire d’entre eux. » Les paroles seront prononcées, bien des années plus tard, par Marion Van Zant, la mère de Ronnie Van Zant, né Ronald Wayne Van Zant le 15 juin 1948 à Jacksonville. Le jeune adolescent affiche, de fait, de belles dispositions pour défendre ses arrières, et même un peu plus. Son père, Lacy, chauffeur routier qui sillonne la côte Est après une honorable carrière de boxer dans ses jeunes années, lui a offert une paire de mini-gants de boxe pour ses 2 ans. Mal lui en a pris puisque celui-ci lui a aussitôt occasionné un œil au beurre noir. Adolescent, Ronnie peut aligner d’un bourre-pif un camarade afin de l’inciter à payer des bières, ou sans raison. Il aime à organiser des matchs de boxe lors desquels il trace un cercle dans le sable, lance une paire de gants à un challenger qui le défie, ou arbitre le combat. Histoire de laisser une trace de ses exploits, il couvre certains murs du quartier des trois lettres VTG, pour « Van The Great ». Lacy lui a enseigné les coups capables de faire mal à l’adversaire et ce dernier rêve à son tour d’une carrière de boxeur, sur le modèle de son idole, Cassius Clay, qui conserve toute son admiration, même après sa conver-sion à l’islam en 1965, lorsqu’il devient Mohammed Ali.Ronnie est le premier garçon d’une famille de six enfants (l’aînée, Betty JoAnn, est née d’un précédent mariage de Lacy). Ses parents se sont mariés l’année précédant sa naissance. Sa mère Marion travaille dans un magasin de donuts et tient la maison au cours des absences du père,

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fréquemment sur la route. La castagne ne représente qu’un des aspects de la personnalité complexe du jeune homme, et ses aspirations de boxeur que l’une des voies qu’il envisage pour s’extraire du ghetto de Shantytown. Populaire au sein de son lycée, la Robert E. Lee High School, ainsi nommée en référence au général en chef des armées confédérées lors de la guerre de Sécession, Van Zant brille particulièrement au baseball. Il évolue comme champ centre dans l’American Legion Baseball avec l’équipe des Green Pigs (sponsorisé par le restaurant du même nom) et possède les meilleures statis-tiques de son lycée. Il envisage également de devenir pilote de stock-car, mais renonce après avoir plié trois voitures en quelques mois… Il n’en demeure pas moins un fervent spectateur de la course qui se dispute chaque année dans le quartier, au Speedway Park. Le 1er décembre 1963, il y assiste à la victoire du pilote noir Wendell Oliver Scott, qui triomphe, à la grande répugnance des locaux, devant le favori (blanc) Lee Roy Yarbrough, issu du quartier. Le jeune Ronnie ne partage pas leur avis. « S’il a battu Lee Roy, c’est qu’il mérite sa victoire », estime-t-il.La pêche est une autre passion à laquelle il s’adonne dans la Cedar River, qui coule à trois kilomètres de sa maison, avec son ami Gene Odom, de même que la chasse, aux écureuils essentiellement, à l’aide d’une carabine 22 Long Rifle. Un jour qu’il vient de tirer sur l’un d’eux dans les bois, il se rapproche de l’endroit où devrait se trouver sa proie et aperçoit gisant au sol une vieille femme noire. Le jeune homme est saisi d’effroi : « Mon Dieu, je l’ai tuée. » Sa frayeur n’est que passagère : ivre morte, la femme se relève tant bien que mal, provoquant la sidération de Van Zant, en état de choc.Doté d’une facette introspective contrebalançant sa person-nalité dominatrice, défiante, Ronnie écrit aussi des poèmes,

