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3 janvier 1836 3 janvier 1836, dimanche matin, 11 h. ¼ Bonjour mon amour, bonjour mon Toto chéri. Je t’écris un peu tard, n’est-ce pas ? Je viens t’en expliquer la cause. J’ai passé une affreuse nuit et cependant je ne me suis pas servi de votre Joli Vase mais je n’ai pas pu dormir depuis 5 h. du matin jusqu’à 8 h. où j’ai appeléa Turlurette , je n’avais pas fermé l’œil. Ce n’est qu’après avoir fait allumer mon feu que je me suis endormie jusqu’à présent où ma première pensée, mon premier bonjour sont pour toi mon adoré. Tu m’as promis de venir me prendre aujourd’hui pour recommencer nos excursionsb. J’y compte et je vais me tenir toute prête. Mon Dieu, que l’espoir que tu m’as donné me fait de joie déjà en perspective. Voici un éclair qui illuminera une bien bonne et bien heureuse soirée pour nous autres pauvres petites affamées [illis.] d’amour que nous sommes. Pendant tout le temps où je n’ai pas dormi, j’ai regardé ma belle petite fontaine et ce matin Turlurette me l’a donnée à admirer dans mon lit. C’est décidément la plus belle et la plus unique chose que j’aie jamais vue. Sans vous faire de tort, car vous êtes aussi, vous, mon cher petit po…. le plus unique et le plus admirable que Dieu, l’ouvrier universel ait jamais fabriqué, soit sur la terre, soit dans le ciel. Aussi, je passe ma vie à vous regarder au-dedans de moi comme je passe mes heures à contempler mon joli pot. Juliette BnF, Mss, NAF 16326, f. 5-6 Transcription d’André Maget assisté de Florence Naugrette a) « appellé ». b) « excurtions ». ---- 3 janvier [1836], dimanche après-midi, 1 heure ½ Bonjour mon cher adoré, bonjour vilain, vous passez la permission de ne pas venir car enfin j’ai de l’argent. Il y a huit jours que vous n’êtes pas venu déjeuner. J’ai refusé Mme Guérard ce matin, comptant sur vous, et vous n’êtes pas venu. C’est très mal et très méchant. Si je pouvais vous aimer moins ce serait une fameuse occasion que celle-ci. Au surplus, je suis dans un accès de jalousie depuis hier. Cette éclaboussure totale dont vous avez revêtu hier pendant que le thermomètre descendait quinze degrés au-dessous de zéro et que tous les ruisseaux étaient métamorphosés à [RAIL-WAI ?], tout cela, dis-je, joint à une certaine lettre du directeur de Saint-Antoine [1 ] qui vous priait d’assister à la 1ère représentation d’une pièce digne de vous : LE BAL DES BOSSUS, tout cela m’a donné à penser et je ne serais pas du tout contente de mes conjectures et encore moins de votre conduite. Aussi je suis de très mauvaise humeur et les Guérard n’ont qu’à bien se tenir car il paraît qu’ils viennent tous les deux à ce que dit ma servarde qui ne les a pas vusa mais qui prétend être bien renseignée, ce dont je prends la liberté de douter jusqu’à nouvel ordre. À qui donc avez-vous fait les honneurs du Messager et du Journal de Parishier ? Je voudrais le savoir pour les leur emprunter (ces deux journaux) car d’après ce que vous m’en avez dit le procès de Chazal [2 ] et de Trisse-à-patte est des plus intéressants et puis je ne serais pas fâchée de connaître l’opinion des journaux

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Correspondence VHugo JDrouet

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Page 1: Correspondence VHugo JDrouet

3 janvier 1836

3 janvier 1836, dimanche matin, 11 h. ¼

Bonjour mon amour, bonjour mon Toto chéri. Je t’écris un peu tard, n’est-ce pas ? Je viens t’en expliquer la cause. J’ai passé une affreuse nuit et cependant je ne me suis pas servi de votre Joli Vase mais je n’ai pas pu dormir depuis 5 h. du matin jusqu’à 8 h. où j’ai appeléa Turlurette, je n’avais pas fermé l’œil. Ce n’est qu’après avoir fait allumer mon feu que je me suis endormie jusqu’à présent où ma première pensée, mon premier bonjour sont pour toi mon adoré. Tu m’as promis de venir me prendre aujourd’hui pour recommencer nos excursionsb. J’y compte et je vais me tenir toute prête. Mon Dieu, que l’espoir que tu m’as donné me fait de joie déjà en perspective. Voici un éclair qui illuminera une bien bonne et bien heureuse soirée pour nous autres pauvres petites affamées [illis.] d’amour que nous sommes. Pendant tout le temps où je n’ai pas dormi, j’ai regardé ma belle petite fontaine et ce matin Turlurette me l’a donnée à admirer dans mon lit. C’est décidément la plus belle et la plus unique chose que j’aie jamais vue. Sans vous faire de tort, car vous êtes aussi, vous, mon cher petit po…. le plus unique et le plus admirable que Dieu, l’ouvrier universel ait jamais fabriqué, soit sur la terre, soit dans le ciel. Aussi, je passe ma vie à vous regarder au-dedans de moi comme je passe mes heures à contempler mon joli pot.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 5-6Transcription d’André Maget assisté de Florence Naugrette

a) « appellé ». b) « excurtions ».

----

3 janvier [1836], dimanche après-midi, 1 heure ½

Bonjour mon cher adoré, bonjour vilain, vous passez la permission de ne pas venir car enfin j’ai de l’argent. Il y a huit jours que vous n’êtes pas venu déjeuner. J’ai refusé Mme Guérard ce matin, comptant sur vous, et vous n’êtes pas venu. C’est très mal et très méchant. Si je pouvais vous aimer moins ce serait une fameuse occasion que celle-ci. Au surplus, je suis dans un accès de jalousie depuis hier. Cette éclaboussure totale dont vous avez revêtu hier pendant que le thermomètre descendait quinze degrés au-dessous de zéro et que tous les ruisseaux étaient métamorphosés à [RAIL-WAI ?], tout cela, dis-je, joint à une certaine lettre du directeur de Saint-Antoine [1] qui vous priait d’assister à la 1ère représentation d’une pièce digne de vous : LE BAL DES BOSSUS, tout cela m’a donné à penser et je ne serais pas du tout contente de mes conjectures et encore moins de votre conduite. Aussi je suis de très mauvaise humeur et les Guérard n’ont qu’à bien se tenir car il paraît qu’ils viennent tous les deux à ce que dit ma servarde qui ne les a pas vusa mais qui prétend être bien renseignée, ce dont je prends la liberté de douter jusqu’à nouvel ordre. À qui donc avez-vous fait les honneurs du Messager et du Journal de Parishier ? Je voudrais le savoir pour les leur emprunter (ces deux journaux) car d’après ce que vous m’en avez dit le procès de Chazal [2] et de Trisse-à-patte est des plus intéressants et puis je ne serais pas fâchée de connaître l’opinion des journaux de l’opposition sur la dissolution de la Chambre. Je vous prie donc, mon Toto, de me dire dans le plus bref délai qu’elles sont les heureuses créatures que vous avez favorisées à mon détriment ? Je vous écris une grosse lettre dans le cas où j’aurais les Guérard et où je ne pourrais pas m’en débarrasser avant minuit. Je vous aime, vilain homme, je suis furieuse contre vous, pourquoi que vous n’êtes pas venu ce matin ? Fue, fue, comme la chatte et avec mes griffes encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 7-8-9Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « vu ».

Notes[1] Anténor Joly  et Ferdinand de Villeneuve  dirigent le Théâtre de la Porte-Saint-Antoine, avec

Page 2: Correspondence VHugo JDrouet

lequel Juliette Drouet est en tractations pour un engagement qu’elle finira par refuser.

[2] C’est le nom du mari de Flora Tristan qui, effectivement, a des démêlés judiciaires avec lui en 1835-36. Mais le nom est fréquent.

Page 3: Correspondence VHugo JDrouet

12 janvier 1836

12 janvier [1836], mardi matin, dix heures

Bonjour mon cher adoré, bonjour mon âme, tu n’es pas malade, n’est-ce pas ? Mon Dieu, je crains toujours que tu succombes à cette fatigue excessive. Si ce malheur-là arrivait, je ne sais pas ce que je deviendrais. Ce serait à en devenir folle de chagrin. Aussi, mon cher adoré, c’est pourquoi je te supplie de t’épargner, d’user le plus possible des ressources qui nous restent. J’ai assez bien dormi cette nuit mais je dormirais encore mieux si seulement je te savais couché auprès de ton cher petit Toto. Et je dormirais tout à fait bien si tu étais couché auprès de moi, oh ! Alors ce serait trop bon ! Turlurette vient de trouver un des tisons tout en feu. Il paraît qu’il a brûlé toute la nuit. Il fait à peine assez clair pour voir à t’écrire. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Je vais me lever tout à l’heure et je verrai s’il pleut ou s’il va pleuvoir. Dis donc, mon cher bijou, il faudra tâcher de venir un peu plus tôt aujourd’hui car tu sais que je ne t’ai presque pas vu hier et ça n’est pas juste. Si tu viens, je te baiserai tant que tu pourras emporter de baisers. Je t’aimerai plus que tu ne voudras, et je t’adorerai comme un petit Dieu que tu es, et puis je serai bien aimable par-dessus le marché.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 10Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 4: Correspondence VHugo JDrouet

17 janvier 1836

17 janvier [1836], dimanche soir, 11 h. ¼

Toujours dans l’espoir que tu viendras CETTE NUIT, j’ai préparé mon linge d’avance pour demain et fait tous mes comptes afin d’être toute au bonheur de vous posséder, cher scélérat. Si après cela vous ne venez pas, je ne sais pas ce qu’il faudra vous faire, et je renonce pour jamais à vous. La mère Pierceau est partie parfaitement allumée à l’endroit de votre livre. Je lui ai fait un petit prologue d’ouverture sur la [illis.] qui n’est pas piqué des colimaçons. Bref, elle grille du désir de lire ce livre et elle serait volontiers restée toute la nuit pour en entendre parler lentement. Ainsi, juge de ce qu’elle fera quand elle se trouvera tête à tête avec les deux susdits. Moi je me dépêche de te gribouiller ceci pour reprendre mon second volume. Je devrais même, tant que durera cette lecture, être dispensée de tout gribouillis, de toute besogne, de tout ménage et de toute occupation qui n’est pas celle de te lire ou de te baiser à mort. Voilà mon opinion. Les opinions sont libres. À propos d’opinion, tu sais encore bien tailler les plumes, toi, je ne t’en fais pas mon compliment. J’aimerais mieux écrire avec un fer à repasser ou avec un démêloir qu’avec cet affreux machin que tu as la prétention d’avoir parfaitement taillé. Quelle horreur !!! Si tu ne viens pas cette nuit, je te donne décidément ma malle et diction et je prends la clef des champs. Cours après, voilà.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 11-12Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 5: Correspondence VHugo JDrouet

19 janvier 1836

19 janvier [1836], mardi soir 5 h. ¾

Depuis ce matin je vous désire et je vous attends. Depuis ce matin, je m’occupe de vous. J’ai entrepris une affreuse besogne, celle de vous remettre votre paletot à neuf. J’espère cependant qu’avec beaucoup de brosses, beaucoup de vinaigre, beaucoup de temps et beaucoup de courage nous en viendrons à bout. Depuis ce matin, on l’a décousu et ce soir l’ouvrière Suzanne [1] et moi avons lavé au vinaigre et peigné et brossé les manches tant et plus. Seulement comme on n’y voit pas assez le soir, j’ai fait cesser le lavage jusqu’à demain. Quant à la doublure, rien ne presse encore puisqu’il faut reconstruire le paletot avant de l’appliquer dessus. Si tu veux je pourrais prier la mère Lanvin d’aller acheter la doublure, elle le fera aussi bien que nous. Je ferai acheter du galon pour border le paletot et j’espère qu’une fois sorti de nos mains, il vous fera l’honneur et le profit d’un paletot neuf. Dans ce moment-ci, je me fais tailler dans un morceau de flanelle rose qui me restait deux paires de bas que je me ferai moi-même. À propos, j’ai retrouvé une très bonne cravatea noire à toi que tu avais cessé de mettre à cause de l’été. Si tu la veux prendre ce soir, je te la donnerai. Je t’aime mon Toto, je te désire et je t’attends de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 13-14Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « cravatte » (c’est aussi l’orthographe de Hugo).

Notes[1] Il ne s’agit pas de Suzanne Blanchard, embauchée ultérieurement au service de Juliette Drouet.

Page 6: Correspondence VHugo JDrouet

20 janvier 1836

20 janvier [1836], mercredi matin, 10 h. ¼

Bonjour mon chéri, j’ai rêvé de toi toute la nuit et de ton chéri petit TOTO – VICTOR HUGO – je vous aime tous les deux mais toi tu as la plus grosse part comme étant le plus grand. Comment as-tu passé la nuit, mon cher bien-aimé ? Ce n’est plus pour moi que je te le dis mais tu te fatigues trop, tu tomberas vraiment malade si tu n’enraies pas un peu cette excessive préoccupation de tous les jours et de tous les instants. Tâche de faire un effort pour t’isoler un peu de toute affaire et de tout travail. Je t’assure que tu en as besoin, mon pauvre petit adoré. Il fait bien froid et bien beau aujourd’hui. Voici un temps favorable pour courir les logements et à ce sujet-là, je dois te dire, mon cher bien-aimé, que je me logerai où tu voudras [1], que les observations que je te fais ne signifient jamais rien au fond parce que je ne veux faire absolument que ce que tu veux. Je vous aime, mon Toto, plus qu’il ne le faudrait dans des temps comme ceux-ci où vos affaires ne vous laissent pas le loisir de vous en apercevoir. Je vous aime trop car je suis jalouse de tout, même sans aucun sujet, et que dans cette circonstance, j’ai des raisons plus que suffisantes pour me tourmenter outre mesure. Mais j’oublie que tu n’as pas le temps de t’occuper ni de moi, ni de mes jalousies. Eh bien, je t’aime, voilà tout. Je passe ma vie, mes jours, mes nuits à t’aimer. Il n’y a pas autre chose que cela. Ça n’est pas bien long. Mes caresses je te les donne en pensée, ça n’est pas bien fatiguant.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 15-16Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

20 janvier [1836], mercredi soir 8 h.

