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217 CHAPITRE 6 La maîtrise de la fissuration au jeune âge: condition de durabilité des ouvrages en béton P. ACKER, J.-M. TORRENTI, M. GUÉRINET Résumé Maîtriser la fissuration au jeune âge du béton est un problème industriel pour les structures massives, celles pour lesquelles les déformations sont gênées, celles qui présentent des variations importantes d'épaisseurs et celles à grandes surfa- ces libres. Avant la prise, il convient de limiter le ressuage trop important et d'évi- ter le retrait plastique. Après prise, les effets du retrait endogène et de la température (gradients, retrait thermique) doivent être pris en compte. Compte tenu du caractère exothermique et thermoactivé de la réaction d'hydratation du ciment, les élévations de température peuvent en effet être très importantes. La prédiction de ces élévations de température est possible si le problème industriel le justifie. Mots-clés JEUNE ÂGE, FISSURATION, RETRAIT PLASTIQUE, RESSUAGE, AUTODESSICCATION, CHALEUR D'HYDRATATION, RETRAIT ENDOGÈNE, RETRAIT THERMIQUE.

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CHAPITRE 6

La maîtrise de la fissurationau jeune âge: condition de durabilité des ouvrages en béton

P. ACKER, J.-M. TORRENTI, M. GUÉRINET

RésuméMaîtriser la fissuration au jeune âge du béton est un problème industriel pour lesstructures massives, celles pour lesquelles les déformations sont gênées, cellesqui présentent des variations importantes d'épaisseurs et celles à grandes surfa-ces libres. Avant la prise, il convient de limiter le ressuage trop important et d'évi-ter le retrait plastique. Après prise, les effets du retrait endogène et de latempérature (gradients, retrait thermique) doivent être pris en compte. Comptetenu du caractère exothermique et thermoactivé de la réaction d'hydratation duciment, les élévations de température peuvent en effet être très importantes. Laprédiction de ces élévations de température est possible si le problème industrielle justifie.

Mots-clésJEUNE ÂGE, FISSURATION, RETRAIT PLASTIQUE, RESSUAGE, AUTODESSICCATION,CHALEUR D'HYDRATATION, RETRAIT ENDOGÈNE, RETRAIT THERMIQUE.

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1. INTRODUCTION: LE PROBLÈME INDUSTRIELL’expérience acquise, depuis plus d’un siècle, et le retour d’expérience en matièrede construction en béton montrent que, chaque fois que les règles de l’art (les rè-gles de formulation, de mise en œuvre et de dimensionnement) sont respectées,les ouvrages en béton sont extrêmement durables et résistent aux agressions duclimat et de l’environnement. Dans ces conditions, en effet, les voies de pénétra-tion et les transferts des agents agressifs sont limités, d’une part, parce que le bé-ton est peu perméable et, d’autre part, parce que sa fissuration est contrôlée, plusprécisément parce que les fissures restent fines (leurs ouvertures restent limitées).Deux phénomènes physiques, cependant, accompagnent systématiquement la pri-se du ciment: un dégagement de chaleur et une dessiccation endogène qui peuventengendrer, au jeune âge, une fissuration spécifique. Ces deux processus, le plussouvent, sont amplifiés par les échanges avec le milieu ambiant :– des échanges de chaleur, que la température extérieure soit constante ou varia-ble, et qu’elle varie de manière naturelle ou de manière contrôlée (cas du traite-ment thermique);– des échanges d’eau par la face non coffrée (ou du moins, lorsqu’il y a cure, dèsque celle-ci commence à perdre de son efficacité), ou dès le décoffrage, pour lesautres faces.Ces échanges conduisent, dans les heures (ou les jours, si la pièce est épaisse) quisuivent la prise, à des champs de température et d’humidité qui varient dans letemps et dans l’espace, avec les plus forts gradients en surface. Ils engendrent desdéformations qui sont, selon la formulation du matériau et, surtout, selon les con-ditions ambiantes, plus ou moins importantes, mais qui ne sont jamais, ni unifor-mes, ni même linéaires (un solide homogène soumis à un champ de températurequi serait une fonction linéaire des coordonnées spatiales, se déformerait, selonune courbure, mais ne subirait aucune contrainte). Chacun de ces deux champs,le champ de température et le champ de teneur en eau, produit un champ de con-traintes qui forme un système en équilibre statique (autocontraintes), dans lequelles tractions sont le plus souvent maximales en surface. Ces deux sollicitations sesuperposent.Dans la plupart des applications, ces deux phénomènes sont sans conséquence ou,du moins, leurs effets peuvent être facilement contrôlés: dès lors que les règles del’art (délai de décoffrage, cure…) sont respectées, les fissures restent trop finespour être visibles ou, du moins, leur ouverture reste inférieure à celle des fissuresde béton armé (0,2 à 0,3 mm). En effet, le fonctionnement mécanique en servicedu béton armé génère des fissures dont l’ouverture ne dépasse pas ces valeurs.

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Ces règles de l’art, cependant, sont anciennes, elles n’ont pas été fixées sur desbases scientifiques (en tout cas, pas sur les connaissances dont on disposeaujourd’hui), mais sur des bases empiriques, sur l’observation et sur l’expérience.Pour les ouvrages courants, elles sont tout à fait efficaces. Mais l’ingénieur neconstruit pas seulement des ouvrages courants: de nouvelles applications appa-raissent, la taille des constructions est toujours plus grande, la gamme des perfor-mances et des formulations du matériau ne cesse de s’élargir, et on ne peut pastoujours s’appuyer sur les seules règles de l’art. Il est alors essentiel de bien con-naître leurs limites et, surtout, de savoir utiliser les connaissances scientifiques etles outils de simulation qu’offre l’ingénierie moderne. Pour chaque nouvelle ap-plication, l’ingénieur doit se poser la question de ces effets et, le cas échéant, enrefaire l’analyse quantitative.

Maîtriser la fissuration au jeune âge du béton est un problème industriel pourles structures massives, celles dans lesquelles les déformations sont gênées, cellesqui présentent des variations importantes d’épaisseurs et celles à grandes surfa-ces libres.

Quatre configurations sont particulièrement critiques, et sortent du domaine cou-vert par les règles de l’art :• celles des pièces massives, dans lesquelles la chaleur d’hydratation du cimentconduit à des élévations de température qui peuvent atteindre, à cœur, 50 °C, cequi entraîne, en surface, des contraintes de traction qui vont largement dépasserau cours du refroidissement la résistance en traction du matériau; c’est pourquoi,quel que soit leur ferraillage, ces pièces sont toujours fissurées en surface;• celles des pièces encastrées ou à déformation fortement gênée (chaussées etdallages de grandes dimensions, glissière en béton armé, cf. figure 6.1, chapesadhérentes, enduits, reprise de bétonnage sur un voile, sur une semelle continue,sur un radier, sur des pieux bloqués par des chevêtres, dans une pile de pont, dansun revêtement de tunnel, cf. figure 6.2…), dans laquelle la contrainte de tractionqui équilibre la somme des retraits s’ajoute aux autocontraintes de surface;• celles des pièces ayant des parties d’épaisseurs très différentes (caissons à âmeépaisse, poutres à talon, à blochet… cf. figure 6.3) soit parce que ces différentesparties montent à des températures différentes, soit, quand les pièces subissentun traitement thermique, parce que les zones de moindre épaisseur refroidissentplus vite que les autres et se trouvent alors dans la configuration des piècesencastrées, décrite au point précédent;• celles des pièces à grande surface libre (dalles flottantes, poutres à table decompression, voussoirs…) dont la face supérieure n’est pas ou est insuffisam-ment curée (dans ce cas, cependant, les fissures de dessiccation n’apparaissentque par temps sec et vent frisant; on peut dire que, dans ces conditions, ne pas

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faire de cure, c’est jouer aux dés avec la météo…) ; ces désordres sont spécifi-ques aux bétons riches en fines, ce qui est systématiquement le cas des bétons àhautes performances (BHP) et des bétons autonivelants (BAP) ; ces désordres nesont pas traités dans cet ouvrage, car la solution est bien connue, et elle estsimple: il s’agit de la cure (cf. figures 6.4 et 6.5).