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qu’il couche dans un carnet caché sous son lit. Mohammed Ali, dont il admire aussi les punch lines qu’il assène aux journalistes ou à ses adversaires en conférence de presse, est l’une de ses sources d’inspiration.Mais c’est la musique qui va bientôt cristalliser toute l’énergie et l’ambition de Ronnie Van Zant. Elle a fait son entrée assez tôt dans sa vie, lorsqu’il accompagnait son père au cours de ses tournées et que père et fils fredonnaient de conserve des chansons country de Merle Haggard ou Mel Tillis. Doté d’un beau timbre de baryton, Ronnie chante également du gospel à l’église dans une chorale, entouré de femmes noires. Des familles noires vivent à quelques centaines de mètres de sa maison et Ronnie aime à fréquenter l’épicerie de Claude Hamner, un bluesman qui lui montre quelques rudiments de guitare. Il y dégotte ses premiers petits boulots, ranger les bouteilles vides par marque de soda ou balayer le sol. Sa mère se plaira à raconter comment gamin, dès son premier jour de classe à la Ramona Elementary School, il déclama les paroles des graveleux « Ricochet Romance » et « Beer Drinking Daddy » et se fit mettre au coin avec un bonnet d’âne. Un tout autre genre de musique chamboule cela : Ronnie a découvert le rock’n’roll et voue une admiration particulière aux Rolling Stones, dont il connaît par cœur de nombreux titres. Le 8 mai 1965, à quelques semaines de ses 17 ans, il se rend au Jacksonville Coliseum pour assister à leur concert. Contrairement aux Beatles l’année précédente, les Stones ne remplissent pas l’endroit, mais le jeune homme a son épiphanie : sur la route du retour, il se jure de se dédier corps et âme à la musique.Sa première expérience de groupe, Ronnie la doit à ses poings. Un matin qu’il se trouve à la cafétéria de son lycée, un mec qu’il a aligné la veille au soir d’un bourre-pif, Jay Zienta, vient le trouver. « Pourquoi tu m’as frappé hier

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soir ? » « C’est toi que j’ai frappé ? Désolé… Hey t’es pas dans un groupe ? » « Tu peux jouer de la guitare ? » « Non. » « Tu peux chanter ? » « Ouuuais. » « Et bah tu ferais mieux de te trouver un groupe. » Dans son lycée, le groupe le plus en vue s’appelle les Squires – faute d’un bon chanteur, ces derniers ont perdu une battle of the bands face aux Mods –, où officie à la guitare un gamin de 13 ans, Allen Collins. Peu de temps après la conversation avec Zienta, Ronnie se rend à une répétition des Squires et se présente sans ambages : « Je suis votre chanteur. » Au vu de la réputation du bonhomme, personne n’ose le contredire. Le groupe se renomme Us et comprend Steve Rosenbloom à la batterie, Ricky Dashler à la guitare, Jimmy Parker à la basse, tous élèves issus du quartier aisé d’Ortega. Ils prennent leur revanche sur les Mods à la fin de l’année, grâce à des reprises des Stones, des Animals, des Byrds, de Dylan. Ronnie a fait la diffé-rence, notamment auprès de la gent féminine, sur « Paint It Black » et « Little Red Rooster ». Mais les limites du groupe lui apparaissent très vite criantes.Né le 4 décembre 1951 à Jacksonville, Gary Rossington fréquente le Lake Shore Junior High School 1 et vénère pour sa part les Beatles. Il guette chacun de leurs passages à la radio et ne décroche pas son oreille du poste quand bien même sa mère lui rappelle pour la cinquième fois que l’heure de partir pour l’école ou l’église est venue. Orphelin de père à 10 ans, le renfermé Gary vit avec sa mère Berniece et sa grande sœur, Carol. Dingue de baseball lui aussi, Gary rêve de jouer deuxième base pour les New York Yankees, jusqu’à ce que l’apparition des Stones à la télé américaine, au Ed Sullivan Show 2, chamboule ses perspectives. Il commence par jouer de la batterie, à l’instar de son ami Bob Burns

1. Junior High School est l’équivalent du collège.2. On peut présumer qu’il s’agit de celle du 25 octobre 1964, leur première.