Pardonne-moi, mon cher bien aimé, pardonne-moi, d’avoir ajouté un ennui à ta tristesse si légitime et que je partage. Car tout ce que tu aimes, je l’aime aussi et mon cher petit Toto par dessus tous les autres. D’abord parce qu’il te ressemble, parce qu’il s’appelle TOTO VICTOR HUGO. Ensuite parce que le pauvre petit ange souffre. Toutes ces raisons font que je sens aussi vivement que toi les inquiétudes que tu as à son sujet. Il fallait que je souffrisse moi-même des tortures intolérables pour te parler de moi dans un moment où tu étais triste. Pardonne-moi, mon cher bien-aimé. Je suis jalouse, c’est-à-dire que je suis féroce, absurde, mais cela veut dire encore bien mieux que je t’aime de toutes les forces de mon âme. Ce n’est pas moi qui crains le MIROIR MAGIQUE. Je donnerais bien des choses pour qu’il existât, mais je n’y crois pas, voilà tout. Si ce miroir existait, tu pourrais voir ce qui se passe dans ma chambre et moi je te dirais ce qui se passe dans mon cœur, de cette façon tu saurais et tu verrais tout ce qui regarde ta pauvre Juju. Je viens d’écrire à Toinette. J’ai envoyé la lettre sans t’attendre parce que je suppose que cela ne t’intéresserait pas assez pour retarder de la mettre à la poste. Je n’ai pas encore fait ma soupe car nous n’avons faim ni l’une ni l’autre et que nous attendons qu’elle vienne (la faim). Je t’aime mon amour, je t’aime ma joie. Je t’aime de tout mon cœur, de toutes mes forces. Si je suis méchante, c’est que je t’aime. Si je suis bonne, c’est que je t’aime, si je suis triste, c’est que je t’aime. Si je suis joyeuse, c’est que je t’aime, c’est que je crois que tu m’aimes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 17-18Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Notes[1] Juliette Drouet s’apprête à quitter son logement de la rue des Tournelles, qu’elle occupe depuis octobre 1834. Elle emménagera le 8 mars au 14, rue Saint-Anastase.

Page 7: Correspondence VHugo JDrouet

22 janvier 1836

22 janvier [1836], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour mes chers petits amis, comment avez-vous passé la nuit ? Bien n’est-ce pas ? Mon pauvre petit Toto n’aura pas souffert et mon cher grand Toto n’aura pas été tourmenté, du moins je l’espère. Mon cher petit homme, je crois que vous avez eu une fameuse idée à l’endroitdes fenêtres, rien que cela me ferait prendre l’appartement en supposant qu’on puisse y loger. Il pleut ce matin, mon cher petit Toto, je crains que cela ne t’empêche de venir me prendre pour sortir voir les appartements, ce qui me contrarierait doublement puisque j’ai compté sur cette nécessité pour te voir plus tôt qu’à l’ordinaire. Je t’aime mon Victor. Je t’aime bien plus que je ne te le dis car je ne connais pas de mots assez significatifs pour exprimer l’amour que j’ai pour toi. Dans ce moment-ci, il se fait une chasse à courre dans mes bois. Turlurettesans costume d’amazone chasse à la souris avec une ardeur sans pareille. Je crois cependant qu’elle en sera pour sa peine. Mon cher petit bien-aimé, je suis bien impatiente de te voir pour savoir comment le cher petit bonhomme a passé la nuit et puis pour savoir en même temps comment tu as passé la tienne, mon cher adoré. Moi, j’ai assez bien dormi, ce que je me reproche en pensant que peut-être tu travaillais ou que tu étais inquiet pendant ce temps-là. J’aurais voulu retenir mon sommeil pour ne penser qu’à toi et ne prier que pour toi, mon cher adoré. À bientôt, si tu veux.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 19-20Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 8: Correspondence VHugo JDrouet

23 janvier 1836

23 janvier [1836], samedi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon cher adoré, j’ai fièrement bien dormi. Il est 10 h. ½, c’est une manière de prolonger la soirée d’hier. Quelle bonne surprise vous m’avez faite en venant me chercher sans que je m’y attendisse le moins du monde. Comme nous avons bien employé les quelques heures que nous avions devant nous. C’est affaire à NOUS. J’espère mon cher adoré que rien de triste ne sera survenu à ton cher petit Toto pendant ton absence. J’espère que tu l’auras trouvé bien endormi, ne souffrant pas et que tu l’auras bien embrassé pour toi et pour moi. Cher petit homme, je ne sais pas où je mets ma plume tant il y a de fumée dans ma chambre, avec cela j’ai un excessif mal de tête, ce qui rend la chose encore moins drôle comme disait [illis.]. Ah ça, mon cher petit bijou, nous devrions bien tâcher de voir des appartements aujourd’hui. Moi je suis toute prête. J’ai mes mesures écrites à une ligne près et puis, mon cher petit homme, je vous verrai beaucoup plus tôt, ce qui n’est pas indifférent. Il fait un temps très doux et très charmant pour ce genre de promenade. Je vais me dépêcher de faire mon ménage et puis je vous aime, et puis je vous aime, et puis encore je vous aime, cette fois, c’est tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 21-22Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

23 janvier [1836], samedi soir, 7 h. 20 ma

Mon cher petit homme bien aimé, il paraît que M. B. vous a retenu jusqu’à présent, à mon grand regret. J’espère qu’aucun autre fâcheux ne s’opposera à ce que vous veniez très tôt ce soir. Cher petit homme, vous êtes bien bon et bien gentil d’être venu me voir un peu tantôt. Vous aviez l’air un peu triste. Le chagrin de nous quitter si tôt mis à part, vous étiez encore fort triste. De quoi ? je ne sais, mais cela m’inquiète chaque fois que ce phénomène arrive. Je crains toujours que [illis.] embarras de position ou la fatigue du travail de la nuit ou je ne sais quoi de plus malheureux encore ne soit la cause véritable de cet abattement que vous appelez préoccupation. Je te le dis avec amour et avec douceur mon chéri, mais je suis vraiment très tourmentée de ton air triste chaque fois que tu l’as. Je ne sais pas si je fais bien en refusant l’engagement du Théâtre Saint-Antoine [1]. Je crains d’un côté de faire peser sur toi ce nouveau déficit dans mes finances. D’un autre côté aussi, je tremble de sacrifier à tout jamais un avenir déjà bien compromis par l’événement de Marie Tudor [2] et par deux années d’absence de la scène. Je ne sais que résoudre. J’ai fait humainement tout pour mon amour. Je suis prête à tout faire encore pour diminuer et alléger le fardeau que tu portes avec tant de courage et de persévérance. Si tu crois que cela te soulagera en acceptant, je suis prête, mais cette raison est pour moi la seule bonne, la seule déterminante. Dis-moi franchement comme à ton âme, comme à ta bien-aimée, ce qu’il faut que je fasse je le ferai et ne te parlerai jamais plus de ce que j’aurais fait, que cela réussisse ou non.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 23-24Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) Écrit, d’une autre main, en travers de la page entre la date et la première ligne : « Cette lettre n’est pas à sa place ; elle doit appartenir à l’année 1837. » Et, plus loin : « 1836 », souligné d’un double trait. L’allusion, dans la lettre, à l’engagement possible au Théâtre de la Porte-Saint-Antoine, et la mention de « deux ans » d’absence de la scène, confirment bien la date de janvier 1836.

23 janvier [1836], samedi soir 9 h.

Mon cher petit homme, voici un affreux complément de la journée d’hier auquel vous ne vous attendiez pas et qui ne vous satisfera probablement que très peu. Enfin, ce n’est pas ma faute.

Page 9: Correspondence VHugo JDrouet

Comme je vous ai écrit avant le dîner, il m’a semblé que j’avais à vous écrire après parce que j’avais encore bien des choses à vous dire, la première et la seule, c’est que je vous aime. À la manière dont j’éprouve l’amour que j’ai pour vous il me semble toujours que je vous fais une révélation. C’est toujours bon et nouveau comme le premier jour où je vous ai dit : je t’aime.Voilà pourquoi, mon cher bien-aimé, je vous poursuis de mes lettres jusque dans votre sommeil. C’est pour vous dire seulement ces deux mots : je t’aime. Mon cher bien-aimé, je te prie de ne pas faire avec moi de générosité mal entendue. S’il est de l’intérêt de ton repos et de santé que j’entre à Saint-Antoine, j’y entrerai sans regret et sans chagrin. Je serai toujours heureuse et fière de contribuer pour ma part à l’œuvre que tu as entreprise de me relever de ma vie passée. Ainsi, pas de scrupules bêtes, pas de délicatesse absurde. Dis-moi ce qu’il faut que je fasse et je serai trop heureuse de le faire. J’espère qu’il sera encore temps demain de revenir sur une résolution prise ce soir en supposant que tu aies vu M. Joly.Je t’attends mon pauvre ange, avec toutes sortes d’impatiences, celle de te voir, la première et la plus forte de toutes, celle de rétracter s’il est nécessaire la résolution que j’avais prise tantôt et puis enfin celle de te donner mille et mille caresses partout où je pourrai trouver place où en mettre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 25-26Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Notes[1] Juliette quitte la Comédie-Française, où elle est pensionnaire depuis deux ans sans avoir reçu aucun rôle à jouer. Elle donne sa démission à Jouslin de la Salle , et entre en relation avec Anténor Joly et Ferdinand de Villeneuve , directeurs du Théâtre de la Porte-Saint-Antoine, récemment ouvert, depuis décembre, près de la Bastille.

[2]  Le 7 novembre 1833, après une piètre prestation dans le rôle de Jane, dansMarie Tudor, que Hugo avait écrit pour elle, Juliette Drouet se voit retirer le rôle, qu’elle n’aura joué qu’un soir. L’humiliation est cuisante et durable. Elle ne se remettra jamais de cet échec.

Page 10: Correspondence VHugo JDrouet

24 janvier 1836

24 janvier [1836], dimanche matin, 10 h.

Bonjour, mon cher adoré, comment vont tes pauvres yeux ce matin ? As-tu bien dormi, t’es-tu couché de bonne heure cette nuit ? Comment va notre cher petit TOTO VICTOR HUGO ? Je vous aime mes bons petits amis. Je voudrais à force d’amour vous guérir tous les deux. Il fait bien mauvais temps ce matin, en supposant que tu puisses avoir le temps dans la journée de courir les appartements. Ce n’est pas que cela m’effraie le moins du monde, mais seulement ce n’est pas commode. Mon cher petit bien aimé, j’ai été bien heureuse hier, tu es venu un peu plus tôt que d’habitude et tu ne sais pas toi ce que c’est qu’une heure de bonheur de plus avec toi. C’est tout un siècle d’ennui et de chagrin effacé, oublié, par une heure de toi. Je vous permets tous les bals masqués sans exceptions pourvu que vous les passiez tous dans mon lit. À cette condition, vous pourrez choisir le déguisement que vous voudrez, mon beau masque. Je vous promets de me laisser très intriguer. Vous voyez que je ne suis pas trèstyranne. J’ai un très gros mal de tête que j’attribue au mauvais temps car il faut bien l’attribuer à quelque chose. Je suis sûre que si tu venais passera la journée avec moi, il n’en serait plus question au bout de deux minutes. Je l’ai déjà éprouvé bien des fois, que ta présence me guérissait. C’est que j’ai foi en toi. C’est que je t’aime, c’est que je t’adore, c’est que tu es mon amour, ma religion, mon sauveur. C’est que je ne sens que mon amour devant toi.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 27-28Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa[Souchon, Massin]

a) « passé ».

24 janvier [1836], dimanche soir, 8 h.

Cher petit gueulard, ne soyez pas trop longtemps à table, mangez un peu moins de pain d’épice et soyez un peu plus tôt auprès de votre pauvre Juju qui fait son pot au feu et qui le mange. Vois-tu mon pauvre ange, je crois qu’il faut tâcher de voir [illis.] lorsqu’il ramènera Claire pour savoir une bonne fois à quoi nous en tenir sur le butin de la pauvre petite fille. Arrange-toi de façon à être avant ou après ton dîner présent au débarquement du susdit individu qui me fait plus que jamais l’illusion d’un fripon. Sais-tu VICTOR que tu m’as fait B… de mal tout à l’heure et que si cela t’arrivait encore je te f….. une calotte (genre Léontine [1]), c’est anacréontique. J’espère mon cher petit Toto que tu ne te laisseras [pas] tutoyer par MmeVolnys. Si cela était, je renoncerais à l’instant à cette privauté. Je ne veux pas d’un privilège partagé. Tout ou rien, voilà ma devise en amour. D’ailleurs, je serai là, je vous surveillerai d’un peu près et sans que vous vous en doutiez, prenez-y garde. Cher petit homme, pense au Livre de Claire, ce serait trop triste de ne rien avoir à donner à cette petite après plus d’un an d’absence. Je compte sur toi pour faire oublier ma misère. Tâche de venir le plus vite possible mon adoré petit homme. J’ai bien des bons baisers à te donner sur ta belle bouche.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 29-30Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Notes[1] Léontine est le prénom de l’actrice de la Comédie-Française Mme Volnys.

Page 11: Correspondence VHugo JDrouet

25 janvier 1836

25 janvier [1836], lundi matin, 9 h.

Bonjour mon cher bien-aimé, j’espère que tu as passé une bonne nuit, pauvre petit homme. Vous ne l’auriez pas volé car vous étiez bien las hier au soir. Dites donc je vous aime mon cher petit homme chéri, mon pauvre petit ouvrier, je t’adore. Je me suis réveillée bien plus tôt que d’habitude aujourd’hui et je n’en suis pas fâchée parce que c’est plus de temps que j’aurai à penser à vous et à vous aimer. Dis donc mon cher petit Toto, ne va pas oublier que c’est aujourd’hui à cinq heures que notre pauvre Clairon arrive et qu’il est de la plus grande importance que nous voyions le [Barther ? Darther ?] à ce moment-là. N’oublie pas non plus le beau livre, si ce n’est pour l’enfant, au moins pour la mère qui sera ravie et reconnaissante de ce nouveau don de toi. Je te recommande toutes ces choses comme si, lorsque tu liras cette lettre il n’était pas tout à fait impossible de réparer les oublis que tu aurais faits dans la journée. Mais j’ai pris l’habitude de parler à ce morceau de papier comme à toi. L’illusion n’est cependant pas complète et mon pauvre cœur n’est pas aussi facilement dupe que mon esprit. Il m’est impossible de croire que les baisers que je te donne en paroles me soient aussi doux au cœur et aux lèvres que ceux que je te donne de bouche à bouche. Je ne poursuis pas plus avant la comparaison……………….a Mais si tu sens aussi vivement que moi que la présence de l’être aimé est tout le bonheur de la vie, tu viendras très tôt. Ce ne sera d’ailleurs qu’une juste compensation à la journée d’hier. Je t’aime, mon Victor. Je t’aime quoique tu ne m’écrives pas de lettres charmantes. Je m’aperçoisb à présent que vous avez oublié vos lettres. Cela m’afflige comme une déception. Vous ne vous en êtes peut-être pas même aperçuc.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 31-32Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) Les points courent jusqu’au bout de la ligne. b) « apperçois ». c) « apperçu ».