Figure 6.1 : fissuration par retrait gêné d'une glissière en béton armé. La fissuration est traversante et conduit souvent à une rupture des aciers (photo J.-M.Torrenti)

Figure 6.2 : fssuration des revêtements de tunnel en béton non armé par retrait gêné. L'existence de cette fissuration est traversante et rend le revêtement non étanche,

ce qui conduit à la mise en place d'une étanchéité à l'intrados (photo J.-M.Torrenti).

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Figure 6.3 : vue d'un voussoir. Les différences d'épaisseurs entraînent des retraits thermiques différentiels et des variations locales des caractéristiques mécaniques qui

vont modifier la diffusion de la précontrainte (photo Eiffage).

Figure 6.4 : exemple de cure à l'eau du tablier d'un pont (photo Eiffage).

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Figure 6.5 : exemple de cure de piles. Une jupe, accrochée au coffrage grimpant, permet de protéger du vent, du soleil et du froid le béton pendant 3 levées dans cet exemple, soit

ici 9 jours (photo Eiffage).

Les contraintes de traction qui se développent dans les trois premières configura-tions peuvent dépasser, selon la géométrie du produit fini et, surtout, selon lesconditions d’encastrement, celles qui sont dues au chargement mécanique classi-que (poids propre et charges de service). Si elles ne sont pas prises en compte ettraitées de manière correcte par l’ingénieur, elles conduisent alors toujours à unefissuration du matériau.Concernant la fissuration, le seul paramètre qui compte, à l’usage, c’est l’ouver-ture des fissures, pour des raisons esthétiques parfois, mais surtout pour des rai-sons de durabilité de l’ouvrage. On sait aujourd’hui que, sauf peut-être en casd’immersion permanente, la peau d’un béton est toujours fissurée, simplementcette fissuration est le plus souvent invisible (lorsque son ouverture est inférieureà 20 μm, pouvoir de résolution de l’œil humain, la fissure ne se voit pas). Mais onsait aussi, à la fois par nos connaissances scientifiques sur la corrosion et par l’ex-

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périence (un siècle de recul sur la pérennité des ouvrages en béton armé), qu’unefissure de faible ouverture est sans conséquence sur la durabilité de l'ouvrage. Eneffet, en dessous d’une certaine ouverture (de l’ordre de 0,3 mm) les forces de ten-sion superficielle sont supérieures aux forces de gravitation et empêchent toutmouvement d’eau en phase liquide, si bien que l’eau qui peut y pénétrer (soit parabsorption capillaire de l’eau qui peut ruisseler en surface, soit par condensationde l’humidité de l’air ambiant), et qui va alors dissoudre certains ions, ne peut enressortir que par évaporation et, par conséquent, sans aucun départ d’ions (il y atout au plus un déplacement vers le cœur de la pièce, car l’évaporation s’accom-pagne d’une augmentation locale de la concentration), et surtout aucun départ dela chaux qui assure le maintien d’un pH élevé, clé de la protection des aciers con-tre toute corrosion. C’est la raison pour laquelle les méthodes de calcul du bétonarmé n’ont pas fondamentalement changé depuis l’édition des tout premiers rè-glements, car les coefficients qui entrent dans les formules de calcul ont été fixés,in fine, sur la base des observations expérimentales, et ces formules sont très pro-ches des formules actuelles qui se fondent sur un critère d’ouverture maximale defissure. C’est aussi une des raisons de l’exceptionnel succès, d’une part, du maté-riau de construction qu’est le béton armé, et, d’autre part, des principes qui sont àla base de sa méthode de calcul, principes qui ont été élaborés au début duXXe siècle et qui sont toujours valables.Si le calcul d'une structure en béton armé est, fondamentalement, lié au contrôlede l’ouverture des fissures par les armatures (par celles qui constituent le ferrailla-ge passif), il faut bien comprendre, par contre, que la fissuration dont on parledans ce chapitre, la fissuration due aux gradients de température ou de séchage,est du type « déformation empêchée », et que cette fissuration ne mobilise pas lesarmatures de la même manière que les sollicitations dues au chargement extérieur,pour lesquelles la structure a été dimensionnée, pour lesquelles son ferraillage aété conçu, dessiné, calculé et vérifié. On peut dire que la fissuration par retrait em-pêché mobilise les aciers du béton armé de manière indirecte, en tout cas avec unrendement mécanique nettement plus faible.Dans la fissuration par retrait empêché, notamment, les caractéristiques de laliaison acier-béton ne constituent plus le paramètre premier qui contrôle le pas defissuration (i.e. la distance moyenne entre deux fissures consécutives). Ceux quicontrôlent in fine l’ouverture des fissures sont la géométrie locale (l’épaisseur dela zone, notamment) et le gradient local de retrait (via le gradient de températureou le gradient de teneur en eau, gradients qui sont toujours maximaux en surface). Heureusement, la compréhension de ces mécanismes est aujourd’hui très avan-cée, elle va jusqu’à la possibilité de simuler numériquement les champs de défor-mation et de contrainte, ce qui a permis d’améliorer l’efficacité des moyens de

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prévention, d’en développer de nouveaux, de comparer leurs coûts et de faire, aucas par cas, le meilleur choix.Les remèdes à mettre en œuvre, de même que les désordres qu'on observe lorsqueces remèdes sont omis, ou sont insuffisants, peuvent être très différents selon lesconditions de fabrication et la géométrie du produit fini. C’est pourquoi:– les règles de l’art ne peuvent pas couvrir toutes les applications, tous les typesd’ouvrages, dont la diversification et l’extension ne cessent de progresser;– ces règles finissent parfois par être oubliées, car il existe de larges segmentsd’applications et de formulations dans lesquels les retraits n’ont aucun effet visi-ble, ni nocif ;– l’ingénieur doit comprendre la phénoménologie de manière à pouvoir, chaquefois que c’est nécessaire, évaluer les risques quantitativement, au besoin en utili-sant les calculs aux éléments finis.Le but de ce chapitre est donc de décrire les processus thermiques et hydriquesqui génèrent des variations dimensionnelles dans les pièces en béton, de donnerles lois de comportement et les valeurs des paramètres qui entrent en jeu. Dansl’analyse thermomécanique, un point particulier reste cependant encore assezdélicat: celui de la prévision des propriétés mécaniques au cours du temps, parceque l’hydratation du ciment est un processus thermoactivé, que la cinétique dedurcissement dépend donc de tout l’historique de température, et que les résistan-ces mécaniques ne sont pas directement une fonction du degré d’hydratation. Cepoint est donc traité ici de manière approfondie.

2. AVANT LA PRISE: RESSUAGE ET RETRAIT PLASTIQUE

2.1. RessuageLe ressuage correspond au tassement du squelette granulaire du béton et à l'ap-parition d'une pellicule d'eau à la surface du béton. La formulation du béton doitêtre telle que ce ressuage reste limité.

Avant la prise, le béton peut être le siège de mouvements relatifs de l'ensemble dusquelette granulaire (tassement vers le bas)1 et de l’eau (ressuage: apparitiond’une mince pellicule d’eau à la surface du béton). Ce phénomène dépend de laperméabilité de l’empilement granulaire (voir un exemple de modélisation dans[JOS 02]).

