carole douilard, res(t)ituer (récits de performance)

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MANGER PAPA, DANS LE CADRE DE LA RÉSIDENCE “ART & PRÉHISTOIRE” AU MAS D’AZIL ; ELLE A PARTICIPÉ ÉGALEMENT À LA DOUBLE EXPOSITION DREAM TIME PROPOSÉE PAR LES ABATTOIRS ET CAZA D’ORO TOULOUSE / GROTTE MAS D’AZIL 2009. www.cazadoro.org CAROLE DOUILLARD A PRÉSENTÉ EN MIDI-PYRÉNÉES : SITUATION, (2009) SUR L’INVITATION DU LAIT (TARN). www.centredartlelait.com MEAT ME, (2008) UNE EXPOSITION À “LA CUISINE” CENTRE D’ART & DE DESIGN APPLIQUÉ À L’ALIMENTAIRE (NÉGREPELISSE) www.la-cuisine.fr RES(T)ITUER A ÉTÉ PRODUIT PAR ENTRE-DEUX (NANTES) POUR L’EXPOSITION “DEEP” DE CAROLE DOUILLARD (2008). CAROLE DOUILLARD UTILISE SON CORPS POUR DES INTER- VENTIONS MINIMALES DANS L’ESPACE.(...) ELLE EXPÉRIMEN- TE LA POSSIBLE RENCONTRE ENTRE LE CORPS PHYSIQUE DE L’ARTISTE ET LE CORPS SOCIAL INCARNÉ PAR LE PUBLIC. www.carole-douillard.com Carole Douillard, J'incorpore, 2001, performance.

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Carole Douilard, «Res(t)ituer» Documentation de performance, 1996-2008, extraits parus dans Hypertexte N°2 «Principes de plaisir, principes de réalité».

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Page 1: Carole Douilard, Res(t)ituer (récits de performance)

— MANGER PAPA, DANS LE

CADRE DE LA RÉSIDENCE

“ART & PRÉHISTOIRE” AU MAS

D’AZIL ; ELLE A PARTICIPÉ

ÉGALEMENT À LA DOUBLE

EXPOSITION DREAM TIME

PROPOSÉE PAR LES

ABATTOIRS ET CAZA D’ORO

TOULOUSE / GROTTE MAS

D’AZIL 2009.www.cazadoro.org

CAROLE DOUILLARD A

PRÉSENTÉ EN MIDI-PYRÉNÉES :

— SITUATION, (2009) SUR

L’INVITATION DU LAIT (TARN).www.centredartlelait.com

— MEAT ME, (2008) UNE

EXPOSITION À “LA CUISINE”

CENTRE D’ART & DE DESIGN

APPLIQUÉ À L’ALIMENTAIRE

(NÉGREPELISSE)www.la-cuisine.fr

RES(T)ITUER A ÉTÉ PRODUIT

PAR ENTRE-DEUX (NANTES)

POUR L’EXPOSITION “DEEP”

DE CAROLE DOUILLARD (2008).

CAROLE DOUILLARD UTILISE

SON CORPS POUR DES INTER-

VENTIONS MINIMALES DANS

L’ESPACE.(...) ELLE EXPÉRIMEN-

TE LA POSSIBLE RENCONTRE

ENTRE LE CORPS PHYSIQUE DE

L’ARTISTE ET LE CORPS SOCIAL

INCARNÉ PAR LE PUBLIC.www.carole-douillard.com

Carole Douillard,J'incorpore, 2001,performance.

Page 2: Carole Douilard, Res(t)ituer (récits de performance)

Carole DouillardRes(t)ituer

Documentation de performances, 1996-2008 (extraits).

Je suis dans un schéma, le schéma d’une maison sur le sol dessinée avec duscotch. Je me déplace à l’intérieur du schéma, j’y tourne en cercles, long-temps. Je ne ressens rien de particulier, je ne sais pas ce que je cherche.Quelques heures, 1996....

Je chante a cappella.

Je suis assise sur un tabouret, les jambes croisées, en mini-jupe. Devant moi,cinq hommes. Aucun d’eux ne me regarde vraiment, tous baissentles yeux, comme intimidés. Je chante. Je regarde fixement devant moi,tout droit, je n’ai rien à perdre.2 minutes, 1997 ...

Je chante avec ma mère.

Elle chante dans sa langue maternelle, je chante aussi dans cette langue,qui n’est pas ma langue maternelle. Nous sommes toutes les deux côteà côte, debout, nous tenant très droites. J’ai dans les mains un livresur lequel je lis les paroles, dans cette langue que je ne comprends pasmais que j’ai toujours entendu depuis ma naissance. Je connais l’airde cette chanson, sa sonorité. Je ne comprends pas le texte. Je chante enyoghourt. Je pense au gouffre des langues, ça m’amuse et en même temps,ça n’a rien de drôle.Yoghourt Kabyle, 3 minutes, 1999....