25 janvier [1836], lundi soir, 8 h. ¾

Je t’écris au milieu du serin inextinguible de Clairon et de Turlurette. Je ne sais plus où j’en suis. J’avais perdu l’habitude de ces gaietés sans raison, de ces explosions de rires sans motifs. Je suis toute étourdie. Enfin, m’y voilà, je t’aime. Je t’aime. Je t’aime, je le sens plus que je ne l’ai encore senti. J’ai cru un moment que tu étais fâché tantôt contre moi de ce que mes joues avaient eu le contact des lèvres de ce vieux stupide mais je te le répète, mon amour, la joie de voir ma pauvre fille m’a fait perdre un moment le sentiment de répulsion que j’éprouve à la vue de ce vieux bonhomme. Depuis que tu m’as quittée, j’ai visité le coffre de la petite, j’ai écouté tous ses petits contes, nous avons dîné un peu plus longuement qu’à l’ordinaire, puis enfin je viens à toi que je n’ai pas quitté, ni de la pensée ni du cœur, pour te dire ce que tu sais aussi bien que moi mais que j’aime à te répéter, je t’aime. Vous n’êtes pas revenu, mon cher petit homme. Est-ce que vous avez été faire la cour à Mme Volnys ? Je vous préviens que je suis très jalouse et par conséquent très amoureuse, et que je veux que vous soyez toujours à moi seule, entendez-vous ? Je t’aime, ma joie, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 33-34Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 12: Correspondence VHugo JDrouet

26 janvier 1836

26 janvier [1836], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour mon adoré chéri, bonjour bien-aimé. J’ai été réveillée de très bonne heure par ces petites péronnelles qui ont commencé leur sabbata à 8 heures du matin. Après leur avoir donné des instructions à la sourdine, je me suis rendormie jusqu’à présent. Tout le temps de mon sommeil a été occupé par des rêves dans lesquels tu tenais la plus grande et la meilleure place. Je t’aime mon cher Toto. Je suis très jalouse, ce que je t’ai dit hier au soir m’était inspiré par la jalousie la plus féroce, mais sois tranquille mon pauvre ange, de tous mes projets de vengeance si tu ne m’aimais plus, le seul que j’accomplirais ne ferait de mal qu’à moi, de honte à personne. Mais tu m’aimes. Je t’aime, nous serons longtemps heureux encore et je ne veux pas troubler mon bonheur par des prévisions qui ne se réaliseront jamais si tu es bien le Toto que je crois. Vous êtes bien trop beau pour un homme mon cher petit Toto. Je suis honteuse de moi quand je me compare à vous. Vos belles mains douces et vos ongles roses avec mes mains calleuses et mes ongles cassés, vos dents de marbre blanc avec mes petits clous de girofles forment un contraste qui n’est pas à mon avantage. Mon cœur seul est plus beau que le vôtre parce qu’il contient plus d’amour.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 35-36Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « sabat ».

26 janvier [1836], mardi soir, 8h. ¾

Mon cher petit homme, je vous écris un peu plus tard qu’à l’ordinaire parce que j’ai maintenant plus de vaisselle à laver et puisqu’il m’a fallu mettreClaire en train d’écrire à Mlle Watteville. Enfin mon cher bijou, m’y voici. Pauvre ange, tu as expliqué tantôt mieux que je ne l’aurais pu faire les causes de mon désespoir et de ma jalousie. Je te remercie, mon cher adoré, de ta patience d’ange, je t’en remercierais davantage si c’était possible. Quant à accepter la responsabilité de tes distributions de rôles au théâtre jamais je ne le ferai. Je ne veux pas avoir à me reprocher de sacrifier tes intérêts à mes jalousies tant que je ne les croirai pas plus fondées qu’à présent. Merci donc mon pauvre petit bien-aimé. Je suis plus satisfaite que tu aies eu l’intention de me sacrifier tes intérêts que si tu avais cédé à une exigencea de moi. Je t’aime mon adoré, je voudrais que ma vie te soit bonne à quelque chose. Je souffre quand je crois que je te gêne en quelque chose. Je voudrais te paraître toujours belle, toujours aimable et toujours bonne et l’impossibilité de te faire au moins cette illusion me donne des accès de désespoir si affreux que je suis prête à me tuer. Voilà pourquoi mon pauvre bijou je suis si méchante et si laide. Mais je t’aime. Je donnerais mon sang pour toi pour tous les tiens. Reviens vite, j’ai besoin de te caresserb. J’ai besoin de baiser tes mains.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 37-38Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa[Souchon]

a) « exigeance ». b) « caressé ».

Page 13: Correspondence VHugo JDrouet
Page 14: Correspondence VHugo JDrouet

27 janvier 1836

27 janvier [1836], mercredi matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon cher petit homme, m’aimez-vous ce matin ? Moi, je ne sais pas si je vous aime, mais je n’ai pas une pensée qui ne soit à vous, pas une pulsation, pas un souffle qui ne soit pour vous. As-tu bien dormi mon cher petit bijou ? Ne t’es-tu pas couché trop tard ? Moi, j’ai très bien dormi et n’était l’affreux événement que tu m’as raconté, j’aurais très bien dormi. Pauvre ami, c’est bien malheureux et bien triste ce qui est arrivé à ce pauvre Mr Durand . Aussi depuis que tu m’as dit cela, je ne peux pas m’empêcher d’avoir peine pour toi de tous les malheurs qui arrivent dans le monde. Mon Dieu, je t’en supplie, mon cher bien-aimé, prends bien garde à toi. Car si jamais un accident de ce genre t’arrivait, j’en mourrais sur la place ou j’en deviendrais folle. Mon cher petit Toto, mon cher petit bien-aimé, fais bien attention à toi. Vous avez laissé votre grosse canne ici ; quoique j’aie bien du bonheur à voir votre représentante, j’aimerais mieux que vous l’ayez emportée parce qu’elle peut vous défendre et vous protéger au besoin comme elle l’a déjà fait. J’attends ce matin cet ignoble D. [ou B. pour Barther ?] Cela m’ennuie, mais enfin il faut bien subir encore cet ennui pour la dernière fois. Mon Dieu que je t’aime. Mon Dieu que je vous aime. Je suis toute en vous mon Toto, je vous adore, venez vite me voir, vous ne serez pas fâché, je vous assure. Pensez à moi un peu, mon chéri. Je ne pense qu’à vous.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 39-40Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

27 janvier [1836], mercredi, 7 h. ¾

Mon cher petit malade, je t’aime. Mon pauvre ange souffrant, je t’adore. Écoutez, mon cher petit homme bien-aimé, il faut absolument que vous vous reposiez au moins quelques nuits. Si ce n’est pas pour vous, faites-le pour moi qui suis malade aussi et qui ai besoin de tranquillité et de repos. Et comment voulez-vous, mon cher adoré, que je sois tranquille quand vous êtes souffrant, comment voulez-vous que je dorme quand je sais que vous vous tuez pour moi. Cela n’est pas possible. Il faut donc, mon cher petit adoré, que tu me fasses cette concession, rien que le temps de te remettre un peu tes petits boyaux. Pendant ce temps-là nous mettrons une grande économie dans notre dépense et puis nous avons 50 francs dont nous pouvons disposer en toute sécurité de conscience, Claire étant chez moi. Ainsi, mon cher petit Toto chéri, tu n’as pas à te tourmenter pour ma maison. Je te prie de te tourmenter pour ma santé qui a besoin de la tienne pour être bonne. Je te prie d’avoir de la sollicitude pour mon bonheur qui consiste dans la possession de la chère petite personne en bon état. Pauvre petit enfant, je sais bien ce que tu souffres car ce que tu éprouves, je l’éprouve. C’est une attention du bon Dieu de m’envoyer en même temps que toi les mêmes maux. Je veux qu’il en soit toujours ainsi. Je veux souffrir quand vous souffrirez. Ainsi, arrangez-vous pour vous bien porter tout de suite. Mon cher adoré, je t’aime, mon Victor, mon grand Victor, je suis à tes pieds, à tes genoux, je les baise de toutes mes forces.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 41-42Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa [Souchon]

Page 15: Correspondence VHugo JDrouet

28 janvier 1836

28 janvier [1836], jeudi matin, 9 h.

Bonjour mon cher petit Toto. Comment as-tu passé la nuit ? Pauvre chéri, tu ne m’auras sans doute pas écoutée, tu auras voulu travailler et tu seras plus malade aujourd’hui. Je le crains plus que je ne le désire. Je voudrais te voir pour m’assurer que ton entêtement ne t’a pas trop nuia.Mon cher adoré, je n’ai pas d’autre chagrin que celui de te voir travaillant sans cesse et pour toi et pour moi. Si je pouvais trouver le moyen de te soulager dans ce travail excessif, je serais la plus heureuse, la plus gaie et la mieux portante femme du monde. Mais quand je sais que bien loin de diminuer ton fardeau je l’augmente de tout le poids d’une maison ruinée et ruineuse, je ne sais plus que devenir et je suis bien malheureuse. J’ai passé une assez bonne nuit quoique j’aie fait des rêves fort tristes à notre sujet. Cependant je me sens encore très souffrante ce matin et je vais rester au lit le plus que je pourrai. Mon cher Toto, je vous aime, allez. J’aurais bien plus de joie et de courage à travailler pour vous que je n’en ai à accepter votre dévouement de toutes les nuits. Non pas par une fierté stupide, mais parce que votre vie m’estb cent fois plus précieuse que la mienne. Je t’aime, mon cher ange. Je t’aime, je t’aime. Tiens, je t’aime encore plus qu’autrefois.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 43-44Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « nuit ». b) « mais ».

28 janvier [1836], jeudi soir, 9 h. moins 10 m.

Mon cher petit fugitif, vous n’avez fait que paraître et disparaître, et encore aviez-vous l’air très effaré. Si vous étiez resté plus longtemps, je vous aurai embrassé de tout mon cœur et je vous aurais bien remercié de votre bonne visite. Mais… vous vous êtes enfui comme si le diable vous emportait ou comme si vous aviez un rendez-vous très intéressant ou bien encore comme si vous alliez à une première représentation, ce qui me paraît assez probable, soit dit entre nous. Le Manière, ou l’individu à moustache qui venait de sa part, ne s’est pas représenté jusqu’à présent. S’il vient, je lui ferai une bellerévérence et j’irai au bal masqué avec lui. Han ! Han ! Cela vous apprendra à manger mes pommes quand je n’y suis pas : c’est-à-dire à aller aux premières représentations quand je n’y suis pas. Je vous aime mon cher Toto, je vous adore, mon petit homme, quoique vous soyez fort maussade et plus du tout jaloux. Je vous aime et si vous étiez bien avisé vous viendriez de bien bonne heure pour quelque chose… de très bon… Et vous seriez très bien reçu et je vous pardonnerais tous vos [illis.] J’ai écrit à Mr Pradier. Je vais écrire 3 autres lettres en manière de passe-temps et je vous promets, quoi que je fasse et quoi que je dise, de ne penser et de n’aimer que vous, mon cher petit bijou chéri. Je t’aime, je te baise, je te grogne et je suis très aimable en vous attendant.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 45-46Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 16: Correspondence VHugo JDrouet

29 janvier 1836

29 janvier [1836], vendredi matin, 10 h.

Bonjour mon cher petit adoré, bonjour. Comment vont tes petits boyaux ? J’en suis bien en peine sachant que tu t’obstinesa à travailler toutes les nuits, malgré cela. Moi, j’ai dormi comme un sabot, ce qui ne m’a pas empêchéeb de penser à toi et de t’aimer de toute mon âme. Je vais me lever aussitôt que je t’aurai écrit, pour faire mon ménage, mon pot au feu et pouvoir être prête dans le cas où tu viendrais me chercher. Il fait bien beau. Manière n’a pas encore envoyé mais il est encore bien bonne heure. Sais-tu que ta bûche ne s’est pas éteinte le moins du monde et qu’on l’a retrouvée ce matin tout à fait en feu ! Voilà ce qui fait que nous brûlons la chandelle par les deux bouts tout en voulant faire des économies. Mon cher petit Toto, je t’aime. Je voudrais devenir une grande ACTEUSE, d’abord pour jouer tous VOS RÔLES, et puis pour gagner beaucoup d’ARGENT, et puis pour vous ENRICHIR ce qui serait assez PHAME . Voilà les raisons qui me font désirer d’être quelque chose. Ce sont toutes des raisons d’amour, des raisons de jalousie, des raisons de tendresse. Je te prie, mon cher petit bien aimé, si tu vois jour à me faire avancer d’ici peu d’y employer tous tes moyens, tu me rendras un grand service et tu me feras un grand bonheur tout à la fois. Je t’aime tant mon adoré, je serais si fière et si heureuse de m’élever par toi et de te soulager dans la charge que tu as prise sans calculer tes forces et tes ressources, que tu peux bien me pardonner ce mouvement d’ambition qui n’est que de l’amour. Je te baise sur tes lèvres fraîches et parfumées comme un bouquet.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 47-48Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa [Souchon, Massin, Blewer]

a) « obstine ». b) « empêché ».

29 janvier [1836], vendredi soir

Je vous ai à peine entrevu, mon cher bien aimé. Je ne sais pas ce que vous devenez, mais il me paraît démontré que vous ne vous occupez que très peu ou pas du tout de votre pauvre Juju. Elle, c’est bien différent ; elle, elle ne s’occupe que de vous, ne pense qu’à vous, ne parle que de vous. Car elle vous aime, cette pauvre Juju-là, plus que vous n’avez été et ne serez jamais aimé, mon bon petit chéri. Mme Pierceau s’en est allée il y a un quart d’heure, et quelques minutes après Lanvin est parti à son tour. Je vous rends compte de toute ma journée à une mouche près. Vous avez paru étonné tantôt de ce que je n’avais pas lu mon journal ; cependant il n’y a rien de simple quand, comme moi, on a l’ouvrage d’une servante et la sienne propre à faire. Au reste, mon enfant, je suis sûre de moi et je sais que tous tes soupçons quand il t’arrive d’en concevoir sont parfaitement injustes. Je vous aime mon Toto, voilà votre [illis.] le plus gros et le plus fort. Je vous aime, ce mot-là est une garantie pour le présent et pour l’avenir. Je voudrais bien, mon cher petit homme, que vous veniez très tôt ce soir. J’ai un tas d’amour arrêté sur mes lèvres et dans mon cœur, qui ne demande pas mieux que de déborder sur votre bouche en torrents de caresses.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 49-50Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 17: Correspondence VHugo JDrouet

30 janvier 1836

30 janvier [1836], samedi matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher adoré, je suis bien mécontente contre vous mon cher petit homme, il n’est pas permis d’abuser à ce point de la crédulité d’une femme qui vous aime. Que vous est-il donc arrivé que vous n’êtes pas venu après m’avoir tant promis que je vous verrais ? Vous ne savez pas, vous, parce vous ne sentez pas l’amour aussi vivement que moi, combien vous m’avez fait de peine en me manquant de parole. Je suis très triste ce matin et je vous aime comme à l’ordinaire, de toute mon âme. Je suis un peu souffrante ce matin ; je ne sais pas si ce temps-là n’y est pas pour quelque chose, mais j’ai un mal de tête à n’y pas voir clair. Si vous étiez venu cette nuit, ça ne serait pas arrivé. Vous voyez bien, mon cher petit homme, que vous avez été doublement méchant en ne tenant pas votre promesse. Je vous cache depuis le commencement de ma lettre un soupçon affreux qui n’a fait que croître depuis que je vous écris : c’est que je crois que vous êtes allé au bal cette nuit et que contrairement à nos conventions vous y serez entré et de là, vous aurez été raccroché, intrigué et retenu jusqu’au matin où vous serez rentré chez vous sans avoir eu le temps de venir chez moi. Je vous avoue, mon cher bien-aimé, que cette idée n’est pas assez impossible pour que je ne m’en tourmente pas beaucoup jusqu’à ce que je vous aie vu. Je vous aime, MOI. Je vous aime bien à fond. Je serai bien triste et bien contente si vous ne m’avez pas trahi cette nuit.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 51-52Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 18: Correspondence VHugo JDrouet

31 janvier 1836

31 janvier [1836], dimanche matin, 10 h.