1. Ce phénomène ne doit pas être confondu avec la ségrégation, phénomène au cours duquel lesgrains ont un mouvement relatif entre eux. Ce phénomène dépend de la granulométrie et des condi-tions de mise en place du béton [NEV 2000].

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Il a des conséquences positives:– pour certains bétons de remblayage, dits aussi « essorables », on peut mêmechercher à favoriser le ressuage de manière à permettre une mise en circulationtrès rapide1;– l’apparition d’une couche d’eau en surface permet une cure naturelle du bétonet évite la dessiccation précoce et le retrait plastique. Nous reviendrons plus loinsur ce phénomène.Le ressuage a malheureusement aussi des conséquences négatives:– le mouvement ascensionnel de l’eau peut être bloqué par des obstacles tels queles granulats ou les armatures. Dans ce cas on pourra avoir une dégradation del’adhérence pâte-granulats se traduisant par une diminution de la résistance dubéton durci [LEC 01] ou une diminution de la qualité de l'interface acier-bétonconduisant à une adhérence des armatures dans le béton moins bonne et à un ris-que de corrosion accru [GIA 86, SOY 05, SOY 06] ;– le tassement du squelette granulaire est également gêné par les armatures. Ilpeut alors se produire une fissuration dite « cassure de béton frais » au droit desarmatures. Cette fissuration peut également être due à un tassement différentielde deux zones de béton frais de hauteurs différentes ou à un effort parasite, parexemple dû à un dévers [BAR 82];– une réduction de la hauteur finale de l'ouvrage;– des défauts de parement [CAL 04];– d'éventuelles difficultés à pomper le béton [KAP 01].

2.1.1. Facteurs aggravants La pesanteur et l’excès d’eau étant les moteurs du ressuage celui-ci va dépendrede la formulation (dosage en eau, ciment, adjuvants…) et de paramètres techno-logiques (hauteur du coffrage, vibration, température, humidité relative, vitessedu vent…) [JOS 02, TOP 04]. Le béton se tassera d’autant plus rapidement etd’autant plus en valeur absolue que:• la durée de vibration est importante. La vibration du béton peut être génératricede fissures dans le cas de bétons contenant des armatures au voisinage de la sur-face supérieure, notamment si les vibrations sont transmises aux armatures,c’est-à-dire si les aiguilles vibrantes sont mises au contact des armatures. Cesarmatures constituent des points fixes qui gênent localement le tassement dubéton. Il y a alors désorganisation du squelette granulaire au voisinage de l’arma-ture et génération de fissures qui peuvent pénétrer jusqu’à l’armature supérieure.Le profil de fissuration reproduit alors le quadrillage de l’armature supérieure.

1. Voir à ce sujet la guide Remblayage des tranchées, édité par Cimbéton.

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• la hauteur de béton frais est plus grande. La vitesse de tassement augmenteavec la hauteur de béton frais. Donc plus une levée est haute, plus le tassementsera important. De même, si une pièce coulée en une seule fois est constituée dezones d’épaisseurs différentes (cas des voussoirs, des poutres en T…), la vitessede tassement du béton sera plus importante sur la partie centrale de la pièce, oùl’épaisseur du béton est plus élevée, que sur les côtés. Il se créera un cisaillemententre les zones d’épaisseurs différentes pouvant aller jusqu’à une décohésion sui-vant des plans verticaux des différentes zones de la pièce.• la durée avant prise est importante. Une température ambiante basse, un retar-dateur de prise augmentent le temps de prise et ainsi la durée pendant laquelle letassement est possible.• la suspension est instable. Ceci peut résulter:

– d’un manque d’éléments fins dans le sable ou d’un dosage en ciment insuf-fisant,

– de grains plats dans les éléments fins du sable,– d’un dosage en eau excessif,– d’un excès de vibration,– de la présence de certains électrolytes (une trop forte adjuvantation, par

exemple).

2.1.2. Moyens de préventionLa fissuration par tassement peut être facilement évitée. Pour ce faire, il est indis-pensable que le béton soit correctement formulé, avec un dosage en ciment suffi-sant et le cas échéant en fines inertes [LAR 02], et que l’eau de gâchage ne soitpas en excès. Le diamètre maximal des granulats doit être compatible avec la di-mension du coffrage et l’encombrement des armatures. Dans les cas qui nécessi-tent un fort retard de prise, on pourra être amené à augmenter le dosage en fines.

2.2. Le retrait plastiqueLe retrait plastique est dû à une dessiccation du béton avant prise. Il dépend desconditions extérieures (humidité, température et vitesse du vent) et sera limitéprincipalement par une cure du béton.

Le retrait plastique est une déformation qui se produit avant durcissement sousl’effet d’une dessiccation [WIT 76]. C’est un mécanisme identique à celui qui seproduit dans les sols fins ou argileux des zones de marnage lorsque l’eau se retire.Il peut en résulter une fissuration superficielle de l’ouvrage, parfois très ouverte,mais jamais très profonde. Ce retrait, d’origine exogène, se manifeste tant que lebéton est plastique, c’est-à-dire avant et/ou au tout début de la prise, et dès que lasurface de la structure n’est plus recouverte d’une pellicule d’eau, c’est-à-dire dèsqu’elle est en déséquilibre hydrodynamique avec le milieu ambiant.

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Ce retrait est dû aux tensions capillaires, de même que le retrait d’autodessiccation (cf.chapitre 5), à la différence près que, dans le cas présent, il ne s’agit plus d’une dessic-cation au sein du matériau (autodessiccation), mais d’un séchage avec départ d’eauvers l’extérieur. Le retrait plastique est donc principalement limité à la surface du bé-ton (quelques centimètres sur un béton HP, 10 à 20 cm dans un béton ordinaire), con-trairement au retrait d’autodessiccation qui se manifeste dans l’ensemble de la pièce.Le retrait plastique dépend largement des conditions climatiques et notamment dela vitesse de dessiccation au niveau des surfaces non coffrées de l’ouvrage. Ainsi,par exemple, un béton mis en œuvre suivant des procédures adéquates, un jour oùla vitesse du vent est relativement faible, ne sera pas ou peu affecté par ce phéno-mène. En revanche, la couche d’eau à la surface du béton s’évaporera rapidementpar vent fort, et la déformation pourra commencer à se manifester quelques minutesaprès sa mise en place. Des abaques, établis par l’ACI [ACI 99] et basés sur desdonnées thermodynamiques et expérimentales, permettent d’estimer le taux d’éva-poration de l’eau à la surface du béton en fonction de la température et de l’humiditérelative de l’air, de la vitesse du vent et de la température du béton (figure 6.6).

Figure 6.6 : abaque permettant d'estimer la perte en eau du béton jeune sans protection à partir des données climatiques ambiantes. Au-delà de 1 kg/m2/h la cure est

indispensable. En deçà elle reste conseillée [ACI 99].

Humidité relative Température du béton

Température de l’air (°C)40 km.h– 1

Vitesse d

’évapora

tion k

g.m

–2.h

–1

90

80

70

60

50

40

30

20

10

40°C

35

30

25

20

15

10

5

35

30

25

20

15

10

5

0

5 10 15 20 25 30 35

4

3

2

1

0

Vitesse du vent

100 %

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2.2.1. Facteurs aggravantsLe retrait plastique est d’autant plus important que:a) la dessiccation est forte. La dessiccation est favorisée par une hygrométrie sè-che, un vent fort et une différence de température élevée entre le béton et le milieuambiant. Le risque de fissuration plastique peut en conséquence être aussi impor-tant l’hiver que l’été, et même plus important l’hiver si le béton est chauffé. Ladessiccation se produit dès que l’eau de ressuage est entièrement évaporée. Pourun béton ayant un bas E/C et donc un ressuage faible, ce risque est important (fi-gure 6.7).