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(né le 24 novembre 1950 à Jacksonville), qui a hérité d’un tel instrument après qu’un débiteur a choisi de s’acquitter de la sorte d’une dette. Peu après ses premières expérimenta-tions avec des baguettes, Gary décide de passer à la guitare et s’achète une Sears Silvertone, avec un ampli directement installé dans le flight case, pour soixante dollars, dont une partie récoltée en ayant collecté dans la rue des bouteilles de Coca consignées. Il en apprend les rudiments grâce au copain de sa sœur, Lloyd Phillips, guitariste averti qui sait reproduire note pour note les solos de « Louie, Louie », popularisé par les Kingsmen, ou « You Really Got Me », des Kinks. Tandis que sa sœur se prépare à l’étage pour sortir, ce dernier lui montre comment se débrouiller avec des instru-mentaux de surf rock comme « Pipeline », « Walk Don’t Run », « Sleepwalk ». Fort de ces quelques accords dans sa besace, Gary monte le groupe instrumental You, Me and Him avec Bob Burns et un autre ami du lycée à la basse, Larry Junstrom, né le 22 juin 1949 à Pittsburgh et arrivé à Jacksonville l’âge de 10 ans.Un jour de 1964 qu’il vient de disputer une rencontre avec son équipe de baseball, les Lakeshore Rebels, Gary reste sur le stade avec Burns à observer la partie des Green Pigs. Ils quittent un instant la partie des yeux lorsqu’un projectile se fiche à pleine puissance entre les épaules de Bob Burns, qui tombe à la renverse, le souffle coupé. Ronnie Van Zant accourt, préoccupé : il est l’auteur du coup de batte fulgurant. Burns ne tarde pas à reprendre ses esprits. Les trois garçons se connaissent vaguement, Burns et Rossington, comme tous, n’ignorent pas la réputation de Van Zant, de trois ans leur aîné, et commencent à discuter. La musique arrive dans la conversation, groupes adulés, ceux dans lesquels il officie, chacun se jauge, se méfie, mais bientôt tous trois décident de rejoindre le garage de la mère de Burns. Rossington branche

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sa guitare, Burns s’installe derrière sa batterie et un semblant de répétition s’ébauche.Quelques semaines passent. Conscient de ses propres limites – il n’a pas encore appris à « casser » son index pour plaquer les accords barrés –, Rossington suggère à ses camarades de donner sa chance à Allen Collins, le jeune guitariste des Mods avec lequel il a pour habitude d’échanger quelques plans les samedis matin, au domicile de la mère de ce dernier, Eva. Eva Collins habite à cinq kilomètres de la maison de Ronnie, sur Barlad Street, et élève seule son fils et sa fille depuis son divorce, survenu quand Allen avait 10 ans. Né le 19 juillet 1952 à Jacksonville, le garçon a fui les conflits du foyer par une fascination pour les voitures et la vitesse – il passe d’innombrables soirées d’été sur le Jacksonville Raceway, galvanisé par le rush des voitures et les détonations assour-dissantes des moteurs. C’est un gamin hyperactif, auquel il est prescrit du Ritalin, un médicament censé réduire l’agi-tation physique et l’impulsivité – mais un nouveau centre d’intérêt va s’avérer bien plus utile. Son père Larkin prétend que sa nouvelle femme, Leila, a instillé la passion de la guitare au jeune garçon en lui montrant quelques accords de country lorsqu’il avait 12 ans, mais d’autres versions pointent plutôt le rôle de son ami Donnie Ulsh, qui habite la même rue qu’Eva Collins. Employée à l’usine de cigares de la ville, puis au magasin Woolworth’s, en parallèle, à partir de 1965, cette dernière consent à acheter à son fils les objets de ses désirs, pas moins de cinq guitares électriques au fil des années, une Sears Silvertone, tout d’abord, puis une Truetone à 99 dollars, une Melody Maker rouge, une Gibson Les Paul Goldtop à 500 dollars, puis une Firebird, la même que celle qu’Allen apercevra entre les mains d’Eric Clapton au sein de Cream. La guitare consume le jeune homme, qui passe ses heures à jouer, en oublie de dormir, se laisse pousser les