Bonjour mon cher adoré, comment vont tes yeux et tes pauvres petits boyaux ce matin ? Je viens de faire le plus vilain rêve de jalousie qu’ila soit possible de faire. J’en suis encore toute malade. J’ai bien besoin de vous voir, mon cher petit Toto, il y a bien longtemps que vous ne me donnez ce bonheur-là que bien fugitivement. Tâchez donc, mon cher adoré, de venir très tôt aujourd’hui et de rester très tard. Vous verrez comme ce procédé me remettra du cœur au ventre, comme je serai forte, bien portante et gaie. Mon chéri, mon Toto, mon bien-aimé, tâche de prendre un peu sur tes affaires pour le bonheur, nous ne serons jamais heureux plus jeunes, ainsi profitons-en donc. Vous étiez bien beau hier en vous regardant, mais vous étiez bien grand et bien noble en vous écoutant. J’aurais voulu être tout un monde pour vous admirer, mais je voudrais être seule à vous aimer parce que j’ai une âme capable de vous défrayer de tous les amours de toutes les femmes. Mon cher petit bien-aimé, ma joie, mon amour, soigne-toi bien, pense à moi et aime-moi : tu n’auras pas affaire à une ingrate, je t’assure. Mon chéri, je t’espère, je t’attends, je te baise, viens le plus tôt possible et prends bien garde à tes petits boyaux que je voudrais guérir avec mes baisers.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 53-54Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « qui ».

31 janvier [1836], dimanche soir, 8 h. 20 m.

Mon cher petit bijou, si vous venez très tôt ce soir, je vous donnerai une bonne petite prime dont vous vous LÈCHEREZ les doigts. Mon cher petit homme adoré, je ne t’ai jamais autant désiré que ce soir ; toutes mes facultés, toutes mes pensées sont tournées vers toi. Mon cher petit Toto chéri, vous voyez bien qu’il est très urgent que vous veniez de bonne heure ce soir. Nous venons de dîner. Tout à l’heure je laverai ma vaisselle mais je ne ferai pas mes comptes ce soir, parce que j’ai trop mal à la tête et qu’après tout, il t’est indifférent d’avoir ta fin de mois un jour plus tôt, un jour plus tard. Bonjour. Comment que ça va grand Taquin et [illis.]. Bonsoir mon chéri. Je ne veux pas aller au spectacle. Je veux aller me coucher avec vous. Si vous ne venez pas ce soir, je suis capable de me porter à tous les excès sur ma personne. D’abord je suis très en traina de me faire du chagrin et puis je suis très disposée à être JALOUSE. Mon cher petit homme chéri, vous pourriez en venant tôt tôt emporter et dissiper tous ces nuages gris et noirs qui obscurcissent mon ciel. Bonjour, bonjour, mon cher petit bonhomme –, bonjour mon vieux Toto, je vous baise les pieds, les mains, la bouche, les yeux, les cheveux et le reste. Je vous aime qu’on vous dit. Je n’ai pas mangé le plus petit morceau de vous depuis lundi, aussi j’ai bien faim.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 55-56Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « entrain ».

Page 19: Correspondence VHugo JDrouet

1 février 1836

1er février [1836], lundi matin, 10 h.

Bonjour mon cher petit Toto bien aimé, bonjour mauvais sujet, bonjour coureur de bals, bonjour. Nous avons été fièrement heureux, c’est dommage que ça n’a pas duré longtemps. J’espère que vous n’avez pas travaillé longtemps après m’avoir quittée, pour ne pas trop vous fatiguer. Que je vous aime mon Toto. Je ne peux vous dire que cela parce que je ne sens que cela. Je vous aime mon cher petit bonhomme. L’huissier du billet d’hier vient d’apporter sa carte. C’est Turlurette qui l’a reçue. Je ne m’en émeus pas autrement. Si tu pouvais venir me prendre pour aller chez cette propriétaire, peut-être ferions-nous bien de voir encore une fois l’appartement pour nous assurer quel parti nous en pouvons tirer et pour être sûr que les tableaux pourront y tenir, après quoi nous pourrons voir la propriétaire. Je continue à avoir mal à la tête. Pourtant nous avons usé dufameux remède, peut-être faut-il le recommencer plusieurs fois et d’unemanière très suivie. Vous seul êtes juge de cela, mon cher petit docteurAPOTHICAIRE. Je vais me lever, me dépêcher de faire mon ménage comme si vous deviez être le prix de ma diligence. Si vous venez de bonne heure, je ne serai pas du tout lasse et je n’aurai presque pas mal à la tête. Si vous venez tard, je serai tout cela. Je vous aime. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 57-58Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

1er février [1836], lundi soir, 8 h. ½

Bonsoir mon Toto bien aimé. Je vous aime mon Toto chéri. Nous venons de dîner, et puis, moi, je me suis cogné le bras au coupanta de marbre de la cheminée. J’ai cru que j’avais le bras cassé et à l’heure qu’il est la douleur est encore très vive. Je vous assure mon Toto que j’avais fait une excellentesoupe et que ces petites goistapiouses [1] s’en sont léchéb les barbes jusqu’aux yeux. Je me décore de plus en plus du cordon bleu dont MlleVictoire est la déesse. J’oubliais de vous dire que j’ai reçu une lettre de M. Pradier mais que je n’ai pas ouverte toujours par déférence pour votre jalousie supposée. J’ai beau prêcher d’exemple, vous n’en faîtes pas autant pour moi, témoins MmesTurlututu et autres dont vous m’apportez les missives après en avoir extrait tout le POISON ENIVRANTc (ROCOCO). Enfin, c’est égal, je fais loyalement mon devoir d’amoureuse, tant pis pour ceux dont la conscience se charge de crimes et de trahisons. Dites-donc, mon Toto, vous savez que je vous adore ? Vous savez que vous êtes toute ma richesse, tout mon avenir. Vous savez qu’il me faut votre amour pour vivre et votre personne adorée pour vivre heureuse. Si vous êtes bien conseillé, vous viendrez ce soir très tôt. Je vous baiserai bien et je vous caresserai à deux genoux. Je t’aime tant mon Toto.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 59-60Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « coupant ». b) « lécher ». c) « doublement souligné ». 

Notes[1] Féminin de goistapiou, qui signifie « garnement ».

Page 20: Correspondence VHugo JDrouet

2 février 1836

2 février [1836], mardi matin, 10 h.

Bonjour mon cher petit malade adoré, bonjour mon Toto chéri, bonjour. Comment va ta pauvre petite gorge ce matin ? Cela m’a bien inquiétée toute la nuit, je me suis réveillée d’heure en heure comme si j’avais eu à veiller auprès de toi, mon cher bien-aimé. Pauvre âme, il me semble que ton beau corps souffrirait moins si j’en avais la garde. Je le soignerais si bien, et cela sans que tu t’en aperçusses, que je préviendrais tous ces petits maux, qui viennent si mal à propos te faire souffrir et m’inquiéter. Je voudrais bien vous voir, mon pauvre chéri. Je suis vraiment tourmentée, vu votre manie de ne rien faire quand vous êtes malade. Tu devrais dans le cas où tu irais mieux et où tu sortirais de bonne heure venir me voir, seulement le temps de me tranquilliser, voilà tout. Je t’aime mon Victor adoré, il me semble que c’est plus de jour en jour. Mais la vérité est que je t’aime comme le premier jour, c’est ce qui est cause de cette illusion. Mon cher petit Toto chéri, je vais me lever faire ma cuisine et mon ménage, et puis je penserai bien à vous et puis je vous aimerai de tout mon cœur. Je viens de donner un verbe à Claire et puis deux lignes d’écriture. Malheureusement je ne suis pas assez forte pour lui donner des fameuses phrases bibliques comme celle que vous lui avez écritea hier, affreux scélérat.Bonjour ma joie, bonjour mon Toto chéri. Je me mets sur ta belle bouche pour aspirer tout ton bobo. Je voudrais me mettre à la place où tu souffres pour te faire un peu de bien avec le baume de mon cœur.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 61-62 Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « écrit ». 

Page 21: Correspondence VHugo JDrouet

3 février 1836

3 février [1836], mercredi matin, 10 h.

Bonjour mes chers petits hommes, comment allez-vous ce matin, mes bons petits amis ? Avez-vous un peu dormi au moins, vous trouvez-vous mieux ? Moi, j’ai fort peu dormi et bien mal dormi, préoccupée que j’étais par la pensée que vous étiez tous les deux souffrants. J’ai rêvassé toute la nuit en me réveillant d’heure en heure, croyant toujours entendre la porte s’ouvrir. C’est la première fois que je redoute de te voir au milieu de la nuit. Enfin, j’espère qu’il n’est rien arrivé de fâcheux puisque tu n’es pas venu, mon pauvre bien-aimé, et j’espère aussi que tu te seras reposé un peu cette nuit. Cependant je voudrais te voir, je serais plus tranquille. Si tu savais, mon Toto adoré, je t’aime avec le cœur, avec les entrailles. Je t’aime dans toute l’acception du mot : je t’aime. Je vais me lever et faire mes affaires et puis je serai bien triste si je ne te vois pas avant ce soir, parce que malgré moi je croirai que c’est que ton pauvre petit ange est plus malade. Tâche de faire tout ton possible pour venir, ne fût-ce que cinq minutes, pour me dire comment vous allez et comment vous avez passé la nuit tous les deux. En attendant, mon cher petit bien aimé, je vais bien penser à toi, je vais bien travailler et bien t’aimer. Toi, soigne-toi bien, ne te fatigue pas et aime-moi un peu. Je baise vos quatre petits pieds et toutes vos petites mains blanches et roses.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 63-64 Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

3 février [1836], mercredi soir, 8 h. ¼

Si je t’ai fait de la peine, mon bien aimé, je t’en demande pardon doublement car je reconnais que tu es dans une position déjà triste et qui demande des ménagements surtout de moi. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi j’ai laissé échapper une plainte quelconque sur ma manière de vivre plutôta aujourd’hui qu’hier ; ma position, je l’accepte sans aucun regret, ainsi je n’ai pas de raison pour revenir sur une résolution que toi seulb pourrais détruire. Je crois m’apercevoir que tu m’aimes moins, je crois même en être sûre d’après toutes les impatiences qui t’échappent comme malgré toi, et puis par d’autres signes encore et qu’il serait trop long de consigner sur une feuille de papier. J’ai bien avec moi un Victor dévoué, mais je n’ai plus mon Victor amant d’autrefois. Si cela était, comme je le crois de plus en plus, il est certain que ton devoir serait de me quitter et tout de suite. Car jamais je n’ai prétendu vivre avec toi autrement qu’en maîtresse aimée et non en femme dépendante d’un ancien amour. Je ne demande ni ne veux de pension de retraite. Je veux ma place entière dans ton cœur isolée de toute espèce de devoir ou de reconnaissance. Voilà ce que je veux. Comme je veux être la femme honnête et soumise à tous tes désirs plus ou moins justes. Si je t’ai fait de la peine, mon cher bien-aimé, je t’en demande pardon du plus profond de mon cœur. Si tu as à te reprocher de me cacher une décroissance d’amour, aie le courage de me le dire et ne me laisse pas l’affreux soin de le deviner. Si tu m’aimais encore autant qu’autrefois, dis-le moi encore car j’en doute et que le doute en amour vaut la plus horrible certitude. À bientôt. Moi, je t’aime. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 65-66Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa[Guimbaud, Massin] 

a) « plus tôt ». b) « seule ». 

4 février 1836

4 février [1836], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour mes chers petits amis, comment avez-vous passé la nuit, mes pauvres petits bien-aimés ? J’ai bien pensé à vous toute la nuit. Je me suis réveillée bien souvent pour vous plaindre et pour vous aimer. Aussi, ce matin j’ai un mal de tête effroyable, c’est à croire que je

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vais rester au lit. Il me semble que si vous alliez mieux ce matin et que j’en eusse la certitude, cela me calmerait et dissiperait cette calotte de plomb que j’ai sur la tête. Pour cela il faudrait que mon grand Toto vienne me voir une seule minute ce matin, ce qui n’est pas probable, donc je garderai mon mal de tête. Pauvre petit homme chéri, j’ai bien été injuste hier, et tu as été bien bon, toi. Je l’ai bien senti et je t’en ai remercié dans le fond de mon cœur. Tu as bien fait de venir hier au soir, tu m’as fait du bien. Je n’aurais pas pu reposer de la nuit avec le souvenir de mon injustice sur le cœur et la crainte que ton enfant ne soit plus malade. Merci mon cher bijou, merci mon cher adoré. Pauvre ami, j’ai un si grand mal de tête que je ne sais pas ce que je t’écris, mais je sais que je t’aime de toute mon âme, cela me suffit et je ne m’inquiète pas du reste. Je suis sûre qu’il y aura toujours : je t’aime dans la lettre et c’est tout ce que j’ai à te dire, tout ce que je veux te dire. Si Mme Lanvin vient, j’enverrai Claire chez son père, avec les petites instructions relatives à nos affaires. Il faut cependant que je me lève. En vérité, je ne sais pas comment faire, je n’y vois pas et je suis imbécilea. Pour me sonner des forces et du courage, je vais penser à toi et puis je vais t’aimer encore plus. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 67-68Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « imbécille ». 

4 février [1836], jeudi soir, 9 h.

Je t’écris un peu plus tard que d’habitude, mon cher bien-aimé, parce que le dîner est venu tard et que les Lanvin ne viennent que de partir. Je t’aime mon Toto chéri. Si tu étais bien gentil, tu viendrais t’en assurer en chair, en os et en âme ce soir. Je suis bien contente que notre pauvre petit Toto aille mieux, cela te permettra de venir un peu plus tôt, et j’espère que je pourrais dormir cette nuit car depuis que ce pauvre petit ange-là est malade je ne peux pas dormir tranquille. Mon petit bien-aimé, tu as bien parlé tantôt à Mme Lanvin. Comme je t’admirais, comme j’étais fière de toi. Je pensais qu’il n’y avait que toi au monde pour être aussi noble et aussi généreux dans tes paroles et dans tes actions, abstraction faitea de ta belle figure et de ton génie. Je t’aime mon Victor. Je te dis toujours la même chose avec les mêmes mots parce que je n’ai qu’un sentiment, l’amour, et que je n’ai pas d’esprit pour le dire de toutes les façons. Je suis comme une belle fille qui n’aurait qu’une robe pour toute toilette, moi je n’ai qu’un mot pour te dire tout mon cœur : Je t’aime, et puis je t’aime, et puis encore je t’aime. Viens de bonne heure mon Toto, nous serons bien heureux. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 69-70Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « abstractions faites ». 