Figure 6.7 : retrait plastique d'un béton à bas E/C sur un tablier de pont (photo J.-M.Torrenti).

La dessiccation peut parfois être aggravée par la succion de l’eau par le coffrage,si celui-ci est poreux et absorbant, et s’il n’a pas été humidifié avant que le bétonsoit coulé. Des coffrages non absorbants constituent une protection efficace con-tre cet effet.b) la pièce est fine. Ce type de retrait se manifeste essentiellement sur des piècesqui présentent de grandes surfaces d’évaporation par rapport à leur volume (en-duit, revêtement routier, dalle), donc des pièces fines, où il peut alors engendrerune fissuration importante. Sur des surfaces horizontales larges, les fissures cons-tituent en général un maillage, dont la maille varie de quelques centimètres à quel-ques décimètres. À la surface des pièces verticales (voiles, poutres, longrines)elles constituent un réseau de fissures transversales parallèles. Ces fissures n’ap-paraissent que si les déformations sont empêchées soit par une partie de la pièce(plus massive ou plus ancienne), soit par des conditions aux limites (cas des revê-tements routiers ou des enduits de façade), ou si la géométrie de la pièce et sa taillepeuvent conduire à la localisation de l’endommagement en une ou plusieurs fis-

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sures principales. Ces fissures n’apparaissent pas dans une chape désolidarisée,par exemple.Dans des pièces plus épaisses (radier, chevêtre, semelle épaisse, tête de pieu), laprofondeur de la zone affectée par la dessiccation, et donc par le retrait, est trèsfaible. Par conséquent, la fissuration est peu profonde. Elle est également peuouverte. c) la prise est lente et la rétention de l’eau de gâchage est mauvaise. Une tempé-rature ambiante basse, des constituants secondaires (laitiers, cendres volantes…),un excès d’eau de gâchage, ou encore l’utilisation d’adjuvants ayant un effet re-tardateur, allongent la période de prise et ainsi accentuent le retrait plastique.

2.2.2. Moyens de préventionCe type de fissuration peut être évité :– en assurant une cure efficace, c’est-à-dire en humidifiant la surface du béton,en projetant un produit de cure efficace ou, encore, en recouvrant la surface dubéton d’une feuille de polyane, et ce le plus tôt possible après la mise en place dubéton;– en fermant les ouvertures si le béton est coulé en intérieur ;– en érigeant temporairement des paravents et des pare-soleil pour réduire res-pectivement la vitesse du vent et la température à la surface du béton frais;– en humidifiant les coffrages ou en utilisant des coffrages non absorbants;– en évitant les trop forts écarts entre la température du béton et la températurede l’air ambiant. Une technique nouvelle pour maîtriser la fissuration par retrait plastique consisteà utiliser des fibres de polypropylène. Ces fibres (résistance à la traction de600 MPa, module d’Young de 3,5 GPa) sont utilisées pour cette application enfaible proportion (de l’ordre de 0,1 à 0,5 % en volume). Elles réduisent l’ouvra-bilité des bétons, mais la mise en place sous vibration peut s'effectuer normale-ment [ALT 88]. Ces fibres réduisent le retrait dans des proportions qui ne sont pastrès importantes, tout au plus 10 % [HAN 78], mais elles diminuent considérable-ment la fissuration qui est associée au retrait plastique. Le mécanisme est encoremal compris, mais de nombreux essais de retrait empêché ont montré que les fi-bres de polypropylène à la fois retardent l’apparition des fissures, mais aussi di-minuent (jusque dans un rapport 10) l’ouverture de ces fissures [GRZ 90],[KRA 85]. Ce dernier point, qui permet un contrôle de l’ouverture des fissures,est particulièrement intéressant en ce qui concerne la durabilité. Ainsi, dans desconditions climatiques sévères (température de 40 à 46 °C en surface avec une vi-tesse de vent de 16 à 24 km/h) des échantillons possédant 0,2 % de fibres n’ontprésenté aucune fissure visible, alors que les échantillons non armés présentaient,

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au bout de 6 à 8 heures, des fissures qui pouvaient atteindre un millimètred’ouverture [ALT 88].L'utilisation de fibres de polypropylène peut donc être envisagée dans le cas debétons particulièrement exposés aux risques de dessiccation rapide.

3. FISSURATION DUE AU RETRAIT D’AUTODESSICCATION (OU RETRAIT ENDOGÈNE)

Le retrait endogène augmente lorsque le rapport E/C diminue et doit être prisen compte notamment dans les structures dont les déformations sont gênées.

Le retrait d’autodessiccation est d’origine endogène. Toute éprouvette de béton, quin’est pas immergée sous eau, a tendance à se rétracter au cours du temps, même sielle est isolée du milieu extérieur afin d’éviter sa dessiccation (cf. chapitre 5).Ce retrait peut en général être considéré comme uniforme dans le volume corres-pondant à une même opération de bétonnage, car les gradients d’humidité au seinde la structure sont relativement faibles en raison de la faible perméabilité du béton.L’évolution du retrait endogène au jeune âge suit de très près la cinétique d’hy-dratation du ciment, sa vitesse est donc très rapide dans les premiers jours. Dansles conditions d’une déformation totalement gênée (comme dans l’essai au bancde fissuration qui est utilisé, par exemple, pour évaluer sur le plan des risques defissuration les bétons de chaussée), l’éprouvette finit en général par se casser, cecimême en l’absence de toute dessiccation et de toute variation de température.Ceci signifie que, malgré la relaxation des contraintes (phénomène pourtant par-ticulièrement rapide au jeune âge), les contraintes générées par le seul retrait en-dogène, lorsqu’il est totalement empêché, finissent par atteindre des valeurségales à celles de la résistance à la traction du matériau.

3.1. Facteurs aggravantsUne diminution du rapport eau/ciment (E/C)

Le retrait d’autodessiccation ne concerne que les bétons à hautes performances(rapport E/C inférieur à 0,40) pour lesquels il ne peut être évité. Le retrait endo-gène des bétons ordinaires est négligeable ou faible tant que le rapport E/C est su-périeur à 0,40 (il est inférieur à 100 × 10–6 pour les bétons dont le rapport E/C estsupérieur à 0,45). En revanche, ce retrait augmente très vite avec la diminution durapport E/C quand ce rapport est inférieur à 0,40, et peut atteindre, pour certainsbétons HP, 300 × 10–6. Ce retrait se manifeste sur plusieurs jours (principalementpendant les premiers jours, mais le béton peut continuer à se rétracter pendant plu-sieurs mois, tant que le ciment s’hydrate).

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La maîtrise de la fissuration au jeune âge: condition de durabilité des ouvrages en béton

Figure 6.8 : évolution des volumes relatifs (cumulés) du ciment, des hydrates, de l'eau évaporable et de l'air au cours de l’hydratation, en fonction du taux de ciment consommé, pour trois valeurs types du rapport E/C initial : en-dessous de 0,42, l'hydratation s'arrête

par épuisement de l'eau disponible, et les tensions dans la phase liquide génèrent un retrait; dans un BFUP, l'hydratation et l’autodessiccation s'arrêtent très tôt.

Un blocage ou une gêne de la déformation de retraitCe retrait est, pour l'essentiel, uniforme dans le volume de la pièce et n’entraînedonc aucun effet mécanique, aucun risque de fissuration, ni dans une pièce préfa-briquée, ni dans une pièce coulée en place et libre de se déformer (coulée une seu-le phase et bloquée ni par ses appuis ni par son coffrage).Par contre, lorsque le retrait est empêché, ou même simplement gêné (support ri-gide continu, appuis fixes, reprise de bétonnage…, tout cela agit dès le début dela prise), il constitue souvent une composante non négligeable de la fissurationprécoce.