Je parle.

Je suis assise sur une petite scène d’à peu près deux mètres carrés.Je prends le temps de dévisager les personnes qui constituent le publicassis face à moi. Puis je les décris, une a une. On pourrait entendre unemouche voler. Silence. Juste ma voix qui chemine. Je suis très à l’aise

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Page 3: Carole Douilard, Res(t)ituer (récits de performance)

mais je ressens une forte tension dans le public. Je décris chaque personnecomme si j’étais face a un paysage. Je remarque qu’il y a beaucoup depaires de baskets et de paires de lunettes. Avant la fin de ma description,un homme dont je suis en train de parler réagit à ce que je dis. En douceur,il souligne mes mots d’un « oui » ou il hoche la tête. Ça me déstabilise.Il me déconcentre. Je me demande ensuite ce qu’il pourrait bien arriversi quelqu’un s’énervait pendant l’une de mes performances ? Et comment se fait-il qu’il ait été le seul à réagir ?Parole publique, 36 minutes, 2000....

Je mets en scène un acteur.

Il est grand et brun. Il décrit les distances exactes entre son corpset les murs, le plafond, les limites précises de l’espace très blanc danslequel il se trouve. Le public est assis autour de lui, à une certaine distance.Le public se tient toujours à une certaine distance. La distance de lafuite possible en cas de menace.Position, 27 minutes, 2000....

Je parle.

Assise sur une chaise dans un vaste lieu sombre, je regarde ce qui se passedevant moi. Je parle de ce que je regarde. Ma parole tente de rendrecompte de ma pensée au moment même où elle s’élabore. Il m’est trèsdifficile de dire ce que je vois au moment où je le vois, sans dire ce queje pense de ce que je suis en train de voir. Il m’est difficile de décriretout ce que je regarde pendant tant de temps. Je ne bouge pas du siège.J’attends que l’espace soit vide de tout public pour m’arrêter de parler,presque cinq heures après avoir commencé. Je me rends vite compteque parler sans parler à personne provoque en moi une très fortesouffrance. Le fait que le langage soit dénué de sa fonction d’échangependant plusieurs heures m’est totalement insupportable.

Le lendemain, assise sur le même siège au même endroit, je reprendsmon monologue pendant 5 heures. Le public défile sous mes yeux,déambule. Beaucoup de choses se passent autour de moi : des dépla-cements, des cris, des rires, des applaudissements. Certaines personnesme parlent. Je ne leur réponds pas. Je ne leur parle pas, je parle, ce

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Page 4: Carole Douilard, Res(t)ituer (récits de performance)

qui n’est pas du tout, du tout la même chose. Je finis cette actiondans un état second.J’incorpore, 10 heures, 2001....

Je mange des petits morceaux de viande crue en forme de phallus.

L’après-midi, j’ai cueilli de la ciboulette dans le potager de Jacques etacheté 1 kg de viande de bœuf chez le boucher. Le tartare a été préparépar Bernard. Dans la cuisine, les phallus ont été modelés à plusieursmains. Je suis assise à une petite table avec un plateau devant moi.Tranquillement, je commence à manger. C’est excellent et raffiné. Viandecrue, huile d’olive, ciboulette, échalote, sel, poivre. Je sens le goût,la circulation de la nourriture dans mon œsophage jusqu’à l’estomac,j’apprécie totalement chacune de mes bouchées. Je pense à toutessortes de choses. Le public est très silencieux. Face à moi. Cérémonieux.En cercle. Je mange calmement jusqu’à ce que je sois rassasiée, à la limitedu trop. Je fais attention à bien ressentir la frontière entre l’envie et ledégoût, à aller jusqu’au bout de ma capacité orale. Je mange un dernierphallus. Je me lève et offre le reste des modelages au public attroupéautour de moi.Manger Papa, 25 minutes, 2007 ...

Je suis assise sur un tabouret blanc.

Devant moi, un vide de plusieurs mètres. Au bout du vide et sur ses côtés,le public, assis lui aussi. Je lis un texte qui relate toutes les performancesque j’ai réalisées depuis ce moment où je me suis mise à marcheren cercle dans un schéma. Le public, attentif, m’écoute. J’entends leson d’une voiture qui passe à l’extérieur et la qualité du silence autourde mes mots. Seul l’un de mes récit de performance provoque le rire.Celui qui me décrit en train d’avaler de petits phallus de viande. Quandle public rit, ça me réchauffe et me fait sourire moi aussi. Je souris maisne ris pas franchement. Je cherche avant tout à garder le fil de ma lecture.Rester concentrée, ne pas perdre le fil, ne pas sortir de l’état actuel.Terminer la lecture, le plus calmement possible, puis se leveret s’en aller. RES(T)ITUER, récit de performance 1996-2007, 30 minutes, 2008

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