5 février 1836

5 février [1836], vendredi soir, 8 h. ½

Je suis rentrée chez moi en bonne compagnie, comme vous savez mon cher petit bijou. J’ai

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trouvé la porte ouverte sous prétexte que Mme Lanvin était venue avant d’aller au conseil. J’ai trouvé aussi que les petites s’amusaient à me découdre les tableaux pour avoir des perles de jais, ce qui m’a paru une invention indrôle (comme dirait M. V.) Enfin, moitié malade, moitié en colère, j’ai dîné et me voici vous racontant toutes mes infortunes. Savez-vous que je vous aime mon bien-aimé ? Savez-vous que vous que vous êtes mon bijou le plus précieux ? Savez-vous que vous êtes mon grand tout ? Décidément si notre mobilier est un si grand obstacle à notre logement, je suis tout à fait décidée à ce que nous le vendions pour faciliter les emménagements et les déménagements et pour mettre un peu de beurre dans nos épinards. Je te conseille d’y réfléchir et de voir si l’Allemand voudrait s’en accommoder. Outre la rentrée de ses fonds, et l’extinction d’une dette pour nous, il aurait l’avantage de posséder le mobilier le plus inlogeable de tout le royaume, ce qui n’est pas à dédaigner par les maisons qu’on fait. Au reste pensez-y, je suis toute prête. Je t’aime. Voilà la vraie, la grande, la seule affaire de ma vie. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 71-72Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

6 février 1836

6 février [1836], samedi matin, 7 h. ¾

Bonjour mon cher petit Toto, tu vois par l’heure à laquelle je t’écris que je suis réveillée de très bonne heure. J’ai attendu que le jour vînt pour t’écrire, car ma première et ma seule pensée est toujours pour vous. Je vous aime, mon petit Toto, bien plus que vous ne croyez, je vous aime de toute mon âme et de tout mon corps. Je vous aime avant et par-dessus toute chose. J’ai passé une assez mauvaise nuit. J’ai fort peu dormi mais j’ai toujours pensé à toi. Je n’ai pas encore vu les fameuses Demoiselles ; je me prépare à nouveau à leur faire une morale un peu sévère pour les empêcher de recommencer de sitôt. Bonjour, comment ça va, mon petit mouton somnambule (comme vous vous appelez). J’adore ce nom là. Comment que vous avez passé la nuit mes chers petits hommes ? Avez-vous un peu dormi tous les deux et notre petit garçon va-t-il mieux ce matin ? Je donnerais bien des années de ma vie pour pouvoir entrer librement dans votre chambre la nuit. Je vous baiserais tant, j’aurais tant soin de vous, mes deux petits amis, que vous seriez forcés de bien dormir et de ne pas souffrir. Mais il y a entre nous bien plus qu’une porte d’airain, ou qu’un mur de cent mille pieds de haut. Aussi je suis forcée de garder ma bonne petite recette et de vous laisser souffrir en souffrant plus que vous de vos bobos. Je t’aime mon cher adoré, je te désire et je t’attends. Viens le plus vite possible que tu pourras, tu me rendras bien heureuse. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 73-74Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

7 février 1836

7 février [1836], dimanche matin, 10 h. ½

Bonjour mon cher adoré, je vous écris un peu tard mais c’est parce que j’ai attendu mon papier. Ça ne m’a pas empêché de ne penser qu’à vous, mon cher adoré. Savez-vous que je vous aime de tout mon cœur et de toutes mes forces ? Je voudrais bien savoir comment tu as passé la

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nuit et comment va le cher petit Toto-Victor Hugo. J’espère te voir très tôt aujourd’hui dimanche, et puis il fait bien beau temps pour aller voir les logements. J’ai passé une meilleure nuit que les précédentes quoique je n’aie pas beaucoup dormi. Je me suis levée tard parce que je suis fatiguée mais je vais me dépêcher de faire mes affaires pour être toute prête dans le cas où tu viendrais me chercher pour sortir. J’ai été bien heureuse hier au soir, c’est dommage que le bonheur dure si peu et arrive si rarement. Je ne peux pas me lasser d’être avec toi, plus je te vois, plus je t’aime, plus je t’aime et plus je sens le besoin de t’aimer. Voilà sous quelle pression je vis. Toto, aimez-moi et ne me demandez pas pourquoi je souffre et je pleure quand je ne vous vois pas, monsieur. Je vais me dépêcher. J’ai dans la pensée que cela me portera bonheur et que vous viendrez très tôt aujourd’hui. Aussi je vous embrasse déjà pour vous remercier et je vous aime bien fort, bien fort. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 75-76Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

7 février [1836], dimanche soir, 8 h. ¾

Mon bon petit Toto, mon cher petit homme, je vous aime, et je suis bien lasse. Savez-vous que pour me défatiguer il m’a fallu faire ma cuisine. Si j’avais été seule ce soir, je n’aurais pas mangé plutôt que de me lever de dessus ma chaise mais ces deux petites Gargantua n’entendent pas railleries à l’endroit de leur dîner. Enfin, c’est fini, je n’ai plus que ma vaisselle, dernière corvée de la soirée après quoi je suis toute entière corps et âme à mon cher petit Toto bien aimé. Pauvre petit bien aimé, tu as bien mal à l’œil. C’est bien triste pour moi de penser que la cause principale de ton mal vient de l’excès de travail que tu fais pour moi toutes les nuits. Cher petit Toto, je te conjure au nom de notre amour, au nom de sa durée même de chercher un moyen pour trouver de l’argent. Soit avec les meubles, soit avec les choses qui sont au Mont-de-Piété. N’importe avec quoi pourvu que tu te reposes. Je suis capable de vendre moi-même au premier fripier venu toute ma défroque pour t’empêcher de te crever les yeux comme tu fais. Je t’aime mon bien aimé. J’aime tes yeux, j’aime ta vie. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 77-78Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

7 février [1836], dimanche soir, minuit 10 m.

Quoique tu m’aies prévenue que tu ne pourrais peut-être pas venir ce soir, je n’en suis pas moins très triste et très inquiète. Je crains que ton petit Toto ne soit plus malade. Et puis, s’il faut tout t’avouer au risque de me faire tirer ce qui me sert d’oreilles, je crains que vous soyez allé à quelques soirées ou à quelques bals. Aussi je vais me coucher entre ces deux idées aussi tristes et aussi tourmentantes l’une que l’autre. D’un côté ton cher petit Toto malade, de l’autre votre trahison. Je vais encore très peu et très mal dormir cette nuit. Bonsoir donc mon cher petit homme, je vous aime et je vous plains si vous êtes retenu près de votre cher petit malade. Je vous crève ce qui vous reste d’yeux et je vous déteste si vous êtes à faire le vainqueur de quelquesguincheries bancales. Je me couche, je vais fermer mes portes et envoyer mes petites péronnelles coucher, et puis je penserai à vous et puis je vous aimerai et puis je ragerai. Et toujours de même jusqu’à ce que je vous ai revu et que je vous ai pardonné tous vos trimes.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 79-80Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

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8 février 1836

8 février [1836], lundi, midi ½

Mon cher petit Toto, quoique j’aie été avec vous toute la matinée ce n’est pas une raison pour me priver du bonheur de vous écrire, aussi je fais comme si de rien n’était. Tu as été un fameux bon Toto d’être venu me prendre ce matin pour faire tes excursions candidatiques [1]. Si vous étiez bien inspiré, vous viendriez tous les jours ainsi. Soit pour les promenades extra-muros, soit pour les promenades intra-muros dans mon lit, vous seriez toujours sûr d’être le bienvenu, comme ce matin. Quel beau soleil. Nous devrions en profiter pour chercher des logements. J’ai oublié les deux volumes dans le cabriolet, je ne sais pas si tu t’en seras aperçu, ou si le cocher aura eu la délicatesse de les garder. Enfin, je les ai oubliés. Je t’aime mon cher petit Toto, je te remercie de tout mon cœur d’être venu me prendre. Je te supplie de faire toujours ainsi. Je me porte à ravir ce matin. J’ai mangé comme quatre, je me suis chauffée comme trente-six et j’en avais besoin. Enfin, je t’aime, je t’aime et puis je t’aime et puis tu es mon Toto adoré. Je te baise sur tout toi. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 81-82Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

8 février [1836], lundi soir, 8 h. ¼

Mon cher petit Toto chéri, je vous attends sous les armes, prête à tout événement. Je viens de voir Mme Lanvin et le fameux cousin, qui sont venus me remercier ou plutôt te remercier du plaisir que tu leur as procuré ce soir. Moi, mon cher petit homme, j’attends que vous m’en procuriez ; du plaisir. Et en attendant, je vous aime comme on aime pas dans ce monde-ci. Vous seriez bien gentil si vous vouliez venir très tôt tréteaux. Je ne vous aimerais pas davantage parce que cela n’est pas possible mais je serais plus heureuse ou plus GEAIE, selon que nous resterions à la maison, à faire l’amour, ou que nous irions à la Porte [Saint] Martin voir la parodie de Mme Deligny du théâtre St Antoilea par la monstrueuse Mlle GORGE [2]. Mon cher petit Toto, mon bien aimé, viens ou ne viens pas, je t’aime. Te voir un peu plus tôt ou beaucoup trop tard n’est qu’une question de beaucoup de bonheur en plus ou moins mais pas une question de [cœur  ?]. Je t’aime mon Toto, je t’adore mon grand Victor. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 83-84Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) La lecture n’est pas douteuse. Jeu de mots sur le nom du Théâtre de la Porte-Saint-Antoine. 

Notes[1] Hugo est candidat à l’Académie française pour la première fois. Il sera battu, le 18 février, par Dupaty. Après plusieurs autres candidatures malchanceuses, il sera finalement élu en 1841.

[2] Il s’agit probablement de Mlle George, devenue très plantureuse, et dont Juliette reste jalouse. La pièce et sa parodie restent à élucider.

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9 février 1836

9 février [1836], mardi matin, 10 h. ¼

Bonjour mon cher bien aimé, comment as-tu passé le reste de cette nuit ? Moi, grâce au bon mouvement que tu as eu, j’ai passé une assez bonne nuit. Ce matin, je t’aime comme à l’ordinaire sinon plus. Il y a beaucoup de choses injustes et exagérées que je t’ai dites hier, et que je rétracte ce matin. Cependant la résolution que je t’ai manifestée tient plus que jamais dans mon esprit. Je ne vois pas d’autre moyen de nous soustraire tous les deux à des soupçons odieux et révoltants pour l’un comme pour l’autre. Ceci, mon cher bien-aimé, c’est de l’amour, mais c’est de l’amour BLESSÉ dans ce qu’il a de plus saint et de plus sacré. Je voudrais qu’à partir d’aujourd’hui nous n’en reparlions plus, c’est un sujet trop triste, pour moi du moins. La journée s’annonce aussi belle aujourd’hui que celle d’hier, seulement sa beauté sera dans son ciel au lieu qu’hier elle était dans tes yeux et dans mon cœur. Je vais me lever, quoique je sois très fatiguée mais je pense que tu viendras me chercher pour courir les appartements et je veux être toute prête. Je t’aime mon bien-aimé. Je t’aime d’un amour bien profond et indéracinable. Je te le prouve tous les jours et à toutes les heures de la journée. Je t’aime. Sois heureux, sois content car je t’aime de toute mon âme. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 85-86Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

9 février [1836], mardi soir, 8 h.

Je n’ai pas encore dîné, mon cher petit homme, parce que le feu n’était même pas allumé lorsque je suis rentrée. Au reste cela m’est d’autant plus égal que je sais que tu ne viendras pas me chercher pour aller voir Lucrèce ni pour autre chose encore moins. Mon cher petit bien-aimé, je te laisse tout à fait maître de décider pour le logement. Celui que tu choisiras sera le mieux, quel qu’il soit. Seulement, je te ferai observer que dans l’état de gêne excessive où nous sommes et où nous serons le loyer de 600 F. par an plus 46 F. pour le demi-terme me paraît écrasant. Ensuite, la question du passe-partout n’étant pas approfondie, il serait fort triste d’avoir un désappointement de ce côté une fois liés. Enfin, mon pauvre ange, pensez-y et faites. Je t’aime mon Toto, je ne t’ai jamais plus aimé qu’à présent. J’ai bien vu la jolie petite mine que tu m’as faite tantôt en rentrant. Si je ne te réponds pas au PHYSIQUEa je te réponds dans le fond de mon cœur, n’est-ce pas la même chose ? Je t’embrasse mon adoré, je t’aime, je t’aimerai jusqu’à la fin de ma vie, ici et ailleurs. Viens vite si tu peux, pense à moi si tu m’aimes. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 87-88Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « phisique », le mot est souligné deux fois. 

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10 février 1836

10 février [1836], mercredi soir, 9 h. ½

Bonjour mon cher petit frère ou mon cher petit chien, ou mon cher petit chat. Comment que ça va ce matin ? Nous avons échappé à un grand malheur hier, sans nous en douter ; peu s’en est fallu que nous n’ayons plus eu besoin d’autre appartement que le Cabinet de l’hôtel garni. J’en suis encore toute tremblante. Voici ce que c’est : en ouvrant Mon volet, ce matin, j’ai trouvé mon rideau de mousseline brûlé de toute la hauteur d’un carreau. Je me suis informée de ce que c’était : on m’a répondu qu’hier au soir en voulant ramasser quelque chose à terre, on avait mis le chandelier sur le rebord de la croisée, qui avait mis le feu plus que naturellement au rideau. Maintenant, il faut leur savoir gré d’avoir eu le courage et la présence d’esprit de l’éteindre avec leurs mains car sans cela toute la maison était brûlée. Dorénavant, je ne les laisserai plus dans mon appartement à moins que je sorte au moment où il faut montrer l’appartement. Tout cet événement a pris la place des verbiages de cœur que je te fais chaque jour matin et soir, mais je peux te dire avec un mot ce que [je] te dis avec toute la langue : je t’aime, mon Toto bien aimé, je t’adore, je suis à toi. Fais de moi ce que tu voudras, bats-moi si tu veux, mais aime-moi. À bientôt mon chéri, je pense à toi et je vous aime. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 89-90Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

11 février 1836

11 février [1836], jeudi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon cher petit frère adoré, je t’aime mon Toto chéri et il ne tient qu’à toi de commettre un inceste. En attendant, je voudrais savoir comment tu as passé la nuit, comment va ta chère petite gorge. Moi, j’ai assez bien dormi. Je me suis réveillé à 8 h. ¾. J’ai arrangé mon feu qui avait brûlé toute la nuit comme tu l’avais bien prévu, et puis je t’écris, et puis je pense à toi avec tendresse, et puis je te désire de toutes mes forces. Dans trois heures environ, vous ne serez pas ACADÉMICIEN, mon cher petit Toto et vous pourrez vous en VANTER. Moi, qui ne tiens pas aux avantages politiques lorsqu’ils sont habillés d’un habit académique, je fais les mêmes vœux que mademoiselleDidine et je me réjouis à l’avance de vous conserver sans aucun persil. Je n’y mets pas d’autre sel qu’un grain de bon sens et d’amour. J’espère mon cher petit Toto que vous viendrez vous réjouir avec moi du succès du CAPITAINE DUPATY  [1]. Je vous attends. Je vous aime de tout mon cœur et je serais bien contente si vous veniez très tôt. En attendant, je vous baise bien fort et bien long, pour que mon baiser aille jusqu’à vous. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 91-92Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Notes[1] Emmanuel Dupaty (1775-1851) est élu au fauteuil de Lainé le 18 février 1836 avec 18 voix contre 12 au comte Molé et 2 à Victor Hugo. Mais, au premier tour, Dupaty avait obtenu 12 voix, Hugo 9 et Molé 8.