3.2. Moyens de préventionDans le cas d’un béton à hautes performances (rapport E/C inférieur à 0,40) dontles déformations sont bloquées, il n’est pas toujours possible d’éviter la fissura-tion par autodessiccation, mais il est tout à fait possible de limiter l’ouverture desfissures, par différents moyens:• en calculant les contraintes supplémentaires engendrées et en en tenant comptedans la conception de l’ouvrage (ferraillage, précontrainte);

0 1Degré d'hydratation

Clinker

Eau

1

2,34

(E/C = 0,42) 2,16

Fin de

l'hydratation

1,63

(E/C = 0,20)

Cumul des volumes de clinker + hydrates + eau

(rapporté au volume initial de clinker)

béton ordinaire

BFUP

C–S–H + CH

y compris 28 %

de nanopores (saturés)

béton à hautes performances

231

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LA DURABILITÉ DES BÉTONS

• en maintenant une humidité saturée, dès la fin de la mise en place, à la surfacedu béton, par arrosage, brumisation, protection par une toile humide ou par unfilm plastique qui stoppe toute évaporation;• en utilisant des agents réducteurs de retrait [TAN 97, SHA 98, NMA 98] quipeuvent être ajoutés au malaxage ou au produit de cure (ils seront alors impré-gnés dans le béton). Il s’agit d’agents tensio-actifs, assez chers et modérémentefficaces, qui réduisent les tensions superficielles, donc la pression (qui est néga-tive) dans la phase liquide;• en soignant l’homogénéité et la régularité de la fabrication afin d’éviter desretraits localement différés:

– régularité des approvisionnements en ciment, adjuvants et granulats,– régularité de fabrication (dosages, introduction des adjuvants, durée de

malaxage), d’où l’intérêt de l’enregistrement des paramètres de fabrication,– régularité du processus de mise en place et de l'énergie développée lors de

la vibration.

4. LA FISSURATION PAR GRADIENT THERMIQUE ET/OU RETRAIT THERMIQUE

Dans les structures massives, la chaleur dégagée par la réaction d'hydratationdu ciment conduit à des élévations importantes de température. Ceci peut géné-rer une fissuration à cause des gradients thermiques ou lorsque le retrait ther-mique en phase de refroidissement est gêné.

Cette problématique est d’abord apparue en préfabrication [LAP 82]. De nosjours, ce sont plutôt des impératifs de productivité (nécessité d’une résistance pré-coce pour une mise en tension de la précontrainte, pour un poussage de l’ouvrage,pour la rotation des coffrages...), ou des contraintes environnementales qui con-duisent à des ponts de plus grandes portées, et donc à des projets exceptionnelspar la dimension des pièces (semelles du pont de Normandie, piles du pont del’Elorn, piles du viaduc de Millau…) qui rendent nécessaire la prise en compte ducomportement thermique des structures en béton au jeune âge.

Remarque. Bien qu’il ne s’agisse pas de fissuration, il convient de noter que, à longterme, un béton qui a subi une élévation de température importante au jeune âgeaura une résistance finale plus faible que celle du même béton qui serait resté à tem-pérature ambiante. Ceci est sans doute attribuable à la microstructure des hydratesformés à température élevée [REG 80, TOR 92, CHA 96, DAL 04].

4.1. Cas des structures massivesDans les pièces massives, la température s’élève à cœur en raison de l’exothermi-cité des réactions mises en jeu au cours de l’hydratation des ciments. Ces réac-tions apportent en effet de l’ordre de 500 J/g de ciment et, lorsque l’épaisseur est

232

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La maîtrise de la fissuration au jeune âge: condition de durabilité des ouvrages en béton

supérieure à 1 mètre, le cœur est pratiquement dans des conditions adiabatiquesparce que le béton est peu conducteur de la chaleur (1,5 à 1,8 W/m/K), et la tem-pérature peut monter jusqu’à 70 °C voire davantage. Un gradient de températureapparaît alors entre peau du béton (zone située en bordure des surfaces d’échange)et le cœur de la structure. Ce gradient va se traduire par des retraits thermiquesdifférentiels. Au cours du refroidissement, la température de la peau diminuebeaucoup plus rapidement que celle au cœur de la structure, ce qui accentue lesgradients. La peau du béton est alors soumise à des contraintes de traction très im-portantes (retrait gêné), alors que le cœur de la structure est en compression. Il enrésulte des gradients de contraintes et, potentiellement, une fissuration superfi-cielle de l’ouvrage si les contraintes en traction au niveau de la peau du béton sontsupérieures à sa résistance en traction.Au cours du refroidissement, l’écart de température dans la structure peut facile-ment dépasser 30 °C, par exemple. La peau de l’échantillon sera alors mise entraction et soumise à une contrainte de l’ordre de 10 MPa (si on considère le mo-dule d’Young du béton de l’ordre de 30 GPa, et le coefficient de dilatation ther-mique de l'ordre de 10 ×10–6 °C–1). Cette valeur est nettement supérieure à larésistance en traction d’un béton, et la peau se fissurera toujours au cours du re-froidissement.Dans le cas de structures massives, le retrait thermique peut atteindre, selon le do-sage et la nature du ciment, 400 à 500 × 10–6 dès que l’épaisseur dépasse 60 à80 cm (40 à 50 cm pour un radier). Il débute avec la fin de la prise (la températuremaximale est atteinte entre 20 et 40 h), et peut se manifester pendant plusieursjours, voire quelques semaines après la mise en œuvre du béton (la durée de re-froidissement peut être estimée par d = 8 × e2, où d est en jours et e est l’épaisseuren mètre).Cette fissuration de peau peut être observée dans les massifs de fondation coulés encontinu, les chevêtres ou les voussoirs sur pile. Les fissures sont cependant rare-ment très ouvertes, car la distance entre deux fissures principales consécutives estdu même ordre que la profondeur de la zone tendue, laquelle ne peut dépasser lequart de l’épaisseur. L’espacement entre les fissures est donc un critère d’analyse:quand cet espacement est inférieur au double de l’épaisseur d’un voile, elles sontdues au gradient de surface (et elles ne sont généralement pas traversantes), lorsqueles fissures sont dues au retrait gêné au niveau de la reprise de bétonnage (fondationou levée précédente), cet espacement est plutôt compris entre une fois et deux foisla hauteur du voile (et dans ce cas, elles sont toujours traversantes).Dans le cas des chevêtres ou des voussoirs sur pile, les effets du retrait thermiques’ajoutent à ceux du retrait endogène, notamment lorsque ces structures sont réali-sées en béton de hautes performances qui sont généralement des bétons à forte cha-

233

Page 18: Chap 6

LA DURABILITÉ DES BÉTONS

leur d’hydratation et à fort retrait endogène. Il ne faut pas confondre cette cause defissuration avec le mécanisme de formation différée d’ettringite (cf. chapitre 11).

4.2. Cas des bétons traités thermiquementLes traitements thermiques sont aujourd’hui soigneusement contrôlés, car ils pré-sentent un risque particulier: lorsque l’apport de chaleur coïncide avec la fin de lapériode dormante et que la montée en température est rapide, il y a un effet de cou-plage entre l’apport extérieur d’énergie calorifique et la chaleur d’hydratation,couplage qui peut conduire, au cœur de la pièce, à des élévations de températurelargement supérieures à la température programmée. Contrairement au cas desbétons de masse, c’est dans les ouvrages de faible épaisseur (plus petite dimen-sion inférieure à 15 cm, ce qui est fréquent en préfabrication) que ce risque est leplus élevé. Dans des petits éléments préfabriqués traités à la vapeur juste avant ouau tout début de la prise, et chauffés en une heure à 80 °C par exemple, on a me-suré des températures à cœur supérieures à 90 °C [ACK 86].