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12 février 1836

12 février [1836], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon cher petit Toto, comment te sens-tu ce matin ? Ta pauvre gorge, comment va-t-elle ? Cette disposition au mal de gorge que tu as eu tout cet hiver annonce un grand échauffement qu’il faudrait combattre par des soins et des rafraîchissements que tu dédaignes de prendre. Cependant, si tu m’aimais autant que je t’aime, mon cher amour, tu prendrais soin de ta chère petite personne et tu ménagerais davantage tes veilles pour qu’elles puissent durer plus longtemps. Je te dis tout cela pour t’engager à ménager ta santé et ton repos qui me sont bien autrement plus importants que tout le reste. Je voudrais que tout fût vendu, que j’aie un engagement suffisant pour me faire vivre et tu verrais, mon cher petit Toto, que tu te reposerais, que tu serais heureux et moi aussi. Car, vois-tu, je te le dis parce que c’est bien la vérité, mais cela me tourmente jusque dans mon sommeil de savoir que tu travailles toutes les nuits sans relâche. Mon pauvre cher bien aimé, trouvons un moyen de te donner du repos, n’importe à quel prix. Je t’aime. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 93-94Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

12 février [1836], 9 h. du soir

Mon pauvre cher adoré, je ne vous ai vu qu’un tout petit peu ce soir, et encore vous aviez l’air tout mouzon devant le monde. Je t’aime, moi, tout ce que je te dis de folie veut dire que je t’aime. Je voudrais te parler comme à un enfant pour avoir le droit de te caresser comme un enfant bien aimé. Cher petit homme, je regrette d’un côté les politesses que je fais de l’autre, car je pense avec remords que ce sont autant d’heures de ton sommeil qui s’en vont dans ces bonnes grâces forcées. Ma chère âme, je voudrais tant me substituer à toi. Je voudrais tant que ce soit moi qui veille et toi qui dormes. Je serais si heureuse que je donnerais à l’instant tout ce qui me reste de jeunesse pour te prouver que je t’aime comme tu mérites d’être aimé. Oh ! oui, je le ferais à l’instant ce sacrifice-là, si tu pouvais m’aimer vieille et laide au-dehors mais jeune et pleine d’amour au-dedans. Mon frère adoré, mon amant bien aimé, venez vite, je vous aime plus que je ne puis dire. Je baise vos petits pieds et vos mains microscopiques. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 95-96Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

13 février 1836

13 février [1836], samedi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon pauvre petit malade. Comment vas-tu ce matin ? Je crains que tu n’aies prolongé ton mal en travaillant cette nuit. Pauvre Toto adoré, je n’ai plus le courage de te dire toutes mes angoisses à ce sujet-là. Ce qu’il faudrait pour t’empêcher de te tuer pour moi, ce ne sont pas des paroles, je le sens bien, aussi je souffre de tes souffrances sans oser te plaindre, ni mea plaindre. Je t’aime mon Victor bien aimé, je t’aime de toutes les forces de mon âme. Il y a bientôt trois ans que j’ai le bonheur de te le dire, mais il y a plus longtemps que je t’aime. Je t’aime depuis le jour où je t’ai vu, je t’admire depuis le jour où je t’ai lu. Mais s’il y a un commencement à mon amour et à mon admiration, je suis sûre qu’il n’y aura pas de fin. À moins que l’âme et l’intelligence ne périssent avec le corps. Autrement vous en avez pour l’éternité, de mon amour, ce qui vous effraie peut-être, mon cher petitvolage. Mais prenez-en votre parti car ce sera comme cela. 

Page 29: Correspondence VHugo JDrouet

Je vais me lever pour être prête lorsque vous viendrez me chercher. J’ai eu bien mal à l’estomac toute la nuit mais c’est un passé maintenant. Et puis je t’aime. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 97-98Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « me » est répété par inadvertance. 

13 février [1836], samedi soir, 9 h.

Mon cher petit bijou, je vous aime tout plein et plus encore. Vous m’avez joliment fait tourner en chien ce soir mais je vous pardonne. Je vous pardonnerai encore bien plus si vous venez très tôt à dix heures et demie. Je me sens dans de très bonnes dispositions ce soir, ainsi vous n’avez qu’à vous préparer à… bien des choses. Je pense que nous sommes parfaitement en règle maintenant sauf les petites tribulations que nous aurons à supporter au fur et à mesure. Je suis très fâchée que cette harpagone de propriétaire se soit arrangée ainsi. J’avais tant compté sur cet argent pour te laisser reposer un peu. On dirait vraiment que tous les diables s’en mêlent comme si ce n’était pas assez de notre position purement et simplement. Enfin, mon pauvre cher bien-aimé, je vais redoubler d’efforts pour économiser et mettre de l’ordre dans ma dépense. Tu vois au reste, mon pauvre petit adoré, que je ne recule pas devant la fatigue et la persévérance. Le secret de ma force et de ma constance est dans mon amour. Je t’aime mon Toto chéri, je t’adore mon Victor. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 99-100Transcription d’André Maget assisté de Guy Ros

14 février 1836

14 février [1836], dimanche matin, 9 h. ¾

Bonjour mon beau Toto, comment que ça va mon chéri ? Si vous êtes comme moi, vous vous portez très bien et vous avez passé une très bonne nuit. Lespécifique a très bien agi. Il fait bien beau et bien froid ce matin. Je suis encore dans mon lit d’où j’ose à peine passer le bout de mon nez tant le froid me paraît vif. Je t’aime, toi, je ne pense qu’à toi. Je n’ai besoin que de toi. Je ne sais pas ce que je deviendrais s’il me fallait vivre maintenant sans toi, je crois que je ne vivrais pas. Aussi, mon cher petit Toto adoré, tu peux être bien sûr que je ferais tout mon possible pour solidifier notre avenir. J’ai fait toute la nuit des rêves de contrariété sur notre logement et sur les portiers mais ce ne sont que des rêves. J’ai été plus heureuse dans ceux que j’ai faits de toi. Nous étions bien charmants et bien GEAIS et nous nous aimions autant qu’éveillés. Mon cher petit Toto, je vais me lever, je vais bien travailler pour que vous soyez content de moi et que vous m’aimiez de toutes vos forces. En attendant que je baise votre vraie bouche, je baise votre souvenir. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 101-102Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

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14 février [1836], dimanche soir, 8 h. ¼

Mon bon petit cher Toto, je t’aime de toute mon âme encore et bien plus que cela s’il [y] avait un nom, un chiffre, capable de déterminer la somme d’amour que j’ai pour toi. Je seraia bien joyeuse si tu peux venir de très bonne heure, mais je serai bien bonne et bien résignée si tu travailles. J’ai mangé ma fameuse douzaine d’huîtres et mes marrons et bu mon vin deSYRACUSE. Je suis très bien portante et prête à tout. Je viens d’envoyer coucher [fuisinette ? foirinette ?] deux à cause de certains airs grognons dont tu t’es déjà aperçu et qui devient de jour en jour plus désagréable. Aussi j’ai usé de ma sévérité ce soir et j’ai envoyé coucherb immédiatement après le dîner. Je te raconte tout cela mon cher petit homme parce que je sais que tu as la bonté de t’occuper de tout ce que je fais. Je t’aime mon cher petit bijou, je vous n’aime mon beau garçon, je suis bien amoureuse de vous mon cher petit amant bien aimé. Je vous désire, je vous espère et je vous attends avec patience. 

J.

a) « serais ». b) « couché ». 

15 février 1836

15 février [1836], lundi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon bon petit Toto. Comment as-tu passé la nuit, mon cher petit homme ? Tu ne dors pas, tu travailles sans cesse, je ne sais pas comment tu peux y tenir. Hier, ou plutôta aujourd’hui, après que tu m’as eu quittée, j’ai eu toutes les peines du monde à me rendormir. Aussi je t’ai joliment aimé. Pauvre ange, je pensais avec une joie triste que tu m’aimais, que tu te dévouais à moi, j’aurais voulu me coucher à tes pieds et les baiser pendant que tu dormais. Je voudrais me fondre en toi. Je me suis levée un peu plus tard que d’habitude ce matin parce que j’ai souffert de coliques cette nuit. Il fait bien beau temps aujourd’hui. Cela me fait penser à notre délicieuse matinée de l’autre jour. Je voudrais que ce fût aujourd’hui. Quand tu viendras, mon cher bien-aimé, tu trouveras une bonne petite femme t’aimant de toute son âme, travaillant bien dans le jour pour tâcher de te rattraper dans ton héroïsme de la nuit. Je t’aime, je te baise, tu es ma vie, tu es mon soleil, tu es tout ce qui est beau et bon. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 105-106Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « plustôt ». 

15 février [1836], lundi soir, 8 h. ½

Oh ! Ah ! Oh ! Oh ! Ha !!! Je n’en ai jamais vu de si grand, de si gras et de si dodu, j’ajouterais même de si tendre ! Enfin, quoi qu’il en soit, j’en suis venue à bout, je l’ai dépecé, je l’ai coupé, je l’ai mangé. Je ne le porte pas en compte à cause du……………………. de poulet que je vous ai vendu d’avance. Je vous aime, mon cher petit Toto, quoiqu’il me soit clairement démontré que vous m’avez trahie tantôt. J’ai interrogé les enfants. L’un dit : avoir vu un chapeau noir, l’autre un chapeau blanc, en prenant le terme moyen je trouve un chapeau rose. L’un dit : Pandolfo, l’autre Roderigo. Je vais faire mettre la moitié de la ville à la question [1]. 

Page 31: Correspondence VHugo JDrouet

Toujours est-il certain que vous me trompez et que je vous aime de toute mon âme absolument comme si vous étiez le plus fidèle des amants. N’est-ce pas que tu ne me trompes pas mon cher Toto ? N’est-ce pas que tu n’aimes que moi ? N’est-ce pas que tu ne pourrais pas aimer une autre femme ? Moi, je t’aime. C’est bien vrai. Je donnerais toute ma vie pour te le prouver une bonne fois. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 107-108Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Notes[1] Juliette Drouet parodie d’abord Angelo tyran de Padoue, où le nom de Rodolfo, amant de Caterina (femme du tyran Angelo) est livré par Homodei à deux sbires qui ne le retiennent pas. L’un (Orfeo) croit avoir retenu « Roderigo », l’autre (Gaboardo) croit avoir retenu « Pandolfo » (Journée III, scène 3). Puis elle parodie Lucrèce Borgiaou Gubetta, après l’offense faite par Gennaro au nom Borgia (transformé en Orgia), dit « voilà un calembour qui fera mettre demain la moitié de la ville à la question » (Acte I, partie II, scène 3).

16 février 1836

16 février [1836], mardi 9 h. ½

Bonjour toi, bonjour mon bien-aimé. Bonjour mon Victor adoré. Il y aura ce soir trois ans que vous êtes mon cher petit amant. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je vous aime encore plus que le premier jour quoique je ne sache comment cela a pu se faire puisque je vous aimais alors de toute mon âme. Mon bon petit Toto, comment as-tu passé la nuit ? As-tu sentia que je t’aimais, que mon âme et ma pensée veillaient avec toi pendant que tu travaillais pour moi ? Tu ne sais pas, mon cher bien aimé, combien je t’aime. J’éprouve une difficulté insurmontable à te le dire, parce que je pense dans une langue ( celle du cœur ) qui ne se traduit pas facilement dans celle de l’esprit que j’ignore complètement. Mais que je te le dise mal, c’est un inconvénient sans doute, mais si tu vois le fond de mon cœur à travers le barbarisme de mon langage, tu dois être bien heureux et bien fier d’inspirer un pareil amour. C’est ce soir le grand, le bel ANNIVERSAIRE. Je suis prête à le CÉLÉBRER DIGNEMENT, ET VOUS ? Je t’aime mon Victor. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 109-110Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa[Souchon, Massin, Pouchain] 

a) « sentie ». Les erreurs de genre, pour lui comme pour elle-même, sont assez fréquentes sous la plume de Juliette, et légèrement troublantes. 

16 février [1836], mardi soir, 9 h.

Mon cher petit bijou d’homme, il se trouve que je vous aime encore plus cette année-ci que l’autre et ainsi de suite. Je ne me charge pas d’expliquer ce phénomène, je l’éprouve, voilà tout. Si vous aviez un peu de sang d’amoureux dans les veines, vous viendriez très tôt en l’honneur de l’ANNIVERSAIRE. Je ne dis pas cela à cause de Lucrèce, qui est finie à l’heure qu’il est. Mais je le dis pour Mlle Juju, qui n’a pas encore commencé parce qu’elle vous attend pour jouer SON RÔLE. Vous saurez mon cher petit homme que nous n’avons pas fait la moindre orgie. Turluretten’ayant pas su rien acheter, nous nous sommes bornées au quartier de pomme

Page 32: Correspondence VHugo JDrouet

et au morceau de fromage de fondation. Je ne compte plus que sur vous pour faire MON MARDI-GRAS. Cher petit Toto adoré, je t’aime ; c’est bien plus que cela, je donnerais cent fois ma vie pour ton mouchoir, pour RIEN. Mon Victor chéri, viens si tu peux ou donne-moi une pensée en échange de toute ma vie que je te donne cent fois par minute. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 111-112Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

17 février 1836

17 février [1836], mercredi matin, 11 h. ½

Merci mon cher bien-aimé, merci à genoux, tu es plus qu’un ange, ta bonté divine a triomphé de ma mauvaise nature qui est encline à la jalousie et au chagrin sans sujet. Merci donc ma chère âme, tu m’as rendu la plus heureuse et la plus fière des femmes, de la plus malheureuse et de la plus humiliée que j’étais. Sois béni pour le bien que tu m’as fait. Je n’ai pas pu t’écrire plus tôt à cause du grand malaise dans lequel j’étais et suis encore. Mais mon cœur, mais ma pensée ne se sont pas détachés une seconde de toi, mon amour. J’ai lu et relu ta bonne petite page et chaque fois je me sentais soulagée. Je l’ai bien baisée avec mes lèvres fiévreusement pour en tirer le fraisa et le baumeb qu’elle contient. Mon cher bien-aimé, si je nec peux pas me lever aujourd’hui, il ne faudra pas t’en inquiéter, c’est que j’aurai voulu user l’indisposition par le repos. Mais je t’aime, ma joie, tu ne sais pas combien. Je ne le sais pas non plus, moi qui te parle mais je t’aime bien, je t’aime comme une maîtresse mais je t’aime aussi comme une mère ; je t’aime enfin de toutes les affections quelles qu’elles soient. Si tu viens, mon Victor adoré, tu me trouveras bien bonne, bien résignée et bien reconnaissante pour l’amour que tu m’as montré hier au soir. Merci, je suis la plus heureuse des femmes. Je t’aime à genoux. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 113-114

Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa[Pouchain] 

a) Le mot surprend mais la lecture n’est guère douteuse. b) « beaume ». c) « ne ne ». 

18 février 1836

18 février [1836], jeudi matin, 10 h. ½

Bonjour ma pauvre âme, je t’aime, j’ai beaucoup souffert cette nuit et je souffre encore beaucoup mais je pense que le repos et la chaleur feront disparaître cette indisposition, plus tenace cette fois-ci que les autres. J’ai eu tant de fièvre cette nuit et je suis tellement abattue ce matin, que je ne sais plus que vaguement ce que tu m’as dit ; il me semble cependant me rappeler que tu devais aller voir cette horrible exécution avec M. Boulanger [1]. J’espère que tu en auras été empêché par quelque circonstance, ou par ta propre volonté. C’est une chose trop triste et trop affreuse à voir pour que je n’en redoute pas l’effet sur ton esprit si généreux et sur ta chère petite personne adoréea, car c’est un spectacle à vous ébranler le système nerveux pour toute la vie. Je voudrais te voir, je suis tourmentée par la pensée que tu es allé à cet affreux endroit. Et puis

Page 33: Correspondence VHugo JDrouet

j’ai tant souffert et je souffre tant que je me sens le besoin de prendre des forces et de la patience dans tes beaux yeux adorés ; tâche de venir, tu feras une bonne action. Je t’aime, mon Victor bien aimé ; à travers les cris de douleur que m’arrache mon mal, je t’appelle des noms les plus doux et les plus charmants. Viens mon Toto, viens ma joie, viens mon amour, viens mon grand Victor. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 115-116Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « adoré ». 

18 février [1836], jeudi soir, 9 h.

Vous voici mon gros Jean comme devant. Ça vous apprendra à vous mettre sur les rangs [ d’endives [2]  ? ] [illis. ] capitaine de la garde nationale. Vous êtes plus que jamais mon cher petit amant bien aimé. Ça ne donne pas de droits politiques mais cela donne du bonheur, ce qui vaut autant. Je fais de très grands efforts pour t’écrire parce que j’ai toujours mon point de côté quoique j’aie essayé du fameux remède. Cependant, je ne pense pas que ma douzaine d’huîtres me conduise au tombeau. Ce serait par trop ACADÉMIQUE. Vous étiez très gentil tantôt quoique vous n’ayez pas voulu parler de la soirée, ni même me regarder. Je fais des vœux pour que vous reveniez très tôt, dussiez-vous être cent fois plus muet et encore plus loin de mon lit. C’est que je vous aime, moi, c’est que l’air que vous respirez me fait vivre, c’est que je suis joyeuse d’apercevoir votre ombre se projeter sur la page que vous lisez. C’est que je suis folle amoureuse de vous. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 117-118Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Notes[1] Sans doute celle de Fieschi, Pépin et Moret qui furent exécutés le 19 février.

[2] Si la lecture est bonne, il s’agit de l’élection à l’Académie tout juste manquée par Victor Hugo.

19 février 1836

19 février [1836], vendredi matin, [ illis.]

Bonjour mon cher petit homme chéri. Je t’écris dans une très drôle de position, je suis tout à fait couchée d’abord parce que je ne peux pas me remuer, ensuite parce que je suis en transpiration et que je craindrais de me refroidir. Comment vas-tu, toi, mon cher petit homme, comment va ta gorge ? Moi, j’ai passé une assez bonne nuit grâce à la transpiration que tu as déterminée et qui dure encore mais j’ai le côté, la poitrine et le dos plus douloureux qu’hier au point que je ne peux pas me lever sur mon séant. Ce qui est peu commode pour écrire. Je pense que tu ne seras pas allé cette nuit à ce hideux spectacle puisque je ne t’ai pas vu et que tu devais venir dans ce cas-là. Je t’aime toi, je t’aime mon Toto chéri, je t’aime tous les jours davantage. Je n’ai qu’une pensée, toi, qu’un besoin, toi, [qu’] un amour, toi. Je te demande pardon pour l’espèce de griffonnage que je te fais. Cela te prouve encore mon amour, parce que, souffrante, fiévreuse et jalouse que je suis, il faut que je t’écrive, que je te parle, que je t’aime et que je te baise. 

Page 34: Correspondence VHugo JDrouet

Bonjour, mon cher petit Toto qui n’êtes pas de l’académie. Je vous aime. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 119-120Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

19 février [1836], vendredi soir, 8 h.

Je t’écris avant d’avoir dîné, mon cher bijou, parce que je m’obstine à vouloir dîner quoique l’impossibilité de le faire me soit à peu près démontrée attendu qu’on ne trouve d’autres huîtres dans le voisinage que le ban de la mairie. Enfin ma conscience sera … Tout ce que je pourrai bien vous dire à ce sujet serait inutile car voici Turlurette triomphante et moi aussi. Le reste au prochain numéro. 

19 février, vendredi soir, 8 h. ½

Je ne veux pas vous renarrer la suite et fin de mon dîner, qu’il vous suffise de savoir que je crois que je vais très bien, et que je me sens capable de tout ce soir. À preuve.Mon cher petit Toto chéri, pendant que vous errez, votre joli petit nez au vent et à la neige, moi, je vous aime de toutes mes forces et je vous plains d’être forcé par la nécessité de passer votre soirée dehors par le temps qu’il fait tandis que vous seriez si bien au dedans par l’amour qu’il fait. Si vous êtes bien avisé, mon espiègle, vous vous réfugierez dans un bon petit endroit bien clos que je tiens tout prêt pour vous. Je t’adore. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 121-122Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

20 février 1836

20 février [1836], samedi matin, midi ¼

Je ne t’avais pas encore écrit, cher ange, lorsque tu es venu pour la seconde fois de ce matin, empêchée que j’étais par l’excessif mal de tête et de gorge que j’avais. Je ne veux pas déjeuner avant d’avoir dit mon petit bénédicité d’amour. Je t’aime mon Victor, il n’y a pas une seconde de ma vie où je ne le sente. Je t’aime avec tout mon être, bon et mauvais, bête et intelligent, avec la chair et le sang, avec l’âme et le cœur. Tu es bien bon d’être venu ce matin et tout à l’heure, je voudrais être toujours malade pour avoir tous les jours le même bonheur. Mais je vous défends de sortir par le froid qu’il faita avec votre petite redingoteb de MUSCADIN. Je veux que vous endossiez la redingoteACADÉMIQUE pour mettre à l’abri vos jolis petits abattis d’aigle, et puis parce que vous serez moins fringuant et moins coquet à l’œil de la grisette parisienne. C’est bien assez que je ne puisse pas vous empêcher de regarder tous les mollets plus ou moins bien tirés. Je vous aime vous savez. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 123-124Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « qui fait ». b) Juliette écrit « redingotte », comme Hugo. 

Page 35: Correspondence VHugo JDrouet

20 février [1836], samedi soir, 9 h. ½

Mon cher petit homme, le besoin de te dire que je t’aime l’emporte sur tous les frissons et tous les bobos intérieurs et extérieurs. Tu as été si bon tout à l’heure qu’il faut bien que je t’en remercie avec l’âme, ne pouvant te donner des marques de reconnaissance plus palpables. Depuis que tu m’as quittée, j’ai reposé un peu sans que cela m’ait apporté grand soulagement. Cependant, je persiste à croire qu’il n’y a rien de sérieux dans mon indisposition et qu’un jour entier de repos me libérera de toutes ces petites chipoteries qui m’obsèdent depuis quelques jours. Décidément vous êtes mon grand, mon beau, mon noble et bien aimé Toto, je ne sais pas si vous le savez mais il y a longtemps que cela est. Cher petit homme chéri, je vous baise de tout mon cœur où que vous voudrezpourvu que ce soit un morceau quelconque de votre individu non ACADÉMIQUE. À bientôt TO TO. Il est déjà bien tard, je vous aime vous savez. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 125-126Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

21 février 1836

21 février [1836], dimanche matin, midi

Bonjour cher bijou, je t’écris ces quelques lignes pour bien te faire voir que je t’aime. Mais lea fait est que je ne vois pas à conduire ma plume tant je souffre de la tête. Je crois que le reste va mieux, le cœur va bien, l’amour encore plus. 

Juliette

[verso du même folio]

21 février [1836], dimanche soir, 10 h.

JE T’AIME

JE T’ADMIRE

JE TE VÉNÈRE. MAIS SURTOUT QUE JE T’AIME. Je crois que je vais mieux

BnF, Mss, NAF 16326, f. 127. Le folio 128 manque ou n’a pas été photographié. Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) ce mot est répété par inadvertance. 

22 février 1836

22 février [1836], lundi soir, 10 h. moins 10 m.

Pendant que tu travailles pour moi, pendant que te dévoues pour ta pauvre femme malade, elle ne fait que t’admirer avec dévotion [ quelques mots difficilement lisibles ]. Dis-moi, cher âme, comment je pourrai te récompenser de tant de fatigue, de tant de soin et de tant d’amour. Moi, je ne sais que t’aimer. Je m’acquitte mieux de te donner ma vie et mon âme que

Page 36: Correspondence VHugo JDrouet

je ne m’entends à exprimer ce qui se passe de doux et de tendre dans le fond de mon cœur. Mon pauvre bien aimé, [illis.] tu te contentes d’une âme toute à toi. Cher petit homme, je crains que tu n’aies le féroce courage de ne pas venir ce soir surtout que tu as oublié ta clef. Si tu es bien bon, tu viendras à travers tout [ illis.] d’empêchements. Tu me trouveras bien sage, bienraisonnable, et allant toujours mieux et t’aimant plus que plus plein mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 129-130Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

23 février 1836

23 février [1836], mardi soir, 8 h. ¼

Bonjour mon cher petit Toto adoré, bonsoir mon cher petit ange. Je t’écris un petit bonjour pour te souhaiter un petit bonsoir parce que je t’aime. Je ne t’écris pas longtemps parce que j’ai du bobo, mais je t’aime autant que tu es beau, autant que tu es bon, autant que tu es noble et bien plus que tu ne m’aimes. Je t’adore mon amour. Je baise tes petits pieds, tes chères petites mains et tes belles dents les unes après les autres. 

Juju

BnF, Mss, NAF 16326, f. 131-132Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

24 février 1836

24 février [1836], mercredi 1 h. ½ après midi

Bonjour, mon cher petit homme chéri. Bonjour, mon amour. Comment va ta chère petite gorge ? Comment as-tu passé la nuit ? Moi, je vais tout doucement, bien doucement. Je n’ose pas me lever parce que je trouve qu’il fait bien froid et que je me sens encore malingre. Il vient de venir tout à l’heure le premier clerc de Manière. Je te dirai pourquoi ; j’espère n’avoir rien fait de trop. Mais je t’aime, mon Victor, plus je vais et plus je t’aime. Je voudrais être bien portante et RICHE pour te le prouver bien à mon aise. Je t’aime de toute mon âme, je t’aime de tout mon cœur. Je t’aime. Bonjour, viens vite. Je suis si heureuse quand je te vois. Je suis si contente quand j’entends ta charmante voix, cela me fait bien et plaisir en même temps. Viens vite, je t’attends. 

Juliette

[ Au verso :] À toi mon adoré. 

BnF, Mss, NAF 16326, f. 133-134Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

24 février [1836], mercredi soir, 8 h.

Cher petit homme adoré, je veux vous dire un petit bonsoir de la plume et du cœur avant de me coucher. Je vous n’aime plus que mon état de maladeIMAGINAIRE ne semblerait devoir le comporter. Il me semble que si vous vouliez, il ne tiendrait qu’à vous que je ne sois tout à fait guérie ce soir. J’ai très fort confiance dans le remède que vous portez en vous et dont vous êtes si prodigue avec la pauvre malade. Mon cher petit Toto, mon cher petit bonhomme, je vous prie bien fort, guérissez-moi pour l’amour que j’ai pour vous. Vous verrez que vous ne vous en

Page 37: Correspondence VHugo JDrouet

repentirez pas et que vous serez très content de m’avoir administré quelque chose de très bon et de très efficace. Dans cet espoir, mon cher petit adoré, je baise vos trop jolis doigts, votre trop belle bouche, et toute votre trop charmante personne depuis la pointe des pieds jusqu’à la plante des cheveux. Bonsoir, bonjour, je suis très amoureuse, et vous ? J’en suis bien aise. Eh bien, voyons, je vous attends ! 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 135-136Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

25 février 1836

25 février [1836], jeudi matin, midi ½

Bonjour, mon cher adoré, bonjour, mon cher petit homme. Je crois que le remède a opéré. Il me semble qu’aux forces près, je vais mieux. Il est très probable qu’en recommençant ce soir, je serai guérie demain matin. Pauvre ange, je suis toujours aussi triste qu’hier au soir, seulement j’ai l’espoir de te voir bientôt, ce qui m’empêche de pleurer comme cette nuit. Je t’aime mon Victor chéri. Les mots sont bien insuffisants pour le dire, mais je t’aime. Toute ma joie, tout mon bonheur, toute ma santé, tout mon espoir et tout mon avenir sont dans toi. Aussi, quand tu t’en vas, je suis bien seule et bien triste, bien souffrante et bien découragée. Il fait bien noir et bien froid en ce moment, aussi ai-je renoncé à notre promenade, à mon regret puisque je pouvais espérer de te voir quelques heures plus tôt pour être en état de te suivre dans tes excursions. Je vais prendre quelque nourriture afin de me rendre plus vite une gaillarde et une Juju renforcée. Voilà ce que c’est, je vous aime, je me lève sur mon séant pour vous le dire bien haut et bien fort, je vous aime. Mon bonheur, ma santé et ma joie seraient de vous avoir là entre mes bras baisant vos lèvres fraîches et vos yeux brillants et écoutant votre voix si merveilleuse disant des choses plus merveilleuses encore. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 137-138Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

25 février [1836], jeudi soir, 8 h. 10 m.

Avant tout, que je te dise que je t’aime, que ma vie est plus que jamais attachée à la tienne. Non, va, je ne peux pas mourir puisque tu m’aimes. Je ne peux pas mourir puisque je te suis bonne à quelque chose. Jamais je ne te ferai ce chagrin-là. Depuis tantôt, je ne peux plus mourir, que lorsque tu me chasseras de mon cœur. Vous voyez bien que j’ai plus de chance D’IMMORTALITÉque vous quoique je ne sois pas académicienne.Bonjour, je t’aime. Si tu savais faire quelque chose de bien……… etc., tachez de n’être pas trop longtemps à votre bal et à votre théâtre bourgeois, oh ! cteBALLE ! Je vous attends pour me mettre tel emplâtre qu’il vous plaira de me mettre. Je vous assure que ma marmotte n’a plus guère que mal aux pieds et dans ce cas là vous savez le remède qu’indique la chanson [1].Bonsoir mon Toto, bonsoir mon cher petit homme, je suis très geaie parce que je crois que vous m’aimez cent et que je suis sûre de vous aimer cent millions de fois plus. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 139-140Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 38: Correspondence VHugo JDrouet

Notes[1] L’allusion renvoie sans doute à la chanson qui suit, si populaire que de nombreuses autres chansons se chantaient sur son air : La marmotte a mal aux pieds, Faut lui faire un emplâtre ! La marmotte a mal aux pieds, Faut lui faire un emplâtre ! Quel emplâtre lui ferons-nous ? Un emplâtre de plâtre ! Savonnez ci, savonnez là ! Savonnez la marmotte ! Savonnez ci, savonnez là ! Savonnez la marmotte ! La marmotte a mal aux g’noux, Faut lui faire un emplâtre ! La marmotte a mal aux g’noux, Faut lui faire un emplâtre ! Quel emplâtre lui ferons-nous ? Un emplâtre de plâtre ! Savonnez ci, savonnez là ! Savonnez la marmotte ! Savonnez ci, savonnez là ! Savonnez la marmotte ! La marmotte a mal au nez, Faut lui faire un emplâtre ! La marmotte a mal au nez, Faut lui faire un emplâtre ! Quel emplâtre lui ferons-nous ? Un emplâtre de plâtre ! Savonnez ci, savonnez là ! Savonnez la marmotte ! Savonnez ci, savonnez là ! Savonnez la marmotte !