4.3. Facteurs aggravantsDans le cas des bétons non traités thermiquement, les principaux facteurs aggra-vants sont les suivants.

L’augmentation de la taille des pièces en bétonInexistantes en deçà de 50 cm d’épaisseur dans le cas de bétons non traités ther-miquement, les fissures d’origine thermique sont pratiquement inévitables lors-que l’épaisseur du béton est supérieure à 80 cm. Elles peuvent même apparaîtredans des ouvrages d’épaisseur plus modeste (dès 20 cm) lorsqu’une face est isoléethermiquement, si l’ouvrage est soumis à des conditions aux limites de déplace-ment empêché. L’expérience acquise sur les chantiers montre clairement que, dèsqu’il existe une zone de béton dont la distance à la plus proche surface refroidiedépasse 50 cm, la température du béton peut s’y élever de 30 à 50 °C. Il est alorsindispensable de traiter les coffrages si l’on veut éviter une fissuration intense etouverte au cours du refroidissement, par exemple avec un flocage ou une isolationthermique dans les zones moins épaisses, pour diminuer les écarts de températureentre zones.

Un dosage élevé en ciment et l’utilisation de ciment réactifCeci est caractéristique des bétons de hautes performances qui montrent souventdes chaleurs d’hydratation plus élevées, mais aussi et surtout des cinétiques d’hy-dratation plus rapides que celles des bétons classiques. Des observations sur chan-tiers où sont mis en œuvre ces types de béton montrent que l’on peut avoir, avecdes bétons HP, des effets thermiques non négligeables, même pour des épaisseursinférieures à 30 cm.

234

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La maîtrise de la fissuration au jeune âge: condition de durabilité des ouvrages en béton

Les liaisons mécaniquesCe type de fissuration est aggravé dans toutes les zones où le retrait est empêchéou restreint, comme par exemple au niveau des reprises de bétonnage (voile épaiscoulé par levées successives) ou d’encastrement (barrage, voile encastré sur unmassif de fondation ou sur une semelle filante, parapet, chaussée sur couche ousol rigide, revêtement de tunnel [AGG 94]. Dans certains cas, on peut avoir desfissures localisées, beaucoup plus espacées. Sur un barrage, par exemple, on a ob-servé entre les fissures des distances supérieures à 90 m, donc largement plusouvertes (plusieurs millimètres). L’espacement entre les fissures peut ainsi êtretrès variable (la plage des distances observées sur les ouvrages va de quelquescentimètres à quelques dizaines de mètres), et la grande étendue des ouverturesde fissure observées est donc avant tout liée au rôle majeur des conditions aux li-mites mécaniques de la structure, bien plus qu’aux paramètres thermiques et mé-caniques du matériau.Dans le cas des bétons traités thermiquement, les facteurs aggravants sont ceuxmentionnés précédemment auxquels on peut ajouter:

Une courte durée de précureUn traitement thermique, qui débute avant que le béton ait atteint une certaine ri-gidité, en d’autres termes avant la prise, favorise la création de fissures.

Une élévation rapide en température, et/ou surtout un refroidissement rapideLa contrainte générée est en effet d’autant plus élevée que le gradient (ΔT/Δx) detempérature au sein d’une structure est élevé. Le refroidissement est davantagesusceptible d’endommager un échantillon de béton que le chauffage, pour les rai-sons suivantes :– au cours du refroidissement, la peau est en traction, ce qui tend à ouvrir desmicrofissures en surface. À l’opposé, au cours du chauffage, la dilatation de lapeau est empêchée par celle, plus faible, du cœur. Dans ce dernier cas, la peau esten compression et le cœur en traction ;– lors du refroidissement, l’hydratation étant plus avancée qu’au cours du chauf-fage, le module d’Young du béton est plus élevé. La contrainte générée lors durefroidissement est par conséquent plus importante que lors du chauffage ;– au cours de la montée en température, la pâte est moins rigide qu’au cours durefroidissement, et les fissures qui auraient pu s’ouvrir alors se referment et peu-vent se cicatriser plus facilement par hydratation ultérieure.

Une température élevée au cœur du bétonLe gradient de température susceptible d’être atteint dans une structure estd’autant plus élevé que la température maximale atteinte au cœur de la structureest élevée.

235

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LA DURABILITÉ DES BÉTONS

4.4. Moyens de préventionIl est possible de prévoir les risques de fissuration d’origine thermique et de lesréduire:• en choisissant, notamment dans le cas des ouvrages massifs, un ciment présen-tant une faible vitesse de dégagement de chaleur plutôt qu’un dégagement brutal.Avec un ciment de classe 52.5, le flux de chaleur maximal (calorimétrie adiabati-que sur mortiers normalisés) dépasse souvent 40 J.g–1.h–1 (> 50 J.g–1.h–1 pourun 52.5R) et il est obtenu très tôt (entre 7 et 9 heures après le gâchage) ; avec unCEM II 32.5, ce même flux maximal ne dépasse que très rarement 30 J.g–1.h–1

vers 10 heures et, avec un CEMIII/B 42.5, on descend à 15 J.g–1.h–1 au bout de15 heures environ. La norme EN 197-1/A1 spécifie les ciments pouvant être ditsà faible chaleur d’hydratation et qui sont désignés LH1;• lorsque cela est possible, et c’est généralement le cas pour les bétons de massequi ne requièrent pas des résistances initiales importantes, l’utilisation deciments contenant des additions minérales (cendres volantes, laitier) en substitu-tion d'une partie du clinker, permet de réduire le dégagement de chaleur initial.Leur utilisation peut permettre de diviser par 2 l’augmentation de la températuredans des pièces d’une certaine épaisseur [BAM 84];• en contrôlant le profil de température suivi par la pièce en béton. Des recom-mandations européennes existent aujourd’hui pour limiter l’élévation trop bru-tale ou trop élevée lors de la mise en œuvre, aussi bien pour les ouvrages massifs[ENV13670] que pour des éléments préfabriqués traités thermiquement[EN13369];• en évitant, dans le cas des ouvrages massifs, l’utilisation de coffrages trop iso-lants (par exemple les coffrages en bois) ou alors en ne les démontant que lors-que la température à cœur a chuté, ce qui prend un temps parfois assez long, afinde limiter les gradients thermiques;• en protégeant la face non coffrée contre la dessiccation au jeune âge, celle-ciétant accrue par une élévation de température de la masse du béton;• en ajoutant des armatures complémentaires qui permettent de réduire lesouvertures de fissures (les armatures ne peuvent pas empêcher la fissuration ther-mique, car elles ont le même coefficient de dilatation thermique que le béton,mais elles répartissent les fissures, donc diminuent d'autant leurs ouvertures);

1. Le fait que l’on utilise un ciment à faible chaleur d’hydratation ne garantit pas que l’élévation detempérature dans le béton soit modérée, les autres facteurs comme le dosage en ciment étant évi-demment aussi importants.

236

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La maîtrise de la fissuration au jeune âge: condition de durabilité des ouvrages en béton

• en effectuant une modélisation numérique des effets mécaniques produits dansles ouvrages en béton par l’hydratation du ciment. Cette analyse permet notam-ment d’estimer les vitesses de montée en température et de refroidissement auxdifférents points de la structure, et d’en déduire les contraintes générées, con-naissant la conductivité thermique du béton, sa capacité calorifique, la taille et laforme de la pièce, ainsi que les conditions thermiques imposées aux limites. Cegenre de calcul est aujourd’hui opérationnel, largement validé par un grand nom-bre d’applications qui ont permis de confirmer, par des mesures in situ, lesvaleurs prédites [TOR 94]. Il est systématiquement utilisé pour les ouvragesexceptionnels ou qui présentent des zones à risque de fissuration d’origine ther-mique. Le paragraphe suivant présente quelques éléments de cette modélisation.