26 février 1836

26 février [1836], vendredi soir, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit Toto bien aimé. il y a aujourd’hui trente-trois ansque vous êtes né, mon cher petit vieux, et je suis bien aise. Je regrette seulement de n’être pas plus en état de fêter dignement cet anniversaire. Mais vous êtes venu déranger tous mes préparatifs, ça fait qu’à présent je suis toute bête. C’est d’autant plus traître à vous, que je suis malade et hors d’état de suppléer à la perte que vous m’avez fait faire en pure perte tout à l’heure, et qui n’a réussi qu’à me donner un affreux mal de tête. Cependant pour me rabibocher en l’honneur de l’anniversaire des anniversaires, je viens d’envoyer chercher un plat d’oseille [1] chez le traiteur que je vais avaler tout entier si je peux, et il est très possible que vous me trouviez ce soir parfaitement en état de vous présenter les armes. Je t’aime toi, mon grand Toto. Je t’aime avec tout mon être. Je t’aime avec toutes mes forces. Je t’aime dans le passé, je t’adore dans le présent et je fais les deux choses dans l’avenir. Cher ange, j’espère que tu feras tout ton possible pour me rendre ce soir les deux bonnes heures que tu m’as prises tantôt. Je t’attends. Je t’adore et je vous fais la fameuse grimace tant pire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 141-142Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 39: Correspondence VHugo JDrouet

Notes[1] Réputée fébrifuge, diurétique et laxative.

27 février 1836

27 février [1836], samedi matin, 10 h.

Bonjour cher bijou, bonjour mon adoré, comment as-tu passé la nuit ? Moi, je suis toujours un peu souffrante, et je pense plus que jamais à la possibilité d’un joli petit enfant, tant pis pour vous. J’ai passé la nuit avec cette idée là et je t’avoue qu’elle n’a pas peu contribué à me faire prendre mon mal en patience. Ce matin je suis très souffrante encore, mais j’espère que cela se dissipera dans la journée. Bonjour, mauvais sujet, qui courez les bals, les répétitions, les réunions et les estaminets, bonjour. Je vous aime, c’est-à-dire que je ne devrais pas vous aimer mais je vous aime, je ne peux pas faire autrement et même si vous voulez que je dise toute la vérité : je vous adore.Cher petit homme chéri, je voudrais bien que ce qui m’occupe soit vrai. Il me semble que la joie que j’en éprouverais suffirait pour me guérir à l’instant même. Tu ne sais pas le bonheur que cet autre petit toi répandrait sur ma vie. Tu ne sais pas quelle joie, quelle félicité j’aurais en ayant un petit double de toi qui m’appartiendrait en toute propriété. Rien que d’y penser la joie m’en vient au cœur comme si cela était. Je t’aime mon Victor. Je t’aime, voilà tout ce que je puis dire. C’est tout ce que je sens. Je t’aime. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 143-144Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa[Souchon, Massin, Blewer] 

27 février [1836], samedi soir, 8 h. ½

Décidément je crois que je le suis, je le crois à beaucoup de symptômes dont un seul suffirait pour être bien certaine. D’abord, je vous aime plus que je ne l’ai jamais fait ; ensuite, je suis très chipie. Ce que j’ai désiré il y a une minute me fait mal au cœur à présent. Je viens de faire l’expérience que les pommes qui autrefois ne me passaient pas me réussissent très fort à présent. Enfin, je sais ce que je sais, je sens ce que je sens, et je dis plus que jamais : je crois que JE LE SUIS. Cela n’empêche pas que nous ne prenions nos précautions pour ne pas manquer notre coup comme on dit. Je vous attends ce soir très tôt ; et je vous promets d’être très prête. Mon cher petit bijou, je n’ai pas pu rien manger, qu’une moitié de pomme ; comme elle m’a très bien réussi, je vais en manger parce que je veux être forte comme un turc quand tu viendras tout à l’heure. Vous voyez bien que vous étiez à cette comédie, vous voyez bien que vous vous faites faire des bottes rouges, vous en êtes témoin ; même que j’ai le droit de me déguiser en odalisse et de faire ma belle à l’ami carême qui est aussi le mien. Cependant, je vous n’aime. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 145-146Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 40: Correspondence VHugo JDrouet

28 février 1836

28 février [1836], dimanche matin, 10 h. ½

Bonjour, mon cher bien aimé. Je t’aime toujours de plus en plus. Je suis toujours malade mais je commence à en prendre mon parti. J’ai été forcé de [renvoyer  ? revoir  ?] la blanchisseuse tout à l’heure, ce qui m’a encore fatiguée, car tout me fatigue à présent. Cher petit homme chéria, je vous aime de toutes mes forces, c’est-à-dire de toutes les forces de mon âme, car celles du corps ne prouveraient pas grand chose à l’heure qu’il est. Oui, mon cher adoré, je vous aime autant que si je me portais bien, et plus encore si c’est possible. J’ai le même besoin, le même désir de vous voir, la même ardeur de vous posséder. Enfin, à la laideur de la maladie prèsb, je vous aime comme une pauvre amoureuse que je suis et c’est à cause de cela que je vous prie, mon cher petit bien aimé, de venir le plus tôt que vous pourrez pour que je puisse prendre de vous du bonheur, de la force et de la santé. En attendant, je vous baise, je vous adore et je vous désire comme en bonne santé. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 147-148Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « chiré ». b) « prêt ». 

29 février 1836

29 février [1836], lundi matin, 11 h.

Bonjour cher Toto, bonjour mon pauvre martyr d’hier au soir. Bonjour, je t’aime. Je ne suis pas tout à fait aussi bien ce matin qu’hier mais j’espère beaucoup du déjeuner. J’ai un grand mal de tête et de gorge et de plus je souffre du dos et des entrailles. Voilà, j’espère un attirail complet de maux. Cependant mon plus grand mal, celui que je sens le plus, c’est de ne pas vous voir et de ne pas vous baiser à mon aise. J’avoue que de tous mes maux celui-là est le plus malin. J’espère mon cher petit garde malade qu’en bon chrétien vous vous dépêcherez de guérir ce mal-là, dussiez-vous en éprouver beaucoup de chagrin. Bonjour donc, en attendant que je puisse vous faire des démonstrations plus vives et plus tendres, avec les lèvres et le cœur. Je me sens plus éloquente en pantomime qu’en style épistolaire. Je me sens du génie dans vos bras mais seule je ne suis qu’une pauvre bête d’amoureuse bien triste et bien maussade. C’est que je t’aime, vois-tu, c’est que je t’adore, c’est que tu es ma joie et mon bonheur. Mille et mille baisers. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 149-150Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

29 février [1836], lundi soir, 8 h. ¾

Mon cher petit bijou, je ne vais pas me coucher sans te dire un petit bonsoir affectueux. Sans te dire que je ne sais lequel j’aime le plus de toi amant et amoureux ou de toi garde-malade et dévoué à toutes les exigences les plus absurdes de la Juju malade. Vous êtes tous les deux également admirables et adorables, et je vous aime et je vous admire de tout ce que j’ai d’admiration et d’adoration dans mon pauvre petit pot fêlé. Bonsoir papa, bonsoir mon adoré, je suis toujours bien souffreteuse. Je crois que je n’ai plus rien de bon que l’âme et je te la donne, ainsi ce qui me reste ne vaut pas un regret. 

Page 41: Correspondence VHugo JDrouet

Bonsoir chéri, je crains que les préparatifs que tu as voulu faire ce soir ne cachent une absence sinon coupable, du moins trop prolongée pour mon bonheur, car je suis heureuse quand tu es là. Une dernière fois bonsoir, je te baise tes deux petites mains modèles. 

Juliette

[Au verso :] À mon bien-aimé. 

BnF, Mss, NAF 16326, f. 151-152Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

1 mars 1836

1er mars [1836], lundi matin, 11 h. ½

Bonjour cher bijou, bonjour mon cher petit ange. J’ai une mauvaise nouvelle à t’apprendre : Claire est malade, je viens de la faire coucher dans mon lit, ne pouvant pas la surveiller moi-même dans sa chambre. Je crains qu’elle n’ait attrapé, aussi elle, une fluxion de poitrine. Je serai dans une mortelle inquiétude jusqu’à ce que le médecin l’ait vue. Tu vois mon pauvre ange que je ne suis pas née COIFFÉE comme on dit. Mais je t’aime, voilà mon talisman contre toutes les infortunes et contre tous les maux que le mauvais sort m’envoie. Je t’aime mon adoré. Je t’aime mon Victor chéri. Je te le dis en deux mots aussi bien qu’en deux mille, seulement, le plaisir de te le dire est moins long. Mais je souffre, j’ai passé une nuit médiocre, c’est ce qui me fait raccourcir mon bonheur. Je t’aime. 

Juliette

[Au-dessous et verticalement : ] À toi, mon adoré

BnF, Mss, NAF 16326, f. 153-154Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

1er mars [1836], mardi soir, 8 h.

Nous avons été tous les deux très bêtes et très méchants aujourd’hui, mais je dois te rendre la justice de te dire que tu as commencé le premier, à tout seigneur tout honneur. Maintenant nous ne nous devons plus rien. C’est-à-dire : si, vous me devez, vous, beaucoup d’amour pour celui que j’ai pour vous, vous me devez en outre beaucoup de tendresse pour toute celle que vous ne me donnez pas depuis que je suis malade. Je ne vous dois rien, moi, car je suis toujours en avance d’amour et de caresses avec vous. Je t’aime mon Toto, je t’aime mon adorable, je vous N’AIME. Je suis aveuglée par la fumée, mais c’est égal, je tiens bon. Je pleure et je t’écris le cœur joyeux, de même il m’arrive souvent d’avoir une boutade sur les lèvres et un amour ineffable dans le cœur. Il faut attribuer cela à unecheminée qui fume et pas à autre chose. Je ne sais pas si je suis compréhensible pour toi, mais je sais que je me comprends et que je t’aime. Je te baise mille fois sur tes yeux, deux mille sur ta bouche, et sur les autres parties du corps, autant de fois que tu as de cheveux. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f.155-156Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Page 42: Correspondence VHugo JDrouet

2 mars 1836

2 mars [1836], mercredi, 2 h. après-midi

Je ne t’écris qu’après avoir pris un peu de nourriture parce que, vraiment, je me sentais trop faible pour le faire avant. Cependant, je ne suis pas malade, mon cher petit homme bien aimé, mais je suis faible comme une pauvre vieille bête malade que je suis. Cela tient à l’âge et aux circonstances de cette nuit.Bonjour Toto, bonjour mon amour, je t’aime, il fait bien beau et ce serait un fameux moment pour se promener un peu bras dessus, bras dessous avec son bien-aimé. Il me semble qu’un peu d’exercice me ferait un grand bien. J’ai rêvé de vous toute la nuit et j’étais très MAREULEUSE et très trahie aussi. Je vous ai donné de fameux coups. J’espère que vous ne vous en portez pas plus mal ce matin et que mes rêves ne sont que des SONGES c’est-à-dire desmensonges. Dans cet espoir, je vous baise et vous rebaise sur toutes vos jolies coutures. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 157-158Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

2 mars [1836], mercredi soir, 8 h. ¼

Mon cher petit homme adoré, vous m’avez fait une bien affreuse menace ce soir en me disant que peut-être vous ne viendriez pas me voir de la soirée. J’aime à croire que vous ne serez pas si féroce pour votre pauvre petite Juju et que vous viendrez sinon très tôt au moins une fois dans la soirée pour qu’elle puise vous embrasser, vous admirer et passer une bonne nuit. Bonjour, b o n j o u r. Comment que je vais faire si je ne vous vois pas ce soir ? Ça ne vous inquiète pas autrement, vous. Mais, moi, c’est différent, voyez-vous parce que je tiens la queue de ma poële [1], comme on dit dans mon pays, et que je ne sais pas comment vivre ni de quoi vivre quand je ne vous vois pas et que je n’ai pas même l’espoir de vous voir. Je suis toute triste et je ne peux plus ni parler ni respirer. Vous, vous vous en consolez en faisant merveilles sur merveilles ; ça vous est égal que vos diamants soient faits avec le feu de ma vie, que vos perles se forment dans autant de larmes de mes yeux, vous prenez toujours jusqu’à ce que la pauvre Juju n’ait plus rien à vous donner dans ce monde ni dans l’autre. Car je sens bien que je vous donne bien plus que ma vie, je vous donne mon âme toute entière. Si cette petite considération d’une pauvre femme qui vous aime, et qui met la joie de toute sa vie dans une minute de votre présence vous paraît quelque chose, je suis sûre de vous voir ce soir. En attendant, je t’adore. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 159-160Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Notes[1] Le sens habituel de l’expression – avoir la direction, la responsabilité – n’est pas ici très satisfaisant.

3 mars 1836

3 mars [1836], jeudi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon cher adoré ; tu as donc bien travaillé, mon pauvre ange, que tu n’es pas venu me voir du tout cette nuit ? Je ne t’en veux pas, mon cher bien aimé, mais je suis triste. Ce ne peut pas être autrement puisque j’ai fait ma joie et mon bonheur de te voir, puisque j’ai fait l’air que je respire de ton souffle, et mon soleil de tes yeux. Aussi je n’ai eu qu’une pensée, la tienne, qu’un désir, de te voir. J’ai passé une assez bonne nuit. Je me sens mieux ce matin et tout me

Page 43: Correspondence VHugo JDrouet

fait espérer que si je puis entrevoir le petit coin de tes yeux adorés aujourd’hui, je serai tout à fait guérie. Bonjour, pensez un peu à moi, aimez-moi un peu, pour que je sente un peu de bonheur me réjouir le cœur à travers les distances qui nous séparent. Je vais me lever tout à l’heure et faire mon ménage à fond. Je vais m’en donnerdu ménage. Dieu merci, ce ne sera pas du luxe, car depuis quinze jours que je suis malade, il a été un peu négligé. Ceci vous annonce que je suis prête à reprendre toutes mes fonctions de femme. Sans exception. Après cet aveu, vous pouvez me donner telle besogne qu’il vous plaira, je la ferai avec plaisir. Et je vous aime. 

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 161-162Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

3 mars [1836]a, jeudi soir, 8 h. ¼

C’est avoir fameusement de conscience, que de vous écrire régulièrement comme je le fais, puisque vous ne lisez pas mes pâtés, ni mes gribouillages. Si je le fais vous pouvez compter que ce n’est pas pour vous, mais bien pour moi qui ai tant de bonheur à vous répéter que je vous aime. Si je pouvais je le crierais sur les toits et je l’écrirais sur tous les murs de Paris. Mais je n’ai pas la voix aussi forte que mon amour, et vous ne voulez pas être compromis. Je me borne donc à la discrète et innocente feuille de papier pour vous dire ce que j’ai dans l’âme. Bonjour, mon petit Toto, vous savez ce dont nous sommes convenus pour ce soir ? Ne l’oubliez pas. Je vous fais une très agaçante grimace. Si vous étiez là vous ne pourriez pas faire autrement que de vous en tirer à votre honneur. Dépêchez-vous de venir. Je vous aime, je me porte bien. Enfin je vous assure que je suis très bonne à… prendre. En vous attendant, vous voyez que je vous aime, que je pense à vous et que je vous désire de toutes les forces de mon âme.

Juliette

Collection Claude de FlersTranscription de Florence Naugrette

a) Millésime ajouté d’une autre main.