4.5. Modélisation du comportement au jeune âge4.5.1. Comportement en température

L'évolution des températures dans les structures en béton au jeune âge peut êtremodélisée. La prédiction des températures est donc possible chaque fois que leproblème industriel le justifie.

L’analyse des phénomènes physiques montre que l’on peut découpler l'effet ther-mique des effets mécaniques1. La modélisation des effets thermiques de la réaction d'hydratation se fait aumoyen de l'équation de la chaleur:

(1)

où ρc désigne la capacité calorifique du béton (produit de la masse volumique parla capacité thermique massique du béton), k le tenseur de conductivité de chaleur,

le taux de chaleur généré par l’hydratation du ciment, T la température et t letemps.Examinons les données nécessaires pour résoudre ce problème.

La conductivité thermique kLa conductivité thermique d’un béton dépend de nombreux paramètres qui nesont pas toujours constants: la teneur en eau du béton, le type de granulats, la po-rosité, la température, le degré d’avancement de l’hydratation [MOU 06]… Ilexiste différentes formules pour tenir compte de ces paramètres (voir par exemple[HAM 92]). Mais, d’une part, ce paramètre varie peu pendant l’hydratation et,

1. Un couplage existe: les dissipations mécaniques se font en partie sous forme thermique. Cetapport est toutefois négligeable devant l’apport dû aux réactions chimiques.

ρcdTdt------ div kgradT–( )– Q·+=

237

Page 22: Chap 6

LA DURABILITÉ DES BÉTONS

d’autre part, des calculs sur structures montrent qu’en faisant varier ces paramè-tres, cela n’entraîne que des différences marginales sur les températures calcu-lées. On peut donc garder constante la valeur de la conductivité thermique (autourde 2 W/m/K).Il est cependant un paramètre à considérer dans le calcul de la conductivité ther-mique, c’est le pourcentage d’armatures. En effet, l’acier est beaucoup plus con-ducteur que le béton et, dans les structures très ferraillées, il importe d’en tenircompte (k peut atteindre jusqu’à 3 W/m/K [ACK 90]).

La capacité calorifique ρc

Elle est égale au produit de la masse volumique par la capacité thermique massi-que du béton. Elle dépend donc de la composition du béton et, notamment, dutype de granulats, mais aussi de la teneur en eau, du degré d’avancement de laréaction d’hydratation, de la température [WAL 00].Pour les besoins de la pratique, on peut la considérer constante, égale à 2,4 J/cm3/°C,ou bien la calculer à partir de la composition du béton. Le tableau 6.1 rassemble lescapacités thermiques massiques de chaque composant, issues de différentes sources.

Tableau 6.1 : capacités thermiques massiques des composants du béton (J/°C/g)[WAL 2000].

La chaleur d'hydratationIl faut ici s’intéresser à deux aspects du problème: la quantité finale Q(∞) de cha-leur dégagée et qui donne la cinétique de dégagement de chaleur.

La quantité finale dépend de nombreux facteurs. Les principaux sont :– la composition du clinker. Tous les constituants du ciment n’apportent pas lamême contribution en termes de dégagement de chaleur. On notera l’influencedu C3A et du C3S (tableau 6.2). En général, ce dernier étant prépondérant dansles ciments, la chaleur d’hydratation en sera largement dépendante.

Ciment Eau Granulats

norme NF P 15-436 0,75 3,76 0,75

Smeplass et Maage 0,8 4,2 0,8

US Bureau of reclam. 0,8 4,18 0,7 à 0,9

Q· t( )

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La maîtrise de la fissuration au jeune âge: condition de durabilité des ouvrages en béton

Tableau 6.2 : chaleurs d'hydratation des composants purs [NEV 2000].

– les ajouts. Lorsque l’on remplace une partie du clinker par des fillers inertes,une cendre volante, des fumées de silice, etc., la chaleur finale en est modifiée.La valeur de Q(∞) doit alors être estimée en tenant compte des différentes réac-tions, qui de plus peuvent être couplées [SCH 92, WAL 00] ;– la composition du béton, le dosage en ciment et le rapport E/C, notamment. Lachaleur dégagée dépend évidemment du dosage en ciment. Dans le cas desbétons à faible E/C, l’hydratation peut être incomplète, ce qui réduira la quantitéde chaleur dégagée;– le pourcentage d’armatures. Pour des pièces très ferraillées, la quantité de cha-leur dégagée peut être réduite de manière significative.La cinétique de réaction est, quant à elle, fonction :– de la composition du clinker: tous les composants ne réagissent pas à la mêmevitesse. On notera cependant que C3S et C3A qui réagissent le plus rapidementsont également les hydrates dont la réaction dégage le plus de chaleur [COP 60];– de la surface spécifique du ciment. Plus cette surface est importante plus leciment sera réactif;– des ajouts. Les réactions pouzzolaniques sont plus lentes que l’hydratation duciment. On a donc une modification de la cinétique de dégagement de chaleur;– des adjuvants. Sans parler des accélérateurs et retardateurs de prise, les fluidi-fiants, par exemple, ont un effet d’écran vis-à-vis de l’hydratation du ciment[BUI 84];– de la quantité de chaleur déjà dégagée Q(t) et de la température absolue T(t).Cette dépendance s’exprime au moyen de la loi d’Arrhénius qui traduit le carac-tère thermoactivé de la réaction [REG 80, BYF 80]:

(2)

où Ea est l’énergie d'activation de la réaction et R la constante des gaz parfaits.

Cette loi est fondamentale dans la modélisation du béton au jeune âge. Elle a deuxconséquences. La première est que le paramètre Q ne peut pas être éliminé entre

Chaleur d'hydratation J/g

C3S 500

C2S 260

C3A 900

C4AF 420

Q· t( ) f Q t( )( )Ea

RT t( )--------------–⎝ ⎠

⎛ ⎞exp=

239

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LA DURABILITÉ DES BÉTONS

l’équation de la chaleur et la loi d’Arrhénius. En d’autres termes, l’état thermique dubéton ne peut être décrit uniquement à l’aide de la température. On a besoin de con-naître la quantité de chaleur dégagée Q(t) ou le degré d’hydratation1 ξ = Q(t)/Q(∞).La loi d’Arrhénius est une véritable loi d’évolution de ce paramètre. Le degré d’hy-dratation est calculé, au même titre que la température, par la résolution des équationsprésentées.La seconde conséquence est qu’il suffit d’effectuer un essai calorimétrique, quidonne f(Q), pour prédire le taux de chaleur générée sous différentes conditions.Il existe plusieurs méthodes expérimentales calorimétriques (comparées notam-ment dans [WAI 92] et [LIV 91]) pour la détermination de l’évolution du déga-gement de chaleur pendant l’hydratation. Les plus courantes pour le béton sont:– la calorimétrie adiabatique; elle repose sur le fait que, en conditions parfaite-ment adiabatiques (tout échange de chaleur est empêché vers le milieu extérieur,dont la température est maintenue, par asservissement, égale à la température aucœur de l’éprouvette), la quantité de chaleur dégagée est déductible de l’éléva-tion de température par simple multiplication par la capacité thermique du béton(en supposant celle-ci constante);– les essais semi-adiabatiques; ces essais recourent à un matériel plus simple etmoins coûteux : on suit au long de l’hydratation la température d’une éprouvettede béton, de diamètre 16 cm et de hauteur 32 cm, placée, dès sa fabrication, dansune boîte calorifugée, dont on connaît les déperditions thermiques; il est dès lorspossible de revenir à une courbe adiabatique théorique en corrigeant la courbedes températures mesurées des pertes du calorimètre et en traduisant la thermo-activation à l’aide de la loi d’Arrhénius [ACK 88]. La comparaison d’essais aucalorimètre adiabatique et d’essais semi-adiabatiques montre cependant que,même après correction, il existe une différence entre les résultats obtenus à partirdes deux appareils. Cela peut provenir de la réaction elle-même: les températu-res atteintes ne sont pas les mêmes dans les deux appareils, et il est possible quela quantité Q(∞) dépende de la température. La manière de corriger les résultatsde l’essai semi-adiabatique (qui suppose un régime permanent de pertes) peutaussi être incriminée [SED 93]. Selon l’épaisseur des pièces à étudier, on pourradonc utiliser ou pas l’essai semi-adiabatique. Pour les pièces très massives, onlui préférera l’essai adiabatique.La loi d’Arrhénius est également à la base du concept de temps équivalent. Letemps équivalent te est celui qu'il aurait fallu à la réaction d’hydratation pour at-

1. On parle ici d’un degré d’hydratation alors qu’il y a en fait plusieurs réactions liées à chaqueespèce anhydre; l'expérience montre toutefois que cette simplification n'est pas outrancière, saufdans le cas des ciments avec ajouts pouzzolaniques.

240

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La maîtrise de la fissuration au jeune âge: condition de durabilité des ouvrages en béton

teindre, à 20 °C, son état actuel (mesuré par exemple par le degré d’hydratationξ = Q(t)/Q(∞) ):

(3)

Suivant ce concept, on peut, à partir d’une courbe maîtresse (relation résistance-temps équivalent) prévoir les résistances au jeune âge du béton [BYF 80,CAR 83, TOR 92, DAL 93]. C'est ce principe qui est utilisé sur chantier dans lesmaturomètres pour prédire les résistances à court terme [CHA 96].Dans la loi d’Arrhénius le paramètre fondamental est l’énergie d’activation Ea. Ila été mis en évidence aussi bien expérimentalement que par modélisation et simu-lations, que Ea dépend d'abord du ciment [BRE 82, DAL 02], puis de l’adjuvan-tation, de la température, de l’avancement de la réaction d’hydratation [BRE 82,DAL 93], de la durée de la période dormante (notamment si elle très longue)[DAL 04].Comme ce paramètre est absolument fondamental dans la prévision de la résistan-ce, des efforts particuliers ont été faits pour sa détermination. Les travaux de[DAL 04] ont permis de définir une méthode de détermination de Ea. Ce paramè-tre peut être également déterminé sur MBE (mortier de béton équivalent) à l’aidede calorimètres Langavant [DAL 98]. Enfin, une réflexion collective a égalementabouti à des recommandations applicables aux chantiers utilisant la méthode[DAL 04]. Ces recommandations portent sur: la régularité de la fabrication, lechoix des points de mesures de la température dans l’ouvrage, le choix de l’ins-trumentation, l’étalonnage au laboratoire et sur chantier, et la mise en place decontrôles de conformité. Plus récemment, des travaux ont été conduits afin d’étu-dier l’influence de la maturité au décoffrage sur la qualité des parements en bétonet la durabilité du béton de peau [NAC 02].Le problème thermique fait également intervenir des conditions aux limites. Engénéral, celles-ci s'expriment comme un flux de chaleur à travers les surfacesd’échanges:

(4)où Ts est la température de surface et Text la température du milieu ambiant. Lecoefficient λ modélise globalement le processus d'échange avec le milieu exté-rieur, en caractérisant la plus ou moins grande isolation du béton en fonction dutype de coffrage choisi (bois, métal, bâche isolante, surface libre) et des donnéesclimatiques (surface ventilée ou abritée) [LAP 82]. λ peut ainsi varier de 0,5 à6 W/m2/K [ACK 88]. Pour des structures très élancées (comme les dalles de pontpar exemple), une estimation correcte de la valeur des coefficients d'échange est

teEa

RT τ( )---------------–

EaR 273 20+( )------------------------------+⎝ ⎠

⎛ ⎞exp τd0

t

∫=

Q λ Ts Text–( )–=

241

Page 26: Chap 6

LA DURABILITÉ DES BÉTONS

primordiale et un calage de ces paramètres par rapport au chantier souvent néces-saire1.Lorsque tous les paramètres des équations (1), (2) et (4) sont bien maîtrisés, la si-mulation des températures est en bon accord avec l’expérience (voir par exemple[TOR 95]). Il est donc possible de prédire les élévations de température, de testerl'effet de formulations différentes, de durée avant décoffrage, etc., dès lors que leproblème industriel le justifie.

4.5.2. Comportement mécaniqueÀ partir des champs de température et de degré d’hydratation, et en supposant unedécomposition des déformations en parties élastique, inélastique, retrait, fluage etthermique, on peut estimer les champs de contraintes. Les modèles utilisés sontfondés sur des concepts variés et dépassent le cadre de cet ouvrage. On trouverades exemples de modélisations dans [BOU 92, TOR 95, ACK 96, SCH 02], [SCH04] ou [ACK 04].

5. CONCLUSIONLa fissuration la plus pénalisante pour la durabilité des ouvrages en béton est lafissuration précoce. Elle donne, en effet, des fissurations ouvertes. Elle est, enpratique, toujours évitable. Voici cinq précautions élémentaires pour prévenirpresque toutes les fissurations précoces (il faut noter que les quatre premières re-lèvent des règles de l’art qui devraient être toujours appliquées):– composer le béton de manière à ce que son dosage en éléments fins (cimentcompris) soit optimal (mélange à porosité minimale), et choisir la dimension duplus gros granulat compatible avec la dimension du coffrage et l’encombrementde l’armature. On réduit ainsi le risque de fissures par tassement du béton frais eton assure une rétention correcte de l’eau de gâchage;– appliquer une brumisation ou choisir un produit de cure efficace; l’appliquercorrectement et en temps voulu au dosage recommandé. On réduit et parfoismême on supprime ainsi le risque de fissuration plastique;– veiller à la régularité des approvisionnements et de toutes les opérations de lachaîne de mise en œuvre;– prendre en compte, dès la conception de l’ouvrage, le risque de retrait thermi-que après prise dans le cas des ouvrages de masse;– s’affranchir du risque de retrait thermique dans le cas d’ouvrages traités ther-miquement en soignant le procédé de préfabrication et, notamment, la durée de

1. Il peut exister un écart très important entre la valeur théorique d’un coefficient d’échange et savaleur réelle, notamment à cause de la mise en œuvre sur chantier: du polystyrène maintenu pardes poutres métalliques tous les 20 cm ne pourra pas être aussi isolant que prévu…

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cure, la vitesse de montée en température et de refroidissement, et la températuremaximale au cœur de la structure.Revenons au cas des bétons traités thermiquement mis à profit surtout dans lesusines de préfabrication afin d’accélérer leurs acquisitions de résistances. En1983, Marc Mamillan pouvait écrire: « le traitement thermique constitue lemoyen le plus efficace pour obtenir la résistance nécessaire au démoulage enquelques heures ». Ceci n’est plus tout à fait exact aujourd’hui. Le développementdes bétons de hautes performances, avec l’usage d’adjuvants et d’ajouts minéraux(et notamment des fumées de silice, qui font maintenant partie de certains ci-ments) a montré qu’il était possible d’obtenir des résistances mécaniques très éle-vées à des âges inférieurs à 24 heures, et ceci pour un coût global qui est du mêmeordre.Il faut ajouter à cela que les formulations modernes – celles des BHP notamment– conduisent à une augmentation des résistances finales, en même temps qu’à uneamélioration de la plupart des caractéristiques qui contribuent à la durabilité dumatériau.

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